Document generated on 09/26/2021 8:26 a.m. Les Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique « Rip It Up and Start Again » : reconfigurations de l’audible sous le régime esthétique des arts Daniel Frappier Regard sur la relève : nouvelles avenues en recherche Article abstract Volume 18, Number 1, Spring 2017 This paper proposes to rethink the integration of noise in music, a phenomenon too often confined in the borders of the twentieth and URI: https://id.erudit.org/iderudit/1059795ar twenty-first centuries, under the light of Jacques Rancière’s reflections on what DOI: https://doi.org/10.7202/1059795ar he calls the “aesthetic regime”: a revolution in the ways of thinking and feeling which, propelled by Romanticism and still ongoing, disrupts the See table of contents conceptualizations of society and culture inherited from ancient Greece. In terms of artistic creation and appreciation, the new era is characterized by a decline of the classic ideal of eloquence, of the form entirely guided by a content to be transmitted, for the benefit of the more ambiguous model of the Publisher(s) “mute speech”, of the signification that is beyond any master’s control. The Société québécoise de recherche en musique latter, Rancière explains, can be interpreted in two ways. As the immanence of logos in pathos, it is the expressive power of mute things themselves: the secret signification or poetry of unimportant details, accessible to anyone who knows ISSN how to look properly. As the immanence of pathos in logos, inversely, it is the 1480-1132 (print) share of nonsense hiding behind the most rigorously articulated speech just as 1929-7394 (digital) in any other rational construction: an obscure force to which the poet-psychoanalyst or metaphysician tries, somehow, to give voice and body. If Explore this journal the mute speech and its two contradictory forms come to oust the old eloquence as the principle of artistic creation, it is because the whole aesthetic regime revolves around the idea of a radical identity between all opposites: the noble and the vulgar, the active and the passive, the conscious and the Cite this article unconscious, etc. So, building on these reflections, this paper proposes to Frappier, D. (2017). « Rip It Up and Start Again » : reconfigurations de l’audible retrace some of the practices and discourses which, since Romanticism and up sous le régime esthétique des arts. Les Cahiers de la Société québécoise de to this day, blur the lines between sense and nonsense, art and non-art, music recherche en musique, 18(1), 67–80. https://doi.org/10.7202/1059795ar and noise. Tous droits réservés © Société québécoise de recherche en musique, 2019 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ « Rip It Up and Start Again » : Reconfgurations de l’audible sous le régime esthétique des arts* Daniel Frappier (Université du Québec à Montréal) n mai 2016, Iggy Pop accompagne le cinéaste Jim technique, fustige la « précision presque scientifque » du Jarmusch sous les feux du Festival de Cannes. Les roman réaliste : Edeux hommes sont invités pour la première de Gimme Si l’on forgeait à Birmingham ou à Manchester des Danger (2016), un documentaire passionné sur l’histoire machines à raconter ou à analyser en bon acier anglais, qui chaotique du chanteur et du groupe protopunk qu’il a aidé fonctionneraient toutes seules par des procédés inconnus à fonder, à la fn des années 1960, aux côtés des frères Ron de dynamique, elles fonctionneraient absolument comme et Scott Asheton et de Dave Alexander : les Stooges. Sans M. Flaubert. On sentirait dans ces machines autant de grande surprise, lors de la conférence de presse, le rocker vie, d’âme, d’entrailles humaines que dans l’homme de est appelé à se prononcer sur l’état actuel de l’industrie marbre qui a écrit Madame Bovary avec une plume de pierre, comme le couteau des sauvages (D’Aurevilly 2004 musicale. Maussade, il répond : [1860-1865], 1055, 1048). C’est différent, aujourd’hui. Tu peux peser sur un bouton E Si je prends le temps de relever ces ressemblances, et devenir soudainement très riche. Et je pense aussi qu’il c’est que je crois qu’elles témoignent, par la négative, de y a lieu d’argumenter que l’humanité approche un point où profondes mutations dans les conceptions et les pratiques la technologie pourrait bien fnir par attraper tout le monde par les épaules pour nous secouer puis nous balancer artistiques modernes et contemporaines, où le sujet par-dessus le bord et en fnir avec nous1 (Jarmusch et abandonne de plus en plus ses pouvoirs pour laisser parler collab. 2016). les objets du monde. C’est-à-dire que, tout en voulant les dénoncer, les critiques de la mécanisation rendent compte Puis, parodiant un rythme techno en martelant sur la de nouvelles formes de création où l’humain embrasse le table : « Wow ! Vous savez ? Pourquoi ne pas crever sur- non-humain, où l’intentionnel cède au non-intentionnel, le-champ ?2 » (Jarmusch et collab. 2016). Cette critique, où la pensée s’ouvre à la non-pensée. Sans le savoir, elles craignant qu’une technologie froide et déshumanisante ne mettent au jour ce grand brouillage des contraires que vienne remplacer l’expression chaude et authentique de Jacques Rancière place au cœur du « régime esthétique » : l’artiste, n’est pas nouvelle. Au tournant du XXe siècle, déjà, reconfguration de la pensée et de la sensibilité occidentales le compositeur et chef d’orchestre américain John Philip qui, exacerbée depuis la révolution romantique, bouleverse Sousa ne trouve pas de mots assez durs pour nous mettre en les anciennes conceptions de la société et de l’art héritées garde contre les « machines infernales » de la phonographie : de Platon et d’Aristote. Un changement de paradigme où, « Un jour viendra où plus personne ne sera disposé à se suivant le philosophe, l’on passe de la hiérarchie à l’anarchie soumettre à la noble discipline de l’apprentissage de la des genres, de l’unité organique du poème au modèle du musique. Chacun aura sa musique toute faite, piratée çà et fragment, du règne de l’éloquence à celui de la « parole là, prête à servir » (cité dans Ross 2015 [2010], 99-100). muette » (Rancière 1998, 17-30, 32, 59). Plus fondamentalement, peut-être, ces discours quelque C’est en m’appuyant sur cette dernière notion, tout peu alarmistes rappellent les diatribes d’une certaine particulièrement, que je propose de réféchir aux redéfnitions presse réactionnaire qui, bien avant l’ère de la reproduction de l’audible sous le nouveau régime : de retracer quelques- * Cet article est une version abrégée et légèrement repiquée de mon mémoire de maîtrise, réalisé sous l’aimable direction de Michèle Garneau du département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal. Une première ébauche a été présentée lors de la trente- neuvième assemblée de l’American Comparative Literature Association, tenue dans les locaux de l’Université Harvard en mars 2016. Pour une réfexion plus approfondie, voir Frappier 2016. 1 « It’s different, now. You can push a button and get rich quick. And I think also that there’s an argument to be made about the human races approach [sic] to the point where the technology gets to the point [sic] where it’s going to grip everybody by the shoulders and shake us and then throw us down and get rid of us ». Toutes les traductions sont les miennes, sauf mention contraire. 2 « WHOA! You know? Why don’t I just die now? » Les Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique, vol. 18, no 1 67 uns des discours et des pratiques qui, depuis le tournant ce qui m’intéresse ici, peut être pensée selon deux schémas du XIXe siècle, brouillent les défnitions de la musique et contradictoires et indissociables, chacun correspondant à la font glisser vers le bruit. Le propos s’articulera autour l’une ou l’autre forme de ce que le philosophe nomme la de trois moments. D’abord, j’esquisserai l’émergence du parole muette (cité dans Truong 2007, 58). D’abord, il y a le régime de la parole muette ainsi que l’essor de la musique discours que portent les choses muettes elles-mêmes : instrumentale qui, à la même époque, permet au « bruit » C’est la puissance de signifcation qui est inscrite sur leur symphonique de devenir non seulement la source d’un corps même, et que résume le « tout parle » de Novalis, plaisir esthétique légitime, mais un modèle pour la création le poète minéralogiste. Tout est trace, vestige ou fossile. en général. Ensuite, je retracerai la nouvelle sensibilité au Toute forme sensible, depuis la pierre ou le coquillage, est sein de la culture rock qui, avec sa poésie pop crue et ses parlante. Chacune porte, inscrite en stries et en volutes, défagrations sonores, continue de déplacer les lignes du les traces de son histoire et les signes de sa destination signifcatif et d’estomper les frontières du beau. Après quoi (Rancière 2001, 35). je me pencherai sur la musique noise qui, ne serait-ce que Le logos, jadis réservé aux seuls hommes d’une certaine de par son appellation, offre un parfait exemple de fusion qualité, est remis en libre circulation, inscrit jusque dans la romantique des contraires.
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