La Restauration Des Antiques Dans La Seconde Moitié Du Xviiie Siècle

La Restauration Des Antiques Dans La Seconde Moitié Du Xviiie Siècle

Technè La science au service de l’histoire de l’art et de la préservation des biens culturels 42 | 2015 Science et conservation La restauration des antiques dans la seconde moitié e du XVIII siècle : à propos de la restauration du Mars d’Orsay (musée du Louvre) par Thomas Jenkins The restoration of antiques in the second half of the 18th century: concerning the restoration of Mars d’Orsay (Louvre) by Thomas Jenkins Martin Szewczyk Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/techne/6471 DOI : 10.4000/techne.6471 ISSN : 2534-5168 Éditeur C2RMF Édition imprimée Date de publication : 1 décembre 2015 Pagination : 16-24 ISBN : 978-2-7118-6249-8 ISSN : 1254-7867 Référence électronique Martin Szewczyk, « La restauration des antiques dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : à propos de la restauration du Mars d’Orsay (musée du Louvre) par Thomas Jenkins », Technè [En ligne], 42 | 2015, mis en ligne le 01 décembre 2015, consulté le 11 mars 2021. URL : http://journals.openedition.org/ techne/6471 ; DOI : https://doi.org/10.4000/techne.6471 La revue Technè. La science au service de l’histoire de l’art et de la préservation des biens culturels est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. Science et conservation TECHNÈ n° 42, 2015 16 Fig. 1. Dessin du Mars d’Orsay par Friedrich Anders, joint par Thomas Jenkins à une lettre du 9 août 1775. British Museum, Department Greek & Roman. © Trustees of the British Museum. TTechne_42_3.inddechne_42_3.indd 1616 110/12/150/12/15 009:359:35 TECHNÈ n° 42, 2015 Science et conservation Martin Szewczyk La restauration des antiques dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : à propos de la restauration du Mars d’Orsay (musée du Louvre) par Thomas Jenkins The restoration of antiques in the second half of the 18th century: concerning the restoration of Mars d’Orsay (Louvre) by Thomas Jenkins DOSSIER Résumé. La statue connue sous le nom de Mars d’Orsay, Abstract. The statue known as Mars d’Orsay, in the collections conservée au Louvre, a fait récemment l’objet d’une restauration. of the Louvre, was recently restored. Using letters written by the art 17 Celle-ci fut l’occasion, en s’appuyant sur la correspondance du dealer Thomas Jenkins as a source, this provided an occasion marchand Thomas Jenkins, d’un réexamen et d’une meilleure for re-examining and learning more about earlier restoration compréhension des restaurations anciennes de la sculpture. À of the sculpture. Based on this case study, this paper investigates partir de ce cas d’étude, cet article entend étudier la manière dont the manner in which these restoration programmes grew les interventions de restauration prennent de l’importance, non in importance, not only for the scientifi c community, but also in seulement pour la communauté scientifi que, mais également dans the relationship between an art dealer and his client(s). In this la relation établie entre un marchand et son ou ses clients. À ce respect, re-examining Thomas Jenkins’s correspondence with titre, un réexamen de la correspondance entre Thomas Jenkins et le the renowned art lover and collector Charles Townley sheds light célèbre collectionneur et amateur Charles Townley permet de mettre on attitudes held towards the restoration of antique sculpture in en lumière, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, des attitudes the second half of the 18th century, and thus enables us to place particulières vis-à-vis de la restauration des sculptures antiques, et the case of the Mars d’Orsay in a broader historical context. de replacer ainsi le cas du Mars d’Orsay dans le développement Keywords. Antique sculpture, restoration, 17th century, plus général de son histoire. Thomas Jenkins, Charles Townley, Comte d’Orsay. Mots-clés. Sculpture antique, restauration, XVIIIe siècle, Thomas Jenkins, Charles Townley, comte d’Orsay. La pratique moderne de la conservation des œuvres d’art se provenues de cette source3. » Intéressé par les restaurations4, fonde sur un ensemble de doctrines et de principes que l’on il estimait urgent de les décrire et de les comprendre afi n de peut qualifi er de déontologie de la restauration, qui viennent rectifi er et prévenir les interprétations abusives. Il est intéres- structurer et même contraindre les interventions portées sur sant de constater que ce n’est pas le principe de ces restaura- celles-ci. Parmi ces principes, la publicité des interventions tions qu’il met en cause, bien qu’il déplore la piètre qualité occupe une place centrale et est motivée par des exigences des têtes5, mais l’opacité qu’elles jettent sur la connaissance de conservation et de connaissance. J. J. Winckelmann, dans de l’antique. En réalité, le révolutionnaire Winckelmann la préface de son Histoire de l’art chez les Anciens, publiée à semble avoir initié ou du moins inauguré une période de Dresde, en allemand, en 17641, appelait ceux qu’il nomme conquête de cette publicité de la restauration. alors les « Antiquaires » à la prudence et, critiquant sévèrement Le présent article porte précisément sur cette période les biais introduits par les restaurations anciennes, prônait puisque nous avons centré notre analyse autour de la restau- une sorte de critique d’authenticité : « Lorsque l’on donne ration de la statue dite « Mars d’Orsay » (fi g. 2), qui a été des dessins et des explications des ouvrages antiques, on doit effectuée en 1774 par le marchand-antiquaire britannique avoir l’attention d’y indiquer les réparations2. » Il va même Thomas Jenkins6. C’est à l’occasion d’une nouvelle restaura- jusqu’à en faire une condition du travail sur les sculptures tion de la statue, conduite en 2013 dans les ateliers du C2RMF7, antiques : « La plupart des méprises des savants sur les ouvrages que nous avons pu examiner les points abordés dans cette antiques viennent du peu d’attention qu’ils font aux répara- étude. La statue est aujourd’hui conservée au département tions et aux additions. On n’a pas distingué avec assez de soin des Antiquités grecques, étrusques et romaines du musée du du véritable antique, ce qui y a été ajouté, soit pour réparer Louvre8. Pour la première fois, les pièces d’archives permettant les parties mutilées, soit pour remplacer les parties perdues. de connaître son histoire matérielle pouvaient être relues On pourrait faire un gros volume des erreurs qui sont devant l’objet, en essayant de comprendre sur l’œuvre les Martin Szewczyk, conservateur du patrimoine, département Restauration, fi lière archéologie, C2RMF ([email protected]). Documenter la restauration : sourcesanciennes pratique moderne d’une TTechne_42_3.inddechne_42_3.indd 1717 110/12/150/12/15 009:359:35 Science et conservation TECHNÈ n° 42, 2015 interventions que celle-ci avait eu à subir. Elles amènent éga- Avant la restauration de 2013, la statue présentait de nombreux lement à éprouver la pertinence et le réel apport documentaire comblements au plâtre. Ces bouchages devaient masquer des de ce type de sources pour la compréhension des restaurations irrégularités sur le torse et, pour certains, compléter des plis anciennes. C’est donc dans une protohistoire de l’éthique de du drapé, brisés. Ils recouvraient parfois des bouchages en la restauration que nous allons plonger : quelles pouvaient résine, antérieurs, visibles en de nombreux endroits sur les être les motivations de Jenkins pour évoquer et même détailler parties antiques de l’œuvre. Ces interventions ne sont pas les interventions menées sur l’objet ? A-t-il subi l’infl uence de datées avec précision. On peut toutefois savoir que la statue Winckelmann ? Qu’est-ce que les sources archivistiques peuvent que nous contemplons aujourd’hui est, à peu de choses près, nous apprendre de ses idées et de ses pratiques en termes de celle qui fut achetée par le comte d’Orsay à Rome en 1776. restaurations ? Nous connaissons en effet un dessin documentant l’état de l’œuvre en 1775, un an avant son acquisition par le comte (fi g. 1). Probablement de la main de Friedrich Anders, il « - am sorry have not the name of the Greek artist accompagnait une lettre adressée par Thomas Jenkins à that made this statue with me » Charles Townley le 9 août 1775. La légende du dessin, ajoutée 18 a posteriori, mentionne la vente au comte d’Orsay, pour 500£10. La statue qui nous intéresse représente un homme debout, Pierre-Gaspard-Marie Grimod, comte d’Orsay, effectua un le poids du corps reposant sur la jambe gauche, la droite séjour en Italie entre 1775 et 1778, à l’occasion duquel il légèrement pliée et portée vers l’arrière. Il est drapé dans un rassembla une collection d’antiquités11, qu’il conserva, pour himation (manteau) qui lui recouvre les hanches et la partie son plaisir, dans l’hôtel de Clermont-Saissac, rue de Varenne inférieure du corps, jusqu’aux genoux. Le vêtement est déli- et de Babylone12. Exposée et cataloguée par ses soins en 179113, catement passé sur l’avant-bras gauche, placé à l’horizontale, dans le but d’être vendue, elle fut néanmoins confi squée au et remonte, dans le dos, venant mourir, plié en demi-cercle, profi t de la République en 179414. Seule la présence du cimier, sur l’épaule gauche. Il s’agit donc d’une statue associant deux sans doute restauré au XVIIIe siècle, semble distinguer cet état motifs statuaires traditionnels du répertoire romain : de l’état actuel. Jenkins, essayant de vendre cette statue à Hüftmantel et Schulterbausch, d’après la dénomination germa- Charles Townley, lui livrait par ailleurs des informations nique. À l’aplomb du drapé retombant à gauche, un tronc intéressantes sur son histoire matérielle.

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