Histoire de Caullery CHANOINE C. THELLIEZ Archiviste Diocésain de C ambrai 96 2 HISTOIRE DE CAULLERY ÉDITÉ PAR R.TRÉMON DIRECTEUR D'ÉCOLE PUBLIQUE A CAULLERY PRÉFACE E métier d'historien n'est pas une entreprise facile. A L feuilleter les - pages d'un ouvrage solidement relié où les événements s'ordonnent en chapitres nettement di- visés, - avec titres, sous-titres et paragraphes non moins nettement découpés — ô trompeuse clarté des manuels de notre enfance et de notre adolescence ! —, le profane peut-il s'en rendre compte ? Imagine-t-il l'historien inven- toriant méthodiquement registres et feuillets, compulsait fiévreusement jusqu'au, moindre papier d'archives pous- siéreuses et touffues, à peine déchiffrables parfois, en quête du renseignement qui lui permettra de compléter son in- formation sur tel ou tel événement, ou dans l'espoir de répondre de façon plus ou moins satisfaisante à la ques- tion qu'il se pose ? Si encore U s'agissait de lire én fili- grane la vérité historique dans le document ! La tâche serait relativement aisée. Mais non, les textes sont inoom- plets, ou sibyllins, ou bien ils se contredisent ; c'est donc tout un travail de reconstruction du passé que l'historien doit opérer, par recoupements-, par raisonnement. Les chemins qu'il emprunte sont rarement des lignes droites ; c'est par des voies souvent indirectes, détournées, qu'il atteint son objet, qu'il n'est jamais tout à fait certain d'ailleurs de bien cerner. « Jamais d'observation, directe..., l'historien fait un métier de chiffonnier », se plaint Seignobos. Dans son « Novum Organum », Bacon, pour carac- tériser les démarches de ceux qui s'adonnent à la con- naissance, les « philosophes », use d'une belle image. « Les philosophes, écrit-il,. qui se sont mêlés de traiter des sciences, se partageaient en deux classes, savoir : les em- piriques et les dogmatiques. L'empirique, semblable à la fourmi, se contente d'amasser et de consommer ensuite ses provisions. Le dogmatique, tel que l'araignée, ourdit des toiles dont la matière est extraite de sa propre subs- ' tance. L'abeille garde le milieu ; elle tire la matière pre- mière des fleurs des champs et des jardins - puis, par un art qui lui est propre, elle la travaille et la digère. La vraie philosophie fait quelque chose de semblable »... L'image vaut pour l'historien d'aujourd'hui, avec cette précision toutefois que notre abeille devra souvent se mater en fourmi. ' , Le souci de la documentation apparaît dès les pre- mières pages du présent ouvrage, résultat de longues et patientes recherches commencées avant la guerre de 1914. M. l'abbé THELLIEZ nous en avertit dès son avis au lec- leur ; lequel pourra d'ailleurs constater qu'à aucun mo- ment l'auteur n'a manqué à ce respect de la vérité, pre- mière qualité de tout homme de science, de l'historien en particulier. Et pourtant, la partie n'était pas des plus belles. Si les documents foisonnent lorsqu'il s'agit d'histoire moderne (ce qui ne facilite pas nécessairement la tâche de l'histo- rien, qui doit choisir), il n'en est pars de même, loin de là, lorsqu'il faut relater l'histoire . ancienne ; à mesure que l'on remonte la chaîne des siècles, les traoes historiques se . font de plus en plus rares et les jalons de notre histoire plus incertains. « Et tant qu'il s'agit des peuples antiques, je manque de documents. Dès qu'il s'agit de peuples modernes, j'en ai trop, constate, non sans malice, Péguy, dans une page célèbre de « Clio » ; et il conclut plus loin: «Pour le monde antique, l'histoire se fait parce qu'on n'a pas de documents. Pour le monde moderne, elle ne se fait pas, parce qu'on en a.» Sans aller aussi loin dans le para,doxe, on peut quand même prétendre que le problème de l'histoire locale n'est . pas sans analogie avec celui de l'histoire antique qu'évoque Péguy. Et si le propos de l'historien se limite à une toute petite commune de France, un petit village du Cambrésis, la gageure peut paraître énorme. Vouloir écrire l'histoire de Caullery, n'est-ce pas, à la limite, vouloir écrire l'his- toire d'un village sans histoire ? Les commencements sont, bien sûr, assez nébuleux, comme tous les commencements. Et l'on traverse les pre- miers siècles à grandes enjambées ; c'est inévitable. Mais bientôt l'on retrouve les grandes articulations de notre histoire, et l'on ne dira jamais assez tout l'intérêt que présente ici l'histoire locale qui illustre, sur des cas précis, les situations historiques fondamentales, depuis le Moyen Age jusqu'à l'époque contemporaine. Cas particulier d'une donnée générale qui, par sa valeur concrète, parle mieux à l'intelligence h umaine. On assiste ainsi, par exemple, à l'amenuisement progressif du terroir des seigneurs de Caullery, obligés de diviser leur domaine entre les membres de leurs familles au cours des générations successives, contraints notamment de se dessaisir de parcelles de leur territoire afin de les attribuer en dots à leurs filles quand elles se marient. A la fin du XIV siècle, la seigneurie de Caullery n'appartient plus à la famille qui porte le nom. Déjà, au milieu du même siècle, la plus grande partie des terres est passée aux mains du Chapitre de Cambrai qui les administrera jusqu'il la Révolution. La Révolution à Caullery ? Un bien grand mot certai- nement. Peut-on donner ce nom aux répercussions lointai- nes et lentes des décisions prises à Paris à l'échelon de la Nation qui prend vraiment naissance à cette époque. Il est vrai qu'une révolution ne se marque pas forcément par des événements sanglants et qu'il suffit que le changement d'institutions s'inscrive dans la réalité. C'est pourquoi, simple contrecoup administratif et législatif des événements, la révolution à Caullery n'en est pas moins réelle, quoiqu'elle s'installe en douceur. Les jalons en sont nettement marqués par l'auteur. S'il fallait caractériser l'histoire de Caullery après la révolution, époque déjà plus proche de nous et cer' tainement encore présente à la mémoire de bon nombre de Caullerésiens (les arrière-grands-pères de nos grands- pères ne naquirent-ils point au début du xixe siècle ?), je dirai qu'elle s'élargit et participe de plus en plus de l'his- toire de la nation, qu'il s'agisse des grands bouleverse- ments que sont les guerres, ou de la mise en place des nouvelles institutions nationales, comme, par exemple, 7'a- ménagement progressif de l'administration municipale et des fois scolaires. Nécessaire révolution qui a certainement ôté au pittoresque de beaucoup de nos villages, mais qui, en contrepartie, les a ouverts aux bienfaits de la civili- sation moderne. Du pittoresque, il n'en manque pas dans le livre de M. l'abbé THELLIEZ. Je ne citerai que quelques faits qui m'ont particulièrement frappé. Certains ne nous dépaysent guère ; je songe aux 8 années qu'il a fallu, de discussions et de délibérations, de 1846 à 1854, pour que se réalise le projet de construction du chemin de grande communioa- tion qui traverse, Caullery dans la direction de Caudry- Aubencheul. Les lenteurs administratives ne sont pa,s le privilège de notre époque. D'autres détails nous. font apprécier le chemin par- couru depuis la fin du siècle dernier, parfois moins. J'ai retenu l'évocation de l'abreuvoir municipal, « cette flaque d'eau croupissante et noirâtre » au centre du village, qu'ont dû connaître bien des Caullerésiens encore vivants aujour- d'hui, vestige d'un passé probablement lointain. Sur un autre plan, le climat religieux, encore tendu, entre catho- liques et protestants du XIX siècle et qui, vers 18810 (époque qui vit naître nos grands-pères), faillit provoquer une « révolution » dans la commune, à propos de l'enter- rement d'un enfant protestant, ne nous reporte-t-il pas vraiment à un autre âge ? Et pourtant, il ne s'est écoulé que trois quarts de sièole. On le voit, le travail honnête et minutieux de M. l'abbé THELLIEZ ne manque pas d'éveiller notre intérêt et notre réflexion. C'est que, sous le poids un peu, lourd parfois des documents inertes, il a su toucher aux choses humaines, il a su retrouver l'homme. Et s? il a trouvé l'homme, son semblable, c'est parce qu'il a su glisser, dans un. travail, par certains côtés, assez aride et fastidieux, sa connais- sance intime de Caullery et de ses habitants, un peu de sa vie, un peu de son cœur. C'est pourquoi son histoire de Caullery, si elle ne se lit pas toujours sans effort, retient sans faiblir l'attention et intéresse constamment. Le Cateau 1 4 juillet 1962. Robert GTJILMOT Inspecteur de l'Enseignement Primaire AVIS AU LECTEUR ACONTER à ses compatriotes l'histoire du passé de son vil- , R I lage natal est toujours un plaisir accompagné, il est vrai, de beaucoup de recherches et d'efforts nécessaires pour la dire aussi exacte que précise. La famille seigneuriale qui s'est installée à Caullery, dont elle a pris le nom, descendait des anciens comtes de Cambrai et. par eux, peut se rattacher aux Carolingiens qui ont fait la France, sinon aux Mérovingiens. Elle habita plus de trois siè- cles le pays et ses possessions territoriales ou seigneuriales dépassaient de beaucoup la contenance actuelle du terroir, qui ne comprend qu'un peu plus de 240 hectares. Arrivés dès les premiers temps de la féodalité, au temps où l'étranger, sinon le voisin, était un ennemi contre lequel il fallait se défendre les armes à la main, les sires DE CAULLERY, installés sur leur motte, tour ou fort, étaient de vaillants guer- riers', fiers de leur sang, dé leur race, de leurs alliances ; s'ils remplissaient avec zèle et ponctualité leurs devoirs de vassalité envers leurs suzerains sires de Walincourt ou d'Esnes, il n'en reste pas moins que l'un d'eux, Gilles, dont le prénom se retrouve à presque toutes les générations de la famille, a pu faire inscrire sur sa tombe que, fort et valeureux, il ne crai- gnait ni roi ni comte.
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