Entretien Avec Jacqueline Lastenouse

Entretien Avec Jacqueline Lastenouse

Anne Dulphy et Christine Manigand, « Entretien avec Jean Charbonnel », Histoire@Politique. Politique, culture, société, n° 17, mai-août 2012, www.histoire-politique.fr Entretien avec Jean Charbonnel Propos recueillis à Paris en janvier 2012 par Anne Dulphy et Christine Manigand Jean Charbonnel est né en 1927. Normalien, agrégé d’histoire, il entre à l’ENA en 1953. Après un passage comme conseiller technique au cabinet de Bernard Chenot, ministre de la Santé publique puis de la Justice, il se lance dans une carrière politique. Il est appelé à des postes ministériels à plusieurs reprises : secrétaire d’État aux Affaires étrangères chargé de la Coopération (1966-1967), puis ministre du Développement industriel et scientifique (1972-1974). Il fut élu à plusieurs reprises maire de Brive, conseiller général et député de la Corrèze. Nous avons coutume de commencer par des questions sur le milieu d’origine, tout ce qui dans votre environnement de jeunesse a pu expliquer votre parcours ultérieur, et votre parcours d’excellence en passant par l’École normale supérieure et l’agrégation d’histoire. Je n’oublie pas, en effet, que je suis historien d’origine, comme je le rappelle dans mon dernier livre sur lequel vous avez peut-être jeté un coup d’œil1. Oui, mais pouvez-vous néanmoins nous préciser votre milieu d’origine ? Justement, je l’évoque dans ce livre, c’est le milieu d’un enfant sage d’avant 1940. Je dis tout de suite d’avant 40 parce que, m’interrogeant sur ma vie, je finis par me demander si je suis vraiment jamais sorti de 1940, du désastre, de ce que cela représentait pour le lycéen que j’étais. Élevé par un père ancien combattant, à Fontainebleau, au milieu des « fanfares perdues », avec beaucoup de camarades fils d’officiers, à la suite du parcours de mes grands-pères qui étaient maires et pour lesquels la République comptait. Je rappelle tout de même que j’ai eu une grand- mère qui était une royaliste acharnée : elle me fit savoir qu’une partie de ma famille, nantaise d’origine, avait été exterminée par la Révolution en 1793. Seul un jeune homme avait pu échapper à la noyade de Nantes et s’était enfui jusqu’à Tulle, en Corrèze. C’est en pensant à ce souvenir tragique que j’ai écrit, il y a quatre ans, un livre sur les Légitimistes. 1 Jean Charbonnel, Pour l’honneur du gaullisme. Contre-enquête sur un héritage, Paris, Riveneuve éditions, 2011. 1 Anne Dulphy et Christine Manigand, « Entretien avec Jean Charbonnel », Histoire@Politique. Politique, culture, société, n° 17, mai-août 2012, www.histoire-politique.fr Donc, 1940 a été pour moi vraiment marqué par l’effondrement de l’armée française, de la France. Et je dois ajouter par un exode extrêmement dur sur lequel je n’ai pas tout dit dans mon livre car c’est une affaire personnelle ; mais ce fut tout de même plus qu’éprouvant, à 13 ans, de passer une journée entière à demander mon pain parce que j’avais perdu mes parents, que nous étions sur la route pour aller à pied à Tulle, car nous avions dû abandonner notre voiture au pont de Sully ; et puis les bombardements en permanence pendant une demi-journée, un camarade de lycée tué à quinze mètres de moi. À 13 ans… Parfois, j’en parle à ma femme et à mes enfants, peut-être un peu trop, et on finit par me dire que d’une certaine manière je n’en suis pas sorti. Je ne veux pas outrer la comparaison, mais lorsque Barrès dit qu’il n’a jamais pu oublier l’arrivée de l’infanterie prussienne à Charmes, moi je ne peux pas avoir oublié le premier uniforme vert que j’ai vu lorsque je suis revenu, après septembre 1940, la défaite et la suite. C’est la première chose que je pourrais dire. La deuxième, évidemment, ce sont mes études. Il s’est trouvé qu’elles ont bien marché. Le plus important de ce que j’en ai tiré réside sans aucun doute dans l’École normale et l’agrégation sur le plan intellectuel, sans oublier toutes les camaraderies que j’y ai trouvées et entretenues. Vous parliez, par exemple, de Jean-Bernard Raimond2 : nous avons tout fait ensemble ; nous étions à Louis-le-Grand en même temps, lui a fait l’agrégation de lettres et moi d’histoire ; on s’est retrouvé ensuite à la Fondation Thiers et, enfin, à l’ENA. Dans un premier temps, tout de même, j’aimais beaucoup ce que je faisais et j’ai voulu préparer une thèse ; je n’avais pas à ce moment-là encore toutes les informations que j’ai eues par la suite sur mes origines familiales, mais, curieusement, je m’étais mis en tête de la faire sur la noblesse légitimiste dans l’Ouest au XIXe siècle. Fréville m’avait poussé dans ce sens comme universitaire de Rennes. Mais j’avais eu comme directeur de diplôme Charles-Henri Pouthas qui m’avait orienté vers l’histoire religieuse : j’avais donc fait un travail sur Louis Veuillot sous la Deuxième République, c’est-à-dire au moment du passage d’une grande partie des catholiques à l’ultramontanisme. Et M. Pouthas m’a dit : « Non, il faut que vous restiez dans l’histoire religieuse. » Poussé aussi dans ce sens par René Rémond, j’ai abandonné mon projet pour choisir comme sujet « Le diocèse de Paris du Concordat à la Commune », qui avait l’intérêt de montrer comment un diocèse débutant au début du siècle dans les cloches du Concordat, s’était terminé dans les fusillades de la Commune. C’était un sujet très important, mais je m’en suis lassé au bout de deux ans, alors que je savais que la thèse me prendrait vingt ans de ma vie. Jean-Bernard Raimond avait pris un sujet beaucoup plus intéressant qui était « La politique de Giraudoux ». Finalement, on a constaté l’un et l’autre que ces travaux nous ennuyaient et on a tenté l’ENA. De mon côté, j’avais une raison supplémentaire de le faire. Depuis 1940, j’avais la volonté au fond de moi de participer au redressement nécessaire de la France que j’avais vue au fond de l’abîme. J’ai été un peu un lycéen résistant, car j’étais trop jeune 2 Anne Dulphy et Christine Manigand, « Entretien avec Jean-Bernard Raimond », Histoire@Politique. Politique, culture, société, n° 16, janvier-avril 2012, www.histoire-politique.fr 2 Anne Dulphy et Christine Manigand, « Entretien avec Jean Charbonnel », Histoire@Politique. Politique, culture, société, n° 17, mai-août 2012, www.histoire-politique.fr pour m’être engagé les armes à la main, mais je gardais en tête l’idée d’essayer « d’apprendre l’État » pour apporter ma compétence à l’homme qui m’était apparu en 1940 comme le sauveur, de Gaulle. J’avais eu l’impression que le miracle était là, qui pouvait sauver le pays. J’avais, dès 1947, tout en étant démocrate-chrétien de sensibilité, choisi de soutenir de Gaulle. C’est ce que je fis en m’inscrivant au Rassemblement du peuple français (RPF). Mais, je voulais aller plus loin, en apprenant les mécanismes de l’État. Alors que l’agrégation d’histoire et l’histoire religieuse ne m’avaient apporté que des éléments partiels sur la vie de la nation. Voilà ce que je peux vous dire sur les choix qui ont orienté ma vie. D’abord, le désastre de 1940, qui pèse encore sur ma mémoire (comment oublier deux de mes meilleurs amis pendus à Tulle par les SS en 1944 ?). Et, d’autre part, sur le plan intellectuel le désir d’entrer dans les « grandes maisons », l’ENA n’étant qu’un outil, alors que j’avais cherché l’inspiration intellectuelle à l’ENS et avec l’agrégation d’histoire. Mais en choisissant en 1953 de passer l’ENA, vous renoncez à votre carrière d’historien ? Non, absolument pas. Parce que tous les livres que vous avez commis montrent bien que vous avez continué ces deux carrières parallèlement. En effet. D’ailleurs, à la sortie de l’ENA, je pouvais à la fois avoir l’Inspection des Finances ou la Cour des comptes : j’ai choisi la Cour des comptes, alors que généralement c’est le choix inverse que faisaient les élèves, parce qu’elle avait une certaine réputation de travail modéré et je me suis dit que j’aurais ainsi le temps de retrouver l’inspiration historique, d’écrire des livres. Ma première idée était de faire une étude sur le fascisme français et notamment sur la Cagoule : j’avais été orienté dans ce sens par Jean Touchard, dont je ne savais pas que j’épouserais la nièce quelques années plus tard… J’ai eu le dossier du procès de la Cagoule par des magistrats qui étaient autour d’Edmond Michelet et de Bernard Chenot, garde des Sceaux en 1959-1962. Comme je m’étais beaucoup engagé dans la lutte contre l’OAS, et un peu pour me récompenser, ils m’ont communiqué pour mon information d’historien le dossier du procès des Cagoulards fait en 1939 et rouvert en 1946 après la guerre. J’ai eu ainsi l’occasion de prendre connaissance d’événements qu’il ne m’a pas semblé opportun de divulguer dans l’immédiat. Peut-être le ferais-je dans des Mémoires d’outre-tombe, si j’ai le temps de les écrire. Tout ceci pour vous dire, d’autant que j’ai écrit d’autres livres par la suite, que je ne suis pas totalement infidèle à l’histoire ! Vous avez fait allusion à votre engagement démocrate-chrétien.

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