actualité, info

en marge titution réglementée, mais certains formu­ lent quelques réserves sur les conséquences que sa suppression radicale pourrait entraî- Les mille et une leçons ner pour les mœurs et la santé publique.» Mme Richard lance ensuite une campagne de la de presse pour le vote d’une loi généralisant ces mesures. On rapporte que la députée de La médecine a-t-elle ou non sa place dans votée. Fer­meture des bordels officiels dans ne s’en prenait pas tant aux prostituées les débats et controverses sur la prostitution ? l’ensemble du département de la Seine. A qu’à la société (responsable selon elle, de la On veut dire ici dans la question de la dépé- cette époque, Le Monde n’a qu’un an de vie. «débauche organisée et patentée») et qu’aux nalisation, de l’abolition ou de l’interdiction Cela ne lui interdit pas de s’intéresser à l’af- mafieux proxénètes qui bénéficient d’une de ce qui, paradoxalement, ne parvient pas faire. Il écrit ceci dans ses éditions datées du prostitution réglementarisée. Elle est alors à être une profession ayant véritable pignon 15 décem­bre 1945 : soutenue par le ministre de la Santé publique sur rue. La toute récente volonté française «Au début de la séance du Conseil muni- et de la Population. La loi française est votée d’adopter une nouvelle législation teintée cipal d’hier après-midi, présidée par M. An- au printemps 1946. de puritanisme (Revue Médicale Suisse 407 et dré Le Troquer, M. Gaston Auguet (comm.) Mais il est aussi d’autres leçons. De géo- 409 des 20 novembre et 4 décembre 2013) fait adopter le projet de budget pour 1946 de graphie, et de droit comparé. Le Monde (tou- vient, dans l’Hexagone, réveiller quelques l’Office public d’habitations à bon marché jours lui) consacrait ainsi, il y a quelques jours, pans enfouis de mémoire collective. C’est de la Ville de Paris. (…) Mme Marthe Richard deux de ses pages berlinoises à un peu ba- (Résist.) développe en- nal planisphère. On y voyait, au bord de suite sa question au l’eau ou pas, des maisons closes d’Etat, d’au­ préfet de police sur la tres sous le manteau ; des lois condamnant à réglementation de la mort les proxénètes ou les prostituées – ou prostitution à Paris. La les deux ; une prostitution légale et encadrée, thèse soutenue par ou des arrestations par milliers. On y rappelait l’oratrice appor­te, com­ aussi ce que peu de citoyen(ne)s – client(e)s me con­clu­sion, la fer- ou pas – savent sur les modèles en vigueur meture immédiate­ des au-delà des frontières. Et force est bien de établissements «spé- constater que ces choses ne sont pas, non ciaux» lesquels, dit-elle, plus, enseignées au lycée. A savoir que trois fu­rent au surplus, pen- modèles sont traditionnellement identifiés. dant l’occupation, des D’abord les pays prohibitionnistes, les plus centres actifs d’espion­ ­ restrictifs, où la prostitution est considérée nage au profit de la «comme un acte immoral et, par conséquent, . criminalisé». Ici des sanctions administra- Une certaine agita- tives et pénales sont prévues pour le proxé- tion se manifeste, à ces nète, mais aussi le client et la personne pros- mots, dans la tribune tituée. On sait ce qu’il en est de la prohibition du public occupée en de pratiques et de consommations qui exa- grande partie, pour la cerbent les passions. circonstance, par des A l’opposé on trouve le réglementarisme. personnes aux toilettes Il prévoit l’encadrement de la prostitution tapageuses et aux bi- par l’Etat. Objectif affiché : «limiter les nui- joux sans discrétion. sances pour la société de cette activité, per-

LDD Mais, sans s’émouvoir, çue comme un mal nécessaire». L’Etat se fait Mme Marthe Richard proxénète fiscal et ne supporte guère la con­ une leçon d’histoire jamais enseignée dans demande, au nom de son groupe, que les te- currence. Entre ces antipodes : la position l’école publique. Encore moins dans les éta- nanciers convaincus de collaboration soient abo­litionniste, qui caractérise le cas français, blissements privés où souffle l’un des trois poursuivis et condamnés ; que l’on ferme les est la plus ambiguë. «L’activité prostitution- esprits monothéistes. cafés et les bars où se pratique le racolage, nelle n’est en elle-même pas frappée d’inter- Tout ici remonte à Marthe Richard (1889- après la seconde infraction ; qu’une police diction, à condition qu’elle soit exercée de 1982) longtemps affublée de chapeaux et féminine remplace la police des mœurs, et manière indépendante, consentie et sans d’un surnom : la «Veuve qui clôt» (les ama- enfin que des centres d’accueil et de réadap- trou­bler l’ordre public (racolage).» Est con­ teurs de vins de Champagne goûteront). Le- tation reçoivent les prostituées désireuses damné en revanche l’encadrement de la pros­ çon d’histoire : 13 décembre 1945. Marthe de se racheter par la pratique d’un travail titution, par l’Etat ou par un tiers (proxéné- Richard est con­seillère du 4e arrondisse- honnête. tisme, traite). Il faut abolir la réglementation. ment de Paris sur la liste de la «Résistance MM. Amiot (rad. soc), Bétolaud (All. dém.), Ajoutons que dans certains cas, la prostitu- Unifiée». Elle dépose son rp o­jet devant le Corval (M.R.P.), Langrenon (Un. rép.), Fleury tion ne fait l’objet d’aucune législation pré- con­seil municipal. Objet : un pro­jet pour la (comm.), Gévaudan (S.F.I.O.) et Thirion (Ré- cise, comme en Inde ou en Bulgarie. fermeture des maisons closes (restées ou- sist.), exposent tour à tour leurs points de En pratique, la mosaïque est nettement plus vertes durant l’Occupation). Proposition vue sur la question. Tous flétrissent la pros- riche. «En Corée du Nord, les prostitué(e)s

2356 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 11 décembre 2013

42_45.indd 3 09.12.13 12:21 risquent la peine de mort, tandis qu’en Chine, une majorité de parlementaires français so- connaîtra que l’hypocrite n’est, une fois de ce sont les proxénètes. En Thaïlande, pays en cialistes. Il y aurait aujourd’hui en Suède un plus, guère loin du puritain. Tartuffe est vi- principe prohibitionniste, les maisons closes millier de prostituées dans le pays, contre vant et, aux dernières nouvelles, il se porte- fréquentées par certains touristes sont peu 2500 avant la loi de 1999. Et aucune prosti- rait toujours aussi bien. réprimées par les autorités, raconte Le Monde. tuée de rue. On peut, bien sûr, voir là un pro­ Jean-Yves Nau En Turquie, pays gouverné par un parti isla- grès. Du moins si la rue est synonyme de [email protected] miste, la prostitution est autorisée unique- proxénétisme. Si tel n’est pas le cas, on re- ment au sein de maisons closes agréées par l’Etat. Tout comme dans la Grèce voisine. Au Sénégal, ces établissements sont interdits, les prostitué(e)s sont fiché(e)s et subissent des contrôles sanitaires. Le réglementarisme à la hongroise prohibe les maisons closes, mais identifie des zones spécifiques pour l’exercice de la prostitution de rue. L’Alle- magne et les Pays-Bas ont reconnu la prosti- tution en tant que secteur économique légal. Cette activité y est imposable, bénéficie d’une sécurité sociale spécifique et a accès à la pu- blicité.» L’Italie a fermé les portes de ses maisons closes après la : en 1956. La Belgique ou l’Espagne tolèrent l’existence d’établisse- ments de prostitution, mais uniquement dans certaines régions ou villes. Depuis 1999, la Suède a ajouté une nouvelle perspective à la position abolitionniste : l’inscription dans son appareil normatif de la pénalisation du client, passible d’un an de prison. Entre 1999 et 2010, environ 1800 clients ont été interpel- lés, et deux condamnations avec sursis ont été prononcées. La Suède veut voir dans la prostitution une «violence de genre» infli- gée surtout par les hommes à des femmes souvent sous la coupe de proxénètes et de réseaux criminels. C’est ce modèle qui tente

42_45.indd 4 09.12.13 12:21