Ashes Falling for the Sky 2

Ashes Falling for the Sky 2

De Nine Gorman et Mathieu Guibé chez Albin Michel Ashes falling for the sky De Nine Gorman chez Albin Michel Le Pacte d’Emma Collection © Éditions Albin Michel, 2019 Tous droits réservés, y compris droits de reproduction totale ou partielle, sous toutes ses formes. ISBN : 978-2-226-44443-1 À Ash & Sky, merci de nous avoir tant appris. Prologue – ASH – First players « You came and made me who I am I remember where it all began, so clearly » Be Somebody – Thousand Foot Krutch Je vois le ciel. Il disparaît. Je vois le ciel. Il s’évanouit encore. Je vois le ciel. Puis, aussitôt après, la terre… Les chaînes de la balançoire grincent à chacun de mes mouvements. Je me dis que si je me propulse assez fort, je pourrais effleurer les nuages du bout de mes pieds. Je savoure ce moment d’apesanteur, cette seconde où, juste avant de redescendre, j’ai la sensation que mon corps flotte, qu’il est léger… léger. Je voudrais m’envoler, nager dans les airs, et apercevoir maman. Nanny me répète qu’elle me surveille de « là-haut », mais après cinq années à essayer d’attirer son attention, je commence à croire qu’elle ne se manifestera jamais. Peut-être bien qu’une fois partis, les gens ne reviennent jamais. À cette heure, le parc est vide. C’est bien pour ça que j’y traîne. J’ai insisté auprès de Nanny pour aller seul au collège, parce que c’est la honte d’arriver avec sa grand-mère. Elle a d’abord rigolé, en pensant que je n’étais pas sérieux, que c’était un caprice d’ado, mais quand elle a croisé mon regard, elle a su que je ne plaisantais pas et elle a cédé. Ses yeux étaient tristes et je m’en suis voulu, mais la vérité c’est que, depuis plusieurs semaines, je suis la cible des grands. Mon poids, l’absence de parents : tout sert de prétexte à m’embêter. Être accompagné par Nanny à l’école n’arrange pas les choses, c’est un sujet de moquerie supplémentaire. Sans elle, je peux traîner en chemin. Je pourrais même ne pas y aller du tout, je pourrais même… disparaître sans laisser de traces, comme s’effacent ces nuages dans le ciel, gommant en même temps le souvenir de maman, qui est supposée y vivre… Un nœud se forme dans mon ventre. Plus je pense à ces garçons, moins je m’élance. Le rythme de la balançoire ralentit. Mes pieds râpent le sol en soulevant la poussière. La réalité me frappe quand je descends du siège. La peur de devoir aller à l’école me revient. Si je sèche, Nanny finira bien par l’apprendre, et elle m’en voudra d’avoir trahi sa confiance. Et si j’y vais… Je regarde ma montre, j’ai encore le temps si je cours, ils seront déjà en classe, c’est obligé… Je ramasse mon sac, que j’avais abandonné contre un pilier de la balançoire, et je prends le chemin de l’école. * Les mains de Larry agrippent mon tee-shirt et tirent dessus avec acharnement. J’entends les coutures craquer, mais je parviens à me dérober. – Allez, enlève-moi ça ! On t’a vu arriver en courant, ce matin. T’as transpiré comme un porc dedans, je suis sûr ; tu vas pas nous imposer ça ! Larry aussi a quelques kilos en trop, mais de muscles, et également dix bons centimètres de plus que moi. – Sois pas timide, gras-double, montre tes gros nénés aux filles. Tu vas les rendre jalouses ! J’essaie de reculer, mais ses potes m’en empêchent. Je suis persuadé d’avoir croisé le regard de M. Collins, le surveillant, mais il a détourné les yeux et s’en est allé de l’autre côté de la cour. Même lui m’abandonne. Larry me surprend en me chatouillant les côtes : en réflexe, je repousse ses mains pour le faire arrêter. Mon geste ne lui plaît pas, et il me retourne une droite qui me met au tapis. Je masse ma joue : mes dents sont encore là, malgré le goût du sang sur ma langue. Les larmes me montent aux yeux. J’ai honte. Honte de moi, honte de mon poids, honte de ce ventre flasque qui fait marrer tout le monde. J’ai surtout honte de ne pas pouvoir y changer quoi que ce soit. Qu’ils me tabassent et qu’on en finisse. – Putain, on dirait une grosse limace. Il me dégoûte, ce type. Sa mère a dû se flinguer, tellement il est moche ! Il rigole. Si fort. Si fort… Mes larmes ont cessé de couler. Instantanément. Je sens un feu brûler en moi, comprimer ma peur jusqu’à la faire disparaître. – Ta grand-mère va bientôt claquer et tu seras tout seul… Je me relève et fonce tête la première dans son estomac, lui coupant le souffle pour qu’il se taise. La taille ceinturée, il est entraîné avec moi dans ma chute. Je m’apprête à lui envoyer mes poings, mais il est trop rapide et roule sur le côté pour se retrouver au-dessus de moi. Il m’écrase de tout son poids et je vais prendre cher. – Toi, t’es mort ! Soudain, un étui à guitare s’abat sur sa tête. J’entends le fracas de l’instrument qui se brise à l’intérieur, tant le choc est rude. Larry s’effondre à mes côtés et me dévoile ce garçon d’à peu près mon âge, que je n’ai jamais vu. Ses cheveux sauvages semblent livrer bataille pour vivre libres, les mèches noires au vent. Ses yeux plissés, sans doute à force de sourire, abritent un regard amusé et innocent, comme indifférent à la violence du coup qu’il vient de porter. Il se rue sur Larry, encore sonné, et tous deux s’échangent quelques frappes jusqu’à ce que mon bourreau, défait, pleure comme un bébé. Même ses amis en rigolent lorsqu’il s’enfuit. Le garçon s’approche de moi et me tend une main pour m’aider à me relever. Quand je la saisis, j’ai comme une certitude : jamais ce type ne me laissera tomber. Une sorte de promesse silencieuse est prononcée en cet instant. Pas de « juré, craché ». Pas de « croix de bois ». Juste ce visage sincère tourné vers moi. – Comment tu t’appelles ? me demande-t-il. – Ash… Et toi ? – Zach. Il tient encore ma main entre ses doigts chauds. Je sens toute l’intensité de ce mec. Il est là pour moi. Une écorchure sur le front et un œil poché en trophées de guerre. Je découvrirai plus tard que la guitare qu’il a brisée pour moi était la chose la plus précieuse à ses yeux. Gêné, je le lâche pour m’épousseter. Tout en fuyant son regard, je sors une banalité : – Je t’en dois une. Je le pense sincèrement, mais ça fait un peu trop réplique de cinéma pour que j’ose le dire en plongeant mes yeux dans les siens. – Alors pourquoi tu m’as tué ? – Quoi ? Je relève la tête, surpris. Le sang qui suintait de son écorchure coule maintenant à flots, recouvrant d’hémoglobine son visage devenu tout à coup adulte. Il s’approche de moi et me saisit par le col en me secouant avec vigueur. – Pourquoi tu m’as tué, Ash ?! POURQUOI ?! – ASH – Unforgettable « But I just can’t forget Those crazy nights And all the things that we did » Out of My Head – Theory of a Deadman Je me réveille en sursaut, et, bien que mes yeux soient grands ouverts, l’image de Zach ensanglanté reste imprimée quelques instants sur mes rétines. J’ai le souffle court et mon cœur tambourine à m’en faire mal. Je mets un moment à me souvenir où je suis. Dans un appartement, en plein Bronx, loin de Bloomington, loin de… Dans un coin de la pièce, la guitare m’observe. Cette guitare que je lui devais. Plusieurs étés à économiser pour lui acheter cet instrument, et le lui offrir pour son anniversaire… et il ne l’a jamais vu. La sirène assourdissante d’un camion de pompiers m’extirpe de mes idées noires. La ville qui ne dort jamais porte bien son surnom. Depuis mon arrivée ici, mes cauchemars ont repris ; Zach, sa mort, ma faute… Les insomnies me donnent du répit : être seul avec mes pensées est plus supportable que me retrouver face à mon subconscient et aux démons qu’il garde enfermés. Voilà quelques semaines que Sybille, Elias et moi avons emménagé ici. Malgré l’échec de notre dernière tentative de cohabitation, qui avait poussé Sybille à me mettre à la porte, elle n’a pas hésité à venir me chercher, au dernier moment, pour que je les accompagne à New York. Déserter sa fête d’adieu, rompre tout contact avec Sky, disparaître du Deli… tant de comportements qui lui ont mis la puce à l’oreille sur mon état. Elle a senti que j’étais au plus bas. Sybille me connaît, elle savait que si elle me laissait seul dans cet état, à son retour, je n’aurais peut-être plus été là. Elle a su se montrer convaincante, et puisque plus rien ne me retenait à Bloomington, j’ai accepté. Plus rien ni personne… « On ne tombe pas amoureuse d’un étranger, et c’est tout ce que tu es pour moi, Ash. » Je me redresse sur le canapé où j’ai élu domicile et ramasse mon téléphone sur la table basse de fortune.

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