De Palma/Hitchcock Johanne Larue

De Palma/Hitchcock Johanne Larue

Document généré le 24 sept. 2021 20:45 Séquences La revue de cinéma De Palma/Hitchcock Johanne Larue Brian de Palma Numéro 168, janvier 1994 URI : https://id.erudit.org/iderudit/49986ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) La revue Séquences Inc. ISSN 0037-2412 (imprimé) 1923-5100 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Larue, J. (1994). De Palma/Hitchcock. Séquences, (168), 19–26. Tous droits réservés © La revue Séquences Inc., 1994 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ D O S'il est une constante dans la réaction critique face à l'oeuvre de De Palma, c'est le manque de discernement dont se rendent DE PALMA/HITCHCOCK coupables la plupart des journalistes amenés à passer ses films en revue. Tout heureux de par johanne Larue reconnaître les références à Hitchcock, ils en déduisent forcément que De Palma n'est qu'un plagiaire. De même, sous prétexte qu'ils abhorrent la On trouve, dans Rear Window, une courte violence ou qu'ils sont <conscien- recontextualise, ou encore, lui fait faire des bonds scène qui informe toute l'oeuvre de De Palma. tisés>, ces mêmes journalistes en avant. Celle où James Stewart met au test le sens prennent leurs ornières pour un d'observation de ses deux compagnes. Il leur glaive lorsqu'ils accusent le IL FAUT VENGER MARION CRANE montre tout d'abord une diapositive de sa cour cinéaste de sadisme et de arrière qu'il a photographiée, puis leur demande misogynie. De toute évidence, il Il existe une scène qui résume magistralement de comparer son cliché à la réalité. Quelque le projet, le discours et la méthode de De Palma, chose a changé; quelque chose qui révèle qu'un arrive parfois que nous regardions celle de l'ascenseur dans Dressed to Kill. Ceux crime a été perpétré. Cette leçon de vision que sans voir. Ironiquement, l'idée qui l'ont vu savent qu'elle se veut l'écho de la nous propose brièvement Alfred Hitchcock repose constitue justement la pierre scène de douche dans Psycho et qu'elle s'avère au centre de l'oeuvre de Brian De Palma. Dans angulaire de la mise en scène aussi fascinante qu'éprouvante à regarder. ses meilleurs films, le cinéaste met à nu les depalmienne. Son cinéma nous L'amorce des deux scènes est la même; dans les rouages du septième art et de la société, tels que apprend à voir, en même temps deux cas, les cinéastes visent l'effet de surprise. conçus par le patriarcat qui nous gouverne Hitchcock et De Palma s'assurent premièrement encore. qu'il se veut un exercice de style que le décor n'est pas menaçant et qu'il est bien C'est ainsi qu'il faut interpréter l'utilisation sur le suspense, sans doute le genre éclairé: une chambre de bain propre et banale / que fait le cinéaste de procédés distanciateurs le plus purement cinématogra­ un corridor puis un ascenseur anonymes baignés modernistes et postmodernistes: les trompe-l'œil, phique. Son plus récent film, d'un éclairage au néon. Deuxièmement, aucune les mises en abyme de l'image, la destruction du Carlito's Way, en est encore la musique menaçante n'annonce le crime à venir qui, de toute façon, s'avérerait un non-sens: on ne continuum espace-temps par un montage disjoint preuve indéniable. Pour marquer ou par le ralenti, la présence de l'auteur dans la fait pas mourir la star d'un film dans le premier narration visuelle révélée par les mouvements de la sortie de ce 22ème long métrage tiers du récit. Dans les deux oeuvres, les cinéastes caméra omniscients, l'importance du regard et la de Brian De Palma, nous avons distraient l'attention du spectateur juste avant critique du voyeurisme, ainsi que l'emploi concocté un dossier multipistes qui l'attaque. Dans Psycho, Hitchcock nous donne un ludique de citations cinématographiques. Comme se veut, en quelque sorte, un gros plan sur le siège de toilette et le bruit les dadaïstes avant lui ou certains artistes plaidoyer en faveur du «cinéaste qu'émet la chasse d'eau; des inserts qui, en 1960, selon lui, choquèrent l'audience au point de pratiquant le collage, De Palma choisit souvent de contemporain que la critique prendre comme point de départ une oeuvre l'empêcher d'anticiper la suite. De plus, la existante — celle d'Hitchcock ou d'un autre"1 adore détester». perspective d'apercevoir Janet Leigh nue dans la pour ensuite l'altérer et mettre à jour son discours douche constituait sûrement, à l'époque, une critique ou en créer un. C'est le côté didactique distraction de taille. du cinéaste. Au lieu d'enseigner la philosophie et suspense (bien que De Palma ait mieux compris Dans Dressed to Kill, De Palma nous montre le cinéma, au lieu d'écrire des ouvrages critiques, la leçon que tous les réalisateurs contemporains Angie Dickinson, dans le rôle de Kate, De Palma les filme. La plupart du temps sur un ayant tourné des thrillers prétendument préoccupée par la nouvelle qu'elle vient de mode dramatique, voire même tragique, parfois hitchcockiens). Non, De Palma partage, avec découvrir, soit que son amant est atteint d'une sur un mode comique, ironique et sarcastique. Le Hitchcock, la même fascination pour les travers MTS, un détail dont il ne l'a pas informée avant plagiaire cache ses références; Brian De Palma les de l'âme, surtout masculine, et la même de la séduire. De plus, l'héroïne se rend compte souligne. propension à questionner l'art cinématogra­ qu'elle a oublié son alliance et remonte la Il faut donc alors comprendre que phique. L'émule reprend donc la critique amorcée chercher, sous l'oeil inquisiteur d'une fillette l'engouement de De Palma pour Hitchcock par le maître dans Vertigo, Rear Window et accompagnant sa mère dans l'ascenseur. Le dépasse l'application de ses recettes pour le Psycho, ses trois films les plus réflexifs, et la spectateur est si obnubilé par le drame qui se joue No 168 —Janvier 1994 19 sur le visage de Kate qu'il oublie complètement Dans sa mise en scène, Hitchcock organise un disséquant l'action à l'écran. Le spectateur qu'il a aperçu, auparavant, une figure menaçante mouvement de balancement très troublant entre devient la victime. épier l'héroïne à l'étage où elle remonte. Lorsque l'identification à l'héroïne et l'identification au Par ailleurs, il faut aussi souligner, qu'en les portes de l'ascenseur s'ouvrent, la figure tueur. Après un très gros plan sur le profil de l'oeil choisissant de filmer la violence faite à Marion de humaine qui apparaît devant Kate n'est pas son de Norman qui espionne Marion, le cinéaste façon quasi-cubiste, Hitchcock donne foi à la amant venu s'excuser (l'homme qui occupe les coupe à un plan subjectif qui force le spectateur à critique féministe voulant que l'histoire de l'art pensées de l'héroïne), il s'agit en fait de partager la vision du maniaque. Par le fait même, soit remplie de représentations fétichistes l'assassin... ce qui, métaphoriquement, revient au Hitchcock met en abyme l'action qui occupe dénaturant le corps de la femme. Le public ne même puisque le crime des deux hommes est de alors le spectateur, soit celle de regarder un considère sans doute pas comme violents les nature sexuelle. Le deuxième finit ce que le spectacle (cinéphilique). Du coup, il nous fait portraits de femmes dévêtues qu'ont réalisés les premier a commencé. réaliser que nous sommes déjà voyeurs et que, grands maîtres de la peinture, mais Hitchcock L'idée est déjà là dans Psycho, puisque la moralement, notre position est aussi lève le voile sur la nature de leur regard «mère» de Norman ne tue Marion qu'après la compromettante que celle de Norman. Par le dominateur en inscrivant, dans son «nu», toute la scène de voyeurisme où «son» fils regarde la biais du regard d'Anthony Perkins, de sujet, violence sous-jacente aux rapports entre hommes jeune femme se déshabiller. Incapable d'assumer l'héroïne est devenue objet. Quelques instants et femmes, artistes et modèles, dominants et son désir pour Marion, Norman, sous les traits de plus tard, la caméra est pourtant dans la baignoire dominées, voyeurs et regardées. Le montage sa mère, la tue. Encore de nos jours, le avec Marion, et regarde venir le tueur de sa incisif de la scène inscrit dans la forme même du voyeurisme est sanctionné par la société mais, en perspective; une stratégie qui n'est jamais reprise film le type d'abomination perpétrée à l'endroit 21 1960, Hitchcock en soulignait la nature dans les slashers misogynes, préoccupés qu'ils de Marion, soit celle d'être poignardée.' potentiellement destructrice en reliant ce plaisir sont à favoriser l'identification au mâle. Ici, Après le meurtre, l'assassin quitte le lieu de «innocent» au meurtre d'une innocente... et en l'identification se fait de nouveau avec l'héroïne. son crime mais la caméra demeure avec la nous montrant que Norman cache le trou qu'il a percé dans le mur en le recouvrant d'une reproduction baroque de Suzanne au bain.

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