Du même auteur Être Marginal au Maghreb (avec Fanny Colonna, CNRS/CRESM. 1993> Féminisme et politique au Maghreb Maisonneuve et La rose et Eclclif (Maroc) 1993 et 1994, réédité et complété, 1997, Eddif (distribution en France. Vilo). Ferhat Abbas, une utopie algérienne (avec Benjamin Stora, Denoël, 1995). Ben Barka (avec Maati Monjib, Michalon, 1996). Les Marocains des deux rives Éd. de l’Atelier, 1997. Éditions Séguier, 3, rue Séguier - 75006 Paris © atlantica, Biarritz, 1999 ISBN : 2-84049-144-3 Photo couverture : Photographie prise au Rif en 1925 par Pierre Parent in Abdelkrim, Pierre Dumas, éd. le Bon Plaisir, Toulouse, 1925. Z akya D a o u d ABDELKRIM Une épopée d’or et de sang SÉGUIER PRÉFACE Le devoir de mémoire ne saurait s'opposer; axiomati- quement, à l’Histoire. Cédés l’erreur serait de juger les hommes d ’une époque comme s'ils étaient informés de tout ce que nous avons appris depuis et prétendre juger un régime ou une institution c ’est prétendre juger l’huma­ nité disait Hannah Arendt. Il faut donc avant tout cher­ cher quel était l ’état du savoir à l ’époque d ’une production y compris sur le plaît méthodologique voire épistémologique et seulement ensuite essayer de comprendre la logique idéo­ logique des acteurs et des témoins - ici par exemple l’au­ teur des pseudo-mémoires d Abdelkrim dont fait état Zakya Daoud et sa position elle-même en tant qu ’auteur de cette biographie. Comment Renan travaillait-il par rapport à Durkheim ou Freud ou encore Engels par rapport à Mor­ gan. .. et comment nous-mêmes- français ex-colonialistes, universalistes, avons entrepris le travail de deuil sur notre passé... comment relisons-nous aujourd'hui la légitima­ tion de la colonisation p ar Victor Hugo ou Jules Ferry ? Abdelkrim. Une épopée d'or et de sang L ’ensemble des relations complexes que la France a o it re­ tenues avec son empire colonial - ici le Maghreb - ne peut plus se contenter de la fable patriotique, n a tiona­ liste, civilisationnelle, ni éviter le travail de deuil néces­ saire à l’éclaircissement de nos positions les plus ambiguës. J ’ai essayé de le faire par une relecture de la vie de l ’émir Abdelkader sans tenir compte des sentiments légitimes des Algériens ni des sympathies évidentes des Français. Il me paraît donc cohérent de soutenir le même point de vue en ce qui concerne la biographie d Abdelkrim que pro­ pose Zakya Daoud et pas simplement parce que nous ai 'ions entamé un travail commun de type * ijtihadien - lorsqu elle dirigeait la revue Lamalif. L’homothétie de la vie des deux héros - ainsi que celle de Shamyl le Caucasien - me paraît frappante malgré les différences de situations et de dates. Comme Abdelkader qui le précède de cent ans. Abdel- krim appartient à la noblesse de chapelet et doit - sous la pression d ’événements intérieurs et extérieurs - se trans­ former en chef de guerre à la fois contre les ennemis extérieurs et contre certaines tribus et certains chefs reli­ gieux. Comme Abdelkader, le rifain est équitable, préve­ nant avec ses troupes et ses prisonniers, com me lui il doit lutter contre l’anarchie ordonnée et contre le pour >oir magh- zénien et sultanien perverti ou victime de querelle intes­ tine. C’est en effet, à la fois, l ’histoire de la désintégration du Maroc sous ses propres contradictions et la concurrence des puissances européennes qui expliquent l’aventure excep­ tionnelle d Abdelkrim : la France, F Espagne, l ’Angleterre qui se sont partagé le monde méditerranéen après avoir écarté l’Allemagne, ne respectent même pas leuts propres accords et se livrent à une guerre acharnée par tous les moyens sur le dos des populations locales. Mais le pouvoir marocain affaibli lui-même porte une lourde responsahi- - 8 - Préface lité. Au passage je retrouve - dans l ’imbroglio des inter­ médiaires et des groupes de pression — des familles qui avaient déjà aidé l’émir Abdelkader dans une stratégie complexe comme les Drummond Hay... L’Histoire bisse parfois en farce ! Comme nous ne pouvons pas compter sur les Algériens pour écrire la véritable histoire de l’émir Abdelkader, les Marocains ont eux aussi, pour d ’autres raisons, quelques appréhensions à assumer l’histoire contra­ dictoire du Rifain. Et je me souviem de l’extrême diffi­ culté qu éprouvaient mes étudiants maghrébins à admettre qu’il n ’y a pas de corrélation entre nationalité et scienti­ ficité. Les hommes, mais suriout les nationalistes de tous pays, préfèrent bien souvent une histoire plus fausse que la vraie pour survivre ensemble. C’est bien entendu aussi le cas de la France... et dans le cas du Maroc le mythe de Lyautey est soigneusement entretenu parles deux pays / Quant à Jean Jaurès qui est à la fois contre la conquête du Maroc et contre la guerre avec l’Allemagne (celle des trusts contre les ouvriers français et allemands) il sera assassiné par un nationaliste. Mais si le jeu des Puis­ sances est contradictoire, l’opposition à l’aventure colo­ niale n 'en est pas moins divisée et si Abdelkader sut susciter en France un parti-lobby qui lui était favorable, c'est plus la Cause qui rallia les défenseurs éclectiques d ’Abdel- krim. Zakya Daoud nous renvoie là, dans une étude très fine et détaillée, notre image de Français universalistes, cwilisationnistes, arrogants quelque peu sur les Droits et les devoirs de la France, anticipation de tous ces drames et ces coupures que nous revivrons, hélas ! lors des guerres d ’Indochine et d ’Algérie. Car ilfaut bien s ’en rendre compte, la guerre du Rif annonce la guerre d ’Espagne et celle-ci sert de « travaux pratiques » aux armées totalitaires en même temps qu 'elle traduit la faiblesse des démocraties. - 9 - Abdelkrim. Une épopée d ’or et de sang Et il est clair q u ’Abdelkrim met tout le système en clcniger : c’est pour cela que les alliances presque « contre nature » qui vont se constituer sontfondées sur l’idée que peu importe qui contrôle le Rif pourvu que ce ne soit pas un Marocain même rifain ! Nous retrouverons ce type de probléma­ tique perverse depuis la Turquie jusqu'à l'Algérie en pas­ sant par la Palestine et l’Irak que j'ai proposé d ’appeler le " scénario à la Turque - : mieux vaut des généraux même fascistes que des islamistes tandis que les Américains, eux, préféraient jouer les puritains musulmans plutôt que la gauche arabe : belle contradiction voire aporie d ’un Occident fort divisé sur sa stratégie et ses intérêts. La fin de nos deux héros sera différente : Abdelkader a pu grâce à Napoléon III rejoindre son Orient géographique et mystique, où il joua un rôle exceptionnel. Abdelkrim lui devra s’exiler à Vîle de la Réunion sans contact avec le monde musulman. La sanction fut donc beaucoup plus dure comme celle appliquée aux survivants de la confrérie d ’El Mokrani qui furent envoyés au bagne de la Nouvelle Calédonie en 1871. lise peut qu ’avec le procès Papou nous ayons commencé le travail de deuil sur les pages sombres de notre histoire. Il reste maintenant aux jeunes générations décolonisées à faire l’anamnèse du fait pathologique (attraction-répul­ sion), franco-maghrébin. Certes de nombreux auteurs (Benjamin Stora, Mohammed Harbi, Madeleine Rebenoux, et tant d ’autres) ont initié le processus. Après les biogra­ phies des deux Émirs que Zakya Daoud et moi-même avons fournies, il faut que les jeunes maghrébins réécrivent leur propre histoire- sans oublier d ’autres héros : le bey Ahm ed de Constantine ou certains de ces révoltés qui parcouru­ rent le Maghreb sur un âne. Alors peut-être, comme les Espagnols sont en train de le faire pour Boabdil ou Maï- - 10 - Préface monide, verrons-nous une statue équestre d'Abdelkader en France à côté de celle de Jeanne d ’Arc tandis qu’An- naba honorera saint Augustin et que le Maroc reconnaî­ tra la place historique légitime de l’émir Abdelkrim. Bruno Étienne* Membre de l’Institut universitaire de France * Bruno Étienne est notamment l’auteur de : Abdelkader, Isthme des isthmes, Hachette, Paris, 1994. Amnistie, amnésie, anamnèse, amère Algérie, Revue des Deux Mondes, Maisonneuve, Paris, 1999. - 11 - P rincipaux personnages Mohamed ben Abdelkrim (1883-1962), dit Abdelkrim ou encore Y Émit* du Rif : homme d ’État rifain et héros principal de cette his­ toire. Sa famille et son entourage : son père, le cadi Abdelkrim el Khat- tabi (1860-1920), dont l'influence fut déterminante ; son frère, M I Jam- med Ben Abdelkrim el Khattabi, de douze ans plus jeune ( 1872-1967) qui fut son véritable alter égo ; son oncle, Abdesselam el Khat­ tabi ; Boujibar et Azerkane, ses beaux-frères, qui furent ses prin­ cipaux ministres. Le caicl* Haddou Ben Hamou, membre du groupe dirigeant rifain, chargé principalement des négociations avec la France. Les souverains marocains : Moulay Abdelaziz, Moulay Hafid et Mou- lay Youssef qui occupèrent successivement le trône pendant l'épo­ pée rifaine. Jilali Zerhouni dit Bou Hamara, Raissouni, Ameziane, person­ nages influents dans le Rif du temps d’Abdelkrim, ainsi que la famille Khamlichi ; Driss Ben Said, fils du pacha de Salé, condisciple à Fès d’Abdelkrim et fonctionnaire espagnol ; Abdelmalek Mohieddine, petit-fils de l’émir algérien Abdelkader et le caïd Medboh, un de ses principaux adversaires marocains. Ses adversaires espagnols : les généraux Bérenguer, Sylvestre et Navarro entre autres, ainsi que Primo de Rivera, partisan d ’une poli­ tique d’abandon du Rif, mais qui prit le pouvoir en 1923 à Madrid et mena la guerre contre Abdelkrim. Ses appuis français : Daniel Bourmancé-Say, homme d’affaires, jour­ naliste et idéaliste ; Jacques Doriot, chef des Jeunesses commu­ nistes et membre du PCF.
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