— 1 — ÉTUDE HISTORIQUE sur L'ANCIEN BAN DE FRAIZE Il serait à souhaiter que dans chaque province, il se trouvât quelqu'un qui entreprit la notice de son pays, en particulier. (Dom Calmet. — Préface sur la Notice de la Lorraine.) PREMIÈRE PARTIE I LES ORIGINES. — LES PREMIERS VILLAGES SUR LES BORDS DE LA MEURTHE Cette partie des Hautes-Vosges, qui forma plus tard le ban de Fraize, n'était encore, durant les périodes celtique et gallo-romaine, qu'une vaste solitude de forêts inexplorées. Cet état sauvage ne dura pas cependant, aussi longtemps que le prétend Dom Calmet, dans sa description de la Vôsge. Les découvertes archéologiques du siècle dernier, n'ont-elles pas prouvé, en effet, l'existence d'une voie romaine, traversant les Vosges, en cette partie de Fraize où se trouve aujourd'hui la ferme de la Capitaine, et longeant le versant méridional du contrefort du Rosberg1 ? C'est là, d'ailleurs, le seul souvenir de la période romaine dont Fraize puisse se glorifier, tandis que d'autres contrées du département des Vosges sont si riches en vestiges laissés par les Romains. Mais il est probable que, malgré cet état sauvage, dès le Ve siècle, notre pays était habité. D'après Gravier2, les solitudes et les forêts de nos montagnes furent le refuge d'un grand nombre 1 Voir H. Lepage, Statistique historique et administrative du département des Vosges, 1re partie, p. 13. 2 Voir Gravier, Histoire de Saint-Dié, chap. I. — 2 — d'émigrés, venant, soit de la plaine, soit surtout de l'Alsace, fuyant les Barbares, et principalement les hordes d'Attila. Mais ces premiers habitants ne formèrent pas précisément de villages : ils étaient peu nombreux et vivaient en bûcherons et en chasseurs. Ce sont ces premiers colons des Hautes-Vosges que saint Dié, venant d'Alsace, rencontra à travers nos montagnes, et avec lesquels, dit la tradition, il séjourna quelque temps. Saint Dié dut suivre, en ce voyage, la voie romaine dont nous venons de parler1. Voici les traditions que l'on conserve et que l'on rapporte au sujet de ce passage de saint Dié en nos contrées. Lorsqu'il fut arrivé sur le sommet du Rosberg2, le saint voyageur se trouva égaré au milieu d'un épais brouillard. Harassé de fatigue et torturé par la soif, il planta son bâton en terre, et, se mettant à genoux, adressa à Dieu une prière pleine de foi et de ferveur. Et alors, de l'ouverture faite en terre par l'extrémité du bâton, jaillit tout à coup une source d'eau vive et claire. En même temps le brouillard se dissipant, l'horizon se dévoila et montra aux yeux du saint fugitif la vallée qu'il devait choisir définitivement, pour y fixer sa demeure et le lieu de sa solitude. Saint Dié se désaltéra à la source miraculeuse, et, continuant sa route, se dirigea vers cette vallée qui allait s'appeler le Val de Galilée, et où s'étend aujourd'hui la jolie ville de Saint-Dié. La fontaine miraculeuse du Rosberg n'a pas cessé, depuis ces temps lointains, de couler ; son onde est toujours pure et fraîche. On l'appelle la « Fontaine de saint Dié, » et les touristes qui explorent ce majestueux plateau du Rosberg ne manquent pas de la visiter et de s'y rafraîchir. On assure aussi que depuis cette époque, depuis la prière de saint Dié sur la montagne, le brouillard ne séjourne jamais plus de vingt-quatre heures sur la vallée de Fraize. Ces traditions populaires sont demeurées dans la mémoire de nos populations; nous les relatons comme de pieux et touchants souvenirs. 1 Voir M. l'abbé E. Lhote, Vies des Saints du diocèse de Saint-Dié, 1.1, p. 440. 2 Voir Guide du Touriste dans le canton de Fraize, p. 20. — 3 — C'est surtout à partir de l'arrivée de saint Dié dans les Vosges, que cette partie de la vallée de la Meurthe, qui commence le Val de Galilée est défrichée cultivée et civilisée. Les premiers habitants qui étaient, pour ainsi dire, à l'état sauvage, sont organisés, dirigés et aidés par les disciples du saint anachorète. Saint Dié, qui s'était fixé au confluent de la Meurthe et du ruisseau de Robache, avait envoyé plusieurs de ses disciples, à cause de leur nombre toujours grandissant, sur les différents points du Val de Galilée. Ce sont eux, dit Ruyr, qui commencent à « essarter le bois et à labourer la terre aux alentours de leurs cellules... Ce commencement s'accrut dès là peu à peu, à mesure que les séculiers s'approchant des religieux pour s'entendre au labourage de leurs territoires, se construisirent des habitations pour y loger eulx et leur bestail : si qu'ils en firent des hameaux, qui depuis ont pris forme de villages1. » Ce texte de Ruyr nous montre bien que les disciples de saint Dié sont les premiers fondateurs des villages du Val de Galilée, les premiers civilisateurs et les premiers défricheurs du sol. « Grâce à l'action des moines, dit à ce sujet M. F. Bouvier2, les villes s'élèvent, les populations accourent, la culture apparaît au milieu des sombres forêts, que seules la guerre ou la chasse avaient entamées jusqu'alors. Leur œuvre fut grande et sainte, et il faut s'incliner avec respect devant ces pieux solitaires qui élevèrent les rudes habitants primitifs des montagnes à la dignité d'hommes civilisés. » C'est ainsi qu'un des disciples de saint Dié des plus connus, Bertérius, fonda un oratoire dédié à Ste-Barbe et à St-Jacques près de la rivière la Fave, en un endroit inexploré ; sur son emplacement est aujourd'hui l'église de Bertrimoutier. Telle est aussi l'origine d'un grand nombre d'autres villages comme Provenchères, Lusse, Laveline, Clefcy, Mandray, etc3... Et telle est l'origine de l'église de Fraize et de ses villages primitifs. Un de ces religieux, envoyé par saint Dié, vint bâtir un oratoire au nom et sous le patronage de St-Blaise et de Notre- 1 RUYR, Troisième partie des Sainctes Antiquitez de la Vôge, liv. I, ch. 2. 2 Abrégé d'histoire des Vosges dans Léon LOUIS, tom. II. 3 RUYR. — 4 — Dame, près de l'une des sources de la Meurthe, à l'endroit où se trouve l'église paroissiale actuelle. La Meurthe, près de laquelle l'oratoire de St-Blaise fut édifié, était, dit un vieil auteur une rivière vaste et poissonneuse « Murta piscosus et vastus fluvius» ... « dont les eaux, ajoute Ruyr, se répandent capricieusement et arrosent ce large vallon auquel Saint- Diey donna le nom de Val Galilée. » Elle prend sa source en diverses fontaines et s'enfle de plusieurs ruisseaux limpides1. Cette gracieuse description de la Meurthe lui convient encore parfaitement aujourd'hui. Mais si elle est toujours bien poissonneuse, le volume de ses eaux a quelque peu diminué. Le déboisement des hauteurs, les nombreux canaux d'irrigation qui amènent les eaux de la Meurthe à travers les prairies ; le rétrécissement et la profondeur plus prononcés de son lit semblent être les causes de cette diminution. Quoi-qu'il en soit, la rivière n'en est ni moins gaie, ni moins poétique. Ces diverses fontaines et ces ruisseaux qui sortent de ses sources2 descendent de la montagne en mille cascades écumantes et bavardes pour se réunir au Valtin et former une véritable rivière. C'est ici qu'elle se partage en deux bras dont l'un, appelé la Petite Meurthe, arrose la vallée de Clefcy et rejoint l'autre bras appelé Grande Meurthe à Sondreville. Autrefois la Petite Meurthe s'appelait le ruisseau du Valtin ; et la grande Meurthe, le ruisseau de Fraize, et ne prenaient le nom de Meurthe qu'après leur jonction. La Grande Meurthe traverse les vallées de Habeaurupt, de Plainfaing, de Fraize, etc.. Les ruisseaux limpides qui viennent enfler ses eaux sont nombreux ; les principaux sont ceux du Luspach, du Bonhomme ou de Barençon et de Scarupt. Eux aussi, comme de petits torrents, descendent de la montagne en sautillant et en chantant. Dans ces vallées que nous venons de nommer, la Meurthe coule au milieu de vertes prairies qu'elle fertilise ; et à peine est-elle assez forte, que déjà l'industrie la fait travailler. C'est elle qui met en mouvement les roues des scieries, des féculeries, des 1 RUYR, Saintes antiquitées de la Vôge. 2 Pour les sources de la Meurthe; voir le remarquable ouvrage du Dr FOURNIER : « Topographie ancienne du départ. des Vosges », 2e fascicule le bassin de la Meurthe, pag. 3. — 5 — tissages, des filatures. Et malgré toutes les machines qui tourmentent son cours, elle arrive à Fraize belle et dégagée, bien jeune et bien riante. Jadis le cours de la Meurthe n'était pas si régulier qu'aujourd'hui, comme son lit avait une moindre profondeur, au gré de leur caprice, les eaux se répandaient çà et là dans la campagne. Il est facile de remarquer, que, depuis Fraize jusqu'au Belrepaire, le niveau des prairies de la rive droite de la Meurthe est bien plus bas que le lit de la rivière. On peut donc s'en rapporter à l'opinion des anciens du pays qui affirment, que, primitivement, la Meurthe suivait ce chemin, pour aller se briser contre les dernières pentes du Chesnau. Ces prairies, en effet, reposent sur un fond d'alluvion de sable et de cailloux roulés. Ce n'est que dans ce siècle que les travaux d'endiguement, retenant les eaux, au centre même de Fraize, ont été entrepris. Nous en parlerons plus loin. Les premiers habitants, qui, le long de la rivière, se groupèrent autour des disciples de St-Dié, formèrent un premier village que l'on appela la Costelle, c'est-à-dire Petite-côte.
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