1Ère Partie : Présentation Du Cadre D'étude Et De La Recherche

1Ère Partie : Présentation Du Cadre D'étude Et De La Recherche

Université de Paris IV- Sorbonne ______________ U.F.R. d’histoire ____________ École doctorale des Mondes Contemporains Contribution des royautés dites traditionnelles à l’émergence de l’État en Afrique : le cas des souverains moosé du Burkina Faso (1880-1990) Mémoire du Diplôme d’Études Approfondies « Islam contemporain » Présenté par : M. BEUCHER, Benoît Sous la direction de M. FREMEAUX, Jacques Paris IV-Sorbonne, année universitaire 2004-2005 1 Illustration de la couverture : 10ème anniversaire de la Haute-Volta (1947-1957) et Moro Naba Sagha, A.O.F., timbre-poste édité le 3 novembre 1958. 2 Remerciements Nous souhaitons remercier un certain nombre de personnes sans qui ce travail, certes imparfait, n’aurait pas existé. Nous pensons tout d’abord à M. le professeur Jacques Frémeaux (Paris IV-Sorbonne), qui a permis la réalisation de ce travail et la grande liberté de son traitement ; Michel Izard (Laboratoire d’anthropologie sociale-Collège-de-France), qui nous a fait bénéficier de ses précieuses connaissances depuis cinq ans ; Daouda Gary-Tounkara (Paris VII- S.E.D.E.T.), pour ses remarques pertinentes et les corrections apportées à ce travail ; le personnel des Archives nationales du Faso, qui nous ont ouvert avec gentillesse les portes de leur institution. Nous remercions également Sa Majesté Naaba Baõgho II, Son Excellence Baloum Naaba Tanga II, Sa Majesté Boussouma Naaba Sonré et M. le professeur Joseph Ki-Zerbo, qui nous ont consacré leur précieux temps afin de répondre à nos innombrables questions sur la riche histoire du Moogo. Enfin, nous remercions Irène B. Tiendrebeogo pour son soutien ; nous lui dédions ce mémoire. Nous espérons que nous n’aurons déçu personne par cette étude. 3 Avertissement Nous avons pris le parti de ne pas « franciser » la terminologie moaga, et de respecter l’orthographe en usage au Burkina Faso. Ainsi, plutôt que d’employer le terme « Mossi », incorrectement utilisé au singulier comme au pluriel, pour les adjectifs comme pour les substantifs, nous préférons employer le terme de « Moaga » au singulier, « Moosé » au pluriel (lire « Mossé »), et « Moogo » pour désigner le pays des Moosé au lieu de « Mossi ». En revanche, nous avons laissé l’orthographe originelle dans les citations. Pour ce qui est de la prononciation, la lettre « u » correspond au « ou », le « e » au « é » ; une voyelle seule est brève, une voyelle double est longue. Le « s » n’a jamais valeur de « z », et le « g » peut-être prononcé comme en français (Moogo central), ou « r » dans certaines régions. 4 PREMIÈRE PARTIE PRÉSENTATION DU CADRE D’ÉTUDE ET DE LA RECHERCHE 5 6 « Oui, il semble que le indigènes ne soient plus ce qu’ils étaient et qu’ils ne soient pas devenus ce que nous eussions souhaité qu’ils fussent. Il semble que la Colonie propose, et qu’un Dieu inconnu dispose. C’est alors qu’ils nous faut « toujours garder raison », rechercher à force de travaux, de soins et de dévouement, la vérité qui nous unit aux hommes d’Afrique, redresser les erreurs, et continuer à faire l’Afrique occidentale française.1 » 1 Robert Delavignette, Afrique occidentale française, fascicule consacré à la Haute-Volta, Gouvernement général de l’A.O.F., Paris, 1931, p. 125. 7 Introduction La pensée de Robert Delavignette, citée en exergue, ne remet pas en cause la légitimité ou l’efficacité de l’entreprise coloniale française en A.O.F. ; elle est plutôt une clairvoyante appréciation des limites de son emprise sur l’état d’esprit des populations passées sous domination de la France. Ces lignes ont été écrites avec une certaine franchise si l’on considère que ce haut fonctionnaire de l’administration coloniale les livre en 1931 à l’occasion de la grande exposition de Vincennes, moment où l’« Empire français » atteint son apogée aux yeux de l’opinion2. L’administrateur, qu’il soit civil ou militaire, ce « bâtisseur d’empire » comme on aimait l’appeler alors, n’est plus présenté comme le maître absolu du destin des populations colonisées. Au contraire, elles semblent n’avoir jamais cessé d’être les acteurs à part entière des changements qui ont secoués leurs sociétés. Delavignette va plus loin et pressent que les Africains ont fait le choix de ne pas suivre tout à fait la « voie tracée par la France » pour reprendre une formule consacrée. Le Gouverneur général Jules Brévié3 ne dit pas autre chose en 1930: « Les masses indigènes évoluent souvent à notre insu sous l’influence de facteurs insoupçonnés de leur caractère. Bien plus lorsque l’on croit prendre la direction des courants les plus apparents de leur mentalité, on est frappé d’étonnement, parfois, quand on constate à quelle distance des buts que l’on s’était fixés, on est déporté par certaines forces profondes dont l’apparition brusque ou l’action occulte prolongée déroute les prévisions les mieux établies.4 » 2 En réalité, la situation sur le terrain est beaucoup plus nuancée. L’Afrique occidentale française est frappée pour la première fois par la crise économique mondiale. Dans leur ensemble, les archives produites dans la région donnent le sentiment qu’une véritable « sinistrose » s’est emparée de la fédération. 3 Jules Brévié est Gouverneur général de l’A.O.F. de 1930 à 1936. En 1931, Jules Brévié fait adopter une circulaire portant réorganisation de la justice indigène en A.O.F. et ordonne que soient consignées les « coutumes » locales. Le tout devait être codifié en 1939 après la publication des Grands Coutumiers de l’A.O.F. pour la plus grande satisfaction des autorités anciennes, dépossédées d’une grande partie de leur droit fondamental de justice, officiellement du moins. 4 Brévié, Jules, « Discours du Conseil de Gouvernement », décembre 1930, in Delavignette, R., Afrique Occidentale Française, Paris, Société d’Editions géographiques, maritimes et coloniales, publié par le Commissariat Général de l’Exposition coloniale internationale de Paris, 1931, p. 25. 8 Ce thème de l’impénétrabilité de l’esprit de ceux que l’on appelait les « indigènes », l’action de « forces occultes » ou « surnaturelles » détenues par des esprits malins, sont des topoï de la littérature coloniale. On les retrouve très souvent dans les rapports de cercle ou de colonie, particulièrement au moment où les fonctionnaires se heurtent à la résistance passive de leurs administrés. Au-delà d’un effet de style visant à donner une touche d’exotisme à des écrits monotones, n’est- ce pas là une façon pudique d’avouer les succès remportés notamment par les chefs « coutumiers » ? C’est que ces hommes qui n’entendent en rien sacrifier leur autorité « ancestrale » sur l’autel de la colonisation passent bien souvent pour les détenteurs d’un pouvoir d’essence surnaturelle – voire divine – qui leur assure une réelle autorité sur leurs sujets malgré la mise en place du régime colonial. Dans ce cas, on peut à bon droit se demander qui sont les « vrais chefs de l’Empire » si tant est que cette question appelle une réponse nette. Sur le plan du droit, et en vertu des traités de protectorat signés dans la région entre 1895 et 1897, les conquérants français sont incontestablement les maîtres du pays ; mais lorsqu’il s’agit d’assurer des tâches aussi sensibles que la levée des impôts, des travailleurs ou des tirailleurs, mais aussi la justice locale, le relais des « chefs » paraît indispensable. Dans les zones qui se signalent très tôt par des pouvoirs forts et parfois centralisés, l’administrateur maintient donc l’existence des « chefferies ». Il les maintient, mais dans un certain état d’esprit que Joost Van Vollenhoven, l’éphémère Gouverneur général de l’A.O.F., résume bien: s’il est souhaitable de prendre en considération les « chefs coutumiers », en revanche ceux-ci « n’ont aucun pouvoir propre d’aucune espèce, car il n’y a pas deux autorités dans le cercle, l’autorité française et l’autorité indigène : il n’y en a qu’une. Seul le commandant de cercle commande ; seul il est responsable. Le chef indigène n’est qu’un instrument, un auxiliaire.5 » Les élites africaines doivent par conséquent prouver qu’elles ont compris ce que l’administration attend d’elles. Les « chefs indigènes » sont sommés d’entrer dans le cadre colonial, à commencer par sa culture et ses méthodes de gestion des hommes et de l’espace, fondées sur un pouvoir clairement territorialisé, une bureaucratie animée par un esprit comptable et l’usage de l’écrit etc. Les cadres « indigènes » sont donc envoyés à l’école en vue d’en faire d’efficaces auxiliaires 5 Circulaire du 15 août 1917, in Bulletin du Comité de l’Afrique Française, n° 1-2, déc. 1917, p. 270. 9 de l’administration6. Et après ? L’administration allait-elle attendre d’eux que tous oublient leur histoire et abandonnent leurs prétentions au pouvoir ? Il n’en demeure pas moins que, aussi variées qu’aient été les trajectoires de ces élites, tout allait changer, à commencer par la nature de leur pouvoir, délégué par le conquérant, ainsi que par son exercice, soumis en dernier ressort à l’appréciation de l’administration. En cela, la conquête a incontestablement marqué une rupture dans l’histoire des royaumes. Que les administrateurs soient réellement attachés à la culture des populations dont ils ont la responsabilité, le pouvoir des chefs n’en a pas moins été profondément altéré. Pierre Boilley l’a particulièrement bien montré dans sa thèse consacrée aux Touaregs Kel Adagh de l’actuel Mali7 qui ont perdu leur rôle de guerriers protecteurs au bénéfice de la Pax gallicae. Et que dire des fonctionnaires désireux de supprimer ces pouvoirs africains dans le but d’y substituer l’administration directe de la France? Nous avons pris le parti ici le parti de porter notre attention sur les souverains régnant dans la partie centrale de l’actuel Burkina Faso8, ancienne Haute-Volta.

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