20 siècles d'histoire naucelloise DU MÊME AUTEUR :

- Si m'était conté..., 1975, 2e édition 1976.

Sur la couverture :

La rue du Four à . (Inscrite à l'Inven- taire des Sites).

(Photo Gilles Mercadier, Naucelle)

Tous droits de reproduction réservés. Daniel CROZES

20 SIECLES D'HISTOIRE NAUCELLOISE

1978

PRÉFACE

Les agglomérations nouvelles du Ségala, nées de la route et du chemin de fer, sont-elles un phénomène moderne ? Celui qui suivra Daniel Crozes dans ses passionnants retours en arrière s'apercevra vite que c'est en fait une des manifestations constantes de ce pays. Une terre sans industrie, des routes, une popu- lation abondante et mobile, désireuse de se fixer, tels sont les trois éléments déterminants de cette histoire. Déjà, dans l'Antiquité (on découvre, à peine, à Bel-Air les traces tangibles d'une occupation gallo-ro- maine), un triangle de routes marquait le plateau : routes de et Lamothe au Pont de Cirou et à Tanus et route de Naucelle à Camjac. Les fondations gallo-romaines, comme Momeyrac et Rouffiac près de Cabanès, rassemblèrent peut-être déjà une population éparse. L'une d'elle, Fenassac, accueillit le premier siège paroissial du secteur : Sainte-Jalède. Naucelle, placé dans le triangle, est de son côté la première fondation médiévale et son nom même (Novacella, fondation mo- nastique) permet de l'attribuer à une maison religieuse, qui ne serait que l'abbaye bénédictine de Vabres. Mais elle n'avait pas d'intérêt économique suffisant pour in- téresser sa lointaine patronne. Il faut attendre la nouvelle vague monastique du XIIe siècle, celle des Cisterciens, pour voir apparaître véritablement les bastides. Au XIIIe siècle, les autorités laïques emboitent le pas ou rivalisent. Ces bastides sont en fait des regroupements organisés de population, avec des avantages économiques et parfois juridiques et mi- litaires. Ces points de fixation sont en majorité sur le plateau - comme les établissements gallo-romains - : la Bastide-de-Frons et la Bastide-Viaur (Bonnecombe), peut- être Soulages, à côté de (Bonneval, puis Bon- necombe), Crespin (La Chaise-Dieu), mais aussi La Salvetat (le Chapitre de Rodez), Tayrac (1269) à côté de Thuriès. Le phénomène dans cette région du Rouer- gue est trop ample pour ne pas être révélateur d'une volonté de regrouper une population - dont la crois- sance était trop forte - et de l'utiliser contre les sei- gneurs du pays : de Villelongue, de Tourène, de Pey- roles, de , ou de Castelnau.

Au milieu de ces fondations, plus ou moins favo- risées par la terre, la route et le chiffre de population, la lutte pour l'hégémonie opposa les deux plus impor- tantes, appuyées l'une par Bonnecombe, l'autre par le pouvoir royal. L'abbaye établit sa grange à Bonnefon et pendant le XIIIe siècle, négocia avec l'un (Bonneval) ou l'autre (le commandeur de Canabières, seigneur de Tauriac ou le seigneur de Castelmary) pour bien as- seoir son domaine. Cependant, elle ne put jamais uni- fier celui-ci. Une partie de la seigneurie de Naucelle appartenait à des coseigneurs, venus des pays du Viaur, comme elle, les Landorre et les Castelpers. En face, Sauveterre bénéficia d'un urbanisme, de coutumes, d'avantages fiscaux et d'une protection qui lui assurè- rent rapidement la suprématie. Si bien que Bonnecombe semble avoir perdu courage et s'être désintéressé de Naucelle. Quand les Anglais parcoururent la campagne vers 1368-1369, la population et Bonnecombe ne dispo- saient d'aucune protection et l'abbaye préféra brûler ses récoltes, ce qui lui valut d'ailleurs les félicitations du roi Charles V. Mais, il faut attendre 1424 pour que Naucelle ait le droit de s'entourer de remparts et d'a- voir un capitaine, et, semble-t-il, des consuls. Quand la population demanda la confirmation de ses privilèges, elle fit usage de la formule caractéristique de son effacement : « Humilial supplicatio al très haut et très redoptable seignor Monssen de Bonnecomba facha per la petite et tresque miserable gen de Naucella »... (hum- ble supplique au très haut et très redoutable seigneur, Mgr de Bonnecombe, faite par la petite et très misérable population de Naucelle). A mesure que les textes sont plus précis, cette pauvreté d'une population, rassem- blée et non soutenue, nous apparaît plus profonde. En 1548, un procès opposa Bonnecombe à Naucelle au sujet du quint exigé par l'abbaye. Celle-ci assurait qu'elle distribuait tous les jours une aumône générale qui touchait parfois trois à quatre mille personnes des en- virons. Mais les consuls de Naucelle usèrent d'un autre ton qu'en 1424. Ils dirent que leur région était « un pays de montagne, maigre, aride et infertile, autant et plus que pays qui soit dans le ressort ». Il ne s'y recueillait qu'un peu de seigle et d'avoine, « ne pouvant s'y faire de froment, ni d'autre bon blé ». Ils protes- taient contre les droits seigneuriaux, contre les aumô- nes que leur travail alimentait et auxquelles ils n'avaient pas accès. Or 25 sétérées de terre, semées de 25 setiers de seigle, produisaient dans les bonnes années 80 se- tiers, sur lesquels 21 étaient pris pour le quint et la dîme et 25 pour les semailles suivantes, ce qui ne laissait que 34 pour payer les censives, la taille, les subsides et les frais de culture... et pour vivre ! Naucelle perdit son procès. Mais le peuple des campagnes se souleva au moment de la révolte des Croquants. Il réitéra vers 1658, si bien que l'Intendant de Montau- ban ordonna de raser les murailles et les tours de Nau- celle. Huit habitants de Naucelle furent pendus. Les autorités civiles et religieuses ne se sont pas intéressées à Naucelle. Les aumônes de Bonnecombe et les vastes communaux (comme ceux de Cantefau et de la Gamas- se), dont l'abbaye laissait l'usage à la population la plus pauvre, étaient une solution à court terme, et sté- rilisante de ce fait : en 1867, encore, Viallet notait qu'il n'y avait ni hôpital, ni hospice, ni bureau de bienfaisance. Sous l'Ancien Régime, le personnel de santé se réduisait à un chirurgien et à une sage-femme. La vie intellectuelle était faible et il n'y avait pas d'école. Le sous-sol, comme à Sauveterre, ne recélait au- cune richesse minérale. Un artisanat de tissage et de clouterie, pour lequel la force hydraulique n'était pas nécessaire, permettait de faire vivre une population à laquelle la terre ne suffisait pas. On comptait à la fin de l'Ancien Régime cent tisserands pour 900 habi- tants, chiffre très important, révélateur des besoins de survie. Par contre, on se souvint des Ségalis pour tra- cer à partir de 1752 la grande route de Lescalopier, Intendant de Montauban. Ces ouvrages perturbèrent les travaux des champs ; et les secours que pouvaient trou- ver les indigents dans les ateliers de charité ne parais- saient pas suffisants. Aussi, il ne faut pas s'étonner qu'en 1790, la population des campagnes se soit lancée à l'assaut de ces châteaux qui ne symbolisaient pour elle que l'oppression : Jalenques, le Bosc, Villelongue, Castelmary, ou Bonnefon... même si, sur place même, les habitants de Camjac ou de Meljac prirent la défense de leur seigneur.

La situation évolua progressivement au cours du XIXe siècle. La liste des conseillers généraux, que cite Daniel Crozes, est révélatrice. Jusqu'en 1935, les repré- sentants cantonaux étaient des propriétaires terriens des environs : d'Imbert du Bosc et Toulouse-Lautrec, Vergnes, de Castelpers, et Cannac, de Lamothe. Depuis cette date, les élus sont du bourg (à une exception près) : Jean Lacombe et Philippe Crozes, par exemple. Cependant la courbe de la population accuse un creux entre 1911 et 1941, puis de nouveau après la dernière guerre : les saignées des guerres et de l'émigration ont peut-être eu, comme dans la médecine traditionnelle, un effet bénéfique. Dans le même temps, les effets de la route et du chemin de fer (le viaduc du Viaur est inauguré en 1902) se sont faits sentir, tandis que le rôle de Sauve- terre déclinait. Après des siècles d'hésitation, la terre, les voies de communication et la population ont désor- mais, à Naucelle, des fonctions harmonieuses. Avant la croissance urbaine de ces dernières années, seul Nau- celle parmi les vieux bourgs connut une nouvelle jeu- nesse, tandis que des cités nouvelles apparaissaient. Le livre de Daniel Crozes nous fait sentir une fois de plus que les composantes étaient en place. L'histoire, avec ses progrès techniques, ici les moyens de commu- nication, la chaux, les engrais, a provoqué à un moment donné cette conjonction et cette harmonie... qui atti- rent le succès, libèrent les esprits et fécondent les imaginations. Les dernières créations naucelloises, ci- tées par Daniel Crozes, en matière de foires, de mutua- lisme agricole, de tourisme, d'artisanat ou même d'art en sont la preuve. Naucelle a aussi trouvé son écrivain de talent, Jean Boudou, à la fois passionné par son terroir et par sa langue, et ouvert aux angoisses du monde. Daniel Crozes a vingt ans à peine. Mais il est déjà connu et estimé pour l'ardeur qu'il met à explorer l'histoire de son pays. Lauréat en 1975 du Concours national des Jeunes Historiens organisé par les Archi- ves de , auteur d'une monographie sur sa com- mune « Si Camjac m'était conté », qui a été rééditée en 1976, il est le président de la Délégation régionale Guyenne des Jeunes historiens de France depuis 1977 (délégué régional Guyenne de février 1976 à mai 1977). Tranquillement et sûrement, il suit sa route et marque cette nouvelle année d'une pierre blanche.

Jean DELMAS Archiviste-Paléographe, Directeur des Services d'Archives de l'. AVANT-PROPOS

Après vous avoir livré le résultat de mes investi- gations historiques sur Camjac, en 1975 et 1976, je vous convie, ami lecteur, à vous plonger dans 20 siècles d'histoire Naucelloise. On aurait pu titrer « Flashes- back sur 20 siècles d'histoire Naucelloise ». L'expres- sion « Flashes-back », qui nous vient en droite ligne du monde cinématographique, conviendrait à cette étu- de historique qui veut braquer ses projecteurs sur certaines époques du passé Naucellois. La narration historique constitue bien une série de « retours en arrière » (traduction française de « Flashes-back ») et c'est là son intérêt. La destinée de Naucelle et son rôle actuel de bourg- centre du Ségala expliquent l'importance du sujet. Cet ouvrage ne prétend pas l'épuiser mais proposer son approche. Dans un souci d'objectivité et de vérité, cher à Fustel de Coulanges et que se doit de posséder tout historien, j'ai puisé à la source de l'histoire, pour en retrouver le fil directeur. En effet, les documents d'ar- chives et les études de nombreux érudits Rouergats, ayant utilisé cette même source directe, constituent l'essentiel de ma documentation que pour un sujet donné, j'ai voulu aussi complète que possible. Il aurait été passionnant de s'attacher à la destinée passée du grand Naucellois, mais ce serait une tâche gigantesque. Malgré tout, pour certains domaines et périodes de l'histoire, j'ai tenu à déborder le cadre de la commune de Naucelle pour aborder celui du canton. Gageons que cette étude permettra aux générations pré- sentes et futures de mieux situer ce que fut le Naucelle d'hier et d'aujourd'hui. Qu'il me soit permis de remercier toutes les per- sonnes qui ont collaboré à l'élaboration de cet ouvrage, notamment : MM. Michel Labrousse, directeur de la Circonscription des antiquités historiques de Midi-Py- rénées ; Jean Delmas, directeur des Services d'archives de l'Aveyron ; Dominique Espinasse, professeur à Espa- lion ; la famille Tapié de Céleyran, du Bosc ; les Servi- ces d'archives de l'Aveyron et les Services de la mairie de Naucelle. PREMIÈRE PARTIE

Paroisse, communauté et commune de Naucelle à travers le temps (XII s. - XX s.)

CHAPITRE PREMIER

Le Bas Moyen-Age

Centres de la vie économique, les domaines gallo- romains constituèrent jusqu'au VIlle siècle un premier embryon d'unité administrative. Aux IVe et ve siècles, les invasions barbares mirent en évidence la suprématie du peuple franc. Son roi Clovis réussit à conquérir toute la Gaule et à la soumettre à son autorité, insti- tuant ainsi la dynastie des Mérovingiens. Cette nouvelle situation ne changea guère le système des grands do- maines, auxquels on adjoignit un centre religieux et cultuel, conséquence de l'évangélisation des campa- gnes. Les invasions arabes, repoussées par Charles Mar- tel à Poitiers en 732, et l'avènement au trône de France des Carolingiens (Pépin le Bref en 751) marquèrent le VI lIe siècle, période troublée et fertile en changements. Très contestée, l'autorité Carolingienne reposait sur une administration centralisée et un territoire divisé en vi- cairies, confiées aux délégués du comte, vassal du roi. Sous Charlemagne, naquit un nouveau système politique et social, dont certains aspects subsistèrent jusqu'en 1789 : la féodalité, destinée à soumettre le fruit des conquêtes à l'autorité d'un vassal et à récompenser les loyaux serviteurs du pouvoir. Les grandes familles féodales profitèrent large- ment de l'essor du peuplement qui caractérisa les XIe et XIIe siècles. Leur puissance s'accrut au point de de- venir dangereuse pour l'Eglise qui dut réagir et enga- ger, contre les seigneurs, une lutte patiente et tenace. Dans le cadre local, la réforme grégorienne ne fut pas autre chose qu'une offensive de grand style, menée contre la féodalité. L'épiscopat comprit que l'Eglise était restée trop longtemps urbaine et qu'il lui fallait pour conquérir effectivement les campagnes, obtenir des seigneurs la cession des chapelles, des dîmes, qui permettraient d'entretenir le culte. En Ségala, les fon- dations monastiques, quoique tardives, caractérisent, au XIIe siècle, la lutte ecclésiastique contre l'emprise féodale.

UNE FONDATION ÉPHÉMÈRE : LA SERRE

Les Cisterciens s'installèrent, en Naucellois, vers 1160, en la personne des moines de Bonneval. Nichée dans les gorges de la Boralde, au nord d', sur les terres de Calmont d'Olt, l'abbaye de Bonneval béné- ficia, dès 1147, de la haute protection de ses deux fon- dateurs : Guillaume de Calmont d'Olt, évêque de Ca- hors, et Pierre II, évêque de Rodez. Elle obtint, en 1160, d'importantes donations dans la région de Nau- celle, qui lui permirent d'établir une grange à la Serre, près de Villelongue. Elle s'assura des droits de pacage considérables à l'ouest d'une ligne passant par Gra- mond, Verdun, la Mothe, Frons, le Viaur, le Pont de Cirou, et dans tout le Peyralès, source d'un conflit qui l'opposa à l'abbaye de Bonnecombe, récemment instal- lée à Bonnefon, non loin de là. Quoique basée sur l'éle- vage du bétail, l'activité de la Serre fut éphémère : en effet, Bonneval vendit en 1225 la grange aux moines de Bonnecombe qui allaient désormais étendre leur in- fluence à tout le bas-Ségala.

LA GRANGE DE BONNEFON ET LES ORIGINES DE NAUCELLE

Le prestige de Saint-Bernard fit des moines de Ci- teaux les organisateurs de la vie rurale et urbaine dans le Ségala. A l'appel de l'évêque de Rodez et de Ray- mond V de Toulouse, Comte du Rouergue, Gausbert abbé de Candeil (Tarn) créa une filiale cistercienne, non loin de Comps Lagranville, dans la vallée du Viaur. Le 3 janvier 1167, avait lieu l'inauguration de l'abbaye de Bonnecombe. La donation initiale, le mas de Vareilles, fut faite à Gausbert par Arnaud de Taurines, seigneur de Taurines, près de Centrès. Les autres seigneurs du voisinage, ceux de Castelpers, de Panat, de Calmont, de Castelmary, du Bosc, de Miramont, leurs vassaux, des alleutiers voisins de Vareilles, participèrent puis- samment à la dotation de l'abbaye. Autour du nouveau monastère, une vaste seigneu- rie couvrait quatre paroisses, deux villages fortifiés : Comps et Magrin, et deux grands domaines : Vareilles et Lafon, disposant d'un grenier fortifié. Pourvue d'une puissante tour qui servait aussi de grenier, l'abbaye accueillait tout visiteur, mendiant ou passant. Forts de leur expérience, les Cisterciens organisèrent rapidement leurs biens et devinrent, en l'espace de quelques an- nées, la plus grande puissance territoriale du Ségala central. Dans notre région, l'image des Cisterciens défri- cheurs doit être considérée comme légendaire, contrai- rement à celle des moines créateurs de grands domai- nes à plusieurs paires de bœufs et fondateurs des bourgs ruraux. Les Cisterciens choisirent quelques mas, parmi ceux qui leur furent cédés, pour édifier leurs granges. Re- groupant les terres, déplaçant parfois le centre de l'ex- ploitation existante, ils constituèrent de grands domai- nes capables de fournir les revenus nécessaires à l'ordre de Citeaux, pour sa politique d'aumônes et de cons- tructions religieuses (prieurés, chapelles, églises). Ils établirent quatre granges en Ségala : une vers le Lagast : Moncan ; deux près de Bonnecombe : Vareilles et Lafon ; et une à l'ouest de Camjac : Bonnefon. L'abbaye possé- dait de nombreux droits dans les mas et villages qui lui furent cédés lors de sa fondation, mais incontesta- blement, sa plus grande richesse lui venait de l'élevage. Constamment, les abbés sollicitèrent, reçurent et ache- tèrent de nouveaux droits de pacage, afin d'étendre leur territoire pastoral. Leurs troupeaux purent paître, sans contraintes, depuis le Viaur jusqu'au Lagast. Très vite, ils purent parcourir tout le Ségala, le Peyralès, et même pousser jusqu'à Mirabel sur l'Aveyron, et au-delà de la grange de Saint-Félix. La puissance monastique s'affirmera à partir du XIIIe siècle. Consignée dans le « Livre des Herbes » de l'abbaye, elle se traduisit par la possession de nombreux domaines, des droits de par- cours et de pacage soutenant la migration des trou- peaux, les charrois de blé montant de Bernac en Albi- geois ou descendant du Causse de Rodez, le transport des vins de Bougaunes aux celliers de Bonnecombe. Tout ceci donne une idée de la formidable toile d'arai- gnée économique, religieuse et sociale, tissée par les Cisterciens. Le conflit avec Bonneval, au sujet des pacages, constitue une des principales causes de la brillante des- tinée de Naucelle. Généralement, près de leurs gran- ges, les moines possédaient un village qui, grâce à eux, grandissait rapidement. Près de la Serre, Bonneval fonda un petit village : Soulages. Près de Bonnefon, Bonnecombe lui opposa la sauveté de Naucelle. Puis- que Bonneval avait la haute main sur tous les pâtura- ges de la région, Bonnecombe voulut s'assurer le béné- fice des échanges et du trafic qui, par 10 Camin Roda- nès, se faisaient entre le Pont de Cirou, Gaillac et Toulouse 1. Point de convergence de tous les chemins qui montaient des châtellenies et des prieurés récem- ment créés dans les vallées voisines le site de Naucelle se trouvait admirablement choisi. Bonnecombe ne pou- vait trouver position plus favorable pour contrôler l'ac- tivité économique du Ségala. La charte de la fondation de Naucelle et les pre- mières donations de Bonnecombe, en ce qui concerne Bonnefon et Naucelle, ont dû brûler durant la guerre de Cent Ans. Le premier texte sur Naucelle est daté de 1174 : une charte en langue d'oc où figure la signature du moine Gui de Naucelle. Le nom typiquement monas- tique de Naucelle (Nova-cella, nouvelle cellule, nouvelle fondation) inciterait à penser que ce serait une fonda- tion urbaine des Cisterciens. Très certainement, il s'agit d'une fondation à trois : Comte de Toulouse, Evêque de Rodez et seigneurs locaux, d'une association sauveté- monastère. L'institution monastique échoua, mais la sauveté survécut et fut incorporée à la seigneurie de Bonnecombe. Le moine Gui, qui porte le nom de Nau- celle en 1174, devait appartenir à une famille noble, qui avait pris le nom d'une de ses possessions : Nau- celle 2. Les terres qui ont servi à la composition de la grange de Bonnefon ont été détachées du domaine gallo-romain de Momeyrac. On peut donc penser que le donateur de Bonnefon était seigneur de Momeyrac. Dans ce cas particulier, il y a eu déplacement du centre de l'exploitation : Bonnefon a ravi à Momeyrac le rôle centralisateur qu'il occupait jusqu'alors. Lieu stratégique pour Bonnecombe, Naucelle dirigea et mo- nopolisa pendant un siècle l'activité économique du Ségala central, jusqu'à la fondation de la bastide de Sauveterre. LA GUERRE DE CENT ANS

Les malheurs vinrent avec la guerre de Cent Ans et la grande peste de 1348. Les possibilités d'exploita- tion agricole se révélèrent inférieures aux besoins réels des nombreuses villes nouvellement créées. En effet, la fondation des sauvetés au XIIe siècle (Naucelle) et des bastides au xiiie siècle (Sauveterre) donna au Ségala les structures urbaines qui lui faisaient défaut. A la veille de la guerre de Cent Ans, les premières évalua- tions démographiques révèlent des unités urbaines déjà florissantes : en 1349, on recensa 151 feux pour la ville de Naucelle, 26 feux pour la paroisse de Camjac et 36 pour celle de Frons 3. Hors des granges cisterciennes et de quelques do- maines seigneuriaux, la production agricole restait pri- mitive. La population devait se contenter des médio- cres récoltes de petits champs de seigle ou d'avoine, cultivés autour des mas et des villages, et un petit élevage de volailles, de brebis ou de chèvres. Les grands propriétaires réservaient les plateaux au parcours du bétail : troupeaux de moutons dans les landes, périodi- quement brûlées pour renouveler l'herbe, et de porcs dans les bois de chênes ou les châtaigneraies. La pré- férance accordée à l'élevage et la pratique de la jachère à long terme limitaient inévitablement les possibilités de culture et par-là même le peuplement. Au xive siècle, les Ségalis connurent les affres de la guerre avec le conflit Gascon qui débuta au mois d'octo- bre 1341 et s'acheva en février 1343 4. Indépendamment de la troupe levée dans le Comté de Rodez et dans les fiefs, la sénéchaussée du Rouergue envoya en Gasco- gne 326 soldats, fournis par les communes et les abbayes, parmi lesquels on dénombra 4 hommes d'armes de Nau- celle et 5 de Sauveterre.

En 1351, les Anglais s'emparèrent de Saint-Antonin et de quelques autres châteaux. Une consternation gé- nérale se répandit. Les habitants des campagnes se réfugièrent dans les villes ou se cachèrent dans les bois. Les châteaux de la vallée retrouvèrent leurs fonctions (Miramont) ; on y ajouta des souterrains- refuges ou caves des anglais, dont le nom est souvent employé abusivement. On fortifia les églises, les mai- sons isolées et les bourgs, ce qui dénote une volonté de résistance et une peur des Anglais chez les popu- lations rurales. Boussac fortifia son église. Naucelle s'entoura de fortifications. En 1424, l'abbaye de Bonnecombe lui accorda une charte de coutumes et l'autorisation de s'entourer de remparts et de fossés. L'enceinte fortifiée suivait le tour de ville actuel et s'appuyait sur l'église au nord-ouest. Une place avec gitats (couverts) se trou- vait au centre. Le nom de Porte des Anglais, donné à la seule porte subsistante, évoque bien ce temps d'insé- curité et de peur constantes 5. Bonnefon fut aussi un des centres importants de la résistance locale aux Anglais et symbolisa la lutte de l'abbaye de Bonnecombe. Après la cession du Rouergue par le traité de Brétigny, les religieux de la grange de Bonnefon mirent le feu au château, en 1368, pour éviter qu'il ne tombe aux mains de l'ennemi 6. L'édifice fut pratiquement détruit (reconstruit en 1427). Plusieurs religieux, de nombreux documents et titres périrent dans l'incendie. Le roi Charles V les récompensa, en 1370, de leur résistance exemplaire et de leur fidélité, par d'importantes donations à l'abbaye de Bonne- combe. Chaque trêve livrait les villages au fléau des gran- des compagnies ou des « routiers ». Ces bandes de combattants, sous la direction d'un capitaine, se met- taient au service du roi en temps de guerre. Renvoyées au moment des trêves, elles vivaient sur le pays. Ces véritables bandes pillardes rançonnaient les paysans et les marchands. Les routiers restèrent longtemps en pos- session de quelques châteaux et forteresses. D'impor- tantes sommes leur furent versées pour les inciter à quitter le pays et les lieux qu'ils détenaient. Les comtes d'Armagnac entreprirent également de les chasser du Rouergue et rassemblèrent à Rodez, en 1386, des hom- mes d'armes parmi lesquels Mondo del Bosc, seigneur du Bosc. Les paysans, tantôt pillés par les soldats an- glais, tantôt par les grandes compagnies, souffrirent terriblement de ces hostilités interminables. A la fin de la guerre de Cent Ans, le pays offrait un spectacle désolant : villages désertés, espaces agricoles abandon- nés, places fortes brûlées et pillées par l'ennemi.

Après la reconquête de la Guyenne en 1453, le redressement économique put commencer. Le pays émergea de ses ruines mais la reconstruction fut lente. Il fallut une génération après la paix pour que la pros- périté du temps de Saint Louis fut retrouvée. Plus rapide et plus spectaculaire fut la reprise des affaires. Le commerce maritime ou fluvial, le maniement de l'argent, favorisèrent l'enrichissement des hommes d'af- faires. Le départ des Anglais du royaume de France marqua la fin de l'époque médiévale et la naissance d'une nouvelle période : les Temps Modernes.

NOTES

1. En Rouergue, 10 camin rodanès devait se confondre avec !a strata albienca qu'un document du début du XIIIe siècle mentionne passant par la Mothe et se dirigeant sur Albi. De la Mothe, le che- min filait en direction de Naucelle, Crespin, Lespinassole et franchis- sait le Viaur au Pont de Cirou. Au xvi* siècle, les voyageurs rouergats empruntaient encore cet itinéraire, le plus direct entre Rodez et Toulouse. Des haltes étaient prévues à Luc (souper), la Mothe (rafraî- chissements), la Balagua (dîner), Pont de Cirou (rafraîchissements), Villeneuve (souper). « Voies romaines et camis romieus », par Ha- drien et Louis Bousquet, Subervie, Rodez, 1971, pages 26-27. 2. Dans un acte de 1193, il est question d'Astorg de Naucelle, d'Adhémar et de Guillaume, ses enfants. « Documents historiques et généalogiques sur les hommes et les familles remarquables du Rouergue », H. de Barrau, Tome IV, page 490. 3. « Bénéfices du diocèse de Rodez en 1789 », état dressé par l'abbé de Grimaldi, 1906, page 583. 4. « Etudes historiques sur le Rouergue », Baron de Gaujal, 1858, pages 178-179. 5. « Vivre en Rouergue », N° 25, Connaissance du Rouergue : le Canton de Naucelle, par Jean Delmas, pages 35-36. 6. « Notes pour servir à l'histoire du Rouergue », J.L. Rigal et P.A. Verlaguet, Rodez, Carrère, 1926, Tome I, pages 147-148.

CHAPITRE II

Les temps modernes

L'aggravation de la situation matérielle des paysans et l'affirmation de l'influence des Cisterciens marquè- rent, en Ségala, les temps modernes. Les difficultés de la guerre de Cent Ans surmontées, les moines de Bon- necombe pratiquèrent, dès le début du xvie siècle, une politique d'extension territoriale afin d'installer soli- dement leur puissance. Les XIIe et XIIIe siècles avaient permis aux moines de Citeaux de fonder, avec les premières donations, des noyaux de peuplement et d'ex- ploitation. Forts de leur expérience, ils allaient, désor- mais, développer leurs granges, pour accroître leurs revenus et leur dominationl.

LE DOMAINE DE BONNEFON EN 1522

A la demande de François Ier, les commissaires royaux procédèrent à l'inventaire général des biens de l'abbaye de Bonnecombe. Les terres, héritages, censi- ves, rentes, revenus, possessions et seigneuries tempo- relles, en la propriété des abbés commandataires figu- rent sur la déclaration des syndics, en date du 23 sep- tembre 1522. Au domaine de Bonnefon, les Cisterciens