n° 521 / mai - juin 2020

DOSSIER Longue distance : risques et enjeux de la compétition

« OPEN ACCESS » POLITIQUES PUBLIQUES FACE À FACE Quelle faisabilité Elections municipales : Vincent Kaufmann et pour le marché quelle place pour Jacques Lévy : vers français de la grande la mobilité dans de nouvelles pratiques vitesse ferroviaire ? une ville apaisée ? de mobilité ? change de nom et devient :

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A quelques jours de distance, la conférence citoyenne pour le climat (CCC) a remis son rapport à la ministre de la Transition écologique et so- lidaire (le 21 juin 2020) et l’Alliance 4F (« Fret ferroviaire français du futur ») a proposé (le 25 juin) un ambitieux plan d’actions visant à doubler d’ici 2030 la part modale du transport ferroviaire de marchandises. C’est peu dire que l’écho donné à la première fut bien plus fort. Il est pourtant instructif de rapprocher les deux projets qui partagent l’objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) afin de replacer la sur la trajectoire de sa stratégie nationale bas carbone (SNBC). Pour agir vite et fort sur les comportements, on ne dispose, in fine, que de trois leviers réels. Deux visent à renchérir rapidement le coût du carbone, soit via l’introduction d’une forme de taxe carbone, soit via des quotas carbone échangeables (générant une double incitation encore plus © DR efficace qu’une taxe, mais sans apporter des ressources supplémentaires pour financer les investissements). Le troisième levier vise le rationnement dont la forme la plus pure et ultime serait une carte carbone par personne. Dans ce cas, il ne s’agirait plus d’une transition énergétique mais d’une rupture complète du modèle de société. S’agissant du secteur des transports, émetteur de 30 % des GES en France et qui, surtout, n’a pas com- mencé d’infléchir la tendance, que peut-on retenir des propositions avant leur traduction opérationnelle ? La CCC a renoncé à proposer une mesure qui aurait permis à la fois le renchérissement du carbone et le finance- ment des investissements nécessaires à la transition énergétique. Il est certain qu’en l’absence de mesures cohérentes et fortes on atteindra un point d’irréversibilité où le climat ne sera plus simplement un enjeu d’intérêt général mais deviendra un enjeu de survie de l’espèce. Il est fort à craindre que cela rendra alors acceptable, voire désirable, l’idée de passer par une période de sevrage collectivement administrée par une police du rationnement. Les arguments de justice sociale, de protection sanitaire et sociale des personnes, de refus du développement des échanges internationaux et les préventions sur les solutions technicistes permises par le progrès scientifique et technique mériteront d’être relus à cette aune. Il sera alors trop tard, trop de procrastination face à l’urgence climatique aura justifié une « tyrannie bien- veillante, bien informée et animée par la juste compréhension des choses » pour reprendre la formule de Hans Jonas qui jugeait « le renoncement à la liberté individuelle inéluctable ». L’une des propositions de la CCC mérite une attention particulière pour notre propos : « inciter, par des obligations réglementaires et fiscales, au report partiel vers d’autres moyens de transport de marchandises moins émetteurs ». Comment y parvenir concrètement tout en écartant les mesures visant au renchérissement du carbone ? Justement, l’alliance 4F propose de doubler la part modale du fret ferroviaire en France de 9 % aujourd’hui à 18 % en 2030, pour simplement mettre la France au niveau de ses voisins européens. Ce plan global de trente actions coordonnées constitue une contribution charpentée pour un plan de relance dont la dimension écologique serait centrale. Le transport routier de marchandises concourt à hauteur de presque 40 % aux émissions de GES du secteur des transports (moitié pour les poids lourds, moitié pour les véhicules utilitaires légers). L’enjeu est d’importance. Prendre au mot la proposition de la CCC et le plan d’actions proposé par 4F en les intégrant, avant la fin de l’année, dans le plan de relance, voici un beau défi pour l’Etat, SNCF Réseau et le monde ferroviaire. Un défi et un test. Saura-t-on enfin synchroniser une stratégie de transports massifiés, une stratégie logistique (les entrepôts, leur localisation, leur fiscalité, la régulation drastique par le prix des livraisons express et de l’e-com- merce) et une stratégie nationale portuaire ? Saura-t-on modérer notre préférence historique pour les voyageurs en éclairant les choix grâce à un vrai bilan comparé des impacts, pour le climat, d’un report modal voyageurs (sachant que la demande longue dis- tance stagne, que l’amélioration de l’offre à grande vitesse, y compris à bas coût, génère de la mobilité plus que du report) et d’un report modal marchandises ? Quels priorités et objectifs contraignants pour le gestionnaire du réseau ferré national faut-il inscrire dans le contrat de performance avec l’Etat qui doit être prochainement réécrit ? La réduction effective de l’émission de GES sera-t-elle au cœur de la stratégie du réseau ? Ou bien son équilibre financier ? Ou bien encore l’induction d’encore plus de mobilité des voyageurs, notamment longue distance ? De beaux sujets pour les prochains dossiers de TI&M. » n Hervé Nadal coordinateur du comité de rédaction [email protected]

TI&M n° 521 - mai - juin 2020 3 Digest

Yves Crozet’s column (p.6) With the promulgation of the Macron Act in summer 2015, which Public transport in long-term intensive care : what implications ? deregulated that mode of transport, the market has changed signi- ficantly. Following a rapid overview of the market dynamic, from Changing transport model : its creation to inevitable consolidation, this article will assess the Should we ? Could we ? Would we ? (p.19) importance of digital technology in the operators’ strategy in light Debate between sociologist Vincent Kaufmann and geographer of the new opportunities created by the Mobility Act, as well as Jacques Lévy, professors at EPFL. competition from other modes of transport with similar positioning.

SPECIAL REPORT : Competition in Italian high-speed rail : Long-distance : benefits and risks of competition a major innovation for a win-win ? (p.43) European rail policy promotes competition to help the sector regain Introduction : Long-distance transport : its competitiveness and attractiveness. Since 2012, Italy has had a France on the eve of an upheaval ? (p.25) unique place in that process. It is the only European country whose high-speed rail network involves frontal open-access competition Opening up France’s high-speed rail market : between the longstanding public operator, Trenitalia, and Italo, a is open access feasible ? (p.26) train operated by a private new entrant, NTV (Nuovo Trasporto High-speed rail links will be opened to competition in December Viaggiatori). As passenger rail transport is opening up across 2020. That competition will be open access, i.e. at the new en- France, this major market innovation could demonstrate how to trants’ risk and under the regulator’s control. The market likely to shake up the status quo maintained by the national operator. interest new entrants has little momentum and diversity. More im- portantly, it is dominated by the longstanding operator, which adds Opening up to competition : to existing market access constraints. The adjustment variable, what the rail sector can learn from air transport (p.48) which could allow new entrants to coexist with the longstanding Anticipated by some, dreaded by others, passenger rail transport is operator once the constraints are removed, is the infrastructure progressively opening up to competition in France, which will come toll, which includes the market charge. However, the bar must be into full effect in early 2021. One of the latest «network industries» to set at the right height to stop good ideas ending in failure. be deregulated, the rail sector can learn lessons from the deregula- tion of other sectors such as air transport. Following a presentation Long-distance rail services in France : of the new competition in European air transport, this article will stu- on track for a duopoly ? (p.30) dy its strategic implications for both new entrants and longstanding Following decades of speculation, competition is coming to France’s operators, providing potential lessons for the rail sector. national interurban rail transport. In a few months, users will be able to travel in non-SNCF trains. A tour of European experiences provi- New transport modes and uses : what value of time? (p.51) des insight into what might change for them. In almost all cases, the Between the development of car sharing and the deregulation of monopoly has shifted to a duopoly where the competition, although coach transport, long-distance journeys are changing fast in France. once led by prices, is largely driven by volumes. The longstanding In this context, value of travel time is hugely important, as shown by operator maintains the bulk of its offering to retain its clientele, and the main findings of a study published in early 2020. As an example, the new entrant focuses on frequencies to win market shares. any new lane allocated for car sharing should guarantee at least a 12% time saving to compensate for differences in value of time. Interurban coaches in Germany : questions for FlixBus (p.33) French municipal elections : Like other interurban transport operators, the coach operator what place for transport in a smart city ? (p.54) FlixBus is being hit hard by the health crisis, worsening the prior The theme of transport has taken centre stage in debates ahead downturn in user numbers. Its move into railways with FlixTrain of France’s municipal ele ctions. Cycling, place of cars in the city, could blur its image and the launch of BlaBlaBus and the development of the public space, parking, car sharing, public country’s latest newcomer, Pinkbus, undermine its position, as transport, new mobilities and urban logistics are the main topics could ever-fierce competition with the rail sector. By banking on that emerge from this unprecedented analysis. As the Mobility internationalized services and an innovative multimodal strategy, Steering Act comes into force, the new municipal and intermuni- however, the company still has the strength to sidestep the obs- cipal politicians are going to have to adopt a wide range of public tacles and win back customers. Provided that it does not unduly action tools. The challenge of regulation is particularly relevant sacrifice the quality of its services on the altar of competitiveness. to the idea of smart cities, which seem to be very broadly sup- ported, beyond political divisions, by candidates in the sample Long-distance bus in France : deregulation, consolidation studied by TDIE. Behind this apparent consensus, positions vary and intermodal opportunities (p.38) widely on the issue of cars in the city. Today in France, two operators — FlixBus and BlaBlaCar via its brand BlaBlaBus — share most of the long-distance bus market. Michel Savy’s column (p.62) Both rely on a business model built on the intermediation platform. Crisis : moving from emergency to the long term.

Comité de rédaction

Dominique Auverlot Jean Coldefy Florent Laroche Alain Bonnafous Yves Crozet Hervé Nadal Nicolas Bourgeon Laetitia Dablanc Michel Savy Geoffroy Caude Michel Hagège Pierre Van Cornewal

4 TI&M n° 521 - mai - juin 2020 Sommaire

Chronique Le long séjour en réanimation des transports collectifs : quelles implications ? 6 La chronique d’Yves Crozet Actualités LOM : la « loi vélo » ? Le Brexit a joué en faveur de la LGV Londres-Birmingham, qui profite aux Français 7 Synérail et SNCF Réseau font baisser la facture du GSM-Rail Le transport de fret méconnaît-il la RSE ?

Face à face Nouvelles pratiques de mobilité ou de démobilisé : regards croisés au lendemain de la crise sanitaire Face à face entre Jacques Lévy, géographe et urbaniste, 19 et Vincent Kaufmann, professeur de sociologie urbaine et d’analyse des mobilités.

Dossier Longue distance : risques et enjeux de la compétition 25 - Mobilités à longue distance : la France à la veille d’un bouleversement ? 25 26 - Ouverture du marché français de la grande vitesse ferroviaire : quelle faisabilité en « open access » ? Lionel Clément 30 - Services ferroviaires à longue distance en France : un monopole peut-il cacher un duopole ? Florent Laroche 33 - Autocars interurbains en Allemagne : Pour FlixBus, le temps des interrogations Laurent Guihéry 38 - Bus longue distance en France : ouverture, consolidation et perspectives intermodales Thierry Blayac et Patrice Bougette 43 - La compétition dans la grande vitesse ferroviaire italienne : une innovation majeure pour un jeu « gagnant-gagnant » ? Christian Desmaris 48 – Ouverture à la concurrence : ce que le secteur ferroviaire peut apprendre du transport aérien Paul Chiambaretto 51 – Nouveaux modes et usages de déplacements : quelles valeurs du temps ? Guillaume Montchambert

Municipales Elections municipales : quelles mobilités dans une ville apaisée ? Timothée Mangeart 54 Chronique Crise : passer de l’urgence au long terme La chronique de Michel Savy 60

TI&M (Transports, Infrastructures & Mobilité) est édité par EMH - 33, rue de Naples 75008 . Courriel : [email protected]

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TI&M n° 521 - mai - juin 2020 5 La chronique de Yves Crozet

Le long séjour en réanimation des transports collectifs : quelles implications ?

Yves Crozet, professeur émérite à Sciences Po Laboratoire Aménagement Economie Transports (LAET)

© DR [email protected]

Un mois après le déconfinement, les trafics des transports collectifs urbains (TCU) plafonnent : en Ile-de-France, 30 % des niveaux du printemps 2019 pour la SNCF et 25 % pour la RATP. La longue distance est encore moins bien lotie. Une reprise va se manifester dans les mois qui viennent, mais de nombreuses questions se posent sur les impacts d’une syncope qui va nécessiter une mise sous perfusion de fonds publics.

es TCU sont de gros consommateurs de subventions. Ils atteint le point mort2. Depuis 2015, les sorties du marché se relèvent de fait, comme l’école, de la catégorie des ser- sont succédé et les financiers privés (et publics ?) pourraient Lvices non marchands, c’est-à-dire gratuits ou vendus à un décider d’éviter l’acharnement thérapeutique autour des sur- prix qui couvre moins de 50 % du coût de production. Or les vivants. Une question qui vaut aussi pour BlaBlaCar qui, en autorités organisatrices des transports (AOT) sont proches de achetant Ouibus à la SNCF, a naïvement ouvert la porte à un la cessation de paiement, victimes d’un effet de ciseaux : chute cheval de Troie. des recettes commerciales et fiscales (le versement mobilité La SNCF ne peut pourtant pas se réjouir des déboires de ses payé par les entreprises) plus hausse des coûts liée à la réor- concurrents car elle est également confrontée à la loi d’airain ganisation des services du fait de l’épidémie. du point mort. La nouvelle société anonyme née en janvier 2020 Les pertes des AOT sont estimées pour 2020 à plus de devra équilibrer ses comptes. Elle ne pourra le faire qu’au prix 4 Md€, dont la moitié pour l’Ile-de-France1. Des subventions de subventions massives dont on peut se demander si elles accrues de l’Etat et des collectivités territoriales seront donc seront assorties de contreparties en termes de productivité et indispensables. Comme cela ira de pair avec la volonté de d’attractivité. La question se pose au vu de la contre-perfor- relancer « coûte que coûte » les TCU, parfois associée à l’ins- mance du transport ferroviaire à longue distance (TGV + TET + tallation de nouvelles majorités défavorables à leur tarification, Intercités) dont les trafics stagnent depuis 10 ans (63,5 milliards nous allons assister à une accélération de la « marche vers la de passagers.km en 2008 et 64,1 en 2018). gratuité » (voir le N° 510 de TI&M). La crise du transport aérien est principalement le résultat de Faut-il rappeler au lecteur incrédule que selon la Cour des l’épidémie. Sa disparition est la condition nécessaire à une vé- comptes, les recettes commerciales des TER ne couvraient en ritable reprise mais ce n’est pas une condition suffisante. La 2018 que 12 % des charges cumulées d’investissement et de demande de déplacements à longue distance dépend aussi de fonctionnement ? A peine moins qu’en région parisienne où les la croissance des revenus, qui ne sera pas à l’ordre du jour voyageurs payaient 2,7 Md€, soit 19 % du coût total (fonction- dans les prochaines années. N’oublions pas aussi que depuis nement 7,8 ; investissement 6,5 dont un peu plus de 2 pour le dix ans, les déplacements professionnels diminuent régulière- Grand Paris Express) ! ment. Il était donc indispensable d’accorder une aide de 7 Md€ à Air France, principalement des prêts à taux d’intérêt élevés « La survie des entreprises dépendra (5,5 %). Ces derniers sont la véritable contrepartie du plan de de leur capacité à drainer des fonds, sauvetage bien plus que les engagements sur la réduction des

publics ou privés » émissions de CO2, laquelle est automatique avec une baisse non voulue mais « durable » des trafics. La longue distance va-t-elle devenir une machine à perdre Quels que soient les modes de transport, les fonds publics vont de l’argent ? être fortement sollicités dans les prochaines années. Mais ne Les transports collectifs à longue distance sont en principe des doivent-ils servir qu’à la SNCF, la RATP et Air France ? Quid services marchands, opérés par des entités privées ou publiques des compagnies aériennes privées ou des concurrents poten- qui doivent équilibrer, sans subvention ou presque, leur compte tiels de la SNCF en France ? Non contente d’avoir fait voler d’exploitation. La rentabilité s’obtient par la combinaison d’un prix en éclat les critères de Maastricht, la crise sanitaire va-t-elle moyen du billet et d’un taux de remplissage que l’on appelle le également tordre le cou à la fameuse « concurrence libre et « point mort ». Or des mois, voire une à deux années seront né- non faussée » ? n cessaires pour que ce seuil soit à nouveau atteint. Pendant cette période, le transport collectif à longue distance va devenir une machine à perdre de l’argent. La survie des entreprises dépen- dra donc de leur capacité à drainer des fonds, publics ou privés. A quelles conditions cela peut-il se faire ? 1 Voir la tribune de V. Pécresse et L. Nègre dans Le Parisien du 7 juin 2020. Les services d’autocar librement organisés (SLO) sont dans 2 Crozet Y., 2017, « Les autocars et le marché des voyageurs à longue distance : une situation périlleuse car en France ils n’ont pas encore un jeu perdant-perdant ? » in Ville Rail et Transports, novembre 2017, pp. 46-53.

6 TI&M n° 521 - mai - juin 2020 Questions d’actualité

Questions d’actualité

Le point sur...

LOM : la « loi vélo ? » plan vélo et ainsi se rapprocher du peloton de tête formé par De l’aveu-même de ses partisans, le vélo a obtenu en quelque les pays du nord de l’Europe. Les Pays-Bas dominent avec temps des moyens inespérés de la part de l’Etat. Celui-ci est 27 % de part modale, suivi du Danemark (18 %) et de l’Al- résolu à accompagner son développement, qu’une multitude lemagne (10 %). Rien n’est impossible car « en Hollande, se de listes de gauche ou de droite, au plan local, ont soutenu lors déplacer en vélo, n’est pas un fait culturel, c’est le résultat des municipales. Cet appui inédit de l’Etat se traduit par une d’une politique publique mise en place après le choc pétro- série de mesures annoncées ou confirmées au printemps par lier de 1974 pour faire des économies d’énergie » note Sylvie la ministre de la Transition écologique, Elisabeth Borne. Elles Landriève, codirectrice du Forum Vies Mobiles. Marc Fressoz prennent des formes directes et indirectes et touchent tous les maillons de la chaîne. L’enveloppe, destinée à subventionner, Trottinettes en libre service : à hauteur de 50 €, les réparateurs qui remettent en état le vélo le marché des opérateurs se concentre apporté par un particulier, est portée de 20 à 60 M€ par l’Etat. Les exploitants de trottinettes électriques en libre service re- Objectif : 1 million d’unités remises à neuf fin 2020. L’Etat va tiennent leur souffle. La mairie de Paris a en effet lancé fin 2019 aussi compléter jusqu’à 200 € les aides des collectivités lo- un appel d’offres à l’issue duquel, seuls trois acteurs auront le cales versées pour l’achat d’un vélo à assistance électrique. droit d’exploiter une flotte à Paris. Très convoitée, la capitale Concernant l’infrastructure, l’Etat va activer pour la première est considérée comme un marché phare dans le monde. Ville fois cet été le fonds de mobilité active, annoncé en 2018 dans compacte, transport urbain souvent saturé, consommateurs le cadre du plan vélo qui doit porter sur 350 M€. La première réceptifs etc., ses caractéristiques font espérer une rentabilité tranche annuelle de 50 M€ sera distribuée, via un appel à qu’aucune start-up n’a jamais atteinte. Avant même ce choix projet, aux collectivités qui veulent pérenniser des pistes cy- politique, la crise de la Covid-19 (qui a conduit à l’interruption clables mises en place pendant le déconfinement. Autre coup des services) a contribué à chahuter le secteur. Elle a précipité de pouce, au sein du fonds pour les investissements verts dont un début de concentration au sommet de la hiérarchie mon- le premier ministre a fixé fin mai le montant à 1 Md€, une part diale. Un mouvement logique, dans la mesure où les opérateurs - non précisée - sera consacrée aux projets de développement engloutissent des sommes colossales pour se disputer la pre- de la petite reine. Destinataires : les communes et intercom- mière place dans la course à la part de marché. En mai, Uber munalités. Ce n’est pas tout, le gouvernement a également a ainsi orchestré la fusion de deux protagonistes américains, apporté un coup de pouce sur le plan réglementaire en le- Lime et Jump (sa propre filiale). Il a volé au secours de Lime, vant certaines contraintes administratives. Elles ont permis à le n° 1 mondial, en injectant 135 M€ dont il apporte le princi- plusieurs villes d’aménager en un temps record 1 000 km de pal. Ce sauvetage permet à Lime de racheter Jump, marque à pistes cyclables provisoires, baptisée « coronapistes ». moindre notoriété et vouée à s’effacer. L’accord qui vaut pour les Etats-Unis et devrait s’étendre en Europe s’accompagne aussi du transfert des vélos Jump à Lime, dont les services se- ront disponibles sur l’appli Uber. Ayant brûlé ses fonds, Bird, un autre des « Big Three » américains, est également aux abois. En mars, il a brutalement licencié quatre-cents personnes par visioconférence. Les scénarios les plus favorables pourraient être une fusion ou l’intégration dans un groupe de mobilité.

Seize concurrents Chez les acteurs européens, le suédois VOI a choisi une voie plus originale pour subsister : s’associer à BlaBlaCar. Depuis

Les ateliers de réparation de vélos, gagnants des nouvelles mesures. © FUB début juin, les trottinettes en libre service de cette start-up s’appellent BlaBla Ride. Les deux entreprises parlent d’un Forfait vélo et marquage « partenariat » et non d’un rachat du plus petit, mais la réa- Côté services, le forfait vélo, qui revient à faire financer par les lité de l’opération n’est pas clairement présentée. Ce qui est entreprises l’utilisation du vélo pour les trajets domicile-travail à certain, c’est qu’après avoir repris en 2018 les cars Macron hauteur de 200 € par véhicule, doit également aider ce mode de Ouibus à la SNCF, la licorne française, qui a démarré avec transport à changer de braquet. Cette innovation portée par la le covoiturage, poursuit sa diversification. Pas de signes ap- loi d’orientation des mobilités (LOM), qui risque d’être identifiée parents de grandes manœuvres chez les autres Européens, comme « la loi vélo », doit faire l’objet d’un texte d’application. Dott (indépendant), Tier (idem), Bolt, Hive (BMW-Daimler) et Elle comporte d’autres mesures favorables, comme le marquage l’américain Spin (Ford) propriété du constructeur automobile, des bicyclettes avec la création d’une sorte de fichier des cartes bénéficient a priori d’une assise solide. grises. Objectif : réduire le risque de vol qui peut dissuader celles Seize concurrents étaient sur la ligne de départ de l’ap- et ceux qui voudraient devenir des pratiquants réguliers. pel d’offres de Paris. Parmi ceux qui ont déposé un dossier se Avec seulement 3 % des déplacements quotidiens effec- trouvent Lime, Bird, Jump, Tier, Wind, Bolt, VOI, Hive, Spin, Pony tués en deux-roues non motorisés, la France a du chemin à et peut-être Lyft. Le verdict, qui était attendu au second semestre, parcourir. Elle espère tripler la part du vélo à 9 % grâce au pourrait être donné après l’élection du maire de Paris. M. F.

TI&M n° 521 - mai - juin 2020 7 Questions d’actualité

ILS ONT DIT

« Sans une action volontariste et rapide de l’Etat, c’est tout une filière industrielle et un mode de transport qui pourraient s’écrouler dans notre pays à très court terme. (...) Le moment est venu de faire émerger une véritable loi de programmation pour le ferroviaire pour doter notre pays d’une stratégie globale et à long terme de la mo- bilité, comme cela est prévu par la loi d‘orientation des mobilités, votée l’an dernier ». Extrait de la lettre adressée au président de la République par la Fédération des industries ferroviaires, 11 juin 2020.

« Personne ne peut prévoir à l’avance la maladie mortelle qui peut terrasser quelqu’un, à un moment quelconque de sa vie. En revanche, l’intelligence artificielle, fondée sur data [qui « révolutionne la gestion du réseau fer- roviaire », selon Hugues Gigleux, responsable déquipe Datascience de SNCF Réseau], renforce et affine les diagnostics. Je suis abasourdi que seuls 1,5 million de Français aient téléchargé l’application Stop Covid alors que c’est un outil formidable pour lutter contre la maladie. Nous sommes de petits franchouillards nombrilistes incapables de travailler en groupe alors que les Chinois, entre autres, prennent une avance énorme sur nous dans ce domaine ! ». Guy Vallancien, chirurgien et universitaire, membre de l’Académie nationale de médecine, à l’occasion d’un webinar de l’Openclub Innovation « La maintenace prédictive : état des lieux d’une révolution », organisé par SNCF Réseau, le 24 juin 2020.

Exploitation

Quelle flotte aérienne demain ? Coût logistique des mesures sanitaires : Avec la Covid-19, 12 000 à 15 000 avions sont parqués, momen- premiers chiffrages tanément ou non. La composition de la flotte mondiale de demain Assurer la protection sanitaire des salariés qui garan- dépendra des réponses à deux questions simples : revoleront-ils tissent l’approvisionnement des Français a un coût et quand ? Personne n’a la réponse. La seule hypothèse qui cir- pour les entreprises de transport et de logistique. Cette cule est qu’il faudra entre deux et trois ans pour faire face à un charge se ventile en trois postes selon l’Union TLF : les nouveau monde aérien, sans doute moins dense. L’impact sur les équipements individuels de protection (EPI) ainsi que avions sera différent selon qu’ils seront bi-couloirs (gros/moyens les formations associées évalués à 2,5 € par jour et par porteurs), monocouloirs (petits/moyens porteurs ; 65 % des avions) salarié, l’aménagement des locaux et entrepôts logis- ou régionaux (aux alentours de 100 tiques (cloisons, réorganisation places). Les premiers seront très tou- des espaces, désinfection, équi- chés, parce qu’ils ne seront plus très pements sanitaires…) estimé à jeunes, parce qu’il y a eu une forte 0,15 € par m2, et la baisse de 15 % surproduction et peut-être aussi parce de la productivité liée à la mise en que les passagers hésiteront à passer œuvre de ces mesures. Le Comité de 8 à 12 h ou plus dans un espace national routier (CNR) croise confiné. Les seconds revoleront plus cette analyse. Selon l’activité du facilement, mais moins sur les courtes transporteur routier et les caracté- distances (en France, ils seraient ban- ristiques de sa flotte, le coût lié à nis des parcours ferroviaires de moins la fourniture d’EPI, aux opérations de 2h30) et plus sur les marchés de nettoyage et de désinfection aériens intérieur robustes (Australie - des véhicules et des locaux serait Les mesures sanitaires ont un coût pour toute la logistique. © DR Canada - Chine - Etats‑Unis - Russie). compris entre 3 et 32 € par jour et Enfin, les avions régionaux, dont assez peu ont été immobilisés par véhicule avec un médian à 13 €. Le CNR a également (entre 20 et 40 %, selon les modèles) devraient être mieux utilisés calculé le poids économique du chômage partiel et de la que naguère. Au final, dans un futur très proche, près de 6 000 prime défiscalisée pour les transporteurs routiers de mar- A320 et 737 de plus de 15 ans (et un peu moins de gros porteurs) chandises. Ces mesures renchériraient jusqu’à 83 % le seront sous-utilisés, voire pas du tout. coût salarial depuis le 1er juin (date du passage de 100 % à 85 % de la prise en charge par l’Etat dans le dispositif « chômage partiel »). Une grosse quantité de pièces de rechange, issues du retrait et du démantèlement de nombreux avions, arrivera sur le marché de l’occasion. Quant aux coûts de maintenance, de Ces surcoûts impactent les marges des transporteurs réparation et de visites techniques, ils vont se réduire car, avec et logisticiens dans un contexte de forte contraction de leur mille avions ou plus retirés annuellement, les transporteurs se- chiffre d’affaires. Pour les premiers, la Fédération nationale ront incités à acquérir de nombreux moteurs et équipements des transports routiers (FNTR) évalue leur baisse de recettes d’occasion et à repousser ainsi des achats de neuf. En clair, à 40 % entre mars et mai. Ce repli se conjuguerait à une forte l’industrie s’attend à une baisse d’activité du secteur de 50 à tension sur les tarifs et des flux désorganisés augmentant les 60 %, pour 2020 et bien au-delà. Mathieu Saint-Yves kilomètres parcourus à vide. Erick Demangeon

8 TI&M n° 521 - mai - juin 2020 Questions d’actualité

Exploitation

Double peine pour les opérateurs du trafic transmanche trafic passager. Eurostar assure un service minimum. Cette La crise de la Covid-19 et le Brexit, qui n’a pas encore pro- quatorzaine ne touche cependant par le trafic de poids duit ses effets économiques, pourraient bien entraîner une lourds dont les conducteurs n’ont pas à s’y soumettre, ce restructuration du marché des opérateurs du marché trans- qui limite l’impact pour les opérateurs mixtes. manche que se partagent ferries - principalement DFDS, P&O, Brittany Ferries -, navettes ferroviaires Eurotunnel et l’entreprise ferroviaire Eurostar. Fin 2019, sur la mer, Difficile de pronostiquer qui sortira renforcé ou en les ferries dominaient le trafic poids lourds avec 59,6 % de état de survie, sans connaître les chiffres de chacun (acti- part de marché, le tunnel l’emportant sur le transport de vité commerciale etc.). Seul Getlink (maison mère véhicules de tourisme avec 56,9 %. Pour tous, déconfine- d’Eurotunnel), coté en bourse, est tenu de publier les siens. ment ne rime pas avec soulagement. Déjà affaiblis par le Entre janvier et mai, le nombre de véhicules de tourisme confinement qui a abouti à l’arrêt du trafic transfrontalier transportés par ses navettes a par exemple chuté de 48 % de voyageurs dans l’Union européenne, l’épreuve continue alors que le trafic de camions a plutôt tenu le choc (-19 %). en raison de la spécificité britannique. Si la France a com- Dans le détail, on peut mesurer l’effet massif du confine- mencé à lever progressivement le confinement à partir du ment : - 46 % en mars, - 91 % en avril, - 81 % en mai soit 11 mai, l’effet positif en a été annulé par la mise en place, seulement 41 000 véhicules de tourisme contre 213 600 en le 8 juin, d’une quatorzaine imposée par Londres aux voya- mai 2019, sachant que le confinement a fait disparaître le geurs arrivant sur l’île. La mesure est réexaminable toutes transport d’autocars intégré au trafic tourisme dans les sta- les trois semaines, mais revient à casser tout redémarrage tistiques. Reste qu’ayant diversifié ses activités (télécom, et à dissuader le tourisme estival. D’autant que dans le transport d’électricité etc.), Getlink peut sembler plus so- sens inverse, les Britanniques ne sont pas autorisés à sor- lide. Quant à Eurostar, son trafic transmanche avait baissé tir du Royaume-Uni. Britanny Ferries a de fait stoppé tout de 20 % durant le premier trimestre. M.F.

Le trafic transmanche mis à l’arrêt par la crise de la Covid-19. © M. Fressoz

TI&M n° 521 - mai - juin 2020 9 Questions d’actualité

12,68 Md€

Ce sera, selon la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France dans son « Rapport d’observations définitives » (www. cccomptes.fr/fr/crc-ile-de-france) remis le 15 juin dernier, l’encours de la dette d’IDFM (Ile-de-France Mobilités) en 2030 si l’autorité organisatrice francilienne veut réaliser l’ensemble de son programme d’investissements à cet horizon. Ce programme, qui a augmenté de 80 % entre 2013 et 2018 (il a atteint cette année-là 1,11 Md€), est en effet depuis l’ori- gine « largement financé par l’emprunt ». La dette avait atteint 1,93 Md€ en 2018. Plus de 22 Md€ d’investissements sont prévus entre 2018 et 2030, dont 14,9 Md€ au titre du matériel roulant ferré et tramway. Selon la chambre, la capacité d’autofinancement d’IDFM deviendrait négative en 2024 et s’aggraverait ensuite. Il lui manquera 1,06 Md€ par an entre 2023 et 2030 pour équilibrer son budget. En cause, la hausse des coûts d’exploitation (2 078 M€ en 2030) due à la mise en service des nouvelles lignes (celles du Grand Paris Express représenteraient 42 % du total) et du renforcement de l’offre de transport dans la région, matériels compris. Pour financer ces projets, le service de la dette serait donc « multi- plié par dix entre 2018 et 2030 », rendant impossible un recours à l’emprunt du fait des « règles financières qui régissent IDFM ». Solutions préconisées par l’autorité et étudiées par la chambre : hausses tarifaires (variables selon la fréquen- tation et les recettes tarifaires), lissage des investissements, hausse du versement mobilité (ex-VT) et des contributions des collectivités, efforts de productivité des opérateurs. IDFM prévoit 8,54 Md€ de ressources supplémentaires entre 2023 et 2030, jugées « hypothétiques » par la chambre régionale. Rien n’est joué et des choix devront être faits. D’autant que le fort impact du confinement sur les recettes n’a pu être pris en compte dans le rapport. TI&M avait anticipé cette situation dans le dossier de son n°518 (novembre-dé- cembre 2019) : « 2020-2030, dix ans pour révolutionner le système de transport en Ile-de-France », complété par un grand entretien avec Laurent Probst, directeur général d’IDFM. Ce dernier répond d’ailleurs au rapport de la chambre. Nous renvoyons nos lecteurs à ces documents. Michel Hagège

Aménagement

Le Brexit a joué en faveur de la LGV Londres-Birmingham, gouvernement pour éclairer sa décision. Londres a jugé que qui profite aux Français les avantages l’emportaient. L’infrastructure soutenue par les C’est parti, malgré une facture qui explose. La préparation milieux d’affaires doit favoriser l’attractivité d’un Royaume-Uni du chantier de génie civil de High Speed 2 (HS2) est pas- désormais en concurrence avec l’Union européenne du fait sée à la phase active, après que Boris Johnson ait donné son du Brexit. Londres et Birmingham seront distantes de 45 mi- feu vert en février à la construction de la première phase de nutes au lieu de 1H30. En outre, HS2 doit contribuer à ce la ligne, entre Londres et Birmingham. Le premier ministre que le Royaume-Uni atteigne la neutralité carbone en 2050. Et britannique a pris sa décision en dépit d’une facture consi- d’ici la mise en service du premier tronçon au mieux en 2031, dérable. Ce tronçon de 215 km, dont 50 en souterrain et 16 ce chantier financé dans le cadre d’une politique de relance en viaduc, devrait selon lui coûter entre « 40 et 50 Md€ », ce budgétaire va soutenir l’emploi avec plus de 10 000 postes qui place le prix d’1 kilomètre de LGV à environ 200 M€. Le créés. Le devis record s’explique par plusieurs éléments mal coût de la totalité de HS2 entre Londres et Leeds/Manchester pris en compte jusqu’ici : le nombre record de tunnels, des est quant à lui évalué à plus de 117 Md€, soit 15 à 20 % de cours d’eau à détourner et des terrains coûteux à acquérir, à plus que la précédente estimation ! Ce dérapage a été éta- Londres notamment. bli par un rapport officiel commandé en août 2019 par le

Alors que le programme « grande vitesse » français se tarit, l’Angleterre apporte un débouché aux groupes hexago- naux ayant acquis l’expérience des LGV. Vinci et son associé à 50-50 Balfour Beaty ont ainsi décroché le 1er avril un contrat de 5,7 Md€ pour construire 90 km de lignes sur deux lots si- tués autour Birmingham avec 200 ouvrages d’art au programme. Début des travaux prévu cet été. Ce même grou- pement a obtenu en septembre 2019 de construire la gare Old Oak Common à Londres, Systra étant aussi de la partie. De son côté, Eiffage associé à deux autres partenaires a hérité d’un lot de 80 km de ligne pour 2,6 Md€. Quant à Bouygues, dans le cadre d’un consortium, il a débuté la préparation des travaux d’un tronçon de 21,6 km au nord-ouest de Londres - avec un viaduc de 3,4 kilomètres et deux tunnels de 15,7 km chacun (Chilterns Tunnels)-. Le marché s’élève à 1,8 Md€. Mais les Français ne raflent pas tout. A titre d’exemple, un consortium international, Kanska, Costain, Strabag va creuser des tunnels à l’approche du terminus londonien de la gare Ligne à grande vitesse «HS2» : la première phase du chantier. © HS2 d’Euston pour 1,28 Md€. M. F.

10 TI&M n° 521 - mai - juin 2020 Questions d’actualité

Stratégies

Quel avenir pour Boeing ? Industrie aéronautique : des lendemains qui déchantent Le transport aérien et la construction aéronautique sont dure- A la suite de la Covid-19, l’industrie aéronautique s’est retrou- ment touchés par les suites de la Covid-19. Mais pas de la même vée surdimensionnée d’un quart, peut-être même d’un tiers, les façon et ils seront aidés, également de manière différente, par deux tiers de la flotte mondiale ont été immobilisés et la de- leurs gouvernements respectifs. Le cas est particulièrement mande de transport aérien s’est réduite de 90 à 95 %. Airbus et ardu pour Boeing, qui cumule de graves ennuis techniques Boeing ne voient pas une reprise au niveau de 2019 avant fin sur ses rares programmes - civils et 2022. Bien qu’il y ait militaires -, un excès de confiance eu peu d’annulations en soi après plus de trente ans de (contractuellement succès ininterrompus et un com- coûteuses), il y a peu portement capitaliste incontrôlé, de commandes nou- qui l’a poussé à favoriser les di- velles et beaucoup videndes des actionnaires et le de reports de livrai- rachat de ses propres actions, sons. Airbus diminue au détriment de la perfection in- sa production d’un dustrielle, naguère sa marque de tiers, Boeing sans fabrique et du recrutement d’ingé- doute plus (avec huit- nieurs imaginatifs. Certes « too big cents 737Max en to fail » pour disparaître, Boeing y stock, parqués chez perdra sans doute beaucoup, car il lui ou livrés chez va mal dans deux domaines essen- les clients) et leurs tiels. Techniquement tout d’abord. fournisseurs, beau- Ses deux programmes civils en coup plus, car les cours sont sinistrés ou en retard deux avionneurs ont (737Max et 777X), aucun nouveau utilisé leurs stocks programme n’est lancé et ses pro- et fortement réduit grammes militaires ont connu de les commandes. En gros et coûteux échecs (Starliner - France, l’industrie retards coûteux du « Future Combat aéronautique au Systems » -, suspension par l’US sens large - 300 000 Air Force de la livraison des tankers emplois et 58 Md€ KC-146). de chiffre d’affaires Financièrement ensuite. En - bénéficie, depuis mars 2020, Boeing annonçait le 9 juin, d’un plan 15Md$ de liquidités et 9,6Md$ de d’aide de 15 Md€. crédit renouvelable, mais 27Md$ Les aides à Air de déficit en 2019, 4,3Md$ de France sont impor- dépenses mensuelles courantes tantes (7 Md€, dont 4 de production et d’aides à ses en aides directes et 3 sous-traitants, 4Md$ pour le ser- sous forme de prêts vice de sa dette et 4,2Md$ pour garantis par l’Etat) l’achat du programme E-Jet d’Em- mais les conditions braer, finalement remis en cause qui y sont attachées en mai 2020. Le passif est lourd : (suppression de immobilisation de plus de huit- Premier vol du Boeing 737 Max 7 en mars 2018, au-dessus du Mont Rainier, USA. © Boeing lignes, sortie de cents 737Max (dont 387 livrés), flotte d’avions âgés, suspension du paiement des dividendes aux actionnaires et réduction des coûts, « décarbonisation » accrue de la flotte) ne des rachats d’actions, fermeture d’une usine pour cause sa- sont pas neutres et ne pourront éviter des questions sensibles, nitaire (Puget Sound/Etat de Washington) et suspension du notamment la réduction des effectifs et le ralentissement des travail dans une autre (Charleston/Caroline du Sud), des licen- embauches. ciements et des incitations au départ.

L’afflux de capitaux a permis à l’industrie aéronautique De tels résultats sont d’autant plus mal vécus aux Etats- de connaître une vive croissance au cours des dernières an- Unis que Boeing demande 60Md$, que Washington nées. Nombre de fusions/acquisitions ont entraîné une forte conditionne à des contreparties inhabituelles : émission d’obli- concentration (ceux qui ont survécu parmi les petits industriels gations convertibles en actions, suspension par Boeing du sont à court de liquidités), la suppression, par les grands in- versement de dividendes, du rachat d’actions et de l’acquisi- dustriels, des goulets d’étranglement de leur production, et le tion d’entreprises, et fortes mesures de réorganisation interne, renforcement de la chaîne d’approvisionnement. Reste à sa- afin d’éviter le renouvellement des fautes cumulées de voir si cette situation permettra au secteur de rebondir 2018/2019. M.S.Y. rapidement après la crise sanitaire. M.S.Y.

TI&M n° 521 - mai - juin 2020 11 Questions d’actualité

Tutelle

L’ART modifie sa voilure pour réguler l’aérien Synérail et SNCF Réseau font baisser la facture du GSM-Rail L’Autorité de régulation des transports (ART), qui exerce Synerail, le consortium qui gère actuellement le réseau depuis octobre 2019 des compétences aéroportuaires, a de GSM-R, a annoncé début juin avoir réussi à refinancer remodelé son organisation. Elle a élargi en mai sa direction une part de sa dette dix ans après la signature avec SNCF financière en « direction des affaires financières et aérienne Réseau d’un contrat de partenariat portant sur ce sujet. Le (DAAF) ». Pourquoi ce traitement spécial réservé à ce mode ? groupement formé par Vinci concessions (70 %) et SFR Il a fallu à la fois s’adapter très vite avec des moyens humains (30 %) a, dans les premières phases du contrat, avancé limités et tenir compte des spécificités de la régulation de l’aé- les fonds et construit un système mobile de télécommuni- rien. Celle-ci est moins complexe que celle du ferroviaire et cation dédié au réseau ferré. Il vient d’emprunter 53 M€ à ses ressorts sont essentiellement financiers, explique-t-on au un pool de trois banques pour rembourser la dette senior, siège du régulateur. L’argument saute aux yeux. La première qu’il avait contractée au départ à un taux moins intéressant. mission de l’ART revient à homologuer chaque année les ta- Avantage pour le partenaire privé : un plan de financement rifs des redevances aéroportuaires ; la seconde à émettre un et une gestion de trésorerie optimisée sur la durée restante avis conforme sur les projets de contrats de régulation éco- du contrat qui prendra fin en 2025. A cette échéance, SNCF nomiques (CRE) pluriannuels entre l’Etat et les exploitants Réseau gérera en direct le système GSM-R couvrant envi- d’aéroports. Le prochain doit être le CRE de 4e génération qui ron 16 000 km de voies ferrées, où passe l’essentiel du trafic régira les rapports entre ADP et l’Etat à partir de 2021. Mais la ferroviaire. SNCF Réseau, le partenaire public, trouve aussi crise de la Covid-19 va peut-être modifier le planning du régu- son compte dans ce refinancement. « L’opération se traduit lateur. ADP a en effet demandé la suspension de l’actuel CRE par une diminution du loyer trimestriel versé à Synerail sur qui n’a plus de sens avec la quasi-interruption du trafic aérien, la durée restante du contrat » détaille Ammar Rifai, le di- ce qui pourrait décaler le prochain. En tous cas, pour valider recteur général adjoint du consortium. A la différence d’un les tarifs aéroportuaires de Côte d’Azur, ADP, Mulhouse, concessionnaire qui rembourse sa dette et se rémunère Toulouse, la direction financière de l’autorité indépendante avec ses revenus commerciaux (comme Lisea sur la LGV s’est appuyée sur une dizaine de personnes déjà en place au Tours-Bordeaux qui perçoit des péages et qui a d’ailleurs sein de différentes directions (juridique, économique etc.) qui refinancé 2,2 Md€ de dette en 2019), le titulaire d’un par- se partagent entre plusieurs modes (ferroviaire, autoroutier tenariat public-privé (PPP) de type contrat de partenariat etc.). En principe, cette structuration a vocation à perdurer. perçoit un loyer versé par la partie publique.

Gestion par Synérail du réseau de GSM-R de SNCF Réseau. © Synérail L’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. © Sorbis-Shutterstock

En 2020, les effectifs de l’ART atteignent 94 équivalents Le contrat de partenariat du GSM-R a été le premier temps plein (ETP). Cela correspond à onze nouveaux postes PPP utilisé par l’ex-RFF (SNCF Réseau aujourd’hui), avant dont deux de vice-présidents supplémentaires (Florence ceux signés pour construire trois LGV. Il a porté sur un mon- Brousse et Patrick Vieu) prévus par la LOM, et trois seulement tant de plus de 900 M€ étalé sur les quinze années du contrat : affectés aux trois nouvelles compétences que cette même loi a 520 M€ pour les travaux et 430 M€ pour la maintenance. Le accordées au régulateur : l’aérien, la RATP comme gestionnaire financement a été monté de cette façon : 58 M€ de fonds d’infrastructure, et l’ouverture des données. En vue de la prépa- propres amenés par les actionnaires, 160 M€ d’apport de RFF ration de la loi de finances 2021, Bernard Roman le président de et une dette de 520 M€. Depuis l’origine, l’actionnariat s’est l’Autorité demandera à l’Etat des postes supplémentaires, esti- concentré. Vinci (30 % à l’origine) a racheté les parts d’Axa et mant ne pas avoir encore les moyens suffisants. M. F. de TDF. M. F.

12 TI&M n° 521 - mai - juin 2020 Questions d’actualité

LOW COST EasyJet : La compagnie comptait redémarrer ses vols le 15 juin sur 21 aéroports européens dont le Royaume-Uni, la Suisse et la France. Elle prévoit de relancer 50 % de ses 1 022 lignes en juillet et 75 % en août. 140 destinations au départ de la France seront desservies en juillet et plus de 200 en août.

Beauvais-Tillé : Principale base de Ryanair en France, l’aéroport de Paris-Beauvais a réouvert ses portes le 14 juin, après trois mois de fermeture. Un seul vol Wizzair en provenance et à destination de Sofia, en Bulgarie, était néanmoins au pro- gramme pour cette première journée. La reprise de Beauvais-Tillé sera très progressive, avec seulement de 25 à 35 % du trafic habituel prévus fin juillet.

Billets : L’Autriche a déclaré vouloir interdire la vente de billets d’avions à moins de 40 euros. De plus, elle annonce une me- sure inédite avec la création d’une taxe de 30 euros applicable sur les vols de moins de 350 kilomètres. De son côté, Ben Smith, le patron d’Air France, a annoncé début juin que la compagnie ne proposerait plus de lignes aériennes intérieures dans l’Hexagone si le TGV assurait la même liaison en moins de 2h30. Lyon et Bordeaux sont concernées au premier chef.

Ryanair : La compagnie irlandaise, qui dispose de liquidités importantes, compte redémarrer en force, en lançant notamment une guerre des tarifs avec des billets à partir de 1 euro. Selon Michael O’Leary, la compagnie « va vendre à perte pour inciter les gens à voyager de nouveau » en divisant par deux le prix des billets en juillet et en août. De même, Ryanair annonce la suppression de tous les frais liés à un changement de vol durant les deux mois d’été. La compagnie pense relancer 40 % de ses vols à partir du 1er juillet, soit 1 000 vols quotidiens. Ces perspectives risquent d’être contrariées par l’annonce par le gouvernement de Boris Johnson, le 22 mai dernier, de la mise en quarantaine des passagers arrivant sur le sol britannique. Jean-Claude Pennec

Développement durable

Le transport de fret méconnaît-il la RSE ? La responsabilité sociétale ou sociale des entreprises (RSE) L’absence de stratégies RSE structurées dans le do- définit l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupa- maine des transports de marchandises interpelle puisque tions sociales et environnementales à la viabilité économique 93 % du panel déclare qu’une transition vers un transport de leurs activités. Dans l’industrie et la distribution, son pé- « responsable » est nécessaire. Les raisons évoquées sont rimètre varie sensiblement, constate le cabinet de conseil réglementaires, liées à l’image et économiques. L’importance spécialiste dans l’optimisation logistique Bp2r. Son enquête de cette transition est également reconnue pour lutter contre auprès d’une cinquantaine d’industriels et distributeurs relève le changement climatique, améliorer la qualité de l’air ou ré- que 70 % sont engagés dans une politique RSE mais que 26 % duire les nuisances urbaines. Cette prise de conscience de ces démarches font l’objet de plans spécifiques destinés à devrait se traduire par un renforcement des démarches RSE leurs transports de marchandises. Ces derniers bénéficient en dédiées aux transports de marchandises assure Bp2r. Sous revanche dans un tiers des cas d’actions « ponctuelles sans quels délais ? E.D. stratégie RSE établie pour les encadrer ». Ces me- sures visent principalement à réduire leur empreinte car- bone : massification des flux, optimisation du remplissage des véhicules, mutualisation, report modal… Si 75 % du panel mesure les émissions de gaz à effet de serre de leurs transports, ce suivi ap- paraît incomplet. En outre, il ne cible qu’un ou plusieurs segments : amont, aval, un mode, trajets domestiques et/ou internationaux. Les ou- tils utilisés pour ce suivi sont également très hétérogènes. Enfin les motorisations alter- natives sont peu citées au motif qu’elles manquent de visibilité sur leur pérennité ou sont encore mal adaptées pour une série de transports. Transport «vert» de grumes par rail entre la Norvège et la Suède. © Green Cargo

TI&M n° 521 - mai - juin 2020 13 Questions d’actualité

EN BREF

ntroduite depuis le 1er janvier 2019, l’exonération du gagne sept rangs par rapport à 2019. L’Oréal se distingue Ipéage allemand LKWMaut pour les poids lourds de plus aussi passant de la 15e à la 10e place mondiale. Les en- de 7,5 tonnes a été prolongée jusqu’à fin 2023. Votée par le treprises figurant dans ce classement sont extraites des Bundestag le 14 mai dernier pour lutter contre le changement listes Fortune Global 500 et Forbes Global 2000, déclarent climatique et améliorer la qualité de l’air, cette décision s’ap- un chiffre d’affaires d’au moins 12 Md$ et ont des chaînes plique aux camions fonctionnant au gaz naturel compressé d’approvisionnement appliquées à des produits physiques. (GNC) et liquéfié (GNL). Le gain pour leurs utilisateurs est Les 300 groupes tirés de ce premier tri sont analysés se- notable puisque le montant de la LKMaut s’élève à entre 9,3 lon quatre critères qui déterminent 50 % de la note finale : et 18,7 centimes d’euro par kilomètre pour les véhicules de trois financiers et un RSE. Les autres 50 % proviennent d’un 7,5 à 44 tonnes motorisés Euro VI diesel. panel d’experts composé d’analystes Gartner (25 %) et de ——————————————- professionnels de la supply chain (25 %). epuis le 25 avril, le plus grand porte-conteneurs au ——————————————- Dmonde navigue entre l’Extrême-Orient et l’Europe uite à un appel à initiatives privées lancé en novembre pour l’armement sud-coréen Hyundai Merchant Marine. S2019, l’Eurométropole de Strasbourg a attribué à Engie Baptisé « HMM Algeciras », il affiche une capacité de 23.964 Solutions associée à Freshmile le déploiement de 92 EVP et a été construit par le chantier sud-coréen Daewoo bornes de recharge électriques sur son territoire. Equivalent Shipbuilding & Marine Engineering (DSME) à Geoje. Long à 150 points de charge normale, rapide ou très rapide, leur de 400 m et large de 61 m, son tirant d’eau au maximum de aménagement débutera cet automne pour s’achever au sa charge s’élève à 16,5 m. Dans sa rotation européenne, il premier semestre 2022. L’accès à ces bornes sera facturé dessert Algésiras, , Anvers et Gateway. via abonnement ou à l’acte selon l’énergie consommée et D’ici fin septembre, Hyundai Merchant Marine réceptionne- le temps de charge. Le déploiement de ces bornes s’inscrit ra onze autres porte-conteneurs de même capacité : six dans la mise en œuvre d’une zone à faibles émissions et construits par DSME et cinq par le chantier sud-coréen est encadré par une convention de 15 ans. Durant cette Samsung Heavy Industries (SHI). période, la collectivité recevra une redevance de la part ——————————————- des deux entreprises qui s’engagent à investir 2 M€ d’ici u cours d’une année marquée par une guerre com- mi-2022 et jusqu’à 16 M€ sur 15 ans, selon les nouvelles Amerciale entre la Chine et les Etats-Unis, DHL Global installations demandées par Eurométropole. Forwarding a maintenu son leadership mondial sur le mar- —————————————- ché de la commission de transport aérien en 2019. Selon le omment évaluer la reprise de l’activité logistique dans la consultant Armstrong Associates, il devance Kuehne+Nagel Cpériode post pandémique Covid-19 ? Pour y répondre, le et DB Schenker. Si ce « top 3 » reste inchangé, le nouvel en- Cerema a bâti une plateforme web pour suivre le trafic routier semble DSV-Panalpina se hisse désormais en 4e position, avec un focus particulier sur la circulation des poids lourds gagnant cinq places devant UPS Supply Chain Solutions. et autocars. A partir de 1 200 stations de comptage réparties S’agissant des groupes français, Bolloré Logistics se classe sur le réseau routier non-concédé hors Corse, cette base en 8e position devant Ceva Logistics, filiale du groupe CMA accessible à tous a permis de constater une baisse jusqu’à CGM (13e) et Geodis (19e). Selon Armstrong Associates, le 75 % du trafic routier pendant le confinement et de 10 à 25 % trafic consolidé des 25 premiers transitaires aérien s’élève selon les zones de mesure lors de la première semaine de à 15,4 Mt et aurait reculé de 7,8 % en 2019 sur un marché déconfinement. Actualisé chaque jour avec les données de global de 61,2 Mt en baisse de 3,3 % (Source IATA). l’avant-veille, l’état du trafic est complété pour les camions de ——————————————- leur chargement moyen, et sera étendu à terme aux princi- partir d’un recensement assuré depuis 2015 par le Cerema, pales agglomérations, routes départementales et autoroutes Ale répertoire national des installations terminales embran- (http://dataviz.cerema.fr/trafic-routier). chées est sur le point d’être achevé. Présenté le 26 mai lors —————————————- du séminaire digital « Connaissances ferroviaires » de Norlink ans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) Ferroviaire, il rassemble 2 400 ITE sur les 2 800 dénombrées D« projets innovants d’envergure européenne ou natio- en France. Pour chacune, la Base ITE 3000 précise plusieurs nale sur la conception, la production et l’usage de systèmes informations : localisation, rattachement au réseau ferré, raison à hydrogène », lancé le 27 janvier 2020, le carrossier in- sociale de l’embranché, type et tonnage des marchandises trai- dustriel de véhicules frigorifiques Chéreau ambitionne de tées, fréquence des trains avec régions de provenance et de créer une chaîne logistique du froid décarbonée utilisant de destination... Sur les ITE recensées, seules un tiers sont exploi- l’hydrogène vert. Baptisé H2Coldchain, ce projet prévoit le tées dont 15 % avec plus d’un train par jour et 32 % avec plus développement de semi-remorques frigorifiques à hydro- d’un train par semaine. SNCF Réseau estime toutefois que 75 à gène (et dès que possible leurs tracteurs) ainsi que des 80 % du fret ferroviaire national est au départ ou à destination de points de production et de recharge. Alimentée par énergie ces installations. Actualisée, la Base ITE 3000 pourrait s’avérer solaire, la production combinerait un électrolyseur et des très pertinente pour la relance du mode. capacités de stockage répartis sur chaque maillon de la ——————————————- chaîne logistique pour approvisionner les véhicules. Pour our sa 16e édition, le classement des 25 meilleures Chéreau, cette approche éviterait l’aménagement d’un ré- Psupply chain mondiales réalisé par Gartner place Cisco seau public de distribution et les distances à parcourir pour Systems en première position, suivi de Colgate-Palmolive, faire un « plein ». Sur la base des dossiers remis, des ap- Johnson&Johnson et… Schneider Electric. Entré dans ce pels à projets soutenus par des financements nationaux et/ classement il y a seulement quatre ans, le groupe français ou européens seront lancés d’ici fin 2020 et en 2021.

14 TI&M n° 521 - mai - juin 2020 Questions d’actualité

Gouvernance

RATP Smart Systems prend une nouvelle direction Le groupe RATP a recruté l’ex-directeur digital du groupe Depuis 2013, l’ancienne Ixxi, La Poste, Eric Alix, pour diriger sa filiale numérique, RATP qui dépend de RATP Dev, a connu Smart Systems (RSS), anciennement IXXI. Agé de 49 ans, un essor continu en ayant su capter ce diplômé de l’Ecole supérieure des travaux publics a la vague de développement des commencé sa carrière comme consultant notamment chez services numériques dans le trans- Eurogroup, avant de prendre des fonctions opérationnelles port collectif. Son chiffre d’affaires dans le numérique. A son précédent poste chez Bouygues est passé de 11 M€ à plus de 30 M€ Telecom (2009-2015) il a développé de « nouvelles offres de en 2019, tout en étant générale- services dont certaines concernent le transport » a précisé ment rentable. Elle réalise la la RATP en annonçant son arrivée le 14 mai. Eric Alix suc- majorité de son activité dans la bil- cède à un dirigeant au profil plus politique, Pascal Auzannet, lettique, autour de 20 % dans qui était à la tête de la filiale depuis 2013. Cette figure des Eric Alix. © DR l’information voyageurs, un peu transports collectifs, ex-conseiller du ministre des Transports moins dans les systèmes d’aide à l’exploitation. Autre trait mar- Jean-Claude Gayssot entre 1997 et 2002, a contribué à fa- quant : un développement important à l’international avec une çonner le projet du Grand Paris Express. D’abord à la tête présence dans une dizaine de pays (du Vietnam au Chili en pas- du département stratégie de la RATP, puis à la Datar comme sant par l’Algérie ou la Côte d’Ivoire). Mais la question du préfigurateur. Il a eu l’occasion de retracer l’aventure de ce recentrage géographique des activités de RATP Smart Systems projet dans les Secrets du Grand Paris (Ed. Hermann), dont aurait fait partie des divergences stratégiques entre Pascal une mise à jour est sortie en mai. Auzannet et la présidente de la RATP Catherine Guillouard. M.F.

Régulation

Epilogue pour le « paquet » routier européen Pour lutter contre les entreprises « boîtes aux lettres », les Proposé par la Commission européenne en mai 2017, le sociétés de transport routier devront avoir des activités « consé- Paquet routier est depuis le théâtre d’âpres négociations quentes » dans l’Etat membre où elles sont enregistrées. Les entre Etats membres nouvelles dispositions dits de l’Ouest et ceux exigent également que d’Europe de l’Est et les camions retournent centrale. Au cœur de au centre opérationnel ce bras de fer : la ré- de l’entreprise toutes gulation du mode. Le les huit semaines. 8 juin, la Commission Quant aux transports transport du Parlement internationaux effec- européen a voté en tués par utilitaires de deuxième lecture en moins de 3,5 tonnes, faveur des positions leurs opérateurs seront défendues par les pre- désormais soumis aux miers dont la France. mêmes règles que les Ce vote confirme que autres transporteurs in- les conducteurs rou- ternationaux et devront tiers internationaux équiper leurs véhicules devront rentrer chez de tachygraphe. Les eux à intervalles ré- conditions du déta- guliers, soit toutes chement des salariés les trois ou quatre se- s’appliqueront enfin maines en fonction Les camions devront retourner au centre opérationnel de l’entreprise toutes les huit semaines. © Rewe aux conducteurs avec de leurs horaires de quelques exceptions travail. Le repos obligatoire hebdomadaire ne pourra plus comme le transit ou les opérations bilatérales. s’effectuer dans la cabine du véhicule et, dans le cas d’un découché hors domicile, les frais d’hébergement seront à la charge de l’employeur. Ces nouvelles dispositions seront soumises à un ultime S’agissant du cabotage, le statu quo prévaut sur sa durée : vote du Parlement européen en juillet. Elles seront validées à trois opérations en sept jours. Afin de prévenir le « cabotage la condition qu’aucun amendement ne soit adopté à la majori- systématique », une période de carence de quatre jours sera té absolue. Dans le cas le plus probable d’un vote de introduite toutefois avant tout nouveau cycle dans le même confirmation, les règles sur le détachement et sur l’accès au pays avec le même véhicule. Le contrôle de cette mesure marché interviendront dix-huit mois après la publication du sera assuré à l’aide de la nouvelle génération de tachygraphe texte final, tandis que celles sur les temps de repos entreront dit « intelligente » obligatoire dans les véhicules dès 2025. en vigueur vingt jours après cette publication. E.D.

TI&M n° 521 - mai - juin 2020 15 Questions d’actualité

AGENDA 2-4 octobre 2020 Annecy, 22e congrès de la FNAUT. Thème : « Contre le réchauffement climatique, contre la dépendance automobile, le rôle des transports collectifs ». https://www.annecy2020-fnaut.fr

16-20 novembre 2020 Lyon, Solutrans. « Carrefour mondial du véhicule industriel et urbain », organisé par la Fédération française de carrosserie. www.solutrans.fr

19-21 janvier 2021 Montrouge (92), 48e congrès ATEC-ITS France. Thème : « Accessibiité, sécurité, résilience, innovation ». [email protected].

Gouvernance

Dans l’attente d’un « CILOG » ainsi ébranlé par cet événement interne inouï. Il survient La crise sanitaire de la Covid-19 a bouleversé les agen- alors que le groupe a besoin d’être en ordre de bataille dans das. Dans la phase post-pandémique, France Logistique le cadre de la libéralisation du réseau TER à l’occasion de rappelle aujourd’hui à l’Etat ses engagements pour la te- laquelle plusieurs régions ont lancé des appels d’offres. Le nue d’un Comité interministériel de la logistique (CILOG) communiqué émis par justifie ce renvoi par des « di- programmé initialement fin mars, début avril. Dans cette at- vergences stratégiques importantes » entre le dirigeant et tente, l’association présidée par Anne-Marie Idrac souligne le conseil de surveillance où siègent les représentants des « le rôle de la filière dans l’approvisionnement quotidien actionnaires, la SNCF (70 %) et la Caisse de dépôt et consi- des Français et de l’ensemble des acteurs économiques » gnation du Québec (30 %). En cause, une mauvaise entente pendant la crise. Dans la phase de relance actuelle, elle a entre Patrick Jeantet qui faisait son retour chez Keolis, et transmis à l’Etat sept propositions pour soutenir et stimuler Joel Lebreton, le président du conseil de surveillance, qui le secteur qu’un prochain CILOG pourrait détailler. Dans avait l’habitude d’exercer une cogestion étroite avec le l’immédiat, la sauvegarde de la trésorerie des entreprises précédent président du directoire, Jean-Pierre Farandou. est considérée comme prioritaire ainsi que leur capacité Des recrutements sans concertation de dirigeants venus, d’adaptation à partir de simplifications et/ou dérogations comme Patrick Jeantet, de SNCF Réseau (Jean Ghedira, administratives notamment. Autour des modes de trans- Marc Berthod) lui seraient reprochés, tout comme le projet port, la fiabilité des transits portuaires et la reconquête de réaliser des acquisitions, dont celle d’Arriva. Toutefois, des approvisionnements aériens sont défendues ainsi que on indique du côté du président démis que les grandes le report modal via le soutien au rail et à la voie d’eau. orientations devaient être fixées à l’occasion d’un séminaire L’optimisation de la distribution urbaine corrélée à la réduc- des dirigeants qui était prévu en juin. Les actionnaires ont tion de son empreinte carbone figure également avec la tranché le conflit en faveur de Joël Lebreton (70 ans) dont relocalisation et la construction d’entrepôts sur le sol natio- le mandat doit s’arrêter prochainement en raison de la li- nal pour accroître l’indépendance logistique de la France. mite d’âge. Ils l’ont vu comme le gardien du temple façonné par Jean-Pierre Farandou. Keolis avait déjà connu un pré- sident éphémère en 2012 mais dans un tout autre contexte. Créée le 8 janvier 2020, France Logistique regroupe et Succédant à Michel Bleitrach, David Azéma avait rejoint coordonne les acteurs privés de la filière logistique. Elle ras- l’Agence des participations de l’Etat quelques mois plus tard. semble à la fois des organisations et associations professionnelles et des entreprises du secteur. Depuis le 11 juin, sa direction générale a été confiée à Constance Maréchal- L’événement a provoqué un choc considérable que les Dereu. Agée de 35 ans, polytechnicienne, ingénieure en chef décisionnaires n’avaient pas imaginé, tant chez le personnel des ponts, des eaux et forêts, elle était inspectrice des finances interne qu’auprès de collectivités clientes de Keolis. Il a depuis septembre 2018. Dans ce cadre, elle a été co-rappor- conduit le gouvernement à intervenir pour limiter la crise qui a teuse du rapport « Pour une chaîne logistique plus compétitive failli se prolonger par une purge des recrues de Patrick au service des entreprises et du développement durable » re- Jeantet. Le secrétaire d’Etat aux transports, Jean-Baptiste mis au Premier ministre le 16 septembre 2019. E.D. Djebbari, a ainsi exigé de Jean-Pierre Farandou, le PDG de la SNCF, le départ anticipé de Joël Lebreton, identifié comme le Des querelles de personnes décapitent Keolis fauteur de trouble par lequel il s’est laissé embarquer. Autre Patrick Jeantet, qui avait pris ses fonctions de président du demande : le choix rapide d’une nouvelle gouvernance. directoire en février, a été brutalement limogé par le conseil L’épisode tombe mal car Keolis a abordé la crise du Covid-19 de surveillance le 2 mai. Deuxième champion français (6,6 sur des bases financières peu solides. L’exercice 2019, le der- Md€ de chiffre d’affaires en 2019) des opérateurs de trans- nier du mandat de Jean-Pierre Farandou, s’est traduit par port collectif derrière Transdev (7,4 Md€), Keolis se trouve 72 M€ de pertes. M. F.

16 TI&M n° 521 - mai - juin 2020 Questions d’actualité

Equipement

Train à hydrogène : après l’Allemagne, les Pays-Bas de type «électrique plus batteries» expérimentés sur d’autres Une rame I-Lint à hydrogène d’Alstom a réalisé avec succès et lignes du réseau avec des rames « Akku » de Stadler, apparaît pendant dix jours (26 février au 6 mars 2020) des essais aux être ici une solution économiquement intéressante en compa- Pays-Bas, de nuit, hors circulations régulières et sans voya- raison de celle d’électrifications dont la rentabilité ne geurs. Ils ont permis de faire circuler la rame à 140 km/h, sa semblerait pas assurée sur les petites lignes néerlandaises vitesse technique maximale, semblable à celles qui sont en en antenne. Michel Chlastacz service commercial depuis près d’un an et demi sur les lignes régionales du réseau « Elb-Weser », au nord de l’Allemagne. Belgique - Pologne : Toujours au nord mais aux Pays-Bas cette fois, la rame I-Lint nouvelle liaison de corridor paneuropéen a fait des allers-retours entre Groningen et Leewarden (65 km) Depuis février 2020, les groupes ferroviaires Lineas (Belgique) sur une ligne non-électrifiée et selon un projet-pilote d’essais et PCC Intermodal (Pologne) ont mis en place une nouvelle mis au point entre ProRail (équivalent néerlandais de SNCF liaison internationale aller-retour trihebdomadaire et d’une Réseau) et le groupe énergétique français Engie sous contrôle durée de 36 heures entre le port belge de Gand et le com- de la société de tests Dekra, responsable statistique des essais. plexe ferroviaire de Gliwice, à l’entrée ouest de la conurbation Une station service mobile de remplissage d’hydrogène industrielle et urbaine de la Silésie minière polonaise. Cette installée par Engie a assuré le rechargement de la rame en nouvelle liaison, dite « Xpress Silesia », étend le réseau hydrogène dans des conditions comparables à celles exis- « Xpress » de Lineas à un ensemble de vingt-et-une destina- tant actuellement sur le réseau « Elb Weser » en l’attente de tions européennes. l’achèvement de la construction d’une station fixe. Une autre expérimentation commerciale de l’I-Lint aux Pays-Bas pourrait dans un avenir proche être lancée sur la ligne Stadkanaal – Une démarche qui devrait réussir, compte tenu de la Veendam – Zuidbroeck (22 km) située au nord-est du pays. forte demande et en dépit des incohérences de la politique Une ligne qui appartient à une association d’amateurs et dont européenne dans l’équipement des grands corridors. Les liai- les services voyageurs réguliers sont opérés par Arriva, filiale sons Allemagne - Pologne via les corridors E 20 et E 30 qui internationale de la Deutsche Bahn. sont empruntés par le nouveau service en offrent un exemple caricatural. Si la partie allemande de l’itinéraire n’est en effet pas ou qu’en faible partie équipée de l’ERTMS (système euro- Le réseau ferré néerlandais totalise 2 809 km de lignes péen de contrôle-commande et de signalisation ferroviaires), dont 73,4 % sont électrifiés, hormis la LGV (Anvers) frontière les locomotives disponibles le sont. Et c’est exactement l’in- belge - et la « Beetuwelijn » dédiée au fret entre verse sur la partie polonaise où les infrastructures sont ad hoc Rotterdam et l’Allemagne. L’hydrogène, comme les systèmes mais pas la traction… M. C.

Rame I-Lint à hydrogène d’Alstom durant ses essais. © Lint Groningen

TI&M n° 521 - mai - juin 2020 17 Questions d’actualité

Mobilité durable

Affiner l’empreinte carbone des entreprises Agence de labellisation et de notation de la performance durable des transports et de la logistique, créée en 2011 par Philippe Mangeard, TK’Blue étend son champ d’intervention avec la nouvelle offre Global Climate Initiatives (GCI). Sous la forme d’un portail digital, elle s’adresse à toutes les entreprises autour de trois prestations. La première est un guichet unique pour comprendre, mesurer, réduire et compenser leur empreinte carbone globale. Ce service s’appuie sur des calculateurs sectoriels d’émissions de gaz à effet de serre (GES) conformes aux réglementations et à des référentiels reconnus (base carbone, GHG Protocol, norme ISO 14 064 etc.). La deuxième pres- tation vise à accompagner les entreprises dans leur démarche d’optimisation pour réduire leurs émissions de GES au moyen d’outils en ligne. Avec le concours de la société Allcot spécialiste des projets de compensation générateurs de crédits carbone, la troisième prestation consiste à fournir une large information sur les programmes de compensation et d’atténuation carbone. Tous les programmes présentés par GCI bénéficient d’une garantie de bonne exécution certifiée auprès de Verified Carbon Standard (VCS) et Gold Standard (GS).

La création de Global Climate Initiatives par TK’Blue porte une ambition plus large de créer une communauté européenne d’experts dans l’amélioration de la performance économique et environnementale des entreprises. Dans cette perspective, GCI mettrait à disposition « d’experts agréés » sa plate-forme, ses outils de calcul sectoriels d’émissions de gaz à effet de serre (GES) et son recueil de programmes de compensation carbone certifiés. E.D.

Sécurité

La Sécurité routière se débloque 2020, de Marie Gautier-Melleray, maître des requêtes au Le 12 mai est paru un décret (n° 2020-561) relatif au comité Conseil d’Etat, comme déléguée interministérielle à la sécurité interministériel de la sécurité routière (CISR) qui interroge. Sa routière et déléguée à la sécurité routière. Quant au fait de ne notice précise tout d’abord que « le texte élargit aux projets d’or- plus parler du ministère des Transports, mais de celui « chargé donnances le champ des textes réglementaires soumis à l’avis de la sécurité routière » (l’Intérieur depuis 2012), c’est juste une obligatoire du CISR », comme c’est déjà le cas en fait des projets mesure préventive devant éviter de devoir modifier tous les de lois et décrets, obligatoirement soumis à l’avis du CISR/GIPSR textes qui mentionnent le ministère de l’Intérieur au cas où (Groupe interministériel permanent de sécurité routière) : voilà qui cette tutelle viendrait à changer. Pascal Pennec évitera d’éventuelles polémiques. Ensuite, le décret prévoit que l’adjoint au délégué à la sécurité routière préside les réunions du (Trop lente) baisse de la mortalité routière en Europe GIPSR « en cas de vacance, d’absence ou d’empêchement du Avec une estimation de 22 800 décès survenus sur les routes délégué à la sécurité routière ». Enfin, « il dispose que le ministre européennes, en 2019, la baisse de la mortalité routière atteint chargé de la sécurité routière (et non plus des transports) peut 2 %, selon la Commission européenne (- 0,1 %, en France). présider le CISR par délégation du Premier ministre ». Limitée, en comparaison à l’année 2018, la baisse est davan- tage marquée depuis 2010, atteignant 23 % (-19 %, en France), soit 51 morts par million d’habitants, contre 67 neuf ans plus tôt. Permettre à l’adjoint au délégué à la DSR de présider les L’Europe reste ainsi la région du monde la plus vertueuse en CISR, cela devait-il inscrire dans la durée le non-remplacement matière de sécurité routière. Huit Etats, dont la France, enre- du DISR ? « L’ex », Emmanuel Barbe, a en effet été promu pré- gistrent en 2019 leur plus faible nombre de décès sur la route. fet de police des Bouches-du-Rhône en février dernier ! En Les chiffres cachent aussi d’importants écarts (variant du simple réalité, une source proche du dossier nous a confié que ce pro- au quadruple) entre la Suède et l’Irlande, pays où les routes sont jet de décret, refusé en son temps, tombait à pic pour débloquer les plus sûres (respectivement 22 et 29 morts par million d’habi- le système en attendant la nomination de la nouvelle ou du tants) et la Roumanie ou la Bulgarie qui affichent les chiffres les nouveau délégué(e). Elle est devenue effective depuis le décret plus préoccupants (96 et 89 morts par million d’habitants). du 24 juin dernier portant nomination, à compter du 29 juin

D’ores et déjà, la Commission s’attend à une baisse substantielle de ces chiffres pour l’année 2020, en raison de l’impact sur les statistiques routières du confinement quasi généralisé en Europe, pendant le printemps. Malgré tout, l’ob- jectif de réduire de moitié le nombre de décès sur les routes entre 2010 et 2020 ne sera pas atteint. Elle projette cet espoir sur la prochaine décennie et plus loin. Elle réitère aussi, par la voix de la Commissaire aux transports, Adina Valean, sa vo- lonté d’atteindre zéro mort sur la route, d’ici 2050. Pour y parvenir, elle compte actionner plusieurs leviers : le renforce- ment de la sécurité des infrastructures et des véhicules (leurs équipements de protection, en particulier), celui de l’applica- tion transfrontalière des infractions routières. Elle prône aussi Marie Gautier-Melleray. © DSR - Ministère de l’Intérieur la baisse des vitesses. Stéphane Chabrier

18 TI&M n° 521 - mai - juin 2020 Face à face

Face à face Nouvelles pratiques de mobilité ou de démobilité : regards croisés au lendemain de la crise sanitaire

Au lendemain de la sortie pour de nombreux pays européens du grand confinement, décidé en réponse à la menace de la Co- vid-19, et de la publication des mesures proposées par la Convention citoyenne pour le climat (CCC) en France, nous avons souhaité discuter avec deux grands témoins éclairés des perspectives économiques, sociétales et comportementales qui pour- raient entraîner (ou pas) une évolution de la mobilité longue distance post Covid et pré transition écologique et énergétique.

Vincent Kaufmann est professeur Jacques Lévy est géographe et ur- de sociologie urbaine et d’analyse baniste, spécialiste de géographie des mobilités à l’Ecole polytechnique politique. Il est professeur honoraire de fédérale de Lausanne (EPFL), où il géographie et d’urbanisme à l’EPFL. dirige le Laboratoire de sociologie Membre du rhizome de recherche urbaine (LaSUR). Il est également Chôros, il enseigne actuellement à directeur scientifique du Forum Vies l’université de Reims et va inaugurer Mobiles, think tank et institut de en septembre la chaire d’intelligence recherche et d’expérimentations sou- spatiale de l’Université polytechnique tenu par la SNCF. des Hauts-de-France (UPHF). © Isabelle Raymond-Maugé - CGEDD © MH

hanger de modèle en termes de mobilité : le doit-on ? Ce qu’il faut comprendre, c’est donc plutôt la dynamique et le peut-on ? le veut-on ? – « sollen, können, wollen », l’avenir de la concurrence entre ces deux modèles qu’un chan- comme le dit la formule consacrée en allemand. Que gement de modèle monolithique. Cpensez-vous d’aborder le sujet avec cette question ? Jacques Lévy - On ne peut pas parler de modèle de mobilité Vincent Kaufmann – Je doublerais cette approche par celle au singulier. Quand on s’intéresse à un phénomène social, on d’un autre couple de modèles de mobilité qui s’opposent et se peut ne s’attacher qu’à la majorité, aux comportements les plus combinent : courants, mais c’est dommage, car on manque alors la pluralité • d’un côté, le modèle de la mobilité réversible, dans lequel qui fait la dynamique du social. Plusieurs modèles coexistent on s’en va et on revient, vite, loin et souvent, mobilité va- le plus souvent, à la fois divergents dans leurs présupposés et lorisée socialement mais épuisante, notamment la mobilité antinomiques dans leurs effets. des « grands mobiles » amenés régulièrement à de longs Je trouve ainsi intéressant de décrire les choses autour de déplacements professionnels ou domicile-travail ; deux modèles de mobilité qui interagissent : • de l’autre, le modèle de la migration inter-régionale ou in- • un modèle de mobilité publique, au sens où elle est par- ternationale, qui implique un processus de déracinement / tie prenante et motrice de l’espace public : ça intègre la ré-enracinement, qui se déroule sur des temporalités longues marche à pied et les transports publics locaux ou à longue et s’avère à bien des égards irréversible et souvent associé distance ; à une vie quotidienne davantage ancrée dans la proximité. • un modèle de mobilité privée : il concerne essentiellement la voiture particulière, le vélo étant un cas à part, hybride, à la « De facto, on est devenu fois privatif et singulièrement en prise avec l’espace public. des sédentaires hypermobiles Entre les deux, il y a rivalité, mais il y aussi « coopétition », c’est- qui n’envisagent que douloureusement à-dire à la fois concurrence et complémentarité ou synergie. Il de tout quitter pour aller ailleurs » a pu exister des tentations d’hégémonie d’un modèle sur l’autre comme dans l’utopie étatsunienne de la « drive-in society » des Vincent Kaufmann années cinquante et soixante, mais, même aux Etats-Unis, ça Le modèle de la migration est peu valorisé dans nos socié- a échoué à faire disparaître toute mobilité publique. Il faudrait tés. Dans les entretiens, quand on met les gens en situation croiser ces deux pôles avec l’échelle, la portée des dépla- de choix, pratiquement personne ne préfère le modèle de la cements : à très courte distance, avec la marche, la mobilité migration. De facto, on est devenu des sédentaires hypermo- publique domine, mais c’est également le cas à très longue biles qui n’envisagent que douloureusement de tout quitter pour distance avec l’avion, si l’on met de côté l’extrême minorité se aller ailleurs. Malheureusement, chercher à concilier toutes les déplaçant en jet privé ; entre les deux, il y a domination de la contraintes de temps, de lieu, de relations par la mobilité ré- mobilité privée automobile et des zones intermédiaires de par- versible est générateur des énormes volumes de kilomètres tage avec les transports publics locaux ou à longue distance. parcourus que nous connaissons.

TI&M n° 521 - mai - juin 2020 19 Face à face

Quelles sont justement les dynamiques sociétales que Au contraire d’une vision technique ou purement historique, vous voyez à l’œuvre dans le cheminement de cette les mobilités sont très liées aux choix de vie, aux modes d’habi- concurrence des modèles de mobilité ? ter, aux capacités (au sens des « capabilities » d’Amartya Sen2), V. K. – D’un côté, il y a une valorisation sociale très insistante à des visions de la société et des « biens publics »3. Ces biens de la mobilité réversible et de la vitesse ; de l’autre, on ob- publics sont des ressources ou des capacités dont l’accès serve des tendances de plus en plus fortes qui témoignent pour le plus grand nombre accroît l’utilité tant collective qu’in- d’un désir de ralentissement des rythmes de vie, de meilleure dividuelle ; ils nécessitent le plus souvent une coproduction maîtrise du temps et de recherche de proximité, comme le collective. On peut soutenir que la mobilité, dans son ensemble, montrent les grandes enquêtes menées par le Forum Vies est un bien public. Mobile sur ce sujet. Les visions de la mobilité qui façonneront les attitudes La mobilité « vite, loin, souvent » est de ce fait ambiva- sociales et leurs évolutions s’organisent schématiquement au- lente : d’un côté, elle est vue comme une liberté et un signe jourd’hui autour de trois pôles, qui représentent chacun une de réussite sociale ; de l’autre, elle est vécue comme une in- vision du politique, du juste : jonction et donc une limitation de liberté. C’est vrai pour les • un pôle de la mobilité vue comme liberté absolue, la liberté « grands mobiles » professionnels, qui sont considérés par d’aller et de venir conçue comme la quintessence même les autres comme des modèles de réussite et d’aisance à de la liberté ; on est du côté d’une contestation radicale parcourir le monde, alors que, dans leur grande majorité, ils d’un rôle du politique, en phase avec l’idée soit clima- n’en ont eux-mêmes pas une vision très positive et mettent to-sceptique soit technologiste que tout s’arrangera par la plutôt en avant la fatigue d’être toujours entre deux lieux. grâce de la main invisible ; Plus qu’une preuve de liberté, ils vivent leur mobilité comme • un pôle de la mobilité vue comme mauvaise en elle- la moins mauvaise solution pour résoudre un inextricable même, tandis que la proximité serait un bien en soi, car nœud de contraintes, et cette solution devient elle-même une relevant du propre de l’homme, dans une vision heideg- contrainte. C’est vrai aussi pour les loisirs, où il existe une gérienne anti-techniciste ; on est du côté de la morale et injonction à partir à l’autre bout du monde (publicité, proches, de la décroissance ; milieu professionnel, couple, etc.) qui peut induire des choix • un pôle de la mobilité vue comme un bien public, un droit en décalage avec les aspirations profondes des personnes. relatif, qui ne s’exerce que pour autant qu’il n’entre pas Certains interviewés expriment ainsi une fatigue des voyages en opposition avec d’autres droits, d’autres biens publics, lointains et rapides et une préférence profonde pour des va- comme la nature ou l’urbanité ; il faut mettre en place une cances plus proches et plus lentes. organisation sociale pour combiner ces biens publics ; on est du côté du pluralisme des normes et du développe- « La mobilité « vite, loin, souvent » ment durable. est de ce fait ambivalente : d’un côté, elle est vue comme une liberté Qu’est-ce que le grand confinement a pu révéler du jeu des et un signe de réussite sociale ; possibles et du souhaitable qui conditionne les comporte- ments de mobilité ? de l’autre, elle est vécue comme J. L. – Depuis le Néolithique, l’humanité a toujours eu trois une injonction et donc une limitation moyens de gérer la distance : la coprésence par la proximi- de liberté » té, la mobilité et la télécommunication. Ces différents moyens peuvent être en concurrence, mais il ne s’agit pas d’opposi- Vincent Kaufmann tion pure et simple, mais encore une fois de coopétition. Des La contrainte de la mobilité, dans un monde de plus en plus dispersé, c’est celle de « bouger pour s’en sortir », dirait Eric Le Breton1, mais c’est aussi plus lar- gement celle d’une construction de l’image de soi et de valorisation sociale. Modèle de l’accroissement des vi- tesses et des rendements d’un côté, désir grandissant de décélération de l’autre, c’est ce fossé entre deux demandes de liberté antagoniques qui m’interroge.

J. L. – Fondamentalement, l’équilibre entre les différents modèles de mobilité n’est

pas un problème technique ni historique, © Isabelle Raymond-Maugé - CGEDD au sens où il y aurait un sentier de dé- pendance, parce qu’on aurait construit un monde irréversible où il n’est plus possible de se passer de voiture. C’est souvent le discours de ceux qui demandent du temps en invoquant l’injonction qui leur aurait été faite d’organiser leurs vies autour de la voiture. Il faut entendre que c’est en fait une demande de temps infini. Vincent Kaufmann (à gauche) lors du colloque organisé par le CGEDD en hommage à Claude Gressier, le 27 juin 2019.

20 TI&M n° 521 - mai - juin 2020 Face à face

substitutions sont possibles, mais la substituabilité n’est pas L’expérience collective du grand confinement aura-t- totale, et inversement il peut y avoir complémentarité. La elle une incidence de long terme sur les comportements télécommunication permet, par exemple, de mieux gérer les re- de mobilité ? lations nombreuses et plurielles que génère la ville, paroxysme V. K. – Depuis trente ans au moins, dans les cercles tant de la de la coprésence. La mobilité locale permet d’accroître la taille recherche que de la décision publique, le télétravail est consi- des villes et le nombre des interactions qu’elle rend possible. déré comme une des solutions souhaitables pour réduire la Cette coopétition rend difficile de mesurer la productivité mobilité contrainte. Or, dans les faits, il peinait à se dévelop- propre à chaque modalité de gestion de la distance, mais la per à grande échelle : beaucoup d’entreprises le voyaient d’un coprésence permise par le modèle de la ville et développée mauvais œil et les salariés eux-mêmes hésitaient, ayant peur à l’échelle métropolitaine est sans doute ce qu’il y a de plus d’être mal vus en le réclamant ou de se retrouver à l’écart et efficient, que ce soit sur le plan économique ou sur le plan éco- oublié en recourant aux possibilités offertes dans certaines logique. De manière caricaturale, on pourrait dire que l’idéal entreprises ou par la loi. Le grand confinement a été l’occa- serait de réunir toute l’humanité dans une seule métropole et de sion d’une expérimentation collective à grande échelle, qui laisser le reste à l’agriculture et à la vie sauvage. a concerné, en France, plus de 30 % de la population ac- Au-delà de cette utopie, il faut imaginer des modèles com- tive. Dans le cadre d’un enquête menée avec le Forum Vies binant modèle métropolitain et mise en réseau des villes. Mobiles, nous avons pu constater que plus de la moitié de ces L’alternative écologique à l’étalement urbain, c’est le télétravail télétravailleurs l’avaient bien vécu et souhaitaient continuer depuis une ville où l’on estime avoir une meilleure qualité de vie. au-delà du confinement. Pour la première fois dans ma vie professionnelle, je me suis donc mis à croire à la possibilité « Les mobilités sont très liées de son développement. aux choix de vie, aux modes d’habiter, Il reste bien sûr de nombreuses barrières au développement aux capacités, à des visions de la société du télétravail et il faudra donc s’appuyer sur cette expérience pour travailler à lever celles qui subsistent pour de mauvaises et des « biens publics » raisons. C’est un cas un peu marginal, mais pour prendre un Jacques Lévy exemple qui touche profondément la Suisse et les régions limi- trophes de France et d’Allemagne, une directive européenne V. K. – Le confinement a été ambivalent : il a certes représenté pose qu’au-delà d’un jour de travail dans son pays de rési- une privation de liberté, mais il a permis de retrouver de la li- dence, un travailleur transfrontalier est soumis à la législation berté par rapport à l’injonction de la mobilité et de la vitesse, de du travail de son pays de résidence et non plus celle du pays rompre avec la « dynamisation du temps » dont parle Hartmut de son employeur. Les travailleurs transfrontaliers se trouvent Rosa4, ce sentiment qu’en allant toujours plus vite, on manque donc dans l’obligation de venir travailler en Suisse 4 jours par toujours plus de temps. semaine quand bien même leurs collègues suisses sont invités Littéralement en sociologie, la mobilité désigne un chan- à rester chez eux. gement d’état, une transformation de soi. Celui-ci peut se L’autre chose qui a commencé à changer, c’est le rapport à dérouler dans l’espace, mais il peut aussi avoir lieu socialement la mobilité longue distance. L’université de Zürich a observé en ou intellectuellement. Dans les enquêtes, on nous dit que se période post-confinement, en Suisse, une reprise de la mobilité déplacer n’occasionne pas forcément une vraie mobilité, car il locale, y compris dans les transports urbains, avec un retour s’agit souvent d’un déplacement trop rapide pour provoquer un des deux tiers des usagers d’avant crise malgré la méfiance changement, transformer celui qui l’effectue. C’est le contraire que les transports collectifs peuvent inspirer à la population. En du véritable voyage, qui nécessite de prendre son temps pour découvrir, être attentif aux lieux, aux gens et à soi. En se déplaçant moins, on pourrait ainsi retrouver le temps d’être authentiquement mobile. Dans le même ordre d’idées, il est intéressant de se souvenir que le terme de mobilité est apparu dans les années vingt dans les rangs de l’Ecole de Chicago5. Il s’agissait alors de décrire les chan- gements résidentiels en soulignant qu’un même mouvement avait toujours deux faces : c’était à la fois un déplacement dans l’espace physique et une évolution dans l’espace social. Il en va de même des déplacements quotidiens : en se rendant à son travail ou à une autre activité, on change de rôle social, d’attitude. Une des caractéristiques de notre monde contemporain, c’est d’ailleurs que cette coïnci- dence, ce qui était nécessairement « collé » pour l’Ecole de Chicago, peut se trouver aujourd’hui « décollé » : avec la télécommunication, je peux changer de rôles, de lieu social, sans changer de lieu spatial ; je peux, par exemple, être en réunion professionnelle et, dans le même temps, lire un © MH SMS envoyé par mon fils.

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à la campagne. Mais il faut re- garder précisément les choses par catégorie de profession pour savoir dans quelle mesure le télétravail pourrait vraiment ouvrir leurs choix résidentiels. Ceux qui peuvent le plus faci- lement télé-travailler sont ceux qui vivent et travaillent dans les grandes villes. Parmi eux, beaucoup sont profondément urbains par leurs modes de vie et par leur milieu de relations personnelles et professionnelles et, s’ils recourront plus au télé- travail, ils continueront aussi, pour le dire vite, à avoir besoin d’aller aux terrasses des cafés. L’alternative qui s’ouvre n’est donc pas nécessairement entre ville et maison avec jardin, mais peut être entre différentes locali- sations urbaines. Ces évolutions auront aussi

© Isabelle Raymond-Maugé - CGEDD un impact sur les métiers eux- Vincent Kaufmann, colloque CGEDD, 27 juin 2019. mêmes. Pour les employés de bureau, je suis convaincu que revanche, la mobilité longue distance, elle, ne repart pas pour le télétravail va participer de leur montée en gamme grâce au l’instant, notamment du fait d’un changement de comportement recul d’un mode de fonctionnement autoritaire hiérarchique au des grands mobiles, qui continuent à télé-travailler et à recourir profit du mode projet. On retrouve cette idée que toute mobilité aux visioconférences. On peut donc légitimement se demander est à la fois spatiale et sociale. si ces vies à forte intensité de mobilité ne vont pas changer durablement. Quel est votre regard sur les outils de régulation qui pour- raient être mis en place par la puissance publique pour « Le grand confinement a été l’occasion faire évoluer les comportements dans le bon sens ? d’une expérimentation collective à grande J. L. – Ce que l’on attend d’une politique publique, c’est qu’elle produise des biens publics de qualité en matière de santé, échelle, qui a concerné, en France, d’éducation, de mobilité, de nature, etc. et qu’elle assure plus de 30 % de la population active » l’égalité dans l’accès à ces biens publics. Tout l’enjeu est de Vincent Kaufmann réguler les contradictions éventuelles entre ces biens publics. C’est le contraire de ce que l’on observe souvent aujourd’hui, J. L. – Le développement du télétravail peut aussi favoriser où chaque ministère cherche à développer les biens publics de nouveaux choix résidentiels. On a beaucoup parlé de la dont il a la charge sans considération pour leur cohérence tentation de certains urbains de durablement aller s’installer avec les autres. Cette cohérence, c’est une des dimensions © Winyu Adobe Stock

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Comment jugez-vous l’exercice réalisé par la Convention « Depuis le Néolithique, l’humanité citoyenne pour le climat et les mesures qu’elle a récem- a toujours eu trois moyens de gérer ment proposées ? la distance : la coprésence par la proximité, V. K. – Le processus m’intrigue, car vu de Suisse, avec les la mobilité et la télécommunication » outils de la démocratie directe que sont le droit d’initiative popu- laire et le droit de référendum, il est habituel de faire remonter Jacques Lévy des propositions de la société, et de les adopter. Entre une dé- de l’évaluation, dont la culture peine à s’imposer en France, mocratie participative et une démocratie représentative, il n’y où l’on a une vision métaphysique de l’Etat : on n’évalue pas en a d’ailleurs pour moi pas un qui serait supérieur à l’autre : Dieu ! Alors que, dans d’autres pays, c’est courant. tous les deux présentent des avantages et des inconvénients. Il Le grand confinement a permis de mesurer ce que repré- serait, par exemple impossible de décider de réaliser un grand sente une société de flux, où la mobilité est consubstantielle projet de type ligne à grande vitesse en Suisse. On est tout le à la vie et fondamentale à l’équilibre économique : il faut temps nécessairement dans la politique des petits pas. donc être très prudent quand on touche à cela. Le vote de la Sur le fond, les mesures proposées me paraissent per- Convention citoyenne pour le climat contre la proposition du tinentes, comme celle sur l’avion qu’on a déjà évoquée tout passage à la semaine de vingt-huit heures a montré que la à l’heure, ne serait-ce que parce que l’aérien a trop long- majorité de la population, si elle est prête à des efforts signifi- temps bénéficié d’un régime de faveur, notamment fiscale, catifs pour la transition climatique, n’est pas pour autant pour qui déforme la concurrence entre les modes. Mais ce qui m’a la décroissance et contre la mobilité dans l’absolu. étonné, c’est qu’il n’y ait rien sur l’aménagement du territoire, Les mesures envisagées doivent donc être prudemment alors qu’on sait que c’est au cœur des questions de mobilité. évaluées au regard de leur efficacité relative, de leur impact Si on continue la périurbanisation et le développement des économique et des alternatives disponibles. Ainsi, les me- zones commerciales en périphérie de ville, il sera difficile de sures d’interdiction des vols domestiques quand il existe une réduire la place de la voiture. De la même manière, on peut alternative ferroviaire efficace me paraissent justifiées, d’au- chercher à développer le train, mais si la croissance urbaine tant plus que les temps de vol mis en avant ne reflètent pas ne se fait pas à proximité des gares ou des réseaux pour y du tout la réalité du temps de déplacement de bout en bout. accéder, on n’arrivera pas à accroître significativement le re- En revanche, je ne suis pas pour le flygskam : il est irrationnel port modal. de s’en prendre spécifiquement à l’avion et notamment aux vols long courrier si l’on considère l’absence d’alternative et leur très faible part dans les émissions de gaz à effet de serre. Il serait nettement plus efficace de fermer des autoroutes et plus juste de les transformer en boulevards urbains là où il existe des alternatives. Ceux qui pensent réguler par la honte se trompent d’époque !

V. K. – Je me positionnerais sur un autre débat, celui des ins- truments de régulation de la mobilité par le mécanisme des prix ou au contraire par les réglementations. Je n’aime pas du tout l’idée de réguler la mobilité par l’argent (péage urbain, modula- tion horaire de la tarification, etc.), car on ne touche alors pas tout le monde de la même manière, les plus aisés échappant de fait à l’incitation au changement de comportement. Il s’agit pour moi d’une faillite du politique : si on paye, on a le droit de faire ce que les pouvoirs publics désapprouvent. On s’interdit de prendre des décisions publiques sans équivoque, y compris en réglementant ou en interdisant, après une discussion sur ce qui semble juste collectivement. Une alternative intéressante à la régulation par l’argent serait d’utiliser la vitesse comme instrument de régulation. Si on ne veut pas voir se développer le trafic automobile, un bon moyen est d’en limiter l’attractivité en réduisant la vi- tesse autorisée. C’est le paradoxe actuel : les modèles nous disent que la vitesse est centrale dans les choix de mobili- té, mobilité réversible comme mobilité résidentielle, mais on n’utilise pas la vitesse comme moyen de régulation. C’était pourtant une voie très discutée il y a une décennie ou deux, portée notamment par Marc Wiel6 et sur laquelle on réfléchis- sait à Grenoble avec les notions d’autoroute apaisée et de chrono-aménagement7. Ainsi, je ne défends pas nécessairement la limitation de vi- tesse sur autoroute à 110 km/h, mais il faudrait l’évaluer à cette aune, celle d’une réduction de l’attraction pour la vitesse elle- même (le fétichisme de la vitesse) et d’une modification de la © MH concurrence entre les modes.

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ce qui en fait une expérience riche d’enseignement pour tous les pays démocratiques. Quand on fait faire de la politique par des non politiciens, ça donne des choses très intéressantes. Le critère de justice d’une politique publique ne peut pas être défini a priori, car s’entendre sur ce qui est juste suppose une hiérarchisation d’objectifs concurrents et sans commune mesure. Faut-il investir dans les infrastructures de transport ou mettre plus de professeurs en Seine-Saint-Denis ? C’est incommensurable. La réponse à la question de la justice ne peut donc être que procédurale, au sens où l’entend John Rawls. La justice procédurale8 ne peut se résumer à un vote, car il faut s’accorder sur une comensuration des objectifs de politique publique, ce qui suppose d’abord de poser les désac- cords, de les expliciter, puis une discussion dans le cadre d’un dispositif de convergence.

« Ce que l’on attend d’une politique publique, c’est qu’elle produise des biens publics de qualité en matière de santé, d’éducation, de mobilité, de nature, etc. et qu’elle assure l’égalité dans l’accès à ces biens publics » © DR Jacques Lévy

J. L. – Je faisais partie du groupe de chercheurs-observateurs Ce qui est remarquable, c’est de voir comment les conven- qui ont été autorisés à observer le déroulement des débats, tionnels ont évolué en se saisissant des sujets. Concernant mais sans interférer ni pouvoir être consultés. Il n’y avait d’ail- les déplacements, dans le contexte des Gilets jaunes, ils sont leurs pas de géographes ou d’urbanistes parmi les experts d’abord allés vers les mesures les moins clivantes comme la consultés. Pourtant, en voyant les intitulés des cinq théma- formation des camionneurs et des garagistes, mais ils ont su tiques de travail (« se déplacer », « se loger », « se nourrir », aussi d’eux-mêmes faire le lien et le chemin vers le territoire, « consommer », « travailler et produire »), nous nous sommes avec la lutte contre l’artificialisation des sols et l’étalement dit que ces cinq domaines étaient indissociables et que c’était urbain en renforçant l’attractivité des villes et des villages. l’urbanisme et l’aménagement qui permettaient de les aborder On est quand même une société cultivée, c’est malgré ensemble. tout rassurant. n La Convention citoyenne pour le climat a été un exercice remarquable, très bien organisé, avec d’importants moyens, Propos recueillis par Hervé Nadal et Nicolas Bourgeon

1 Eric Le Breton, Bouger pour s’en sortir. Mobilité quotidienne et intégration 5 L’Ecole de Chicago est un courant de pensée sociologique apparu dans le sociale, Armand Colin, 2005. département de sociologie de l’université de Chicago au début du XXème siècle. 2 Le concept de « capabilities » a été proposé par Amartya Sen et développé dans Il s’attacha à étudier les nombreuses transformations des milieux urbains dans plusieurs ouvrages ou interventions (Equality of What ?, Ethique et économie, les grandes villes des Etats-Unis, dont Chicago représentait alors un véritable L’idée de la justice). Une capacité, au sens de capability, parfois traduit par laboratoire social, au travers notamment de l’analyse des migrations, tant internes « capabilité » en français, est la possibilité effective qu’un individu a de choisir qu’internationales, des relations inter-ethniques ou de la délinquance. diverses combinaisons de « modes de fonctionnement », comme par exemple 6 Marc Wiel (1940-2014), urbaniste français, a notamment étudié les interactions se nourrir, se déplacer, avoir une éduction, participer à la vie politique, etc. On entre mobilité et urbanisme (cf. Pour planifier les villes autrement, L’Harmattan, peut parler aussi de liberté substantielle ou de liberté positive, c’est-à-dire de 2007) et défendu une approche critique de la vitesse. capacité à être ou à faire quelque chose, à pouvoir choisir sa vie, par opposition à 7 Syndicat mixte du schéma directeur et Agence d’urbanisme de la région urbaine une liberté négative au sens de simple autorisation de faire sans nécessairement de Grenoble, Chrono-aménagement et autoroute autrement : la proximité au capacité positive de faire. secours du territoire, CERTU, 2009. 3 NDLR : un bien public, au sens de la théorie économique, est un bien non rival 8 Chez John Rawls, dans Théorie de la Justice (1971), le choix des principes (la consommation par l’un ne réduit pas la quantité disponible pour les autres) et de justice qui doivent gouverner la « structure de base » d’une société juste est non exclusif (il n’y a pas moyen ou bien il est très coûteux, sans le dénaturer ou gouverné par une procédure qui fixe les règles susceptibles de conduire àla le dévaloriser radicalement, d’en exclure un individu ou d’en faire payer l’accès). formation d’un accord valide entre les individus. En l’occurrence, la procédure Certains de ces biens publics, les plus immatériels, les plus sociaux, voient même de choix proposée par John Rawls est connue sous le nom de « choix sous voile leur utilité croître avec le nombre d’usagers (effet réseau, dont la langue pourrait d’ignorance », voile qui masquerait à eux-mêmes et aux autres non seulement être l’archétype). la position occupée par les individus dans la société, mais encore l’ensemble 4 Hartmut Rosa, Accélération : une critique sociale du temps, La Découverte, de leurs caractéristiques personnelles contingentes, ainsi que leur distribution. 2010 (initialement publié en allemand en 2004). On parle dès lors de justice procédurale ou de théorie procédurale de la justice.

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DOSSIER Mobilités à longue distance : la France à la veille d’un bouleversement ?

n décembre prochain, au moment du passage à l’ho- Il nous a également paru intéressant, parallèlement à l’anti- raire de service 2021, les services ferroviaires de cipation des évolutions à venir dans le ferroviaire, de tirer un Epassagers non soumis à une obligation de service premier bilan des « cars Macron », secteur qui semble être en- publique, c’est-à-dire opérés aux seuls risques et périls de tré en France dans une phase de consolidation autour de deux l’opérateur, seront ouverts à la concurrence selon le mo- acteurs, BlaBlaCar et FlixBus. Thierry Blayac, chercheur au dèle de l’« open access ». Il s’agira donc d’une concurrence Centre d’économie de l’environnement de Montpellier (CEE-M), « dans le marché », plusieurs opérateurs pouvant se voir et Patrice Bougette, chercheur au laboratoire CNRS « Groupe attribuer des sillons et circuler à différents moments sur une de recherche en droit, économie, gestion (GREDEG) » à Sophia même ligne, par opposition à une concurrence « pour le Antipolis, nous montrent comment ces deux opérateurs relèvent marché », c’est-à-dire pour se voir attribuer un contrat d’ex- plus du modèle des plates-formes d’intermédiation numériques ploitation exclusive d’une ligne ou d’un groupe de lignes : que de celui des autocaristes. Et comment ils évoluent progres- contrat de service public dans le cas des transports express sivement vers l’intégration d’une certaine diversité de solutions régionaux ou les trains d’équilibre du territoire ou franchise de mobilité et pourraient, à ce titre, devenir demain des acteurs dans le cas britannique. La SNCF n’opère aujourd’hui sur ce majeurs de la mobilité des Français. segment que des TGV (Inoui ou ), mais les nouveaux → « Bus à longue distance en France : ouverture, consoli- entrants pourraient réintroduire des services ferroviaires dation et perspectives intermodales » (p.38) classiques (comme l’avait envisagé FlixTrain et comme l’am- bitionne Railcoop entre Lyon et Bordeaux). Le cas italien est particulièrement éclairant. Christian Desmaris, Les opérateurs qui se sont d’ores et déjà déclarés intéressés chercheur au LAET de Lyon, rappelle qu’après vingt ans de sont peu nombreux : Thello, FlixTrain, Lisea, Renfe. FlixTrain, stagnation des services ferroviaires en Italie, l’ouverture à la qui était le seul à envisager des services non TGV, a récem- concurrence a permis en une décennie un essor de l’offre de ment annoncé qu’il suspendait son projet, la cherté des sillons plus de 50 % et du trafic ferroviaire à grande vitesse de plus sur le réseau français rendant le projet non rentable. Railcoop de 140 %. Dans un marché en aussi forte croissante, Trenitalia n’a pas encore les fonds propres pour prétendre obtenir une a pu accroître son offre et sa fréquentation, quand bien même licence d’entreprise ferroviaire de voyageurs. NTV, après Italo, prenait 40 % du marché. → « La compétition dans la grande vitesse ferroviaire Il faut savoir si la concurrence va italienne : une innovation majeure pour un jeu « gagnant-ga- vraiment se déployer sur le réseau gnant » ? » (p.43) français, et à quelles conditions Le secteur aérien permet également d’éclairer ce que l’on peut La première question qui se pose est donc de savoir si la attendre de la concurrence ferroviaire. Paul Chiambaretto, pro- concurrence va vraiment se déployer sur le réseau français fesseur de marketing et stratégie à Montpellier Business School, et à quelles conditions. Lionel Clément, économiste des trans- nous rappelle comment l’ouverture à la concurrence dans le ports chez Transae, répond que la modulation de la tarification monde aérien a permis à la fois une augmentation de l’offre et de l’infrastructure sera la variable cruciale pour encoura- une baisse des prix, avec un nombre d’acteurs par liaison relati- ger la venue des nouveaux entrants malgré les barrières à vement faible et un rôle déterminant des compagnies à bas coût. l’entrée. Ce sujet est en cours de discussion entre l’ART et → « Ouverture à la concurrence : ce que le secteur ferro- SNCF Réseau. viaire peut apprendre du transport aérien » (p.48) → « Ouverture du marché français de la grande vitesse fer- roviaire : quelle faisabilité en « open access » ? » (p.26) Enfin, la valeur du temps est une variable clé de la concurrence intermodale. Guillaume Monchambert, chercheur au LAET de Mais est-on d’ailleurs vraiment sûr des effets bénéfiques qu’au- Lyon, nous rapporte les résultat d’une enquête originale de pré- ra la concurrence sur le marché français ? Florent Laroche, férences déclarées appliquées à la valeur du temps comparée chercheur au Laboratoire Aménagement Economie Transports entre différents modes et usages. Il montre ainsi comment cette (LAET) de Lyon, propose un tour d’horizon des effets de la valeur reflète le confort comparé des différents modes et il iden- concurrence en « open access » en Europe. Il montre que tifie les conditions de gains de temps sur voies réservées qui l’on tend généralement vers des duopoles qui se livrent à une seraient nécessaires pour véritablement inciter au covoiturage. concurrence principalement par les volumes (augmentation des → « Nouveaux modes et usages de déplacements : quelles fréquences) plutôt que par les prix. valeurs du temps ? » (p.51) n → « Services ferroviaires à longue distance en France : un monopole peut-il cacher un duopole ? » (p.30) La rédaction

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Ouverture du marché français de la grande vitesse ferroviaire : quelle faisabilité en «open access» ? Lionel Clément, docteur ès sciences économiques, économiste des transports, Transae

© DR [email protected]

L’ouverture à la concurrence pour les liaisons ferroviaires à grande vitesse sera effective en décembre 2020. Dès cette date, les nouveaux entrants pourront faire circuler leurs trains après avoir demandé à SNCF Réseau les «créneaux horaires» (sillons) disponibles. L’ouverture à la concurrence sera de type « open access », soit aux risques et périls des nouveaux entrants et sous contrôle du régulateur. Le marché susceptible d’intéresser lesdits nouveaux entrants est peu dynamique et hétérogène. Surtout, il est soumis à une politique de saturation par l’opérateur historique qui ajoute une difficulté aux contraintes existantes pour l’accès au marché. La variable d’ajustement, qui pourrait permettre aux nouveaux entrants de coexister avec l’opérateur historique une fois ces contraintes levées, est le péage d’infrastructure via sa composante, la redevance de marché. Néanmoins, le curseur doit être correctement positionné afin d’éviter que les bonnes idées ne se transforment en source d’échecs.

« Open access » : cadre règlementaire et modèle supervision est nécessaire pour garantir l’accès au réseau et e Parlement européen a adopté le 14 décembre 2016 le l’efficacité du système. La loi n° 2018-515 pour un nouveau volet du 4ème paquet ferroviaire relatif à l’ouverture à la pacte ferroviaire, qui modifie le Code des transports, encadre Lconcurrence des marchés nationaux et à la gouvernance ainsi l’intervention de l’ART. Tout d’abord dans son article 5, des acteurs du système ferroviaire. Ce paquet a modifié la di- qui précise qu’un candidat voulant demander des capacités rective 2016/2370 afin de généraliser le droit d’accès au réseau d’infrastructure en vue de l’exploitation d’un nouveau service pour les services non conventionnés, aussi appelés « services de transport de voyageurs doit le notifier aux gestionnaires librement organisés ». Les services de transport de voyageurs d’infrastructure concernés et à l’autorité de régulation. Ensuite à grande vi- dans son article 9, qui précise que l’autorité de régulation L’ « open access », cette forme tesse sont définis établit chaque année un état des lieux de l’ouverture à la de concurrence aux risques comme « les ser- concurrence des services de transport ferroviaire. Ou encore et périls de l’opérateur, vices ferroviaires dans son article 33, qui précise que l’autorité de régulation se caractérise par un accès de transport de émet un avis conforme sur la fixation des redevances d’in- voyageurs opérés frastructure liées à l’utilisation du réseau ferré national, sur la sans entraves à l’infrastructure sans arrêts inter- soutenabilité de l’évolution de la tarification pour le marché du médiaires entre deux lieux séparés par une distance de plus de transport ferroviaire (et en considération de la position concur- 200 kilomètres sur des lignes spécialement conçues et équi- rentielle du transport ferroviaire sur le marché des transports). pées pour des vitesses généralement supérieures ou égales Ce dernier point est central pour la réussite de l’ouverture à à 250 kilomètres par heure et fonctionnant en moyenne à la concurrence. ces vitesses »1. Depuis le 1er janvier 2019, pour l’horaire de service 2021 Quel marché pour les nouveaux entrants ? et sous contrôle du régulateur, les entreprises ferroviaires Selon les comptes transports de la nation, le marché du trans- (nouveaux entrants) souhaitant commercialiser des services port ferroviaire longue distance intérieur français représentait sur les lignes nationales à grande vitesse pourront commander près de 67 milliards de passagers-km en 2017, dont 89 % des sillons à SNCF Réseau, le gestionnaire d’infrastructure. étaient réalisés en trains à grande vitesse (TaGV), soit 59,6 Le 12 décembre 2020, elles pourront faire circuler leurs trains milliards de passagers-km. Entre 2010 et 2016, la demande a et l’Etat n’aura plus de monopole. Ces lignes pourront ainsi diminué de -1,3 %4 et a crû de seulement +1,6 % pour les TaGV être ouvertes à d’autres opérateurs que l’opérateur historique (soit +0,25 % par an), ce qui dénote une faible dynamique. En SNCF Mobilités et exploitées en « open access ». Cette forme 2017, le marché TaGV a connu une croissance de +8,9 % par de concurrence, aux risques et périls de l’opérateur, se carac- rapport à 2016 (+4,9 milliards de passagers-km), due pour en- térise par un accès sans entraves à l’infrastructure. Un nouvel viron deux tiers à l’ouverture des lignes à grande vitesse (LGV) entrant pourra ainsi faire circuler ses trains sur le réseau dans Sud Europe Atlantique et Bretagne Pays-de-la-Loire. la limite de la capacité de l’infrastructure. Et le voyageur aura La figure 1 présente l’évolution de la demande ferroviaire le choix de son opérateur, comme dans le secteur du transport longue distance depuis 1990. On remarque la substitution aérien. qui s’est opérée entre trains d’équilibre du territoire (TET) et Pour autant, le modèle « d’open access » ne sera pas tota- TaGV au fur et à mesure que les différentes LGV françaises ont lement libre2, une « supervision » étant confiée à l’ART3. Cette été inaugurées.

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devoir faire face en 2020 et peut-être au-delà. On peut identifier une dizaine de relations longue distance desservies par des TaGV qui seraient susceptibles d’inté- resser les nouveaux entrants. Le tableau 1 présente leurs caractéristiques principales. Si la clientèle utilisant la voiture sur la longue distance est généralement assez captive de ce mode (besoin du véhicule à destination, transport de bagages, motifs de déplacements personnels), les nouveaux entrants seront amenés à rechercher un positionnement sur les re- lations « massifiantes » (sur lesquelles la clientèle ferroviaire est déjà importante) Figure 1 : Evolution de la demande ferroviaire longue distance en France (en milliards de v-km, source auteur à partir des et/ou sur lesquelles il est possible de cap- Comptes transport de la nation). ter de la clientèle aérienne.

Hors 2017, année d’ouverture de deux nouvelles LGV, les Quelle rentabilité pour les nouveaux entrants ? TaGV représentaient environ 68 milliards de sièges-km en 2016 Les nouveaux entrants, qui pourraient avoir différents profils, contre 16 pour les trains Intercités. vont devoir faire face à de nombreuses contraintes et une diffi- Par ailleurs, les données disponibles permettent de mettre culté principale. en évidence les éléments marquants récents du marché longue distance, ainsi entre 2016 et 20155 : • l’offre en train-km s’est contractée : Intercités (-9,8 %), TaGV (-5,3 %) ; • l’offre en sièges-km s’est contractée : Intercités (-6,3 %), TaGV (-4,1 %) ; • la demande en voyageurs-km s’est contractée ou ralentie : Intercités (-6,5 %), TaGV (0,1 %). La contraction de l’offre semble s’inscrire dans une politique commerciale : • de rationalisation de la production pour les TaGV, puisque le taux d’occupation des trains augmente de 64 % à 66,8 % (stable pour les Intercités) ; • de recherche de clientèle, la recette moyenne TaGV bais- sant de -2,8 % pour atteindre 9,5 centimes par voy-km, soit un montant proche de celui des Intercités (8,5 centimes). Figure 3 (source : auteur). La stratégie de baisse des prix via la politique de dévelop- pement des services low cost Ouigo a conduit à une forte baisse de la recette moyenne depuis plusieurs années. S’agissant des contraintes, ils devront tout d’abord pou- Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le marché ferro- voir bénéficier de la disponibilité de la capacité sur le réseau viaire longue distance français n’est pas très dynamique, surtout ferré national (RFN) comparé aux autres modes que sont la route et l’aérien. Si l’on Le marché ferroviaire longue fournie par SNCF 6 neutralise les effets liés à l’ouverture des LGV, on peut montrer distance français n’est pas Réseau. La possibi- que, toutes choses égales par ailleurs, l’élasticité de la crois- lité de disposer de sance du trafic TaGV au PIB est proche de 0,4 (toute croissance très dynamique, surtout sillons et d’accès en de +1 % du PIB se traduit par une croissance de +0,4 % de la de- comparé aux autres modes gare est un préalable mande ferroviaire). Ceci montre que globalement, la réaction de que sont la route et l’aérien nécessaire au dé- la croissance des trafics à la croissance du PIB est assez limitée, ploiement de l’offre. ce qui n’augure pas un potentiel de croissance pour les années à Ils devront ensuite être en mesure de proposer et de faire ho- venir compte tenu de la contraction du PIB à laquelle nous allons mologuer un matériel roulant permettant de circuler sur le RFN (donc équipé en contrôle de vitesse par balise - KVB - et transmission voie-machine - TVM - ). Enfin, il conviendra qu’ils puissent assurer la maintenance et le garage pour la nuit de leurs matériels7. Le rôle de l’ART sera central pour assurer un accès équitable sur le marché et lever les contraintes relatives aux sillons et à la maintenance/garage. Tableau 1 : Caractéristiques des principales relations longue distance intérieures desservies par des TaGV S’agissant de la difficulté prin- (source : Transae à partir de données SNCF Réseau). cipale, ils devront pouvoir s’insérer

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La concurrence en « open access» peut-elle réussir en France ? Les nouveaux entrants doivent pouvoir s’insérer dans un mar- ché que l’opérateur historique a déjà commencé à saturer, dans un contexte conjoncturel qui se dégrade. Le système Ouigo est en partie destiné à mettre la pression sur le gestionnaire d’infrastructure pour obtenir la baisse des péages que réclame depuis longtemps SNCF Mobilités. L’enjeu principal est donc la capacité de l’ART et du gestionnaire d’in- frastructure à retirer des sillons à l’opérateur historique et à les donner aux nouveaux entrants, ce qui forcerait d’ailleurs ce dernier à réaliser une optimisation sous contrainte de son offre (volumes et prix) et donc à gagner en productivité. Les nouveaux entrants feront de même car ils acquerront mécaniquement une part du marché. La somme des deux optimisations conduirait alors à une hausse totale des volumes, favorable aux usagers. Les nouveaux entrants devront être en mesure de construire un business plan solide. Il intègrera bien sûr une montée en puissance avec des pertes sur les premières années mais il devra être rentable à moyen (10 ans) et surtout à long terme (20 à 30 ans). La variable d’ajustement permettant de fiabiliser le modèle économique semble être le péage d’infrastructure qui, à titre indicatif, représente actuellement plus de 40 % des coûts d’ex- Le réseau ferroviaire à grande vitesse français (source : SNCF Réseau). ploitation sur une mission TaGV type, donc à un poids bien plus important pour les nouveaux entrants qui ont potentiellement dans un marché grande vitesse que SNCF Mobilités a cherché plus de mal à amortir leurs coûts fixes. Plus précisément, c’est à saturer en développant ces dernières années une concur- sa composante qu’est la redevance de marché9 qui pourrait rence « interne ». Le développement des services low cost être utilisée. Ouigo en parallèle des services Inoui révèle une stratégie habile dans laquelle l’opérateur historique agit sur les prix, les quantités, la qualité de service et les coûts. Il occupe les sillons et sature la capacité en gares. Ouigo re- présente ainsi environ 15 % de l’offre TaGV et 13 millions de voyageurs TaGV en 2018, dont 50 % du trafic vient d’une cannibalisation des TaGV Inoui sans réaction sur les quantités.

Les nouveaux entrants devront pouvoir s’insérer dans un marché grande vitesse que SNCF Mobilités a cherché à saturer en Figure 4 : Opérateur historique et profils possibles des nouveaux entrants (sourceTransae). développant ces dernières années une concurrence « interne »

Cette stratégie d’anticipation est d’autant plus intéressante pour l’opérateur historique que l’ensemble Inoui + Ouigo reste rentable : même si la marge de l’activité grande vitesse diminue, elle reste positive8. A moyen terme, et après avoir agi sur les volumes pour conserver sa part de marché, l’opérateur historique conti- nuera à comprimer les prix avec Ouigo tout en repositionnant Inoui à la hausse sur certaines relations denses. A la fin, le couple Inoui /Ouigo pourrait bien occuper tout l’espace du marché et faire obstacle à la concurrence en « open Figure 5 : Décomposition du tarif kilométrique de péage (en €) pour un TaGV en unité simple, pour quelques relations access » (prix, quantités, coûts, services diffé- à grande vitesse du réseau ferré national (y compris en partie sur ligne classique), 2019. Source : calculs Transae à partir du document de référence du réseau de SNCF Réseau (voir tableau 1). RC : redevance de circulation ; RM : renciés), réaction finalement assez classique redevance de marché ; RCE : redevance de consommation électrique ; RCTE : redevance pour le transport et la d’un monopole à l’ouverture à la concurrence. distribution de l’énergie de traction.

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la concurrence en « open access » paraît très diffi- cile. Sur ce périmètre-là, qui resterait exploité par l’opérateur historique, la péré- quation ne fonctionnerait plus et occasionnerait un risque de diminution des fréquences avec deux effets : la baisse des recettes de péages (les relations inter-secteurs étant génératrices de péage vu leur longueur) et la baisse de l’uti- lité collective (report modal en défaveur du train). L’ART a entamé des dis- cussions avec SNCF Réseau depuis quelque temps sur le sujet clef des redevances en vue de l’ouverture à la

© DR concurrence en « open ac- Les services Inoui et Ouigo, exemples de la tentative de l’opérateur historique de saturer le marché de la grande vitesse. cess »11 et a surtout publié un avis portant sur « le projet La figure 5 montre que la redevance de marché représente de décret modifiant le décret n° 97-446 du 5 mai 1997 relatif une part importante du péage qui, en France, s’échelonne entre aux redevances d’utilisation du réseau ferré national perçues environ 14 € (axe est) et 26 € (axe sud-est-Lyon) par train-km en par SNCF Réseau12 » . Cet avis concerne essentiellement les unité simple pour l’année 2019. conditions de mise en œuvre de la modulation des péages et la Les contraintes levées, il pourrait s’agir de jouer sur les soutenabilité de la tarification pour les activités de transport de redevances tout en sécurisant les recettes du gestionnaire d’in- voyageurs non conventionnées. frastructure, en ajustant pendant quelques années la redevance Rien n’est finalisé sur ce sujet complexe mêlant des intérêts de marché à la hausse ou à la baisse sans entamer la ren- qui peuvent être contradictoires (gestionnaire d’infrastructure/ tabilité de certaines dessertes massifiantes et pour améliorer opérateur historique/nouveaux entrants). Dans ce contexte, celle des relations qui le sont moins. L’augmentation des vo- l’enjeu va être de positionner correctement le curseur afin éviter lumes permettrait de maintenir les recettes de péages pour le que les bonnes idées ne se transforment en source d’échecs. n gestionnaire d’infrastructure et pour les opérateurs ferroviaires nouveaux entrants et opérateur historique d’ajuster leur offre. 1 Voir article 30 de la directive. Cela éviterait une hausse des subventions publiques dans un 2 C’est-à-dire que l’ensemble des sillons LGV ne sera pas mis aux enchères, avec scénario à l’italienne. mise en concurrence directe des opérateurs. L’assise de la redevance de marché pourrait être le chiffre 3 Autorité de Régulation des Transports (ART). 4 Contre +17 % pour l’aérien intérieur (en voyageurs), et +10,5 % sur les voitures d’affaires (variable importante du business plan basé sur la (autoroutes en véhicules-km). clientèle réelle et non sur l’emport des trains), pour aider le trans- 5 Source ART. porteur à optimiser son offre. Dans le cas d’une hausse pour les 6 Source : calculs de l’auteur, modèles double-logarithmiques période 1999-2009. 7 Compte tenu des contraintes foncières et économiques pour la construction liaisons performantes, cela permettrait de diminuer la rentabi- de nouveaux technicentres, ceci revient à pouvoir utiliser les infrastructures lité du couple existantes. La variable d’ajustement Inoui/Ouigo10 8 NDLR : A titre indicatif, cette marge, qui était de 20 % en 2008, (permettant de financer le renouvellement des rames et autres investissements en gare) est permettant de fiabiliser le modèle et défavorise- tombée à 7,5 % en 2016. En 2017 les effets de la politique de yield management économique semble être le péage rait le principe de la SNCF, basée sur une approche préconisée par Jules Dupuit il y a de cela d’adossement bien longtemps (différenciation tarifaire) et sur une optimisation de l’offre (Ouigo et d’infrastructure, qui représente Inoui), a porté ses fruits. En 2017, la fréquentation TaGV a crû de +10 %, et le chiffre implicite pour d’affaires associé de +4,2 %, la marge opérationnelle atteignant 2,8 Mds d’€. actuellement plus de 40 % l’opérateur his- 9 La redevance de marché (RM) complète la redevance de circulation (RC) et torique tout en les redevances pour l’usage des installations électriques et pour le transport de des coûts d’exploitation l’énergie (RCE et RCTE). Elle a remplacé la redevance de réservation en 2019 et sur une mission TaGV type limitant l’im- s’applique aux réservations de capacités sur les voies principales du réseau ferré pact sur les national. Elle a aussi pour objet de « percevoir des majorations des redevances d’infrastructure pour des segments particuliers de marché ». Ces majorations tarifs des billets. Dans le cas d’une baisse pour les liaisons vont au-delà du recouvrement total des coûts encourus par SNCF Réseau et moins performantes, cela permettrait d’inciter le nouvel entrant ne peuvent être appliquées que si le marché s’y prête. La RM cherche à capter à entrer sur le marché, et plus largement susciter de l’intérêt la « capacité contributive » des usagers, c’est-à-dire leur consentement à payer que l’opérateur s’accapare dans le cadre de sa politique commerciale (vente des pour qu’une concurrence soit possible entre plusieurs entre- billets et abonnements). prises ferroviaires tout en permettant d’instaurer les bases pour 10 C’est actuellement sur les services Inoui en heures de pointes que la recette construire une rentabilité de long terme. totale est la plus élevée pour SNCF Réseau, tout comme l’est la recette nette du transporteur, après paiement du péage. Dès que le taux de remplissage s’élève Cependant, le mécanisme précédent présente un risque au-dessus du point mort, les bénéfices du transporteur progressent fortement, qui est celui de la diminution des recettes de péages si l’en- d’autant plus qu’il peut lui-même moduler le prix des billets à la hausse. Une semble du marché grande vitesse est ouvert à la concurrence. modulation capacité x horaire peut donc aussi avoir du sens. 11 Les Echos (28/07/2019), « Péages ferroviaires : la réforme qui peut bousculer la Il existe en effet un périmètre fragile (quelques relations radiales mise en concurrence du TGV ». et toutes les relations inter-secteurs) sur lequel l’ouverture à 12 Avis n° 2019-049 du 30 juillet 2019.

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Services ferroviaires à longue distance en France : un monopole peut-il cacher un duopole ? Florent Laroche, maître de conférences à l’université Lyon 2, chercheur au Laboratoire Aménagement Economie Transports (LAET)

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Après avoir fait l’objet de spéculations pendant des décennies, la concurrence arrive en France dans le transport ferroviaire national interurbain. Dans quelques mois, les usagers pourront voyager dans des trains autres que ceux de la SNCF. Un tour d’horizon des expériences européennes peut permettre de comprendre ce qui pourrait changer pour eux. Sachant que dans la quasi majorité des cas, le monopole a cédé la place à un duopole où, si la concurrence a pu se faire à un moment par les prix, elle s’exerce principalement par les volumes. L’opérateur historique maintenant l’essentiel de son offre pour conserver sa clientèle, et le nouvel entrant réalisant un effort en termes de fréquences pour capter des parts de marché1.

l aura fallu attendre le quatrième paquet ferroviaire et une date imposée par le droit européen (2019) pour voir la France Ientamer le processus d’ouverture à la concurrence de ses services ferroviaires nationaux. Pour autant, elle n’est pas la seule à avoir retardé l’ouverture de son marché. Et les expé- riences restent pour l’instant très limitées en Europe, ce qui laisse entière la question des effets à attendre de la concur- rence sur les services ferroviaires et en particulier pour les ser- vices interurbains. Les études menées dans les différents pays ayant déjà pratiqué la concurrence (Allemagne, Suède, Italie, République tchèque etc.) mettent en évidence une baisse des prix dans les premières années de compétition de l’ordre de 15 % à 30 %, pouvant aller jusqu’à 50 % dans le cas de la ligne Prague – Ostrava en République tchèque (Tomes et al., 2016). Elles pointent également une augmentation des fréquences pouvant aller jusqu’à 30 % notamment dans le cas italien (Bergantino et al., 2015).

Les cas de concurrence en « open access » restent rares, même dans les pays ouverts depuis longtemps

Des résultats proches des prédictions Dans l’ensemble, ces résultats se rapprochent des prédic- tions de la théorie économique classique et répondent à la dynamique déjà observée dans l’aérien. Pourtant, si ces dy- namiques ont pu être observées sur diverses lignes, rien ne préjuge qu’elles pourraient s’appliquer en France ou sur un autre marché. A moins de constater que pour toute ligne opérée par plus d’un opérateur, toutes choses égales par ailleurs, les prix sont plus bas et les fréquences plus élevées que sur une ligne exploitée par un seul opérateur. Cet article entend tester cette hypothèse, en présentant les résultats d’une étude réalisée en 2018 qui avait pour ob- jectif de comparer un large panel de services ferroviaires de type Intercités (90 lignes) dans sept pays européens (Grande- Bretagne, France, Italie, Suisse, Pays-Bas, Allemagne et Figure 1 : Cartographie des lignes étudiées (source : auteur).

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Suède) du point de vue des prix (prix moyen en seconde effet sur un marché spécifique comme observé par la littérature. classe) et fréquences (nombre de trains par jour). En regrou- Mais, il montre que, toutes choses égales par ailleurs, les lignes pant des lignes avec et sans concurrence, l’analyse permet en concurrence d’isoler l’effet d’un concurrent sur les prix et sur les fréquences. Le ferroviaire est un secteur ne se distinguent Par ailleurs, afin de rendre l’analyse des marchés plus réaliste, particulier où le politique pas significative- l’effet de la concurrence intermodale a également été considéré ment des lignes en collectant des données pour le transport aérien, le covoitu- et ses choix peuvent avoir sans concurrence, rage et l’autocar. une influence décisive sur d’un pays à l’autre, L’analyse n’est pas exhaustive, comme le montre la figure 1, la performance des services en termes de prix mais elle permet de donner un aperçu relativement large du moyen pour la se- marché européen. On peut retenir des données collectées deux conde classe. Autrement dit, les prix pratiqués sur les lignes observations. soumises à la concurrence en Italie, Suède ou Allemagne ne di- En premier lieu, les cas de concurrence en « open ac- vergent pas fortement de ceux pratiqués en France, en Suisse cess » restent rares, même dans les pays ouverts depuis ou aux Pays-Bas (toutes choses égales par ailleurs). Seule la longtemps. Exception faite de la Grande-Bretagne et de ses Grande-Bretagne se démarque par des prix plus élevés du fait particularismes, les concurrents aux opérateurs historiques de son système de franchise. Plusieurs hypothèses peuvent sont peu nombreux : deux en Suède (Transdev et MTR), un en expliquer ce résultat. Allemagne (FlixTrain), un en Italie (NTV). En outre, les lignes opérées ne sont pas plus abondantes, se résumant à quelques Fréquentes situations de duopole axes majeurs (Stockholm – Göteborg - Malmö en Suède ou D’abord, ce constat nous rappelle que le ferroviaire est un Berlin – Stuttgart/ et Cologne – Hambourg/Essen en secteur particulier où le politique et ses choix peuvent avoir Allemagne). Ainsi, ces concurrents possèdent des parts de une influence décisive sur la performance des services. En té- marché souvent limitées. Elles dépassent rarement les 40 % moigne le débat récurrent sur la tarification de l’infrastructure au par axe, l’essentiel des trafics restant sous contrôle des opéra- coût marginal ou au coût complet et ses effets sur les marges teurs historiques (IRG-Rail, 2020). A l’échelle nationale, comme des opérateurs. Ou encore les travaux de C. Desmaris (2014) le montre la figure 2, les parts de marché détenues par d’autres sur la performance ferroviaire suisse et ses bons résultats en que les opérateurs historiques restent très faibles, exception dépit du monopole des Chemins de fer fédéraux suisses (CFF). faite du cas particulier de la Grande-Bretagne ou de la Pologne. Ensuite, la quasi totalité des lignes sont en situation de duo- En moyenne, leur part de marché ne dépasse pas 8 % des pas- pole excepté dans de rares cas comme en Grande-Bretagne sagers-km en Europe. où trois opérateurs peuvent se trouver sur un même axe du fait

Fortes variations d’un pays à l’autre En second lieu, la composition de la concurrence intermodale varie sensi- blement d’un pays à l’autre. En Suède, l’aérien est présent sur la plupart des relations étudiées tandis que les ser- vices de bus et de covoiturage sont quasi inexistants a contrario des pays du sud (France et Italie) où l’aérien est moins présent face à la grande vitesse ferro- viaire mais où les services de bus et de covoiturage sont nombreux. L’Allemagne et la Grande-Bretagne sont dans une po- sition intermédiaire avec de l’aérien, des services de bus développés mais une Figure 2 : Part de marché des opérateurs ferroviaires (nouveaux et historiques) en 2018 pour les services interurbains pratique du covoiturage qui semble moins en passagers-km. Source : IRG-Rail, 2020. répandue que dans les pays latins. Enfin, les pays de taille plus modeste comme la Suisse et les Pays- de la juxtaposition de franchises, ou en République tchèque Bas présentent une concurrence intermodale très faible avec sur la ligne Prague – Ostrava (mais qui présente la particula- peu de services aériens, de bus ou de covoiturage. rité d’avoir un opérateur conventionné parmi les trois). Cette De ces observations et du traitement statistique des don- situation, sans pour autant engager les opérateurs dans une nées collectées, on retire trois résultats clefs : entente, peut avoir un effet sur les prix et limiter la guerre qui • le premier est original et mérite discussion puisqu’il sug- pourrait survenir. Enfin, il n’est pas impossible que certains gère, contre l’idée souvent admise, une absence d’effet de opérateurs aient déjà commencé à anticiper l’arrivée de la la concurrence sur les prix ; concurrence en s’engageant dans une politique de réduction • le second s’inscrit plus dans les observations réalisées des prix. On peut supposer que c’est le cas de la France où le jusqu’à présent en confirmant le lien entre concurrence et développement de l’offre low cost Ouigo et son extension aux accroissement de la fréquence ; principaux axes a permis de multiplier les offres à prix bas. • enfin, l’analyse de la concurrence intermodale montre que Contrairement aux prix, les lignes hébergeant plus d’un les autres modes de transport ont des stratégies de posi- opérateur se distinguent fortement des autres sur le plan des tionnement différenciées par rapport au ferroviaire. fréquences. Le nombre de trains circulant dans la journée est L’absence d’effet de la concurrence sur les prix constitue le ré- significativement supérieur dans le cas où plus d’un opérateur sultat le plus original de l’étude. Il ne signifie pas l’absence d’un circule sur une ligne. Ce résultat montre que si l’effet sur les

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prix peut être discuté, l’ajout d’un opérateur sur une liaison semble se matérialiser physiquement par un plus grand nombre de trains. A l’avantage de l’usager, ce phéno- mène peut s’expliquer de plusieurs manières.

Rendre visible son offre En premier lieu, un nouvel opéra- teur a besoin de rendre visible son offre, notamment s’il s’engage sur des services réguliers. Face à ces nouvelles fréquences, il semble- rait que l’opérateur historique ne réduise pas d’autant son offre que celle du nouvel entrant, aboutis- sant à un accroissement de l’offre. Ce phénomène peut notamment s’expliquer par la volonté pour l’opérateur historique de ne pas

perdre ses clients en particulier sur © Alexmlx - Adobe Stock En raison de son système de franchise, la Grande-Bretagne se démarque par des prix du ferroviaire plus élevés. les heures de pointe en réduisant ses fréquences, et pour le nouvel opérateur de chercher à Un meilleur niveau de service capter ces clients, aboutissant à un nombre de trains au glo- En conclusion, on retient qu’il est très probable que le monopole bal supérieur à la situation de départ. de la SNCF ne cède la place, au mieux, qu’à un duopole sur En second lieu, le transport ferroviaire, comme toute activi- la plupart des axes où de nouveaux entrants s’implanteront. Si té, trouve ses rendements dans l’optimisation de son matériel une baisse des prix peut s’observer dans un premier temps, il roulant, en termes de places mais aussi de rotations. Plus semblerait néanmoins que le principal effet pour les usagers sera un opérateur effectue de rotations dans une journée avec un une amélioration de la fréquence et donc du niveau de service. même matériel et plus il accroît son offre (en horaires et sièges) tout en amortissant son capital et bénéficiant potentiellement Il est probable que le monopole de la SNCF d’un plus grand pouvoir de négociation vis-à-vis du gestion- ne cède la place, au mieux, qu’à un duopole naire d’infrastructure pour obtenir les créneaux souhaités. Par sur la plupart des axes où de nouveaux conséquent, ces impératifs de positionnement commercial et entrants s’implanteront économique peuvent également expliquer pourquoi la guerre des prix serait plus limitée que dans d’autres secteurs, les coûts Les économistes n’ont pas attendu l’ouverture à la concur- d’entrée sur le marché étant de facto élevés dans le ferroviaire rence du ferroviaire pour caractériser ce type de marché, ce et les capacités limitées. En d’autres termes, un nouvel opé- dernier renvoyant à une situation de duopole « de Cournot » où rateur aurait-il intérêt à jouer l’ensemble de la rente ferroviaire les deux concurrents s’affrontent plus sur la quantité que sur les du monopole, dans une situation de duopole, au risque de se prix. Par ailleurs, la stratégie engagée sur les prix par la SNCF trouver lui-même en échec ? depuis le lancement de Ouigo réduit la probabilité d’un duopole Enfin, il n’est pas inintéressant de considérer les résultats « de Bertrand » (concurrence par les prix) dans la mesure où les obtenus pour la concurrence intermodale. Si la présence d’un marges de manœuvre pour un nouvel entrant semblent limitées service aérien semble pouvoir influer sur le comportement des au regard des coûts qui pèsent sur la grande vitesse (péage, opérateurs ferroviaires, notamment en termes de prix, il n’en matériel, etc.), à moins de réinvestir des marchés délaissés par va pas de même pour les services de bus ou de covoiturage la SNCF comme les trains de nuit ou les Intercités classiques, auxquels le ferroviaire est peu sensible. Les services ferro- en connaissance des risques et contraintes que cela comporte viaires resteraient donc en position de « faiseurs de marché » (gares fermées, concurrence du bus, etc.). n par rapport aux alternatives, plus à même de proposer une offre complémentaire qu’un véritable substitut au ferroviaire. Par ail- Bibliographie leurs, on observe que la probabilité de trouver un covoiturage • Bergantino A.S., Capozza, C., Capurso, M., 2015. « The impact of open ou un service de bus augmente avec le prix des billets de train. access on intra- and inter-modal rail competition. A national level analysis Pour autant, la sensibilité des deux modes diverge pour la fré- in Italy ». Working Paper SIET, page 33. quence. Si la fréquence ferroviaire n’a pas d’influence sur l’offre • Desmaris C., 2014. « The reform of passenger rail in Switzerland : more de covoiturage (le choix d’un conducteur d’utiliser son véhicule performance without competition ». Research in transportation economics, pages 48, 290-297. étant essentiellement déterminé par le prix), elle semble avoir • IRG-Rail, 2020. Eighth Annual Market Monitoring Report. Independent un effet sur le marché du bus (moins il y a de fréquence et Regulator’s Group – Rail. . plus la probabilité d’avoir un service de bus augmente). On peut • Laroche F., Lamatkhanova A., 2020. « Effects of open access competition donc supposer que les opérateurs de bus sont plus sensibles on prices and frequencies on the interurban railway market : evidence from à l’impératif de rentabilité que les conducteurs de covoiturage. Europe ». Working Paper LAET, page 17. Ainsi, plus le prix est élevé et la fréquence faible sur une liaison ferroviaire longue distance, plus la probabilité de trouver un ser- vice de bus est forte. 1 L’auteur tient à remercier Yves Crozet pour sa relecture attentive.

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Autocars interurbains en Allemagne : pour FlixBus, le temps des interrogations

Laurent Guihéry, professeur des universités, université de Cergy-Pontoise, MRTE

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Comme les autres opérateurs de mobilité interurbaine, FlixBus subit de plein fouet la crise sanitaire, qui s’ajoute à un recul de la fréquentation déjà effectif. Sa diversification dans les chemins de fer avec FlixTrain pourrait contribuer à brouiller son image et l’arrivée de BlaBlaBus et du tout nouveau venu dans le pays, Pinkbus, lui causer préjudice, tout comme une compétition toujours vive avec le secteur ferroviaire. En misant sur une internationalisation de ses services et une stratégie multimodale et innovante, l’entreprise conserve néanmoins d’importants atouts pour contourner les obstacles et recon- quérir la clientèle. A condition qu’il ne sacrifie pas outre mesure la qualité de ses services sur l’autel de la compétitivité.

lacée au centre de l’Europe, organisée autour d’une struc- Dans le transport régulier terrestre ture fédérale équilibrée de grandes villes, l’Allemagne offre de voyageurs en Allemagne, le ferroviaire un terrain d’étude particulièrement pertinent pour la mo- P se taille la part du lion avec 150 millions bilité longue distance des voyageurs. Elle possède de plus des leaders mondiaux pour le transport de voyageurs : Lufthansa de voyageurs en 2019 (135 000 salariés contre 45 000 pour Air France), la Deutsche Bahn (196 000 salariés contre 149 000 pour la SNCF) et plus ré- L’épidémie de Covid-19 arrive ainsi à un moment critique cemment FlixBus, qui avec un peu plus de mille salariés détient pour FlixBus, qui a enregistré ces derniers mois et pour la pre- 95 % des parts de marché du transport de voyageurs interur- mière fois un recul de la fréquentation de ses bus (Die Welt, bain par autocars en Allemagne. FlixBus s’est aussi positionné 1er février 2020). Sa diversification dans les chemins de fer comme un leader incontesté dans vingt-neuf pays européens, brouille-t-elle son image ? L’arrivée en force de BlaBlaBus tout en lançant en 2019 une filiale aux Etats-Unis. en Allemagne explique-t-elle aussi ce désintérêt pour les autocars verts ? Devenu leader mondial de la mobilité, fort Reports en cascade et baisse de la fréquentation d’une présence aux Etats-Unis qui représente plus de 60 mil- Or, patatras ! A ce jour, la mobilité interurbaine est en situation lions de voyageurs en 2019, FlixBus traverse-t-il une crise de mort clinique. Comme BlaBlaBus, FlixBus est énormément de croissance ? impacté par la crise sanitaire du coronavirus avec près de 100 % de baisse du chiffre d’affaire. Ses dessertes domestiques Un marché très « ferroviaire » et transfrontalières sont suspendues depuis mars. Il en est de Comme le montre le tableau 1, dans le transport régulier même pour FlixTrain dont les services ferroviaires ont débuté en terrestre de voyageurs longue distance en Allemagne, le ferro- 2018. A la fin février 2020, FlixBus opérait environ 580 liaisons viaire se taille la part du lion avec 150 millions de voyageurs en en Allemagne et environ 400 liaisons en France. Fin mars 2020, 2019. Les services librement organisés (SLO) ne représentent toutes ces liaisons étaient stoppées. Signe de cet asséchement de liquidités : l’entreprise vient de lancer une offre de bons d’achat ouverts pour un aller simple (FlixDeal), dès maintenant, avec une très longue validité de trois ans. Ce bon, de 14 € pour un aller simple, permet de planifier « dès maintenant » le « pro- chain voyage » tout en « faisant des économies ». Trois achats au maximum sont possibles. La branche française du groupe a aussi indiqué le report du lancement de FlixTrain1, visant à pro- poser des services de trains low cost sur les lignes classiques du réseau français. Les raisons invoquées sont financières – coût élevé des sillons selon FlixTrain – mais il y a tout lieu de penser que la contrainte économique liée à la crise sanitaire a motivé ce choix. Ce report impacte négativement la relance des innovations de service dans le transport ferroviaire français, alors qu’il en aurait bien besoin dans un environnement encore très monopolistique. Autres mauvaises nouvelles, le démarrage des lignes au Brésil et en Inde, ainsi que le développement en Turquie, vont être reportés à cause de la pandémie. Enfin, le démarrage des lignes en Lituanie, Lettonie et Estonie va très probablement être reporté vers 2021. Il semblerait néanmoins Tableau 1. Transport de voyageurs en service régulier terrestre de voyageurs autocars que FlixBus prépare activement la reprise pour juin 2020 avec et transport ferroviaire en Allemagne (transporteurs allemands) en 2018 et 2019. une montée en puissance pour l’été. Sources : Destatis, 2020, et recoupements de l’auteur.

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pour leur part que 12 % des voy.km du transport terrestre de voyageurs sur lignes régulières et, au niveau global (tout trans- port terrestre de voyageurs, régulier et local), un peu moins de 4 %. Au dernier trimestre 2019, seize entreprises de services réguliers étaient référencées sur le marché (contre vingt au pre- mier trimestre 2018). Depuis quatre ans, une concentration de plus en plus forte peut s’observer. A ces entreprises s’ajoutent de nombreux sous-traitants établis en Allemagne (2 945 en 2017 pour les services d’autocars longue distance). 2019 af- fiche pour la première fois une baisse forte des voyageurs à bords des autocars (-8 %) et des trafics (-10 %). Elle s’explique par la politique d’externalisation des contrats de sous-traitance avec des autocaristes qui ne sont plus domiciliés en Allemagne, Graphique 3. Evolution des départs hebdomadaires des différents opérateurs depuis 2013 en Allemagne. donc non pris en compte dans les statistiques allemandes. De Source : Statista, IGES Institut, 2019. nombreux sous-traitants allemands se sont en effet détournés de FlixBus face à la faible rentabilité des services.

Ce qui attire les voyageurs est en priorité le prix réduit du déplacement, puis le confort et la présence du Wifi, enfin la gestion simplifiée des bagages

Les graphiques 1 et 2, pour leur part, donnent un aperçu du marché allemand longue distance, côté fer, qui progresse, mais aussi, côté SLO, qui connaît une baisse. Cela s’explique, nous l’avons vu, par la substitution d’opérateurs, pour la plu- Graphique 4. Nombre de lignes régulières en Allemagne. part est-européens, aux autocaristes allemands, seuls pris Source : Statista, IGES Institut, 2019. en compte dans ce comptage. Berlin occupe une place très centrale dans les flux, avec pas loin du double de départs par près de 95 % du marché. Le graphique 3 donne une idée de rapport à la deuxième ville – Francfort – suivie de près par l’évolution des parts de marché depuis 2013 avec la présence Hambourg et Cologne/Leverkusen. Enfin, 30 % des flux d’auto- sur le marché, à cette époque, de dix opérateurs. On constate cars en Allemagne sont transfrontaliers, ce qui confirme bien la que dès 2015, FlixBus écrase littéralement le marché. En 2013, centralité de l’Allemagne dans l’Europe d’aujourd’hui. Meinfernbus possédait, avant d’être racheté en 2015, plus de Concernant l’intensité concurrentielle de marché, le leader départs hebdomadaires (1 431) que FlixBus (765) ; en 2014 FlixBus a accaparé, par une croissance externe très rapide, aussi (2 610 contre 1 411 pour FlixBus). En 2017, FlixBus proposait déjà 220 lignes régulières, Deutsche Touring 18, DeinBus.de 2 et IC-Bus 3 ! Et après le rachat de Megabus2 en 2016 et Eurolines/Isilines en 2019, FilxBus offre près de 5 734 départs hebdomadaires en 2017 en Allemagne.

SLO : un public jeune venant surtout du train Le public des SLO en Allemagne est bien entendu plutôt jeune : 50 % des voyageurs ont moins de 35 ans. 17 % ont plus de 50 ans. Il apparaît aussi, dans les études consultées, que la poursuite du voyage après un premier trajet en autocar est très faible (4 %). Les motifs du déplacement sont d’abord d’ordre Graphique 1. Evolution de nombre de voyageurs : fer et SLO (services librement organisés). privé (39 %), de vacances (23 %) et pour de petits trajets tou- Source : Statista, IGES Institut, 2019. ristiques (23 %). Ce qui attire les voyageurs est en priorité le prix réduit du déplacement (pour 83 % des interviewés), puis, pour 17 %, le confort et la présence du Wifi mais aussi en 4ème position la gestion simplifiée des bagages. De quels modes viennent les clients de FlixBus ? Une étude IGES Institute, citée par France Stratégie (2017, p.4) nous in- dique que 44 % des passagers d’autocars FlixBus viennent du train (30 % des ICE et 14 % des TER), 19 % de la voiture particu- lière et 19 % du covoiturage. 8 % choisissent l’autocar à la place de l’avion et d’autres modes de transport. Et 10 % ne se seraient pas déplacés sans ce nouveau mode de transport (trafic induit). Enfin, au troisième trimestre 2018, 287 lignes régulières sont offertes à la clientèle en Allemagne (graphique 4). La distance moyenne de chaque voyage est de 311 km en 2017 (contre Graphique 2. Evolution des trafics des autocars longue distance (en voy.km). 534 km en 2006), très proche de celle observée en France. Source : Statista, IGES Institut, 2019. Depuis 2013, le taux de remplissage progresse régulièrement

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pour atteindre 60 % en 2016 (contre 55 % en 2013). Le prix du billet moyen est de 25,6 € en 2017, là aussi avec une progres- sion régulière depuis 2015 (21,7 € en 2015), ce qui révèle bien la recherche de rentabilité des opérateurs et au premier rang de FlixBus. Au quatrième trimestre 2018, 3 328 départs étaient enregistrées en Allemagne pour les allers et retours hebdoma- daires des lignes régulières d’autocars.

FlixBus : incertitudes et interrogations Opérateur 100 % privé, faisant appel à des entreprises de capital risque pour financer une expansion exceptionnelle (graphique 5), les informations financières et commerciales le concernant ne sont pas nombreuses et la culture du secret des affaires fait partie de la stratégie de l’entreprise dans un environnement très concurrentiel. 40 millions de personnes transportées, 250 000 liaisons journalières vers 1 400 villes en- viron et dans plus de vingt-sept pays européens, sans parler © Pinkbus Christian Höber (à gauche) et Tino Engelmann, les deux fondateurs de Pinkbus. d’une expansion annoncée en Turquie et aux Etats-Unis. A la mi 2018, 250 entreprises régionales d’autocars étaient Face à ce mécontentement, FlixBus s’en prend ouvertement sous-traitantes de FlixBus, et employaient près de 6 000 au gouvernement fédéral, le Bund, et aux iniquités fiscales dans conducteurs. FlixBus emploie en direct environ mille salariés. le secteur du transport de voyageurs qui, selon l’entreprise, Les sous-traitants sont nombreux à exprimer leur méconten- discriminent son activité, par exemple face au transport aérien tement car ils bénéficient d’une couverture de coûts de la part qui n’est pas taxé à hauteur de ses émissions de polluants ou de FlixBus proche de 1 € du km alors que le coût de revient contre le transport ferroviaire. Le Bund a en effet baissé en approche les 1,30 € / km. Certains autocaristes arrivent à né- janvier 2020 la TVA sur les billets de la Deutsche Beteiligungs gocier un transfert d’une partie des recettes commerciales, AG (DBAG) – mais aussi de FlixTrain - de 19 % à 7 % (cette liée au nombre de kilomètres parcourus. D’autres arrivent à réduction s’appliquait déjà pour le transport ferroviaire régional faire prendre en compte le remplissage de l’autocar. Mais au de voyageurs inférieur à 50 km), ce qui a entraîné une réaction bout du compte, ils se retrouvent dans une position de « pre- immédiate de FlixBus qui veut porter l’affaire devant la Cour neurs de prix » face à FlixBus « qui fixe les règles ». Certains constitutionnelle et la Commission européenne. En fait, cette représentants d’organisations professionnelles indiquent baisse des prix des billets de la DBAG impacte aussi FlixTrain qu’environ 20 % des opérateurs habituels travaillant avec car elle réduit également l’écart entre les prix des billets de la FlixBus ont rompu leur contrat, ce dernier se tournant plus DBAG et ceux de FlixTrain, en général inférieurs, ce qui n’est vers des opérateurs est-européens. pas du goût de FlixBus, la maison-mère. La stratégie de FlixBus est d’abord celle d’une internationalisation rapide de ses services, actuellement offerts dans vingt-neuf pays La première réaction de FlixBus, en janvier 2020, a été de réduire son offre de service dans les espaces ruraux, où sa rentabilité est faible, en motivant clairement cette décision par la baisse de la TVA sur les tickets de transport ferroviaires déci- dée par le Bund. Des emplois seront aussi supprimés, indique même FlixBus.

Une stratégie à l’international et multimode Les publications financières donnent certains éléments sur Graphique 5. Structure de la capitalisation de FlixBus. Source : Statista, IGES Institut, 2019. la rentabilité, mais sont à prendre avec prudence (consolida- tions entre filiales et sièges, transferts…). FlixBus annonce pour 2017 un flux de trésorerie liée à l’activité de +19 589 000 € et un déficit de -14 528 000 €, en baisse par rapport à 2016. L’opérateur affirme maintenant être rentable depuis 2017 en Allemagne, mais la crise sanitaire pourrait ébranler ces pre- miers succès. L’opérateur a tenté d’innover dans la mobilité électrique des autocars, avec un projet pilote allemand sur la liaison Francfort - Mannheim. Mais à la fin de 2019, il a mis fin à l’expérimentation ainsi qu’à celle lancée en France (sur Paris - Amiens). Les raisons invoquées étaient des problèmes de fiabilité du constructeur chinois d’autocars, mais aussi le temps Tableau 2. Données financières concernant FlixBus. trop long de chargement de batterie. FlixBus s’orienterait main- Sources : https://www.bundesanzeiger.de/ebanzwww/exsservlet ; propres calculs. tenant vers des technologies de pile à combustible et de biogaz.

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Pour autant, sa stratégie est d’abord celle d’une internationalisation rapide de ses services, actuellement offerts dans vingt-neuf3 pays. En 2017, près de 70 % des emplois fixes sont basés à l’étranger. 53 % du chiffre d’affaires est réalisé à l’étranger en 2017 contre 41 % en 2016, ce qui révèle une internationa- lisation à marche forcée. Cette stratégie est ensuite multi- mode, avec une diversification dans le transport ferroviaire : FlixTrain opère sept trains sur trois lignes : Stuttgart- Berlin, Hambourg-Cologne et Leipzig/ Berlin-Cologne/Aix-la-Chapelle. En 2018, 750 000 billets ont été vendus. En 2019, environ le double. Au printemps 2020, une nouvelle liaison devait voir le jour entre Hambourg et Stuttgart mais elle n’est pas encore opérationnelle. © Walter Cicchetti - Adobe Stock Cicchetti - © Walter Avec la France - mais FlixTrain a différé FlixBus est implanté aux Etats-Unis, ici à Hollywood, Los Angeles, en septembre 2018. ses projets dans l’Hexagone -, le mar- ché ferroviaire suédois devait être le premier marché ferroviaire retard par rapport à l’horaire fixé. Mannheim apparaît comme à l’export pour FlixBus. la ville la plus mal lotie en termes de ponctualité avec 20 % des L’opérateur vient aussi de créer une filiale de covoiturage autocars arrivant avec une heure de retard. (FlixCar) pour maintenir la pression sur le leader BlaBlaCar Autre interrogation concernant l’arrivée de Pinkbus : ce bien implanté dans toute l’Europe. Ce service FlixCar est en- nouveau venu n’est-il pas une manœuvre anti-BlaBlaBus5 qui tièrement gratuit pour l’instant en France et n’est pas proposé vise précisément une offre à forte fréquence entre grandes en Allemagne. Des interrogations subsistent sur l’intégration de villes ? BlaBlaCar, maison-mère de BlaBlaBus, mise en effet ce mode avec les services FlixBus et FlixTrain car FlixCar n’est sur une offre complémentaire qui optimise le taux de remplis- proposé aujourd’hui qu’en français et en anglais et flixcar.de sage, le bus permettant de relier les grandes villes à bas coûts. n’est pas référencé. Le covoiturage prend ensuite le relais pour couvrir des zones habituellement moins desservies par les réseaux de trans- Nous observons, depuis l’arrivée de port classiques. Nicolas Buisson, co-fondateur et président de BlaBlaBus en Allemagne, un environnement BlaBlaBus, ne s’en cache pas : « le bus va être l’arme low cost de plus en plus concurrentiel, ce qui pose entre les grandes villes ». BlaBlaBus marque des points avec un remplissage proche de 70 %, et des prix d’appel à 99 cents la question de la rentabilité de ces services pour une trentaine de destinations à la fin 2019 (avec un objec- à moyen terme tif de quarante destinations début 2020).

Des autocars peu ponctuels Trop de pression sur les prix ? Plus intéressante est l’arrivée du nouveau concurrent Pinkbus. Nous observons donc, depuis l’arrivée de BlaBlaBus en Ce dernier propose un service direct de ville à ville, actuel- Allemagne, un environnement de plus en plus concurrentiel, ce lement sur quatre destinations (Düsseldorf, Berlin, Munich, qui pose là encore la question de la rentabilité de ces services à Francfort) sans arrêt intermédiaire « lesquels dégradent la qua- moyen terme : entrée en jeu de Pinkbus, baisse de la TVA sur lité de service », annonce Pinkbus sur son site (https://pinkbus. les billets de trains (de 19 % à 7 % soit environ 10 % de ré- de/)4. Cet argument renvoie, de manière très provoquante, à duction pour le client), apparition de FlixCar… Ne s’oriente-t-on FlixBus dont la stratégie repose, à l’inverse, sur le maillage d’ar- pas vers un jeu à somme négative pour toutes les entreprises rêts intermédiaires dans des villes moyennes, ce qui allonge les engagées ? Et que dire si la crise sanitaire du Covid-19 impacte temps de trajets. La question se pose désormais de la fiabilité durablement la clientèle des autocars ? de ce réseau dense mais où les arrêts provoquent des retards Enfin l’innovation la plus percutante de FlixBus ces derniers et problèmes de correspondances. A l’origine, la justification de mois est la synergie réalisée avec Uber dans une perspective ce choix visait à occuper le segment des villes moyennes parti- de transport en « porte-à-porte ». Cette coopération, valable culièrement délaissé par la Deutsche Bahn (DB). aussi pour les trains, offre d’abord un accès, jour et nuit, aux Une étude récente montre la faible fiabilité de services d’au- chauffeurs Uber aux gares routières de Berlin, Munich, Francfort tocars interurbains en Allemagne. Menée par des journalistes et Düsseldorf. Cette coopération a déjà été initiée en France en de la chaîne de télévision SWR, sur la base de l’analyse de 20186. FlixBus propose aux clients d’Uber un rabais de 10 % 80 000 relations, elle fait apparaître que 50 % des services d’au- sur l’ensemble du réseau en Europe (2 000 destinations, 29 tocars arrivent en Allemagne avec un retard de plus d’un quart pays) et Uber offre 10€ de rabais pour tous les passagers en d’heure. A l’inverse, du côté de la DB, 10 % des trains affichent provenance d’un train ou d’un bus FlixTrain/FlixBus. Les clients un retard supérieur à 15 min. Sur la base de GPS embarqués, actuels reçoivent une réduction de 50 % sur leur prochain trajet une comparaison a été menée sur 40 000 relations effectuées Uber avec un maximum de 10€ de réduction. Nous avons là en concurrence avec la DB et, sur celles-ci, il apparaît que les une tentative « d’intégration » des deux opérateurs dans une autocars FlixBus arrivent en moyenne avec une demi-heure de perspective très séduisante de porte-à-porte pour le client.

36 TI&M n° 521 - mai - juin 2020 Longue distance © Tobias Arhelger - Adobe © Stock Tobias Train FlixTrain à Cologne en janvier 2020. Enfin cette concurrence à outrance, entre FlixBus, pour atteindre rapidement une rentabilité, avec des pré et post BlaBlaBus et maintenant Pinkbus, commence à susciter de acheminements en covoiturage. C’est aussi la nouvelle cible du nombreuses critiques, du côté des pouvoirs publics mais aus- nouvel entrant, Pinkbus : coïncidence ? si des syndicats et organisations professionnelles. Car cette L’expansion intermodale de FlixBus est un défi délicat car pression sur les prix pourrait se faire au détriment de la sécuri- un éventuel manque de qualité de service dans le nouveau té avec des économies réalisées sur l’entretien et les salaires segment de marché pourrait avoir un impact sur la « vache à des chauffeurs. A la mi-2019, un accident majeur d’autocar lait », c’est-à-dire le marché des autocars pour la marque. Mais FlixBus s’est produit sur l’autoroute A9 près de Leipzig. Il a le plus urgent aujourd’hui est de reconquérir une clientèle qui mis en évidence le processus opérationnel complexe et très va, dans un premier temps, se détourner de tous les modes de intensif de l’opérateur. Dans un rapport de l’Office allemand des transport collectif… et devrait privilégier le confort de la voiture transports de marchandises, le niveau d’infraction à la loi sur individuelle ! n la réglementation des temps de trajet et de conduite, observé en 2017, est relativement élevé pour les services d’autocars : 12 % pour 1 346 contrôles. Le rapport mentionne également Bibliographie le niveau élevé de maladie chez les conducteurs. De plus, les • Destatis, office fédéral allemand des statistiques, « Personenverkehr mit syndicats estiment que seuls les cas les plus graves d’arrêt Bussen und Bahnen », 2020 maladie sont enregistrés. • France stratégie, « Perspectives de développement des autocars », note d’analyse n.58, juillet 2017 • Guihéry L., « Long Distance Coach Services in France and Germany : the L’innovation la plus percutante de FlixBus new European competition between FlixBus and BlaBlaBus », Rivista di ces derniers mois est la synergie réalisée Economia e Politica dei Trasporti (REPoT), novembre 2019 : http://www. sietitalia.org/sito%20REPT/iniziale.htm avec Uber dans une perspective de transport • Statista, IGES Institut, 2019 en « porte-à-porte »

Un avenir incertain 1 Le groupe visait l’exploitation de plusieurs dessertes : Paris-Bruxelles, Paris- D’abord tout l’enjeu des mois post Covid sera de voir si Lyon, Paris-Nice en train de nuit, Paris-Toulouse et Paris-Bordeaux. Une BlaBlaBus, mais aussi Pinkbus, vont parvenir, d’abord à sur- demande de sillons avait été déposée auprès de l’ART. Cette apparition de la concurrence en « open access » sur le réseau est très attendue. La RENFE et vivre, puis à prendre des parts de marché à FlixBus. Les Thello souhaitent aussi proposer une offre ferroviaire. premiers mois de 2020 semblent l’attester avec une baisse du 2 Megabus avait bâti sa stratégie sur la possession d’une flotte en propre. nombre de voyageurs dans les bus verts, mais une forte hausse Résistance impossible de l’ancienne économie sur l’économie de start-up de FlixBus. des voyages en trains verts, et aussi côté DB, en grande par- 3 Lancement aux Etats-Unis en juin 2019 face à Greyhound. Août 2019 : rachat en tie en raison de la baisse de la TVA sur les billets de train (de Turquie de Kamil Koç, l’un des leaders, reliant 61 villes et transportant 20 millions 19 % à 7 %) ! Substitution ? Cannibalisation ? Il est trop tôt pour de voyageurs en 2018. 4 Service là aussi interrompu actuellement en raison de la crise sanitaire. pouvoir y répondre. 5 BlaBlaBus opère en Allemagne depuis juillet 2019 sous la supervision de Comutu, Le modèle économique de BlaBlaBus est le même que celui la filiale de BlaBlaCar en Allemagne. Dans toute l’Europe, BlaBlaBus vise 400 de FlixBus : passer des contrats avec des opérateurs privés destinations (FlixBus en propose 2 000). La presse allemande a explicitement noté cette entrée en force sur le marché allemand : « Les Français attaquent d’autocars qui gèrent les chauffeurs et le fonctionnement des FlixBus avec une alliance européenne » (FAZ, C. Schubert, 19.12.2017). Et autocars. Mais la stratégie de BlaBlaBus est assez différente l’ancien président du groupe SNCF, G. Pepy, soutient cette stratégie : « Si FlixBus de celle de FlixBus : la société française ne veut pas entrer sur pense pouvoir dominer le marché comme en Allemagne, ils échoueront. Il y aura toujours deux acteurs sur le marché ». le marché ferroviaire comme l’a fait FlixBus, qui a lancé les ser- 6 En France, pour dix villes : Paris, , Lyon, , Toulouse, Nice, Nantes, vices FlixTrain, et elle vise les flux de grande ville à grande ville Montpellier, Strasbourg, Bordeaux, Rennes, Aix-en-Provence.

TI&M n° 521 - mai - juin 2020 37 significative des dessertes abandonnées par FlixBus au quatrième trimestre 2019 étaient donc exclusives.

1.3. Le nombre de liaisons évolue peu par rapport à 2018

Le nombre de liaisons opérées par les opérateurs de services d’autocars librement organisés s’établit à 1 769, un chiffre en baisse de 16 % par rapport au trimestre précédent (variation saisonnière) mais record Dossier par rapport à la même période des années précédentes. Figure 7 – Evolution du nombre total de liaisons commercialisées

  +10%   +11% 

+30% 4 1

1 +22% -11% Bus longue distance6 en France-16% :  9 2 6

 1

  9 9 4 1 +24% 9 2 1909 1 7

-13% 6

 +2% 4 7 -9% 7 7 1790

ouverture, consolidation1

 1 1744 3 1 8 +18% 6 8 0 5  0  1597

+15% 5 5 1556 1550 1 3

 4 1 1488 © DR 4 4

+8% 1 1438

+30% 1 1387 6 et perspectives7 -17% intermodales  2 8 1255 1 7 1 4 6

 +22% 1 5 3 0

Par Thierry Blayac, professeur d’économie8 à l’université de Montpellier, 1090 0 1063 1 982 +62% 9 1 1012

chercheur au Centre d’économie5 de l’environnement de Montpellier (CEE-M) 859 9 791 7 [email protected]​ 1 5 651 et Patrice Bougette, maître6 de conférences en sciences économiques à l’Université Côte d’Azur et membre 2

du laboratoire CNRS0 « Groupe de recherche en droit, économie, gestion (GREDEG) » à Sophia Antipolis 402 4

© DR [email protected]

T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 T1 T2 T3 T4 Aujourd’hui en France, deux opérateurs2015 – FlixBus2016 et BlaBlaCar2017 via sa marque2018 BlaBlaBus2019 – se partagent l’essentiel du marché des lignes de bus longue distance. Tous deux s’appuient sur un modèle d’affaires qui relève de la plate-forme d’intermédiation. Avec la promulgation Totalde la opérateurs loi Macron à Opérateursl’été 2015 nationaux qui a libéralisé ceEvolution mode T/Tde -1transport, le marché a considérablement évolué. Après un rapide bilan de la dynamique de ce marché, depuis sa création jusqu’à sa consolidation inévitable, cet article évaluera, à l’aune de nouvelles opportunités permises par la loi Mobilités, l’importance du digital dans Figure 8 – Nombre de destinations directes par ville la stratégie des opérateurs. Ainsi que le contrepoids concurrentiel exercé par d’autres modes de transport au positionne- au 4ème trimestre 2019 ment proche.

a loi Macron de l’été 2015 a permis la création d’un nou- veau marché,La densitécelui des du lignes réseau de busest longuedirectement distance impactée Lentre villespar françaises la variation1. Sans revenirdu nombre sur l’histoire de liaisons. de ce Les mode de transportvoyageurs en France, ne à l’exceptiondisposent de casdésormais marginaux, que de il n’existait pas 13,6un tel destinations marché avant par 2011. villes Ce enn’est moyenne, que par contre l’intermédiaire du14,5 cabotage au trimestre – imposé précèdent par la législation, mais en euro hausse- par péenne – que lesrapport prémices aux d’un 13,1 tel destinationsmarché existaient dis poniblespour des un an lignes à dimension internationale, et à condition que les pas- plus tôt. Les dix villes et sites reliés au plus grand sagers ne représentent pas plus de la moitié des personnes à bord, ni plus denombre 50 % dude chiffre destinations d’affaires. Ladirectes loi Macron sont a Paris permis de lever(180 ces différentesdestinations), restrictions Lyon et l’ouverture(95), l’aéroport à la de concurrence desParis lignes-Charles longue distance de Gaulle (au-delà (87), de 100 l’aéroport km)2. de Paris-Orly (70), Bordeaux (62), Grenoble (58), Un marché attractifToulouse (56), Lille (54), Marseille (52) et Depuis, cette nouvelleClermont offre-Ferrand de mobilité (51). a rencontré un réel succès auprès des Français. Entre le 3e trimestre 2015 et le 3e trimestre 2019, pas moins de 30 millions de voyageurs ont choisi ce mode de transport abordable économiquement et accessible presque en tout point du territoire. On a ainsi assisté à une Figure 1 : Nombre de destinations directes par ville (4è trimestre 2019). augmentation constanteFlixBus a dufortement nombre deréduit passagers son offre transportés trimestrielle Source par rapport : ART (2020). à BlaBlaBus. Ce trimestre, l’opérateur offre depuis la création.seulement Il faut dire 1 107que malgréliaisons des contre hausses 1 392récentes trois mois plus tôt. En parallèle, BlaBlaBus réduit légèrement le sur lesquelles nombrenous reviendrons, de liaisons la recettequ’elle paroffre passager-km (796 contre 884 auLa troisièmepopularité detrimestre). ce nouveau En modeconséquence, s’est accrue la partà l’occa de - s’établit à 4,7 centimes d’euro3, ce qui rend le marché attrac- sion de mouvements sociaux qui ont bloqué les transports FlixBus parmi le réseau global de liaisons diminue de deux points pour s’établir à 63 %, tandis que celle tif pour la plupart des consommateurs, sans compter les offres ferroviaires, dont les grèves du printemps 2018 ou celles en- promotionnellesde que BlaBlaBus les opérateurs augmente n’ont cesséde quatre de lancer points pour pour s’établircore de àl’hiver 45 %. 2019 6. Le marché est en réalité très flexible et séduire une nouvelle clientèle a priori peu habituée de ce mode peut très rapidement s’adapter à ce type d’événements « ex- de transport. En dépit de ce succès apparent, le taux d’occupa- traordinaires ». Il est par exemple très peu coûteux pour un tion reste sommeBilan toute du assez marché faible, de entre transport 57 % et par 66 %autocar fin 2018. librement opérateur organisé d’ouvrir – 4 desème trimestrelignes ou de 2019 faire varier la fréquence6 / 17 en Augmenter ce taux constitue un réel enjeu pour les opérateurs4. fonction d’une demande ponctuelle ou de la saisonnalité (par Tous les territoires ont pu bénéficier à des degrés divers de ex : UEFA Euro 2016). Les rapports de l’Autorité de régulation l’expansion de ce nouveau marché. Ainsi, au 3e trimestre 2019, des transports (ART, ancien ARAFER) montrent la variation 287 villes étaient desservies (figure 1). L’offre de liaisons entre de fréquences des lignes commercialisées. Les opérateurs villes a atteint un nouveau record en octobre dernier avec 2 153 peuvent adapter leurs liaisons commercialisées durant ce trimestre. Entre le 3e trimestre 2015 offres en fonction des se- Les liaisons opérées sont radiales pour 10 % des cas, infra- et le 3e trimestre 2019, maines : les relevés que régionales pour 32 % et inter-régionales pour 58 % d’entre elles. pas moins de 30 millions nous avons pu effectuer Le maillage sur le territoire est renforcé par une offre de transpor- dans le cadre d’une pré- teurs locaux en dehors de FlixBus et BlaBlaBus5 ; les barrières de voyageurs ont choisi cédente étude montrent à l’entrée étant faibles dans les cas d’une offre locale et ciblée. ce mode de transport des flux d’entrées et de

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sorties d’opérateurs sur une même ligne7. Cette situation est (avant le renforcement de l’offre Ouigo) ne joue pas sur le même seg- illustrée sur le graphique 1 pour la liaison Montpellier-Bordeaux ment de clientèle (14 centimes d’euro en moyenne sur la période). sur la période allant d’août 2015 à juin 2018. Si le début de la période jusqu’à la fin 2016 illustre parfaitement le fonctionne- Le marché des bus longue distance ment d’un marché récemment déréglementé (entrée puis fusion est très flexible et peut rapidement entre opérateurs), la fin de la période (années 2017 et 2018) s’adapter à des événements illustre plutôt une adaptation des opérateurs encore présents « extraordinaires » à la variation de la demande saisonnière (phénomènes d’en- trées-sorties très réguliers). Avant d’aborder les aspects de le concurrence intermodale de manière plus détaillée, il nous paraît opportun de focaliser notre attention sur la dynamique concurrentielle du marché du bus longue distance en France.

Un marché classique en termes de dynamique concurrentielle Le marché des bus longue distance a connu une évolution somme toute classique à la suite de son ouverture. Très ra- pidement, un « club des cinq » s’est formé au niveau national, avec les opérateurs Ouibus, FlixBus, Eurolines, Megabus et Starshipper. L’analyse des cinq lignes représentatives du marché national montre qu’il y a eu dans un premier temps une phase de prix très faibles, de manière à attirer une nou- velle clientèle et à induire une nouvelle demande, puis dans un second temps un ajustement des prix à la hausse9. Au-delà Graphique 1 : Nombre d’opérateurs et fréquence quotidienne sur la liaison Montpellier - Bordeaux. de cet effet, nous avons observé pour l’essentiel les résultats théoriques attendus en matière de concurrence lorsque de Des études récentes de l’ART soulignent quelques spécifi- nouveaux opérateurs entrent sur le marché, à savoir une aug- cités de la demande de transport de bus longue distance8. En mentation des fréquences proposées ainsi qu’une amélioration général, il s’agit d’une demande de jeunes adultes (18 % d’étu- de la qualité de service. diants) ou de retraités (21 %). Un effet d’induction de la demande Les signes de première consolidation du marché ne se est rendu possible grâce à des stratégies tarifaires agressives et sont pas fait attendre. En effet, en juillet 2016, FlixBus acquiert une sensibilité moins forte de la clientèle au temps de transport. les activités continentales de Megabus, et Ouibus rachète le Ainsi, 17 % des clients déclarent qu’ils n’auraient pas voyagé réseau indépendant Starshipper. À l’aide d’une méthode appro- s’ils n’avaient pas disposé de cette nouvelle offre de mobilité. priée permettant d’isoler les effets spécifiques dus à une fusion, Dans le cadre d’un travail de recherche, nous avons suivi nous parvenons à montrer, dans une étude en cours10, que ces (monitoré), sur une base hebdomadaire, cinq liaisons domes- deux acquisitions ont conduit à des augmentations de prix des tiques sur la période de courant août 2015 à juin 2018. Cette tickets, en particulier au cours des premiers trimestres suivant étude nous a permis d’établir l’évolution de la recette par pas- les fusions pour s’estomper ensuite (graphique 3). Concernant sager-km pour les trois modes suivants : le bus, le train et le les fréquences de trajet proposées, nous montrons que les covoiturage. Les résultats (graphique 2) confirment que le bus opérateurs procèdent à un ajustement de leur offre (baisse si- constitue bien une offre de mobilité accessible pour le plus gnificative), sans pour autant que leurs taux de remplissage grand nombre, et qui a pour principal rival le covoiturage, mode s’en trouvent affectés. de transport issu de l’économie collaborative. Pour ces deux Les deux dernières acquisitions sont plus récentes. En modes, la recette par passager-km connaît une tendance haus- 2018, le leader du covoiturage BlaBlaCar acquiert Ouibus11. sière avec un resserrement de l’écart initial en fin de période L’objectif est de développer une offre multimodale en entrant (de 3 à 6,5 centimes d’euro et de 6 à 8 centimes d’euro res- sur un nouveau marché, avec un opérateur déjà visible, et de pectivement pour le bus et le covoiturage). Clairement, le train lui faire profiter de son développement international et de sa

Graphique 2 : Evolution de la recette par passager-km (€/pkm) Graphique 3 : Evolution de la recette par passager-km avant/après fusion (€/pkm)

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gestion des données. Ce regroupement donna naissance à la derniers sont d’autant plus incités à rejoindre la plate-forme marque BlaBlaBus. En 2019, FlixMobility Gmbh – la société FlixBus qu’elle est capable de les connecter à un grand réseau mère derrière FlixBus – rachète Isilines-Eurolines à Transdev de clients potentiels. qui recentre ses activités sur le transport public et le transport Lorsque les effets de réseau se déploient sur une plate- pour le compte des entreprises12. forme, les coûts d’acquisition des utilisateurs diminuent. Un nombre croissant de clients sur BlaBlaBus ou FlixBus signifie Le bus constitue une offre de mobilité une augmentation de la demande, et cette demande entraîne accessible pour le plus grand une nouvelle offre. Plus d’offre signifie plus de disponibilité et de concurrence sur les prix, qui sont tous des facteurs créant une nombre, et qui a pour principal rival nouvelle demande. Plus la plate-forme se développe et devient le covoiturage, mode de transport précieuse pour ses utilisateurs, plus elle peut légitimement tirer issu de l’économie collaborative profit de chaque transaction. De fait, si la plate-forme grandit, cela génère de la valeur pour toutes les parties et sa part de Aucune de ces acquisitions n’a pu faire l’objet d’une no- marché croît. Par ailleurs, les consommateurs peuvent recourir tification préalable auprès de l’Autorité de la concurrence en à plusieurs plates-formes en fonction du coût que cela consti- raison de la faiblesse des chiffres d’affaires des opérations pro- tue. Ce multi-hébergement est aisé puisqu’il suffit d’installer posées13. Il est encore trop tôt pour savoir si cette deuxième deux applications différentes (FlixBus et BlaBlaBus). Quant aux vague de fusions aura des effets similaires à la première, qui, autocaristes partenaires, au début de la libéralisation du mar- rappelons-le, s’était traduite par une hausse temporaire des ché, ils étaient bien souvent liés par une clause d’exclusivité à prix, une diminution significative des fréquences et n’avait une plate-forme. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, c’est-à-dire guère eu d’impact sur les taux de remplissage des opérateurs. qu’un transporteur peut avoir sa flotte de bus, moitié BlaBlaBus, Mais de fait, dès le troisième trimestre 2019, le marché évolue moitié FlixBus. vers une structure duopolistique au niveau national. Un nombre croissant de clients Un marché relevant des spécificités de l’économie digitale sur BlaBlaBus ou FlixBus signifie Les acteurs du marché s’appuient sur la stratégie digitale et une augmentation de la demande, le modèle des plates-formes pour se développer14. FlixBus et et cette demande entraîne BlaBlaCar sont des exemples de plates-formes numériques qui fonctionnent comme des marchés bifaces15. En effet, elles in- une nouvelle offre tègrent un réseau d’opérateurs partenaires (offre) et les mettent À l’instar de nombreuses réussites dans le numérique, les en relation avec des consommateurs désireux de mobilité (de- deux groupes leaders actuels (BlaBlaCar et FlixMobility Gmbh) mande) via leurs sites Internet ou applications mobiles. Les partagent des similitudes dans le financement de leur déve- plates-formes, quant à elles, fournissent des services spéci- loppement. Les deux entreprises ont d’abord été des start-ups fiques à valeur ajoutée, tels que la mise en correspondance, le avec une idée innovante, l’une sur le covoiturage entre parti- routing, les mécanismes d’évaluation et une formule de paie- culiers, l’autre sur le développement de trajets longue distance ment intégré. en bus. Les deux opérateurs sont ainsi devenus des plates- Ainsi, selon ce modèle d’affaires, FlixBus et BlaBlaCar ne formes internationales multimodales17 et ont atteint le statut de possèdent aucun autocar et proposent leurs services d’inter- « licornes » européennes, dépassant la valorisation de plus d’un médiation entre clients et compagnies de bus. Les marchés milliard de dollars. Pour accélérer leur développement à l’inter- bifaces reposent sur l’exploitation des effets (ou externalités) de national et accroître leur présence intermodale, elles ont réussi réseau16. Dans le cas présent, un client est d’autant plus incité à à lever des fonds records grâce à des sociétés de capital-inves- acheter son ticket auprès de FlixBus que ce dernier est capable tissement qui ont parié sur leur succès. En 2015, BlaBlaCar a de lui fournir des destinations et des fréquences variées grâce levé 177 M€18 et FlixMobility Gmbh 500 M€ en 2019, valorisant à son réseau d’autocaristes partenaires. Réciproquement, ces ainsi l’entreprise à plus de 2 Md€19. Ces chiffres vertigineux n’assurent pourtant pas la rentabilité des deux opérateurs : BlaBlaCar n’a pas été rentable sur 2018-2019 ni a priori pour cette année en raison des achats de Ouibus ainsi que de Busfor, numé- ro 1 de la distribution de billets de bus en ligne en Russie et en Ukraine20. Quant à FlixBus, il n’est toujours pas rentable en France en 2019, certai- nement à un « horizon de 2020 ou 2021 »21 . La crise sanitaire du Covid-19 pourrait néanmoins retarder la réalisation de cet objectif. Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette course effrénée à la concentration et aux gains de parts de marché échappe au contrôle des autorités de concurrence. En effet, en dépit de leur valorisation financière considérable, la faiblesse des chiffres d’affaires des deux licornes européennes les fait passer en deçà des seuils de notification du contrôle des concentrations.

© BlaBlaCar C’est la raison pour laquelle, en février 2020, Le covoiturage est le principal rival du bus longue distance. l’Autorité de la concurrence a défini le concept

40 TI&M n° 521 - mai - juin 2020 Longue distance © BlaBlaBus En France, BlaBlaBus dessert environ 40 villes ainsi que plusieurs aéroports, dont Roissy-Charles de Gaulle et Orly. d’acquisitions « consolidantes » et propose des mécanismes est alors apparu comme une alternative crédible à l’autocar, de contrôle des concentrations spécifiques à l’économie nu- au détriment naturellement du covoiturage et de la voiture per- mérique. « Ces opérations d’acquisition réalisées « sous les sonnelle23. Une enquête d’opinion montre que face au train, la seuils » peuvent faire craindre une appropriation de l’innovation clientèle des bus reproche par exemple l’inconfort des gares par certains acteurs dominants qui pourrait être dommageable routières où le personnel et l’information peuvent manquer, la pour l’économie, faute de contrôle effectif de la part des autori- non-fiabilité de certains horaires et l’étroitesse des véhicules24. tés de concurrence22 » met-elle en garde. La stratégie de la SNCF, via sa marque Ouigo, a également Finalement, les deux opérateurs se concurrencent fronta- pour objectif de se préparer à l’ouverture à la concurrence du lement sur le marché des bus longue distance (concurrence secteur ferroviaire25. intramodale) mais s’affrontent également sur d’autres mar- Les travaux de Fageda et Sansano (2018) montrent que chés (concurrence intermodale) tels que celui du covoiturage les deux types de concurrence inter/intra modale ne jouent avec le lancement de la marque FlixCar et peut-être à terme pas sur les mêmes variables en matière de transport longue sur le ferroviaire. distance26. Ces auteurs ont collecté des données pour l’année 2015 sur des liaisons au sein de plusieurs pays européens, Face au train, la clientèle des bus dont la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Suède et le reproche l’inconfort des gares routières Royaume-Uni. Ils parviennent à établir que, sur le marché des où le personnel et l’information peuvent bus longue distance, la concurrence intramodale se fonde plu- tôt sur les fréquences, alors que la concurrence intermodale manquer, la non-fiabilité de certains serait quant à elle basée sur les prix. Par conséquent, le dé- horaires et l’étroitesse des véhicules veloppement de la concurrence intermodale disciplinerait la stratégie tarifaire des opérateurs sur le marché des bus. Vers des opérateurs à la multimodalité assumée ? En raison des progrès technologiques, de l’innovation di- La concurrence intermodale, c’est-à-dire entre différents modes gitale et d’une demande croissante des clients, de plus en de transport pour un même trajet, peut venir nuancer les effets plus d’opérateurs de transport offrent une grande variété de de la consolidation du marché des bus longue distance. services de mobilité tels que le covoiturage, le partage de En termes de concurrence intermodale, le mode de vélos, la location de voitures, les services de navette, les ap- transport alternatif le plus proche du bus était à l’origine le co- plications d’acheminement et de billetterie intermodales, etc. voiturage avec son leader BlaBlaCar. Ainsi, dans l’étude que Cette approche globale visant à intégrer les différentes formes nous avons conduite, la recette moyenne par passager-km sur de mobilité et à regrouper divers services de transport privé et 2015-2016 était de 3,6 centimes d’euro pour le bus et de 6 cen- public sur une plate-forme électronique est connue sous le nom times pour le covoiturage, positionnant les deux modes comme de Mobility as a Service (MaaS). L’idée centrale de MaaS est très proches. La SNCF, probablement consciente de délaisser d’offrir un ensemble de produits individualisés pour l’utilisation un segment de clientèle non négligeable, a réagi vivement à la intégrée de services de mobilité en accord avec les besoins montée en puissance des bus longue distance en développant actuels des utilisateurs27. et repositionnant son offre de TGV low cost Ouigo dès 2017 : Du point de vue réglementaire, l’année dernière a été mar- augmentation des fréquences, développement de nouvelles quée par la promulgation de la loi d’orientation des mobilités lignes, desserte des gares principales, etc. De ce fait, le train (LOM) du 24 décembre 2019 qui redessine les perspectives

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de mobilité sur le territoire français (voir encadré). Elle a no- Les principaux axes de la LOM tamment pour objectif de promouvoir l’intermodalité et de La loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM) faciliter à terme une approche intégrée de satisfaction des be- répond à plusieurs objectifs : soins de mobilité, dans la logique du MaaS. La LOM offre un • sortir de la dépendance automobile, notamment dans les espaces de cadre au développement du covoiturage, en particulier pour faible densité ; • accélérer le développement des nouvelles mobilités en facilitant le les trajets domicile-travail. Ainsi, un financement public pré- déploiement de nouveaux services numériques multimodaux ; voit d’allouer 400 € par an aux employés, sous la forme d’un • concourir à la transition écologique en développant les mobilités actives forfait mobilités versé par l’entreprise. Le groupe BlaBlaCar, (vélo, marche) ; qui a lancé récemment sa marque BlaBlaLines sur du domi- • programmer les investissements dans les infrastructures de transport. cile-travail, pourrait bénéficier de cette disposition. Des voies La LOM programme d’ici le 1er juillet 2021 la couverture intégrale du territoire réservées au covoiturage sont également prévues28 qui pour- national en autorités organisatrices de la mobilité (AOM), en favorisant notamment les relations entre les intercommunalités et les régions. L’objectif est ront favoriser BlaBlaCar mais également FlixBus qui compte de garantir, sur chaque territoire, un acteur public compétent pour organiser des lancer son offre FlixCar sur ce même segment. Enfin, la LOM services de mobilité alternatifs à l’usage individualisé de la voiture. Par ailleurs, introduit un service numérique multimodal comme un « ser- la LOM met fin en 2025 au monopole de la RATP sur les bus à Paris et en petite couronne. vice numérique qui permet la vente de services de mobilité, de stationnement ou de services fournis par une centrale de réservation » au sein duquel les plates-formes de mobilité pourraient prendre leur part. Finalement, les acteurs du marché du bus longue distance pourraient à terme devenir des acteurs majeurs de la mobilité des Français, en intégrant d’autres modes de transport, des nouvelles formes de mobilité pour des déplacements courte, Les acteurs du marché du bus longue moyenne et longue distance, réguliers ou non, pour des mo- distance pourraient à terme devenir tifs personnels ou professionnels. Des « géants » de la mobilité des acteurs majeurs de la mobilité pourraient voir le jour à plus ou moins brève échéance dans la mouvance de la Big Tech. Une certaine vigilance réglementaire des Français, en intégrant d’autres s’impose donc pour être sûr que la satisfaction des besoins modes de transport et des nouvelles de mobilité des citoyens demeure au cœur des préoccupations formes de mobilité des différents acteurs. n

1 Loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des des entreprises ou groupes de personnes physiques ou morales concernés est chances économiques, JORF n°0181 du 7 août 2015 page 13 537. supérieur à 50 M€. 2 Pour les liaisons inférieures à 100 km, le marché n’est pas complétement 14 Evans, D. S. et Schmalensee, R. (2017), « De précieux intermédiaires : libéralisé. La loi Macron contraint les opérateurs à notifier à l’Autorité de Comment BlaBlaCar, Facebook et Uber créent de la valeur ». Odile Jacob. régulation des ransports (ART) la liaison avant exploitation commerciale, pour 15 Rochet, J.-C. et Tirole, J. (2003) « Platform Competition in Two-Sided Markets », qu’une autorité organisatrice de transport (région, département) puisse saisir Journal of the European Economic Association, 1(4), pp. 990–1029. l’ART si la liaison concernée portait atteinte à l’équilibre économique du service 16 Belleflamme, P. et Peitz, M. (2015), « Industrial Organization : Markets and public existant. L’ART, dans ce cas, est en mesure de refuser le projet d’ouverture Strategies ». 2e éd. Cambridge, UK : Cambridge University Press. de ligne. 17 Flixbus a investi alors le ferroviaire avec la marque FlixTrain ; BlaBlaCar a 3 ART (2020), « Le marché librement organisé des services interurbains par pu racheter Ouibus et créer un partenariat avec la SNCF pour créer une offre autocar - Bilan du 3e trimestre 2019 ». multimodale train-car-covoiturage. 4 Crozet, Y. (2017), « Les autocars et le marché voyageurs longue distance : un 18 Il s’agit de la deuxième plus importante levée de fonds en France. Voir « Meero, jeu « perdant-perdant » ? », Ville, Rail & Transports, pp. 46–53 ; Crozet, Y. and Doctolib, BlaBlaCar, Deezer... toutes les méga-levées de fonds des start-ups Guihéry, L. (2018) « Deregulation of Long Distance Coach Services in France », françaises », La Tribune, 12 juillet 2019. Research in Transportation Economics, 69, pp. 284–289. 19 « Transport app FlixMobility gets Germany’s biggest tech funding round to drive 5 ART (2019) Marché du transport par autocars et gares routières, rapport annuel growth », Reuters, 18 juillet 2019. exercice 2018 20 « BlaBlaCar : le covoiturage, le bus et demain le train », Capital, 3 avril 2020. 6 « Les transports alternatifs, grands gagnants de la grève à la SNCF », Le Monde, 21 « FlixBus intéressé par le transport aérien ? On ne s’interdit rien ! » – L’interview 3 avril 2018 ; « Grève dans les transports : les réservations de cars FlixBus en d’Yvan Lefranc-Morin, directeur général de FlixBus France, Tourmag, 28 août augmentation de 100 % », L’Express, 9 décembre 2019. Les opérateurs ont été 2019. critiqués en raison d’une forte augmentation des prix pendant les événements 22 Autorité de la concurrence (2020), « Contribution de l’Autorité de la concurrence sociaux de l’hiver 2019. Voir l’étude de l’UFC-Que Choisir ? « Grève SNCF : les au débat sur la politique de concurrence et les enjeux numériques », 19 février Cars « Macron », vrais gagnants ou vrais profiteurs ? », 4 avril 2019. 2020. 7 Blayac, Th. et Bougette, P. (2017) « Should I Go by Bus ? The Liberalization 23 ART (2018), op. cit. of the Long-distance Bus Industry in France », Transport Policy, 56, pp. 50–62. 24 « Face au car, au covoiturage et à l’avion, le train reste le choix n°1 », Le Monde, 8 Voir par exemple Autorité de régulation des transports (ART) (2018), « Les 27 mai 2019. pratiques de mobilité des voyageurs sur les lignes régulières d’autocar librement 25 Pour une discussion des modalités d’une ouverture à la concurrence efficace organisées ». Enquête de terrain réalisée entre le 15 octobre et le 15 novembre en matière de ferroviaire, voir Bougette, P., Gautier, A. & Marty, F. (2019). « Which 2017. Access to Which Assets for an Effective Liberalization of the Railway Sector ? » 9 Blayac, Th. et Bougette, P. (2017), op. cit. vis n° 2019-049 du 30 juillet 2019. GREDEG Working Paper, No. 2019-38. 10 Blayac, Th. et Bougette, P. (2020) « What Can Be Expected from Mergers after 26 Fageda, X. et Sansano, S. (2018), « Factors Influencing Prices and Frequencies Deregulation ? The Case of the Long-distance Bus Industry in France », Mimeo. in the Interurban Bus Market : Evidence from Europe », Transportation Research 11 Blayac, Th. et Bougette, P. (2018), « Le rachat de Ouibus par BlaBlaCar, ou le Part A : Policy and Practice, 111, pp. 266–276. grand bouleversement dans l’offre de mobilité », The Conversation, 2 décembre 27 Stopka, U., Pessier, R., et Günther, C. (2018). « Mobility as a Service (MaaS) 2018. Based on Intermodal Electronic Platforms in Public Transport ». Human-Computer 12 « L’allemand FlixBus officialise le rachat d’Eurolines et Isilines au français Interaction. Interaction in Context, 419-439 Transdev », Le Monde, 2 mai 2019. 28 « En zone dense, l’Etat privilégiera, notamment sur son propre réseau, les 13 Selon l’article L. 430-2 du Code du commerce, les concentrations sont soumises investissements permettant la réduction de l’usage individuel de la voiture et la au contrôle de l’Autorité de la concurrence si le chiffre d’affaires total mondial maîtrise de la congestion (gestion dynamique du trafic, voies réservées, etc.) hors taxes des parties à la concentration est supérieur à 150 M€ ; ou si le chiffre et accompagnera les collectivités dans leurs projets comme, par exemple, les d’affaires total hors taxes réalisé individuellement en France par deux au moins actions de promotion du covoiturage » (extrait du rapport annexé à la LOM).

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La compétition dans la grande vitesse ferroviaire italienne : une innovation majeure pour un jeu « gagnant-gagnant » ?1

Christian Desmaris, Laboratoire Aménagement Economie Transports MCF à Sciences Po Lyon,

© Damien Desmaris [email protected]

La politique ferroviaire européenne promeut la concurrence afin de permettre à ce secteur de regagner en compétitivité et en attractivité. Depuis 2012, l’Italie tient une place toute particulière dans ce processus. Elle est le seul pays européen à connaître sur son réseau ferroviaire à grande vitesse une concurrence frontale, de type « open access », entre l’opérateur historique public, Trenitalia, et Italo, un train opéré par un nouvel entrant totalement privé, NTV (« Nuovo Trasporto Viag- giatori »). A l’heure de l’ouverture généralisée du transport ferroviaire de voyageurs en France, cette innovation de marché majeure pourrait donner des idées pour bousculer le « statu quo » maintenu par l’opérateur national.

’ouverture de la compétition sur le marché de la grande avant tout d’ordre structurel, car aucun pays européen n’a en- vitesse en Italie a eu lieu dans un contexte doublement registré une telle stagnation de son trafic ferroviaire (stable à Ldéfavorable : une tendance à la baisse de la demande fer- 47 milliards de passagers-kilomètres annuel de 1995 à 2012). roviaire intérieure d’une part ; une situation macroéconomique nationale pénalisée par la crise européenne d’autre part. Le nou- De tous les grands pays européens, veau compétiteur Italo, lancé par NTV, s’est également trouvé l’Italie est celui où le marché du transport confronté à des barrières à l’entrée non négligeables et à un risque de comportement non-coopératif de l’opérateur historique. ferroviaire de passagers a été le moins Face à ces facteurs pénalisants, les actionnaires du nouvel opé- dynamique depuis les années 1990 rateur ont opté pour une ambitieuse stratégie d’investissement et pour un modèle économique innovant. Suppositions de barrières à l’entrée et de jeu non-coopéra- tif de l’opérateur historique L’industrie ferroviaire italienne est caractérisée par de nombreux obstacles à l’entrée et à la sortie. La littérature économique dis- tingue les barrières matérielles et immatérielles. La principale barrière matérielle à l’entrée réside dans les obstacles à un accès équitable et non discriminatoire au réseau (difficultés à obtenir le matériel roulant adéquat ou pour accéder aux ter- minaux, aux dépôts, aux installations d’entretien et aux points de vente). Ces barrières matérielles sont souvent renforcées par des barrières plus immatérielles (économies d’expérience, accès préférentiel au capital financier et fidélité à la marque). Tableau 1. Les performances des compagnies ferroviaires européennes nationales. Source : nos calculs, à partir de « International Railway Statistics », UIC, 2016, Paris. Sans compter que les entreprises en place sont plus à même (a) Les trains de voyageurs, tableau 41. (b) Trafic national et international, tableau 51. de développer des stratégies bloquant l’entrée sur leur marché, (c) 2014. en saturant les infrastructures clés par des réservations de sil- lons aux heures de pointe ou sur les segments les plus porteurs Une demande ferroviaire déclinante et un environnement commercialement. macroéconomique européen défavorable En Italie, bien que certains journaux aient souligné les di- De tous les grands pays européens, l’Italie est celui où le vers obstacles pratiques que NTV a dû affronter et surmonter marché du transport ferroviaire de passagers a été le moins pour réussir son entrée (créneaux horaires, accès aux gares dynamique depuis les années 1990, et l’était encore lors de et absence de guichets de ventes de billets...), aucune preuve l’arrivée de NTV en 2012 (tableau 1). n’a été apportée et les enquêtes diligentées par l’Autorité de La crise de 2008, aux effets particulièrement marqués et du- la concurrence n’ont retenu aucun fait d’abus de position do- rables en Italie, est venue pénaliser plus encore la demande minante de la part de l’opérateur historique. Et pourtant NTV de mobilité, se traduisant par une réduction sensible du volume s’est activé à donner une publicité à ces questions et a tenté total de passagers-kilomètres (-6,1 % entre 2007 et 2012). Mais de faire sanctionner ces éventuelles entraves en les portant les raisons de l’atonie de la demande ferroviaire en Italie sont devant l’Autorité de la concurrence.

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NTV : un entreprenariat ambitieux et un modèle économique innovant NTV a été créé en décembre 2006 par plusieurs entrepreneurs privés ita- liens reconnus, Luca Di Montezemolo, Diego Della Valle, Gianni Punzo et un cadre dirigeant de Trenitalia, Giuseppe Sciarrone. A cet ensemble, viendra s’adjoindre un peu plus tard la SNCF comme « partenaire technique », sans implication dans la gestion. Les objectifs initiaux de NTV se voulaient ambitieux : acquérir 20 à 25 % de part de marché de la grande vitesse en Italie à l’horizon 2014- 2015 ; être à l’équilibre financier d’ici 2014 et ouvrir, après -Rome- Naples, de nouvelles liaisons à destination de Bologne, Padoue, Venise et . NTV a d’emblée affiché une stra- tégie ambitieuse et de long terme en optant pour un investissement initial massif. D’entrée, ses actionnaires

ont accepté d’investir plus d’1 Md€, Adobe Stock - © Polonio Video dont 628 M€ pour l’achat de 25 rames Train haut de gamme Frecciarrossa (ou « Frecce ») de Trenitalia, en gare de Florence. AGV inédites et 90 M€ pour un site de maintenance en pleine propriété, à Nola près de Naples. Un choc d’offre considérable au profit des consommateurs L’offre commerciale de NTV s’est voulue à la hauteur des L’arrivée de NTV a produit de puissants effets, tant sur la ambitions revendiquées. « Italo », une marque aux couleurs concurrence intra-modale que sur la concurrence intermodale. de Ferrari (un de ses propriétaires au départ), propose de se Nous pouvons également observer des effets positifs sur l’en- différencier par une offre basée sur une gamme de services semble du système ferroviaire italien. innovants et de qualité. L’imaginaire du voyage est pensé dans La concurrence dans la grande vitesse ferroviaire en Italie a ses moindres détails et repose initialement sur trois ambiances produit un triple effet concurrentiel : davantage de capacité, de de voyage distinctes : « Smart » (économique), « Prima » fréquences et de connexions, mais aussi des prix plus bas et de (Business) et « Club » (First Class) – et dernièrement, une qua- meilleurs services au profit des consommateurs. trième, « Comfort » (qui est une « Smart XL »). En premier lieu, la compétition a entraîné une forte augmen- NTV se propose aussi de renouveler le modèle d’affaires tation de l’offre globale de services de trains à grande vitesse, du transport ferroviaire à grande vitesse. La structure des tant du fait de l’offre additionnelle apportée par NTV que de coûts est inspirée de celle des compagnies aériennes « low la stratégie de l’opérateur historique, Trenitalia. D’entrée de cost », avec des coûts fixes réduits au minimum. La distribu- jeu, l’arrivée d’Italo sur le marché ferroviaire italien s’est vou- tion est majoritairement numérique (complétée par l’achat des lue massive, avec une fréquence horaire entre Milan et Rome, billets à bord ou par les terminaux installés dans les seules bi-horaire entre Rome et Venise, six allers-retours non-stop gares principales) et le système de tarification est basé sur entre Rome et Milan, soit neuf villes et douze gares desservies, le yield management. De nombreuses tâches sont sous-trai- douze millions de trains-kilomètres par an et jusqu’à cinquante tées (maintenance du matériel roulant, restauration, sécurité et services quotidiens. Sur l’axe principal Turin-Milan-Rome- centre d’appels) pour abaisser le point de la rentabilité en-deçà Naples, NTV apporte trente-huit services quotidiens en plus de celui de l’opérateur historique. La gestion du personnel est des quatre-vingt-neuf services jusqu’alors offerts par Trenitalia, également innovante (part élevée des incitations individuelles soit une offre additionnelle de presque 45 %. et collectives dans la rémunération), gratifiant son person- L’opérateur historique national n’est pas resté inerte. nel d’un salaire avantageux, supérieur de 25 % à la norme Adoptant un comportement stratégique d’anticipation de la du secteur. compétition, Trenitalia a joué un positionnement capacitaire et Au total, le pari de NTV est de chercher à se positionner de renouvellement de son offre. Ainsi dès 2009, Trenitalia a dans le marché de la grande vitesse en offrant une palette commencé à augmenter son offre grande vitesse en déployant de services à bord de qualité, différenciés et au moindre prix. le « Frecce » sur les nouvelles lignes dédiées. Sur Milan-Rome, Quels vont en être les effets ? il proposait 30 services à grande vitesse en 2009, 36 en 2012, 38 en 2013 et 46 en 2016. Le pari de NTV est de chercher La compétition a indiscutablement produit une crois- à se positionner dans le marché sance importante de l’offre sur les principaux corridors de la grande vitesse en offrant ferroviaires italiens. Sur Milan-Rome, le nombre total de services à grande vitesse quotidiens est passé de 39 en une palette de services à bord 2009 à 62 en 2016, soit plus qu’un doublement, mais au de qualité, différenciés prix d’une forte réduction des services ferroviaires inter-ci- et au moindre prix tés classiques.

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Deuxièmement, la concurrence dans la grande vitesse a produit un effet important sur les prix. Ces derniers ont com- mencé à diminuer en quelques mois, dès l’entrée du nouveau compétiteur. Certains ont estimé la réduction moyenne du prix par passager à environ 30 % entre 2011 et 2012 du fait de la nouvelle structure de prix et des offres promotionnelles qui ont contribué à élargir l’éventail tarifaire, avec un effet similaire à celui de l’introduction des vols low cost sur le marché aérien. La concurrence par les prix s’est ensuite poursuivie, Trenitalia baissant ses tarifs sans pour autant accepter de devenir moins Tableau 2. La grande vitesse en Italie : parts de marché de Trenitalia et de NVT. cher qu’Italo. Ses tarifs de base sont restés en moyenne 30 % à Source : F. Croccolo à partir de NTV et Trenitalia ; (a) : passagers en millions ; (b) : pas- 35 % plus élevés sur les principales routes Rome-Milan, Rome- sagers-kilomètres en milliards. ND : non disponible. Venise et Rome-Turin. Cette période de concurrence par les prix est maintenant probablement terminée. Trenitalia a aug- Selon nos données (tableau 2), la progression du marché menté tous ses tarifs au début 2016. de la grande vitesse italien est particulièrement forte depuis Troisièmement, la concurrence a eu des effets positifs l’arrivée de NTV en 2012. Le nombre de passagers-kilomètres significatifs sur la qualité et la variété des services. Les ser- a bondi de plus de 90 % au cours des cinq premières an- vices offerts par la grande vitesse en Italie sont aujourd’hui nées, et même de 140 % sur toute la période, atteignant 21 nettement plus modernes et segmentés, avec davantage de milliards de passagers-kilomètres fin 2019. Cette hausse du rapidité, de connexions et de fréquences. Les innovations et trafic concerne les deux compétiteurs : alors que NTV a attiré la stratégie de haute qualité de service apportées par NTV 7,8 milliards de passagers-kilomètres en 2019, Trenitalia trans- ont conduit Trenitalia à répondre sur le terrain de la qualité de portait cette même année 4,7 milliards de passagers-kilomètres service. Trenitalia a remis à neuf ses propres trains pour of- de plus qu’avant l’arrivée de son challenger. La compétition en frir quatre classes de services sur le modèle proposé par Italo. « open access » sur le marché de la grande vitesse en Italie est Dernièrement, Trenitalia envisagerait faire de la vitesse et de commercialement un jeu « gagnant-gagnant » pour les deux la réduction du temps de voyage un nouvel avantage commer- opérateurs. cial par la mise en service d’un nouveau matériel roulant, le Ce fait est d’autant plus remarquable que cette période a Frecciarossa 1000, capable d’assurer une vitesse commerciale été pénalisée par les conséquences de la crise économique de 360 kilomètres / heure, vitesse supérieure à celle des ma- européenne qui, en Italie, a entraîné une stagnation ou même tériels de NTV. une réduction de la mobilité. En Italie, entre 2005 et 2013, la Au total, la compétition dans la grande vitesse a contribué baisse pour l’ensemble des transports de passagers a été à une augmentation sensible du surplus des voyageurs, par de l’ordre de 18 %, exprimée en passagers-kilomètres, entre une plus grande capacité, plus de fréquences, des services 2005 et 2012, et de 30 % pour les marchandises, exprimée en à bord différenciés, des prix plus bas et davantage de gares tonnes-kilomètres. desservies et connectées au réseau grande vitesse. Tous ces Simultanément à l’essor du trafic grande vitesse, la de- facteurs, qui contribuent à abaisser le coût généralisé du trans- mande sur les lignes classiques adressée à Trenitalia a port ferroviaire par grande vitesse et donc à en augmenter sensiblement chuté, le premier compensant globalement les l’attractivité auprès des voyageurs, vont également affecter la pertes du second. Mais, et le fait mérite par sa singularité d’être concurrence intermodale. relevé, la montée de la grande vitesse n’a pas (encore) réussi, en Italie, à augmenter sensiblement le trafic total de passagers, Une concurrence intra et intermodale renouvelée dans un contrairement à la plupart des autres pays européens (selon les contexte de crise de la mobilité données de l’Union européenne – EC, 2019). Le développement du réseau à grande vitesse et l’entrée de Par contre, sur certains segments à fort trafic de voyageurs, NTV ont contribué à modifier sensiblement la concurrence in- la grande vitesse a su modifier en profondeur la distribution mo- tra-modale et intermodale en Italie. La part modale de la grande dale au profit du rail. C’est le cas en particulier dans le couloir vitesse a augmenté, et tout particulièrement sur les grands Milan-Rome où la part modale du ferroviaire a considérable- corridors, avec pour conséquence de fortes incidences sur l’en- ment augmenté, passant de 36 % à 65 % entre 2008 et 2014 ; semble des comportements de mobilité. l’année 2009 marquant un véritable point d’inflexion. Les vols La demande de grande vitesse en Italie s’inscrit dans un intérieurs ont été les plus pénalisés, avec une réduction du tra- trend croissant, avec un premier point d’inflexion majeur en fic de moitié (de 50 % à 24 %), mettant Alitalia en difficulté. Ces 2009 – date de l’achèvement du réseau dans sa configuration tendances avaient commencé avant l’arrivée de la compétition ; actuelle – et un second en 2012, avec l’arrivée de NTV. Difficile l’arrivée de NTV en 2012 les a accentuées. néanmoins d’établir une mesure précise de la progression du marché de la grande vitesse en Italie ou de sa part dans le La concurrence dans la grande vitesse marché ferroviaire. Les statistiques ferroviaires d’Eurostat sur la ferroviaire en Italie a produit un triple effet grande vitesse affichent pour l’Italie un nombre de passagers-ki- concurrentiel : davantage de capacité, lomètres constant depuis 2012 (12,79 milliards) ! Curieusement aussi, les rapports annuels du régulateur des transports (ART) de fréquences et de connexions, mais n’indiquent pas systématiquement les données du trafic grande aussi des prix plus bas et de meilleurs vitesse, ni globalement, ni par compagnie. Les chiffres cités services au profit des consommateurs dans cet article ont été recueillis auprès des deux compagnies par Fabio Croccolo, directeur général des investigations fer- L’extension de la grande vitesse a également induit des chan- roviaires et maritimes, au ministère des Infrastructures et des gements dans le système de mobilité en Italie, allant au-delà du Transports à Rome. choix modal pour impacter les choix résidentiels mêmes. A long

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La seconde observation concerne le gestionnaire de l’infrastructure, RFI (Rete ferroviaria italiana). La com- pétition sur le marché de la grande vitesse semble aussi avoir produit des effets positifs sur lui. Le volume des péages a augmenté de 148 M€ entre 2009 et 2014 et le montant de 2013 est supérieur à celui de 2012. Par contre 2014 est en repli, du fait du décret ministériel 330 (10 sep- tembre 2013) qui a réduit de 15 % les péages dus au titre de la grande vi- tesse, probablement pour aider NTV à surmonter ses pertes d’exploitation et à surmonter l’envol de sa dette. Nous supposons que les autorités italiennes ont, par le faible niveau de péages sur la grande vitesse, fait le choix clair de favoriser la compétition et l’entrée du nouveau compétiteur. Ce pari peut se révéler durablement © Benny Marty - Adobe Stock © Benny Marty - Train à grande vitesse Italo en gare de Rome Termini. gagnant si de plus grands volumes de trafic sur le réseau à grande vitesse terme, l’offre de grande vitesse élargit la zone des possibilités compensent de plus faibles tarifs de redevance. La progres- de déplacements quotidiens, générant de nouvelles possibili- sion du trafic grande vitesse observée en Italie – au rythme tés pour les voyages domicile-travail, et plus globalement pour annuel moyen de 13,7 % entre fin 2011 et fin 2016 – confirme tous les déplacements professionnels dans le cadre d’une seule cette hypothèse. A ce rythme, il est clair que l’effet volume journée. L’essor de l’offre grande vitesse contribue de fait à la l’emportera sur l’effet prix pour le gestionnaire d’infrastructure, création de « macro-zones résidentielles » et par suite à une inté- toutes choses égales par ailleurs. De surcroît, les investis- gration régionale accrue. C’est une des raisons pour lesquelles sements dans la grande vitesse ferroviaire ont d’importantes le réseau ferroviaire à grande vitesse et les trains classiques en répercussions sur le réseau conventionnel en permettant de Italie ont été surnommés « le métro de l’Italie ». libérer des sections sur les lignes classiques qui sont utili- sables pour le transport de voyageurs ou de marchandises. Un jeu « gagnant-gagnant » : des effets positifs pour le système ferroviaire italien ? L’extension de la grande vitesse La concurrence dans la grande vitesse a délivré des effets po- a également induit des changements sitifs sur le système ferroviaire dans son ensemble. dans le système de mobilité en Italie, Malgré la spectaculaire progression du nouvel entrant, Trenitalia domine toujours le marché italien de la grande vi- allant au-delà du choix modal pour tesse. L’opérateur historique a plutôt bien résisté aux pressions impacter les choix résidentiels mêmes concurrentielles, maintenant sa part de marché à plus de 60 % en 2019 (tableau 2). Fondamentalement, la concurrence s’est Quant à NTV, alors que son entrée dans le marché de la traduite par une spectaculaire augmentation de la demande to- grande vitesse s’est avérée un véritable succès commercial, tale de grande vitesse et n’a pas réduit la demande en valeur le doute a subsisté plusieurs années de voir ce pari deve- absolue de la compagnie nationale. Pour obtenir ce résultat, nir un échec financier. Italo a réussi en seulement deux ans l’opérateur historique défend activement son marché. Selon d’activité à occuper une part de marché significative, d’environ le responsable des Affaires internationales de Trenitalia, A. 20 %. Dès 2013, l’objectif de part de marché annoncé initiale- Mazzola, « la concurrence a été très utile pour que Trenitalia ment était atteint. En contraste avec cette bonne performance se réforme. Les syndicats ont été amenés à accepter un ac- commerciale, les résultats de NTV n’ont initialement pas été cord visant plus de polyvalence et une augmentation du temps de travail. Il en a résulté des gains de productivité ». La concurrence sur le marché apparaît ainsi comme un levier sup- plémentaire au service d’un projet managérial de long terme. Dans ce contexte exigeant, l’opérateur ferroviaire national italien affiche un résultat net continuellement positif depuis 2009, performance qui tient pour beaucoup au redressement significatif du résultat opérationnel (tableau 3). La croissance du résultat opérationnel s’explique exclusivement par une ré- duction continue et drastique des coûts d’exploitation, puisque les revenus d’exploitation sont assez peu dynamiques dans cette période d’après crise. Cette amélioration du résultat net Tableau 3. Trenitalia : performances économiques et financières. fait même aujourd’hui de Trenitalia l’une des compagnies ferro- Source : pour les années 2010-2015, rapport annuel de l’ART 2017 ; pour les années viaires parmi les plus rentables en Europe. 2007, 2009 et 2016, rapports financiers Trenitalia.

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fructueux. Jusqu’en 2015, tous les résultats d’exploitation suc- et souhaitable par ses effets sur les parties prenantes et sur cessifs ont été négatifs et, par conséquent, tous les bénéfices le bien-être de l’ensemble de la société. Au-delà de ses ef- ont été nets (tableau 4). 2012 a été la pire année, marquée fets positifs pour les passagers, elle a un impact économique par une détérioration inquiétante du résultat opérationnel, significatif en termes d’augmentation de l’efficacité des deux avec une perte de presque 110 M€ (100 M€ de revenus contre opérateurs ferroviaires, qui se sont révélés pouvoir produire 210 M€ de charges). Plus alarmant encore, l’endettement fi- plus et mieux. nancier explosait cette année-là, atteignant l’équivalent de quatre années de revenu et mettant en péril la signature de La concurrence en « open access » la compagnie auprès de ses prêteurs et de ses actionnaires. a un impact économique significatif Ainsi en 2015, lors de l’augmentation de capital, la SNCF dé- en termes d’augmentation de l’efficacité cida de ne pas y souscrire, acceptant par là même de voir sa participation devenir marginale. Les principales raisons de ces des deux opérateurs ferroviaires, piètres résultats financiers initiaux de NTV donnèrent lieu à de qui se sont révélés pouvoir vastes controverses en Italie : conséquences de la crise éco- produire plus et mieux nomique, particulièrement sévère en Italie, maladresses de gestion, surestimation de l’ampleur du processus de libéralisa- Deuxièmement, les aspects positifs de cette concur- tion du marché ferroviaire en Italie et avantages substantiels rence ferroviaire en Italie apportent un fort soutien à la du monopole historique par ailleurs particulièrement combatif. politique de libéralisation du secteur ferroviaire conduite par la Commission européenne, et en particulier au quatrième paquet ferroviaire. L’exemple italien plaide en faveur d’une plus grande concurrence sur le marché national des passa- gers et, notamment, dans les services non subventionnés. Jusqu’alors, la concurrence n’était obligatoire que pour les lignes internationales de passagers. Mais à compter de dé- cembre 2020, elle sera possible en Europe sur le marché de la grande vitesse. Troisièmement, les facteurs singuliers de la situation ita- lienne suggèrent une certaine prudence et recommandent de ne pas directement déduire du cas italien les impacts Tableau 4. Résultats économiques et financiers de NTV. à attendre de réformes en faveur de la concurrence sur le Sources : Patuelli (2015) pour les années 2008-2011 ; rapports financiers de NTV pour marché de la grande vitesse qui seraient menées ailleurs. les années 2012-2017. Il serait tout autant hasardeux de chercher à déterminer, à partir de ce seul cas, les modèles de régulation ferroviaire Mais au final, le pari financier de NTV est désormais ga- pertinents pour d’autres pays européens. Les possibilités de gné, comme le confirme le résultat d’exploitation devenu transférabilité du cas italien sont atténuées du fait de l’inte- positif depuis 2015, et la réduction drastique de son endette- raction systémique entre tous les facteurs et du caractère ment (tableau 4). Le rachat par le fonds américain GIP (Global spécifique de certains d’entre eux. n Infrastructure Partners) pour 1,98 Md€ du capital de NTV en février 2018 est venu le confirmer.

Italo a réussi en seulement deux ans d’activité à occuper une part de marché significative, d’environ 20 %

Une situation de marché inédite 1 Pour une version approfondie de cet article, voir Desmaris C., Croccolo F. (2019), L’Italie présente une situation de marché inédite, une compé- « La compétition « sur le marché » de la grande vitesse ferroviaire en Italie : une tition frontale sur la totalité du marché ferroviaire de la grande innovation de marché majeure pour un jeu « gagnant-gagnant » ? », Les Cahiers Scientifiques du Transport, n°74, pp. 29-59. vitesse entre l’opérateur historique et un nouvel entrant intégra- 2 Stanta F. (2013). « Twelve years of rail reform in Italy : achievements and lement privé. Notre analyse a cherché à discuter l’hypothèse, problems ». Conference paper, Thredbo 13, Oxford, September 15-19th. 3 intéressante du point de vue de la politique européenne de la Cascetta E., Coppola P. (2014). « Competition on the fast track : a short term analysis of the first competitive market for HSR services ». Procedia - Social and concurrence et des transports, selon laquelle la concurrence en Behavioral Sciences, pp. 111, 176-185. « open access » est techniquement possible, mais aussi éco- 4 Bergantino A., Capozza C., Capurso M. (2015). « The impact of open access nomiquement profitable en termes de bien-être collectif. Quels on intra - and inter – modal rail competition. A national level analysis in Italy ». Transport Policy, pp. 39, 77-86. enseignements peuvent aujourd’hui être tirés de cette étude 5 Charlier L., Cacozza M. (2015). « Italie : vers une grande vitesse commerciale par les décideurs en charge de l’écriture de la politique ferro- à 350 km/h ». La Lettre ferroviaire, page 143, 8 décembre 2015. 6 EC (2019). « EU Transport in figures 2019 ». Statistical pocketbook, viaire en Europe et en France ? Luxembourg. Table 2.3.8. Premièrement, la concurrence en « open access » dans 7 ART - Autorità di Regolazione dei Trasporti - (2015). Rapporto Annuale al la grande vitesse ferroviaire en Italie est manifestement un Parlamento. p.10. 8 Croccolo F., Violi A. (2013). « New Entry in the Italian High-Speed Rail Market ». succès. Cette compétition révèle la capacité de l’industrie OECD-ITF. Discussion Paper 2013-29, New Delhi, December 18-19 2013. ferroviaire (y compris des opérateurs historiques) à innover 9 Mazzola A. (2015). « Interview en tant que responsable des Affaires et à améliorer sensiblement sa compétitivité. Il signifie aussi internationales de Trenitalia à Bruxelles », le 4 mai 2015. 10 Patuelli A. (2015). « High-speed rail: is competition in the market sustainable? que la concurrence « sur le marché » dans la grande vitesse An Italian case. Conference paper », International Research Society for Public peut être à la fois réalisable techniquement à grande échelle Management Conference 2015, University of Birmingham 30 March - 1 April.

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Ouverture à la concurrence : ce que le secteur ferroviaire peut apprendre du transport aérien Paul Chiambaretto, professeur de marketing et stratégie à Montpellier Business School, spécialiste du transport aérien

© P-L. Chiambaretto [email protected]

Attendue par certains, décriée par d’autres, l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de passagers devient progressivement une réalité en France et prendra toute son ampleur début 2021. L’une des dernières « industries de ré- seau » à être libéralisées, le secteur ferroviaire peut tirer des leçons de la libéralisation d’autres secteurs comme celui du transport aérien. Après une présentation de l’ouverture à la concurrence du transport aérien européen, cet article étudiera ses implications stratégiques tant pour les nouveaux entrants que pour les acteurs historiques. De quoi en déduire des enseignements potentiels pour le secteur ferroviaire.

De la régulation à la libéralisation Un paysage concurrentiel bouleversé ien que de nombreuses compagnies aériennes aient été L’ouverture à la concurrence du transport aérien européen créées durant l’entre-deux-guerres, la naissance du trans- transforme radicalement le paysage concurrentiel du continent. port aérien moderne est souvent datée après la Seconde Son impact, étudié en B L’ouverture à la concurrence Guerre mondiale, suite à la signature de la Convention de 2015 par Guillaume Chicago en 1944. Cette dernière fixe les principales règles de du transport aérien européen Burghouwt, Pablo fonctionnement du transport aérien et en particulier les moda- a transformé radicalement Mendes de Leon lités de concurrence entre les compagnies. Le transport aérien le paysage concurrentiel et Jaap de Wit mondial est alors très fortement encadré : le nombre de sièges pour I’International offerts par les compagnies aériennes et les prix sont contrôlés du continent Transport Forum de de sorte que la concurrence entre les acteurs reste faible. Les l’OCDE1, traduit des changements structurels très nets entre marges de manœuvre des acteurs du transport aérien sont très 1990 et 2013. Les trois chercheurs mettent en évidence plu- fortement contraintes, mais ces restrictions sont compensées sieurs phénomènes : par la croissance du trafic qui permet de satisfaire l’ensemble • une très forte augmentation de l’offre aérienne mesurée en des protagonistes. nombre de vols réalisés (+80 %) et en nombre de routes La crise pétrolière des années 1970 et l’augmentation du différentes desservies (+138 %) ; nombre de faillites de monopoles nationaux aux Etats-Unis re- • un impact marginal sur les fréquences avec deux mettent en question cette approche protectionniste et aboutissent tendances contraires : des fréquences plus élevées à la signature du Airline Deregulation Act en 1978, permettant qu’auparavant sur les routes desservant les hubs, des à toutes les compagnies américaines de desservir n’importe fréquences plus réduites proposées par les compagnies à quelle paire de villes (une route entre deux villes) au sein des bas coûts sur des marchés émergents ; Etats-Unis. De son côté, l’Europe met un peu plus de temps à • un impact modéré sur le nombre de compagnies présentes libéraliser son transport aérien en adoptant une approche gra- sur le marché avec, encore une fois, deux mouvements duelle avec trois « paquets » réglementaires. Le premier paquet opposés. L’entrée de nouveaux acteurs sur le marché (en aérien, en 1987, va tout d’abord offrir plus de flexibilité dans la particulier des compagnies à bas coûts) a pour effet d’aug- fixation des capacités (c’est-à-dire du nombre de sièges ven- menter le nombre d’acteurs, tandis que les faillites des dus) avant d’être complété en 1990 par le deuxième paquet compagnies les plus vulnérables et les fusions entre trans- aérien concernant cette fois la fixation des prix. Mais on asso- porteurs conduisent à une réduction du nombre d’acteurs, cie généralement la libéralisation du transport aérien européen de sorte qu’au final, le nombre total d’acteurs en présence au troisième paquet aérien, un ensemble de trois règlements reste relativement constant ; européens (2407/92, 2408/92 et 2409/92) adoptés en 1992. Il • un effet significatif sur le degré de concurrence au niveau définit tout d’abord le statut du « transporteur aérien européen », des routes avec une augmentation du nombre de concur- avant d’offrir la possibilité à n’importe quel transporteur aérien rents par route au cours de la période (passant de 1,3 à européen de desservir n’importe quelle paire de villes au sein 1,45 concurrent par route en moyenne). Notons toutefois de l’Union européenne, tout en étant totalement libre dans la que près de 75 % des routes aériennes ne sont desservies fixation des prix et des quantités. La mise en œuvre de ce troi- que par une seule compagnie aérienne ; sième paquet se fait de manière progressive. Les premières • un fort impact sur la baisse des prix des billets. En euros liaisons internationales (avec des possibilités de cabotage) sont constants, la libéralisation du transport aérien a entraîné ouvertes à la concurrence en janvier 1993 mais l’ensemble du une baisse de l’ordre de 60 % des prix des billets entre marché européen, domestique et international, est libéralisé 1990 et 2012, essentiellement du fait de l’arrivée des com- le 1er janvier 1997. pagnies à bas coûts.

48 TI&M n° 521 - mai - juin 2020 Longue distance © Franz Massard -Adobe Stock La libéralisation du transport aérien a contribué à l’émergence de compagnies à bas coûts, comme Easyjet.

Au vu de ces enseignements, on peut raisonnablement s’at- L’ensemble de ces caractéristiques tend à réduire consi- tendre à ce que la libéralisation du transport ferroviaire génère, dérablement les coûts des compagnies à bas coûts. A titre à terme, une augmentation du nombre de sièges offerts, essen- d’exemple, le CSKO (coût au siège-kilomètre-offert) de Ryanair tiellement du fait d’une hausse du nombre de concurrents par est inférieur d’environ 60 % à celui d’Air France. Ces coûts plus route, entraînant ainsi une baisse des prix des billets. En re- faibles permettent à ces compagnies d’être plus compétitives et vanche, concernant le nombre total d’entreprises sur le marché de proposer des billets moins chers de sorte qu’à ce jour, elles ou les fréquences moyennes, les effets seront probablement représentent plus de 40 % des sièges vendus en Europe. moins nets du fait de dynamiques contradictoires et de l’évolu- tion des acteurs sur le marché. On peut s’attendre à ce que la libéralisation du transport ferroviaire L’émergence de nouveaux acteurs avec les compagnies à bas coûts génère une augmentation du nombre En remettant en cause les monopoles nationaux et en ouvrant de sièges offerts, essentiellement la possibilité pour chaque compagnie aérienne européenne de du fait d’une hausse du nombre desservir n’importe quelle route en Europe, la libéralisation du de concurrents par route, entraînant transport aérien a très fortement réduit les barrières à l’entrée ainsi une baisse des prix des billets et contribué à l’émergence puis au développement des compa- gnies à bas coûts comme Ryanair ou Easyjet. Ces compagnies s’appuient sur un modèle économique où Le modèle « à bas coûts » est tout à fait adaptable au tous les efforts sont orientés vers l’optimisation des coûts et de contexte ferroviaire français. Le développement de Ouigo par la la productivité. Sans prétendre être exhaustif, on peut retenir SNCF illustre l’excellente adaptation de la logique « low cost » les principales caractéristiques suivantes : dans le secteur ferroviaire. Ouigo a par exemple retravaillé la • la flotte est habituellement composée d’un seul type d’avion (pour réduire les coûts de formation et de main- tenance), n’offrant qu’une seule classe de voyage et une plus forte densité de sièges ; • les services à bord sont épurés sur la base de billets « décomposés » favorisant le développement de recettes supplémentaires par les ventes à bord ; • le réseau des compagnies à bas coûts est structuré en point- à-point (par opposition aux réseaux en « hub-and-spoke ») en desservant essentiellement des aéroports secondaires, ce qui augmente l’utilisation des avions dans la journée ; • les conditions de travail sont généralement moins géné- reuses du fait d’une productivité attendue plus élevée, de contrats de travail plus précaires et d’une part significative de salaire variable liée aux ventes à bord ; • la distribution se fait essentiellement en propre de façon à contourner les agences de voyage ou les GDS (« Global Evolution du prix des billets d’avion entre 1990 et 2012. Source : Burghouwt et al., 2015. Distribution Service ») pour éviter de verser de trop fortes Current : prix nominal courant ; Real : prix réel lorsque l’inflation est prise en compte ; commissions. Constant : prix en devise constant.

TI&M n° 521 - mai - juin 2020 49 Dossier © C. Recoura Dans le ferroviaire, certains opérateurs historiques ont déjà créé des filiales à bas coûts, comme la SNCF avec Ouigo.

distribution de ses billets ou l’exploitation de ses rames à « forte Dans le secteur ferroviaire, certains opérateurs historiques densité » entre des gares secondaires de façon à proposer des proactifs ont déjà créé des filiales à bas coûts, comme Ouigo billets moins chers aux passagers, tout en développant les re- pour la SNCF et Izy pour , afin de pouvoir faire face à cettes annexes (comme les bagages payants). Néanmoins, l’arrivée de nouveaux acteurs à bas coûts. Toutefois, l’arrivée si cette adaptation est possible sur certaines lignes à grande de l’opérateur privé Italo sur le secteur des trains à grande vi- vitesse sous-utilisées (comme les LGV « intersecteurs »), la ca- tesse italiens avec un positionnement plus haut de gamme que pacité à desservir des routes complètement nouvelles comme Trenitalia, nous rappelle que les nouveaux entrants ne seront dans l’aérien semble plus compliquée. pas nécessairement positionnées « bas coûts » et peuvent au contraire choisir de se démarquer par le haut. Des acteurs historiques contraints de réagir Face à la menace croissante des compagnies à bas coûts dans Les nouveaux entrants ne sont pas le secteur aérien, les compagnies traditionnelles ont été forcées nécessairement positionnés « bas coûts » de réagir. Pour cela, elles ont pu adopter différentes stratégies et peuvent au contraire choisir plus ou moins complémentaires. En interne, la majorité des compagnies traditionnelles ont de se démarquer par le haut mis en place des plans de réduction des coûts (et/ou d’amé- lioration de la productivité) en s’inspirant des pratiques des A la veille de l’ouverture à la concurrence du ferroviaire compagnies à bas coûts. La durée d’exploitation des avions en France, il est donc crucial pour l’ensemble des acteurs de a été allongée, les heures de vol augmentées, le service à ce secteur de s’inspirer de la libéralisation du transport aérien bord réduit, etc. La mise en œuvre de ces mesures d’écono- européen pour identifier les opportunités et les menaces qui mie a surtout permis aux compagnies traditionnelles de limiter pourront se présenter à eux dans les prochaines années. n l’inflation de leurs coûts bien plus que de réduire les coûts en valeur absolue. Compte tenu de ces difficultés à réduire leurs coûts, cer- taines compagnies traditionnelles ont opté pour des solutions organisationnelles différentes en créant ex nihilo une filiale à bas coûts (on peut penser à la création de Transavia France par Air France) ou en décidant de racheter une compagnie à bas coûts concurrente (comme Eurowings rachetée par Lufthansa en Allemagne ou Vueling rachetée par Iberia en Espagne). Ces solutions ne sont pas parfaites car elles posent des questions d’intégration ou d’homogénéité avec les autres marques et produits de la compagnie aérienne mère, mais elles relèvent 1 Burghouwt G., Leon P. M. D., Wit J. D. (2015). « EU Air Transport Liberalisation souvent du seul moyen permettant de proposer une offre réel- Process, Impacts and Future Considerations ». OECD – ITF. lement compétitive en termes de coûts. https://doi.org/10.1787/5jrw13t57flq-en

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Nouveaux modes et usages de déplacements : quelles valeurs du temps ?

Guillaume Monchambert, économiste des transports, maître de conférences à l’université Lyon 2 et chercheur au Laboratoire Aménagement Economie Transports (LAET)

© DR [email protected]

Entre développement du covoiturage et libéralisation du transport en autocar, les déplacements longue distance en France sont en plein renouveau. Dans ce contexte, le thème des valeurs du temps de ces déplacements revêt une grande importance, comme en témoignent les principaux résultats d’une enquête parue début 2020. A titre d’exemple, toute nouvelle voie réser- vée au covoiturage devrait garantir un gain de temps d’au moins 12 % pour compenser les différences de valeur du temps.

ans le secteur du transport de passagers à longue dis- De nombreuses études ont été réalisées pour estimer les tance, de nouveaux modes ou de nouveaux usages valeurs du temps pour les déplacements courte distance, en Dde modes préexistants ont fait leur apparition ces der- France et à l’étranger. Elles ont mis en évidence une certaine nières années. La plate-forme BlaBlaCar, créée en 2004 sous hétérogénéité dans les valeurs du temps. Cette hétérogénéité le nom de covoiturage.fr, revendique en 2019 plus de 135 000 est multiple. Ainsi, la valeur du temps varie entre les individus. Il passagers par jour pour le covoiturage longue distance. Dans a notamment été montré qu’une partie de cette variation est liée une étude publiée en 2015, le Commissariat général au dé- aux différences de revenus selon les personnes. Toutes choses veloppement durable estime que les déplace- ments longue distance1 réalisés en covoiturage représentaient 6 milliards de kilomètres en 2015, soient 2,7 % des kilomètres parcourus par des voyageurs longue distance en France cette même année.2 La promulgation de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron » (6 août 2015) libéralisant le transport par autocar a permis à de nouveaux acteurs d’entrer sur le marché. D’après les chiffres fournis par l’Autorité de régulation des transports (ART),3 8,9 millions de passagers ont voyagé par autocar en France en 2018.

La valeur du temps est liée Figure 1 : Enquête sur « quel mode de transport pour vos voyages » dans le cadre d’une étude pour le LAET. au mode de transport utilisé ainsi qu’à ses caractéristiques

La valeur du temps, une mesure capitale et hétérogène L’émergence de ces nouveaux modes et usages du transport longue distance invite la communau- té scientifique à renouveler les outils et mesures utilisés pour ce type de transport. Une des me- sures de première importance est la valeur du temps. Mesurée en équivalent monétaire, elle représente le montant que sont prêts à payer les voyageurs pour diminuer leur temps de déplace- ment. Elle est aussi quelquefois appelée « coût d’opportunité » du temps, et le plus souvent ex- primée en euros par heure. Les valeurs du temps sont utilisées dans de nombreux domaines, de- puis les modèles de prévision de trafic ou de choix modal jusqu’aux analyses coûts-avan- tages, en passant par l’élaboration de politiques Figure 2 : Dans la même enquête, plusieurs modes de transport sont proposés, avec des caractéristiques publiques. différentes.

TI&M n° 521 - mai - juin 2020 51 Dossier © Viktor Pravdica - Adobe Stock Pravdica - © Viktor

L’utilisation que l’on fait de son temps de transport a un effet certain sur le calcul de la valeur du temps.

étant égales par ailleurs, la valeur du temps d’un individu ayant individus entre différents déplacements impliquant des temps un revenu plus élevé sera aussi plus élevée. Une autre source de trajet, des niveaux de confort, de flexibilité, de fiabilité, d’hétérogénéité dans la valeur du temps réside dans le motif de sécurité et des coûts monétaires différents. Les individus de déplacement. Le rapport Quinet sur l’évaluation socioéco- participant à l’enquête sont confrontés à une succession de nomique des investissements publics (2013), dans lequel nous scénarios dans lesquels ils doivent effectuer un choix, prendre pouvons trouver les valeurs du temps tutélaires utilisées en une décision. L’étude économétrique de l’ensemble des choix France, indique une valeur du temps pour un déplacement permet d’estimer les valeurs du temps associées à chacun des ayant un motif « domicile-travail » 47 % plus élevée que pour un modes étudiés. déplacement ayant pour motif les loisirs. Il est apparu assez rapidement au cours de l’étude qu’il D’autres travaux ont aussi montré que la valeur du temps serait nécessaire de distinguer le choix modal effectué par un est liée au mode de transport utilisé ainsi qu’à ses caractéris- individu ayant besoin d’une voiture à destination de son dépla- tiques. Ainsi, la valeur du temps passé dans les transports en cement et le choix modal effectué par un individu n’en ayant commun augmente avec le taux d’occupation rencontré lors au contraire du déplacement. Dit autrement, les usagers des transports en Les conducteurs sont prêts à pas besoin. commun sont prêts à payer davantage pour réduire leur temps Deux enquêtes de transport lorsque le véhicule est plein que lorsqu’il est vide. payer 14 % de plus pour diminuer ont donc été Le confort, l’utilisation que l’on fait du temps durant son dé- leur temps de transport lorsqu’ils administrées. placement (lecture, activité sur smartphone, etc.), ont un effet transportent des covoitureurs La première certain sur la valeur du temps. est destinée à Il existe peu d’études sur les valeurs du temps longue des « conducteurs » qui ont besoin d’une voiture à destina- distance, et quasiment aucune sur les nouveaux modes tion. Dans les scénarios qui leur sont proposés, les individus évoqués ci-dessus, à l’exception notable du travail réalisé doivent faire un choix entre conduire seul, ou bien conduire par F. Adjeroud et T. Blayac.4 C’est ce qui a motivé le projet en emmenant un ou plusieurs covoitureurs. Un exemple de Karnewmob, financé par l’université de Lyon, dont le proto- scénario est présenté dans la figure 1. La seconde enquête cole expérimental et les principaux résultats sont présentés est destinée aux voyageurs qui n’ont pas besoin de voiture à ci-dessous. destination. Ces individus ont le choix entre utiliser le covoi- turage, l’autocar ou bien le train (voir figure 2). Les enquêtes Une enquête de préférences déclarées ont été administrées à un échantillon représentatif de la po- Afin d’estimer les valeurs du temps du covoiturage et de l’au- pulation française. tocar longue distance, nous avons conduit une enquête de L’étude économétrique des résultats de l’enquête préférences déclarées, en suivant un protocole de choix dis- Karnewmob a permis d’estimer des valeurs du temps crets. Ce dernier vise à mesurer la disposition à payer des moyennes pour différents modes de transport longue

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distance (tableaux 1 et 2). Ce sont des valeurs moyennes échange entre les covoitureurs. Cette norme est l’un des fac- qui ne permettent pas de représenter l’hétérogénéité des teurs d’attractivité du covoiturage pour certains individus, mais préférences selon les individus. pour d’autres elle peut constituer un frein car elle les empêche d’utiliser le temps de déplacement comme ils le souhaiteraient. Le temps passé dans le train est lui jugé plus agréable que ce- lui dans les modes routiers en raison notamment de la fluidité et du confort du transport sur rail.

Voies réservées : garantir un gain de temps Les résultats obtenus grâce cette étude permettent d’expliquer, en partie, pourquoi, les parts modales du covoiturage restent faibles en dépit de l’avantage pécuniaire qu’il procure par rap- port aux autres modes (notamment pour les conducteurs qui reçoivent une rémunération). L’explication réside notamment dans le fait que le temps passé en covoiturage est jugé en moyenne plus pénible que celui passé dans les autres modes. Pour les passagers, l’autocar semble être un mode « intermé- diaire », moins confortable que le train, mais plus agréable que le covoiturage. © Ricochet64 - Adobe Stock © Ricochet64 - Le temps passé en covoiturage est jugé en moyenne plus pénible que celui passé dans les autres modes de transport. Le temps passé dans le train est jugé plus agréable que celui dans les modes routiers Le covoiturage en tant que passager, plus « coûteux » que en raison notamment de la fluidité et du le train et l’autocar confort du transport sur rail Les valeurs du temps pour le conducteur sont assez élevées en comparaison avec les valeurs habituellement citées dans la La loi d’orientation des mobilités, dite LOM (24 décembre littérature. C’est un artefact de l’enquête.5 Il est donc préférable 2019), autorise la mise en place de voies réservées au covoitu- d’interpréter ce résultat en termes relatifs plutôt qu’absolus. rage.6 Plusieurs agglomérations, Grenoble et Lyon en tête, sont Les conducteurs sont prêts à payer davantage (14 % en plus disposées à tester de tels dispositifs. Nos résultats indiquent pour être exact) pour diminuer leur temps de transport lorsqu’ils que, toutes choses égales par ailleurs, ces voies réservées transportent des covoitureurs, en comparaison avec la situation devront garantir un gain de temps d’au moins 12 % pour com- dans laquelle ils sont seuls dans leur voiture. Cela indique une penser les différences de valeur du temps. Compte tenu des préférence moyenne assez nette en faveur de l’autosolisme et pertes de temps générées par les montées et descentes des au détriment du covoiturage. Une explication possible de cette passagers lors d’un déplacement en covoiturage, ces 12 % différence est l’invasion de l’espace personnel durant la durée doivent être interprétés comme un strict minimum. n du déplacement. Bibliographie • Haywood L., Koning M. & Monchambert G. (2017). « Crowding in public transport : Who cares and why ? », Transportation Research Part A : Policy and Practice, pages 100, 215-227. Tableau 1. • Monchambert, G. (2020). « Why do (or don’t) people carpool for long distance trips ? A discrete choice experiment in France ». Transportation Research Part A : Policy and Practice, pages 132, 911-931. • ADEME-6T-Bureau de recherche, 2015. Enquête auprès des utilisateurs du covoiturage longue distance, rapport final, Paris, ADEME. • Blayac T. & Adjeroud F. (2018). « Perception du temps de transport par les usagers de l’autocar et du covoiturage : quelle valeur du temps pour les déplacements longue distance en France ? », Les Cahiers Scientifiques du Transport, pages 74, 61-82. Tableau 2.

Les valeurs du temps présentées dans le tableau 2 montrent que les voyageurs sont prêts à payer davantage pour réduire le 1 https://www.lefigaro.fr/flash-eco/covoiturage-forte-croissance-de-blablacar- temps de déplacement en covoiturage que ce qu’ils sont prêts en-2019-20200206 à payer pour diminuer le temps de transport en train (53 % en 2 http://temis.documentation.developpement-durable.gouv.fr/document. plus) ou en autocar (24 % en plus). Le covoiturage est donc, en html?id=Temis-0084251 3 https://www.autorite-transports.fr/les-autocars/ moyenne, perçu comme un mode de transport moins agréable 4 Blayac, T. & Adjeroud, F. (2018). « Perception du temps de transport par que l’autocar, qui est lui-même moins agréable que le train. les usagers de l’autocar et du covoiturage : quelle valeur du temps pour les Cette mesure est faite sans tenir compte du prix de chacun des déplacements longue distance en France ? », Les Cahiers Scientifiques du Transport, pages 74, 61-82. modes de transport étudiés. 5 Les valeurs du temps conducteurs ont été mesurées dans un schéma de Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer « disposition à accepter » de l’argent pour embarquer un covoitureur, et non pas les différences observées. Le covoiturage longue distance est de « disposition à payer » pour réduire son temps de trajet. Or, la méthode de la « disposition à accepter » conduit à des estimations jusqu’à quatre fois supérieures notamment caractérisé par une norme tacite selon laquelle à celles de la « disposition à payer ». le déplacement est une opportunité pour une discussion, un 6 Pour être précis, il s’agit de voies réservées aux véhicules à occupation multiple.

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Elections municipales : quelles mobilités dans une ville apaisée ? Timothée Mangeart, chargé d’études, TDIE

© DR [email protected]

Le thème de la mobilité a pris une place centrale dans les débats préparatoires au renouvellement des exécutifs du bloc communal. C’est l’une des premières conclusions de l’étude que le conseil scientifique de TDIE a présentées le 10 juin dernier à Paris1. Vélo, place de la voiture dans la ville, aménagement de l’espace public, stationnement, covoiturage, trans- ports collectifs (infrastructures et tarification), nouvelles mobilités, logistique urbaine… sont les principaux thèmes qui ressortent de cette analyse inédite. Au lendemain de l’entrée en vigueur de la loi d’orientation des mobilités, les nouveaux exécutifs communaux et intercommunaux vont devoir s’approprier une palette élargie d’outils d’action publique. Le rôle des collectivités locales n’est plus seulement de proposer une politique de l’offre à travers l’investissement dans les infrastructures : elles sont de plus en plus appelées à jouer un rôle de régulateur des mobilités. Le défi de la régulation s’exprime notamment à travers la thématique de la ville apaisée, qui semble très largement portée, au-delà des clivages politiques, par les candidats de l’échantillon étudié par TDIE. Cependant, derrière ce consensus apparent, la question de la place de la voiture dans la ville reste l’enjeu d’orientations très différentes.

A savoir relatives aux « modes actifs » et le quasi-consensus qui semble Transport Développement Intermodalité Environnement se dégager à leur égard. Dans l’échantillon suivi par TDIE, essen- (TDIE) contribue depuis près de vingt ans à éclairer les tiellement composé de villes-centres, presque tous les candidats questions de politique des transports, notamment lors des abordent la question du piéton : ils souhaitent mettre en place des grands rendez-vous électoraux. Pour les municipales et aménagements dédiés (trottoirs, éclairage, bancs…) ou piétonniser intercommunales de 2020, son conseil scientifique a ras- certains secteurs de leur ville. Les objectifs affichés sont variés : semblé les éléments de programme dédiés aux questions pour l’environnement, la convivialité, la promenade, la santé, mais de transport, mobilité et logistique, de l’ensemble des aussi pour le commerce, le tourisme, la sécurité - notamment aux listes candidates dans 26 communes, métropoles et villes abords des écoles -, et bien sûr pour faciliter les déplacements. De moyennes. En complément, un questionnaire détaillé a été même, l’engouement pour le vélo a transcendé les clivages, même envoyé aux têtes de liste de 7 des 26 communes. Basée si tous les candidats n’ont pas été aussi complets dans leurs pro- sur ce matériau, l’analyse développée dans l’article est un positions. Tous les aspects d’un système vélo ont été abordés : zoom sur la question de la place de la voiture dans la ville, de l’infrastructure à l’apprentissage du vélo, en passant par l’aide qui traverse les propositions « mobilité » des candidats. à l’achat, les services de location, l’entretien, le stationnement et Elle fait suite à la présentation des premiers résultats de les règles de circulation. Cette appropriation du sujet et la volonté l’étude publiée dans le précédent numéro de TI&M1. politique partagée qui est apparue lors de la campagne expliquent sans doute la rapidité du déploiement de nombreux aménagements 1 Pour plus de détails sur le cadre de l’étude, voir TI&M n°520 de mars- avril 2020, et le dossier complet de l’étude accessible en ligne : http://tdie. temporaires - dits de « l’urbanisme tactique » - dans le cadre de la eu/colloques-travaux/municipales-2020/. gestion de l’épidémie de la Covid-19 et de ses conséquences. Afin de développer les mobilités douces, les candidats pro- posent également de repenser le partage de la rue. Ils sont La « ville apaisée » : un thème consensuel au cœur des plusieurs, dans des villes moyennes et dans des métropoles, et campagnes municipales ? de toutes étiquettes politiques, à porter des projets de « zones On a largement commenté la place importante des préoccu- 30 » ou de « zones de rencontre ». Ces dispositifs n’ont pas né- pations environnementales dans la campagne municipale cessairement vocation à réduire le nombre de voitures en ville, de février et mars 2020. Responsable d’environ un tiers des même s’ils peuvent décourager les usagers d’y avoir recours, émissions de gaz à effet de serre, mais aussi d’une part si- notamment pour les zones de rencontre qui donnent la priorité gnificative de la pollution de l’air et de la pollution sonore des sur la chaussée aux piétons. Ils permettent en tout cas d’encou- villes, grande consommatrice d’espace, l’organisation de la rager la pratique de modes alternatifs en favorisant la sécurité mobilité du quotidien est largement invoquée par les candi- et la cohabitation des modes. dats comme un enjeu de l’amélioration du cadre de vie dans Plus contraignante pour les automobilistes, la zone à faibles leurs communes. Certains programmes ne comportent même émissions mobilité (ZFE) est obligatoire pour les territoires où la pas d’entrée dédiée « transport » : les candidats ont choisi de qualité de l’air dépasse régulièrement les seuils fixés par la loi. regrouper leurs propositions relatives à la mobilité dans la ca- Mise en place, elle interdit l’accès à une zone déterminée aux tégorie « environnement ». C’est par exemple le cas des quatre véhicules ne disposant pas de la vignette Crit’Air adéquate, distri- principaux candidats à la mairie de Cherbourg - où, il est vrai, la buée en fonction des caractéristiques d’émissions des véhicules. mobilité n’est pas un thème central de la campagne - ou encore de Pierre Hurmic (EELV) à Bordeaux. Certains candidats ont regroupé leurs Autre marqueur de cette nouvelle priorité environnementale propositions relatives à la mobilité pour les mobilités du quotidien : l’abondance des propositions dans la catégorie « environnement »

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Les ZFE : une obligation réglementaire structurante pour le prochain mandat Les Zones à faibles émissions mobilités (ZFE) sont mises en place par le maire ou le président de l’intercommunalité, qui définit leur périmètre et les véhicules autorisés à y circuler en fonction du classement Crit’Air1. La loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 rend obligatoire la mise en place d’une ZFE avant le 31 décembre lorsque les normes de qualité de l’air ne sont pas respectées « de manière régulière ». Le Plan de protection de l’atmosphère est un prérequis à la mise en place d’une ZFE. Il est obligatoire pour les aires urbaines de plus de 250 000 habitants. A cette date, cinq ZFE sont en vigueur, et dix-huit autres territoires ont programmé ou se sont engagés à mettre en place une ZFE (voir carte 1).

1 En cas de transfert de la compétence voirie, et sauf en cas d’opposition des maires, le pouvoir de police administrative spéciale de la circulation et du stationnement est transféré automatiquement à l’intercommunalité.

Classement des voitures particulières en fonction de leurs émis- Carte 1 : Etat des lieux de la mise en place des ZFE. sions polluantes.

Vingt-et-un candidats de l’échantillon de l’étude menée par le débat explicite. Il est bien présent dans les propositions, mais conseil scientifique de TDIE se positionnent en faveur de la créa- il est considéré comme un ensemble de mesures techniques. tion d’une ZFE ou de son renforcement si elle existe déjà. Les Pourtant, il porte de véritables orientations politiques alterna- périmètres proposés et les véhicules concernés sont variables. tives et parfois opposées. La mise en place des ZFE sera un enjeu majeur du prochain Dans les villes moyennes, le dynamisme des centres-villes est mandat, qui nécessitera un travail politique et intercommunal de une préoccupation majeure des candidats qui en font un enjeu longue haleine : la définition d’un périmètre de réglementation de central de la campagne. La place accordée à la voiture peut alors l’usage de la mobilité carbonée appellera de nombreux débats. devenir un outil au service de l’attractivité des centres-villes. Une En première approche, on pourrait être tenté de conclure des solutions portées par certains candidats est de faciliter le sta- à une vision partagée et « transpartisane » - au moins dans les tionnement en ville, en augmentant le nombre de places ou en villes-centres - des actions à mener pour répondre aux défis de la diminuant les tarifs, afin d’attirer les habitants et de concurrencer mobilité en termes de qualité de vie et d’environnement. C’est sur les centres commerciaux de périphérie. On retrouve ce thème, le détail des positions sur les sujets connexes que l’on retrouve porté par une ou plusieurs listes, dans toutes les villes moyennes des orientations politiques plus différenciées et parfois claire- de notre échantillon : Abbeville, Cherbourg, Châteauroux, ment opposées. En particulier, et bien qu’elle ne soit pas toujours Perpignan, Limoges. Cela ne veut pas dire que tous les candidats présentée comme telle, la politique de stationnement interroge di- des villes moyennes sont unanimes. A Charleville-Mézières par rectement la place de la voiture en ville. exemple, le candidat EELV Christophe Dumont (qui souhaitait par ailleurs passer toute la commune en zone 30) et le candidat PS La mise en place des ZFE sera Sylvain Dalla-Rosa proposent tous deux de piétonniser entière- un enjeu majeur du prochain mandat ment la place Ducale, là où le maire sortant Boris Ravignon (LR) souhaite y conserver des places de stationnement de surface. Au-delà du consensus, des clivages politiques et territo- Dans les métropoles aussi, on trouve également des candi- riaux révélés par les propositions sur le stationnement dats pour proposer une facilitation du stationnement de surface, De manière générale, on peut dire que le stationnement est à l’image de Marc-Philippe Daubresse (UDI) qui porte un pro- resté un thème secondaire des campagnes : il n’est pas abor- jet de refonte du stationnement à Lille fondé sur des zones à dé par tous les candidats, et n’est que rarement l’objet d’un tarif décroissant en fonction de l’éloignement du centre-ville.

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Cependant, c’est dans les grandes villes que l’on trouve le plus et de Lille (Stéphane Baly : « 10 % du stationnement sur voirie de propositions pour diminuer le nombre de places de station- transformé en espace vert »). Cette seconde vision de l’adapta- nement et/ou augmenter les tarifs : à Paris (Anne Hidalgo, David tion de l’espace public aux mobilités douces est surtout présente Belliard, Cédric Villani), à Saint-Etienne (Gaël Perdriau, Patrick dans les plus grandes villes et/ou dans les programmes des can- Revelli), à Lille (Martine Aubry), à Marseille (Michèle Rubirola), didats de gauche. à Toulouse (Antoine Maurice), à Nantes (Margot Medkour) ou encore à Rouen (Lionel Descamps). A Bordeaux, c’est le sta- Confrontées à la question de l’usage tionnement des résidents qui suscite le plus de propositions et de l’aménagement de l’espace de la part des candidats : ils souhaitent le faciliter, que ce soit et des infrastructures, deux visions en « étendant le stationnement résident » et en « optimisant en des mobilités douces s’expriment temps réel » l’occupation des places réservées (Nicolas Florian, LR), en passant à une gestion en régie (Philippe Poutou, NPA) Des parkings-relais pour contenir en dehors de la ville des ou en construisant des parkings en ouvrage en compensa- véhicules désormais indésirables tion d’une diminution du nombre de places en surface (Pierre On l’aura compris, derrière la ville apaisée et les mobilités douces, Hurmic, EELV). A Saint-Etienne, le sujet est plus clivant puisque c’est la question de la place de la voiture dans les villes qui est le maire sortant Gaël Perdriau (LR) défend les 30 minutes de posée. Or la voiture individuelle reste le mode de déplacement stationnement gratuit, alors que le candidat Olivier Longeon dominant dans les villes moyennes, mais aussi en périphérie di- (EELV) veut étendre le stationnement payant, et le candidat recte des plus grandes villes2. Cela explique vraisemblablement Pierrick Courbon (PS) limiter les journées de gratuité. la relative discrétion des candidats des villes-centre, conscients que leurs propositions devront être débattues avec leurs collè- Les candidats des villes moyennes gues des communes limitrophes. Certains adressent des signes soutiennent un stationnement favorable 1 aux automobilistes et adoptent des positions prudentes : à au développement du commerce de centre-ville Marseille et à Nantes, les candidats EELV refusent de mettre en A Abbeville, Michel Kfoury (sans étiquette) explique qu’il place la ZFE, jugée injuste socialement ; à Saint-Denis, le maire souhaite « libérer davantage de places de stationnement sortant Laurent Russier (PCF) souhaite que sa mise en place gratuit pour les consommateurs ». Dans la même ville, soit accompagnée « de mesures réelles pour l’acquisition de vé- Angelo Tonolli (LFI) explique que « pour le commerce et hicules propres ». Sur le stationnement aussi, des précautions l’emploi la politique de stationnement doit être compatible sont prises : quand des restrictions sont envisagées, des facilités avec le besoin et les conditions du bien vivre en ville ». A sont accordées aux artisans ou aux résidents par exemple. Perpignan, le maire sortant Jean-Marc Pujol (LR) estime La logistique, autre source de nuisance que la réforme du stationnement payant de 2018 a permis identifiée par les candidats « une rotation optimisée des véhicules, une disponibilité accrue des places rendant l’accès aux commerces plus Le transport de marchandises doit lui aussi s’adapter au aisé et adapté grâce à plusieurs zones tarifaires ». Le can- désir d’une ville apaisée. La logistique a fait l’objet de didat Romain Grau (LREM) détaille une proposition de bien peu de prises de positions de la part des candidats politique tarifaire qui vise à « ramener des chalands vers le suivis par TDIE. Il est cependant remarquable qu’en- centre-ville qui se trouve aujourd’hui déserté car fortement viron le quart de ceux qui abordent ce thème affichent concurrencé par de très nombreux aménagements com- un objectif de réduction du nombre de poids-lourds et merciaux aménagés en périphérie de ville ». de véhicules de livraison. Plus généralement, plusieurs candidats souhaitent favoriser l’électromobilité pour la lo- 1 Les réponses sont disponibles dans leur intégralité sur le site de TDIE : http://tdie.eu/colloques-travaux/municipales-2020/ gistique. D’autres enfin, moins nombreux, vont plus loin et proposent d’organiser le système de logistique urbaine de leur ville, à l’image de Bernard Drobenko (EELV) à La description de ces quelques situations brosse un tableau Limoges qui propose « la mise en place de centres de marqué par deux critères de différenciation des options choi- distribution urbaine, ou plates-formes urbaines de col- sies par les candidats : un critère de taille qui distingue villes lecte et distribution de marchandises ». moyennes et métropoles d’une part, et un critère de nature poli- tique dans lequel on retrouve une forme de clivage droite/gauche d’autre part. Confrontées, via la question du stationnement, à la Politique de l’offre et non-contraignante, le parking-relais question de l’usage et de l’aménagement de l’espace et des in- bénéficie au contraire d’un soutien beaucoup plus large. C’est frastructures, deux visions des mobilités douces s’expriment. La même le projet d’infrastructure de mobilité le plus cité par les première propose des mobilités douces qui viennent « en plus » candidats (de toutes couleurs politiques), devant les diffé- et « à côté » des mobilités et des infrastructures classiques ; rents projets de transports en commun en site propre (BHNS, elle est surtout présente dans les villes moyennes et/ou dans tramway, RER métropolitains, téléphériques, transports flu- les programmes des candidats de droite. A l’inverse, la seconde viaux, métro), et loin devant les projets de contournements oppose mobilités douces et véhicules thermiques individuels : routiers, très peu nombreux. Dans presque toutes les villes elle se donne pour objectif de coupler au développement de de l’échantillon, moyennes ou grandes, on trouve au moins la pratique du vélo et de la marche la réduction de l’usage de un candidat qui évoque la construction d’infrastructures de l’automobile. Le lien entre stationnement et cadre de vie est ex- stationnement. Maillon-clef de l’intermodalité, le parking-relais plicite dans les rares propositions de réaffectation des espaces permet de concilier l’objectif de réduction du trafic automobile de stationnement sur voirie à d’autres usages (végétalisation, et du nombre de véhicules en centre-ville d’une part, et d’autre terrasse, bancs), portées notamment par les candidats EELV de part l’absence d’alternatives à l’autosolisme en périphérie des Paris (David Belliard : « une place sur deux de stationnement grands réseaux de transports collectifs, tout en préservant l’ac- sera supprimée au profit d’un nouvel usage de l’espace public ») cessibilité du centre urbain.

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Cependant, sur la cinquantaine de propositions de par- éventuellement dans les copropriétés, alors que c’est au ni- kings-relais recensées, seule la moitié donne une indication veau national que se joue la question des aides à l’achat pour quant à l’emplacement envisagé : à proximité d’un pôle les véhicules électriques. Ces deux piliers doivent cepen- d’échange (gare SNCF) ou en périphérie de la commune voire dant être mobilisés simultanément pour atteindre l’objectif de l’agglomération. Les programmes sont beaucoup moins de multiplication par cinq, d’ici 2022, des ventes de véhicules détaillés que pour le développement de la marche ou du vélo 100 % électriques prévus par le contrat stratégique de la fi- par exemple - beaucoup se contentent d’indiquer sur leurs pro- lière automobile. La diffusion des véhicules électriques est grammes une « création de parkings relais » - alors même que elle-même un élément clef de la mise en place et de l’appro- les conditions d’attractivité et d’efficacité socio-économique de fondissement des zones à faibles émissions mobilité. ces infrastructures sont au moins aussi complexes3. Les pro- positions les plus détaillées, comme à Nantes, mentionnent la A Nantes, des parcs-relais localisation des parkings, les offres de mobilité auxquelles on le long du périphérique plébiscités peut accéder ou l’intégration tarifaire par exemple (voir encadré). A Nantes, les principales candidates sont d’accord sur l’essentiel : il faut développer les parkings-relais. La maire Le parking-relais permet de concilier la sortante Johanna Rolland (PS) le justifie ainsi dans sa ré- réduction du trafic automobile en centre-ville, ponse au questionnaire TDIE : « [La] politique de réduction et l’absence d’alternatives à l’autosolisme des stationnements dans la centralité ne peut s’accepter que si des alternatives à la voiture ou des services sont Notons enfin que l’échantillon de l’étude TDIE est composé proposés aux Nantais, aux habitants de la métropole et à principalement de villes-centres d’agglomération, alors même ceux n’y vivant pas ». Les candidates convergent vers un que la question des parcs-relais est intrinsèquement une petit nombre d’emplacements situés le long du périphé- question de la relation de la ville et sa périphérie, et est par rique de Nantes (N844). Laurence Garnier (LR) évoque conséquent une problématique qui ne peut être traitée sans en outre le « financement à l’extérieur de la métropole coordination intercommunale. Une bonne partie des projets (Ancenis, Châteaubriand par exemple [respectivement de développement de parcs-relais seront donc élaborés à l’oc- à 45 et 70 km de Nantes]) de pôles multimodaux ». Sur casion du « troisième tour » des élections, au sein du conseil le nombre, les estimations varient : 3 000 places supplé- communautaire. La généralisation des parkings-relais s’impose mentaires pour la maire sortante Johanna Rolland, 2 000 comme une nouvelle offre d’intermodalité, levier de régulation places réparties dans 4 parkings pour la candidate LR, et de l’autosolisme et de l’usage de la voiture en centre-ville. 4 000 places réparties dans 5 parkings pour Valérie Oppelt Susciteront-ils une adhésion de la part des maires et des habi- (LREM). Chacune de ces propositions, ainsi que celles tants des communes périphériques ? (non-chiffrées) de Julie Laernoes (EELV) ou de Hugo Sonnier (UPR), s’inscrit explicitement dans une volonté de Covoiturage, électromobilité : de nouvelles solutions pour favoriser l’intermodalité : avec les chronobus, le tram, le réduire les externalités de la mobilité train, le covoiturage ou le vélo. Les candidates EELV et Autre solution pour réduire le nombre de voitures en ville tout LREM mentionnent en outre l’intégration tarifaire des par- en préservant l’accessibilité, le covoiturage jouit également d’un kings-relais, déjà pratiquée. large soutien, transpartisan, de la part des candidats. Ce thème est d’ailleurs directement lié au stationnement et aux parcs-re- lais déjà évoqués : plusieurs candidats proposent de faciliter le Une question d’échelles stationnement des véhicules en covoiturage (par des « disques La campagne électorale qui a précédé le premier tour des élec- verts » pour le candidat Pierrick Courbon à Saint-Etienne), et tions municipales et intercommunales 2020 a été l’occasion d’autres veulent mettre en place des « points de covoiturages » pour les candidats de mettre en avant leur vision d’un cadre qui se confondent parfois avec les parcs-relais. de vie amélioré pour les habitants. Sur le plan des mobilités, Les propositions plus clivantes de réserver certaines voies cela s’est traduit par des propositions généreuses sur le dé- des axes routiers les plus importants aux covoitureurs (ainsi veloppement des modes doux (vélo et marche à pied). Les qu’aux transports collectifs) sont moins nombreuses, et exclu- propositions plus clivantes de restriction des usages de l’au- sivement dans les plus grandes agglomérations. Elles sont tomobile (réduction du nombre de places ou augmentation du portées par des candidats LREM ou EELV à Lille, Bordeaux, tarif de stationnement, voies réservées) ont été plus rares, à Nantes et Paris, ainsi que par les maires sortantes de Nantes l’exception des zones à faibles émissions mobilité, disposi- et de Paris. A Toulouse, le maire sortant Jean-Luc Moudenc tif obligatoire qui semble largement accepté dans les villes (LR) et le candidat Antoine Maurice (EELV) sont tous deux concernées. Pourtant, la gestion des externalités des mobilités favorables à la mise en place de lignes de covoiturage (qualité de l’air, gaz à effet de serre) ne pourra pas se faire sans subventionnées. une réduction de l’usage du véhicule thermique individuel, et Enfin, l’électromobilité est sans doute la grande absente le développement de mobilités alternatives ne pourra se faire de cette campagne municipale. Le thème est assez présent que sur l’espace actuellement dédié à la voiture. A l’image des dans les communes d’Ile-de-France de l’échantillon, mais parcs-relais, une offre d’infrastructures nouvelles dédiées à dans les autres villes - villes moyennes autant que métro- l’intermodalité voiture/transport urbain (transports collectifs ou poles - il est principalement porté par des maires sortants mobilités douces) semble bien identifiée par les candidats pour (LR et PS) et par quelques candidats LREM. Il semblerait garantir l’accessibilité des centres-villes à tous. Les nouveaux que le véhicule électrique soit considéré par les candi- exécutifs municipaux et intercommunaux devront employer dats comme un thème trop éloigné des préoccupations de le mandat à venir à déployer des solutions de mobilité pour leurs électeurs. Notons que les compétences du bloc com- tous afin de réaliser la vision largement partagée d’une « ville munal - et les propositions des candidats - se limitent au apaisée ». Leur réussite passera par leur capacité à penser la déploiement de bornes de recharge sur la voie publique ou mobilité à plusieurs échelles.

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Coût d’usage des transports collectifs : quelles gratuités ? e financement des transports collectifs repose sur un La gratuité partielle, c’est-à-dire en fonction de critères so- équilibre entre recettes tarifaires, versement mobilité et ciaux, d’âges, ou certains jours de l’année, est la proposition de Lconcours des collectivités et de l’Etat. Cet équilibre varie tarification la plus répandue avec 33 listes recensées (31,1 %). fortement d’un réseau à un autre, selon une décision politique Elle est portée par des listes de toutes nuances politiques, mais prise par l’AOM (autorité organisatrice de la mobilité), qui plus particulièrement par les partis les plus centraux. en définit le niveau dans le cadre des différents modes d’or- Les listes écologistes et de gauche sont les plus homogènes ganisation du service (régie et délégation de service public dans leur soutien à une forme de gratuité : respectivement 11 principalement). Aujourd’hui, le prix payé par les usagers des listes sur 13 (84,6 %) et 21 listes sur 25 (84,0 %). A l’inverse, les transports en commun représente en moyenne 30 % des coûts listes du centre et de droite sont celles dont les positions sont de fonctionnement des réseaux des villes françaises4. les plus variées. La proposition de rendre les transports publics gratuits, totalement ou partiellement, a été portée par une part très si- Des challengers plus nombreux à porter une proposition gnificative des listes candidates au premier tour des élections de gratuité totale municipales du 15 mars 2020. Parmi les 21 candidats favorables à la gratuité, seul un est une maire sortante (Martine Aubry à Lille), et c’est un sou- La gratuité partielle est la proposition tien prudent puisqu’il s’agit d’une « gratuité progressive ». En de tarification la plus répandue revanche, 8 des 13 maires sortants (51,6 %) sont favorables

L’étude menée par le conseil scientifique de TDIE sur les programmes des candidats de 26 communes et territoires in- tercommunaux a permis de mener une analyse quantitative des propositions sur 16 de ces communes : Abbeville, Bordeaux, Charleville-Mézières, Cherbourg, Dijon, Grenoble, Lille, Limoges, la métropole de Lyon, Marseille, Mulhouse, Nantes, Perpignan, Rouen, Saint-Etienne et Toulouse5. Si cet échantil- lon ne peut pas être considéré comme représentatif en termes purement statistiques, il montre la manière avec laquelle de nombreux candidats ont choisi d’aborder le transport public : le coût d’usage.

La plupart des listes prennent position sur la question de la tarification des transports collectifs Pour 68 des 106 listes suivies (pour 129 listes inscrites), une Tableau 1 : Positions sur la tarification des 106 listes suivies. position explicite sur la tarification des transports collectifs a pu être identifiée : gratuité totale, gratuité partielle (en fonction de critères sociaux, d’âge, ou certains jours de l’année), réduction des tarifs, augmentation des tarifs, ou opposition à la gratuité/ pas d’évolution des tarifs (voir tableau 1). On observe une grande hétérogénéité dans les précisions apportées par les candidats sur le financement des transports collectifs. Parmi celles qui se positionnent en faveur d’une gratuité totale, seules deux listes chiffrent la perte de recette attendue : Patrick Courbon (PS) à Saint-Etienne et Bruno Louis (sans étiquette) à Dijon. Pour ce qui est des leviers de financement, on peut citer les listes de Sonia Krimi (LREM) à Cherbourg et de Sylvain Dalla-Rosa (PS) à Charleville- Mézières qui souhaitent faire évoluer le versement mobilité.

Tableau 2. On se base pour la suite sur les vingt-trois nuances attribuées aux listes La gratuité : une proposition surtout portée par des candi- du premier tour par le ministère de l’Intérieur, que l’on regroupe en sept catégories dats étiquetés à gauche pour plus de lisibilité. A noter que notre échantillon ne contient aucune liste étiquetée Le comptage des propositions ré- « régionaliste » (LREG) ou « gilets jaunes » (LGJ). vèle que la gratuité totale est portée par des listes allant de l’extrême gauche au centre, et en majorité par des listes de gauche (9 sur 21, soit 42,8 %). Aucune liste de droite ou d’extrême droite ne propose la gratuité totale. A gauche, une seule liste s’oppose à la gratuité (François Rebsamen à Dijon). Les autres listes qui s’opposent à la gratuité Tableau 3 : Comptage des positions sur la gratuité en fonction de la nuance politique (aide de lecture : 3 candidats d’extrême vont du centre à l’extrême droite. gauche proposent la gratuité totale des transports collectifs).

58 TI&M n° 521 - mai - juin 2020 Politiques publiques

Tableau 4 : Comptage des positions sur la gratuité des équipes sortantes et des autres candidats (aide de lecture : sur les 106 candidats suivis, 33 candidats sont favorables à une gratuité partielle, 6 sont des maires sortants, 2 sont issus de l’équipe sortante, et 25 sont des challengers).

à une forme de gratuité partielle ou à une réduction des prix des abonnements de transports collectifs, contre 36,8 % dans l’échantillon total. De même, sur les 7 expressions claires contre la gratuité, 2 sont des maires sortants (15,4 %) et 5 sont des challengers (5,6 %). Il apparaît de ce comptage dans seize communes que la gratuité totale est une mesure portée avant tout par des challen- gers de gauche et du centre. Ils en font parfois un élément central de leur campagne, à l’image de Pierrick Courbon (PS) à Saint-Etienne ou de Sonia Krimi (LREM) à Cherbourg, qui dé- taillent chacun des éléments de financement. A l’exception de Martine Aubry (PS) à Lille, déjà citée, les maires sortants - de droite et de gauche - y répondent principalement par des pro- positions de gratuité partielle ou de réduction des tarifs : 10 des 16 maires sortant.e.s ou membres d’équipes sortantes (62,5 %) portent ce type de mesure, contre 29 des 90 autres candidats (32,2 %). Une fois émise par un candidat, la force politique de l’idée de gratuité totale des transports collectifs semble pous- ser les autres candidats à se positionner sur la tarification des transports collectifs. C’est d’autant plus remarquable que les transports collectifs ont été finalement assez peu présents dans la campagne. Sur les 21 candidats favorables à la gratuité totale des transports collectifs, seule Martine Aubry (maire sortante PS de Lille) récolte le plus de suffrages au premier tour. Sept autres candidats obtiennent plus de 10 % des suffrages, dont 3 qui obtiennent plus de 20 % et terminent seconds. Sur ces 8 candi- dats, 6 se maintiennent au second tour6.

La gratuité, une promesse gagnante ? La gratuité totale aidera-t-elle les listes qui la portent à Tableaux 5 et 6 : Position sur la gratuité des maires sortants et des têtes de listes issues convaincre les électeurs ? Difficile de répondre à cette ques- des équipes sortantes. tion à partir d’un échantillon aussi restreint. Quoi qu’il en soit, Bibliographie la tarification des transports collectifs est une compétence de • « Mobilité : quelle(s) politique(s) locale(s) pour les six prochaines années ? » l’AOM : la question ne pourra pas être tranchée avant le « troi- Grille d’analyse du conseil scientifique de TDIE à l’occasion des élections sième tour » intercommunal, en prenant donc en compte l’avis municipales et intercommunales des 15 et 22 mars 2020, février 2020. • « Municipales : l’enjeu des mobilités ». Synthèse de l’analyse des propositions de l’ensemble des élus de l’intercommunalité, qui ne sont pas des candidats au 1er tour dans vingt-six communes et intercommunalités, intégrés dans le comptage. réalisée par le conseil scientifique de TDIE, TDIE, juin 2020. A Dunkerque, où la gratuité décidée et mise en place lors du mandat 2014-2020 a largement contribué à la popularité de 1 http://tdie.eu/de-nouvelles-priorites-mobilite-quotidien/ la mesure lors de la campagne 2020, c’est cette proposition 2 Pour les aires urbaines de moins de 400 000 habitants, la part modale de la voiture qui avait permis au candidat divers gauche Patrick Vergriete est de 84,7 % dans la couronne périurbaine, et de 73,1 % dans la ville-centre (Insee focus, n° 143, « Sept salariés sur dix vont travailler en voiture », avril 2019). d’être élu face au maire sortant Michel Delabarre (PS) qui 3 Voir TI&M n°520, « Les parkings relais en quête d’un optimum économique ». se présentait pour un cinquième mandat. Elu président de la 4 Observatoire de la mobilité 2018, UTP, 2018. 5 Les communes d’Ile-de-France, où la compétence d’organisation des mobilités Communauté urbaine de Dunkerque (CUD), il avait ensuite est exercée par la région, ont été écartées (aucune prise de position sur la mis en place la gratuité grâce au soutien de Damien Carême tarification n’y a été relevée). De même, la ville de Châteauroux, où les transports (PS), élu à Grande-Synthe, deuxième ville de la communauté sont gratuits depuis 2001, a été écartée de cette analyse (aucun candidat ne remet en cause la gratuité). urbaine, après une campagne où il portait lui aussi le projet 6 A Perpignan, Romain Grau se désiste pour faire barrage à Louis Alliot (RN) ; de gratuité7. à Charleville-Mézières, le maire sortant Boris Ravignon est élu au 1er tour et En 2020, le contexte financier qui résulte de la crise due Sylvain Dalla-Rosa siège dans l’opposition au conseil municipal. 7 Patrick Vergriete a été réélu à Dunkerque au premier tour avec 64 % des voix. à la Covid-19 réinterroge la faisabilité d’une proposition aussi Damien Carême a été élu député européen sur la liste EELV lors des élections ambitieuse d’un point de vue budgétaire. n 2019 ; il ne s’est pas représenté à Grande-Synthe.

TI&M n° 521 - mai - juin 2020 59 La chronique de Michel Savy

Crise : passer de l’urgence au long terme Michel Savy, professeur émérite à l’Université Paris-Est Ecole des Ponts, Ecole d’Urbanisme de Paris [email protected] © V. Tarka-Partouche © V.

Les prévisionnistes annoncent une baisse du PIB français de 11 % en 2020, sans précédent depuis les périodes de guerre. Le choc de 2008 fut bien moins violent avec un recul de 2,6 % du PIB en 2009. Pourtant, en 2018, le volume de transport terrestre de fret en France n’avait pas retrouvé son niveau d’avant ce choc. Une phase inédite des relations entre déve- loppement économique et mouvement des marchandises s’ouvre aujourd’hui. Comment relier la situation présente à un horizon plus lointain ?

a crise sanitaire dont nous semblons sortir - sans exclure En attente de bons dossiers une possible récidive - a touché toute la société et toute Les pouvoirs publics - le gouvernement - sont alors légitimes Ll’économie. On a observé à la fois la rupture de certaines pour poser des conditions d’intérêt général à l’octroi des aides supply chains internationales et le maintien réussi de l’appro- demandées. Cela peut concerner, comme dans le cas de visionnement de la population française. Ces questions restent Renault, la localisation d’établissements et d’emplois sur le ter- à l’ordre du jour alors que, de prioritairement sanitaire, la crise ritoire national, la transition vers des véhicules électriques ou devient aussi économique et sociale. l’engagement dans une filière des batteries en Europe. Cela peut Le secteur des transports a beaucoup souffert de la baisse d’ac- aussi toucher les réductions de gaz à effet de serre et autres tivité et on a pu, encore une fois, vérifier la « loi » selon laquelle préoccupations environnementales : Air France aurait-elle admis la conjoncture du transport amplifie la conjoncture générale naguère l’opportunité de renoncer aux liaisons aériennes vers (même si le commerce en ligne et sa logistique ont poursui- des destinations également desservies par un TGV ? vi leur expansion). Combien de faillites dans une branche à De leur côté, des organisations professionnelles s’organisent faible marge et à forte concurrence ? Quelles restructurations pour proposer aux pouvoirs publics des démarches coordon- à venir ? nées. La plate-forme 4 F (fret ferroviaire français du futur) réunit les professionnels du secteur alors que la loi d’orientation des Plus qu’à une « dé-globalisation » mobilités (LOM) prescrit l’élaboration d’une stratégie de dé- générale, on assistera probablement veloppement du transport de marchandises par le rail. Leur à une régionalisation de certaines objectif est de doubler la part du rail dans le partage modal d’ici implantations à 2030 (se souvient-on des moqueries à l’égard du ministre Jean-Claude Gayssot qui en faisait la proposition à la fin des Déjà, la sortie de crise est dans toutes les discussions, dans années 1990 ?). À l’échelon européen, une initiative analogue la diversité des familles politiques, pour savoir si l’« après » est lancée, sous l’égide de Rail Freight Forward. sera comme l’« avant ». Le thème des mobilités - des per- Rien n’est joué à ce jour mais tout va se jouer très vite. sonnes comme des choses - y occupe une place importante. Les utopies n’en sont pas absentes, telles qu’une relocalisation L’urgence de la relance pour industrielle massive en France, en Europe et sur la rive sud de alléger le chômage ne favorise pas la Méditerranée. Plus qu’à une « dé-globalisation » générale, l’innovation, toujours marquée par on assistera probablement à une régionalisation de certaines l’incertitude des coûts et des délais implantations, sans multiplier pour autant les volumes de fret à traiter sur notre territoire. Traditionnels gardiens de la rigueur budgétaire, les ministères Quelle probabilité pour que les bonnes intentions entrent dans sont pour quelques mois demandeurs de bons dossiers prêts à les faits ? L’urgence de la relance pour alléger le chômage être financés. Aux acteurs du fret et de la logistique d’avancer ne favorise pas l’innovation, toujours marquée par l’incer- des programmes conjuguant relance et environnement, pour titude des coûts et des délais. La reprise de 2010 n’a guère une meilleure planification territoriale et sociale de la logistique, été verte... Aujourd’hui toutefois, deux facteurs permettent des le renouveau du fret ferroviaire, le développement de biocar- changements plus radicaux. D’une part, la conscience environ- burants, l’électrification des véhicules routiers légers et lourds nementale s’est renforcée ces dix dernières années. D’autre et, à un horizon plus lointain, le déploiement de véhicules part, de nombreuses entreprises, y compris parmi les plus autonomes et de l’utilisation d’un hydrogène de fabrication dé- grandes, ont besoin d’un soutien public massif pour redémarrer carbonée. L’urgence de la relance sera-t-elle paradoxalement ou simplement survivre. facteur de vision à long terme ? n

60 TI&M n° 521 - avril - mai 2020 Abonnez-vous à Transports, Infrastructures & Mobilité

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