Études canadiennes / Canadian Studies Revue interdisciplinaire des études canadiennes en

80 | 2016 Le Canada et la Grande Guerre Canada and the Great War

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/eccs/629 DOI : 10.4000/eccs.629 ISSN : 2429-4667

Éditeur Association française des études canadiennes (AFEC)

Édition imprimée Date de publication : 1 juin 2016 ISSN : 0153-1700

Référence électronique Études canadiennes / Canadian Studies, 80 | 2016, « Le Canada et la Grande Guerre » [En ligne], mis en ligne le 01 juin 2017, consulté le 24 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/eccs/629 ; DOI : https://doi.org/10.4000/eccs.629

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AFEC 1

Le numéro 80 de la Revue Etudes Canadiennes/Canadian Studies se divise en deux parties. Dans un premier temps, nous avons choisi de consacrer un numéro thématique au Canada dans la Grande Guerre. Nous avons sollicité des contributions qui faisaient appel à de nouvelles recherches ou à de nouvelles perspectives sur la Grande Guerre vue du Canada, ou sur la manière dont le Canada se souvient de cette guerre, particulièrement à l’approche de la commémoration de la bataille de Vimy en avril 1917. Dans une deuxième partie, nous publions quatre travaux de doctorants présentés lors de journées doctorales organisées par le Centre d’Etudes sur le Canada de l’université de Grenoble, en novembre 2015. Ces journées intitulées « le Canada, la mondialisation et votre thèse » ont montré la vitalité de la relève de la recherche en France sur le Canada.

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SOMMAIRE

Avant-propos Françoise Le Jeune

Le Canada et la Grande Guerre

Production et patriotisme (1914-1918) : mobilisation des ressources humaines de la Saskatchewan pour l’effort de guerre alimentaire canadien Mourad Djebabla-Brun

The Comforts of Home: Sex Workers and the Canadian War Novel Zachary Abram

La Conférence de la Paix de Paris vue du Québec : les journaux montréalais et la naissance de la Société des Nations (1918-1919) Miho Matsunuma

Re-inscribing a Monument: Vimy in the Canadian Consciousness Joan Coutu

“This Sacred Soil of Vimy”, An Environmental History of the Vimy Ridge Memorial Park, 1920-2007 Adam Coombs

Acts of Remembrance: Canadian Great War Memory and the Public Funerals of Sir Arthur Currie and Canon F.G. Scott Melissa Davidson

Bearing the Burdens of Their Elders: English-Canadian Children’s First World War Red Cross Work and Its Legacies Sarah Glassford

Recherche doctorale: « Le Canada, la mondialisation et votre thèse »

Les discours libéraux de résistance au continentalisme dans les années 1970 Chloé Carbuccia

La morale à l’épreuve de la mondialisation : le rôle des valeurs morales et familiales dans la distinction idéologique du Canada en Amérique du Nord Marie Moreau

La langue portugaise se protège au sein de sa forteresse : La « communauté portugaise » de Montréal Fabio Scetti

Bien-être et pratiques culturelles. Comparaison du cas des Inuit du Nunavut au Canada et des Quichuas du Napo en Amazonie équatorienne Simon Fleury

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Recensions

AUGUSTIN J.-P. et DUMAS J., La ville kaléidoscopique, 50 ans de géographie urbaine francophone ECONOMICA Anthropos, Paris, 2015 Grégory Martin

La francophonie en Acadie. Dynamiques sociales et langagières. Textes en hommage à Louise Péronnet, Sous la direction de Laurence Arrighi et Matthieu LeBlanc Sudbury : Prise de parole, 2014 Anita Falkert

Daniel ROYOT et Vera GUENOVA, Les Aventuriers du Missouri. Sacagawea, Lewis et Clark à la découverte d’un nouveau monde Paris, Vendémiaire, 2015 Jean-Michel Lacroix

The Handbook of Comparative North American Literature, Nischik REINGARD Ed. Palgrave Macmillan: New York, 2014 Françoise Tusques

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Avant-propos

Françoise Le Jeune

1 Le numéro 80 de la Revue Etudes Canadiennes/Canadian Studies se divise en deux parties. Dans un premier temps, nous avons choisi de consacrer un numéro thématique au Canada dans la Grande Guerre. Nous avons sollicité des contributions qui faisaient appel à de nouvelles recherches ou à de nouvelles perspectives sur la Grande Guerre vue du Canada, ou sur la manière dont le Canada se souvient de cette guerre, particulièrement à l’approche de la commémoration de la bataille de Vimy en avril 1917.

2 L’optique de cette publication est de renouveler la littérature scientifique sur des sujets bien connus. Dans un premier temps, des contributions d’historiens traitent de l’impact de la guerre sur la nation canadienne et sur la place du Canada dans l’espace impérial au sortir de la guerre. Ainsi Mourad DJEBABLA s’intéresse à l’effort de guerre alimentaire des fermiers de la Saskatchewan, puis Miho MATSUNUMA mène une enquête dans la presse montréalaise pour analyser le discours des journaux sur la naissance de la Société des Nations en 1919. Quant à Sarah GLASSFORD, elle évalue l’impact de l’engagement des jeunes au sein de la Croix-Rouge canadienne et s’interroge sur cet engagement dans les années qui suivent jusqu’au second conflit mondial.

3 Nous avons également sélectionné des travaux qui apportent un regard neuf sur les représentations de la Première Guerre Mondiale en littérature comme le montre l’article de Zachary ADAM sur la représentation de la vie sexuelle des soldats canadiens en Europe et sur le conflit moral qui s’engage de retour au pays. Par ailleurs, nous avons choisi de publier trois excellents articles qui se complètent sur le rôle des commémorations de la Grande Guerre au Canada. Mélissa DAVIDSON s’intéresse aux hommages rendus lors des funérailles de deux figures héroïques de la Grande Guerre plus de vingt-ans après la fin du conflit. Comment la nation et les anciens combattants revivent-ils ces moments de souvenir ? De même Joan COUTU s’interroge sur la place de Vimy comme lieu du souvenir et de la commémoration dans la conscience nationale canadienne, depuis son inauguration jusqu’à aujourd’hui. Quant à Adame COOMBS, il jette un regard neuf sur la manière dont le site, à mille lieux du Canada, représente un

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lien vivant, physique, géologique et biologique, rattaché à la mémoire des combattants de la Grande Guerre.

4 Dans une deuxième partie, nous publions quatre travaux de doctorants présentés lors de journées doctorales organisées par le Centre d’Etudes sur le Canada de l’université de Grenoble, en novembre 2015. Ces journées intitulées « le Canada, la mondialisation et votre thèse » ont montré la vitalité de la relève de la recherche en France sur le Canada. Nous sommes heureux de vous présenter les travaux de quatre jeunes doctorants ou docteurs : Chloé CARBUCCIA, Simon FLEURY, Marie MOREAU et Fabio SCETTI. Nous remercions le comité scientifique de ces journées et les collègues grenoblois d’avoir sélectionné et évalué ces articles de qualité.

5 Pour terminer, une fois n’est pas coutume, nous proposons quatre recensions d’ouvrages, rédigés ou présentés par des Canadianistes reconnus (Jean-Pierre AUGUSTIN et Jean DUMAS ; Laurence ARRIGHI et Matthieu LeBLANC ; Daniel ROYOT et Vera GUENOVA ; Nischik REINGARD) que leurs pairs ont souhaité évaluer pour la communauté des lecteurs de la revue. N’hésitez pas à nous faire parvenir vos ouvrages ou vos recensions pour les prochains numéros.

AUTEUR

FRANÇOISE LE JEUNE Françoise Le Jeune (Centre de Recherche en Histoire Internationale et Atlantique, EA 1163) est professeur d’histoire nord-américaine et britannique (XVIIIe-XIXe) à l’Université de Nantes. Ses travaux de recherche portent sur l’Empire britannique et particulièrement sur les politiques coloniales développées dans l’espace nord-américain entre 1763 et 1867. Elle a consacré trois monographies à cette question, ainsi que de nombreux articles. Elle est directrice et rédactrice en chef de la Revue Etudes Canadiennes/Canadian Studies et vice-présidente de l’Association Française des Etudes Canadiennes.

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Le Canada et la Grande Guerre Canada and the Great War

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Production et patriotisme (1914-1918) : mobilisation des ressources humaines de la Saskatchewan pour l’effort de guerre alimentaire canadien Production and patriotism (1914-1918) : mobilizing Saskatchewan farmers in the Canadian food production

Mourad Djebabla-Brun

1 Le 3 août 1914, quand la Grande-Bretagne déclare la guerre à l’Allemagne, le Dominion du Canada est de facto impliqué aux côtés de sa métropole. A l’annonce des hostilités, les centres urbains à travers le Canada font bruyamment montre de leur enthousiasme à soutenir les armes d’Albion dans cette aventure. L’été 1914 est chaud et dans les campagnes canadiennes, les échos festifs et patriotiques de la ville se perdent parmi les agriculteurs et les travailleurs agricoles d’abord occupés à rentrer les récoltes.

2 Si le conflit qui débute en Europe paraît bien lointain à nombre de Canadiens, les propos du Premier ministre britannique à la Chambre des Communes de Londres ne laissent planer aucun doute quant à sa détermination : toutes les ressources disponibles, dont celles de l’Empire, devaient être « jetées dans la balance ».1

3 L’étude du Canada dans la Première Guerre mondiale compte, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale surtout, nombre d’études (en anglais majoritairement) traitant de l’effort de guerre canadien en hommes, de la place des Canadiens au front ou de la question de la contribution des Canadiens français (DJEBABLA 2014 : 407-416). Il est néanmoins un pan de l’historiographie canadienne de la Grande Guerre qui demeure en friche, c’est celui de la mobilisation des campagnes. Pourtant, dans le contexte de la guerre sous-marine allemande, la production agricole devint de plus en plus une arme à part entière pour combattre l’ennemi : « Fight the Huns with Food » est un slogan diffusé, en 1918, au Canada et aux États-Unis, pour souligner l’apport

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alimentaire de l’Amérique du Nord aux Alliés. Malgré cela, à part l’étude de la fin des années 1970 de John Herd Thompson, The Harvests of War, les historiens canadiens se sont peu ou prou intéressés à ce problème pourtant central quand on se tourne vers l’Ouest qui se caractérise par ses immenses champs agricoles. Au contraire, les tensions linguistiques entre le Québec et l’Ontario ou l’envoi d’hommes outre-mer ont fait l’objet de bien des études et débats.

4 A l’automne 2015, nous avons publié l’étude Combattre avec les vivres, qui sort de l’ombre l’effort de guerre alimentaire canadien en 1914-1918 avec une attention portée sur le monde rural et sa contribution à soutenir les Alliés (DJEBABLA 2015). Cet article est tiré de cette recherche mais s’en détache sur plusieurs points. Tout d’abord, il se focalise sur la Saskatchewan, principale aire canadienne de production de blé. Ensuite, il aborde le sujet du point de vue de la force vive disponible au pays et devant répondre aux impératifs de l’effort de guerre alimentaire canadien. Comme nous le démontrons, le contexte international et national, influencés par le conflit mondial, ont de nombreuses conséquences sur la capacité des agriculteurs saskatchewanais à se procurer des bras pour les travaux des champs et les récoltes.

5 Nous visons ainsi à nous écarter de sentiers mainte fois battus de l’historiographie canadienne de la Première Guerre mondiale en nous focalisant sur les Prairies et leur apport à l’effort de guerre alimentaire canadien. Nous retenons la Saskatchewan au regard de ses caractéristiques : de 1915 à 1918, elle est la province canadienne sur laquelle les efforts du gouvernement fédéral se portèrent au regard de ses surfaces disponibles au développement de la culture du blé. Jeune province canadienne, établie en 1905, si les années d’avant-guerre furent particulièrement difficiles avec de mauvaises récoltes dues à la météo, la guerre fut une occasion en or pour nombre d’agriculteurs qui tirèrent profits des demandes alliées en céréales. Avec l’encouragement des autorités fédérales, le premier conflit mondial œuvre au développement des surfaces cultivées : mais cet essor a un prix.

6 Les politiques du gouvernement fédéral à l’encontre de la Saskatchewan ne sont pas sans susciter des divergences de point de vue. Face à un intérêt supranational allié, une vision plus réaliste locale des autorités saskatchewanaises se dégage au sujet de la capacité de la province à répondre aux injonctions à produire toujours plus sans égard aux pratiques raisonnées agricoles qui prévalaient. Dans le contexte de « guerre totale », patriotisme et production devinrent complémentaires et l’agriculteur canadien vit sa place se définir dans l’effort de guerre canadien, ce qui impliquait de recevoir du soutien de l’ensemble de la société mobilisée à cet effet, par l’intermédiaire des autorités politiques.

7 Pour mettre en lumière l’ensemble de ces points, dans un premier temps, nous reviendrons sur le lien agraire qui lie le Dominion du Canada à sa métropole. Dans le contexte de la guerre sous-marine, la Grande-Bretagne sait tirer parti des atouts que représente le Canada en vue d’échapper au sort des civils allemands confrontés au blocus allié. Par la suite, en revenant vers la Saskatchewan, nous développerons les diverses politiques entreprises par les gouvernements fédéral et provincial à destination du monde agricole, en vue de lui fournir toute l’aide nécessaire pour la réalisation des objectifs nationaux de production agricole. Dans le contexte de « guerre totale », nous verrons que c’est l’ensemble des Canadiens qui sont mobilisés, quel que soit l’âge, le sexe, la condition sociale, voire l’appartenance à la communauté autochtone, pour répondre aux objectifs de l’effort de guerre agricole canadien.

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« Patriotisme et production » est le mot d’ordre qui traverse les diverses stratégies retenues pour pallier le manque de bras pour les récoltes au Canada.

8 La Révolution industrielle du XIXe siècle ayant vidé les campagnes anglaises au profit des villes où se concentraient les usines, la Grande-Bretagne est dépendante des importations de vivres pour nourrir une population majoritairement urbaine. Au début des années 1900, ce talon d’Achille n’échappa guère aux autorités militaires allemandes qui avaient pris en compte cet aspect stratégique au cœur du conflit. Mais en temps de paix, la Grande-Bretagne est le cœur d’un vaste Empire colonial sur lequel « le soleil ne se couche jamais ». Que ce soit de l’Inde, d’Australie, d’Afrique du Sud ou du Canada, Londres peut compter sur ses importations de vivres par voie maritime.

9 Au sein de cet Empire britannique, le Canada se détache par sa proximité avec les Îles britanniques : le temps de navigation entre Halifax et Liverpool est le plus court en comparaison avec d’autres colonies et dominions. L’autre atout du Canada concerne ses terres immenses encore disponibles. Les Prairies canadiennes se développent à compter de la deuxième moitié du XIXe siècle avec des politiques d’immigration visant à valoriser la mise en culture de nouvelles terres. Au cours de cette période, la Révolution industrielle permit à l’agriculture canadienne de se moderniser et d’augmenter la production pour nourrir des citadins toujours plus nombreux. Les surplus étaient exportés vers la Grande-Bretagne, en particulier le blé, le fromage, le bacon et le jambon qui étaient à la base des habitudes alimentaires britanniques (STACEY 2003 : 36-38). Dans ce contexte, en tant que source d’approvisionnement en produits agricoles, le principal lien qui unissait le Canada à sa métropole était agraire. Au sein de l’Empire britannique, le Canada est ainsi considéré comme le « grenier de l’Empire ». Ce titre est notamment justifié par la capacité de l’Ouest canadien à répondre aux besoins en blé de la métropole.

10 Pour illustrer ce rapport en temps de paix, le 6 août 1914, le gouvernement canadien offrit un million de sacs de farine à Londres. Par la suite, en plus de dons de vivres aux troupes et aux réfugiés belges (WILSON 1977 : xxiv), en septembre 1914, les provinces canadiennes envoyèrent chacune à la métropole des produits de leur terroir comme 500 000 sacs de farine de l’Ontario, 4 millions de livres de fromage du Québec2, et 1500 chevaux de la Saskatchewan.3 Présents en grand nombre dans les fermes canadiennes du début du XXe siècle, les chevaux étaient alors la principale force motrice utilisée pour les travaux agricoles. Au début des hostilités, il faut rappeler que le cheval est utile à la cavalerie, au transport de matériel et à l’artillerie pour le déplacement des canons. Bien entendu, l’évolution vers la guerre de tranchées viendra chambouler ces usages.

11 Londres est conscient des atouts du Canada au regard des ressources alimentaires, particulièrement lorsqu’éclate le conflit avec des soldats toujours plus nombreux à nourrir. Ce que la presse rurale canadienne relaie, en octobre 1914, afin de dessiner le devoir attendu des agriculteurs sur leurs terres : « Nous sommes fiers des troupes que le Canada nous envoie, mais nous attendons aussi de lui le blé qui, l’année prochaine, sera encore plus nécessaire pour notre sécurité nationale.4 »

12 La guerre en Europe a une autre conséquence sur la production agricole canadienne. Au début des hostilités, la France et la Grande-Bretagne établissent un blocus des ports allemands en mer du Nord et de ceux austro-hongrois en Adriatique. Comme pour la Grande-Bretagne, la révolution industrielle a rendu l’Allemagne dépendante des importations de vivres. L’impact de ce blocus allié se fait sentir dans les Prairies où

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l’envoi de blé vers l’Allemagne est désormais interdit. Le gouvernement fédéral, tout en faisant montre de son respect des règles du blocus, doit alors presser Londres de compenser les pertes de débouchés en augmentant ses commandes de blé.

13 Du point de vue de l’ennemi, cette stratégie franco-britannique est sévèrement jugée par le Maréchal Hindenburg au regard de son objectif de viser avant tout la population civile du front domestique : Quel est donc le but que poursuit la dictature de ces hommes « si civilisés » ? Leur plan est clair. Ils ont constaté que leur force militaire n’est pas suffisante pour réaliser par les armes leur volonté tyrannique, que leur science militaire demeure improductive devant un adversaire aux nerfs d’acier. Que l’on détruise donc ces nerfs ! Si on ne peut y parvenir en combattant face à face, homme contre homme, on y parviendra peut-être par derrière, en passant par l’intérieur de l’Allemagne. Que l’on fasse mourir de faim les femmes et les enfants ! Cette mesure aura, si « Dieu le veut », une influence sur les époux et sur les pères qui combattent sur le front, peut-être pas immédiatement, mais peu à peu ! Alors les époux et les pères se décideront peut-être à mettre bas les armes, sinon, là-bas, à l’intérieur, femmes et enfants seront menacés de mort, de cette mort… de la civilisation.5

14 Les restrictions alimentaires furent d’autant plus cruellement ressenties en Allemagne que le niveau de vie s’était amélioré durant les deux décennies qui précédèrent le conflit, au point de modifier les habitudes alimentaires des classes ouvrières plus tournées vers le pain blanc au détriment de celui de seigle (ROUSSEAU 2006 : 98). Le général Ludendorff souligne dans ses mémoires combien le manque de nourriture eut un impact sur le moral de la population civile et sa volonté de tenir jusqu’à la victoire.6

15 C’est pour répondre à ce blocus que les autorités allemandes développent la guerre sous-marine pour couper la Grande-Bretagne de tous les approvisionnements en provenance de son Empire. Au fur et à mesure des hostilités, le torpillage des navires alliés (avec des incidents concernant des navires neutres américains avant 1917) alla en s’intensifiant pour aboutir, en 1917-1918, à la guerre sous-marine à outrance. Pour espérer mettre à terre les Britanniques, l’amirauté allemande convainc l’empereur Guillaume II de permettre aux U-boats de couler tous les navires sans exception se dirigeant vers les îles britanniques. Ce choix influença d’ailleurs la décision des États- Unis d’intervenir aux côtés des Alliés en avril 1917. Depuis les Prairies canadiennes, ce contexte international a comme impact immédiat de presser les agriculteurs à produire toujours plus et à ensemencer toujours plus de terres, pour répondre aux besoins de la Grande-Bretagne dont la population ressent déjà les effets du manque de nourriture, tout comme les Allemands qui souffrent du blocus : It was a terrible time, terrible. We were starving. I can remember my mother going out and picking dandelion leaves and washing them and making sandwiches with them. It tasted like lettuce. I don’t know how my mother managed. It was nothing to see her sitting at the table with an empty plate. “Mummy, you’re not eating?” “I’m not hungry,” she’d say. Whatever she had was for my brother and myself. (VAN EMDEN and HUMPHRIES 2004: 191)

16 Si Londres presse son Dominion d’envoyer toujours plus de blé, c’est au gouvernement fédéral canadien qu’il revient de mobiliser ses agriculteurs et d’assigner pour chaque province des objectifs de production agricole au regard des besoins de la métropole.

17 Quand le Canada fut impliqué dans le conflit par le biais de sa métropole, les récoltes de 1914 étaient en cours, les autorités militaires et politiques canadiennes ne pouvaient donc pas influer sur leur rendement. Par contre, dès l’automne, quand les regards se tournèrent vers les récoltes à venir, le monde rural canadien fut incité par les autorités

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politiques fédérales et provinciales à accroître ses efforts pour augmenter la production de 1915 pour répondre aux besoins alliés outre-mer.

18 À l’hiver 1915, suivant l’exemple de l’appel du Ministre britannique de l’Agriculture aux agriculteurs de Grande-Bretagne pour leur demander de redoubler d’efforts pour produire plus7, le gouvernement canadien lança la campagne Patriotisme et Production, qui est par la suite renouvelée annuellement jusqu’en 1918. Prise en main par le Ministre fédéral de l’Agriculture, Martin Burell, cette campagne retint l’approche incitative. Le Ministre invitait les agriculteurs canadiens à augmenter leurs productions en développant la culture du blé ou en accroissant l’élevage de bœuf, de moutons, de vaches laitières et de porc.8

19 Des critiques apparurent cependant à l’encontre de cette campagne. En Saskatchewan, elles concernaient l’incitation faite par le Ministre fédéral de l’Agriculture d’augmenter à tout prix les surfaces cultivées en délaissant les jachères. Pour le ministre saskatchewannais de l’Agriculture, W. R. Motherwell, ce conseil allait à l’encontre des principes agricoles élémentaires et il conseilla au contraire aux agriculteurs de sa province de mieux cultiver plutôt que d’augmenter aveuglément les surfaces ensemencées.9 W. R. Motherwell considérait que délaisser les jachères au nom d’une augmentation de la production agricole en 1915 était tout simplement insensé : « little short of madness » (WAISER 2005 : 218). Le ministre décida donc de prendre le contre- pied de la campagne fédérale en publiant ses propres conseils dans la presse rurale pour rappeler les principes élémentaires de la culture du sol, dont le choix de semences10 et le respect des jachères.11

20 Le conseil des autorités fédérales d’augmenter au maximum les surfaces cultivées correspondait à une vision à court terme qui ne reflétait pas les intérêts à long terme des agriculteurs, mais ceux de la Grande-Bretagne. Comme les opposants à cette politique le soulignèrent, c’était faire fi de la nécessité pour le sol de se reposer afin de garantir les récoltes des années à venir, notamment dans un contexte où le conflit s’enlisait. En dépit de conseils éclairés, la recherche de profits poussa les agriculteurs à suivre les conseils du gouvernement fédéral (THOMPSON 1978 : 66). Ils en paieront le prix avec des rendements moindres dans les années qui suivent 1915 (Ibid : 68).

21 Pour le ministre fédéral de l’Agriculture, l’objectif à atteindre était précis : produire suffisamment de denrées pour nourrir les combattants et les civils britanniques.12 Dans les titres de journaux ruraux de la Saskatchewan, comme le Wilkie Press et le Humboldt Journal, un article définit les grandes lignes de la campagne fédérale. Les raisons invoquées pour justifier la mobilisation des agriculteurs étaient tant patriotiques, en soutien à la Grande-Bretagne, que pratiques, dans l’intérêt de l’agriculteur.13

22 Dans cette campagne de surproduction agricole, les femmes ne furent pas oubliées. Pour les citadines, leur rôle dans l’effort de guerre canadien était de contribuer aux œuvres de guerre ou d’encourager leur recrutement pour remplacer les hommes au travail (DJEBABLA 2008 : 92-94; 180-184). Les épouses et les filles d’agriculteurs furent quand à elles invitées à élever des volailles et à favoriser l’augmentation de la production d’œufs, en plus d’aider à la ferme pour contribuer à l’augmentation de la production en soulageant les hommes de certaines tâches.14 Cette mobilisation des Canadiennes des zones rurales pouvait paraître timide au regard des conséquences de la pour leurs consœurs françaises et allemandes qui remplaçaient leurs époux aux champs depuis l’été 1914, mais la guerre vient leur donner une place plus visible au sein de l’exploitation, elles qui jusque-là étaient plutôt cantonnées aux tâches

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ménagères. Plus généralement, au fur et à mesure que le manque de main-d’œuvre devenait criant, elles jouaient un rôle de plus en plus actif dans les travaux agricoles, en particulier à partir de 1916 avec l’impact du recrutement et des usines de munitions qui drainèrent nombre de travailleurs agricoles.

23 Avec les campagnes de surproduction, pour la première fois dans son histoire, au-delà des différences régionales ou culturelles, le Canada agricole était uni d’un océan à l’autre autour d’un même objectif national : en anglais comme en français, à l’Est comme à l’Ouest, les agriculteurs canadiens furent mobilisés pour soutenir l’effort de guerre, et en particulier les Alliés et la Grande-Bretagne en leur envoyant le plus possible de denrées. Cette mobilisation s’étendait également aux allophones des Prairies. Rappelons que le développement de l’Ouest canadien avait été assuré par l’immigration massive encouragée par les autorités fédérales au XIXe siècle. Nombre d’immigrants d’Europe de l’Est habitaient en Saskatchewan, ce qui différenciait ce milieu rural de celui du Québec ou de l’Ontario.15

24 En temps de guerre, cette présence étrangère dans les Prairies n’allait pas de soi, notamment pour les immigrants issus des pays en guerre contre l’Empire britannique. A l’échelle du Canada, la méfiance était de mise à l’encontre de certains Néo-Canadiens qui devenaient en 1914 des « étrangers d’origine ennemie ». Dans l’Est du Canada, en Ontario et au Québec, la crainte d’actes de sabotage de leur part était localisée autour des installations industrielles, portuaires et des voies de communication. En Saskatchewan, la crainte se portait vers les champs de blé. Si, dans les centres urbains comme Montréal et Toronto, ces individus perdaient leurs emplois ou étaient enfermés dans des camps d’internement, le Premier ministre de la Saskatchewan, Walter Scott, préféra une approche plus pragmatique (BARNHART 2000: 128). Par exemple, pour l’année 1915, nous retrouvons dans le archives du Premier ministre saskatchewannais nombre de lettres du type de celle de juillet 1915, rédigée par J. E. Case, un citoyen de Wellwyn. Il y fait part de son inquiétude quant à la menace que les Canadiens d’origine ennemie pouvaient faire peser sur les récoltes de la province : « (…) we have a lot of wheat that will be cut in the next 6 weeks (and the crop is very good) and it would not take an organized mob very long to reduce it to ashes and we are entirely unprepared.16 » J. E. Case proposait de faire garder par des hommes armés les champs de blé de la Saskatchewan. Malgré ces lettres émanant de « bons Canadiens » demandant d’arrêter les fermiers d’origine ennemie, Walter Scott choisit de les laisser cultiver leurs terres car ils contribuaient à la prospérité de la province en participant aux exportations de blé vers la Grande-Bretagne : Just when we need more than ever large additions to our producing population, we stand in danger of losing hundreds of German and Austrian farmers who are thinking seriously of moving to the United States (…) in fact some have already gone. From this standpoint it would be a mistake to do anything to unnecessarily disturb these people and make them more dissatisfied than they are already.17

25 Pour Walter Scott, la Police montée et ses patrouilles demeuraient suffisantes pour surveiller et assurer la sécurité des récoltes de la Saskatchewan.

26 La question des salaires des travailleurs agricoles fit aussi naître des tensions entre les agriculteurs et les immigrants. Les Canadiens semblaient jaloux de voir ces individus, non soumis aux obligations militaires, profiter de la manne de la guerre avec des salaires toujours en hausse, en raison de la rareté croissante de la main-d’œuvre (DANYSK 1995: 103). À l’échelle canadienne, les augmentations de salaires furent plus importantes en Saskatchewan au regard des surfaces à cultiver et des besoins plus

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pressants en travailleurs pour les récoltes céréalières. Si le salaire d’un travailleur agricole saisonnier en Saskatchewan était de 2,50$ en 1914, il atteignait 4,50$ en 1918, ce qui était alors quatre fois plus que la solde d’un soldat canadien servant au front! (WAISER 2005 : 219). Entre 1915 et 1918, les salaires annuels des travailleurs agricoles doublèrent en Saskatchewan, passant de 300 à 600$.18

27 Le 22 août 1917, le Morning Leader rapporta le cas de cinq Autrichiens qui dirigaient un groupe de travailleurs agricoles à Regina. Ceux-ci refusaient d’aller aux champs tant que les salaires n’atteindraient pas 4,50$, logement et nourriture compris. Présentés comme des agents à la solde de l’ennemi, ces agitateurs furent arrêtés par la police et les autres travailleurs acceptèrent les salaires proposés par les agriculteurs.19 Pour les agriculteurs canadiens, le recours à l’épouvantail de l’étranger d’origine ennemie fut un moyen bien utile pour contrer les tentatives d’organisation des travailleurs agricoles désirant obtenir des salaires plus importants, dans un contexte où ils étaient tant recherchés au regard de l’augmentation des superficies exploitées pour l’exportation outre-mer.20

28 Pour mener à bien la campagne fédérale de surproduction agricole, les autorités fédérales se tournèrent vers le voisin américain afin d’obtenir de sa part des travailleurs saisonniers pour les récoltes. Dans le cas de la Saskatchewan, la recherche de main-d’œuvre fit l’objet d’une coopération des autorités politiques fédérales et provinciales dès 1916.21 À la Chambre des communes d’Ottawa, lors de la séance du 20 mars 1916, en réponse à la question de William A. Buchanan, député de Medicine Hat (Alberta), au sujet des moyens pris par le gouvernement pour encourager les Américains à venir aider aux récoltes dans les Prairies, le Ministre de l’Intérieur fit état de publicités publiées dans 5 500 journaux à travers les États-Unis. Elles mettaient en avant l’opportunité de faire les récoltes au Canada. De plus, des arrangements furent pris avec la Canadian Pacific Railway pour proposer des tarifs avantageux à 1 cent/mile pour les ouvriers agricoles américains qui feraient le voyage.22 Par l’entremise de T. W. Crothers, le Ministre du Travail, les autorités fédérales proposèrent de recourir à 50 000 travailleurs américains pour les semailles du printemps 1916. Mais ils ne furent que 5 000 à se rendre au Canada (TROWBRIDGE 1966 : 68-69). En 1917, cette solution américaine pour les Prairies fut réétudiée et il fut estimé que les besoins de la Saskatchewan seraient de 5 000 bras, 5 000 pour le Manitoba et 2 500 pour l’Alberta.23 A l’appui de ces objectifs, le gouvernement canadien lança sa campagne War Winning Wheat Crop.24

29 Pour mobiliser les ouvriers agricoles américains, 44 agents canadiens furent envoyés dans les états limitrophes des Prairies.25 À la séance du 25 mai 1917 au Parlement canadien, le Ministre de l’Intérieur précisa que le Manitoba envoyait de son côté 6 agents, la Saskatchewan, plus de 10, et l’Alberta, plus de 6. Sous la responsabilité de Thomas M. Molloy, Directeur du Bureau provincial du Travail, la délégation saskatchewannaise qui se rendit aux États-Unis se composait du sous-ministre de l’Agriculture, F. Hedley Auld, et de représentants de diverses parties de la Saskatchewan.26 Mais lors de sa tournée de prospection américaine, Thomas M. Molloy remarqua dans la presse que les agriculteurs saskatchewannais devaient être prêts à offrir des salaires plus élevés, jusqu’à 50$ par mois, pour inciter les travailleurs américains à venir au Canada.27

30 Selon les chiffres du gouvernement canadien, en date de mai 1917, la campagne War Winning Wheat Crop permit de ramener environ 9 000 travailleurs américains : 3 500

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pour l’Alberta, 4 700 pour la Saskatchewan et 800 pour le Manitoba. Des instructions avaient cependant été données aux agents canadiens pour ne pas accepter les étrangers d’origine ennemie et de ne retenir que les travailleurs agricoles de citoyenneté américaine.28 La Police montée et les autorités fédérales et provinciales des Prairies, en collaboration avec les autorités américaines, demeuraient aussi vigilantes au sujet de l’entrée de travailleurs syndiqués américains au Canada, et notamment ceux trop « radicaux » de l’Industrial Workers of the World (I.W.W.), alors actif aux États-Unis auprès des ouvriers agricoles saisonniers qu’il regroupait dans l’Organisation des ouvriers agricoles.29

31 Nous devons ici souligner que la question syndicale et celle des grèves sont une problématique dont devait tenir compte le gouvernement fédéral. Dès 1916-1917, l’union de la société canadienne autour de l’effort de guerre était mise à mal par des grèves de plus en plus nombreuses de la part des ouvriers, en particulier dans les centres urbains où se concentraient les usines de guerre. Plusieurs éléments sont à prendre en compte. Tout d’abord, le poids des travailleurs d’usine et des travailleurs agricoles était grandissant en raison des besoins rattachés à la production de guerre. Conscients de cela, ils se regroupaient dans des syndicats défendant leurs intérêts. Au Canada, le nombre de syndiqués passa de 166 163, en 1914, à 248 887 en 1918 (ROY 1995:18). Pendant les années de guerre, la principale question qui les concernait, était l’impact du conflit mondial sur le coût de la vie au regard des salaires qui ne suivaient pas l’inflation.

32 En 1917-1918, l’inflation augmentait au Canada face à la guerre sous-marine des Allemands qui faisait augmenter le coût du frêt, et face à la situation de pénurie alimentaire des Britanniques et des Alliés qui augmentait la demande de vivres pour l’exportation. Durant les derniers jours du conflit, les travailleurs s’organisèrent pour lutter contre la hausse des prix, ce qui déboucha, en 1919, sur une série de grèves, dont la plus importante fut l’émeute sanglante de Winnipeg (NELLS 2004 : 220). Déjà, en 1917-1918, un mémo du ministère du Travail, en date du 3 mai 1918, reliait l’augmentation du nombre de grèves observées à travers le Canada au problème de l’augmentation des prix : The intense industrial activity which has prevailed during the whole of 1917 and up to the present period of the year 1918, with the increasing labour shortage and accompanying rise in the cost of living, have increased the number of industrial disputes during the last year or two, but, save in the coal mining industry, no serious or long continued strike has occurred. 30

33 À l’appui de ce constat, le mémo fournissait les chiffres du nombre de grèves au Canada durant la guerre :

Nombre de grèves au Canada en 1910-1918

Période Nombre de grèves (du 1er juin au 31 mai)

1910-1911 83

1911-1912 92

1912-1913 167

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1913-1914 60

Total de grèves pour la période avant-guerre 402

1914-1915 31

1915-1916 53

1916-1917 115

1917-1918 105

Total de grèves pour la période de guerre 304

Source : BAC, « Mémo du Ministère du Travail », 3 mai 1918, Fonds MG26 : Borden Papers, Volume 141, document n°75 326.

34 Si le monde agricole canadien est moins démonstratif que les villes, la problématique de l’inflation demeure la même pour les agriculteurs et les travailleurs agricoles. Tandis que les premiers tentent de réduire au maximum leurs coûts d’exploitation dans un contexte d’inflation, les seconds demandent des salaires leur permettant de faire face à cette hausse du coût de la vie. Déjà concernés par les ouvriers des usines de guerre, on comprend mieux dès lors le souci des autorités fédérales et provinciales d’éviter de nourrir ce terreau de contestations en faisant entrer au pays des travailleurs agricoles syndiqués américains. Le monde politique canadien surveillait de près ces grèves et revendications syndicales, en raison du contexte de la révolution russe de 1917 qui était un exemple pour certains grévistes, comme un journal de Montréal pouvait le noter à l’occasion d’une assemblée du Conseil des Métiers du travail : Pour la première fois, depuis que ce conseil existe, le mot de « révolution » a été prononcé et applaudit. « Serons-nous obligé, a déclaré le président Foster, d’imiter nos frères de travail de Russie et de recourir à la violence pour ramener à la raison les exploiteurs du peuple et ceux qui les soutiennent.31 »

35 De toute façon, l’application de la conscription au Canada et l’entrée en guerre des États-Unis, en avril 1917, détourna les Américains du Canada (NICHOLSON 1963 : 376). La solution qui restait pour soutenir les agriculteurs et leur permettre d’augmenter leurs productions de blé à destination de la Grande-Bretagne et des Alliés, fut de retenir les civils canadiens demeurés au pays, à savoir les citadins, les écoliers et les étudiants.

36 À l’exemple de la Grande-Bretagne, qui envoya aux champs les citadins inaptes au service militaire, en 1917-1918, l’attention des autorités canadiennes se porta sur les citadins, seule ressource nationale encore disponible, pour aider aux récoltes. Dans le contexte de la guerre sous-marine à outrance, il s’agissait de répondre aux besoins des agriculteurs que la conscription puis l’entrée en guerre des États-Unis privaient de travailleurs, alors même que la Grande-Bretagne réclamait toujours plus de blé. Par le biais de la presse, le ministre canadien de l’Agriculture s’adressait aux Canadiens des villes pour les conscientiser et leur rappeler la situation alimentaire périlleuse des Britanniques et des Alliés, en vue de les convaincre de prendre part à l’effort de guerre : I especially appeal in this critical year to those in our cities and towns who hitherto have not felt the necessity for directing their energies to food production. Individual efforts, even though small and unskilled, will in the aggregate mean much. By applying their labour to uncultivated land near their homes, or by assisting farmers, everybody having health can

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accomplish something. There is need, not only for an increased supply but for a wise economy of food.32

37 Pour collaborer au succès de cette campagne, les attentes du ministère de l’Agriculture se portèrent vers des institutions sociales qui encadraient les citadins, comme les églises, les écoles, les Boy Scouts, les sociétés horticoles ou encore les organisations féminines. C’était bien entendu dans les Prairies que le manque de bras se faisait le plus sentir avec l’augmentation des surfaces cultivées. Pour assurer le succès de la mobilisation des civils, en 1918, le gouvernement saskatchewannais prit l’initiative de lancer la campagne Fight or Farm : There is an individual responsibility resting upon every city resident. The Canadian people responded splendidly to the call for men to fight. Another call has come to those at home to support the fighters. This call, too, is an individual one to every man and to every woman to do his or her utmost. “Fight or Farm” should be our motto this year. If those who cannot fight refuse to farm, the alternative will be actual hunger, and perhaps starvation among the women and children of the allied nations and much distress even in the cities of our own Dominion.33

38 Cet empressement des autorités de la Saskatchewan répondait à la situation de 1917-1918 car il devenait impératif de remplacer les agriculteurs conscrits. Il fallait faire face à la baisse du nombre de bras venant traditionnellement de l’Est du Canada (à cause de la conscription) et des États-Unis (à cause de leur entrée en guerre en avril 1917) pour assurer le bon déroulement des récoltes.34 Pour mener à bien cette mobilisation, des comités de Travail (Farm Help Committee) furent organisés dans les villes et villages de la province. En date du 20 mars 1918, 235 comités étaient en place en Saskatchewan pour mettre en relation l’offre et la demande de bras pour les travaux des champs.35 A Regina, le comité de Travail distribua 500 cartes aux employeurs de la ville pour y enregistrer les employés aptes à aider des agriculteurs pour les semailles, tandis que le directeur des bureaux de placement provinciaux, Thomas M. Molloy, communiqua au comité les besoins des agriculteurs.36

39 Pour assurer le succès de la campagne Fight or Farm, des affiches furent diffusées dans les centres urbains afin d’informer chacun du devoir qui était attendu. Comme pour la stratégie des affiches de recrutement, elles jouaient sur la question de la responsabilité incombant aux hommes qui pouvaient aider aux récoltes, à défaut de quoi, ils seraient considérés comme des « lâches » : « Register today and you will not be a slacker.37 » Pour maintenir la pression, le gouvernement de la Saskatchewan décréta que le 17 mars 1918 serait le Farm Enlistment Week. A cette occasion, la collaboration des hommes d’église fut demandée pour diffuser l’appel de la mobilisation agricole auprès de leurs fidèles, lors de l’office du dimanche 17 mars.38 La pression fut telle qu’un journal local rapporte qu’un homme d’affaires fit savoir au comité de Travail de Regina qu’il était prêt à aller aux champs pour quelques semaines pour traire des vaches, conduire un tracteur ou des mulets.39

40 Il faut noter que la « solidarité », en temps temps de guerre, entre les villes et les campagnes en Saskatchewan s’exprima aussi avec l’appel au soutien des citadins pour permettre aux agriculteurs de s’équiper. Avec des surfaces de culture plus importantes et des banques réticentes à prêter, le gouvernement saskatchewannais proposa un emprunt provincial : le Saskatchewan Greater Production Loan, dont le but était de permettre aux agriculteurs de disposer de fonds pour se doter de machines, de grains et de semences pour ainsi accroître leurs productions.40 Cet emprunt était compris comme un moyen de soutenir les agricultures de la Saskatchewan pour leur permettre de

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continuer à répondre aux besoins des Alliés.41 Pour les Saskatchewannais, il convenait de faire montre de leur patriotisme en y contribuant, participant du même coup au développement de la province dont l’économie dépendait tant du secteur agricole.42 Dans le contexte de la guerre, l’emprunt permit de créer un lien d’intérêt et de solidarité, entre les citadins disposant de fonds à placer avec un intérêt annuel de 5%, et des agriculteurs pouvant disposer de ces fonds. Au sein de l’Empire britannique, cette mesure fut également mise en pratique en Nouvelle-Zélande et en Australie.43 Dans la presse urbaine et rurale de la Saskatchewan, une campagne de publicité fut organisée en septembre-octobre 1917. Elle soutenait cette démarche, et valorisait l’intérêt de contribuer à l’emprunt provincial : par patriotisme44, pour soutenir les soldats au front45, par fidélité impériale46, par solidarité avec le monde rural ou tout simplement à titre personnel pour faire un placement financier.47

41 Pour ce qui est des plus jeunes, dès 1916, des exemptions aux examens de fin d’année avaient pu être accordées pour les étudiants des high schools allant aider aux champs, ce qui fut d’ailleurs vivement critiqué par le président de l’Université de Saskatchewan.48 Mais le débat fut encore plus vif quand, en 1917, le ministère de l’Éducation de la Saskatchewan permit aux écoliers des zones rurales de pouvoir s’absenter de l’école pour aller aider leurs parents aux champs. Pour ce faire, la modification de la section 6.2 de la loi sur la fréquentation de l’école autorisait un élève de zone rurale âgé d’au moins douze ans, à ne pas aller en classe si son aide était requise auprès de ses parents pour les aider aux travaux agricoles. Aucune durée d’absence n’était précisée, si ce n’était le temps requis à la ferme. La nécessité pour la province de garantir sa production agricole prévalait sur la formation des enfants, en temps de guerre.49 Les chiffres du ministère de l’Éducation témoignent du nombre grandissant d’exemptions accordées en 1917-1918 pour permettre aux écoliers d’aider aux champs : The number of exemptions granted in 1918 was 85,662, an increase over 1917 of 63,728. This increase is largly (sic) due to the scarcity of labour in rural districts. Each case is dealt with by the board of trustees, but as they are as a rule themselves engaged in agriculture they naturally lend a sympathetic ear to the plea of shortage of farm help.50

42 Pour des députés saskatchewannais, l’idée que l’enfant sacrifie son temps à l’école pour favoriser le travail au champ, était inacceptable. Au Parlement de Regina, le débat porta sur l’impact de cette mesure et l’inégalité qu’elle créait pour les enfants des zones rurales qui, du fait de leur milieu social, seraient le plus souvent absents des cours. Ceci aurait inévitablement des conséquences sur leur scolarité qui était de fait remise en cause par la guerre, en hypothéquant ainsi une partie de leur avenir. Le ministre de l’Agriculture, M. Motherwell, fut néanmoins en faveur de cette modification de la loi scolaire car, dans le contexte de l’effort de guerre agricole et des difficultés des agriculteurs à disposer de bras, elle permettait d’exploiter toutes les ressources disponibles dans la province.51 Dans cette approche, M. Motherwell était soutenu par le Premier ministre de la province, William Martin. Pour ce dernier, l’effort de guerre commandait de faire ce sacrifice à l’égard d’une partie de la jeunesse des zones rurales. C’est notamment ce qui ressort de l’une de ses lettres adressées à un citoyen qui déplorait cette situation : I have your letter of 26th February and am very glad to have your views with regard to the School Attendance Act and the matter of farm help. I may say that when this matter was dealt with by the House some days ago it was decided to put no limit upon the period of absence from school for farm labor. I do not like this myself as I think there should be some limit. At the same time in view of the scarcity of farm

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labor at the present time it may be just as well to have it this way in the meantime. At a later date the matter can be adjusted.52

43 Ce recours aux élèves était généralement bien perçu par la presse rurale en tant que réponse au problème de la main-d’œuvre agricole. De plus, tout à l’intérêt des agriculteurs, les enfants étaient une main-d’œuvre plus docile et surtout moins coûteuse.

44 À défaut de trouver suffisamment de bras pour les travaux des champs, en 1918, la Commission des vivres du Canada, établie cette même année pour gérer l’effort de guerre alimentaire canadien, distribua 1123 tracteurs à l’échelle du Canada, dont 382 allèrent à la Saskatchewan. 15 tracteurs de démonstrations furent également livrés dans les Prairies.53 Au cours de 1918 toujours, la Commission s’arrangea pour répondre aux autres demandes en tracteurs (BRENNAN 1976 : 220). Avec cette campagne, il s’agissait d’amener les agriculteurs canadiens à augmenter leurs productions agricoles en s’appuyant sur des machines pour compenser le manque de main-d’œuvre.54

45 Il convient enfin de souligner que dans le cas de la Saskatchewan, la campagne fédérale de surproduction se fit en partie au détriment des autochtones. Durant la Première Guerre mondiale, les autochtones canadiens firent montre de leur soutien à la Couronne britannique en contribuant à divers aspects de l’effort de guerre canadien. Ils participèrent à des levées de fonds pour la Croix Rouge et pour le Fonds patriotique canadien venant en aide aux familles de soldats. Certains se dirigèrent vers les usines de munitions en ville et d’autres fournirent des volontaires pour le Corps Expéditionnaire canadien comme le 107e bataillon de l’Ontario ou le 191e bataillon de l’Alberta (WINEGARD 2012). Il faut néanmoins remarquer que le port de l’uniforme par des autochtones ne se fit pas sans réticences et leur utilisation au combat était empreinte de bien des préjugés à leur égard.

46 Pour en revenir à la question qui nous concerne, en 1917, à l’exemple du reste du Canada, les autochtones répondirent à l’effort de guerre agricole du gouvernement fédéral. Le ministère des Affaires indiennes encadra cette mobilisation, comme le fit le ministère de l’Agriculture pour les agriculteurs canadiens, en les conseillant pour atteindre les objectifs de production assignés par Ottawa. En Alberta, la Nation Blood fut par exemple celle qui produisit le plus de blé que toutes les autres réserves indiennes au Canada durant le conflit (WINEGARD : 149).

47 Mais cela n’était pas assez. Le gouvernement canadien voulait exploiter l’ensemble des terres disponibles à l’agriculture pour répondre aux besoins en denrées de la Grande- Bretagne. Cela inclut les terres des réserves indiennes, même si ces dernières, au nom de traités remontant au XVIIIe et XIXe siècles, avaient un statut particulier. L’effort de guerre « total » impliquant la mobilisation de l’ensemble des ressources nationales et, nonobstant les marques de soutien à l’effort de guerre de la part des autochtones, le gouvernement fédéral s’appropria des parcelles de leurs réserves (WINEGARD : 147-152). En 1918, le Département des Affaires indiennes, par l’entremise de son représentant dans les Prairies, William Graham, permit aux résidents des réserves d’augmenter la surface des terres à cultiver, tandis que des lots de terres sur les réserves furent confiés, à terme fixé, à des agriculteurs non-autochtones pour y cultiver du blé.55

48 Lors de débats à Ottawa sur cette question, Arthur Meighen, le ministre des Affaires indiennes fit remarquer qu’il n’y avait pas de mal à mettre en valeur les terres des réserves indiennes pour augmenter la production de blé, plutôt que de les laisser à des

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« chasseurs d’écureuils » (DAWSON 2001). Si peu de terres des réserves indiennes étaient jusque-là utilisées pour l’exploitation agricole, la coopération des autochtones était souhaitée pour tirer parti de chaque pouce du sol canadien.56

49 En 1918, selon les chiffres du Surintendant Général du Département des Affaires indiennes, William Graham, sur les 21 000 acres supplémentaires mises en culture dans l’Ouest : 4 000 acres l’avaient été sur la réserve de Muscowpetung; 3 000 acres sur celle de Crooked Lakes; et 1 000 acres sur la réserve d’Assiniboine, toutes les trois en Saskatchewan. Les autres réserves où de nouvelles terres furent mises en culture étaient en Alberta. De plus, 15 000 acres de terres sur les réserves indiennes furent confiées à des personnes extérieures pour la culture de céréales. Alors qu’en 1917, les autochtones des Prairies avaient 40 000 acres cultivées, en 1918, ils en avaient 50 000.57 Notons enfin que cette pratique d’expropriation des autochtones de terres transformées en parcelles agricoles, continua après le conflit quand il s’agit pour les autorités fédérales de fournir des terres aux vétérans de retour de la guerre, au nom de la politique du Soldier Settlement Act (WINEGARD : 149).

50 Dans l’ensemble, la guerre et les besoins en blé de la Grande-Bretagne donnèrent une plus grande visibilité aux députés de l’Ouest. Dans un contexte où l’effort de guerre agricole était promu par des politiques fédérales, et au regard des besoins des agriculteurs pour atteindre les objectifs assignés par le ministère fédéral de l’Agriculture, les Prairies firent prévaloir leur point de vue et leurs intérêts à Ottawa. Depuis l’Est, cette importance prise par les députés de l’Ouest au sein de l’enceinte parlementaire pouvait en irriter certains.58 L’effort de guerre alimentaire braqua les projecteurs sur les Prairies, comme en témoigne l’élection fédérale et la composition du Gouvernement d’Union de 1917-1918 : Thomas Crerar, leader des agriculteurs du Manitoba et président du Grain Growers’ Grain Company devint Ministre de l’Agriculture et J. A. Calder, homme politique de la Saskatchewan, intégra le gouvernement fédéral en occupant le ministère de la Colonisation et de l’Immigration (BROWN 1980 : 102). Pour le journal le Morning Leader, la mise en place d’un gouvernement d’Union était l’occasion de faire entendre la voix de l’Ouest, une voix devant soutenir l’effort de guerre : « Standing united and firm we shall prevail; divided we fall and fail. Today “A Solid West” can control any Government that may be formed.59 »

51 Si le blé demeurait la céréale reine de la Saskatchewan avant-guerre, le gouvernement fédéral était en grande partie responsable de l’enfermement des Prairies dans une monoculture commerciale du blé durant les années de guerre, en vue de répondre aux besoins de la métropole (WAISER 2005 : 220-221). C’était sans compter la quête de profits qui amena bien des agriculteurs de l’Ouest à délaisser la polyculture pour se concentrer sur le blé à exporter outre-mer, pratiquant ainsi le « cash grain farming » (HERD 1978 : 46). Du point de vue des résultats, les récoltes de blé de 1915 furent historiques au Canada et particulièrement en Saskatchewan. Mais les années suivantes, à cause de la météo, du problème grandissant de la main-d’œuvre drainée par le recrutement, les usines de munitions, puis la conscription, les récoltes de blé furent en baisse. Seuls les cours importants de cette céréale permettaient de compenser les pertes.

52 Ce que l’étude de la Saskatchewan démontre, c’est comment, à partir d’un objectif supranational, celui de soutenir la métropole par l’envoi de blé, les autorités fédérales et provinciales surent mobiliser l’ensemble de la population civile en exploitant chaque élément de la force vive encore disponible au pays. La campagne de surproduction sut

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créer un lien de solidarité entre les villes et les campagnes, donnant un exemple précis de ce que pouvait être la « guerre totale » au Canada en 1914-1918 dans le cadre de la production agricole.

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NOTES

1. Canada, Documents touchant la guerre européenne, comprenant les décrets du conseil, les câblogrammes, la correspondance et les discours prononcés à la Chambre impériale des communes, Ottawa, Imprimeur du Roi, 1914, p. 160. 2. Le fromage avait été acheté par le gouvernement québécois à la Société coopérative agricole des fromagers de Québec. (Québec, « séance du 3 février 1915 », Débats de l’Assemblée législative, 13e Législature, 3e session, séances du 7 janvier au 5 mars 1915, Québec, Service de la reconstitution des débats, Bibliothèque de l’Assemblée nationale, 2000, p. 205.) 3. « Les cadeaux des provinces », Le Peuple, 18 septembre 1914, p. 3. (journal rural québécois) 4. « Le prochain devoir du Canada », L’Éclaireur, 23 octobre 1914, p. 1. (journal rural québécois) 5. VON HINDENBURG Paul (1921), Aus Meinem Leben (Ma vie), Paris, Henri Charles-Lavauzelle, p. 219-220. 6. LUDENDORFF Erich (1921), Souvenirs de Guerre (1914-1918), vol. I, Paris, Payot, p. 382-383. 7. MIDDLETON Thomas Hudson (1923), Food Production in War, London, Humphrey Milford, p. 137. 8. « Patriotism and Production - Pin Your Faith to Live Stock », The Northern Advance, 25 février 1915, p. 6. 9. Government of Canada, Agricultural War Book. Patriotism and Production, Ottawa, sans éditeur, 1915, p. 10. 10. « Patriotism and Production More Than Usual », The Prairie Farm and Home, 3 février 1915, p. 26. (encart du Ministère de l’Agriculture de la Saskatchewan). 11. « How To Raise Profitable Crops On The Dry Lands », The Saskatoon Phoenix, 4 janvier 1915, p. 5 ; « Rules to Observe and Precautions to Take in Growing Profitable Crops On The Drier Lands of Saskatchewan », The Prairie Farm and Home, 6 janvier 1915, p. 26 ; « Agricultural Commandements », The Wilkie Press, 1er avril 1915, p. 3 ; « Ten Dry Farming Commandments », The Prairie Farm and Home, 28 avril 1915, p. 16. 12. « A “Patriotism and Production” Banquet », Farm and Dairy, 11 février 1915, p. 118. 13. « True Character of Campaign for Production and Patriotism », The Wilkie Press, 6 mai 1915, p. 4 ; « True Character of Campaign for Production and Patriotism », The Humboldt Journal, 6 mai 1915, p. 6. 14. « Patriotisme et production », L’Action catholique, 1er avril 1915, p. 3. 15. HOPKINS J. Castell, Canadian Annual Review, 1914, Toronto, 1915, p. 264. 16. Saskatchewan Archives Board (Saskatoon), « Lettre de J. E. Case au P.M. Scott », 10 juillet 1915, Fonds Walter Scott, Fond M1, Dossier Scott IV.160, chemise WWI: German Canadians, 1914-1915, doc. 59630.

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17. Saskatchewan Archives Board (Saskatoon), « Lettre du P.M. Scott à J. E. Case », 13 juillet 1915, Fonds Walter Scott, Fonds M1, Dossier Scott IV.160, chemise WWI: German Canadians, 1914-1915, doc. 59632. 18. Saskatchewan Minister of Agriculture, Fourteenth annual report of the department of agriculture of the province of Saskatchewan, for twelve months ended April 30 1919, Regina, J W Reid, 1919, p. 30. 19. « Regina No Place For Austrians to Dictate Wages », The Morning Leader, 22 août 1917, p.9. 20. CHAMP Joan (2002), The Impact of the First World War on Saskatchewan’s Farm Families, Document non publié. 21. Saskatchewan Archives Board (Saskatoon), « Memorandum of the Acting Deputy Minister to the Hon. Walter Scott », 7 février 1916, Fonds Walter Scott, dossier M1 Scott IV .7, chemise n°4 (Agriculture, 1906-1916), doc. 23869. 22. Canada, « session du 20 mars 1916 », Official Report of the Debates of the House of Common of the Dominion of Canada. Sixth Session-Twelfth Parliament. 6-7 George V, 1916. Vol . CXXIII. Comprising the Period from the Twenty-first Day of February to the Twentieth Day of March, 1916, Inclusive, Ottawa, J de L Taché, 1916, p. 1 906. 23. Archives Canada, « Compte rendu du voyage de R. B. Bennette dans les Prairies », 14 mars 1917, Fonds MG26 : Borden Papers, Volume 164, document n°89 160-89 163. 24. Canada, « session du 8 mai 1917 », Official Report of the Debates of the House of Common of the Dominion of Canada. Seventh Session-Twelfth Parliament. 7-8 George V, 1917. Vol . CXXVII. Comprising the Period from the Eighteenth Day of January to the Twentieth Day of September, 1917, Inclusive, Ottawa, J de Labroquerie Taché, 1918, p. 1 194. 25. « Influx of Farm Help in Country », The Morning Leader, 14 mars 1917, p. 1. 26. « Council of Agriculture Will Today Deal With Question of Selling Year’s Wheat Crop », The Morning Leader, 14 mars 1917, p. 9 ; « Farm Laborers Not So Scarce Says Mr. Molloy », The Morning Leader, 17 avril 1917, p. 10 ; « Special Farm Labor Agents Go After Help », The Morning Leader, 19 mars 1917, p. 10. 27. « Farmers Needing Men Should File Names At Once », The Morning Leader, 15 mars 1917, p. 10. 28. Canada, « session du 25 mai 1917 », Official Report of the Debates of the House of Common of the Dominion of Canada. Seventh Session-Twelfth Parliament. 7-8 George V, 1917. Vol . CXXVII. Comprising the Period from the Eighteenth Day of January to the Twentieth Day of September, 1917, Inclusive, Ottawa, J de Labroquerie Taché, 1918, p. 1740-1741. 29. « I.W.W. Try To Enter Canada », The Morning Leader, 15 août 1917, p. 16. 30. BAC, « Mémo du Ministère du Travail », 3 mai 1918, Fonds MG26 : Borden Papers, Volume 141, document n°75 322-75 323. 31. « Guerre à la spéculation des denrées », La Presse, 18 mai 1917, p. 9. 32. Canada, Department of Agriculture, The Agricultural Gazette, vol. 4, n°3, mars 1917, p. 170. 33. « “Fight or Farm” Must be this Year’s Motto », in The Saskatchewan Farmer, vol. 8, n°5, février 1918, p. 9. 34. « Labor Situation », in The Saskatchewan Farmer, vol. 8, n°5, février 1918, p. 6 ; « Labor Situation », in The Saskatchewan Farmer, vol. 8, n°6, mars 1918, p. 14. 35. « Regina Citizens Organize to Campaign City Properly for Farm Help Assistance », the Morning Leader, 21 mars 1918, p. 9. 36. « Lining Up Man Power of City for Farm Work », The Leader, 22 mars 1918, p. 11. 37. Saskatchewan Archives Board (Regina), « Fight or Farm Campaign. Authorized by Canada Food Board. Under Direction Department of Agriculture, Regina », 1918, Fonds du Ministère de l’Agriculture, Fonds R-261, Dossier 29.5 : Wartime Food Production (1915; 1918). 38. « Greater Production », in The Public Monthly. A Periodical Bulletin on Matters of Public Interest in Saskatchewan, Vol. VI, n°9, avril 1918, p. 161. 39. « Lining up Man Power of City for Farm Work », The Leader, 22 mars 1918, p. 11.

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40. Saskatchewan, Department of Agriculture, Cheaper Money for Saskatchewan Farmers (Bulletin n°47), Regina, J. W. Reid- King’s Printer, 1917, p. 3. 41. « Patriotism and Production Go Hand in Hand Says Premier in Address Before Canadian Club », The Morning Leader, 3 octobre 1917, p. 11. 42. « Saskatchewan Greater Production Loan », The Morning Leader, 19 septembre 1917, p. 1 ; « Semaine des obligations du développement agricole de la Saskatchewan », Le Patriote de l’Ouest, 10 octobre 1917, p. 5. 43. « Patriotism and Production Go Hand in Hand Says Premier in Address Before Canadian Club », The Morning Leader, 3 octobre 1917, p. 11. 44. « Saskatchewan Greater Production Loan », The Morning Leader, 4 octobre 1917, p. 5. 45. « Food Supplies Must Be Maintained », The Daily News, 4 octobre 1917, p. 8. 46. « Your Duty to the Empire Is Plain », The Chronicle, 3 octobre 1917, p. 5. 47. « Saskatchewan Greater Production Loan », The Morning Leader, 20 septembre 1917, p. 5 et p.8. 48. Saskatchewan Archives Board (Saskatoon), « Lettre du président de l’Université de Saskatchewan à Saskatoon, Dr Walter C. Murray, au Ministre de l’Éducation et Premier ministre William Martin », 12 avril 1918, Fonds W. M. Martin, Fonds M4, Dossier Martin I.45, Boite Education: Examinations, 1916-1921, doc. 16 191. 49. Saskatchewan, « An Act respecting School Attendance (Chapter 19, 10 mars 1917) », in Statutes of the Province of Saskatchewan Passed in the Session of the Legislative Assembly Held in the Seventh Year of the Reign of His Majesty King George the Fifth Being the Sixth Session of the Third Legislature Begun and Holden at Regina on the Twenty-Fifth Day of January, 1917, and Closed by Prorogation on the Tenth Day of March 1917, Regina, J. W. Reid, 1917, p. 235. 50. Saskatchewan Department of Education, Annual Report of the Department of Education of the Province of Saskatchewan 1918, Regina, J. W. Reid, 1919, p. 16. 51. « Should School Boys Be Taken For Farm Work? », The Morning Leader, 22 février 1917, p. 10. 52. Saskatchewan Archives Board (Saskatoon), « lettre de William Martin à R. H. Carter de Fort Qu’Appelle », 1er mars 1917, Fonds W. M. Martin, Fonds M4, Dossier Martin I.1, Boite General Correspondence, 1916-1922 (n°1), chemise n°3, doc. 403. 53. THOMSON Henry B. (1918), Report of the Canada Food Board – 1918, Ottawa, sans édition, p. 24. Pour les autres provinces, le nombre de tracteurs placés fut : 21 en Colombie-Britannique; 334 en Alberta; 149 au Manitoba; 5 au Nouveau-Brunswick; 14 en Nouvelle-Écosse; 6 à l’Île du Prince- Édouard. 54. HOPKINS J. Castell (1919), Canadian Annual Review, 1918, Toronto, p. 503. 55. Canada, Department of Agriculture, The Agricultural Gazette, vol. 5, n°8, août 1918, p. 814. 56. « Use Indian Land and Labour », Food Bulletin, n°11, 23 février 1918, p. 6. 57. Food Bulletin, n°19, 18 October 1918, p. 19. 58. « Encore le blé », Le Devoir, 29 avril 1916, p. 1. 59. « “A Solid West” Will Be the Salvation of Canada », The Morning Leader, 6 août 1917, p. 4 ; « Saskatchewan’s Opportunity », The Morning Leader, 7 août 1917, p. 4 ; « Western Liberalism Patriotic Not Partisan », The Morning Leader, 10 août 1917, p. 4.

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RÉSUMÉS

Durant la Première Guerre mondiale, le Canada fut pour la Grande-Bretagne un atout pour contrer les conséquences de la guerre sous-marine allemande. En se tournant particulièrement vers les Prairies et notamment la Saskatchewan, le gouvernement fédéral proposa des campagnes de surproduction aux agriculteurs. Celles-ci ont été l’occasion d’expérimenter le concept de « guerre totale » en mobilisant l’ensemble des ressources humaines alors disponibles au Canada. Mais cette mobilisation agricole ne se fit pas sans réticences quant à certains aspects.

Canada was an important part of the food war effort of Great Britain during the submarine warfare in 1914-1918. The Canadian government mobilized all of the people who could work on farms. The Prairies and especially the province of Saskatchewan were central to the Canadian food production for the Allies. The mobilization of Canadians for work on farms was an example of the “Total War” in Canadian society during the Great War. But this mobilization was not so easy in the Canadian war context.

INDEX

Keywords : First World War, Canada, Saskatchewan, wheat, agriculture Mots-clés : Première Guerre mondiale, Canada, Saskatchewan, blé, agriculture

AUTEUR

MOURAD DJEBABLA-BRUN Mourad Djebabla-Brun a obtenu son doctorat de l’Université du Québec à Montréal en 2008. Il se spécialise en histoire militaire canadienne pour la période de la Première Guerre mondiale, s’intéressant plus particulièrement à l’approche socioculturelle du conflit et à l’étude de la situation au Canada. En 2010, il termine son post-doctorat à l’Université McGill, qui porte sur l’étude de l’effort de guerre canadien sur le plan alimentaire durant la Première Guerre mondiale. Il obtient le prix de la Société Historique du Canada en 2013 pour son article sur le contrôle des vivres au Canada en 1917-1918. Il publie à l’automne 2015 l’étude Combattre avec les vivres : l’effort de guerre alimentaire canadien en 1914-1918 (Septentrion, 2015). Il donne des cours en histoire militaire au Collège militaire royal du Canada (Kingston).

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The Comforts of Home: Sex Workers and the Canadian War Novel Retrouver le confort de la maison : la prostitution dans le roman de guerre canadien

Zachary Abram

1 Canadian cultural memory of the First World War is curiously asexual considering Canadians had among the highest rates for venereal disease in the British Expeditionary Force, with an infection rate that reached as high as 28.7% (COOK 2008: 176). Anyone with a passing interest in the First World War is familiar with Trench Foot, and its symptoms are synonymous with the squalor of . Yet, only 74,711 cases of Trench Foot were treated during the entire war (MITCHELL and SMITH 1931: 88). Venereal disease, on the other hand, accounted for 416,891 hospital admissions in the British Army (1931: 74). Although a British soldier was five times more likely to be admitted to hospital for syphilis and gonorrhea, in the popular imagination it is Trench Foot that persists. There is a reticence, perhaps the result of inherited Victorian prudery or the unwillingness to “sully the reputations” of the war dead, to discuss soldiers’ sex lives. As a result, discussions of the First World War tend to forgo the bedroom in favour of the trench.

2 There is no such silence, however, in Canadian war novels. Sex workers are a conspicuous trope in Canadian war fiction.1 They begin to appear in novels of the late 1920s and early 1930s, when Canadian war literature began to shy away from Romantic depictions of soldiers as Christian crusaders. Although there are some notable exceptions, like the staunchly anti-war Aleta Day by Francis Marion Beynon, the vast majority of Canadian novels written during the war and immediately after follow the “grand adventure” paradigm of war writing. These novels follow a set formula established by Ralph Connor, the era’s most popular writer. They were “rhetorical, romantic, idealistic, and national” (NOVAK 2000: 7). Many Canadian novelists, not only Connor, conceived of the First World War as no less than a Holy War. In Basil King’s The City of Comrades (1919), the war was “the great dramatic conflict between good and evil to which human nature has been working up ever since it committed its first sin”

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(2011: 281). In this battle, the Canadian soldier was no less than “Jesus in Khaki” (COOPERMAN 1967: 18). The archetype of the soldier as Arthurian knight adhered to the Protestant British values of a community that was staunchly pro-war at the outset of the conflict. When the markets crashed in 1929 and the world settled in for a protracted economic depression, Romantic panegyrics to the glory of war that had so dominated the literary marketplace began to recede. Novels began to be written by veterans who made a concerted effort to represent the war “as it was,” and such realist novels emerged as an antidote to the nationalist mythmaking of previous efforts.

3 One of the ways in which veteran-authors depicted the war “as it was” was to reckon honestly with the sexuality of soldiers, including the propensity of the enlisted man to pay for sex. These novels resist moralization. Rarely singled out for derision, sex workers are acknowledged to have played a vital role in the war effort. The more prurient aspects of their job are deemphasized in favour of praising their domesticating prowess. The sex workers of Canadian war fiction are usually one- dimensional and not afforded much of an interior life. They exist primarily to help the protagonist recover from trauma. Yet, there is value in reading these stock characters because of what they reveal about wartime concepts of women’s work, how war influences sexuality, and how soldiers overseas conceived of the home front. In many veteran-penned Canadian war novels, such as All Else is Folly by Peregrine Acland (1928) or Generals Die in Bed by Charles Yale Harrison (1930), sex workers facilitate the forging of a distinctly domestic space so far away from home. Indicative of the persistent schism between the front and the home front, however, this proxy space inevitably becomes untenable and the relationship between soldier and sex worker comes to stand in for the fraught relationship between soldier and home front and vice versa.

4 Until recently, representations of sex work in Canadian literature have been remarkably homogenous in both theme and form. Fictional sex workers tend to fall into two categories: the fallen woman, like Hoda in Adele Wiseman’s Crackpot, or the hooker with a heart of gold in countless novels. In the Encyclopedia of Prostitution and Sex Work, Shawna Ferris writes that many Canadian novels published in the wake of the First World War “expose and question many lingering Victorian moral codes […] and examine social and cultural anxieties associated with women’s growing economic and sexual freedom” (FERRIS 2006: 77).

5 When a British soldier was deployed to the Front in 1914, a short message from Secretary of State for War, Lord Kitchener, was folded into his Pay Book: “In this new experience you may find temptations both in wine and women. You must entirely resist both” (ARTHUR 2013: 27). What is absent from Lord Kitchener’s edict is exactly how this was to be accomplished. In his memoirs, Private Frank Richards wrote of Kitchener’s message: “They may as well have not been issued at all for all the notice we took of them” (MAKEPEACE 2012: 67). The young, lonely, and frightened soldiers were understandably insubordinate and frequented sex workers with regularity in both the brothels of England and the maisons tolérées of France. “Rouen has been ruinous to my purse (not to mention my morals),” wrote Lt. James H. Butlin, “but I have enjoyed myself” (MAKEPEACE 2012: 69).

6 Although army brass was well aware of what happened when its enlisted men were on leave, the policy towards hiring sex workers vacillated between crude pragmatism and Kitchener’s idealism. In a 1917 parliamentary debate on the harmful effects of

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prostitution on Canada’s enlisted men, Sir Hamar Greenwood lamented that so many Canadian soldiers needed treatment for venereal disease after a stay in England: During a recent visit to the Dominion I met many fathers and mothers whose boys had been sent back to Canada debilitated and ruined for life because they had been enmeshed by some of the harpies who are still allowed to go very near the camps, and especially in this great Metropolis, and again and again these parents have said to me, “We do not mind our boys dying on the field of battle for old England, but to think that we sent our sons to England to come back to us ruined in health, and a disgrace to us, to them, and to the country, is something that the Home Country should never ask us to bear.” (MACLAREN 2015:117)

7 It is hard to believe that any parent would prefer a son be killed overseas than return the subject of scandal. Despite Greenwood’s high rhetoric, the British army never addressed this issue; it continued to encourage abstinence though there was never any punishment for contracting VD, only for concealing it. The stifling silence surrounding the issue is represented in Canadian veteran W. Redvers Dent’s short story “The Original,” first published in a 1930 issue of the pulp magazine Adventure: “There’s one man I would like to report sick, sir.” Again they exchanged glances. “There are a few others in other platoons; I will tell the M.O. [Medical Officer] about it and get them sent to field ambulances.” (1930: 22)

8 Though it remains unsaid, it is clear from context clues that the soldiers are discussing venereal disease.

9 In addition to acknowledging the sexual lives of soldiers, Canadian fictional representations of wartime sex work also disrupt the accepted narrative of women’s work in the First World War. Often characterized as a period of liberation, the war supposedly hastened the integration of women into paid work and relieved many women of their tether to the domestic sphere. This belief, however, serves as a politically comforting national imaginary that entwines the First World War, and women’s performance in it, with an unstoppable march towards progress. J.G. Sime’s short story, “Munitions,” participates in this narrative by depicting the sense of freedom that enfranchised work afforded women: Hard work. Long hours. Discomfort. Strain. That was about the sum of it, of all that she had gained [. . .] but then, the sense of freedom! The joy of being done with cap and apron. The feeling that you could draw your breath—speak as you liked—wear overalls like men—curse if you wanted to. (2001: 75)

10 There has been some resistance to this narrative of female social and economic advancement in recent scholarship. For Catherine Speck, “War is particularly gender- biased, dominated by the physical and cognitive spatial organization of ‘the front’ and the ‘home front’ that categorizes the roles of men and women in wartime and implies that the location and contribution of women on the home front is on a lesser scale” (SPECK 2014: 2). Penny Summerfield argues that the First World War served as a catalyst for the segregation of women into lower-paying “inferior” sectors of work while not relieving them of their domestic duties at all. Still, only one perspective of women’s wartime work has been permitted to exist in cultural memory. Even Summerfield’s worthwhile study is insufficient because it fails to adequately address one important facet of the wartime economy – sex work.

11 As Simone de Beauvoir wrote, “In a world where misery and unemployment prevail, there will be people to enter any profession that is open” (1952: 524-525). This was certainly the case during the First World War. Sex work has always been a reality in

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London, and the influx of lonely, scared and temporarily rich soldiers made for an eager clientele, which resulted in greater supply. In his survey of Canadians in the First World War, Shock Troops: Canadians Fighting the Great War 1917-1918, Tim Cook quotes one Canadian soldier: “The brutalizing influence of militarism tends to lower the best of men. Add to this the absence of church life, home life, wives, mothers and sweethearts and the wonder isn’t that so many fall but that any go straight at all” (COOK 2008: 175).

12 The experiences soldiers had with sex workers were by no means monolithic. There is plenty of evidence in the letters and memoirs of soldiers to suggest that many of them queued up behind their comrades for a brief turn with a woman. Brothels were easily identifiable by their red lamps, and queues and crowds of men were usually seen milling about outside. Corporal Jack Wood described the scene outside one such establishment as “a crowd, waiting for a cup-tie at a football final in Blighty” (MAKEPEACE 2012: 71). In his popular memoirs, George Coppard recounts a similar scene: There were well over a hundred and fifty men waiting for opening time, singing Mademoiselle from Armentiéres and other lusty songs. Right on the dot of 6PM a red lamp over the doorway of the brothel was switched on. A roar went up from the troops, accompanied by a forward lunge towards the entrance. (1969: 56)

13 In a letter back home, one Canadian soldier described English women as “snakes from hell with fire in their mouth all over” (COOK 2008: 176). Canadian novelists, however, tend to deemphasize these mercenary encounters and depict more domestic affairs that almost resemble courtship.

14 Performative courtship best describes the relationship between Alec Falcon, the protagonist of Peregrine Acland’s All Else is Folly, and his temporary paramour, Myra. The novel’s epigraph from Friedrich Nietzsche’s Thus Spake Zarathustra, “Man shall be trained for war, and woman for the recreation of the warrior; all else is folly” (ACLAND 1929: vi), espouses an essentialist view of gender which the rest of the novel never fulfils. Falcon, whose name reveals his status as authorial stand-in, has been traumatized by his experience in France but hopes to convalesce while on leave in London. The woman he loves remains aloof because her husband is a prisoner in . Although her husband is an abusive alcoholic, she remains faithful to him out of obligation and guilt. Falcon, therefore, is alone and set adrift in London. In an attempt to cheer himself up, he watches a musical comedy, the spectacle only making him more miserable: “To go through all those months in the trenches – for this!” (1929: 184).

15 Falcon is able to find a measure of respite only with a woman. He meets Myra at the Prince Rupert Lounge, where “most of the women wore too much make-up […] But not much more than their non-professional sisters” (1929: 185). Indeed, a large part of Myra’s appeal is her ability to seem like a “normal woman.” She is a Russian ex-art student whose lover was killed in the war. She is vehemently anti-war: “Myra surprised Alec by the bitterness of her passion against war. The natural consequence, perhaps, of the loss of her lover” (1929: 190). Falcon, himself increasingly disillusioned with fighting, is smitten: “He had discovered in himself a great liking for Myra – this girl who lived outside the conventions, who saw life only in terms of passion” (1929: 191). Although they make love, in his descriptions of their congress, Acland resorts to an unconvincing sentimentality that is entirely out of character considering the realist aspirations of the rest of the novel:

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Mutely, she told of the rhythm that sways the vast, slow-moving seas. Fiercely, she showed him the fire that whirls the stars in their courses. Limply, she lay when the last wave of passion had burst like a breaker assaulting a cliff, ascending to heaven [...] falling. (1929: 192)

16 Acland’s seeming inability to describe sex might indicate that the crux of Myra and Falcon’s relationship does not rest in their sexual chemistry. Myra redeems an otherwise torturous leave with companionship and compassion. She affords Falcon the domesticity he craves. She says, “I am young, I am full of vitality. I don’t know that I could use it better than by giving a few hours of pleasure to some officer home, tired, from the trenches” (1929: 189). Their relationship is the performance of courtship wherein Myra stands in for Falcon’s real love and Falcon plays the role of her deceased lover.

17 Although their relationship is predicated on something other than mere transactional sex, Myra is still a sex worker and needs to be paid. This too, however, is filtered through several layers of performance. First, Myra refuses payment. When Falcon insists and produces a roll of cash, Myra’s adeptness with handling paper money momentarily punctures the veil of the domestic scene she has created: Myra laughed at him. “The more you hurry, the slower you are,” she said – “and you trying to catch a train. Here, give them to me. My fingers are quick.” Too quick, thought Alec, as he watched her dexterously strip off not five notes, but eight. (1929: 194)

18 The conclusion of Myra and Falcon’s relationship is inevitable, and Falcon’s brief reprieve from the horrors of the trenches is partially marred by the expedient nature of their parting. Nevertheless, Acland depicts a relationship between soldier and sex worker that is something other than what the Lord Kitcheners and Sir Hamar Greenwoods of the world could conceive. Falcon is not ruined or debilitated for life and Myra is not some harpy. They are two people in an extreme situation who were in a unique position to help one another.

19 In her article, “Male Heterosexuality and Prostitution During The Great War,” Clare Makepeace identifies the two primary motivations for soldiers who chose to frequent brothels and hire sex workers. The British Army chose to turn a blind eye to brothel visits because of a prevalent belief that it was unhealthy for men, especially married ones, to abstain from sex for too long. Rather than as a means of satisfying a physiological impulse, however, soldiers’ letters and memoirs reveal that they visited sex workers either as a reward for surviving battle or as a means of escape from a culture of immanent . Second Lieutenant Dennis Wheatley asked, “Why should a man who had been deprived of women for possibly many months and might be dead within a week, be denied a little fun?” (MAKEPEACE 2012: 69). Canadian novels of the First World War confirm this view, but add an element not discussed by Makepeace – the desire of Canadian soldiers to forge a proxy domestic space overseas, the desire for the comforts of home.

20 The domestic dynamic hinted by Acland in All Else is Folly is fully delineated in one of Canada’s most enduring anti-war novels, Charles Yale Harrison’s Generals Die in Bed. The novel, a blistering indictment of war as violent folly, is told through the perspective of an unnamed narrator. His anonymity heightens his everyman qualities and, more importantly, points to the interchangeability of the enlisted man: “all a soldier needed was a strong back and a weak mind” (HARRISON 2007: 73). Harrison’s cynical tone is so

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tinged with irony that the novel would lapse into satire if it were not so brutal: “Out on rest we behaved like human beings; here we are merely soldiers” (2007: 49). As the narrator parades down Montreal’s Ste. Catherine Street before his regiment is shipped to Europe, it is a sex worker who provides him with comfort: “All day long the military police had been rounding up our men in saloons, in brothels. We are heroes, and the women are hysterical now that we are leaving” (2007: 17). As he makes his way to Bonaventure Station, “A befurred young woman puts her soft arm around my neck and kisses me. She smells of perfume. After the tense excitement of the day it is delightful [...] I do not want to go to war” (2007: 17). Though their encounter is fleeting, the woman comes to symbolize home for the soldier and his life before the war, “I am only eighteen and I have not had any experiences with women like this. I like this girl’s brazenness. She is the last link between what I am leaving and the war” (2007: 17).

21 In the trenches, the narrator is compelled to commit acts of brutality. Like Falcon, he is traumatized by what he must do in Europe. While on a raid, he stabs a German soldier named Karl with his bayonet: “My tugging and pulling works the blade in his insides. Again those horrible shrieks! I place the butt of the rifle under my arm and turn away, trying to drag the blade out. It will not come” (2007: 63). Unable to extricate his blade from the German’s ribcage, the narrator must fire his weapon to break free. This moment is significant because the soldier cannot help but see his own plight in the scared face of his German counterpart. When, by coincidence, the narrator takes Karl’s brother hostage, he insists that the prisoner “be treated nicely” (2007: 66). Karl’s brother thanks the narrator and says, “Du bist ein guter soldat” (2007: 67). The narrator is incredulous.

22 This encounter haunts the narrator who cannot shake his sense of culpability about Karl’s death. Like Virginia Woolf’s Septimus Smith, he believes that he has committed a crime and is incapable of equivocating by invoking clichéd platitudes so common in war. In London, he attempts to replicate the sense of calm he felt on Saint Catherine Street by enlisting the services of an English sex worker named Gladys. For the narrator, Gladys is “that delightful combination of wife, mother, and courtesan – and I, a common soldier on leave, have her!” (2007: 94). The Freudian implications are obvious: “She does not call me by name but uses ‘boy’ instead. I like it. In a dozen different ways she makes me happy” (2007: 94). The physical act of sex is barely mentioned. Instead, Gladys satisfies his other non-carnal needs: “There is a glorious breakfast on the table, grilled bacon, crisp and brown, two fried eggs, a pot of marmalade, a mound of toast, golden yellow and brown, and tea. I fall to. Gladys looks on approvingly. How well this woman understands what a lonely soldier on leave requires” (2007: 93-94). For Gladys, sex work is the performance of domesticity: “She is a capable cook, and delights in showing me that her domestic virtues are as great as her amorous ones. I do not gainsay either” (2007: 94).

23 The Oedipal implications of these encounters are hard to ignore. There is a well- established tradition of representing soldiers as children and reinforcing the maternal qualities of the state and, ergo, the home front. In these novels, the relationship between soldier and sex worker “evokes a long and potent tradition of both state and civilians mobilizing motherhood as the symbol of sacrifice in wartime.”2 The symbolic mother was a potent image for wartime propagandists and recruiters. Depictions of good and bad motherhood were mobilized to garner support for the war and drive up recruitment numbers. To achieve his goal of mobilizing 500,000 recruits in 1916, Robert

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Borden and his team of propagandists enlisted a veritable army of fictitious mothers for posters, pamphlets, and stories. One famous British example was an anti-pacifist letter, first published by The Morning Post in 1916, signed by “A Little Mother” who, despite allegedly only having one son, assured her readers that she would remain steadfast: We women pass on the human ammunition of “only sons” to fill up the gaps, so that when the “common soldier” looks back before going “over the top” he may see the women of the British race at his heels, reliable, dependent, uncomplaining. (GRAVES 1960: 188-89)

24 From a modern perspective, this type of rhetoric might seem remarkably callous. At the height of the war, however, and in the face of immense community pressure to “do your bit,” these themes, which conflated motherhood with duty and sacrifice, were quite powerful. Canadian war novels have examined the maternal aspects of war whether by depicting literal mothers, as in Timothy Findley’s The Wars, or by commenting on this dynamic through proxy mothers, like Gladys in Generals Die in Bed.

25 After the guns fell silent, motherhood once again proved useful to those who wished to solidify the war’s narrative and legacy. Now, mothers were vessels of bereavement. There are few women depicted on war monuments, but the ones that are tend to be allegorical. They are mourning mothers, “portrayed in art and literature as grief- stricken but steadfast, holding true to [their] faith and ideals, and demanding that we remember and value the sacrifices they and their sons have made.”3 The controversial Never Forgotten memorial, colloquially known as Mother Canada, a $25 Million twenty- four-metre statue of a veiled female figure once planned for Cape Breton, is a testament to the fact that the figure of the grieving mother remains as compelling as ever. Though the now defunct Mother Canada was supposedly meant to symbolize the country beseeching its war dead to return, it is undeniable that an identical symbol of faithful motherhood was invoked to send them overseas in the first. It is likely only a matter of time before such a powerful image is deployed once again for similar means.

26 Despite the maternal happiness Gladys affords him, the narrator of Generals Die in Bed remains haunted by the trenches. He confesses, “I am a criminal. Did I ever tell you that I committed murder?” This takes Gladys aback. When the narrator clarifies that the “murder” he committed was of an enemy in the trenches, Gladys is relieved, “You silly boy. I thought you had really murdered someone” (2007: 95). The disagreement Gladys and the narrator have over the nature of murder is part and parcel of the ideological schism between the front and the home front. The faux-domestic space that Gladys creates can last only for so long because the narrator cannot bear being around those who have not experienced what he has experienced. The soldier/civilian schism is exacerbated when Gladys takes the protagonist out for a night on the town. In an echo of All Else is Folly, rather than allowing the soldier to escape, the spectacle serves only to alienate him further from the non-military population. As burlesque dancers sing an up-tempo version of “Oh, It’s a Lovely War” in front of the Union Jack, Gladys and the rest of the audience erupt in cheers and applause. The narrator, however, feels miserable. Gladys suggests that perhaps those cheering are searching for a means of escape. The narrator disagrees and shouts, “These people have no right to laugh […] They have no business to forget. They should be made to remember” (2007: 89). His protests fall on deaf ears, and those who do hear dismiss his outburst as evidence that he is “shell-shocked.” Gladys admonishes that he is “spoiling [his] leave. Can’t you forget the front for the few days you have before you?” (2007: 91). The narrator cannot

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forget, and the disparity between propaganda and experience manifests itself in hatred for those who are not at the front. For the civilian, the Germans can remain the beastly, baby-murdering “Huns” of propagandistic leaflets and posters. The narrator can see only the face of Karl, his murder victim.

27 When he must leave to go back to the front, Gladys asks through weepy eyes, “Have you been happy, my boy?” (2007: 97). Although she likely adopted her profession out of financial necessity, she still sees herself, and rightly, as an important part of the war effort. She shows kindness to the soldiers during their rare moments of respite even if this kindness is only artifice. The narrator is grateful for the break Gladys has given him, but the disparity between propaganda and reality reveals the pretence of their domesticity, and he returns to the front as cynical as ever. Major George McFarland likely summed up the narrator’s feelings when he said, “I realized bitterly the truth of the old saying that the man who is most in need of leave is the man who has just had it” (COOK 2008: 178).

28 In the Canadian critical imagination, novels of the First World War have far outperformed novels of the Second World War. Findley’s The Wars, Jane Urquhart’s The Stone Carvers (2001), and Joseph Boyden’s Three Day Road all persist in academic and popular discussions. No novel about the Second World War holds an equivalent position. This imbalance only further cements the First World War’s reputation as Canada’s de facto war of independence. Even today, writers are reticent to critique the First World War, and especially the , as Canada’s founding myth. In Propaganda and Censorship During Canada’s Great War, Jeffrey A. Keshen notes, “There […] persists the picture of soldiers who, through their extraordinary bravery, won the hardest and most important battles – particularly Second and Vimy Ridge – and thus emerged a singular and heroic force in transforming Canada from colony to nation” (1996: xvii). In Death so Noble: Memory, Meaning, and the First World War, Jonathan F. Vance confirms that the representation of the First World War “as a nation-building experience of signal importance” has been propagated since “the earliest days of war.” He writes, “Canada’s progress from colony to nation by way of Flanders, an interpretation born in the early days of war, has become the standard method of judging the impact of 1914-1918” (VANCE 1997: 10). Neta Gordon sums up Canada’s complex relationship with the First World War as an unspoken cultural agreement: “war in general is condemned even while Canadian participation in this war is commended” (GORDON 2014: 6).

29 The prudery of collective memory that characterizes the First World War, therefore, does not extend to the Second. Discussions of the Second World War would not be complete without mention of Betty Grable and the other pin-up girls who adorned the walls of barracks and the noses of airplanes. Discussions of the First World War omit mention of Raphael Kirchner’s lingerie pin-ups that were a fixture of the dugouts or the so-called Khaki-Fever that swept the young female populace when in the presence of a man in uniform. The way Canadian novels of the Second World War depict sex and sex work is also different.

30 Colin McDougall’s Execution (1958) is an emblematic example. Traumatized by his participation in the execution of two Italian deserters, Execution’s Lieutenant Adam tries to forget his sin by becoming a hyper-competent soldier. Adam strives to be the best at following orders and does not engage his moral consciousness until an encounter with an Italian sex worker, named Elena, in the town of Bari. Elena pleads

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with Adam to repeat “Io ti amo” before they have sex so that she does not feel like a commodity. Adam obliges, and the words have a profound effect on him as well: “It was pretence, but he had given her something; and, oddly, he felt better at once as though he had also given something to himself” (2005: 102). This time it is the soldier that forges an artificial domestic space for the sex worker. Adam continues, “Io ti amo […] He knew they meant something of immense significance; at this moment they were the only words in the world that mattered” (2005: 102). His encounter with Elena shocks Adam out of the cycle of denial and efficiency, “There was only one difference in his state before and after Bari. Now he was aware of the emptiness inside him: and he knew that not all his competence, nor all his passion of concern for the men of his Company would ever suffice to fill it” (2005: 108). Like the relationship between Falcon and Myra, Adam’s display in Bari is pure performance.

31 At novel’s end, Adam must acquiesce to another pointless and bureaucratic execution – this time of a fellow soldier named Jones. This execution is somehow different from the first because the final execution of Jones functions in much the same way as the performance of love between Elena and Adam. Warren Cariou argues that the second execution is a “ceremonial performance Adam creates in order to transform the act of execution from the most vicious, pointless slaughter to something else… The execution is really a ritual of love, in which amo becomes ammo, and Jones becomes a Christ-like figure who does not die in vain because the ceremony of his death enables the moral salvation of others” (2005: 277). As in Generals Die in Bed, sex, love, and death form a theoretical matrix through which a soldier can cope with the constant violence he must commit and witness. This time, however, the soldier invokes the rhetoric of domesticity for the sake of the sex worker.

32 Why does cultural memory of the Second World War allow room for the sex lives of soldiers while the First World War seems so reticent? It is likely due to the unprecedented efforts at memorialisation that occurred immediately after the First World War. The sheer magnitude of casualties in the First World War, and the enormity of the collective grief, necessitated the self-conscious creation of monuments as sites of mourning. As a result, monuments were constructed to honour the dead and missing with unparalleled rapidity. The unprecedented speed with which these monuments had to be constructed resulted in a uniformity of who and what was represented. To what extent, however, was the construction of these memorials an act of equivocation or even erasure? Memorials necessarily resist experimentation and innovation. This traditionalism was a wartime necessity: “Traditional modes of seeing the war, while at times less challenging intellectually or philosophically, provided a way of remembering which enabled the bereaved to live with their losses, and perhaps to leave them behind” (WINTER 1995: 5). and other forms of the radical avant-garde could express the sense of outrage felt by many people during and after the war but, according to Winter, “it could not heal” (1995: 5). The strength of traditional forms of art and culture, like , “lay in their power to mediate bereavement” (1995: 5). Nuance, therefore, lost out to allegory, and the representation of the soldier rarely transcended archetype. Soldiers remained the knights of Arthurian romance.

33 In contemporary novels written about the First World War, sex workers tend to be portrayed as yet another facet of the war’s tragedy and confirm the widely held conception, perpetuated by Paul Fussell and others, of the war as an unforgivable transgression against civilization. In Broken Ground by Jack Hodgins, for instance, one

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character describes the scene outside a brothel: “Two hundred men lined up outside the maison de tolérance waiting their turn. I heard of one place where there were only three women. They last two weeks and have to retire. It’s pretty hard to think of those two hundred men as anything more than ‘two hundred men lined up for a call of nature’” (1998: 112). Similarly, in Allan Donaldson’s MacLean (2007), sex workers are folded into the stifling chaos of wartime London: Masses of people, soldiers, civilians, tremendous noise, talk, shouts, engines, a line of parked ambulances with red crosses on the sides and roofs. A faint mist of rain. And a girl in the shadows just inside the archway saying to him in a low voice as he went past towards the station, “A little comfort, soldier, before you go back over there?” (2007: 11)

34 Novels written closer to the war, often by veterans, tend not to portray sex work as such a debased or utilitarian activity. Sex workers are not part and parcel of the war’s culture of death, but rather a means of escape from that culture. Modern novelists, however, employ sex workers as another example to add to their litany of tragedy.

35 Sex work remains an understudied aspect of the First World War. The centenary of the war in 2014 prompted a great deal of renewed interest and remembrance but the contributions of Great War sex workers are still largely forgotten. It is not clear what has caused this cultural amnesia but it does a disservice to the enlisted man not to conceive of him as a full person with desires. It also does a disservice to the sex workers who, although they may have chosen their profession out of financial necessity, provided soldiers with a brief reprieve from the chaos and violence that defined their lives. The two most enduring archetypes of the Great War soldier simply cannot accommodate this discussion. The image of the soldier as the saintly knight of Romance still persists to some extent. Arthurian knights tend not to frequent prostitutes. The other lasting archetype, the young innocent sent to his death by old fools, similarly does not allow for much nuance. State-sanctioned efforts at memorialisation, in addition to allowing for sincere expressions of grief, lean heavily on allegory and tend to reinforce socially conservative values. In order to maintain continuity with tradition and social values, memorialisation emphasized that the soldiers had not died in vain and that it was incumbent upon the survivors to protect the status quo to render themselves worthy of the dead. Fiction, on the other hand, allows for the representation of a person’s interior life. In a realist novel, characters transcend allegory and soldiers are permitted to be flawed human beings whose sexuality and sexual choices were understandably influenced by the war. It is no surprise, then, that novels offer a unique space for dealing with taboo aspects of the wartime experience.

BIBLIOGRAPHY

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NOTES

1. Canadian war novels that feature sex workers are: All Else is Folly by Acland (1929), Generals Die in Bed by Harrison (1930), God’s Sparrow by Child (1937), Execution by McDougall (1958), The Wars by Findley (1977), Broken Ground by Hodgins (1998), Three Day Road by Boyden, Maclean by Donaldson (2005). 2. EVANS, Suzanne (2015), “Raising ‘Human Ammunition’: Motherhood, Propaganda, and the Great War,” Active History, http://activehistory.ca/2015/08/raising-human-ammunition- motherhood-propaganda-and-the-great-war/. 3. Ibid.

ABSTRACTS

Canadian cultural memory of the First World War is conspicuously asexual considering Canadians had among the highest rates for venereal disease in the British Expeditionary Force. There is an inherited reticence to discuss soldiers’ sex lives. There is no such silence in Canadian war novels. In these novels, sex workers facilitate the forging of a distinctly domestic space. Indicative of the persistent schism between the front and the home-front, however, this proxy space inevitably becomes untenable and the relationship between soldier and sex worker comes to stand in for the fraught relationship between soldier and home-front and vice versa.

La mémoire culturelle canadienne de la Première Guerre mondiale est plutôt asexuée alors qu’il y avait un taux élevé de maladies vénériennes chez les soldats canadiens. Il y a une certaine réticence à discuter de la vie sexuelle des soldats. Pourtant les romans de guerre canadiens rompent ce silence. Dans ces romans, les prostituées recréent un espace familier loin de la maison. Mais, en raison des tensions constantes entre le front de guerre et le front au Canada, cet espace devient insoutenable. La relation entre soldat et prostituée incarne la relation tendue qui existe entre le soldat et son pays natal, et vice versa.

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INDEX

Mots-clés: guerre, sexe, prostitution, genre, mémoire collective Keywords: war, sex, sex work, gender, collective memory

AUTHOR

ZACHARY ABRAM Zachary Abram is a doctoral candidate in English/Canadian Studies at the University of Ottawa. His dissertation traces the representation of the soldier in Canadian war fiction. His written work has appeared in Studies in Canadian Literature, Papers of the Bibliographical Society of Canada, The Dalhousie Review and others.

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La Conférence de la Paix de Paris vue du Québec : les journaux montréalais et la naissance de la Société des Nations (1918-1919) The Paris Peace Conference: reading Montreal newspapers (1918-1919)

Miho Matsunuma

1 La fin de la Grande Guerre annonçait, pour beaucoup, le retour à la paix longuement attendue et l’arrivée d’une nouvelle ère dans les relations internationales. La nouvelle tendance de la diplomatie, caractérisée par l’internationalisme et l’autodétermination des nations, ainsi que la vague révolutionnaire, étaient dans l’esprit de tous les acteurs et observateurs. Comment ce moment singulier dans l’histoire du monde a-t-il été vu et vécu au Québec, où la guerre avait renforcé la rupture entre les deux communautés anglaise et française, et ainsi bouleversé la scène politique aux échelles provinciale et canadienne ?

2 Afin de réfléchir à cette question, nous allons observer la façon dont des journaux quotidiens montréalais ont traité de la Conférence de la paix à Paris en 1919. Empreints de l’amertume et du déchirement causés par la guerre, s’intéressait-on à la Conférence où un nouvel ordre du monde se négociait, et si oui, sous quel aspect et de quelle manière ? Nous voudrions examiner la façon dont le renouvèlement des relations internationales était représenté et interprété au Québec et pour ce faire, nous allons focaliser notre attention sur le traitement journalistique de la Société des Nations, organisation inédite qui concrétisait symboliquement la nouvelle diplomatie et l’espoir d’un monde meilleur. Ainsi, notre analyse ne couvrira pas d’autres sujets importants discutés à la Conférence, comme par exemple les conditions de la paix avec l’Allemagne ou la délimitation des frontières, même s’ils occupent une large place dans les pages des quotidiens qui constituent notre corpus.

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3 Au début du XXe siècle au Québec, à l’instar d’autres pays industrialisés, la presse faisait partie de la culture populaire et le quotidien devient un média de masse (DE BONVILLE et LAURENCE 1996 : 370). Notre analyse porte sur les informations produites par ces médias dans le but de former l’imaginaire et l’opinion de leurs lecteurs. Nous sommes conscients que le contenu des médias ne reflète pas nécessairement l’opinion des lecteurs et que la diffusion d’informations n’est pas la preuve de l’assentiment du public. Notre objectif est de savoir comment ce moment historique a été représenté dans un espace de circulation d’informations.

4 Étant donné que la plupart des principaux journaux québécois étaient publiés à Montréal (DE BONVILLE et LAURENCE 1996 : 365), la lecture de plusieurs publications montréalaises nous éclairera sur le débat développé par la majeure partie des journalistes québécois. Nous allons essayer de décrire, à travers la lecture des journaux francophones et anglophones, le paysage médiatique dans cette ville, habitée par deux communautés linguistiques majeures.

5 La recherche en histoire sur la Première Guerre mondiale au Québec s’est considérablement enrichie ces dernières années. Notre enquête contribuera à apporter de nouvelles connaissances sur la façon dont cette société a vécu le sortir de la guerre. Nous essayerons de mettre en lumière la perception des Québécois sur la fin du conflit et le début d’une nouvelle ère, afin de réfléchir à la façon dont ils ont ressenti l’impact de la guerre aux niveaux mondial, national et local, au moment où, d’un côté, l’État canadien se battait pour renforcer sa souveraineté, et où, de l’autre, le nationalisme canadien-français se remettait en question pour avancer, quelques années plus tard, vers une nouvelle voie. Après avoir revu quelques connaissances de base sur notre corpus et donné quelques éléments de contexte sur le journalisme québécois de l’époque, nous allons analyser le traitement par sept quotidiens montréalais, entre novembre 1918 et mai 1919, des thématiques suivantes : la genèse de la Société des Nations, le statut international du Canada, le mouvement indépendantiste irlandais, et la proposition que fait la Conférence de déclarer l’égalité des races.

Corpus

6 Notre corpus est constitué de sept quotidiens montréalais, quatre francophones et trois anglophones1. La Patrie est fondée en 1879 par Honoré Beaugrand (1848-1906) comme porte-parole des tendances radicales du Parti libéral. En 1897, le journal est acheté par Joseph Israël Tarte (1848-1907), qui va être exclu du parti en 1903 à cause de son soutien au protectionnisme. La Patrie devient alors un journal populaire, moins militant, au contenu plus varié et d’allégeance conservatrice. Son chiffre de tirage est de 48 273 en 1913 (WARREN 2015 : 199-491).

7 La Presse est née en 1884 d’une scission à l’intérieur du Parti conservateur. Trefflé Berthiaume (1848-1915), propriétaire du journal à partir de 1889, adopte la ligne et la technique du journalisme moderne auxquelles nous reviendrons plus bas. Le journal réussit à pénétrer dans la classe populaire pour devenir le plus grand quotidien de Montréal, et donc du Québec. Berthiaume est proche du libéral Wilfrid Laurier (1841-1919) mais le journal ne dépend d’aucun parti politique. Il tire à 121 085 exemplaires en 1913.

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8 Le Canada est fondé en 1903 comme organe du Parti Libéral, à la suite du départ de Tarte du parti avec son journal La Patrie. Le Canada exprime l’opinion des libéraux modérés et s’adresse aux classes aisées, en revêtant en même temps la caractéristique du journal populaire moderne. Son tirage est de 18 000 en 1905.

9 Le Devoir est fondé en 1910 par Henri Bourassa (1868-1952), le père idéologique du nationalisme canadien-français. Malgré un tirage relativement modeste, le journal devient rapidement le périodique le plus influent dans la bourgeoisie et chez les intellectuels francophones (BÉLANGER 2013 : 282-286 ; KEELAN 2011 : 105-106 ; LACOMBE 2002 : 21-22 ; REMILLY 1953 : 338-349). Son tirage est de 12 529 en 1910, 18 894 en 1915 (KEELAN 2011 : 127) et 14 389 en 1920. Signalons que pendant la période qui nous concerne, Bourassa n’écrit que très peu dans son journal, à cause des nouvelles lois sur la censure adoptées en avril 1918, mais également en raison d’une dépression provoquée chez lui par la mort de sa femme, puis celle de Wilfrid Laurier2. Presque tous les éditoriaux de notre corpus sont écrits par Omer Héroux (1876-1963), journaliste expérimenté et bras droit fidèle de Bourassa, qui va signer pendant une trentaine d’années la plupart des éditoriaux portant sur des questions étrangères (BÉLANGER 2013 : 277-279 ; CHAR 1993 : 150-152 ; DANDURAND 1921 : 666-673).

10 Du côté des journaux anglophones, The Gazette, dont l’origine remonte en 1778, est au début du XXe siècle un journal conservateur d’élite qui tire à 10 223 exemplaires en 1905 et 24 168 en 1913. The Montreal Herald, fondé en 1811, est acquis en 1913 par Lorne McGibbon, qui place le journal dans le camp des conservateurs. Le 2 avril 1919, Alfred Leithhead, le nouveau propriétaire, annonce que le quotidien va désormais s’efforcer d’apporter « understanding and cooperation between capital and labour » et publier « Labour news »3. Le tirage en 1901 est de 18 000.

11 Le journaliste et homme d’affaires Hugh Graham (1848-1938) fonde The Montreal Star en 1869 et le dirige jusqu’en 1938. Il veut créer un journal pour le peuple qui lui offre des informations, contrairement à la plupart des journaux de l’époque qui seraient des porte-paroles d’un parti politique. Le Star est le premier journal au Québec à utiliser systématiquement la nouvelle à sensation et le commentaire choc accompagnés d’images, pour augmenter rapidement son tirage qui atteint 98 000 en 1916.

12 Vers la fin du XIXe siècle, le Canada et le Québec, comme leurs mères patries respectives, ne peuvent pas se soustraire à l’influence des nouvelles formes du journalisme dont la presse américaine fait l’expérience. Jusqu’à cette époque, le journal diffuse principalement des opinions politiques et est très souvent lié à un parti politique. Le lectorat du journal appartient surtout à la classe bourgeoise. Puis le « nouveau journalisme » de la fin du siècle, en s’appuyant sur l’alphabétisation rapide des classes populaires ainsi que la mécanisation de l’imprimerie et du transport qui augmente radicalement les capacités d’impression et de diffusion, s’adresse à un grand public avec des contenus plus variés. La mission des journaux n’est plus de relayer une opinion politique, mais d’informer le peuple. Afin d’attirer une plus grand nombre de lecteurs populaires, ces journaux recourent à la publication de faits divers comme des meurtres et incidents tragiques et inventent les chroniques sportives, féminine et familiale. L’illustration, puis la photographie avec le gros titre en manchette, ainsi que la publicité, occupent de plus en plus de place. Le nombre de pages augmente et le prix baisse. Toronto et Montréal concentrent le nombre nécessaire de consommateurs au succès de ce nouveau type de journalisme : La Presse et The Montreal Star représentent typiquement cette dynamique. Mais ses principales caractéristiques se banalisent au

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fur et à mesure que les autres quotidiens en assimilent les traits et les adaptent à leur lectorat (DABSEREAU 1992 : 138-141 ; DE BONVILLE 1988 ; DE BONVILLE 1999 ; LAVOIE 1986 : 256-259 ; ROY et DE BONVILLE 2000 ; RUTHERFORD 1975).

13 Les sources d’informations internationales des quotidiens montréalais (et canadiens) sont d’abord des agences internationales comme Associated Press, Reuter et Canadian Press. Pendant la Conférence de la Paix, la Gazette et le Herald publient des articles signés par John W. Defoe, présenté comme « special correspondent of the Canadian Press Ltd. », alors que le Star imprime ceux de E. J. Dillon qui collabore avec le London Daily Telegraph. Les journaux consultés recourent aussi très souvent à des quotidiens étrangers, principalement ceux de la France, de la Grande-Bretagne et des États-Unis. Il y a aussi des articles portant seulement l’indication de noms d’une ville, sans précision des personnes ou des organismes qui sont à l’origine de ces dépêches.

14 Quant aux auteurs, à part Defoe et Dillon mentionnés plus haut, et les éditoriaux du Devoir, il n’y a pratiquement pas d’articles signés dans notre corpus. Les images sont abondantes, même si leur importance varie d’un journal à un autre. Celles qui accompagnent des articles sur la Conférence sont principalement des portraits de personnages politiques, des vues extérieurs des palais et des hôtels où les pourparlers se déroulent, ou bien des panoramas pittoresques de Paris et de Versailles. Le Star, La Presse et La Patrie y recourent plus que les autres. Cette dernière publie tous les samedis le dossier illustré intitulé « Les vues pittoresques de la Grande Guerre ».

Un monde qui change

15 À travers la lecture de ces journaux, nous avons l’impression d’assister à un changement fondamental du monde, à un moment historique pour l’humanité toute entière. La fin de la Grande Guerre et le retour à la paix vont changer le monde, autour de règles complètement nouvelles dans le domaine des relations internationales, élaborées avec plus de justice, de liberté et de démocratie. Cette époque va accoucher d’un monde nouveau, un monde sans guerre. Le mot « nouveau (nouvelle) » est omniprésent sur leurs pages. Notre lecture révèle l’effervescence autour de l’espoir d’un monde meilleur. « [Pour] la première fois dans l’histoire du monde, une guerre se termine sans qu’il soit question de conquête […] pour organiser le monde sur des bases neuves et instituer de nouvelles relations internationales ». Ainsi, la paix sera « l’ensemble des forces qui s’opposent à la guerre »4. La figure qui incarne et symbolise ce grand espoir pour l’idéal est le Président Woodrow Wilson (BOUCHARD 2015 ; MANELA 2009). Les journaux montréalais ne font pas exception dans la diffusion de cette représentation du président américain.

16 Mais la représentation journalistique du monde au sortir de la guerre n’est pas complètement idyllique. La presse rend également compte des révolutions et des conflits sociaux violents. On parle des révolutions et de la menace du bolchévisme en Russie, en Allemagne et dans des pays de l’Europe de l’Est, de même que des vagues de grèves et des affrontements entre les grévistes et les forces d’ordre, plus particulièrement en Grande-Bretagne mais aussi aux États-Unis et au Canada (à Montréal, à Toronto et à Winnipeg entre autres). Ces nouvelles sont présentées d’une manière sensationnelle, à travers les gros titres en manchette, provoquant ostensiblement la peur et l’inquiétude face à un monde déstabilisé.

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La Ligue des Nations

17 En 1918 et 1919, en français, l’expression « Société des Nations » est beaucoup moins courante que celle de « Ligue des Nations », sans être absente toutefois, alors qu’en anglais on emploie sans exception le terme « League ». Le Herald consacre un petit éditorial à l’explication de la nuance de chaque expression5. Nous employons ci-dessous « Ligue » en français, terme le plus répandu de l’époque au Québec.

18 Tous les journaux accordent de l’importance à la naissance de la Ligue, qui symbolise et concrétise le changement vers un monde meilleur. Les articles sur le sujet sont nombreux à la mi-janvier, au moment de l’ouverture de la Conférence, puis ensuite autour du 14 février, quand la première version du pacte de la Ligue est connue du public, et enfin vers le 28 avril, lorsque la version révisée du pacte est approuvée à la séance plénière de la Conférence (MACMILLAN 2003 : 83-97 ; SOUTOU 2015 : 300-307). Les journaux s’efforcent d’informer et d’expliquer, afin que leurs lecteurs comprennent cette organisation inédite. Ils rapportent le déroulement des négociations et expliquent les principaux enjeux débattus par les représentants des grandes puissances, comme par exemple la possibilité de constituer une force internationale pour maintenir la paix, un tribunal international, la réduction des armements, la liberté de navigation sur les mers. La Presse publie un long article sur l’« origine de la Ligue des Nations » qui raconte l’histoire des différentes tentatives d’établir la paix en Europe depuis le XIe siècle6.

19 Le ton des articles sur la Ligue est, globalement, positif dans un premier temps. Leur lecture donne un espoir, grand mais vague, de paix mondiale et durable. Des expressions comme « A world parliament »7 « World League »8 « The Peace League »9, de même que « Constitution » pour le pacte de la Ligue10, témoignent de l’interprétation selon laquelle le monde est en train de s’organiser pour établir un cadre concret et institutionnalisé qui garantirait la paix. Les journaux francophones rapportent les souhaits du Pape pour une paix juste et durable11.

20 Le Devoir n’accorde pas d’importance particulière à la Ligue et n’y consacre aucun éditorial. Sans la contester frontalement, il est sceptique quant à la valeur et l’utilité de la Ligue12. Rappelons que Bourassa est, depuis la guerre, contre l’idée de la Société des Nations, en y voyant la recherche de l’hégémonie des « Anglo-Saxons » (LACOMBE 1996 : 276-277). D’ailleurs, la Gazette intitule un de ses articles « Anglo-Saxondom foundation for League »13.

21 À mesure que la difficulté des négociations et les détails des compromis sont dévoilés, la critique, ou l’incertitude, sur l’efficacité de la future Ligue s’accentue. Le doute est exprimé, entre autres, sur l’absence d’une force armée internationale, sur le droit de chaque État membre de se retirer de la Ligue, sur le principe d’unanimité appliqué au sein de l’assemblée. Vers la fin février, lors du retour de Wilson aux États-Unis, la presse montréalaise rapporte l’opposition des Républicains américains au projet de la Ligue. Les quotidiens anglophones, la Gazette en particulier, sont beaucoup plus informés que les francophones sur la politique américaine.

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Statut international du Canada

22 Une des préoccupations de la presse montréalaise est le statut du Canada sur la scène internationale. Les Dominions revendiquent que leur contribution à l’effort de guerre des alliés soit récompensée par une plus grande autonomie au sein de l’empire britannique, ainsi que par la reconnaissance internationale de ce statut, à savoir être représentés à la Conférence et à la Ligue des Nations. Tous les journaux de notre corpus réclament cette représentation en affirmant que le Canada est une « nation », terme fréquemment employé en deux langues, avec ses dérivés comme « national status » « nations’ status » « nationhood » « sovereign status in »14. La Presse intitule un de ses éditoriaux « Canada une nation ». À la mi-janvier 1919, la représentation des Dominions à la Conférence, puis à la Ligue, est admise et les journaux anglophones montréalais expriment leur satisfaction en applaudissant le succès de Lloyd George qui a convaincu Wilson (BORDEN 1938 : 896-904 ; BROWN and COOK 1974 : 285-293 ; GLAZEBROOK 1942 : 33, 38, 41, 52-56 ; HILLARD 2008 ; MACMILLAN 2003 : 36-58).

23 La question du statut international du Canada est étroitement liée à celle de l’autonomie au sein de l’empire. La presse anglophone se réjouit de la représentation internationale des Dominions qui consolide en quelque sorte leur autonomie. Le 15 janvier 1919, au moment où la représentation des Dominions à la Conférence va être reconnue, le Star écrit, dans un éditorial intitulé « In the company of nations », que l’admission des Dominions à la Conférence est basée sur le principe d’égalité avec les grandes puissances et consolide la théorie de « self determination » dans l’empire. Cela démontre que l’empire britannique est: « a union of sister nations, held together by indissoluble bonds yet each preserving its own identity of thought and interest »15. C’est également de cette façon que la Ligue est perçue par analogie avec l’empire britannique qui se définit comme une association des peuples libres et autonomes. L’idée est diffusée par la Gazette et le Herald qui publient un entretien du Premier Ministre Borden dans lequel il annonce que l’empire est « an association of free peoples », et qu’il présente « an analogy with the projected league »16. L’idée est partagée par ceux qui ont œuvré pour la création de la Ligue, comme Jan Smuts, qui représente le Dominion sud-africain (SMUTS 1918).

24 À propos des relations avec l’empire, les journaux francophones ne cachent pas leur méfiance. Le Canada alerte dans son éditorial intitulé « Pas d’impérialisme ! » qu’« [il] ne faut pas céder à la pression des ultra-imperialistes et des jingos qui veulent se saisir du prétexte de la guerre pour avancer leur théorie, et qui clament déjà qu’il faudrait resserrer les liens de l’empire »17. La Presse s’indigne dans son éditorial intitulé « Nos relations avec l’Empire » que « notre participation à la guerre a été déplorable au point de vue de l’autonomie du Canada », s’appuyant ici sur la manière dont Londres, et l’Imperial War Cabinet, avaient peu impliqué les Dominions dans les décisions stratégiques. L’autonomie canadienne aurait plutôt reculé pendant la guerre. « [Notre] participation à la guerre [...] n’avait contribué qu’à nous attacher plus fortement que jamais au char de l’impérialisme et à accroître nos budgets de paix et de guerre »18 s’insurge le journal. Le Devoir, quant à lui, cite longuement l’hebdomadaire le Statesman, « qui soutient à Toronto les intérêts des libéraux orthodoxes » et qui pense que si le Canada n’est finalement représenté à la Ligue que comme une sous-nation dans une union impériale dont la Grande-Bretagne serait la seule unité indépendante et

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souveraine, alors « c’est une paix sans honneur ». Concluant son éditorial en disant que « même dans les milieux anglo-canadiens, l’avenir nous réserve d’assez vifs débats », Omer Héroux dans Le Devoir met en garde les Canadiens contre le retour de l’impérialisme des Anglais qui inquièterait même des libéraux canadiens anglophones19.

25 L’autonomie du Dominion et la reconnaissance internationale de ce statut sont présentées, surtout chez les Francophones, comme étant conformes à l’esprit de la Conférence qui tend à confirmer l’autonomie des petites nations. Avant l’ouverture de la Conférence déjà, Le Canada écrit que : L’établissement d’un impérialisme plus étroit serait nettement en contradiction avec les sentiments et la tendance qui vont se manifester à la conférence de la paix, [car] [la] guerre s’est faite non seulement contre l’impérialisme austro-allemand, mais contre l’impérialisme tout court dans son principe, [afin de] maintenir l’indépendance des petites nations et [de] libérer celle qu’un vainqueur d’hier ou d’aujourd’hui maintenait en des frontières artificielles20.

26 Le journal reprend le même argument quelques mois plus tard : après la guerre, [les] dominions deviendraient plus parfaitement autonomes. [...] De plus en plus le lien qui unit ses parties doit prendre un caractère moral, mais perdre toute teinte constitutionnelle, économique ou judiciaire. [Une telle politique] contient la solution latente du problème de l’empire ; et elle serait bien conforme à l’esprit de paix qui tend à libérer partout les petites nationalités et à les confirmer dans leur autonomie21.

27 Afin de justifier leur revendication d’autonomie ou de s’opposer à l’impérialisme, les journaux francophones se réfèrent à des exemples de nations dont la souveraineté est reconnue par le nouvel ordre international. Le Canada déclare que « [nous] n’admettrons jamais qu’à l’heure où on libère la Bohême et la Pologne, [...] on veuille encercler le Canada dans les liens étroits et factices d’un impérialisme centralisateur. » 22La Presse déplore également cette situation : « Quand plusieurs petites peuples réclament le droit de se gouverner eux-mêmes, notre pays, au lieu de s’acheminer vers l’autonomie complète, s’enfonce de plus en plus dans l’ombre que projette sur lui la mère patrie »23.

28 Selon La Presse, si la contribution canadienne à la guerre n’est pas récompensée par la représentation à la Ligue, cela signifiera le refus de « l’honneur de n’être plus considéré au regard du droit international comme des agglomérations d’individus du second ordre, comme être primitifs et à demi-civilisés, incapables de se gouverner et de figurer convenablement dans un congrès des nations »24. Ici, la question de la représentation internationale concerne non seulement la compétence politique, mais aussi le niveau de civilisation. À l’époque de l’impérialisme moderne, le rapport de force asymétrique entre peuples dominants et peuples dominés est institutionnalisé pour constituer le fondement de l’ordre colonial. Vers la fin du XIXe siècle, les critères religieux et géographiques, à savoir chrétien ou européen, reculent dans le droit international et ce dernier est redéfini comme « droit des pays civilisés », et le rapport inégal et hiérarchique entre les peuples est expliqué et justifié par la différence de niveau de civilisation. Dans ce système de droit international, les peuples et les régions jugés comme n’ayant pas atteint le « Standard of Civilization » sont classés comme inférieurs (GERRIT 1984 ; MATSUNUMA 2015). L’indignation de La Presse témoigne à la fois de la persistance de la perception hiérarchique de l’ordre international et de l’importance accordée à la notion de civilisation comme critère de classification dans cet ordre.

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Le cas de l’Irlande dans l’empire

29 Le mouvement indépendantiste irlandais est un des sujets sur lequel la presse montréalaise revient fréquemment durant la Conférence de la paix, puisqu’en janvier 1919, les indépendantistes irlandais du parti Sinn Fein entrent « en guerre » contre la Grande-Bretagne en proclamant leur indépendance et la naissance d’une république. Les nationalistes irlandais, qui ont refusé de rejoindre le front pendant la guerre, tentent d’envoyer une délégation à la Conférence, mais les leaders mondiaux, Wilson en tête, refusent de la recevoir. Ce nouveau développement qui porte préjudice à l’image de l’empire britannique unifié donne lieu à des discussions intenses au Québec, au sein de la communauté irlandaise ainsi que chez les Canadiens-français (JOLIVET 2011 : 213-216).

30 Les quotidiens montréalais anglophones portent moins d’intérêt au sujet que les francophones qui en traitent de façon plus neutre que passionnée, même si on note toutefois une sympathie à l’égard des indépendantistes. On peut ainsi lire ce titre dans La Presse : « L’Irlande veut être entendue »25. La presse francophone s’intéresse également à la communauté irlandaise à Montréal et aux Etats-Unis.

31 Le traitement des affaires irlandaises par Le Devoir est tout à fait exceptionnel : Héroux publie sept éditoriaux entre novembre 1918 et mars 1919, ainsi que d’autres articles explicatifs. Rappelons que pendant la guerre déjà, Bourassa exprimait sa sympathie à l’égard du nationalisme irlandais, dans les pages de son journal (KEELAN 2015 : 164). En mai 1919, il écrit un éditorial sur l’avocat irlando-canadien Charles Fitzpatrick, récemment nommé lieutenant gouverneur du Québec en 1918, ce qui lui permet de critiquer au passage la politique impériale imposée à l’Irlande et au Canada-français (BOURASSA 2010 : 213-218). Dans le contexte de l’intensification du sentiment nationaliste chez les Canadiens-français pendant et après la Grande Guerre, Héroux affirme « notre sympathie pour l’Irlande [que nous] avons manifestée et éprouvée par des actes »26.

32 Il souligne à plusieurs reprises que les indépendantistes irlandais réclament simplement l’application à l’Irlande du principe du droit des peuples à disposer d’eux- mêmes, droit proclamé par Wilson et par la Conférence. Afin de prouver la légitimité de la revendication nationale des Irlandais et l’injustice de la Conférence qui refuse de recevoir leurs délégués, il écrit, sous le titre « Celle qu’on oublie », qu’à la Conférence « il y est question de la Roumanie et des Serbes, des Yougo-slaves et des Italiens, de la Syrie et du Hedjaz, des Polonais et des Ukraniens [sic], de l’ex-Russie et des multiples gouvernements qui affirment la représenter. Mais de l’Irlande, point »27.

33 Il rappelle plusieurs fois qu’il existe aux États-Unis une grande communauté irlandaise qui mène « des campagnes méthodiques et parallèles [...] en vue de provoquer l’intervention de la conférence [et] d’assimiler la cause de l’Irlande à celle des nationalités libérées »28. Héroux consacre un éditorial entier au Dr. William J. M. A. Maloney, un neurologue d’origine irlandaise, vivant aux États-Unis, ayant pris fait et cause pour l’indépendance irlandaise après son retour du front et suite au massacre du soulèvement de Pâques 1916. Pour Héroux, les Canadiens français lui doivent reconnaissance car quelques années auparavant, lorsque éclata aux États-Unis un concert de haine et d’outrage contre les Canadiens-français, le Dr. Maloney était intervenu pour faire publier dans un grand journal new-yorkais une série d’articles

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écrits par des auteurs canadiens-français pour leur permettre de défendre la cause de leurs compatriotes29.

34 Le Devoir s’intéresse plus particulièrement à la question de la langue, en consacrant deux éditoriaux à la « renaissance » du gaëlique, langue qui semblait condamnée à la disparition sous le régime anglais. Héroux déclare qu’actuellement, le gaëlique est à nouveau utilisé dans l’enseignement primaire, à l’université, dans la presse et au parlement (Dail Eireann)30. « La renaissance du gaëlique est l’un des phénomènes les plus intéressants, les plus instructifs de notre époque »31. La situation linguistique des Irlandais est, aux yeux d’Héroux, similaire à celles des Canadiens-français, dans un Dominon dominé par l’anglais. « Notre langue incarne pour nous tout ce que représente pour les Irlandais le gaëlique »32. Héroux considère que le gaëlique est, pour les Irlandais, la digue contre une « invasion du matérialisme et des idées protestantes dont l’anglais est devenu un si puissant véhicule »33, en pensant sans doute que le français devrait servir davantage à la résistance d’un peuple face à l’impérialisme de l’anglais. « [Si] l’Irlande a raison de faire tant de sacrifices et d’efforts pour le salut de sa langue, nous avons double motif de faire chez nous la même lutte ». « Double motif », puisque la revendication linguistique d’une petite nation opprimée est légitime, et qu’en plus durant les débats à la Conférence à Paris, on voit que « [le français est] une grande langue internationale, avec tout ce que cela comporte de valeurs diverses. Et si les Irlandais ont réussi à arracher au tombeau presque leur vieil idiome, ne réussirons- nous pas, si nous le voulons, à maintenir le nôtre dans sa force ? »34

35 Ainsi, la tentative des indépendantistes irlandais de se présenter à la Conférence incite la presse montréalaise, surtout francophone, à réveiller chez les Canadiens-français l’impression qu’ils appartiennent à ces petites nations dominées par l’empire britannique ou par une majorité anglophone. Notons que la religion catholique, sans être complètement absente tout de même, n’occupe que relativement peu de place dans la discussion sur l’Irlande dans Le Devoir, en comparaison de la langue, de la politique du Sinn Fein ou du mouvement irlandais aux États-Unis.

Un débat autour de la question de l’égalité des races

36 La délégation japonaise à la Conférence propose d’insérer dans le pacte de la Ligue des Nations une clause consacrant le principe de l’égalité des nations et de l’équitable traitement, en tous pays, de leurs nationaux respectifs. Le débat des conférenciers sur cette proposition amène la presse montréalaise à réfléchir à la question de l’immigration dans l’empire britannique.

37 Rappelons rapidement le contexte : la plus grande préoccupation de la diplomatie nippone du début du siècle est la discrimination subie par les Japonais dans les Dominions britanniques et dans certains États américains. La jouissance du même traitement que celui accordé aux ressortissants des pays européens devient une condition sine qua non pour le Japon. Pour ce dernier, il est inacceptable d’être considéré comme faisant partie des races inférieures et traité ainsi (MINOHATA 2014).

38 En participant à la Conférence en tant qu’une des cinq puissances, le gouvernement japonais tente de faire inscrire dans le pacte de la Ligue l’interdiction de discrimination raciale et ainsi résoudre le problème par la voie du droit international. Or, Bill Hugues, le Premier Ministre du Dominion australien, s’oppose farouchement à la proposition japonaise, en la qualifiant d’ingérence dans la politique d’immigration des pays, ce qui

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devrait être respectée par la Ligue. Wilson, ne voulant pas être obligé de se mêler de la politique d’immigration des États de l’Ouest, ne s’oppose pas à Hugues et la proposition japonaise est rejetée. La presse montréalaise communique la nouvelle de l’opposition de Hugues et du rejet par la Conférence de la proposition japonaise le 28 mars. Le lendemain, on rapporte l’organisation d’un grand rassemblement à Tokyo, l’expression de la colère populaire à l’endroit des conférenciers qui ont refusé de reconnaître l’égalité des races.

39 La Gazette et le Star emploient le terme « Japs » dans le titre de leurs articles, sans que leur explication soit nécessairement péjorative à l’encontre des Japonais35. Les articles sur le rassemblement populaire à Tokyo peuvent donner l’impression que les Japonais, en dénonçant le pacte, s’opposent à la Ligue et la paix36. Or la Gazette écrit dans son éditorial du 29 avril sur la Ligue que le rejet de la proposition japonaise sur l’égalité des races est « the most important omission » du pacte37, en exprimant ainsi sa compréhension à l’égard de l’aspiration du Japon.

40 Héroux consacre deux éditoriaux à l’affaire. En novembre 1918, sous le titre « Arrivée des jaunes »38, il rappelle une conversation qu’il a eue une quinzaine d’année plus tôt avec un ancien consul du Japon à Montréal. Ce dernier avait souligné que « nous ne voulons pas qu’il y ait dans les lois d’une nation quelconque un texte qui nous flétrisse comme des inférieurs », et que l’intérêt de son pays ne résidait pas dans l’augmentation de l’immigration japonaise au Canada. L’auteur poursuit en indiquant que la question se pose désormais sur l’immigration des jaunes et des Hindous en Australie, en Afrique du Sud et au Canada. « Au fond, ce qui se développe, c’est l’opposition de la race blanche et des races de couleur ». L’auteur cite un Hindou, docteur en philosophie d’une université américaine, qui dit que les blancs refusent « l’égalité pratique » avec eux au nom de « la supériorité actuelle de [votre] force », mais que cette supériorité n’est qu’un phase « transitoire et pariable [sic] [...] nous sommes trois cents millions et nous ne sommes pas des imbéciles ». Héroux conclut que « [les] hommes qui s’intéressent à l’avenir du monde feront bien de regarder du côté de l’Orient ». Il faut noter qu’en réalité l’objectif du gouvernement japonais n’était pas de garantir l’égalité de toutes les races, mais d’assurer que ses ressortissants à l’étranger ne soient traités ni comme inférieurs par rapport aux blancs ni égaux des peuples non ou demi « civilisés » (SHIMAZU 1998).

41 Le 28 mars 1919, Héroux écrit son deuxième éditorial sur le sujet intitulé « M. Hugues et les Japonais »39, pour expliquer l’argument du premier ministre australien, avant de reprendre presque entièrement le propos de l’ancien consul japonais. En relayant la phrase de ce dernier citée plus haut, l’auteur remarque que « [c’est] évidemment le sentiment [...] qui domine aujourd’hui la pensée des hommes d’État japonais ». Cette compréhension est exacte puisque, au cours des négociations avec les États-Unis, les autorités japonaises se préoccupent plus des considérations de prestige et de dignité nationale --- « sentiment » --- que de la difficulté financière des immigrants japonais (MINOHATA 2014 : 42). Étant donné que, « s’ils [les Japonais] réussissent, [...] toute la puissance de la Société des nations se trouvera engagée au service de leur cause » : [la] question de l’immigration jaune est le tourment des hommes d’État impériaux. Ils sont pris entre les Australiens, les Sud-Africains, les Canadiens même, qui ne veulent point de la liberté de l’émigration jaune [,] et les Hindous qui disent [...] vous nous demandez de risquer nos vies pour la défense du drapeau commun ...

42 L’auteur souligne « le fait qu’Australiens et Hindous ont, les uns et les autres, versé leur sang sur les champs de bataille d’Europe ». Ainsi fait-il valoir qu’en vue de l’énorme contribution à la guerre des Dominions et des colonies, le gouvernement de l’empire,

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afin de maintenir l’ordre impérial, est et sera obligé de prendre en considération le désir des populations qu’il domine et qui demandent désormais la récompense de leur sacrifice, alors que l’intérêt de chaque peuple n’est pas forcément compatible les uns avec les autres. En outre, « [avec] les Japonais, le problème d’empire devient un problème mondial. […] L’Angleterre se trouve prise non seulement entre les Britanniques jaunes et blancs, mais entre les jaunes et ses alliés du Japon40 ». Tout le débat apparaît « comme l’indice de la grande lutte » entre « l’Europe et l’Asie », ou encore entre « les blancs et les hommes de couleur », l’idée qu’il a déjà exprimée en novembre précédant. L’éditorial se termine par la phrase suivante : La participation des jaunes et des noirs aux combats d’Europe, l’entrée actuelle des Chinois dans les troupes bolchévistes de Russie, hâtent tout cela, préparent des événements aux répercussions lointaines et grandioses, qui commandent dès maintenant l’attention des penseurs.

43 Héroux avance que l’ordre mondial impérialiste est remis en question par les peuples dominés dont la guerre a réveillé la conscience politique. Il suppose l’évolution prochaine de cet ordre, sans avoir aucune perspective concrète, tout en percevant la gravité historique de la situation. L’auteur ne porte pas de jugement et invite ses lecteurs à l’observer attentivement, car elle décidera du futur ordre du monde. Ces deux éditoriaux semblent témoigner de l’intérêt de l’auteur pour l’Asie ainsi que de sa perception visionnaire sur les changements déclenchés par la guerre.

Conclusion

44 Notre lecture de sept quotidiens montréalais met en lumière leur grand intérêt pour la Conférence de la Paix, décrite comme un événement historique pour l’humanité. Tous les journaux s’y intéressent, avec quelques variantes : des journaux populaires comme le Star ou La Patrie y consacrent proportionnellement moins de place que des journaux plus élitistes, mais la différence n’est pas absolue. Le Devoir est le plus analytique, déployant une réflexion longue, parfois profonde et visionnaire. Nous ne pouvons pas savoir comment leur message a été reçu, mais notre enquête nous éclaire au moins sur les discours et les informations qui circulaient dans un espace public constitué par les lecteurs de ces quotidiens. Ces derniers se sont efforcés d’informer et d’expliquer pour que leur public comprenne le monde d’après guerre. Ce constat n’est pas négligeable, à notre sens, car cela bouscule l’idée reçue selon laquelle la société canadien-française d’avant la Révolution tranquille s’était repliée sur elle-même, en se souciant peu du monde extérieur.

45 Autour de la Ligue des Nations, un consensus apparaît, plein d’espoir pour cette institution qui est censée construire un nouveau monde plus juste. Les critiques sont émises sur le manque probable d’efficacité et non pas sur l’idée de créer la Ligue. Ces médias s’intéressent à la Ligue non pas nécessairement en raison de considérations sécuritaires liées à leur propre territoire ou celui de l’empire, mais plutôt parce qu’ils voient dans la Ligue la naissance d’un nouveau monde et qu’il leur semble important de faire comprendre à leurs lecteurs cette institution inédite.

46 Une grande préoccupation de la presse montréalaise toute tendance confondue est le statut international du Canada. Les sept journaux revendiquent plus d’autonomie pour le Dominion en récompense de l’effort de guerre. Ils réclament unanimement la représentation à la Conférence et à la Ligue, en désignant le Canada comme une nation.

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Une divergence apparaît cependant quand les francophones expriment leur crainte d’un double impérialisme, d’un côté celui de la domination imposée par le gouvernement de Londres sur le Dominion et d’autre part celui exercé par les anglophones sur les « minorités » de l’empire. Notons que quand les journaux francophones dénoncent l’impérialisme britannique et revendiquent l’« autonomie », ils parlent de celle du Canada et non pas de celle des Canadiens-français. Le nationalisme de ces derniers était pensé encore à l’époque dans le cadre de la coexistence des « deux peuples fondateurs ».

47 En effet, les francophones sont sensibles au sort des petites nations ou des races « dites inférieures » qui tentent de se faire reconnaître par la Conférence. Leur réflexion sur les principes fondateurs de la Ligue se fait en lien direct avec leurs préoccupations canadiennes au sortir de la Grande Guerre, mettant en perspective leur relation à l’empire et au nouvel ordre mondial qui est en train de se former.

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NOTES

1. Sauf mention spécifique, nos connaissances sur les sept quotidiens sont tirées de l’ouvrage suivant : BEAULEAU et HAMILIN 1973, 1975, 1977, 1979. 2. Je tiens à remercier Geoff Keelan de m’avoir fourni cette information. 3. The Montreal Herald, March 29, 1919 ; April 4, 1919. 4. Le Canada, « Le désarmement » (éditorial), 4 janvier 1919. 5. « League or Society? » (éditorial), The Montreal Herald, March 15, 1919. 6. « L’Histoire se répète après neuf longs siècles d’efforts pour la paix de l’univers », La Presse, 4 décembre 1918. 7. Titre d’un éditorial du Star, January 20, 1919. 8. Titre d’un article de la Gazette, January 22, 1919, et du Star, April 29, 1919. 9. Titre d’un éditorial de la Gazette, 28 January, 1919, et de la une du Star, February 24, 1919. 10. Le Canada, 28 avril 1919; The Montreal Herald, February 14, 1919; The Montreal Star, February 14, 1919 ; The Gazette, April 29, 1919. 11. La Patrie, 10 décembre 1918, 2 janvier 1919, 12 mars 1919 ; La Presse, 10, 19 et 24 décembre 1918, 2 janvier 1919 ; Le Devoir, 21 janvier 1919. 12. Omer Héroux, « La Conférence de la paix » (éditorial), Le Devoir, 20 janvier 1919 ; Omer Héroux, « La Ligue des Nations » (éditorial), Le Devoir, 15 février 1919. 13. The Gazette, January 17, 1919. 14. « Canada une nation » (éditorial), La Presse, 22 janvier 1919 15. « In the company of nations » (éditorial), The Montreal Star, January 15, 1919. 16. The Gazette et The Montreal Herald, February 6, 1919. 17. « Pas d’impérialisme! » (éditorial), Le Canada, 19 décembre 1918. 18. « Nos relations avec l’Empire » (éditorial), La Presse, 2 avril 1919. 19. Omer Héroux, « Où sommes-nous? » (éditorial), Le Devoir, 8 mars 1919. Dans les citations tirées de cet éditorial, les parties en italique sont dans le texte. 20. « Pas d’impérialisme! » (éditorial), Le Canada, 19 décembre 1918. 21. « L’évolution de l’empire » (éditorial), Le Canada, 25 mars 1919. 22. « Pas d’impérialisme! » (éditorial), Le Canada, 19 décembre 1918. 23. « Nos relations avec l’Empire » (éditorial), La Presse, 2 avril 1919. 24. « Canada une nation » (éditorial), La Presse, 22 janvier 1919. 25. « L’Irlande veut être entendue », La Presse, 18 mars 1919. 26. Omer Héroux, « L’exemple irlandais » (éditorial), Le Devoir, 14 mars 1919. 27. Omer Héroux, « Celle qu’on oublie » (éditorial), Le Devoir, 4 février, 1919. 28. « La conférence de la paix. Les Irlandais s’agitent », Le Devoir, 3 décembre 1918.

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29. Omer Héroux, « “Ireland’s plea for freedom” : Le Dr. Maloney » (éditorial), Le Devoir, 21 décembre 1918. 30. Omer Héroux, « Le “Dail Eireann” » (éditorial), Le Devoir, 21 janvier 1919. 31. Omer Héroux, « L’exemple irlandais » (éditorial), Le Devoir, 14 mars 1919. 32. Ibid. 33. Ibid. 34. Ibid. 35. « Japs must not be admitted on same basis as others: Premier Hughes states », The Montreal Star, March 28, 1919 ; « League covenant opposed by Japs », The Gazette, March 29, 1919. 36. « Le premier ministre Hughes et l’égalité des races », Le Canada, 28 mars 1919 ; « Le Japon ne reconnaîtrait pas le traité de la Ligue des Nations », Le Canada, 29 mars 1919 ; « L’égalité des races : le Japon y tient », La Patrie, 29 mars 1919. 37. « The League of Nations » (éditorial), The Gazette, April 29, 1919. 38. Omer Héroux, « Arrivée des jaunes » (éditorial), Le Devoir, 23 novembre 1918. Dans les citations tirées de cet éditorial, les parties en italique sont dans le texte. 39. Omer Héroux, « M. Hugues et les Japonais » (éditorial), Le Devoir, 28 mars 1919. Dans les citations tirées de cet éditorial, les parties en italique sont dans le texte. 40. Les deux pays ont signé un traité d’alliance en 1902.

RÉSUMÉS

Cette étude observe la façon dont sept journaux quotidiens montréalais, anglophones et francophones, ont traité de la Conférence de la paix à Paris, entre novembre 1918 et mai 1919. Tous les journaux témoignent d’un grand intérêt pour l’événement, s’efforçant de faire comprendre à leurs lecteurs le changement profond du monde. Leurs arguments sont similaires en ce qui concerne l’espoir engendré par la création de la Société des Nations, ainsi que la revendication d’une plus grande autonomie du Canada. Ils divergent en revanche quand les francophones expriment leur méfiance à l’encontre de l’impérialisme britannique et leur sympathie à l’égard des petites nations qui aspirent à la reconnaissance internationale.

This article observes how seven Montreal’s daily newspapers, in English and in French, discussed the Peace Conference in Paris in 1919. The papers all showed great interest in the event, and tried to help their readers understand how deeply the world had changed after the Great War. They shared similar arguments when they reported on the feeling of hope generated by the creation of the League of Nations and Canada’s claim for greater autonomy. However differences appeared when francophone papers expressed their suspicious sentiment towards British imperialism or their sympathy for small nations which longed for international recognition.

INDEX

Mots-clés : Conférence de la Paix en 1919, Québec, Montréal, journaux quotidiens Keywords : Paris Conference 1919, Montreal, Quebec, daily newspapers

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AUTEUR

MIHO MATSUNUMA Miho MATSUNUMA est maître de conférence à l’Université de Gunma au Japon. Elle est également chercheuse associée au Centre d’histoire de l’Asie contemporaine de l’Université Paris I (l'UMR IRICE / Institut Pierre Renouvin) et professeure visiteure au Laboratoire d’histoire et de patrimoine de Montréal de l’Université du Québec à Montréal (janvier – aoùt 2016).

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Re-inscribing a Monument: Vimy in the Canadian Consciousness La réinscription d’un monument: Vimy dans la conscience canadienne

Joan Coutu

1 In the 1996 foreword to the English edition of Pierre Nora’s Lieux de mémoire, Lawrence Kritzman wrote: “The reader will find in the essays that make up Realms of Memory an exhilarating intellectual project whose exemplarity lies in its power to translate the vicissitudes of national self-consciousness and the disjunctions between the original meanings attached to memory sites and the heuristic processes currently used to describe them” (foreword, NORA 1996-8: xiv). Those memory sites are often embodied in what Aleida and Jan Assmann have called the Schriftlichkeit, the literality or the medium such as a site, a text, an object, or a ritual that offers a tangible structure on which to build social memory (ASSMANN & ASSMANN 1994: 114-40). That social memory can and does change, in the moment as well as over time, often subjected to the same vicissitudes of national self-consciousness. Both are moulded and remoulded by the constituents involved: the state, the individual and the collective.

2 This essay focuses on the massive Canadian at Vimy Ridge in northern France, commissioned by the Canadian government in the 1920s and unveiled in 1936 (fig. 1). It sits on the edge of the Douai Plain at the precise site where the four Canadian divisions fighting together for the first time took the ridge in April 1917. Designed by the Canadian sculptor Walter Seymour Allward in a moderne streamlined classicism, the monument consists of a giant plinth that supports two 27-metre tall pylons, one representing Canada and the other France. Canada Bereft, also widely known as Mother Canada, stands at the front and centre of the plinth. Her head shrouded and bowed, looking down on the ridge upon which so many soldiers fell. The plinth is engraved with the names of the 11,285 Canadian soldiers who died on the battlefields of Northern Europe but whose bodies had not been found. The monument thus functions as a as well as a marker of the site of battle1.

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Fig. 1: Walter Allward, Canadian National Vimy Memorial, unveiled 26 July 1936. Vimy, France.

Photo copyright: Guillaume Bavière (https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/, no changes made.)

3 A monument is often monolithic and imparts permanence yet it is as malleable as memory is intangible and amorphous. Proceeding from this premise, this paper examines the heuristic process of the Vimy monument; when and how the monument has resonated in the Canadian consciousness since its conception in the years immediately following the Armistice. The discussion is two-pronged: to consider the ways in which the monument resides in Canadian memories, and how those memories function in various forms of consciousness over time. Some aspects of the discussion could apply to the many other monuments, both large and small, that were built on the World War I battlefields of Europe, as well as the battlefield , since these monuments and cemeteries physically inhabit a space often very far from the populations that ostensibly constitute their primary audience. These sites must enter and re-enter the personal, collective and state consciousness – “successive presents” to use Nora’s words – of countries and former imperial dependents in an exceptionally deliberate fashion and in ways that are distinctively different from how they are experienced by the local French and Belgian populations (NORA 1996-8: xxiv). Furthermore, variances in the social and nationalistic constructs of one country to another also augur distinctions.

4 Monuments are rife with paradoxical dialectics. They are about commemoration, commissioned by people who wish to keep a memory alive. They are also only so much stone or bronze. As many have acknowledged, there is nothing as invisible as a monument. They succeed in their purpose only if they engage an audience; there has to be a dialogic component 2. The actual design of a monument – subject portrayed, composition and size – can activate that engagement. Monuments also depend upon factors beyond their own physicality to engage the audience and to remain relevant. Location is critical: in a church, a public square or on the battlefield. Ritual also tends to be necessary: the unveiling, key anniversaries and other events held at the locus. Media is also essential: word of mouth, the printed word, the printed image, radio, film, and now the internet disseminate the monument and associated rituals to a much wider audience than to those who can actually physically visit the memory site.

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5 The Vimy Memorial functions on several levels of memory and consciousness: the state, the national, the collective, the universal, as well as the individual or personal. At the time the monument was commissioned by the Canadian government in the early 1920s, state, national and collective memory had become essentially fused. During the war, the Canadian government, like every other country involved in the conflict, had amplified nascent threads of nationalism in order to recruit soldiers and rally citizens. Such bellicose nationalism succeeded in inculcating a sense of collective national identity that would live on after the war (BOTHWELL, DRUMMOND & ENGLISH 1987; THOMPSON & SEAGER 1985; BROWN & COOK 1974: 250-338; VANCE 1997). The battlefield memorials are very much a part of this; although almost always characterized as not being about victory, many and particularly the , the Memorial to the Missing of the Somme at , and the Vimy Memorial are, in their very existence, suffused with triumphalism. These and other battlefield monuments were, ultimately, initiatives that emerged from the Battle Exploits Memorial Committee, formed by the British government only three months after the end of the war to divvy up the various battlefields amongst the victors, including the various entities of the (HUCKER 2007: 280). Thus, the battlefield monuments sit emphatically on the spoils of war. The Vimy Memorial, along with many other major war monuments, were also products of competitions, an effective if not altogether sophisticated way to perpetuate bellicosity (HUCKER & SMITH 2012: 17-8). Furthermore, many of the designs – arches and pylons in the case of Vimy, the Menin Gate and Thiepval – semiotically potently embrace victory.

6 Magnitude was also the order of the day and was a defining feature of emphatic self- expression. The Lincoln Memorial in Washington, D.C., a project rankled with controversy in the post era up to its conception in 1911-12 (unveiled in 1922), is a near contemporaneous example. A few years later Hitler would push such expression into vainglorious megalomania. Magnitude is also a function of the universal and it is in this context that most people are more comfortable situating the Vimy and several other World War I memorials. The visitor and/or viewer is overwhelmed by the architectonic scale of the monuments, the row upon row of the 11,285 names on the Vimy Memorial, the 54,389 on the Menin Gate, or the 72,195 on the , and by the situation of the monuments near the vast cemeteries filled with thousands of grave markers, and on the ridges and plains of the expansive battlefields. In this manner, the memorials thus function as cathartic expressions of grief and loss. At Vimy, the cathartic is exacerbated by the allegorical figures; besides Canada Bereft, other descendants of the represent Grief, Truth, Knowledge, Sympathy, Sacrifice, Hope, Faith, Charity, Honour, Justice, and Peace. Allward called his monument a “sermon on the futility of war”3. The sense of the universal is also exacerbated by the fact that Allward did not design the monument with specifically Vimy in mind. The location of the Canadian cenotaph-monument was not decided until after his design had been selected.

7 Paradoxically, the universal is rendered personal via the same characteristics of scale, the multiple and the serial. As such, the large battlefield memorials (Menin Gate, Thiepval, and Vimy) also constitute a new kind of monument design. Rather than passive figures on pedestals or monoliths that demand the viewer stay in one spot, the visitor/viewer walks on these battlefield monuments and becomes involved in an interactive experience. At Vimy, the visitor is invited up on the massive plinth to

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search for the name of a loved one while at the Menin Gate or the Memorial to the Missing of the Somme, the visitor is enveloped in the arches. Time also plays a critical role as the length of time to traverse the monument and to find one name amongst the thousands increases the solemnity of the already sobering experience. In this way, personal loss and grief are transmuted into the universal. This is the same tactic that Maya Lin would use to advantage in the Vietnam War Memorial over fifty years later.

8 The distinctiveness of the situation of the monuments on the battlefields needs further consideration. The idea of locating the monuments at the battle sites, although not new (Gettysburg was the first), was unusual. Commemorative monuments were traditionally erected in churches or public squares, places that have other primary purposes, whether that be worship or meeting points, gatherings, riots, or simply shortcuts from points A to B. As a consequence, monuments suffer from the dialectic of remembering and forgetting. They are supposed to be constant reminders but because they are woven into the fabric of our everyday lives, they become invisible. The act of ritual – often the annual day of remembrance – brings the monument and its purpose back into focus. By contrast, the monuments on the battlefield, coupled with the war cemeteries and the battlefields, function as destinations of remembrance. They do not try to muscle into our daily lives like their urban counterparts but rather draw people out to them. We have to enter the space of the monument on its terms, not ours. As a consequence, the monument and the act of pilgrimage are ostensibly utterly co- dependent. Allward and the architects and sculptors of the other battlefield memorials (the Menin Gate and the Memorial to the Missing of the Somme were designed by and respectively) were aware that not everyone would make the physical pilgrimage. This conundrum is resolved by the design of the monuments. Even if we are not there, we can access the monuments through photographs and film, and now digital media; these modes of Schriftlichkeit – the “literalness” as described by Jan and Aleida Assmann4 – allows the distant audience to interact virtually with the monuments. We see ourselves walk across the plinth or through the arch. We marvel at the vast scale. We actuate the time it takes to read name after name after name after name.

9 This imagined experience is in line with Foucault’s concept of heterotopias, spaces that are actual places and yet operate outside of normal real space (FOUCAULT 1998: 237-44). The large battlefield memorial is comparable to the examples of the , the garden and the museum that Foucault describes. They are heterotopias of compensation, “another real space, as perfect, as meticulous, as well arranged as ours is messy, ill-constructed, and jumbled” (FOUCAULT 1998: 243), a compensation that is exacerbated knowing that these elegant serene rise from garden-like settings that were once utterly the obverse, a cacophonous, fractured, broken world of cratered battlefields. In a Wagnerian ascension from the ruins of war in concert with other tropes associated with nineteenth-century High Diction that permeated the war and the response to it, the battlefield memorials sanguinely invoke not only an immediate ruined past but also a salvaged present and the (utopic) promise of a civilized future5.

10 Such idealistic mythologizing of a temporal cycle of civilizing renewal is paradoxically atemporal, a universal that is reinforced in the case of the battlefield memorials by their unmitigated classicism. However moderne they may be, the monuments are ponderous expressions of classicism that evoke atemporality and permanence. Yet that

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permanence is constantly being destabilized by the distant location of the monuments from their primary audience. This is where Nora’s “successive presents” come in, deliberate interventions that push the battlefield monument into our consciousness and generate actual or imagined experiences of the monument. As these experiences accrue into the monument’s future, always heuristically, they are a natural corollary to accumulated yet sharply delineated time inherent in Foucault’s heterotopias (FOUCAULT 1998: 243).

11 The competition, commission and the construction of the Vimy memorial mark the monument’s first layer of time. The process was a storied affair, beginning with a competition in 1920-21 for which the precise site had not yet been chosen, although Vimy Ridge was favoured. Allward’s design was selected unequivocally by the three- person international jury (Canadian, British, and French), which also for aesthetic reasons recommended that the monument be erected on Hill 62 in the Ypres Salient. The site was immediately challenged because although Canadian soldiers had fought bravely in the Salient alongside other troops, the battle for Vimy Ridge was more emphatically Canadian since that was where all four divisions of the Canadian corps fought together for the first time and, as one, secured the ridge. The argument held the day and Hill 145 at the crest of the ridge became the site of the monument.

12 Actual construction of the monument began with the time-consuming painstaking excavation of the ground which was riddled with tunnels, dugouts, battle detritus (including live munitions) and human remains. Further delays were incurred by the search and transportation to the site of the ideal stone for the monument, ultimately Seget stone in Croatia on the Eastern Adriatic, a quarry that had not been used since the time of Diocletian6. By the late 1920s, there were rumblings of concern about the delays and significant cost overruns, but nationalistic fervour still held sway; the war was still too close in time and had also come to be seen as the catalyst for the emergence of a “Canadian” national identity, although one that was Anglo-centric and thus did not reflect the true multi-ethnic profile of Canada. Will R. Bird, a former corporal from Nova Scotia who had served in Europe from 1916-1919, captured the essence of the moment in his somewhat precocious and very successful tour guide of the Western front, commissioned in 1931 by Maclean’s magazine and published in 1932 both as weekly columns and in book form under the title Thirteen Years After. Appearing immediately after his war memoir And We Go On (1930), Bird wrote for the same audience, the regular Canadian soldier who had spent years in the thick of battle. Suffused with nostalgia of soldierly bonhomie, his exceedingly detailed account of the terrain, battlefields, villages, roads, and people as they were both during the war and in 1931 presupposes an intimate knowledge of the region. His guide also acted as a surrogate for thousands of Canadian veterans who could not join the many tourists who made the journey to France and Belgium to see the sites for themselves (BIRD 1932)7. Pausing at the site of the Vimy memorial and devoting an uncharacteristic seven pages of dense text accompanied by photographs of the memorial under construction and the surrounding park, Bird skillfully pulled his audience in behind him to consolidate his counter attack on the monument’s naysayers “who hurl[ed] impatient questions” (BIRD 1932: 68, 73-9).

13 An especially innervating moment was the unveiling of the Vimy Memorial in July, 1936. As in the war, the national and collective coalesced with the universal and the personal. Pointedly, the event was called a pilgrimage, a very particular kind of ritual

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that is about a personal, individual quest but which is also part of a larger collective experience. Sponsored by the Canadian Legion (another byproduct of World War I, founded in 1925), over 6,400 “pilgrims” – veterans, their relatives, and relatives of the missing – boarded five ships in Montreal for a two-week tour of England, France and Belgium, organized by Thomas Cook. Everyone was issued with berets and special passports (fig. 2). The scale and organization of the event recalled the mass movement of thousands of troops years before and re-invigorated the soldierly bonhomie and patriotism that had begun to wane by the middle of the decade amidst the hardships of the Depression. Notably, the pilgrims paid their own way, a point that still rankles for many but which reifies that for veterans and their families, the personal, collective, and national were still fused. The atmosphere on the ships was affable, but once off the ships the mood became more tempered as the tour took pilgrims to vast battlefields and war cemeteries. The climax was, of course, the unveiling of the monument on 26 July, when King Edward VIII, in what would turn out to be his only official public appearance, removed the draped flag from Canada Bereft in front of over 100,000 people.

Fig. 2: Canadian Vimy Pilgrimage passports on the occasion of the unveiling of the Vimy Memorial, 1936.

Private collection. Photo: Joan Coutu.

14 After the formalities, the pilgrims were encouraged to walk up on the monument. Paradoxically however, the elaborate ceremony and the huge crowds – “fearfully huge” 8 as one pilgrim described them – inhibited the full spectrum of experience that being at the monument could offer, for on such an occasion the personal as well as durational interaction with the monument was constrained. The personal was caught only later, after the visit to the monument, in the reflections that pilgrims recorded in their diaries and collected in their scrapbooks (fig. 3). Media also played a significant role: for those who could not attend the unveiling, the event was radio broadcast across Britain and all of Canada. Supplemented by the multitude of images that had been published in the press, this meant that an even vaster audience could imagine being at

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the unveiling in real time. Ironically, perhaps it was easier for those who listened and looked from afar to achieve the personal since they could imagine being in the crowd but could also, at the same time, banish that crowd and walk alone on the plinth and along the walls while they ran their fingers across the seemingly endless rows of names engraved on the walls.

Fig. 3: Diary, scrapbook and beret of the Canadian Vimy Pilgrimage, 1936.

Private collection. Photo: Joan Coutu

15 The immediate early life of the monument was bound up with World War II and it was not long before the monument became a tool of blatant jingoism, via the press. On 1 June 1940, at the height of the German sweep of France and evacuation at Dunkirk, the Montreal Daily Star published an account of the destruction of the memorial by the Nazis, calling it a deliberate attack of “fiendishness”: “German fliers smashed this beautiful remembrance to bits. Bombs tore dead Canadians from their graves” (quoted in DURFLINGER 2007: 294). The report was unconfirmed and it took several days to determine that the monument was in fact undamaged. However, the intended effect of the article had been achieved. For example, Alex Walker, who was the Dominion president of the Canadian Legion, responded with “Four years ago…we reaffirmed our loyalty to our 60,000 fallen comrades. Today, ex-Servicemen throughout the Dominion are crying for revenge against these German savages” (quoted in DURFLINGER 2007: 294-5). Despite aerial photos of the monument corroborating its continued existence, it would be another two years, after the British had secured the Douai Plain and it became clear that the monument was unscathed, that the hawkish rumours of the monument’s destruction were no longer of use to the war machine.

16 After World War II, little was heard of the monument. The Second World War, with its attendant seemingly inexplicable horrors, had clipped the monument’s promise of peace and salvage of civility, and although the monument continued to resonate with nationalism, that particular manifestation of nationalism became connected with a moment in time. In Canada, as in the rest of the victor nations, people turned away, as Jay Winter concludes, from commemorative modes of nationalism, overwhelmed by the unspeakable and uncivilized horrors of the war (WINTER 1995/2014: 225-9). In post-war

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Canada, like the United States, any evocation of nationalism became bound up with progress and the new, climaxing in the case of Canada with Expo ’67. Pilgrimages were still made to Vimy and other tourists also travelled there but these became small group forays that stood outside the collective and, as such, were not representatives of a larger public. Likewise, but for different reasons, the monument had little profile within the realms of academe. For military historians, the monument had little to do with the actual battle so was either often not discussed or simply uncritically illustrated. For art historians, monuments, though usually designed by one person but requiring the approval of a patron, committee or jury, did not fit within the definition of art according to the then prevailing Modernist ethos of the privileged autonomy of the genius creator. Additionally in Canada the Group of Seven and its legacy saturated art historical scholarship for decades9. The distant location of the monument further exacerbated its invisibility.

17 Pierre Berton, Canada’s prolific popular historian, began to pull the monument back into the Canadian popular public realm when in 1986 he published Vimy, an account of the 1917 battle. A quintessentially Bertonesque account – well-researched, lucidly written and suffused with, but not soaked in, nationalistic rhetoric – Vimy ends with Berton’s four-page description of the monument within his larger soliloquy of emerging national identity at the cost of so much death and destruction (BERTON 1986: 301-8). Fifteen years later in 2001, Norm Christie, a self-styled military historian, used television to reach yet a wider audience. In For King and Empire, a six-part mini-series, he opens each episode lamenting that Canadians have forgotten World War I and then proceeds to chronicle Canada’s participation in the battles on the Western Front (CHRISTIE 2001). As with Berton’s Vimy the monument serves as backdrop and the nationalism evoked in both is a descendant of the uncomplicated Anglo-centric nationalism of the interwar years.

18 Notably, both Berton and Christie use the personal, employing individual soldiers’ memoirs and letters, to leverage the battle, and by extension the monument, into the reader’s/viewer’s realm. Christie takes it further by inviting viewers to post his or her own relative’s war experience on the program’s website10. The soldiers’ words, although documented in written memoirs and letters, hover on the border of oral history and are akin to the “communicative memory” aspect of oral history defined by Jan and Aleida Assmann. Associated with one generation, such memory is constantly subjected to the ambivalence of ephemerality (ASSMANN & ASSMANN 1994: 119-20). Berton and Christie “rescue” these memories and make them solid through print and electronic media. Here once again the personal is pulled into the collective by also making these memories the foundational building blocks of constructed social histories. Christie consolidates this unity from singularity by amplifying the synaesthetic in his narrative: different voices play the roles of the various soldiers reading aloud the memoirs and letters; extensive original film footage shows craters erupting and men going over the top (without acknowledging that quite a lot of it was staged); and contemporaneous black and white photographs show broken dead bodies on the ground or, worse, suspended in barbed wire. Christie also uncovers shrapnel balls and other war detritus – such souvenir hunting is common and another means of solidifying memory – amidst the threat of encountering still live munitions, and he wanders solemnly through the war cemeteries. The tactics are affecting11.

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19 In the same year that Christie produced For King and Empire, the Vimy Memorial was a primary character in Jane Urquhart’s international bestselling novel The Stone Carvers. This time the battle was the backdrop to the monument. Although fundamentally about commemoration, in this fictitious account the personal rises to the fore and the national drops back as Tilman, the deuteragonist, struggles to quell the demons of war, having participated in the unspeakably horrific battle at Vimy. The universal is also entirely denuded as Klara, the protagonist, carves the features of her dead and missing lover on the face of the torch-bearer on the memorial who forever looks toward the sky, never to be seen by anyone but the carver. Walter Allward, who catches Klara in the act, is at first appalled but soon realizes that his universalizing allegorical monument becomes so much more powerful precisely because the layer of the personal had been woven into it. Klara and Tilman are German-Canadians and Klara’s lover Eamon is an Irish-Canadian Catholic, two cultural ethnicities that were not bellicose agitators for war but were nonetheless caught up in it. In this way, unlike Berton or Christie, Urquhart teases out the reality of the multi-ethnic complexities of World War I and post-war Canada that lay below the Anglo-centric sheen of collective and state nationalism.

20 Urquhart’s quiet nuancing is an interesting counterpoint to the monument’s monolithic universal message, a message that continues to be embraced as a corollary to a persistent and unequivocal nationalism. In the 1990s, veterans and other groups began making loud noises about the deteriorating state of the monument, falling as it was into disrepair, damaged by sixty-five years of uneven rates of freezing and thawing between the concrete core and stone facing. This coincided with a worldwide upsurge of commemoration, often with a nationalistic flair, associated with the 50th anniversary of the Second World War, the passing on of Holocaust survivors, the turn of the millennium, and 9-11. Governments, for their part, once again became interested in funding large-scale, often hubristic, projects. At Vimy what followed was a seven-year program under the auspices of Public Works Canada and the Department of Veteran Affairs that consisted of the renovation of the monument and the building of a new interpretative centre. The cost was $20 million, quietly shouldered by successive Liberal and Conservative governments. The program culminated with a re-dedication of the monument by Queen Elizabeth II on 9 April 2007, the 90th anniversary of the battle. This time the pilgrims consisted of 5,000 Canadian high school students accompanied by many veterans of later wars, along with another 20,000 people, mostly Canadian and French.

21 Meanwhile, the new Canadian War Museum was opened in 2005, another product of the new era of commemoration, and most of Allward’s full-scale plaster renderings of the figures on the monument were finally given a permanent home. The museum chronicles battles and wars from the beginning of European settlement until the present day and inherent to the story is a teleology of a nation coming into its own by proving itself on the battlefields of World War I, reaffirming it in World War II, and then moving on to become a proud nation of peacekeepers. The Vimy figural models articulate the righteousness of Canada’s fight for peace and civilization in World War I. This sentiment is likely exacerbated because the figural models are disengaged from the monument and interact with the museum visitor almost at eye-level on a one-to- one basis. The models are located in the aptly named Regeneration Hall, around the corner from which are two large bronze plaques from the former Eaton’s department

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store in Toronto that list the names of 578 employees killed in both world wars. These plaques could thus act somewhat as stand-ins for the names on the Vimy Memorial. The models and the plaques are a sombre prelude to the huge LeBreton Gallery which is filled with tanks, trucks and other military equipment that are, in fact, the real draws for so many of the museum’s visitors.

22 In academic circles Jonathan Vance examined the modes and meanings of memory, and the construction of nationalism in wartime and post-war Canada in Death so Noble, published, perhaps coincidentally, on the 80th anniversary of the Battle of Vimy Ridge (1997). His work embraces a wide range of popular culture, including the Vimy Memorial and other war memorials, and his focus is the residual use of nineteenth- century High Diction modes of abstraction and ideals, to which people and the state defaulted in the face of unprecedented carnage and loss on the battlefields. In the case of Vimy and the plethora of other war memorials built on the battlefields and across Canada, the use of allegorical figures and symbolic motifs are entirely consistent with his thesis. Laura Brandon, the curator of art at the Canadian War Museum, further analyzed the iconography of the Vimy Memorial while investigating the measure of its impact, in the highly successful Canvas of War exhibition in 2000-2001, in connection with the installation of the figural models in the new museum, and in her study of the waxing and waning of the perceived relevance of Canadian war art in general. The latter, provocatively titled Art or Memorial, challenges the prevailing Canadian art historical canon and the Modernist ethos in general and was published in 2006 on the eve of the 90th anniversary of the battle (BRANDON 2006). Vimy Ridge, A Canadian Reassessment, an anthology of primarily military history essays that offers a revisionist assessment of the battle stripped of much hubris, was published the following year. The final part of the book contains three essays that focus on the aftermath and memory of the battle. One, by Jacqueline Hucker who was the Parks Canada historian associated with the restoration of the monument, chronicles the building of the monument and discusses its regenerative symbolism12.

23 Hucker ended her essay by stating that the restoration of the monument “serves as evidence of a new generation’s determination never to forget Canada’s contribution and sacrifice in the First World War” (HUCKER 2007: 288). She was no doubt being unintentionally ironic since the monument had been built to be a permanent reminder of Canada’s contribution to safeguarding civility and peace yet it actually took the re- ignition of commemorative nationalism sparked by the World War II anniversaries in the 1990s – combined with the major restoration campaign – to re-activate that memory. By 2007 the commemorative had become rooted in what was by then a global culture of memory, a veritable industry that spans everything from the trauma of the Holocaust, war, and 9-11 to heritage (more evocative in the French “patrimoine”), the everyday, and the retro (HUYSSEN 1995, 2003; LOWENTHAL 1985, 1997, 2015; SAMUEL 1994). Everyone is encouraged to remember. With the looming anniversary of World War I, there was and continues to be an enormous amount of grist for the memory mill. In Canada this is bound up with the seminal formative role that the war, and particularly Vimy, has played in national memory. As such, the Vimy Memorial has taken centre stage. Yet its relevance, like any other monument, and especially those on the battlefields, continues to be dependent upon ritual and ceremony as well as on other media to get the message out. The reciprocity of the personal and the collective has also become entrenched.

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24 In 2012 Valerie Cousins, editor of Sanderling Press, a small Ottawa-based publishing firm, produced a richly illustrated 116-page book about the Vimy memorial, written by Hucker and Julian Smith, the chief architect of the monument’s restoration. She conceived of the project after visiting Vimy and noted with dismay that there were no publications in the new interpretive centre “that captured the monument and battlefield as I had experienced them. I wanted to take away a memento that captured the beauty, the scale and the emotion that I had felt on our visit” (foreword, HUCKER & SMITH 2012: x). Transmuting her experience into that of all who may have visited the monument, the book aims to perpetuate and disseminate the viscerally personal encounter.

25 In April of the same year, the monument was also once again engulfed by high school students, marking the 95th anniversary. These tours are sponsored by the Vimy Foundation, a citizens’ initiative founded in 2006 to, according to their mission statement, “preserve and promote Canada’s First World War legacy as symbolized with the victory at Vimy Ridge in April 1917, a milestone where Canada came of age and was then recognized on the world stage”13. All participants wear bright red jackets emblazoned with a motif associated with Vimy – often a profile of the monument itself – as well as the insignia of the tour operators, EF Tours (Education First). These groups of young tourists resembling so many hockey teams are a striking contrast to the platoons of almost as young soldiers a hundred years before. To accentuate the affective experience, the personal is invoked by having each student research the life and death of one World War I soldier in preparation for the trip14. The popularity of these tours is remarkably ironic in light of the marginal emphasis placed on history in the Canadian high school curriculum: are school boards outsourcing history and letting remembrance take the place of history?

26 Beyond the high school tours, the commemorative tour industry is in full swing. Of the many, many tours that are available, Norm Christie offers exclusive tours limited to 6 or 7 adults that can also include what Christie calls “Shrapnel Balling” which is souvenir hunting in farmers’ fields, an activity that is likely appealing to fellow military enthusiasts15. In late 2014-early 2015 Christie also aired another mini-series about World War I, this time within the frame of tourism. The Great War Tour follows the same formula as For King and Empire but, notably, two of the six episodes in the new series are entirely dedicated to commemoration, one focusing on war cemeteries and the other on the building and unveiling of the Vimy Memorial16. Christie’s uncomplicated Anglo- centric militaristic nationalism once again courses through the episodes, underscored by his assertion that Canadians do not know their history because the Liberal governments of William Lyon Mackenzie King (1921-30, 1935-48) “intentionally erased [it …] to protect his vote in Quebec, and to hide the fact that he didn’t serve in the Great War”, a strategy that echoed, Christie claims, in the anti-militaristic stance of subsequent Liberal Prime Ministers17.

27 Christie’s brand of nationalism is entirely consistent with the official Canadian identity promoted by Stephen Harper’s federal government (2006-2015). Indicative of his conservative ideology, Harper industriously worked to bring Canadian identity back to what Yves Frenette called its “pre-liberal past, with militarism and monarchism as the main anchorage points” (FRENETTE 2014: 53). This included $28 million directed to bicentennial commemorations of the War of 1812 that, for the most part, teleologically celebrated the war as a foundational milestone in the formation of Canada,

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notwithstanding the fact that the idea of Canada as an independent nation had yet to be conceived. Much of the funding supported exhibitions, re-enactments, stamps, coins, school packages, and computer applications that reached out to diverse audiences. The Vimy Memorial was likewise firmly embraced by the Harper government. Canada Bereft was portrayed on the 2007 anniversary edition of the Canadian two-dollar coin, a new Canadian $20 polymer bill carrying an image of the memorial entered circulation in November 2012, and the memorial is also featured on pages 22 and 23 of the new Canadian passport. Like the War of 1812 initiatives, this is gigantism on a horizontal scale, spreading out through the population and firmly penetrating at a subliminal level. Paradoxically, such means of dissemination can be far more effective than a massive monument that is routinely ignored or neglected except at significant anniversaries and events18.

28 But Stephen Harper did like monuments. A multi-figure monument on Parliament Hill entitled “Triumph through Diversity”, unveiled in late 2014, affectively portrays the range of everyday people who were involved in the War of 1812. The plaque that accompanies the monument, entitled “The Fight for Canada”, describes the figures as:

29 The key combatants that came together to defeat the American invasion: a Métis fighter firing a cannon; a woman bandaging the arm of a Voltigeur; a Royal Navy sailor pulling a rope; a First Nations warrior pointing to the distance; a Canadian militiaman raising his arm in triumph, and a member of a British Army unit, specifically the Royal Newfoundland Regiment, firing a musket19.

30 Each figure is about two metres tall and all are situated on three low plinths that are only slightly above ground level thereby further strengthening the link with the viewer. Were this the nineteenth century, the monument would have been a statue (high on a pedestal) of General Sir Isaac Brock or one of the other military or political leaders active during the war. Instead, the monument continues with the trope that was so firmly set in World War I and its aftermath of the regular soldier and citizen as the hero of war. By emphasizing the cultural diversity of the participants, it is also a clever retaliatory co-opting of Liberal multiculturalism in support of Harper’s militaristic agenda.

31 The War of 1812 monument did not cause much of a stir, except for a few commentaries about its prominent position on Parliament Hill20. The cost was not huge, its design and profile are consistent with other recent monuments on or near Parliament Hill, and despite how much attention the Harper government directed at the War of 1812, the war simply remained too remote for most people to really care about. Such was not the case for another war memorial with which the Harper government was involved. In 2013, senior officials of Parks Canada, the federal office that has oversight over national parks, designated a peninsula at Green Cove in Cape Breton Highlands National Park in Nova Scotia for the Never Forgotten War Memorial. The project is the brainchild of Tony Trigiani, a Toronto-based entrepreneur. The memorial is to honour “all Canadian and Newfoundlanders who gave their lives overseas in defence [sic] of this great nation”21. Ironically, and paradoxically, given the dialectic of location and consciousness that has been explored throughout this paper, one of the reasons Trigiani wanted such a remote site was precisely so that it would be noticed. Montreal and Toronto already have too many monuments thus his could be lost in the mêlée. By siting his monument on Cape Breton Island it would become a destination – a place of pilgrimage in its own right – and thus, like the battlefield memorials, would be more

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invested with significance than an urban venue. The design of the memorial consists of the “We See Thee Rise Observation Deck” and “The Commemorative Ring of True Patriot Love” – phrases from Canada’s national anthem – culminating in a 30-metre high (later reduced to 24 then 20 metres) statue of Mother Canada that reaches out across the Atlantic “with outstretched arms to embrace each and every one of Our Fallen who lost their lives in overseas conflicts, peacekeeping roles and Canadian missions”22. Because the monument is a personal act by a self-described “enthusiastic patriot”, the government could be absolved of any charges of vainglory. Here the personal becomes transmuted into the state.

32 The Vimy Memorial was co-opted into a dialogue with the Green Cove memorial. The Mother Canada figure was “lovingly and respectfully modelled after the statue of Canada Bereft in Vimy, France” and its outstretched arms are “in a line of sight to the Vimy Memorial in France, welcoming lost Canadian soldiers home”23. The design of Mother Canada also had the “blessing” of the family of Walter Allward24. Lastly, the project was slated to be finished in 2017 in time for both the centenary of the Battle of Vimy Ridge and Canada’s sesquicentennial.

33 But what kind of dialogue is this? The Never Forgotten War Memorial has been divisive from the start. The Friends of Green Cove, backed by former senior Parks Canada employees, protested the site, charging that the location was ecologically sensitive. Many commentators pointed out that the site is actually Mi’kmaw territorial land. Local communities were divided over the potential of economic gains that might be gleaned from commemorative tourism. And, the aesthetics of the design were roundly challenged as being outdated and too reminiscent of statues in former communist states25. In regards to the last, even the partner in the design firm that sketched the initial rough concept for the memorial has indicated that the plans for an original small statue (the size of a light-post) ballooned out of control in Trigiani’s hands26. The Vimy Foundation, where one would expect full support for the idea, also joined in the fray because the Never Forgotten War Memorial Foundation took out a trademark on the name “Mother Canada” thereby preventing the Vimy Foundation from using the phrase in conjunction with the Vimy Memorial27. Coinciding with the time when the Harper government closed nine veterans’ offices across the country, many, many people also commented that the Memorial Foundation’s money and that of the government could be better spent helping Canada’s surviving veterans.

34 Ultimately, on 5 February 2016, Parks Canada announced that, after having reviewed the project, the Never Forgotten War Memorial would not be built on Parks Canada land28. This was four months after the defeat of the Harper government in a federal election. Ringing as all this does of commemorative nationalistic jingoism, perhaps we might be well-advised to be wary of the hubris of remembrance29.

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NOTES

1. For a detailed description of the memorial, see VETERANS AFFAIRS CANADA (18 December 2015), http://www.veterans.gc.ca/eng/remembrance/memorials/overseas/first-world-war/ france/vimy. 2. The efficacy of monuments as place holders of memory has come under scrutiny by NORA 1996-98; YOUNG 1993; YOUNG, ed. 1994; HUYSSEN 1995; HUYSSEN 2003. 3. In “Canada’s Wonderful Memorial to her Missing,” British Empire Service League, 9 (1933), quoted in HUCKER & SMITH 2012: 25. Allward’s statement about the futility of war is not pacifist, as it appears at first blush, but more in keeping with the idea of the soldier as the Prince of Peace and the fight for victory of civilization over barbarity. See VANCE 1997: 27-8, 34-72. 4. The physicality of media marks the point when the myth becomes transformed into literality/ literalness – the Assmanns’ Schriftlichkeit. In the case of Vimy, the myths are generated by both the battle and the monument. (ASSMANN & ASSMANN 1994: 121-23). 5. WINTER 1995/2014; VANCE 1997. On the monument and Wagner, see HUYSSEN 2003: 30-48. 6. The details and chronology of construction are discussed in BRANDON 2006; HUCKER 2007; HUCKER & SMITH 2012. While workers waited for the stone to arrive, they stabilized and preserved some of the tunnels, dugouts and trenches with boards and cement. Some of the shell- shattered landscape was cleared although the rippled profile was preserved, thousands of pine trees were planted to serve as backdrops to the monument, and two rows of maple trees were planted along the principal drive to the monument. Seget stone was used to build Diocletian’s Palace at Spalatro (Split). 7. Battlefield tourism was generally strong in the years after the war. Bird recounted meeting many tourists and Thomas Cook, amongst other agencies, organized tours (VANCE 1997: 56-7, 60; BRENDAN 1991: 258). Most were former soldiers or relatives of the dead making a pilgrimage, fewer simply wanted to see the devastation. Bird also noted numerous British and a few Canadian former soldiers who chose to settle permanently in the region. 8. 26 July 1936, unpublished personal diary of the unveiling ceremony and tour. Private collection. 9. See BRANDON 2006 for further discussion of war art and the Vimy Memorial vis-à-vis Modernism.

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10. Norm CHRISTIE, For King and Empire, Canada’s Soldiers in the Great War, http:// www.kingandempire.com. 11. For more analysis of For King and Empire, see WILLIAMS 2009: 205-36. 12. A special issue of The Journal of the Society for the Study of Architecture in Canada, also dedicated to the monument, was published in 2008. 13. THE VIMY FOUNDATION, http://www.vimyfoundation.ca. 14. “Vimy Ridge, the Hundredth Anniversary,” http:// www.eftours.ca/educational-tours/ collections/canadas-history-tours/vimy-2017 & Promotional video, EF Tours: “See what an EF Tour is Really Like,” situated at the end of the descriptions of each type of tour. 15. Norm CHRISTIE, The Great War Tour, http://www.battlefields.ca/first-and-second-world-war- battlefield-tours; http://www.battlefields.ca/shrapnel-balling. 16. Although six episodes were produced, four were aired separately from the other two. Christie calls the last two the “lost episodes”: one is a two-hour director’s cut of the first episode about General Sir Arthur Currie and the other is about Christie’s own family and his “Great War roots”. CHRISTIE, The Great War Tour, http://www.battlefields.ca/great-war-tour-tv-documentary- completed/. 17. Quoted in Robert SIBLEY (6 April 2015), “Ninety-eight years later, historian finds ‘missing’ soldiers from the Battle of Vimy Ridge,” National Post, http://www.news.nationalpost.com/news/ world/ninety-eight-years-later-historian-finds-missing-soldiers-from-the-battle-of-vimy-ridge. 18. Beyond the annual Remembrance Day celebrations, the National War Memorial in Ottawa sadly came to international attention in October 2014 when Corporal Nathan Cirillo was fatally shot while on ceremonial sentry duty at the memorial. 19. The text on the plaque also draws connections between the monument and other war memorials in the National Capital region in Ottawa. The monument was designed by Adrienne Alison. 20. John GEDDES (March 2013/23 July 2014), “War of 1812 Monument does not belong on Parliament Hill,” Macleans, http://www.macleans.ca/news/canada/why-the-war-of-1812- memorial-doesnt-belong-on-parliament-hill/. 21. Never Forgotten War Memorial, http://www.nfnm.ca/. 22. Never Forgotten War Memorial, http:// www.nfnm.ca/. The proposed monument also features metal plaques listing the international cemeteries where Canadian soldiers are buried. Parks Canada also gave Trigiani’s foundation $100,000 for a website and research. 23. Lewis MACKENZIE (1 April 2016), “Feds Kill Idea to erect Cape Breton’s Never Forgotten War Memorial, Sloppily.” Ottawa Life Magazine, http://www.ottawalife.com/2016/04/feds-kill-idea-to- erect-cape-bretons-never-forgotten-national-memorial-sloppily/. 24. CBC New (3 July 2015), “Mother Canada name already taken, says Vimy Foundation,” http:// www.cbc.ca/news/canada/nova-scotia/mother-canada-name-already-taken-says-vimy- foundation-1.3136813. 25. Jill CAMPBELL MILLER (6 July 2015), “A Monument to the Past? The Never Forgotten War Memorial Project,” Active History.ca, http://www.activehistory.ca/2015/07/a-recollection-of-the- past-the-never-forgotten-national-war-memorial-project/; FRIENDS OF GREEN COVE, http:// www.friendsofgreencove.ca/; Bruce CAMPION-SMITH (30 December 2013), “New memorial envisioned to honour Canada’s war dead,” The Toronto Daily Star, http://www.thestar.com/news/ canada/2013/12/30/new_memorial_envisioned_to_honour_canadas_war_dead.html/; Jane TABER (7 March 2014),“Placement of ‘Mother Canada’ statue has Cape Bretoners on war footing,” The Globe and Mail, http://www.theglobeandmail.com/news/national/placement-of-mother- canada-statue-has-cape-bretoners-on-war-footing/article17382958/; Elizabeth RENZETTI (14 March 2014), “‘Mother Canada’ statue in Cape Breton – so many questions, so little restraint,” The Globe and Mail, http://www.theglobeandmail.com/globe-debate/mother-canada-statue-in-cape-

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breton-so-many-questions-so-little-restraint/article17506478/. There is much commentary for and against the project on the internet. 26. Charles MANDEL (2 February 2016), “Mother Canada statue spiraled out of control, design firm partner alleges,” National Observer, http://www.nationalobserver.com/2016/02/02/news/ mother-canada-memorial-spiralled-out-control-design-firm-partner-alleges; CBC RADIO (3 February 2016), “Design Firm says ‘Mother Canada’ was never intended to be a giant statue,” As it Happens, http://www.cbc.ca/radio/asithappens/as-it-happens-wednesday-edition-1.3432101/ design-firm-says-mother-canada-was-never-intended-to-be-a-giant-statue-1.3432104. 27. CBC NEWS (3 July 2015), “Mother Canada name already taken, says Vimy Foundation,” http:// www.cbc.ca/news/canada/nova-scotia/mother-canada-name-already-taken-says-vimy- foundation-1.3136813. 28. PARKS CANADA (5 February 2016), CEO Statement on Never Forgotten War Memorial, http:// www.pc.gc.ca/eng/pn-np/ns/cbreton/plan/NFNM-MNNJ.aspx. 29. Tony Trigiani, for his part, is not giving up: Amy DEMPSEY (28 February 2016), “The Mother Canada memorial dream that won’t die,” The Toronto Star, http:// www.thestar.com/news/ insight/2016/02/28/the-mother-canada-memorial-dream-that-wont-die.html.

ABSTRACTS

This essay focuses on the efficacy of Walter Allward’s immense Canadian National Vimy Memorial built at Vimy Ridge in France and unveiled in 1936. Like other battlefield memorials located far from their primary audiences, the Vimy Memorial must deliberately intervene into Canadian consciousness in order to remain relevant. Drawing on Pierre Nora’s notion of “successive presents,” I examine the means by which that intervention occurs over time and how, also exacerbated by the often great distance between monument and audience, the monument functions as a heterotopic space. The essay also addresses types of memory and consciousness – state, national, collective, and individual – and their inherent malleability, and the points at which they might become fused.

Cet article s’intéresse à l’impact de l’immense monument de Walter Allward, construit à Vimy Ridge en France et inauguré en 1936. Comme d’autres monuments commémoratifs situés sur les champs de bataille très loin des publics pour lesquels ils sont principalement destinés, le monument de Vimy doit pourtant toucher directement la conscience des Canadiens afin de jouer son rôle. En m’appuyant sur la notion de « présents successifs » de Pierre Nora, j’examine la manière dont cela se produit dans le temps, et comment, en dépit de la grande distance entre le monument et son public, Vimy fonctionne comme un espace hétérotopique tel que le décrit Michel Foucault. Cet article examine également les types de mémoire et de conscience – de l’Etat, nationale, collective, et individuelle – qui prennent de multiples formes mais qui peuvent à certains moments fusionner.

INDEX

Keywords: Monument, memory, consciousness, identity, heterotopia Mots-clés: monument, mémoire, conscience collective, identité nationale, hétérotopie

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AUTHOR

JOAN COUTU Joan Coutu is a professor of art history and visual culture at University of Waterloo. Her research focuses on identity and the built environment with a particular emphasis on sculpture in eighteenth-century Britain and early twentieth-century Canada. Her publications include: Then and Now: Collecting and Classicism in Eighteenth-century England (McGill-Queen’s University Press, 2015), Persuasion and Propaganda: Monuments and the Eighteenth-century British Empire (McGill- Queen’s University Press, 2006), and “A Drive Through Canadian History: People, Cars and Public Art at Niagara Falls in the 1930s” in Public Art in Canada, Annie Gérin & Jim MacLean, eds. (University of Toronto Press, 2010).

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“This Sacred Soil of Vimy”, An Environmental History of the Vimy Ridge Memorial Park, 1920-2007

Adam Coombs

1 In June of 1940, with the German Army already in command of Paris, Adolf Hitler paid a visit to the Vimy Ridge Memorial, located just outside of the French city of Lens. The memorial, dedicated in 1936, was built by the Canadian government to commemorate the capture of the ridge by Canadian forces in April of 1917. The supposed purpose of Hitler’s visit was to refute claims by the Canadian and British press that Nazi soldiers had defaced the monument. Additionally, to further ensure its safety, he had troops from the Wafen S.S assigned to guard the location during the Nazi occupation of Northern France. However, not being one to miss an opportunity to demonstrate his expertise, Adolph Hitler used the conveniently preserved trenches and concrete-filled sandbags at Vimy to provide an impromptu demonstration to the assembled crowd on how to engage an entrenched enemy.1

2 Ninety years later, in the spring of 2007, Canada prepared to commemorate the 90th anniversary of the Battle of Vimy Ridge by revealing the newly refurbished Vimy Ridge Memorial. Thousands of visitors had come to the French countryside for the occasion, and journalists, veterans, military personnel, politicians and academics all took the opportunity to comment upon the legacy of Vimy Ridge and to repeat stories from the site’s colourful history. One of the most repeated anecdotes was of Hitler’s 1940 visit, though in all its many retelling, no one thought to ask why there were trenches, duckboards and (concrete) sandbags at the site in 1940, twenty three years after the battle. This question seemed too simple to even bother addressing; it was a battlefield, so of course there would be remnants of the battle. However, compared to other national memorials, the preserved battlefield of Vimy Ridge is unique. Instead of meticulously preserving the physical scars on the landscape, as Canada did at Vimy Ridge, other countries decided to either eliminate all physical references to the war, such as the French memorial at , or left them to slowly decay, as at in

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Turkey. The result for visitors was a one-of-a-kind experience found “nowhere else” (ELLSWORTH 1990: E5).

3 While the stone and concrete monument unveiled at Vimy in 1936 dominates the landscape, it is clear from events described above that the landscape of the site, the two hundred and fifty acres of trees, fields, tunnels, trenches and craters also continue to play an important role in shaping how visitors experience Vimy Ridge and remember and interpret the events of April 1917. The question this paper aims to investigate is how did the physical landscape of Vimy Ridge help shape visitors’ experience and the memory of the battle itself in Canada’s collective historical consciousness? While Canadians have assigned many different meanings to the battle and the memorial park, this paper seeks to understand how the physical landscape of Vimy Ridge, the dirt, rock, grass, trees and animal life, as well as its geographic location, impacted the way Canadians remembered the Battle of Vimy Ridge through their interaction with the Vimy Ridge Memorial.

4 Such a study is relevant given the increasing attention both the public and Canadian government has paid to Vimy Ridge in particular, and in memorializing Canada’s military history in general, during the previous decade. The 2007 refurbishment of the monument and the 90th anniversary celebrations of the battle served to focus public attention once again on the events of Easter 1917. Additionally, government commemorations of other military events, such as the 200th anniversary of the War of 1812, have taken on a greater political significance. Throughout their ten years in power the Conservative Party of Canada sought to increase Canadians’ awareness of Canada’s military history while downplaying other events such as the 30th anniversary of the Patriation of Canada’s Constitution and the creation of the Charter of Rights and Freedoms (DUMMIT 2013: A16). In light of these recent developments and the approaching 100th anniversary of the Battle of Vimy Ridge in April of 2017, for which commemoration events are already being planned, it is important to study how people’s understandings of historical events are not only actively shaped by conscious human actors, but also informed in unexpected ways by the natural environment. Battlefield memorials, and Vimy Ridge specifically, provide an ideal opportunity for such an analysis.

5 The majority of academic and popular work regarding Vimy has focused on the Battle of Vimy Ridge and its aftermath. Numerous works discuss the experience of Canadian soldiers and provide an overview of their actions during the three-day battle. Additionally, other works place the battle within the context of the larger , orchestrated by the British Army, or within the even larger context of engagements on the Western Front during the Spring of 1917 (COOK 2008; BERTON 2001). However, relatively few works directly engage with the history of the construction, unveiling or upkeep of the monument and the park itself (HUCKER and SMITH, 2012: ii). The most in-depth of all the works dealing with the history of the site itself is Jacqueline Hucker and Julian Smith’s monograph written for a popular audience and providing a broad and accessible overview of the first hundred years of the site’s history. While utilizing extensive primary research, the book simply presents a large amount of detail for interested readers with little historical interpretation. However, in her article-length study of the site, Jacqueline Hucker writes for an academic audience and focuses on how the monument and the site it was built on were

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designed to honour all Canadians who served and died, not just the elite (HUCKER 2009: 89-109).

6 Along with Hucker, other scholars who have focused specifically on the monument itself have highlighted the role of chief architect Walter Allward in designing the monument. Specifically these scholars have examined how the Canadian Government’s official narrative of public mourning and remembrance, along with the fact that the battle being commemorated took place far away from Canada, shaped both Allward’s initial design and the continuing place of the memorial in Canadian culture (DUFFY 2008: 189-206; DURFLINGER 2007: 291-312). More broadly, discussions regarding the Battle of Vimy Ridge and the memorial on the site feature prominently in the work of Canadian historians investigating how the First World War affected Canadian culture. Drawing on the insights of Paul Fussel’s in his work The Great War and Modern Memory, these scholars argue that the First World War sparked a substantial change in Canadian culture, specifically in how Canadians memorialized their dead (THOMPSON 1996: 5-27) and more broadly in how Canadians assigned meaning to death in armed conflict (VANCE 1997). Overall, historians of culture and public memory are broadly concerned with the cultural effects of the war and the various meanings Canadians assign to Vimy Ridge – both the battle and monument – and other so-called “defining moments”.

7 In much of the historiography, both Canadian and European, monuments have been treated as symbolic constructions, not as actual places people visit and experience. These visitors, influenced by their interaction with the landscape and physical features of these sites of mourning and memory, subsequently shape cultural discourses regarding the meaning of the war. Thus, the meaning Canadians assign to places like Vimy Ridge is inextricable from the environmental history of the site itself. In order to understand how ideas of remembrance have changed over the past century it is imperative to understand the physical nature of battlefield memorials. Within this context, the Vimy Ridge Memorial provides an interesting and illuminating case study. This paper will examine the very site itself and how its discursive creation as Canadian soil was influenced by its physical location in Europe. Additionally, this paper will discuss how natural features of the landscape such as trees, grass, animals and topography served to influence visitors’ perception of the site and their memories about their encounter with the battlefield. Finally, it will also investigate how the human influence on the landscape, from the wartime craters, trenches and tunnels to the post-war memorial, also shaped understandings of the battle and its legacy. Overall, this paper will argue that visitors’ experiences at Vimy between 1920 and 2007 were co- creations. Planners did not have the final say in how people would experience the site and the landscape served to exercise its agency in shaping popular understandings of the Battle of Vimy Ridge and the place of Vimy Ridge in Canadian culture.

8 However, the landscape of Vimy Ridge was also shaped by decades of human actions and was managed by subsequent generations in order to convey certain messages and influence how visitors interpreted the site. While giving significance due to the battle which occurred there, Vimy, like any other battlefield, is a natural environment that needs managing. As such, managers of the site have to make a large number of rather mundane decisions concerning everything from the length of the grass to the type of trees planted. However, each of these small decisions can alter the impression of the landscape and how visitors ascribe meanings to the site (RYAN 2007: 13). Beyond unintentional alterations of the landscape, site managers have the ability to

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consciously manipulate it to make certain points and emphasize aspects of the battlefield (LEOPOLD 2007: 51). In doing so site managers have to balance visitors’ competing priorities.

9 During the inter-war years, tourists began to tour the battlefields of the First World War in order to understand and experience what it was like to be a soldier. Yet, such trips conflicted with a more traditional form of travel: the pilgrimage. For pilgrims, implicit in the act of traveling to the battle site was an “instinctive spiritualism” which was expressed through visitors’ ideas that one could get closer to the spirits of the dead by visiting their final resting place (LLOYD 1998: 1-5). Thus, deciding, for example, whether to preserve the physical devastation of the landscape caused by years of shell and mortar fire or to repair it in order to create a more serene environment necessarily meant mediating between competing ideas regarding the purpose of the Vimy Ridge site.

10 For many commentators, preserving wartime destruction was not only practical, for people wanted to see the effects of the war and feel like soldiers, but also a moral act. Only by observing first hand the total devastation of France, or at least the little section of France where the memorial was located, could visitors appreciate the sacrifice of the soldiers and learn appropriate lessons regarding the destructive potential of armed conflict (LLOYD 1998: 116-118). However, many experts felt that the lack of built structures and empty space on most battlefields meant that visitors could not truly appreciate the underlying moral message the site was intended to convey, necessitating plaques, guides, pathways and other structures (PIEKARZ 2007: 29). The result of these extensive management and construction programs gave rise to a critique from traditionalists who argued that rather than imbuing an appropriate sense of respect and awe, tourism trivialized the war experience as visitors now stayed in comfortable lodgings and experienced a sanitized version of the battle, as told through interpreters and officially sanctioned displayed. As a result, many visitors associated visiting sites like Vimy with pleasant memories of overseas vacations and not the horrors of war (MOSES 1990: 152-156).

11 From 1914 to 1917 though, Entente troops stationed on the frontlines facing Vimy Ridge experienced the horrors of war first hand. The town of Vimy and the ridge named after it were captured by German troops during their initial drive into France in August of 1914. Fortified as part of the , the 400-foot high ridge gave German defenders a commanding view of the countryside and served as a strongpoint for their defence of the Arras region. By the time Canadian troops were stationed in the area in early 1917, the fighting around Vimy, particularly the failed French assault of May 1915, had dramatically altered the landscape. It was estimated by British High Command that nineteen distinct crater groups existed along the front facing the ridge. Each group often contained several large craters, all of which were the result of explosions caused by underground mine warfare (BOIRE 2007: 20). In the months leading up to the attack in April of 1917, the landscape would be further altered.

12 In the spring of 1917, as part of a broader Western Front-wide offensive planned by new French Commander , Canadian troops, fighting for the first time as a unified group under the command of British General Julian Byng, were assigned to capture Vimy Ridge (TURNER 2005: 17). In preparation, British and Canadian tunnelling companies took advantage of the geological conditions around the ridge to create an extensive network of underground tunnels and fortifications. Twelve subways, up to 1.2

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kilometres in length, were excavated at a depth of 10 meters to allow soldiers to quickly reach the front lines protected from enemy observers and shells. This extensive tunnel network carved out of the chalk often incorporated rail and telephone lines, hospitals, supply dumps and machine gun and mortar posts (BARTON, DOYLE and VANDEWALLE 2000).

13 By early April the preparations for the battle were set and on April 9th, 1917 the offensive commenced. Canadian artillery opened fire at 5:30 am and by nightfall on April 12, Canadian troops had captured the ridge and surrounding areas. Such success was costly though, as the Canadian Corps suffered 10,602 casualties: 3,598 killed and 7,004 wounded (MORAN 2007: 139). Significantly, the combination of Canadian Arthur Currie’s inventive tactics, a victory by all four Canadian divisions fighting together and the previous failure of the French to take and hold the ridge all made the Battle of Vimy Ridge hugely symbolic and represented in the minds of many English Canadians their country’s growth as an independent nation and not simply a part of Britain’s empire.

14 While Canadian troops subsequently fought in other important engagements in the war, Vimy Ridge remained an important milestone for English Canadians. After the war, Canada, like other victorious countries, wanted to secure certain sites for memorial construction. In order to determine which sites should be granted to various allied nations, the British and French Governments worked together to establish the Battle Exploits Memorials Committee in February 1919. The Canadian Government, led by Prime Minister Sir Robert Borden, appointed Brigadier-General H.T. Hughes as Canada’s representative to this committee. The committee ultimately recommended that Canada be granted eight sites in Belgium and France where eight memorials would be constructed. One of these sites was a 100-hectare area around Vimy Ridge. In response the Borden Government established the Canadian Battlefields Memorials Commission to oversee the construction and future maintenance of the eight planned memorials. At their first meeting in November of 1920 this committee decided to hold a design contest for the memorials they planned to build at the eight sites. This competition was open to all Canadian architects, designers, sculptors and other artists. Thus began the seventeen-year process of designing and building the Vimy Ridge Memorial.2

15 From the initial acquisition of the Vimy Ridge site through to the 1936 unveiling of the monument, public officials, military personnel and lay visitors all sought to emphasize the Canadianness of the area. Such emphasis was necessary because unlike the National War Memorial in Ottawa, which was unquestionably Canadian, Vimy was located overseas and would only ever be visited by a very small percentage of the Canadian population. Thus, from its inception, officials involved with the project all sought to convey just how Canadian the land actually was and how, like Ottawa, the land of Vimy was equally a part of Canada (THOMPSON 1996: 16). The government’s desire to have Canadians view Vimy Ridge as a physical part of Canada stemmed from the federal government’s decision to reserve the eight battlefields granted to Canada for national monuments paid for by public money. Whereas previous memorials for Canadians killed overseas – such as in South Africa during the Boer War – were erected by individual regiments, World War One memorials were to be constructed by the Canadian government on land granted by the Belgian and French governments to the Canadian people as a whole. One of the motivating factors for this policy was that, unlike in previous conflicts, the vast majority of soldiers were civilians recruited

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specifically for the war. The lack of career soldiers in the army meant regiment loyalty was less important than national allegiances. As a result, when the Canadian Battlefields Memorial Commission (CBMC) was deciding on how to construct such monuments, they prioritized a universal and national character for the eight sites they selected (HUCKER 2009: 94-95).

16 The policy of the CBMC reflected the explicit desires of Canada’s political leaders. In a series of correspondence with Peter C. Larkin, Canada’s High Commissioner in London, newly elected Prime Minister William Lyon Mackenzie King emphasizes how important it is that the CBMC created memorials are universal in their appeal. Particularly, in a letter to Larkin from 22 July 1922, King states that the Vimy Ridge Memorial should “become a place of pilgrimage for travelers and an enduring monument in Europe to our country's valour.”3 For King and the committee following his direction, Vimy in particular was to be a place for all Canadians to visit and to appreciate the sacrifices made by the entire nation. Hence, King does not demand that the memorial honour the valour of the army or the specific regiments which fought at Vimy, but rather that of the entire country of Canada. King also recognizes that the monument itself is in Europe and that Canadians’ perception of it would be necessarily shaped by Vimy’s overseas location.

17 In order to formalize the transfer of the Vimy Ridge site from France to Canada, the French and Canadian governments signed a specific treaty dealing with Vimy Ridge in 1920. The language decided upon by the two governments reflects Canada’s desire to portray the land as Canadian. This was especially important given that the deed to the property would ultimately remain with the French government, as French law forbid property transfer to a foreign government. Since the property would not actually be owned by the Canadian government, Article One of the treaty specifically states that the land is freely given for all time. The treaty states that, “The French Government grants, freely and for all time, to the Government of Canada the free use of a parcel of 100 hectares located on Vimy Ridge in the Department of Pas-de-Calais.” While ownership would ultimately reside with France, the land itself was Canada’s to use forever.

18 The Canadianness of the site was also emphasized in the first Appendix to the treaty. This appendix puts forward a motion in the Canadian parliament asking, Parliament to approve: The acceptance by the Government of Canada of the gift graciously made by the Republic of France of a tract of land 250 acres in extent on Vimy Ridge at the site selected by Canada of a monument commemorating the exploits of Canadian soldiers in the Great War.4

19 The parliamentary motion emphasizes that the land was given as a gift to the Canadian government to honour Canadian soldiers’ actions. The use of the term gift is particularly revealing as it connotes ownership passing freely from one party to another. While legally the land where the monument would be built still belonged to France, symbolically, the treaty and subsequent legislation emphasized Canada’s moral ownership over the property. Additionally, constructing the monument and maintaining the site itself was essential to ensure the ridge remained Canadians. While not stipulated in the text of the treaty, during final negotiations between the French Minister of Devastated Regions and Canada’s representative of the CBMC (and House of Commons Speaker) Sgt. Rodolphe Lemieux, the French government stated that the

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transfer of land was contingent upon both the construction and maintenance of a memorial to fallen Canadian soldiers.5

20 The idea that Vimy Ridge was in fact Canadian territory, consecrated through the sacrifice of Canadian soldiers, was reinforced during the 1936 dedication of the monument. With the monument finally complete, the Canadian Legion organized a pilgrimage for veterans of the First World War and their families to travel, free of cost, to the dedication of the monument by King Edward VIII. During his speech at the ceremony, King Edward emphasized the importance of the memorial being built on the actual battlefield. He stated that, “Beautiful and impressive as is the Ottawa memorial, the Canadian people would not feel it was complete. It was ‘over there’ that Canadian armies fought and died. It is ‘over there’ that their final monument must stand” (THOMPSON 1996: 16). Because the battle took place in France, the King argued that the memorial also had to be built far away from Canada. However, rather than the distance alienating Canadians from the site, the fact that their soldiers had served, died and were buried there made the land important. A monument to Vimy could not be built in Canada and have the same effect, the geographic reality was that Canadians had fought overseas and so the monument to their service and death must be “over there.”

21 The distance between Vimy and Canada did not impede Canadian visitors from recognizing the ridge as being part of their country. Rather, the combination of Canadians’ heroic exploits on the battlefield and the diplomatic gift of the site by the French government combined to make the land Canadian. In his diary, John Mould, an artillery gunner from Toronto who served at Vimy and who went on the 1936 trip, wrote that: The ground it covers is the Gift of France to Canada. All the world over, there are battlefields, the names of which are written indelibly on the pages of our troubled human story. It is one of the consolations which time brings, that deeds of valour, done on those battlefields, long survive the quarrels, which drove the opposing hosts to conflict (MOULD 1936: 63).

22 Echoing the remarks made by King Edward VIII, Mould emphasizes the importance of the battlefield as a specific site of pilgrimage and remembrance. However, the simple fact that France gave the land to Canada was only part of the reason for the site’s significance. It was also the actions of soldiers like Mould and thousands of his comrades in arms that made Vimy a site of international importance. Importantly though, it wasn’t simply because Canadians had died and were buried at Vimy that the land was Canadian, but also the specific acts of valour which said soldiers had performed there. Mould’s focus on Canadian soldiers’ heroism reflected the original priorities of the CBMC and the Canadian Government when they decided to build Walter Allward’s memorial at Vimy Ridge. It was important that the site of Canada’s main memorial not only be a place where Canadians had fought and died, but also a site where Canadian forces had won a victory.6 Vimy was not just about memorializing the dead, the monument and the site were also about remembering the acts of the living.

23 Other pilgrims also reflected on how the monument sat on “Canadian” land. Florence Murdoch, the sister of Alfred W. Murdoch, an officer in the 1st Canadian Heavy Artillery Brigade at Vimy who lived in Amherst Nova Scotia, kept a diary when she traveled with her brother to Vimy in 1936. Upon arriving at the Vimy Ridge Memorial she wrote of the park that, “It is Canadian soil” (MURDOCH 1989: 25). Her perception was further enhanced by the events of the next few days. Not only was the monument dedicated by

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the King, but the Canadian Army and Canadian Legion also performed a series of actions intended to memorialize the dead. Murdoch highlighted how the crosses erected by Canadian troops on November 11th, 1918 to commemorate the armistice were burnt and the ashes spread over Vimy Ridge. Doing so symbolically reinforced the idea that the very soil itself was Canadian as, along with the blood and bodies of the soldiers who had served there, it was now mixed with ashes of the impromptu memorials erected to commemorate their sacrifice. Ultimately, upon leaving Vimy, Murdoch concluded that, “This sacred soil of Vimy was not alien soil but would be forever Canadian” (MURDOCH 1989: 33). While the idea of Vimy as Canadian soil was a cultural construction, it was a necessary one given its geographic location far from Canada. The perception of the battlefield as physically part of the mother country was further reinforced discursively, but also literally and symbolically, through specific actions undertaken by Canadian officials.

24 The geography and ecology of Vimy Ridge also shaped how visitors interacted with the park and how they understood the legacy of the battle. Of particular importance in shaping visitors’ experience at Vimy Ridge is the plant life of the site with one of the most prominent examples being the 650 maple trees and many more Austrian and Scott pine trees planted in 1924. Commencing with the initial treaty gifting the land around Vimy Ridge for Canada’s use, the CBMC intended to reforest sections of the park although they had no specific plan. By 1924 the French government was undertaking extensive tree-planting campaigns in the areas around Arras and hoped to include Vimy Ridge in their planting activity. The Canadian government agreed to have the French plant pine trees on most of the site but specifically imported 650 maple trees from Saskatchewan because of the association between the maple leaf and Canada.7 Other Canadian plants were also interspersed within the maple trees by Canadian horticulturalists, with the stated purpose of recreating the woods of Canada.8

25 The trees remained an important part of Vimy Ridge throughout the park’s history. After the Nazi occupation of France and continued rumours of Wehrmacht or SS soldiers vandalizing the monument and surrounding park, many Canadians were concerned not only with the state of the monument, but also with the park itself, particularly the trees. Such concerns were groundless as the majority of trees survived intact, although, as predicted by Colonel H.C. Osborne, many need pruning after the liberation of Northern France in 1944.9 This concern over Vimy’s arboretum in general continued after the war. By the 2000s a large number of the pine trees had reached the end of their natural life span and were dying off and many of the maples had also died or were damaged and in need of replacement. Veterans Affairs Canada is still determining how to deal with the issue of replacing the trees at the site given the importance generations of visitors have attached to them (HUCKER AND SMITH 2012: 90). The continued importance of the forests of Vimy in shaping visitors perception of the site is demonstrated most clearly in a 1990 Washington Post article by adventure/ travel writer Scott Ellsworth. Ellsworth, an American with no familial or national link to Vimy Ridge recounts approaching Vimy Ridge by bicycle. Even before seeing the monument, the first feature of the site that he notices is the “replanted forests of pine and maple.10” For Ellsworth, as for hundreds of thousands of other visitors, the trees of Vimy played an integral role in shaping visitors’ perceptions of the site.

26 The care and attention that the CBMC and later Veterans Affairs Canada paid to tree planting and maintenance over the years has led to the misconception that each maple

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tree represents one Canadian soldier who died at Vimy and whose body was never found. Despite the fact that ninety percent of the trees on the site were actually planted by the French Government and that the maple trees were brought to the site solely because of the association between Canada and the maple leaf, the apocryphal story of the trees is repeated in both popular culture and academic texts. Denise Thompson most clearly articulates this belief in her article from 1995-96 when she writes that the park includes “a grove of trees, one of which was planted for each Canadian killed in France who had no known grave – new life replacing death” (THOMPSON 1996: 12). However, Veterans Affairs Canada is quick to repudiate such claims in their official literature, stating that the trees were not planted specifically to remember individual soldiers.11 The prominence of the maple trees and the care and attention given to them over the years creates the need for interpretation among many visitors. The six hundred and five trees must have been planted for a purpose and in lieu for specifically stated reasons, people assume that the plant life of the site itself must contribute to the site’s purpose of memorializing Canada’s dead.

27 The trees are not the only important biological feature of the site, as a large area of the park is also covered in grass and kept short by a herd of grazing sheep. The grass and the grazing animals represent a conflict between the two stated purposes of the memorial: remembrance and preservation. From its inception, CBMC officials attempted to balance pilgrims’ and tourists’ expectations when constructing the site. In Appendix III of the initial treaty, the CBMC stated that: Vimy Ridge is a barren tract of land, miles in extent, devastated and pitted with shell holes, etc. The object of the Commission is to reserve and develop in a suitable way sufficient land to form a background for the monument and prevent the erection of unsightly structures in its vicinity. Such further land as may be reserved for the proposed “park” will be left largely in its present state.12

28 The commission wanted to ensure that the physical scars of war would be preserved for future generations. The policy of preserving these “devastated lands” in their current state was initially adopted by the French government in 1919 and the presence of shell holes, craters and tunnels made the section of the ridge from “a line of craters near ‘The Pimple’ to the vicinity of ‘Les Tilleuls’” particularly desirable for the CBMC when deciding on which specific parts of Vimy Ridge would become part of the site.13 However, in order to preserve the shell holes and physical scars on the landscape and ensure they were visible for visitors, it was necessary to keep the grass and other cover plants closely cropped. Human grass cutters were not an option though due to the large number of unexploded ordnances buried in the ground at Vimy. Sheep were a perfect solution as they were lighter and unlike human groundskeepers, replaceable (HUCKER AND SMITH 2012: 81). Over the past eighty years the sheep have become an iconic aspect of the Vimy landscape and part of the experience of visiting the site. Yet, the reason for the animals presence at the site has been forgotten in popular memory, rather they have simply become like the grass and the chalk of the ridge itself; just a part of the European landscape and not consciously placed there as the result of a specific management strategy.14

29 The sheep, trees and other plant life are not the main attraction for visitors to Vimy Ridge, rather they form the natural background for the preserved battlefields, tunnels and trenches, seemingly unchanged from 1917. The vision of a preserved battlefield, as articulated by the CBMC, is best reflected in a series of photographs taken just after World War Two, exhibiting a peaceful morning contrasted with the grass covered shell

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craters preserved around the monument.15 Many veterans who visited the site also commented that the battle scarred landscape brought them back to April 1917. Vimy Veteran and 1936 pilgrim John Mould commented in his diary about the shell craters and other preserved aspects of the site when he wrote: It was during this walk that scenes of the old war days came back to me more than ever. Huge craters, shell holes and barbed wire were there, the same as they had been left on those April days nineteen years ago... It is the same old clay we used to get during our trips into the trenches, and the continuous walking in and out of the shell holes and over barbed wire made the women rather tired. I heard one woman say: “No wonder they called it No Man’s Land, I can understand it now” (MOULD 1936: 48).

30 As discussed above, the landscape had been extensively managed to create the illusion of stasis. This illusion was so effectively conjured though that soldiers who had served at Vimy were affected by it. Even more so, those who had never seen the original battlefield were totally convinced that they were experiencing something similar to what the soldiers had. Mould later reflected on his companions’ remarks in his diary. He wrote, “I wonder what she would have said about it twenty years ago when we had to plow through fields of mud and slush up to our knees. Still it was a little reminder of what we had to go through just the same” (MOULD 1936: 49). While Mould knew that the experience of visitors nineteen years later and the soldiers who fought at Vimy were clearly different, he recognized an innate similarity and, due to the landscape, was able to more effectively share his experience with those who had not fought at Vimy.

31 Even eighty-five years after the battle, the preserved shell and mine craters continued to impact visitors. In 2004 Canadian travel-writer Angela Bianchi commented on how the preserved battlefield impacted her emotionally. She wrote, “For those of us who have never seen a shell hole or mine crater, seeing them by the hundreds, bubbling up from the ground, is quite unnerving.”16 The landscape was preserved with the intention of shaping visitors’ emotional reaction to the site and continues to effectively do so into the 21st century. Additionally, the visitors’ experience is shaped by their physical interaction – or lack thereof – with the military refuse on the site. Military historian Kenneth Mackey visited the site in the 1960s and observed that there was, “rusting shells and wires throughout the Vimy Ridge site” (MACKEY 1965: 190). While forty years later, Bianchi described restrictions on visitors’ exploration when she wrote about the “many signs warning visitors to stay well behind the fenced off ‘red zone’ areas where munitions, from 85 years ago still rest, unexploded.” The threat of unexploded munitions also occasionally became acute and necessitated a total evacuation of the Memorial site and the neighbouring village of Vimy. The most recent example occurred in 2001 when 170 tons of shells containing the chemical warfare agent mustard gas were discovered by French authorities.17 While all of these examples stem from a practical desire of park managers to keep people safe, each event and personal interaction with a fence, shell or crater, serves to shape how people understand the site and their experience. While some visitors’ emotional reactions to climbing over a shell crater is intended, the possible fear and unease someone feels regarding potentially deadly ordnances buried under their feet is not a product of human management but rather the landscape acting as an equal partner in defining tourists’ or pilgrims’ experience.

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32 Beyond the shell craters and seeming ever-present danger of unexploded artillery shells, one of the unique features of the Vimy landscape is the preserved trench and tunnel system. As mentioned in the introduction, even Hitler was impressed with the preserved fortifications. The irony of the continuing appeal of the preserved fortifications is that they were protected by concrete only due to historical accident. After excavating the base for the Vimy Memorial, construction was delayed as the work crews waited for the correct stone to be found, quarried and shipped to France from the quarry in what is now Croatia. Eight years later, Colonel H.C. Osborne of the CBMC stated that finding the correct stone was such a time-consuming process because the memorial required stone of “an agreeable colour, obtainable in large sizes required, tractable enough for sensitive carving but at the same time hard enough not to disintegrate when exposed on four sides.18” This delay meant that during the downtime in the Summer of 1924, Captain – later Major – D.C. Unwain-Simson, who was part of the engineering corps and responsible for overseeing the work crews, ordered the workers to line the trenches with concrete and to replace the sandbags with concrete as well while waiting for the first delivery of the Croatian stone (HUCKER AND SMITH 2012: 41). However, he was only able to do so because of construction delays well beyond his control; if work had proceeded as usual, the trenches would have slowly been filled in and disappeared.

33 Subsequently, Veterans Affairs has incorporated the concrete trench system into their interpretation of the Vimy Ridge site. In an official brochure they state that, “Trenches and tunnels have been restored and preserved so the visitor can understand the magnitude of the task that faced the Canadian soldiers19”. Other visitors to the site over the years have also remarked on the impressive fortifications. In 1936, Vimy pilgrim Florence Murdoch remarked in her diary that twenty-two miles of trenches and tunnels had been preserved (MURDOCH 1989: 25). While her actual description of the site is relatively brief, one of the few specifics she mentioned was these concrete structures, indicating their importance in shaping her experience. Additionally, in his article about visiting battlefields of the Western Front, Scott Ellsworth described Vimy as follows: “walking through [the trenches] is a chilling experience, giving a hands-on perspective of trench warfare found nowhere else.20” For Ellsworth not only were the trenches impressive, they also served to make Vimy Ridge unique among all Western Front battlefields. From Veterans Affairs representatives through to journalists and visitors, the trenches were not only a physical feature of the landscape, they were one of the defining aspects of the Vimy Ridge experience. Yet they only existed because of a delay in finding a quarry with the correct type of stone.

34 Similar to the trenches, sections of the tunnels used by Canadian troops to ferry supplies and soldiers to the frontlines were also protected and incorporated into the Vimy Ridge experience. In particular, the Grange tunnel, a 33-feet deep tunnel carved into the chalk, has become the most famous of all the tunnel sections. This particular tunnel is of interest to many visitors because it is the deepest and it contains graffiti carved by Canadian soldiers during the battle.21 The markings, particularly a maple leaf carved into the chalk, are viewed by many as a symbol of both the battle and also Canada’s birth as a nation at Vimy. During the construction of the Vimy Memorial, the CBMC recognized the importance of the Grange tunnel and its ability to attract visitors to Vimy. In the annual report of the CBMC in 1927, the secretary summarizes

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international reaction to the work crew’s preservation efforts. The report quotes a London journalist as stating that: The tunnel is destined to become the most remarkable relic of the war. The dugouts have been preserved. The trenches have been lined with concrete sand-bags. Duck boards have been cast in concrete and passages have been reinforced with concrete and mental. Furniture and other objects have been left in place. The Grange Tunnel will, in its present condition, last as an object of interest and instruction for a century or more.22

35 Unlike the trenches and shell-craters, which were preserved due to a delay in acquiring the stone for the monument, the Grange Tunnel was intentionally restored due to its unique features. The CBMC’s desire to have future visitors understand the experience of fighting at Vimy is particularly reflected in the fact that furniture and other objects within the tunnel were kept in place. Preserving this feature of the battlefield reflected the clear desire of the CBCM to both maintain the site as it was in 1917, but also to make Vimy into an international place of pilgrimage, unique on the Western Front.

36 Largely the CBMC was successful in their mission and during World War Two many Canadians were anxious about the state of the site itself under German occupation. While aerial reconnaissance could observe that the monument was intact, observation flights could not view the landscape in sufficient detail and certainly could not see underground23. Canadians had to wait until the liberation of France in the summer of 1944 to learn about the state of the rest of the park. Paul Piroson, the Belgian maintenance worker who took care of the area throughout the war, reported that Germans had blown up the entrance to the tunnel network out of fear the French resistance was using them to store supplies. However, his biggest complaint was that German soldiers had defaced the graffiti left by Canadian soldiers (DURFLINGER 2007:300-301). Canadians’ anger over the occupying soldiers’ actions demonstrate the symbolic importance of the markings in the chalk. However, neither the tunnel nor the carvings would have survived if not for the geography of the ridge itself. While British and Canadian forces dug tunnels during every major engagement in the war, most were in loose soil and mud and so quickly disappeared. However, the chalk at Vimy allowed these features to be preserved throughout the war and afterwards. While their significance is culturally constructed, the material reality which allowed such constructions could only exist at Vimy and not at other places where Canadians fought, such as Ypres and the Somme.

37 Overall, this paper has argued that the way the Vimy Ridge Memorial Park has been understood and interpreted by Canadians and visitors from around the world is as much a result of its landscape and geography as it is of human agency. Beginning with the simple fact that it was located overseas, Canadians sought to characterize the site itself as being Canadian in spite of its location in France. Furthermore, the biological life of the memorial park served to shape people’s interaction with the site and to influence how the public memorialized fallen Canadian soldiers. Finally, the physical features of the landscape, both natural and man-made, shaped what aspects of the site were highlighted and incorporated into the public narrative of the memorial.

38 These public narratives surrounding previous conflicts involving Canadians has become a contentious political issue over the course of the 2010s. Particularly, the efforts of the Stephen Harper led Conservative Government from 2006 to 2015 to place a greater emphasis on Canada’s military history was met with substantial criticism from academics and journalists. While the 28 million dollars’ budget for War of 1812

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commemorations was widely criticized, reports from 2015 that there would be no addition money allocated to remembering the hundred year anniversary of the Battle of Vimy Ridge and that any expenditures had to come out of the budget of the Department of National Defence, elicited similar condemnations. Such controversies represent the wide variety of opinions regarding commemorating Canada’s military history and also demonstrate the political perils of failing to properly navigate this metaphorical minefield.

39 However, despite frequent debates about how Canadians should remember their country’s participation in various armed conflicts, Canadians lack a detailed understanding of how and why the country collectively remembers and values iconic military engagements like Vimy Ridge. Rather than viewing the battlefield and memorial park as simply a passive backdrop upon which Canadian soldiers and later visitors acted upon, Canadians need to understand the dynamic processes of environmental change which occurs outside of human control yet which has tremendous shaped public perception regarding many of the iconic features of Vimy Ridge. For example, the maple trees, preserved tunnels and concrete trenches that make Vimy Ridge unique among First World War memorials exist in their present state only due to environmental and geographic contingencies. All of these contingencies speak to the dynamic nature of memory and argue that commemorating the dead is not simply an act of human will but a collaborative project where human actions are shaped not only by rational decision making but also the very earth itself.

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NOTES

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8. GOVERNMENT OF CANADA ([N.D.]), Memorials to Canada’s War Dead, Ottawa: Public Affairs Division of Veterans’ Affairs Canada, p. 46. 9. CANADIAN BATTLEFIELD MEMORIAL COMMISSION (1922-1954), “Minutes and Estimates 1922-1954,” Department of Veterans Affairs Fonds R1183-0-7-E Volume 419, Library and Archives Canada. 10. ELLSWORTH, Scott (1990) “Twilight on the Western Front: Biking the Back Roads of Northern France, On The Trail of World War One,” Washington Post: E5 11. GOVERNMENT OF CANADA ([N.D.]), Memorials to Canada’s War Dead, Ottawa: Public Affairs Division of Veterans’ Affairs Canada, p. 47. 12. GOVERNMENT OF CANADA (2014), Agreement Between Canada and France: Appendix 3, Ottawa: Global Affairs Canada, http://www.treaty-accord.gc.ca/text-texte.aspx?id=102661 13. HUGHES, H.T. (1922), “Brig. General H.T. Hughes to P.C. Larkin, 1 June 1922,”Mackenzie King Fonds MG 26 Volume 1174, C2729, Library and Archives Canada. 14. BIANCHI, Angela (2004) “Canadian National Vimy Memorial Park,” CBC News, 9 April 2004. http://www.cbc.ca/news2/background/vimy/cdn_natl_memorial.html 15. ZK-1896-1 and ZK-1896-4 Volume 30451, Library and Archives Canada. 16. BIANCHI, Angela (2004) “Canadian National Vimy Memorial Park,” CBC News, 9 April 2004. http://www.cbc.ca/news2/background/vimy/cdn_natl_memorial.html 17. CANADIAN PRESS (2001), “WW I Shells Force Evacuation of Vimy,” CBC News, 14 April 2001, http://www.cbc.ca/news/world/wwi-shells-force-evacuation-of-vimy-1.296644 18. CANADIAN BATTLEFIELD MEMORIAL COMMISSION, op.cit., 1932, R1183-0-7-E. 19. GOVERNMENT OF CANADA [N.D], op.cit., p. 47. 20. ELLSWORTH, Scott (1990) “Twilight on the Western Front: Biking the Back Roads of Northern France, On The Trail of World War One,” Washington Post: E5. 21. BIANCHI, Angela (2004) “Canadian National Vimy Memorial Park,” CBC News, 9 April 2004. http://www.cbc.ca/news2/background/vimy/cdn_natl_memorial.html 22. CANADIAN BATTLEFIELD MEMORIAL COMMISSION, op.cit., 1927, R1183-0-7-E 23. ASSOCIATED PRESS (1941), “Vimy Memorial Intact,” New York Times.

ABSTRACTS

This paper examines the environmental history of the 250-acre Vimy Ridge Memorial in Northern France. It argues that the meaning of Vimy Ridge and the memorial within Canadian culture has been shaped by the physical environment of the site. In particular, the geographic location of Vimy Ridge in Europe, as well as the biological and physical features of the memorial park, shaped the possible meanings assigned to the site.

Cet article examine l'histoire environnementale du mémorial canadien sur la crête de Vimy dans le Nord de la France. L’analyse montre que l’impact de Vimy sur la culture canadienne, à travers son histoire et son monument, a été façonné par l'environnement physique du site. La situation géographique de Vimy en Europe, ainsi que les caractéristiques biologiques et physiques du site proprement dit, ont produit des interprétations diverses.

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AUTHOR

ADAM COOMBS Adam Coombs is a PhD Candidate in Canadian history at the University of British Columbia. His supervisor is Michel Ducharme and he is currently working on his dissertation focusing on political parties and democracy in Canada during the interwar years (1919-1939). He is a Carleton University alumni who graduated with his BA Honours in history in 2009.

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Acts of Remembrance: Canadian Great War Memory and the Public Funerals of Sir Arthur Currie and Canon F.G. Scott Cérémonies du Souvenir : les funérailles publiques de Sir Arthur Currie et du chanoine F.G. Scott et la mémoire canadienne de la Grande Guerre

Melissa Davidson

Introduction

1 On 11 November 1918, soldiers overseas marvelled at the sudden silence as, after more than four years of war, the firing ceased and peace arrived. More than 600,000 Canadians had served in uniform during the war, while their families and communities at home made their own contributions to the war effort. They knit socks, raised funds for relief, organized patriotic meetings, and wrote letters to their absent friends and loved ones. Although Canadians could be rightly proud of their own part in the victory, both as citizens of the British Empire and in the flush of a young Canadian nationalism, the war had also left deep scars. Some 60,000 war dead paid the ultimate price, nearly a third of whom have no known graves. The church bells and fire trucks that announced the Armistice to Canada in the early morning hours of November 11, were not only making a joyful noise in celebration of victory, they were also marking a deep and abiding grief for all that had been lost.

2 In the aftermath of the Armistice, Canadians had to come to terms with the changes and losses associated with the war, a bereavement process which was both difficult and extended. People’s experience of the war had been intensely personal and rooted in local communities, and it was at this level that Canadian commemorations began. Honour rolls created during the war became the basis for memorial tablets erected by churches and employers, and local committees erected monuments in public spaces to

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serve as a permanent reminder of the service rendered and sacrifices made. The British policy, decided early in the war, of not repatriating bodies, meant that Canadian graves were maintained by the Imperial War Graves Commission (later the Commonwealth War Graves Commission) near where the men had died. As a consequence, bereaved relatives had no easy access to the graves. But even knowing the location of a final resting place was a comfort denied the relatives of those whose bodies could not be located or identified (CRANE 2013).

3 Although both groups were prominent at annual memorial and ceremonies, for the latter group the construction of local memorials where the dead could be named took on an enormous significance in the years immediately following the war. In Britain, in and the Tomb of the Unknown Warrior were dedicated in 1920; these provide physical sites for public mourning at a national level and centres around which commemorative rituals could be established (CONNELLY 2001; GREGORY 1994; WINTER 1986). Canada, however, lacked any such national memorial focus. This physical lack and the fluidity of commemorative forms that emerged in Canada encouraged localism until the early 1930s when a greater national consciousness began to emerge, and with it more nationalist commemorations of Canada’s war dead. This would culminate with the dedication of the Vimy Memorial in 1936 and the National War Memorial in 1939. Then, from September 1939, the outbreak of the Second World War layered a new generation of sacrifices over those of 1914-1918.

4 This paper will briefly trace the evolution of Canadian Armistice/Remembrance Day rituals in order to situate the public funeral in 1933 of General Sir Arthur Currie (the first Canadian-born commander of the Canadian Corps) and that in 1944 of Canon F.G. Scott (Senior Chaplain of the 1st Division and author of The Great War as I Saw It). Set against the development of the repeated rituals, the public reactions to and observances of the deaths of these two public figures help to illustrate how the acting out of the public memory of the Great War changed in the decades following 1918. Canadian public memory of the war was initially fragmented, centering around local observances, before becoming more nationalistic in the 1930s. The passage of time and experience of the Second World War distanced people from the particular experience of the Great War and caused specific commemorations of the Great War to once again become important primarily to those who had been most directly affected by it.

Background

5 Adrian Gregory points out three approaches in the study of the memory of the Great War: the war as a point of rupture; the war as part of an ongoing cultural tradition; and a search for the changeable meaning of the war as rooted in particular contexts (GREGORY 1994: 2-5). All three approaches, the third of which is adopted here, acknowledge that both the experience of the war and its memory had to be confronted after the Armistice. Popular and literary memoirs, novels and poetry were one way of doing this. The construction of memorials, both personal and public, and the acting out of ceremonies of remembrance were others. Unlike personal memorials — a fallen soldier’s photograph and medals proudly and perpetually displayed in the home, for example — public memorials and services were and remain acts of community. They served to perpetuate the bonds and boundaries created during the war and to shape a

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broader sense of collective memory by deciding what should and should not be commemorated. The wartime community which was exhorted to direct its efforts to support King and country was primed to believe that, after the arrival of peace, its losses were more than merely individual grief, but belonged in some senses to the broader cause and larger community. The purpose of commemoration was, in this way, two-fold. It was an acknowledgement of individual grief and sacrifices, but it was also acted out in a public way as part of a larger community in recognition of its efforts and achievements. With the passage of time, the context of the commemoration would change, this balance would shift, and new meanings would be added to the old forms.

6 In contrast to the detailed surveys which have recently been published on British memorialization, Canadian histories have focused largely on physical memorials and have not, therefore, been as sensitive to the changing context of the war’s public memory. Jonathan Vance’s Death so Noble (1997) remains the touchstone work and, while it does take into account literary and cultural expressions of memory and bereavement, it fails to fully take into account the way that the meaning attached to these monuments changed throughout the post-war period. Like Denise Thomson’s “National Sorrow, National Pride” (1995/1996), the only article to focus on commemorative rituals, the passage of time and changing circumstances are not fully taken into account and the post-war period is taken as an undifferentiated whole. The evolution of commemorative rituals and the effect of events — the distancing of time, the difficulties and changes of the 1930s, and the influence of the Second World War — have not been explored in the Canadian context, a major historiographical gap.

7 As Vance does point out and Tim Cook discusses at length in Clio’s Warriors (2006), the lack of an official and comprehensive history of the Canadian action overseas meant that the Canadian war narrative was shaped primarily by other means, notably by local histories, monuments, and memories. The fragmentation of the veterans’ movement prior to the 1925 formation of the Canadian Legion of the British Empire Service League (later the Royal Canadian Legion) also contributed to the relatively slow emergence of a truly national consciousness of the war in Canada (BOWERING 1960: 8ff; MORTON and WRIGHT 1987; SCOTT 1996: 35-40). The rapid construction in London of the Cenotaph and the presence of the Unknown Warrior, re-entombed beneath the main aisle of Abbey to represent the dead of the Empire without known graves, provided focal points for British national mourning, the King serving as chief mourner. There were no Canadian equivalents. The tower of the reconstructed Parliament building in Ottawa was dedicated to peace and contained a memorial chamber, but it was designed as a place of personal pilgrimage and was not opened to the public until 1928, still lacking its centrepiece. This, the Book of Remembrance containing the names of Canada’s war dead, would not be completed until 19421 (HALE 1935; SCOTT 1934: 53ff). The National War Memorial in Ottawa was not dedicated until May 1939, only months before the outbreak of another war. Canada’s largest overseas memorial, the soaring twin pillars on Vimy Ridge, was the first major national memorial to be dedicated, but even that was not until 1936, and it was located in France. As a result, local observances, centered around local memorials, were arguably even more important in Canada in the years immediately following the Armistice than they were in Britain. It was only gradually that these localized memories began to be acted out on a national scale.

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8 For Canada, as for the rest of the Empire, the Great War began on 4 August 1914, when the British ultimatum demanding a German withdrawal from Belgium expired. The news was greeted with patriotic displays in many major Canadian cities. On 6 August, Sam Hughes, the Minister of Militia and Defence, set about assembling volunteers for a Canadian contingent at an as-yet unbuilt camp at Valcartier, Quebec. On 10 August, an Order in Council established the authorized strength of this force at 25,000. After two months at Valcartier, this first overseas contingent, ultimately to become the 1st Canadian Infantry Division of the Canadian Expeditionary Force, set sail from Quebec City for England, somewhat over-strength at 30,617. By the time the 1st Division landed in France in February 1915, recruiting for a second, and then a third, contingent was well underway.

9 Among those “Old Originals” who made this journey from Valcartier to the trenches of the Western Front were two men whose names would later be known throughout the Canadian Corps — Brigadier Arthur Currie, then the commander of the 2nd Canadian Infantry Brigade, and Canon F.G. Scott, an Anglican chaplain attached to the 3rd Brigade. Both men were present in the chaos and confusion of the first German gas attack on 22 April 1915, as untried Canadian troops rallied to prevent a German breakthrough. In the summer of 1916, they served during the latter stages of the great Somme battles, where one of Scott’s sons was killed in action. On 9 April 1917, Currie commanded the 1st Division at Vimy Ridge, with Scott serving as the Division’s Senior Chaplain. In June 1917, Currie was given command of the Canadian Corps and knighted on the battlefield by the King. Passchendaele was the Corps’ first major victory with a Canadian at its head. It was also the first in a series of victories that would lead through Amiens, the Canal du Nord — where Scott was wounded on the battlefield after four years of active service with “his boys” — then Cambrai, Valenciennes, and, on the morning of the Armistice, Mons (COOK 2007, 2008, 2011; DANCOCKS 1985; HYATT 1987; URQUHART 1950; McGOWAN 2014; SCOTT 1922). While both Currie and Scott would survive to return home in 1919, some 60,000 of their comrades did not, losses that were mourned in communities large and small across the country.

10 The first observances of Armistice Day following 1918 were divided between those who wanted to celebrate the triumph of victory over Germany and those who wished the day to be kept sacred in commemoration of the dead (GREGORY 1994: 62ff). In those early years, veterans were still adjusting to civilian life, a process often complicated by mental and physical wounds. Friends and families had to re-acquaint themselves with men returning changed by their experiences and they had to come to terms with the permanent absence of those who had died overseas. Two minutes of silence observed at 11:00 marked the moment when the guns had fallen silent, but Armistice Day itself was not a public holiday in Canada. Instead, people marked the Silence in the midst of their daily activities.

11 In Ottawa, national commemorations did not take on a consistent form. When ceremonies were held — there was no official ceremony in 1921 — they took place at a temporary cenotaph erected on Parliament Hill. These ceremonies were held in the afternoon or evening, separate from the Silence, in 1923, 1925, and from 1927-1929. Only in 1931 when, after two years of lobbying by veterans’ groups, the government separated the Thanksgiving holiday from Armistice Day and made the latter a public holiday, re-naming it Remembrance Day, were official ceremonies permanently moved to 11:00 and able to take on a standardized form. It was at this point, with Canadian

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Legion participation in the planning of the ceremonies and people freer to take time away from work to attend ceremonies that veterans’ involvement in the national ceremonies increased2. Local observances, regularized in the 1920s, began gradually to follow the national pattern. In Toronto, for example, the Silence was observed at 11:00, with the laying of wreaths before and after, and city ceremonies not beginning until 12:00, at least until 1932 when the ceremony shifted to precede the Silence by up to forty-five minutes. Regimental and association memorials were held individually at the cenotaph throughout the day, often beginning in the early morning. The hour-long services were shortened in 1935 and, from that point, began at 11:003.

Sir Arthur Currie (1933)

12 When Sir Arthur Currie died in 1933, after serving for more than thirteen years as the principal of McGill University, it was at a time when people’s expressed memory of the Great War was undergoing a shift from a fragmented and localized memorialization to one on a more national scale (THOMSON 1995/1996; VANCE 1997: 212ff). Currie, as a veterans’ advocate and a public figure, had been one of those helping to link these local memories into a larger consciousness, speaking to hundreds of veterans’ groups and memorial dedications (BOWERING 1960; COOK 2011; CURRIE and HUMPRHRIES 2008; DANCOCKS 1985; DURFLINGER 2000; HYATT 1987; URQUHART 1950). By his presence at these local ceremonies and through his link to all the units of the Canadian Corps, Currie encouraged the formation of a national community bound together by their wartime experiences and sacrifices. Currie also helped advance a national narrative to the war in another way: by pursuing a libel case against the Port Hope Evening Guide in 1928 after the newspaper had printed old accusations that Currie had needlessly sacrificed the lives of soldiers under his command in the final hours before the Armistice, for the glory of capturing Mons (the site of the first British action of the war in 1914). In undertaking and winning the suit, Currie had not only successfully defended his own reputation as a battlefield commander, but had also rehearsed the story of Canadian participation in the war’s final days to a national audience (COOK 2011; SHARPE 1988). In establishing that he had not squandered the lives of those under his command, Currie gave families reassurance that their losses had been meaningful and necessary contributions to the greater victory. Although the trial opened old wounds that some wished they had forgotten, the testimony of so many senior Canadian officers as to the necessity of the attack and the care taken to guard against casualties offered affirmation that the sacrifices made during the war had not been in vain (SHARPE 1988: 226). By re-establishing Currie’s military reputation, the trial also set the stage for the massive outpouring of public mourning that was associated with Currie’s death five years later.

13 On the afternoon of Tuesday, 5 December 1933, a group of ten men assembled around a radio in the lobby of the King Edward Hotel in Pincher Creek, Alberta. They were a small group, but, as they described themselves, “representative of not only His Majesty’s war-time Forces, but many different walks in civilian life”4. They were only one of the many groups of Canadians across the country who tuned in to the Canadian Radio Broadcast Commission (CRBC) that afternoon to listen to the broadcast of the funeral service for Currie, who had died on 30 November 1933 as the result of a stroke suffered three weeks earlier5. They all heard the announcer read:

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Today Canada is laying to rest one of the most eminent men of this generation […] the professors in their robes, the students and the graduates are taking the body of their Principal to the Campus of McGill. There, in front of the old grey buildings, the casket is placed upon a gun-carriage; the Union Jack is draped over it, the naked sword and khaki cap are placed upon it, and for the last time the devoted Corps Commander is in the midst of his devoted men. The minute guns boom out in an artillery salute; he does not hear them6.

14 With the CRBC announcer setting the stage for the many Canadians participating vicariously, more than 200,000 people lined the procession route from Montreal’s Christ Church Cathedral to the McGill campus; from the campus to the Cartier Monument, where Currie received a final salute; and from there up to Mount Royal Cemetery, where his body would be laid to rest7. Thousands more marched in the procession : To the accompaniment of pipers and drums and brass bands, regiment after regiment, each one preceded by its own battalion war veterans, marched past the bier saluting it as they went by. […] It was a mingling of khaki and civilian-clad men; but with the approach to the end of the long column came the main body of veterans of the Great War […] They were again the well-disciplined soldiers whom Sir Arthur Currie had led, the men who had seen the war from Ypres to Mons8.

15 Three hours after the head of the procession left the McGill campus to the echoing sound of a seventeen-gun artillery salute, the coffin reached the graveside9. Microphones picked up the words of the burial service. Then, at a low word of command spoken in Montreal, the little band of men in Pincher Creek rose to attention and the bugle calls — “the and the Reveille” — rang out from the graveside and across the nation10.

16 The tributes to Currie published in the major Canadian newspapers in the days between his death and the public funeral had emphasized both his military success and his continued public service for veterans and at McGill, painting a picture of Currie as a civilian who had stepped up in the hour of need and who had returned after the Armistice to continue to serve the nation. The structure of the funeral service also emphasized Currie as a citizen-soldier, with the civilian funeral at Montreal’s Christ Church Cathedral followed by a military procession to the graveside service, which was presided over by Archdeacon John Almond, the former Senior Protestant Chaplain to the Canadians Corps11. Because this was the popular understanding of Canadian Great War soldiers more generally, viewing Currie as another citizen soldier facilitated identification with him12 (SHARPE 1988; WOOD 2010: 210ff). Nor was this the only way in which Currie became emblematic of the broader Canadian war experience. Currie had been one of the “Old Originals” to enlist in the autumn of 1914 and the record of his war service was the record of the men he had commanded — in this way, Currie had been with the men almost everywhere they had fought and died on the Western Front. Those who had lost friends and relatives during the war could, by participating in the various local and national memorial activities, be linked symbolically to their own lost loved ones in Flanders and France. As Currie’s body lay in state, among the hundreds who filed past, some reaching out to touch his hand, were the mothers of soldiers13.

17 For veterans, Currie was one of their numbers. Although there were those who bore resentment toward the high command, there were others who were convinced that Currie had done his best for them under difficult conditions. Recorded in the McGill University Archive is the story of one veteran, “Mac”, who travelled from Eastern Ontario to attend the funeral because Currie was a “real guy — a real Canadian” who

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had “risked his own job to keep a whole host of Canadians from going to their own funerals in August, 1918”14. Currie’s advocacy on behalf of pension reform and his involvement, however honorary, with the Canadian Legion and the Last Post Fund (a charity which provided burials for veterans who died in poverty) also raised his standing among veterans. For veterans too, Currie could be a symbolic figure linking them to their war service and their fallen comrades. Tributes to Currie were often a recitation of the victories of the Canadian Corps, victories of which veterans could rightly feel themselves a part. Several veterans’ groups were among those who suggested that Currie be buried in the Peace Tower, a suggestion that was impractical but nonetheless indicative of the iconic status that Currie had assumed15. On the day of Currie’s funeral, the front page of the Toronto Globe, which had been carrying tributes to Currie since his death, instead displayed photographs of the great memorial under construction on Vimy Ridge16. Finally, although veterans had been playing a larger role in Remembrance Day commemorations, the memorial events associated with Currie’s death provided another opportunity to gather with fellow veterans to remember the war — although such events arose relatively infrequently, Haig’s 1925 tour, the 1934 Canadian Corps reunion, and the 1936 Vimy Pilgrimage also attracted large numbers. These events were similar opportunities for veterans to gather, renew old associations, and to remember, both publicly and privately (BROWN and COOK 2011: 37-54; LLOYD 1998: 181-183, 192-193, 198-208; MURRAY 1936; SCOTT 1934; SCOTT 1996: 35-40; VANCE 1995: 327-344).

18 The public mourning for Currie took place on an unprecedented scale. A memorial service was held, with the Canadian government’s blessing, at Westminster Abbey the same day as the funeral in Montreal. Hundreds of floral tributes were received and the dignitaries present at the funeral included the Governor General, the Earl of Bessborough; Prime Minister R.B. Bennett and Leader of the Opposition Mackenzie King; L-A. Taschereau, the Premier of Quebec; and official diplomatic representation from Britain, France, the United States and Japan17. Sir Robert Borden recorded that the ceremonial for Currie “was perhaps more elaborate than at any state or military funeral in the history of Canada. Neither Sir John A. Macdonald nor Sir Wilfrid Laurier received such a tribute. The future historian will have to judge whether Currie’s service was comparable with theirs.” (quoted HYATT 1987: 144) Impressive as Currie’s personal achievements and service were, his funeral in some ways became a collective memorial for the 60,000 war-dead. Currie was being honoured for the achievements and sacrifices made by Canada during the war. Canon Scott, the well-known and well-respected Senior Chaplain of the 1st Division made this point clearly at one of the Toronto veterans’ memorials held for Currie, telling the assembled crowd: Sir Arthur was a Canadian first and foremost. We all felt that. He was one of us. To us, he was the impersonation of Canada. And today it is as our greatest Canadian that we mourn for him. He has placed an ideal that is distinctly Canadian high up in the Hall of Fame. Surely “failing hands” have thrown to Canada a torch which, in honour to her great dead, she must ever hold high18.

Canon F.G. Scott (1944)

19 But Sir Arthur Currie was not the only iconic figure to emerge from the Great War. Canon Frederick George Scott was himself another. Like Currie, Scott was an ‘Old Original’ who had served for four years at the front. An Anglican clergyman and

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volunteer militia chaplain before the war, Scott had been with the CEF since Valcartier. His work as a brigade chaplain and later the Senior Chaplain of the 1st Division took him into tents, dugouts, aid stations, hospitals, and YMCA huts, where he met and comforted thousands of Canadian soldiers. Not shying away from the front, Scott was mentioned in Dispatches four times and awarded the Distinguished Service Order in 1918; he was wounded by shrapnel during the battle for the Canal du Nord in September 1918, six weeks before the Armistice. Three of his sons also saw service overseas, one of whom was killed in action.19 Demobilized in 1919, he returned to his parish, St. Matthew’s Church in the heart of Quebec City.

20 A published poet before the war, in 1922 Scott published The Great War as I Saw It, a memoir of his war experiences. It was serialized in full by the Toronto Star and portions were printed in fourteen other Canadian dailies, reaching an even wider audience (McGOWAN 2014: xxx). More than 4,500 former soldiers signed Scott’s copy of the book, a testament to his popularity among veterans and to the strength of the impression he had made during the war.20 Briefly appearing against orders at the 1919 Winnipeg General Strike in an attempt to calm the situation, Scott remained a vocal advocate for veterans throughout the inter-war period and spoke out against the social problems exacerbated by the Depression, using his post-war popularity to advocate for social reform21 (PULKER 1986). He too was a popular speaker at memorial services, war memorial dedications, and veterans’ gatherings, including the 1934 Canadian Corps reunion22 (VANCE 1995: 336-337; SCOTT 1934). Although, to the dismay of many, he played no official role in the 1936 Vimy Pilgrimage, he wrote several reflective columns during the event for the Toronto Star and took part in an unofficial ceremony which scattered the ashes of wooden crosses that had once marked the graves of Canadian soldiers on the base of the newly-dedicated monument23. Although he was seventy- eight when war broke out again later that year, Scott — who remained the honorary chaplain of the Royal Rifles of Canada — immediately offered his services to the government, which respectfully declined. He nonetheless put out a booklet of war poems in 1941, the royalties of which were donated to the Queen’s Fund for the relief of British civilian war victims (SCOTT 1941).

21 In the decade between Currie’s death in 1933 and Scott’s in 1944, the immediacy of the Great War experience continued to fade, but the individual and shared memories of the conflict retained some of their power. The 1936 Vimy Pilgrimage took 8,000 veterans and family members to France for the unveiling and dedication of the Vimy Memorial, a ceremony which was broadcast nationally by the CRBC. As a battle, Vimy had long been considered a crowning national success, the first time the four divisions of the Canadian Corps had fought together and the first in a series of Canadian victories that ultimately led to Mons. The dedication ceremony itself was an important assertion of Canadian sovereignty and national feeling, with the King, who had served briefly during the war with a Canadian unit, proceeding to France by Canadian invitation. During the ceremony, ‘O Canada’ was treated as a distinctive Canadian anthem, joining ‘God Save the King.’ For many, this was a culmination of a process begun on the battlefields, first recognized with Canada’s independent signature on the and finally enshrined by the 1931 Statute of Westminster (MURRAY 1936; VANCE 2007: 265-277; VANCE 1997: 56-60, 67-70, 233).

22 As the threat of war loomed again in Europe in the following years, the memory of the Great War was harnessed for other purposes. The winged figures of liberty and peace

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were lowered in place atop the arch of the National War Memorial in Ottawa by Prime Minister Mackenzie King on 30 September 1938, the same day that Neville Chamberlain and Adolf Hitler signed the Munich Agreement. “The two figures of liberty and peace are now in place,” King declared, describing both the action and expressing Canada’s hope for a lasting European peace, arrangements at the almost-completed memorial having been “deliberately speeded up […] so that this day would mark Canada’s feeling concerning the peace pact in Europe.” King made no reference to the war that the memorial was intended to commemorate24. The memorial was dedicated on 21 May 1939 by King George VI as part of the Royal Tour, an important reminder of the ties that had drawn Canadian soldiers to war in 1914 as it became increasingly clear that Munich had not brought “peace for our time”25.

23 From September 1939, another World War called for renewed Canadian resolve and sacrifice. Recruits for the new war now stood behind the Great War veterans as the two minutes of silence in memory of those who had “‘trod the path to victory’ in the Great War” was observed26. All were aware that some of these recruits would join the ranks of the fallen before peace returned. In 1940, the national Remembrance Day ceremony was held for the first time at the memorial that had been dedicated the previous year — the ceremony was curtailed, lasting little more than five minutes, including the two minutes of silence. At this point, the Great War was no longer singular in the national consciousness, and, in 1942, Remembrance Day ceased to be a federal holiday to avoid slowing war production. The ongoing struggle and the more recent Canadian casualties were superimposed on the Canadian memory of the Great War. After the end of the Second World War, the two would become linked in stone, with the dates 1939-1945 added to the existing memorials.

24 Although Scott, who continued to be known as “Canon Scott” despite his elevation to the archdeaconate in 1925, was not as influential or conventionally famous as Currie had been, he was nonetheless a significant figure in the war experiences of thousands of Canadian veterans and was known more generally through his writing and social advocacy. When he died of pneumonia in a Quebec City hospital on 19 January 1944, his passing was announced in newspapers, large and small, across the country27. These announcements were brief, unlike the frontpage eulogies that had run during the days following Currie’s death, because the significance of Scott’s life and death were in the personal experiences and encounters. Unlike Currie, who had, in some ways, stood in for the Canadian Corps, the story of Scott’s life and war service were not recounted. Nonetheless, in Quebec City and Montreal, where a two-part funeral service was held, thousands of friends and veterans lined the sidewalks, marched through the streets, and packed the churches to pay their respects. Honoured with a military burial, in attendance in Montreal were Major-General Eugène Fiset, veteran of the Boer War and Great War and Lieutenant Governor of Quebec; the officer commanding the Quebec Military District; officers of National Defence Headquarters and the General Staff; and representatives from Col. J.A. Ralston, Defence Minister, and C.G. Power, Air Minister, both veterans of the Great War. Scott’s casket, draped with the Union Jack that had been his altar cloth in Flanders and France, was attended by the senior Protestant chaplain of the current war and by serving members of the Royal Montreal Regiment and the Royal Rifles of Canada. Two of Scott’s war poems were read as part of the service and a rifle salute was fired over the grave28.

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25 While public mourning for Currie in 1933 can be compared to that of Field Marshal Earl Haig in 1928 in terms of time period, the extent of the public reaction, and the way both generals were treated as symbolic figures representing the wider war experience (TODMAN 2003), there is no easy comparison either in Britain or the other Commonwealth countries for the significant level of mourning for Scott. Woodbine Willie (Geoffrey Studdert Kennedy) was arguably Britain’s most popular wartime chaplain and his post-war career paralleled that of Scott, but Kennedy died in 1929. His funeral was attended by more than 2,000, with thousands more lining the streets (WALTERS 2008: 2, 9-21). In smaller centres and in the middle of another war, the events surrounding Scott’s death — the funeral in St. Matthew’s Quebec City; the transportation of the body by train to Montreal; and the memorial service held in Christ Church Cathedral before the private burial — all attracted large crowds, although the numbers and composition are impossible to determine with any certainty.

26 Unlike public mourning for Currie, which took place within a relatively contained period of time between Currie’s death and his funeral, memorial events held for Scott took place over a longer period of time. There are references to memorial services, largely but not exclusively organized by veterans’ groups, being held in Ottawa (January 1944), Quebec City (January 1944), Vancouver (spring 1944), Toronto (March and June 1944), New York (April 1944), and two in London, Ontario (November 1944). Two veterans’ magazines, The Legionary and The Torch, published tribute editions in February 1944, and there is evidence that individual Legion branches also organized services or paid tribute during a normal meeting, but these smaller tributes are more difficult to trace unless they were particularly brought to the attention of the family.

27 Hundreds of letters were received by the Scott family in the months following Canon Scott’s death, many of them from veterans’ groups and Legion branches or from individual veterans who mentioned having met Scott while serving overseas29. One ex- serviceman wrote: I with so many others, first met your father in the front-line trenches of the last war […] his parting words were always of a cheery nature and on and on he traveled to pay his visit to other comrades. It seemed that every dug-out he visited became a home, rather than a borrowed dwelling. […] I thank Canon Scott and have a thousand times for sharing our troubles, at times our misery during and after battles, and for sharing and contributing to our joy and comfort30.

28 Others knew Scott by reputation and through his writing. Another veteran noted: I am one of that vast multitude of men who loved your father and respected him above all others. He was a legend to those of us who served in the ranks, but serving in the Third Division, I did not get to know him personally. Then a friend in Montreal gave me his book “The Great War As I Saw It” and from then on I was another disciple. […] All old soldiers will be present at the funeral in spirit and we shall always remember him as Canada’s most loved son31.

29 Like Currie, Scott was a citizen-soldier who had returned to Canada in the post-war period and continued to serve its people. And, like Currie, Scott served as an important link to the experiences of the Great War. But, unlike in 1933, when the Great War experience was singular in the national consciousness and the nation-wide mourning for Currie seems to have represented, at least on some level, part of the larger Canadian experience, when Scott died in 1944 the memory of the Great War was part of a larger narrative which included the ongoing sacrifices being made during the Second World War.

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30 By the time the first Book of Remembrance was dedicated and placed in the Peace Tower’s Memorial Chamber, there was already need of a second one. In contrast to this larger narrative of war and sacrifice, which was increasingly bound together at a national level, replacing the particularity of the Great War at Remembrance Day observances, the distinctive memory of the Great War had once again become primarily a matter of personal observance. In the middle of the Second World War, the memory of the Great War as a distinctive event was being acted out on an individual and local scale by those who had been most affected by it. In part because of his personal encounters with thousands of Canadian servicemen during the war and veterans after it, Scott was an iconic figure that loomed large in memories, even a quarter-century after the Armistice, and his death was an occasion for Canadian Great War veterans to recall, both individually and as part of a larger community of memory, their own experiences. In contrast to the localized remembrance of the early 1920s, when almost all could recall the war experience in their own way, the community involved in remembering the Great War in the 1940s was much smaller and increasingly restricted to those who had survived the trenches as the more immediate experience of war re- shaped the wider Canadian collective memory.

Conclusion

31 After the guns fell silent in Europe on 11 November 1918, the long process of adjustment and mourning began. It took time for individuals to come to terms with the legacy of the previous four years and their own personal losses. This paper has used two events, the death of General Sir Arthur Currie and that of Canon F.G. Scott, to illuminate elements of the evolution of the Canadian memory of the Great War at two key stages. The focus on formal and public expressions and the involvement of veterans in both events has left largely unexplored the private grief of those who lost loved ones and how this changed across the period, but the archival record is unfortunately silent on this matter.

32 This paper has also been unable to examine more than briefly the evolution of local and national commemorative rituals, a subject which remains a major and regrettable gap in the Canadian historiography. In the first decade after the war, it was these local commemorations that did the most to shape the Canadian memory of the war. By the time of Sir Arthur Currie’s death in 1933, the collective memory of the Great War was being acted out on a larger scale, with an increasing emphasis on national figures, themes, and commemorations. This process was facilitated by a number of factors, including the increased lobbying power of the Canadian Legion after 1925, the 1931 government decision to make Remembrance Day a federal holiday, and national broadcasts of commemorative events, including Currie’s funeral and the dedication of the Vimy Memorial. This process continued until the threat of another European war caused the memory of the Great War to be co-opted for other purposes, and the outbreak of the Second World War added a new generation of sacrifices and meanings to the older commemorative forms. But, as the expressions of mourning at the death of Canon Scott show, the memory of the Great War maintained its importance for those who had been most directly affected by it, although this memory had once again become a matter for local and individual commemoration.

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NOTES

1. Interestingly, Hale writes as though the Book of Remembrance were already in place although, at the time she was writing, a Bible given in 1928 by the Prince of Wales was being used as a placeholder until the Book itself could be completed. 2. Coverage of the national ceremony in Ottawa was traced for convenience through the digitized Toronto Globe (Globe and Mail after 1937) from 1914-1944. At time of writing, digitalization of local newspapers was less advanced and sufficient information for this general survey was obtained through the Globe. 3. Although the Toronto Star also covered the ceremonies, coverage in the Toronto Globe (later Globe and Mail) is more consistent for the period 1919-1944. 4. Library and Archives Canada (LAC), Bennett Papers: microfilm 3186, 0615878. 5. The letter about the group in Pincher Creek is the only one preserved. A cover letter from the CRBC Director of Public Relations indicated “hundreds” of letters, presumably appreciative, were received about the Currie broadcast and only one was forwarded to the PMO as representative of the others received (LAC, Bennett Papers: microfilm 3186, 0615890). 6. (Jan. 1934), “The Funeral of General Sir Arthur Currie,” Canadian Defence Quarterly, 11:2, pp. 156-158; also LAC, R1190-36-2-E, vol. 242, file 11-37-11. 7. The crowd was estimated at 200,00 along the small portion of the procession route along Sherbrooke Street from Mansfield to Bleury. All photographs show large crowds along the whole procession route, but no other estimate of the overall crowd size was found in the materials surveyed (Montreal Herald, 6 Dec 1944: 3). 8. Toronto Globe, 6 Dec 1933: 1-2. 9. Ibid. 10. LAC, Bennett, microfilm 3186, 0615878

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11. In particular Calgary Herald, Halifax Herald, Montreal Herald and Gazette, Ottawa Citizen, Toronto Globe and Star, McGill Daily, Le Devoir. Also McGill News Dec 1933; Canadian Defence Quarterly Jan 1934; Queen’s Quarterly Spring 1934. McGill University Archives (MUA) has a scrapbook of British obituaries; coverage is similar, albeit with more focus on Currie’s military achievements, particularly Passchendaele. 12. MUA, Urquhart, File 13 13. Toronto Star 4 Dec 1933: 1-2. 14. McGill University Archives (MUA), Currie scrapbook. 15. Preserved telegrams making the request arrived from the British Campaigner’s Association (Victoria);19th Batt. Branch Canadian Legion (Toronto); and Premier T.D. Pattullo of British Columbia, who mentions having received many requests to this effect, but not who made the requests (LAC, Bennett, microfilm 3186, 0615863 and 0615873-4). 16. Toronto Globe, 5 Dec. 1933: 1. 17. For a list of more than 170 organizations which sent floral tributes, see the list in “Homage Shown by Floral Tributes,” Montreal Herald, 5 Dec 1933, p. 5. For more information about the mechanics of the funeral itself, including a seating chart and other arrangements, see MUA, RG 7, Box 52, File 957, Currie Funeral File. 18. Toronto Globe 4 Dec 1933: 1-2; see also Toronto Star 4 Dec 1933: 2. 19. W.B. Scott was invalided out of the CEF for an eye wound in March 1915. Elton Scott joined the artillery in 1916 and was badly gassed badly at least once. H.H. Scott died near Albert on the Somme in October 1916 — the most famous passage of The Great War as I Saw is Scott’s account of finding his son’s battlefield grave, pp. 154-185. 20. The second edition, published in 1934, contained a printed list of all those who had signed to that date. Scott’s signed copy is held by LAC in the F.G. Scott fonds. 21. McCord Museum Archives (MMA) P229; LAC MG30-D211, vol. 28. 22. MMA P229. 23. See Toronto Star: “Vimy Veterans Thrill to Old War Memories,” 25 July 1916, pp. 1-2; “Recall Old Landmarks Though War Scars Fade,” 27 July 1933, pp. 1, 7; “Archdeacon Scott Sees Hatred, Suffering Erased,” 28 July 1936, pp. 1-2; “War Scars Have Vanished from Somme Countryside”, 31 July 1936, p. 14. 24. Toronto Globe and Mail 1 Oct 1938: 2. 25. Toronto Globe and Mail and Star 22 May 1939 26. Toronto Globe and Mail 13 Nov 1939: 3 27. Clippings about Scott’s death, funeral, and/or local memorial services from more than ninety different publications, both English and French, from every province are preserved in MMA P229, Box 7. 28. Toronto Globe and Mail and Star 19-24 Jan 1944 29. MMA P229, Box 7; LAC MG30-D211, vol. 28, Box 7. 30. LAC MG30-D211, vol. 28, letter N.E. Pengelly to F.R. Scott, 20 Jan 1944. 31. LAC MG30-D211, vol. 28, letter E.A. Belding to F.R. Scott, 21 Jan 1944.

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ABSTRACTS

Canadian public memory of the Great War was initially fragmented, centered around specific locations and events, before becoming more nationalistic in the 1930s. After the outbreak of the Second World War the public memory became more distant still from the experience of 1914-1918 although specific commemorations of the war remained most meaningful to those who had been directly affected. This paper looks briefly at Armistice/Remembrance Day rituals and uses the public funerals of two Great War heroes, General Sir Arthur Currie (1933) and Canon F.G. Scott (1944), to illustrate the changes in Canadian public memory after 1918.

Jusqu’aux années 1930, on peut remarquer que la mémoire canadienne de la Grande Guerre était fragmentée et basée sur des lieux et événements particuliers. Par la suite, elle devient plus nationaliste. Avec la Seconde Guerre mondiale, la mémoire collective semble s’éloigner à nouveau du souvenir de 1914-1918. Pourtant sa commémoration reste importante pour ceux qui ont été directement touchés par cette Grande guerre. Cet article analyse les rites commémoratifs du jour du Souvenir au Canada et s’appuie sur une observation des obsèques publiques de deux héros canadiens, le Général Sir Arthur Currie (1933) et Canon F.G. Scott (1944), pour illustrer les changements qui s’opèrent dans la mémoire collective après 1918.

INDEX

Mots-clés: Canada, Grande Guerre, commémoration, mémoire, vétérans Keywords: Canada, Great War, commemoration, memory, veterans

AUTHOR

MELISSA DAVIDSON Melissa Davidson is a PhD candidate in history at the University of Ottawa. Her dissertation uses the Canadian churches as a way to examine life on the Canadian home front, including questions of patriotism, bereavement, and a developing national social conscience. This work follows from her MA work at McGill, where she examined the reaction of the Church of England in Canada to the war. Portions of this work have been published as an essay in the collection Canadian Churches and the First World War (Pickwick Publishers, 2014).

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Bearing the Burdens of Their Elders: English-Canadian Children’s First World War Red Cross Work and Its Legacies Porter le fardeau des aînés: le travail bénévole des enfants canadiens durant la Première Guerre et au-delà

Sarah Glassford

1 In October 1915, registered nurse Emily Holmes-Orr organized eleven boys and girls under the age of thirteen from the hamlet of Northgate, Saskatchewan into a formally chartered branch of the Canadian Red Cross Society (CRCS). Northgate is located on the Canada-United States border, and at that time lacked the customary institutions of both school and church. Holmes-Orr recalled in the 1930s that, in the absence of these institutions, “the older people” in the hamlet believed Red Cross work “would bring something unselfish into the lives of the children. It would train them, no matter how tiny they were, to help bear the burden their country was bearing1.”

2 Similar references to children’s voluntary war work for the Red Cross and other war charities began appearing in newspapers mere weeks into the First World War (1914-18). By the end of the war, Canadian youth had proved themselves worthy and vital sources of much-needed money and labour. By drawing on fragmentary surviving evidence, this article explores the untold history of English-Canadian children’s wartime work for the Canadian Red Cross Society. It considers young people’s symbolic contributions (particularly an image of “all ages” support) to both Red Cross work and the wider war effort, as well as their specific material contributions of goods, money, and voluntary labour. The article then follows the legacies of children’s war work through to the Second World War (1939-45) in order to assess their long-term impact.

3 English-Canadian children bore the war-related burdens of their elders three times, from the 1910s to the 1940s. First, they were called upon to help shoulder the load of voluntary war work in a global conflict not of their own making. Canadian society

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during the First World War was marked by intense social pressures on the home front. For those ineligible to enlist in the military, this included the pressure to serve and sacrifice for victory in other ways. At the same time, early-twentieth century Canadian adults understood children and youth as able workers and citizens-in-the-making. These two factors combined with young people’s own enthusiasm and interest in the war situation to actively engage children and youth in wartime voluntary work. Young people were further burdened during the 1920s and 1930s by the heavy weight of interwar adult idealism, which saw in the children of these decades the potential to redeem the world their parents and grandparents had broken.

4 After the 1918 Armistice, the example of children’s Red Cross war work influenced the creation of the interwar Junior Red Cross program, which was meant to create a generation of healthy, service-minded, internationalist children – thereby helping adults atone for the devastation of the First World War. Yet a mere twenty years after its creation, the JRC would in turn ask children to bear the burden of war, when it deliberately mobilized them for voluntary war work in the Second World War. English- Canadian youth did not cause the Great War, but through their involvement with the Canadian Red Cross Society successive generations of them bore both its tangible and intangible burdens.

Beginnings: Young People, War, and the Red Cross

5 Only recently has the vast historiography of the First World War extended to include children in any meaningful way, influenced by the growth of children’s history as a subfield of its own. Studies covering wartime voluntary work by Annie Campbell on Australian children, Rosie Kennedy on British children, and Charlotte Bennett and Jeanine Graham on New Zealand children, make it possible to consider the Canadian situation in an international (and specifically British Commonwealth) context (CAMPBELL 2004; KENNEDY 2014; BENNETT 2014; GRAHAM 2008). Kristine Alexander’s chapter on Canadian girls in the Great War, as well as work by Tim Cook, Dan Black, and John Boileau on underage enlistments in the Canadian Expeditionary Force make it clear that young people were active participants in the conflict, on both the home front and the battle front (ALEXANDER 2012; COOK 2008; BLACK and BOILEAU 2013). Susan Fisher’s study of Canadian children’s wartime reading offers a valuable cultural context for understanding youthful engagement in the war effort, situating their war work in the realm of ideas promulgated by school texts, youth periodicals, and war fiction (FISHER 2011). Yet the experiences of young Canadians in the war remain more unknown than known. Focusing on children’s involvement with one voluntary organization allows for a clearer and more detailed picture to emerge of one aspect of young English-Canadians’ experiences of the First World War. The Canadian Red Cross Society (CRCS) is an ideal choice because, as Canada’s second-largest war charity and leading humanitarian aid organization of the Great War, it was a household name, active in all regions of the country. Its continued role in Canadian society to the present day has produced a relatively substantial archival record of its history, making it possible to successfully trace change over time, and broaden the context in which youthful war work is understood.

6 The international Red Cross movement began organizing charitable aid to the sick and wounded in wartime with the first Geneva Convention of 1863. Its basic principles,

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however, were shaped by its Swiss founders Henry Dunant and Gustave Moynier. Dunant’s brush with the carnage of the 1859 Battle of Solferino in led him to advocate voluntary societies in each nation trained to provide efficient battlefield aid to the sick and wounded. Moynier’s background in philanthropy and social reform made him the architect of the international movement that would convert this vision into reality. Dunant, Moynier, and their colleagues on the International Committee of the Red Cross (ICRC) focused their advocacy and organizational work on adults: monarchs, politicians, diplomats, military leaders, and wealthy philanthropists. Internationally, children would not become widespread participants in Red Cross work until the First World War, but the rhetorical framework for them to do so existed from the beginning. In his influential 1859 book A Memory of Solferino Dunant praised the spontaneous nursing he saw done after the battle by both young girls and older women. He called for men and women, rich and poor, monarchs and servants, writers and generals, “every nation, every district, and every family” to take up the cause of suffering humanity in wartime (HUTCHINSON 1996: 11-12, 17, 20-24).

7 The Canadian Red Cross Society – Canada’s contribution to the array of national aid organizations envisioned by Dunant – was founded in 1896 with a narrow mandate to aid the sick and wounded in wartime. After a modest but successful first humanitarian effort in the South African War (1899-1902) the Society was reorganized in 1909 with an Act of Incorporation by the Canadian parliament that officially recognized it as an auxiliary to the military medical service in wartime. Although the CRCS was small and unprepared for the outbreak of war in 1914 it rapidly expanded thanks to grassroots enthusiasm and women’s desire for socially acceptable means of participating in the war effort. By January 1915 the Society was well established as one of the principal channels for Canadians’ patriotic support of their enlisted friends, loved ones, and fellow citizens. The Society’s ties to the British Red Cross Society and the neutral Geneva-based ICRC gave it access to Canadian sick and wounded in Britain, France, and Belgium, as well as to Canadian Prisoners of War (POWs) in enemy hands. For four years, Canadians gave their time, money, and skills to the Society, allowing it to provide hospitals, ambulances, comforts and recreational facilities, invalid foods, medical supplies, POW food parcels, and a tracing service for the missing and wounded. The war years developed an enduring relationship of trust between Canadians and their Red Cross, established the CRCS as a truly national organization, and led the Society to expand its mandate into peacetime public health work beginning in 1919 (GLASSFORD 2016: ch. 1-4).

8 The first known instance of young people’s involvement with the Canadian Red Cross comes from the South African War. Miss Adelaide Clayton, a teacher of English and Moderns at the Collegiate Institute in St. Mary’s, Ontario, organized her female students as the “St. Mary’s Maple Leaves” – a club that raised money for the Red Cross. The club sent $341 to CRCS headquarters from April to June of 1900, $300 of it raised by a very successful bazaar. A faded photograph badly reproduced in a magazine 37 years later shows at least 40 high school aged young women (and one boy of 10 or 12 years old in the foreground) formally posed in front of small table-and-chair groupings set for tea. At least one Union Jack flag is visible, and many of the girls sport a homemade red cross armband over the left sleeve of their blouse or shirtwaist2.

9 The St. Mary’s Maple Leaves are of interest not only for being the first and only known youth to work for the CRCS before the Great War, but because even the small amount of

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surviving information about them conveys striking similarities with young people’s later Great War involvement with the Red Cross. First, they were formally organized by an adult, but on her own initiative, not through the CRCS. Second, they were organized through an existing institution – their school. Third, their activities were not significantly different from those of adult Red Cross volunteers. Fourth, their efforts produced substantial results: the $341 of 1900 is equivalent to more than $7,269.00 today3. Fifth, the students’ Red Cross work was linked to patriotism (as their name and the decorative flag in the photo suggest) – at least their teacher’s patriotism, if not necessarily their own. Miss Clayton explained her decision to start the club as one sparked by her own heritage: since her grandfathers had been English army officers, the Canadian and British participation in the South African War “aroused [her] British blood4.” All of these characteristics would reappear during the First World War.

The Opportunity of a Lifetime? English-Canadian Youth and the Great War

10 As in the South African War, during the First World War the Canadian home front was geographically a world away from the battlefields. However, as Jeanine Graham argues with respect to New Zealand, “distance did not mean detachment,” and instead “the dominant ethos was of a collective crusade” (GRAHAM 2008: 431-432). The idea of a total mobilization of the population emerged early in the war. Lord Roberts, one of Britain’s most successful nineteenth-century military commanders, stated within the first months of the war that “men and women, young and old, rich and poor, all alike must place everything at the service of the state” [italics added] now that the British Empire was at war with the in Europe5. Total war required everyone’s participation, children included, and its ideologies of service and sacrifice permeated virtually all corners of society in the combatant countries (KENNEDY 2014: 2-3; FISHER 2011: 7-8).

11 Outside of French Canada, where French-Canadians’ own history as a conquered people made empire distasteful, Canadian schools of the pre-war decades relentlessly glorified the British Empire and Canada’s place within it. This left English-Canadian schoolchildren “primed to patriotically pitch in” when Britain declared war in August 1914 (MILLAR and KESHEN 2010/11: 4). An anonymous primary school teacher in Atlantic Canada inadvertently acknowledged this groundwork in an article about how to talk about the war in the lower grades. “Well we know that the subject must be discussed,” she or he wrote, “for the little ones are just as interested in the war news as their elders.” Like adults, children picked up war information from a variety of sources, reliable or not, and they were “burning with the desire to communicate said items to their schoolmates, and particularly to the long-suffering teacher.” Although some American school districts had decided to avoid the subject of war in the classroom on the grounds that it was too militaristic, this teacher believed it was “the opportunity of a life-time, no matter how deplorable the facts leading up to the event, to show children just how history is made.” He or she recommended reading high quality war poems, discussing ideas like valour and patriotism but discouraging hatred and flippancy, teaching about war leaders, and highlighting “the work of the Red Cross and Purple Cross Societies6.”

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12 Outside the classroom, even more powerful social forces were at work mobilizing children. For example, the students of Charlottetown, Prince Edward Island’s Prince Street School sang at a rally in Market Square to raise money for the British Red Cross on 21 October 1915. There they would have heard Colonel Peake’s address calling for churches and communities to create “dishonour rolls” for men who did not enlist in the military (rather than celebrating those who did) (DALEY 1981: 24). His blatant call for universal sacrifice and service could scarcely have been lost on his youngest listeners. Norah Lewis’s study of English-Canadian children’s wartime letters to the children’s pages of Canadian newspapers revealed overt expressions of patriotism and a firm belief in the justice and necessity of Canada’s involvement in the war (LEWIS 1995: 196). These youthful letter-writers had taken to heart the lessons of their elders, as promoted by Empire Day celebrations, school texts, patriotic poetry, war fiction, and the children’s pages of these same types of newspapers (FISHER 2011: ch. 1-7; PALKA 2012: 52). Rosie Kennedy further notes that although children were mobilized for war service by adults, they also mobilized themselves: “invented games and imaginative connections were made by children, alone and with each other, which contributed towards their understanding of the war and defined their relationship to it.” She argues that since “the war entered every aspect of children’s lives” – home, school, community, church, work, play, entertainment – it is not surprising that “they took the opportunity to contribute in the only ways they could” (KENNEDY 2014: 8, 19).

13 Within this context of total war, English-Canadian children, like children in New Zealand and Britain, participated in the home front side of the war in a variety of ways. These included raising money or creating comfort items for patriotic organizations, relief societies, and other war charities, purchasing war stamps and advertising war bonds, participating in thrift campaigns or victory gardening, writing letters to servicemen, composing patriotic essays, regulating their own behaviour and emotions so as to ease the burden on their parents and teachers, and taking part in soldier send- offs and welcome-home festivities, recruiting meetings, patriotic concerts, and other public spectacles related to the war (GRAHAM 433-436, 438; BENNETT 2014: 23-28; KENNEDY 2014: 83-119; ALEXANDER 2012: 185-189; FISHER 2011: 31-50; PALKA 2012: 52-72; RUTHERDALE 2004: 212; MILLAR and KESHEN 2010/11: 4-8).

14 Although the social and cultural context of total war is crucial to understanding the mobilization of young people for these types of wartime involvement, another element is important to keep in mind. In 1910s Canada, the active labour of children – either unpaid at home, or for wages outside of it – was not at all unusual, and more or less taken for granted among the rural and working classes. Although child-savers and other social reformers had made important in-roads toward regulating this work through child labour laws and compulsory school attendance legislation, young people still did farm labour, lived-in as domestic servants, worked in coal mines and factories, apprenticed in the trades, sold newspapers and shone shoes in the streets, cared for younger children, and filled a host of smaller needs, independently or alongside adults (BULLEN 1986: 163-187; FISHER 2011: 32). Since child labour was not seen as inherently bad in and of itself, it was therefore practically a foregone conclusion that young people would participate in voluntary war work. During the First World War young English-Canadians were mobilized alongside adults by a society that recognized childhood as a distinct life stage but did not yet believe this precluded children’s active participation in either waged or unwaged labour.

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Sifting Through the Fragments: Which Young People Did Red Cross Work and Why?

15 A combination of bottom-up child initiative and top-down adult leadership seems to have fuelled children’s Great War Red Cross work. The scarce and fragmentary nature of the surviving evidence makes it impossible to provide great detail about any single aspect or example, or to engage in any kind of systematic analysis of the age, gender, class, or racial/ethnic profile of the youth who engaged in it. However, a few basic points can be sketched here. First, the students of at least two residential or day schools for Aboriginal children participated in Red Cross work: an article in the CRCS Bulletin noted that a $21.00 donation from Carcross, Yukon in 1917 had been “largely subscribed by Indians and the children in the Indian Boarding School7,” while the File Hills Indian School was among the many Saskatchewan Junior Red Cross branches formed in 1918. The File Hills youth raised $122.10, significantly more than many of the Euro-Canadian branches8. Second, Red Cross war work required a certain amount of leisure time in which to volunteer, making it less feasible for those (for instance, older teens or rural youth) who had to work in paid employment or on farms. Nonetheless, working young people still participated. The Edmunston, New Brunswick Red Cross branch members proudly reported that they were formed in December 1917 by fifteen young women who “were all working girls.” The small branch managed to give a concert, sew and knit supplies, and pack Christmas stockings for soldiers before the end of the war (CLEMENTS 1919: 60).

16 Third, although the absence of statistics or membership records make it impossible to determine which age groups were most or least active in Red Cross work, word choices and affiliations offer a few clues as to the broader span of ages involved. Both “children” and “young people” are mentioned in connection with the work. Primary schools and Sunday schools (for students aged 5 to 13) as well as high schools (for youth aged 14 to 19) and formal Young Peoples’ groups (for those in their teens and early twenties) are all listed as contributors of money or goods. These facts suggest that Red Cross work engaged children from as young as 5 years old, right through to young adulthood. Fourth, the fact that much Red Cross work was gendered female – particularly sewing, knitting, and food preparation – inevitably drew girls into its orbit. Teenaged girls could easily participate in adult women’s sewing circles if they wished. An October 1914 story from England, printed in a Canadian Salvation Army Sunday school publication, even presented “playing Red Cross” as little girls’ alternative to the boys’ playground war games (FISHER 2011: 108-109). However, there is plenty of evidence that boys also worked for the Red Cross during the First World War in large numbers, either through organizations like the Boy Scouts, or in mixed-gender groups. And finally, no positive evidence has been located to indicate that Francophone children participated in Red Cross work – a finding that accords with Francophone adults’ less enthusiastic support of the overall war effort than their Anglophone compatriots (MILLAR and KESHEN 2010/11: 2). So, although it is impossible to say conclusively that no French-Canadian youth engaged in Red Cross work (and surely at least a few did), this article extends its arguments only to English-Canadian children.

17 At different points in the 1930s, the CRCS recognized two separate “founders” of the Junior Red Cross in Canada. They happen to illustrate two common ways children

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worked for the CRCS. One was Montreal artist and handicrafts promoter May Phillips, who organized a children’s auxiliary (an arm’s length affiliate of the Red Cross) at Greenfield Park, Quebec (near Montreal) in September 1914. The other was nurse Emily Holmes-Orr, who organized the Northgate, Saskatchewan children in a formal Red Cross branch, as discussed above (EASTON McLEOD 1999: 35; Editorial 1938: 3). Alternately, young people worked through their schools or church groups to raise money that they offered as a one-off donation to a local Red Cross branch, or participated individually or in small groups as part of adult Red Cross auxiliaries and branches. The seemingly widespread integration of youth into adult Red Cross work makes it impossible to get a clear sense of how many young people were involved, how much money they raised, or how many items they knitted or sewed. It also reflects the notion of the war as a national emergency that required everyone’s participation: the expectation that children would contribute to the war effort just like their elders likely encouraged the inclusion of young people in adult organizations and activities.

18 Yet, as Holmes-Orr’s recollections about organizing the Northgate children’s branch suggest, some adults perceived a value in segregating youth into their own volunteer groups. This value might be moral, as in the Northgate adults’ hope that Red Cross work would serve as an object lesson in “the real suffering of those who were so bravely fighting9.” It could also be quite practical. Novelist L.M. Montgomery’s fictional Anne Shirley Blythe (formerly of Green Gables) articulates the latter in Montgomery’s 1921 war novel Rilla of Ingleside. “Rilla, don’t you think you could organize a Junior Red Cross among the young girls?” Anne asks her 15 year-old daughter in 1914, when Rilla voices her desire to do something useful for the war effort. “I think they would like it better and do better work by themselves than if mixed up with the older people.” However, the practical and the moral could blend together. Rilla immediately associates her “Junior Reds” work with her determination to be “as brave and heroic and unselfish” [original italics] as she can (MONTGOMERY [1921] 2010: 69-70). Within the novel as a whole, Montgomery uses Rilla’s experiences with the Junior Reds to demonstrate her growing maturity, a trajectory that she further uses to symbolize Canada’s coming-of-age in the crucible of war (MCKENZIE 2008: 96-101).

Innocent, Merciful, Capable: The Symbolism of Children’s Red Cross Work

19 From the distance of a century, the most easily discernible involvement of young people with the CRCS is symbolic. The Red Cross work of children and youth was often heralded as proof of how broad a swath of the population had mobilized in support of the organization. Kristine Alexander rightly emphasizes the importance of gender in wartime propaganda – girls were a cipher for innocence, purity, and all things good (ALEXANDER 2012: 176-177) – but for the CRCS age was an important qualifier on its own merits. Contemporary descriptions of CRCS work often use contrasting pairs to display the organization’s wide appeal: women and men, city and country, rich and poor, old and young. A June 1917 editorial did just this in calling for Albertans to support their provincial Red Cross on 2 July: “the woman making a shirt … in her lonely homestead on the prairies; the children knitting in our schools,” as well as “the farmer giving his produce to be sold for the Red Cross; the city man making contribution from a hard earned salary,” were said to be “essential links in the great chain” of home front

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Red Cross work10. In this framework children and youth mattered as an abstract concept – age was no barrier to participation or enthusiasm in the great humanitarian mission of mercy – but this “all-ages” representation should not be conflated with either complete agency in young people’s participation, nor their access to positions of influence in the CRCS. No surviving evidence speaks explicitly about the degree to which young people directed their own efforts, but it seems reasonable to infer a degree of adult supervision and/or direction at least for children under the age of 12. No youth were active in the provincial or national executives of the CRCS, although at the branch and classroom level it is quite possible that young people exerted significant influence over their own activities.

20 Symbolically, what young Canadians did for the Red Cross mattered relatively little. The fact that they did something was the crucial point. In the wider realm of the Canadian war effort, as Fisher notes, the presence of children “lent their innocence to the enterprise of war” (FISHER 2011:10). The humanitarian mission of the Red Cross needed no such sanitization, but children’s perceived innocence nonetheless bolstered the established image of the organization’s work as a caring, life-sustaining endeavour (GLASSFORD 2008: 221). “Some day,” wrote the editor of the Saint John Standard children’s page in September 1918, “the children of all lands under the Red Cross will teach the grown up people the ways of understanding and of friendship” (PALKA 2012: 92). This theme would find traction in the revamped and expanded Junior Red Cross movement of the 1920s and 1930s.

21 The symbolic mobilization of children as capable, active workers in the war offers a striking counterpoint to the more common deployment of children as victims, whether real, imagined, or potential. The rumours of German atrocities in Belgium offer the best contemporary example: children with severed hands and babies bayonetted or tossed into wells by rampaging soldiers surely represented the ultimate image of vulnerable innocence (FISHER 2011: 8). Canadian children were well-versed in these atrocity stories, and adults “heavily encouraged” them to raise money or engage in other work for the Belgian relief effort (PALKA 2012: 78-79), which they did with great gusto. Two very different images of childhood converged, as the perceived victimization and vulnerability of Belgian children offered Canadian children an opportunity to demonstrate their contrasting strength and ability – in this case, by raising funds to help others.

Child Labour: Young People’s Active Engagement in Red Cross Work

22 Although young people played important symbolic roles in wartime, they were also actively engaged in home front war work. For instance, the reliance of war charities like the CRCS upon social events and public spectacles for much of their fundraising and publicity offered children a chance to participate as spectators and consumers. Young girls in costume as “Red Cross nurses” made decoratively appealing additions to any event, and thus were frequently deployed by adult event organizers. In a similar vein, Charlottetown’s Red Cross Fancy Dress Carnival of August 1915 was guaranteed to appeal to Prince Edward Island’s youth, since it combined the fun of dressing-up with the hoopla of a parade. Throngs of adults and children lined the streets as “gorgeously bedecked carriages carried elegantly costumed children”11 along the parade route and

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toward the parks and squares where costumed young women held Maypole dances. The event organizers also deliberately involved children in competitions, offering prizes for the best costumes and the most money collected in donations (DALEY 1981: 21).

23 The tangible results of children’s fundraising efforts first appear in the CRCS annual reports for 1915 and 1916, when several schools and Sunday school groups in Ontario and Prince Edward Island are listed as having each donated sufficient funds to purchase a motor ambulance for use overseas12. As the report from Netherwood School for Girls in Rothesay, New Brunswick makes clear, youthful contributions were by no means negligible: in addition to their regular school work and extracurricular activities, the girls raised $1,049.14 for their own and others’ Red Cross work, and sewed or knitted 2,952 individual articles (including socks, handkerchiefs, towels, bandages, and garments) between September 1916 and April 1919 (CLEMENTS 1919: 76).

24 The New Brunswick Division of the CRCS peppered the written history of its wartime work with references to youthful engagement. Moncton branch had a formal Junior Red Cross wing in 1917-18 that was quite active in fundraising, as did the Andover and Perth branch. In McAdam, “several children held a parlour concert and gave the proceeds to the Red Cross.” Schools, girls’ clubs, Young Peoples’ Associations, Sunday schools, and unorganized assortments of children are listed among the hundreds of donors to general Red Cross funds, as well as the sewing circles affiliated with the Red Cross. Four groups of youth were among those who donated $50 for a bed at one of the CRCS-built hospitals in Britain and France over the course of the war. Many more young people are probably hidden within the larger groups represented by church- and place-based entries like “Trinity Episcopal Church” or “Gagetown.” Young New Brunswickers were particularly active in collecting and sorting/grading sphagnum moss, which the CRCS needed to produce bandages in 1918 when there was a global shortage of absorbent cotton (CLEMENTS 1919: 9-12, 20-27, 42-43, 72, 75, 89).

25 Young people proved to be as versatile and creative as their parents and grandparents when it came to making the most of local resources and opportunities to contribute to Red Cross work. Like their New Brunswick counterparts, Nova Scotia youth waded through cold, wet, coastal bogs to gather moss, with Girl Guides, Boy Scouts, YMCA boys, schoolteachers with their pupils, and young people from local communities all pitching in. POWs were also a favourite focus for youthful Nova Scotian Red Cross work, with up to 22 schools and Sunday schools covering the costs of Red Cross food parcels for their “adopted” POWs by 191713. Schoolchildren in Victoria, British Columbia threw themselves into collecting waste paper which they then sold for recycling purposes. Of the nearly $4,000 they raised during the war years, a little over $1,300 went into the general CRCS war fund, followed by thousands more raised specifically to buy ambulances for service in France. Ontario children grew and sold enough potatoes in 1917 to pay for a CRCS ambulance of their own, while schoolchildren in Margaret, Manitoba grew potatoes in their schoolyard and donated the proceeds to a local Red Cross sewing circle (FISHER 2011: 35-37). Standard Great War-era fundraising activities like tag days, bake sales, teas, bazaars, and patriotic concerts would also have been employed by children. All in all, the surviving evidence makes it clear that, although naturally there would have been many examples of “occasional slackers and resentful foot-draggers” (FISHER 2011: 33) among English-Canadian children working for the CRCS, enthusiasm and/or dutiful dedication were also present in abundance.

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Mobilizing Youth for the Red Cross: The Case of Saskatchewan, 1915-18

26 From 1915 onward, Saskatchewan led the country in formally enlisting young people for Red Cross work. Although the Northgate children’s branch was the first to be chartered, it was joined in 1916 by chartered branches at Hoosier Consolidated School and Indian Head High School. By 1917 the province had seven fully-chartered youth branches. This grassroots growth was completely eclipsed in the following year, when Sir Richard Lake, the province’s Lieutenant Governor and President of the Saskatchewan Division of the CRCS, appealed directly to schoolchildren to help meet a million-dollar CRCS campaign goal in the spring of 1918. Many schools across the country had been contributing to the Red Cross for years, but this effort would prove to be different. Whereas the pupils of Montreal’s Protestant schools, for example, were “permitted” by their school board to work for the CRCS during school hours if they or their teachers chose (MILLAR and KESHEN 2010/11: 4), and 170 British Columbia schools had raised money under their own banner for the Red Cross and Patriotic Fund campaign in 1917 (FISHER 2011: 37), the Saskatchewan Division was now embarking on a top-down drive to enlist as many child workers as possible into defined “Junior Red Cross” branches, through the schools.

27 In his circular letter (later followed by supportive letters from the premier and minister of education) Lake encouraged each school or class to organize itself as a Junior Red Cross branch. Rural school inspectors strongly encouraged participation, and with the added enticement of certificates for the highest school contributions, virtually every school district in the province got involved. Robert Rutherdale explains that “as instruments of the state, public school classrooms in English Canada sought to promote a unifying sense of wartime nationalism,” and were not averse to allying with community organizations like the IODE14 or the Canadian Patriotic Fund 15 to do so (RUTHERDALE 2004: 212). Saskatchewan schools’ embrace of the Junior Red Cross (JRC) is therefore unsurprising. On the CRCS side of the equation, the practical reason for Lake’s appeal is obvious: from 1914 to 1917 schoolchildren in the province had already raised $56,074.16 for the Belgian Children’s Relief Fund and $25,499.22 for the Canadian Patriotic Fund. The province’s farm families were doing well thanks to soaring wartime wheat prices, and rural children had proven adept at channelling some of that prosperity into the coffers of two prominent war charities (SHEEHAN 1985: 69-70).

28 This deliberate, wide-scale, formal mobilization of children’s voluntary labour for the CRCS echoed the case in Australia, where Junior Red Cross Circles were formed in two communities in New South Wales within months of the outbreak of war, and quickly spread. There too, Juniors were formally mobilized through their schools for Red Cross fundraising and knitting (CAMPBELL 2004: 188). The Saskatchewan approach also mirrors developments in the United States, where American Red Cross leaders sent a circular letter to the nation’s schools in September 1917 encouraging the formation of Junior Auxiliaries now that the country had joined the war, and gained the support of leading educational authorities (IRWIN 2013: 260-261). Although there is no evidence that Saskatchewan CRCS leaders were aware of either the American or Australian movements, the similarities among them make it clear that during the Great War many adult Red Cross personnel – and educators – recognized children’s potential as a valuable labour pool suitable for voluntary mobilization. In Saskatchewan, the trouble

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taken to enlist children’s help paid off handsomely. The fundraising success of the 141 JRC branches for which figures were available when the 1918 CRCS annual report was printed varied from a humble 25 cent donation from the Bright branch, to the $729 raised by Orchard School District branch16. More than 300 JRC groups were organized in Saskatchewan in 1918, and by the end of December they raised $15,195.3317 for the Red Cross (SHEEHAN 1985: 70). The Alberta Division of the CRCS picked up on the idea, and during the course of 1918 established its own JRC groups in several communities, “in conjunction with the work of the Senior Local Branches” (LENT 1947: 26).

Interwar Atonement: The Canadian Junior Red Cross, 1919-39

29 The success of Saskatchewan’s school-based Junior Red Cross venture led the provincial Red Cross executive committee to conclude that this idea merited further development as a peacetime activity – and, in fact, that the future of the entire Red Cross in Canada might rest upon enlisting young people in the cause. Saskatchewan leaders envisioned revamping the ad-hoc wartime fundraising initiative as a complete program of health and citizenship education that would redirect children’s voluntary labour toward serving the needs of other children (SHEEHAN 1985: 71). The possibilities were not lost on CRCS leaders outside Saskatchewan. At the March 1920 annual meeting, Alberta leader Mrs. C.B. Waagen proposed that the CRCS deliberately engage children and youth in the Red Cross through special Junior membership campaigns and the creation of a JRC magazine18. By the following year’s annual meeting, the JRC as a school-based program was well underway in the three westernmost provinces, and planted in New Brunswick. Provincial Red Cross leaders consulted the Saskatchewan Division and their own local education experts as they developed the new peacetime program’s structure and resources19. In 1921 teacher and registered nurse Miss Jean Browne (formerly a very active member of the Saskatchewan JRC Committee) was appointed as the national JRC director. She also served as the editor of the Canadian Red Cross Junior magazine that first appeared in April 1922.

30 By 1921 the JRC had 68,000 members in six provinces: Alberta, British Columbia, New Brunswick, Ontario, Quebec, and Saskatchewan (still leading the way with 40,000 of those members). That same year the CRCS annual report called the JRC “probably the most promising side of the peace-time work of the Red Cross” and “the most hopeful educational agency” among the Society’s many new health promotion activities20. The peacetime JRC was not simply a Canadian organization (although the CRCS was one of several national Red Cross societies at the forefront of JRC innovation), but rather an international one, promoted by the new Paris-based League of Red Cross Societies. Although each national JRC determined its own activities, the League encouraged and coordinated the exchange of educational resources among them. All JRCs shared a motto – “I Serve” – and three core values: good health, service to others, and international friendliness/good citizenship.

31 The adult idealism driving CRCS investment in the peacetime JRC is apparent in the 1921 annual report’s section on the JRC. “When one considers the great influence of the acts and thoughts of childhood upon after life,” the Society asserted, “it will be realized what a telling power the [JRC] organization must have upon the coming generation21.” Education is always about moulding young minds in directions that adults deem best,

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but this impulse was amplified and made more urgent in the 1920s by the appalling losses of the Great War, and the collective sense that Western civilization had somehow failed by allowing such a cataclysm to occur.

32 As early as 1916, there were signs that the burden of redeeming this fallen world would be placed on the younger generations. “Great numbers of the ablest and best have already fallen on the field of battle,” wrote Dr. George R. Parkin in his message for Empire Day. “Their places must be supplied from our schools and colleges. To make these substitutes worthy to take up the work of those who have died is the task that our teachers must keep before their eyes22.” The CRCS organized its 1920s experiments in peacetime public health work around the idea of nation-building through health, and the school-based JRC held pride of place in this agenda. Through the “Health Game” (in which students tried to uphold ten health and hygiene rules), as well as its broader health education teachings and hands-on activities, the JRC aimed to shape a more physically robust generation of citizens. The service component of the program was seen as a way to transmit one of the few redeeming features of the Great War – the spirit of service and sacrifice it inspired – while the use of parliamentary procedure in child-run JRC branches was considered hands-on training in democratic citizenship. But the program was intended to foster not only good Canadian citizenship, but also good world citizenship. Through international correspondence and portfolio exchanges with other national JRCs and internationally-focused articles in the JRC magazine, the program aimed to foster international friendship among children – an initiative explicitly set forth as a peacemaking tool, and in line with the broader cultural internationalist movement of the 1920s (IRIYE 1997: 51-90; IRWIN 2013: 255-279; VALDES 2015: 1-14). Contemporary education officials valued this element of the program in particular. Alberta Minister of Education George P. Smith asserted in 1919 that “the most important work of the Junior Red Cross would be the moral education and training in citizenship which it provides” (LENT 1947: 29).

33 Historian Michael Barnett sees a pattern of atonement in the periodic surges of humanitarianism that characterized the twentieth and early twenty-first centuries. Such atonement was a “process of regeneration, purification, and restoration of a unity with humankind” after the painful recognition that this unity had been broken through distinctly un-humanitarian wartime acts (BARNETT 2011: 27). The slaughter of the First World War represented just such a crisis for the Western world, and in its aftermath the former combatants sought to repent and atone, as a memorial to the dead and a promise for the future. The Canadian JRC of the 1920s and 1930s was one such form of adult atonement. Canada’s myth and memory of the Great War revolved around the belief that the war dead gave their lives willingly in order to pave the way for a better future. Completing this task by building a better Canada, and a better world, was the debt Canadians owed them (VANCE 1997: 220, 258). Within this wider cultural framework of the war’s meaning, CRCS leaders understood the JRC as a forward- looking, living war memorial: the JRC would shape better children, and those children, as adults, would in turn create a healthier, more caring Canada, and a world of perpetual peace. “I always visualise that the best monument we can raise here in Canada to the men who fell in the war, is the building up of these better conditions,” wrote Alberta Division’s Mrs. C.B. Waagen in 192623.

34 In the eyes of its creators, the JRC’s potential influence was not limited to its schoolchild members. Social reformers of the interwar period viewed schools as an

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ideal access point not only to children themselves, but through them to the wider community. This access was particularly valued by reformers concerned not merely with conserving or enhancing child life, but also with “Canadianizing” recent immigrant populations (both rural and urban), and improving the health and hygiene practices of the urban working-classes. As Nancy Sheehan writes, “with an interest in health and citizenship, an ability to enlist support from education officials and teachers, and a program to change the curriculum,” the JRC had the potential to accomplish all these goals (SHEEHAN 1985: 68-69). The JRC would mould children, and (organizers hoped) children would change their own families.

35 Although it gained the support of all the provincial departments of education, the JRC was only ever a voluntary program that individual classroom teachers either chose to integrate into their teaching or not. But thanks to provincial JRC organizers and the program’s versatile, progressive format, the JRC steadily expanded throughout the interwar decades (SHEEHAN 1987: 250). Its growth was uneven across the country – for instance, Quebec’s French Catholic school boards refused access to their schools – but by 1939 425,000 Canadian children were participating in 14,000 branches spread through every province, while another 35,000 Newfoundland24 children were affiliated with the Canadian JRC25. Few other youth organizations in the country boasted such membership or integration into classrooms.

Mass Mobilization: The Canadian Junior Red Cross and the Second World War

36 The outbreak of the Second World War posed a momentary dilemma for the Canadian JRC: after two decades of promoting peace and international friendliness among children, how would it respond to the return of the senior Red Cross to a wartime footing? In part, the organization tried to avoid engaging children directly in the political and military aspects of the war. But the older pattern of youth engagement in voluntary Red Cross war work reasserted itself, and this time the mobilization was deliberate, nation-wide, and to some extent top-down. Each child-run, classroom-based JRC branch decided on its own activities, but between teacher influence, the encouragement of provincial and national JRC directors, and the broad spirit of mobilization for total war at work in the country, it would have been very difficult for children to avoid participating in at least some form of war work. The rapid expansion of JRC enrolment after 1939 attests to the fact that many youth found the JRC an appealing venue for wartime service (GLASSFORD 2014: 222-227, 231-233). The existence of an established JRC meant that young people’s wartime Red Cross work was highly visible, to some extent separate from adult efforts, and substantially greater in the Second World War than in the First. By the end of 1945 Canadian children and youth had contributed over $3,000,000 in cash26 as well as handmade goods and labour to the overall CRCS war effort (GLASSFORD 2014: 229).

Conclusion

37 Examining young people’s Red Cross work expands the existing picture of Canada’s First World War home front by showing how attitudes toward child labour and a wartime ethos that expected universal mobilization jointly drew young people into the

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adult work of the Red Cross. Once engaged, they played valuable roles both material and symbolic, donating time, money, and labour while bolstering the image of the war as a cause for which all citizens were keen to serve and sacrifice. The success of this ad- hoc mobilization led adults to try to harness youthful energies in a more structured fashion after the war, through a revamped and expanded Junior Red Cross program. The interwar JRC aimed to create a new, better generation of Canadian citizens – healthy, service-minded, and internationalist. Yet only two decades after the peacetime JRC’s creation, another generation of children was swept up in an adult-created war, and this time the voluntary labour of JRC members was deliberately mobilized in service of the wartime humanitarian cause. No doubt some of their parents flocked to the senior Red Cross in 1939 all the more quickly as a result of their own youthful involvement in the First World War. All told, the legacy of children’s First World War voluntary work made itself felt in the realms of Canadian health, education, internationalism, and voluntary work well into the middle of the twentieth century. Three times between 1914 and 1945 English-Canadian children were called upon to help carry the war-related burdens of their elders, shouldering the load of voluntary war work in two global conflicts not of their own making, and bearing the weight of interwar idealism during the two decades in-between.

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NOTES

1. Editorial (1938), The Canadian Red Cross Junior, 17:3, p. 3. 2. “‘Maple Leaves’ Organized in 1899” (1937), The Canadian Red Cross Junior, 16:9, p. 2; “‘Maple Leaves’ Worked for Red Cross in the South African War” (1937), The Canadian Red Cross Junior 16:3, p. 3. 3. See Bank of Canada Inflation Calculator, www.bankofcanada.ca , (17 May 2016). The calculator only goes back to 1914, so the true value today would be even higher. 4. “‘Maple Leaves’ Worked…” 1937: 3. 5. Editorial (1914), The Educational Review, December, p. 129. 6. “Children and the War” (1915), The Educational Review, March, pp. 208-209. The Purple Cross Society raised money for animal welfare during the Great War, especially for war horses. 7. “President ‘Chief Carry the Kettle’” (1917), Bulletin, 24: March, p. 9. 8. CRCS (1919), Annual Report for 1918, Toronto: CRCS, p. 145. 9. Editorial 1938: 3. 10. “July 2nd is Alberta’s Red Cross Day” (1917), newspaper clipping, scrapbook (marbled cover), box 3, Canadian Red Cross National Archive. 11. Presumably the carriage-riding, costumed children belonged to the city’s elite, while those watching from the street were of humbler origins. 12. CRCS (1916), Annual Report for 1915, Toronto: CRCS, p. 52; CRCS (1917), Annual Report for 1916, Toronto: CRCS, p. 65. 13. NOVA SCOTIA DIVISION (1920), Nova Scotia Red Cross During the Great War Nineteen Fourteen- Eighteen, Halifax: Canadian Red Cross Society, pp.18-19, 37, 46. 14. The IODE (Imperial Order Daughters of the Empire) is a women’s community service organization formed in 1900 and still active today. It originally worked to promote the British Empire and Canada’s place within it. 15. The Canadian Patriotic Fund was created in 1914 to raise and distribute money for the support of Canadian soldiers’ wives, children, and other dependents. 16. CRCS (1919), Annual Report for 1918, Toronto: CRCS, p. 144. 17. Equivalent to $225,986.36 in 2016. Bank of Canada Inflation Calculator, www.bankofcanada.ca (17 May 2016). 18. CRCS (1920), Annual Report for 1919, Toronto: CRCS, p. 104. 19. CRCS (1921), Annual Report for 1920, Toronto: CRCS, pp. 24, 36, 39, 44, 46. 20. CRCS (1922), Annual Report for 1921, Toronto: CRCS, pp. 5, 23, 31 21. Ibid, p. 31. 22. PARKIN, George R. (1916), “A Message for Empire Day,” The Educational Review, May, pp. 250-251. 23. WAAGEN, Mrs. C.B. (1926), “An Interpretation of Red Cross,” Calgary: Alberta Division CRCS, p.12, Glenbow Archives M8228/224 24. Newfoundland (a separate Dominion of the British Empire until 1949) did not have its own Red Cross.

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25. CRCS (1939), The Canadian Red Cross Society 1914 – and After, Toronto: CRCS, p. 8, Canadian Red Cross National Archive, Box 1, File 1.I. 26. Equivalent to $42,164,835.16 in 2016. Bank of Canada Inflation Calculator, www.bankofcanada.ca (17 May 2016).

ABSTRACTS

This article explores the untold history of English-Canadian children’s First World War work for the Canadian Red Cross Society. First it examines young people’s material and symbolic contributions, then follows the legacies of children’s war work through to the Second World War. It also highlights the connection between youthful war work and the interwar Junior Red Cross (focused on health, service, and citizenship). English-Canadian youth did not cause the conflict, but through their involvement with the Canadian Red Cross Society successive generations of them bore the war’s tangible and intangible burdens.

Cet article s’intéresse à l'histoire inédite du travail des enfants canadiens-anglais au sein de la Société canadienne de la Croix-Rouge, durant la Grande Guerre. On examinera d'abord les contributions matérielles et symboliques des jeunes, puis nous en suivrons l’héritage jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. L’article fait le lien entre les activités des jeunes de la Croix-Rouge dans l’entre deux-guerres (qui étaient surtout tournées vers la santé, le service, et la citoyenneté) et l’œuvre accomplie durant la Première Guerre. Ces jeunes n’avaient rien à voir avec le conflit, mais à travers leur implication au sein de la Croix-Rouge des générations successives ont continué à porter l’héritage de ce lourd passé.

INDEX

Mots-clés: enfants, travail bénévole, aide humanitaire, Croix-Rouge, Grande Guerre Keywords: children, voluntary work, humanitarian aid, Red Cross, First World War

AUTHOR

SARAH GLASSFORD Dr. Sarah Glassford is a Canadian social historian who earned her PhD in 2007 from York University (Toronto). She is the author of Mobilizing Mercy: A History of the Canadian Red Cross (McGill-Queen’s University Press, forthcoming in 2016), and “Practical Patriotism: How the Canadian Junior Red Cross and Its Child Members Met the Challenge of the Second World War,” Journal of the History of Childhood and Youth 7, 2 (spring 2014): 219-242. With Amy Shaw she is co- editor of A Sisterhood of Suffering and Service: Women and Girls of Canada and Newfoundland during the First World War (UBC Press, 2012).

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Recherche doctorale: « Le Canada, la mondialisation et votre thèse »

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Les discours libéraux de résistance au continentalisme dans les années 1970 Liberal discourse on resistance to continentalism in the 1970s

Chloé Carbuccia

1 La journaliste américano-canadienne Diane Francis propose, dans son livre Merger of the Century, une union politique des États-Unis et du Canada afin de résister à ce qu’elle nomme « l’agression économique de la Chine » (FRANCIS 2013). On ne s’étonnera pas que la réception de son ouvrage ait été meilleure aux États-Unis qu’au Canada. Son idée pour le moins provocatrice reflète néanmoins les questionnements soulevés par la mise en concurrence accrue des États dans l’économie mondialisée ainsi que la constitution d’intégrations régionales et la multiplication d’accords de libre-échange pour que les États demeurent compétitifs.

2 Dans le cas du Canada, parler d’union politique avec les États-Unis réveille des fantômes plus ou moins anciens, celui de la crainte de la mise en œuvre de la Destinée manifeste américaine au nord du 49ème parallèle mais aussi la volonté de certains Canadiens de faire partie des États-Unis. Au début des années 1970, on commence à beaucoup parler au Canada de multinationales, américaines, et des nouveaux enjeux qu’elles soulèvent, ainsi que de l’interdépendance voire de la dépendance croissante envers les États-Unis. Le « continentalisme », soit une intégration croissante en matière d’économie, de défense, voire de culture avec le puissant voisin du sud se trouve alors au centre du débat politique concernant l’avenir du Canada, centré autour des intérêts canadiens. Des liens économiques plus étroits entre les deux voisins semblent inéluctables et porter des promesses de prospérité. Pourquoi alors chercher à y résister ? C’est que ce rapprochement économique est autant présenté comme une opportunité qu’une menace. Le discours officiel des Libéraux, alors au pouvoir, qui ne nie pas les gains qu’apporterait le « continentalisme », met en balance la prospérité et l’indépendance du Canada. Il s’agit de sauvegarder son pouvoir décisionnel ainsi que de se distinguer d’un point de vue culturel alors que l’américanisation guette la société

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canadienne. Revendiquer l’éloignement du Canada de son voisin du Sud revêt un pouvoir unificateur et participe ainsi au projet de construction nationale du gouvernement Trudeau. Le corolaire est de justifier l’interventionnisme étatique et la mise en place de politiques sociales.

3 Il s’avère délicat de définir le terme continentalisme (ou continentalisation) tant son emploi est courant dans l’historiographie canadienne sans être, la plupart du temps, remis en cause ou défini. Le terme est par exemple utilisé en politique étrangère. David Haglund rappelle ainsi que l’acception traditionnelle et mythique du terme correspond à « une disposition qui trahit l’internationalisme et, ce qui est pire, trahit le Canada » (HAGLUND 2004 : 9), puisque le « continentalisme » est souvent présenté comme contraire à une approche multilatérale. Pour Louis Balthazar, le continentalisme se comprend principalement en termes économiques, à savoir « la manifestation d’une volonté de permettre aux forces normales du marché plutôt qu’aux stratégies politiques et économiques des gouvernements de déterminer les flux commerciaux entre les États-Unis et le Canada » (BALTHAZAR 1983 : 24). On se rapproche ainsi du libre-échange. Il donne aussi comme définition « une forme avancée d’intégration économique et culturelle à l’Amérique du Nord », ou « sous une forme plus intensive, comme devant comporter un certain degré de planification conjointe, de gestion conjointe des ressources et probablement aussi de politiques conjointes » (BALTHAZAR 1983 : 24). Le chercheur parle du continentalisme comme d’« une mentalité, un état d’esprit » et précise que l’intégration culturelle précède l’intégration économique (BALTHAZAR 1983 : 25). Le continentalisme recouvre donc à la fois une réalité – l’intégration économique − ou une vision imaginaire englobant la culture, la mentalité et la politique.

4 Employé au Canada dans les années soixante-dix, ce terme signifie principalement l’attraction exercée par les États-Unis ainsi que l’interdépendance croissante des économies canadiennes et américaines, mettant en exergue leurs vulnérabilités. Le continentalisme est souvent présenté comme une force plus ou moins irrésistible, remettant en cause l’efficacité voire la nécessité de décisions politiques concernant cet aimant qui semble s’évertuer à ancrer le Canada dans l’Amérique du Nord, loin de l’Europe, de l’Asie et même de l’Amérique latine.

5 Penser le continentalisme dans les années 1960 et 1970 revient à poser des questions du type : faut-il résister à une promesse de prospérité au risque de perdre son pouvoir de décision politique, voire sa culture et donc la raison d’être de l’État ou au contraire est- il préférable de ne pas lutter et se laisser entraîner dans le mouvement ? Aux prémices de l’économie mondialisée, la mondialisation se comprend avant tout comme une forme d’américanisation au Canada dans la mesure où trois-quarts des multinationales sont alors américaines. Poser le continentalisme comme une force irrésistible, une « force de la nature » comme l’a fait John Holmes (BALTHAZAR 1983 : 29) soulève cependant plusieurs problèmes, notamment parce que cela suppose de nier d’emblée l’impact des choix politiques et sociaux et aussi car les mécanismes économiques, migratoires, sociaux, l’instauration d’organisations transnationales voire supranationales n’ont pas grand chose à voir avec « la nature ».

6 Ce qui paraît intéressant dans le cas du Canada des années soixante-dix, c’est que la question du choix entre l’intégration économique (avec toutes les craintes et les promesses qui y sont associées) avec les États-Unis ou la poursuite d’une politique intérieure de renforcement de l’industrie est posée explicitement. De plus, le

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gouvernement a tenté de diversifier ses échanges commerciaux à l’international pour contrebalancer son interdépendance asymétrique avec son puissant voisin. Ainsi une forme d’internationalisation était perçue comme une solution possible à une forme de pré-mondialisation. Ce choix s’est posé à un moment où les États-Unis étaient beaucoup moins attractifs pour les Canadiens − non seulement les deux économies sont ralenties, connaissent un déficit de leur balance des paiements, une hausse du chômage et de l’inflation − mais aussi la violence aux États-Unis et leur embourbement dans la guerre du Vietnam retiennent plus de Canadiens de passer la frontière et on assiste à un renversement dans les échanges migratoires : plus d’Américains passent la frontière que de Canadiens au tout début des années soixante-dix.

7 Le gouvernement Trudeau élargit aussi les contours de l’identité canadienne, modifiant durablement la définition du Canada. Si la menace américaine n’est plus autant brandie qu’elle a pu l’être auparavant, la crainte que peut représenter la domination américaine reste un élément rhétorique important pour une frange non négligeable des intellectuels de gauche canadiens qui exerce de l’influence sur les politiques gouvernementales. Car si jusque dans les années soixante les Libéraux se faisaient les défenseurs du libre-échange (et étaient donc parfois présentés comme continentalistes), ce sont à présent les Conservateurs qui sont partisans du continentalisme. Une forme de nationalisme de gauche émerge dès le milieu des années soixante qui reprend à son compte le continentalisme comme menace à la souveraineté canadienne. Cependant, si le discours libéral se méfie du continentalisme, le ton est loin d’être désespéré et au contraire c’est l’optimisme (malgré les craintes) qui semble marquer la première moitié des années soixante-dix. De même, si les discours conservateurs sur le continentalisme dans les années soixante sont clairement pessimistes, les discours libéraux des années soixante-dix sont plutôt optimistes et cherchent à légitimer l’intervention du gouvernement fédéral dans l’économie.

8 Les discours d’intellectuels conservateurs alarmistes et désespérés concernant la domination du Canada par les États-Unis semblent plutôt bien représentés par les textes du Canadien George Grant, philosophe, professeur de science politique et de religion. En 1965, Grant publie au Canada un pamphlet anti-américain très influent, une virulente critique du gouvernement libéral de Lester Pearson au titre éloquent : Lament for a Nation, the Defeat of Canadian Nationalism. Dans ce texte, il déplore tout simplement la disparition du Canada, dont la souveraineté s’est trouvée assujettie au sud de la frontière. Pour lui, le nationalisme canadien n’existe plus, et il a emporté l’avenir du pays avec lui, laissant ce qui reste du Canada aux mains des États-Unis : « We find ourselves like fish left on the shores of a drying lake. The element necessary to our existence has passed away » (GRANT 1965: 3-4); « perhaps we should rejoice in the disappearance of Canada. We enter the excitement of the United States where all the great things are being done » (GRANT 1965: 88). Pour Grant, le Canada était voué à disparaître mais les Libéraux sont tout de même responsables puisqu’ils ont diffusé l’idée que le continentalisme était non seulement inéluctable mais aussi souhaitable car source de richesse : In the twentieth century it is inevitable that Canada should be swallowed up; since 1940 this should have been obvious to any political analyst. Liberal leadership has recognized this and has taught the masses to accept it smoothly. Third, Canada’s disappearance is not only necessary but good. As part of the great North American civilisation, we enter wider horizons; Liberal policies are leading to a richer continentalism (GRANT 1965: 37).

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9 Ainsi le continentalisme est présenté comme une force tentatrice et se laisser entraîner dans son sillage constitue une faiblesse voire une faute morale, celle de céder à la cupidité, à l’attraction opérée par les promesses de prospérité, au prix de sa souveraineté et donc de son intégrité. Grant parle du Canada comme d’une succursale, une filiale satellite des États-Unis, soit une terminologie aussi employée par l’historien canadien Donald Creighton. Son ouvrage Canada’s First Century, publié en 1970, révèle aussi un pessimisme profond quant à l’avenir de son pays qu’il décrit comme une « filiale de l’économie américaine », « un satellite militaire » d’Oncle Sam. La nouveauté selon lui est que les médias de masse américains ont transformé le Canada en « colonie culturelle » de son voisin, mettant en danger l’identité canadienne : The real danger to the Canadian identity lay in the enormous pressure of the American mass media − radio, television, motion pictures, and periodicals − which were busily turning the nation into a cultural colony of the United States in the same way as it was already becoming a branch-plant economy and military satellite (CREIGHTON 1970: 308).

10 Laurence Cros analyse ainsi les écrits de l’historien : Creighton lie toutes les facettes de la domination américaine (économique, politique, philosophique, et, pour finir, spirituelle) pour souligner la dissolution des valeurs spécifiques au Canada. Les Canadiens ne vendent pas simplement leurs ressources naturelles, mais leur âme toute entière. Cette vision très noire reflète le désespoir de Creighton devant l’érosion de l’identité canadienne par la civilisation technologique importée des États-Unis (CROS 1998 : 354).

11 Si Creighton a moins influencé la gauche canadienne de part son conservatisme, les idées de Grant, qui présentait les deux voisins comme des « entités antithétiques » (BÉLANGER 2011 : 216) ont fortement marqué la génération dite de « nouvelle gauche » ou de « nouveaux nationalistes ».Ce type de discours conservateur apparait comme profondément pessimiste, et ce qui marque dans les discours officiels des Libéraux au gouvernement fédéral c’est au contraire une note, sinon d’optimisme, du moins d’espoir fondé sur l’idée que les Canadiens doivent mettre en œuvre des stratégies pour résister à l’attraction continentale. Il s’agit alors pour le Canada de prendre son destin en main face au fatalisme apparent. Les politiques de la 3ème Option révèlent l’idée sous-jacente d’un choix possible, d’une décision souhaitable et nécessaire, à prendre par les Canadiens, qui pourrait s’avérer déterminante pour leur avenir.

12 C’est bien cette notion de choix qui se trouve au cœur du discours officiel des Libéraux au sein du gouvernement fédéral, dès le début des années soixante-dix. Il s’agit de regarder la situation en face et d’en tirer des conclusions, des lignes directrices guidant des politiques canadiennes a priori rationnelles et objectives. C’est l’idée d’action − et non celle de réaction − qui est au centre de ce discours. Si le continentalisme revêt toujours dans le discours la forme d’une force dont l’attraction paraît inéluctable, cette dernière n’est plus présentée comme souhaitable. Au contraire, il semble préférable d’y résister, donc de prendre en main son destin. Un autre facteur essentiel réside dans le concept d’intérêt : ce qui compte désormais − soit ce sur quoi le discours insiste −, c’est de défendre les intérêts canadiens. Ce facteur est présenté comme central dans la politique étrangère canadienne suite à la révision de cette dernière. Résister à la continentalisation, soit à l’attraction de l’intégration croissante avec le voisin du sud, suppose tout d’abord d’examiner la situation puis de mettre en place des mesures correctrices. Ainsi la résistance au continentalisme implique nécessairement, voire logiquement, l’intervention du gouvernement fédéral dans l’économie.

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13 Cette résistance, possible à travers la diversification des partenaires économiques, est explicitement présentée comme un choix. La Troisième Option ou « Troisième Voie » est associée aux politiques économique et énergétique dites « nationalistes », conduites par le gouvernement Trudeau au début des années soixante-dix, bien qu’elle ait tout d’abord été formulée comme une direction à suivre pour la politique étrangère canadienne. En 1970 paraissait le Livre Blanc sur la politique étrangère canadienne, sous la forme de six livrets publiés par le Département des Affaires Extérieures et signés du nom de son Ministre, Mitchell Sharp. Foreign Policy for Canadians faisait suite à une révision de la politique étrangère canadienne décrite comme dépassée, comme ne tenant pas compte des changements dans l’ordre mondial depuis sa formulation au début de la guerre froide (HALLORAN et. al. 2005 : 1-2). Par ailleurs, Mitchell Sharp écrivit plus tard que les observations du livre blanc ont elles-mêmes rapidement été rendues obsolètes par la vitesse à laquelle le monde évoluait (SHARP 1994 : 177). La nouvelle orientation proposait d’insister avant tout sur « les intérêts et objectifs canadiens », ce qui correspondait aussi bien à la vision de Trudeau qu’à celle de Sharp (SHARP 1994 : 164).

14 Une des critiques majeures adressées à ce Livre Blanc concernait l’absence de livret sur la politique canadienne à l’encontre des États-Unis, alors que cinq livrets étaient dédiés respectivement à l’Europe, à l ’Amérique latine, au Pacifique, au développement international et aux Nations Unies. Selon Sharp, le Livre Blanc tout entier portait principalement sur les relations avec le voisin du Sud, tant ces dernières étaient omniprésentes (SHARP 1994 : 177). Le deuxième chapitre du premier livret, centré sur la définition des buts nationaux, est par ailleurs plutôt clair à cet égard puisqu’il est question du degré de proximité souhaitable avec les États-Unis. De façon intéressante, le texte oppose d’une part la recherche de la prospérité et d’un niveau de vie élevé et d’autre part la préservation par le Canada de son « indépendance souveraine » : For most Canadians their “political” well-being can only be assured if Canada continues in being as an independent, democratic and sovereign state. Some Canadians might hold that Canada could have a higher standard of living by giving up its sovereign independence and joining the United States. Others might argue that Canadians would be better off with a lower standard of living but with fewer limiting commitments and a greater degree of freedom of action, both political and economic. For the majority, the aim appears to be to attain the highest level of prosperity consistent with Canada’s political preservation as an independent state.1

15 Ainsi présentés, les États-Unis symbolisent la prospérité et les Canadiens semblent tiraillés entre abandonner leur indépendance en échange de la prospérité économique ou sauvegarder leur liberté d’action économique comme politique, en échange d’un niveau de vie moins élevé. L’alternative proposée repose sur la dualité prospérité / liberté. Ce discours présenté en termes rationnels rejoint pourtant ceux qui représentent les États-Unis comme opérant un fort pouvoir d’attraction dont il faut se méfier car la menace est bien réelle, un peu comme si le Canada était le personnage d’un conte face à un personnage étrange et tentateur visant à tester sa morale et dont les choix détermineraient la suite de l’histoire de façon irréversible. La synthèse finale de Sharp cependant propose une autre direction, qui ne mentionne pas les États-Unis, et qui cherche à réconcilier la prospérité avec le maintien de la souveraineté. La notion de choix est bien centrale car on ne décrit pas des forces déterministes externes, obscures, naturelles ou irrésistibles mais l’enjeu repose au contraire sur la responsabilité et la détermination du Canada à jouer un rôle actif dans son avenir. Les

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termes semblent rationnels et logiques, le ton n’est ni alarmiste ni fataliste. Au début des années soixante-dix, les discours comportent, à des degrés divers, une note d’optimisme ou du moins de confiance : on répète, voire assène, que des changements de politique peuvent donner une autre tournure aux événements et améliorer la situation.

16 Les discours du pouvoir en place dépassent alors la rhétorique et s’accompagnent de mesures effectives afin d’assurer l’indépendance du Canada. De façon ironique, ce sont les politiques protectionnistes de l’administration Nixon en 1971 qui créent l’opportunité pour le gouvernement canadien de s’interroger explicitement sur les perspectives d’avenir du pays et donc sur ses choix en matière de politique envers les États-Unis. En 1971 le secrétaire du Trésor américain, John Connally, décide d’imposer une taxe supplémentaire sur les importations de 10 %, y compris celles en provenance du Canada, ce qui va à l’encontre des ententes négociées au milieu des années soixante. Cette décision (dont la mise en pratique fut pourtant de courte durée) a été surnommée le « Choc Nixon ». Sharp était chargé de mener une étude spéciale des relations canado- américaines.

17 Un document rédigé par un haut-fonctionnaire du département des affaires extérieures, Klaus Goldschlag, propose alors trois voies ou options. La première maintient plus ou moins le statu quo, la deuxième voit le Canada délibérément rechercher plus d’intégration avec les États-Unis, et la troisième suggère que le Canada poursuive une stratégie à long terme visant à réduire sa vulnérabilité en renforçant son économie et d’autres aspects de sa vie nationale (SHARP 1994 : 184). Ces options furent débattues pendant de longs mois au cabinet et au Cabinet Committee on Priorities and Planning avant que la troisième − qui avait la préférence de Sharp − soit adoptée par le cabinet, soutenue fortement par Trudeau car elle indiquait clairement la volonté du gouvernement de maintenir l’indépendance du Canada (SHARP 1994 : 185). Sharp relate par ailleurs que le Ministère des finances, de l’industrie et du commerce préférait la première option puisqu’il pensait que révéler leur jeu risquait de nuire aux négociations avec les Américains (SHARP 1994 : 184-185). Surtout, personne n’a défendu l’option de l’intégration économique avec les États-Unis, ce qui montre que, sous le gouvernement Trudeau, le continentalisme – c’est à dire resserrer les liens économiques avec le voisin du Sud − est rejeté comme étant contraire aux intérêts canadiens. Lors d’un discours prononcé en 1972, Sharp déclare: We believe that option Two, the option of integration, is unacceptable for a variety of reasons. In the government’s view, the best choice for Canada is Option Three [...] In the case of the second option, the goal would be integration with the United States in some form; in the case of the third option, the goal would be an economy and culture less vulnerable to the continental pull (SHARP 1972: 110).

18 Il défend la troisième option en mettant en exergue la notion de choix et d’action : Options are not policies. They provide a framework within which policy decisions can be taken. They can give a basic orientation to policies. [...] The first [option] is not really a strategy at all. It is reactive. It involves waiting on events. It means facing individual issues as they arise, and deciding these issues on their own merits, not in relation to some larger purpose (SHARP 1972: 109).

19 La Troisième Option a souvent été décrite comme la tentative par le gouvernement Trudeau de diversifier ses échanges, notamment avec l’Europe et le Japon (mais aussi avec l’Amérique latine). Ainsi on peut y voir une forme d’internationalisation délibérée dans le but de contrebalancer le continentalisme. Cependant cette option ne consistait

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pas uniquement à développer les échanges commerciaux avec d’autres aires géographiques mais prévoyait aussi d’améliorer l’efficacité et la compétitivité de l’industrie et un plus grand contrôle de l’activité économique canadienne (SHARP 1994 : 184). L’étude de Sharp, publiée en 1972 sous le titre « Canada-U.S. Relations : Options for the Future », visait également à diminuer l’influence américaine sur la culture canadienne2et prévoyait « un remaniement substantiel de politiques intérieures afin de rendre le Canada plus autonome dans ses programmes économiques, sociaux et culturels » (HALLORAN et. al. 2005 : 11). Néanmoins Sharp ne semblait pas penser que la Troisième Option allait faire disparaître pour autant les pressions continentales. Pour lui, cette voie n’impliquait pas d’hostilité à l’encontre des États-Unis, il se voulait rassurant quant à la direction que prendraient les relations canado-américaines : The option is in no way an anti-American option. It implies no hostility to the United States. [...] in an age of interdependence, it will be impossible to make Canada totally invulnerable to continental pressures and unrealistic even to try. [...] whatever success we have will be achieved not overnight but over time (SHARP 1972: 111).

20 Ces propos font aussi écho au discours prononcé par le président américain Nixon devant le Parlement canadien le 14 avril 1972. Trudeau avait ouvert la session avec les propos suivants : Nos deux pays et nos deux peuples ont beaucoup de choses en commun, mais ni leur esprit, ni leurs intérêts ne sont identiques, et j’estime que passer outre à ces différences serait préjudiciable à une bonne compréhension mutuelle. [...] Le fait de vivre à proximité de ce grand pays que sont les États-Unis est certainement source de stimulation pour le Canada et pour ses citoyens. Les Américains ne peuvent guère poser de gestes sans que nous en éprouvions ici les répercussions. [...] tout cela marque fortement la conscience collective de notre nation. Il est donc tout naturel pour les Canadiens de comparer presque toute leur activité à celle des États- Unis dans des domaines semblables.3

21 Le discours de Nixon fait ressortir une bonne compréhension de la situation au Canada, et a été décrit par Ivan Head, conseiller de Trudeau en politique étrangère, comme « une déclaration de non-intervention économique », faisant ainsi écho à la doctrine Monroe. Nixon rappelle : Nos économies sont intimement liées. Cependant, cette interdépendance et notre désir réciproque de sauvegarder notre indépendance ne sont pas nécessairement incompatibles. Aucun pays qui se respecte ne peut ou ne devrait adopter pour postulat qu’il sera toujours économiquement tributaire d’une autre nation. Reconnaissons une fois pour toutes que la seule façon pour nos deux peuples fiers d’établir entre eux des rapports sains et étroits serait de rechercher un mode d’interaction économique qui profite à nos deux pays et qui respecte le droit du Canada de tracer sa propre voie économique.4

22 Le gouvernement libéral mené par Pierre Trudeau a aussi tenté de tracer sa propre voie économique, en révisant notamment les investissements étrangers au Canada, c’est-à- dire principalement les investissements issus de capitaux américains. Suite à différents rapports sur l’économie du Canada, portant en particulier sur les investissements étrangers sur le sol canadien5, le gouvernement met en place l’Agence de Révision des Investissements Étrangers en 1974 (FIRA), ce qui soulève des inquiétudes côté américain menant à un examen de certaines pratiques sous l’égide du GATT6. Pour le Département des Affaires Extérieures au début des années 1980, la position canadienne est justifiée par sa situation unique et la défense de ses propres intérêts :

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Some 80 percent of all foreign direct investment in Canada is of US origin, controlling about 24 percent of Canadian non-financial industries. [...] the reasons behind the Canadian approach are fundamental – a level of foreign ownership and control in its economy which is unique among industrialized countries and a need to ensure that foreign investment brings significant benefit to the Canadian economy7.

23 Il n’est pas question ici de domination culturelle du Canada par son voisin. Par contre, le Comité pour un Canada Indépendant créé en 1970 (qui a inspiré un nombre de mesures de nationalisme économique prises par le gouvernement) établissait un lien clair entre contrôle économique et contrôle politique, menant directement à la disparition finale du Canada : With this economic control comes political control, as foreign-based head offices forbid their Canadian branch plants to take part in legitimate trade that does not happen to coincide with American foreign policy[...] Our land won’t be our own much longer if we allow it to continue to be sold out to foreign owners. Not if we allow another culture to dominate our information media. [...] if we are to ensure this country’s survival, the federal government must adopt legislative policies that will significantly diminish the influence presently exerted by the United States − its citizens, its corporations and its institutions − on Canadian life(cité par HEAD 1972: 11).

24 Cette crainte des États-Unis était partagée par Walter Gordon, ancien Ministre des finances dans le gouvernement Pearson et membre du Comité pour un Canada Indépendant : Of course, if the economies of Canada and the United States were merged, we would either become a helpless political as well as economic satellite of the United States or eventually be absorbed by our much more powerful neighbour. I am one of those who for a variety of reasons, both historical and emotional as well as economic, would prefer to see Canada remain a free and independent nation, or as free and independent as any country can be in our increasingly interdependent world. [...] I do not, therefore, believe that the theories of the extreme free trade, laissez-faire economists or the continentalists are appropriate for Canada (GORDON 1978: 16).

25 Il s’avère difficile ici de distinguer ce discours de ceux tenus par les Conservateurs quelques années plus tôt. Au cours des années soixante s’opère un glissement des critiques du continentalisme de droite à gauche et ce sont donc les Conservateurs qui se retrouvent à défendre l’intégration économique sous la forme du libre-échange. Si le discours change de porte-parole, il ne change pas pour autant de contenu comme l’a montré Damien-Claude Bélanger: « though the intellectual underpinnings of both continentalism and anti-Americanism fundamentally changed in the 1960s, many of their basic arguments remained the same » (BÉLANGER 2011: 215).

26 Gordon avait quitté le parti libéral et ne le représentait donc plus dans les années soixante-dix. Néanmoins, le Comité pour un Canada indépendant ainsi que les membres du Nouveau Parti Démocrate ont eu de l’influence sur les politiques économiques du gouvernement. Si les Libéraux au pouvoir n’emploient pas de rhétorique émotionnelle mais rationnelle, il n’en reste pas moins que les rapports d’étude sur les investissements étrangers les poussent vers la « canadianisation ». En 1967, le ministre du commerce canadien Robert Winters ne diabolisait pourtant pas les investissements américains et cherchait même à réhabiliter l’image des investissements étrangers en répondant aux préjugés communément admis à leur encontre. En revanche, il replaçait au cœur de sa réflexion le rôle du gouvernement :

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It is stated these multinational corporations are used, or could be used, as instruments of political control by a foreign government. [...] what foreign capital does in Canada is a matter for the Government to determine. It is up to us to state the rules of the game and we have done so. [...] as part of its programme, the Government must state what criteria are to be followed to make sure the national interest is served (WINTERS 1976: 86-87).

27 Quelques années plus tard, il n’est pas question de prendre la défense des investisseurs étrangers, mais l’idée que c’est au gouvernement de décider reste prépondérante. Si le ton change, c’est aussi parce que l’opinion a changé rapidement et qu’un pourcentage plus important de la population (avec cependant des différences entre les provinces) déclare penser que le contrôle étranger est une mauvaise chose, notamment en Colombie-Britannique. Par exemple, en 1974, 58 % des Canadiens déclarent qu’il y a trop d’influence américaine dans le mode de vie canadien et certains se disent prêts à diminuer leur niveau de vie pour gagner en indépendance. Une majorité de Canadiens soutient une régulation par le gouvernement des investissements américains mais l’opinion reste divisée quant aux moyens à employer si une telle régulation devait conduire à un niveau de vie moins élevé. En ce qui concerne une restriction sur les importations de produits culturels en provenance des États-Unis, c’est parmi les élites que l’on soutient le plus une action de la part du gouvernement (SIGLER et GORESKY 1974 : 666). Si au début des années soixante-dix l’Ontario et la Colombie Britannique se démarquent des autres provinces en ne soutenant pas le libre-échange, c’est parce que ces provinces bénéficient de leur propre industrie et capital et qu’elles risqueraient de perdre cet avantage avec le libre-échange (SIGLER et GORESKY 1974 : 668).

28 Ce qui sous-tend le discours officiel libéral, c’est alors la légitimation de l’intervention de l’État et donc le renforcement du gouvernement fédéral, la concentration des décisions à Ottawa au détriment des provinces. Néanmoins ce discours, s’il emploie parfois un ton inquiet quant à la domination américaine, n’est pas fondamentalement anti-américain. Le gouvernement s’est par ailleurs empressé de rassurer Washington quant à ses intentions en matière de nationalisme économique. En revanche une forme de nationalisme anglophone devient très prégnante au Canada et se nourrit d’une « analyse critique de l’impérialisme américain » selon les termes de Kenneth McRoberts, pour qui « the primary goal of the new nationalism was not to maintain the Canadian federal system but to emancipate the nation from American domination » (McROBERTS 1997 : 53).

29 Le discours officiel libéral est, quant à lui, plus centré sur le Canada que sur l’hégémonie américaine. Il semble plus s’agir de proposer aux Canadiens un projet commun de regagner le contrôle de son destin en prenant le contrôle de son économie. Ce projet est unificateur, rassembleur dans la mesure où il est présenté comme positif et joue sur l’élan d’optimisme canadien à la fin des années soixante : ce projet propose d’affirmer sa liberté tout en étant acteur de sa prospérité en cherchant à réduire sa vulnérabilité. Il présente une possibilité de retourner la situation à son avantage : à travers l’action du gouvernement fédéral, une faiblesse peut être transformée en force dynamique positive. Il implique une responsabilité (presque morale) du Canada, celle de résister à une force extérieure ainsi qu’au risque de délitement de l’intérieur. Ce faisant, l’intervention de l’État dans l’économie est conçue comme souhaitable, garante de la société « juste » et donc distincte des États-Unis, ce qui à son tour légitime et justifie le rôle joué par Ottawa. De ce fait, prôner le continentalisme représente ensuite

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une remise en cause des politiques sociales de centre-gauche. Pour Damien-Claude Bélanger : Continental integration was, of course, presented as a menace to the Canadian nation. In the late twentieth century, however, it was viewed as a threat to the social programs and left-of-centre values that were now believed to define the Canadian experience (BÉLANGER 2011: 215).

30 Les intérêts de classe sont aussi à prendre en considération, comme l’a fait Philip Resnick en 1977. Pour lui, la grande bourgeoisie voit sa vieille peur de la domination américaine disparaître alors qu’elle aspire à un statut « multinational » (RESNICK 1977 : 197), alors que la nouvelle petite bourgeoisie (composée d’enseignants, de professeurs, de salariés et de fonctionnaires) trouve son intérêt dans un État interventionniste fort (RESNICK 1977 : 170).

31 À la fin des années quatre-vingt, alors que la politique de la Troisième Option est largement considérée comme un échec et que le débat sur le libre-échange fait rage, il est à nouveau question dans le discours libéral − maintenant dans l’opposition − de voir le Canada disparaître à cause de l’intégration à l’économie américaine. Cette fois le danger concerne les politiques sociales, les politiques keynésiennes et implique la résistance − à nouveau − à la domination américaine. Le pessimisme et l’alarmisme reprennent alors le dessus sur l’optimisme et sur les discours qui étaient présentés en termes rationnels et moins émotionnels. Le discours de Sharp sur le libre-échange dans ses mémoires est très éloquent à cet égard : My opposition to the Free Trade Agreement was not based on economics. I am an advocate of freer trade. [...] What I considered a deplorable error in terms of national policy was to shift from a multilateral or international approach to a continental approach [...]. Until then, we had done what we could to resist the overwhelming influence of the United States in our economy, our culture, and our politics. By entering into an exclusive free-trade agreement designed to integrate the economies of our two countries, we were not only abandoning our resistance, we were deliberately inviting ourselves to be overwhelmed. To the proponents of the Free Trade Agreement who put economics first and down played the threat to Canadian independence, identity and freedom of action, I responded by pointing out that if the primary goal of national policy is, as they contend, to ensure more and better jobs for the people who live north of the forty-ninth parallel, there is a better and more effective way than free trade to go: why did they not advocate joining the United States! (SHARP 1994 : 185)

32 Ce qui marque en premier lieu dans ces quelques lignes de Sharp, c’est que son opposition au libre-échange n’était pas motivée par des considérations d’ordre économique ; il rappelle par ailleurs avoir combattu les protectionnistes au cours de sa carrière. Pour lui, le but premier de la « politique nationale » canadienne ne devrait pas être l’économie ni la création « de plus d’emplois ou de meilleurs emplois ». Ce qui comptait le plus à ses yeux, et ce sur quoi la politique du gouvernement fédéral devait reposer, était au contraire « l’indépendance » canadienne dans les domaines de l’économie, mais aussi de la culture et de la politique. Il précise que, jusqu’alors, le gouvernement dont il avait fait partie (voire sa génération, ou les Canadiens) avait fait son maximum pour « résister » à la « menace » représentée par l’omniprésence américaine. Il est possible de lire dans les propos de Sharp un regret que le choix du libre-échange soit équivalent à un abandon de cette résistance, à un désaveu des politiques menées sous le gouvernement Trudeau, sinon une trahison des intérêts canadiens. Le ton est sentencieux et fait la part belle à l’émotion. Néanmoins, cet appel émotionnel à préserver l’intégrité du Canada pourrait aussi être envisagé comme une

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stratégie de la part de Sharp, dans la mesure où la perception de la menace américaine est utilisée comme facteur permettant d’unifier le Canada : I have learned, over the years, that among the strongest unifying forces has been the desire of Canadians to be separate from the United States and to avoid being overwhelmed by the economic power and cultural influences of that great republic to the south. The desire to be independent reinforces the argument for unity. That is why I felt that the Canada-United States Free Trade Agreement, by promoting integration of our two economies, replacing internationalism by continentalism, reduced our ability to resist American economic and cultural domination (SHARP 1994: 268).

33 Dans ce passage des mémoires de Sharp, il ressort clairement que la volonté de se distinguer des États-Unis est érigée en « argument » ultime appelant à l’unité. Cependant, une ambiguïté rhétorique, sinon logique ou conceptuelle semble émerger de la dernière phrase de cette citation : d’après Sharp, l’unité canadienne est en effet renforcée par le « désir d’indépendance » et c’est pourquoi la défense de l’intégration des économies des deux voisins affaiblit la capacité du Canada à « résister » à la « domination » américaine. L’unité canadienne permet-elle alors de s’émanciper de l’attraction des États-Unis ou est-ce l’idée que les États-Unis représentent une menace pour l’indépendance du Canada qui est le moteur de cette unité ? Les deux sont probablement liées dans la réflexion de Sharp. En revanche, le ton n’est pas ambivalent : c’est bel et bien un pessimisme sincère qui semble se démarquer de son raisonnement.

34 Le politologue canadien Stephen Clarkson se rappelle lui aussi de son état d’esprit très pessimiste lors du passage de l’accord du libre-échange Canada-États-Unis qui marquait, selon lui, la fin des programmes gouvernementaux dans lesquels est logée une partie de l’identité canadienne : I was in mourning for the exuberant, liveable, creative, hopeful Canada that my generation had tried to build and that ‘free’ trade seemed to have condemned to a lingering death. [...] Deeper integration in the American system, we believed, would doom the efforts of many generations to build a better society on the northern half of the continent. CUFTA signaled the end of Canada as we knew it. It would strike at the heart of the government structures and programs in which we had lodged so much our shared identity.

35 Comme Sharp, Clarkson a déploré que les efforts menés, en l’occurrence par de nombreuses générations de Canadiens, semblaient réduits à néant par le libre-échange qui devait sonner le glas du Canada bâti par des générations de citoyens comme une « société meilleure » que celle de son voisin. Par ailleurs, l’identité canadienne commune est associée de façon intrinsèque par Clarkson au rôle joué par le gouvernement. Ce sont ces « structures et programmes gouvernementaux » qui distinguent en filigrane le Canada de son voisin. La distinction et l’unité ne sont pas alors juste rhétoriques mais trouvent une expression concrète dans la société elle- même ainsi que dans la façon dont elle a été conçue. Clarkson cite ces inquiétudes mais les replace aussi dans leur contexte et cette anecdote sert d’entrée en matière, d’amorce à l’analyse. Ce qui différencie également le texte de Clarkson de celui de Sharp, c’est que le premier, dont l’ouvrage a été publié dix ans plus tard, replace l’intégration croissante du Canada au « système américain » dans le contexte de la mondialisation et prend donc du recul par rapport à l’idée de continentalisation :

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It also turned out to be just the first round in a series of Canadian engagements with those broader economic and political forces that we now call globalization and that affects all countries (CLARKSON 2004: 15).

36 Les discours libéraux du début des années soixante-dix ont insisté sur le contrôle de son destin par le Canada, à une époque où l’interdépendance asymétrique croissante semblait mettre en danger son devenir politique. Réguler les investissements américains sur le sol canadien était présenté clairement comme un moyen de reprendre son avenir en main. Une certaine note d’espoir et d’optimisme était manifestement présente : même les discours plus alarmistes du Comité pour un Canada Indépendant ont proposé des solutions concrètes pour remédier à la situation ; plusieurs d’entre elles ont d’ailleurs été adoptées.

37 Les discours brandissant la menace américaine disparaissent parmi la grande bourgeoisie et ne se trouvent plus au cœur du discours conservateur. En revanche le terme « continentalisme »continue d’évoquer l’image d’une attraction qui s’avère irrésistible pour certains, et à laquelle d’autres pensent qu’il est de leur devoir de résister. Le terme promet à la fois, selon le côté où on se situe, la prospérité et/ou la perte de souveraineté en déléguant le pouvoir de décision politique à des forces économiques échappant au contrôle des gouvernements élus et des citoyens. Le libre- échange semble donc représenter la victoire du continentalisme sur l’intervention étatique dans l’économie. Néanmoins ces choix ont été opérés par les gouvernements canadiens et non par des forces obscures et inéluctables.

38 Proposer aux Canadiens de poursuivre une ligne indépendante des États-Unis permettait au gouvernement fédéral de justifier son rôle et de légitimer son intervention dans l’économie ainsi qu’une certaine forme de suprématie sur les provinces. Il était aussi plus facile de chercher à se démarquer du voisin du sud à l’heure où il apparaissait beaucoup moins attractif. De nombreux discours se sont aussi fait les défenseurs du continentalisme sous la forme du libre-échange, notamment parmi les économistes et dans le milieu des affaires. Diversifier ses échanges à l’international pour contrebalancer l’intégration régionale n’a pas fonctionné pour le Canada à l’époque mais cela ne signifie pas pour autant que cette stratégie ne pourrait pas être à nouveau tentée à l’avenir.

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NOTES

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5. Voir GRAY, Herb (1972), Investissements étrangers directs au Canada, Ottawa, Gouvernement du Canada, Bureau du Conseil Privé. WATKINS, A.J. (1968), Propriété étrangère et structure de l'industrie canadienne : rapport du Groupe d'études ad hoc chargé d'étudier la structure de l'industrie canadienne, Ottawa, Bureau du Conseil Privé. 6. Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994. 7. AFFAIRES EXTÉRIEURES CANADA (1981), « Relations between Canada and the U.S.A », Direction des programmes d'information au Canada, Bibliothèque Affaires Extérieures, p. 3-5.

RÉSUMÉS

Au début des années 1970, le discours officiel du parti Libéral au pouvoir insiste sur la démarcation et l’indépendance du Canada vis-à-vis des États-Unis. Le gouvernement cherche à mettre en œuvre et à justifier des actions concrètes afin de réduire la vulnérabilité de l’économie canadienne envers le puissant voisin du Sud. Les discours libéraux dénotent un certain optimisme et posent la question du « continentalisme »qui doit être un choix politique débattu. En proposant des mesures visant à résister au « continentalisme », ces discours entérinent l’intervention du gouvernement fédéral dans l’économie et font de ces politiques un élément important de l’unité canadienne.

In the early 1970s, the Liberal discourse insisted on Canadian distinctiveness and independence from the United States. The federal government tried to design and implement policies aiming at reducing Canadian vulnerability because of its growing (inter)dependence on the American economy. The tone of the Liberal discourse was rather optimistic at first and insisted on the idea that Canada had a choice to make and thus had agency. By offering to resist the pull of "continentalism," the Liberals justified the intervention of the federal government in the economy. In turn, such intervention became a cornerstone of Canadian unity and distinctiveness.

INDEX

Mots-clés : Canada, États-Unis, continentalisme Keywords : Canada, United States, continentalism

AUTEUR

CHLOÉ CARBUCCIA Chloé CARBUCCIA termine une thèse en civilisation nord-américaine sous la direction de Mme le Professeur Isabelle Vagnoux au LERMA (Aix-Marseille Université) sur la relation canado- américaine sous les gouvernements Pearson et Trudeau. Elle est agrégée d’anglais, et enseigne en classe préparatoire économique au lycée Dominique Villars (Gap). Elle a également occupé les fonctions de doctorante contractuelle et ATER à Aix-Marseille Université.

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La morale à l’épreuve de la mondialisation : le rôle des valeurs morales et familiales dans la distinction idéologique du Canada en Amérique du Nord Moral resistance versus globalization: the role of moral and family values in Canada’s ideological distinction

Marie Moreau

Introduction

1 La mondialisation, de par les échanges culturels et idéologiques qu’elle génère, a contribué à une généralisation des pratiques culturelles et des modèles sociétaux dans les sociétés occidentales. Les changements dans le marché du travail, dans les contextes économiques, dans les législations, dans l’éducation, qui résultent en partie des démarches globalisées d’un monde qui s’ouvre, ont eu un impact sur la famille, comme le note Bahira Sherif Trask : Individuals and families are directly, and indirectly, affected by globalizing processes all over the world. […] As we increasingly become integrated into new complex systems, individuals and their relationships, necessarily, are implicated in the process. […] Globalization is accompanied by new transnational concepts about productivity, gender, work, nationalism, identity, familial relationships, and women’s and children’s rights (SHERIF TRASK 2008 : 4-5).

2 Les profondes évolutions des comportements familiaux et sexuels dont le Canada a été témoin depuis les années 1970, trouvent ainsi un écho dans la plupart des pays occidentaux. Cependant, il est intéressant de constater que si les modèles familiaux s’exportent au gré de la mondialisation, produisant une certaine harmonisation des modes de vie familiaux dans le monde occidental, les valeurs morales, quant à elles,

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semblent moins perméables. Les différentes attitudes de l’opinion publique à l’égard de ces évolutions montrent en effet que la similarité des comportements peut cacher des différences idéologiques, esquissant une position particulière pour le Canada, positionné entre la grande permissivité morale européenne et le conservatisme moral américain.

3 Cette position d’entre-deux pose la question de l’impact de la très puissante moralité américaine sur les valeurs canadiennes dans un contexte de mondialisation qui accentue encore l’influence culturelle et idéologique qu’exerce le géant sur son voisin du Nord. Alors que leur proximité linguistique, géographique et culturelle tend déjà naturellement à atténuer les distinctions qui existent entre eux (BALTHAZAR 2007 : 134), la multiplication des échanges culturels, médiatiques et économiques entre le Canada et les États-Unis renforce encore l’impression d’une uniformisation nord- américaine. Pourtant, le jugement de l’opinion publique canadienne et américaine sur les évolutions familiales diffère nettement, et ce, malgré l’influence morale à laquelle la mondialisation a exposé les Canadiens, notamment à travers la culture évangélique américaine.

4 Dans un contexte de mondialisation où la question de l’influence culturelle et idéologique des pays les uns envers les autres est d’autant plus pertinente dans le cas du duo Canada/États-Unis, la distinction morale exprimée par l’opinion publique canadienne à l’égard des questions familiales semble aller à l’encontre de l’apparente uniformisation des modèles sociétaux, et familiaux en particulier. Dans cette entreprise comparatiste, il parait, dans un premier temps, nécessaire d’analyser les données de la statistique officielle, des Nations Unies et de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE), qui permettent une étude longitudinale tout en garantissant la comparabilité des données entre les pays, afin de replacer les évolutions familiales canadiennes parmi les tendances américaines et européennes. Ensuite, les enquêtes d’opinion sur la moralité nous indiqueront la position du Canada en termes de permissivité morale sur ces questions, ce qui nous poussera enfin à interroger les limites de l’influence de la morale américaine sur les questions familiales canadiennes.

Les évolutions familiales canadiennes, reflet d’un processus globalisé

5 Au cours des quarante dernières années, d’importants changements économiques, sociaux, contextuels et législatifs ont permis de libérer les comportements familiaux du carcan de la famille traditionnelle. Parmi les évolutions familiales, la diversification des formes conjugales et la modification des comportements liés à la fécondité ont particulièrement refaçonné le paysage sociodémographique des sociétés occidentales. Si les causes de ces évolutions sont multiples et bien souvent imbriquées les unes dans les autres, certaines avancées législatives ont un impact direct sur les comportements, à l’image de la Loi sur le divorce de 1968, puis de l’entrée en vigueur des amendements de 1986, qui se traduisent par une recrudescence immédiate du nombre de divorces au Canada. De 1,38 divorces pour 1000 Canadiens en 1971, le taux brut de divortialité a augmenté pour se stabiliser à 2,1 pour 1000 en 2008 (date des dernières données disponibles pour le Canada)1. Le Canada s’inscrit alors dans une tendance commune aux autres pays occidentaux ; on note toutefois une nette différence par rapport aux États- Unis, où l’on relève 3,5 divorces pour 1000 Américains la même année2. En

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comparaison, le comportement du Canada ressemble davantage à celui de certains pays européens comme la France (2,1 divorces pour 1000 habitants), les Pays-Bas (2,0), la Norvège (2,1), l’Allemagne, (2,3), l’Autriche (2,4), le Royaume-Uni (2,0) ou encore la Finlande (2,5).

6 En parallèle, dans la très grande majorité des sociétés occidentales, le taux de nuptialité a considérablement baissé à mesure que son statut de seul cadre socialement et légalement acceptable pour la vie conjugale et parentale a été remis en cause. Au Canada, on dénombrait 8,9 mariages pour 1000 habitants en 1971 alors qu’on en compte 4,4 pour 1000 en 20083. La tendance au mariage est également à la baisse aux États-Unis, toutefois les Américains continuent à se marier dans des proportions beaucoup plus importantes que leurs voisins (et que les autres pays développés) : leur taux brut de nuptialité se situe à 7,1 pour 1000 habitants en 2008 (par rapport à 10,5 en 1971). En comparaison, la nuptialité canadienne est plutôt à rapprocher des tendances européennes comme celles de la France (4,2 mariages pour 1000 habitants), de la Belgique (4,3), de l’Allemagne (4,6), des Pays-Bas (4,5), ou du Royaume-Uni (4,4). Les données américaines, pour leur part, se comparent plutôt à celles de pays comme la Géorgie (7,2) ou l’Albanie (6,7).

7 Le recul du mariage semble se faire au profit de l’union libre, qui connaît un grand succès dans les sociétés occidentales et s’est rapidement imposée comme forme familiale à part entière. Au Canada, c’est dans le cadre du recensement de 1981 que l’on dénombre pour la première fois les couples en union libre ; les conjoints de fait représentaient alors 5,6% de toutes les familles de recensement. Depuis, la proportion de couples en union libre a connu une augmentation rapide et concerne 16,7% des ménages en 2011.4 Les données recueillies par l’OCDE indiquent que l’union libre s’est également fait une place parmi les familles américaines, cependant elle reste moins importante qu’au Canada. En 2011, dans la tranche d’âge des 20 à 34 ans, particulièrement susceptibles de débuter leur vie conjugale et parentale, 21,8% des Canadiens déclarent vivre en union libre alors que ce n’est le cas que de 12,2% des Américains5. Il convient tout de même de noter que les personnes comptabilisées comme vivant en union libre sont celles qui ne sont ni mariées ni engagées dans un autre type d’union civile, or la valeur accordée à l’union libre et aux unions civiles diffère selon les pays6, les comparaisons sont donc à prendre avec précaution. Notons tout de même que la nette différence entre le recours à l’union libre au Canada et aux États-Unis s’explique en partie par le nombre très élevé de conjoints de fait dans la province du Québec, où 31,5% des couples vivent ensemble sans être mariés en 2011, ce qui représente plus du double de la moyenne de 12,1% observée dans les autres provinces.7 Le Québec dépasse ainsi la Suède (29% en 2010), la Finlande (24,7% en 2010) et la Norvège (23,9% en 2011), réputés être les pays les plus ouverts à cette structure familiale.

8 Outre la modification des formes de vie conjugale, l’évolution dans les comportements de fécondité est l’un des changements qui a marqué l’évolution des sociétés et des familles occidentales au cours de ces quarante dernières années. Le taux de fertilité pour la moyenne des pays de l’OCDE est ainsi passé de 2,76 enfants par femme en 1970 à 1,67 en 2013.8 La baisse généralisée des naissances n’a pas épargné le Canada, qui enregistre une chute de 2,33 enfants par femme en 1970 à 1,61 en 2013, pas plus que les États-Unis, qui passent de 2,48 enfants par femme en 1970 à 1,86 en 2013. Les chiffres du Canada le rapprochent encore une fois de certains pays européens (1,67 au

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Danemark ; 1,68 aux Pays-Bas) tout en le situant tout de même au-dessus de la moyenne européenne établie à 1,52 enfants par femme. Les États-Unis, pour leur part, se situent tout à fait dans le haut de cette moyenne et sont uniquement dépassés par l’Irlande (1,96 enfants par femme) et par la France (1,98).

9 Les pratiques culturelles, les valeurs sociales, les modèles économiques, les représentations médiatiques, les influences législatives dont la mondialisation se fait le vecteur entre les différentes sociétés occidentales ont contribué à une généralisation des modèles sociétaux, à laquelle les comportements familiaux n’échappent pas. Le Canada et les États-Unis se retrouvent ainsi autour d’évolutions familiales communes, qui pourtant, au lieu de les rapprocher, permettent, à la lumière du traitement que ces sociétés leur réservent, de mettre en avant leurs différences.

La dimension morale dans les questions familiales canadiennes et américaines

10 Si la grande majorité des sociétés occidentales sont affectées par la diversification des comportements familiaux, toutes n’adoptent la même attitude à leur égard. La remise en cause du modèle traditionnel, autour duquel se cristallisaient d’autres valeurs plus larges comme diverses formes d’autorité ou encore la répartition différentiée des rôles selon les sexes, nourrit une certaine appréhension chez un public plus conservateur. Parce que la famille occupe une place centrale, elle tend à être considérée par les sociétés plus traditionnelles comme garante de la vertu ; Kathleen Sands écrit d’ailleurs à propos des États-Unis : « Everywhere, “family” is the icon of goodness and the standard of value » (SANDS 2000 : 7). Dans ce contexte, les attitudes de l’opinion publique canadienne et américaine sur le caractère moral des évolutions familiales devraient être éclairantes. Deux sondages menés la même année par les firmes Angus Reid et Pew Research Center sur la moralité permettent de mettre en avant des différences entre les États-Unis et le Canada que la relative similarité des indicateurs sociodémographiques ne permet pas de déceler. En 2013, Angus Reid invite des Canadiens, des Américains et des Britanniques à se prononcer sur la moralité de certains sujets ayant un fort pouvoir divisif auprès de l’opinion publique, tels que l’avortement, la polygamie, la pornographie, ou encore la recherche sur les cellulles souches. La consigne est la suivante : « Regardless of whether or not you think each of the following issues should be legal, please indicate whether you personally believe they are morally acceptable or morally wrong ».

11 L’exemple du divorce est à ce titre particulièrement intéressant ; dans la mesure où les Américains ont un recours au divorce beaucoup plus important que les Canadiens, il serait a priori logique de penser que cette pratique est mieux acceptée aux États-Unis qu’au Canada. Or, seulement 65% des personnes interrogées aux États-Unis jugent que le divorce est moralement acceptable, alors que c’est le sentiment de 80% des Canadiens sondés (comme 79% des Britanniques). L’enquête “Global views on Morality” menée par le Pew Research Center en 2013 auprès de 40 pays apporte un autre éclairage sur cette question9. Les participants doivent cette fois dire si les sujets qu’on leur présente leur semblent moralement acceptables, moralement inacceptables, ou s’il ne s’agit pas d’une question morale. Seulement 9% des Canadiens considèrent qu’il est moralement inacceptable de divorcer. A titre de comparaison, ceci place le Canada un peu derrière la France et l’Allemagne (respectivement 5% et 7%), et au même niveau que la Grande-

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Bretagne. Aux États-Unis, en revanche, 22% des personnes interrogées pensent que le divorce est moralement répréhensible, une condamnation en proportion similaire à celle de la Russie et de la Pologne.

12 L’apparente contradiction entre le recours plus fréquent des Américains au divorce et la condamnation morale plus sévère qu’ils lui adressent pourtant semble pointer vers un fort attachement à l’institution du mariage. A l’inverse, la plus grande aisance des Canadiens avec les nouvelles structures familiales, comme en témoigne leur plus grande propension à choisir le concubinage, se traduit également par une plus grande acceptation morale de ce mode de vie conjugale comme structure familiale à part entière. En effet, 78% des Canadiens sondés par Angus Reid pensent qu’il est moralement acceptable d’avoir un enfant hors mariage (comme 74% des Britanniques) alors que seulement la moitié des Américains (53%) trouvent qu’il est moral de fonder une famille en dehors du mariage. A la condamnation moins sévère des structures familiales qui mettent à mal l’institution du mariage, semble s’ajouter un jugement plus permissif de l’ensemble des comportements sexuels de la part des Canadiens. Ainsi, 83% des Canadiens interrogés par Angus Reid pensent qu’il est moralement acceptable pour un homme et une femme qui ne sont pas mariés d’avoir des relations sexuelles (à l’image de 82% des Britanniques), alors que c’est le cas de seulement 59% des Américains. Confrontés à la même question posée par le Pew Research Center, la proportion des Américains qui réprouvent les relations sexuelles hors mariage (30%) est deux fois plus importante que celle des Canadiens (15%). A travers cette question, la position particulière d’un Canada situé entre l’Europe et l’Amérique ressort clairement puisqu’il se place entre la permissivité morale des pays européens (en France, en Allemagne ou en Espagne par exemple, la condamnation de la sexualité hors mariage oscille entre 6% et 8%), et le conservatisme moral américain (qui, sur ce sujet, a une proportion de condamnation équivalente à celle de la Russie).

13 C’est la question de l’homosexualité, parce qu’elle mêle famille, sexualité et morale, qui offre les résultats les plus divisés. La proportion de répondants qui trouvent l’homosexualité inacceptable moralement est deux fois et demi plus faible au Canada (15%) qu’aux États-Unis (37%) selon le Pew Research Center. Ceci place une fois de plus les Canadiens dans cette position d’entre-deux : entre la tolérance morale de certains pays européens (6% des Espagnols, 8% des Allemands, 14% des Français interrogés réprouvent l’homosexualité) et le traditionnalisme des États-Unis (qui se rapprochent davantage de certains pays d’Amérique latine, comme le Chili, le Brésil et le Mexique, où la condamnation de l’homosexualité s’élève respectivement à 32%, 39% et 40%).

14 Le regard nettement moins conservateur des Canadiens sur les nouveaux comportements familiaux et sexuels a sans doute beaucoup à voir avec la place moins importante qu’ils octroient à la morale dans leur jugement. Ainsi, près de la moitié des Canadiens déclarent au Pew Research Center que la question du divorce (47%) et celle de l’homosexualité (50%) ne sont pas des questions morales, comparativement à seulement 35% des Américains sur ces deux sujets. Il en va de même pour la sexualité hors mariage, que 47% des Canadiens face à seulement 36% des Américains n’envisagent pas sous l’angle moral. Enfin, sur une question aussi sensible que l’avortement qui cristallise bien souvent des arguments d’ordre moral, 37% de la population canadienne interrogée considère que ce sujet ne relève pas de la morale, quand ce n’est le cas que de 23% des sondés américains.

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15 Non seulement l’opinion publique canadienne est beaucoup moins susceptible que l’opinion américaine d’utiliser la morale comme critère de jugement pour les affaires familiales, sexuelles et sociales, mais en outre le Canada se montre beaucoup plus permissif que son voisin d’un point de vue moral, se rapprochant souvent davantage des tendances européennes qu’américaines. Dès lors, la place accordée à la morale et le rôle qu’elle joue au sein de chacune de ces deux sociétés semblent opérer une distinction idéologique fondamentale dans leur fonctionnement social et familial.

L’exportation de la morale américaine au Canada et ses limites

16 Si l’opinion canadienne, malgré l’influence religieuse, sociale et culturelle américaine à laquelle elle est soumise, n’adopte pas le jugement moral de l’opinion américaine, c’est que la morale n’a pas la même valeur dans la société canadienne. Pour Seymour Martin Lipset, les causes sont en partie à chercher dans les principes fondateurs même de ces deux sociétés, qui auraient fait de la morale une institution aux États-Unis, lui conférant alors un rôle de régulateur de la vie sociale qu’elle n’occupe pas au Canada (LIPSET 1996). C’est une idée que partage Gertrude Himmerlfarb, qui reprend les propos de John Adams (« Our constitution was made only for a moral and religious people. It is wholly inadequate to the government of any other ») et de George Washington (« Of all dispositions and habits which lead to political prosperity, religion and morality are indispensable supports ») afin de montrer que l’ancrage de la morale dans le système de gouvernance pour garantir le bon ordre social était une intention des architectes de la Constitution américaine (HIMMELFARB 2001 : 86). Lipset ajoute que c’est paradoxalement la séparation de l’Église et de l’État qui a indirectement donné un rôle central à la morale en l’institutionnalisant (LIPSET 1996). La responsabilité qui a incombé à la religion américaine de maintenir l’ordre moral et social lui a imposé d’adopter une ligne de conduite plus stricte, tandis que la prise en charge de la religion par l’État canadien a permis à la société canadienne de faire évoluer sa religion au gré de la modernisation des institutions, et de graduellement lui accorder moins d’importance. Puisque la place de la morale semble intimement liée à celle de la religion, on ne s’étonnera pas que Lipset y cherche d’autres facteurs pouvant expliquer la différence dans les attitudes canadiennes et américaines. Ainsi, la philosophie religieuse même du protestantisme américain, parce qu’elle est sous-tendue par l’idée de perfectibilité de l’humanité et par l’obligation d’éviter le péché, pousse selon lui ses fidèles à adopter la morale comme ligne directrice dans tous leurs comportements et jugements, alors que les Églises qui prédominent en Europe ou au Canada ont accepté la faiblesse inhérente des hommes et leur impossibilité à échapper à l’erreur (LIPSET 1991 : 76). Il met également en cause les origines des religions aux États-Unis et au Canada : The religious traditions of Protestant “dissent” have called on Americans to be moralistic, to follow their conscience with an unequivocal emphasis not to be found in countries whose predominant denominations have evolved from state churches (LIPSET 1996 : 63).

17 Dès lors, Lipset en conclut que la combinaison de ces éléments donne une importance fondamentale à la morale, qui devient alors une référence pour juger les questions sociales aux États-Unis, ce que l’on ne retrouve pas dans la même mesure au Canada.

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18 Pourtant, entre ces deux sociétés nord-américaines où le jeu des influences dépasse de beaucoup l’interdépendance économique, la morale américaine, à l’image d’autres objets culturels ou idéologiques, s’exporte au Canada. La mondialisation a notamment exposé les Canadiens à la culture évangélique américaine à travers ses nombreuses productions médiatiques et culturelles (livres, magazines, émissions de télévision et de radio) et l’influence idéologique américaine commence à porter ses fruits. Les Canadiens ont ainsi commencé à rejoindre des dénominations évangéliques basées aux États-Unis ou à développer des branches canadiennes, comme l’illustre l’ouverture, en 1983, d’une branche canadienne de l’organisation évangélique Focus on the Family. Cette organisation très conservatrice milite pour la conservation des valeurs et des modèles familiaux traditionnels et moraux, et se mobilise à chaque fois qu’une de ces questions se retrouve au centre des débats. On peut également sentir les prémices d’une implication des évangéliques en politique lorsqu’en 2000, Stockwell Day, qui ne cache pas son affiliation évangélique, emprunte les tactiques électorales de la Droite religieuse américaine et prend la tête de l’Alliance canadienne, alors parti de l’opposition. L’ancien président de la branche canadienne de Focus on the Family, Darrel Reid, a d’ailleurs occupé d’importantes fonctions au sein du cabinet du Premier ministre Stephen Harper entre 2007 et 2010.

19 Dans la mesure où l’évangélisme élève les croyances religieuses traditionnelles au rang de vérités morales et sociales absolues, il parait a priori logique de penser qu’une société influencée par des courants évangéliques fasse preuve de jugements moraux plus intransigeants sur des questions sociales dont on peut considérer qu’elles s’éloignent des schémas traditionnels. Il est difficile d’obtenir des chiffres précis sur le nombre de Canadiens et d’Américains qui adhèrent à des mouvements évangéliques, mais il est certain que les évangéliques sont moins importants au Canada qu’aux États-Unis. Les estimations varient généralement entre 10 et 12% de la population canadienne, et 25 et 35% de la population américaine (BEAN et al. 2008). En 2008, les chercheurs Rosson et Fields estiment plus précisément que les évangéliques représentent 10,77% de la population canadienne et 32,49% de la population américaine (ROSSON et FIELDS 2008) ; l’influence de l’évangélisme est donc encore limitée au nord de la frontière.

20 Les liens entre l’importance de la morale dans les jugements sur les questions familiales et la présence d’évangéliques au sein de ces deux sociétés a été l’objet d’une enquête publiée par Hoover, Martinez, Reimer et Wald en 2002. En cherchant à savoir si les évangéliques accordent plus d’importance à la morale que le reste de la population, cette enquête a mis en lumière plusieurs différences intéressantes entre le Canada et les États-Unis. Tout d’abord, ils confirment que les évangéliques sont plus moralistes dans les attitudes familiales que le reste de la population. Dans la mesure où l’évangélisme est moins présent au Canada qu’aux États-Unis, il est donc logique que le jugement moral soit moins important au nord qu’au sud de la frontière. Il ressort d’ailleurs également de l’étude que l’ensemble de la population canadienne est moins moraliste que l’ensemble de la population américaine. Enfin, curieusement, les chercheurs établissent clairement que les évangéliques canadiens sont bien moins moralistes que les évangéliques américains. Il y a donc véritablement une résistance au moralisme au Canada, même parmi les populations qui y sont plus enclines. Les auteurs de l’étude expliquent en partie la relative faiblesse du rigorisme moral dans l’évangélisme canadien par la présence mineure de fondamentalistes au sein du mouvement canadien en regard du courant américain. Leurs directives strictement

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morales sur les questions familiales influencent donc moins les évangéliques canadiens, ainsi que l’ensemble de la population canadienne (HOOVER et al. 2002).

21 Par ailleurs, l’évangélisme canadien, parce qu’il est inspiré de l’évangélisme britannique, bien plus accommodant, et qu’il ne s’est pas totalement éloigné du protestantisme, conserve des attitudes moins empreintes d’absolu moral que celles de l’évangélisme américain qui, en se coupant des églises protestantes établies, s’est retranché dans des attitudes plus radicales, faisant du moralisme une de ses marques distinctives (BEAN et al. 2008). En outre, les origines de ces deux sociétés expliquent en partie la résistance à l’influence du moralisme et de l’évangélisme. Aux États-Unis, les évangéliques se font entendre sur tout le territoire car ils peuvent mobiliser une grande partie des Américains autour d’origines et de valeurs protestantes communes dans lesquelles ceux-ci se retrouvent. A l’inverse, la division religieuse et culturelle au Canada a empêché le moralisme évangélique de trouver un écho soutenu auprès de l’ensemble de la population (BEAN et al. 2008). Le Québec et les catholiques se sont maintenus en dehors des courants évangéliques, protestants, et il est intéressant à présent de constater que les Québécois ont un degré de moralisme plus faible à l’égard des questions familiales que leurs compatriotes et que leurs voisins (HOOVER et al. 2002).

22 En effet, si jusqu’à la fin des années 1960 le Québec s’illustrait surtout par des comportements sociodémographiques et des valeurs morales fortement empreints du conservatisme social et moral imposé par l’Église catholique, la province à majorité francophone se démarque à présent du reste du Canada par son ouverture à l’égard des questions familiales. Cette permissivité se traduit par une adoption plus importante que dans le reste du Canada des structures familiales qui dévient de la norme traditionnelle qu’est l’institution du mariage, et par une condamnation morale beaucoup plus faible sur ces questions que le reste du Canada, et a fortiori que les États- Unis. Le dernier recensement canadien rapporte que c’est au Québec que le recours au mariage est le plus faible, avec 51,9% des ménages composés de couples mariés en 2011 comparativement à 71% en moyenne pour les autres provinces10. Le Québec se trouve donc naturellement être la province qui a le plus tendance à envisager l’union libre comme une véritable structure familiale (parentale, et non seulement conjugale) alternative au mariage : 37,8% des enfants québécois âgés de 14 ans et moins vivent avec des parents en union libre en 2011 par rapport à 16,3% des enfants dans l’ensemble du Canada11.

23 L’attachement moins fort aux normes traditionnelles que laissent transparaitre les choix familiaux des Québécois, nous invite à penser que la morale occupe moins de place dans leurs jugements. C’est ce que confirmait déjà une enquête de 1981 dans laquelle les Québécois se démarquaient des Canadiens et des Américains dans le refus du lien entre la morale et la sexualité: 34% des Québécois pensaient que les rapports sexuels devaient être encadrés par des règles morales, quand c’était l’avis de 49% des Canadiens anglophones et de 51% des Américains (LIPSET 1986). Les sondages sur la moralité menés en 2013 par Angus Reid et le Pew Research Center ne permettent pas de discerner le Québec des autres provinces, toutefois la même enquête menée par Angus Reid au Canada en 2007 opérait cette distinction. Les résultats faisaient état d’une faible condamnation morale québécoise à l’égard des nouvelles configurations familiales, à l’image de l’union libre comme forme de vie conjugale (8% des Québécois trouvent moralement répréhensibles les relations sexuelles entre deux adultes non mariés,

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comparativement à 15% en moyenne pour l’ensemble des Canadiens), ou comme structure parentale (8% des Québécois condamnent moralement le fait d’avoir un enfant en dehors des liens du mariage quand c’est le cas de 17% en moyenne à l’échelle nationale). Moins attachés au mariage, les Québécois se montrent également plus compréhensifs sur la question du divorce (8% des Québécois le réprouvent par rapport à 12% pour l’ensemble du Canada). L’influence du Québec n’est donc pas à négliger dans la différenciation idéologique du Canada par rapport aux États-Unis, car le Québec, de par ses différences linguistiques, religieuses, historiques et culturelles avec les États- Unis, offre plus de résistance à la morale américaine et est plus imperméable aux effets de la mondialisation culturelle en provenance des États-Unis.

Conclusion

24 La proximité géographique, linguistique, culturelle, économique, et médiatique du Canada et des États-Unis fait dire à Louis Balthazar qu’ils sont « les deux pays les plus intégrés l’un à l’autre dans le monde » (BALTHAZAR 2007 : 134). Cette impression de parallélisme est encore renforcée par une apparente similitude des comportements individuels et familiaux des Canadiens et des Américains, dont l’évolution s’inscrit dans une tendance généralisée aux pays occidentaux. Les Canadiens, à l’image des autres occidentaux, peuvent se reconnaître dans les productions médiatiques américaines mettant en scène des femmes qui travaillent et des familles divorcées, recomposées, homoparentales, monoparentales ou vivant en union libre et comptant un petit nombre d’enfants.

25 Pourtant, si cette apparente homogénéité renforce l’idée d’une harmonisation nord- américaine, certaines différences dans les indicateurs sociodémographiques liés à la famille sont autant d’indices que les valeurs familiales canadiennes et américaines divergent sur certains points. L’introduction de la dimension morale dans les questions familiales confirme que les Américains et les Canadiens n’acceptent pas de la même manière les évolutions familiales qui ont touché leur société, et est révélatrice de la place différente qui lui est accordée au sein de ces sociétés. Parce que la société américaine accorde une telle importance à la moralité, Lipset écrit que les Américains sont des « utopian moralists who press hard to institutionalize virtue, to destroy evil people, and eliminate wicked institutions and practices » (LIPSET 1996 : 63). Les Canadiens, à l’inverse, sont plus permissifs du point de vue moral, et ont davantage tendance à considérer les questions familiales comme des questions sociales et non morales.

26 Dans cette distinction, le rôle joué par le Québec ne peut être négligé. A cet égard, les sociologues Céline Le Bourdais et Nicole Marcil-Gratton font le constat suivant : « without Québec’s specific conservatism in the past and today’s tremendous reversal of its behaviors, Canada’s kinship with the US would be far more obvious » (LE BOURDAIS et MARCIL-GRATTON 1996 : 416). S’il est difficile d’identifier une raison unique à cette particularité des attitudes et des comportements familiaux et moraux des Québécois, le rôle de la Révolution tranquille, qui les aurait poussé à abandonner la morale comme ligne directrice, semble incontestable. Laplante, Miller et Malherbe, qui s’étonnent que la seule province canadienne à majorité catholique se trouve pourtant être celle dans laquelle on organise et on juge la vie familiale et sexuelle de la façon la moins compatible avec la moralité catholique, l’expliquent par une transformation majeure

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du système normatif du Québec, fondé sur la moralité catholique jusque dans les années 1960 : These differences can be explained, at least in part, by the fact that almost all of Quebec’s French-speaking population during the 1960s belonged to the Roman , at a time when local Catholic Church was changing in one important way while failing to change in another equally important one. More specifically, […] the Church authorities’ refusal either to change their doctrine on marriage and sexuality or to allow the laity to play a decisional role in the definition of doctrine and the orientation of pastoral activities gave Roman Catholics a strong motive for abandoning the Christian tradition as the provider of moral guidelines on sexual and family matters ; at the same time, the withdrawal of local Roman Catholic authorities from the set of institutions that structured people’s lives “from the cradle to the grave” made it possible for Quebecers to actually abandon this tradition (LAPLANTE et al. 2006 : 219-220).

27 En refusant d’évoluer en même temps que les mœurs et les réalités familiales de ses paroissiens, l’Église catholique a fini par les détourner complètement de la morale qu’elle imposait comme ligne de conduite, à la différence des Protestants, qui n’ont pas eu à remettre en question les critères de moralité selon lesquels ils organisaient et envisagaient leurs comportements familiaux. Toutefois, même s’il y contribue grandement, la particularisation du Canada par rapport aux États-Unis n’est pas uniquement le fait du Québec ; les valeurs libérales que laissent apparaître son jugement sur l’évolution des formes familiales, comparativement aux valeurs nettement plus conservatrices du jugement moral des États-Unis, permettent au Canada, même sans la province francophone, de se distinguer de son voisin. La différence du traitement moral des questions familiales et sociales montre que même si la mondialisation permet d’exporter des modèles culturels, sociaux et familiaux, on est encore loin d’une harmonisation idéologique de l’Amérique du nord.

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NOTES

1. NATIONS UNIES, 1992, Département des affaires économiques et sociales internationales, Annuaire démographique 1990, New York, tableau 34, http://unstats.un.org/unsd/demographic/ products/dyb/dybsets/1990%20DYB.pdf (consulté le 22 octobre 2015). NATIONS UNIES, 2011, Département des affaires économiques et sociales internationales, Annuaire démographique 2011, New York, tableau 25, http://unstats.un.org/unsd/demographic/products/dyb/dyb2011.htm (consulté le 22 octobre 2015) 2. Les données américaines sur le divorce pour cette année ne figurent pas dans l’annuaire démographique des Nations Unies mais sont publiées par le Center for Disease Control and Prevention Center (CDC) et par l’OCDE. 3. NATIONS UNIES, 1992 : tableau 24 ; NATIONS UNIES, 2011 : tableau 23. 4. STATISTIQUE Canada (2012a), Ministère de l’Industrie, Gouvernement du Canada, Cinquante ans de familles au Canada : 1961 à 2011, 98-312-X2011003, Ottawa, p. 2. 5. OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) (2015a), Base de données sur la famille 2014, http://www.oecd.org/fr/els/famille/basededonnees.htm#composition. Pour

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les données sur le divorce en 1970 et 2008, on regardera le feuillet SF3.1 de 2014 : http:// www.oecd.org/els/family/SF3_1_Marriage_and_divorce_rate_Jan2014.pdf 6. Les couples canadiens en union libre ont par exemple à peu près les mêmes avantages que les couples mariés en termes de fiscalité, de reconnaissance publique et administrative, ou même d’immigration. Le choix de l’union civile au Canada ne se fait donc par exemple pas dans les mêmes termes que celui du Pacte civil de solidarité (PACS) français, qui répond à un besoin de reconnaissance fiscale et administrative des couples cohabitants français. 7. STATISTIQUE CANADA (2012b), Ministère de l’Industrie, Gouvernement du Canada, Portrait des familles et situation des particuliers dans les ménages au Canada. Recensement de la population de 2011, 98-312-X2011001, Ottawa, p.7. 8. OCDE (2015b), « Fertility rates, 1970-2014 », disponible sur le site internet de l’OCDE à l’adresse suivante : https://data.oecd.org/pop/fertility-rates.htm (consulté le 18 octobre 2015) 9. PEW RESEARCH CENTER (2014), Global Views on Morality, 2013, http://www.pewglobal.org/ 2014/04/15/global-morality/ (consulté le 18 février 2015). 10. STATISTIQUE CANADA, 2012b : 6 11. STATISTIQUE CANADA, 2012b : 15

RÉSUMÉS

Alors que la mondialisation a contribué à une généralisation des modèles familiaux dans les sociétés occidentales, atténuant encore davantage les distinctions qui existent entre le Canada et les États-Unis, la réaction de l’opinion publique aux évolutions familiales indique qu’il existe malgré tout de profondes différences idéologiques entre ces deux sociétés. La relative faiblesse du jugement moral canadien semble être le signe d’une résistance structurelle et culturelle à l’influence de la moralité américaine, ce qui va à l’encontre d’une uniformisation idéologique nord-américaine.

Globalization has played a significant part in generalizing family structures in Western societies, reducing the number of distinctions between Canada and the United States. Yet, Canadians’ and Americans’ attitudes toward family changes point to deep ideological differences between the two societies. Moral judgment, although very important in the United States, does not seem particularly relevant in Canada, suggesting the existence of a moral resistance to American morality, a conclusion which goes against the theory of an ideological standardization of North America.

INDEX

Mots-clés : évolutions familiales, valeurs morales, comparaison Canada/États-Unis Keywords : evolutions of family, moral values, Canada/US comparison

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AUTEUR

MARIE MOREAU Docteur de l'Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, Marie Moreau a soutenu une thèse en 2012 sur les évolutions de la famille aux Etats-Unis, au Québec et au Canada de 1969 à 2005. Ses recherches se concentrent sur le rôle des valeurs sociales, morales, religieuses, familiales et sexuelles dans la distinction idéologique contemporaine du Canada et des Etats-Unis. Elle enseigne l'anglais au lycée Antoine de Saint Exupéry à Lyon.

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La langue portugaise se protège au sein de sa forteresse : La « communauté portugaise » de Montréal Language and identity in the Portuguese community living in Montreal

Fabio Scetti

Introduction

1 À partir de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, la ville de Montréal a changé de visage et a embelli son panorama linguistique grâce à l’arrivée de nouvelles vagues migrantes. Montréal, ville caractérisée historiquement par une dichotomie traditionnelle entre le français et l’anglais s’est enrichie des pratiques linguistiques et culturelles issues de ces flux migratoires et les a intégrées. Ce contexte particulier a attiré notre attention pour une recherche sociolinguistique sur l’évolution de la langue portugaise, sa transmission et sa promotion au sein de sa « forteresse » : la « communauté portugaise » de la métropole québécoise. Notre questionnement s’est alors ouvert, d’une part sur l’observation et l’analyse des pratiques langagières au sein du groupe et en particulier l’évolution de la langue portugaise dans un contexte de contact de langues, et d’autre part sur l’analyse des représentations qui résultent de ces pratiques.

2 Notre enquête ethnographique s’insère dans les études sociolinguistiques sur une situation de contact de langues au sein d’un contexte d’immigration. Après la description des principes méthodologiques et du contexte d’étude, nous présentons notre analyse partagée en deux parties. Nous avons d’abord analysé les pratiques en langue portugaise et dégagé sept « éléments de fragilité » de la langue dans son nouveau contexte, des indicateurs d’érosion morphosyntaxique de cette langue. Ensuite, nous nous sommes focalisés sur l’analyse du discours épilinguistique, et plus

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spécialement sur la relation qui se crée entre langue et identité, notamment en mettant l'accent sur le rôle de la langue comme marqueur d’identité du groupe ; notre but étant de comprendre la définition donnée du « bon » portugais et de faire la relation avec l’identité collective et le sens d’appartenance au groupe.

Principes méthodologique de la recherche

3 Notre enquête qualitative s’est mise en place durant deux terrains de recherche réalisés à Montréal en 2011 et 2014. Tout au long du premier séjour (de juin à décembre 2011), nous nous sommes concentrés sur la récolte des données et durant le deuxième (de mai à septembre 2014) nous avons privilégié l’analyse des données.

4 Pour la récolte de données, après avoir proposé un questionnaire et participé aux activités et fêtes organisées par les membres du groupe et observé la vie « communautaire » des Portugais et leurs descendants à Montréal, nous avons réalisé des entretiens individuels et collectifs sous forme d’enregistrements (audio et vidéo).

5 Dès l’arrivée à Montréal, le questionnaire a été distribué dans les endroits les plus fréquentés du quartier portugais de la ville et a été utilisé afin de définir un échantillon hétérogène (âge, sexe, niveau d’études, profession et provenance) pour la sélection des locuteurs et locutrices à interviewer dans un deuxième temps. Grâce à cette méthode, nous avons eu une première approche avec le groupe étudié et la vie communautaire et associative.

6 Suite à l’analyse des questionnaires, 52 entretiens individuels et collectifs (audio et vidéo) ont été réalisés, avec des locuteurs et locutrices portugais ou d’origine portugaise, d’âge, sexe, profession, niveau d’étude et origine géographique différents. Notre entretien semi-dirigé a été organisé sur la base de deux points fondamentaux : il a été préparé et proposé en langue portugaise de façon à faire émerger des interactions spontanées en langue portugaise, pour permettre l’analyse linguistique de la langue parlée et il a été orienté vers une biographie langagière, afin de permettre la réalisation de l’analyse du discours épilinguistique.

7 Finalement, l’expérience ethnographique a été complétée grâce à l’observation participante d’événements de la vie collective du groupe (vie de quartier, commerces, offices religieux, activités ludiques et sportives). Notre propre positionnement au sein de l’étude a été mis en question tout au long de cette période, entre le faire partie et l’éloignement du groupe.

Le contexte particulier de la ville de Montréal

8 « Comunidade portuguesa » (Eusébio, 2001) est l’appellation en langue portugaise la plus fréquemment utilisée pour identifier et décrire le quartier ethnique installé dans le centre de Montréal, mais aussi l’ensemble des Portugais et de leurs descendants issus du parcours migratoire qui a eu lieu tout au long du XXe siècle. La « comunidade » s’est installée au sein de la ville dans le quartier de Saint-Louis et s’adosse au boulevard Saint-Laurent, grande artère du centre de Montréal. Ce quartier, avec d’autres quartiers issus du même processus migratoire, composent le puzzle des différentes « îles culturelles et linguistiques » de la ville.

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9 Notre choix de la ville de Montréal n’a pas été un hasard. D’une part, notre étude se focalise sur une zone urbaine : la ville, qui mise à part son hétérogénéité, est définie comme un espace marqué par une densité importante de réseaux communicatifs (MILROY 1980) qui créent des frontières matérielles et conceptuelles, à la fois flexibles et en mouvement, sur le territoire.

10 D’autre part, parmi les nombreuses communautés issues de l’immigration portugaise au Canada, comme celles de Toronto et de Vancouver, nous avons choisi la « communauté » de Montréal parce qu’elle vit une situation unique. Cette ville se partage entre ses deux langues « dominantes » – le français et l’anglais qui la définissent comme ville « officieusement »1 bilingue, et elle se sépare dans les idéologies. L’interculturalisme francophone québécois est vu comme alternative au multiculturalisme fédéral canadien. Montréal se définit alors comme une « ville à deux visages » (SCETTI 2015).

11 Montréal et ses « communautés » vivent dans un paradis de « multiculturalité » et ses habitants donnent beaucoup d’importance à la différence et au partage et pour cette raison les langues des allophones issues de l’immigration, trouvent ici leur espace. Le débat linguistique est omniprésent dans la société montréalaise. Parler de langue et des langues, et particulièrement de la rivalité entre la langue française et la langue anglaise, sont des thèmes récurrents qui animent les conversations des citoyens. Ces deux langues qui ont connu une bipartition historique de la ville, de part et d’autre du boulevard Saint-Laurent, vivent aujourd’hui leur domination dans une situation de « double majorité » (ANCTIL 1984), où le français est la langue la plus parlée 2, mais où l’anglais, de par son statut particulier de langue internationale, domine le monde des affaires et toute une bonne partie du côté ouest de la ville.

Le quartier ethnique portugais de Saint-Louis

12 Les Portugais ont commencé à s’installer à Montréal suite aux flux migratoires du XXe siècle. De nouveaux quartiers se sont créés dans la ville et sur l’Île de Montréal, aujourd’hui nous trouvons les quartiers chinois, portugais, juif, la Petite Italie et le quartier grec de Parc-Extension. Tous ces quartiers, où les nouveaux habitants s’étaient établis initialement en définissant leurs propres espaces, sont aujourd’hui des aires où leurs langues et cultures vivent et sont mises en valeur, des véritables « îles linguistiques et culturelles » sur l’île de Montréal.

13 La « communauté portugaise » de Montréal compte un total d’environ 40.000 habitants selon l’origine ethnique3, 30 000 selon la langue maternelle, d’après les dernières statistiques nationales canadiennes4. Montréal détient la concentration de Portugais et de descendants de l’immigration portugaise la plus importante de la province du Québec et la deuxième au Canada (devant les villes de Toronto, première et Vancouver, troisième). Aujourd'hui, la « comunidade » de Montréal, constituée pour la plupart de familles provenant de l’archipel des Açores, de l’Île de Madère, du centre et du nord du Portugal continental, s’étend dans la ville jusque dans la banlieue, où ses habitants se sont transférés dans les années 2000 (DA ROSA ET TEIXEIRA 2000).

14 Les premiers Portugais qui avaient laissé un pays pauvre et un système politique complexe sous la dictature de Salazar (1933-1968) à la recherche de fortune, sont arrivés au Canada à partir des années 1950. D’autres vagues, plus ou moins régulières,

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ont maintenu le volume de ce flux migratoire qui a rendu possible la fondation d’un véritable quartier portugais dans la ville : la « comunidade ». Saint-Louis, quartier qui se situe au centre de la ville québécoise (arrondissement du Plateau-Mont-Royal), représente de nos jours, le centre de la vie associative des Portugais à Montréal et des activités commerciales du groupe qui a développé, dans le temps, une communauté des affaires prospère et complexe (ROBICHAUD 2004). Aujourd’hui, nous y trouvons des restaurants, des boutiques, des bars, des clubs et de nombreux commerces.

15 Bien que beaucoup de familles d’origine portugaise se soient récemment transférées tout particulièrement dans les quartiers et dans les banlieues à majorité francophone (DA ROSA ET TEIXEIRA 2000), Saint-Louis demeure le centre du groupe. La « Missão Santa Cruz » (MSC) qui se situe au centre du quartier, représente le point de convergence de la vie communautaire (église, école et centre associatif). La MSC gère l’enseignement de la langue portugaise à travers deux écoles: l’école primaire et l’école secondaire « Lusitana », elle s’occupe des activités récréatives (« rancho » de danses folkloriques, chorales, orchestres), de l'« Universidade dos Tempos Livres » qui se charge de l’éducation des personnes les plus âgées et du groupe de rencontre et partage « Os Jovens », pour les nouvelles générations.

Les deux volets de l’analyse : linguistique et discours épilinguistique

16 Durant l’observation des pratiques langagières au sein de la « communauté portugaise », nous avons tout d’abord pu analyser les phénomènes dus au contact avec les langues dominantes : le français et l’anglais (alternance codique, mélange codique, emprunts lexicaux, et interférences structurelles, entre autres), avant de nous concentrer sur l’analyse linguistique de la langue portugaise et dégager des éléments de fragilité de sa structure.

17 Ensuite, notre interrogation à propos du changement linguistique au sein de la « communauté » et l’évolution dynamique des pratiques en langue portugaise au sein du groupe, nous a amené à considérer la langue dans ses nouvelles définitions et statuts véhiculés dans les discours des locuteurs et locutrices: langue d’héritage (pour les plus jeunes), langue du passé (pour les plus âgés), langue véhiculaire (de la vie quotidienne dans la communauté) et langue du futur (outil de travail, langue à l’international et point fort pour la continuité du groupe). Nous avons ainsi pu observer l’impact que la langue peut encore avoir comme marqueur de l’identité collective du groupe, comme élément d’appartenance au groupe.

L’analyse linguistique des sept « éléments de fragilité » du portugais parlé à Montréal

18 Suite à l’analyse linguistique des entretiens et grâce aux séances d’observation d’interactions faites au quotidien, nous avons mis en valeur sept « observables », décrits comme des « éléments de fragilité » de la langue portugaise parlée dans le groupe. Ces éléments permettent de contextualiser l’érosion, l’attrition (SCAGLIONE 2000), décrit ici par des indicateurs morphosyntaxiques. Au moment de l’analyse, 24 entretiens ont été sélectionnés pour cette finalité. Nous avons pris en compte 8 entretiens pour chaque génération : 1G – 1ère génération : premiers arrivés du Portugal ; 2G – 2e génération : enfants dont l’un des deux parents est immigré du Portugal ; 3G – 3e

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génération : enfants dont l’un des deux parents est issu d’une famille d’origine portugaise.

19 En observant transversalement l’occurrence des usages mettant en valeur les sept « éléments de fragilité » analysés, nous avons pu dégager des tendances caractéristiques lors du processus d’évolution de chacun des éléments, en considérant l’influence du contexte d’étude et des langues présentes majoritairement (le français et l’anglais). Nous avons pu ainsi remarquer l’importance de l’apport linguistique en langue portugaise, en particulier des variantes de référence privilégiées: le portugais européen (PE) et celui du Brésil (PB). Cette évolution de la langue montre la particularité de son dynamisme dans un espace précis et l’impact de l’influence des autres langues avec lesquelles elle entre en contact.

20 La liste qui suit, présente quelques résultats de notre analyse linguistique, des « fragilités » qui sont identifiables dans d’autres travaux sur l’érosion linguistique dans d’autres contextes similaires, comme l’étude de Stefania Scaglione sur les lucchesi5 de San Francisco (2000) ou celle de Carmen Silva-Corvalán sur l’espagnol des immigrés mexicains à Los Angeles (1994).

21 Notre priorité a été donnée à des éléments de la flexion: les pronoms clitiques dans les verbes pronominaux, leur changement de position d’enclise (postverbale) en position de proclise (préverbale) (1), ou de leur disparition (2) dans les phrases affirmatives ; et les marques grammaticales de genre (3) et de nombre (4) des adjectifs, des pronoms et des participes passés (avec fonction adjectivale) : (1) Vanessa 3G – « Eu me chamo Vanessa »6 (eu chamo-me); (2) Fábio 2G – « Eu chamo Fábio »7. (3) Peter 3G – « É a televisão português »8 (portuguesa); (4) Katherine 3G – « Somos todos lá português »9 (portugueses).

22 Nous avons aussi analysé des éléments de flexion et concordance verbale : l’expression « a gente » (tout le monde, les gens), reconnue comme une caractéristique du PB (BORGES 2004 ; VIANNA 2011) qui a été observée en trois différentes structures verbales : 3e personne du singulier (3SG – normative) (5), 1ère personne du pluriel (1PL – construction sémantico-discursive) (6) et 3e personne du singulier accompagné par le « se » impersonnel en position enclitique (3SG + « se » – variation du portugais étudié de l’île de Madère) (7) (MARTINS 2003) : (5) Mário 2G – « A gente se junta »10 ; (6) Fátima 1G – « A gente vamos todos »11 ; (7) Graça 2G – « A gente tinha-se »12.

23 Notre analyse s’est ensuite concentrée sur la concordance verbale de certains verbes à déclinaison complexe, comme les formes du passé simple commun de l’indicatif de « ir » (aller) et « ser » (être - état permanent, inné, fixe et immuable) (8), et la forme du présent de l’indicatif de certains verbes à altération du radical, comme « sentir-se » (se sentir) (9). Cette non-concordance a été mise en relation avec la présence du sujet exprimé phonétiquement (nom, pronom personnel ou autres moyens supplétifs et plus économiques, comme le contexte énonciatif et pragmatique) qui peut remplacer l’exigence de compatibilité morphosyntaxique des marques grammaticales des formes verbales. La conséquence de ce processus peut être l’isomorphisme, c’est-à-dire l’absence de marque différenciée de concordance, l’uniformisation de la déclinaison verbale :

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(8) Jeff 3G – « Eu fui pa’ uma escola portuguesa... eu foi pa’ uma escola português »13 (eu fui); (9) Dora 2G – « Eu sento-me canadiana »14 (eu sinto-me).

24 Dans un deuxième temps, nous nous sommes intéressés à la marque du mode subjonctif, en analysant en particulier sa fréquence d’usage. Le subjonctif représente un élément fragile de la langue portugaise dans son évolution qui, avec le temps, peut laisser la place à d’autres modes, en particulier l’indicatif (10). Ce glissement peut être manifeste dans la langue parlée du PB, comme le souligne Teyssier (1976). Dans des contextes migratoires similaires au nôtre, la perte de distinction modale a été le sujet d’autres études, dont celle de Silva-Corvalán (1994), sur l’usage et le déclin du mode subjonctif dans l’espagnol de Los Angeles : (10) Graça 2G – « Talvez eu tinha os meus 12 anos quando a minha mãe teve »15 (eu tenha).

25 Pour conclure, nous avons étudié les usages de certains verbes auxiliaires et leur valeur syntaxique et contextuelle. Nous avons pu analyser la perte de distinction de la fonction temporelle entre les verbes « ser » (état permanent, inné, fixe et immuable) et « estar » (état temporaire, qui peut changer, varier) (11), et le remplacement du verbe « haver » (avoir impersonnel, existentiel et impersonnel déontique) en déclin, qui favorise l’utilisation du verbe « ter » (avoir de possession, d’obligation et de devoir) à valeur existentielle (12) ; cet usage a été décrit comme caractéristique privilégiée en PB (LEITE, CALLOU, MORAES 2003 : 101) : (11) Elijah 3G – « Não é muito, ‘tá muito calor »16 (autocorrection) ; (12) Florbela 2G – « Na comunidade já tinha missa, tinha escola »17 (havia, havia).

Les effets d’appartenance : l’étroite relation entre langue et identité

26 L’analyse linguistique des « fragilités » de la langue portugaise dans son contexte montréalais nous a permis de comparer la production langagière des différents locuteurs et locutrices selon la génération et nous a fait réfléchir sur la perception de ces pratiques dans la définition de l’élément « langue » comme marqueur d’identité du groupe.

27 L’analyse du discours épilinguistique, qui a été possible grâce à la réalisation d’entretiens semi-dirigés, nous a permis d’observer comment les pratiques langagières quotidiennes peuvent influencer ou non les représentations et mettre en question la définition identitaire des individus dans le groupe. Tout d’abord, nous avons observé le positionnement de la langue dans ses différents statuts au sein du groupe, pour ensuite mettre en cause son rôle de marqueur identitaire du groupe.

À la recherche du portugais perdu ?

28 Les pionniers de l’immigration à Montréal, à partir des années 50, ne parlaient pas une seule langue fixe ou bien définie. Cette langue portugaise, comme nous la voyons aujourd’hui était constituée de variantes régionales très différentes, chacune ayant son propre apport. Par exemple, la mère d’Esmeralda (2G) à son arrivée disait qu’elle « est restée enfermée pendant six mois avant de connaître la ville et le quartier, la communication n’étant pas simple, même avec les autres Portugais parce qu’ils étaient

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Açoriens ». Cet extrait souligne une distance géographique, culturelle et linguistique entre les régions du Portugal continental et les îles. Une méconnaissance réciproque existait à propos des pratiques langagières en portugais, éloignement qui a pu se combler dans le temps grâce en particulier à l’influence des médias. Cette image d’une « seule » langue portugaise s’appuie sur le portugais européen standard (PE) : la « norma-padrão » (langue normative), du mot en portugais « padrão » (modèle, type, pierre).

29 Dans les pratiques quotidiennes, nous avons pu observer que cette « langue » avec ses frontières n’est pas forcément « exacte », bien que les discours l’acclament comme « bonne » et « juste ». La présence des deux langues dominantes à Montréal, nous offre la création d’un multilinguisme de contact où des phénomènes au nom de l’alternance codique (code-switching), le mélange codique (code-mixing), l’emprunt lexical (lexical borrowing), l’hybride lexical et l’interférence des traits structurels, entre autres, résultent du contact des langues. Ces pratiques quotidiennes multilingues soulignent comment les locuteurs et locutrices peuvent manipuler leur propre répertoire en fonction de l’espace communicatif et de la situation.

30 Le « véritable » portugais, celui qui est représenté par la langue normative, circule et est visible grâce aux institutions (écoles, médias), et s’installe comme « seule » langue de la « comunidade » dans les imaginaires de ses locuteurs et locutrices. Cependant, dans les faits, la situation de contact fait que ces locuteurs et locutrices actualisent en continuation la totalité de leurs compétences linguistiques (bilingue ou trilingue) et donnent vie à des activités communicatives qui impliquent la mise en jeu des différentes langues en contact. Ce qui nous fait questionner la position centrale du « bon » portugais comme seul protagoniste.

31 En effet, lors des nombreuses sessions d’observation d’interaction au sein du groupe (dans les clubs, les associations ou l’école), nous avons pu observer les pratiques quotidiennes et quelques phénomènes résultant de la situation de contact. Ces observations nous ont permis de considérer le contexte du multilinguisme urbain comme complexe et très varié, et nous ont aidé à revoir cette définition et pureté du portugais.

32 Au moment de l’analyse nous avons remarqué la présence d’emblematic Code-Switching (POPLACK 1980). Nous pouvons ci-dessous observer ce phénomène d’alternance codique en présence de substantifs isolés intraduisibles à cause de leur contenu très contextualisé, dans les exemples (13) et (14), et en présence de marqueurs discursifs, de conjonctions ou de syntagmes prépositionnels, dans les exemples (15) et (16). Ce phénomène mettant en jeu à la fois le portugais, le français et l’anglais, a pu être souligné au début ou à l’intérieur des phrases, parfois accompagné d’une pause, d’une hésitation ou d’une reformulation : (13) Vítor 1G – « Estou a gostar, e já me deve faltar muito pouco para atingir a retraite »18 (français) ; (14) Jaime 3G – « Aqui no Canadá só tenho a minha mum »19 (anglais) ; (15) Alberto 1G – « Mais non só tem dezasseis anos »20 (français) ; (16) Graça 2G – « Well, não havia tanta comunidade portuguesa como agora »21 (anglais).

33 Nous avons aussi pu observer des éléments lexicaux comme par exemple les hybrides lexicaux. Ces hybrides lexicaux ont été observés comme des pratiques isolées et insolites, ils ne sont pas assimilés dans l’une des langues, mais représentent des

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occurrences occasionnelles. Voici quelques exemples illustrés grâce à la transcription phonétique selon l’Alphabet Phonétique International – API : (17) Fábio 2G – « As racinas »22 [asrasinaʃ] ; (18) Virgílio 1G – « Autoroutes »23 [autoʁutʃ]. 34 Enfin, en ce qui concerne les phénomènes de morphologie, nous avons privilégié l’observation de l’interférence des traits structurels. Nous avons décidé de donner la priorité à l’interférence prépositionnelle de l’anglais ou du français en portugais avec des noms géographiques. Que ce soit pour les noms géographiques propres à Montréal et au contexte canadien, ou pour ceux qui sont propres au contexte portugais, nous avons remarqué des interférences entre différentes prépositions dans les cas où les toponymes requièrent ou n’obligent pas le support de l’article. Ici l’utilisation de la préposition « em » (en, dans) et sa préposition articulée « no », « em + o » (dans le) : (19) Filipe 3G – « O meu pai estava vivendo no Laval »24 (em Laval) ; (20) Vanessa 3G – « O meu avó viveu em Canadá »25 (no Canadá).

35 Tous les phénomènes de contact ici présentés donnent une idée par rapport aux pratiques langagières quotidiennes, où les trois langues, portugais, français et anglais se mélangent et cohabitent. Ces séances d’observation nous ont aidés à mettre en jeu la position de la langue portugaise comme « seule » langue de définition du groupe et surtout mettre en question son idéal de langue propre, fixe et pure. « O meu português é taratatata » souligne Florbela (2G), locutrice de 40 ans. Elle met en cause ses compétences en langue portugaise et se met en question par rapport à son idéal de référence, de justesse ; ce portugais qui serait marque de son appartenance au groupe.

La langue portugaise, marqueur identitaire

36 Définir la « langue portugaise » selon les discours de ses locuteurs et locutrices à Montréal s’est avérée tout aussi complexe que définir une « identité portugaise », « portugaisité » ou « lusitanité26», bien définie.

37 Le premier pas à dépasser a été l’obstacle épistémologique de la définition d’une identité individuelle liée à l’entité de la personne, pour enfin concentrer toute notre réflexion sur la construction et définition d’une identité-appartenance au groupe, où la langue en serait un élément de définition, un marqueur d’identité. Les représentations de la langue portugaise retrouvées dans les discours nous ont aidés à positionner notre questionnement sur la construction d’une « identité ethnolinguistique », une identité qui se définit par les interactions dans une ou plusieurs langues, mais aussi comme représentation de tout le système culturel et symbolique qui sert de cadre au groupe, à la « communauté » ; cette identité « ethnolinguistique » dépend de la vitalité communautaire du groupe (LANDRY, ALLARD, DEVEAU, 2005).

38 Notre objectif dans cette recherche a été celui de rendre explicites des discours à propos de la langue et de l’identité mobilisés, mais pas nécessairement visibles, au sein du groupe. Grâce à l’entretien semi-dirigé, conçu presque comme une biographie langagière, nous avons pu restituer une pluralité de représentations et d’imaginaires des locuteurs et locutrices face à la langue, son positionnement, ses différents statuts, ainsi que la perception de ses pratiques. L’analyse thématique nous a permis d’observer les négociations informelles faites dans le groupe et « avec soi-même » (STRAUSS 1989) ; toutes les négociations identitaires se font sur la base d’évaluations, de classements, et de mises en valeur des compétences. Ces négociations qui se font à un

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niveau personnel dans un premier temps, s’élargissent sur le plan collectif ensuite, nécessitant l’évaluation d’un tiers : l’« autre », pour s’en éloigner ou pour s’en rapprocher.

39 Au sein de la « communauté portugaise » de Montréal, les espaces du quartier ont représenté le centre de partage et d’échange. Le quartier a été individué comme espace de pratique de la langue portugaise, espace de survie de la langue, mais aussi comme centre « identitaire » collectif. Dans cet espace la langue a pu créer ses propres limites et elle peut se protéger ; elle a pu bâtir une petite forteresse.

40 L’importance de la langue au sein du groupe se manifeste par ses différents usages comme langue de culture mais aussi comme véritable langue véhiculaire, « lingua franca », pour les locuteurs et locutrices d’origine portugaise plutôt intégrés en français ou en anglais selon leur date d’arrivée dans la ville, avant ou après les politiques linguistiques mises en œuvre au Québec à partir des années 197027. Les institutions périphériques (associations et clubs) promeuvent la pratique de la langue portugaise et soutiennent la transmission au sein des familles. La langue est une langue de communication intergénérationnelle entre les plus jeunes et les plus âgés, elle occupe une place « très importante dans la scolarisation des enfants » (Elizabeth 2G), et surtout elle est « vendue » comme une langue internationale, « outil de travail, une langue du futur et la septième langue du monde » (Jaime 3G).

41 Parler le portugais, ou mieux « un bon portugais » (Florbela 2G) n’est pas une qualité, mais une marque d’appartenance au groupe, comme le fait de partager une même histoire familiale d’immigration, de retrouver les mêmes traits culturels ou d’avoir les mêmes principes. Toutes les autres manifestations qui mettent en jeu sa pureté, sa survie et son statut au sein du groupe peuvent mettre en cause ce sens d’appartenance ou d’affiliation au groupe.

42 Bien que dans un contexte multiculturel et ouvert comme celui de la ville de Montréal, il est toujours difficile de se détacher d’une vision ancienne de pureté et de fixité d’une langue. La promotion et les questionnements à propos du français ou même de l’anglais le démontrent (BOBERG 2010). L’identité se construit, déconstruit et se reconstruit à partir de cette idéologie et sur la base des enseignements à propos de la justesse d’une langue. La circulation des identités peut alors s’envisager sur la base des langues connues, maîtrisées ou possédées, en identités différentes et pourtant complémentaires entre elles. Néanmoins, ces identités peuvent se négocier parmi les individus selon la situation de chacun et sur la base non seulement des compétences linguistiques ou des attitudes linguistiques, mais aussi sur une mise en scène de « mixité ». À titre d’exemple, Jason, jeune locuteur de 18 ans, souligne son hésitation identitaire et le rond-point identitaire où il se positionne par rapport à la situation où il se trouve : « je suis canadien, mais j’ai des origines portugaises, j’aime avoir du sang portugais. Je suis portugais. Je le suis, ici au Canada. Je suis canadien au Portugal » (Jason 3G).

Conclusion

43 Dans le contexte particulier de Montréal, ville où les langues sont les protagonistes, il est normal, surtout parmi les nouvelles générations, de parler deux ou trois langues. Chaque langue occupe une position différente selon les locuteurs et les locutrices, et se classe selon son importance et son utilisation dans les différents espaces : sphère publique, semi-publique (clubs, associations, institutions) et sphère privée (famille). Au

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sein de la « communauté portugaise », nous avons pu rencontrer différents profils de locuteurs et locutrices pour lesquels les pratiques en langue portugaise jouent un rôle dans la communication, mais définissent surtout la position de chacun face à lui -même et par rapport à l’« autre ».

44 Le quartier de Saint-Louis à Montréal est la représentation visible de l’identité du groupe, une véritable forteresse de son existence. Marcher dans ses rues est une expérience de voyage différent, entre couleurs, parfums, et surtout sonorités. Bien que dans le temps ce « petit Portugal » se soit intégré de plus en plus dans la métropole multilingue et multiculturelle qu’est Montréal, cet espace n’a pas perdu son essence. Dans cette forteresse, nous avons observé différentes utilisations du portugais ainsi que du français et de l’anglais, ce qui souligne comment les locuteurs et locutrices manipulent leur propre répertoire linguistique.

45 Au cours de notre enquête, nous avons pu observer le changement linguistique du portugais à travers l’analyse des points de fragilité de ces formes. Toutefois, à travers l’analyse des discours épilinguistiques, nous avons pu noter l’impact de cette mutation et la perception mettant en contraste une idéologie de pureté de la langue avec une idéologie de nouveauté et de mélange.

46 Tous ces discours sur la langue sont le fruit d’un parcours entrepris par le groupe dans son installation à Montréal. Le portugais est à la fois véhicule de ces discours et marque de l’existence du groupe. Cette langue conserve une position de langue de communication dans les domaines de la « communauté portugaise » et est un élément indispensable de visibilité de la « comunidade ». Elle circule, s’adapte, se mélange, et se modifie. Avec elle, l’identité des individus circule aussi et s’adapte selon le contexte et la situation communicative. Dans toutes ses formes de productions et dans toutes ses représentations, elle se distingue comme l'un des éléments fondamentaux de l'identité ethnolinguistique du groupe. La langue reste le drapeau de cette forteresse linguistique qu’est la « communauté portugaise » de Montréal.

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VIANNA BARBOSA, Juliana (2011), Semelhanças e diferenças na implementação de a gente em variedades do português, Rio de Janeiro, Faculdade de Letras (UFRJ). (Thèse de Doctorat).

NOTES

1. La ville de Montréal n’est pas officiellement « bilingue », bien que ses habitants la considèrent comme telle. Un sondage a été conduit en 2013 par CBC / Radio Canada auprès des citoyens de la ville et 77% des habitants considèrent la ville comme « bilingue » (http://www.cbc.ca/news/ canada/montreal/majority-of-montreal-residents-see-city-as-bilingual-poll-1.2100712). 2. STATISTIQUES Canada (2009), Census of Canada (2006): “Citizenship, immigration, birthplace, generation status, ethnic origin, visible minorities, and aboriginal peoples”, 97-557-XIE, Ottawa, Industry Canada. 3. STATISTIQUES Canada (2003), Census of Canada (2001): “Profile of ethnic category, mother tongue and home language”, 95-0357, Ottawa, Industry Canada. 4. STATISTIQUES Canada (2009), op.cit. 5. Lucchesi – originaire de la ville et de la province de Lucca, en Toscane. 6. Les segments suivants sont traduits en français (1) : je m’appelle Vanessa. 7. (2) : je m’appelle Fábio. 8. (3) : c’est la télévision portugaise.

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9. (4) : nous sommes tous, là-bas, portugais. 10. (5) : on se regroupe. 11. (6) : on va tous. 12. (7) : on devait. 13. (8) : j’étais à une école portugaise… j’étais à une école portugaise. 14. (9) : je me sens canadienne. 15. (10) : peut-être que j’avais 12 ans quand ma mère a dû. 16. (11) : il ne fait pas beaucoup, il fait très chaud. 17. (12) : dans la communauté il y avait déjà la messe, déjà l’école. 18. (13) : j’aime bien (l’idée de rentrer un jour au Portugal), et il ne me manque pas beaucoup de temps pour arriver à la retraite. 19. (14) : ici, au Canada, j’ai seulement ma mère. 20. (15) : mais non, elle a seulement 17 ans (sa fille). 21. (16) : bien, il n’y avait pas autant de communauté portugaise qu’aujourd’hui. 22. (17) : les racines. 23. (18) : autoroutes. 24. (19) : mon père vivait à Laval. 25. (20) : mon grand-père vivait au Canada. 26. Lusitanité : de Lusitanie (du latin Lusitania), ancienne région romaine équivalent au Portugal moderne. Sentiment d’intégration identitaire collective et nationale qui se lie à l’origine portugaise et/ou au fait de parler la langue portugaise (lusophonie). 27. Le Gouvernement du Québec a promu une politique linguistique en faveur du français à partir des années 70, en promulguant la Loi 22 : Loi sur la langue officielle (1974) et la Loi 101 : Charte de la langue française (1977). Ces deux lois signèrent le nouveau positionnement de la langue française au Québec, comme seule et unique langue officielle de la province, langue de scolarisation des nouveaux immigrants, des affaires, de la vie et du public.

RÉSUMÉS

Cette contribution est issue d’une enquête ethnographique en sociolinguistique sur la « communauté portugaise » à Montréal. Suite à la recherche de terrain conduite à Montréal en 2011 et en 2014, nous avons pu réaliser deux typologies d’analyse. Dans un premier temps, grâce à l’analyse linguistique, nous avons observé sept « éléments de fragilité » de la langue portugaise parlée au sein du groupe, qui montrent son degré d’érosion. Ensuite, en analysant les discours épilinguistiques, nous avons pu souligner différents statuts donnés à la langue et surtout son rôle comme marqueur identitaire de la « communauté ».

This paper provides insight into the process of evolution of oral practices in Portuguese language inside the “Portuguese community” of Montreal and the strict relationship of those practices to a common sense of identity inside the group. After the field research realised in 2011 and 2014, we were able to observe seven “elements of weakness” of its structure (Linguistic Analysis). In addition, the Epilinguistic Discourse Analysis allowed us to observe language representation inside the group, which may help in understanding the complex process of defining the identity of the “linguistic community” in relation to language practises and uses.

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INDEX

Mots-clés : contact de langues, migration portugaise Montréal, langue et identité, érosion de la langue, changement linguistique Keywords : language contact, Portuguese migration in Montreal, language and identity, attrition, linguistic change

AUTEUR

FABIO SCETTI Fabio Scetti est docteur en Sciences du Langage à l'Université Paris Descartes - Paris V (Sorbonne – Paris – Cité) et rattaché au Laboratoire CEPED (UMR 196 – IRD), thèse en Sociolinguistique sous la direction de Christine Deprez. Il a enseigné au Département de Sciences du Langage de Paris Descartes et est actuellement ATER à l'Université Sorbonne-Nouvelle Paris III. Il s'intéresse au Contact de Langues dans le domaine des migrations. Il collabore avec l'ICL de Vigo di Fassa, en Italie, pour la préparation du VOLF (vocabulaire du Ladin de la Val di Fassa).

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Bien-être et pratiques culturelles. Comparaison du cas des Inuit du Nunavut au Canada et des Quichuas du Napo en Amazonie équatorienne Wellbeing and cultural practices: a comparison between the Nunavut Inuit in Canada and the Napo Quichuas in equatorial Amazonia

Simon Fleury

Introduction

1 Toutes les communautés autochtones ne présentent pas des taux de suicide, d’alcoolisme et d’addiction élevés indiquant une santé mentale détériorée. Cependant, les plus hauts taux de ces mêmes phénomènes se retrouvent généralement au sein des populations autochtones (GOEBERT 2014 : 159). Les taux de suicide, la consommation d’alcool et de drogues, des comportements étiquetés comme dépressifs et témoignant d’une santé mentale instable atteignent chez certaines populations des proportions telles, que l’on parle aujourd’hui d’une nouvelle forme d’épidémie1. La santé mentale apparaît donc pour les autochtones comme l’un des défis centraux, qui relève, selon la définition donnée par l’Organisation Mondiale de la Santé, du « bien-être »2.

2 Parallèlement à cette réalité, les revendications autochtones et l’obtention d’une reconnaissance à différents degrés (politique, territorial et identitaire) au sein des États-nation où se situent les groupes et au niveau international par le biais de l’ONU (Organisation des Nations Unies) et de l’OIT (Organisation Internationale du Travail)3, connaissent une évolution rapide depuis les années 1960. Les groupes autochtones, souvent à l’origine de mouvements sociaux et contestataires, ont su s’organiser formellement en s’appropriant des instruments politiques. Les revendications et projets autochtones s’inscrivent dans une approche axée sur le local et le territoire, défendant l’idée de l’autodétermination des peuples et d’une plus grande autonomie.

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Elles s’appuient sur des arguments identitaires et historiques. L’identité est donc un deuxième sujet central chez les autochtones. Mais quel est le lien entre identité et bien- être ? La reconnaissance identitaire assure-t-elle le bien-être ?

3 En 1999, suite à de nombreuses négociations, le Canada créait en collaboration avec les Inuit le territoire du Nunavut doté d’un gouvernement public. Les accords sur la création du territoire du Nunavut prévoient que la fonction publique soit représentative de la population du territoire majoritairement Inuit : c’est-à-dire composée à hauteur de 85% d’Inuit4 (BERGER 2006 :14-15; MORIN 2003 : 7). En 1998 puis en 20085, l’Équateur reconnaissait au niveau constitutionnel le caractère plurinational du pays en conférant aux différents groupes autochtones qui le composent des droits spécifiques sur leur territoire, sans cependant faire référence à la création de gouvernements publics décentralisés.

4 Le Nunavut représente un exemple au niveau mondial d’un projet autochtone sur un territoire défini conjointement avec le Canada. L’obtention d’une reconnaissance telle et la possibilité de s’organiser, grâce à un gouvernement public au sein d’un territoire, laissent supposer un épanouissement certain des Inuit du Nunavut. Pourtant, le Nunavut est également un territoire ayant l’un des taux de suicide les plus élevés chez les populations autochtones, principalement chez les jeunes de 14 à 24 ans. En 2011, le taux de suicide était de 110 pour 100.000 habitants au Nunavut, soit un taux environ 10 fois supérieur à la moyenne canadienne de 10,8 pour 100.000 habitants la même année (HICKS 2009 : 2). Les Quichuas du Napo en Amazonie équatorienne ne possèdent pas de système de gouvernance aussi « abouti » que celui du Nunavut, bien qu’ils s’organisent au niveau politique par le biais de confédérations6. Les problèmes d’alcool sont présents, mais on ne recense pas de taux de suicide anormalement élevé.

5 Comment expliquer un taux de suicide plus important chez les Inuit du Nunavut que chez les Quichuas du Napo malgré la création du Nunavut en 1999, censé conjuguer le « meilleur des deux mondes », c’est à dire la société occidentale et le monde autochtone, pour un mieux-être culturel et social (MAGORD 2005 : 248)? L’identité et le bien-être étant deux thèmes au centre des problématiques autochtones, quelles sont leur place dans le projet du Nunavut au Canada et le projet d’État plurinational en Équateur ?

6 Notre article ne prétend pas apporter de résultats mais souhaite proposer des pistes de réflexion, au travers de l’étude des productions scientifiques, sur le sujet de la santé mentale autochtone et des observations faites sur le terrain équatorien. Une comparaison des deux contextes n’ayant jamais été entreprise auparavant, notre recherche espère apporter un éclairage nouveau sur l’originalité des problématiques Inuit et Quichua. Cet article se penche davantage sur la question Inuit en optant pour une démarche comparatiste selon le modèle référentiel (BOUCHARD 2000 : 37-75). Ce dernier consiste à prendre une des unités de comparaison comme référent (ici les Inuit du Nunavut). La comparaison s’élabore en fonction de cette unité. Le détour par une ou plusieurs autres unités (ici les Quichuas du Napo en Équateur) a pour but de mieux connaître l’unité de référence.

Les chocs historiques

7 Les différents processus de colonisation et leur étude ont amené à identifier trois chocs qu’ont connus les populations autochtones : les chocs biologique, structurel et

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identitaire. Le choc biologique se décrit par les fortes chutes démographiques qu’ont connues la plupart des groupes, lesquelles furent provoquées suite au contact avec des maladies, face auxquelles les systèmes immunitaires ne savaient pas réagir (DELÂGE et TRUDEL 1991 : 7, WESLEY-ESQUIMAUX 2007). Le deuxième choc, structurel, découle des ruptures de l’organisation sociale interne et des logiques culturelles venant équilibrer la vie quotidienne. Le choc identitaire enfin, est perçu comme la remise en question existentielle des définitions identitaires collective et individuelle des groupes colonisés. Ces trois chocs nous amènent à nous interroger sur les impacts au niveau collectif qu’ils peuvent encore avoir aujourd’hui et donc à les percevoir comme des déterminants sociaux de la santé mentale autochtone. Duran et Duran décrivent les effets de la colonisation et du colonialisme comme une « blessure de l’âme » qui serait « au cœur d’une grande partie de la souffrance subie par les peuples autochtones pendant plusieurs siècles » (DURAN et DURAN 1995 : 24). Nous nous intéresserons plus particulièrement aux chocs structurel et identitaire.

8 Sans chercher à tout expliquer au travers du filtre de ces trois chocs, nous ne pouvons négliger l’importance qu’ils occupent de nos jours dans les dynamiques sociales des Quichuas et des Inuit. Certaines logiques propres à l’Histoire perdurent dans la façon dont les Quichuas et Inuit ont de percevoir les rapports de pouvoir, et dans la façon dont les pays dans lesquels ils se situent, respectivement l’Équateur et le Canada, ont de penser leurs politiques de reconnaissance. Comme le précise Wesley-Esquimaux (2007 : 7), des mémoires collectives du traumatisme, encodées par les autochtones il y a quelques siècles, se retrouvent dans les recueils de la mémoire culturelle et sont, aujourd’hui, récupérées et réclamées. De plus, le discours politique dominant a tendance à maintenir la marginalité des peuples autochtones, en perpétuant le caractère singulier de ce que ces peuples ont vécu.

9 Il est tout de même important de noter que, malgré ces trois chocs, les théories de l’assimilation, du « melting pot » (en Amérique du Nord) et du « métissage » (mestizaje, en Amérique Latine), selon lesquelles les différences culturelles allaient s’estomper, ne se sont pas vérifiées (LACROIX, 2013 : 3). De part et d’autre de l’Amérique, dans des contextes souvent très différents, les groupes autochtones se sont organisés socialement, puis politiquement, pour revendiquer une reconnaissance identitaire, territoriale et politique.

Rebondir après un traumatisme dans un contexte de mondialisation et de mutations rapides des modes de vie

10 Le regain de revendications autochtones depuis les années 1960 montre que les groupes autochtones font preuve de résilience, entendue ici dans une perspective psychosociale. Selon Cyrulnik, la résilience est le « processus biologique, psychoaffectif, social et culturel qui permet un nouveau développement après un traumatisme psychique » (CYRULNIK, 2012 : 8). Loin de disparaître, les Inuit et les Quichuas ont cherché à proposer un nouveau projet. Quelles stratégies de résilience ont-ils déployées? L’obtention d’une reconnaissance politique comme celle du Nunavut est-elle la clé de la résilience ? Quelles limites ces stratégies ont-elles connues ? Pourquoi

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malgré la création du territoire du Nunavut, les Inuit connaissent-ils une santé mentale dégradée ?

La santé mentale

11 Nous nous intéressons à la définition de la santé mentale donnée par l’OMS en référence, cependant nous précisons que la perception de la santé et du bien-être varient en fonction des cultures. La santé mentale fait l’objet d’un large éventail d’activités qui relèvent directement ou indirectement du « bien-être », tel qu’il figure dans la définition de la santé établie par l’OMS comme étant « un état de complet bien- être physique, mental et social, et [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». La santé mentale englobe la promotion du bien-être, la prévention des troubles mentaux, le traitement et la réadaptation des personnes atteintes de ces troubles7.

12 Cette définition illustre les liens existant entre santé mentale et entourage socioculturel, à l’échelle familiale ou sociétale. La santé mentale n’est pas la simple absence de maladie en des termes somatiques, elle se situe à la croisée de facteurs multiples. Parmi ces facteurs, nous nous intéressons plus particulièrement au rôle des pratiques culturelles, décrites comme centrales par les Inuit et les Quichuas dans l’expression de leur identité. Nous abordons les pratiques culturelles comme une expérience favorisant les liens sociaux-culturels d’un groupe (CYRULKIK et JORLAN 2014). En somme, nous identifions l’expérience culturelle comme une activité menant à un bien-être, dès lors qu’elle est considérée comme partie intégrante de l’identité vécue ou revendiquée.

Quelle vision de la santé ?

13 Il existe autant de définitions de la santé que de cultures différentes parce que chaque peuple développe un concept du bien-être dérivé de sa propre logique interne et de sa théorie des connaissances. Cependant, selon Alderete (2004 : 20), les cultures indigènes ont quelques éléments communs et unificateurs. Le paradigme biomédical occidental considère que le corps, l’esprit et la société sont des éléments compartimentés et que chacun peut se comprendre indépendamment de l’autre. Les systèmes autochtones de soins se basent sur un concept holistique de la santé selon lequel le bien-être se perçoit comme l’harmonie qui existe entre les personnes, les communautés et l’univers qui les entourent. Ce bien-être dépend donc de la santé de la nature, de l’adhésion à des normes sociales et du respect des obligations morales. Alderete oppose la vision compartimentée occidentale du bien-être avec celle holistique de la vision autochtone. Par effet d’identisation et d’identification, une identité autochtone semble se dessiner au travers de la définition du bien-être. Dès lors, il est pertinent de se demander dans quelle mesure le processus de sédentarisation a perturbé ces trois points chez les Inuit et les Quichuas.

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Ruptures et continuités dans les modes de vie et santé mentale

14 Les Quichuas et les Inuit ont connu, à une période et une vitesse différentes, une sédentarisation contrainte. A partir des années 1950, le Canada a mis en place une politique de relogement et de relocalisation des populations du Nord. Les populations Inuit de l’Arctique canadien ont été déplacées pour créer des villages et communautés. Le but premier n’était pas de venir en aide aux Inuit qui subissaient alors des épidémies de tuberculose et une famine importante, mais d’occuper de façon stratégique les territoires situés au-dessus du 60ème parallèle pour y assoir la souveraineté canadienne, mise à mal dans un contexte de Guerre froide (PELAUDEIX 2008 :161-176). Jusqu’alors, la politique canadienne était de laisser les Inuit vivre de façon nomade, c’est-à-dire en se déplaçant en fonction des ressources animales disponibles et des saisons.

15 Les Quichuas du Napo avaient une vie semi-nomade. Ils s’installaient pendant deux à trois ans à un endroit où ils avaient recours à la culture sur brûlis. Ils brûlaient ainsi une partie de la forêt pour fertiliser les sols dans le but d’y cultiver des ressources alimentaires et médicinales. Un territoire de chasse s’étendait autour de cette zone de culture. Dès que la fertilité de la terre diminuait, les Quichuas se déplaçaient vers un autre endroit. L’espace défriché avait ensuite le temps de se régénérer. La confrontation avec des expéditions de missionnaires à l’origine de la création de villages dès le XVIIe siècle, puis des activités d’extraction de l’or et du caoutchouc entre 1890 et 1930, ont contraint les Quichuas à se sédentariser. Mais c’est particulièrement à partir des années 1950 que le processus s’est accéléré avec l’arrivée de la prospection et exploitation pétrolières accompagnées de politiques d’intégration du territoire amazonien, jusqu’ici délaissé, au reste de l’Équateur (UQUILLAS 1985 : 93-110).

16 Les nombreux changements entrainés par le passage d’une vie nomade à une vie sédentaire ont eu une incidence sur la santé mentale autochtone (MAGORD 2005 : 247-262). Mais quelles sont les ruptures et continuités dans les pratiques culturelles que ces changements ont provoquées ? Comment expliquer que les Inuit du Nunavut, en dehors de l’aspect plus récent du processus de sédentarisation, connaissent un taux de suicide si élevé ?

17 Suite à leur sédentarisation, les Quichuas ont pu continuer à pratiquer la culture sur brûlis et l’agroforesterie. Si la première participe de nos jours à la déforestation – les populations ne se déplaçant plus d’un endroit à un autre, la forêt n’a plus le temps de se régénérer – les deux permettent néanmoins de faire perdurer un élément culturel caractéristique des Quichuas. Ces pratiques culturelles sont liées à des savoirs et savoir- faire pouvant encore se transmettre de génération en génération.

18 Les Inuit, en revanche, ont vu leur pratique culturelle de la chasse diminuer fortement. Les communautés instaurées par les programmes canadiens ont souvent été implantées loin des lieux de chasse et de migration d’animaux. Les déplacements forcés ont en outre eu des impacts sur les relations familiales, les relations matrimoniales et les personnes (DUPRE 2011 : 139-150). La pratique culturelle de la chasse, bien qu’encore possible, est de plus en plus difficilement réalisable. Les transmissions de savoir et savoir-faire ont moins d’occasions de se réaliser par l’expérience d’une pratique culturelle8.

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19 Un deuxième élément significatif est le logement. La pratique culturelle de construction d’igloos tend également à disparaître pour laisser place à des logements fabriqués et financés par des fonds fédéraux canadiens. Les Quichuas du Napo bénéficient également de financements gouvernementaux9. Cependant, les investigations menées sur le terrain entre 2010 et 2013 ont montré que la plupart du temps, les Quichuas bénéficiaires de maisons « en dur », c’est-à-dire en béton, construisent juste à côté une maison en bois, selon leurs connaissances et savoir-faire propres10. Certains n’habitent même que cette dernière, se servant de la maison financée par le gouvernement pour entreposer du matériel. Les pratiques culturelles liées à la construction d’un logement se transmettent donc encore de génération en génération chez les Quichuas du Napo, quand chez les Inuit elles ne s’opèrent plus, ou moins, dans ce domaine.

20 La sédentarisation n’aurait donc pas coupé les Quichuas de leur environnement autant que les Inuit. Il en serait de même pour la pratique culturelle de la construction d’un logement. Les deux éléments soulevés favorisent la transmission d’un savoir entre générations et le développement d’un attachement « sécure » chez les enfants (CYRULKIK et JORLAN 2014). Il semble que chez les Quichuas du Napo, la sédentarisation a perturbé l’équilibre environnemental11 mais que l’adhésion à des normes sociales et le respect des obligations morales connaissent une continuité ; chez les Inuit, les trois semblent ébranlés.

21 Cela expliquerait en partie pourquoi, malgré une reconnaissance plus aboutie, les Inuit connaitraient d’avantages de problèmes de santé mentale. Ces constatations ne constituent pas des résultats sinon des pistes de réflexion que la recherche entreprise souhaite approfondir. Nous avons constaté l’importance des pratiques culturelles et de la transmission du savoir et savoir-faire entre générations. Il convient alors de s’intéresser aux traumatismes intergénérationnels générés par les chocs biologique, structurel et identitaire décrits plus hauts, pour comprendre l’état de la santé mentale autochtone au Nunavut et en Amazonie équatorienne, dans un contexte de mondialisation.

Ruptures et traumatismes intergénérationnels

22 Jack Hicks, ancien conseiller pour la prévention des suicides auprès du gouvernement du Nunavut et chercheur statisticien sur le suicide, étudie l’évolution du taux de suicide chez les Inuit du Canada. Ses recherches ont permis de montrer comment le taux de suicide a évolué sur le temps, au Nunavut, mettant en exergue un pic au début des années 2000 chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans. Il a également observé une augmentation significative du taux de suicide ces dernières années chez les Nunavummiut âgés de 25 à 34 ans12. Les raisons pour lesquelles une personne s’enlève la vie sont toujours complexes et multi-causales. Selon Hicks, les pics de suicide identifiés à partir des années 2000 correspondraient aux premières générations d’Inuit dont les parents ont été déplacés dans de nouveaux camps. Cette génération d’Inuit aurait ainsi été affectée par un traumatisme intergénérationnel traversé par leurs parents et grands-parents à cause, entre autres, des écoles résidentielles, de l’abattage de chiens13, ou encore du déplacement de population. En d’autres termes, ces générations où les pics de taux de suicide sont les plus importants évoluent au sein de familles où les pères continuent à souffrir de douleurs et colères persistantes.

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23 La pratique culturelle permet de vivre une expérience culturelle. Au travers de cette dernière, des notions véhiculées par la langue et l’apprentissage de connaissances sont transmises d’une génération à l’autre. Ces transmissions permettent d’humaniser les enfants et de les rendre « aptes »14 à se débrouiller dans leur environnement.

24 Les politiques actuelles de reconnaissance ne semblent pas comprendre ou prendre en considération la construction de l’humanité opérée grâce à la socialisation des enfants par leurs parents. Les expériences culturelles étant de plus en plus rares, le lien de socialisation et donc l’attachement sécure entre parents et enfants se détériorent. D’un côté, les parents porteurs d’un savoir et d’un mode de vie ne sont pas en mesure de répondre à une compréhension des forces globalisantes et de l’autre, les jeunes sont coupés de cette expérience culturelle. Le lien de continuité entre générations étant rompu, les processus de socialisation permettant de créer une capacité de résilience face aux traumatismes n’ont plus l’espace et le temps de s’accomplir. Au niveau individuel, la conscience sociale s’acquiert au travers du processus de socialisation. Toutefois ce processus est interrompu et parfois impossible dès lors que les agents socialisateurs (parents, enseignants, soignants) se sentent inutiles et en inadéquation, et quand les normes sociales sont discréditées (WESLEY-ESQUIMAUX: 2007).

25 Ainsi, ce que les Inuit appellent « les questions de la vie » ne sont plus abordées et plus maîtrisées. Il n’existe plus de lieu pour la culture, ciment de l’harmonie et de l’équilibre. Les pères comme les nouvelles générations sont confrontés à des situations qui ne favorisent pas la prise de confiance en soi et en sa culture. De surcroît, les trois chocs biologique, structurel et identitaire, le traumatisme intergénérationnel qu’ils ont engendré et les nouvelles mutations liées à la mondialisation rendent la définition, au niveau individuel comme collectif de ce qu’est la culture inuit, difficile.

26 Pourtant, d’après les recherches de Donald Taylor, c’est la capacité à pouvoir se définir qui est préalable à une bonne image de soi (TAYLOR 1997 : 74-190). Comment être fier de ce que l’on est si on ne sait pas qui on est ? Comme le précise Tousignant, « c’est donc la confusion et l’aliénation qui s’ensuivent qui empêchent tout processus de résilience de prendre forme » (TOUSIGNANT, 2012 : 145). Le bien-être lié à une santé mentale stable ne peut donc s’atteindre sans la capacité à se définir soi, c'est-à-dire son identité. Les Inuit touchés par les taux de suicide vivraient une crise identitaire telle qu’elle mènerait aux gestes les plus lourds de conséquences.

27 Dans le contexte des Quichuas du Napo, qui connaissent une mobilité favorisée par une distance moindre entre communautés et villes par rapport aux Inuit du Nunavut où les différents villages ne sont reliés que par internet et avions, une double vie ville-forêt se met en place. Les nouvelles générations issues de communautés vont généralement en ville pour accéder au système scolaire. Dès lors, une dichotomie entre vie familiale signifiant vie en forêt et vie scolaire signifiant accès à un nouveau mode de vie se met en place. Une observation de terrain le long du fleuve Napo en avril-mai 2014 a permis d’être confronté à un conflit intergénérationnel. Des parents reprochaient à leur fille de ne plus vouloir participer à la vie familiale et communautaire. L’intervention d’une guérisseuse aura même été demandée, afin de « retrouver l’harmonie familiale »15. Il n’est pas question ici de traumatisme mais de décalage entre les vécus venant perturber la socialisation et amenant à une sensation de désolidarisation entre les générations. La rupture n’est pas brutale mais plus subtile et dénote chez les nouvelles générations un désintérêt pour les pratiques culturelles familiales.

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28 L’examen des mécanismes du traumatisme intergénérationnel a permis de montrer dans quelle mesure celui-ci peut représenter un frein au processus de résilience. De plus, il semble que le décalage entre générations à l’origine des transformations des modes de vie semble accentuer une perte de cohésion. D’autres limites sont posées par les programmes de reconnaissance.

Les limites des programmes de reconnaissance dans l’optique d’une résilience

29 Les relations de pouvoir entre groupes minoritaire et majoritaire sont un facteur déterminant dans le processus de résilience employé par un groupe social, pour se remettre d’un traumatisme. Dans le contexte autochtone, l’existence d’une structure dominante majoritaire et les rapports de pouvoir qui en découlent, déterminent les limites d’une reconnaissance. La reconnaissance a lieu au sein d’un système centralisé qui est imposé, c’est-à-dire qu’elle offre dans une certaine mesure le droit aux populations autochtones de se créer une place dans une structure plus globale, mais n’offre pas la possibilité de la modifier en profondeur.

30 La reconnaissance s’effectue dans un rapport de pouvoir entre dominants et dominés. Elle ne peut donc pas être complète, dans la mesure où le groupe dominant se réserve l’ascendant et protège son hégémonie en s’assurant notamment l’accès à des ressources sur les territoires concernés. Ce rapport de force va dans le sens d’André Légaré (2009) et Cécile Pelaudeix (2008) qui soulèvent la possibilité que le Nunavut n’ait été créé que dans un souci de stratégie internationale, c’est-à-dire pour assurer la souveraineté canadienne sur le territoire arctique face aux prétentions des États-Unis et de la Russie.

31 C’est ainsi que les quotas de chasse et de pêche imposés par le gouvernement du Nunavut sont perçus par de nombreux Inuit comme un moyen de les empêcher de pratiquer une activité culturelle importante dans la définition de leur identité. Or, certains témoignages montrent que les Inuit considèrent l’activité de la chasse et de la pêche importantes pour leur bien-être16. Dès lors, ces relations de pouvoir se retrouvent dans les politiques de reconnaissance en tant que forces hétéronomisantes, c’est-à-dire contraires à l’objectif d’autonomisation poursuivi. Elles ne participent pas à l’épanouissement du groupe qui n’a d’autre choix que de s’adapter par des stratégies d’appropriation des règles imposées ou par une opposition et une résistance. Ces éléments soulignent « certaines inadéquations entre le système mis en place au Nunavut et les buts recherchés par les Inuits, tels que formulés dans le préambule de l’Accord sur les droits territoriaux » (MAGORD 2005 : 249).

32 Les forces hétéronomisantes ne favorisent pas la réalisation d’expériences et de pratiques culturelles. Les pratiques non adaptées à la nouvelle forme de gouvernance mise en place grâce aux politiques de reconnaissance, selon un modèle extérieur, ne survivent pas. La socialisation de l’individu (inunnguinik17), c’est-à-dire la transmission de génération en génération de valeurs et connaissances culturelles au travers de l’expérience culturelle, ne s’insère pas dans la forme institutionnalisée de la reconnaissance. Il faut au contraire former les adultes pour qu’ils puissent former les jeunes générations à la gestion d’institutions formalisées, selon la logique culturelle du dominant, ce qui créé un nouveau besoin : s’approprier une logique culturelle extérieure. Ce besoin s’explique par une institutionnalisation rapide du Nunavut, qui

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accapare la presque totalité de l’énergie du nouveau gouvernement, qui tente de mettre en place « l’énorme machine administrative par laquelle les directives et les subsides de l’État transitent » (MAGORD 2005 : 258). Le système administratif ressemble plus à une forme de globalisation de la gestion sociétale qu’à un outil d’autonomisation adapté au monde inuit.

33 L’implantation d’un système de gouvernance non adéquat au monde inuit ajoute à la perte des repères d’origine une sensation de non maîtrise de son destin. Les trois chocs identifiés plus haut semblent donc se diluer et se perpétuer dans le temps. Cela génère des frustrations et un immobilisme pouvant accentuer les problèmes d’addiction et de santé mentale.

Conclusion : la culture et les liens familiaux comme source de résilience

34 Les trois chocs, biologique, structurel et identitaire ont généré chez les populations autochtones des souffrances et une « blessure de l’âme »18 qui, à l’heure actuelle, font de la période coloniale un déterminant social de leur santé mentale.

35 La résilience, entendue comme un processus permettant de rebondir suite à un traumatisme, diffère en fonction des groupes autochtones. L’expérience du Nunavut montre que la création d’un territoire avec un gouvernement public au service des Inuit n’est pas une garantie suffisante pour assurer la santé mentale et le bien-être individuel et collectif.

36 Dans les deux cas, les stratégies qui permettent une continuité dans les pratiques culturelles, participent au maintien d’une santé mentale et d’un bien-être. L’entretien des pratiques culturelles sont rendues possibles grâce à l’expérience culturelle partagée entre générations. Les Inuit considèrent que pour devenir un être humain, il faut atteindre une maîtrise élevée des « questions de la vie » en plus de compétences permettant l’autonomie dans le savoir-faire. Chaque famille doit identifier les domaines dans lesquels leurs enfants pourront exceller (construire un igloo, chasser) pour les accompagner sur cette voie.19 Un renforcement des liens intergénérationnels doit permettre par conséquent une meilleure résilience grâce à la transmission de savoir et de savoir-faire lors d’expériences culturelles. Or, dans le cas Inuit, un traumatisme intergénérationnel coupe les plus jeunes d’un dialogue avec les anciens et chez les Quichuas, la dichotomie ville-forêt vécue par les nouvelles générations les oriente davantage vers les villes, créant un décalage entre générations.

37 Dès lors, les programmes de reconnaissance devraient prendre en compte le culturel et la résilience du traumatisme colonial dans leur élaboration et leur mise en place. Tant que les structures de la reconnaissance seront pensées selon un système étranger aux pratiques culturelles autochtones, elles exerceront une force hétéronomisante au sein du processus d’autonomisation et ne participeront pas à une résilience. Le Qaujimajatuqangit (IQ) et le Sumak Kausay (SK) sont des propositions émanant des élites Inuit et Quichuas (HIDALGO-CAPITÁN, GUILLÉN GARCÍA, DELEG GUAZHA 2014). Ces concepts reflètent deux visions autochtones de la société selon deux contextes et parcours historiques différents. Ils pourraient être pris en compte aussi bien d’un point de vue théorique que pratique pour ainsi intégrer le culturel et l’importance de l’harmonie familiale au système de gouvernance autochtone.

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38 Cependant, ils sont encore confrontés à la « soi-disant suprématie de la connaissance scientifique et l’hypothèse implicite que d’autres connaissances [et pratiques médicales] sont inefficaces » (NELSON 2011 : 6)20. Le projet de recherche propose de mettre en perspective l’IQ21 et le SK 22 en comparant les contextes et circonstances propres qui les ont vus naître pour mieux comprendre l’originalité de chacune de ces visions de la société dont le but est d’atteindre un bien-être social et culturel. Nous espérons ainsi participer à l’amélioration de l’intégration des visions autochtones du monde dans les recherches en santé mentale.

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NOTES

1. Notamment Padma Suramala, experte médico-légal du Nunavut travaillant sur la prévention du suicide (CBC News, « Padma Suramala, Nunavut’s coroner, calls inquest into suicides », Jan 16, 2014 11:54 AM). Egalement Marie Wilson (Déléguée de la Commission sur la Vérité et la Réconciliation) 2. Site internet officiel de l’OMS, 2015. Préambule à la Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé, tel qu’adopté par la Conférence internationale sur la Santé, New York, 19-22 juin 1946;

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signé le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 Etats. 1946; (Actes officiels de l’Organisation mondiale de la Santé, n°. 2, p. 100) et entré en vigueur le 7 avril 1948. 3. Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones (13 septembre 2007) et Convention n°169 relative aux peuples indigènes et tribaux (1989). 4. Ce n’est cependant pas le cas. A l’heure actuelle, on estime que le gouvernement du Nunavut est composé à 45% d’Inuit seulement; 15% dans les postes décisionnels. Thomas Berger, (1 mars 2006), “Le projet Nunavut”, Rapport final du conciliateur, Accords sur les revendications territoriales du Nunavut. Négociations du contrat de mise en œuvre pour la deuxième période de planification 2003-2013. 5. En 1998, une nouvelle constitution reconnaissait la diversité ethnique du pays. La constitution de 2008 renforcera la reconnaissance en utilisant le terme de plurinationalité et en introduisant le concept du Sumak Kausay pour garantir à la nature des droits au même titre que l’être humain. 6. Au niveau local la FONAKIN (Federacion De Organizaciones De La Nacionalidad Kichwa De Napo); au niveau régional la GONOAE (Gobierno de las Naciones Originarias de la Amazonia Ecuatoriana, anciennement CONFENIAE); au niveau national la CONAIE (Confederacion de las Nacionalidades Indigenas del Ecuador). 7. OMS, 2015, préambule à la Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé, tel qu’adopté par la Conférence internationale sur la Santé, New York, 19-22 juin 1946; signé le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 Etats. 1946; (Actes officiels de l’Organisation mondiale de la Santé, n°. 2, p. 100) et entré en vigueur le 7 avril 1948. 8. Inuit Qaujimajatuqangit: le rôle du savoir autochtone pour favoriser le bien-être des communautés inuites du Nunavut (Centre de Collaboration Nationale de la Santé Autochtone 2009-2010) (Shirley Tagalik, chercheuse en chef, Inukpaujaq Consulting) 9. Cf Ministerio de desarrollo Urbano y Vivienda (MIDUVI) http://www.habitatyvivienda.gob.ec/category/programas-y-servicios/ 10. Nous ne prétendons pas que ces maisons soient faites selon une logique « ancestrale », celles- ci ayant la plupart du temps un toit en zinc, mais mettons en avant les savoirs requis pour les construire. 11. Plus que la sédentarisation, ce sont l’urbanisation et la déforestation qui sont à l’origine aujourd’hui de nombreux changements dans l’organisation sociale (entretien personnel avec Françoise Morin). Les activités d’extraction minière, pétrolière, l’élevage de bovins et l’exploitation du bois sont les principales causes de la déforestation. 12. “Nunavut’s youth suicide epidemic” in ‘Who is next? How do we stop this?’ ” de Sandro Contenta. (article en ligne sur www.thestar.com). 13. Lors du relogement des Inuit à partir des années 1950, la PCNO (Police à Cheval du Nord- Ouest) a reçu l’ordre d’abattre les chiens de traineau des Inuit qui étaient dépendants de ces animaux pour leurs déplacements et pour chasser. Cette politique aura eu des conséquences désastreuses. 14. Terme employé dans le « inuit Qaujimajatuqangit » rédigé par Shirley Tagalik, chercheuse en chef, Inukpaujaq Consulting. 15. Témoignage recueilli auprès de Juan Garces, le père de famille en mai 2015. 16. Pauktuutit Inuit Women of Canada, RASMUSSEN Derek, GUILLOU, Jessica : Developing an inuit specific framework for culturally relevant health indicators incorporating gender-based analysis - Journal de la santé autochtone, Organisation Nationale de la Santé Autochtone (mars 2012) p. 24-35. 17. Terme inuit pour « socialisation » employé dans le Inuit Qaujimajatuqangit. 18. Idem 19. Terme Inuit Qaujimajatuqangit

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20. NELSON Sarah (2011) « Remise en question des hypothèses cachées. Les normes coloniales en tant que déterminants de la santé mentale des autochtones », Rapport pour le Centre de Collaboration Nationale de la Santé Autochtone, Université du Nord de la Colombie Britannique. 21. L’IQ est considéré par les leaders Inuit du Nunavut comme une technologie vivante. Il englobe les savoirs traditionnels qui correspondent à la vision inuit du monde et pouvant avoir une utilité aujourd’hui pour répondre aux problèmes que rencontre la société inuit du Nunavut. Il s’agit d’un moyen de rationaliser la pensée et l’action, d’organiser des tâches et des ressources, d’organiser la famille et la société en des tous cohérents (Jaypeetee Arnakuk). 22. Le SK est un concept qui a d’abord vu le jour dans les Andes, suite au travail de penseurs autochtones et indigénistes. Il peut se traduire par « Bien Vivre ». Il propose de revoir la place de l’homme dans l’environnement et de repenser l’organisation de la société en réponse aux limites de la civilisation occidentale. Ce concept est un nouveau paradigme de civilisation.

RÉSUMÉS

L’article aborde le thème de la santé mentale et de la résilience autochtones au travers d’une étude comparative entre Inuit du Nunavut au Canada et Quichuas du Napo en Équateur. Il essaye d’apporter un éclairage pour comprendre les processus historiques pouvant mener à un fort taux de suicide chez les jeunes Inuit. L’existence de liens entre pratiques culturelles et santé mentale et également entre pratiques culturelles et reconnaissance sont interrogés. L’objectif de l’article est de proposer des nouvelles pistes de réflexions dans le domaine du bien-être autochtone.

The article is about native mental health and resilience. It is a comparative study between the Inuit of Nunavut in Canada and the Quichuas of Napo in Ecuador. It offers to understand the historical process leading to a high rate of suicide especially among the young Inuit. The existence of links between cultural practices and mental health and then between cultural practices and recognition are investigated. The article tends to offer new reflections in the field of native wellbeing.

INDEX

Mots-clés : autochtones, bien-être, pratiques culturelles Keywords : natives, wellbeing, cultural practices

AUTEUR

SIMON FLEURY Doctorant au laboratoire du Mimmoc à l'Université de Poitiers, Simon Fleury a travaillé plusieurs années en Amazonie équatorienne avant d'entreprendre un doctorant. Il accompagne régulièrement des groupes touristiques à la découverte de la forêt et de ses populations. Son intérêt pour le continent s'élargit pour de nouveaux territoires et nouvelles découvertes.

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Recensions Reviews

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AUGUSTIN J.-P. et DUMAS J., La ville kaléidoscopique, 50 ans de géographie urbaine francophone ECONOMICA Anthropos, Paris, 2015

Grégory Martin

RÉFÉRENCE

AUGUSTIN J.-P. et DUMAS J., La ville kaléidoscopique, 50 ans de géographie urbaine francophone, ECONOMICA Anthropos, Paris, 2015, 249 p.

1 Voilà un ouvrage qui présente à la fois les mutations de la ville et des regards que les sciences sociales, ici surtout la géographie urbaine, lui ont porté depuis plus de 50 ans. Les auteurs le présentent comme un essai et non pas un manuel, même si le lecteur peut y trouver des élément précis et de nombreuses références utiles aux chercheurs en sciences sociales et aux acteurs, en particulier les animateurs et travailleurs sociaux qui cherchent à comprendre ce que devient la ville et comment ils peuvent agir dans cet ensemble devenu kaléidoscopique.

2 Les villes en France ont connu depuis un demi-siècle de profonds changements liés à l’urbanisation, à l’évolution des modes de vie et aux méthodes d’analyse pour les appréhender. Dans les deux cas, c’est un changement de paradigme : la ville se dissout dans l’urbain et les regards se diversifient en d’infinies combinaisons. Ville et regards sont devenus kaléidoscopiques en réfléchissant par un jeu de miroirs les images et les interprétations multiples du fait urbain.

3 Cet essai vise à montrer les évolutions et les ruptures, tant dans l’organisation urbaine que dans les manières de la présenter, et à souligner le passage d’une vision qui observe à une autre vision immergée dans le mouvement de l’urbanisation actuelle. Après avoir rappelé les ouvertures géographiques sur la ville liées à la pluralité des approches, aux expériences diversifiées des enseignants-chercheurs, et à la diversité des outils

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d’analyse qu’ils utilisent, les auteurs abordent les questions de la gouvernance urbaine, du rôle des acteurs et des groupes, et plus globalement de l’action politique, qui participent activement à sa production et à sa transformation. Ils posent l’hypothèse d’une lecture urbaine francophone, mais spécifique.

4 Organisé en quatre parties et huit chapitres, l’ouvrage étudie le déplacement des regards sur la ville (chapitre 1), les alliances entre discipline, de l’histoire à l’urbanisme (chapitre 2), les tournants multiples des regards (chapitre 3), les métaphores et les récits urbanistiques (chapitre 4), la ville comme acteur, entre théâtre et intrigue (chapitre 5), la gouvernance comme réponse et question (chapitre 6), leurs parcours et engagements (chapitre 7) et se termine par une réflexion sur les études urbaines francophone (chapitre 8). Dans leur conclusion, les auteurs notent le rôle de la recherche appliquée qui doit être compréhensive, interactive, constructiviste et participante. En ce sens, ils se démarquent des postures liées à une « sociologie de la déploration » et rappellent certains titres d’ouvrages (La galère, Les quartiers d’exil, L’apartheid scolaire, Le ghetto…), qui à leur yeux prennent le risque de la stigmatisation. Tout en proposant une analyse critique de la société, ils préfèrent une approche plus participante et constructiviste.

5 Les lecteurs y trouveront des éléments pour comprendre comment la place des jeunes et de l’éducation populaire s’est modifiée. Le chapitre six en particulier propose un parcours dans la géographie sociale et culturelle des villes (p. 168-188) rappelant les travaux de Jean-Pierre Augustin sur l’espace social urbain et l’ajustement des institutions socio-culturelles ou encore l’analyse d’une classe d’âge, celle des jeunes, qui sont autant d’occasion de reposer la question de leur place dans la cité. Les auteurs insistent sur les formes d’actions collectives, le rôle des équipements et de l’usage des espaces publics et posent sans cesse la question des interventions sociales dans la diversité des cultures urbaines. Pour eux : « La ville, la géographie urbaine, comme l’ensemble des sciences sociales aussi ne sont pas un construit, mais une construction. Cette construction, faite de déconstruction/ reconstruction, laisse toujours des espaces aux interprétations et aux actions. Dans les villes et regards kaléidoscopiques, il y a toujours des cases vides qui permettent de faire bouger l’ensemble, des points aveugles qui échappent aux théories figées. En ce sens, le rôle « instituant » des regards géographiques n’a pas fini son travail d’analyse et laisse ouvert l’appréhension et la connaissance des ensembles urbains en mutation ».

6 Deux exemples, parmi d’autres, illustrent cet engagement des chercheurs dans une perspective participante accordant une large place à l’empowerment. Au Québec et à Montréal en particulier, les recherches en partenariat avec les groupes communautaires se multiplient ; elles bénéficient du soutien des services gouvernementaux du Québec et du Canada à partir des programmes Alliance de recherche universités-communautés (ARUC). A l’université du Québec à Montréal (UQAM), une ARUC en économie sociale s’est constituée avec le soutien du Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES). Dans les secteurs populaires de Montréal, l’ARUC travaille avec l’association « Paroles d’Exclues » pour accompagner les changements intervenant dans le cadre de la revitalisation des quartiers. « Paroles d’Exclues » obtient l’accord sur un projet de mobilisation habitante : « L’alliance stratégique se construit autour de l’objectif principal de mobiliser des populations locales dans un processus de prise de parole et de prise en charge autour de besoins communs ». A Bordeaux, les enseignants de l’IUT Montaigne ont créé l’Institut supérieur d’ingénierie en animation

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territoriale (ISIAT), associé à l’UMR Passages du CNRS. Cet institut dont la mission est de former des animateurs urbains à la recherche et à l’action est dirigé par des enseignants-chercheurs engagés dans des projets participants et l’engagement citoyen dans les cultures urbaines. Cet engagement témoigne d’un mouvement inscrit dans une perspective internationale et majoritairement francophone autour de la revue internationale Animation, territoires et pratiques socioculturelles publiée à l’UQAM (revue en ligne sur le site www.atps.uqam.ca) créée en 2010. Cette revue, comme le Réseau international d’animation (RIA), est un exemple des visées praxéologiques mettant en tension action et recherche inscrites dans les perspectives d’une recherche participante. Mais d’autres expérimentations en France et dans les pays francophones sont évoquées dans l’ouvrage.

7 Dans la conclusion, Jean-Pierre Augustin et Jean Dumas ouvrent la voie à une science de l’action collective métropolisée, en considérant que la ville et ses prolongements ne sont pas seulement une organisation sociale mais une action. Cette « actionalité » assumée est le fil rouge de cet essai qui se veut à la fois une synthèse analytique de 50 ans de géographie urbaine francophone et un outil utile aux générations qui s’engagent dans la recherche et l’action urbaine. En cherchant à éviter l’esprit de système, les auteurs proposent une version humaniste et compréhensive des études urbaine à la fois critique et constructive.

AUTEURS

GRÉGORY MARTIN CECIB UMR Passages (CNRS)

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La francophonie en Acadie. Dynamiques sociales et langagières. Textes en hommage à Louise Péronnet, Sous la direction de Laurence Arrighi et Matthieu LeBlanc Sudbury : Prise de parole, 2014

Anita Falkert

RÉFÉRENCE

La francophonie en Acadie. Dynamiques sociales et langagières. Textes en hommage à Louise Péronnet, Sous la direction de Laurence Arrighi et Matthieu LeBlanc, Sudbury : Prise de parole, 2014. 364 pages.

1 Cet ouvrage coordonné par Laurence Arrighi et Matthieu Leblanc reprend certains textes présentés lors d’un colloque international qui s’est tenu en septembre 2010 à Moncton. Il a été organisé en hommage à Louise Péronnet dont les travaux ont inspiré de nombreuses recherches sur les pratiques langagières en Acadie. Les quinze contributions regroupées dans ce volume mettent en lumière différents aspects caractérisant la situation du français et des communautés francophones en Acadie.

2 Le volume s’ouvre sur un article rédigé par Michel Doucet qui aborde la question des dispositions législatives concernant l’aménagement linguistique au Nouveau- Brunswick. Il s’interroge notamment sur le concept d’égalité ainsi que sur la relation entre droits fondamentaux « traditionnels » et droits linguistiques. Luc Léger prolonge cette réflexion sur l’aménagement linguistique en étudiant les incidences sur les milieux de travail du secteur privé au Nouveau-Brunswick où l’anglais est le plus souvent dominant. L’analyse d’un corpus d’entretiens semi-dirigés recueillis auprès de

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treize employés dans deux centres d’appels confirme la place prépondérante de l’anglais dans ces entreprises et évoque les difficultés rencontrées par les employés ainsi que leur attitude vis-à-vis de l’idée d’étendre la Loi sur les langues officielles afin d’inclure le secteur privé. La situation du français au Nouveau-Brunswick est également au centre de la contribution de Marianne Cormier et Anne Lowe qui s’intéressent à la gestion des programmes de francisation dans les écoles de langue française de cette province canadienne. L’étude des données démographiques révèle le défi pour ces institutions qui accueillent un public hétérogène composé d’élèves francophones et non francophones. L’étude de quatre modèles de francisation mis en œuvre dans ces écoles permet aux auteurs de conclure que chaque modèle comporte ses avantages et ses inconvénients et que l’implication des parents s’avère un paramètre décisif pour le bon fonctionnement des programmes.

3 Partant d’une réflexion sur la notion de variété, Françoise Gadet ouvre la partie du volume consacrée aux questions proprement linguistiques. Elle s’interroge sur l’emploi de ce terme par rapport au français acadien. Le problème de la spécificité des traits linguistiques, qui ne se pose d’ailleurs pas seulement pour le français acadien, amène l’auteur au constat qu’il est nécessaire de définir la notion de variation d’une manière plus précise, « en combinant de façon complexe traits linguistiques et points de vue sociolinguistiques ou écologiques, ou même représentationnels » (p. 75).

4 Pierre-Don Giancarli, pour sa part, expose les résultats d’une étude comparative mettant en avant les constructions pronominales et la sélection de l’auxiliaire en acadien et en québécois. C’est également dans une perspective comparative (français acadien/français louisianais) qu’Ingrid Neumann-Holzschuh et Julia Hennemann étudient l’emploi des « particules » voir et -ti. À partir de données provenant de corpus oraux et d’études linguistiques existantes, les auteurs arrivent à montrer que l’emploi des deux particules est globalement moins fréquent en Louisiane.

5 L’étude de Cristina Petraş sur le rôle de la reformulation comme stratégie discursive s’appuie sur un corpus d’interactions et nous renseigne sur les pratiques langagières d’animateurs et intervenants d’une radio communautaire du sud-ouest de la Nouvelle- Écosse. L’analyse d’exemples d’auto-reformulations reposant sur la traduction (soit anglais-français, soit français-anglais) illustre le rapport complexe que les locuteurs entretiennent avec les deux langues en contact, l’anglais et le français.

6 En Acadie, les phénomènes de contact de langue peuvent mener jusqu’à l’émergence d’un code mixte tel que le chiac. Dans son article, Marie-Ève Perrot se penche sur les représentations du chiac dans la presse acadienne, en invoquant le foisonnement des désignants métalinguistiques et épilinguistiques qui témoignent du flou autour du statut du chiac. Dans une deuxième partie, Perrot s’intéresse à la résurgence du débat qui ne porte désormais plus sur sa légitimité de ce code mixte, mais sur les limites à lui assigner. Toujours dans une optique linguistique, Sylvia Kasparian et Pierre Gérin examinent la politesse dans les actes de langage à travers l’usage des termes d’adresse. Pour ce faire, les auteurs ont exploité deux corpus de conversations spontanées. L’analyse des données permet de dégager sous forme d’un continuum les particularités des marques d’adresse et de familiarité dans les parlers acadiens du sud-est du Nouveau-Brunswick.

7 Dans un article exposant les grandes lignes d’un projet d’enquêtes sociolinguistiques parallèles intitulé Les langues et vous, Liliane Jagueneau s’interroge sur les points de convergence entre les situations sociolinguistiques qui caractérisent les parlers d’oïl

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minoritaires de France d’un côté et le français acadien de l’autre. Si le fait de rapprocher ces deux terrains ne semble pas évident, l’auteur explique qu’il existe une proximité suffisante, notamment dans le domaine de l’aménagement linguistique, permettant d’adapter le protocole d’enquête qui a été utilisé pour recueillir des données sur les parlers d’oïl au contexte acadien.

8 Comme toute collection de textes, l’ouvrage peut sembler un peu éclaté, ce qui apparaît notamment dans la deuxième partie du volume. La recherche de Marie–Laure Tending nous éclaire sur l’Acadie (et plus particulièrement le Nouveau-Brunswick) comme terre d’accueil et le rôle de la construction identitaire dans le processus d’intégration de migrants francophones originaires d’Afrique noire. Claudine Moïse, pour sa part, expose les grandes lignes d’un projet transnational France-Acadie autour d’ateliers d’écriture mené avec la participation d’élèves d’un collège de Montpellier et une école secondaire de Moncton, alors que l’étude d’Adeline Vasquez-Parra dévoile les représentations culturelles et linguistiques de l’Acadie sur Internet. La contribution d’Émilie Urbain qui se focalise sur les enjeux de la glottonymie dans l’historiographie du français en Acadie et en Louisiane ainsi que le texte de Laurence Arrighi et Karine Gauvin sur les discours réflexifs de lexicographes acadiens clôturent ce volume. À la fin de l’ouvrage, le lecteur trouvera une bibliographie de Louise Péronnet permettant de retracer son parcours de chercheuse.

9 Si l’on peut regretter l’absence de contributions sur l’Acadie de la diaspora, il est indéniable que l’ouvrage offre de larges perspectives sur la situation du français et des francophones en Acadie et constitue ainsi une bonne illustration de la diversité des recherches en cours.

AUTEURS

ANITA FALKERT Université d’Avignon et des Pays du Vaucluse

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Daniel ROYOT et Vera GUENOVA, Les Aventuriers du Missouri. Sacagawea, Lewis et Clark à la découverte d’un nouveau monde Paris, Vendémiaire, 2015

Jean-Michel Lacroix

RÉFÉRENCE

Daniel ROYOT et Vera GUENOVA, Les Aventuriers du Missouri. Sacagawea, Lewis et Clark à la découverte d’un nouveau monde, Paris, Vendémiaire, 2015, 313p.

1 Daniel Royot vient compléter très heureusement ici la liste déjà longue de ses publications sur les Indiens d’Amérique du Nord en nous offrant un ouvrage passionnant et novateur. Vera Guenova lui est fort heureusement associée.

2 La célébration du bicentenaire de l’expédition de Lewis et de Clark (1804-1806) à la découverte des terres qui s’étendent du Missouri au Pacifique et qui amorce la grande conquête de l’Ouest fournit l’occasion de mettre en lumière la figure de Sacagawea. Inconnue du grand public à l’époque de Lewis et de Clark, longtemps occultée par l’Histoire, elle tient désormais une place à part dans l’imaginaire du peuple américain.

3 C’est au mythe de cette belle et jeune Amérindienne shoshone, réduite en esclavage puis cédée au maquignon canadien Toussaint Charbonneau, objet de tous les fantasmes (surtout chez les coureurs de bois à la réputation de coureurs de jupons), que s’attaque Daniel Royot en la sortant de l’ombre et en rétablissant la vérité historique.

4 Sacagawea sert de guide et de « truchement » (interprète) outre le fait que sa présence est rassurante auprès des Autochtones. Héroïque, elle affronte les rudes conditions du « Corps de la découverte ». Royot et Guenova décrivent de façon vivante les navigations périlleuses sur la Salmon qui rejoint la Lemhi, là où les saumons fraient depuis le

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Pacifique. Ils évoquent ces nations qui trappent le castor et chassent le bison. Sacagawea meurt à l’âge de 25 ans en décembre 1812 alors que la guerre entre les Etats- Unis et la Grande-Bretagne a commencé.

5 Dans ce sacrificiel initiatique, les auteurs convoquent toute une série de personnages, le plus souvent canadiens : Pierre-Antoine Tabeau ou bien Ménard, le traiteur indépendant qui vit avec une femme mandan, sur fond de rivalités entre la Compagnie du Nord-Ouest (CNO) et la Compagnie de la Baie d’Hudson (HBC), sans oublier Joseph Garreau ou bien encore René Jusseaume.

6 Grâce à l’exploitation des journaux de l’expédition, Royot et Guenova nous donnent accès à des documents de première main et ces sources premières sont d’autant plus précieuses que la tradition orale des Autochtones a laissé peu de traces. Ce livre est une reconstitution aussi vivante que précise du contexte historique et géographique de l’époque. Il ressuscite la vie quotidienne dans ses moindres détails, reflétant les réalités et économiques de l’expédition sans omettre de nous livrer des propos croustillants sur les pratiques sexuelles des Amérindiens où les « sauvagesses » étaient autorisées à avoir des relations extra-conjugales à condition d’avoir l’autorisation de leur mari.

7 Une section du livre (p. 61-83) est consacrée à la vision transcontinentale de Jefferson dans le droit fil de l’Ordonnance du Nord-Ouest de 1787, et de l’achat de la Louisiane par le président en 1803. Lewis est bien au service de l’utopie jeffersonienne qui consiste à pacifier les Indiens pour les convertir à l’idéal agrarien des Lumières. Mais l’essentiel du livre concerne l’expédition proprement dite, l’itinéraire et surtout les difficultés de cette trentaine de membres aux multiples talents qui doivent surmonter les méfaits causés par les maladies, les armes, l’alcool. La découverte d’un nouveau territoire s’inscrit dans la stratégie des Américains de prendre le pouvoir en réduisant l’influence britannique.

8 Le lecteur canadianiste ne manquera pas d’être intéressé par l’évocation des rivalités entre les compagnies de traite. Cet ouvrage privilégie les rencontres de Lewis et de Clark avec la Compagnie du Nord-Ouest (officiellement fondée à Montréal durant l’hiver 1783-1784) qui s’inquiète de la percée des Américains dans le haut Missouri. La fin du XVIIIe siècle a été dominée par la rivalité entre la CNO et la HBC. Le développement consacré à la Compagnie de la Baie d’Hudson est plutôt bref mais il est plutôt le symbole de la rivalité franco-anglaise. En revanche, le rôle des Canadiens français est parfaitement décrit. Le trafiquant de fourrures Charles Chaboillez symbolise l’expansion de la CNO au nord-ouest des Grands Lacs. Affecté dans la région de la Rivière Rouge et de l’Assiniboine, il se heurte très vite à la concurrence des marchands américains. Il envoie ses représentants en mission de renseignement depuis Montréal : Jean-Baptiste Lafrance, Charles MacKenzie, François-Antoine Laroque avec 4 autres voyageurs aux villages des Mandanes sur les rives du Missouri. Ces portraits sont autant de vignettes sur des personnages souvent oubliés car, dans l’épopée de l’Ouest, l’Histoire a privilégié l’explorateur La Vérendrye (années 1730 et début des années 1740) ou les coureurs de bois Médard Chouart des Groseillers et Pierre Esprit Radisson dès le milieu du XVIIe siècle. Les émissaires canadiens français sont accueillis plus chaudement par Clark que par Lewis. Royot et Guenova mettent bien en évidence les divers conflits d’intérêt, non seulement entre Canadiens et Américains mais aussi entre Canadiens. La concurrence entre la CNO et la HBC dégénèrera d’ailleurs à partir de 1810 pour conduire à la fusion des deux compagnies en 1821.

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9 On sait gré aux auteurs de cet ouvrage d’avoir rappelé le rôle décisif des prédécesseurs canadiens francophones de Lewis et de Clark, les « voyageurs » étant eux-mêmes les héritiers des coureurs de bois. On estime que ces derniers sont entre 400 et 500 à la fin du XVIIe siècle. L’expression qui les désigne serait attribuée dès 1672 au gouverneur général de la Nouvelle-France Frontenac qui voulait ainsi condamner ces individus marginaux qui refusent tout contrôle. Leurs activités finiront par être régularisées et les « voyageurs » du XVIIIe siècle qui leur succèdent mèneront les mêmes activités mais munis d’un congé.

10 Même si l’Histoire américaine a mythifié l’expédition de Lewis et Clark, il était bon de rappeler que les coureurs de bois et les voyageurs qui font partie de la saga québécoise étaient bien les ancêtres illustres des découvreurs américains.

11 Cet ouvrage est riche et novateur. Il se lit bien car il est bien écrit. La plume de Royot est alerte sans altérer la rigueur scientifique du propos.

12 La lecture vigilante de ce texte a permis de ne relever qu’une seule coquille (s’enfuire, p. 274). Les canadianistes disent plutôt la Saskatchewan (pp. 44, 49, 104) et c’est sans doute un anachronisme que de parler de la Belle province à la fin de la guerre de Sept Ans. Mais il fallait bien émettre des réserves même mineures pour ne pas être traité de flagorneur et cet excellent livre qui se dévore doit faire impérativement partie de nos lectures. La rationalité de l’esprit des Lumières cède devant l’attrait de la wilderness.

AUTEURS

JEAN-MICHEL LACROIX Université Paris 3 Sorbonne

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The Handbook of Comparative North American Literature, Nischik REINGARD Ed. Palgrave Macmillan: New York, 2014

Françoise Tusques

REFERENCES

The Handbook of Comparative North American Literature, Nischik REINGARD Ed., Palgrave Macmillan: New York, 2014, 417 p.

1 The Handbook of Comparative North American Literature was conceived and edited by scholar of Canadian Studies Reingard M. Nischik, and it includes contributions by European and North American scholars. The volume puts forward a new paradigm for dealing with American and Canadian — and to a certain extent Mexican — literatures and cultures, from a postcolonial, transnational and global perspective. The North American Comparative method completes other transnational approaches such as Hemispheric studies, which tends to either omit Canada or to consider this country as a smaller version of the US, and Border studies, which usually focuses on the US American/Mexican border.

2 By reaching beyond traditional political or imaginary frontiers, the North American Comparative approach —Nischik argues — decenters the view of each country without privileging one over the other. It thus breaks up the traditional view of national cultures in an increasingly interlinked world — a world in which transnational organizations, alliances and corporations tend to replace nation-states, and global challenges such as economic crises or terrorism necessitate transnational perspectives and solutions.

3 The volume uses the Comparative North American approach to explore transnational areas of studies which have had an impact on the literatures of both Canada and the

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USA. Such areas include multiculturalism, the way both nations deal with their colonial past, the violent displacement of Indigenous populations, and naturalization and citizenship. The Handbook also addresses national and transnational symbolic spaces such as the Idea of the North (in English Canadian and French Canadian Literatures) and the City, the major role it has played in US American literature, compared to the way the Canadian imagination until recently drew on the small town and rural spaces.

4 The comparative method does not discard a national approach but studies local specificities in a transnational and global context. It is based on Canada’s experience with cultural diversity and the country’s complex intra-national perspective — the fact that Canada had officially two European founding nations and is officially bilingual on the one hand, that it includes the province of Québec as “a nation within a united Canada” on the other. Canada thus provides both “a border-crossing” and “a border- constituting” model of analysis, a model which “oscillates between national and transnational views”. In this light the volume explores literatures of Borders — the US American-Mexican border and the US-Canadian border, which has come into focus since 9/11 — and borderland — the Francophone borderlands and the connections between Québécois and US American Literatures.

5 The last chapter focuses on the concept of deterritorialization, which in a global context has become a central issue. The chapter analyses the shift in interpretative focus the globalization of literature calls for: the question is no longer how literature works in relation to national cultures as much as how postcolonial literatures participate in the formation of deterritorialized contexts. The contributor to the volume argues convincingly that a transnational North American approach to literatures reaches beyond a binary approach — national/ trans-or post national — and opens up a triangular mode of thinking — the global connections of both US American and Canadian literatures and in particular the way both literatures deal with wars they have become entangled with (Afghanistan for example). War as a transnational experience points to borders with nations other than the US America or Canada and a deterritorialized space which is also an imaginary and a literary or metaphoric space.

6 While the volume focuses on literature, the Comparative North American approach contextualizes the literary works under study: it thus reaches across disciplines as it investigates how the regional articulates the national to transnational towards global perspectives.

AUTHORS

FRANÇOISE TUSQUES Université de Nantes

Études canadiennes / Canadian Studies, 80 | 2016