Études balkaniques Cahiers Pierre Belon

14 | 2007 L'espace public dans le Sud-Est européen

Kyriaki Tsoukala (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/etudesbalkaniques/188 ISSN : 2102-5525

Éditeur Association Pierre Belon

Édition imprimée Date de publication : 1 janvier 2007 ISBN : 978-2-910-860-07-8 ISSN : 1260-2116

Référence électronique Kyriaki Tsoukala (dir.), Études balkaniques, 14 | 2007, « L'espace public dans le Sud-Est européen » [En ligne], mis en ligne le 01 janvier 2009, consulté le 25 février 2020. URL : http:// journals.openedition.org/etudesbalkaniques/188

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Introduction

Kyriaki Tsoukala

1 L’espace public et la vie publique se trouvent au cœur des analyses et des débats qui animent de nos jours la communauté scientifique. Les mutations radicales sur le plan économique, social, culturel et politique de l’époque contemporaine – appelée aussi période de la post-modernité ou de la mondialisation- créent de nouvelles conditions pour l’organisation et le caractère de la vie privée et publique et, par extension, des espaces dans lesquels celles-ci se déroulent. Ces deux notions de privé et de public se différencient au cours du temps historique, en fonction des traits de chaque société.

2 La notion de public désigne ce qui relève du public, à savoir du peuple, de la population d’un pays. Elle désigne ce qui est apparent et s’expose à la vue commune, ce qui est lié à l’intérêt commun de la société. Le fait public constitue un trait caractéristique de la ville, il est lié à maintes manifestations de la vie sociale et délimite une sphère d’intérêts communs, ainsi que des méthodes transparentes « qui mises en œuvre à la lumière du jour s’opposent à toute sorte de processus secrets ». Il implique la soumission des procédures, actions et savoirs au jugement de tous les citoyens. Le fait public est en corrélation historique avec la démocratisation, avec des implications décisives dans tous les domaines de la vie de l’individu1. La matrice de cette notion est constituée par la civilisation grecque antique qui a progressivement placé ses valeurs, convictions et savoirs au jugement de tous les citoyens, les transformant en objets de confrontation et non pas d’imposition de la part d’une couche sociale puissante sur des couches plus faibles. Comme le note Vernant, à partir du moment où elles deviennent des composantes d’une civilisation commune, les connaissances, les valeurs et les méthodes intellectuelles se trouvent elles-mêmes sur la tribune publique, où elles sont soumises au jugement et deviennent des objets de confrontations intenses. Elles ne sont plus conservées comme gages de pouvoir au sein des traditions familiales. Leur placement dans la sphère publique alimentera des explications, des interprétations diverses, des polémiques et des débats tumultueux2. 3 La vie publique d’un habitat se déroule dans les espaces publics, dans des espaces ouverts ou fermés accessibles à l’ensemble des citoyens. L’espace public n’est pas seulement lié à la notion d’accès libre, mais aussi aux notions d’intérêt commun et de participation3. L’identité de l’espace public ne reste pas figée dans le temps historique.

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Elle est redéfinie, dépendant du cadre social, économique et culturel dans lequel l’espace d’action des citoyens se développe et évolue. Les qualités susmentionnées de l’espace public se transforment pendant la période moderne et ne cessent de subir des modifications au cours des différentes phases de son évolution. La proximité, l’ouverture aux autres, la familiarité constituent des éléments structurels de l’identité de l’espace public ouvert, déplaçant le poids de gravité de la dimension politique à la dimension psychologique de l’espace. Sennett affirme que ces trois notions composent l’idéologie de la familiarité, selon laquelle les rapports sociaux sont d’autant plus effectifs qu’ils se rapprochent le plus des intérêts psychologiques de chaque individu. Pour conclure que cette idéologie transforme les catégories politiques en catégories psychologiques. Il écrit : « … plus les hommes conçoivent l’espace politique en tant qu’occasion de se dévoiler l’un à l’autre partageant une personnalité commune, collective, moins ils utilisent leur fraternité pour modifier les conditions sociales. La conservation de la communauté devient un but en soi. La proscription de ceux qui n’y appartiennent pas vraiment incombe à la communauté. La justification du refus des négociations, de la proscription continuelle des intrus, résulte de la prétendue volonté humaine d’éliminer l’impersonnel des relations humaines. Et, avec le même critère, ce mythe de l’impersonnalité devient autodestructeur. La poursuite d’intérêts communs s’annule pendant la quête d’une identité commune »4. 4 Ce phénomène s’accentue en raison des termes de l’économie de marché qui créent, sur le plan mondial, de nouveaux rapports public-privé, soumettant le premier à la logique du deuxième. La philosophie de la consommation et la déification de la marchandise contribuent à la formation de nouveaux types de relations sociales, de modes de vie, d’esthétique et de comportements et redéfinissent le paysage urbain et l’« architecture » de la ville. Des termes nouveaux vont exprimer ces transformations, comme privatisation de l’espace public, non-lieu, « gated communities », espaces collectifs, centres commerciaux, lieux hybrides. L’espace public en tant que lieu de rencontre des étrangers, d’accès libre et non contrôlé, se rétrécit constamment dans les sociétés modernes sous la pression exercée par les modèles économiques et culturels dominants. La mondialisation des marchés financiers, la souplesse technologique et gestionnaire du capitalisme désorganisé - flexible, l’extension des réseaux de communication au niveau mondial, le rétrécissement spatio-temporel mais aussi la distanciation, l’individualisation post-moderniste et l’idéologie de la consommation transforment le paysage urbain, le mode de vie et le rapport à la nature5. 5 L’espace « public » contemporain répond aux nouveaux objectifs de la production, qui ne se limite pas à la satisfaction des besoins réels, mais s’attend également à des besoins fictifs en inversant les points production- consommation6. Le centre n’est plus le désir de l’individu, mais le destin de la marchandise : l’objet-marchandise ne s’éloigne pas seulement de son caractère purement usager, mais s’autonomise et séduit dans le sens qu’il contribue à la création d’un monde illusoire pour le sujet-consommateur7. Baudrillard affirme que dans le cœur de la séduction se trouve la provocation et non pas le désir8. La provocation nous attire au-delà de toutes les conventions, au-delà de la loi de l’échange, au-delà du principe de la réalité. Selon Chaplin et Holding : « Ironiquement, dans un monde où les désirs du consommateur guident tout, les consommateurs eux-mêmes souvent ne sont pas responsables de leurs choix »9. 6 L’espace des produits non seulement fait partie du paysage urbain et péri-urbain contemporain, mais contribue de façon décisive à la formation de la nouvelle identité

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de l’espace public urbain. La prédominance de la valeur consommatrice transforme la ville en « brandscape »10. La consommation perce partout, même dans des espaces dont la fonction initiale n’était pas commerciale. L’identité des « brand-scapes » et, par conséquent, l’expérience consommatrice mise en scène, se forme sur la base de la puissance de l’image et des symboles, de l’activation du monde émotionnel du consommateur. 7 Au cœur de l’intérêt, l’espace public et la vie publique suscitent des débats et des confrontations, ils deviennent le point de départ d’interrogations politiques, philosophiques et scientifiques. Dans quelle mesure les villes balkaniques s’attachent- elles à ces phénomènes ? Quelles sont les transformations progressives qu’a subies l’identité de l’espace public dans les centres urbains de l’Europe du sud-est depuis le XVIIIe siècle jusqu’à nos jours ? Quels sont les différences et les points communs de ces espaces dans les différents Etats de la péninsule balkanique ? Quelles sont les perspectives de leur évolution ? 8 Le présent volume consacré à l’« Espace public et vie publique dans les centres urbains du Sud-Est européen du XVIIIe siècle à nos jours » vise à contribuer à l’étude de ces phénomènes en réunissant des matériaux, des opinions, des approches et des propositions sur l’espace public des villes balkaniques. Le choix de l’époque pour l’étude de ce sujet, à savoir les trois derniers siècles, est déterminé par deux critères. Le premier critère est basé sur le fait que, pendant cette période, s’effectue le passage de l’harmonisation entre la sphère publique et la sphère privée à leur confrontation et à la prédominance actuelle de l’élément privé face au public comme conséquence du morcellement de la société en individus. Le deuxième critère constitue la formation des Etats nationaux dans les Balkans au XIXe siècle ; on étudie donc dans le présent volume l’espace public et la vie publique dans les centres urbains des États balkaniques de leur fondation à aujourd’hui, de la fin de la domination ottomane à l’époque contemporaine. Le XVIIIe siècle y est compris comme période de modernisation de l’État ottoman et période d’incubation des phénomènes qui prédomineront plus tard. 9 D’après Mazower, au début du XIXe siècle, le terme de Balkans ne désigne pas une région géographique précise. On appelait Balkan alors l’Aimos antique, « la chaîne montagneuse qu’on traversait pour se rendre d’Europe centrale à Constantinople ». Vers la fin du siècle, certains géographes ont donné au terme un sens plus étendu, désignant ainsi la péninsule balkanique dans sa totalité. Dans son livre Balkans, il affirme qu’avant les années 1880 il n’y avait que peu de références à des peuples « balkaniques ». La formule consacrée des géographes était « Turquie d’Europe »11. 10 Les périodes romaine, puis byzantine et ottomane tissèrent la tradition dans la péninsule balkanique et créèrent les éléments communs de la civilisation de leurs populations. C’est dans cette tradition qu’Hélène Antoniadis-Bibicou va chercher les points communs dans les civilisations des différentes ethnies de la péninsule, ainsi que dans les voies qui relient divers peuples et civilisations facilitant l’échange de biens matériels ou intellectuels12. La tradition, conservatrice par nature et possédant de profondes racines dans le passé, ouverte cependant à l’intégration d’éléments nouveaux et à la redéfinition de son contenu, survit dans le temps transférant des éléments divers d’une génération à l’autre. Elle résiste aux changements, mais, en même temps, elle est sujette à des mutations à la suite desquelles elle s’enrichit, s’adapte et survit au passage du temps. La tradition dans la péninsule balkanique, comme on l’a déjà mentionné, se forme au cours des trois grandes périodes historiques,

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les périodes gréco-romaine, byzantine et ottomane. Une importance particulière est attribuée au rôle joué par la stabilisation des populations après l’arrivée des tribus slaves, ainsi qu’à leur conversion au christianisme. La religion constituera, pendant plusieurs siècles, le facteur de conjonction de la population multiethnique de la péninsule et forgera sa résistance à la domination de la civilisation ottomane, alors que, en même temps, elle entre en échange avec celle-ci dans plusieurs domaines. Échange et confrontation créent les conditions de formation de la tradition et de la production matérielle et intellectuelle. Comme l’écrit Hélène Antoniadis-Bibicou, « il est certain que des racines culturelles communes, notamment en ce qui concerne la civilisation matérielle, remontent à des temps immémoriaux et que les apports sont mutuels »13. 11 Les éléments culturels communs laissent leur empreinte sur la langue, les us et coutumes des communautés, sur l’habillement, l’alimentation, les mythes, les arts, les outils, la production, l’architecture et l’urbanisme. Les villes dans les Balkans se formaient, jusqu’à la période ottomane tardive par les décisions, soins et responsabilité des différentes communautés ethniques qui cohabitaient dans un territoire défini sous la domination des empires. La liberté et la charge de prise d’initiatives pour l’espace de la vie quotidienne revenant aux communautés, la ville balkanique se dota d’une identité multiethnique marquée par la variété des morphologies et des fonctions de l’espace urbain, mais aussi par un ensemble cohérent de constructions de la civilisation islamique qui a dominé pendant des siècles avant de reculer sous la pression des luttes d’indépendance nationale nourries par le contexte révolutionnaire général de cette période en Europe. Le polycentrisme et l’organisation introvertie en groupes de la vie urbaine vont de pair avec l’absence de constructions publiques imposantes et la formation d’un réseau de voies irrégulières et sinueuses qui aboutissent souvent à des impasses14. Il faut également noter le fait que les quartiers (mahalas) de différentes communautés ethniques se distinguaient nettement des régions où se trouvaient les marchés et les ateliers, qui occupaient l’espace central de la ville. Yérolympou affirme que l’unité de la ville ottomane est essentiellement fonctionnelle ; il n’y a pas de centre politique comme, par exemple, la place de la mairie ou de la cathédrale qu’on trouve dans la ville européenne. Dans son étude sur les villes de la Grèce du Nord pendant la période des réformes ottomanes, elle notera aussi, comme trait de la ville balkanique du XIXe siècle, la faible densité du bâti, en comparaison avec les villes européennes, le caractère rural – des maisons indépendantes avec cour –, l’existence de grands terrains vagues, alors que les murailles, quand elles existaient, fonctionnaient comme des frontières entre les communautés. 12 L’absence d’intervention de la part de l’autorité ottomane dans l’organisation et dans la gestion des villes sera interrompue vers la fin de sa domination dans l’espace balkanique, sous la pression des pays européens pour les infrastructures, les services et les conditions d’hygiène convenables. La période des réformes ottomanes du Tanzimat commence en 1839 et est liée à la question d’Orient et aux prétentions de l’Angleterre de maintenir la domination ottomane dans la région par le biais des réformes. Yérolympou mentionne le Tanzimat comme une conséquence du traité turco-anglais de 1838, qui autorisait les Anglais à pratiquer le commerce dans n’importe quelle partie de l’Empire sous le même régime que les indigènes, accord qui, l’année suivante, s’est étendu aux autres pays européens, transformant ainsi l’Empire en marché ouvert. Dans le cadre du Tanzimat, des règlements de construction et d’urbanisation pour le réaménagement des centres urbains sont créés. La prévention des incendies avec l’utilisation de matériaux appropriés dans les constructions ainsi que la planification de

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l’espace sur la base des règles géométriques constituent des enjeux de la modernisation. 13 Depuis la fin du XVIIIe et les débuts du XIXe siècle la ville balkanique intègre dans ses nouvelles données géométriques les traces des civilisations qui l’ont composée, sacrifiant plusieurs d’entre elles au nom de la modernisation, de l’assainissement, du contrôle politique. À ces exigences ne tardera pas à s’ajouter la dimension mono- culturelle qui découle de la fondation des nouveaux pays balkaniques. La stratification de formes et de fonctions variées sera reléguée dans le passé et constituera un élément muséographique de l’espace. Les déplacements des populations laissaient derrière eux des bâtiments et des quartiers témoignant de la civilisation qu’elles avaient créée. La ville balkanique se dote d’une identité nationale à travers l’uniformisation des populations, impliquant une langue, des traditions, des us et coutumes communs. En outre, la ville balkanique s’oriente vers les modèles européens et transforme en conséquence son espace public. Les places et les bâtiments publics s’érigent en symboles de la nouvelle réalité politique, des valeurs politiques et sociales des classes dominantes dans les Etats nationaux récemment construits. 14 La deuxième guerre mondiale va engendrer une grande demande de logements à laquelle satisfera une reconstruction à rythme rapide, rendue possible grâce aux nouveaux matériaux et procédés de construction. L’architecture fonctionnelle est également adoptée ici, répondant aux nouvelles demandes sociales. La priorité sera accordée à l’habitat aux dépens de l’espace public menacé, d’un côté, par les faibles moyens financiers de ces États conduisant à l’annulation des études sur son aménagement et, de l’autre, par l’introduction de l’automobile qui influe sur la formation de l’espace urbain. La rationalisation de la construction et du tissu urbain constituèrent pour les villes balkaniques des pratiques liées aux différences politico- idéologiques d’après-guerre. En Grèce, pays possédant une économie capitaliste, une situation incontrôlée est créée en raison de la commercialisation du terrain et des intérêts économiques. Par contre, dans les autres pays balkaniques de la période d’après-guerre - pays possédant une économie socialiste où il n’y a pas eu formation d’un marché autour de la terre-, les approches sociales pour la planification de l’espace public n’ont pas manqué ; elles se sont cependant heurtées aux faibles moyens financiers, à la hiérarchisation des besoins et l’orientation vers d’autres priorités. 15 Plus tard, dans les années 70, la demande des qualités psychosociales de l’espace public constitue un fait commun à la recherche et la pratique des différents pays. Les différences politico-idéologiques sont annulées à la fin des années 80, en raison des changements politiques qui ont eu lieu dans les pays socialistes de l’Europe de l’Est et qui ont créé un cadre socio-économique et idéologique commun de gestion de l’espace public. La mondialisation provoque dans la péninsule balkanique des phénomènes similaires à ceux qu’on voit dans d’autres pays du monde. Le capital financier international crée de nouvelles conditions pour la vie publique et son espace. Perçant son chemin dans les villes, elle transforme l’espace public par de nouvelles formes de divertissement et de commerce proposées sur la base d’un modèle international, parfois intégrant parfois ignorant les éléments culturels locaux. C’est ce modèle qui, selon Augé15, se trouve à l’origine du phénomène de non-lieu comme il appelle l’absence des références à l’histoire et à la civilisation d’une région dans le cas des constructions architecturales et urbaines. Ce modèle est lié à la valeur de l’activité consommatrice et la mise en scène de l’espace public. L’espace en tant qu’image, en

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tant que produit esthétique offert aux réjouissances visuelles esthétiques et non pas comme espace d’action et d’échange entre étrangers, constitue la version moderne d’un espace public qui se privatise et renforce les phénomènes sociaux d’exclusion de l’autre, de l’étranger, du différent. Sur une échelle sans doute moins intense et moins étendue, ces phénomènes, ces nouvelles formes d’espace public, font également leur apparition dans les villes balkaniques et attirent l’intérêt des chercheurs qui participent à l’effort de description et d’appréhension des phénomènes urbains dans la péninsule balkanique. 16 Le présent volume comporte des travaux concernant l’évolution des villes balkaniques pendant les trois derniers siècles, c’est-à-dire du XVIIIe siècle à l’époque contemporaine, ainsi que des textes qui se focalisent plus particulièrement sur la phase actuelle de développement de l’espace urbain dans les Balkans. Cette différence sous- tend l’organisation du volume en deux parties. Dans la première partie, sont regroupés les textes qui appartiennent à la première catégorie, alors que dans la deuxième partie ont été rassemblés ceux qui se spécialisent dans la phase contemporaine du réaménagement et des changements de la ville. 17 La première partie contient les travaux de Yérolympou-Ananniadou-Vitopoulou, de Korobar, de Bilsel, ainsi que ceux de Blagojević-Radivojević, de Djukić et de Dimitrova. Le premier texte, intitulé « L’espace public et le rôle de la place dans la ville grecque moderne. Évolution historique et enjeux contemporains » traite de l’évolution de l’espace public dans la ville grecque et notamment de la place publique qui fait son apparition au moment de la fondation de l’État grec, au XIXe siècle. Les structures sociales de la période ottomane, tout comme celles de la période byzantine, ne favorisent pas la fonction des places. L’Agora de l’antiquité sera transformée d’espace politique en espace commercial. Au XIXe siècle, la place fait son apparition, en tant qu’expression de la liberté, de l’égalité et de la participation politique. Dans cet article sont étudiées en détail trois places d’Athènes, construites suivant les plans de S. Cléanthis et E. Schaubert, pour des activités de caractère politique, religieux/culturel et commercial. On trouve également une analyse des places d’Athènes et de Thessalonique pour la période du XXe siècle. Les premières décennies sont marquées par une activité intense autour du réaménagement des tissus urbains dans le cadre du renforcement de l’identité de la nation, sans pourtant que ces études soient achevées ni réalisées. Plus tard, le système de l’échange immobilier (αντιπαροχή)16 aura une influence considérable sur la formation de l’espace public, privant la ville d’espaces libres. La revalorisation du rôle de l’espace public pendant les années 70 amène à la création des réseaux d’espaces publics à travers l’exploitation et la valorisation de tout espace non construit, privé ou public. Les auteurs insistent à juste titre sur les qualités différentes de ces espaces par rapport à celles des places et terminent leur étude par une référence à la privatisation de l’espace public contemporain. 18 Nous trouverons des données similaires pour les évolutions de l’espace public dans un autre pays balkanique, à ARYM, dans le texte de Vlatko P. Korobar intitulé « En érodant l’espace public. L’espace public à une époque de transition : le cas de Skopje ». L’auteur parcourt quatre périodes d’évolution de Skopje : la période ottomane, la période de la fondation de l’État national, la période socialiste et la période de passage à l’économie capitaliste. Il met en relief le fait que la courte durée de la plupart des périodes susmentionnées a empêché la réalisation de travaux pour l’espace public, la planification urbaine et urbanistique. Avec une intention critique à l’égard de

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l’évolution actuelle de la ville de Skopje, soumise à l’influence de la mondialisation, de la domination des entreprises et des chaînes multinationales, des restaurants fast food, de l’architecture étoilée, il prend position pour le contexte local de développement de la ville, se défend du caractère public de l’espace urbain et s’oppose aux pratiques contemporaines qui se résument dans l’expression « form follows fast profit ». Son interrogation sur la planification de l’espace public contemporain est imprégnée par les notions d’espace imprévisible, improvisé et hybride, pas dans le sens d’une cohabitation de l’espace public et de l’espace privé, mais comme une connivence/ complicité entre les fragments spatiaux de la ville. 19 L’étude de Cânâ Bilsel intitulée « L’espace public existait-t-il dans la ville ottomane ? Des espaces libres au domaine public à Istanbul (XVIIe - XIX e siècles) » traite de la forme, du contenu et de la signification de l’« espace public » et particulièrement de la « place » dans la ville ottomane. L’auteur observe que le concept d’ » espace public » (kamusal alan) n’apparaît dans les dictionnaires des sciences sociales en Turquie que depuis 1977 et soutient que ce terme doit son existence aux architectes, aux urbanistes et aux paysagistes qui l’ont introduit dans la langue spatiale dans le sens « d’espaces libres ou bâtis, ouverts à l’utilisation générale ». Son objectif est de rechercher la pertinence de l’argument selon lequel l’espace public est absent dans la ville musulmane et en général dans la ville ottomane, argument soutenu par les historiens occidentaux et certains intellectuels turcs. Elle consacre une partie de son travail aux espaces libres dans la capitale ottomane d’après le célèbre voyageur et chroniqueur Evliya Çelebi. Selon ce voyageur, les espaces ouverts, indépendamment de leur appartenance – au sultan, à la famille impériale, aux fondations pieuses ou a la communauté – sont des espaces de plaisance qui sont libres d’accès. Ensuite, l’auteur se focalise sur l’étude des « meydan » (places) d’Istanbul. D’après son analyse, ces espaces ne présentent pas de formes précises. Les « meydan » sont des étendues dont les bordures faites d’éléments disparates sont non définies. Selon Cânâ Bilsel le terme « meydan » est à la fois plus large et plus vague que celui de « place ». À travers une approche jurisprudentielle, elle soutient que l’absence de limite dans le cas d’espaces libres (à l’exception des cours appartenant aux grandes mosquées) s’explique par le manque d’ordonnance provenant du pouvoir. Le « meydan » est un espace libre et ouvert, laissé à l’état naturel, alors que la « place » de la ville européenne est un enclos, contrôlé, dont les contours sont bien définis. Elle considère le XIXe siècle comme un tournant dans la gestion urbaine avec la réorganisation des institutions de l’État. Elle prend aussi une position critique face aux changements actuels dus à la mondialisation et aux politiques néo-libérales des gouvernements depuis les années 1980 ayant comme conséquence, entre autres, la fragmentation de l’espace public. 20 L’étude de Mirjana Roter Blagojević et Ana Radivojević portant sur les « Les espaces publics et la vie publique à au XVIIIe et au XIXe siècle et leur transformation au XXe siècle » nous informe sur l’évolution de Belgrade. Suivant un parcours historique dont le point de départ se situe au XVIe siècle, les auteurs nous renseignent sur les transformations radicales du cadre politico-administratif de la ville qui laissent leur empreinte sur sa vie et son espace publics. Des influences orientales et européennes tissent le tissu urbain et forment son espace public. Le caractère traditionnel du socle initial de la ville est conservé jusqu’à nos jours, ses rues, ses marchés et bâtiments publics, constituant des lieux importants de déroulement de la vie sociale et culturelle des habitants.

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21 Des éléments intéressants sur l’évolution des villes de Voïvodine sont présents dans le texte d’Aleksandra Djukić « Genèse et transformation des espaces publics ouverts des villes de Voïvodine ». La période ottomane dans cette région, située au nord de la Serbie, commence au XVIe siècle. Les réformes urbanistiques du XVIII e siècle sont appliquées ici également alors que, au début du XIXe siècle, la région est administrée par les Autrichiens. Le dédoublement de l’étendue de ces villes, l’installation d’Allemands et de Hongrois, l’émigration des Serbes, l’explosion démographique, créent des conditions nouvelles pour le développement des villes. Le paysage urbain poursuit sa transformation avec l’apparition du capitalisme dans la deuxième moitié du XIXe siècle et avec l’industrialisation du début du XX e siècle. En 1923, les villes de la région s’autonomisent et s’organisent en Ligue des villes unies. Le socialisme de la période d’après guerre ainsi que le retour au système d’économie capitaliste à la fin du XXe siècle constituent deux autres phases du développement du paysage urbain de la région. L’étude de certaines villes et places dans les villes de Zrenjanin, Kikinda et Pancevo aboutit à une catégorisation typologique-formelle permettant des comparaisons entre les différentes étapes chronologiques de l’espace public ouvert. L’auteur distingue deux périodes critiques du point de vue des transformations de l’identité de l’espace public dans les villes étudiées. La première concerne le passage à la domination ottomane et la deuxième est liée à la modernisation du début du XXe siècle. Plus tard, l’orientation vers la recherche d’un sens, des références culturelles et des qualités historiques, crée là aussi des espaces possédants une forme, des dimensions, des matériaux et une mise en scène qui se distinguent de la phase précédente du développement de l’espace public ouvert. 22 Dans l’étude d’Elena Dimitrova intitulée « L’espace public en Bulgarie : transformations et raisons d’être au début du XXIe siècle », on trouve des éléments sur l’évolution des villes bulgares concernant notamment la phase contemporaine de leur aménagement et fonctionnement. L’espace public sera ici aussi lié à l’État récemment créé –1878 – , alors que le caractère des villes se transforme plus tôt, en raison des changements économiques, de la production industrielle et du rôle des services administratifs dans le développement des régions. Les modèles européens d’aménagement des centres urbains se substituent en Bulgarie, comme dans d’autres pays balkaniques, aux éléments structurels de leurs tissus urbains comme le mahala, cette unité spatiale qui contribua à la conservation de l’identité sociale, ethnique et religieuse des communautés. La fin de la période ottomane, avec les changements démographiques et culturels qui l’accompagnent, amène des transformations structurelles de l’espace public et plus généralement du caractère des villes. Des idées modernes, comme celle de cité-jardin, vont influencer les lois étatiques sur le développement des habitats. La première phase de la période socialiste est liée à des transformations radicales des tissus urbains en vue de la réception de nouveaux ensembles qui sont construits à un rythme rapide afin de satisfaire aux besoins. L’espace public, même s’il constitue un objet d’étude, n’est pas concrétisé en raison de facteurs économiques et de la hiérarchisation des priorités. Il s’agit certes de phénomènes qu’on retrouve dans le reste de l’espace européen sous des formes et dans des étendues différentes. Le bilan critique de ce phénomène, exprimé pendant les années 70 dans les pays de l’Europe occidentale, existe également en Bulgarie où il exerce une pression en faveur de la conservation du tissu historique, d’une échelle humaine pour l’identité spatiale, des qualités sociales et psychologiques de l’espace public pouvant être tirées de l’étude des éléments historiques des villes. La période post-socialiste va transformer l’espace

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public non pas sous l’influence de la nécessité de répondre aux besoins sociaux en construisant des ensembles à grande échelle, comme par le passé, mais sous l’influence d’autres facteurs, liés à l’économie de marché, la mondialisation et le développement économique du pays. Les socles centraux des villes témoignent encore plus clairement que les autres parties, des changements survenus dans la vie publique et, plus généralement, dans le mode de vie de l’homme moderne. De nouveaux messages sont transmis par les éléments de la ville, les bâtiments, les espaces ouverts, l’équipement. Leur forme, leur fonction, leur signification, renvoient à de nouveaux modèles mondiaux retrouvés dans diverses régions géographiques et culturelles. Les chaînes fast food et les malls sont souvent mentionnés comme les deux exemples caractéristiques écartant des socles centraux des villes des éléments historiques précieux pour la mémoire collective et la civilisation. Le rétrécissement de l’espace public libre, conséquence de l’absence de contrôle d’installation et d’étendue de ce type d’unités, ainsi que l’aggravation des infrastructures techniques et, en général, la pression croissante sur le potentiel constructif de la ville, seraient, selon l’auteur, des phénomènes qui devraient être considérés par l’État le plus vite possible. L’auteur procède à une critique et développe ses propositions sur la base de la préservation du caractère public de l’espace ouvert, historiquement lié à l’identité des citoyens. Les nouvelles tendances qui font leur apparition dans les concours sur le développement urbain articulent leur langage en empruntant à l’écologie, la sociologie, l’économie, la communication. Cette théorie attribue une grande importance à la contribution de la politique urbaine européenne pour la formation des tendances susmentionnées. Tant le Green Paper on the Urban Environement (1990) que le Charter of European Towns and Cities intitulé Towards Urban Sustainability (1994) mettent l’accent sur le caractère particulier des villes européennes qui les rend des centres de la ville sociale. La conservation de ce caractère, tout en procédant aux ajustements imposés par les conditions de vie actuelles dans les centres urbains, constitue l’enjeu des processus de planification des villes ainsi que des processus d’éducation et de formation des chercheurs. 23 Ces six textes nous permettent de constater l’existence d’éléments communs dans l’aménagement et les caractéristiques de l’espace public, fait qui s’explique par les conditions culturelles et historiques communes des habitants de la péninsule. L’organisation sociale et la conception de public et de privé, pendant la période ottomane, façonnent l’espace public des habitats sur la base de deux catégories : la rue et le marché fermé ou ouvert. Le bazar (marché ouvert) et la charshia (rue commerçante) constituent les traits particuliers des tissus urbains de la péninsule, témoignant de la civilisation dominante commune pendant une période historique. Une civilisation qui sera contrainte d’abandonner cette région géographique européenne – à l’exception d’une petite parcelle- sous la pression exercée par la réaction et les insurrections des populations locales, pendant le XVIIIe et le XIXe siècle. La formation des États nationaux balkaniques sera accompagnée de changements dans la conception de la vie publique et de l’espace public. Des architectes et des urbanistes invités par les gouvernements des autorités locales des nouveaux États balkaniques vont importer des modèles et des valeurs de l’Europe centrale, septentrionale et occidentale. Leurs études et leurs propositions vont introduire l’élément de la place et de grands axes, le premier répondant aux valeurs démocratiques et le deuxième satisfaisant des exigences d’hygiène des villes de la période, mais aussi de contrôle politique de la part des classes bourgeoises émergeantes. La réalisation partielle de ces études conduit à l’introduction

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d’éléments nouveaux dans les tissus des villes sans pour autant provoquer une perturbation considérable du système d’espaces publics existants. Il est également intéressant de retenir l’existence d’éléments communs dans le caractère et le développement de l’espace public entre les pays possédant une économie socialiste et une économie capitaliste. L’industrialisation, la production massive d’habitats pour satisfaire aux besoins, la rationalisation de la construction, la prédominance de la fonctionnalité sur d’autres qualités de l’espace, la tactique de la suppression des éléments culturels de l’environnement urbain formèrent, dans les deux cas – dans des pays possédant différents systèmes socioéconomiques-, avec un décalage temporel, des phénomènes qui ont fait l’objet de sévères critiques dans les années 1970. Ces phénomènes sont, par exemple, la formation d’un environnement uniforme et neutre, privé d’éléments liés à la mémoire collective, au vécu et aux caractéristiques psycho- sociales des individus et des groupes. L’orientation vers l’étude des centres historiques anciens, la recherche de qualité de l’espace public répondant aux besoins humains et non seulement aux nécessités générales de développement, font leur apparition pendant la même période dans différents pays de la péninsule balkanique. Plus tard, la tendance à la privatisation de l’espace public, l’intrusion de l’activité commerciale sous toutes ses formes, entraînant l’accès contrôlé, le rejet de certains comportements, la prédominance de l’image, constituèrent les nouvelles conditions de fonctionnement de l’espace public. Or, reconnaître le besoin d’attirer des capitaux dans la phase post- socialiste du développement économique de certains pays balkaniques ne saurait pas signifier, pour certains auteurs du présent volume, le rejet du caractère public de l’espace urbain. 24 Les textes regroupés dans la deuxième partie du présent volume traitent des sujets spécialisés, concernant les tendances actuelles de la planification urbaine. Le renouvellement urbain de Belgrade, le réaménagement de la zone côtière de Thessalonique et l’unification des sites archéologiques d’Athènes suscitent le développement d’une problématique concernant le patrimoine culturel dans le cadre des données socio-économiques contemporaines, ainsi que le nouveau rôle attribué à certaines parties de la ville dans le développement et la formation de la nouvelle identité du citoyen. 25 Des éléments intéressants sur les transformations du tissu urbain de la capitale de Serbie sont présents dans le texte d’Eva Vaništa Lazarević « Une ville à refaire. Renouvellement urbain à Belgrade ». L’auteur vise à une analyse approfondie du contexte contemporain, administrative et législative, concernant la rénovation urbaine dans le cadre de l’étude comparative de celui-ci avec les pratiques dans d’autres pays. En mettant l’accent sur l’aspect social de ce phénomène, elle propose l’amélioration des conditions urbaines par des interventions dans le tissu hérité, sans oublier l’importance des paramètres écologiques dans le processus du devenir urbain. La coordination des activités liées au renouvellement urbain – interaction entre État, donateurs et communautés locales – est considérée d’une importance primordiale pour protéger les couches sociales défavorisées et revaloriser la vie urbaine. 26 L’étude de Constantin Spyridonidis intitulée « Concepts et valeurs actuels pour le design des espaces publics » puise dans le texte d’appel à concours pour le réaménagement du littoral de Thessalonique, ainsi que dans les textes des bureaux d’études qui ont participé au concours international. Il vise à relever des concepts et des valeurs pour l’espace public contemporain. L’imprévisible, le provisoire, le réversible, le fluide se

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présentent comme des concepts dominants dans cette analyse. Des concepts qui s’opposent aux valeurs des périodes précédentes comme, par exemple, la fonctionnalité et ses dimensions atemporelles. Au contraire, le temps constitue à présent la quatrième dimension de la planification et il est responsable de ses diverses modifications. L’espace public proposé constitue une image, un champ de performance, il permet la multiplicité des identités du citoyen et il est créé pour le citoyen romantique en mouvement qui occupe ses loisirs. L’espace n’est plus conçu en tant que partie organique d’un corps, mais comme sa peau, comme un événement optique, comme un objet plastique, comme un théâtre où les citoyens sont invités à exprimer et à satisfaire leurs désirs. L’appel à concours orienta les choix des architectes participants. Il faut noter cependant que le concours fut organisé par l’Organisme de la capitale culturelle (2000, Thessalonique capitale culturelle de l’Europe) qui ne constitua pas un organisme clairement public ou municipal. Des instances et des individus divers ont travaillé au sein de cet Organisme pour la mise en place de la sélection de Thessalonique comme capitale culturelle de l’Europe. Cela explique en partie les indications du texte préparé par les organisateurs, indications qui font preuve de la sensibilité de leurs auteurs aux approches postmodernes de l’architecture qui, sur le plan théorique, s’opposent à la logique de l’économie de marché, des structures du pouvoir et du capitalisme. Par conséquent, le paradoxe de l’invitation à la création d’un espace public destiné à l’individu romantique flânant du XXIe siècle qui tient certaines distances à l’égard du devenir social, qui observe, juge et se différencie s’abstenant de la participation aux structures de la société capitaliste -invitation pourtant découlant des mécanismes de cette dernière, ne saurait s’expliquer que par le caractère de l’Organisme de la capitale culturelle. L’étude de C. Spyridonidis se limite strictement à l’étude des textes – des organisateurs et des participants – évitant de mettre en rapport les notions relevées par l’analyse avec le contexte théorique d’une tendance architecturale développée sous l’influence de la philosophie de Deleuze et de Guattari, de Delanda et de la psychanalyse de Lacan. 27 Le troisième texte de cette deuxième partie du volume est l’article de Clairy Palyvou et porte le titre « La mise en image d’un paysage historique : « l’unification des sites archéologiques d’Athènes » reconsidérée ». La question principale à laquelle cette étude vise à répondre est la façon de représenter un espace historique (dans le cas précis il s’agit d’Athènes antique). Par les différentes étapes de l’étude, le lecteur se familiarise avec des notions périphériques du langage architectonique comme celle d’excavation, de son caractère sélectif et de ses résultats. En outre, des notions comme celles du paysage historique et de sa représentation. Les définitions terminologiques sont suivies par une présentation des théories sur la représentation du site historique. L’auteur adopte le langage cohérent de Kevin Lynch. L’objectif de la précision du site archéologique constitue une question essentielle pour sa problématique. La découverte du paysage dans les différentes phases de son évolution est l’un de ses buts. Elle va nous livrer une description détaillée du paysage des périodes classique et hellénistique en utilisant des notions de Lynch comme parcours, limites, nœuds, régions. Des éléments sur les transformations du paysage précis depuis la période romaine jusqu’à nos jours complètent l’image d’un lieu qui constitue la base de la mémoire collective pas seulement de ses habitants, mais aussi d’une population plus large qui fut culturellement influencée par la pensée et les réalisations matérielles du monde antique. Cette façon de représenter le site archéologique et le rôle actif attribué au promeneur n’ont pas abouti en raison de faibles moyens d’expropriation des terrains.

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Cela a conduit à une réalisation partielle de la proposition et à la transformation du promeneur actif « acteur » en promeneur passif « spectateur ». 28 Les éléments culturels communs des populations de la péninsule balkanique, issus de l’histoire des grandes périodes partagées par les peuples de la région, rendent visibles et familiers des éléments et des phases de développement des villes. Des traces de ces phases culturelles historiques furent conservées à différents degrés dans les tissus des villes. La convergence politico-idéologie des dernières décennies crée dans les villes balkaniques des conditions communes pour l’aménagement et la gestion du paysage urbain. Les phénomènes de privatisation de l’espace public, de création d’un nouveau paysage métropolitain comprenant des espaces hybrides qui proposent de nouvelles formes de vie sociale et publique, la transformation de l’espace public d’espace-scène en espace-écran, font leur apparition dans les centres urbains balkaniques, introduisant des modèles internationaux de comportement et d’action qui transforment la notion même de citoyen. Dans un paysage particulièrement chargé historiquement, culturellement, socialement et politiquement, ces phénomènes suscitent des questionnements qui s’expriment dans les textes rassemblés dans le présent volume. Le retour au passé, la recherche du parcours d’évolution de l’élément le plus sensible de la ville, à savoir son espace public, l’appréhension de ses formes modernes par le biais de la référence au contexte et de sa liaison avec l’origine des phénomènes, contribuent à établir des éléments et des conclusions concernant le devenir de l’espace public dans la région sensible des Balkans.

NOTES

1. J.-P. Vernant, Les origines de la pensée grecque, CNRS, collection “Mythes et religions”, Paris, 1962. 2. Ibid., p. 81-82. 3. M. de Sablet, Des espaces urbains agréables à vivre, Editions de Moniteur, Paris, 1991. 4. R. Sennett, The Fall of Public Man, W. W. Norton & Co, 1992. 5. S. Lash and J. Urry, The End of Organized Capitalism, Polity Press, Londres, 1987 ; S. Lash and J. Urry, Economies of Signs and Space, Sage Publications, Londres, 1994 ; D. Harvey, The Condition of Postmodernity. An Enquiry into the Origins of Cultural Change, Basil Blackwell, Cambridge, 1989 ; A. Giddens, Sociology (traduction en grec : D. Tsaousis), Gutenberg, Athènes, 1984 ; U. Beck, Risk Society : Towards a New Modernity, Sage, New Delhi, 1992. 6. K.Tsoukala et M. Daniil, “Metapolis: The Destiny of the City during the Globalization Age”, International Journal of Humanities, 1 (2003), pp. 873-84. 7. S. T. Leong, “…And Then There Was Shopping”, in C. J. Chung, J. Inaba, R. Koolhaas, et S.T. Leong (éd.), Project on the City 2. Harvard Design School Guide to Shopping, Tachen, Spain, 2001, pp. 128-55 ; M. Gottdiener, “Consumption of Space and Spaces of Consumption”, AD Profile 131 : Consuming Architecture, 68, 1/2 (1998), p. 15. 8. J. Baudrillard et J. Nouvel, Les objets singuliers. Architecture et philosophie, Calmann- Levy, Paris, 2000. Voir aussi J. Baudrillard, Le système des objets, Gallimard, Paris, 1968 et du même auteur, Mots de passe, Pauvert, Paris, 2000.

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9. S. Chaplin et E. Holding, “Consuming Architecture”, AD Profile 131, Consuming Architecture, 68 (1998), 1/2 p. 7. 10. H. Hosoya, et M. Schaefer, “Brand Zone”, in C. J. Chung, J. Inaba, R. Koolhaas, & S. T. Leong (éd.), Project on the City 2. Harvard Design School Guide to Shopping, Spain: Tachen, Spain, 2001, pp. 165-71. 11. M. Mazower, The Balkans (traduction en grec: N. Kouremenos), Pataki, Athènes, 2003. 12. H. Antoniadis-Bibicou, “Conditions historiques de la formation du commun et du différent dans les cultures des pays balkaniques”, Cahiers Pierre Belon – Études Balkaniques, Recherches interdisciplinaires sur les mondes hellénique et balkanique, 3 (1996), pp. 16-37. 13. Ibid., p. 22. 14. A. Karadimou-Yérolympou, Μεταξύ Ανατολής και Δύσης. Βορειοελλαδικές πόλεις στην περίοδο των οθωμανικών μεταρρυθμίσεων, Athènes, 1997. 15. M. Augé, Non-Lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité, Le Seuil, Paris, 1992. 16. Le processus de construction d’immeubles après la guerre et pendant au moins quatre décennies, mais aussi jusqu’à nos jours, s’est appuyé sur un mécanisme connu comme l’échange immobilier. Le sens de ce mot a la particularité de ne pouvoir être traduit dans une langue étrangère que par périphrase car l’échange immobilier, en tant que procédure de production de logement, présente une originalité spécifique. L’échange immobilier est une constitution imparfaite et occulte d’une société de construction, par laquelle le propriétaire du terrain apporte le terrain et l’entrepreneur le capital ainsi que la direction du travail. Il s’agit d’une procédure par laquelle le terrain est échangé par un logement prêt sans intervention pécuniaire. Cf. A. Anastassiadis et K. Tsoukala, « Évolution de la population et de l’habitat en Grèce », in C. Bonvalet, D. Arbonville (éd.), Quelles familles ? Quels logements ? La France et l’Europe du Sud, Institut National d’Études Démographiques, Paris, 2006.

RÉSUMÉS

L’espace public se définit selon un spectre allant de la démocratie urbaine au brand-scape de la société de consommation. Le coordinateur du numéro se place ainsi dans la perspective post- moderne qui réagence actuellement les territoires du privé et du public dans l’espace urbain. En s’aidant d’un panorama de leurs évolutions historiques, il présente alors comment les villes balkaniques s’incorporent dans ce processus depuis le XVIIIe siècle.

Public space is defined in a spectrum going from urban democracy to consumer society “brand- scape”. The editor thus takes into account the actual post-modern reorganization of private and public territories in urban space. By depicting their historical evolutions, he rapidly presents how Balkan towns take part in this process from 18th c. onwards.

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Première partie

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L’espace public et le rôle de la place dans la ville grecque moderne. Évolution historique et enjeux contemporains Public Space and Function of Squares in Modern Greek Town. Historical Evolution and Present-Day Issues

Maria Ananiadou-Tzimopoulou, Alexandra Yérolympos et Athina Vitopoulou

1 La forte tradition de vie publique exprimée pendant l’Antiquité dans l’espace de l’Agora s’affaiblit et disparaît pendant les longs siècles des Empire byzantin et ottoman ; de même les espaces urbains ouverts et affectés aux activités civiques diminuent et périssent progressivement. Les différents types de l’espace public en tant qu’affirmation du pouvoir politique dans l’espace et expression de la citoyenneté et de l’urbanité – axes et boulevards, places, parcs et espaces archéologiques aménagés, apparaissent au XIXe siècle pendant la formation de la ville grecque moderne. Dans les plans élaborés à l’époque, l’aménagement de l’espace public devient l’élément fondamental de conception et d’articulation du tissu urbain. La dégradation troublante des espaces urbains, ouverts et construits, à la suite de la reconstruction intense de la ville depuis les années 1960, remet l’accent sur la nécessité de réinventer, revaloriser et réaménager les espaces publics contemporains.

2 Le présent texte1 suit l’évolution du rôle et de la forme de l’espace public dans la ville grecque, en se centrant surtout sur un type précis, celui de la place urbaine qui constitue le lieu privilégié de la vie sociale et de l’expression spatiale du civisme.

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L’espace public avant le XIXe siècle : l’héritage antique et médiéval

3 Malgré l’origine étymologique grecque du mot (plateia), la place urbaine – création du Moyen Âge – n’a pratiquement pas d’existence dans les villes grecques et en général dans la Méditerranée Orientale pendant toute la période de l’Empire byzantin et de l’Empire ottoman. Sa généalogie et son évolution suivent dans cette partie de l’Europe un trajet différent. L’héritage classique de l’Antiquité grecque n’intègre pas la place dans le sens où nous la percevons aujourd’hui. Dans la ville antique, le lieu urbain fondateur est l’espace ouvert de l’agora2. Lieu essentiel des rites religieux et des procédures de justice de la part de la communauté durant la période archaïque, il se transforme pour accueillir la fonction politique et devient à partir de l’époque classique le lieu de rencontres et d’échanges par excellence. Depuis le Ve siècle av. J.-C., selon le plan de Milet et l’apport d’Hippodamus, la forme de l’agora est régularisée par une géométrie précise qui sera la règle pendant la période hellénistique et romaine. Désormais le type ordinaire est un espace dégagé, de forme généralement, mais pas toujours, régulière, bordé d’un double rang de colonnes, au fond desquelles sont disposés des locaux de petites dimensions destinés à diverses affectations.

4 Dans la langue grecque ancienne le mot plateia est un adjectif qui se place devant le mot rue -odos- et qui indique une rue large, face à une rue étroite qui s’appelle stenopos. La langue latine incorpore le mot plateia – plateau avec le même sens. Il deviendra plus tard place, piazza, plaça, plaza, platz, plein, plads dans les langues européennes, à l’exception de l’anglais qui préfèrera (plusieurs siècles plus tard) square, assimilant la fonction de ce lieu urbain à une forme géométrique établie dans la pratique. 5 Après l’établissement de l’Empire Est Romain-Byzantin, surtout après le IVe siècle de notre ère et la christianisation forcée du monde oriental, la fonction politique de l’agora s’éclipse lentement, en même temps que l’espace urbain correspondant. À Thessalonique par exemple, l’espace de l’agora est rempli d’ateliers et de boutiques, et il est même arrivé qu’il joue le rôle de citerne d’eau pour la ville. Le pouvoir politique s’exerce depuis le palais et les activités sociales dans les temples (chrétiens, juifs et musulmans). Le caractère politique disparaît et le mot agora signifie simplement le marché et l’acte d’achat3. La capitale byzantine, Constantinople, en offre l’exemple le mieux étudié. La vie citadine s’établit autour des rues et aucune ‘place’ n’est mentionnée. La vie économique et commerciale s’organisait autour de la Mésé (mot grec qui signifie Médiane), appelée aussi Platea et Agora 4, l’avenue principale de la capitale, laquelle, bordée de portiques, traversait la ville sur une longueur de quelques kilomètres. Si d’imposants ensembles d’édifices religieux pourvus de grandes cours entourées de galeries se construisaient pendant les premiers siècles, transformant ainsi le tissu urbain, par la suite leur échelle se réduisit. Après le Xe siècle, les églises sont des petits édifices, entièrement intégrés dans les habitations, plus souvent à l’intérieur de l’îlot. S’il y a parvis, il est minuscule. En général, et à l’exception des ouvrages de fortification, il n’y a pas de projets ambitieux ou de grands travaux qui restructurent les villes, lesquelles évoluent de manière informelle. 6 Après l’achèvement de la conquête ottomane au XVe siècle, des grands complexes d’édifices religieux sont construits, pourvus d’espaces libres mais s’adressant seulement à la communauté religieuse musulmane. Des formes familières – espaces carrés entourés de galeries et de colonnades – forment la cour des mosquées et se

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retrouvent à l’intérieur des khans5. En général pendant les époques byzantine et ottomane, le seul lieu d’urbanité et de convivialité de la ville sera le marché, constitué d’un ensemble de cours, ruelles ouvertes ou couvertes et de petits élargissements6. 7 Des transformations similaires voient le jour dans les provinces balkaniques et asiatiques de l’Empire ottoman. Les glissements de sens se reflètent aussi sur les mots utilisés dans les langues slave et turque. Ainsi le lieu du marché est le seul lieu public qui ressemble à la place. En turc, le mot tcharchi (çarşı, čaršija en serbe et en bulgare) était utilisé pour indiquer les lieux commerciaux depuis le XIVe siècle, en même temps que le mot pazar (ou bazar, en persan). Au début le mot pazar prévalait mais, après la fin du XVIe siècle, le mot çarşı l’a emporté et des nuances ont été apportées à leurs significations, le mot pazar se limitant plus ou moins à indiquer les marchés se tenant en plein air aux abords de la ville7. Il est considéré que le mot çarşı provient du mot perse Cihar Suk (quatre rues), qui devient çarşı, pour indiquer au début (XIVe siècle) une rue bordée de deux rangs de boutiques, ouverte ou ayant une toiture, et/ou une place rectangulaire (ayant quatre côtés) avec des boutiques8. Chez les Serbes la čaršija est liée à la pijaca (mot d’origine italienne), même s’il ne la contient pas. La pijaca, espace libre sans forme précise, se trouvait durant le XIXe s. à côté du quartier artisanal et commercial et quelques fois même le divisait en deux parties (haute čaršija et basse čaršija). Aujourd’hui le mot trg indiquant la place provient de trgovište (commerçant). 8 Les idées et les concepts développés dans le monde occidental sur la forme, le rôle et le sens de la place, depuis la Renaissance et jusqu’après l’époque des Lumières n’apparaissent pas dans l’espace de la Méditerranée Orientale. La place Royale, la ‘Grande place’ commerciale, la place militaire ou la place résidentielle dans les nouvelles extensions de la ville ne voient pas le jour dans ces contrées. La vie citadine se déroule principalement dans les rues (marchés) ou à côté des édifices religieux (lieux de rassemblement de la communauté des croyants). Jusqu’au XIXe siècle, les vides dans le tissu urbain9, à l’intérieur ou à côté d’un bâti qui reste peu dense, sont pour la plupart dus au hasard ou au relief du sol qui ne se prête pas à la construction, ou ils s’expliquent par l’intégration d’espaces agricoles, surtout des aires de battage de blé. Bien que ces vides amorphes reçoivent les activités de caractère social et convivial des habitants (rencontres, foires itinérantes, marchés aux chevaux, etc.), leur formation est plutôt le produit d’un lent processus spontané qui s’étend sur une longue durée et pas du tout d’une action ou d’une politique délibérées10. Leur forme est entièrement fortuite. À l’intérieur de la ville, la notion de l’espace public dont le contrôle, la sécurité et l’entretien reviennent à l’autorité publique, n’englobe que les principales rues, le marché central et les mosquées. Dans les quartiers résidentiels par contre ce sont les habitants qui sont tenus pour responsables du maintien de l’ordre dans les ruelles et les espaces vides de leur quartier11. Dans ce but, ils étaient même encouragés à se protéger par la construction d’une clôture munie d’une porte donnant sur la rue qui mène à chaque quartier12. Des dispositions de protection de ce type peuvent être retrouvées sur les plans de Jannina, Veria, Serrès etc. de la fin du XIXe siècle. 9 Si les conditions politiques et l’organisation sociale sous les Ottomans excluent la place publique de caractère civique, il y a toutefois des exceptions notables. L’on retrouve un type d’espace ouvert, directement assimilé à la place, dans quelques villes et villages de la Grèce, dans les montagnes du continent et dans les îles, peuplés après la conquête ottomane uniquement par des chrétiens ayant décidé de quitter les plaines et les villes polyethniques où vivaient les Turcs. Grâce aux privilèges accordés par la mère du

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sultan qui permettaient une autonomie limitée, la vie communautaire a pu fleurir et produire des ‘places’ permettant d’accueillir les activités conviviales des habitants (marchés, cérémonies religieuses, conseils locaux, fêtes). Le nom le plus souvent donné à ces places est « La place du Platane ». Ces lieux sont localisés à côté de passages près d’une source ou d’une rivière. L’élément initial est la présence de l’eau. Dans la plupart des cas, ils sont dominés par la présence d’un énorme platane (d’où leur appellation ordinaire). Le platane, arbre bien-aimé en Grèce dont le nom dérive de la même racine que le mot grec de la place (plateia) se dresse à côté de l’eau ; grâce à son impressionnante longévité (plusieurs siècles) qui en fait un point de repère permanent et fixe, il définit un site de rencontre accueillant et ombragé, point central de la vie commune. Les périmètres de l’espace d’échanges ont été parfois déterminés par les façades des magasins et des ateliers ; on y note aussi la présence d’une église préexistante ou nouvelle ou reconstruite. Ainsi la place acquiert un caractère polyvalent, puisque les fonctions fondamentales de la vie communautaire y sont rassemblées. Elle constitue le centre économique, social, administratif et le plus souvent religieux (Fig. 1, 2, 3).

Fig. 1, 2, 3 : Platanos

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10 Ces places ont vite constitué les noyaux centraux des petites agglomérations. Il semblerait que leur forme originelle soit dérivée des surfaces plates des aires de battage du blé lesquelles, en raison de leur localisation et de leur disposition, constituaient les espaces les plus appropriés à l’échange de produits agricoles et d’élevage. D’autres espaces progressivement transformés en places étaient des petits cimetières désaffectés, initialement en dehors des limites des agglomérations et graduellement englobés par de nouveaux quartiers. Dans tous les cas le périmètre de la place demeure informel. À cause du relief souvent accidenté, des niveaux et des gradins sont aménagés, créant un espace théâtral sous les platanes13. L’on rencontre plusieurs exemples de ce type dans les îles (Andros, Syros, etc.) (Fig. 4,5), et aussi dans les montagnes du continent (Ambélakia, 24 villages au Mont Pélion, Zagoria) ainsi que dans les villes de Xanthi, Siatista, Edessa, Kastoria, Drama, Tricala Korinthias, Lidoriki, etc.

Fig. 4 : Amorgos

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Fig. 5 : Syros pl. Métamorphosis

11 Tandis que sous les Ottomans quelques villes et villages inventaient leurs propres espaces publics, une tradition différente se développait, du XIIIe siècle à la fin du XVIIe, dans les contrées grecques placées sous le pouvoir de Venise surtout, mais aussi sous celui des Génois et des Chevaliers du Temple de St. Jean. Ainsi, dans plusieurs villes côtières et insulaires, l’on rencontre des espaces publics qui se forment sur les modèles et les traditions de leurs souverains. Dans les îles ioniennes – Corfou, etc., la ville médiévale de Rhodes, les villes et les villages de mastic de Chios, les villes crétoises, etc. l’on rencontre des places dont la forme et le caractère reflètent les préoccupations des villes italiennes : aménagement plus ou moins formel de la place, rôle du puits et de l’eau, localisation d’édifices publics, tels que gouvernorat, loggia, cathédrale (Fig. 6,7).

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Fig. 6 : Corfou

Fig. 7 : Nauplie

12 On y note aussi des plantations différenciées, adaptées pourtant aux conditions climatiques du pays (Kos). La présence italienne s’affaiblissant du XVIe au début du XVIIIe siècle, les formes demeurent moins sophistiquées et les édifices apparaissent

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plus modestes que ceux des métropoles italiennes. À la suite de la prise des dominations vénitiennes par les Ottomans (à l’exception des îles Ioniennes où le pouvoir vénitien s’est maintenu jusqu’en 1798), ces lieux ont connu de nouvelles transformations et des mosquées et autres bâtiments ont été construits à côté des différents édifices des siècles antérieurs.

Modernisation et occidentalisation de la ville néohellénique : la place néoclassique

13 La place urbaine fait officiellement son apparition en Grèce dans le deuxième quart du XIXe siècle dans le cadre d’une activité urbanistique intense qui suit la fondation du nouvel état hellénique : création de villes nouvelles, reconstruction de villes détruites pendant la guerre de l’indépendance, restructuration et expansion des villes existantes. A l’époque de leur libération, les villes conservaient encore leurs caractéristiques médiévales : divisées en quartiers polyethniques, sans infrastructures, elles ne comptaient pas d’édifices publics ou de centre civique affirmé. Les opérations urbanistiques entreprises s’inscrivent dans le cadre de l’idéologie officielle, qui aspire à exprimer les idéaux d’égalité et de citoyenneté dans l’espace tout en construisant une continuité historique associant le nouvel État aux traditions byzantines et antiques, dont il se veut l’héritier14.

14 Pendant la constitution et le développement du modèle de la ville néoclassique introduit à l’époque, l’aménagement d’espaces publics comme éléments constitutifs de l’organisme de la ville et l’implantation des équipements collectifs à leur proximité demeurent l’une de ses caractéristiques fondamentales. Ainsi les espaces urbains pourraient répondre aux exigences de la nouvelle société bourgeoise naissante et au nouveau pouvoir étatique. 15 Dans ce contexte la place devient un élément d’articulation et de restructuration majeure de l’espace urbain. Au-delà des nécessités de fonctionnement de la ville et du souci de créer un espace qui encourage la citadinité (espace de convivialité, de sociabilité, d’échanges), c’est le caractère symbolique accordé à la place qui prédomine : un seul lieu unificateur des citadins qui exprime les notions de liberté, d’égalité et de participation politique. Qu’il s’agisse de sites réaménagés et transformés en places pendant la restructuration et l’expansion des villes existantes ou de places entièrement nouvelles créées selon les impératifs de l’urbanisme occidental, cette forme urbaine innovante -par rapport au passé récent- symbolise et transcrit la sphère publique dans ses dimensions physiques, politiques et sociales. 16 La place constitue alors l’élément générateur des plans élaborés et approuvés pendant le XIXe siècle, tant dans sa forme idéale des plans monumentaux de la première période ottonienne (1833-1856) que dans sa version plus élémentaire plus tard dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Même pendant cette période de plans plutôt pauvres et rudimentaires, la place continue à prédominer et attirer l’attention des aménageurs plus que tout autre élément urbanistique. Avec ses formes géométriques claires, elle est délimitée soit par les bâtiments abritant les fonctions centrales ou publiques, soit par la plantation d’arbres. En ce qui concerne l’architecture privée autour des places, il n’y a pas besoin d’imposer un style particulier dans la mesure où les Grecs adhèrent au style néoclassique au point d’en parler comme d’un classicisme « de tout le peuple »15.

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17 L’exemple le plus caractéristique du rôle symbolique que la place est destinée à jouer se trouve dans les plans élaborés pour Athènes après sa nomination comme capitale du nouvel État grec en 1834. Les plans se structurent autour de trois places de destination fonctionnelle différente qui forment un grand triangle face à l’Acropole. Le caractère et la forme de ces places ont donné lieu à une grande controverse à l’époque qui aboutit à trois plans successifs différents16. 18 Le premier, signé par S. Cléanthis et E. Schaubert (1833), introduit l’aménagement triangulaire des rues principales, avec trois places aménagées au sommet du triangle. Chaque place organise un pôle fonctionnel différent : Au sommet nord du triangle, une grande place orthogonale ordonne le centre administratif face à un axe nord-sud tracé vers l’Acropole. Le complexe monumental comprend le palais royal avec jardin et étables encadrés par six bâtiments ministériels et deux chambres des députés ; plus bas le marché central toujours de manière symétrique par rapport à l’axe nord-sud et disposé autour d’un jardin orthogonal. Au sommet à l’Est, autour d’une place circulaire s’organise le centre culturel et religieux : la bibliothèque, l’Académie et la cathédrale accompagnée par deux bâtiments de l’évêché. À l’Ouest, une troisième grande place circulaire est tracée au milieu d’espaces verts. Liée visuellement à la Pnyke17 (Fig. 8), elle marque la limite entre la ville et la campagne et l’entrée de la ville pour ceux qui arrivent du Pirée. Une multitude de places secondaires accueillent le reste des bâtiments publics prévus par le plan et encadrent les vieilles églises byzantines. Selon les auteurs du plan S. Cléanthis et E. Schaubert : « La plupart des places ont été ornées d’arbres, ainsi que de fontaines à l’eau courante, qui donne toujours de la fraîcheur et de la vie » 18. 19 Le plan de S. Cléanthis et E. Schaubert est jugé trop généreux en espaces libres et l’architecte bavarois Leo von Klentze est appelé pour le réviser (1834). Il maintient la disposition triangulaire, mais il change la destination fonctionnelle des trois pôles : le palais royal/centre administratif se déplace à l’Ouest ; au Nord une grande place circulaire (place d’Othon) accueille la cathédrale accompagnée du bâtiment de l’évêché et d’un édifice scolaire ; à l’Est, entourée des bâtiments d’habitations, une petite place en hémicycle accueille toujours en son centre une église. Ce n’est pas par hasard que le projet de Klentze, architecte du roi de Bavière affaiblit le caractère social des places et met au contraire en exergue le pouvoir de l’État et de l’Église.

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Fig. 8 : Plans d’Athènes, 1834 -1837

20 Pourtant, ni le plan initial, ni sa révision par Klentze n’ont été réalisés. Tout en respectant l’idée du triangle, un troisième projet signé par Friedrich von Gaertner (1836-37) introduit le palais au sommet est du triangle et y crée la place majeure de la capitale, tant au niveau de la taille qu’au niveau symbolique : la place de la Constitution (nommée ainsi plus tard, en 1843), où se trouve le palais royal -plus tard converti en Chambre des députés- haut lieu politique grec, point de rencontre des habitants, place touristique, ainsi que nœud important de transport (Fig. 9, 10, 11).

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Fig. 9 : Place de la Constitution, 1865

Fig. 10 : Place de la Constitution

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Fig. 11 : Place de la Constitution

21 Au Nord, la Place de la Concorde, finalement de forme carrée, devint un pôle commercial important et le lieu d’accueil des nouveaux arrivés en ville, ainsi qu’un carrefour important de la ville (Fig. 12).

Fig. 12 : Place de la Concorde (Omonia), 1900

22 Par le grand nombre d’interventions qu’elle a subies après 1930, elle suit les transformations d’Athènes. La création de ces deux places a entraîné un développement rapide des quartiers environnants, tandis que le quartier à l’Ouest où se trouvait la troisième place « perdue », (jamais réalisée) constitue aujourd’hui un site en forte détérioration dont la requalification s’inscrit dans le contexte de la problématique contemporaine de revalorisation des sites industriels19.

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23 Le changement de mentalités et le caractère transitoire de l’époque (d’une société traditionnelle asservie à un état moderne et libre) est apparent dans la manière dont les Grecs accueillent les nouvelles places conçues. Même si leur succès ultérieur est incontestable, elles inspirent, pendant les premières années, des commentaires contradictoires. Dans une description d’Athènes publiée en 185320. les nouvelles places «… n’ont pas le caractère d’autres places ailleurs […] elles ne sont pas situées dans le centre et elles sont privées d’ateliers ou de cafés autour. […] (Au contraire), le croisement des rues Eolou et Ermou21 est le seul point d’Athènes, où se réunit réellement un grand nombre de personnes, soit vaquant à leurs occupations, soit installées dans les cafés, presque pendant toute la journée et jusqu’à tard dans la nuit ». Il est évident, donc, que la « nouvelle » forme de la place n’a pas encore été acceptée avec son caractère politique, et qu’au contraire, le rôle de la place est plutôt assumé par les carrefours et les larges ouvertures à caractère de marché, avec magasins et cafés. Ainsi, pendant les premières années suivant l’introduction de la pensée « néoclassique » dans la conception des places, survient un conflit. Un conflit au sein de la logique des urbanistes (Places Royales, prestige, isolement du palais du peuple, mais en même temps centre politique pour le peuple), mais aussi un conflit avec la conception traditionnelle qui considère la place comme un espace d’échanges et de vie sociale quotidienne (donc arbres, eau, magasins et cafés). Cependant, ce conflit est temporaire et bientôt la nouvelle place est assimilée et vécue… 24 L’on retrouve systématiquement le modèle d’Athènes dans tous les plans des villes nouvellement créées, ainsi que dans les plans de réaménagement des villes existantes. C’est le cas des plans de Patras, signé par St. Voulgaris à 1829, de Sparte (Stauffert, 1834), d’Erétria (E. Schaubert, 1834), du Pirée (Cléanthis et Schaubert, 1834), de Corinthe (Schaubert, 1836). 25 Le tracé de Lamia résume des pratiques couramment utilisées chez les villes grecques réaménagées. Un système de trois places en disposition triangulaire domine le plan élaboré en 1840 : la première est aménagée sur le site du vieux marché en plein air, la deuxième sur la cour d’une mosquée démolie et la troisième sur l’aire de battage du blé. On peut y déceler la triple démarche, le triple service que rend l’urbanisme : la place urbaine est la réponse proposée aux aspirations de modernisation, de reconquête et d’extension de l’espace urbain. Ces préoccupations sont aussi présentes dans les plans de Tripoli, (Garnot et Voulgaris, 1829 et 1836) d’Hermoupolis (Weiler, 1837), de Trikala (1885), etc.

Évolution des concepts de la place publique au début du XXe siècle

26 La conception théorique développée pour la ville grecque moderne et la valorisation d’un savoir-faire basé sur les modèles occidentaux se reflètent aussi dans les plans élaborés pendant les deux premières décennies du XXe siècle. L’opération majeure de cette période, et peut-être de l’urbanisme contemporain en Grèce moderne en général, est la reconstruction de la ville de Thessalonique après l’incendie qui avait détruit la plus grande partie de son centre historique en 1917. Le plan élaboré par une Commission Internationale sous la direction du français Ernest Hébrard introduit les acquis théoriques et techniques de l’urbanisme de l’époque adaptés aux conditions locales. Il propose la métamorphose totale d’une ville séculaire sortant de sa phase

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médiévale, sans aucune contrainte liée aux constructions existantes et à la propriété foncière (sur instructions explicites du gouvernement). La modernisation et l’ « hellénisation » ne s’identifient plus aux tracés classiques (comme au XIXe siècle) mais à l’esprit occidental, considéré comme la continuité de la civilisation antique. Hébrard visera à doter cette ville d’un élément central fort, qui lui manquait jusqu’alors ; un centre civique affirmé (Fig. 13).

Fig. 13 : Hébrard, 1921

27 Le cœur du centre-ville est alors formé de deux places à programme reliées entre elles par une avenue, perpendiculaire au quai, ouvrant sur une perspective majestueuse vers le mont Olympe. La Place Civique, située selon Hébrard, sur l’emplacement de l’ancien Forum romain, réunit l’Hôtel de Ville, le Palais de Justice et les bâtiments de divers services. La deuxième place, de caractère commercial et touristique, présente une façade de 100 mètres sur le bord de mer, et devient ainsi le « balcon de la ville » (Fig. 14a et 14b).

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Fig. 14 a

Fig. 14 b

28 Les façades ordonnancées proposées pour tout cet ensemble urbain adoptent le style néo-byzantin faisant appel au passé glorieux de la ville. Hébrard utilise aussi les anciens édifices romains, byzantins et ottomans pour donner du caractère au nouveau plan et créer des espaces libres, surtout des places et des placettes, autour desquels une architecture à programme est également prévue22.

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29 Ces mêmes idées sont reprises et discutées à propos d’Athènes qui s’étend déjà bien au- delà de ses limites du XIXe siècle. Plusieurs projets sont préparés dans le but de promouvoir l’embellissement de la ville tout en mettant en valeur sa richesse monumentale. Les plans signés par l’architecte berlinois Ludwig Hoffmann (1909) proposent la création de nouvelles places ainsi que l’embellissement des places existantes par des arcades néoclassiques, des obélisques ou des statues, dont les plus caractéristiques sont ceux de la place de la Constitution et de la place de la Concorde23. Le caractère embellissant est aussi apparent dans le plan élaboré par le britannique Thomas Mawson (1914-1918). D’ailleurs, sa préoccupation en tant que paysagiste était plutôt la création d’un système d’avenues et de promenades plantées, de parcs et d’espaces libres que la création de places purement urbaines. Le plan directeur de Kalligas, Hébrard et d’autres (1920) promeut la logique du zoning et la création de centres spécialisés, il focalise sur la planification stratégique du développement de la ville et des banlieues et il adopte une planification soigneuse du réseau routier et des espaces libres. L’idée de la place civique autour de laquelle se concentrent les fonctions administratives, introduite à Thessalonique, est reprise ici dans une composition monumentale (centre gouvernemental). 30 Les « nouvelles » places sont aussi présentes dans les plans de Florina (1914-1918) et de Serrès (1920), entièrement redessinée et reconstruite après sa destruction par l’armée bulgare en 1913, ainsi que dans les plans élaborés dans le cadre du programme pour la reconstruction de la Macédoine orientale (1919-1920), qui introduit les principes fondamentaux du modèle des cités-jardins en Grèce. Bien qu’il s’agisse dans leur majorité de petites agglomérations, la prévision et la planification des places de forme géométrique claire (circulaires, carrées ou orthogonales) pour l’implantation des équipements collectifs sont détaillées. Ces places constituent le point d’articulation des tracés fondamentaux, créent un ou plusieurs centres dans les agglomérations et leur confèrent une sorte de monumentalité. L’exemple le plus représentatif, et de plus le seul qui ait été appliqué, est probablement le plan de Djoumaya (aujourd’hui Iraklia dans le département de Serrès)24. 31 La plupart des susdits plans n’ont pas été appliqués dans leur totalité ; cependant, les centres et les places historiques les plus importants des villes grecques modernes ont été créés sur la base de ces plans. Malgré l’écart d’un siècle entre les différentes opérations (dans le Sud et dans le Nord)25 et les différences entre les besoins et les concepts urbanistiques, l’emploi de la place demeure chaque fois dominant et elle est utilisée comme un outil de modernisation de l’espace urbain. Même si les places ne sont pas entourées, au moins dans les villes de petite et de moyenne taille, d’édifices prestigieux (vu la pauvreté chronique du jeune État grec), elles réussissent à fonctionner comme pôles de citadinité importants dans l’espace urbain26, ainsi que comme points générateurs de la nouvelle structure urbaine. « Les places donnent un aspect charmant à la ville », ne cessent de répéter les guides touristiques de l’époque. En effet jusqu’aux années 1920, la place se présente comme l’élément le plus caractéristique de chaque ville, même la plus petite. La particularité et l’importance de chaque ville, sa modernisation et son image sont jugées par l’existence et la situation de ses places. À titre indicatif, on peut citer Patras avec des places de 10 hectares sur une surface totale de 250 hectares, tandis que la ville de Corinthe avec une surface de 140 hectares présente la même étendue de places27.

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32 Malgré l’importance attribuée à la place en tant que forme urbaine centrale dans les plans de villes, la législation urbanistique ne semble pas lui attacher le même poids. Le décret du 17 juillet 1923 « Sur les plans des villes, des bourgs et des agglomérations de l’État » (JO 228/A/16.8.1923), le premier cadre législatif de l’urbanisme complet introduit en Grèce28 incorpore l’ensemble des idées relatives au développement de la ville grecque, et aussi les outils utilisés lors des interventions exemplaires des deux premières décennies du XXe siècle. Bien que l’importance de la prévision et de l’aménagement des espaces et équipements publics nécessaires au bon fonctionnement de la ville soient très explicites dans le décret, ce dernier ne comprend pas de dispositions particulières relatives aux places. Par contre, le Code Général de Construction (JO 155/A/22.4.1929) donne l’occasion d’instituer certaines prescriptions supplémentaires, principalement des dispositions de caractère morphologique et d’embellissement sur la forme et la structure des espaces publics (façades ordonnancées, types architecturaux imposés, éléments d’équipement, installations décoratives et artistiques, plantation, etc.)29. 33 C’est en 1927 qu’apparaît aussi le premier parc public urbain. Il s’agit de l’ancien jardin royal (projeté en 1830 et construit en 1860, d’influence bavaroise aussi), devenu jardin national d’Athènes. Si cet exemple pourrait indiquer que le parc public provient de la transformation d’un jardin au caractère privé, par contre nous savons que l’origine du parc public à Athènes remonte à l’Antiquité où nous retrouvons des jardins à caractère public comme les jardins des académies et des gymnases30.

De l’entre-deux-guerres à la fin du XXe siècle : disparition et renouveau de l’espace public

34 L’arrivée de plus d’un million de réfugiés à la fin de la guerre gréco-turque (1920-1922) et l’urbanisation « violente » qui a suivi, ont gravement influencé l’évolution des villes grecques. Les mécanismes et les dispositifs de contrôle adoptés n’ont pas réussi à circonscrire l’urbanisation et ils ont entraîné la création de quartiers urbains sans espaces publics et sans équipements.

35 L’accroissement urbain rapide a également influencé la pratique de la planification. La fondation des quartiers de réfugiés ne s’alignait en rien sur les plans déjà approuvés et les plans élaborés à l’époque se limitaient à tracer des îlots de forme régulière, généralement implantés selon une grille orthogonale simple. Les places étaient relativement peu nombreuses et petites (d’habitude leur taille correspondait à un îlot moyen). Dans quelques cas, elles se limitaient aux nœuds d’articulation des axes principaux. Elles étaient le plus souvent aménagées ad hoc sur des parcelles dont l’acquisition était plus facile (terrains publics ou expropriés pour la fondation des quartiers de réfugiés), ainsi que dans les zones tampon entre les anciens noyaux et les extensions. Il n’y a eu, en parallèle, aucun souci de réglementer l’architecture des bâtiments environnants. 36 Il faut aussi souligner que l’incapacité financière des municipalités de procéder aux expropriations des terrains destinés aux espaces et équipements publics, la protection excessive des droits de la propriété privée et le caractère clientéliste du système politique-administratif grec, n’avaient souvent pas permis la réalisation des prévisions

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les plus élémentaires des plans approuvés pour l’aménagement d’espaces publics et d’équipements collectifs31. 37 Le problème s’est aggravé après la deuxième guerre mondiale, époque d’un exode rural massif. Le modèle de développement et d’expansion urbains de l’après-guerre favorisait la reconstruction par l’initiative privée, et l’extension démesurée de la plupart des villes par l’éruption de lotissements sauvages au-delà des limites du plan approuvé. Ainsi, l’espace urbain grec se reconstruisait densément et s’étalait dépourvu d’espaces publics et d’infrastructures techniques et sociales. 38 De surcroît, le fait que des édifices de deux ou trois étages construits au cours du XIXe siècle et de l’entre-deux-guerres aient été remplacés par des immeubles de rapport de six, sept ou même huit étages a provoqué la dévalorisation esthétique du cadre bâti des places historiques et la disparition des vues-perspectives. L’accroissement du trafic a réduit l’accessibilité et a diminué l’attrait de l’espace ouvert des places centrales. Envahies aussi graduellement par les tables et les chaises de cafés32, elles ont perdu leur sens et leur fonction originels. Désormais, elles ne fonctionnent plus que comme nœuds de circulation ou comme espace vide de quartier. Elles font l’objet d’aménagements en béton et la plupart des arbres disparaissent. 39 Les transformations successives de la place de la Concorde à Athènes constituent l’exemple peut-être le plus représentatif des changements que les places du XIXe siècle ont connus pendant le XXe. Une station souterraine du train électrique y est construite en 1931, ce qui augmente le nombre des piétons et lui confère une nouvelle vitalité, mais éloigne sa riche végétation. Sa forme devient ronde et elle est ‘décorée’ de 8 bouches d’aération en béton, ornées des statues des 8 muses. Au cours des années 1950, à l’apogée de la reconstruction en béton de tout le pays, elle est remodelée. Son sol devient minéral et les arbres disparaissent. Une énorme composition de jeux d’eaux vide la place de tout espace libre et la transforme en simple rond-point de circulation. Les édifices néoclassiques de trois à quatre étages à son périmètre sont remplacés par des immeubles à huit étages. (Notons pour l’histoire qu’après 1985, elle est transformée de nouveau : une belle statue remplace les jeux d’eaux. En plus, un nouveau projet l’attend en 2004, à l’occasion des Jeux Olympiques)33. 40 Depuis la fin des années soixante-dix, l’on assiste à un renouvellement de l’intérêt exprimé pour les espaces publics tant de la part des spécialistes que de la part de la politique officielle. Cet intérêt s’inscrit apparemment dans le cadre de la problématique relative développée au niveau européen dans la mesure où la critique post-moderne a restitué son rôle à l’espace public34. C’est à ce moment-là qu’émergent des nouvelles tentatives de réaménagement, de réhabilitation ou de valorisation de sites, des espaces libres, dans les vieux centres ou ailleurs dans la ville. L’on assiste également à un renouveau d’intérêt pour la préservation du patrimoine architectural, la conception paysagère et urbaine, et la planification communautaire. L’intérêt porté à l’aménagement d’un espace convivial, l’encouragement à la diversification spatiale, le droit à l’utilisation collective de l’espace public, ont déplacé l’accent de la quantité normative sur la qualité de l’espace. 41 L’importance accordée à l’expérience et au plaisir de l’espace libre dans la ville à travers le mouvement, la vie quotidienne et les activités en plein air sont des caractéristiques dont le sens apparut à partir de ce moment- là. Il en va de même pour la conception de l’espace de la ville en tant qu’expression visible et structurée des

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changements sociaux et culturels, changements liés à l’histoire, à la nature et aux traits particuliers locaux35. 42 Cette tendance théorique émergente recherche l’esprit de la place, tout en projetant une image qui porte sur la création d’un nouvel espace dépendant de la disposition personnelle d’intervention et du flair compositeur de son concepteur. Elle coïncide en même temps avec la crise profonde du modèle d’urbanisation en Grèce, la critique sévère formulée par le monde technique et scientifique sur les retombées du développement urbain de l’après-guerre et l’incapacité du cadre institutionnel à régler les problèmes des villes grecques. 43 Ainsi, le renouveau du droit urbanistique et plusieurs opérations ponctuelles et plus globales d’aménagement et de réhabilitation (transformation des rues en voies piétonnières dans des zones commerciales, réaménagement des places existantes, etc.) se sont penchés sur l’état des espaces publics des villes grecques, ainsi que sur le problème majeur d’acquisition des terrains pour assurer leur aménagement. La réforme urbaine appliquée dans les années quatre-vingt a mis l’accent sur la création des réseaux d’espaces publics à travers l’exploitation et la valorisation de tout espace non construit, privé ou public, indépendamment de sa localisation, de son usage ou de l’architecture environnante (transformation des rues en voies piétonnières, espaces libres à l’intérieur des îlots, enceintes, espaces archéologiques, ruisseaux, camps militaires, espaces délaissés, sites désaffectés, etc.). Dans la pratique, la politique suivie était le blocage de terrains non construits, la valorisation des rares terrains publics ou municipaux qui n’ont pas été empiétés ainsi que l’intégration de nouvelles étendues dans les plans de villes afin d’assurer l’aménagement des espaces publics nécessaires pendant l’intégration des lotissements sauvages. La planification ne se fondait pas sur l’aménagement des espaces publics et la pertinence de leur localisation, mais sur leur régime de propriété et la possibilité de les acquérir facilement36. 44 Dans ce cadre, le rôle de la place subit une double mutation : la première découlant du fait que l’espace public émerge comme un élément résiduel de l’espace urbain et non plus comme son élément générateur. De surcroît, elle perd sa signification fonctionnelle et symbolique d’avant en tant que forme urbaine particulière, dans la mesure où elle constitue une partie d’un réseau d’espaces publics de qualités différentes, constitué ad hoc à travers la mise en valeur des espaces non construits pouvant être utilisés. 45 En dépit de ces réserves, il faut reconnaître que cette nouvelle approche a remarquablement enrichi les possibilités d’intervention et de réaménagement des espaces urbains et a offert aux villes grecques des espaces publics d’un nouveau type. Elle a contribué à mettre en valeur l’héritage architectural (plus récent et antique) et également le patrimoine naturel qui avait été saisi par l’urbanisation rapide (voir par. ex. l’unification des sites archéologiques d’Athènes, ou l’intervention aux sources d’Ayia Varvara à Drama) (Fig. 15, 16).

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Fig. 15

Fig. 16

46 Ainsi, les nouveaux espaces publics ne sont pas isolés de leur contexte urbain environnant ; ils mettent en valeur le paysage culturel de la ville propre. Les nouveaux

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aménagements respectent en principe le cadre architectural, à savoir l’alentour bâti. Ils répondent cependant souvent mal aux besoins fonctionnels par des constructions dans l’espace, la subdivision, le morcellement de l’espace et la perte de l’échelle, les dénivellations avec des murs de soutien, escaliers, etc. 47 La place se coupe souvent de son cadre architectural par des rues de grande circulation qui s’imposent à la vie propre sur la place, limitant les résultats favorables d’intéressants projets de réaménagement (par ex. place de la Constitution à Athènes). Par contre, un autre type d’aménagement qui tend à éloigner les rues, la circulation et le stationnement autour des places est positif mais souvent insuffisant, du fait qu’il n’est pas accompagné par l’aménagement de l’espace de façon à susciter l’intérêt des habitants et par rapport aux potentialités du site (par ex. le réaménagement de l’axe et de la place Aristotélous à Thessalonique à l’occasion de la Capitale Culturelle de l’Europe en 1997). 48 On assiste souvent à des pressions diverses visant à l’utilisation de la place pour un excès de cafés, de restaurants et autres utilisations privatives, ainsi que d’éléments de mobilier urbain faussement décoratifs, de statues ou de fausses œuvres d’art. Lorsque les éléments constitutifs ou le caractère de la place est maintenu, notamment dans les cas de la place au Platane avec sa fontaine et son belvédère, il semblerait que ces places soient plus attractives, plus densément vécues et fréquentées, et plus accueillantes37. 49 Cela signifie que nous recherchons encore l’authenticité dans la conception des projets urbains, les particularités que le site peut nous offrir par rapport aux grands tracés urbains, et non pas des modèles et paysages urbains uniformes, dans un monde qui désormais se voit vite globalisé, malgré la diversité, heureusement encore, de ses paysages38.

Conclusion

50 Tout au long de l’histoire grecque l’espace public urbain a toujours été fortement et intensément vécu comme lieu d’expression du Dème39. Il a été aussi fortement lié à son paysage support. Il est bien reconnu40 que la conception de l’espace « grec » est liée à la compréhension du site support et à la connaissance de l’esprit du lieu (voir les places du Platane, de la Constitution à Nauplie, la place Aristotélous à Thessalonique).

51 La place a offert seule, ou en système de deux à trois places, l’élément fort, inspirant la planification urbaine (ex. Athènes, Thessalonique). A force d’être souvent choisie comme point fort dans la synthèse et l’inscription de la ville à son paysage naturel, la place n’a pas toujours perdu cette valeur paysagère, même si les villes grecques se sont métamorphosées de manière dramatique pendant les années’60. En même temps elle a mis en valeur les monuments qu’elle abrite, notamment les vestiges byzantins, les trouvailles archéologiques ou encore les monuments modernes. Parfois même elle constitue elle-même un monument d’urbanisme (par ex. la place Aristotélous à Thessalonique) ou d’architecture du paysage (par ex. la place d’Ayia Varvara à Drama). 52 La place a toujours un rôle important à jouer en tant que lieu urbain civique, même si l’on traverse une période de dépolitisation et d’individualisme croissant. Dans la ville grecque, elle résume les traditions croisées, orientales et occidentales, qui remontent à l’Antiquité et qui se modifient en constante interaction ; elle rappelle et renvoie aux aspirations politiques prônant l’égalité, le civisme, le discours et l’échange idéologique ;

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elle encourage la vie conviviale en plein air, grâce à des conditions climatiques favorables. Malgré ses mutations continuelles, elle est facilement assimilée par la culture grecque populaire et elle constitue un précieux patrimoine d’espace de vie et de civisme quotidien.

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NOTES

1. Texte basé sur la recherche en cours La Place, Un Patrimoine Européen (Programme de l’Union Européenne, Culture 2000), coordination et gestion, prof. M. Ananiadou Tzimopoulou, projet de coopération pluriannuel 2004-2007, www.placeeurope.net. 2. Agora (AGORA) : en grec moderne: lieu de marché. En grec ancien (du verbe ageirein - AGEIREIN- se rassembler) : Lieu public situé dans le centre de la ville où les citoyens se rendaient pour échanger leurs opinions concernant les affaires publiques et privées. 3. A. Yérolympos, « Evolution des quartiers de commerce traditionnel dans les villes de la Méditerranée Orientale. Persistance et mutations d’une typologie urbaine », in Petites et grandes villes du bassin méditerranéen. Études autour de l’œuvre d’Etienne Dalmasso, Rome, 1998, pp. 299-317. 4. R. Janin, Constantinople byzantine, Paris, 1964, p. 88.

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5. Rappelons l’éloquente analyse de J. Sauvaget qui démontre les transformations successives du tracé urbain hellénistique de Veroia (Alep, Syrie) par la superposition des étapes historiques : l’Agora qui se transforme en Forum, où se construit une cathédrale byzantine paléochrétienne, sur le site de laquelle s’élèvera une grande mosquée. J. Sauvaget, Alep. Essai sur le développement d’une grande ville syrienne des origines au milieu du XIXe siècle [Bibliothèque Archéologique et Historique, vol. XXXVI] Paris, 1941. 6. M. Cerasi, La Città del Levante. Civiltà urbana e architettura sotto gli Ottomani nei secoli XVIII-XIX, Milan, 1986. 7. M. Cezar, Typical Commercial Buildings of the Ottoman Classical Period and the Ottoman Construction System, Istanbul, 1983, pp. 4-6. 8. Selon O. N. Ergin, le mot décrit le développement de l’activité commerciale sur les quatres rues autour du« vieux Bezesten qui existait depuis les Byzantins ». Cette définition est reprise par G. Özdeş, par contre, elle est réfutée par M. Cezar. Cf. O. N. Ergin, « Çarşi » in Islam Ansiklopedisi, Istanbul, 1949, p. 360 ; G. Özdeş, Türk çarşIlari, Istanbul, 1954. 9. Dans le monde islamique, IMARA -l’espace construit et habité de la ville- contient aussi la FINA -l’espace public non construit. Selon les juristes Hanafites du XVIIIe et du XIXe siècles cet espace est affecté aux usages collectifs tels les courses de chevaux, les exercices militaires, cimetières etc. et les particuliers ne peuvent pas s’en servir à des fins agricoles. Imara et fina pourraient s’étendre autant qu’il était nécessaire sans limite de surface ou de forme. Il est presque certain que les surfaces considérées comme fina au début du XIX e s. ont reçu la grande extension des villes au cours du XIXe et du XXe s. B. Johansen, “Urban structures in the views of Muslim jurists”, in REMMM, n° 55-56 (1990), pp. 94-100. 10. Il faut prendre en compte le fait que les contrées balkaniques, du IV e siècle de notre ère au début du XIXe siècle, furent surtout sous le pouvoir de l’Empire byzantin d’abord et plus tard sous l’Empire ottoman, des régimes fort centralistes qui ne permettaient pas d’initiatives locales (sauf en situation de guerre et, bien qu’il y en ait eu plusieurs, ce sont des périodes peu indiquées pour la reconstruction de la ville). Il n’y a pas de pouvoirs locaux qui aient besoin d’un lieu ouvert et public pour s’exprimer. 11. B. Johansen, “The all-embracing town and its mosque”, in Revue de l’Occident Musulman et de la Méditerranée, n° 32 (1981), pp. 139-162. 12. Voir le texte officiel envoyé par le sultan aux cadis - chefs religieux en 1578. A. Refik, Onuncu Asr-i Hicri’de Istanbul Hayati (1495-1591), Istanbul, 19171 (1988), pp. 144-145. 13. Parfois une nouvelle place apparaît indépendamment de la place initiale ou à côté de celleci, les fonctions se divisent et chacune joue son propre rôle. En dépit de la grande variété de dispositions et d’aménagements, le plus souvent organiques et informels, ces places présentent quelques traits communs : tracés irréguliers, église, magasins, cafés, platanes, fontaine, sol minéral, banquettes et gradins où les gens peuvent s’asseoir. R. Léonidopoulou-Stylianou, « Pélion », in Architecture traditionnelle grecque : Thessalie-Epire, vol. 6, Athènes, 1995, pp. 11-90. 14. A. Yérolympos, « Extension territoriale et stratégies de réappropriation des espaces urbains. L’État grec à la recherche d’une identité urbaine », in D. Turrel (éd.), Villes rattachées, villes reconfigurées, Tours, 2003, pp. 305-333. 15. M. Kardamitsi, M. Biris, Architecture néoclassique en Grèce, Athènes, 2001, p. 213 (en grec). 16. Pour une analyse détaillée de ces trois plans voir A. Papagéorgiou-Vénétas, Hauptstadt Athen. Ein Stadtgedanke des Klassizismus, Berlin, 1994. Pour le projet idéologique de la nouvelle capitale voir Y. Tsiomis, « Athènes à soi-même étrangère ». Eléments de formation et de réception du modèle néo- classique urbain en Europe et en Grèce au XIXe siècle (Université Paris X. Thèse d’Etat dactylographiée), Paris, 1983. 17. Espace politique dans l’Athènes antique. 18. A. Papagéorgiou-Vénétas, op. cit., (pp. 110-112 de la traduction grecque).

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19. Il faut noter que depuis la première réalisation du plan et jusqu’à l’année 2004 (Jeux Olympiques) les places d’Athènes continuent à susciter de violents débats sur leur caractère et leur fonctionnement ainsi que sur leur rôle au développement des quartiers environnants. À la veille des Jeux Olympiques, trois grands concours ont eu lieu pour le renouveau du concept et le réaménagement des trois places. 20. St. Koumanoudis, Panorama complet d’Athènes, Athènes, 1853 1, re-édité par M. Mitsou, Athènes, 2005 (en grec). 21. Où se trouvait le marché depuis l’Antiquité. 22. Cette possibilité d’appliquer une architecture à programme est adoptée par la suite par le Code Général de Construction de 1929 bien qu’elle n’ait jamais été appliquée. 23. L. Hoffmann, Bebauungspläne für die Stadt Athen, Berlin (sans date, 1910?). 24. A. Yérolympos, Urban Transformations in the Balkans (1820-1920). Aspects of Balkan Town Planning and the Remaking of Thessaloniki, Thessalonique, 1996, pp. 29-30. 25. Notons que les interventions furent mineures dans les îles Ioniennes ou dans le Dodécanèse : leurs précédents souverains -Vénitiens etc- les avaient dotées d’un patrimoine architectural modèle aux yeux des Grecs, qui répondait à leurs nouvelles aspirations. De surcroit, après 1800, il y a eu des transformations ‘modernisatrices’ (qui furent principalement l’œuvre des Français et des Anglais dans les îles Ioniennes, tandis que dans le Dodécanèse, les villes furent foncièrement remodelées par les Italiens quand ils l’occupèrent en vainqueurs à l’issue de la guerre italo- turque de 1911 (1912-1943). 26. Les noms qui sont attribués à la plupart des places sont aussi révélateurs du rôle politique et symbolique qui leur est accordé : place de la Liberté, place de la Constitution, place de la Concorde… 27. A. Yérolympos, « Villes et urbanisme du début du XXe siècle jusqu’au 1923 », in Ch. Hadjiiosif (éd.), Histoire de la Grèce du XXe siècle, vol. Α΄ 1900-1922 : Les origines, Athènes, 1999, pp. 223-253 (en grec). Il est indicatif que la Grande Encyclopédie Grecque (1ère édition 1927-1930) commence la présentation de chaque ville grecque par le nombre et la description de ses places. 28. Loi d’urbanisme de caractère précurseur qui adopte l’esprit de l’urbanisme européen ; elle a constitué le cadre législatif fondamental de la planification urbaine en Grèce jusqu’au début des années 80. 29. A. Vitopoulou, Mutations foncières et urbaines pour la production des espaces et équipements publics dans la ville grecque moderne. Le cas de Thessalonique après 1912 (EHESS, thèse de doctorat en cours sous la dir. de Y. Tsiomis). 30. M. Ananiadou-Tzimopoulou, Landscape Architecture, Urban Space Design. Critique and Theory, Recent Trends in Landscape Design, Thessalonique, 1992 (en grec). 31. Kostas Biris, initialement chef de division du bureau d’urbanisme (bureau de Plan de Ville), puis directeur des services techniques de la municipalité d’Athènes de 1925 à 1965, mentionne éloquemment divers cas de modifications des plans approuvés et de conversion en terrains à bâtir de terrains destinés aux espaces publics par décision du ministère et en faveur de divers propriétaires malgré les protestations de la municipalité dans la période de l’entredeux- guerres. Voir K. Biris, Athènes du 19e au 20 e siècle, Athènes, 1966. 32. Il faut aussi noter que le problème de leur commercialisation/privatisation ne touche pas seulement la question esthétique, mais aussi la réduction de la surface de l’espace public et l’exclusion des groupes sociaux de faibles revenus. 33. D. Filippidis, Pour la ville grecque. Évolution après la guerre et perspectives futures, Athènes, 1990, p. 174-175 (en grec). Sur les transformations de la place voir aussi K. Hatziotis, Place Omonia. Le cœur d’Athènes, Athènes, 1993 (en grec). 34. La critique sur les paysages urbains qui a commencé aux années ’60, avec le Townscape p.e. de Gordon Cullen en 1961, atteignit son apogée aux alentours de 1970 avec l’émergence progressive

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de nouvelles approches exprimant un changement d’esprit face à l’environnement urbain et à sa précédente production / consommation en masse. 35. Μ. Αnaniadou-Tzimopoulou, « Lecture du paysage et création. Le parc de la paix à Thessaloniki », in IFLA Yearbook, 1988, pp. 159-164. 36. A. Vitopoulou, op. cit. 37. Μ. Αnaniadou-Tzimopoulou, “Landscape design projects. Works of art and culture”, in Art and Landscape, IFLA, Athènes, 1998, pp. 92-98. 38. Μ. Αnaniadou-Tzimopoulou, “Τhe legacy of Greece in Landscape Design”, Topos. The state of European Landscape Architecture, 27 (1999), pp. 88-94. 39. Voir aussi Μ. Αnaniadou-Tzimopoulou, A. Yérolympos et als, “Les places en Grèce”, in L. Miotto (éd.), Quel futur pour les places d’Europe? à partir d’une étude dans cinq pays, Paris, 2007 ; Μ. Αnaniadou-Tzimopoulou, A. Yérolympos, « La Place paysage urbain vécu », in F. Mancuso, K. Kowalski (éd.), Places d’Europe, Places pour l’Europe. Squares of Europe, Squares for Europe, Cracovie, 2007. 40. G. and S. Jellicoe, The Landscape of Man, Londres, 1987.

RÉSUMÉS

Les auteurs présentent d’abord l’évolution du concept de place publique en Grèce, de l’agora antique à la place de l’État grec de nos jours, en passant par celle imaginée au XIXe siècle. Ils notent son absence durant les périodes byzantine et ottomane. Ils analysent alors l’importance accordée aux places dans les plans d’urbanisme d’Athènes lors de la modernisation de la ville, pour se pencher ensuite sur la signification des places à Athènes et Thessalonique au XXe siècle.

The authors first present the concept of public square in Greece and its evolution, from the antique agora to the square imagined during the 19th c., and to the square as it can be observed nowadays. They underline its absence in Byzantine and Ottoman times. Then comes the analysis of the significance given to squares in urbanistic programs for Athens in the 19th c. Another development is devoted to squares in Athens and Thessalonica during the 20th c.

AUTEURS

MARIA ANANIADOU-TZIMOPOULOU

Université Aristote, Thessalonique

ALEXANDRA YÉROLYMPOS

Université Aristote, Thessalonique

ATHINA VITOPOULOU

Université Aristote, Thessalonique

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En érodant l’espace public. L’espace public à une époque de transition : le cas de Skopje Eroding Public Space. Public Space in a transition era : the Case of Skopje

Vlatko P. Korobar

1 La notion d’érosion de l’espace public est entrée dans le débat sur le projet urbain et a été nourrie par la publication de Richard Sennett « The Fall of Public Man » dans laquelle il documentait, d’un point de vue sociologique, l’érosion de la vie publique1. Selon lui, l’activité dans le domaine public était considérée comme un devoir avec quelques avantages psychologiques pour l’individu, qui en retour renforçait la tendance vers la personne et l’importance du privé. Cette tendance entraîna la transformation des forums de la vie publique, qui prirent différentes formes.

2 Des termes comme « domaine public » ou « privé » et leurs connotations spatiales sont chargés d’ambiguïté et d’associations. Mais nous tendons encore à considérer certains mots comme admis, comme si tout le monde leur attribuait le même sens, alors que très souvent les gens mettent des choses différentes derrière les mêmes mots. Le titre déjà contient deux très bons exemples de ce cas : espace public et transition. 3 Le premier exemple, espace public, pose beaucoup de questions. Est-ce que nous comprenons dans espace public seulement le contraire d’espace privé ? Tous les espaces qui ne sont pas privés seront-ils considérés comme publics ? Y a-t-il une catégorie ou des catégories intermédiaires, souvent étiquetées comme semi-privées ou semi-publiques ? Ces catégories reposent-elles sur le flou de la distinction entre public et privé, puisque beaucoup d’espaces contemporains apparaissent comme publics sont en fait privés. 4 Il y a quelques dizaines d’années les choses semblaient être beaucoup plus claires qu’elles ne le sont maintenant. Dans son texte sur le domaine public2, un des premiers auteurs contemporains écrivant sur l’importance du secteur public et de l’espace public, Denise Scott Brown, notait trois catégories de l’espace public : la place, la rue et les parcs et espaces ouverts. Cette division est-elle valable aujourd’hui ? Devons-nous

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chercher une nouvelle catégorisation ou avons-nous à faire simplement à de nouveaux attributs appliqués à de vieilles catégories ? L’état présent de l’espace public, ouvert à l’acquisition de nouvelles dimensions non prises en compte auparavant, influencé d’abord par le développement des techniques de la communication et de l’information et les nouveaux modes de vie quotidienne, est la source majeure de la diversité des sens qui lui sont donnés. Bien que, comme l’établit Francescato, en analysant l’espace public d’aujourd’hui nous sommes aux prises avec la nature spécifique du tissu urbain d’aujourd’hui, et que cela nous ramène inévitablement aux résultats des techniques contemporaines de transport et de communication, il y a peu de raison pour que les espaces publics ne doivent pas nous aider à retrouver un chemin de vie plus complet dans le monde, même dans les conditions de la vie contemporaine3. 5 Les questions complexes de l’espace public, du domaine public et de la vie publique peuvent être traitées de diverses façons, mais nous limiterons nos observations aux relations de l’espace public avec le changement de la société et les conditions de planification urbaine dans l’Europe du Sud-Est en prenant l’exemple de la ville de Skopje. 6 Le deuxième exemple, « transition », cause encore plus de confusion car il a pris son sens actuel en fonction des changements des dernières dizaines d’années du XXe siècle et il est surtout relié aux pays du Sud-Est européen. Mais nous avons tous la preuve que le terme de « transition » n’est pas un mot nouveau dans cette région et qu’actuellement il ne se rapporte pas seulement aux dernières périodes mais à presque toutes les périodes dans le développement des villes de la région. Et ceci d’autant plus que pour cette région on pourrait considérer que la « transition » est un état permanent ou une façon d’être continue, plutôt qu’un processus contemporain isolé.

Transition

7 « Transition », un des mots-clés de notre réflexion, requiert une exploration ultérieure de ses principaux aspects, puisqu’il a eu une plus grande influence sur la formation des villes dans la région et la création de leurs espaces publics. En dépit du fait que la plus récente transition a ses caractéristiques spécifiques, elle reste juste une des transitions à travers lesquelles quelques-unes des sociétés et des villes contemporaines sont passées dans les régions de l’Europe Centrale et de l’Est et du Sud-Est européen, spécialement au XXe siècle. La plupart de ces sociétés et de ces villes ont déjà subi une transition après la Seconde Guerre Mondiale, lorsqu’elles ont commencé à construire un nouvel ordre social, en se déplaçant du capitalisme au socialisme, qui a eu aussi une profonde influence sur les villes et spécialement sur leurs espaces publics. Le caractère principal de cette transition a été le processus de « déprivatisation » par la voie de la « nationalisation », non seulement des moyens de production, mais aussi du pays et de la plus grande partie des constructions existantes. La conséquence directe de ceci du point de vue urbain fut la notion de ville comme objet qui peut indubitablement être mené dans son développement par un plan général avec très peu de possibilités pour l’initiative locale ou privée. Ceci a eu une influence majeure sur la forme de la ville et la voie par laquelle la structure urbaine existante a été transformée pour représenter le nouvel ordre social.

8 Dans la transition qui a précédé et a eu une influence directe sur elle, la transition soviétique, les notions de ville et les idées sur sa restructuration étaient associées dans

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la construction de la nouvelle société qui n’avait pas de précédent. Dans les premières années après la révolution d’Octobre, le planning urbain partagea la fascination mutuelle pour le nouveau avec d’autres secteurs de l’art et de la culture et surtout de l’architecture. Cependant, le dernier développement conduisit à un espace urbain fait de blocs d’appartements élevés résultant de la possibilité plus ou moins illimitée de réaliser le projet conçu selon la propriété de l’État et l’absence du prix du marché et la prolifération de la masse industrialisée des schémas d’habitations. La croyance de l’espace public dans ces développements suivit la même logique de répétition sans fin et d’absence de caractère individuel. En fait, ce fut, à de rares exceptions près, l’État qui caractérisa la structure de la ville dans les pays d’Europe de l’Est avant la fin du XXe siècle, quand ces pays entrèrent dans le processus que nous qualifions aujourd’hui de transition. 9 Le processus de transition depuis la fin du XXe siècle tendait à la libéralisation de l’initiative privée couplée avec un processus inversé de dénationalisation. Le changement social majeur ouvrit la voie à un entreprenariat actif ou passif dans toutes les sphères de la société et lança un processus d’intérêt croissant pour le bâtiment. Cette nouvelle initiative était opposée au caractère du système de planification incapable de faire face aux nouveaux besoins et aux nouveaux projets. L’inertie du vieux plan général ne pouvait pas guider les villes dans un environnement de pression accrue du processus de privatisation, de transformation des institutions et d’économie orientée vers le marché. Ceci influença le caractère de l’espace urbain et surtout de l’espace public dans les villes. Dans une conférence tenue à Vienne au milieu de l’année 90, les représentants de plusieurs villes d’Europe Centrale, qui avaient entamé plus tôt le processus de transition transportaient leur expérience par des essais de conversion des espaces urbains hérités du « socialisme réel » en espaces urbains différenciés sans tomber dans le piège de la ségrégation urbaine. Le représentant de Prague parla avec regret de la régression culturelle inévitable quand la transition était arrivée sans aucune préparation pour ses implications urbaines. Il signala l’infiltration agressive des restaurants « fast food » qui chassèrent les « checz noodles » et la cuisine régionale traditionnelles. Il souligna aussi le fait qu’à cause des 30 000 étrangers et du flot de touristes, on a eu l’impression que les touristes rencontraient seulement d’autres touristes, qu’ils retrouvaient les restaurants de chez eux et entendaient partout l’inévitable anglais. Le représentant de Budapest parla du renouvellement des blocs urbains « de luxe » avec une architecture postmoderne et des blocs en bordure des villes qui se sont détériorés. Le représentant de Varsovie a parlé de la formation d’une « ville refuge du dollar », qui a remplacé le credo « la forme suit la fonction » par « la forme suit le profit rapide ». Les villes de l’Est et du Sud-Est européen qui ont suivi le processus avec quelque retard ont expérimenté beaucoup de ces effets de transition, certaines d’entre elles avec des conséquences même plus sévères pour leur caractère urbain et leur structure. 10 Il était caractéristique pour les pays en transition de suivre le modèle à imiter. Ils partaient de l’hypothèse qu’ils étaient sur la voie déjà parcourue par la plupart des pays européens et qu’il suffisait de transporter leur expérience et leurs institutions pour assurer le succès de la transition. La forte croyance en ce modèle comportait un aspect déjà-vu car, durant la transition précédente, il y avait une longue histoire d’imitation de l’expérience soviétique dans tous les segments de la vie quotidienne. En dépit de la fausseté reconnue de cette croyance, le modèle à imiter apparut encore à la fin du XXe siècle dans la prise en considération prédominante des expériences des pays d’Europe

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occidentale pour la constitution d’une nouvelle structure sociale complète. Comme on pouvait s’y attendre, même les premières expériences de ces segments de société, qui n’ont pas l’inertie de la structure physique de la ville, montrèrent la naïveté de cette croyance. Durant la transition précédente les changements inévitables furent d’abord réduits à des changements politiques et idéologiques, tandis que la dernière transition a réduit l’essence du processus aux changements économiques, eux-mêmes réduits aux privatisations, ce qui naturellement mit beaucoup de limites à la compréhension de la nature réelle de la transition. 11 Cette vue réductrice écarta presque totalement la ville en tant qu’objet d’importance primordiale. Tandis qu’antérieurement cette vue réductrice avait éloigné la question de la ville et le but lointain de diminuer la différence entre la ville et le village, maintenant elle faisait la même chose mais en comprenant la ville comme un simple instrument dans le processus de sécurisation du gain maximal pour le capital investi. Un des traits dominants de l’urbanisme de transition fut le mélange de vide créé par les changements nouvellement conçus, mais non tout à fait effectifs dans le réglage de la construction sur la « matière sociale », qui employait ce vide dans le sens de ses intérêts sur la base d’une survivance et même « d’améliorations » des procédés de corruption de l’administration. L’ancien état de « surplanification » fut remplacé par un état dans lequel le plan, comme nous le savons, présenta un obstacle pour l’activité de construction. Mais, au lieu d’intensifier l’effort pour introduire un nouveau modèle de planification, qui aurait stimulé et régulé la construction, une vague interprétation des plans existants fut autorisée, qui nous mena à un état que Stark et Bruszt par aphorisme ont étiqueté comme un état de mouvement « de plan en clan ». 12 Quoiqu’à un degré de grande simplification, ceci est une peinture fidèle des processus de transition qui ont formé les villes de la région dans la période passée. Il était nécessaire de fouiller en détail ces résultats, parce que les transitions ont affecté particulièrement la ville de Skopje et laissé des marques visibles dans son tissu urbain. Dans le cas de Skopje, durant le XXe siècle, on peut distinguer clairement plusieurs processus de transition liés aux changements sociaux les plus tumultueux, qui se sont produits dans un espace de temps assez court. Nous pouvons clairement définir trois grandes périodes de transition et une quatrième, propre seulement à Skopje. 13 Les quatre périodes de l’histoire de Skopje au XXe siècle furent d’abord marquées par la transition de l’ordre social de l’Empire ottoman à l’idéal de la modernisation et de l’européanisation non seulement de l’ordre social mais aussi de l’espace urbain. La seconde transition a été marquée par les changements soutenus par la société bourgeoise encore incomplètement établie vers le nouvel ordre socialiste, qui a modifié de façon même plus dramatique la structure sociale toute entière et introduit des changements également dramatiques dans la structure urbaine. Dans le cas de Skopje une phase de transitions a été provoquée par un désastre naturel, un fort tremblement de terre qui a démoli presque 80 % des bâtiments existants, et introduit des changements importants dans la structure urbaine. La dernière transition pour la ville de Skopje, qui a commencé dans la dernière décade du XXe siècle, a été la période de transition du « self-management » à l’économie de marché, qui apporta de nouveau des changements de société et des changements dans les concepts de l’urbain, sa signification et la manière de se conduire dans l’espace urbain. 14 Au début du XXe siècle, durant la première transition, Skopje fut essentiellement une ville provinciale d’origine urbaine byzantino-turque avec son tissu urbain irrégulier

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bien connu, qui n’incluait pas de places au sens du mot en Europe occidentale, alors que les parcs urbains commençaient seulement à apparaître sous l’influence de l’Europe. La transition, débutant historiquement avec la modernisation de l’Empire ottoman, se retrouve dans les années 20 et 30, qui en termes spatiaux ont suivi les concepts de la reconstruction de la ville européenne du XIXe siècle avec la première introduction de la place comme un nouvel élément du tissu urbain. 15 Le processus fut interrompu par la Seconde Guerre Mondiale et immédiatement après celle-ci un autre processus de transition fut entrepris. En termes d’espace il signifie l’introduction ou plutôt l’imposition d’un urbanisme moderniste sur le tissu urbain, qui agit pour survivre aux destructions de la guerre. 16 Dans les années soixante il y eut une nouvelle période de transition caractéristique valable seulement pour Skopje. Skopje avait été détruite par un violent tremblement de terre. Quoique d’une nature complètement différente, cet événement marqua des changements dans le tissu urbain, qui pouvaient certainement être considérés comme un état traditionnel prenant place dans un espace de temps assez court. En terme d’espace, cette période vit l’introduction des principes du mouvement « Dernier Modernisme » en urbanisme. 17 La période la plus récente, à laquelle se réfèrent en général les gens comme état de transition, est actuellement une période qui échappe à un classement facile. Les évolutions de la structure urbaine furent marquées par une approche qui abandonna les développements à large échelle, dominant jusqu’alors. Dans un état de détérioration économique, cette période marqua une érosion de la qualité de l’espace urbain et en particulier de l’espace public. 18 Le fait que ces périodes de transition se soient déroulées dans un court laps de temps est clairement visible dans la structure de la ville de Skopje. C’est le résultat d’une situation dans laquelle les intentions et les idées destinées à former la cité ne sont pas parvenues à se manifester elles-mêmes complètement et étaient limitées à de petites sections de la ville ou n’étaient pas pleinement effectives. Ainsi à Skopje, nous reconnaissons des fragments isolés, qui fonctionnent plus comme des îlots que comme des parties intégrées à un tout. La situation a un effet direct sur le caractère et la qualité de l’espace public qui est aussi resté fragmenté comme un produit de « projets inachevés ».

Les contextes qui ont formé l’espace public

19 L’espace public est le « papier tournesol » spatial des changements de société. Ceci parce que l’espace public est le premier segment de l’espace construit autrement relativement inerte pour réagir aux changements dans les différentes parties de l’objet social. L’espace public est enfoncé, comme l’est aussi l’entier processus du « planning » urbain et le dessin de l’espace urbain, dans les différents contextes qui exercent sur lui leur influence. Pour comprendre les circonstances dans lesquelles les changements de l’espace public se produisent, nous pouvons regarder les contextes globaux, locaux, de marché, de régulation comme les seuls, qui aient une influence directe sur les conditions et même le concept d’espace public.

20 L’influence du contexte global va au-delà de l’opinion usuelle qu’il recouvre d’abord des aspects reliés aux résultats de la responsabilité environnementale et la conscience que

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les actions locales ont des conséquences globales. D’une façon plus pragmatique, le contexte global se rapporte à des développements dans lesquels l’espace construit d’une ville est influencé par les forces économiques, qui sont au-delà du contrôle naturel. C’est le cas bien connu de la gestion et de l’influence au-delà de l’espace des compagnies multinationales ou des fameuses chaînes de magasins et de restaurants, qui adhèrent à leur image constituée quelque soit l’endroit où ils se trouvent. Ce qui est même plus important, c’est que leur influence est bien ressentie au-delà de leur impact visuel immédiat dans l’espace public, par la production d’» intérieurs publics » identiques, qui dans une représentation type Nolli de toute ville contemporaine, prouveraient que les conséquences de cette influence globalisante vont plus au fond que prévu dans le domaine public. 21 En considérant le contexte global qui influence l’espace public on ne peut sous-estimer le rôle technologique des voyages à travers régions et villes à de très différents niveaux, santé économique, développement etc. même si nous oublions les arguments sur la modification du rôle de l’espace public comme une conséquence des développements en technologie, surtout la technologie de l’information et les nouveaux moyens de communication et d’accès à l’information, nous avons encore des résultats importants à considérer en les classant des plus bénins aux plus sévères, par exemple, de la technique de surveillance dans l’espace public et les questions de sécurité résolues seulement par la mise en œuvre d’une technologie qui actuellement met en cause le caractère même de l’espace public dans la ville contemporaine. 22 Nous ajouterons une question de plus à la liste de questions liées au contexte global, qui est le sujet de nombreuses discussions aujourd’hui : l’impact de ce qu’on appelle dans l’espace public l’architecture étoilée ou signée. Posséder un bâtiment qui tombe dans l’architecture étoilée ou signée est devenu une mode globale. Ce développement récent relie le besoin de rehausser l’identification symbolique dans la ville, le besoin de représenter sa totale vitalité et le besoin exprimé dans le fameux état post- Bilbao d’un maire dans sa ville d’avoir un bâtiment à la Ghery de façon à être « différent de tout autre ». Au-delà de la valeur anecdotique de cet état reste la question de savoir comment l’architecture signée est en rapport avec le contexte local, quelle influence elle peut avoir sur l’économie locale, l’effet possible du « principe d’Archimède » etc. 23 L’influence du contexte global sur le développement de l’espace public dans la ville de Skopje pourrait être illustrée selon plusieurs aspects. Un aspect qui viendrait à l’esprit en parlant de la condition de l’espace public durant la période de transition à Skopje est l’influence de la politique générale et des temps troublés dans les années récentes, lorsque d’autres questions ont pris de l’importance sur la qualité et l’apparence de l’espace public. Cependant, longtemps après que ces circonstances aient cessé d’exister, les questions de l’espace public ne sont pas parvenues à obtenir le statut qu’en droit elles méritaient. Au contraire, l’espace public et l’intérêt public pour l’espace urbain étaient « le dommage collatéral » dans l’effort d’assurer les conditions d’arrivée privilégiée des firmes internationales, à la poursuite d’investissements étrangers. 24 Un cas spécial d’une première apparition du syndrome de « l’architecture étoilée » est aussi caractéristique de Skopje. Après le tremblement de terre les résultats de la compétition internationale étaient tournés vers des espaces sans problèmes, bien que non bâtis. Ils ont gardé leur aura d’équivalents d’architecture étoilée contemporaine même jusqu’à aujourd’hui. La fascination pour les projets de Tange van den Broeck et Bakema et d’autres était telle qu’ils sont devenus actuellement l’obstacle à des

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changements progressifs et à petite échelle qui auraient pu se produire dans le même temps. 25 L’importance du contexte local pour les espaces publics est par lui-même évident. Nous ajouterons seulement que la prise en considération du contexte local n’est pas épuisée simplement avec les notations de lieux et d’environnement physique, mais inclut aussi les gens qui en usent, occupent et créent actuellement l’espace urbain. La sensibilité aux circonstances sociales et culturelles locales et le milieu culturel existant révèlent la véritable nature de l’espace public et la culture qui l’a créé et maintenu. Cette sensibilité pour les valeurs culturelles locales écarte l’idée fausse que les solutions de plans urbains sont universelles et aisément interchangeables. Sous cet aspect Skopje est un exemple clair où la diversité culturelle naturelle n’a pas été prise en compte. Cet aspect est étroitement lié à la nature éclatée du tissu urbain existant et du style de vie quotidienne qui suivit dans chacun. Nous insisterons sur les exemples du contexte local avec plus de détails plus tard dans notre texte. 26 Le contexte le plus problématique, quand on traite des espaces publics et que l’on essaie de comprendre leur état dans les villes de transition est le contexte du marché. Ceci est la conséquence à la fois du système de l’économie de marché qui n’est pas pleinement opérationnel et de l’expérience des employés civils chargés du développement spatial, ou mieux de leur manque d’expérience dans les questions liées au fonctionnement des marchés de la terre et des biens immobiliers. Toute forme de développement et les changements dans l’espace urbain en général et les espaces publics en particulier sont grandement influencés par ceux qui contrôlent les ressources ou par ceux qui peuvent contrôler l’accès à ces ressources. Beaucoup des traquenards dans les interventions récentes sur l’espace public sont liés au fait que la logique différente employée dans le placement privé ou public dans le domaine de l’espace public n’était pas prise en considération. Tous les professionnels dans les villes qui ont affaire à des problèmes liés au développement de l’espace public doivent comprendre le contexte sans quoi tout projet dans le domaine de l’espace public est voué à l’échec. 27 Transférée dans l’expérience de Skopje, la compréhension impropre du contexte de marché a entraîné une érosion évidente de l’espace public. « Les forces du marché » ont obtenu la haute main sur les questions liées à l’utilisation de ce qui est ou était espace public. Dans de nombreux cas l’espace public a été accaparé par des investisseurs publics sans autorisation dans un environnement où il n’y a aucun mécanisme effectif pour réparer le préjudice causé au domaine public. Les piétons ont été chassés des dalles qui sont devenues des zones privées, des aires ouvertes ont été réduites à des terrains vides qui peuvent être livrés presque à tous les usages, etc. Les conséquences morales liées à ce type d’inconduite ont été tout juste portées à l’attention du public parmi d’autres avec des conséquences plus importantes pour la vie de tous les jeunes. Il faudra du temps pour que le secteur privé comprenne le besoin crucial qu’il y a de soutenir le domaine public comme son intérêt stratégique et se voue à des initiatives en partenariat public-privé comme moyen de réconciliation des divers intérêts dans l’espace. 28 Le contexte régulateur du tracé et du plan urbains et son influence sur les espaces publics dans les villes de transition est lié aux changements qui se sont produits dans le système législatif qui règle les actions de planification et de construction. Le changement majeur s’est produit dans la connexité et la division des responsabilités du gouvernement central et du gouvernement local, qui ont pris des formes différentes

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dans différentes régions. Toutefois, il serait juste de dire qu’en dépit des changements adoptés la conduite et la sensibilité des professionnels sont demeurées les mêmes. C’est l’attitude surdéterminée des professionnels, qui est la marque nationale dont Richard Sennett a écrit : « La prolifération des règlements locaux au vingtième siècle est sans précédent dans l’histoire du design urbain, et cette prolifération de règles et de règlements bureaucratiques ont désarmé l’innovation et la croissance locales et à la longue gelé la ville »4.

L’espace public à Skopje

29 Le tissu urbain reçu en héritage par Skopje au début du vingtième siècle provient des transformations ottomanes de la ville byzantine, produit accepté en général comme « ville balkanique traditionnelle »5. La structure urbaine de Skopje à cette époque a un caractère irrégulier bien connu, qui vient de l’influence dominante de la topographie et des limites des propriétés. L’unité des voisins (maolo, mahala), qui créa l’élément majeur de formation du tissu urbain, était en même temps employée pour utiliser la division ottomane de la population avec des caractéristiques communes dominantes en unités spatiales séparées mais similaires, et pour exercer la tolérance de diversité ethnique et culturelle, qui était pratiquée et exprimée au travers des différences locales de ces unités.

30 Sans regarder à leur emplacement dans la ville, les espaces publics ont le même tracé typique. Cependant, ils étaient utilisés et trouvaient leur signification à travers différentes habitudes sociales des habitants du lieu, qui réunissaient la diversité ethnique et culturelle des unités de voisins. La taille et l’importance de Skopje à cette époque ne permettent pas l’existence de constructions à caractère public, qui entraîneraient de façon claire la configuration et le caractère des espaces publics existants. Ainsi la ville de Skopje est entrée dans le vingtième siècle avec une distribution plutôt uniforme des espaces publics. 31 Des signes de changements importants dans la structure urbaine de Skopje ont commencé à apparaître déjà au tournant du vingtième siècle, mais ils ont pris de l’importance durant la troisième décade du vingtième siècle. Ces changements importants furent clairement visibles dans la transformation des espaces publics, qui suivirent les indications de la « planification de la ville selon les principes artistiques »6, comme la transformation de toute la structure urbaine. Ce fut la première imposition majeure sur la structure urbaine héritée d’une vision générale préconçue de la ville, qui allait devenir la vraie caractéristique du développement de Skopje au vingtième siècle. 32 Si on considère que l’un des traits majeurs de l’approche appliquée était la recherche du « pittoresque », on devrait admettre que c’était l’approche la plus appropriée pour la transformation du modèle urbain irrégulier traditionnel. Cependant l’approche était basée sur un pittoresque artificiel ou tracé, qui suivait sa propre logique interne en considérant peu la structure urbaine existante, même s’il tenait compte des conditions topographiques et sociétales locales. 33 À cette époque se produisit un grand changement dans le concept d’espace public. La place fut introduite comme un élément nouveau du répertoire urbain des espaces publics. Un certain nombre de places furent dessinées, liées à l’emplacement des bâtiments publics d’une nouvelle typologie. Un autre changement important était la formation projetée de constructions urbaines continues dont le bloc de périmètre était

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l’élément principal. Les espaces publics enfermés formés par les blocs de périmètre ont introduit une forme d’espace semi-public qui devait être consacré à des zones vertes intérieures. À partir des places et des espaces clos de l’aire centrale, les espaces publics dans les zones périphériques ont modifié leur caractère et du clos tourné vers les espaces publics ouverts de nombreux parcs, qui ont établi le lien entre la ville et son environnement naturel immédiat. 34 Le plan de développement, qui était basé sur ces principes fut adopté à la fin des années vingt et durant la période qui précéda la Seconde Guerre Mondiale seulement un nombre limité de blocs de périmètre fut construit. Pour la confiance à accorder aux espaces publics planifiés à Skopje, il est éclairant de noter que le principal square de la ville qui était proposé et commença à être entrepris à cette période n’a pas encore été achevé à cette date. De nombreuses propositions pour son achèvement ont été faites, mais l’espace est encore un square en projet plutôt qu’un square actuel de la ville. Ainsi, cette première tentative d’une meilleure redéfinition de la structure urbaine et des espaces publics, avec sa réalisation partielle et sa courte existence, était la première à laisser des fragments d’un « projet inachevé » dans le tissu urbain. 35 Immédiatement après la Seconde Guerre Mondiale fut faite une nouvelle tentative pour une meilleure redéfinition du tissu urbain et des espaces publics. Il était fondé sur les principes du fonctionnalisme et de la planification d’une ville du mouvement moderne7. En plan la ville éclata et fut transformée d’une configuration centrale à une configuration linéaire. Les principaux éléments du plan antérieur furent oubliés. Les squares et les espaces inclus à la suite limités par des blocs périmétriques furent remplacés par le concept d’espaces ouverts qui étaient reliés dans un continuum spatial. A l’intérieur de ce concept l’espace public a pris une nouvelle signification. Il a compris le continuum formé par les espaces ouverts, des blocs ouverts et des espaces verts. Ainsi l’espace public était partout et nulle part en particulier. Dans l’effort de montrer la force et la supériorité du nouvel ordre social, les années d’après guerre furent consacrées à l’extension de la ville dans ses environs conformément à la nouvelle configuration linéaire. En dépit du fait qu’en termes doctrinaux, cette approche négligea l’ancien tissu, en quinze années de mise en œuvre du plan adopté après la Seconde Guerre Mondiale, l’ancien tissu ne fut pas soumis à des interventions massives qui ensuite auraient renforcé la nature fragmentaire du bâti urbain. La ville fut construite plutôt que reconstruite. 36 Le grand tremblement de terre de 1963 fut un autre moment critique dans le développement de la ville et de son espace public. Il introduisit une discontinuité de nature différente. Les plans d’après le tremblement de terre retinrent et renforcèrent la configuration longitudinale du tracé complet, mais c’est dans le centre de la ville, objet d’un concours international, que s’exprimèrent les grandes tendances de l’urbanisme de l’époque. Le concept d’espace public subit encore une autre transformation majeure. Le texte de Kenzo Tange8 a proposé deux axes, l’ancien et le nouvel axe qui étaient de régler la séquence des espaces publics dans le centre de la ville. L’ancien axe, qui utilisait l’espace des anciennes rues commerçantes majeures pour relier les deux rives du Vardar devait servir de principal axe pédestre. Cet axe incorpora l’espace de l’aire du vieux marché, qui était entièrement réservé aux piétons, mais était sujet aussi à ce que Choay appelle « la muséification », qui a réduit son caractère attractif actuel, qu’il aurait pu gagner par son emploi « de manière moderne, vivante, même si ceci signifie enfreindre les règles de la restauration archéologique »9.

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37 Le nouvel axe traitait les espaces publics de façon différente en fournissant un havre sûr à la hauteur de 6.30 au-dessus du sol où un nouveau niveau pour piétons devait être formé, laissant l’aire du sol aux véhicules et reliant les deux particularités du plan la Porte de la Ville et le Mur de Ville unifiées dans une aire piétonne « en l’air ». Cette idée ne fut jamais réalisée comme beaucoup d’autres aspects du plan. 38 Comme le principal square de la ville, le principal axe piétonnier attend encore d’être pleinement achevé, plus de quarante ans après le tremblement de terre. Seulement récemment une grande partie de celui-ci a été complétée comme aire piétonne, mais la simple amélioration de la rue pavée ne donne pas un espace public réussi. Aucun effort n’a été fait pour reconsidérer la base programmatique de cet espace public et l’espace a été laissé à l’initiative privée sans aucun contrôle, ce qui à présent signifie seulement plus de restaurants et de cafés, qui gênent la circulation des piétons le long du grand axe piétonnier de Skopje, en en faisant pratiquement une zone à fonction unique qui n’a pas le caractère hybride des espaces publics réussis. 39 Créer une zone piétonne comme moyen d’améliorer un espace public était un concept populaire dans les années soixante-dix et a conduit à l’introduction de la rue piétonne comme élément majeur de la matrice générative des complexes de logements, non seulement dans les segments majeurs du Mur de Ville, mais aussi dans les zones périphériques de logements. Un développement intéressant dans ces zones périphériques de logements s’est produit récemment, où l’espace public de la rue piétonne entouré de blocs de logements a commencé à prendre un caractère différencié à travers les initiatives d’habitants du lieu qui, poussés par les conditions économiques, se sont embarqués dans diverses initiatives privées, sacrifiant partie de leurs espaces de vie pour ouvrir de petits fonds de commerce. Ceci a entraîné une transformation complète de l’espace public dans ces lotissements et d’un certain point de vue a amélioré les conditions de la vie quotidienne, en montrant l’effet positif que pouvait avoir l’initiative privée. 40 De toutes les particularités majeures du plan de Tange, seul le Mur de Ville fut achevé au point qu’il suivit grandement le tracé quoique avec des changements qui l’écartèrent de son idée initiale présentée dans le texte au concours. D’autres particularités majeures du plan furent achevées en partie seulement. Le plan resta le document de planning officiel plus longtemps qu’aucun autre plan dans la période de l’après-guerre, atteignant la période du déclin économique des années quatre-vingts, lorsqu’il devint clair que l’achèvement du plan, tel que l’avait perçu Tange, n’aboutirait probablement jamais. Ainsi, le temps que dura l’achèvement actuel du plan conçu par Tange était en train de couvrir une période de quelque deux décades si l’on en croit tous les plans pour Skopje au XXe siècle. 41 Au milieu des années quatre-vingt-dix fut adopté un plan pour la zone la plus centrale de la ville10. Il utilisa nombre de moyens planificateurs déterminés par le caractère reconstructeur du projet : rehaussement du niveau d’urbanité des parties héritées du centre, restitution de segments urbains, structures linéaires et bâtiment individuels, intercalement de constructions dans les blocs existant, reconstruction de segments du centre déterminé par les axes existants et les données spatiales conceptuelles, etc. Le plan fit un effort pour réaffirmer l’espace public et les éléments traditionnels de la morphologie urbaine, déjà commencés mais jamais complètement achevés au centre de Skopje. Cette notion était en partie portée par l’agrément populaire majoritaire que le

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centre de Skopje manquait de la nécessaire cohérence et de l’unité sans laquelle l’espace public est privé de son assise physique propre. 42 L’adoption de ce plan coïncida avec le dernier processus de transition. Au cours des grands changements sociaux qui suivirent, l’espace public en général souffrait des reculs les plus évidents, résultat de l’influence cumulée de plusieurs facteurs : le système planificateur était lent à regagner ses instruments de contrôle, il n’y avait pas de stratégie claire ou de concept clair de politique urbaine correspondant aux nouvelles conditions sociales et aux nouveaux besoins sociaux, influence publique sur les aboutissements de l’espace public insuffisante, etc. Comme il n’y avait pas d’agent effectif pour sauvegarder l’intérêt public dans l’espace, un processus de colonisation de l’espace public entraîna un renforcement de tendance à l’érosion de l’espace public. Cette érosion de l’espace public apparut comme une conséquence de la dévaluation de la conduite civique dans l’espace urbain, par rapport à l’intégrité de l’espace public comme distinction majeure et indicateur d’appartenance à une société civile qui a toujours attaché une valeur spéciale à l’espace public.

L’avenir possible

43 Nous avons essayé de montrer que le plus récent processus de transition, qui a été l’objet d’intérêt scientifique et professionnel dans les deux dernières décades est devenu l’état habituel d’être dans des villes dans cette région de l’Europe au XXe siècle. Le dernier processus de transition a acquis une connotation négative pour son influence sur l’espace urbain et en particulier sur l’espace public et a été habituellement considéré comme un moment de régression dans le développement des villes et les conditions de la vie de tous les jours. En vérité, beaucoup de traits du processus de transition ont contribué à son image négative dans le public, mais il serait plus utile de le voir dans une perspective historique et d’imaginer une stratégie qui serait capable de voir dans les imperfections couramment perçues de possibles éléments-clés, qui pourraient contribuer au futur développement des villes dans la région.

44 Nous avons démontré que dans le cas de Skopje les quatre périodes de transition, survenues dans un espace de temps inférieur à un siècle, peuvent toutes être vues comme « des projets inachevés ». Les principaux changements dans le tissu urbain de Skopje au XXe siècle se sont produits dans une période de vingt ans approximativement : dans les années vingt avec la modernisation et l’européanisation du tissu urbain traditionnel, dans les années quarante avec l’introduction des principes de planification de la ville moderne, dans les années soixante avec les changements inspirés des concepts de la « Dernière Modernité » et dans les années quatre-vingts avec l’abandon progressif des concepts antérieurs sans qu’ils soient remplacés par une stratégie claire de développement urbain. En simplifiant à l’extrême on peut démontrer que presque tous ces changements ont ignoré le concept antérieur d’espace public et que même lorsqu’ils se sont appuyés sur les éléments qui étaient importants dans les concepts antérieurs ils ont proposé des solutions nouvelles qui ont changé le caractère de l’espace public existant ou se faisant jour dans une mesure certaine. Ce fait, en même temps que le fait que vingt ans dans ces circonstances à Skopje pouvaient être considérés aussi comme une courte période pour que des changements d’une telle ampleur puissent être accomplis et prendre racine, conduisirent à une érosion

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constante de l’espace public. Le syndrome des « projets inachevés », joint au changement des conditions sociales, fut la raison de fond de l’érosion de l’espace public à tous les niveaux. 45 Malgré ces conditions défavorables, ces quatre périodes ont laissé, dans la structure de la ville, des traces visibles dans des fragments isolés et peu d’efforts ont été faits pour leur ajustement dans la ville dans les périodes qui ont suivi leur apparition. On admet généralement que cette fragmentation et que la discontinuité de la structure de la ville sont la source principale du mécontentement des habitants par rapport à l’état présent de l’espace urbain et de l’espace public en particulier. Notre opinion est que cette condition peut être un avantage plutôt qu’un handicap si nous pensons fonder la stratégie du développement futur et la gestion de l’espace urbain sur ce qui existe plutôt que sur le préconçu comme on a eu l’habitude de le faire au XXe siècle. L’essence d’une ville repose exactement dans l’existence simultanée de différents espaces juxtaposés. On devrait seulement rechercher une stratégie qui puisse utiliser ce potentiel. 46 La contribution macédonienne à la Biennale Architecturale de Venise en 2006, intitulée « La cité des mondes possibles »11 a exploité cette situation comme base pour une nouvelle approche générée par « la nouvelle réalité hybride de la cité »12. La situation actuelle de la ville de Skopje est le résultat « des effets combinés de la prophétie et de la nostalgie, de la règle et de la chance, du conscient et de l’inconscient (…), ces effets combinés entraînent une quantité de contradictions qui apportent leur contribution propre à la formation du tissu urbain et de notre vie de tous les jours. Les contradictions, qui se présentent comme des incongruités ou des oppositions sont souvent le résultat involontaire des mesures prises dans la cité. Même le véhicule que nous utilisons pour guider la croissance urbaine contient une telle incongruité dans le fait que la nature globale du plan est contredite par la nature fragmentaire de son exécution. Et tandis que cette incapacité d’achever complètement est l’issue régulière de presque tous les plans, les segments, qui ont été fixés dans le tissu urbain conformément au plan, augmentent la nature fragmentaire et la complexité de la cité, réduisant en outre les chances d’un futur plan global. La réalité change plus vite que les idées employées sur la cité. Ceci exige un changement dans notre approche : on est plus près d’agir pour aménager que pour planifier »13. 47 Ce grand changement dans l’approche aurait un effet des plus positifs sur l’espace public car, par sa nature même, l’espace public favorise diverses expériences spatiales et différentes approches de la réalité urbaine et c’est l’attitude que l’on devrait avoir lorsque l’on a affaire à l’espace public. Depuis longtemps il est devenu clair que l’espace public ne relève pas uniquement de la responsabilité d’une seule profession, bien que les architectes et les dessinateurs urbains aient continué à agir dans cette direction. Comme la responsabilité de l’espace public échoit à différentes professions et différents groupes sociaux, elle préfère une approche différenciée de telle façon qu’elle n’accepte jamais l’espace public comme « un espace complet », mais comme un espace en changement constant. Comme Edgar Morin l’a établi « nous devons penser sans concepts clos (…) pour rétablir des liens entre ce qui est disjoint, pour essayer de comprendre le multi-dimensionnel, pour penser le singulier, le local, le temporel, ne pas oublier les totalités intégrantes, car la complexité se trouve dans l’union de concepts qui luttent réciproquement l’un contre l’autre », sans que leur dualité se dissolve dans l’unité14.

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48 Le concept peut être utilisé pour construire une stratégie dans le cas de Skopje afin d’éviter une ultérieure érosion de l’espace public. Les fragments eux-mêmes, à quelques exceptions près, ne peuvent pas être considérés comme des monuments culturels ou des lieux d’une valeur architecturale particulière, mais ils jouent leur rôle en faisant appel à la mémoire organique dans la vie quotidienne et, ce qui est plus important, comme l’a établi Choay, « le dessin de notre environnement bâti active aussi une mémoire générique, qui se rapporte non à un groupe spécifique mais à une caractéristique humaine universelle »15. Cet aspect est très important quand il en vient au résultat de l’engagement public dans la création et l’entretien des espaces publics, car un lieu de vie réussi est tout à fait « comme une nouvelle ou un film, qui nous engage activement dans une expérience émotionnelle orchestrée et organisée pour communiquer dessein et histoire »16. 49 Cet aspect d’incitation de l’engagement public est de la plus haute importance, car après la rupture du système hiérarchique de gouvernement et dans une situation qui ne favorise pas de larges investissements publics, une forme plus complexe de gouvernance des résultats urbains est indispensable, qui apporterait à la fois des corps de gouvernement centraux et locaux, des organisations non gouvernementales et un partenariat public-privé pour rétablir l’intérêt public et la confiance publique, qui pourraient être un engagement productif dans la création de l’espace urbain, qui en retour se concrétisera en lieux fonctionnels, économiquement viables et stimulants pour la vue, sans compromettre l’intérêt public pour l’espace public. Cette nouvelle forme de gouvernance, par sa nature même, serait plus ouverte à l’émergence de nouvelles typologies de l’espace public, aux frontières toujours changeantes entre public et privé et surtout à la nature nouvellement fragmentée du public, qui de plus en plus se présente dans la vie courante comme un amalgame de divers sous-publics. 50 En vérité, comme l’a noté S. Body-Gendrot en écrivant sur l’espace public, « les solutions sont complexes et faites sur mesure pour chaque ville », mais elles existent encore et très certainement « cela demande patience, imagination, compétence technique et ressources pour conduire des quartiers défaillants à se rétablir »17 et cette situation vaut très certainement pour l’espace public en général.

NOTES

1. R. Sennett, The Fall of Public Man, W. W. Norton & Co, 1992. 2. D. S. Brown, Public Realm : The Public Sector and the Public Interest in Urban Design, in Architectural Design, 60, Academy Editions, Londres, 1990. 3. G. Francescato, Should Public Space Teach Us the Moral Dimensions of Sexual Desire ?, 17thConference of the international Association for People-Environment Studies, La Corogne, Espagne, juillet 2002. 4. R. Sennett, The Open City, www.urban-age.net, novembre 2006. 5. A. Yérolympos, Urban Transformations in the Balkans 1820-1920, University Studio Press, Thessalonique, 1996.

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6. Le premier plan de la ville dans D. T. Leko 1914 d’un concours où il a eu le premier prix, en suivant les principes de planification urbaine de Sitte selon les principes artistiques. 7. Le plan d’après guerre fut préparé par une équipe d’architectes-planificateurs tchécoslovaques conduite par Ludjek Kubeš en 1947. 8. Aux textes en compétition de Kenzo Tange de Tokyo et de Radoran Miščerié et Fedor Wenzler de Zagreb furent adjugés le premier prix divisé respectivement en 60% et 40%. Voir Skopje Resurgent : The Story of a United Nations Special Fund, Town Planning Project, United Nations, New York, 1970. 9. L. Devlieger, On disaster of Amnesia : Interview with Françoise Choay, Archis n° 4, 2006. 10. Detalen urbanistički plan na centralnoto gradsko podračje na Skopje (M. Grčev, V. P. Korobar et M. Penčić), ZUAS, Skopje, 1997. 11. City of Possible Worlds (World = City = Worlds), 10. International Architecture Exhibition La Biennale di Venezia, (Exhibition catalogue), Museum of the City of Skopje, 2006. 12. M. Bakalčev & M. Hadži Pulja, “The City of Possible Worlds”, City of Possible Worlds, pp. 3-11. 13. V. P. Korobar, “Cultivating the City of Possible Worlds”, City of Possible Worlds, pp. 32-33. 14. E. Morin, «Le vie della complessità», in G.Bocchi et M. Ceruti (éd), La sfida della complessità, Feltrinelli, Milan, 1985. 15. L. Devlieger, On Disaster of Amnesia: Interview with Françoise Choay, Archis n° 4, 2006. 16. J. Sircus, Invented Places, Prospect 81, 2001, pp. 30-35. 17. S. Body-Gendrot, Is the concept of Public Space Vanishing ? , www. urban-age.net, novembre 2006.

RÉSUMÉS

Après avoir présenté en détail les quatre grandes périodes de l’évolution urbaine de Skopje (période ottomane, fondation de l’État national, socialisme, capitalisme), l’auteur développe un point de vue personnel s’opposant aux développements actuels de la ville, où les intérêts privés prennent le pas sur les intérêts publics. Au centre de sa réflexion se trouve la vision de l’espace public comme espace imprévisible, improvisé et hybride.

After an historical overview of urban evolution of Skopje (ottoman times, foundation of national state, socialism, capitalism) the author gives his point of view in opposition to actual privatization process, where public space very concretely gets fragmented. In the bulk of his reflection, public space is defined as an unpredictable, improvised and hybrid space.

AUTEUR

VLATKO P. KOROBAR

Université Cyrille et Méthode, Skopje

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L’espace public existait-il dans la ville ottomane ? Des espaces libres au domaine public à Istanbul (XVIIe- XIXe siècles) Did Public Space Exist in Ottoman Town? From Free Spaces to Public Domain in Istanbul (17th-19th c.)

Cânâ Bilsel

1 L’espace public est au centre d’un vif débat actuellement en Turquie comme ailleurs. Du point de vue politique, le concept est défini comme un espace en opposition avec l’espace privé de l’individu et de sa famille. Il existe cependant un malentendu profond dans la définition même de l’espace public. Pour certains, l’espace public – « kamusal alan » en turc – comprend la totalité des établissements publics et tout ce qui est relatif à l’État. Le débat s’est déclenché notamment autour de la portée du foulard islamique. Selon la position qui défend la laïcité, dans un État laïque, les manifestations religieuses n’ont pas de place dans cet espace public, c’est-à-dire dans les établissements publics, y compris l’Assemblée Nationale, les administrations publiques, les ministères, les municipalités, les tribunaux, les universités et les écoles. Pour d’autres, « kamusal alan » est la traduction de la notion de « Öffenlichkeit » ou de l’espace public dans le sens où Jurgen Habermas le définit1. Il est l’espace abstrait de débat et de consensus entre les individus d’une société, espace collectif où les idées sont argumentées et discutées à travers le raisonnement, et les conflits sont résolus par le consensus des partis. Autrement dit, l’espace public est l’espace collectif dans lequel tous les discours, idées et actions sont générés pour le bien commun de la société. Tous les moyens et espaces de communication, de publication et d’action font partie de l’espace public. Il est à noter cependant que la notion de « kamusal alan » (l’espace public) n’existait pas encore dans les dictionnaires de sciences sociales et de philosophie publiés en Turquie dans les années 1970. Par contre, le mot « kamu » et d’autres dérivés à partir de celui- ci, « kamuoyu » (l’opinion publique), « kamulaştırma » (l’expropriation) et aussi

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« kamul » (commun), « kamulculuk » (le communisme) sont mentionnés dans l’Encyclopédie de Philosophie publiée en 19772. « Kamu » est un mot qui a été introduit au cours des réformes linguistiques des années 1930. Emprunté au turc ancien, il signifiait « le tout », « tout le monde » à l’origine. Contrairement au terme « kamutay » proposé par Mustafa Kemal Atatürk lui-même pour l’assemblée nationale, le mot « kamu » a été adopté dans la langue courante. Introduit pourtant pour correspondre au mot « public » dans tous les sens que celui-ci implique dans les langues occidentales, il a été utilisé à la place du mot ottoman, « amme », dans le sens restreint de ce qui est relatif à l’État : le secteur public.

2 Ce sont les architectes, urbanistes et paysagistes qui ont introduit l’expression de « kamu mekânı » pour « l’espace public », au sens « d’espaces libres ou bâtis, ouverts à l’utilisation générale ». Il implique surtout une catégorie d’espaces comprenant les places publiques, la voirie, les rues, les rues piétonnes, les parcs (jardins publics), les coulées vertes et promenades, les terrains de sport etc. La pratique de l’aménagement urbain bénéficie d’une législation qui se base sur la primauté de l’intérêt public – « kamu yararı » – en Turquie. La création d’espaces publics et les « équipements sociaux » (les équipements d’enseignement, de santé et de culture) est considérée comme l’un des objectifs d’intérêt public de l’aménagement urbain. Celle-ci dépend des standards et règlements bien définis par la législation, issue d’une longue tradition. En effet, l’introduction de la notion d’intérêt public dans la législation remonte à l’occidentalisation ottomane au XIXe siècle. 3 Aujourd’hui, les espaces publics se trouvent au cœur d’un autre débat politique face au processus de mondialisation déterminé par l’économie de marché. C’est la notion de l’intérêt public qui est mis en question actuellement. Les politiques néo-libérales des gouvernements depuis les années 1980 ont ouvert la Turquie à la libre concurrence économique des capitaux mondiaux. Dans ce contexte, les territoires des villes sont ouverts au profit de l’économie libérale sans aucune réserve. En conséquence, la croissance des villes, qui ont fait l’objet d’une immigration massive depuis les années 1950, a gagné une toute autre dimension dans les dernières décennies. L’espace urbain fait l’objet d’une extension sans précédent, dans toutes les directions possibles par les investissements des entrepreneurs des toutes tailles, sans qu’il y ait aucune restriction. La croissance urbaine, qui va de pair avec une décentralisation et une extension périphérique, a pour conséquence la ségrégation sociale et la fragmentation de l’espace public, outre ses impacts néfastes sur l’écologie3. Dans l’économie mondialisée, les grandes métropoles du monde se concurrencent pour attirer le capital international. Istanbul, la plus grande métropole de la Turquie avec une population de plus de 15 millions d’habitants et son activité économique dynamique, a été lancée sur les marchés internationaux par les gouvernements et les principaux groupes économiques turcs avec le slogan « Istanbul, métropole mondiale ». Les démarches récentes, concernant la vente des terrains publics qui appartenaient soit à la municipalité soit aux autres organismes d’État, aux groupes à capital international avec l’attribution des droits de taux de construction exceptionnels, remettent les notions de « bien public » et « d’intérêt public » au cœur du débat4. 4 Les critiques actuelles se concentrent particulièrement sur la privatisation de l’espace public et les atteintes portées à l’intérêt public. Cependant, il existe également un autre argument qui relativise l’importance de la notion de l’espace public tout en insistant sur l’absence ou l’émergence tardive de celle-ci dans le contexte historique turc. Selon

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cet argument, la notion de « public », qui n’est apparue qu’au XIXe siècle dans le contexte ottoman, a toujours été confondue avec le domaine de l’État depuis son émergence jusqu’à aujourd’hui5, et donc elle ne signifie ni un espace abstrait de débat civil, ni des espaces urbains et autres où la vie publique se déroule, mais principalement l’État et tout le secteur qui y est relatif. 5 L’absence de l’espace public dans la ville musulmane en général et la ville ottomane en particulier est un argument répété maintes fois par les historiens occidentaux, mais il est aussi adopté par certains intellectuels turcs de façon générale, notamment par les historiens de l’architecture. Ce présent article a pour objectif de rechercher la pertinence de cet argument. C’est un essai sur la nature et l’évolution des espaces libres et les « meydan » à Istanbul, la capitale ottomane ; l’émergence et l’évolution de la notion de domaine public, dans le contexte d’occidentalisation du XIXe siècle, constituent la seconde partie de l’article.

L’espace public : une création de la ville occidentale

6 La notion d’espace public est une construction historique de l’Occident, qui distingue la ville occidentale des villes non occidentales, notamment de « la ville orientale ». Idéalisé comme l’espace de la démocratie, de la libre expression et d’action politique, il s’inscrit dans une continuité imaginée à partir de l’Agora grecque, en passant par les places civiques de la ville médiévale européenne jusqu’à la ville d’aujourd’hui.

7 Selon Max Weber, la communauté urbaine n’est apparue de façon généralisée qu’en Occident6. Il voit la différence des villes occidentales dans le fait qu’elles constituent des « communes » qui ont « une autonomie au moins partielle » et « une administration par des pouvoirs publics constitués avec la participation des citoyens ». Le « caractère associatif » de la ville, c’est-àdire des formes d’associations propres et plus précisément la « qualification corporative du bourgeois » sont au centre de son argumentation. En Chine, en Égypte, en Asie Mineure et aux Indes, les villes étaient aussi des sièges du commerce et de l’activité productrice comme les villes d’Europe du haut Moyen-Âge, mais elles étaient pour la plupart « le siège de l’administration des grandes organisations politiques », n’avaient « ni droit judiciaire propre aux citadins, […] ni tribunal établi par eux en toute autonomie »7 et surtout il n’y avait pas d’organisation collective qui représentait l’ensemble de la communauté des citadins, d’après Weber8. Dans les agglomérations orientales qui étaient des centres économiques, les associations professionnelles – à côté des patriciennes – jouaient le rôle d’agents des affaires communales, mais ils ne constituaient pas une classe bourgeoise9. Dans la Constantinople byzantine du Moyen-Âge, il y avait des représentants des quartiers qui étaient aussi les agents finançant les courses des partis dans le cirque -partis politico- religieux des bleus et des verts. Quant à « Constantinople au Moyen-Âge islamique », c’est-à-dire à Istanbul ottoman jusqu’au XVIe siècle, il n’y a que les guildes et corporations de marchands comme « représentant des bourgeois », mais on n’y trouve aucune « représentation légale de la ville »10, autrement dit, aucune administration autonome en dehors des organes du gouvernement central. 8 La place publique de la ville européenne est d’abord une place de marché où a lieu l’activité économique de la ville en tant que centre de commerce, mais elle est surtout l’espace concret où la communauté urbaine se rassemble. L’ensemble de la communauté des citadins est représenté sur la place centrale par la présence de

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l’administration publique – l’hôtel de ville – et le tribunal autonome. Le caractère corporatif du bourgeois s’y manifeste aussi par les immeubles des corporations qui se sont alignés de façon symbolique sur la grande place comme sur celle de Bruxelles. Les historiens d’art et les architectes se sont intéressés à l’aspect physique de la ville dans son ensemble et l’agencement des places publiques en particulier11. L’architecte Camillo Sitte est le premier à théoriser sur les règles de la composition des espaces publics de la ville médiévale européenne12. Il fonde son argumentation sur l’idée qu’il existe une conception esthétique dans la formation des espaces publics de la ville médiévale, créés par l’effort collectif de la communauté urbaine, bien qu’ils soient formés de façon spontanée par l’addition des éléments architecturaux au fur et à mesure. 9 Cet espace collectif de la communauté urbaine est aussi la scène où le pouvoir se représente. L’espace public devient alors l’espace de confrontation autant que l’espace de représentation. Le pouvoir et le peuple s’y confrontent mais aussi entrent en dialogue à travers les façades des bâtiments publics – l’hôtel de ville ou le palais. La représentation du pouvoir dans la ville occidentale n’est pas limitée aux façades des bâtiments, mais les dépasse pour donner forme aux places et aux autres espaces publics. Ainsi, les places royales avec leurs façades ordonnancées reflètent le pouvoir absolu du souverain dans la ville européenne à partir du XVIe siècle13. En effet, la mise en forme de l’espace public nécessite une autorité publique suffisamment puissante. Les grands boulevards parisiens, qui deviendront l’espace privilégié de la sphère publique de la bourgeoisie, ont été tracés sur l’ordre de Louis XIV, le roi Soleil. De même, au XIXe siècle, le percement des boulevards haussmanniens a été effectué sous l’autorité ferme du préfet de la Seine et le pouvoir impérial de Napoléon III. Les opérations haussmanniennes avaient pour but d’établir l’ordre dans la capitale à côté de leurs objectifs économiques et esthétiques14.

L’espace public existait-il dans la ville ottomane ?

10 L’historien de l’architecture Doğan Kuban affirme avec certitude la thèse occidentale selon laquelle il n’existe pas de notion de place publique dans la ville musulmane en dehors de quelques exceptions15. Il pense que ceci est dû à la structure propre de la société musulmane : la vie sociale dans la ville de l’Islam se passe dans la mosquée et dans le « çarşı », c’est-à-dire le centre de commerce, les quartiers résidentiels étant des petites entités enfermées sur elles-mêmes. La vie politique, dont les femmes sont exclues, se met en scène surtout dans les grandes mosquées où les grandes foules se rassemblent pour la prière du vendredi et les hommes échangent des informations.

11 Le terme que Doğan Kuban utilise pour la « place » est le « meydan », qui est pourtant une notion orientale par excellence. Est-ce que la signification de « meydan » est la même que celle de « la place » au sens propre du terme ? En effet, l’évolution de la signification de « meydan » peut nous donner une idée sur la notion de l’espace public dans le contexte ottoman. Lorsqu’il parle de l’absence de « meydan » dans la ville musulmane, plutôt que le sens originel du mot, Doğan Kuban évoque une nouvelle signification du mot, issue d’une transposition qui s’est produite avec l’occidentalisation ottomane au XIXe siècle. Cet usage, qui apparut alors comme la traduction exacte des termes occidentaux de la « piazza » en italien, la « place » en français, « Platz » en Allemand, indique en même temps un changement dans le sens de la notion. Par « l’absence de l’idée de meydan », D. Kuban entend en effet l’absence de

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la place au sens occidental du terme, et surtout celle dont la forme est le résultat d’une conception architecturale d’ensemble. Il rajoute que l’absence de « meydan », au sens où « nous l’entendons aujourd’hui », a continué jusqu’à la fin du XIXe siècle16. 12 Maurice Cerasi, dans son ouvrage, La Città del Levante où il étudie la ville ottomane des XVIIIe et XIX e siècles, fait remarquer que le « maidan » qui est un mot persan, représente une place qui peut aussi avoir une forme voulue, alors qu’il a été traduit en turc uniquement comme terrain vague, inoccupé et non construit, comme étendue spacieuse17. M. Cerasi rejoint l’argumentation de D. Kuban sur le fait que les espaces ouverts de la ville ottomane sont presque toujours accidentels et privés de fonctions spécifiques. Les « meydan » des villes ottomanes ne présentent pas de forme précise. Toutes les grandes villes disposent par exemple d’un « at meydanı » pour les courses de chevaux ou le jeu traditionnel de « cirit », mais ceux-là n’ont pas de forme que l’on puisse distinguer typologiquement18. Les « meydan » sont des étendues dont les bordures faites d’éléments disparates sont non définies. Maurice Cerasi s’interroge sur les raisons de cette absence de places de forme précise dans la ville ottomane. « Cela est-il la conséquence de la pauvreté de la vie publique, ou reflète-t-il plutôt une autre façon de vivre ? » se demande-t-il19. Les sources qui nous décrivent la vie publique ottomane ne sont pas nombreuses en dehors des récits de voyageurs occidentaux. Ils sont parfois contradictoires en ce qui concerne l’usage des espaces libres en général, par les différentes couches de la société ottomane et par les femmes en particulier, comme le remarque M. Cerasi. Les récits des voyageurs européens peuvent être biaisés aussi pour accentuer les différences culturelles entre l’Orient et l’Occident. La fréquentation des jardins et promenades par des femmes attire l’attention de certains voyageurs, alors que d’autres relatent la quasi absence des femmes des lieux publics, surtout des rues du centre-ville, c’est-à-dire du « çarşı » qui est décrit comme étant presque exclusivement le domaine des hommes20. 13 Evliya Çelebi, le célèbre voyageur et chroniqueur ottoman du XVIIe siècle, décrit les villes ottomanes, énumère les monuments et les lieux qui sont fréquentés et relate les scènes de la vie publique avec son style exagéré bien connu. Ses descriptions donnent toutefois une idée sur la nature des espaces des villes et de leurs environs, ainsi que les pratiques socio-spatiales de son époque. Le chapitre où il décrit les « meydan » et lieux de plaisance de la ville d’Istanbul est particulièrement révélateur de la notion de « l’espace libre » dans la capitale ottomane du XVIIe siècle, qui est assez proche de celle de l’espace public dans sa définition.

Les « espaces libres » dans la capitale ottomane d’après Evliya Çelebi

14 Dans le premier volume de son Seyahatnâme, Evliya Çelebi a consacré un chapitre aux espaces ouverts de la capitale. Le chapitre commence par la phrase suivante : « Ceci évoque les lieux de plaisance et les espaces spacieux, « hass » – privés [appartenant au sultan] et « âmm » – publics [qui sont ouverts à l’utilisation générale] sans nécessité d’invitation dans les quatre coins d’Islâmbol [Istanbul] »21. Les termes qu’Evliya choisit dans cette phrase pour qualifier les espaces ouverts de la ville sont particulièrement significatifs : le couple « hass » et « âmm » correspond aux deux notions opposées de « privé » et « public », le second pouvant être traduit aussi comme « ouvert à l’utilisation générale ». Quant au troisième terme, c’est un adjectif, « bi-tekellüf » dont

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la traduction est « sans aucune proposition », adjectif qui qualifie l’aspect commun de ces espaces cités. On peut donc conclure que ces espaces de plein air évoqués dans ce chapitre sont des lieux où l’on peut entrer sans qu’il y ait nécessité d’invitation. En effet, ce dernier terme accentue le caractère public de ces espaces même si ce sont des propriétés privées. Indépendamment de leur appartenance – au sultan, à la famille impériale, aux fondations pieuses, « vakıfs », ou à la communauté, ce sont des espaces ouverts, des « meydan » ou des lieux de plaisance libres d’accès.

15 Après ce court raisonnement sémantique, on peut regarder les types d’espace dont parle Evliya Çelebi. Les premiers qu’il cite dans cette catégorie d’espaces « ouverts à l’utilisation générale » sont des « meydan », les seconds sont des jardins et les derniers sont des lieux de plaisance qui se trouvent dans la ville et aux environs. Comment expliquer le fait qu’Evliya évoque ces différents types d’espaces ouverts, situés dans la ville et ceux en pleine nature, dans la même catégorie ? La réponse à cette question se trouve probablement dans le fait qu’ils sont tous des « espaces libres » caractérisés par leur qualité d’être « spacieux » : « ferah feza ». Ce sont des espaces libres ouverts à l’utilisation générale, indépendamment de leur statut de propriété privée ou non, situés dans la ville intra-muros ou en pleine nature. Et on peut même supposer que le caractère des premiers ne diffère pas beaucoup des derniers.

Les lieux de plaisance et jardins comme espaces libres

16 Une partie des espaces libres à Istanbul et aux environs cités par Evliya Çelebi, sont des lieux de plaisance qui sont qualifiés de « mesiregâh ». Il s’agit de différents types d’espace ouvert comprenant des « bağçe » (jardins), « bağ » (vergers), « bostan » (potagers) ainsi que « çayır » (prés ou prairies) ouverts au public. Langa bağı, Bucak bağı et Lalezâr bağı (Le jardin des tulipes), Mesiregâh-ı Yenikapu font partie de ces lieux de plaisance à l’intérieur de la ville intra-muros. Parmi ces espaces libres, Evliya mentionne aussi une plage – « deniz hammamı » – à Langa, où l’on pouvait apparemment se baigner dans la mer de Marmara22.

17 Evliya Çelebi se met ensuite à raconter le fameux lieu de plaisance de Kağıdhane déjà connu par ses jardins des tulipes23 au XVIIe siècle, et qui donnera son nom à la période de réforme et de création artistique du début du XVIIIe siècle. Dans le même chapitre, il énumère et décrit d’autres lieux de plaisances, les « mesiregâh », les bosquets et les « hass bağçe »(les jardins appartenant au sultan) sur les bords du Bosphore et au bord des sources et rivières au milieu des bosquets24.

Les « meydan » d’Istanbul

18 Evliya Çelebi cite les « meydan » d’Istanbul par leurs noms en commençant par les plus importants : At Meydanı, Bayezid-i Veli Meydanı, Ayasofya Meydanı, Et Meydanı, Vefa Meydanı, Eb’ül Feth Meydanı etc. dont certains se situent sur les artères principales de la ville intra-muros qui traversent la ville pour aboutir aux portes d’Edirnekapı et Silivrikapı. Certains de ces espaces collectifs de la ville persistent sur le même emplacement depuis l’Antiquité. At Meydanı, situé sur l’Hippodrome de Constantinople, est celui qui garde le plus sa forme antique. Ayasofya Meydanı où se trouvait la place devant l’église de Sainte Sophie constitue toujours un espace intermédiaire vers le monument et le palais. Bayezid-i Veli Meydanı où le Divanyolu –

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l’ancienne Mésè – aboutit et se divise en deux branches, occupe une partie de l’ancien Forum Tauri, et Et Meydanı se trouve près de l’ancien Forum Bovis. Dans certains cas même les usages anciens persistent comme à Et Meydanı où la viande destinée aux janissaires est apportée et leur est distribuée, tout comme autrefois, les animaux destinés aux habitants de Constantinople étaient apportés au Forum Bovis. At Meydanı dont le nom renvoie aussi à son ancien usage, continue à être le lieu privilégié des cérémonies de l’État ainsi que celui des révoltes populaires à l’époque ottomane comme à l’époque byzantine. Evliya l’appelle le « temaşagâh-ı At Meydanı » : le lieu des spectacles. C’est l’une des places de la ville où le pouvoir impérial se présente au peuple en spectacle, comme dans les cérémonies de circoncision du XVIIe siècle auxquelles les corps de métiers participaient, chacun exposant son art25.

19 Les autres « meydan » principaux que cite Evliya Çelebi, sont de larges espaces qui se trouvent autour des grandes mosquées des sultans. « Bayezid-i Veli Meydanı », auquel le Divanyolu aboutit, est un espace libre autour de la mosquée de Bayezid II. Süleymaniye Meydanı est un grand espace aménagé autour de la Mosquée de Süleymaniye, bien défini par les divers bâtiments attenant au complexe. Şehzade Meydanı se situe autour de la mosquée de Şehzade, Selimiyye Meydanı autour de la mosquée de Selim I, et Valide Cami’i Meydanı est un espace défini par la mosquée de Yeni Valide, le Marché Égyptien (Mısır Çarşısı) et les autres bâtiments attenant au complexe. 20 At Pazarı Meydanı – le « meydan » du marché aux chevaux et Arabacılar Meydanı sont des « meydan », situés à l’intérieur de la ville, ayant la fonction de marchés spécialisés dans un type de commerce. En dehors de ceux-ci, Evliya Çelebi énumère aussi les « meydan » à usage commercial qui se situent aux portes de la ville. Il mentionne d’abord les deux « meydan » devant les portes douanières, la douane maritime à Eminönü et celle près des murailles terrestres à Karagümrük. Puis viennent les « meydan » autour des petits ports et devant les portes des murailles26, sur la Corne d’Or et sur la côte de Marmara. Situés dans la zone portuaire, certains d’entre eux sont des petites places destinées surtout au dépôt temporaire des marchandises, tandis que les autres devant les portes des murailles marquent l’entrée des quartiers intra-muros comme à Yedikule et à « Silivri Kapu ». 21 Quant aux « meydan » d’Ağa Çayırı, Yenibahçe, Barudhane ainsi que les « bağ » de Langa, Bucak et Lalezâr que nomme Evliya, ils sont plus proches de jardins, vergers, potagers ou prairie à l’intérieur même de la ville intra-muros. À Yenibahçe, des jardins potagers occupent la vallée du ruisseau de Bayrampaşa (Lycos), formant une grande coulée verte à l’intérieur de la ville, entre les collines habitées d’Aksaray jusqu’aux murailles terrestres. Les jardins de Langa, qui ont été créés par le comblement de l’ancien port byzantin du côté de la mer de Marmara, serviront également de jardins potagers jusqu’à ce qu’un lotissement soit réalisé à la fin du XVIIIe siècle27. Des jardins de tulipes, que décrit Evliya Çelebi, étaient probablement dispersés au milieu des jardins potagers. 22 Les champs de manœuvres militaires constituent une autre catégorie de « meydan ». Ce sont des espaces ouverts consacrés aux manœuvres de différents corps militaires comme « Ok Meydanı » (Place des Archers), « Topçılar Meydanı » (Place de l’Artillerie), « Otakçılar Meydanı » etc. Evliya qualifie aussi certains de ces champs de manœuvres de « temâşâgâh » – lieux de spectacle. Les jeux de polo – le « cirit », les manœuvres des archers, les tournois de lutte se pratiquent dans les espaces réservés à cet usage et

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strictement contrôlés par le corps d’armée concerné28. Ces espaces, normalement interdits d’accès, sont ouverts au public à l’occasion des cérémonies. Il faut donc voir la description d’Okmeydanı comme un lieu de plaisance par Evliya Çelebi dans ces limites. Il précise que l’officier des janissaires responsable des manœuvres est aussi responsable de la sécurité du « meydan »29. Nous savons par ailleurs que l’entretien et la sécurité des autres « meydan » et jardins à Istanbul relève de la responsabilité de « Bostancıbaşı »30. 23 Stéphane Yérasimos, dans son article, « La limite et le passage dans l’espace musulman », indique que le « meydan » à l’origine est plus proche de « campo » (champ de manœuvre) que de « piazza » (place)31. Les « meydan » sont originairement des terrains consacrés aux manœuvres et au jeu de « cirit » (polo), et ils se situent souvent à l’extérieur des portes de la ville. S. Yérasimos introduit le terme « campo- meydan » pour désigner ce type originel de « meydan » et le distinguer d’autres types de « meydan » à l’intérieur de la ville. 24 Si nous revenons à la question de savoir si le « meydan » a la même signification que « place » nous constatons que l’usage du terme « meydan » est à la fois plus large et plus vague que celui de la « place ». Comme le texte d’Evliya Çelebi nous le montre, le « meydan » est un espace libre qui peut être situé à l’intérieur comme à l’extérieur de la ville. Il peut être un champ de manœuvre, une place de marché, la cour extérieure d’une mosquée, un espace ouvert devant une porte de la ville ou près d’un port pour l’embarquement ou le débarquement des marchandises, ou simplement un élargissement d’espace au croisement des rues à l’intérieur d’un quartier. Cette variété de types d’espaces ouverts qu’Evliya Çelebi qualifie de « meydan » montre en effet l’ambivalence du concept. Il est clair que l’auteur du Seyyahatname l’utilise pour plusieurs types d’espaces libres de dimensions variées à l’intérieur, mais aussi en dehors de la ville.

Les grandes mosquées et leurs « meydan » : espaces publics ou espaces communautaires religieux ?

25 Selon Doğan Kuban, les grandes mosquées où les foules se rassemblent sont « des forums des villes de l’Islam ». Ces grandes mosquées avec leurs cours et les bâtiments publics attenants sont « synonymes des forums romains », bien qu’elles soient des espaces introvertis32.

26 D. Kuban attire l’attention sur le fait que certaines grandes mosquées d’Istanbul ont été construites près des forums anciens de la ville byzantine. Ainsi, la mosquée d’Atik Ali Paşa et plus tard la mosquée de Nuruosmaniye ont été situées près du Forum de Constantin, la mosquée de Beyazıt et son complexe ont été bâties sur le Forum Tauri33. Ce n’est évidemment pas une coïncidence que ces mosquées soient situées sur les grandes artères et plus particulièrement près des forums préexistants ainsi que des centres de commerce de la ville. Cela est aussi un impératif de la topographie. Cependant, l’on peut également suggérer que ces mosquées et leurs cours, destinées à être des lieux de rassemblement de la capitale ottomane, remplacèrent les anciens forums byzantins. 27 L’historien d’art Mustafa Cezar défend l’idée que les « külliye » avec leurs mosquées et les bâtiments publics qu’ils comprennent forment des espaces publics par excellence34. La mosquée et sa cour forment un espace construit, non seulement pour la prière, mais pour les rassemblements de la communauté musulmane entière. Les « mekteb » et

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« medrese » qui sont des écoles de différents niveaux, « l’imaret » destiné à prendre soin des pauvres et de les nourrir, le « tarüşşifa », l’hospice destiné à soigner les malades sont tous des équipements conçus pour le bénéfice de la société, et peuvent donc être considérés comme des bâtiments publics. Réunis autour d’une mosquée, ils forment un ensemble architectural appelé « külliye ». Quant à la gestion et au financement des services publics fournis, ils sont assurés par le système de « vakıf » (wakf - fondation pieuse) dont les revenus proviennent des fonds de commerce, des khans, des magasins, des boutiques ou des hammams qui appartiennent à la fondation. Les grands « külliye », construits par les sultans, dépendent aussi chacun d’un « vakıf » assigné à cette fin. 28 Les « külliye » à Istanbul comprennent également de grands espaces ouverts. Les « meydan » des grandes mosquées, qu’Evliya Çelebi mentionne, correspondent aux cours extérieures de celles-ci comme à la mosquée de Mehmet II (Fatih Camii) ou à un « meydan » qui se situe à l’entrée de la cour extérieure comme à la mosquée de Beyazıt. Chaque mosquée a un « harîm » ou « harem » qui est l’espace sacré qui l’entoure, comme le parvis d’une église35. Cela correspond dans certains cas à l’ensemble du domaine sur lequel le « külliye » est bâti, comme à Fatih ou à Süleymaniye. Dans d’autres cas, cet espace sacré se superpose à la cour extérieure de la mosquée et il est défini par des murs qui l’entoure comme dans le cas de la mosquée de Bayezid ou celui de la mosquée de Valide (Yeni Valide Camii). Dans les deux cas l’emboîtement de cours extérieures et intérieures caractérise l’agencement de l’espace autour des grandes mosquées. 29 Ces espaces ouverts autour des grandes mosquées, qu’Evliya Çelebi qualifie de « meydan », font partie intégrante de l’agencement spatial des « külliye ». Entourées de bâtiments attenants, ces enclos bien définis constituent le seul type d’espace libre ayant une forme géométrique et des bordures préconçues dans la ville ottomane. En cela ils se rapprochent des places de la ville européenne. Cependant, plus proches des places ou des parvis des cathédrales ou églises que des « places civiques », ces « meydan » aménagés autour des grandes mosquées peuvent-ils être considérés comme des espaces publics ? La réponse est qu’ils le sont autant que les places des cathédrales des villes européennes. Dans les deux cas, ils font partie de l’espace sacré – le « harîm » ou le parvis – d’un lieu de culte. 30 Il est possible de trouver les différentes interprétations de « meydan » dans les « külliye » d’Istanbul. Le complexe de Mehmet II – Fatih Külliyesi – fut le premier à être construit après la conquête, sur le site de l’église des Saints-Apôtres36. Il constitue le tout premier exemple de « külliye » ottoman qui fut conçu comme un ensemble architectural avec une géométrie orthogonale37. Situé sur un point culminant de la topographie, il est bâti sur l’une des voies principales de la ville, celle menant du centre vers la porte d’Edirnekapı. Curieusement, l’agencement spatial du complexe est conçu de façon à en faire un passage sur cette voie. La grande mosquée étant placée au milieu, deux rangs de « medrese » sont situés de façon symétrique sur les deux côtés : les « medreses d’Akdeniz » au Sud et les « medreses de Karadeniz » au Nord38. Les quatre portes construites aux quatre entrées du « meydan » sont destinées à contrôler cet espace conçu pourtant comme un espace de transition sur l’une des voies principales de la ville. Ces portes qui étaient fermées la nuit, délimitent en même temps le « harîm » de la mosquée de Fatih, l’espace sacré de la mosquée, entretenu par le « vakıf » de Mehmet II. Cette ambiguïté volontaire dans la définition de l’espace entre l’espace sacré

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et l’espace transitoire sur la voie publique est en effet unique. Cependant, elle disparaîtra avec le nouveau boulevard de Fevzi Paşa, qui sera percé au début de la période républicaine, pour assurer le trafic entre le centre et Edirnekapı. Avec cette opération le meydan de Fatih deviendra un espace protégé, à l’écart de la voie publique39. 31 Le complexe de Bayezid constitue la seconde forme d’interprétation spatiale de « külliye » et de son rapport avec le « meydan ». La mosquée ainsi que les bâtiments attenants sont édifiés par Bayezid II, connu comme un sultan pieux. À part la grande mosquée, un « medrese », un « imaret » et un hammam forment le « külliye ». Contrairement au complexe de Fatih, l’agencement spatial du complexe de Beyazıt est pourtant loin d’être géométrique. Il rappelle les complexes religieux de Bursa – et suit donc la tradition – plutôt que l’exemple innovateur du complexe de Mehmet II. La recherche récente réalisée par Neşe Yeşilkaya a démontré que la mosquée de Beyazıt disposait aussi d’un « harîm » aujourd’hui disparu, c’est-à-dire d’une cour extérieure comme les autres mosquées des sultans à Istanbul40. L’espace sacré de la mosquée était entouré d’un mur continu qui le séparait du monde extérieur. Le « meydan » de Beyazıt était un espace de forme irrégulière qui s’était formé entre la muraille de l’Ancien Palais – Eski Saray, le « medrese » et la mosquée de Bayezid. 32 La troisième interprétation de l’espace libre autour d’une grande mosquée est celui du complexe de Süleymaniye. Le problème d’enclore le « harîm » de la mosquée y est résolu par l’architecte Sinan par la disposition des bâtiments attenants du « külliye ». L’agencement géométrique du complexe de Süleymaniye reprend la disposition orthogonale du complexe de Fatih, mais il est plus proche du complexe de Bayezid dans l’interprétation de la cour extérieure. Cet espace libre qui entoure la mosquée est appelé par Evliya Çelebi le « meydan de Süleymaniye ». Cependant, contrairement au « meydan de Fatih », qui est plus proche d’un espace public ouvert, celui de Süleymaniye est un espace spirituel, protégé, isolé de la vie bruyante de la ville. 33 Les grandes mosquées avec leurs cours intérieures et extérieures forment des espaces construits et ouverts où passe la vie sociale et politique de la société musulmane. Les bâtiments attenants aux complexes, hospices, cuisine publique et écoles qui sont tous destinés au bien de la société peuvent être considérés comme des établissements « publics » de la « Cité musulmane ». Mais un monde où les pratiques religieuses se mêlent à l’activité politique et dominent la vie sociale, et les actes de bienfaisance ne se distinguent pas des services publics, est évidemment assez loin de la conception d’une sphère publique bourgeoise telle qu’elle est apparue au XIXe siècle. La sphère publique étant une notion laïque, les espaces publics de la ville sont également des espaces où se manifeste la vie civique de la société. La séparation de la sphère publique laïque du domaine religieux étant faite très tôt en Occident, les espaces civiques et les espaces religieux se distinguent dans la ville de l’Occident dès le Moyen-Âge, alors qu’une telle distinction n’existe pas dans la ville de l’Orient et ce jusqu’au XIXe siècle à Istanbul.

L’absence d’espace public dans la ville de droit musulman : une analyse jurisprudentielle

34 Stéphane Yérasimos, dans son article « La limite et le passage dans l’espace musulman » 41 développe son argumentation concernant l’espace public sur le type de la jurisprudence qui régit la ville et l’espace urbain. Il trouve deux différences essentielles

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dans « la ville de droit musulman » par rapport à « la ville de droit romain » : l’absence d’espace public et la disparition de la limite, les deux étant liées. Dans la ville de droit musulman, il existe des espaces communs possédés collectivement par la communauté ; ils sont la copropriété de tous les musulmans. Cependant, la possession collective des espaces communs par la communauté musulmane ne s’identifie pas à un espace public qui est « possession du pouvoir et géré par lui » d’après S. Yérasimos42. Il faut noter aussi qu’il s’agit là de la communauté de tous les musulmans – « djemaa » – et non pas d’une communauté urbaine au sens Wéberien du terme43.

35 Selon S. Yérasimos, la seconde notion qui est absente dans la ville de droit musulman est la limite. « Fiction du droit romain », cette ligne sans épaisseur séparant deux propriétés privées ou l’espace privé de l’espace public, est remplacée par la notion de « confins » – « fina » – dans le droit musulman 44. Dans l’espace communautaire, chaque riverain a plus de droit d’usage sur les confins de sa propriété que chacun des autres riverains ou usagers membres de la communauté. Cette situation est particulièrement apparente dans les culs-de-sac, espaces matriciels de la ville musulmane. Ce sont les riverains qui ont le droit d’usage d’un cul-de-sac, et celui qui a sa propriété au fond de l’impasse a plus de droit que tous les autres riverains sur cet espace commun. La personne qui n’y habite pas n’a pas droit d’y accéder, si elle n’est pas invitée. S. Yérasimos argumente que cette forme de possession des espaces communs par la communauté est différente de la notion d’espace public, puisqu’il « ne se résume qu’en une servitude de passage ». Ce sont les principes de la gêne et de la jouissance qui importent dans la loi musulmane. Les droits des individus, c’est-à-dire les droits des riverains priment sur ceux de la communauté s’il n’y a pas de gêne. 36 Stéphane Yérasimos conclut que ces deux différences entre la ville de droit romain et celle de droit musulman « entraînent deux statuts opposés d’espace urbain »45. Dans la ville de droit romain, le statut de l’espace public est toujours égal sur toute son étendue du point de vue législatif. En principe, toute la ville peut être traversée sans qu’il y ait de changement dans la qualité publique des rues que l’on parcourt. Par contre, dans la ville de droit musulman l’espace commun change de statut à chaque pas, en fonction de sa proximité des propriétés des riverains46. Les rues de la ville musulmane qui apparaissaient comme des labyrinthes aux voyageurs occidentaux, sont destinées, en réalité, à assurer l’accès « du plus commun au plus privé », ou vice versa, et non pas la traversée de la ville d’un bout à l’autre. Le tissu « alvéolaire » qui caractérise la ville musulmane, même si l’architecture locale varie d’une géographie à l’autre, est produit par cette logique fondamentale47. L’espace communautaire change de caractère « du plus commun au plus privé » le long d’un parcours qui commence par les axes principaux de la ville, qui suit les rues secondaires des quartiers, pour aboutir enfin au cul-de-sac. En effet, les rues de la ville se divisent en deux catégories selon la loi islamique : 1. tarik-i ‘amm : rue commune/ communautaire, « copropriété de tous les musulmans »48 ; 2. tarik-i hass : rue privative, « copropriété de ses propres riverains seuls »49. 37 Après avoir fait cette constatation à partir de la jurisprudence du droit musulman, Stéphane Yérasimos propose l’hypothèse que cette situation de « transition perpétuelle » dans le statut de l’espace communautaire est due à « l’absence de cristallisation d’un espace public au-delà du statut de la jouissance commune communautaire »50 ; les intérêts particuliers des individus sont mis en avant par rapport à cette dernière pourvu qu’il n’y ait pas de gêne pour les autres. Il explique

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cette absence de cristallisation par « l’absence d’un pouvoir étatique suffisamment dégagé du communautaire », la société musulmane et tout son système étant construits sur l’idéal communautaire dès leur origine. 38 Cependant, l’opposition entre les statuts jurisprudentiels des espaces publics dans la ville de droit romain et des espaces communs dans la ville de droit musulman n’est pas aussi nette dans l’usage des espaces urbains dans l’histoire. Il existe également une transition nuancée des espaces, du plus public au plus privé, dans les villes historiques de l’Europe. Ni le « Wohnhof » qui est un espace communal du quartier que l’on rencontre dans les villes germaniques médiévales, ni le « square » des villes britanniques, ne sont des espaces publics accessibles. Mais il faut également noter que, dans les deux cas cités, les villes ne sont pas gérées par le droit romain, mais par un droit communautaire ou la « common law ». 39 Dans l’idéal communautaire musulman, que Louis Gardet appelle « la Cité musulmane », le pouvoir prend sa légitimité du consensus entre les membres de la communauté51. Stéphane Yérasimos signale qu’il existe un paradoxe apparent entre cet idéal égalitaire et l’acceptation de l’État comme « tout puissant » qui découle aussi de la loi islamique. En fait, on sait que l’Islam a emprunté l’État comme organisation politique aux empires Sassanide et Byzantin, ainsi que leurs traditions autocratiques52. S. Yérasimos défend l’idée que l’État – de nature autocratique – existe dans les faits « sans que son existence puisse être définitivement légitimée », alors que la Communauté – de nature consensuelle – existe en droit53. L’histoire des sociétés musulmanes est caractérisée par une lutte continue, qui n’est pourtant ni reconnue ni résolue, entre la communauté et l’État, entre la loi islamique et le droit coutumier qui en émane. Cette lutte se déroule surtout dans la ville qui est restée « le siège par excellence de la communauté musulmane »54. L’espace alvéolaire des quartiers résidentiels est à la fois le refuge et la place forte de la résistance communautaire à l’égard du pouvoir. L’État, malgré sa puissance apparente, n’a jamais pu réellement dominer l’espace urbain. 40 Le pouvoir, qui ne se sent pas en sécurité, s’est réfugié dans une place forte en marge de la ville. C’est également le cas à Istanbul où le palais de Topkapı, situé sur l’extrémité est de la péninsule historique, est isolé de la ville par des murailles et la verdure dense de ses jardins. La porte du palais – « Bâb-ı Âlî » – est le seul point de contact entre le peuple et le pouvoir. Le fait que le palais n’a pas de façade sur l’espace urbain, mais uniquement une porte, est significatif de l’absence de confrontation ainsi que de dialogue entre le pouvoir et le public, comme le souligne S. Yérasimos. 41 L’État ottoman a légiféré par de nombreux décrets et réglementations, entre XVIe et XIXe siècles, afin de mettre de l’ordre dans l’espace urbain 55. Ceux-ci proscrivent des constructions illégales dans les friches urbaines ainsi qu’à l’intérieur de la ville pour devancer l’immigration, vue comme la cause de la pauvreté, et l’accroissement urbaine anarchique. Ils visent également à ordonnancer l’espace urbain tout en réglementant les pratiques de construction. Cependant, ces textes décrivent un espace urbain et des types bâtis complètement en opposition avec ce que nous connaissons de la ville et de l’architecture ottomanes. Pour empêcher les incendies de se propager, elles interdisent des constructions en bois, des saillies, des encorbellements et de grands auvents, qui sont pourtant caractéristiques de l’architecture vernaculaire ottomane. La maison ottomane à deux ou trois étages avec ses projections sur la rue, sa structure en bois contredit entièrement le type de constructions décrit dans ces textes, ce qui prouve que

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ces réglementations, édictées pourtant à plusieurs reprises, n’ont pas pu être appliquées, malgré les sanctions imposées56. L’espace de la ville ottomane avec ses rues tortueuses et étroites peut donc être considéré comme étant l’expression de la résistance ou l’indifférence de la communauté urbaine à la volonté du pouvoir. 42 L’absence des places aux contours définis et ordonnancées, dans la ville ottomane, peut être expliquée par l’incapacité du pouvoir à imposer des ordonnances et des réglementations urbaines à la communauté des citadins. Cependant, cela est plutôt la conséquence d’une toute autre conception de l’espace de plein air : le « meydan » est un « espace libre », spacieux et ouvert, laissé à l’état naturel, alors que la « place » de la ville européenne est un enclos contrôlé, dont les contours sont bien définis. Les cours intérieures et extérieures des grandes mosquées, faisant partie intégrante de l’architecture d’ensemble des complexes monumentaux, constituent l’exception à cette conception de l’espace. Mais les autres « meydan » qui sont des élargissements fonctionnels au croisement des rues, ainsi que les rues et les culs-de-sac sont issus de la formation spontanée du tissu urbain et ne comportent aucune ordonnance provenant du pouvoir.

Le XIXe siècle : centralisation du pouvoir et de la gestion urbaine

43 La réorganisation des institutions de l’État marque le début d’une transformation fondamentale dans la gestion urbaine et, par conséquent, dans l’espace urbain ottoman. Le règne de Mahmut II est marqué par une série de démarches et de réformes, dont l’abolition du corps des janissaires est la plus radicale, compte tenu du rôle central que cette armée a joué dans l’histoire de l’Empire, mais aussi du pouvoir dont le corps disposait dans l’administration ottomane. L’évènement qui met fin à l’existence des janissaires – « Vak’a-i Hayriye » – est en effet un moment décisif à la fois dans l’histoire ottomane et celle de la ville d’Istanbul. Mahmut II, sortant victorieux de sa guerre contre les janissaires, entreprendra l’effacement de toutes les traces qui leur appartenaient dans la capitale, et les remplacera par les symboles de son pouvoir, notamment ceux de la nouvelle armée57.

44 La dissolution du système traditionnel de la gestion urbaine a été amorcée par les réformes de Mahmut II, afin de centraliser toute l’autorité administrative. En 1826, le ministère de « Ihtisap » a été fondé ; la gestion financière et la sécurité des villes ont été placées sous la surveillance de ce ministère58. Le ministère des « Evkaf » a été établi afin de rattacher tous les « vakıf » au pouvoir central. Confronté la première fois au risque de démantèlement, l’État ottoman se restructurait en se centralisant à l’extrême. Ainsi les fonctions des « kadı » qui furent les gouverneurs locaux des villes – bien qu’ils aient toujours été envoyés par la capitale – ont été réduites au domaine de gestion urbaine. Avec l’abolition du corps des janissaires, le « kadı » s’est trouvé d’abord privé de l’assistance des janissaires dans sa fonction de sécurité ainsi que de la gestion des services urbains. Il a aussi perdu son rôle de surveillance dans l’administration des « vakıf » après la fondation du ministère des « Evkaf »59. Démuni de ses autres fonctions, le rôle de juge du « kadı » sera gardé encore jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle.

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45 Le règne de Mahmut II était donc une période décisive dans la restructuration de l’État, le renforcement de la nouvelle armée et l’établissement d’un pouvoir bureaucratique centralisé, calqué sur le modèle occidental – le modèle français de Napoléon I en particulier. Les réformes de Mahmut II ont préparé celles de « Tanzimat ». Avec la centralisation des « vakıf » auxquels appartenait une partie importante des terrains urbains et qui fournissaient des services publics, ainsi que l’abolition du corps des janissaires qui était responsable de la sécurité des villes, la gestion de l’espace urbain s’est déjà radicalement transformée avant le « Tanzimat ».

Les réformes de Tanzimat et l’introduction de la notion de « bien public »

46 Les réformes de « Tanzimat », amorcées en novembre 1839 par l’Édit de Gülhane ont pour objectif la réorganisation globale visant tous les domaines de l’État, de l’organisation administrative et judiciaire à l’enseignement. Ces réformes étant renouvelées à plusieurs reprises, le « Tanzimat » fut un mouvement de réformes continues qui auront un impact irréversible sur les structures de l’Empire.

47 Le modèle de la réorganisation est emprunté principalement à l’Occident, bien qu’il comporte également des particularités ottomanes : le code du commerce est emprunté au code du commerce napoléonien, alors que le code civil, « Mecelle », reprend en grande partie les principes du droit islamique. En effet, l’importance historique de ces réformes vient du fait que pour la première fois dans l’histoire d’un état islamique, la loi émanant des « principes de la raison » est placée au-dessus de tout et même au- dessus de la volonté du souverain. Le « Tanzimat » n’est certainement pas une révolution laïque, mais une étape importante dans la mise en place d’un système séculaire, puisqu’une loi séculaire remplace la loi islamique. Dans leur travail de codification, les réformateurs ottomans tentent de concilier les nouvelles lois avec les principes islamiques. Ainsi, les contradictions existantes entre la loi islamique qui gère les affaires de la communauté et la loi coutumière de laquelle le pouvoir tire sa légitimité semblent être résolues60. Cela a facilité l’action du pouvoir dans la mise en place des réformes. Les réglementations urbaines édictées par les gouvernements de « Tanzimat » pourront ainsi être mises en application avec une efficacité sans précédent. 48 La loi séculaire introduite avec le « Tanzimat » garantit également les droits de l’individu : le droit à la vie, à l’honneur et à la propriété de l’individu, indépendamment de sa confession, sont protégés par l’État en vertu de la loi61. Avec la Charte de Gülhane, l’État, en la personne du sultan reconnaît le droit à la propriété des « citoyens ». Cela met fin à l’arbitraire du souverain, donc de l’État, qui pouvait priver son « sujet » de tous ses biens lorsqu’il le jugeait nécessaire. La reconnaissance de la propriété individuelle suscite la mise en place d’une série de dispositions relatives à la propriété foncière. Avec la reconnaissance et la garantie de la propriété par la loi, la notion de limite entre propriétés devient primordiale. La nouvelle législation implique la fixation du périmètre des propriétés foncières. L’établissement d’un système de cadastre, qui n’existait pas avant, sera amorcé à partir des années 1850 dans ce contexte62. 49 L’un des apports les plus importants des réformes de « Tanzimat » est la mise en place des notions de « bien public » et « d’intérêt public » surtout dans le domaine de la gestion urbaine63. Il faut voir l’introduction de la notion de « bien public » dans la

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législation ottomane en relation avec la reconnaissance de la propriété foncière privée par l’État. Selon la nouvelle législation, les terres qui ne faisaient pas l’objet de la propriété privée revenaient à l’État64. Les espaces communs de la ville étaient catégorisés comme « arazi-i metrûke » (terrains sans propriétaires) réservés à l’intérêt public ; et en tant que tels ils étaient considérés comme le domaine de l’État. Celui-ci avait la capacité d’action sur les espaces communs. En 1856, avec la mise en vigueur de la loi permettant l’expropriation foncière, il a eu le droit d’agir également sur les propriétés privées au nom de l’intérêt public. 50 Le mot ottoman qui est introduit pour correspondre à cette notion de « domaine public » est « amme », un terme de la même origine que le mot « ‘amm » qu’Evliya Çelebi a employé pour désigner des espaces ouverts à l’utilisation générale. De là, les termes de « amme emlâki » pour le « domaine public » ou « propriété publique », « amme menfaati » pour « l’intérêt public » et « amme idaresi » pour « l’administration publique »65 ont été ses dérivés en ottoman. C’est ainsi que la notion du « public » a été aussi identifiée au « domaine de l’État » dans la législation ottomane du XIXe siècle. La superposition actuelle de ces deux notions remonte sûrement à ce changement qui s’est opéré à la période de « Tanzimat ». Par contre, un autre terme « amme sıhhati » : la santé publique (ou l’hygiène publique) signifie plus « l’intérêt général » que le domaine de l’État. En effet, traduit des langues occidentales il témoigne de la contemporanéité du débat sur la santé publique dans l’Empire ottoman avec l’Occident.

L’occidentalisation de l’espace urbain : la régularisation ou l’établissement de « l’ordre public » dans la ville ottomane

51 Les prémices d’un aménagement de l’espace urbain à l’occidentale sont mises en place en même temps avec les premières tentatives de modernisation de l’Empire ottoman, à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle 66. Cependant, c’est avec les réformes de « Tanzimat » qu’apparaît un projet urbain global et volontariste visant une transformation complète de la structure ainsi que de la physionomie de la ville ottomane. Ce projet repose sur une conception à l’occidentale de la ville qui s’oppose à la structure originelle de la ville ottomane.

52 Dès le début, les réformes de « Tanzimat » sont, en effet, accompagnées de textes et de dispositions législatifs visant à réaménager et régulariser l’espace urbain. Le projet de régularisation de l’espace sera mis en place à travers des décrets et réglementations successifs tout au long du XIXe siècle. 53 En 1836, trois ans avant la proclamation de l’Édit de Gülhane, Mustafa Reşid Paşa, auteur principal de cet édit, alors ambassadeur de la Sublime Porte à Londres, parlait de « la nécessité de retracer les rues [d’Istanbul] selon les règles de la géométrie […] de façon à permettre leur prolongement et leur élargissement futurs ». Pour ce faire, il proposait de « faire venir les architectes européens et d’envoyer de jeunes Ottomans en Occident étudier l’architecture »67. Le premier texte officiel concernant le réaménagement de la ville d’Istanbul, qui date de 1839, est conforme aux intentions exprimées par le Ministre des Affaires Étrangères68. Il est la description d’un projet urbain qui prévoit la percée de grandes avenues plantées, la construction de quais et la transformation totale du tissu urbain existant par l’élargissement des rues et l’élimination des culs-de-sac. La largeur minimum des voies prévue dans ce texte est de 7 m 60, alors que le Divanyolu, l’avenue la plus importante d’Istanbul, ne mesure que de

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6 m. de large au maximum. Ce projet qui apparut utopique à l’époque, guidera cependant les aménagements futurs de la capitale. Des projets ambitieux visant le réaménagement de la ville historique se succéderont dans cette période. Von Moltke, officier prussien, réalise le relevé cartographique d’Istanbul en 1839, afin de préparer un projet d’aménagement d’ensemble. Il est probable que ce projet a été à l’origine du texte officiel émanant du « Divan » de « Tanzimat ». Un autre projet sera réalisé par Bekir Paşa, officier ottoman envoyé à Londres pour des études d’ingénierie69. Les deux projets, que l’on connaît par leur description verbale, prévoient la restructuration complète de la péninsule historique par un certain nombre de percées de grandes avenues et l’aménagement de places publiques autour des monuments, des grandes mosquées, de la capitale. Ces projets ne seront pas réalisés faute de moyens financiers, mais aussi à cause de l’opposition exercée par des milieux conservateurs au début, à l’image des résistances rencontrées par les réformes au plan sociopolitique. 54 Néanmoins, la haute bureaucratie ottomane – car les réformes urbaines ainsi que les autres réformes émanent de la Haute Assemblée de Tanzimat – rejointe par les bureaucrates et technocrates « éclairés », issus du nouveau système d’enseignement de plus en plus nombreux dans le fonctionnement de l’État, ont réussi à imposer leur vision calquée sur les modèles occidentaux dans l’Empire. Dans le domaine de l’aménagement urbain, ce fut à travers la mise en vigueur d’une série de réglementations préparées dans l’optique d’une régularisation de la voirie et du bâti. Les premières réglementations urbaines de « Tanzimat » datent de 1848 et de 1849. Elles consistent en des règlements qui reposent sur deux principes empruntés à l’urbanisme occidental : le lotissement et l’alignement, et un règlement de construction qui comporte des mesures en vue de contrer les incendies. 55 Cependant, l’application de ces réglementations rencontre des difficultés considérables en l’absence de législation permettant l’expropriation. La mise en vigueur d’un tel dispositif ne sera possible qu’en 1856 à la suite de la proclamation du « Islahat Fermanı », l’édit instaurant la deuxième phase des réformes. L’administration publique (l’État) ne se dotera du droit d’expropriation que par un décret élaboré dans ce contexte. Il est important de noter que la notion de droit d’expropriation n’existe pas dans le droit islamique et est même contradictoire avec son esprit. S. Yérasimos souligne que le droit coutumier ottoman n’a jamais réussi à l’imposer, et les terrains des grands complexes ont toujours dû être acquis à l’amiable70. Les réformateurs de Tanzimat parviendront à ce que leurs prédécesseurs n’ont pas réussi à faire ; ils interviendront de façon efficace sur l’espace urbain en se servant des dispositifs législatifs et des notions développés par l’Occident. L’intérêt public – « amme menfaati » – en est l’un des plus significatifs. Le décret de 1856 justifie l’expropriation par « l’intérêt public », notion qui n’existe pas non plus dans le droit islamique. Cependant, ce décret ne prévoit aucune enquête d’utilité publique, en dehors d’une simple enquête sur la valeur des immeubles qui font l’objet d’expropriation à effectuer par une commission formée de fonctionnaires et de notables locaux71. En fait, l’idée que l’État représente tout naturellement l’intérêt public fait apparaître encore une fois l’assimilation de la notion de public et d’État dans la pensée de Tanzimat. Le décret de 1856, élaboré deux ans après l’incendie qui a ravagé Aksaray, permet la réalisation d’un projet de lotissement régulier à l’emplacement des quartiers détruits, ce qui deviendra pratique courante. Confié à l’ingénieur italien Luigi Storari, le projet de lotissement d’Aksaray comporte la première place réalisée selon un projet urbain72.

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56 Un nouveau règlement des constructions et de la voirie – « Ebniye ve Turuk » – est mis en vigueur en 1863, à une période où l’Empire ottoman a bénéficié des premiers emprunts à la suite de la Guerre de Crimée. Ce règlement, qui concerne également le lotissement et l’alignement des rues, impose l’obligation de la préparation de plan aussi bien pour l’alignement des rues que les lotissements à l’intérieur et à la périphérie de la ville. Ce règlement sera appliqué à Istanbul après le grand incendie de Hocapaşa en 1865, comme une réalisation exemplaire de grande envergure, sur une superficie de 287 hectares, par le gouvernement. Le règlement de 1863 sera révisé en 1882, et sera mis en vigueur en tant que loi de construction – « Ebniye Kanunu » de 1299 – qui comporte toutefois des articles concernant l’alignement et l’élargissement des voies, les lotissements et les modalités de remembrement dans les quartiers incendiés. La loi de 1882, comme le règlement de 1863, classe les voies en cinq catégories et fixe la largeur minimum pour chaque catégorie73. Ainsi les rues, qui commencent à être considérées comme le domaine de l’administration publique selon la législation ottomane, sont également catégorisées et hiérarchisées entre elles selon un système qui régit l’espace public. 57 À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, les réglementations orientent l’urbanisation à Istanbul. Les lotissements, ainsi que l’alignement et l’élargissement des rues prévus dans ces règlements, seront réalisés progressivement, à l’occasion des destructions causées par les incendies. Réalisés au fur et à mesure, sans plan d’ensemble, ces lotissements ont créé à Istanbul un patchwork de damiers raccordés aux restes du tissu traditionnel tant bien que mal sans système cohérent. Cependant, ils ont fini par avoir raison de la structure alvéolaire et intravertie des quartiers résidentiels. Les impasses ayant disparu dans plusieurs quartiers, les rues d’Istanbul ainsi alignées et ouvertes sont passées dans le domaine public, sinon les espaces publics de la ville.

La transformation des espaces sacrés en places publiques

58 Les « meydan » existants de la ville ont également fait l’objet de plusieurs opérations urbaines tout au long du XIXe siècle. Beyazıt Meydanı qui se situe au centre géométrique de la ville historique a été le premier « meydan » à subir une transformation substantielle dès la première moitié du siècle. La recherche doctorale de Neşe Yeşilkaya a démontré que le « meydan » préexistant qui n’était qu’une petite place entre la cour de la mosquée de Beyazıt, le « medrese » et Eski Saray – le Palais Ancien, a été élargi par la démolition des murs de « harîm » de la mosquée74. Avec cette démolition amorcée à l’époque de Mahmut II, l’espace sacré entourant la grande mosquée devenait un espace extérieur, une « place publique ». Mahmut II avait fait démolir le quartier général des janissaires qui s’y trouvait, à la suite de l’abolition du corps des janissaires, ainsi que les cafés et boutiques adossés au mur du « harîm » de la mosquée. Le pouvoir s’était toujours méfié des cafés, qui ont été des lieux forts de la publicité ottomane, des lieux de résistance. Ce n’est pas une coïncidence si les cafés de Beyazıt, jadis fréquentés par les janissaires sont détruits. L’élargissement de la place était donc peut-être une conséquence des démolitions, plutôt que le résultat d’un projet urbain.

59 Cependant, après avoir assigné le Palais Ancien au quartier général de la nouvelle armée – au « Seraskerlik » – Mahmut II a fait construire un portail monumental sur la

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muraille de l’ancien palais. Ce portail baroque donnait sur Beyazıt Meydanı, créant une axialité monumentale qui dominait aussi la place par sa monumentalité75. Cette nouvelle place et le portail étaient destinés à représenter le pouvoir et son armée au cœur d’Istanbul. En cela cet acte symbolique marque un tournant dans l’histoire de l’espace urbain. 60 La place de Beyazıt a été transformée à plusieurs reprises tout au long du XIXe siècle ; elle est élargie par des démolitions ultérieures et aménagée. Le portail a été reconstruit en 1866 par l’architecte français Bourgeois76. Un monument dédié au « Tanzimat » a été également conçu par Fossati pour être installé sur la place de Beyazıt77. Espace de représentation par excellence, la place a été réaménagée à deux reprises à l’époque républicaine, d’abord comme un carrefour de la circulation automobile avec un bassin ornemental au milieu et des tramways au début des années 1920, et ensuite comme une place réservée uniquement aux piétons à la fin des années 1950 et au début des années 1960. Depuis que le terrain de l’Ancien Palais est assigné à l’Université d’Istanbul dans les années 1930, le portail monumental représente l’université. Espace des manifestations publiques, mais aussi centre de la vie quotidienne, la place de Beyazıt constitue la place publique par excellence de la ville historique. 61 Le « harîm » de la mosquée de Valide (Yeni Cami) a été également ouvert par des démolitions successives. Cette mosquée, construite au XVIIe siècle, marque l’entrée de la Corne d’Or qui fut le port d’Istanbul. Comme d’autres grandes mosquées elle dispose d’une cour intérieure et d’une cour extérieure. La cour extérieure était délimitée par le marché égyptien au Sud-Ouest et les murailles antiques et le mur du « harîm » par le Nord-Est. Ces murs, auxquels étaient adossées de nombreuses boutiques, séparaient l’espace sacré de la mosquée de la petite place d’Eminönü où se trouvait la douane maritime. La construction du Pont de Galata, et l’arrivée du chemin de fer et la gare de Sirkeci, fait de cette place la tête des transports urbains dès la seconde moitié du XIXe siècle. Les îlots et le bâti devant la mosquée seront complètement démolis à l’époque républicaine par la municipalité dans le cadre des opérations prévues par l’urbaniste français Henri Prost dans les années 1940. L’objectif est d’ordre esthétique : créer une grande place à fin de dégager la vue de la grande mosquée depuis la Corne d’Or. 62 La modernisation de l’espace urbain a été perçue comme un moyen de modernisation sociétale sous la République. Des experts étrangers dans le domaine de l’urbanisme ont été invités en Turquie pour l’aménagement des villes selon les exigences de la modernité. Invité en 1936, l’architecte-urbaniste français Henri Prost a dirigé les travaux des plans d’urbanisme d’Istanbul jusqu’en 1951. L’aménagement des espaces publics, surtout des promenades et des jardins publics est alors considéré comme un moyen d’introduire les modes de vie modernes, et les places publiques sont aménagées comme les lieux de commémoration et de représentation des valeurs républicaines78. 63 Quant à la vie publique, elle a toujours eu une existence autre que les espaces de la représentation. Certes les grandes places publiques ont une importance de premier ordre dans la vie politique de la cité en tant qu’espaces de représentation du pouvoir, de rassemblement des masses et des manifestations publiques. Mais la vie publique au quotidien se passe surtout dans les rues et les ruelles, dans les cafés et les théâtres de la ville. Les cafés, les papeteries et les libraires autour de la mosquée de Beyazıt, et plus tard les théâtres de la rue de Direklerarası et de Gedikpaşa ont été les centres de la vie publique d’Istanbul et des espaces d’une activité politique et intellectuelle active au

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XIXe siècle, à côté des quartiers de Galata et Beyoğlu (Péra) qui furent les lieux privilégiés d’une urbanité à l’européenne.

Conclusion

64 La publicité et l’espace public dans la ville ottomane ont des facettes multiples et le sujet peut être traîté de plusieurs autres points de vue. Dans cet article, la notion de l’espace public est mise en question du point de vue de l’architecture urbaine dans sa relation avec l’aspect jurisprudentiel.

65 La définition d’espaces libres par Evliya Çelebi rapproche ceux-ci des espaces publics, puisque l’un des aspects fondamentaux de l’espace public est son accessibilité pour tous, ainsi que son ouverture à l’utilisation générale. Les « meydan » qui sont cités par Evliya révèlent l’appellation d’une diversité d’espaces libres par ce mot, allant des lieux de plaisance aux places de manœuvres militaires, des cours extérieures des grandes mosquées, aux petites places des quartiers. Leur parenté ou leur opposition avec les places publiques de la ville européenne dépendent de plusieurs facteurs : de la place du pouvoir dans la ville et la société, la présence ou l’absence d’un pouvoir civil, du type de l’organisation sociale. La conception de l’espace, qui a une certaine autonomie dans la sphère sociétale, est en effet fondamentale dans l’agencement de l’espace. Les « meydan » ainsi que les lieux de plaisance de la capitale ottomane sont des espaces communs caractérisés par leur ouverture et leur aspect spacieux et naturel. La vie publique se met en scène dans ces espaces sous toutes ses couleurs. Les femmes, dont la place dans les lieux publics est restreinte par des règles strictes, n’y obéissent pas toujours et elles ne sont jamais absentes des lieux de plaisance. 66 L’espace de la ville ottomane, comme la société urbaine ellemême, est divisé et partagé par les communautés éthnico-religieuses qui sont relativement autonomes dans leurs affaires internes. Cela implique également une ville et un espace public fragmentés. Cependant, les espaces communautaires ne sont pas imperméables les uns aux autres. Le çarşı (le centre de commerce) est un espace social mixte où toutes les communautés sont représentées, et en cela il constitue un espace public de communication, un espace de publicité. 67 Le XIXe siècle est celui des transformations profondes dans les institutions, et aussi dans la structure de la société urbaine en particulier. Le mouvement d’occidentalisation, qui a marqué cette période, a également transformé la structure de la ville ainsi que sa gestion. Ce sont surtout les notions de base qui ont radicalement changé. Les notions de « bien public » et « d’intérêt public » sont introduites dans la législation ainsi que dans la vie quotidienne ottomane. Cependant, ces notions ont été directement assimilées par l’administration publique, c’est-à-dire l’État. Les rues de la ville qui avaient des statuts différents allant du plus commun au plus privé, et qui étaient entretenues par la communauté, sont toutes devenues des parties du domaine public, donc le domaine géré et contrôlé par l’État. Aujourd’hui, cette assimilation continue à dominer les mentalités et le débat sur l’espace public en Turquie. 68 Le XIXe siècle, fut également une période où une sphère publique à l’image occidentale s’est développée et s’est articulée avec la vie publique ottomane existante. Des théâtres qui se sont ajoutés aux cafés traditionnels sont aussi devenus à la fois des lieux de divertissement, mais aussi de résistance et parfois de révolte. Les cafés de toutes sortes

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ont continué à être les lieux privilégiés de la publicité à la fois intellectuelle et populaire de la capitale. Le nombre de femmes a augmenté sensiblement dans les rues d’Istanbul à la fin du siècle. La publicité florissante de la période a certainement donné naissance au projet de modernité républicain. 69 ——————————————————————

Illustrations

Fig. 1. Les quartiers autour du Complexe de Fatih (au milieu) et l’Ancien Palais (en haut) sur la miniature de Matrakçı Nasuh, in Beyan-ı Menazil-i Irakeyn, XVIe siècle. Les espaces libres autour des monuments et des maisons sont représentés par des arbres fruitiers et cyprès.

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Fig. 2. At Meydanı et le sérail d’Ibrahim Paşa au début à la fn du XVIIIe siècle sur la gravure d’Antoine- Ignace Melling. Le « meydan » est représenté comme un terrain vague, une large étendue sans défnition, animé par un déflé des groupes de gens et des caravanes. A.-I. Melling, Constantinople and the scenery of the seven churches of Asia Minor, Londres, 1838.

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Fig. 3. Süleymaniye Meydanı : un grand espace libre autour de la mosquée tel qu’il est représenté sur la gravure de Eugène Flandin au début du XIXe siècle. E. Flandin, L’Orient, Paris, 1853-1867.

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Fig. 4. Constantinople byzantine : les forums et les voies principales, redessinée par C. Bilsel d’après R. Janin, Constantinople byzantine, planche IV. A. Gülgönen, C. Bilsel, Le Complexe de Fatih, son rôle dans la transformation morphologique d'Istanbul, Paris, 1991, p. 68.

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Fig. 5. Le plan d’Istanbul de von Moltke, redessiné par les ingénieurs ottomans en 1854. A. Gülgönen, C. Bilsel, ibid., p. 96 Les espaces libres, les « meydan » autour des grandes mosquées et les espaces verts —notamment les « bostan »— dans la ville intra muros ainsi qu’en dehors des murailles sont visibles sur cette carte.

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Fig. 6. Le complexe de Fatih et le tissu urbain qui l’entoure : les rues aboutissent au « Meydan de Fatih » et le traverse. Plan redessiné d’après la Carte d’Adduction d’Eau de Kule Kapılı Seyyid Hasan, début du XIXe siècle. A. Gülgönen, C. Bilsel, ibid., p. 71.

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Fig. 7. La place de Beyazıt en 1960, la tour d’incendie et la porte de l’Université d’Istanbul (l’ancienne porte du Ministère de la Guerre). D. Kuban, İstanbul Yazıları, Istanbul, 1998, p. 157. Le « meydan » était transformée en un carrefour de la circulation automobile dans la première moitié du XXe siècle, avant d’être aménagé comme un grand espace piéton dans les années 1960.

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NOTES

1. J. Habermas, Strukturwandel der Öffentlichkeit. Untersuchungen zu einer Kategorie der bürgerlichen Gesellschaft, Neuwied am Rhein, Berlin, 1965 [2e publication, 1ère publication : 1962]. La publication de l’ouvrage en France : J. Habermas, L’espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, traduit de l’allemand par M. B. Launay, [Critique de la Politique], Paris, 1997 ; La publication en Turquie : J. Habermas, Kamusallığın YapısalDönüşümü, traduit en turc par T. Bora et M. Sancar, [Politika dizisi], Istanbul, 1997. Il est à noter que « Öffentlichkeit » a été traduit en français comme « l’espace public » et en Anglais comme « public sphere ». Le terme « kamusallık » a été préféré comme étant la traduction exacte de « Öffenlichkeit » dans l’édition turque, alors que le terme de « kamusal alan » a été adopté comme usage en turc. 2. O. Hançerlioğlu, Felsefe Ansiklopedisi. Kavramlar ve Akımlar (L’encyclopédie de Philosophie, les Concepts et les Mouvements), t. 3, pp. 197-200. 3. C. Bilsel, « Yeni Dünya Düzeninde Çözülen Kentler Karşısında ‘Kamusal Alan’ Odaklı Kentsel Tasarım » (Les villes fragmentées face au nouvel ordre mondial et le paradigme d’espace public dans le projet urbain), in Prof. Dr. Aykut Karaman (éd.), Urban Design in Change, Change in Urban Design. 15th International Urban Design and Implementations Symposium. 3rd International Urban Design Congress (26-28 May 2004), MSGSÜ, Istanbul, 2005. 4. C. Bilsel, « Üç büyük kentin başkalaşımı : kentsel başkalaşım ya da ‘merkezkaç kuvvetler’ karşısında kamusal alanın parçalanması », (La métamorphose de trois grandes villes ou la fragmentation de l’espace public par les forces décentralisatrices), Mimarlık, nº 316 (2004), p. 21 ; C. Bilsel, “Kentsel dönüşüm, çözülen kentler ve parçalanan kamusal alan” (Les villes qui se dissolvent et l’espace public qui se fragmente), Mimarlık, nº 327 (2006). 5. U. Tanyeli, « Kamusal insan öldü mü ? Kamusal alan çöktü mü ? » (L’homme public est-il mort ? L’espace public s’est-il effondré ?), Arredamento Mimarlık, nº 10 (2006), p. 7. 6. M. Weber, La Ville, traduit de l’allemand par Philippe Fritsch, Paris, 1986 [Die Stadt, extrait de Wirtschaft und Gesellschaft, 3e édition, Mohr, Tübingen, 1947], pp. 37-47. 7. Ibid., p. 38. 8. Ibid., p. 40. 9. Ibid., p. 46. 10. Ibid., p. 47. 11. P. Lavedan, Histoire de l’Architecture Urbaine. Antiquité – Moyen-Âge, Paris, 1926 ; P. Lavedan, L’Urbanisme au Moyen-Âge [Bibliothèque de la Société Française d’Archéologie], Paris, 1974 ; P. Zucker, Town and square from the agora to the village green, New York, 1959 ; S. Kostof, The city shaped : Urban patterns and meanings through history, Londres, 1991 ; S. Kostof, The city assembled : The elements of urban form through history, Londres, 1992 ; R. Krier, The urban space, Bruxelles, 1979 ; L. Benevolo, Histoire de la ville, traduit de l’italien par C. Peyré, Marseille, 1994 ; L. Benevolo, La Ville dans l’histoire européenne, traduit de l’italien par S. Cherardi, J. L. Pouthier, Paris, 1993 ; L. Benevolo (et al.), Metamorphosis della città [Collection Civitas europae], Milan, 1995, entre autres. 12. C. Sitte, L’Art du bâtir des villes : Urbanisme selon ses fondements artistiques, traduit de l’allemand par D. Wieczorek, Paris, 1996 [Städtebau nach künstlerischen Grundsätzen, 4e tirage de l’édition, Vienne, Leipzig, 1909]. 13. P. Lavedan, L’Urbanisme à l’époque moderne XVIe–XVIIIe siècles, Genève, Paris, 1982 ; et S. Kostof, The city shaped…, op. cit. 14. D. Harvey, Paris, Capital of Modernity, New York, 2003. 15. D. Kuban, İstanbul Yazıları (Les écrits sur Istanbul), İstanbul, 1998, p. 157 et D. Kuban, “Meydanlar” (Les places), in Dünden Bugüne İstanbul Ansiklopedisi, vol. 5, İstanbul, 1993- 1995.

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16. D. Kuban, İstanbul Yazıları, op. cit., p. 157. 17. M. Cerasi, Osmanlı Kenti, Osmanlı İmparatorluğunda 18. ve 19. yüzyıllarda kent uygarlığı ve mimarisi, traduit de l’italien en turc par Aslı Ataöv, İstanbul, 1999, p. 197. 18. C’est le cas même à Istanbul, où le fameux At Meydanı se superpose à l’Hippodrome de Constantinople byzantine ; ibid. pp. 197-198. 19. Ibid., p. 198. 20. Pour une histoire de la vie quotidienne à Istanbul, voir R. Mantran, La vie quotidianne à Constantinople au temps de Soliman le magnifique (XVIe et XVIIe siècles), Paris, 1965. 21. “İslâmbol’un canib-i erba ‘asında hass u âmm içün bi-tekellüf olan mesiregâh-ı ferah fezaların beyan ider.”, Evliya Çelebi [B. Dervış Muhammed Zıllî], Evliya Çelebi Seyyahatnamesi, Topkapı Sarayı Bağdat 304 Yazmasının Transkripsiyonu Dizini, O. Ş. Gökyay (éd.), t. 1, Istanbul, 1996, pp. 206-209. Je remercie Neşe Yeşilkaya d’avoir attiré mon attention sur le texte d’Evliya Çelebi, à ce sujet. 22. Evliya Çelebi, op.cit., p. 206. 23. Ibid., pp. 206-207. 24. Ibid., pp. 205-209. 25. Les cérémonies étaient organisées à At Meydanı à l’occasion des circoncisions des princes comme celle des fils de Ahmet III, relatée dans le Sûrnâme et dessinée par Matrakçı Nasuh. S. Yérasimos, Sûrnâme. An illustrated account of Sultan Ahmed III’s festival of 1720 – Sultan Ahmed’in Düğün Kitabı, 3 volumes, Bern, 2000. 26. Sur la Corne d’Or comme « Odun kapusı meydanı », « Ayazma iskelesi meydanı », « Unkapanı » et « Cebbe’ali kapusı meydanı », « Fener kapusı meydanı », « Balat kapusı meydanı », « Ebu Ensari kapusı meydanı » et sur la côte de Marmara comme « Kadırga limanı meydanı », « Kumkapusı meydanı », « Langa kapusı meydanı » et « Samadya meydanı » ; Evliya Çelebi, op. cit., pp. 205-209. 27. S. Yérasimos, « Réglementation urbaine et municipale (1839-1869) », in A. Borie, P. Pinon, S. Yérasimos, L’Occidentalisation d’Istanbul (Bureau de la Recherche Architecturale, École d’Architecture de Paris-La Défense. Rapport inédit), Paris, 1991, p. 2. 28. « Topkapusı Hisarpeçesi’nde temâşâgâh-ı Zağar yaylası », « Ağa Çayırı Meydanı », « Kağıdhâne yolında Cirid meydanı » etc. ; Evliya Çelebi, op.cit., p. 209. 29. Ibid. 30. D. Kuban, İstanbul Yazıları, op. cit., p. 157. 31. S. YÉrasimos, « La limite et le passage dans l’espace musulman », in Pera Peras Poros, Atelier interdisciplinaire avec et autour de Jacques Derrida, Istanbul, 1999, pp. 157-164. 32. D. Kuban, İstanbul Yazıları, op. cit., p. 157. 33. D. Kuban continue à citer les autres grandes mosquées et complexes qui sont situés sur les forums de Constantinople byzantine : « Le complexe de Şehzade se trouve près de Philadelphion et celui de Laleli près d’Amastrianon. Sur le Forum de Bous, il y a la mosquée de Valide et sur le Forum Arcadius, il y a la mosquée de Cerrah Paşa », D. Kuban, ibid. 34. M. Cezar, Osmanlı başkenti İstanbul (Istanbul. La capitale ottomane), Istanbul, 2002. 35. Ibid.; A. Ataman, Bir Göz Yapıdan Külliyeye Osmanlı Külliyelerinde Kamusal Mekân Mantığı (La logique de l’espace public dans les külliyes ottomans), Istanbul, 2000, cité par N. Gürallar Yeşilkaya, « From a courtyard to a square: Transformation of the Beyazıt Meydanı in the early nineteenth century Istanbul », METU Journal of the Faculty of Architecture, t. 24, nº 1 (2007), pp. 71-92. 36. A. Gülgönen, C. Bilsel, Le Complexe de Fatih, son rôle dans la transformation morphologique d’Istanbul, (École d’Architecture de Paris-Belleville, Bureau de la Recherche Architecturale, rapport inédit), Paris, 1991. 37. A. Gülgönen, C. Bilsel, ibid., pp. 54-61.

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38. Les medrese de la Méditerranée et les medrese de la mer Noire respectivement ; A. Gülgönen, C. Bilsel, ibid., pp. 37-41. 39. Ibid., pp. 121-127. 40. Ceci est démontré par la thèse de N. Yesilkaya, Transformation of a public space in the nineteenth century Istanbul : Beyazıt Meydanı (Middle East Technical University. Thèse de doctorat inédite), Ankara, 2003. 41. S. Yérasimos, « La limite et le passage dans l’espace musulman », op.cit., pp. 157-164. 42. Ibid., p. 157. 43. Stéphane Yérasimos précise que les non musulmans résidents sont des protégés de la communauté et les non musulmans non-résidents sont des hôtes ; S. Yérasimos, ibid. 44. S. Yérasimos, ibid., pp. 157-158. 45. S. Yérasimos, ibid., p. 159. 46. Il est intéressant de noter que la transition graduelle du plus public au plus privé est réintroduite comme une qualité spatiale recherchée dans la conception architecturale à partir des années 1950, en parallèle avec le criticisme errant à l’égard du modernisme et du fonctionnalisme ambiants. La théorie d’architecture développée par H. Hertzberger insiste sur l’importance des espaces intermédiaires entre les espaces publics et privés. H. Herzberger, Lessons for the students of architecture, traduit en français par I. Rike, Rotterdam, 1998. Christopher Alexander dans son ouvrage The Pattern Language et Kevin Lynch dans sa théorie de Urban Design ont développé leurs théories respectives sur des notions proches ; C. Alexander, S. Ishikawa, M. Silverstein (et. al.), A pattern Language: Towns, buildings, construction [Center for Environmental Structure Series], New York, 1977 ; et K. Lynch, Theory of good city form, Cambridge (Massachussets), 1985. La transition graduelle de l’espace « public », au « semi-public », du « semi-privé » au plus « privé », dans les espaces habités est considérée comme étant conforme au besoin des individus de s’identifier à l’espace qu’ils habitent. Dans le domaine de la psychologie environnementale, des recherches relatives à la territorialité et l’appropriation de l’espace soutiennent ces thèses. 47. Stéphane Yérasimos utilise le terme de « l’espace alvéolaire ». Il interprète l’espace urbain de la ville musulmane par trois schémas qui se superposent et se complètent : « le schéma alvéolaire », « le schéma radio-concentrique » des grands axes qui lient les portes de la ville au centre, et « le schéma tangentiel » où la citadelle représentant le pouvoir est située en marge de la ville, ce qui montre la malaise du pouvoir par rapport à la ville. S. Yérasimos, op.cit., pp. 160-162. 48. Il est à noter que Stéphane Yérasimos traduit le terme « amm » par « commun », « communautaire », « la copropriété de tous les musulmans » et non pas par « public » ou « ouvert à l’utilisation générale », ce qui est fondamentalement différent. Dans le premier seul la communauté musulmane est impliquée, alors que le second terme comprend un public anonyme, musulman ou non musulman. 49. Ibid., p. 157. 50. S. Kostof, « Privatized public realms », in The city assembled…, op. cit., pp. 125-127. 51. L. Gardet, La Cité Musulmane, Vie Sociale et Politique, [Librairie Philosophique], Paris, 1981 (4 e édition), « Cadre idéal de la société politique musulmane », pp. 22-29, « La notion musulmane d’autorité et les philosophies politiques d’Occident », pp. 40-48. 52. “[…] la facile acceptation par l’Islam de principes autocratiques venus de Byzance ou de Perse (en attendant l’autocratie militaire qui suivit les grandes invasions turco-mongoles », L. Gardet, ibid. p. 46. 53. S. Yérasimos, op.cit, p. 160. 54. Ibid.

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55. S. Yérasimos, « La réglementation urbaine ottomane (XVI e–XIXe siècles) », in E. van Donzel (éd.), Proceedings of the 2nd International Meeting on Modern Ottoman Studies and the Turkish Republic, Leiden,1989, pp. 1-15. 56. S. Yérasimos, « À propos des réformes urbaines de Tanzimat », in P. Dumont, F. Georgeon, Villes Ottomanes à la Fin de l’Empire, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 21. 57. N. Gürallar Yeşilkaya, « From a courtyard to a square…», op. cit., pp. 82-86. 58. O. N. Ergin, Mecelle-I Umur-u Belediyye, vol. 1, Istanbul, 1922, p. 335. 59. İ. Ortayli, « Türk Belediyesinin Denetim Yetkisinin Tarihi Gelişimi ve Günümüzdeki Durumu » (L’évolution historique et l’état actuel du droit de contrôle de la municipalité turque), in Amme İdaresi Dergisi, vol. 6, nº 4 (1973), p. 17. 60. Les contradictions entre la loi islamique et la loi coutumière se sont avérées contraignantes dans toutes les tentatives de réformes entreprises par le pouvoir au XVIIIe et au début du XIXe siècle. Ces tentatives se sont heurtées sans cesse à la résistance des milieux conservateurs. S. Yérasimos, « A propos des réformes … », op. cit., p. 21. 61. Y. Abadan, « Tanzimat Fermanı’nın tahlili » (l’analyse de l’Édit de Tanzimat), in Y. Abadan, Ö. L. Barkan, E. Z. Karal, Tanzimat I , Ankara, 1940, pp. 31-58. 62. C. Bilsel, Cultures et fonctionnalités : L’évolution de la morphologie urbaine de la ville d’Izmir aux XIXe et début XXe siècles, (Université de Paris X – Nanterre. Thèse de doctorat inédite), 1996, pp. 259-260. 63. C. Bilsel, ibid. p. 261. 64. Selon la loi sur le régime des terres de 1274 (1858), il existe trois catégories différentes de terres appartenant à l’État : « mirî arazi », « arazi-i metruke » et « arazi-i mevat ». Arazi-i metruke correspond à res publica dans le droit romain et comprend les territoires qui sont ouverts à l’utilisation de tous, comme les rues, les places de marché ou les parcs. « Arazi-i mevat » correspond à res nullius dans le droit romain, ce sont des terres qui ne peuvent pas appartenir à des particuliers comme la mer, les rivières, les montagnes etc. M. T. Sönmez, Osmanlıdan Günümüze Toprak Mülkiyeti. Açıklamalı Sözlük (La propriété foncière depuis les Ottomans jusqu’à aujourd’hui. Dictionnaire abrégé), Ankara, 1998. 65. O. Hançerlioğlu, op. cit. ; T. Sönmez, op. cit. 66. Le lotissement de Yenikapı effectué sur les terrains gagnés sur la mer en 1760 et le lotissement de Selimiye réalisé autour de la nouvelle caserne en 1805 en sont quelques exemples. A. Borie, P. Pinon, S. Yérasimos, op. cit., p. 2 ; Z. Çelik, The Remaking of Istanbul, Seattle, Londres, 1986. 67. Lettre de Mustafa Reşid Paşa (octobre-novembre 1836) au sultan Abdülmecit depuis Londres où il était ambassadeur de la Sublime Porte ; citée par S.Yérasimos, « Réglementations urbaine et municipale... », op. cit., pp. 26-27. 68. Ce document constitue un texte d’intention officiel émanant du Divan impérial. Il date du 17 mai 1839, ce qui veut dire qu’il a été rédigé six mois avant la proclamation du « Tanzimat ». Le texte est publié dans Osman Nuri Ergin, Mecelle-i Umur-u Belediyye, Istanbul, 1922, pp. 1340-1343 ; traduction en français dans A. Borie, P. Pinon, S. Yérasimos, op. cit., pp. 28-29. 69. İ. Tekeli, « Türkiye’de şehir planlamasının tarihsel kökleri » (Les origines historiques de l’aménagement urbain en Turquie), in T. Gök (éd.), Türkiye’de İmar Planlaması, Ankara, 1980. 70. S. Yérasimos, « À propos des réformes… », op. cit., p. 8. 71. S. Yérasimos, ibid., p. 24. 72. D. Kuban, « İstanbul yazıları », op. cit., pp. 160-161, Z. Çelik, op. cit. 73. Ce sont des voies de 20, 15, 12, 10 et 8 « zira » ; 1 « zira mimarî » est égal à 75cm 80. 74. N. Yeşilkaya, Transformation of a public space…, op. cit. ; et N. Gürallar Yeşilkaya, « From a courtyard to a square…», op. cit. 75. N. Gürallar Yeşilkaya, « From a courtyard to a square…», op. cit. 76. D. Kuban, İstanbul Yazıları, op. cit., pp. 163-169.

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77. N. Yeşilkaya, Transformation of a public space…, op. cit. et N. Gürallar Yeşilkaya, « From a courtyard to a square…», op. cit., p. 82. 78. C. Bilsel, Remodelling the Imperial Capital in the Early Republican Era : the Representation of History in Henri Post’s Planning of Istanbul, in J. Osmond, A. Cimdina (éd.), Power and Culture, Idendity, Ideology, Representation, Pise, 2007, pp. 95-115.

RÉSUMÉS

L’espace public ottoman existe non au sens occidental du terme « place », mais en tant qu’espace de plaisance, libre d’accès. Les meydan d’Istanbul illustrent cette différence fondamentale : à l’origine, ce ne sont pas des enclos urbains, nettement délimités, mais des espaces libres laissés à l’état naturel. Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que ces espaces ont commencé à se transformer, pour actuellement subir, du fait du néo-libéralisme, une fragmentation préjudiciable.

Ottoman public space does exist not as a square in a European way, but a free-access space for leisure. The meydan of Istanbul are a good example of this difference: originally free spaces that were left unconstructed, they were not urban enclosures clearly delimited. Only from 19th c., these spaces were transformed until today, when they are prejudicially fragmented because of neo-liberalism.

AUTEUR

CÂNÂ BILSEL

Université technique du Moyen-Orient, Ankara

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Les espaces publics et la vie publique à Belgrade au XVIIIe et au XIXe siècle et leur transformation au XXe siècle Public Spaces and Public Life in Belgrade in 18th and 19th centuries and Their Transformation in 20th century

Mirjana Roter Blagojević et Ana Radivojević

Introduction

1 Caractère et qualité des espaces publics d’une cité représentent des facteurs importants pour leur récognition. Ils sont une base pour l’identité d’une cité par laquelle la tradition et l’esprit de ses citoyens peuvent être reconnus. Les circonstances politiques, économiques, sociales, ethniques et culturelles de certaines périodes dans la vie d’une cité influencent la structure et la forme de ses espaces publics, et ont par suite des implications sur la vie publique des générations correspondantes. Le mode traditionnel de la vie dans le passé, la mentalité spécifique de certains groupes ethniques et les habitudes de vie que les citoyens ont eues au cours du temps sont profondément incorporés dans la forme et l’esprit des espaces publics. Malgré la présente uniformité des communautés urbaines et les progrès technologiques rapides qui, en général, refusent les valeurs traditionnelles originaires, les cités contemporaines ont conservé leurs formes et leurs contenus historiques. Elles peuvent être reconnues dans les directions et les caractéristiques de leurs rues, les formes et les contenus des places de la cité, la disposition et la typologie des bâtiments qui sont concentrés autour des espaces urbains significatifs etc.

2 Dans le cas de Belgrade, matrice de la cité contemporaine, comme caractère de ses espaces publics cache certaines traces de son développement urbain ancien et ses moyens traditionnels d’usage de ses espaces publics. La situation de la ville au

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confluent de la Save et du Danube, induit à travers son histoire bimillénaire que la plupart du temps Belgrade se trouvait à la frontière de deux mondes opposés, le civilisé et le barbare, l’Ouest et l’Est, l’Européen et l’Oriental. Pour ses maîtres elle était d’abord d’une grande importance stratégique, raison pour laquelle elle s’est développée comme une solide forteresse. Durant les périodes de paix, elle devint un centre important de trafic et de commerce où l’Est et l’Ouest échangeaient leurs produits. 3 Après une période d’exceptionnelle prospérité de 1403 à 1427, lorsque Belgrade servit de capitale à l’État serbe que le despote Stéphane Lazarević construisit comme cité régnante, qui attirait de nombreux marchands et artisans serbes et étrangers, suivit un siècle où la ville fut le lieu de conflits militaires constants entre les Etats hongrois et turcs. Ce fut le temps où Belgrade était considéré comme « le rempart de la chrétienté » et « une clef de l’Europe » ; mais, en dépit de la présence d’une nombreuse armée chrétienne, elle ne put se protéger de l’armée turque commandée par le sultan Soliman le Magnifique. La chute de Belgrade en 1521 eut un fort retentissement en Europe, comme perte de la forteresse chrétienne la plus lointaine et l’ultime obstacle contre l’attaque des Turcs, qui ouvrait le passage pour la conquête de la Pannonie. Après la chute de Buda, en 1541, commença une période prospère pour la Belgrade turque et elle a duré presque deux siècles, disons jusqu’au siège de Vienne en 1683 et la perte de Buda en 1686. Une situation politique et sociale stable et pacifique permit à Belgrade de devenir une grande cité orientale, un centre économique, commercial et culturel significatif de la partie européenne de l’Empire ottoman, qui devint le centre d’approvisionnement pour les résidents de la Pannonie et de la Serbie du Nord en produits d’Europe et de Turquie. Belgrade rassemblait des populations diverses, d’origine à la fois musulmane et chrétienne, parmi lesquelles des Juifs, des Arméniens, des Grecs et des citoyens de Dubrovnik, des marchands pour la plupart1. 4 Une période spécialement intéressante pour le développement de la ville, depuis que d’importants changements dans sa morphologie urbaine pouvaient être suivis, commença au début du XVIIIe siècle avec la conquête autrichienne, au moment où l’ancienne matrice urbaine orientale de Belgrade entama sa transformation avec quelques uns des éléments de l’urbanisme baroque. À partir de ce moment commença sa progressive séparation d’avec l’Orient et sa réunion avec le développement européen alors en cours. Les circonstances historiques qui suivirent contribuèrent à une transformation sporadique de la cité, menée à des vitesses et des intensités différentes, des successions de périodes de stagnation à des périodes intenses de construction et d’installation. Un changement d’apparence de la ville était suivi fréquemment d’un changement de profil de la population. En outre, une partie de la ville aujourd’hui considérée comme le centre de la ville le plus fermé a fixé son caractère avant l’époque de la Seconde Guerre Mondiale. Après cette période, la ville a connu d’importants renouvellements à la suite des démolitions dont elle a souffert, mais qui n’ont pas apporté de changements essentiels dans son contenu, ni sur l’apparence de ses espaces publics dans la partie examinée. Pour mieux comprendre le volume et le caractère des changements subis par Belgrade depuis le XVIIIe siècle, il sera nécessaire de signaler les caractères fondamentaux de la ville orientale qui ont été la base de la transformation qui a suivi.

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Création de l’apparence orientale de la ville au XVIe et au XVIIe siècle

5 Après la conquête turque, pendant le XVIe et le XVIIe siècle la ville s’est développée en une cité orientale typique, avec toutes les caractéristiques de la vie et de l’urbanisme orientaux, c’est-à-dire avec une séparation complète de la vie publique et de la vie privée des citoyens. Suivant ces règles, le centre de la cité s’était formé en fonction des voies d’accès et des lieux où les gens se rencontraient et s’arrêtaient pour faire du commerce. C’était l’emplacement d’ensembles de divers bâtiments publics, mosquées, imarets, medreses (écoles religieuses), bibliothèques, hôpitaux, etc. Les rues commerçantes, nommées čaršija s’étaient formées le long de celles-ci et étaient composées de boutiques en bois avec un type spécial de fenêtre « commerciale » appelée ćepenci, complètement ouverte sur la rue et vers les acheteurs. Différents types de tavernes et de lieux d’hébergement de cette époque (han, karavan-saraj, lieux de stationnement pour les caravanes) furent construits le long des rues commerçantes, tandis que les productions précieuses étaient vendues dans des marchés en pierres couverts nommés besistans. De cette façon, les bâtiments publics et les rues commerçantes étaient le siège de la vie publique des habitants de la cité et représentaient des ensembles petits et individuels à l’intérieur de la ville. Autour de ceux-ci il y avait des ensembles (mahalas) de 40-50 maisons résidentielles avec dans leur centre une rue commerçante.

6 Le principal charme d’une ville turque était le réel contraste entre les rues commerçantes pleines de couleurs, agitées et bruyantes, et les bâtisses paisibles et très résidentielles. L’architecture grise et sévère des édifices publics en maçonnerie de pierre, qui était orientée vers leurs cours intérieures, s’opposait à l’architecture animée des bâtiments d’habitation, construits à la manière typique des structures orientales charpentées en bois, profondément enfouis dans la verdure des jardins clos. Tandis que les rues commerçantes avaient tendance à créer des directions orthogonales, les voies de communication dans les mahalas suivaient la configuration du sol, créant de cette façon un réseau de rues irrégulières. 7 Beaucoup de voyageurs ont laissé des descriptions enthousiastes sur l’apparence de la cité et de ses grands bâtiments, proclamant qu’elle était plus belle que Buda2. Il y a deux plans datant de 1688, le plan de Gump et le plan de Bodener, qui confirment l’importance de Belgrade et la grande prospérité qu’elle a connue sous le pouvoir turc3. La ville fortifiée conserva sa structure médiévale et les remparts du XVe siècle, tandis qu’un gros faubourg, Varoš, s’étendant des rives du fleuve de la Save jusqu’à celles du Danube, était entouré de remparts extérieurs faits de terre avec une palissade en bois. Il y avait deux approches principales de la route du Sud- Est de Carigrad (Constantinople) et de Zemun, où sur un sol marécageux il y avait un système de ponts : un pont sur piliers de bois long de 4000 pas et un ponton long de 800 pas au-dessus de la rivière (fig. 1). L’établissement civil avait tous les éléments de l’urbanisme et de l’architecture orientaux. Chacun des quartiers, mahalas, a sa mosquée, qui représentait le centre de vie sociale d’une communauté. En 1688, il y avait 51 mosquées dans la fortification et à Varoš, mais seulement 21, probablement les plus importantes, étaient portées sur le plan de Gump4. Au milieu de Varoš il y avait un cimetière musulman central, qui divisait la ville dans ses parties sur les pentes de la Save et les pentes du Danube.

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Fig. 1 : Plans de Belgrade de 1688

a) Plan de Bodener b) Plan de Gump

8 Les habitants musulmans étaient établis la plupart du temps sur la pente du Danube, de la route de Constantinople jusqu’aux rives du Danube. Le centre de la vie publique dans cette partie de la ville était tout près des principales voies de communication, la route de Constantinople et la route de Vidin, avec les bâtiments publics les plus importants dans leur proche voisinage. Le long de ces routes se trouvaient deux routes commerçantes très importantes avec des marchands turcs, serbes, juifs et de Dubrovnik. Sur la route de Constantinople se trouvait la haute route commerçante (Gornja čaršija) avec le complexe de la mosquée de Bayram bey. Près de cette rue se trouvait un grand « Vizir serai », qui était représenté sur le plan de Gump comme un grand ensemble de bâtiments autour d’une cour appelé palais du Commandant. Au centre du faubourg se trouvait un complexe d’hôpital avec sa mosquée d’Ibrahim bey. Près du Danube, sur la route de Vidin il y avait une autre rue commerçante, appelée Basse, Longue ou Grande Rue (Donja, Duga ou Velika čaršija) d’une longueur de 3 000 pas environ, en partant du marché aux poissons, qui se trouvait sur l’ancienne place médiévale. Dans cette rue se trouvaient les constructions de cette époque les plus monumentales, besistans, karavan-sarajs, lieux de rencontre des marchands et des artisans autochtones et étrangers et centre des affaires de cette époque. Le plus grand était un complexe avec le besistan et le karavansaraj de Mehmed pacha Sokolović, construit en 1573, et derrière lui se trouvait une grande čaršija couverte avec quelques rues parallèles, chacune d’elles étant affectée à un type de marchandises et de produits artisanaux5. À l’opposé de ce complexe, la rue s’élargissait en une place rectangulaire. Près de la forteresse se trouvaient le Jeni-han et le Jeni-aman, et près du carrefour nommé Dorćol se trouvait le complexe de bâtiments publics de Mehmed pacha Jahjapašić avec une mosquée, une medressa et un karavansaraj (fig. 2).

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Fig. 2 : Détails du plan de Gump

a) Karavan-saraj et besistan de Mehmet Pacha Sokolović b) Saraj du Vizir c) Hôpital avec la mosquée d’Ibrahim Bey d) bain turc de Jeni

9 Grâce aux notes des voyageurs nous pouvons constater que les gens de Dubrovnik avaient les plus jolies boutiques, mais qu’ils étaient établis à Belgrade sans leurs familles. Dans la ville nous avons trouvé aussi des Allemands, des Italiens et des Juifs d’Espagne, qui avaient leur propre école. Ceux-ci étaient membres de la communauté chrétienne qui vivait sur le côté du Danube de Varoš, alors que la plupart des autres chrétiens vivaient à l’opposé, le côté de la Save. Selon l’inventaire turc, certains quartiers (mahalas) étaient nommés église, crkva, ce qui veut dire que les Turcs avaient autorisé la restauration et la reconstruction de temples chrétiens6. Selon les vieux plans, sur le sol nivelé face au rempart sud-est de la forteresse, qui était appelé At- Pazar, depuis qu’au Moyen Âge il était le lieu consacré au commerce des chevaux, se trouvait un village composé de nombreuses maisons d’habitants chrétiens. Dans la partie sud-est de Varoš, sur une pente escarpée de la colline le long de la berge de la rivière Save se trouvait un établissement avec des rues sinueuses, où se trouvaient trois églises avec de hauts campaniles, une serbe, une arménienne et une grecque, constituant un centre de vie sociale et spirituelle pour les habitants chrétiens7.

10 Avec le commencement d’un nouveau conflit entre deux armées et deux civilisations, l’autrichienne et la turque, l’occidentale et l’orientale, à la fin du VIIesiècle, Belgrade devint de nouveau une fortification de frontière avancée, soumise aux nécessités de l’armée et de la défense. Dès lors la vie sociale, culturelle et économique s’est ternie. 11 Pour une courte période (1688-1690) les Autrichiens ont conquis Belgrade et envahi le territoire, qui s’étend profondément dans le sud de la Péninsule balkanique. Quoique de nouveaux dirigeants aient eu des plans très ambitieux pour la construction de la ville après leur conquête, une autorité de courte durée ne permit pas leur réalisation. Par

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crainte d’une revanche turque, beaucoup de chrétiens partirent en Pannonie, à l’occasion d’un retrait de Serbie de l’armée autrichienne. 12 Après les violents raids de bombardements durant le siège turc en 1690, la forteresse de Belgrade était gravement endommagée. Aussi, les Turcs ont-ils dû procéder à de lourdes réparations des remparts, spécialement après le siège infructueux des Autrichiens en 1693. De grands changements furent effectués pour les remparts de la forteresse par la démolition de toutes les maisons à une distance d’un tir des remparts sur leurs côtés sud-ouest et sud-est. Ainsi, les plus anciennes parties du site médiéval d’At-Pazar(en direction des rues actuelles Pariška et Tadeuša Košćuška) ont disparu définitivement, créant une zone de grand vide nommées glasije (nommée aussi espace de la ville, Kalemegdan). 13 Après la signature de la paix, en 1699, Belgrade redevint une forteresse de frontière. Toutefois, la puissance de l’Empire ottoman s’est peu à peu affaiblie produisant dans une moindre mesure un renouveau de la vie orientale traditionnelle dans les rues commerçantes et les quartiers de Belgrade Varoš. La partie la plus vivante de la ville était encore la rue turque Basse ou Longue, mais son importance et sa productivité étaient moindre qu’auparavant, car les marchands étrangers et autochtones n’avaient pas intérêt à restaurer leurs boutiques devant la menace de conflits militaires. La population chrétienne était faible en nombre et comptait des Serbes, des Tzintzars et des Grecs, qui venaient encore dans la partie sud-ouest de la cité, dans la zone dominant la rive de la Save. D’après les plans du XVIIIe siècle nous pouvons comprendre l’étendue des changements survenus après l’érection de nouveaux éléments de fortification face au sud-est des remparts de la Ville Haute8. Dans la région de la Save un très petit établissement demeura autour de l’église serbe et de la résidence du métropolite ; il comprenait quelques blocs de formes irrégulières. C’était l’endroit où fut fondé le spirituel de la population serbe, qui est resté à cet endroit jusqu’à ce jour. La partie turque de la ville, qui était sur la pente du Danube, était beaucoup plus étendue, mais était faite aussi de blocs irréguliers et d’un réseau de rues sinueuses. La seule direction différente était celle de la rue principale, Rue Longue ou Duga čaršija et grand Trg (place) triangulaire, qui était aussi relié par une route diagonale, partant de la route de Constantinople et de Gornja čaršija (Rue Haute). C’était précisément le lieu de rencontre de la vie économique et sociale de la population musulmane. En dehors des nombreuses petites maisons d’habitation, dans la partie du Danube il y avait aussi de grands bâtiments de forme carrée avec des cours intérieures, vestiges des constructions publiques qui ont été élevées au XVIe et au XVIIe siècle (fig. 3).

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Fig. 3 : Plan de Belgrade de Seutter de 1735

Transformation de Belgrade en ville baroque au début du XVIIIe siècle

14 Au commencement du XVIIIe siècle, deux siècles après la conquête du « rempart de la Chrétienté », il y eut une époque extrêmement importante pour l’Europe et pour Belgrade ; c’était le temps où la monarchie austro-hongroise s’efforçait de conquérir la zone située dans le voisinage de la Save et du Danube, et du nord de la Serbie. Depuis 1717 Belgrade a joué un rôle important comme centre des territoires conquis récemment et comme base pour une extension ultérieure de l’Autriche vers le sud des Balkans. L’autorité autrichienne projetait une grande reconstruction de la cité de Belgrade et une transformation de la ville environnante d’une cité orientale en une cité européenne avec tous les éléments de l’urbanisme et de l’architecture baroques. C’était spécialement le vœu du prince Eugène de Savoie, qui, ayant conquis la ville en 1720, chargea le prince Charles Alexandre de Wurtemberg de diriger le Royaume de Serbie : il entreprit une totale reconstruction des remparts autour de la forteresse et des bâtiments civils. La reconstruction commença en 1723 suivant les plans du colonel Nicolas Doxat (N. Doxat de Morez), qui était un des meilleurs experts en fortifications européennes modernes en conformité avec l’école française des fortifications du maréchal Sébastien Vauban (S. Vauban).

15 Belgrade devint une fois encore une partie de l’espace de l’Europe Centrale, qui aida au renouveau de l’habitat civil. Mais elle était habitée essentiellement par une population pauvre, à la fois allemande et serbe. Le nouveau commerce eut son centre dans la partie danubienne de la dite Ville Allemande, habitée par des citoyens allemands privilégiés et des marchands. La population serbe et une autre population chrétienne étaient établies

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dans une zone au-dessus de la Save, dans une Ville Haute serbe, qui était proche de l’église orthodoxe. 16 Le but de la reconstruction autrichienne dans la ville fortifiée ne pourrait pas être précisé avec certitude, mais il y a deux plans de Nicolas de Spar (N. F. de Spar), nº 14 et nº 15 datant de 1739, qui offrent de nombreux éléments pour percevoir une image possible de Belgrade baroque9. 17 Les changements les plus complets se sont produits dans les parties périphériques de l’établissement civil, où ont été construits 11 bastions et 6 remparts. L’espace de l’ancienne ville orientale diminua beaucoup et s’ensuivit un grand mécontentement de l’église et des citoyens serbes, car un grand nombre de bâtiments furent démolis, y compris la résidence du métropolite, et de nombreux domaines furent expropriés sans compensation pour les propriétaires. L’entrée dans la ville se faisait par des portes nouvellement construites. La principale, la porte du Tsar, à l’entrée de la partie allemande de la ville, était en direction d’une Duga čaršija turque (Lagen Cassen). Sur l’espace du Grand Cimetière turc de nouveaux blocs furent adaptés et une nouvelle rue orthogonale fut tracée, conduisant de la porte située au rempart sud-est de la forteresse à la Porte Alexandre Wirtemberg sur la route de Constantinople. Près du ponton de la Save, sur la route de la rive de Save il y avait la porte Šabac, tandis que sur la rive du Danube se trouvait la Porte de Timišoara. Deux établissements furent formés hors de la ville, un allemand nommé Karlstal (dans la zone du village proche de Palilula) et la Nouvelle Ville Basse, i.e. Srpska donja varoš (Unter Ratzen Stadt) avec environ 70 maisons et l’église Saint-Jean-Baptiste (entre la route de Kragujevac et la route de Šabac où s’étaient déplacés les habitants non-catholiques venus de la zone de la pente du Danube (fig.4).

Fig. 4 : Plan de Belgrade de Spar de 1739

a) n° 14 avec des blocs urbains dessinés b) n° 15 avec présentation isométrique de bâtiments

18 Un nouvel aménagement planifié est apparu sur le plan de Spar nº 14 : il présente un schéma orthogonal, avec des blocs la plupart du temps réguliers. Le plus grand et le plus monumental était l’Aleksandrova kasarna (Caserne d’Alexandre ou de Wurtemberg). Près de la porte qui portait le même nom, en face de laquelle se trouvait un vaste espace vide probablement à des fins militaires (à peu près situé entre les places

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actuelles d’Obilićev venac et la rue Knez Mihailova). D’autres constructions présentes sur le plan étaient la Zidarska (Maurer Barraks), un bloc avec l’église des Frères Mineurs (Minoriten, près du lieu de l’actuelle Studenski trg), la Grande Caserne ou Palais du prince Eugène sur la Rue Longue (Lagen Cassen) et quelques autres bâtiments à grande échelle dans la partie allemande de la ville. Un autre plan de Spar présente seulement isométrique de grands bâtiments. Sans schéma d’un réseau de rues. Près de la Porte d’Alexandre de Wurtemberg il y avait la Caserne d’Alexandre, une église des Frères Mineurs et un autre bâtiment de caserne (Caserne), qui était proche de la forteresse. Dans la partie danubienne de la ville, il y avait la résidence du Commandant (Commendaten Wohnung) et quatre églises (des Capucins, des Franciscains, des Jehrites et des Espagnols de Weil).

19 En combinant les présentations de Spar de la nouvelle organisation des rues et des vues isométriques des bâtiments les plus importants avec les présentations panoramiques de la ville10, nous pouvons admettre que, malgré un espace de temps relativement court de sa présence, la monarchie des Habsbourg a agi pour opérer une transformation partielle de la vieille cité turque orientale en une cité baroque moderne avec des édifices d’Etat représentatifs, un palais de commandant, une caserne et un hôpital. De nombreuses églises furent aussi construites avec leurs beffrois baroques élevés. Les présentations panoramiques de Spar offrent aussi des informations sur les nouveaux villages, qui s’étaient formés au sud de la ville fortifiée, Srpska donja varoš et Karlstal 11 (fig.5).

Fig. 5 : Dessins de Spar

a) Vue panoramique de Belgrade de la Grande île de la guerre b) Vue panoramique de Belgrade du Sud

20 Bien qu’aujourd’hui il ne reste pas de traces matérielles d’une cité baroque créée au début du XVIIIesiècle pour tenter de gommer l’aspect oriental antérieur de Belgrade, nous pouvons admettre que le plan autrichien ambitieux était en partie réalisé. De 1717 à 1739 Belgrade eut probablement le style de vie d’une ville européenne de cette époque que les habitants allemands récemment installés ont apporté avec eux12. Nous pouvons avoir une idée de l’aspect des rues commerçantes et des bâtisses baroques à partir d’une peinture à l’eau de Félix Kanić datant de 1860, qui montrait les ruines d’un ancien palais du Commandant, le palais du prince Eugène, Princ-hane ou Pirinčane, comme les Turcs avaient coutume de l’appeler13. On a aussi du matériel d’archives et une ancienne peinture datant de 1866 d’un groupe de maisons en partie démolies dans l’actuelle rue Dušanova, qui confirment que dans la principale rue commerçante dans

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l’ancienne partie allemande il y avait beaucoup de constructions à un étage avec des boutiques au rez-de-chaussée et avec des façades baroques simples. Le seul témoignage sur l’aspect des maisons baroques de Belgrade de l’époque est le bâtiment préservé au 10 de la rue Dušanova14(fig.6).

Fig. 6

a) Ruines du Palais - peinture de F. Kanitz de la fn du XIXesiècle b) Longue Rue à la fn du XIXesiècle

21 Même s’il est possible que le plan et les dessins de Spar ne représentent pas le véritable domaine de la reconstruction baroque de Belgrade, nous pouvons admettre que jusqu’au nouveau conflit militaire qui eut lieu de 1737 jusqu’à 1739 ce fut partiellement le cas surtout autour de la Duga čaršija (aujourd’hui rue Dušanova) et de la Gornja čaršija (aujourd’hui rue Vasina). Un grand changement dans la morphologie rectangulaire de la ville orientale fut opéré par la création d’un réseau de rues orthogonales avec des blocs rectangulaires réguliers dans la partie centrale de la ville dans la zone du Grand Cimetière musulman (entre les rues actuelles Kurz Mihailova et Vasina). Cette intervention rendit possible la connexion entre des parties antérieurement séparées de la ville sur les pentes de la Save et du Danube, et représente le début de la reconstruction moderne de la cité. La reconstruction autrichienne a posé les fondations de la transformation moderne de la ville orientale, qui ne fut pas poursuivie jusqu’à 1867, lorsque les Turcs laissèrent définitivement la Serbie. Donc nous pouvons considérer la période 1717-1739 comme un temps qui ramena la Serbie et Belgrade sur la voie de l’architecture et de l’urbanisme européens. C’était le début de la future métamorphose moderne de la ville, qui se produira à la fin du XIXesiècle.

Développement de la ville et création d’espaces publics après 1739

22 La signature de la paix en 1739 ramena Belgrade sous l’autorité turque et elle fut de nouveau sur la frontière de deux Empires. Les Autrichiens furent contraints d’éventrer les remparts récemment construits, tandis que de nouveaux bâtiments seraient laissés intacts. De nombreux habitants chrétiens, catholiques et orthodoxes quittèrent encore la ville. L’agrément d’une nouvelle guerre et le déclin de l’Empire ottoman arrêtèrent un développement ultérieur de la ville de Belgrade qui, pour le monde musulman, perdit son ancienne importance. La ville avait d’abord une fonction militaire, c’est pourquoi les Turcs portèrent attention aux remparts autrichiens autour de la ville. Ils nettoyèrent le fossé, nommé Šanac et construisirent de nouveaux remparts en terre avec des palissades et des plateformes en terre pour les canons, tabias. Deux portes de la ville construites en pierres de l’époque autrichienne furent restaurées : la porte de

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Varoš (ancienne Šabačka) et la porte d’Istanbul (ancienne Wurtemberg). La ville civile stagnait. Seulement quelques bâtiments publics turcs étaient réparés, des mosquées, des hans et des bains turcs au service d’une population musulmane très pauvre et de marchands étrangers. La vie reprit en partie dans une Rue Basse turque raccourcie (elle resta seulement dans la zone actuelle de la rue Kralja Petra et de la rue Tadenša Košćuška). Des voyageurs écrivent des notes sur des espaces publics comme Bitpazar (pour la vente d’objets anciens), Arnaut-Pazar et Arasta (pour la vente des chaussures). Le marché au poisson était aussi un lieu actif. Une nouvelle rue commerçante chrétienne se forma dans le quartier de l’église serbe (dans la rue actuelle Kralja Petra)15. Bien que les Autrichiens aient laissé en état des bâtiments qu’ils avaient construits, les Turcs n’en avaient nul besoin. Donc, des bâtiments ou la partie supérieure de ceux-ci furent démolis. La ville fut victime d’incendies, d’inondations et de conflits de l’armée turque, ce qui explique pourquoi des écrivains voyageurs, qui passèrent par Belgrade dans la seconde moitié du XVIIIe siècle l’ont décrite comme une ville à l’abandon. Ce qui attira leur attention furent les restes des demeures monumentales construites en pierres, orientales du XVIe et du XVIIe siècle ou baroques du début du XVIIIe siècle.

23 À la fin du XVIIIe siècle il y eut une autre guerre que les Autrichiens menèrent contre les Turcs. En octobre 1789 l’armée autrichienne sous le commandement du Feld- maréchal Gédéon Landon se prépara à conquérir la ville, ce qui causa à celle-ci des dommages considérables, à la suite d’un lourd bombardement (fig.7).

Fig. 7 : Plan de Belgrade de Brusch de 1789

24 Le plan de Brush daté de 178916 offre des données précieuses sur les conditions de la ville et sa structure urbaine. Les 15 mosquées marquées sur le plan attestent que Belgrade était encore une ville orientale avec une population musulmane prédominante17. Les changements effectués durant la reconstruction autrichienne se

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voient clairement dans le réseau des rues tel qu’il est présenté, de même que la démolition des remparts extérieurs et l’aménagement de Šanac qui suivit. La principale voie de communication était la Vidinska ulica (Vidiner Gassen), une rue exceptionnellement longue et étroite qui succéda à la voie de l’ancienne Longue Rue turque (aujourd’hui rue Dušanova), qui coupait la zone danubienne. Avec des rues orthogonales, elle représentait un résultat de la régulation effectuée dans la partie allemande de la ville. Une régulation aussi conséquente était probablement due à l’aire relativement plate de la rive du Danube, où fut pratiquée une construction très intense de maisons neuves pour la population allemande. Une autre voie de communication importante était la Stein Gassen (aujourd’hui rue Kralja Petra), qui reliait la Vidiner Gassen à la zone de la Save de la ville. Les noms de certaines rues peuvent nous faire comprendre quelles étaient leurs fonctions essentielles : Caffe Grassen, Alte Post Gassen, Apotheker Gassen et Arme Gassen. Il y avait aussi une très longue Juden Gassen qui confirme que les Juifs continuaient à vivre dans la partie proche du Danube. La plus grande partie de la ville possédait un réseau de rues et de blocs de formes irrégulières, surtout dans la partie située entre la porte de Constantinople et la porte de Vidin, où des rues diagonales, qui escaladaient l’escarpement du Danube, dominaient la pente. 25 Dans la partie centrale de la ville dominait une place approximativement rectangulaire, la Veliki trg ou Grossen Platz, qui se trouvait à l’emplacement d’un ancien cimetière turc (aujourd’hui il y a une place, la Studenski trg). Ce fut probablement un autre résultat de la précédente reconstruction autrichienne. A partir de cette place vers l’entrée de la ville par la porte de Constantinople (Constantinople Thor), se trouvait une partie importante de la ville commerçante, le long de laquelle, sur les deux côtés, se trouvaient des rangs de maisons et d’arcades. Près de là au sud-ouest de la ville vers la Save, se trouvait une autre place plus petite (Kleiner Platz) (à peu près au milieu aujourd’hui de la rue Knez Mihailova). Sur le côté sud-ouest il y avait de grands bâtiments et nous pouvons en déduire que cette place avait aussi quelque fonction publique importante. La zone de la Save avait conservé son réseau de rues et de blocs exceptionnellement irréguliers. La seule rue longue et droite était la Bischofs Gassen, qui reliait la Veliki trg et la Ratzisher Kirch Platz, la place située en face de l’église serbe. La dernière place confirme la continuité de l’existence du centre spirituel serbe avec une église, qui était entourée des maisons des membres de la population orthodoxe. Le long de la Bishofs Gassen se trouvaient encore des bâtiments avec des arcades, qui appartenaient à la Srpska čaršija, la principale rue commerçante de la zone de la Save de la ville, qui était le foyer de la vie publique des Chrétiens. Probablement il y avait aussi de grands bâtiments à fonction publique ou commerciale (deux bâtiments aux dimensions exceptionnellement grandes étaient représentés sur le plan). Dans la Juden Gassen, près du Danube, il y avait aussi un grand complexe de bâtiments, formant une cour intérieure avec à l’intérieur de celle-ci un grand bâtiment, qui pouvait être une synagogue. 26 La structure de la ville et les conditions de ses espaces publics à la fin du XVIIIe siècle montrent qu’il n’y avait pas eu de changements significatifs depuis le temps de la reconstruction autrichienne et que des éléments urbains furent construits à l’intérieur d’une structure contemporaine de Belgrade. On pouvait les reconnaître dans les orientations des principales voies de communications de la ville et les lieux le plus importants de la ville où se concentre la vie sociale, culturelle et économique, la rue Vasina (Constantinopoltorer Gassen), la rue Dušanova (Vidiner Gassen, la rue Kralja Petra (Bishofs Gassen) et la Studenski trg, la Place des Etudiants (Grosser Platz).

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L’aspect des bâtiments de la ville, qui étaient construits à la manière des villes d’Europe Centrale peut être observé dans l’exemple d’une maison à un étage au 18 de la rue Gračanička.

Transformation de Belgrade après la restauration de la principauté au commencement du XIXe siècle

27 Après son retour à Belgrade en 1791, la population musulmane n’avait pas d’intérêt à se développer davantage ni à construire à cause de l’instabilité de la situation politique et sociale. À partir des mémoires et des ouvrages écrits laissés par les auteurs de récits des voyages de l’époque, on a l’impression que la ville de Belgrade était abandonnée et à moitié ruinée, car la population, qui était revenue, était pour la plus grande part pauvre et répara seulement partiellement les vieilles maisons, juste pour y avoir des conditions de vie essentielles. Quelques mosquées furent également restaurées ; en 1801 il y en avait 11.

28 D’importants changements politiques et sociaux se produisirent durant la première insurrection serbe en 1804, lorsque Karadjordje restaura l’État serbe ; Belgrade fut sa capitale depuis l’entrée des rebelles dans la ville en 1806 et jusqu’en 1813. Les premières institutions administratives, législatives, scolaires et sociales furent fixées, mais, comme il manquait le temps et les moyens pour ériger de nouveaux bâtiments, elles furent installées dans de grandes maisons turques réparées. C’est ainsi que l’institution la plus élevée pour l’éducation et la culture de l’époque en Serbie, le Lyceum, fut installée dans l’une d’elles, dans l’aire danubienne de la ville18. L’organe le plus élevé de l’autorité, le Sovjet (l’Assemblée), tint aussi ses séances dans une grande maison turque près de la Grande Porte d’Istanbul. Outre les Serbes, les habitants de Belgrade étaient aussi membres d’autres nations : des Grecs, des Tzintzars et des Juifs. Ils avaient revigoré le commerce et l’artisanat dans la Glavna Čaršija (Rue Principale) qui était proche de l’église. Cependant, la situation politique et économique difficile fit obstacle à un aménagement de la ville qui resta abandonnée et à demi démolie19. 29 Après la seconde insurrection serbe (après 1815), durant la deuxième et la troisième décade du XIXe siècle, un nouveau chef serbe, le prince Miloš Obrenović commença à développer les institutions administratives et scolaires dans l’atmosphère de liberté et de pouvoir limités, qui était inhérente à la principauté restaurée. Comme l’armée turque était encore concentrée dans la forteresse et gardait quatre portes de la ville, le prince déplaça sa capitale à Kragujevac. La population musulmane retourna dans ses maisons de Belgrade, surtout sur la pente du Danube et dans la partie centrale de la ville. Ils restaurèrent 12 mosquées et s’opposèrent à de nouvelles constructions à l’intérieur de la ville. L’auteur de récits de voyages Otto Dubislav Pirch écrivit en 1829 : « La vieille ville de Belgrade a été brûlée et elle est démolie à tel point que l’on peut en discerner seulement les vestiges des vieux bâtiments en pierres20. 30 Comme les Musulmans ne pouvaient pas retrouver leur ancienne domination et leur pouvoir économique, la situation dans la région du Danube se détériora parce que le commerce dans la Rue Longue (Duga Čaršija) stagna et le centre ville se déplaça dans une autre rue à Zérek et autour de l’église serbe (en direction de l’actuelle rue Kralja Petra). Sur l’espace de la Veliki trg (Grande Place) il y avait un marché. Les habitants serbes commencèrent à construire de nouvelles maisons dans l’espace entourant la

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porte de Varoš (Varoš kapija) restaurant et renouvelant de cette manière leur centre administratif, spirituel, social et économique, qui, selon Boislecomte, « grandissait chaque jour en une nouvelle ville chrétienne, qui était nettoyée et plus joliment construite ». Du côté opposé à l’église, le prince Miloš a construit le Gospodarski konak (Le palais du Maître) et a rénové le Palais du Métropolite21. D’honorables marchands ont construit leurs nouvelles maisons dans la Rue Serbe (Srpska Čaršija) à la manière turque, car elles étaient bâties par des maçons venus du sud des Balkans. Par suite des prix élevés des biens dans la ville, on trouvait l’emplacement pour de nouvelles constructions dans les zones situées hors du fossé (Šanac), surtout la Savska varoš (la ville de la Save), qui s’étendait autour du port de la Save et dans ses environs et dans l’espace voisin de la Porte d’Istanbul, le Terazije22 (fig. 8a, 8b).

Fig. 8

a) Partie serbe de la ville au milieu du XIXe siècle b) maisons turques sur Dorćol, la rue juive

31 Une grande prospérité de la ville devint possible après 1830 et 1833, quand la population serbe acquit certains privilèges comme une plus grande indépendance politique, l’héritage du titre de prince et d’autres. Bien que Belgrade ne fût pas encore une capitale, des fonctions administratives et des fonctions d’Etat s’y développaient, et la vie économique s’y renforçait. Tout ceci poussait une grande quantité de population serbe et autre chrétienne à habiter la ville en permanence23. La structure de la communauté a changé de façon importante apportant de grandes modifications à la vie publique de la ville. Les citoyens autrichiens instruits d’origine serbe venaient de Vojvodine pour aider le prince à installer des institutions gouvernementales, scolaires et culturelles ; ils apportaient avec eux un nouveau style de vie européen, des habitudes culturelles modernes, un nouvel habillement et un nouveau code de vie publique. Il y avait un grand enthousiasme national et, dans toutes les sphères d’activités sociales et

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publiques, l’intention d’effacer toute trace du vieux contrôle turc. De nouvelles institutions administratives et scolaires furent concentrées dans un ancien centre spirituel près de la Porte de Varoš. Dans le voisinage de la résidence du prince, de l’église et du palais du métropolite, se trouvaient un séminaire, une imprimerie, lieu de lecture de Belgrade, une école, tandis que la construction d’une école supérieure et d’un Lyceum était programmée. Ceci fit de cette partie de la ville le foyer de la vie culturelle de ses citoyens. L’importance de cette partie de la ville pour la population serbe fut accentuée par l’érection de la nouvelle église de la Saborna (cathédrale), qui fut construite de 1837 à 1841 sur le lieu d’une vieille église antérieure d’après les plans d’entrepreneurs venus de Vojvodine. L’église était construite à la manière de l’architecture classique avec un haut beffroi baroque. Le premier hôtel et la première taverne de Belgrade, Kod Jelena (Au Cerf), dont le propriétaire était le jeune prince Mihailo, furent construits en 1841 dans la principale rue commerçante. Des voyageurs étrangers ont signalé que les dimensions et le luxe de ce bâtiment étaient du même niveau que ceux de l’Europe civilisée24. C’était le premier bâtiment à deux étages de Belgrade après la Caserne de Wurtemberg. Outre la taverne, le restaurant, les appartements à louer et les boutiques, ce bâtiment possédait aussi une grande galerie qui accueillait des pièces de théâtre, des bals et des concerts. C’était la première construction moderne à des fins multiples dans la capitale serbe, qui montrait que, à la place de l’ancien style de vie oriental et de son architecture, l’État serbe et ses citoyens adoptaient, pour les espaces publics, les nouveaux standards modernes européens.

32 Un autre bâtiment public important exprima la totale indépendance politique de la principauté et sa tendance à se tourner vers l’environnement européen, l’Office des Douanes, Djumrukana, construit en 1814 en dehors du fossé, en face du port dans la ville de la Save. Il y avait dans son voisinage un quartier commerçant vivant avec des maisons neuves où étaient installés des consulats étrangers, des hôtels de boutiques et des magasins. De premiers efforts furent effectués dans la Principauté pour fonder un théâtre permanent, et la première pièce de théâtre fut représentée en 1841 au Teatar na Djumruku (Théâtre du Djumruk)25. 33 Bien qu’il ait développé et bâti le centre serbe à proximité de la Porte de Varoš, à cause de la présence de l’armée turque dans la forteresse et de la menace de bombardements turcs à partir de la forteresse, le prince Miloš décida de mettre en route la construction d’une nouvelle Belgrade hors du fossé sur les pentes légèrement accidentées et ensoleillées du Vračar occidental et dans la zone de . Une nouvelle partie de la ville manifesta ses actions pour établir et organiser de nouvelles villes en Serbie avec les principes de l’urbanisme européen et les schémas classiques orthogonaux et radiaux26. Sur sa demande, un ingénieur vint d’Autriche pour ajuster deux nouvelles rues, la rue Abadžijska et la rue Savamalska, en sorte que le nouveau centre administratif puisse être relié à un ancien centre spirituel, celui qui était près de la Porte Varoš. Le but était de construire de nouvelles rangées de maisons avec des boutiques de marchands et d’artisans le long de nouvelles rues et d’y transférer tous les habitants chrétiens de l’ancienne ville de l’intérieur et aussi de la ville commerçante serbe. En 1835-1836 dans le voisinage des nouvelles rues commerciales, le long de la route de Topčider, furent commencées les constructions du Sovjet (Assemblée), du Droz (palais) et de la Caserne, créant ainsi un nouveau centre administratif avec les plus importantes institutions de la Principauté restaurée. Avant la fin de la quatrième décade du siècle, la systématisation de deux rues orthogonales (aujourd’hui la rue Kneza Miloša et la rue

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Nemanjina, et aussi des rues parallèles et orthogonales de rang inférieur, créèrent une aire sur laquelle ont été installées les institutions gouvernementales, administratives et militaires et elles y sont encore. Ceci a conduit à la décentralisation et à la différenciation des espaces publics de Belgrade à cette époque, de même qu’à la création de deux pôles, l’un spirituel dans la Vieille Ville, l’autre administratif à Savamala. 34 D’autre part, la population serbe indigente s’était fixée spontanément sur un terrain marécageux devant la Porte d’Istanbul, vers , où, à la requête du Prince, une nouvelle rue commerçante, la Fišegdžijska čaršija était fixée, pour déplacer les marchands de poudre de la vieille ville et écarter la menace de possibles incendies. Dans un village de Palilula, près de la Porte de Vidin, furent construits une autre caserne et un hôpital militaire en 1837. 35 D’importants changements politiques et sociaux initiés durant le premier gouvernement du prince Miloš, furent continués par son fils, le prince Mihailo Obrenović pendant son bref règne en Serbie. En 1841, il déclara que Belgrade était capitale de la principauté de Serbie. 36 La capitale serbe continua à se transformer après le changement de dynastie, lorsque le prince Alexandre Ier Karadjordjević eut le gouvernement, mais avec une moindre extension que précédemment. Un progrès économique graduel du pays et sa consolidation financière permirent une nouvelle prospérité de la société, une modernisation des soins de santé, de l’éducation, de la science et de la culture. Il y avait encore une grande affluence d’habitants chrétiens dans la ville, tandis que la population musulmane était chassée et laissait ses maisons aux Serbes27. Les travaux publics étaient entrepris dans la ville pour fournir des services publics, le pavement des rues en pierres et la plantation de rangées d’arbres. Le premier parc de forme libre fut organisé à Belgrade dans le Vračar occidental (aujourd’hui Karadjordjev park) autour du monument dédié à ceux qui ont combattu dans la première insurrection serbe. Ainsi, une partie nouvelle de la capitale serbe se distingua de l’ancienne et les habitants de Vračar occidental eurent un nouveau lieu public. Les voyageurs étrangers qui ont visité Belgrade ont vu la différence entre la partie neuve de la ville et l’ancienne avec ses rues confortables, planes et larges, entourées de bâtiments maçonnés en briques, tout en montrant que les autres parties ont bel et bien perdu leur aspect oriental turc. Ils ont trouvé que la rue Terazije était la plus jolie rue, avec son palais et son parc anglais à son extrémité, celui que l’on nomme le Stari konak (le Vieux Palais) dans lequel se trouvait la résidence du prince28. Il dominait en ce lieu et était un début du futur complexe de la cour. Avec son luxueux intérieur, où une partie du hall était de manière orientale, quand le reste était à l’européenne, la résidence montrait que dans la vie publique et privée serbe, il y avait un lien spécifique entre l’Est et l’Ouest. 37 Les impressions sur la ville laissées par les voyageurs confirment que, durant les années quarante et cinquante du XIXesiècle, Belgrade a revêtu les caractéristiques d’une ville moderne européenne, mais ce résultat a été partiel, seulement dans les principales rues de la partie centrale de la ville, Terazije et dans les nouveaux quartiers de Vračar ouest, tandis que la partie ancienne de la ville sur la pente du Danube resta inchangée avec son réseau de rues tortueuses et ses maisons turques délabrées. La construction de nouveaux bâtiments étatiques et publics enrichit certaines parties de la ville qui étaient importantes dans le passé. En outre, dans le centre près de l’église de Saborna de nouveaux bâtiments du palais du métropolite et un séminaire furent construits, tandis

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que sur le Grand Marché on trouvait le Hall de la ville et un hôtel, la Couronne Serbe (Srbska Kruna), propriété du prince de l’époque. L’hôtel joua un rôle important dans la vie publique et culturelle de la ville, depuis qu’il logea pendant quelque temps le consulat de France, mais il était aussi utilisé pour des représentations théâtrales, des concerts et des bals. Il y avait encore un nouvel hôtel, le Kasina, luxueusement équipé, qui était construit sur Terazije, qui témoigne de la présence croissante des voyageurs étrangers dans la ville et de la nécessité d’enrichir sa vie sociale avec de nouvelles fonctions qui visaient le divertissement29. 38 Vers la fin de 1850, la dynastie Obrenović revient au gouvernement en Serbie. Le prince Miloš et, deux années plus tard, son fils Mihailo, mettent tous leurs efforts à préparer une guerre contre les Turcs et libérer les parties sud de la Serbie. Des relations instables entre les autorités turques et serbes, de même que les conflits entre habitants turcs et serbes à Belgrade n’occasionnèrent aucun changement important dans la vieille ville. Le bombardement de Varoš à partir de la forteresse en 1862 a ruiné encore plus son aspect30. 39 La situation à Belgrade au début de 1860 a été décrite par des auteurs de voyages qui ont montré que, à la suite de la situation générale, et malgré les quelques changements survenus, la vieille ville avait encore un aspect négligé, surtout la partie danubienne, où vivaient les Musulmans. En 1866, Gustave Rasch a noté que deux ou trois rues seulement dans la ville avaient des pavements de pierres et il était étonné par l’espace chaotique d’une vaste place face au nouveau bâtiment de l’université. Face à ce palais monumental, il vit « le chaos d’une ville turque avec ses rues étroites et cahoteuses et ses maisons sales couvertes de boue »31. Une preuve du fait que la zone de Velika pijaca n’était pas normalisée se trouve aussi dans un dessin de Félix Kanitz, qui montrait une place et une rangée de maisons superbes d’architecture occidentale, qui partait du bâtiment de la Velika škola (l’École Supérieure) 32. Dans un nouveau bâtiment de l’École Supérieure, qui portait aussi le nom de Kapetan Mišino zdonje d’après son propriétaire, le capitaine Miša Anastasijević, qui a donné ce bâtiment en cadeau au peuple serbe à fin éducative, se trouvaient toutes les institutions culturelles, scolaires et scientifiques de l’époque, l’École Supérieure, le Gymnase, Realka, l’école secondaire, le Musée National et la Bibliothèque Nationale, le Ministère de l’Education et du Culte, etc. Construit sur un plan de l’architecte tchèque Jan Nevole, ce nouveau bâtiment n’était pas remarquable seulement par sa riche architecture romantique, mais aussi par sa hauteur, puisqu’il était le second bâtiment à deux étages de la capitale. Avec ses gracieuses maisons du voisinage, faites à la manière classique et romantique, elles montraient que la capitale serbe avait complètement rejeté son passé oriental et rejoint le cours de développement général des pays européens environnants. De nombreux experts, surtout des ingénieurs et des architectes, des serbes de Vojvodine, des Tchèques, des Slovaques, des Allemands et d’autres vinrent pour encourager la renaissance de l’État serbe. 40 Le centre commercial de Terazije et le centre administratif de Samovola étaient aussi enrichi par de nouvelles fonctions publiques. En ce sens, dans le voisinage de la résidence du prince, Stari konak, la nouvelle cour pour l’héritier au trône Mihailo, fut construite en 1860, et l’église de Vaznesenska pour la garnison de Belgrade au début de la rue Abadžijska en 1863. La ville eut aussi son premier hôpital civil, le Varoška bolnica en 1865 à Palilula. Il y avait aussi de nouveaux hôtels sur lesquels les voyageurs étrangers avaient une opinion positive, surtout pour ceux qui étaient sur Terazije,

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comme l’hôtel Balkan (construit vers 1869) et l’hôtel Paris (construit en 1866) (fig. 9a, 9b).

Fig. 9

a) Le Grand Marché au milieu du XIXe siècle b) Université et maisons nobles sur le Grand Marché

Création d’un nouvel aspect « occidental » de Belgrade de 1867 à 1882

41 Bien qu’au milieu du XIXe siècle, Belgrade fût sur une grande surface transformée et systématisée, des circonstances favorables à une transformation globale se présentèrent après le dernier départ des habitants turcs et une remise symbolique des clefs de la ville en 1867. Ensuite, les plans ambitieux du prince Milhailo Obrenović pour donner un visage européen à Belgrade auraient pu être menés à bien. L’État serbe a racheté la majorité des domaines turcs, et les plans pour une reconstruction plus radicale de la partie ancienne de la ville ont pu être mis en chantier. La grande zone libre avait pu être réalisée en déplaçant les remparts de terre et les portes et en nettoyant la zone qui entourait le fossé (Šanac). De cette façon les parties les plus anciennes de la ville avaient pu être reliées à ses parties périphériques, Terazije, Samala, Vračar ouest et Palilula. Les idées d’Emilijan Josimović, professeur à l’École Supérieure, ont eu une grande importance pour faire admettre d’être vigilant sur les changements nécessaires ; elles étaient présentées dans son projet pour la systématisation, qui incluait toutes les explications et un plan lithographique33. Avant de faire son projet pour la systématisation, de 1864 à 1867, Josimović fit un aperçu géodésique, qui contenait toutes les voies de communication, les lots de terrains et les dimensions des maisons construites en matériaux solides34. Les voies de communication représentées

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sur ce plan ressemblent à une grande extension de celles du plan de Brusch à la fin du XVIIIe siècle, qui confirme que la vieille ville à l’intérieur du fossé n’était pas transformée dans des proportions importantes. On y distinguait clairement trois rues principales, le Rue Haute, le Rue Basse ou Longue (en direction sud-est sud-ouest) et la Rue Serbe (en direction nord-est nord-ouest), que Brusch prit comme base pour la future systématisation. Les problèmes de fond notés par Josimović dans la ville étaient le manque d’espaces publics (marchés, promenades, parcs) et leur disposition peu convenable. Il n’y avait qu’un marché dans la ville, les rues étaient étroites, tortueuses et d’inégale longueur avec un mauvais pavement en pierres ou pas de pavement du tout ; il y avait aussi pénurie d’eau de boisson, d’illumination et de réseaux d’égouts, etc.35 (fig.10).

Fig. 10

a) aperçu topographique de la ville dans la tranchée fait par E. Josimović en 1867-1868 b) Projet pour la reconstruction de la ville par E. Josimović en 1868

42 Dans son projet de systématisation, Josimović a essayé de résoudre les problèmes signalés dans la ville et rendre celle-ci plus belle et plus confortable à vivre. En préservant une majorité de maisons importantes et solidement construites, il essaya avec un minimum de démolition et un minimum de modification des routes déjà faites, d’obtenir un réseau de rues approximativement orthogonales et de blocs réguliers pour une zone uniforme. Une des plus importantes contributions de son projet de couper l’actuelle rue Knez Mihailova, qui reliait directement les zones proches de l’église Saborna avec les nouvelles parties de Terazije. En se fondant sur les principes de transformation et d’aménagement des autres capitales de cette époque, surtout Vienne et Budapest, il proposa d’aménager l’espace autour du fossé, qui devait être nivelé et utilisé pour la construction d’un anneau monumental, une voie de communication entourant la ville comme un boulevard avec des rangées d’arbres et de zones praticables aux piétons. Le nouveau boulevard créa une bonne communication entre toutes les parties de la ville et relia les anciennes et les nouvelles parties de la ville,

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mais on conserva aussi ainsi un morceau de la vieille tranchée, comme témoin historique du passé. Pour la zone de l’ancienne Porte d’Istanbul, Josimović proposa d’y élever un théâtre et d’y aménager une place. Dans la zone où se trouvaient les plateformes en terre destinées aux canons, il programma d’y planter des plantes vertes, pour combler le manque de zones vertes dans la ville. Pour la même raison il proposa de réaménager l’ancien Grand Marché en parc de représentation face à l’Ecole Supérieure, d’aménager en parc la forteresse de Belgrade et le champ de la ville (Kalemegdan) pour le loisir et la récréation, de construire un quai avec un boulevard et des rangées d’arbres le long de la Save et du Danube, d’aménager un jardin botanique près du Danube. Telles étaient les mesures qui auraient amélioré la qualité de la vie dans la ville. Une contribution à une vie plus confortable eût été l’aménagement de trois nouveaux marchés à la place de l’ancien, de façon à ce qu’ils soient plus accessibles pour les résidents. Pour créer une meilleure communication entre les parties Save et Danube de la ville, Josimović proposa la construction d’un tunnel à travers la barrière de Belgrade.

43 Le projet de Josimović était visionnaire et complet, avec de nombreux éléments qui étaient sensés améliorer le trafic, la verdure, les espaces publics de la ville et la vie de ses habitants, ce qui aurait rapproché Belgrade des villes européennes plus développées, comme Vienne et Budapest, mais ce plan ne fut pas officiellement accepté comme un document de l’Etat. Une ultérieure systématisation de la ville fut en partie effectuée dans quelques parties de la ville mais sans base légale appropriée. Les propriétaires de domaines et de bâtiments étaient fermement opposés à tout changement. La chance perdue d’une systématisation globale est même visible aujourd’hui dans une structure urbaine de la partie la plus ancienne de Belgrade. Ce qui fut réalisé du projet de Josimović fut un aménagement partiel de la nouvelle rue Knez Mihailova, un arrangement de la Grande Place, un début de l’ancien marché, un aménagement de la pente du Danube, et aussi l’érection du bâtiment représentatif du théâtre en 1869, près de l’ancienne entrée principale de la ville. Le théâtre a été construit sur le plan d’un architecte Aleksandar Bugarski qui vint à dessein de Budapest. Sur une place face au bâtiment fut placé un monument représentant le prince Mihailo, œuvre du sculpteur italien Enrico Pazzi. C’est ainsi que fut créé et aménagé l’un des plus beaux et des plus fréquentés espaces publics de la ville actuelle. A la fin des années soixante du XIXe siècle furent construits trois hôtels importants, Londres qui était au bout de Terazije, le nouvel hôtel Srpska kruna (la couronne serbe) et le Srpski kralj (le roi serbe) de l’autre côté du parc Kalemegdan, ce qui enrichit encore la vie sociale de la ville36. 44 Les plus anciennes photographies des espaces publics les plus importants de Belgrade, qui furent exécutées en 1876 par le photographe russe I.V. Groman, montrent les changements qui se sont produits dans la zone centrale de la vieille ville autour du Grand Marché et sur les pentes du Danube, où un réseau de rues orthogonales fut aménagé et des blocs réguliers furent bâtis. Les principaux espaces de la ville étaient la nouvelle rue Knez Mihailova construite rapidement avec de nouvelles maisons de commerce et leurs boutiques au rez-de-chaussée, et Terazije avec une fontaine et l’hôtel Balkan37 (fig.11).

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Fig. 11 : Photographies de Belgrade de Groman en 1876

a) Delijska Česma dans l’actuelle rue Knez Mihajlova b) Terazije avec rue et fontaine

45 Un plan conservé de cette période, le premier à consigner les conditions d’ensemble du territoire de la ville, a montré que la transformation de la ville n’a pas fait beaucoup de progrès. La zone proche du côté Save de la ville, à la Porte Varoš, à Topličin et à Obilićev venac (Croissant) a gardé sa structure de rues irrégulières, organique, qui est encore préservée aujourd’hui dans certaines parties, et a conservé ses valeurs traditionnelles ambiantes. A côté de Terazije, dans les parties neuves de la ville, il y avait encore d’autres espaces publics dégagés : la Place de Zeleni venac (le Croissant Vert), la Place des Bestiaux (Marveni trg), la place de Palilula et la place du Canon (Tobdžijski trg) 38 (fig. 12).

Fig. 12 : Plan de Belgrade fait par Bešlić en 1893

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Belgrade, capitale du Royaume de Serbie à la fin du XIXe et au début du XXe siècle

46 Bien que la courte guerre serbo-turque de 1876-1878 eût apporté la stagnation dans le développement de la Serbie, après que celle-ci eut acquis une indépendance politique complète et eut été proclamée royaume en 1882, des liens avec l’Europe plus forts se formèrent surtout avec l’Autriche et une capitale étrangère arriva dans le pays. Ce qui rendit possible le début d’une production industrielle et le royaume nouvellement établi atteignit une croissance économique constante. Ce résultat fut obtenu grâce à la construction de la voie ferrée de la frontière autrichienne jusqu’à la frontière turque. Le nombre des habitants de Belgrade était en constante augmentation. La plus grande affluence venait du sud de la Serbie, qui était encore sous domination turque, mais aussi de la Vojvodine, ce qui créait un besoin de construire de nouvelles maisons39. La vie dans les principales rues commerçantes de la ville était en plein développement40. Une grande attention était portée à la nouvelle zone verte, ainsi le nouveau parc de la ville fut aménagé dans le style anglais sur l’aire de Kalemegdan et aussi le parc Financier dans le centre administratif de Savamala, près de l’ancien Palais du Conseil d’Etat. On continua la systématisation des parties centrales et environnantes de la ville pour de nouvelles constructions. La zone marécageuse près des rives de la Save de (le Marais de Venise) fut partiellement drainée et aménagée dans le but d’ériger la gare de chemin de fer, qui devait relier la ville à l’Ouest et à l’Est. La ville devait être étendue vers Palilula et au Sud, aussi une nouvelle rue était-elle dans le plan près de la place Slavija.

47 De nombreuses places de la ville et des mentions faites par des écrivains étrangers, qui ont visité la ville dans les années 1880 et 1890 nous présentent le tableau d’une ville qui s’est transformée avec une rapidité remarquable et est devenue une ville européenne moderne. Les descriptions de la ville les plus détaillées ont été faites par Félix Kanić, qui a décrit un réseau de rues linéaires et magnifiquement pavées en pierres, équipées d’un éclairage électrique, avec de beaux bâtiments administratifs et de superbes maisons privées41. La municipalité de Belgrade entreprit de vastes travaux pour aménager la ville et rehausser le niveau d’équipement de ses services publics, si bien que, à la fin du siècle en ce qui concerne les commodités accordées par le service public, Belgrade atteignit le niveau de nombreuses villes européennes plus importantes. Les principales rues commerçantes étaient pavées de cubes de granit, la lumière électrique était fournie, tout comme le premier système de transports publics42. 48 Depuis la proclamation du royaume les plus beaux palais publics de l’architecture académique monumentale furent édifiés : le Kraljev dvor (le Palais du Roi) en 1881-1884, qui comprenait le complexe de la cour, le Ministartsvo pravde (le Ministère de la Justice) sur la Terazije en 1882-1883, la Narodna banka (la Banque Nationale) dans la rue Dubrovačka en 1888-1889, le Državni Savjet (le Conseil d’État) et le Glavna kontrola (le Contrôle Principal) en 1889, tous les deux dans le centre administratif de Savamala. La construction de ces espaces publics eut un caractère plus monumental (fig.13).

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Fig. 13 : Belgrade à la fin du XIXe siècle

a) le Grand Marché b) Rue Kralja Milana c) Terazije d) Zeleni venac

49 Au début du XXe siècle, la tendance de Belgrade à construire et à s’étendre se poursuivit. Dans les rues commerçantes du centre ville furent construits des bâtiments nouveaux à deux et trois étages. Il s’agissait de palais résidentiels, de banques et de compagnies d’assurances, dans lesquels les parties administratives se trouvaient au rez- de-chaussée ou dans les mezzanines, tandis que les étages étaient occupés par des appartements à louer43. Grâce à un emprunt financier la municipalité de Belgrade en 1910 fut en mesure de créer l’Administration Technique, qui devait programmer et réaliser les plans de développement et la reconstruction de certaines parties de la ville. Un jeune ingénieur de Paris, Edouard Léger, fut nommé directeur de cette Administration. Toutefois les architectes et les ingénieurs de Belgrade ne furent pas satisfaits du travail de l’Administration à cause des solutions partielles adoptées pour la reconstruction du centre de la ville. Ils réclamèrent donc la création d’un Plan Directeur de la ville de Belgrade, qui respectât l’héritage structurel urbain et l’ambiance ancienne de la ville. Néanmoins, le Plan Directeur de Belgrade, qui fut fait par un architecte français Alban Chambond en 1908, ne fut pas accepté totalement par les professionnels. Il proposa la formation de onze ensembles monumentaux avec des bâtiments publics représentatifs, qui rapprocheraient Belgrade des grandes capitales européennes et contribueraient à l’apparence plus représentative et plus monumentale des espaces publics. Ils étaient interconnectés avec de larges boulevards qui, dans l’esprit de l’académique planificateur français de la ville, formaient à leurs croisements des places en forme de tridents et étoiles44 (fig. 14).

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Fig. 14 : Plan de Belgrade de Chambond de 1908

50 Durant les décades qui ont précédé la Première Guerre Mondiale, certains espaces publics ont été enrichis par des bâtiments de grande valeur. En 1903, sur la Place du Théâtre (Pozorišni trg), située dans la zone de l’ancienne entrée principales dans la ville turque, fut élevé le bâtiment monumental de l’Uprava fondova (Office Central des Fonds) au lieu de la taverne Dardaneli (Dardanelles), ancien point de rencontre de beaucoup d’écrivains, poètes et acteurs fameux, qui avaient coutume de venir dans cet endroit proche du Théâtre. L’hôtel Moskva (Moscou) fut construit sur la Terazije en 1906-1907 ; il comprenait les bureaux de la société d’assurances Russi-Foncier. Son architecture sécession avec sa façade Jolmay verte donna un caractère complètement moderne à ce vieux centre commercial de la ville. La construction de la Narodna skupština Kraljevine Srbije (Assemblée Nationale du Royaume de Serbie) commença en 1907 sur l’aire de la Place des Bestiaux, mais ce bâtiment ne fut achevé qu’après la fin de la guerre. Sur la Save quelques actions commencèrent : l’aménagement du Mali pijac (le Petit Marché), de même que de la place en face de la Beogradska zadruga (l’Union de Belgrade) en 1905-1907 et la construction du représentatif Hôtel Bristol en 1910-1912 (fig. 15).

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Fig. 15 : Terazije au début du XXe siècle

a) Vue vers le complexe de la Cour b) Vue d’une direction de la rue Knez Mihailova

Transformation de Belgrade en capitale du Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes nouvellement fondé dans la première moitié du XXe siècle

51 Bien que dans son développement historique au XVIIIe et au XIXe siècle Belgrade ait été surtout traitée comme une ville-frontière entre l’Est et l’Ouest avec un rôle défensif dominant, après la Première Guerre Mondiale, qui entraîna l’écroulement de l’Empire austro-hongrois, Belgrade devint la capitale d’un pays beaucoup plus grand, comprenant non seulement l’ancienne Serbie (Serbie du Sud et Macédoine) mais aussi les territoires de Vojvodine, de Bosnie, de Croatie et de Slovénie. La ville est devenue le centre administratif, économique et culturel du nouvel État, appelant son futur développement ; son aménagement représentatif et la construction de nombreux bâtiments publics gouvernementaux et sociaux.

52 On tenta de résoudre l’absence de solution spatiale générale pour le développement futur de la capitale en lançant un Concours International pour l’Exécution d’un Maître- Plan pour l’Organisation et l’Extension de Belgrade en 1921. Mais, comme le concours ne donna pas les résultats attendus, une Commission fut formée avec la tâche de fournir un projet en se servant de certaines solutions offertes ; la nouvelle solution fut publiée en 192345. Elle porta une attention spéciale à résoudre tous les problèmes de circulation. Les communications étaient clairement différentiées selon leur importance et la plupart des croisements étaient présentés sous forme de places rondes ou demi- rondes. Un rond-point, place en forme d’étoile avec un arc triomphal avait été aménagé à l’entrée orientale de la ville, à l’endroit d’un croisement d’une route avec la principale voie de communication de la ville le Bulvar kralja Aleksandra (Boulevard du Roi Alexandre), ancienne Route de Constantinople. La connexion de Belgrade avec Zemun fut réglée par la construction d’un nouveau pont comme continuation de la Brankova ulica (Rue de Branko). Un autre pont devait être construit comme continuation de la Dušanova ulica (Rue de Dušan), ancienne Basse Rue commerciale turque, et devait relier la ville au nouveau port fluvial au Veliko ratno ostrvo (la Grande île de la guerre). La construction d’un tunnel sous le rocher de Belgrade était programmée, pour permettre ainsi le fonctionnement des expéditions par la voie ferrée existant le long de la Save et du Danube et l’aménagement de cet espace en quai représentatif avec une zone piétonne ; c’était à l’origine l’idée d’Emilijan Josimović de 1867.

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53 En plus de résoudre les problèmes de circulation le Plan Directeur de 1923 avait porté son attention sur l’aménagement d’espaces publics représentatifs. À l’intérieur de la ville même, l’aménagement de 10 places fut proposé comme ensemble type de bâtiments gouvernementaux et publics. Une attention spéciale fut prêtée à un nouveau centre administratif et culturel de la ville, avec le nouveau bâtiment de la Municipalité, les nombreux Ministères, le Bureau des Postes, les bâtiments de la nouvelle Université et autres choses du même genre dans la zone du vieux Cimetière près de l’église Saint- Marc et Trkalište (Piste de Vitesse), qui se trouvaient sur la zone qui va de l’actuelle rue Takovska jusqu’à la rue Roosevelt. Cet ensemble monumental avec le bâtiment déjà existant de l’Assemblée Nationale devait devenir l’espace le plus important de la capitale avec ses composants administratifs et d’enseignement. La zone du parc près de l’ancien Manjež (le Manège) était prévue pour l’érection du bâtiment d’un Opéra, car c’était le lieu où se tenaient les représentations théâtrales dans le passé. Selon le Plan Directeur, un nouveau centre spirituel était prévu dans la zone de Vračar, avec une église monumentale dédiée à saint , et aussi le nouveau Patriarcat, car, selon une légende, c’était l’endroit où avaient été brûlées les reliques de saint Sava (fig. 16).

Fig. 16 : Maître Plan de Belgrade de 1923

54 La réalisation d’un plan aussi ambitieux pour donner un nouveau visage à la capitale, fut très lente et les solutions proposées n’ont jamais été totalement effectives. Certains postulats du plan n’ont pas été retenus ni par les institutions de l’Etat ni par la municipalité de Belgrade. Il y eut dans l’idée de lancer un nouveau concours international pour un nouveau Plan Directeur en 1939, mais elle ne fut pas réalisée à cause du commencement d’une nouvelle guerre. 55 Les changements survenus dans la capitale yougoslave s’exprimèrent pour la plupart dans le centre de la ville où, par suite des prix élevés du terrain et de la grande demande de logements, des bâtiments à plusieurs étages furent construits sur des lots relativement petits et dans des rues étroites. Avec ce type de nouveaux bâtiments, les

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valeurs historiques, architecturales et environnementales des plus anciennes parties de la ville furent abandonnées. La construction de bâtiments publics importants n’était pas non plus bien conçue, car ceux-ci étaient souvent élevés sur des sites défavorables et étaient caractérisés par des styles architecturaux prétentieux de grands volumes, qui ne s’accordaient pas avec l’ambiance historique de l’environnement. Ainsi, devinrent plus visible l’ancien programme urbain et le désaccord de l’architecture comme l’inadaptation des espaces publics les plus importants dans le centre de la ville, Terazije, la Place du Théâtre, la place face à l’Assemblée ou une autre face à l’église Saint-Marc. 56 Dans la période qui a précédé la Deuxième Guerre Mondiale de grands changements ont atteint la zone de Savska Varoš (la ville de Sava), où entre le croisement de la rue Karadjordjeva et de la rue Brankova fut construit le pont suspendu à chaînes en 1929-1932. Le lien possible de la rive gauche de la Save avec la ville et son activation comme complexe de Samjmišto (la Foire) fut bâti peu après. On pensa résolu le problème d’un meilleur agencement des principaux espaces publics, Terazije et la Place du Théâtre, en lançant des concours internationaux sur leurs concepts urbanistiques. 57 Quand on observe les caractéristiques des espaces publics importants de Belgrade au milieu du XXe siècle, on peut voir que, dans le cadre du centre étroit de la ville, les plus importants et les plus nombreux sont ceux qui ont la plus longue histoire. Le centre spirituel de la ville près de l’église de la Saborna était encore le principal centre de l’administration cléricale avec un nouveau Patriarcat (1934-1935), mais il n’avait pas d’autres fonctions publiques, qui lui auraient donné une vie sociale plus active. Une des rues commerçantes les plus importantes, la rue Dubrovačka, a commencé avec ces bâtiments, qui ont un contenu commercial le plus attirant dans la partie qui se trouve autour du croisement avec les rues Knez Mihailova et Vasina. Une autre partie de cette rue, qui était sur Dorćol avait des boutiques plus modestes et une atmosphère plus traditionnelle. Les principales affaires et les principaux commerces, les principaux restaurants de la ville se trouvaient concentrés le long du rocher de Belgrade, p. ex. du parc Kalemegdan à la place Slavija. La rue Knez Mihailova et la Terazije avaient des commerces et des affaires extrêmement représentatifs, qui étaient disposés comme ceux des plus fameuses métropoles européennes. La zone entourant l’Akademski trg (Place de l’Académie), ancien Grand Marché et Grande Place, a totalement perdu son ancien caractère commercial oriental par un aménagement de tout l’espace en parc représentatif. Son caractère scientifique et éducatif fut même encore souligné par la construction d’un nouveau bâtiment d’Université et la construction de la Kolarčev narodni univerzitet (Université populaire de Kolarać), qui commerça à la fin de l’année 1920. Avec la construction de la Trgovinska berza (la Bourse du commerce) en 1934 sur le côté nord-ouest de la place elle a eu aussi une fonction commerciale. Contrairement à l’aspect européen des rues les plus importantes dans le centre historique étroit de la ville (Kralja Petra, Knez Mihailova, Vasina et Terazije les parties périphériques de la ville à Dorćol, le long de l’ancienne rue principale commerciale turque et autour de la place Slavija, conservaient leur atmosphère orientale avec de nombreuses boutiques vendant des produits bon marché.

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Caractéristiques des espaces publics historiques aujourd’hui

58 Dans la seconde moitié du XXe siècle, les espaces publics du centre historique de la ville ont conservé dans une grande mesure leurs caractéristiques de base, définies avant la Seconde Guerre Mondiale. La matrice urbaine de base du noyau de la ville ancienne ne changea pas de façon significative à l’époque du développement socialiste qui suivit la guerre, car les interventions de la planification urbaine intensive concernèrent les parties périphériques de la ville et la rive gauche de la Save, où fut bâtie la nouvelle Belgrade, un nouveau centre politique, gouvernemental et administratif du nouveau gouvernement communiste.

59 Comme il n’y avait pas d’intervention d’ensemble sur le tissu urbain de l’ancien héritage de la ville, la matrice urbaine de la Belgrade contemporaine et le caractère de ses espaces publics conservent les traces de son développement urbain sur la longue durée, tout comme les habitudes traditionnelles d’utiliser les espaces libres. Même s’il y a eu des transformations évidentes du caractère, des contenus et de l’aspect d’espaces publics importants de Belgrade, survenues dans la seconde moitié du XXe siècle, suivies de changements dans la vie sociale et culturelle de ses habitants, leur sens profond et leur qualité d’usage demeurèrent pour l’essentiel inchangé. 60 Dorćol et l’espace qui longe la rue Dušanova gardent leur atmosphère orientale de rue commerçante, čaršija, dont les débuts remontant aux plus anciens temps d’une autorité turque au XVIesiècle. L’ancienne čaršija serbe depuis le XVIIIesiècle s’est transformée en une rue commerçante européenne et, avec la Knez Mihailova et Terazije, elle offre même de nos jours la zone commerçante la plus attrayante de la ville, pleine de commerces et de restaurants, l’ancien Grand Marché, aujourd’hui Studenski trg (Place des étudiants), est entouré d’institutions scientifiques, d’enseignement et de culture les plus importantes. Jamais depuis la construction du Théâtre National, la zone de la Place du Théâtre n’a attiré d’autres produits culturels de la ville et aujourd’hui elle représente le principal espace consacré aux événements contemporains culturels et politiques en plein air (fig. 17).

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Fig. 17 : Belgrade aujourd’hui

a) la rue Knez Mihailova b) Place de l’Étudiant c) Place du Théâtre d) Terazije

61 Le caractère historique traditionnel de ces espaces publics, créé comme une union spécifique de la tradition orientale et de l’influence de l’Europe Centrale, a été préservé même aujourd’hui. Ces espaces constituent le principal lieu de la vie sociale et culturelle de la ville et sont porteurs de son identité. En tant que les plus importants contenants spirituels, administratifs, des affaires, de l’enseignement, de la culture et du commerce, qui attirent le plus d’habitants, ils ont continué à vivre sur les lieux mêmes où ils ont été conçus, la continuité de leur utilisation et le cadre historique de l’espace où ils sont nés représentant leur plus grande valeur.

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NOTES

1. Sur Belgrade sous gouvernement turc voir dans D. Đurić-Zamolo, Beograd kao orijentalna varoš pod Turcima 1521-1867 (Belgrade comme ville orientale sous les Turcs 1521-1867), Belgrade, 1977. (Ensuite cité D. Đurić-Zamolo, Beograd kao orijentalna varoš). 2. Spécialement remarquables sont les notes des voyageurs allemands A. Pigafet de 1567 et S. Gerlah de 1573 et 1578. Voir P. Matković, Putovanja po Balkanskom poluotoku XVI vieka (Voyage dans la Péninsule balkanique au XVIe siècle), in R. Jazu, t. LXXI, Zagreb, 1984, pp. 1-60. L’écrivain voyageur turc, Evliya Čelebija a écrit aussi sur la ville. Voir. E. Čelibija, Putopis, I-II (Voyages, I-II), Sarajevo, 1967. 3. Plan de J. B. Gump, MGB, It 1194 et plan de G. Bodener, MGB, It 3775. Voir D. Đurić Zamolo, Beograd kao orijentalna varoš, p. 21 et 61. 4. 4 Ibid., p. 21 et 61. 5. Ibid., pp. 200-203.

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6. Ibid., pp. 193-194. À la fin du XVIe siècle un écrivain voyageur, Stéphane Gerlach, a écrit : « La première partie de la ville sur la rivière la Save est peuplée de nombreux Tziganes et de Serbes misérables et ils ont seulement une église dédiée à l’archange Michel ». 7. Les églises sont présentées en vue isométrique sur le plan de Gump. 8. Quoique plus tardif, le plan de Seutter de 1735 présente la situation la plus exacte de la forteresse et de la ville au début du XVIIIe siècle. Plan de M. Seutter, MGB, It 1399, ibid., p. 309, fig. 84. 9. N. De Spar, Atlas du Cours du Danube, n° 14, Plan de Belgrade and n° 15, Siège de Belgrade. Ibid, p. 310, fig. 85. Voir aussi V. Čubrilović (éd.), Istorija Beograda 1 (Histoire de Belgrade), Belgrade, 1974, pp. 536-540, fig. 21. 10. V. Čubrilović (éd.), op. cit., fig. 5, fig. 15 et fig. 16. 11. Ibid, fig. 5. 12. P. Vasić, Doba baroka, studije i članci (L’époque baroque, études et articles), Belgrade, 1972. Voir aussi P. Vasić, « Barok u Beogradu 1718-1739 » (Le Baroque à Belgrade 1718-1739), in Istorija Beograda 1 (Histoire de Belgrade 1), Belgrade, 1974, pp. 573-84 13. D. Đurić-Zamolo, « Palata austrijskog komandanta Beograda iz XVIII veka, nazvana Dvorac princa Evgenija ili Pirinčana » (« Palais du commandant autrichien de Belgrade du XVIIIe siècle, nommé Palais du Prince Eugène ou Pirinčana »), in Godišnjak grada Beograd, t. XVII (1970), pp. 69-80. 14. Z. Skalamera et M. Popović, « Najstarija sačuvana kuća u Beogradu » (La plus ancienne maison conservée de Belgrade), in Godišnjak grada Beograd, t. XXIX (1982), pp. 27-41. 15. Selon les recensements turcs, il y avait 6 établissements musulmans et 1 serbe de 6000 maisons environ. D. Đurić-Zamolo, Beograd kao orijentalna varoš, pp. 208-209. 16. KAW, GI b 49, ibid., p. 210 et 310, fig. 89. 17. Ibid., pp. 64-65. 18. M. Roter-Blagojević, Stambena arhitektura Beograda u 19. i početkom 20. veka (Architecture résidentielle à Belgrade au XIXe et début du XXe siècle), Belgrade, 2006, pp. 31- 35. (Ensuite : M. Roter-Blagojević, Stambena arhitectura Beograda). 19. V. Čubrilović (éd.), op. cit., pp. 22-57. 20. D. Đuric-Zamolo, Beograd kao orijentalna varoš, p. 213. 21. B. Vujović, Umetnost obnovljene Srbije (L’Art de la Serbie restauré), Belgrade, 1986, p. 127. 22. I. Zdravković, « Arhitektura Beograda u prvoj polovini XIX veka » (Architecture de Belgrade dans la première moitié du XIXe siècle), in Illustrovani glasnik, t. 3 (1954), pp. 107- 108. 23. Selon le premier recensement de 1838 la ville comptait 12963, 8483 Chrétiens, 2700 Turcs, 1500 Juifs et 250 étrangers. Voir M. Radovanović, « Demografski odnosi 1815-1914 » (Rapports démographiques 1815-1914), in V. Čubrilović (éd.), Istorija Beograda 2 (Histoire de Belgrade 2), Belgrade, 1974, p. 271. 24. D. Đurić-Zamolo, Hoteli i kafane XIX veka u Beogradu (Hôtels et tavernes du XIX e siècle à Belgrade), Belgrade, 1988, pp. 108-109 (Ensuite D. Đurić-Zamolo, Hoteli i kafane). 25. M. Roter, Arhitektura gradjevina javnih namena izgradjenih u Beogradu 1830-1900. godine (Architecture des bâtiments publics construits à Belgrade de 1830 à 1900), Univerzitet u Beogradu, Arhitektonski fakultet. Thèse d’architecture et urbanisme, Belgrade, 1994 (Ensuite M. Roter, Arhitektura gradjevina javnih namena) 26. B. Maksimović, Urbanizam u Srbiji (Urbanism en Serbie), Belgrade, 1938. 27. En 1846, il y avait 14.386 habitants vivant à Belgrade dans 1.714 maisons, voir M. Radovanović, op. cit., pp. 272-274. 28. M. Roter, Arhitektura gradjevina javnik namena, p. 30. 29. D. Đurić-Zamolo, Hoteli i kafane, pp. 38-40 et pp. 78-85. 30. 40 maisons étaient démolies et en feu, la plupart dans la zone située près de l’église serbe. Selon le recensement, qui fut effectué après le conflit, il y avait 1241 maisons serbes et 1118

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maisons turques dans la ville, 11 mosquées, 4 bains turcs et 4 monastères turcs (tekija). Des données sur la propriété de la terre sont présentes dans le plan turc de la ville de 1863 ; voir D. Đurić-Zamolo, Beograd kao orijentalna varoš, pp. 214-215, fig. 90. 31. G. Raš, « Svietonik istoka » (Le Phare de l’Est), in Beograd u devetnaestom veku iz dela stranih pisaca (Belgrade au XIXe siècle d’après les travaux des écrivains étrangers), Belgrade, 1967, p. 58 et 60. 32. M. Roter, Arhitektura gradjevina javnik namena, p. 42 ; aussi M. Roter-Blagojević, Stambena arhitektura Beograda, pp. 42, 44. 33. Objašnenje predloga za regulisanje onog dela varoši Beograda što leži u šancu – sa jednim litografskim planom u razmeri 1 : 300 (Explication du projet pour la systématisation de la partie de Belgrade à l’intérieur du fossé, avec un plan lithographique 1 : 300), Belgrade, 1867. Voir B. Maksimović, Ideje i stvarnost urbanizma Beograda 1830-1914 (Idée et réalité de l’urbanisme de Belgrade 1830-1914), Belgrade, 1983, pp. 13-15. (Ensuite : B. Maksimović, Ideje i stvatnost urbanizma). 34. Environ 137 bâtiments étaient faits de matériaux solides (7 mosquées, des églises, des temples juifs et les ruines du Palais d’Eugène), dont 33 étaient endommagés, ibid., pp. 13-15. 35. D. Đurić-Zamolo, Beograd kao orijentalna varoš, p. 215. 36. D. Đurić-Zamolo, Hoteli i kafane, pp. 44-46 et pp. 86-96. 37. Ibid., pp. 9-13. 38. Plan de Stevan Zarić de 1878. Voir B. Maksimović, Ideje i stvarnost urbanizma, pp. 34-35. 39. De 1874 à 1.889 le nombre des habitants a doublé, et en 1900 la ville a 69.769 habitants. En 1900, seulement 60,70 % des habitants étaient nés en Serbie. Le nombre des maisons est monté de 80 %, mais moins de la moitié d’entre elles était faite de matériaux solides. Les maisons des faubourgs dans les quartiers du Palilula et de Vračar étaient encore construites de façon traditionnelle : squelette en bois rempli d’adobes et recouvert de boue. V. Čubrilović (éd.), Istorija Beograda I (Histoire de Belgrade), Belgrade, 1974, pp. 274-275. 40. A la fin du siècle, il y avait 317 restaurants et tavernes, 1989 boutiques et ateliers et 217 magasins. J. Stamenković (éd.), Beograd u XIX veku (Belgrade au XIX e siècle), Zagreb, 1968, pp. 135-136. 41. F. Kanić, « Kraljevina Srbija » (Le Royaume de Serbie), in Beograd u devetnaestom veku iz dela stranik pisaca (Belgrade au XIXe siècle d’après les travaux des écrivains étrangers), Belgrade, 1967, p. 239. 42. En 1886, la rue Dubrovačka (aujourd’hui Kralja Petra), qui était la rue principale de la ville était pavée de cubes de granit de la rue Knez Mihailova à l’église de la Saborna. Plus tard une autre rue eut cette sorte de pavement. Les habitants étaient aussi fournis en eau fraîche par 20 fontaines publiques. Un nouveau système d’approvisionnement en eau fut achevé en 1892, tandis qu’à la fin du siècle, un projet d’égouts fut adopté et sa construction entreprise. La ville était éclairée par des lampes à gaz, mais après la construction de l’installation de la force électrique en 1891, l’éclairage électrique a été installé dans les rues principales. Les premières lignes de tramway, avec des trams tirés par des chevaux, furent introduites par la partie centrale de la ville, de la place Kalemegdan à la place Slavija. Le premier tram à traction électrique apparut en 1894 sur la ligne Port-Cafétéria des Officiers. Un soin particulier fut porté à la plantation de rangées d’arbres et à l’installation de nouveaux parcs. Avec la création du premier Bâtiment de la loi pour Belgrade en 1896 et du Bâtiment de Code pour la ville de Belgrade en 1897 les constructions de la ville obtinrent leur cadre légal. Voir M. Roter, Architektura gradjevina javnik namena, pp. 48-54. 43. En outre en 1906-1907 il y avait 83% de maisons sans étages, 16% de bâtiments à un étage et seulement 1% (60 maisons) de bâtiments à plusieurs étages, qui se trouvaient dans le centre même de la ville. M. Roter-Blagojević, Stambena architektura Beograda, p. 64. 44. B. Maksimović, Ideje i stvarnost urbanizma, pp. 36-37. 45. Ibid., pp. 46-48.

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RÉSUMÉS

Panorama historique sur l’urbanisme de Belgrade depuis le XVIe siècle.

Historical panorama on the urbanism of Belgrade from the 16th c.

AUTEURS

MIRJANA ROTER BLAGOJEVIĆ

Université de Belgrade

ANA RADIVOJEVIĆ

Université de Belgrade

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Genèse et transformation des espaces publics ouverts des villes de Voïvodine Genesis and Transformation of Open Public Spaces in Towns of Vojvodina

Aleksandra Djukić

Introduction

1 Au cours des siècles les villes sont construites, détruites et rénovées. Très souvent dans le passé les villes ont été détruites, incendiées mais toujours reconstruites au même endroit. Toutefois, la plupart représentent une continuation spatiale et historique de l’Antiquité à nos jours. Les villes y compris les éléments de base comme les matrices urbaines, parcelles, espaces découverts et structure physique des bâtiments se développent et se transforment selon les mêmes principes et régularisation dans la mesure où le développement se réalise dans le cadre naturel et sociopolitique semblable1. Parfois les principes sont violés à cause des facteurs naturels ou sociopolitiques qui imposent des solutions différentes ; les villes créent et gardent leur propre cachet et leur identité reflétant leur « genius loci ».

2 Nous sommes les témoins d’une époque où les villes sous la charge d’un développement accéléré perdent l’identité acquise au cours des siècles. Les tendances nouvelles effacent les caractéristiques régionales, culturelles et autres, de leur existence et de leur architecture ; les espaces modernes et post-modernes se ressemblent de plus en plus. Ce phénomène constaté surtout dans les banlieues provient de l’expansion non contrôlée des villes2. En même temps, l’avant-garde architecturale du début du 20e siècle, guidée par Le Corbusier, Gropius et Jacobs Owed a soutenu la négation absolue des rues et des pâtés de maisons négligeant les valeurs historiques et culturelles comme éléments constituants de conception et d’expérience traditionnelle héritée. De ce fait, de nombreuses villes européennes ont subi le processus de destruction des cœurs urbains, l’interpolation de nouvelles constructions a été réalisée en ignorant les valeurs

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éprouvées et les formes urbaines héritées. En plus, cette tendance a été soutenue par la demande des compagnies internationales (elles contrôlent tous les niveaux du marché) de construire des bâtiments reconnaissables, semblables en détail et en totalité. Selon les exigences des investisseurs, les places et les rues principales dans n’importe quelle partie du globe se ressemblent. Ainsi les usagers des espaces découverts surtout dans les villes à identité inférieure ne marquent presque aucune différence. Christopher Alexander n’approuve point cette pratique, car selon lui les places et les rues représentent des éléments extrêmement importants des plans urbains et doivent par conséquent être rénovées et reconstruites de façon à permettre aux piétons l’usage et le fonctionnement confortable. Norberg Schulz déclare que l’espace public ouvert est un des symboles fondamentaux de l’humanité ; ils représentent l’empreinte de la possession de l’espace et de l’existence de l’Homme. 3 L’étude est consacrée aux villes de Voïvodine, région du nord de la Serbie. Leur durée est d’une longue continuité, de la période préhistorique à nos jours. Les traces dans les documents écrits datent de plus de 1000 ans et témoignent de la genèse de leur matrice urbaine et des éléments micro urbains fondamentaux (pâtés de maisons, parcelles, places, rues). En suivant leur transformation il est possible de constater la continuité de leur développement et d’identifier les éléments d’identité ainsi que les potentiels du développement futur. 4 La transformation de la structure spatiale des villes sélectionnées et des espaces publics ouverts est suivie au cours des trois périodes d’une importance cruciale pour la genèse de la morphologie urbaine : la période des fortifications, la période du développement spontané des matrices urbaines (agglomération de type oriental) et celle de régulation planifiée (période des tendances européennes en urbanisme). Chacune de ces périodes a laissé des empreintes sur la matrice urbaine. Les formes urbaines résultent des décisions prises par les planificateurs, accumulées au cours des siècles. Parfois elles étaient en harmonie avec le cadre du site, mais souvent elles étaient prises « ad hoc ». Les déterminants de temps jouent un rôle important dans l’étude de la morphologie urbaine (entités et éléments y compris leur durabilité et leur transformation). La connaissance du passé d’une ville facilite la détermination des limites de comparaison et des critères futurs3. La corrélation des époques plus ou moins importante lorsqu’il s’agit de formes urbaines, l’est davantage pour l’architecture urbaine. 5 Pour analyser le développement spatial de la matrice urbaine, il s’est avéré indispensable de la reconstituer, de fournir des présentations idéalisées par époque d’après les cartes historiques, gravures, photos, notes et autres documents. Les reconstitutions sont dressées pour les périodes-clés du développement urbain des villes.

Facteurs physiques et socio-économiques ayant déterminé le développement des villes de Voïvodine

Facteurs physiques

6 La Voïvodine se situe dans le nord de la Serbie, dans une plaine du bassin pannonien. Grâce aux circonstances naturelles favorables le peuplement de la région a commencé dans la période préhistorique. La Voïvodine dispose d’un réseau hydrographique bien dense. L’eau étant une condition essentielle pour créer des cités, la plupart des villes

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sont situées au bord des rivières, des lacs et des marais. Les premières cités datent du néolithique4.

7 La région de Voïvodine était submergée par la mer pannonienne. En se retirant, la mer a laissé un terrain marécageux avec de nombreux cours d’eau, méandres, « terrasses » et « bancs » surélevés (terrasses de claie et élévation de terrain avec un sol moins humide), ces derniers servant de sites de construction. La plus grande partie de la région a été souvent inondée, surtout au printemps, en saison des crues. Au cours des deux siècles derniers, le réseau hydrographique s’est modifié5. De nombreuses eaux stagnantes, parties restantes d’anciens cours d’eau se sont desséchées, d’autres cours d’eau régulés. Certains travaux de canalisation ont été entamés au 16e siècle et poursuivis surtout après la retraite des Turcs et la signature du Traité de Karlovac au 18e siècle.

Facteurs socio-économiques

8 Les plus anciennes empreintes détectées sur la matrice urbaine datent de l’Empire romain. Les fortifications construites par les Romains sont partiellement incorporées dans certaines villes médiévales.

9 Au 10e siècle, le royaume hongrois est fixé dans l’ordre féodal. L’influence des villes fortifiées s’accroît ; les villes gouvernent le territoire voisin. Un certain nombre de ces villes est construit sur les sites des localités gérées par les chefs des entités slaves6. 10 Au 14e siècle, les villes sont soumises au pouvoir de nouveaux seigneurs sur lequel repose le pouvoir royal. À cette époque sont créées des cités de commerçants et d’artisans ; elles deviennent plus importantes aux 15e et 16e siècles. 11 Au milieu du 16e siècle, la région est sous le joug des Ottomans. Contrairement à la campagne, en peu de temps les villes acquièrent le caractère turc, musulman. C’est au cours de cette époque que les villes sont construites et rebâties avec le plus de spontanéité. Des ouvrages militaires de défense y sont construits, l’organisation spatiale est fonction du potentiel économique de la ville, son caractère commercial se manifeste (places, souks, rues des commerçants et des artisanats). 12 Après l’expulsion des Turcs, au début du 18e siècle, un développement intensif des villes se déroule. Au milieu du 18e siècle trois sortes de villes privilégiées existent en Voïvodine : les villes royales libres, les communautés frontalières libres et les bourgades libres. Les privilèges comprennent entre outre un certain degré d’autonomie locale suivi en même temps d’expansion et de peuplement plus intenses. Un développement économique et commercial s’ensuit, la cour royale en tire le profit financier. Les villes au statut privilégié créent des comités de bâtiment, dans le cadre des magistrats assurant ainsi la gestion de la politique de l’exploitation des terrains. 13 Au cours de la première moitié du 19e siècle les villes de Voïvodine appartiennent au Royaume féodal d’Autriche. Cette période est caractérisée par le développement intensif de l’artisanat et du commerce, même dans les communautés militaires. Avec le développement économique les villes assument le rôle de centres culturels et scolaires. Pour faciliter la gestion, les villes sont divisées en quartiers, à base ethnique au début. Les premiers regroupements de parcelles et les premières régulations y sont effectués. 14 Au cours de la deuxième moitié du 19e siècle, l’ordre féodal est remplacé par le capitalisme précoce. Le capital des artisans et des commerçants représente le facteur

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décisif du développement urbain. La construction du chemin de fer (de 1870 à 1894) et le développement industriel (mouture des céréales et boulangerie) changent la physionomie des villes de Voïvodine. Cependant, elles ne sont jamais devenues de vrais centres industriels pour cause de concentration insuffisante du capital. 15 Au cours de la première moitié du 20e siècle, la réforme agraire, la colonisation et l’industrialisation sont à l’ordre du jour. En 1923, le premier congrès des villes de Voïvodine a lieu à Pančevo. C’est là que les villes autonomes de Voïvodine s’organisent en Ligue des villes unies. C’est la première fois que la ville est considérée comme système organisé. A la suite de la Première guerre mondiale les villes de Voïvodine sont restées presque indemnes et poursuivent leur continuité spatiale et physique. 16 Immédiatement après la deuxième guerre mondiale l’étatisme révolutionnaire est installé ; il dure 4 ans. Il est remplacé par le système d’autogestion ouvrière. Ce n’est qu’à ce stade du développement social qu’on accède à l’élaboration de plans d’urbanisation. Dans la plupart des cas, ces premiers plans nient la continuité de construction des villes ignorant le passé tout en s’efforçant d’être modernes et innovants. Souvent des solutions radicales sont proposées pour dévaloriser tout ce qui est « ancien et arriéré », recommandant de construire en accord avec la société socialiste. Les années 70 représentent la période de la rénovation urbaine. C’est à cette époque là que sont reconstruits les anciens cœurs des villes selon des propositions contenues dans les plans urbains. Au cours des années 90, les principes du développement soutenu sont introduits dans le domaine de l’urbanisme.

Transformation de la matrice urbaine, de la place principale et de la rue principale

17 On peut classer les matrices des villes de Voïvodine en trois types fondamentaux : • matrices datant de la période du développement spontané • matrices provenant des fortifications • matrices planifiées (d’après les plans)

18 Cependant, le plus souvent, les trois types sont combinés (Zrenjanin, Sombor – la combinaison des trois types), mais il y a des villes où la matrice des rues appartient à un seul type (Kikinda-matrice planifiée).

19 Les places principales sont classées en quatre groupes7 : • places irrégulières, spontanément formées et non régularisées • places irrégulières mais régularisées • places comme parties des élargissements des rues • places régulières comme parties de la base orthogonale.

20 La rue principale d’une ville de Voïvodine représente le fil le plus long de la continuité de son développement. Le plus souvent elle est conservée sur la trace fondamentale de l’époque de la genèse de la cité (probablement avant les premières empreintes sur les gravures et les cartes). La rue principale et la place principale représentent un des éléments les plus importants de l’identité selon lequel on reconnaît et l’on se souvient de l’espace urbain. Ce sont des lieux de rencontres, de socialisation et de relations entre différentes structures sociales, lieux de rites et de festivités8. Les symboles et les significations y sont déchiffrés, les technologies modifiées, les innovations introduites et de nouvelles fonctions d’une importance vitale pour la ville acquises. De ce fait, ces

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espaces ne reflètent pas uniquement des idéaux mais représentent tout un monde de nouvelles valeurs : la mentalité urbaine.

De la genèse des villes à la domination ottomane

21 Dans cette période on dispose de deux types de matrice urbaine. La matrice formée spontanément (Sombor, Zrenjanin) et celle formée dans le cadre des fortifications (Sremska Mitrovica, Pančevo). Les deux ont une largeur variable du front de rue et la direction curviligne des corridors (Fig. 1).

Fig.1 : Matrices urbaines de Zrenjanin et Pančevo, période à partir de la genèse sous le règne turc (A.Djukić, 1998)

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22 La rue principale se trouve le plus souvent sur « le banc » (la partie la plus élevée du terrain), le plus souvent c’est le tracé d’une des routes les plus importantes reliant les agglomérations. C’est une rue résidentielle et commerçante. 23 Le nombre des espaces publics ouverts – places – dépend, en premier lieu, du type de la matrice urbaine. Dans les villes à matrice urbaine spontanée on trouve le plus souvent la place principale au croisement des routes principales. Elle est située au niveau le plus élevé de la ville, devant l’église. Quant à la matrice dans le cadre des fortifications, on distingue plusieurs espaces publics découverts, entrelacés. La place principale se trouve devant le palais du seigneur en direction de l’entrée principale en ville. Il y a des villes où la place principale est située devant la fortification (Zrenjanin).

Période de la domination ottomane

24 Durant les deux siècles de la domination ottomane les villes de Voïvodine se sont trouvées à la rencontre de deux civilisations au niveau culturel complètement différent, ce qui s’est reflété dans la construction ultérieure (surtout sur la forme de la matrice urbaine, sur les rues et les espaces public ouverts). Les récits d’Evlija Celebija témoignent de l’aspect des villes de Voïvodine à cette époque. D’après Celebija les villes avaient un chef, militaire (dizdar), une section de soldats. Elles disposaient d’une quantité suffisante de munitions (djebana) ; on y trouvait également une mosquée, un han (abri pour les voyageurs) et un petit souk (carsija). Certaines villes disposaient d’un hammam (bain turc). Les toits des maisons étaient couverts de chaume (E. Celebija). En cas de villes fortifiées, en dehors des murailles se trouvaient un bourg parfois entouré de deux rangées de palissades. La tour de guet se trouvait très souvent en dehors des murailles de la forteresse et elle était fortifiée. Dans le bourg vivait la population turque.

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25 Transmises d’une armée à l’autre, les villes étaient détruites et mises à feu, la population dérobée et capturée. Sur les gravures de l’époque on peut distinguer de nombreux détails témoignages des caractéristiques physiques des villes, bien que maints détails soient souvent incorrects (dans le cas de la ville de Pančevo la position de la ville par apport au confluent des rivières Tamis et Danube, les bastions au lieu des tours angulaires circulaires, le pont en maçonnerie et la tête de pont qui n’existait pas, des canaux remplis d’eau qui n’existaient pas non plus, remparts en bois). La forteresse est représentée comme étant très solide, difficile à envahir probablement pour suggérer la puissance des conquérants. 26 C’est la période de forte action et d’expansion des villes avec le plus de spontanéité. Le système de canaux et de digues est complètement négligé. Les villes ont connu une récession. Les places principales ainsi que les rues principales gardent leur position héritée de la période précédente. La rue principale est remplacée par un souk avec une série d’agayins. Sur la place principale l’église est remplacée par une mosquée.

Période du 18e siècle

27 Au début du 18e siècle, les Turcs se sont retirés après avoir détruit toutes les fortifications à la demande de l’Autriche. En peu de temps des travaux ont été entrepris pour dessécher les marais, régulariser les cours d’eau et procéder au peuplement planifié de la région. L’expansion des villes est précipitée.

28 Au cours de la deuxième partie du 18e siècle, maintes villes élargissent leur matrice urbaine en créant de nouvelles cités (nouvelle matrice orthogonale). Dans les nouvelles cités prévalent les lignes droites de régulation formant des pâtés de surfaces uniformes. Pourtant, les parties distantes de la matrice urbaine héritée ne sont pas régularisées immédiatement ; elles sont restées comme villages non régularisés avec beaucoup de rues curvilignes et bâtiments dispersés, non construits sur la ligne de régulation suivant la tradition de la période du règne turc (degré maximum de spontanéité). 29 À partir de la deuxième moitié du18e siècle, la planification de la ville est organisée : • le comité de bâtiments est créé ; il décide de l’aménagement de la ville. De cette façon le magistrat de la ville gère l’aménagement du territoire urbain ; • les travaux prioritaires selon les Décisions sur l’aménagement technique de la ville se réfèrent au cadastre. Pour la première fois sont déterminées les limites de la ville ; • pour faciliter la gestion de la ville on a procédé à la division du territoire en quartiers (au début à base ethnique) ; • le processus d’industrialisation a commencé.

30 Dans certaines villes, l’intervention est focalisée sur la reconstruction de la forteresse comme futur cœur de la matrice urbaine. La forteresse comme élément de fortification gagne en importance. Vu le risque des attaques éventuelles des Turcs, fort souvent elle représente le nucleus de la ville.

31 Les travaux de régularisation sont intensifiés : correction des rues et intersection de nouvelles directions de rues (Fig. 2). A cette époque on construit des bâtiments militaires et représentatifs. Reliant les anciens aux nouveaux quartiers la matrice des rues est établie, son réseau a persisté jusqu’à nos jours. La façon dont on a tracé les rues par rapport aux parties existantes de la forteresse est évidente. Les rues en dehors des

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remparts soit suivent la direction des rues formées le long du côté intérieur des murailles de bord soit suivent le cours de la rivière.

Fig. 2 : Matrices urbaines des villes de Zrenjanin et Pančevo (A. Djukić, 1998)

32 Au cours de la deuxième partie du 18e siècle dans toutes les rues principales les bâtiments sont construits sur la ligne de régulation (Zrenjanin, Pančevo, Subotica). La plupart de ces ouvrages sont érigés selon le système de construction alignée (à Kikinda

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ce système ne fut appliqué qu’au 19e siècle). La largeur du front de la rue principale (le rapport entre la largeur de la rue et la hauteur des bâtiments) varie de 1:5 à 1:8 (à Kikinda exclusivement 1 :11). 33 Les places gardent les dimensions et les proportions des périodes précédentes. Le rapport des côtés est partout le même, à peu près de 1 : 2. L’étendue des places est de 1,0 à 2,0 hectares. La forme varie et dépend de la période de construction. Elle est soit irrégulière datant de l’époque du développement spontané de la matrice (Zrenjanin), soit composite (le plus souvent en forme de la lettre latine L – Kikinda, Zemun) ou bien relativement régulière (trapèze rectangulaire- Pančevo) ; il y en a qui ne sont que des élargissements de rues (Vrsać) Toutes les places principales servent de marché et sont utilisées pour la mobilité (voitures et piétons) (Fig. 3).

Fig. 3 : Analyse comparative de transformation des places principales de Zrenjanin, Kikinda et Pančevo (A. Djukić, 1998)

Période du 19e siècle

34 Au 19e siècle le territoire des villes de Voïvodine s’est agrandi de 50 % à 100 %. L’expansion brusque des villes est due à la colonisation intense des Allemands et des Hongrois et à l’immigration serbe, sans mentionner le développement industriel.

35 La croissance de la population est de 100 % à 350 % ce qui a pour conséquence directe l’expansion du territoire urbain. Au cours de la deuxième partie du 19e s. aux environs de certaines villes sont construites des cités satellites (Voïlovica près de Pančevo, Mujlja près de Zrenjanin). Les incendies ravagent les villes au 19e siècle, d’où la reconstitution des matrices héritées. Les parties des matrices datant de la période du développement spontané sont transformées – les rues sont rectifiées de façon à obtenir une largeur suffisante du front pour assurer une mobilité plus agréable et pour

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satisfaire aux règlements relatifs aux incendies. Le réseau des rues est élargi et reconstruit. Les directions longitudinales existantes sont prolongées. Les rues de traverse créent avec les rues longitudinales un système régulier. La ville se divise en centre-ville, partie transitoire et périphérie. Le tissu urbain au centre est de plus en plus dense, les espaces semi-publics sont formés à l’intérieur des pâtés de maisons, là où sont construits des logements à louer. 36 À cette époque dans la plupart des villes le nombre de places et d’espaces publics ouverts a augmenté (le plus souvent d’une ou deux places à trois ou quatre). Il y a des villes où le nombre n’a pas changé, une seule place principale comme à Kikinda. La plupart des villes possèdent au moins deux places dont une sert de marché (Grand Marché) et représente le centre commercial et bancaire de la ville tandis que l’autre sert à vendre des céréales : le froment et le maïs (Petit marché ou Marché à blé). Certaines places sont traversées par la voie étroite du chemin de fer (Zrenjanin). Sur les places et dans les rues principales se trouvent des bâtiments de représentation (tabl. 1). Les espaces publics sont pavés, des canaux creusés dans les rues, les ponts en bois pour la traversée des canaux remplacés. Les rues principales sont transformées en allées et éclairées. Les places sont pavées en pierre taillée, éclairées et munies de mobilier urbain. Les places et les espaces publics ouverts ne changent ni de forme ni de grandeur, mais restent les mêmes jusqu’à nos jours. 37 Dans la rue principale tous les bâtiments sont construits d’après le principe d’alignement. Le bâtiment est situé sur la ligne de régulation et les deux côtés de la parcelle. Les lignes de la hauteur des bâtiments font une ligne continue – le front de la rue a une régulation de hauteur. Les toits sont à deux versants et de pente pareille (le plus souvent de 40°). Les rues principales sont utilisées comme espace prolongé pour le marché (les jours fixes), pour le commerce (les rez-de-chaussée pour le commerce, les étages pour l’habitation), mais aussi pour la socialisation et les rencontres.

Première moitié du 20e siècle

38 Durant la première guerre mondiale, les villes de Voïvodine n’ont presque pas subi de dommages de sorte qu’elles sont restées une base de croissance continue. Les premières années d’après-guerre n’ont pas apporté de changements importants à la formation de la matrice urbaine ni à la disposition de ses fonctions. À cette époque la conception principale de la croissance de la ville en Voïvodine est basée sur la prise en considération de la consommation spatiale destinée à l’expansion et à la construction d’une route semi-circulaire, début d’une conception de la circulation qui persistera jusqu’à nos jours. La plupart des rues ont gardé leur tracé de base, le réseau des rues n’est pas perturbé. Pour la première fois les limites du territoire urbain sont déterminées, les noms des rues enregistrés. Le réseau des rues n’est pas remarquablement modifié mais en le comparant aux plans précédents on peut conclure que toutes les propositions concernant le développement de la ville ne sont pas réalisées. L’expansion du bâti se fait vers les nouvelles cités satellites et vers le chemin de fer. Le tissu dense persiste au centre de la ville avec un réseau compact de rues alors qu’à la périphérie le type dispersé est présent. La consommation d’espace vers la cité – satellite relie celle-ci à la ville.

39 Sur les plans on découvre des pavés compacts dans le cœur même de la ville avec des pavés en continuité. La construction à la périphérie de maisons-types de campagne

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adaptées aux conditions urbaines ne cesse pas, mais on construit de plus en plus des maisons luxueuses surtout au centre. Dans le noyau urbain et dans les pâtés adossés à la rue principale en particulier, les ouvrages se propagent dans la profondeur de la parcelle. La ligne continue du front dans la rue principale est perturbée par la construction des immeubles. Dans la zone centrale l’exploitation des parcelles est en croissance, le plus souvent due à la construction des ouvrages auxiliaires. 40 La morphologie des espaces publics découverts ne change pas à l’exception de la reconstruction des bâtiments existants et de la construction d’un petit nombre de bâtiments représentatifs dans certaines villes. Le changement essentiel se réfère à l’usage de places et de bâtiments à la place même ou dans la rue principale. De nombreuses places sont transformées en oasis de verdure, destinées aux piétons, où les jours de fête et le dimanche des concerts ont lieu et uniquement les jours fixes de la semaine elles servent de marché. Les rez-de-chaussée des bâtiments longeant les places et les rues principales sont destinés au commerce, à la culture, à l’hôtellerie, à l’artisanat, aux affaires (Fig. 4).

Fig. 4 : La place centrale de la ville de Zrenjanin 1918 et la place centrale de la ville de Pančevo 1900

Période de 1945 à nos jours

41 Les villes de Voïvodine n’ont pas subi d’importantes destructions pendant la Deuxième guerre mondiale. Dans la période d’après-guerre, à la fin des années 50, les villes ne disposent pas de plans fondamentaux de développement ; on a recours au plan d’urbanisme hérité de la période précédente.

42 Vers la fin des années 50 le processus d’industrialisation s’intensifie et par conséquent commence la transformation du tissu urbain. Avec la construction des industries (Pančevo, Zrenjanin, Sremska Mitrovica) et une forte croissance mécanique de la population, les villes connaissent une expansion importante. L’impossibilité de procurer à tous les nouveaux venus un logement convenable a généré le phénomène de « construction illégale », enregistré à plusieurs endroits, en particulier le long des directions de sortie et d’arrivée en ville. Les premiers plans directeurs d’urbanisme sont promulgués vers la fin des années 50 et dans les années 60. La construction illégale intense mène à l’élaboration des plans d’urbanisme. Le plan sert surtout à envisager l’extension des limites urbaines et l’expansion des espaces destinés à la construction. On procède au “zoning” et on propose une densité plus intense de population en substituant à l’habitation individuelle l’habitation collective. Tous ces plans y compris les plans détaillés d’urbanisme adoptés plus tard proposent des solutions radicales de la reconstruction du cœur urbain jusqu’à la négation complète de la matrice urbaine

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héritée, des espaces publics ouverts et l’importance de la place et de la rue principales (Fig. 5). Une partie infime de ces plans est réalisée. Quelques immeubles sont construits, dans certains cas la régulation verticale est violée par la construction des solitaires. Au cours des années 70 de nouveaux plans sont élaborés insistant sur un différent traitement de l’héritage historique et culturel, sur la revitalisation de celui-ci et sur une reconstruction modérée tout en respectant les codes historiques et culturels hérités des époques précédentes. Toute une série de plans adoptés à ce jour sont en accord avec les critères du développement soutenu.

Fig. 5 : Les situations présentes et futures de noyau urbain avec la structure des espaces ouverts

43 Au cours de cette période le réseau d’espaces publics découverts se rétrécit. La plupart des villes disposent d’une à deux places et d’un à deux jardins publics (Fig. 6). Les places ne sont plus utilisées comme marchés. Au cours des années 60, un grand nombre de places est transformé en parcs de stationnement automobile. Plus tard, dans les années 80, la plupart des places sont transformées en oasis destinés aux piétons -de nombreuses places deviennent zones piétonnières et surfaces de verdure (pelouses, buissons et plantes arbustes).

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Fig. 6 : Matrices urbaines des villes Zrenjanin, Pančevo et Kikinda avec le réseau des espaces découverts (A. Djukić, 1998)

Conclusion

44 Dans la plupart des villes européennes, la matrice urbaine du cœur central de la ville, les places principales et les tracés des rues principales et commerçantes datent des époques antérieures. La place principale et la rue principale représentent un des éléments les plus importants de l’identité d’une ville selon lesquelles nous nous souvenons et nous reconnaissons l’espace urbain. Ce sont des lieux de socialisation, de rencontre entre différentes structures sociales, lieu de rites et de festivités. Les symboles et les significations y sont déchiffrés, les technologies se sont modifiées, les innovations y sont introduites aussi bien que les nouvelles fonctions de la ville ; de ce fait, ces espaces ne reflètent pas uniquement des idéaux mais représentent tout un monde de nouvelles valeurs – la mentalité urbaine.

45 Dans la planification et la formation du cadre principal de composition, la place et les rues principales représentent en général des éléments constituants qui dominent souvent la composition planifiée. On ne peut pas considérer ces micro-éléments comme une simple somme architecturale, mais comme une entité dont la continuité et la valeur sont étroitement liées à la durabilité de la ville et au cachet mémorable reçu au cours des époques. De ce fait, il ne faut traiter les espaces urbains que dans l’ensemble du contexte culturel et historique du développement de leur matrice urbaine. 46 En étudiant la transformation des espaces publics découverts à partir de leur genèse jusqu’à nos jours nous avons pu conclure qu’il existe une continuité dans leur développement qui n’a été troublé que deux fois : au 16e siècle, quand les villes furent envahies par les Ottomans, et au 20e siècle, quand on a insisté sur les reconstructions

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radicales de la matrice urbaine dans le sens du modernisme. Ces changements ont complété, ont nié les valeurs acquises et la nature fondamentale de ces éléments. 47 Le retour à la matrice héritée du 19e siècle dans le sens physique et fonctionnel des années 80 du 20e siècle s’est produit comme une réponse (souvent en tant qu’opinion publique) aux destructions et à la reconstruction excessive. Les codes physiques hérités : la forme, la grandeur, les proportions, la matérialisation, la scénographie des espaces ouverts ainsi que leurs dominantes : leur nombre et dispositions, ont influencé le déchiffrement et l’approche de ces espaces, alors que la gamme des offres des espaces ouverts et des bâtiments qui les forment, la réduction de la circulation dominante ont contribué à créer des espaces publics ouverts attractifs, inspirants (marché, journée de bière, programmes culturels- place comme scène à ciel ouvert). 48 Il est indispensable d’étudier le processus global de la genèse, de l’usage et de la mise en valeur de l’espace urbain afin d’arriver aux meilleures solutions dans la planification urbanistique.

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NOTES

1. E. Lozano, Community Designed the Culture of Cities, Cambridge, 1990. 2. J. Jacobs, The Death and Life of Great American Cities, New York, 1961. 3. C. Boyer, The City of Collective Memory, Londres, 1995. 4. B. Kojić, Naselja u Vojvodini, geneza, sadržina i urbanistička struktura prema arhivskim i tehničkim podacima, Belgrade, 1961. 5. Ibid. 6. Ibid. ; L. J. Pusić, Urbanistički razvoj gradova u Vojvodini u 19 veku i prvoj polovini 20 veka, Novi Sad, 1987 ; A. Djukić, Kontinuitet urbanog razvoja gradova Banata, Belgrade, 1998. 7. L. J. Pusić, op. cit. 8. K. Lynch, The Image of the City, Cambridge, Mass., 1960 ; E. Lozano, op. cit. ; K. Kropf, “Urban Tissue and the Character of the Towns”, in Urban Design International, t.1 (1996), pp. 247-263.

RÉSUMÉS

L’auteur dresse d’abord un long panorama historique des villes de Voïvodine depuis le XVIe siècle, en insistant sur les deux ruptures que représentèrent la conquête ottomane puis l’industrialisation du début du XXe siècle. Elle propose ensuite une classification typologique et formelle des places de Zrenjanin, Kikinda et Pančevo.

The author first proposes a broad historical panorama of towns of Vojvodina beginning with 16th c., emphasizing on breaches provoked by Ottoman conquest and industrialization at the beginning of 20th c. Then she classifies typologically and formally squares of Zrenjanin, Kikinda and Pančevo.

AUTEUR

ALEKSANDRA DJUKIĆ

Université de Belgrade

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L’espace public en Bulgarie : transformations et raisons d’être au début du XXIe siècle Public Space in Bulgaria: Transformations and raison d’être at the Beginning of 21th century

Elena Dimitrova

Introduction

1 L’espace public a été à la fois le refuge et la manifestation de la vie sociale et des valeurs culturelles de la ville européenne depuis sa naissance même. Il est né pour abriter la religion, le commerce, l’action politique et les loisirs ; il a été classé selon sa fonction, sa morphologie et les types d’affluences, tous ayant dramatiquement changé à la fin du XXe siècle. L’espace public ouvert dans les villes bulgares contemporaines partage une série de traits et de problèmes de l’espace urbain européen ; il a néanmoins parcouru sa propre route historique, il conserve la mémoire d’un développement culturel et social particulier et aujourd’hui il est en train de subir des transformations dynamiques sous l’effet de pressions sociales et économiques.

2 C’est dans l’espace ouvert public traditionnel de la ville que l’on apprend ce qu’est la différence et aussi la tolérance devant les différences, la retenue et la prise de responsabilité dans la vie en communauté1. Les développements clairement visibles dans l’espace public urbain bulgare aujourd’hui sont un rétrécissement par-dessus tout physique, la commercialisation et l’embourgeoisement des grandes artères de la ville avec l’exclusion sociale qui en résulte, la dégradation des places publiques traditionnellement animées. Dans le chaos de la période de « transition » post-socialiste depuis 1990 les transformations subies par l’espace public urbain en termes de fonctions, de dimensions spatiales et de valeur attribuée ont été commentées seulement de façon fragmentaire d’un point de vue théorique. Des changements superflus et des problèmes émergents étaient maintes fois évoqués dans des débats

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politiques ou professionnels et des protestations civiles ; ils étaient souvent attribués à la base législative imparfaite et continuellement amendée, au modèle de restitution et de privatisation appliqué dans le pays, ou au manque de compétence et au soupçon de conception chez les autorités locales. La présomption opposée, cependant, qu’il ne s’agissait en tout que d’une partie de tendances globales générales, sapant la capacité de l’espace urbain traditionnel à fournir une interaction sociale, ne donne aucune orientation pour la pratique urbaine. La chance de développer une approche active des changements urbains réside dans la recherche des particularités du développement historique, l’influence de modèles sociaux et culturels changeants sur l’identité de l’espace et la capacité d’un tracé actif, outre les pressions des investisseurs et les demandes de développement commercial, pour défendre les valeurs sociales et culturelles dans la ville. Le défi courant rencontré pour une recherche urbaine est de répondre à une série de questions pressantes : de quoi dépend la compréhension d’une extension, prévoir et influencer les transformations de l’espace public ouvert, pour quelle raison le défendre, qui a la responsabilité de construire et comment construire et la capacité de le faire effectivement ?

Particularités du développement historique

3 Point de rencontre millénaire de routes et d’influences culturelles, les 110.000 kilomètres carrés de l’Europe bulgare sont un lieu de dynamiques considérables, de changements historiques dramatiques et de riches couches culturelles. Le premier État bulgare (681 après J.-C.) qui a vécu sur la terre des anciens établissements prospères thraces, grecs et romains et en étroite interaction avec la culture byzantine. La longue période de près de cinq cents ans sous le règne de l’Empire ottoman (1392-1878) a provoqué un recul dramatique dans la vie politique, sociale et culturelle du pays et ruiné les villes bulgares autrefois prospères ; toutefois il fournit l’occasion de larges échanges multiculturels et il en résulta à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle des établissements, dont la structure spatiale et les espaces publics ont gardé l’atmosphère de diversité culturelle et de tolérance.

La période de la Renaissance bulgare : changements dans les modèles de société et apparition de l’espace public urbain

4 La consolidation sociale fut un trait important de la période de la renaissance bulgare ; elle fut possible parce que la révolution bourgeoise dans le pays prit la forme d’une lutte pour l’indépendance nationale et cria des slogans pour la justice et la libération ; l’éducation fut considérée comme la voie vers l’illumination spirituelle et la restauration de la conscience nationale ; les intellectuels (professeurs, écrivains, éditeurs) étaient parmi les chefs du mouvement de la Renaissance.

5 Habituellement les historiens désignent l’année 1762 comme le début de la Renaissance Nationale Bulgare, quand Pajsii de Chilandar réalisa son « Histoire bulgaro-slave », un manifeste au peuple bulgare asservi pour un « réveil » spirituel. Un sursaut dans la vie spirituelle et culturelle des Bulgares peut toutefois être décelé plus tôt. Un réseau d’habitats dispersés bien développé a existé dans les pays bulgares dès la fin du XVIIe siècle2. La période de la Renaissance Nationale (XVIIIe-XIXe siècles) a fourni les conditions du développement des structures de l’habitat, qui constituent une part

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importante de l’héritage culturel bulgare ; il est caractérisé par des ensembles spatiaux compacts et pittoresques bien intégrés dans l’environnement naturel. Ils ont fourni la manifestation dans l’espace de l’activité économique rigoureuse et de la vie civile et culturelle intenses inspirés par les idées d’illumination spirituelle et d’éducation, qui plus tard ont donné le conflit pour l’autonomie religieuse et l’indépendance politique nationale. L’absence d’un État bulgare était compensée par le développement d’une haute culture civile et de mécanismes démocratiques pour organiser la vie de la communauté. Ces procédés jouèrent un rôle essentiel dans la formation de l’espace public urbain au cours du XVIIIe et du XIXe siècle, au travers d’interactions complexes entre la tradition et l’innovation architecturale. La plupart des centres urbains furent formés au XIXe siècle, selon trois modèles : a) des noyaux spatiaux séparés autour de l’église et de constructions scolaires, séparés des complexes du commerce et de la production, b) un espace central urbain, incluant l’église et l’école, mais aussi la tour de l’horloge et les boutiques des artisans, c) systèmes de petits noyaux entourant des bâtiments importants et des éléments librement construits3. 6 Quelques particularités de l’espace urbain public bulgare depuis la période de la Renaissance sont particulièrement importantes pour son identité culturelle et spatiale. Bien que les églises depuis le début de la période ne puissent fournir aucun accent vertical à la silhouette de la ville (jusqu’au milieu du XIXe siècle leurs étages étaient souvent au-dessous du niveau du sol à cause des restrictions politiques en vigueur), elles jouaient cependant un rôle important comme lieux d’unification spirituelle et bâtissant le sens d’une communauté culturelle. Dans l’enclos de l’église apparut la construction scolaire. L’éducation était considérée comme la voie vers la lumière spirituelle et une condition importante pour construire et promouvoir l’identité nationale. Le développement économique fut la raison de l’apparition des boutiques d’artisans, des auberges et des tours d’horloge. D’une particulière importance pour la vie publique (en réglant le temps de travail de larges groupes de travailleurs), les tours d’horloge devinrent des éléments visuels significatifs dans l’espace urbain, en marquant les lieux des activités civiles et des contacts les plus animés4. Aujourd’hui encore beaucoup d’entre eux, bien restaurés et intégrés organiquement à l’espace public urbain des villes bulgares sont les accents et les signes importants de la mémoire historique, Berkovitza, Gabrovo (fig. 1a, 1b). Un exemple typique du développement de la Renaissance réalisé dans une période plutôt courte est fourni par la ville historique de Triavna, où tous les principaux bâtiments publics sont réunis autour du square central, la tour de l’horloge (1813), les nombreuses boutiques d’artisans, l’église (1819) et l’école (1839).

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Fig. 1 : Clochers restaurés dans des sites contemporains

a) Berkovitza 2003 b) Gabrovo 2004

7 Après 1850, avec l’agitation sociale et économique dans le pays, l’éducation civile reçut un plus large horizon culturel et entra en contact étroit avec le modèle européen. Les écoles furent les foyers de l’interaction et de la consolidation de la communauté. Des centres culturels locaux surgirent (le premier a ouvert en 1856 à Svishtov sur le Danube) comme la forme la plus démocratique d’organisation communautaire dans le domaine de la culture. Des donations aux établissements d’éducation et de culture furent considérés comme des actes de haute moralité et de grand prestige. Les écoles étaient parmi les bâtiments les plus importants dans les villes par leur image architecturale et elles évoluèrent rapidement du modèle de construction résidentielle vers des complexes symétriques solennels inspirés des types européens5. Dans la ville de Gabrovo (un des centres industriels prospères), à l’initiative d’un riche marchand Basile Aprilov, la première école civile fondée sur le savoir mutuel fut ouverte en 1847 et la première école supérieure, appelée « l’École supérieure d’Aprilov », fut construite en 1871-1872 (fig. 2).

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Fig. 2 : École d’Aprilov à Gabrovo, photo 2004

Transformations fonctionnelles et morphologiques de l’espace urbain public durant la période 1878-1938

8 Avec le rétablissement d’un État bulgare indépendant en 1878 se développèrent dans le pays de larges opérations culturelles. De grandes villes bulgares se hâtèrent de devenir de « vraies » villes européennes. Sofia, proclamée nouvelle capitale du pays, fut la première à subir des interventions majeures sur son tracé dans le but d’acquérir la structure d’une capitale européenne moderne. Sur la structure urbaine existante la grille d’un nouveau concept fut surimposée pour la transformer complètement, tout en essayant de conserver la direction des principaux axes de la ville (fig. 3).

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Fig. 3 : Carte de Sofia, 1879 (Mairie de Sofia)

La première loi réglant le développement des établissements bulgares passa au Parlement en 1897. Elle était fortement influencée par la science du tracé spatial européen moderne qui se développait alors et les idées modernes de la « Cité-jardin ». Le nouvel État eut besoin d’une large typologie des bâtiments publics et résidentiels et des espaces publics pour abriter une vie intense qui intégrait des traditions existantes ou nouvellement établies. L’espace public au centre de la nouvelle capitale était tracé soigneusement avec une vision sur le développement de la ville à long terme ; il acquit des bâtiments importants aux principaux carrefours et d’importantes constructions d’État et publiques tout autour ; les monuments aux héros de la bataille nationale pour l’indépendance faisaient fonction de dominants verticaux. L’enthousiasme des bâtisseurs allait de pair avec la croissance de la stratification et de la polarisation sociales. Les efforts pour rétablir les liens avec l’espace culturel européen justifièrent l’invitation d’architectes et d’ingénieurs européens dans le pays durant les premières décennies d’après la libération. Un certain nombre d’intellectuels et des professionnels de grande qualité, formés dans des écoles européennes renommées, firent tout pour intégrer les pratiques européennes avancées dans les traditions nationales culturelles et architecturales. L’année 1925 a attesté la première compétition pour le tracé d’une ville en Bulgarie. Dans toutes les villes, on a observé une tendance générale à une typologie plus large des bâtiments publics de l’administration de l’État, des banques, des bureaux, des bâtiments commerciaux, culturels, de l’éducation. Le plan de la ville de Kjustendil (1939) est considéré comme le premier exemple d’urbanisme moderne dans le pays. 9 La typologie des espaces urbains a été aussi considérablement enrichie, une plus grande diversité fonctionnelle s’est développée, les cités et les villes eurent leurs jardins publics et leurs parcs (certains de haut standard européen). Beaucoup de villes et de cités eurent dans les années 1930 leurs squares centraux prestigieux façonnés auprès

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de chefs-d’œuvre architecturaux encore emblématiques pour les cités contemporaines. En dépit de la stratification sociale progressive et des changements qui s’ensuivent dans les structures urbaines la spontanéité persistante des interactions urbaines fut respectée ; l’espace public urbain (les rues, les squares et les nombreuses places de marchés ouverts) étaient les théâtres vivants et colorés de la mixité et des contacts sociaux.

Changements sociaux et modèles d’aménagement, 1945-1990 : influence sur l’espace public urbain

10 La fin de la Deuxième Guerre Mondiale a marqué le début d’une nouvelle période historique. Le nouveau système politique installé et la période d’industrialisation du pays ont apporté une nouvelle philosophie urbaine et demandé de nouvelles approches d’aménagement. Comme les plans urbains existants étaient impropres aux nouveaux besoins sociaux, un vaste programme d’aménagement urbain fut entrepris dans les années 1950. la priorité fut donnée au développement des centres industriels et de nouvelles villes industrielles (Dimitrovgrad). À l’exception de Sofia, qui fut lourdement bombardée (en 1941 et 1944) les centres des villes bulgares sortirent physiquement intacts de la Deuxième Guerre Mondiale mais avec des caractéristiques techniques plutôt modestes et déjà dépassées6. Ils couvraient comparativement un petit territoire et étaient considérés comme insuffisants pour répondre à tous les besoins qui se faisaient jour pour une population urbaine en rapide croissance due à l’industrialisation. Par exemple, le plan pour le centre urbain de Sliven (1955) proposa la démolition de toute la structure compacte des quartiers historiques du centre.

11 L’urbanisation rapide produisit une croissance urbaine considérable qui entraîna des changements de structures dans la ville tant du point de vue social que du point de vue physique. Aménagements d’urgence, plans et constructions conduisirent à l’apparition d’énormes quartiers résidentiels nouveaux de bâtiments préfabriqués industriellement où des groupes de gens de cultures urbaines différentes ou sans culture urbaine, avec leurs valeurs et leurs souvenirs différents, interviennent ensemble dans des communautés nouvelles. Des espaces publics pour ces nouvelles structures urbaines (avec quelquefois des centaines de milliers d’habitants) furent planifiés avec soin, toutefois habituellement jamais construits (sauf les écoles et les jardins d’enfants). 12 Les années 1960 constituent la décade de planification urbaine bulgare la plus fortement dominée par le fonctionnalisme. La rue traditionnelle type et les structures urbaines détachées furent considérées comme dépassées et à la fois les centres publics construits récemment et les nouvelles cités adoptèrent les bâtiments librement élevés comme éléments spatiaux de base. Les plans d’aménagement «moderniste » appliquèrent aux établissements bulgares un modèle économique planifié centralement, imposant sur la structure spatiale d’origine historique de l’espace urbain public le cadre rigide de constructions publiques définies normativement (en termes de structures, de contenues et d’images architecturales) dans la cité et le centre des villes (fig.4a, 4b, 5a, 5b). Un grand nombre de concours d’architecture et d’urbanisme se sont concentrés sur les centres des cités et des villes ; les projets gagnants proposaient une démolition complète des structures physiques existantes : les squares solennels de l’administration aux dimensions excessives apparus dans les centres de nombreuses cités et villes (Montana, Dobrich, Vidin). Au tout début de la décennie suivante

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l’aménagement commença par le nouveau centre de la ville de Smoljan au cœur des monts Rhodope. Il y eut un visible changement durant les années 1970 pour un environnement urbain plus humain et de nouveaux développements pour tenter une meilleure adaptation au construit urbain existant. Le système urbain augmentait et se complexifiait avec une grande part de nouvelles fonctions regroupées dans des zones et des systèmes nouveaux. Au début des années 1980 une tendance post-moderne inverse se développa dans le pays. La valeur du contexte historique fut redécouverte par l’aménagement et le projet urbains.

Fig. 4 : Centre-ville de Sofia

a) Place du tsar Osvobotidel (Roi Libérateur) avec l’Assemblée Nationale (à droite) et l’Académie des Sciences de Bulgarie (derrière) b) Théatre National Ivan Vazor

Fig 5 a et b : Centre-ville de Sofia

a) Cathédrale Alexandre Nevski construite en 1904-1912

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b) Université St. Clément d’Ochrid

13 Nombre de bâtiments et de quartiers historiques (y compris la Galerie Nationale au centre de la ville de Sofia) furent sauvés grâce aux efforts conjoints des membres de la communauté des architectes. Le modèle traditionnel rue-quartier reprit vie ; les urbanistes et les architectes tentèrent de conserver l’échelle et l’identité spatiale de l’espace public urbain existant. La régénération réussie des rues commerçantes piétonne au début et au milieu des années 1980 produisirent un espace public urbain plaisant et encore vivant avec des bâtiments urbains historiques respectueusement intégrés à la vie quotidienne des villes de Pazardjik, Vratza, Gabrovo et Lovech (fig.6). Des lieux publics solennels au-dessus des dimensions moyennes furent cependant construits à Sofia et ailleurs vers la fin de la période, le complexe du Palais National de la Culture à Sofia restant le plus impressionnant (fig 7).

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Fig 6 : Tour résidentielle au centre de la ville de Vratza avec le complexe culturel construit en 1980, photo 2006

Fig. 7 : Espace public ouvert devant le Palais National de la Culture à Sofia, construit en 1981, photo 2007

Dynamiques urbaines post-socialistes : défis pour l’espace public urbain

14 Les changements politiques de 1989 et la crise économique des années 1990 en Bulgarie furent accompagnés de profondes transformations dans la démographie (perte considérable de population active), la société et la culture. La restructuration fonctionnelle et spatiale de l’espace urbain fut aussi le résultat de certaines autres tendances générales en Europe et globales, qui influencèrent la région des Balkans. Elles furent toutes des défis importants pour l’espace public dans les grandes et les petites villes bulgares et entraînèrent de nombreuses pertes encore sous-estimées.

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Restructuration sociale et économique de la ville

15 Les 17 dernières années ont apporté de nombreux défis aux grandes et aux petites villes bulgares. Les changements dans la structure morphologique de l’environnement physique furent dans une large mesure le résultat de processus sociaux, économiques et culturels réciproques. Les changements dans le système politique et la réévaluation des valeurs historiques étaient accompagnés de modification dans l’importance donnée à des espaces publics particuliers de la ville et entraînèrent la démolition d’anciens symboles et l’apparition de nouveaux au centre de la ville (fig.8).

Fig. 8 : Démolition du mausolée de Georges Dimitrov à Sofia, août 1999

16 Le soin mis à la remise en état et à la restauration de monuments historiques en des lieux prestigieux du centre de la ville fut accompagné d’une négligence des terres incultes de la périphérie de la cité. 17 Une diversité impressionnante d’initiatives privées au début des années 90 produisit une densité croissante de la vie urbaine et une grande variété d’événements au centre de la cité. De nouveaux centres d’intérêt de la vie publique apparurent et des espaces publics plus vivants et attractifs et des espaces de marchés formés spontanément répondirent aux besoins du peuple et gagnèrent l’intérêt public. Cependant la pression croissante des investissements conduisit à une perte considérable d’espaces publics et d’espaces verts, à une surcharge de l’infrastructure technique, à une pression croissante (souvent aux dépens de la sécurité) sur les structures déjà bâties dues surtout aux reconstructions non autorisées de rez-de-chaussée. 18 Un déséquilibre croissant du réseau des services (développement rapide du commerce, de l’approvisionnement, des assurances, des finances, du tourisme), concentré surtout au centre de la ville en changeant l’échelle urbaine existante, est accompagné de la considérable diminution du budget des services sociaux correspondant (éducation et santé), qui est peu à peu, –et non toujours successivement–, réorganisé selon les principes du marché. L’infrastructure des transports qui était nécessaire pour relier les

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nouveaux immeubles résidentiels au centre de la ville historique a déjà causé des dommages irréversibles à l’héritage urbain (fig. 9, 10). Le problème de la silhouette de la ville a été discuté maintes fois dans le passé sans jamais avoir un résultat. La demande croissante d’étages de bureaux an centre de la capitale a rouvert la vieille discussion sur le besoin et les lieux d’accents verticaux dans la cité.

Fig. 9 : Nouveaux étages ajoutés à un monument pour fournir une place à une banque étrangère, photo 1999

Fig. 10 : Bâtiment scolaire de 1930 coupé pour faire de la place à un nouveau boulevard à Sofia, 1999

19 Les vestiges visibles laissés dans l’espace public ouvert des villes bulgares grandes ou petites sont encore le sujet de discussions seulement fragmentaires et ils sont habituellement liés à l’agressivité des investissements contre la verdure publique existante ou les parties récentes « interdites » de la ville rendues inaccessibles au public par suite de la commercialisation. Ceci est toutefois seulement une partie des pertes subies, celles des quartiers de la ville vivante. Ce que l’on remarque ce sont les lieux qui meurent, d’où la vie urbaine s’en va attirée par de nouveaux foyers d’activité et de développement qui se transforment en zones dévastées ou en dépotoirs.

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Où le local rencontre le global

20 Le processus de globalisation a été d’abord marqué par l’apparition de compagnies multinationales et des traces de langues étrangères dans l’espace des villes bulgares grandes et petite. Suivit le développement de structures spatiales plus vastes à la périphérie des villes. L’apparition de chaînes de fast-food et de grandes allées commerçantes issues des investissements de compagnies étrangères était accueillie à la fois par les citoyens et les autorités locales comme une manifestation de changement. Cependant l’ardeur à créer un environnement favorable aux investissements étrangers et locaux entraîna la menace d’une perte graduelle de l’espace vert public et de la mémoire de la ville. Initialement objet de suspicion de la part des habitants de la cité Mladost à Sofia, le Parc des Affaires nouvellement installé fournit des fonds pour la réparation des rues, la verdure publique avec un jardin d’enfants et une nouvelle ligne de minibus pour le centre de la ville. Ceci entraîna aussi une hausse générale des prix dans la cité voisine et « le nouveau venu » fut peu à peu accepté par la communauté locale.

21 Les promesses des technologies de l’information de déplacer le « caractère obligatoire » de l’espace public physique ou de changer fortement sa signification sociale demeurent un concept vague pour les villes bulgares grandes et petites bien que des clubs Internet soient vite apparus et gagnent en popularité même dans les petites villes éloignées de la capitale. En tout cas les communautés, les politiciens et les projeteurs devront considérer que comme conséquence de la compression de l’espace il est très probable que les communautés locales auront à affronter les conséquences de la ségrégation spatiale croissante, manifestée par la perte des espaces publics fixés au-delà de l’espace de la vie locale7, et à décider d’accepter que ces communautés urbaines locales soient définies seulement par l’intérêt commun de maintenir une infrastructure technique utilisée conjointement8, ou bien en tenir pour une définition sociale et culturelle plus large de la communauté urbaine.

L’espace public urbain – L’espace de qui ?

22 Dans les conditions de changements sociaux beaucoup de centres culturels et de centres de jeunes prévus au-dessus des dimensions moyennes restèrent inachevés et abandonnés (fig.11), une quantité de places magnifiquement pavées, au lieu d’attirer une vie publique, se trouvent sans objet et vides (fig.12).

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Fig. 11 : Centre de jeunesse inachevé et abandonné dans le parc urbain de Gorna Oriahovitza, photo 2003

Fig. 12 : Place pincipale de la ville de Gabrovo, photo 2004

En d’autres endroits la vie a pris un autre chemin : la démocratisation du développement urbain, le contrôle social plus lâche (formel ou informel), l’apparition de nouveaux acteurs, de nouveaux éléments, de nouvelles activités et le plus long usage

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quotidien de l’espace public central ont donné le sentiment que la ville « s’était réveillée », que rien n’était écrit à l’avance, que tout ce qui arrive est le fruit d’un choix, de l’initiative et de l’opiniâtreté de chacun. Il est aussi vrai que très souvent l’image urbaine rappelle la peinture kaléidoscopique des villes occidentales contemporaines dominée par « la fiction, la fragmentation, le collage et l’éclectisme, toute inondée de la sensation de l’éphémère et du chaos »9. La conception multicolore entre les contrastes et les inconséquences découvertes quelque part ailleurs dans le monde devient une partie de la vie quotidienne des villes bulgares aussi. Il était probablement important psychologiquement pour les Bulgares de croire qu’ils sont devenus des citoyens du monde en admettant l’intrusion de la publicité en langue étrangère et les enseignes de Mc Donald dans l’espace public ouvert bulgare ; il y avait eu tant d’années d’isolement loin du monde dans notre passé. Cependant, si l’on regarde les gens dans les rues avec plus de soin, on peut découvrir que c’est encore le même phénomène de spontanéité et d’action réciproque : on se précipite, on s’affaire, on fait des courses, on goûte le soleil d’automne ou l’ombre de l’été, on discute politique, on fait la queue devant les fontaines à eau minérale (là où autrefois la ville a commencé) ; et il est probablement essentiel de garder vivant ce sentiment d’espace commun et de communauté. Les gens ont besoin de lieux où rencontrer un ami, où prendre un verre de bière ou une tasse de café au grand air, mais sommes-nous informés que s’est établie une stratification des espaces publics et que certains d’entre eux ne sont plus accessibles à quiconque ? Que certains mouvements spontanés et des habitants traditionnels de l’espace urbain ont été peu à peu exclus du centre-ville embourgeoisé pour une périphérie où « ils ne gêneront pas les touristes » ? 23 L’ambition de créer des lieux prestigieux dans le centre urbain n’est pas nouvelle dans la pratique urbaine bulgare. Aujourd’hui, bien que gêné dans les petites villes par le manque d’investissement potentiel et d’intérêt, elle développe comme un besoin naturel des villes nouvelles de manifester leur présence au niveau urbain et on relate souvent qu’elles copient des modèles étrangers. Le modèle occidental d’embourgeoisement des aires urbaines attirantes s’est transporté dans les villes bulgares en dépit de la menace de dévastation pour la vie des gens du fait de l’accomplissement du développement abstrait et des plans de régénération10. Désormais on a compris qu’au moyen de la formalisation des développements urbains spontanés (marchés ouverts et autres activités) et des enjolivements des espaces urbains, ils les ont préservés. La présence là d’un élément commercial n’est pas contraire à la tradition de l’espace public urbain bulgare mais constitue pour lui une nécessité préalable. Le « Pazar » (marché ouvert) et la « charshia » (rue commerçante) sont les lieux traditionnels de l’échange, échange de biens mais aussi d’informations sur le monde et sur les valeurs des autres groupes et des autres communautés11. La substitution progressive du public traditionnel dans l’espace public urbain et l’expulsion d’activités à la bonne franquette et de groupes plus pauvres dans la périphérie de la ville sont souvent expliqués comme le résultat d’une recherche pour sauver l’esthétique de l’environnement urbain et pour éviter les conflits concernant les transports et les communications. Mais il s’agit bien d’un moyen pour priver l’espace public urbain de ses traits démocratiques traditionnels les plus importants, qui sont ouverture, accueil et tolérance à la variété la plus large de gens et d’activités. Comme ailleurs en Europe la figure des gens communs ordinaires, pauvres seront seulement une attraction pour touristes dans le centre urbain de luxe.

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24 Un développement urbain est à mentionner, qui fournit toutes les raisons pour être optimiste. Les gens sont habituellement sensibles à la pression exercée sur les lieux et les bâtiments, qui ont conservé une mémoire d’établissement centenaire, ce qui explique quantité d’initiatives publiques et professionnelles au début du siècle à Sofia, dans le centre et dans la périphérie. Elles ont prouvé la possibilité même très relative d’empêcher des activités de construction dans les espaces verts. Soumis à la pression d’un développement énorme et ayant démontré son extrême vulnérabilité dans la situation présente des villes bulgares, grandes ou petites, l’espace public urbain a joué un rôle important pour unir et renforcer la société civile émergente dans le pays.

Projeteurs et architectes dans le développement

Changements dans les règles des projets : défis aux éthiques et aux responsabilités professionnelles

25 A la fin des années 1990 des discussions internationales animées ont porté témoignage de résultats moraux et éthiques dans l’architecture urbaine12. Les « Projeteurs avec manière » (La Haye, 1997) avaient besoin de rencontrer les défis d’une nouvelle réalité sociale. Les développements en transition des pays de la CEE étaient en rapport étroit avec les résultats éthiques dans le projet spatial. Une transition des solutions impératives à la coordination continue des intérêts et des actions s’est montrée une bonne réponse aux dynamiques du développement du projet. En outre, à la fois la redistribution des ressources (en rapport avec le principal changement dans la propriété du sol, la stratification et la polarisation sociales, le développement de l’initiative privée, etc.) et la recherche d’une nouvelle balance entre les intérêts individuels et publics, la préservation des avoirs naturels et culturels et l’accès à ceux- ci, avaient besoin de références de valeur claire. Le changement du paradigme « projet pour le peuple » en projet avec lui est l’un des défis que l’on rencontre encore dans le système du changement de projet en Bulgarie. Il réclame construction de respect mutuel et pouvoir de dialogue, en fournissant information disponible et compréhensible, en garantissant la transparence de la décision qui fait avancer les choses et prise de responsabilité pour les faire bouger.

26 Au début de 1990, après les changements politiques dans le pays fut organisé le premier concours pour une vue conceptuelle sur le futur développement urbain de la capitale Sofia. Bien que le résultat de la première étape (sur trois prévues) fut jugé comme « une révision plutôt émotionnelle et symbolique de concepts antérieurs prédominants sur le développement urbain de la capitale »13, le plus important fut que le projet fut élaboré hors de l’espace limité des considérations professionnelles et placé à l’intérieur du champ ouvert de l’intérêt public. Les discussions furent concentrées sur les rapports de l’urbanisme à l’écologie, à la sociologie, à l’économie, aux communications etc., sur la critique du modèle urbain moderniste et sur la recherche de nouveaux modèles, procédures et structures de la gestion urbaine. La démocratisation du processus de planification spatiale et une initiative civile plus large dans le projet urbain et la gestion urbaine furent considérées comme des résultats d’importance primordiale14. Celles-ci étaient toutes en rapport avec les nouvelles éthiques des projets et posaient des questions auxquelles il fallait répondre : comment engager le public, comment équilibrer intérêt public et intérêt privé, quel niveau de décision de faire pouvait

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garantir un niveau optimum de décentralisation en prenant compte des besoins locaux et du potentiel de développement ?

Recherche sur l’espace public urbain : capacité de comprendre, capacité d’influencer

27 Bien que maintes fois mentionné, le terme même de « public » est désormais difficile à définir dans les documents officiels, pour construire le cadre de la politique urbaine européenne. L’ECC (Green Paper on the Urban Environment, 1990), point de départ d’une nouvelle concentration sur les résultats urbains, réclame la préservation et le développement de la ville européenne traditionnelle, caractérisée par la densité, la multifonction et la diversité culturelle. La « Charte des villes européennes » intitulée « Towards urban sustainability » (Aalborg Charter, 1994) reconnaît que les villes européennes ont survécu comme centre de vie sociale. Cependant, aucun trait de l’espace public urbain n’a été discuté dans les EEA (European Common indicators, 2001), destinés à fournir une comparabilité des villes européennes au regard de la qualité de l’environnement urbain. Un rapport scientifique suivant (EEA, 2002) a proposé d’inclure « l’accessibilité pour les citoyens aux espaces et services urbains publics ouverts locaux », comme principal indicateur15. Les auteurs déclarent que l’espace urbain ouvert est d’importance vitale pour la qualité de la vie et la maintenance locale, mais ne peut répartir la qualité des espaces urbains et l’efficacité de leur fonctionnement.

28 Un projet de recherche sur les petits établissements dans la municipalité de Sofia16, entrepris à la fin des années 1990 et deux projets de recherches internationaux récents (PETUS17 et ACT18) ont examiné de différents points de vue le fonctionnement courant, la gestion et le jugement de valeur de l’espace urbain dans les établissements bulgares et ont fourni une information moderne sur le développement et les tendances intéressants. 29 Le but de la première recherche était de tracer l’interaction des valeurs économiques, sociales et culturelles de soutien qui influencent le développement spatial et de fournir une vue du caractère et des dimensions temporelles de l’information qualitative (et des indicateurs « soft » respectifs) indispensables pour formuler une politique de projet spatial de support au niveau local. Les espaces publics urbains étaient parmi les éléments d’un intérêt particulier pour la recherche. Une enquête limitée (couvrant 1% de la population) a fourni une information préliminaire sur l’interrelation des trois groupes de résultats sur le territoire : a) modes de vie prédominants (bassins d’emplois, structures du temps libre, modes d’habitat, mobilité de la population) ; b) existence sociale et identité culturelle de la population (priorité dans la vie, activité et valeurs culturelles, conscience des problèmes de la communauté et attitude envers eux, activité sociale) ; c) évaluation individuelle de la qualité de l’environnement urbain (environnement de la vie, du travail, des études, espaces publics, importance et accès à la culture et à l’éducation19. La recherche a prouvé que : 30 — le projet PETUS fournissait l’occasion d’une étape pilote témoignage conduite dans les villes de Gabrovo et Dobrich sur la manière dont le public évaluait, utilisait et gérait les espaces verts ouverts dans les villes. 31 — ASO. La grande variété existante des espaces verts ouverts (nombreux types d’espaces verts mais aussi d’espaces ouverts avec des fonctions non formellement

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définies) fournit encore de multiples opportunités pour un développement ultérieur, qui devrait rester ouvert, examiné avec soin et discuté largement. Ceci présente aussi une chance de considérer l’avantage qu’il y a à appliquer des approches professionnelles avancées dans le processus du projet. En construisant une nouvelle culture de communication dans le processus planificateur on doit considérer un autre défi. Le soutien professionnel pour une conscience publique en éveil sur les résultats du développement urbain doit être vu comme un facteur crucial pour soutenir une conscience publique vers une approche de planning urbain professionnel visant à un développement soutenable20.

Message pour l’aménagement urbain

32 Les développements ci-dessus formulent un message clair à l’attention du système de formation : ils montrent le besoin de « planificateurs avec orientation », sensibilisés aux valeurs urbaines, avec l’aptitude à les traduire dans notre langage urbain contemporain. Une nouvelle spécialité à la Faculté d’Architecture21, l’UACG, essaie de répondre aux défis urbains contemporains en reliant une ancienne tradition scolaire de 60 années aux standards européens d’aujourd’hui et aux besoins de demain. Le processus scolaire est souvent un défi pour de nombreux concepts professionnels et pédagogiques établis, mais il permet de reconsidérer les possibilités et les moyens de préserver, défendre et transmettre aujourd’hui les codes culturels, ce qui a permis de juger et de réévaluer quantité d’événements, d’efforts, de résultats. La seule base possible est probablement un dialogue démocratique avec nos futurs collègues sur les valeurs et la mémoire urbaines.

Conclusion

33 La tendance récente à un rétrécissement général de l’espace public urbain dans les établissements bulgares s’est développée en conformité avec les transformations sociales et économiques particulières au pays. Conformément à des processus similaires mentionnés dans d’autres villes européennes, on peut s’attendre à ce qu’elle continue et que sa sous-estimation puisse entraîner des conséquences défavorables pour les villes et les cités bulgares, qui dans leur hâte « de saisir le monde » perdraient l’essence de leur identité spatiale et culturelle. Un oeil compétent mais aussi sensible et sympathique porté sur la peinture à mille strates des villes et des cités bulgares d’aujourd’hui aux destins historiques différents, aux emplacements et aux identités spatiales différentes, fournirait de nombreuses tendances locales intéressantes. Une interprétation du point de vue des tendances européennes et globales esquisserait à la fois des traits communs et des particularités. Il faudra probablement beaucoup de temps pour découvrir la formule de la cité vivante, celle qui n’a pas peur de laisser aller son passé mais ne l’oublie jamais ; celle qui construit sa vision du futur mais vit dans le présent ; celle qui est tolérante pour les modes et les styles, mais garde sa mémoire à travers le temps. Il est cependant crucial pour les planificateurs de comprendre que « le marché » n’est pas une panacée mais un instrument qui peut être ou non mis en œuvre raisonnablement et convenablement ; que l’espace culturel est toujours plus large que l’espace économique ; et que le principal secret de la bonne cité est de fournir aux gens la possibilité de prendre la responsabilité de leurs propres actions en société22.

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NOTES

1. J. Bodnar, “On Fragmentation, Urban and Social”, in K. Gotham, Critical Perspectives on Urban Redevelopment, Research in Urban Sociology, vol. 6, Elsevier Science Ltd, 2001. 2. Z. Georgieva, Espace et espaces en Bulgarie (XVe-XVIIe siècles), LIK, Sofia, 1999 (en bulgare). 3. R. Angelova, Clock towers, 2001. 4. Ibid. 5. S. Bogdanov, The image of Bulgarian School. Unpublished research report, UACG, Sofia, 1988. 6. Y. Kyosev, Les centres des villes moyennes en Bulgarie. Développement des centres des villes moyennes dans la deuxième moitié du 20e siècle et perspectives pour leur développement au début du 21e siècle, Thèse de doctorat, Faculté d’Architecture, Université de Sofia, Sofia, 2004 (en bulgare). 7. Z. Bowman, Globalisation. Conséquences pour l’homme, LIK, Sofia, 1999 (en bulgare). 8. M. Albrow, The Global Age. State and Society beyond Modernity, Polity Press, Cambridge, 1996. 9. D. Harvey, The Condition of Postmodernity. An Enquiry into the Origins ot Cultural Change, Blackwell, 1995, p. 98. 10. R. Sennett, Uses of Disorder: Personal Identity and City Life, Londres, 1966. 11. Z. Georgieva, Espace et espaces en Bulgarie, op. cit., pp. 286-291 (en bulgare). 12. H. Voogd, “Comment in Policy Forum”, Town Planning Review, 69 (1) (1998), pp. 79-82 ; J. Innes, “Viewpoint. Challenge and Creativity in postmodern planning”, in Town Planning Review, 69 (2) (1998), pp. v-ix ; B. Needham, “Pursuing Spatial Development Which Is Environmentally Sustainable : Who Gains and Who Loses?”, Paper, International Conference on Sustainable Development and the Spatial Planning in the European Territory, National Technical University of Athens, 13-16 May, 1999. 13. A. Alexandrov, « Le nouveau maître-plan de Sofia entre le passé et aujourd’hui », in Architecture. Magazine de l’Union des Architectes de Bulgarie, n. 7-8 (1992), pp. 30-48 (en bulgare). 14. M. Todorov, « Politique de planning urbain : pluralisme et droits civils », Architecture. Magazine de l’Union des Architectes de Bulgarie, n. 7-8 (1992), pp. 49-50 (en bulgare). 15. L’accessibilité est définie par un emplacement à moins de 300 m. de l’habitation et des espaces publics ouverts y compris « les parcs, les espaces ouverts pour les piétons et les cyclistes,

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possibilités de faire du sport, espaces privés avec un accès libre » cependant les rues piétonnes à prévalence commerciale ou avec des bureaux sont exclues. 16. Stratégies de développement… Projet n° 712/97, 1997-2000 équipe sous la direction de E. Dimitrova. 17. Projet de recherche FP5, 2002-2005, acronyme PETUS (Pratical Evaluation Tools for Urban Sustainability) ; coordinateur : Université de Cardiff ; UACG (contact : E. Dimitrova). 18. Projet de recherche bulgaro-autrichien, partiellement fondé par ASO-Sofia 2005- 2006, acronyme ACT (Activating the Pontentials of Urban Public Green Space), chef du projet : BOKU, Vienne ; UACG équipes sous la direction de E. Dimitrova. 19. E. Dimitrova et K. Sentova, The Cost of Sustainability Values in Urban Planning – Who Pays the Bill? Third Conference of the European Society for Ecological Economics, Vienne, 2000. 20. D. Grimm-Pretner, E. Dimitrova, P. Rode, “Open Space: Planning with Respect for the Urban Context”, Paper, Jubilee Conference of the University of Architecte, Civil Engineering and Geodesy, Sofia, 17-18 mai 2007. 21. Bachelier en sciences de l’Urbanisme, comme résultat du TEMPUS-JEP 12540/97 (partenaires : UACG, Sofia, coordinateur prof. V. Troeva), University College Dublin ; School of Arts, Université d’Edinburgh) ; commencé en 2001/2002, faculté d’architecture, UACG, Sofia. 22. H. Fisher, “CIED. Results after nearly 2 years working within a European project”, Culture, Innovation and Economic Development. Documentation of the conference of the CIED Project, Leipzig, septembre 1999.

RÉSUMÉS

Panorama historique des modèles urbains qui ont façonné les villes bulgares depuis l’indépendance de 1878 : du mahale ottoman au modèle européen dix-neuviémiste, puis aux grands ensembles socialistes, le modèle a été influencé, à partir des années 1970, par la réflexion occidentale sur la réhabilitation historique des centre-ville et par les transformations des dernières décennies dues à l’influence de l’économie de marché. L’auteur critique explicitement ces dernières évolutions et en appelle à conserver le caractère public des espaces ouverts.

Historical overview of urban patterns that shaped Bulgarian towns from the Independence in 1878: after Ottoman mahale and the Western pattern borrowed from 19 th c. Europe, towns have been transformed by residential complexes in the socialist era. In the 1970’s, town planners adopted the western reflection on historical cities’ rehabilitation; now, towns are altered by market economy. The author explicitly criticizes these recent evolutions and wishes that public character of open spaces be conserved.

AUTEUR

ELENA DIMITROVA

Université de Sofia

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Deuxième partie

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Une ville à refaire. Renouvellement urbain à Belgrade A New Deal for a Town. Urban Renewal in Belgrade

Eva Vaništa Lazarević

Introduction

Cadre social

1 La lutte contre la pauvreté et le chômage, la protection des ressources naturelles et de l’environnement représentent les priorités des Nations Unies. La pauvreté de plus en plus grave dans le monde et particulièrement en Serbie est due à la répression économique résultant du chômage et du travail mal rémunéré. Sur le marché du travail se sont établies de nouvelles relations d’offre et de demande issues de la période de transition et de la nouvelle valorisation de la main-d’œuvre. Personne n’a plus besoin de groupes entiers de la population. Le rôle correctif de l’État manque qui engagerait des moyens financiers pour des groupes particuliers (médecins et professeurs) indispensables pour assurer le progrès social. Ainsi pourrait-on exterminer l’économie grise et la corruption, un des plus graves problèmes actuels. Les petites entreprises et le secteur tertiaire, qui représentent une ligne directrice pour la sauvegarde de la paix sociale, ne trouvent plus de clients solvables pour leurs produits et leurs services. Le but du nouveau développement économique comprend l’augmentation des embauches et une hausse des salaires1.

2 Belgrade, le croisement-clef de l’Europe au confluent de la plus grande rivière balkanique et du fleuve européen depuis sa genèse n’a jamais connu de période de paix qui ait dépassé 23 années consécutives entre deux guerres et a subi 92 sièges. Suite à la concentration des guerres et à la destruction, la ville a été endommagée à tel point qu’il manquait toujours une période de paix suffisamment longue pour permettre la reconstruction complète de la ville. Dans ce sens, au cours des siècles, la situation géopolitique ne se prêtait favorablement ni au progrès ni au développement

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harmonieux. Ce n’est qu’après 1945, qu’a eu lieu une période d’une quarantaine d’années de paix. C’est ainsi que dans les années 80 du siècle précédent Belgrade était considérée comme une des capitales balkaniques les plus développées, un des centres culturels d’Europe, centre de manifestations internationales extraordinaires, centre des progrès en économie et en industrie, connu également pour ses festivals et ses concerts. 3 Les habitants des Balkans connus pour leur hospitalité, leur humour et leur sensibilité sociale sont, après 15 ans de répression et de guerre, dans les années 1990, économiquement ruinés, dégradés et introvertis. Selon les statistiques de 2002, un tiers de la population est au-dessous du minimum vital. Cependant, les pauvres sont nécessaires à ceux qui en ont moins. La question sociale gagne en priorité et la lutte pour la restitution de la solidarité bat son plein. Des processus graves de réforme et de transition se réalisent en présence d’un phénomène social, inquiétant — la pauvreté. 4 Le régime totalitaire, le pillage des biens publics et la transition à laquelle on est assujetti en Serbie à partir des années 90 ont eu pour conséquence la création d’une nouvelle classe d’oligarques riches, alors que le reste de la population est défavorisé. Le capital social qui se privatise (transition) cause de graves changements sociaux. 5 Au cours du processus de changement de propriétaire des moyens de production, le nombre d’acheteurs potentiels du pays étant insignifiant, c’est vers les étrangers qu’on s’est orienté. Le flux du capital étranger est conditionné par la base du système bancaire ainsi que par la politique financière et monétaire. Le pays appauvri qui s’appuie sur les donations étrangères n’est qu’une stratégie de courte durée et de ce fait il ne reste qu’à s’orienter vers le marché national du capital. 6 Contrairement à la Serbie, dans le cadre du progrès économique, l’Europe s’est occupée des problèmes sociaux en continu (à partir des années 80 jusqu’à présent). En Serbie, on distingue deux périodes de politique sociale. La première, de 1957 à 1985, et la seconde de 1986 jusqu’à présent. Les priorités des politiques sociales ont évolué avec l’évolution des problèmes économiques, politiques et sociaux. Au début, les syndicats s’occupaient de la hausse du niveau de vie, la défense d’embaucher les enfants, l’amélioration des conditions de vie, plus tard des problèmes du cours libre de la main d’œuvre, du traitement égal à l’embauche, puis la décroissance économique a imposé des problèmes complexes au traitement des emplois et des salariés. L’Union européenne peut influencer la politique sociale par sa propre régulation, mais aussi en limitant cette politique dans les pays membres (exemple de la Norvège)2. 7 La création du Fonds social européen a visé à réorganiser l’embauche et le maintien des emplois. Il s’agit surtout de chômage à long terme, des femmes qui ont cessé le travail et reviennent travailler de nouveau, des personnes handicapées cherchant du travail, des ouvriers qui ont besoin d’une requalification en raison des progrès technologiques. La charte sociale devrait accompagner le document de Maastricht, mais n’a pas été signée à cause du refus de la Grande-Bretagne. Depuis 1986, la Charte est appliquée en Europe, l’année suivante avec l’avènement du Labour en Grande-Bretagne également. Elle insiste sur la justice sociale, donc sur une loi favorisant le modèle social. Y sont incorporées les améliorations dans le secteur de la santé publique, des conditions de travail, d’information et de consultation des ouvriers, l’égalité des sexes, ainsi que l’intégration des chômeurs et la protection des ouvriers. De nombreux syndicats des pays membres de l’Union ont eu comme motivation de résoudre les problèmes économiques causés par une régulation de production excessive et par leurs résultats

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inférieurs en Europe par rapport aux Etats-Unis et aux pays d’Orient. Ce n’était qu’une tentative, car dans le cas où l’on invente des affaires, la répartition de la plus value n’est que temporaire. 8 Cependant, le modèle des pays plus développés que l’on pourrait suivre se réfère à la socialisation de certaines lois jusqu’à présent ‘mercantiles’ qui ont été acceptées en Serbie à bras ouverts.

Situation sociale en Serbie

9 En Serbie, parallèlement à l’écroulement économique, la guerre civile décennale a saccagé le pays, provoqué une pauvreté plus grave, des réfugiés et des invalides de guerre. Le cadre social est caractérisé par : • les conséquences du régime totalitaire et le pillage des biens publics, • les guerres, • la transition, • la récession économique.

10 Après l’hyperinflation de 1993 le salaire réel en Serbie (après les hausses et les décroissances par rapport à une meilleure époque (1989)) s’élève à 250 euros par mois. Le secteur privé est de 7 % supérieur à celui de 1990 mais ne peut pas compenser le licenciement en masse du secteur public qui a dépassé 100 % au cours de 10 années3. Ce secteur social représente la génération sacrifiée, le surplus technologique constant.

11 L’assurance sociale devrait disposer de fonds autonomes et doit viser les catégories réellement nécessiteuses4. La lutte pour les droits de l’homme, le droit à l’abri, devrait être une priorité non contestée. Le cadre social est indispensable à titre de donnée de base permettant de comprendre la situation urbanistique de Belgrade, qui est extrêmement défavorable et résulte des paramètres sociaux cités. 12 À partir de 1990 en Serbie le bâti est endommagé pour les raisons suivantes5 : • au moins 600.000 réfugiés et personnes déplacées sont arrivés dans les villes de Serbie, • la privatisation des logements du secteur public n’a pas amélioré le statut des sans-abri, • la crise économique et la baisse de niveau de vie ont stoppé le maintien et la reconstruction des immeubles, • un certain nombre de maisons a été détruit par le bombardement en 1999, • la construction en baisse constante, • la construction illégale également en baisse (la loi sur la légalisation a été promulguée pour assurer la paix sociale).

13 Selon les données de novembre 2004, sur les 377.131 réfugiés, 7.000 sont logés dans des centres collectifs6. Cependant, en dehors des catégories citées ou dans les catégories des nécessiteux et marginales il y a des personnes âgées, des mères célibataires, des familles avec des membres handicapés ainsi que des personnes excessivement pauvres.

14 En été 2005 on comptait 60.000 bénéficiaires de l’aide sociale – des invalides de guerre, y compris les membres les plus proches de leur famille ainsi que les familles des soldats disparus. La plupart sont des vétérans des anciennes guerres, 15.000 datent de la dernière guerre. Jusqu’à présent on a accordé la priorité aux problèmes des réfugiés et des Roms aussi bien que des groupes les plus menacés. Les donations les plus importantes sont celles de l’ONU – HABITAT et du Gouvernement italien, Projet de SIRP - logements et intégration des réfugiés en Serbie. L’agence suisse pour le

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développement et la coopération et l’administration de la ville de Belgrade, qui a initié un programme de 5.000 logements destinés aux Roms et a assuré 11,5 mil. D’euros. Le Commissariat pour les réfugiés et l’UNR, les « Suisse Disaster Reliefs », le Gouvernement norvégien et plusieurs agences ONG ont également contribué et amélioré cette situation grave. 15 L’hébergement des sans-abri est l’une des taches fondamentales pour aider les nécessiteux. En plus, ce groupe manque de confiance en soi-même. Le remède pour amortir ce facteur psychologique important est d’engager ces personnes a exécuter des travaux plus faciles. Ceci exige une stratégie élaborée, une organisation et une coopération des services différents, des pouvoirs locaux, de l’Etat, des organisations internationales ainsi que le financement des banques ; dans les pays plus développés, tout un mécanisme d’entreprises, de charges et de responsabilité des participants dans le processus de l’aide sociale au niveau global. Une juridiction adéquate à orientation sociale représente un maillon vers le but final. La Serbie a compris selon sa propre expérience quel rôle joue la solidarité pour résoudre les problèmes sociaux et économiques.

Le développement durable : à quel point est-il praticable en Serbie ?

16 Quand la Conférence des Nations Unis a eu lieu à Rio de Janeiro en 1992 consacrée à la sauvegarde de l’environnement et au développement (UNCED) connue comme la Conférence au Sommet du Globe, personne n’a pu envisager quelles conséquences cette manifestation aurait sur le développement du monde moderne. Ce n’est pas par hasard que la Conférence a eu lieu au Brésil, un des pays évidemment les plus pauvres du monde, avec 7.000 représentants des médias, 116 hommes politiques et 10.000 représentants officiels de 150 pays et une grande tension concernant cet événement. Un échec plus ou moins envisagé à résoudre tous les problèmes de l’univers a suivi7. Cependant, plusieurs documents importants ont été adoptés et des processus établis lesquels, en dépit de leur caractère bureaucratique, commencent à porter des fruits.

17 L’agenda local 21 de Rio, un document extrêmement important pour cette étude met en évidence la solution des problèmes sociaux et économiques en priorité. Cette nouvelle Bible du nouveau millénaire élabore les méthodes d’égalisation des catégories antérieurement défavorisées, telles les femmes, les jeunes, les nécessiteux et leur incorporation dans la société. Toute la société engage les ressources disponibles pour adopter les principes de l’agenda 21, il faut établir un consensus, coordonner les efforts contrairement au modèle dépassé des intérêts juxtaposés. On tient compte des circonstances et des priorités locales, de l’opinion publique. On cherche la façon d’évaluer le succès ou le progrès pour estimer les résultats réels. 18 Les principes-clés sont contraires à la politique mercantile du profit, le seul paramètre du succès sans égard à son prix. Pour cette raison, l’agenda 21 est nommé nouvelle Bible car il insiste sur l’égalisation des droits de toutes les catégories sociales et s’engage en faveur de ceux sans chances réelles, des pauvres dont le nombre augmente d’un jour à l’autre. Surtout, le développement durable est considéré comme lutte contre le néolibéralisme et l’économie néo-classique - « connaître le prix de toutes choses et la valeur de rien ». Focalisé sur l’individu, le néolibéralisme a envahi tout le monde anéantissant, tous les cadres sociaux et toutes sortes de solidarités.

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19 À la Douzième Conférence Mondiale (Hong-Kong, avril 2006) sur le développement durable, l’auteur du texte a eu l’occasion de s’assurer à quel point l’idée primordiale et le principe du développement durable a pris racines dans le monde à partir des idées globales au niveau des pouvoirs locaux. Les expériences en sont surprenantes. Environ 400 experts de par le monde ont pris part à la Conférence du Hongkong et ont exposé les expériences de leurs pays. Y participaient des architectes, des paysagistes, des hommes d’affaires, des banquiers, des écologistes, des industriels. La conférence a eu pour but de vérifier à quel point l’idée de développement durable, premièrement considérée comme illusoire, peut être incorporée dans la législation nouvelle, la pratique architecturale et son aspect social. 20 De même, la Conférence sur l’urbanisme corporatif (Dublin, septembre 2006.) a insisté sur la coopération de l’industrie, du commerce et de l’urbanisme aux fins communes – la solution des problèmes sociaux et de la « gentrification » de la société. 21 Certaines conclusions des deux conférences se référent à l’embarquement dans la société du savoir (« knowledge society »). Ceci comprend une éducation meilleure et massive. Les cours, ateliers, entraînements, acquisition des connaissances etc. et le savoir-faire offrent des possibilités a toute une pléiade de déshérités, défavorisés etc. De cette manière, la responsabilité de la société pour le chômage et la pauvreté se transfère aux individus eux-mêmes. 22 L’action commune des experts de différents domaines, biologistes, écologistes, physiciens, architectes, urbanistes, macro-économistes, banquiers, hommes d’affaires, industriels représente une orientation approuvée du développement durable8. Tous ces experts s’engagent à créer de nouvelles « formules » et leur implantation dans la nouvelle société. On s’attend à un degré beaucoup plus élevé de solidarité. Le renouvellement urbain est reconnu comme ligne directrice du développement durable. 23 Tout ceci n’est, malheureusement, pour la Serbie qu’un futur très lointain. Sans une situation politique stable et au moins une décennie de donations et d’investissements des capitaux étrangers, sans une création d’emplois il est fort difficile d’atteindre le niveau prévu par les principes du développement durable. Ce qui est certainement possible c’est de faire des efforts pour retenir les jeunes experts de quitter le pays et de sauvegarder la dignité des cadres (professeurs, médecins, ingénieurs) en les payant convenablement pour leur travail de transmetteurs du savoir et leur faciliter la mise au courant des expériences et manifestations professionnelles. Un reflux des matières grises qui ne cesse en Serbie depuis 1990 est désastreux. Le développement durable recommande la société du savoir alors que la Serbie a fait fuir plus d’un million de professionnels. La Serbie souffre à présent du manque d’une génération d’âge moyen qui l’a quittée au cours des années 90, tandis que les jeunes après les études universitaires, trouvent toujours un travail mieux rémunéré en Europe, aux États-Unis, en Australie et en Nouvelle Zélande. 24 Les Universités fameuses d’architecture aux États-Unis ont changé leurs cours, et accordent une priorité absolue à la solution des problèmes sociaux par le moyen de l’architecture, notamment le renouvellement urbain. Les facultés en Europe, où la situation est encore plus défavorable, accèdent à cette nouvelle orientation. Bien sûr, la Serbie a envie de s’y incorporer. Cependant, l’isolement rend l’intégration dans la communauté des pays développés difficile. Les événements politiques, la situation économique sont des éléments dont on doit tenir compte en étudiant le phénomène de la rénovation urbaine.

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Renouvellement urbain

25 Le renouvellement urbain représente de plus en plus un moyen de hausser le niveau de vie (même artificiellement), ou l’augmentation du standard d’une localité et aussi de créer de nouveaux emplois9. La rénovation urbaine a de plus en plus un caractère social, l’architecture abandonne sa position de l’art pour l’art et joue un rôle social beaucoup plus responsable.

26 Pour assurer les fonds nécessaires au renouvellement urbain il serait préférable d’engager des personnages politiques ou d’autorité, audacieux et promoteurs, prêts à organiser des manifestations culturelles et sportives et d’autres modalités de collecte de moyens. Le plus souvent c’est le premier ministre ou le maire, alors que l’organisation est confiée aux agences professionnelles (développement des corporations). Ces organisations en Europe sont le plus souvent des organisations privées ou publiques dont le nombre d’experts est restreint. Elles se débrouillent plus aisément pour obtenir des crédits et des microcrédits, leur tâche consiste à organiser des phases successives d’opérations à venir, les moyens techniques, le management et la comptabilité. Les administrations bureaucratiques encombrantes sont abandonnées, par ex. les instituts d’aménagement du territoire etc.

L’Agence de renouvellement urbain, Belgrade

27 En principe, les compagnies ou agences de renouvellement urbain sont formées selon la décision prise par le Gouvernement de la République ou de la Ville et sont focalisées sur la stratégie intégrée de la rénovation des villes (reconstruction globale). Leur rôle consiste à élaborer une vision pour tout le noyau ou l’entité de la ville et à assurer une coordination de tous les participants de cette entreprise. Elles sont autonomes et privées ou mixtes, privées/publiques. Elles s’occupent des transformations radicales des tissus urbains et de la réalisation des projets coordonnés (impossibles à réaliser selon des décisions individuelles prises « ad hoc »).

28 Les experts dans le domaine de l’urbanisme et les pouvoirs locaux y sont engagés. Le rôle des communautés locales est surtout important. La participation des représentants des agences régionales de planification et de développement est souhaitable, par exemple en Grande-Bretagne elle est assurée par « English Partnerships ». La coordination des projets d’investissement est ainsi assurée aussi bien pour le secteur public que privé et attire par une promotion créative et compréhensible la rénovation urbaine. Les trois premières agences de rénovation en Grande-Bretagne sont établies en 1999, après la publication du livre Urban Task Force Report par Lord Rogers. L’auteur propose avec beaucoup de zèle l’établissement de telles organisations dans le but d’assurer une rénovation urbaine intégrée. « English Partnerships » a depuis fondé 15 agences. Le Ministre de la rénovation, Tony McNoulty, a annoncé des fonds exceptionnels destinés à la rénovation urbaine. La rénovation effectuée sur 150 ha a assuré 4 000 emplois et le rehaussement de 15 % du niveau économique et social des quartiers rénovés. 29 La création des agences de rénovation urbaine (URA) est fort utile dans tous les pays. En Serbie, cette agence a été formée par l’auteur du présent texte avec des étudiants du

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troisième degré d’étude de la Faculté d’Architecture de l’Université de Belgrade. D’autres professeurs et experts du domaine de l’urbanisme y sont incorporés. 30 L’expérience acquise à Belgrade témoigne de la nécessité d’un centre, d’une organisation dédiée exclusivement à la rénovation urbaine générale et intégrative. Des ouvrages partiels sont rénovés spontanément, selon les demandes des investisseurs du pays ou de l’étranger. La rénovation se fait sans aucun contrôle ni directive. Les investisseurs potentiels ne savent où s’adresser pour des consultations concernant les rénovations à entreprendre. En effet, leur parcours comprend l’administration de la ville, le Ministère compétent, le Secrétariat du territoire à bâtir, de l’aménagement du territoire, des contacts privés et des agences immobilières. La structure des responsabilités et des charges officielles n’est pas établie. Le problème est aggravé en Serbie par le manque de coopération de l’État (Ministère) et de l’administration locale. 31 Le processus devrait se dérouler dans le sens inverse. La ville, notamment l’État devrait, jouer le rôle de promoteur. L’offre devrait se baser sur la sélection des zones et des priorités (certaines zones pour des raisons inexplicables attendent pendant des décennies d’être rénovées). Il est important de définir rationnellement les conditions de l’offre (but, titulaires, intérêt, termes précis) pour éviter des abus et empêcher la corruption et les influences politiques10. 32 Les décisions dans ce domaine ne sont pas temporaires et ne devraient pas succomber aux influences des partis politiques actuellement au pouvoir. Au contraire, elles devraient définir l’attitude des pouvoirs locaux et de l’État concernant la rénovation urbaine comme facteur social. Les experts sont appelés à traiter la rénovation urbaine comme phénomène de l’entité et de compréhension et respecter les documents, projets etc. de la planification urbaine à long terme et de la prise des décisions dans un centre. 33 L’agence URA doit prendre une position autonome tout en collaborant étroitement, lier la ville et l’État sous leur patronage, de même avec les organes des pouvoirs locaux (Secrétariat à l’urbanisme, Institut d’urbanisme, Aménagement du territoire). Les perspectives de l’URA sont dans un avenir lointain sans égard aux changements politiques éventuels. 34 Le vrai résultat de l’Agence sera vérifié par les chiffres des nouveaux emplois et par les paramètres de l’amélioration du niveau de confort et de vie dans les quartiers rénovés. 35 L’Agence URA, Belgrade11 fait la reconnaissance des localités et des quartiers potentiels selon les paramètres et les priorités établis, présente des « swot » analyses (sans de pareils documents l’investisseur ne peut envisager d’achat foncier). Elle s’engage dans le processus de la délivrance des permis prioritaires en collaboration avec les organes des pouvoirs locaux. A la demande de l’investisseur l’Agence assure l’élaboration : • du projet, • de la construction financière préliminaire, • des contrats, • du marketing, • assure la gestion des travaux.

36 L’URA étudie les possibilités du développement économique du site, suggère les directions et les méthodes de rénovation, l’équipement du site en infrastructure, les technologies disponibles du site, les ressources humaines adaptables et motivées sur le site (et comment poursuivre leur amélioration après la rénovation). L’URA dresse un nouvel aspect du site selon la stratégie du « flagship » et résout à long terme les

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« brownfields ». Le groupe visé est la population défavorisée dont la situation économique et l’habitat seront améliorés par la rénovation et les nouveaux emplois assurés.

37 L’organisation de l’Agence au moment de sa création ne put être réalisée que à titre de rassemblement des citoyens (ONG). Une coopération directe de l’État, de la ville, des experts et du secteur privé est une pratique favorisée en cas d’une activité semblable. En dépit des efforts déployés pour établir un support réel et non seulement officiel du Gouvernement et des pouvoirs locaux, l’Agence n’a pas connu de volonté politique pour sa promotion active. Les pourparlers sont en cours avec l’» English Partnerships » intéressé à fournir une aide technique. 38 On s’attend à ce que Belgrade comprenne les avantages des activités de l’Agence URA, en premier lieu pour résoudre les problèmes d’un grand nombre de personnes sans abri et défavorisées. Les intérêts personnels sont à bannir lorsqu’il s’agit d’une tâche aussi délicate. L’expérience acquise dans d’autres pays prouve qu’un groupe de jeunes gens guidés et contrôlés par les meilleurs experts et par les pouvoirs respectifs, peut mener la rénovation mieux qu’une bureaucratie encombrante datant de l’époque de l’ex- Yougoslavie (5 fois plus grande que la Serbie).

Protection des personnes défavorisées grâce à la rénovation des immeubles collectifs

39 Une innovation absolue dans le domaine de la rénovation urbaine vise à résoudre des problèmes sociaux comme l’affectation des immeubles collectifs abandonnés des années 50 et 60 – à l’hébergement des personnes défavorisées et leur reconstruction.

40 Ces entreprises sont effectuées dans l’esprit des principes du développement durable. Il s’agit des bâtiments existants de propriété publique, ce qui facilite l’opération. Les normes de confort de ces immeubles collectifs des grands ensembles ne sont plus satisfaisantes même pour le logement social. Ils nécessitent un « refurnishment » comprenant la rénovation de l’équipement et de l’infrastructure. Parfois ces logements sont agrandis et reconstruits. Étant donné qu’actuellement le standing des logements est de plus en plus élevé, de nombreux logements des années 50 et 60 ne correspondent plus aux critères techniques et fonctionnels et ne sont pas pourvus d’équipements satisfaisants. Belgrade dispose de blocs d’immeubles collectifs dans lesquels on n’a rien investi durant cinquante ans. En plus il y a des constructions industrielles qui se prêtent au recyclage urbain et à l’affectation au logement social pour toute une série de personnes démunies et défavorisées. 41 Les sans-abri de Belgrade, les invalides de guerre, les personnes défavorisées, exigent des solutions rapides. Le renouvellement urbain ne donne pas de résultats immédiats et c’est son inconvénient grave. En plus, l’État ne dispose pas de fonds pour satisfaire les besoins de toutes les catégories de nécessiteux, une aide des pays étrangers serait nécessaire. De nombreux pays ont témoigné une solidarité exemplaire envers la Serbie. Cependant, les donations étrangères arrivent à leur fin, et il ne reste qu’à faire appel à ses propres ressources.

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Conclusion

42 Le renouvellement urbain est utile et applicable en Serbie au moment où celle-ci se trouve dans une situation socio-économique défavorable. La situation est considérée dans l’optique de nouvelles caractéristiques sociales. Autrefois on croyait que le patrimoine architectural devrait rester intact ; à présent on sait bien que ce n’est pas possible et que le principe de « protection active » est à respecter. Le nouveau tissu urbain doit être incorporé dans le tissu hérité, celui-ci doit subir des améliorations, doit être activé et doit développer tous ses potentiels disponibles. Le renouvellement des villes est traité dans des circonstances socio-économiques défavorables. L’écologie et le recyclage urbain deviennent des éléments incontournables de l’urbanisme. La Serbie s’adapte lentement aux orientations européennes, consciente que pendant un bon moment elle ne pourra s’incorporer ni économiquement ni autrement dans les courants européens, ni suivre les modèles prestigieux.

43 La coordination des activités de renouvellement urbain est d’une importance primordiale, l’interaction de la ville, de l’État et des donateurs est obligatoire pour pourvoir aux besoins de la nouvelle situation socio-économique. Le service social et la préoccupation pour la santé et les besoins des citoyens sont au premier plan. Ce n’est qu’aujourd’hui, malheureusement, lorsque l’on a compris que ni la santé publique, ni l’éducation ne peuvent être gratuits ni les HLM abordables pour les démunis, que nous sommes conscients de la distance à parcourir pour atteindre l’exemple de la politique sociale de Hong-Kong ou de la Norvège ; Hong-Kong profite de la rencontre du capitalisme et du socialisme ; le premier fournit les fonds (capital du commerce et bancaire), la politique sociale du deuxième sert de modèle. La santé publique et l’éducation gratuite en résultent. La Norvège est, grâce aux ressources provenant du pétrole, le pays européen le plus avancé en politique sociale. 44 Dans le cadre de l’ex-Yougoslavie et de l’ordre socialiste, la Serbie jouissait d’une situation économique stable et d’une politique sociale des plus avancées basée, malheureusement, sur des crédits et des dettes extérieures. Pour cette raison, la population âgée et d’âge moyen s’adapte difficilement aux rudes circonstances capitalistes qui donnent peu de chance aux groupes défavorisés (démunis, âgés, génération d’âge moyen, minorités, etc.). 45 La nouvelle méthode de faire usage des immeubles abandonnés et de les rénover en HLM est une des modalités de la lutte pour la solution de graves problèmes sociaux. Ceci demande le savoir des experts, une organisation peu nombreuse et flexible, l’interaction de la Ville, de l’État et du Donateur, la bonne volonté des personnages politiques et l’élimination de la corruption. Une nouvelle législation est nécessaire visant à la rationalisation des problèmes administratifs et bureaucratiques et à la socialisation de la régulation législative. 46 Vu que la Serbie ne peut pas compter sur une aide financière continue il serait fort nécessaire de procéder à la création de nouveaux postes de travail selon ses propres potentiels. Une activité dans le domaine du renouvellement urbain et de la planification représente un des potentiels prometteurs. Au cours des années précédentes, les donations affluaient mais les projets manquaient. À présent il faut avoir recours aux ressources humaines et financières du pays. Une approche globale est à adopter ; la coordination des activités jusqu’à présent le plus souvent isolées est une des recommandations du développement durable.

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47 Un État stable est un préalable de l’urbanisme « investisseur » (strictement régularisé par les lois, les directives et les besoins du développement y compris tous les effets sur les constituants macroéconomiques), qui pourrait actuellement compenser le retard du pays. Les activités de l’Agence de renouvellement sont des voies possibles pour améliorer les relations entre l’État et les urbanistes vers la « gentrification » des villes.

BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. Comité européen pour la cohésion sociale, Approche des droits sociaux en Europe, Strasbourg, 2002. 2. M. Prokopijević, Union européenne, politique sociale, Belgrade, 2003. 3. D’après Commission d’économie de l’Europe/ONU, Habitat, p. 3. 4. D’après le Ministère de la politique Sociale, documentation interne. 5. Le parti Démocrate, Une Serbie meilleure, Belgrade, 2006. 6. UNHCR 2004. 7. http://www.sustainableworld.com 8. Revue internationale de l’innovation et du développement durable, Genève, 2006. 9. E. Vaništa Lazarević, Le renouvellement urbain à l’aube du nouveau Millénaire, Belgrade, 2002. 10. Documents internes, Agence de renouvellement urbain, Belgrade. 11. L’Agence est crée en 2004, avec le cadre juridique d’une ONG, avec le support des pouvoirs locaux de Belgrade, de la SIEPA (Agence pour la promotion des exportations), de la Faculté d’Architecture et de l’Association des urbanistes de Belgrade.

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RÉSUMÉS

L’auteur dresse le tableau administratif et législatif de l’urbanisme à Belgrade au début des années 2000, en le comparant à celui d’autres pays. Elle propose une amélioration du tissu hérité qui intègre une réflexion écologique, ainsi qu’une meilleure coordination entre l’État, les donateurs et les communautés locales.

The author gives an administrative and legal overview of urbanism in Belgrade at the beginning of the 2000’s in comparison with other countries. For her, it would be convenient to improve inherited substrate in integrating ecology constraints, and to coordinate State, donators and local communities.

AUTEUR

EVA VANIŠTA LAZAREVIĆ

Université de Belgrade

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Concepts et valeurs actuels pour le design des espaces publics Present-Day Concepts and Values for Public Space Design

Constantin Spyridonidis

Des possibilités futures aux actes présents

1 Au début des années 70, Christopher Jones, un pionnier dans la théorie du design en vogue à l’époque, a défini l’acte du design comme « un saut de faits présents à des possibilités futures »1, exprimant par cette définition diachronique une temporalité insérée dans la nature même de l’acte de dessiner qui va du présent au futur. Jean- Pierre Boutinet prend le concept un peu au-delà en observant que l’origine du terme « projet est fondé sur cette conception de temporalité et que étymologiquement il décrit l’action de jeter (projetant) quelque chose dans le futur2. » Nous pouvons dire que l’histoire de l’architecture et de la cité, au moins après la Renaissance, est une histoire à différentes versions et conceptions sur notre position relative au temps exprimé par cette temporalité, allant du présent, et à certaines périodes historiques du passé, à l’avenir. Si un projet semble être un lien entre le présent et l’avenir et une pré- définition de ses caractéristiques, alors le chemin opposé, c’est-à-dire celui qui vient de l’avenir au présent, semblerait être un point de départ utile pour une meilleure compréhension du présent au travers des aspirations projetées de l’avenir.

2 C’est la ligne principale que cet article propose pour son enquête sur les espaces publics aujourd’hui : prendre le chemin opposé et comprendre les espaces publics au travers de projets contemporains et tenter un saut depuis les possibilités futures que ces projets représentent jusqu’aux actions présentes qui les ont réalisés. 3 Comme la notion d’espace public s’écarte d’une définition largement acceptée et communément admise, l’enquête sur ces espaces urbains demeure ouverte à diverses hypothèses, à des formes et des contenus multiples, à des approches et des méthodes variées. Au-delà de cette pléthore de conceptions, de compréhensions et de considérations, nous pouvons dire qu’un large dénominateur commun semble être la

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conception d’un espace public comme la manifestation dans l’espace d’une collectivité socialement et culturellement définie. La recherche et l’enquête sur les caractéristiques de ces formes de collectivité connues spatialement ont été développées surtout selon deux axes. L’un a pour cible leur condition présente et vise à révéler les dynamiques qui influencent leur développement et définissent leurs aspects formels et fonctionnels. L’autre regarde vers leur passé en essayant de révéler « l’archéologie » des espaces publics et de découvrir les traces des causes, des logiques, des significations. Ce que nous proposons dans cette contribution est un troisième axe, qui a été très peu développé. Le troisième axe n’enquête pas sur l’état présent des espaces publics, ni sur leurs développements et leurs formes passés, mais sur leur avenir attendu. Nous ne travaillons pas sur le passé, « l’hier », de ces espaces ni sur leur présent, « leur maintenant », mais sur leur avenir ambitieux et anticipé, « leur demain ». 4 La rhétorique sur « le demain » des espaces publics, dite dans toutes ses expressions, ses discours, ses textes, ses dessins et ses images, stimule notre imagination sur ce qui va arriver, éveille notre curiosité sur la façon dont il sera et apparaîtra, irrite notre naturel ou adopte notre anxiété sur l’avenir, capte notre attente de « l’Autre », inconnu ou très peu connu mais toujours fortement anticipé. Mais au-delà de son rôle et de son influence dans notre monde (senti) mental, cette rhétorique est surtout une forme d’illustration dynamique d’un désir de voir les valeurs du présent et les principes de notre vie collective contemporaine dans le cité redéfinie dans l’espace urbain. C’est pourquoi l’étude de ces discours a beaucoup de sens, car elle peut révéler et faire apparaître le système des valeurs, à un moment de soumission à un mouvement de re- formulation, de redéfinition et de rétablissement en ce qui concerne des espaces publics anticipés et attendus.

L’autre comme condition de tout projet sur l’espace public

5 Une caractéristique structurelle de l’architecture, l’un de ses éléments fondamentaux, est sa capacité d’incorporer dans ses formes proposées cette concentration fascinante du présent avec l’avenir, tout autant que de codifier de façon créatrice ce qui, dans un moment historique particulier, est décrit comme « l’Autre », valable, pertinent, légitime, destiné à remplacer l’existant, le présent ; l’établi. La création de l’espace architectural urbain est toujours dépendante de « l’Autre ». « L’Autre » est le point de référence de toute intervention spatiale ; il est la source d’inspiration de l’architecte, la force du projet, son matériau primaire, sa motivation intellectuelle, son principal objectif. « L’Autre » est le désir, l’utopie ou « l’hétérotopie »3, l’attente, le souhait, l’espoir, mais dans le même temps la règle, l’ordre, le principe, la loi, « l’archè »4, c’est- à-dire le principe et, quelquefois, le modèle, le standard, « le prototype », l’image, l’archétype.

6 « La mère » de « l’Autre » est la cité. Sa résistance au changement, ses contradictions internes, sa nature contradictoire, son inflexibilité passive, son inclination sans inspiration pour le pouvoir, deviennent les fils qui tissent « l’Autre » en objet de désir ; objet de fascination mais en même temps de frustration ; attirant et repoussant, intriguant et inaccessible. L’histoire de la cité et son architecture courent en parallèle et en interdépendance avec l’histoire de « l’Autre ». Toutes les deux sont construites du point de vue social et du point de vue culturel et elles créent un composé indissociable

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de deux substances différentes, en sorte qu’il nous est impossible de comprendre l’une sans comprendre l’autre.

Mais de quoi est fait « l’Autre » ? Quelle est sa substance ?

7 Paraphrasant les arguments de Jean-Pierre Boutinet5, nous pouvons dire que toute espèce de projet visant à la création d’un espace public change, reconstitue, remplace ce qui existe déjà et est établi comme forme spatiale et comme contenu plein de sens. Tous nos projets de design, par les différentes conceptualisations, sont, révèlent, critiquent et rejettent ce qui dans l’environnement spatial et socio-culturel existant est insuffisant, inadéquat, inadapté et donc non qualifié. Tous nos projets de design sont toujours structurés sur une conception philosophique, idéologique du sujet, la personne, le citoyen, l’être humain, qui expérimentera l’espace proposé. Il y a toujours à la base de tout projet architectural une perception de l’être humain qui dirige et conduit tous les gestes durant le processus du design.

8 De la même façon, il n’est pas possible de penser à un projet sans penser à « l’objet », c’est-à-dire à la substance, la nature et le sens de ce que nous sommes en train d’essayer de faire, ce que nous sommes en train d’essayer de créer. Mais quand nous pensons à l’objet et au sujet d’un projet sur la base d’un rejet critique, ou en d’autres mots sur l’architecture, la cité, l’espace public et les êtres humains qui les expérimentent, nous avons déjà commencé à penser à une trajectoire, le processus de design par lequel nous acquerrons la possibilité d’avoir cet objet (l’espace public) pour ce sujet (le citoyen contemporain). Le contenu, le sens comme valeurs attribuées aux notions de sujet, d’objet, de rejet et de trajectoire, sont les composantes fondamentales de « l’Autre » et, dans le même temps, les points de référence d’un modèle architectural qui visualise et conceptualise, à un moment du temps, une version spécifique de « l’Autre ». 9 « L’Autre » est fait de valeurs et de leurs aspects formels virtuels. Il est structuré en « αρχές » et a sa propre architectonique intellectuelle, son « Architecture ». Ces valeurs représentent une perception particulière de l’être humain et un aspect particulier de la Cité et l’Architecture dans le cadre 5 203 5:56 Constantin spyridonidis 204 de la vision exprimée plus haut. C’est pourquoi la Cité et l’Architecture ont toujours une figure humaine comme un prototype distant, aimé et admiré pour sa beauté (période classique), pour sa perfection sociale (mouvement moderne), pour sa différenciation sociale (début des années soixante-dix), pour son identité culturelle (post-moderne), pour son code biologique particulier (ère digitale)6.

Recherche de concepts dominants et des valeurs pour le design des espaces publics

10 En partant de toutes les références précédentes nous pouvons conclure que les nouveaux projets pour les espaces publics, vus comme des projections actuelles d’images futures attendues de ces espaces, peuvent nous offrir des aperçus intéressants sur la voie que nous expérimentons et des réflexions sur notre vie et la collectivité d’aujourd’hui dans la cité. Nous les approchons comme des véhicules portant les aspects, les vues et les concepts contemporains sur la vie en ville et, dans le même temps, comme des miroirs qui les reflètent et les projettent. Dans cet essai, et afin de

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rendre cette enquête aussi ciblée que possible, nous nous concentrerons sur une catégorie spécifique d’espaces publics et sur une catégorie spécifique de projets.

11 Ici la catégorie de lieux est limitée à ces espaces publics qui sont invités à accueillir et à développer des activités collectives près de la mer. Le contact de la vie publique avec la mer constitue dans les villes grecques un événement social et spatial très particulier. Les conditions particulières du climat, les aspects culturels et les formes de la vie publique en Grèce font de ce type d’espace public un environnement très significatif pour l’organisation fonctionnelle et sociale de la cité. La partie de la ville faisant face à la mer a toujours été une partie marquante des villes côtières et de nombreux aspects de la vie sociale se sont développés en fonction d’elle. Plus spécifiquement, dans le cas de Thessalonique la mer a toujours été fortement présente dans la vie culturelle, sociale et économique de la ville. 12 La catégorie de projets, dans ce cas, est limitée à ces projets qui ont été soumis aux concours nationaux ou internationaux. Les épreuves de design en architecture et en urbanisme offrent une base étonnante pour l’analyse et l’étude, car elles présentent trois caractéristiques très significatives pour notre approche. La première est que les épreuves ont normalement un grand nombre d’entrées qui offrent beaucoup de réponses et de projets sur la même question/thème. Elles nous présentent un riche spectre de différences et de similitudes, ce qui est essentiel dans une étude comparative et dans une recherche des orientations contemporaines pour penser, comprendre et dessiner les espaces publics. La deuxième est que par définition elles constituent un environnement hautement compétitif, où les participants donnent le meilleur d’eux- mêmes pour rivaliser au niveau des concepts, des formes et des idées novatrices. La troisième est que les entrées du concours sont toujours accompagnées de textes visant à présenter de la manière la plus persuasive tous les aspects du contenu du projet proposé, offrant ainsi un matériau valable pour l’analyse et une plus grande compréhension. Le corpus de notre enquête est ciblé sur deux concours qui se sont déroulés durant les dix dernières années pour le développement du front de mer de Thessalonique. Leur principal objectif était de redessiner les espaces publics du front de mer de la ville pour redéfinir et moderniser la relation de la ville à la mer.

En redessinant les espaces publics sur le front de mer à Thessalonique

13 Le projet de redessiner le front de mer à Thessalonique n’était pas simplement un projet urbain à large échelle, c’était une aventure, un pari à gagner, un défi à affronter, une perspective qui ne devait pas être abandonnée, une occasion à ne pas manquer. Il s’agissait d’une intervention, qui ne se limitait pas à mettre en ordre les conditions qui entoureront le développement de la cité, en réglant la distribution de l’espace et les aménagements de la circulation. Au contraire, c’était une partie ou peut-être la conséquence d’une plus grande aspiration : celle de redéfinir l’image de la cité en redéfinissant un élément structurel de cette image, la relation de la ville à la mer. Cette aspiration se trouve derrière les deux concours organisés à Thessalonique sur ce thème : le concours international d’architecture qui s’est tenu en 1996 dans le contexte de la Capitale Culturelle, et le concours annoncé par la municipalité de Thessalonique en accord avec la directive 92/50/EEC en 2001. Dans des affaires de cette sorte, il n’est pas du tout certain que la dimension technique soit la plus significative. Au contraire,

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au-delà de nécessaires négociations, l’assurance d’accords politiques plus larges, le besoin de coordonner les activités de différents corps de métiers, de groupes de (f)acteurs décisifs de la cité, en même temps que le maniement de paramètres opposés et souvent indéterminés, le but ultime de toute l’aventure était une tentative, par les propositions de design, d’achever quelque chose de bien plus difficile : un investissement sémiotique complètement nouveau des espaces publics du front de mer de la Cité avec des significations qui guideront les choix fonctionnels et formels et valideront les conséquences de ces choix. Redessiner le front de mer est, en fait, une redéfinition du sens de la relation de Thessalonique à la mer.

14 La dimension sémiotique était l’objectif central des deux concours : non seulement un nouveau design de l’espace public naturel de l’aire du front de mer, mais la reconstruction de son espace sémiotique : cet espace de sens que ses citoyens attacheront aux espaces publics du front de mer de la ville comme la conséquence de l’intervention de leur vigilance consciente dans leur expérience vitale de cet espace physique. Aujourd’hui cet espace sémiotique, cet espace de sens, donne de plus en plus de poids au design des environnements bâtis. Plus la contribution du public aux décisions de gouvernance urbaine est renforcée par les mécanismes de participation et la critique politique des média, plus le traitement de l’espace sémiotique aura de poids politique significatif, comme base principale pour l’acceptation de projets de design. Plus grande est l’importance que nous attachons à la dimension sémiotique des espaces publics, plus éloignée semble devenir la perspective de comprendre l’intégrité de la ville avec les outils traditionnels de l’analyse de la planification urbaine et de l’économie politique. Plus le sens de l’espace public prend de poids dans la planification urbaine et les décisions de design, plus l’incertain, l’imprévisible, l’instable, l’éphémère sont identifiés comme des conditions insurmontables dans la pratique du design dans les espaces publics.

Nouveaux concepts, nouvelles valeurs pour les espaces publics du front de mer de Thessalonique

15 L’analyse des textes qui accompagne les propositions7 des entrées aux concours a révélé un grand nombre d’issues relatives aux nouvelles valeurs que les projets de design présentaient explicitement ou implicitement dans les différentes formes de discours des entrées. Cette analyse était faite sur la base de la récognition de notions, de termes, de références et d’expressions, qui dans le développement du texte et par rapport aux projets de design offraient des connotations évidemment qualitatives. Ce que nous voulons présenter ici ce sont les principaux concepts, valeurs et sens, que les architectes participant aux concours ont attribué aux espaces publics qu’ils ont dessinés. Comme nous l’avons déjà mentionné, ces environnements pleins de sens d’aspirations et d’attentes pour l’avenir peuvent être considérés comme représentatifs de l’état de l’art dans le design architectural et urbain des espaces publics.

Les espaces publics comme projets imprévisibles et éphémères

16 Un aspect particulièrement intéressant de ces projets est le fait que, dans les avis des deux concours pour un nouveau design des espaces publics du front de mer et les propositions de design développées dans la réponse à cette requête, les concepts

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d’imprévisible et d’éphémère semblent acquérir une importance particulière. L’aire du front de mer est vue comme quelque chose qui n’est pas totalement prévisible au niveau fonctionnel et organisationnel, et ce caractère imprévisible devient un élément structurel du projet. Les avis de concours suggèrent que l’intégrité de l’idée qui guidera le projet de l’architecte devra comprendre des parties abstraites et potentiellement autonomes. Le design devra être « réversible », donnant ainsi à l’éphémère une place particulièrement significative dans le traitement de la planification de la ville. Fragmentation, fluidité, nature passagère et éphémère sont des valeurs d’origine idéologique récente choisies par les architectes qu’ils expriment dans les formes qu’ils proposent. Celles-ci aujourd’hui paraissent être l’expression reconnue d’un nouveau chemin de pensée sur l’architecture et la cité.

17 Dans toutes les périodes de l’histoire, les projets de design urbain novateurs traitant de la forme et de l’organisation de l’espace urbain présentaient la ville projetée comme une panacée permanente pour les problèmes urbains et sociaux de l’aire spécifique. Parfois, sous la forme de modèles irrécusables accompagnés de différentes formes de discours utopiques et de références à des vues sociales plus larges, parfois, sous la forme de règles éternelles non touchées par le temps, la nouvelle cité était projetée comme un environnement vivant et créatif sur lequel le temps n’avait pas de prise. La cité était dessinée comme hors du temps en sorte qu’elle puisse par suite (et sous contrainte) acquérir sa propre chronologie dans les vies de ses citoyens. 18 Si nous faisons aujourd’hui l’expérience d’un changement dans la logique avec laquelle nous approchons les projets pour la régulation du développement urbain, ceci est, pour une grande part, le résultat du fait que l’inattendu et l’imprévisible sont maintenant conçus comme des paramètres naturels de la cité et de ses espaces publics. Partis d’une logique fondée sur des objectifs de formulations et de priorités, de buts à atteindre, nous allons vers une logique d’aventures et d’aspirations à satisfaire. La distance entre l’objectif et l’aventure, qui semble insignifiante à première vue, considérée avec plus de soin devient fondamentale. Face à un objectif ou même un ensemble d’objectifs avec des priorités programmées, nous sommes placés dans une perspective à une dimension ou une combinaison de perspectives à une dimension. L’exécution d’une entreprise hasardeuse nous conduit à une vue multidimensionnelle, qui doit prendre en compte les paramètres complexes qui en général ont entre eux des rapports paradoxaux et inattendus. Dans le premier cas les procédures que nous suivons sont dictées par un mode de pensée fondé sur des certitudes, des constantes, des lois et des finalités, sur une logique classique guidée par une quête de la cohérence et le principe du respect de la non-contradiction. Au contraire, le second cas détermine une sorte de réconciliation avec ce qui est paradoxal, peu clair, imprévisible, incertain, sorti par inadvertance des intentions des gens, telles qu’elles sont transformées dans une structure d’influence complexe et imprévisible.

L’espace public comme image

19 Ce changement modifie de façon définitive la voie par laquelle nous comprenons l’espace public aujourd’hui, la voie par laquelle nous le pensons comme concept et le comprenons comme entité. Les projets de concours pour le front de mer nous portent précisément au sens de cette nouvelle perspective. La cité à la fin du XXe siècle n’était plus un organisme vivant, un corps fonctionnel de composition naturelle, comme le

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suggère le mouvement moderne. Il n’était pas non plus la molécule, qui selon la biologie moléculaire est l’amalgame de certains éléments simples qui forme la base d’un système, ce qui était notre compréhension de la cité dans les années soixante. Il n’était pas non plus le corps d’une société qui reflète sa composition sociale de sorte que toute intervention sur elle est une intervention directe sur la société, comme telle était l’approche dans les années soixante-dix. Dans les entrées des concours il apparaît que les espaces de la collectivité dans la cité ne sont plus considérés comme une entité vivante avec des poumons, des artères et un cœur, qui peuvent être revigorés, guéris, rendus à la vie. Ces espaces étaient perçus comme un ouvrage culturel, un artéfact visuel, un objet malléable, un théâtre dans lequel les rôles sociaux sont joués jusqu’au bout, un lieu où s’exprime la vie sociale, un objet sur lequel sont imprimés l’histoire et la mémoire collective. La cité était perçue comme la peau d’une société, son vêtement élaboré et expressif, une image.

20 Former une image puissante était pour les entrées des concours de la ville une priorité immédiate. Cette image paraissait souvent être la légitimation implicite des formes des organisations spatiales proposées. C’était l’image par laquelle la cité voulait exprimer son charme, sous la forme d’une promesse d’une sorte de vie sociale différente, mais aussi comme une promesse d’affaires et d’investissements sûrs pour un capital qui cherche un lieu pour grandir. Les espaces publics apparaissent comme des objets qui, tout en n’étant pas à vendre, sont offerts à de nombreux types de consommation. 21 Deux points réclament une attention spéciale dans ce nouveau concept de l’espace public que les propositions des concours permettent d’exprimer. Le premier est que le long-terme a ouvert la voie à l’éphémère. L’idée de la cité comme un organisme vivant a compris un état de stabilité sur le long terme, une condition fixe où le discours rationnel aurait une place permanente, la logique de l’objet ou de l’artéfact expose la cité à un état passager, à une gloire éphémère. Une image qui n’a pas à lutter pour sa permanence, qui ne prétend par établir des formes certaines de perfection sûre et qui a accepté au préalable sa déchéance et sa substitution. L’éternel est soumis au règne de l’éphémère.

Les espaces publics comme scène de représentation

22 Le second point est que le réel est mis de côté dans l’intérêt du symbolique. Un symbolique, qui n’est pas monumental mais est catalogué comme « dépensable ». La conception de l’entité vivante dans le Modernisme a exprimé une quête de l’objectivité et du scientifique, un désir de représenter par les espaces collectifs projetés la vérité aux nombreuses faces mais unique. La perception de l’espace public qui s’est faite jour dans les projets des concours n’est pas engagée dans la quête du réel, ni soumise à l’apologie de l’imaginaire. Les espaces publics du front de mer sont traités dans les projets des concours comme des scènes urbaines, comme des artéfacts qui sont complètement développés pour l’être humain, qui est invité à jouer complètement son rôle défini par la « mise en scène », ou sinon à consommer, à recycler ou assimiler son ou ses « modèles de vie » éphémères. C’est un environnement où le visiteur a des opportunités limitées pour définir les règles du jeu pour lui-même, mais au contraire est, par sa seule présence, appelé à confirmer qu’il s’amuse, s’instruit, se cultive, s’exerce, s’entraîne comme le prévoyait le plan depuis le début.

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23 Dans cette logique de l’artéfact éphémère nous recherchons l’image de la cité comme la concentration d’un processus d’abstraction dans le cadre duquel nous donnons sens à ses caractéristiques, nous relisons et/ou (ré) interprétons sa forme existante et son organisation. Une abstraction circonstancielle et une abstraction intuitive qui, comme une invitation, prouve sa valeur opérationnelle dans sa capacité à concentrer le « tout » et ensuite à définir les stratégies appropriées à son maniement. Dans cette discussion sur l’image, les projets pour le front de mer revendiquent une nouvelle concrétisation de l’idéal dans la vie quotidienne de la cité, en créant ainsi une manifestation spatiale de « l’Autre ». D’autres espaces, d’autres espaces réels attendent d’être matérialisés pour ressusciter la version contemporaine de ce que Michel Foucault, voici à peu près vingt ans, avec une perceptivité étonnante appelait « hétérotopia ».

Nouvelles valeurs pour le citoyen qui s’approprie des espaces publics

24 Comme derrière tous les projets de design architecturaux et urbains il y a toujours un certain concept de l’humain guidant le processus de design et condensant les décisions de l’architecte, il est toujours intéressant d’exposer cet humain dans les propositions d’un projet. Dans le cas des entrées de concours pour le front de mer de Thessalonique, cette question est encore plus intéressante puisque les projets proposés concernent les espaces publics. À partir de notre analyse nous pouvons faire un certain nombre d’observations, qui fournissent quelques qualités générales du concept de cette figure humaine cachée derrière les entrées des concours.

La multiplicité des identités des citoyens

25 Il est intéressant d’observer que chaque entrée des concours introduit un type spécifique d’identité de citoyen non clairement consistant ou compatible avec les autres, mais ne les contredit pas. Chaque proposition est fondée sur le concept d’un être humain dont l’identité est structurée sur une notion, qui devient l’axe central autour duquel sont articulées toutes les dimensions de la vie sociale dans la cité. À partir de ces axes on peut distinguer trois types spécifiques d’identité à partir des entrées des concours. Le premier est développé autour de la notion d’écologie et l’être humain est conçu d’abord comme un être naturel. Ce cas souligne les relations humaines qui existent avec l’environnement naturel et étaie l’idée que l’espace public doit être organisé comme un lieu où le naturel et l’artificiel composent un continu dans lequel la sauvegarde de l’humain du naturel est posée comme une priorité. Ainsi l’espace public est conçu comme une invitation à une nouvelle relation vitale avec le naturel. Cette relation rejette ce qui existait avant comme forme et organisation de l’espace et introduit le citoyen qui se l’approprie à une nouvelle conception du monde dominée par la volonté d’éliminer la contradiction traditionnelle entre le naturel et l’artificiel.

26 Le second type d’identité humaine est fondé sur la dimension culturelle de l’humain. Les êtres humains sont considérés comme des sujets chez qui la dimension culturelle est l’élément dominant de leur identité et, en conséquence, les espaces destinés à leurs activités collectives devront accepter et accueillir cette particularité. Pour cette raison de tels espaces sont organisés comme des lieux d’action culturelle collective et

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accueillant toute sorte d’activités de nature culturelle. La forme et l’organisation de ces espaces publics proposent une nouvelle logique caractérisée par son premier but qui est d’affirmer la dimension culturelle des humains et d’assurer l’environnement dans lequel cette dimension trouvera une expression dynamique. 27 Le troisième type de concept de l’être humain est fondé sur la dimension sociale. C’est une nouvelle approche de la dimension sociale du sujet, dans laquelle l’activité collective dans l’espace constitue une partie irréparable de l’habitation et donc doit être développée de concert avec elle en continu plutôt que distancée spatialement de celle-ci. Selon cette logique, les espaces publics doivent être développés en relation avec les zones d’habitation et elles ne peuvent en être distantes si elles désirent jouer un rôle important dans la vie des habitants. La résidence est comprise comme la condition fondamentale de la sociabilité mais non de la collectivité, pour qui les espaces publics sont appelés en sus à assurer le spatial. Les résidences individuelles qui sont ajoutées sur le front de mer déconnectées en termes de formes des résidences existantes de la cité sont complétées par l’activité collective de l’espace public.

Le mouvement, le citoyen romantique occupant son temps libre

28 Une caractéristique commune à tous les profils humains venant des propositions des deux concours est leur mobilité. Le citoyen des entrées des concours est une personne qui veut voyager sur de grandes distances à pied et traverser de nombreux espaces publics. Un vagabond romantique, ravi par les couchers de soleil, ému par la beauté de la nature et sensible à la dimension poétique des formes architecturales dans l’espace.

29 La mobilité paraît liée au concept d’une personne qui possède quantité de temps libre et en position de l’utiliser à se promener à l’entour ou à traverser des espaces variés afin de trouver où elle choisira de passer le reste du temps libre à sa disposition. Cette perception des êtres humains conduit à la création d’espaces publics qui ont comme caractéristique principale le fait qu’ils sont désignés simultanément comme espaces « à traverser » ou bien comme espaces « à atteindre ». Ainsi observons-nous un changement significatif dans la logique de base du design des espaces publics, qui étaient désignés d’abord comme espaces « où l’on va » et, dans certains cas, relativement récemment comme espaces que « l’on traverse ». 30 La fusion de ces deux façons de penser sur les espaces publics reflète une figure humaine à laquelle la cité offre une série de possibilités parmi lesquelles on est appelé à choisir celles qui rencontrent notre préférence. Les espaces publics se présentent comme une série extensible de choix et de possibilités, parfois avec des activités spécifiques programmées et d’autres fois ouvertes à un certain nombre de possibilités pour de nouvelles activités et de nouvelles manières d’agir. 31 Le citoyen dans les entrées des concours n’est pas une personnalité strictement définie et prédéterminée, comme c’était le cas dans le mouvement moderne. Ce n’est pas non plus la personne des années soixante-dix dont l’intégration sociale définissait le type d’espaces publics, qu’elle voudrait visiter et le type d’activités qu’elle voudrait y pratiquer. Ce n’est pas non plus la personne des années quatre-vingts, dont l’identité culturelle inspira des espaces culturels aptes à créer des possibilités de communiquer et de manifester son identité culturelle. Le citoyen des concours est une personne qui joue complètement son rôle dans les espaces et ces espaces sont créés comme le paysage et la scène de ces rôles. Scène qui ne s’est pas construite pour un type particulier de pièce,

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mais qui est ouverte à de multiples rôles, significations et interprétations. Scène qui permet à une personne d’échapper à la vie de chaque jour pleine de contrainte et lui offre un monde, qui est ni étranger ni familier.

Nouvelles directions pour le design des espaces publics

32 Les observations faites jusqu’ici conduisent à une conclusion plus générale : les propositions de ces concours introduisent une série de changements intéressants sur la manière dont l’espace public a été conçu et décrit et offert aux citoyens pour qu’ils se l’approprient comme ils le souhaitent. Les espaces publics perdent peu à peu leur caractère exclusif de destinations et se transforment davantage en espaces à traverser qu’en destinations en elles-mêmes. Une conséquence de ce changement est la différenciation de la manière dont les gens s’approprient ces espaces. De lieux d’expression sociale et de classification sociale ils se transforment en scènes, vers lesquelles les citoyens ne courent plus pour manifester et exprimer leur intégration sociale et culturelle, mais pour jouer des rôles que leur vie sociale ne leur permet de jouer ou ne leur fournit pas le moyen de le faire. D’espaces de proclamation ils deviennent des espaces d’évasion. D’espaces reflétant directement la réalité sociale, ils deviennent des adaptations théâtrales de celles-ci. D’espaces accueillant les particularités sociales et culturelles comme une base passive à des espaces qui encouragent de nouvelles pratiques et de nouvelles façons de faire. D’espaces organisés et destinés à satisfaire des besoins prédéfinis à des espaces créés pour garantir la demande du grand public. D’espaces tendant à être spécialisés dans des activités particulières à des espaces qui, même dans les cas où l’installation paraît avoir des caractères particuliers, essaient d’assurer la plus grande flexibilité possible. D’espaces dominés par un esprit d’homogénéité et de cohérence à des espaces caractérisés par la complexité et l’ambiguïté. D’espaces dont le design essaie de contrôler des fonctionnalités simples à des espaces dont le design s’efforce de contrôler le sens. D’espaces dont le développement est fondé sur des analyses complexes, scientifiques à mille faces et rationnelles à des espaces créés autour de l’axe des idées de design subjectives de leur architecte. D’espaces construits pour garantir une durée au monument à des espaces destinés à garantir une transformabilité dynamique.

33 S’agit-il d’un nouveau paradigme ? Est-ce une nouvelle dynamique sociale et culturelle qui recherche son expression spatiale à travers des perceptions, des conceptions, des significations et des manipulations nouvelles ? Comme cette question ne peut pas recevoir une réponse claire et incontestable, il est particulièrement important de retenir comme conclusion centrale le fait que nous devons demeurer ouverts et prêts à accepter des changements rapides des valeurs qui dominent notre vie quotidienne sur les espaces publics, qui sont un produit des changements rapides qui se produisent dans notre culture et dans notre société.

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BIBLIOGRAPHIE

Boutinet J.-P., Psychologie des conduites du projet, Paris, 1993.

Boutinet J.-P., Vers une société des agendas, Paris, 2004.

Foucault M., Dits et écrits 1984, « Des espaces autres » (conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5 ; octobre, Paris, 1984, pp. 46-49.

Hastaoglu-Martinidis V., Restructuring the city : international urban design competitions for Thessaloniki, Londres, 1998.

Jones Ch., Design methods: Seeds of human futures, Londres, 1970.

Ostrowetsky S., L’imaginaire bâtisseur, Paris, 1983.

Payot D., Le philosophe et l’architecte : sur quelques déterminations philosophiques de l’idée d’architecture, Paris, 1982.

NOTES

1. Ch. Jones, Design methods: Seeds of human futures, Londres, 1970, donne un grand nombre de définitions du design et différentes approches et méthodes du design, reflétant l’esprit d’une période où le design devient le sujet d’une théorie spécifique appelée « Théorie du design ». 2. Cf. J.-P. Boutinet, Vers une société des agendas, Paris, 2004, pp. 2-6, 10-11. 3. Michel Foucault a défini ce terme en Tunisie en 1976 et publié en 1984 dans Foucault, Dits et écrits, 1984, « Des espaces autres » (conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967), Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984, pp. 46-49. 4. Le mot grec « archè » a au moins trois sens : il veut dire le début, le principe et l’autorité. Tous les trois reflètent le rôle prédominant de l’archè dans le design des formes architecturales : il est toujours au début, il est une valeur de principe et il est l’autorité dans le processus de création d’une forme architecturale. Cf. aussi D. Payot, Le philosophe et l’architecte : Sur quelques déterminations philosophiques de l’idée d’architecture, Paris, 1992. 5. Cf. J.-P. Boutinet, Psychologie des conduites du projet, Paris, 1993, pp. 84-90. 6. Pour une analyse très intéressante du rôle de l’être humain dans la perception de la ville, cf. S. Ostrowestsky, L’imaginaire bâtisseur, Paris, 1983. 7. Cette analyse est fondée sur les volumes inédits de l’avis de concours et aussi sur les textes et les dessins des entrées de concours. Les entrées du concours de 1997 sont publiées dans le livre de Vilma Hastaoglou-Martinidis (éd.), Restructuring the city : international urban design competitions for Thessaloniki, Londres, 1998.

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RÉSUMÉS

Étude théorisante sur les concepts contemporains d’espace public, à partir du texte d’appel à projets pour le réaménagement du littoral de Thessalonique. L’auteur y discerne les déterminantes d’imprévisible, de provisoire, de réversible et de fluide, opposées au fonctionnalisme qui avait prévalu auparavant, ainsi qu’aux logiques de l’économie de marché actuelles. Cette originalité est due à la personnalité des rédacteurs de cet appel à projets.

Theoretical essay on contemporary concepts of public space, based on the call for proposals for redevelopment of the coast of Thessalonica. Unpredictable, temporary, reversible and fluid are the determining characters of this text, which is opposed to previous functionalism as well as actual market economy logics. This originality comes from personalities who have written this call for proposals.

AUTEUR

CONSTANTIN SPYRIDONIDIS

Université Aristote, Thessalonique

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La mise en image d’un paysage historique : « l’unification des sites archéologiques d’Athènes » reconsidérée Putting on Image an Historical Landscape: Reconsidering “Unification of Archeological Sites of Athens”

Clairy Palyvou

1 « L’unification des sites archéologiques d’Athènes » est un des projets majeurs aux multiples aspects et à large échelle jamais lancés pour le centre historique d’Athènes, combinant design urbain et gestion d’un site archéologique. Le concept d’un parc archéologique étendu autour de l’Acropole a une longue histoire, qui remonte au XIXe siècle, quand Athènes fut choisie comme capitale de l’État grec, qui venait de naître ; un choix fondé largement sur l’idée de faire revivre la renommée de son ancienne gloire1. Après un siècle et demi d’aventures pour la cité d’Athènes, l’idée devint finalement officielle et le projet commença en 1985. Dix ans plus tard, le Ministère hellénique de la Culture consacra six études de grande envergure sur la gestion des grands sites archéologiques voisins de l’Acropole, et le Ministère de l’Environnement, de la Planification du Pays et des Travaux Publics lança un concours international d’architecture pour la transformation de ce qui était alors une grande artère passante d’Athènes au pied de l’Acropole en promenade piétonnière (Denys l’Aréopagite–Apôtre Paul)2. En 1997, la « Société pour l’Unification des Sites Archéologiques d’Athènes » prit la coordination de tous les projets et attribua l’étude de la promenade piétonne au groupe d’architectes qui avait gagné le premier prix au concours3. L’étude fut achevée en 2000 et les travaux commencèrent immédiatement après cela. En dépit des modifications et de l’exécution partielle du design original, le résultat est flatteur : là où passait autrefois une rue très affairée et bruyante il y a aujourd’hui une promenade piétonne de 2 km que le visiteur peut prendre de Olympiéion et la station de métro Acropole jusqu’au Céramique et à la station de métro Théséion. C’est une promenade

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agréable à l’ombre de l’Acropole et à travers les collines somptueusement plantées de Philopappos et de la Pnyx qui autorisent sérénité et contemplation.

2 À mi-chemin de cette promenade se trouve le début de l’accès à l’Acropole où se dirige une grande majorité des visiteurs qui arrivent en groupes. Un petit nombre seulement de visiteurs individuels trouveront le chemin des « sites » environnants, l’Agora, la Pnyx, le Théâtre de Dionysos, etc., et peu même comprendront que ces « autres sites » sont une partie d’une même entité. En d’autres mots, même si l’accessibilité aux diverses parties de l’ancienne ville est maintenant bien meilleure, quelques uns seulement essaieront d’obtenir un tableau complet de l’ancienne cité d’Athènes, tandis que les masses partiront en se contentant d’une photographie personnelle de ce qu’ils ont déjà vu dans la photographie de quelqu’un d’autre, dans un livre d’images ou sur une carte postale. 3 La question qui se pose est la suivante : Comment atteindre la conceptualisation du tableau global du paysage historique athénien pour ceux qui sont intéressés à l’explorer ? Et, est-ce que « l’Unification des Sites Archéologiques d’Athènes » améliore ces potentiels ? Avec « paysage historique » on se réfère communément au résultat de l’interaction de l’homme avec l’environnement naturel en tant qu’accumulé à travers le long cours du temps. Dans le cas d’Athènes une des interventions les plus drastiques sur le paysage historique a été la fouille dans un but archéologique. Le projet « Unification » a, en réalité, eu affaire d’abord aux ruptures produites par l’activité des fouilles, ruptures au niveau de la cité ancienne comme de la ville moderne.

Fouille : procédure de rupture

4 La fouille est par définition une procédure de destruction, car elle déplace pour toujours le contexte des antiquités découvertes. Elle est aussi destructrice parce qu’elle est une procédure de sélection : comme l’épée fait son chemin du haut en bas l’archéologue doit décider ce qu’il conserve et ce qu’il ne conserve pas. C’est une décision définitive sur laquelle il ne peut revenir ; une décision guidée par le point de vue personnel de chaque fouilleur mais aussi par les tendances de l’époque. Dans le cas des fouilles athéniennes, qui prennent place vers la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle la tendance était largement de nature puriste et consistait à enlever le plus possible les témoins « tardifs » de la présence et de l’action réciproque des hommes. Ceci était jusqu’à un certain point une décision politique, afin de doter la nouvelle capitale de l’État grec autant que possible de la renommée et de la gloire de son « âge d’or ».

5 Les fouilles archéologiques dans une cité en vie ont un sérieux effet secondaire : elles entraînent de dramatiques altérations dans le relief du pays. Quand on regarde un site archéologique en couches, on est constamment dans l’étonnement : « où est le sol » ? L’absence de point de repère stable conduit à « de multiples plans de fondation qui s’entrecoupent, se renforcent ou l’un contredisant l’autre pour produire un nouvel ensemble de volumes… »4. Le tableau ainsi embrouille et trouble. Les problèmes sont même plus aigus à la périphérie du fossé, où le « repère stable » de la ville moderne se présente avec une fin abrupte et on a le sentiment d’être sur le point de tomber dans un « trou noir » de temps et d’espace (la différence de hauteur entre la ville moderne et les niveaux inférieurs de certains de ces fossés qui est de plus de 8 m par exemple dans la zone du Céramique).

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6 La plupart des sites archéologiques et des paysages historiques ont, en réalité, un problème propre de « mise en image », un terme emprunté à Lynch comme « les parties peuvent être aisément reconnues et peuvent être organisées en un dessin cohérent »5. Comment pourrait être mise en valeur la « mise en image » du paysage historique d’Athènes ? Pour aborder cette question nous essaierons d’abord d’explorer certains traits du paysage athénien et de la ville d’Athènes aux époques classique et hellénistique – les mieux représentées archéologiquement – et de suivre leurs transformations à travers le temps jusqu’à aujourd’hui. La discussion, pour laquelle il y a une énorme bibliographie, n’est pas strictement historique ou archéologique, mais plutôt une tentative d’exposer ce que l’on peut percevoir de ce qui jadis était le paysage d’une ville en transformation constante et aujourd’hui un « paysage en ruine » mort. Ayant emprunté la terminologie de Lynch, nous lui emprunterons aussi quelques uns de ses outils : les concepts de chemins, de limites, de districts, de nœuds et de bornes auxquels il a recours pour discuter de la « mise en image » comme « image publique » d’une ville6. « L’image publique » de Lynch renvoie au chevauchement des images individuelles des gens avec l’expérience de première main de la ville spécifique ; et nôtre sera le chevauchement des interprétations ou des « inventions » des savants modernes sur les restes de l’ancienne Athènes.

Le pays d’Attique (districts, limites, bornes)

7 L’environnement naturel de l’Attique, composant de base du paysage historique, a certaines qualités tout à fait uniques et sublimes. Celles-ci ont été louées par tant d’artistes, d’écrivains, de poètes et de savants de tout temps, qu’une nouvelle mention ici court le risque d’être répétitive ou surchargée d’émotion et même naïve. Néanmoins, une mention au passage de certains de ses attributs est inéluctable dans la discussion qui va suivre, en partant de l’idée, dont ne peuvent se défaire les Grecs, qu’ils ont « une nature pleine de dieux ».

8 Le bassin de l’Attique est le vaste district dans lequel la cité d’Athènes se pilote. Les montagnes qui embrassent la vallée de trois côtés et le littoral au Sud sont les bords du district. Ces montagnes sont visibles de presque partout et, bien qu’assez éloignées, leur distance peut être calculée par les hauteurs qui les escaladent et les petites collines dispersées entre elles à distance. La mesure est, en effet, un des grands attributs du paysage de l’Attique, et la Grèce à ce sujet en toute clarté et lumière. Ces attributs avaient de même guidé l’ancienne architecture grecque7. Pour citer Tanoulas, la mesure « se reflète très clairement dans le concept d’espace humain : immense est inconnu et indésirable, parce que en Grèce on peut mesurer même la mer avec les baies profondes et les îles, qui sont groupés autour des rivages du continent et, comme des pierres de gué, promettent l’évaluation de la distance à la terre ferme à l’autre extrémité de la mer »8. 9 Les montagnes légendaires du Parnès et du Pentélique sont les frontières au Nord, tandis que l’Hymette et l’Aigalée délimitent un district intérieur, encadrant comme deux crochets la ville d’Athènes à l’Est et à l’Ouest. A l’inverse des montagnes élevées et couvertes de forêts situées derrière elles, celles-ci étaient plutôt dénudées, comme nous le racontent Aristophane, Xénophon et Platon9. Il y a plus de collines dispersées dans le bassin, le Lycabette et l’Ardettos par exemple, qui ajoutent à la beauté de l’endroit et aident à évaluer les distances et l’orientation.

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10 Lorsque nous descendons vers le centre du bassin de l’Attique, où est blottie la ville d’Athènes, émerge un district encore plus petit. Celui-ci est plus aisément défini par son foyer ou sa borne : le rocher imposant de l’Acropole ; une borne qui était censée rayonner au-delà de toutes les frontières et de tous les temps. Les collines des nymphes et le Mouséion (Philopappos) forment une solide limite au Sud-Ouest, tandis que la rivière légendaire Eridanos définit la limite au Nord. Le « rocher » domine le paysage : il a une forme allongée avec des escarpements raides dans toutes les directions sauf à l’Ouest, ce qui le fait ressembler à un navire prêt à faire voile vers l’Est. « L’embarquement » est possible seulement par l’Ouest, le seul côté accessible d’en bas. C’est dans cette direction que la ville s’étendit, en laissant la zone est relativement libre d’habitations, comme une belle campagne s’étendant jusqu’à l’autre rivière légendaire d’Athènes, l’Ilissos. Un petit rocher, un enfant de l’Acropole, s’avance vers l’Ouest. C’est l’Aréopage, où a été placée la Cour Suprême de la cité, qui regarde par-dessus une étendue plate au Nord là où a été établie le cœur de la ville, l’Agora. L’Agora est le plus petit district, si l’Acropole est la hauteur, borne sacrée, de la ville, l’Agora est son contrepoint, le niveau inférieur, la borne séculière ; ses limites sont définies par la rivière Eridanos au Nord, et une modeste colline, l’Agoraios Kolonos, à l’Ouest, où fut érigé l’Héphaistéion (Théséion).

Voies de circulation (chemins et nœuds)

11 L’approche principale de la cité se faisait du Péloponnèse par Éleusis et la Voie Sacrée, en venant de l’Ouest10. En tenant compte du profil du pays, le chemin le plus facile pour approcher le cœur de la ville et l’Acropole depuis cette direction était par un passage entre la pointe de la colline d’Agoraios Kolonos et la rivière Éridanos. Ceci allait, en vérité, devenir l’entrée formelle pour la ville, définie plus tard architecturalement par une paire de stoas : du temps où Thémistocle a construit le mur fortifié autour d’Athènes ce lieu est devenu l’entrée majestueuse et vénérée de la ville, la Porte Dipyle.

12 Le cimetière du Céramique (légendaire pour ses œuvres d’art) et le Dèmosion Sèma (un mémorial public très vénéré), à droite hors de la Porte, sont une parfaite introduction à ce qui se trouve au-delà : un espace de braves gens tourmentés et d’ancêtres héroïques et aussi un espace d’art et de démocratie. Cette approche de l’entrée de la ville devait être un chemin très solide, dans les termes de Lynch, fortement imprégné de sens symbolique et de valeurs esthétiques, et la Porte elle-même un nœud également important (N1). 13 Autrefois à l’intérieur du mur de la ville, la Voie Panathénaïque conduira la route jusqu’à l’Acropole. C’est la continuation de la Voie Sacrée et cette corrélation est célébrée symboliquement tous les quatre ans par la grande Procession Panathénienne en l’honneur de la patronne de la cité, la déesse Athéna. Cette route peut être conçue en quatre « sous-chemins ». Le premier segment (N1 – N2) partant de la porte Dipyle fut plus tard nettement défini par les longues stoas qui le bordaient, la perspective de leurs colonnades portant l’esprit et le corps droit devant. Tandis qu’il marche le long de cette route l’oeil ne perd jamais la dernière borne, l’Acropole, même si elle se trouve légèrement à droite par rapport au mouvement du corps. Ce « sous-chemin » est une sorte de préparation ou de transition avant d’entrer dans le district de l’Agora. Son extrémité donc forme un nœud (N2) décisif, une sorte de « porte » informelle, qui ouvre sur le cœur urbain de la cité. C’est un passage naturel contenu d’un côté par la colline

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de l’Agoraios Kolonos et de l’autre par la rivière Eridanos. L’importance de ce nœud est symboliquement souligné par l’emplacement de l’Autel des Douze Dieux : bien que peu remarquable architecturalement, c’était un lieu d’asile et de refuge et le point d’où étaient calculées toutes les distances d’Athènes. 14 Surgie par cette porte informelle, comme le fit Pausanias au IIe siècle avant J.C., la vue reprend son souffle : le vaste vide de l’Agora des temps classiques ouvre une percée dans toute sa magnificence (qui a été gênée plus tard par des constructions)11. Ici l’architecture n’est pas nécessaire, c’est la vie qui triomphe. Les limites du district de l’Agora sont architecturalement définies d’une manière lâche par des bâtiments disposés librement et des stoas. La vue de l’Acropole est maintenant enfermée et plus claire et donc plus imposante. 15 Quand les yeux se tournent vers la suprême borne le corps suit, car la Voie Panathénaïque est maintenant bien dirigée. Ce changement de direction du second « sous-chemin » (N2 – N3) devient une ligne dynamique courant en diagonale à travers l’Agora, qui est orientée différemment. Le vide plutôt carré de l’Agora a pris son orientation de deux collines, qui s’étendent perpendiculairement à chacun d’eux, l’Agoraios Kolonos à l’Ouest et l’Aréopage au Sud. Ils escaladent les hauteurs, plus basses cependant que l’Acropole, donc soumises à sa suprématie, et agissent comme médiatrices entre le sol de l’Agora (+ 51 m) et le sommet (+ 156 m). 16 Traversant en diagonale, l’Agora le long de la Voie Panathénaïque, les yeux fixés sur le rocher, on arrive à l’autre bout à un autre nœud (N3) une sorte « d’exit » de l’Agora. La construction d’époque hellénistique de deux stoas perpendiculaires l’une à l’autre, la Stoa Médiane et la Stoa d’Attale, mit en valeur ce nœud grâce aux perspectives de leurs colonnades qui pointaient vers le passage libre entre elles. Ceci est vraiment typique de la manière dont les architectes grecs ont organisé l’espace. Pour citer Bacon, « ici se trouve l’architecture qui s’entrecroise, des bâtiments qui s’étendent à travers l’espace d’autres bâtiments, chacun fermement planté dans l’espace où il est placé et créant entre eux des interrelations et des tensions »12. 17 La route continue plus ou moins dans la même direction, jusqu’à un autre nœud important (N4) ou borne, l’Eleusinion. C’était l’un des plus vénérables sanctuaires d’Athènes, en rapport avec le grand tombeau de Déméter et Koré à Eleusis. De là, la montée au « rocher », le quatrième « sous-chemin » (N4 – N5), devient plus escarpé et conduit à l’entrée principale de l’Acropole, les Propylées. Lorsqu’on monte ce chemin, en regardant vers le sommet, une rangée de tambours enfoncée dans le mur du « rocher » qui les retient au Nord saisira l’oeil. Ce n’est pas seulement un matériau d’usage secondaire, mais un mémorial, qui doit rappeler aux Athéniens les atrocités perses et l’incendie du premier Parthénon. La dernière partie du chemin n’a pas survécu, mais on peut supposer ce qui est arrivé. 18 Pendant tout ce temps, les bâtiments légendaires couronnant l’Acropole sont difficilement visibles, parce que le mur de soutènement à la périphérie de la terrasse était plus élevé qu’il ne l’est aujourd’hui. Même l’entrée monumentale, les Propylées de Mnésiclès, n’est pas directement visible. La montée donc vient au sommet comme on fait un tour final brusque à gauche et on voit la rampe qui mène aux Propylées. La vue de ce bâtiment unique est à couper le souffle13. Une fois au sommet du krépidoma le mouvement venant du théréon est relativement faible. 19 Quand on entre à l’Acropole la vue n’est pas de façon immédiate confondante et écrasante14. Les deux grands bâtiments, le Parthénon et l’Erechthéion, se trouvent sur

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les deux côtés de ce qui semble être un espace libre en face. La vue tout droit est distinctement dégagée, et l’oeil se fixe seulement sur la masse du mont Hymette au fond à droite sur la ligne du soleil levant. La route maintenant se divise en deux chemins, l’un conduisant à gauche à l’Erechthéion et l’autre conduisant à droite au Parthénon. Les routes étaient définies non tant sur le sol que par la troisième dimension, par des statues se dressant ça et là et des offrandes disposées sans ordre sur les côtés. L’énorme statue d’Athéna Promachos, au début de la bifurcation et plus ou moins dans l’axe de la vue en entrant par les Propylées, se trouve être le dernier point de référence, un état parfait de l’identité de l’hôtesse et propriétaire du pays où l’on vient d’entrer15. 20 Un tour autour de l’Acropole est une expérience bien trop riche pour que soit tentée ici une sorte de brève description16. Il suffit de citer Scully : « Le système d’aménagement, s’il y en a de tel, ne se proposait pas du tout d’apparaître comme un système. Par suite, les bâtiments individuels pouvaient agir les uns par rapport aux autres comme des solides libres et agressifs, et l’oeil avait le loisir de se porter au-delà, comme il était clairement censé le faire, vers ces éléments de paysage hors du téménos, qui étaient les composants essentiels au sens du site comme un tout »17. 21 Quand le moment vient de quitter l’enceinte sacrée et de retourner au monde terrestre, vous traverserez les Propylées. Comme dans tous les propylées grecs la façade « intérieure » du bâtiment principal des Propylées est tout à fait semblable à la façade « extérieure ». C’est une caractéristique très spéciale de l’architecture grecque, mieux comprise si on compare à d’autres portes formelles, qui ont une façade extérieure impressionnante et très ornée, tandis que de l’intérieur elles restent simples et neutres. Quand on laisse l’Acropole par les Propylées le sentiment n’est pas d’une « sortie » mais d’une « entrée » à ce moment dans la cité. Ce qui est en soi une manifestation du respect dont jouissait l’institution de la cité. 22 En sortant des Propylées la vue est admirable. Les collines forment une ligne continue déclinant graduellement de gauche à droite (du Sud au Nord). Tous les points majeurs de référence et les bornes de la cité sont visibles d’ici : de gauche à droite et en descendant la collines des Nymphes (+ 104 m 80), la Pnyx (+ 109 m 50), l’Aréopage (+ 115 m) et l’Agoraios Kolonos (+ 68 m 60) vous porteront doucement jusqu’au sol de l’Agora (+ 51 m) et à la Porte Dipyle (+ 47 m) loin en arrière18. Le cercle intérieur des bornes est longé par un cercle extérieur : le mont Aigaléos s’étend le long de l’horizon rencontrant l’horizon humide de la mer, avec l’île de Salamine en arrière-plan. 23 La vue de la Pnyx est très imposante, cependant il n’y a pas de chemin évident pour y aller en quittant les Propylées. Donc, retirons-nous à l’Agora et au lieu de suivre la Voie Panathénaïque jusqu’à l’Acropole, tournons à droite, en suivant le pied de la colline de l’Agoraios Kolonos. Le temple d’Héphaïstos et Athéna (« Théséion ») se dresse perpendiculairement à cette ligne presque en son centre et presque à son sommet, cependant pas exactement. La Pnyx est la borne politique de la cité, pas trop loin cependant ni trop proche de la borne religieuse de l’Acropole. La vue maintenant vous porte dans les environs de l’ancienne cité en montant doucement. En atteignant la colline de la Pnyx un escalier large et plutôt raide vous conduira à la terrasse où s’exerçait la démocratie. 24 Une fois au sommet il y a deux voies à parcourir des yeux : vers le béma de l’orateur gravé dans le rocher, en tournant le dos à la cité, ou bien l’autre voie circulaire vers la cité. Les districts, limites et bornes décrits jusqu’ici ont un aspect différent vus de ce

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point. La plus surprenante de tout est la vue de l’Acropole. Comme dans une sorte de révélation les Propylées de Mnésiclès s’écartent, permettant au Parthénon de montrer sa façade ouest dans toute sa grandeur ; la description de Bacon d’une « architecture entrecroisée » vient de nouveau à l’esprit. 25 D’ici la pente sud de l’Acropole est visible pour la première fois depuis l’entrée dans la cité (pour ceux qui se déplacent dans l’Agora, ceci serait comme le côté sombre de la lune). Ceci devient en son temps le district spirituel de la cité. Les bâtiments (Théâtre de Dionysos, Asclépéion, Stoa d’Eumène, Odéon d’Hérode Atticus) sont alignés au pied du rocher, avec leurs axes perpendiculaires à ses contours. La longue colonnade de la Stoa crée un axe fort reliant le Théâtre de Dionysos à l’Odéon d’Hérode Atticus et même à la Pnyx si on regarde au loin à l’Est. 26 Les vallées étroites entre les collines de la Pnyx, les Nymphes et l’Acropole sont comme des passages primitifs, imprimés sur le paysage dans un réseau de chemins sans fin, dont la plupart sont connus à ce jour. Parmi eux, ceux de Denys l’Aréopagite et de l’Apôtre Paul, qui allaient devenir un boulevard au XIXe siècle et une rue bruyante au XXe avant d’être transformées en une promenade piétonne. 27 Un retour possible à l’Agora et à la porte Dipyle, après qu’il ait visité le district spirituel de la porte sud, peut conduire le visiteur de l’ancienne Athènes autour des côtés est et nord de l’Acropole, le long du Péripatos, ou de la rue des Trépieds par les parties de la cité qui restent cachées sous le district du XIXe siècle des Anaphiotikia.

Transformations

28 C’était une description brève et sélective de quelques-unes seulement des caractéristiques les plus visibles du paysage urbain de l’ancienne Athènes durant les périodes classiques et hellénistiques. Le paysage de la ville est devenu un « paysage historique » à travers une série de transformations, de loin trop nombreuses pour être mentionnées ici. Nous choisirons donc seulement quelques points pour illustrer l’effet des changements, quand un site vivant est peu à peu transformé en un parc archéologique, ce qu’il est aujourd’hui.

29 Un grand changement s’est opéré dès l’époque romaine, quand l’énorme Odéon d’Agrippa fut construit au milieu de l’Agora, altérant de façon dramatique le sentiment séducteur du vaste vide, qui était autrefois l’Agora et la perspective de la Voie Panathénaïque vers l’Acropole. Même dans les ruines d’aujourd’hui le dommage causé par cette construction énorme, hors-échelle est ressenti avec tristesse. 30 À la fin du Moyen Âge Athènes avait perdu toute sa grandeur19 ; la cité s’est réduite à une petite ville et les reliques du passé n’étaient plus rien d’autre qu’une carrière utile aux habitants pour les matériaux de construction. Le plateau de l’Acropole était couvert de pauvres maisons appuyées sans le savoir contre les ruines des bâtiments de « l’âge d’or ». 31 Après une longue période de silence, Athènes reprit vie d’abord vie au travers de la nostalgie des premiers voyageurs du XVIIe siècle. Le choix d’Athènes comme capitale de l’État grec nouvellement né en 1834, marque un tournant dans l’histoire de la cité. Avec les architectes et les urbanistes, les archéologues entrent en action, d’abord sur l’Acropole elle-même et ensuite sur les zones environnantes. L’activité conjointe de toutes les parties engagées produisit le compromis que nous voyons aujourd’hui : de

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purs échantillons de la gloire de l’ancienne Athènes pris entre design urbain « européen » et un design de paysage de collines fortement plantées et de parcs français20. Des clôtures d’épais buissons graduellement séparèrent les insulae fouillées et des rues au lourd trafic furent construites sur les traces des anciens chemins. Pendant plus de quatre décades, après le boom du tourisme des années soixante, la zone fut terra incognita pour les Athéniens et presque inaccessible à pied : elle appartenait exclusivement aux bus qui conduisaient touristes et élèves visiter l’Acropole. 32 Le but du projet d’unification, lancé à la fin des années 90, était précisément de réunir les segments du passé et de les réconcilier avec le présent. Les principaux « usagers » de la zone sont toujours les touristes. Mais maintenant ceux-ci arrivent en quantité inconnue jusqu’alors (un bateau de croisière envoie 3.000 personnes à l’Acropole à la fois) et ils ont peu de temps et d’intérêt à consacrer à l’histoire de la cité. Pour les masses qui, chaque été, inondent l’Acropole, l’objectif du projet de design pouvait difficilement être plus qu’une promenade aussi sûre et confortable que possible. Les visiteurs plus intéressés cependant et les habitants de la cité demandent, sollicitent davantage. 33 L’Acropole reste le point central de l’intérêt et reçoit la grande majorité des visiteurs dont la plupart se précipitent ensuite à leurs bus et à leurs bateaux. L’accès au « rocher » en venant du Sud-Ouest est également demeuré le même, car il est seul aisément accessible en voiture (le design exquis de Pikionis pour le sentier montant reste pour les cinquante dernières années un monument en lui-même). Cependant, ce raccourci laisse beaucoup de choses dans l’ombre ; par-dessus tout on oublie la révélation graduelle de l’Acropole quand on l’approche par la Voie Panathénaïque, comme on l’a décrit plus haut. 34 L’entrée majestueuse de la cité, la Porte Dipyle, reste un « site archéologique » séparé, bien que moins isolé visuellement. Quoique le changement dans cette zone prévu par le projet « d’Unification » ait aidé largement à percevoir le Dipylon comme « un système d’entrée », l’expérience actuelle d’entrée dans la cité et de marche le long de la Voie Panathénaïque en direction de l’Acropole soit largement inaccessible pour diverses raisons : a) à cause de la vaste zone non fouillée qui sépare le Dipylon de l’Agora, b) le prolongement malencontreux de la voie ferrée à la fin du XIXe siècle qui coupe à travers la Voie Panathénaïque, c) le fait que l’accès le plus proche à l’Acropole en voiture est celui de Denys l’Aréopagite et qu’il soit préféré par la majorité des visiteurs arrivant par bus, et d) la marche plutôt longue et la montée escarpée exigées par ce trajet (il a une longueur totale de 1050 m et un dénivelé de 100m environ). 35 À mon avis cependant marcher le long de la Voie Panathénaïque est une expérience unique ; tel un cordon ombilical elle relie les deux « Portes », le Dipylon séculier et les Propylées sacrés et surtout révèle la beauté du paysage historique et explique le sens symbolique et la hiérarchie du paysage qui ondule. 36 Les fouilles futures de la zone comprise entre le Céramique et l’Agora amélioreront sûrement la situation, même si la voie ferrée empêche toujours une totale unification21. Des travaux effectués dans la zone du Céramique pour le métro d’Athènes ont mis à jour un grand espace de terrain dans la direction du Dèmosion Sèma, qui ne sera pas utilisé pour la station de métro comme il avait été initialement prévu. Le terrain est séparé du site archéologique du Céramique par la grande artère de la route du Pirée. Toutefois, correctement organisé, il pourrait faire fonction d’approche alternative vers

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l’ancienne cité d’Athènes. Dans ce cas, les visiteurs pourraient commencer leur marche de l’entrée du Dipylon, trouver leur chemin vers l’Agora et se rendre aux Propylées en suivant plus ou moins la route de la Voie Panathénaïque. L’expérience serait beaucoup plus proche de l’original si ne manquaient certains accents lumineux à la suite de quelques malheureux événements. 37 Un de ces événements se rapporte à la Pnyx. Un espace de terrain triangulaire fut laissé à la construction de logements dans l’endroit le plus impropre : juste au-dessous de la Pnyx. Ces bâtiments ont depuis bloqué la vue et rompu l’axe important entre l’Agora et la Pnyx. Bien que la mise en voie piétonne de l’Apôtre Paul ait atténué la fracture entre l’ancienne ville et son centre politique, il est triste que les autorités n’aient pas poursuivi l’expropriation projetée d’au moins quelques-uns de ces bâtiments pour dégager la vue. L’unification de la vue, dans ce cas, était plus importante que l’accessibilité directe. 38 Le Projet d’Unification a été appliqué seulement partiellement. Les expropriations de terrains ont été très limitées et certaines propositions sages concernant le nouvel arrangement le long des limites entre zones fouillées et zones non fouillées furent laissées de côté par les autorités (comme trop hardies ?). De cet ambitieux projet, c’est essentiellement la voie piétonne qui a été achevée. Le projet a créé une promenade plaisante dans un environnement semi naturel et elle a fourni des conditions plus favorables à ceux qui cherchaient à obtenir un dessin cohérent à partir de la confusion des ruines. Il a adouci les fractures entre la cité moderne et les pièces détachées d’un passé lointain (le long de Denys l’Aréopagite), comme les fractures entre les pièces du même passé que le temps et les erreurs ont dissociées (le long de Saint-Paul). Une unification absolue et littérale de tous les « sites » détachés dans les environs de l’Acropole n’était pas réalisable pour beaucoup de raisons pratiques, et d’autre part ne pouvait être de toute façon la visée idéale, comme le souligne Antonakakis, car un site archéologique surdéveloppé risque en permanence d’être dissocié de la cité vivante22. 39 La mise en image, d’autre part, est tout sur le mouvement et les dessins de circulations23. Cependant, la voie commune pour la « lecture » d’un site archéologique est statique : les groupes s’arrêtent habituellement à des points avantageux, là où se trouvent des traces aptes à montrer ce qui est visible autour. De cette façon, cependant, on reste un « spectateur » et non un « acteur ». Pour un visiteur porté à de plus grandes sensations, il est important que ce mouvement soit plein de sens. Il serait capable au moins de dire chaque fois sa position par rapport à un exemple de circulation spécifique. Il serait capable de comprendre comment il s’est trouvé là, d’où il vient et quels sont ses prochains choix. La plupart des visiteurs se sentent totalement impuissants à ce propos, à la merci de leurs guides, qui claquent des doigts, et ils viennent à la vie au milieu de l’Agora ou au sommet de l’Acropole. Si ceux-ci oublient de claquer des doigts en retour, les visiteurs ne peuvent jamais trouver le chemin de leur voiture dans les temps. 40 La mise en image c’est aussi l’imagination, la capacité de créer des images. Les dessins isométriques et les modèles à trois dimensions sont très utiles, mais l’imagination de chacun est ce qui compte le plus, car elle stimule l’implication ; le facteur temps est aussi important : la familiarité avec un lieu est obtenue par la répétition sur une longue période et non par une marche hâtive sur un site archéologique. C’est la même chose avec les rôles, car pour comprendre la complexité d’un paysage historique on doit manœuvrer dans divers rôles et imaginer, par exemple, la traversée de la Voie

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Panathénaïque sur une base quotidienne comme opposée à la participation à une Procession Panathénaïque durant le grand festival, ou une flânerie à travers les ruines de l’Agora à la recherche de matériaux de construction au Moyen-âge. Par chance, la mémoire et l’imagination permettent ce genre de raccourcis de temps et d’espace24. 41 L’essentiel est qu’une grande partie du paysage historique d’Athènes reste à explorer et à apprécier. Laissant de côté les problèmes relatifs au tourisme de masse qui sont de nature entièrement différente, les visiteurs sensibles à l’aura de l’ancienne Athènes peuvent se satisfaire, pour autant qu’ils exercent proprement leur imagination et permettent non seulement à leurs corps de suivre les chemins et les traces préparées pour eux par les archéologues, mais à leurs esprits et à leurs âmes d’être tout autant impliquées. Amédée Ozenfant offre une excellente description d’une expérience de cette sorte après une visite de Delphes : « Je n’étais pas un spectateur passif… par mes mouvements, qui modifiaient les rapports des bâtiments et des objets proches ou lointains, je dotais la vue avec les mouvements… Lorsque je m’arrêtais, ils retombaient dans la sérénité, qui est une situation d’attente, non une fin »25.

Fig. 1 : Carte de l’Attique pendant les temps préhistoriques (Travlos 1993)

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Fig. 2 : Carte d’Athènes du temps de Lycurgue à la déstruction de la cité par Sylla (Travlos 1993, Planche IV). Lignes et astérisques indiquent les chemins et les nœuds

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NOTES

1. Voir A. Papagéorgiou-Vénétas, The Athenian walk and the historic site of Athens, Athènes, 2004. 2. Pour une brève présentation des sept projets, voir Αρχιτέκτονες 11 (1998) 35-53 et Αρχιτέκτονες 12 (1998), pp. 32-58. 3. « Pleias » (D. Diamantopoulos, O. Viggopoulos, K. Giouléka, M. Kaltsa et C. Palyvou). 4. R. Dripps, C. Groundwork, J. Burns et A. Kahn (éd.), Site Matters. Design Concepts, Histories, and Strategies, New York et Londres, 2005. 5. K. Lynch, The Image of the City, MIT Press, 1960, pp. 2-3. 6. Ibid., pp. 46-49. 7. V. Scully, The Earth, the Temple, and the Gods, Yale University Press, 1962, chapitre 1, « Paysage et Sanctuaire », discute les travaux de quelques savants, tels que Stillwell, Martienssen, Doxiadès, concernant le rapport de l’architecture grecque ancienne au paysage. 8. A. Tanoulas, « Greek Concepts of Space as Reflected in Ancient Greek Architecture », in K. Vatsyayan (éd.), Concepts of Space Ancient and Modern, India, 1991, pp. 157-172, p. 159. 9. E. Spathari, « Η Φύση στην Αττική κατά την Αρχαιότητα », Αττικό τοπίο και περιβάλλον, Κατάλογος έκθεσης, Ministère grec de la Culture, Athènes, 1989, pp. 182-189, p. 86. 10. Pour le développement de la cité ancienne d’Athènes voir J. Travlos, Πολεοδομική εξέλιξις των Αθηνών, Athènes, 1993.

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11. Pour un texte général sur les monuments de l’Agora voir J. Camp, The Athenian Agora. Excavations in the Heart of Classical Athens, Thames and Hudson, Londres, 1986 et R. Martin, L’urbanisme dans la Grèce antique, Paris, 1956. 12. E. N. Bacon, Design of Cities, Thames and Hudson, Londres, 1967, p. 55. 13. Stevens décrit l’expérience d’un ancien visiteur gravissant la rampe pour les Propylées et la vue des points-clés et soutient que Mnésiclès doit avoir dessiné son bâtiment avec ceci en tête. 14. Pour un texte général sur les monuments de l’Acropole voir M. Brouskari, The Monuments of the Acropolis, Ministère de la Culture, Athènes, 1997. 15. Selon Stevens, le sommet de la statue peut avoir été visible de la mer (G. P. Stevens, « The Periclean entrance court of the Acropolis of Athens », Hesperia 5, pp. 491-499). 16. De très nombreux savants ont tenté de décrire cette expérience et les intentions pour le design et l’emplacement des monuments. Pour en nommer quelques-uns : Stevens, op. cit., Scully, op. cit., R. D. Martienssen, The Idea of Space in Greek Architecture, Athènes, 1964, pp. 124-130. Voir aussi la théorie de Doxiadès, C. A. Doxiadès, Architectural Space in Ancient Greece, MIT Press, 1972 et les fortes objections de Michélis, P. A. Michélis, « Περί του τρόπου συνθέεως των μνημειακών πολεοδομικών συγκροτημάτων των αρχαίων Ελλήνων υπό Κ. Α. Δοξιάδη », Τεχνικά Χρονικά (janv. 1938). 17. V. Scully, op. cit., p. 5. 18. Les altitudes sont prises à J. Travlos, op. cit. 19. Sur le sens socio-politique de l’Antiquité pour l’histoire moderne d’Athènes voir E. Gialouri , « Η κοινωνικοπολιτική σημασία του τοπίου. Η περίπτωση της Ακρόπολης των Αθηνών », in Αρχιτεκτονική και πολεοδομία από την αρχαιότητα έως σήμερα. Η περίπτωση της Αθήνας, Πρακτικά Διεπιστημονικού Συνεδρίου, Μουσέιο Βούρου-Ευταξία, 15-18 Φεβρουαρίου 1996, Athènes, pp. 163-176. 20. Pour une présentation détaillée de l’histoire moderne d’Athènes, voir A. Papagéorgiou- Vénétas, op. cit., et K. H. Biris, Αι Αθήναι από του 19ου εις τον 20ον αιώνα, Athènes, 1995. 21. On a beaucoup parlé de la construction d’un tunnel qui ferait passer la voie ferrée sous le Voie Panathénaïque, mais l’entreprise s’est avérée impossible. 22. D. Antonakakis, « Δουλεύοντας με την ιστορία στην Αρχαία Αγορά της Αθήνας », Θέματα Χώρου + Τεχνών, 30 (1999) pp. 88-91, p. 88. 23. Une des objections de Scully à la théorie de Doxiadès était précisément le point de vue statique des monuments qu’il représente, tandis que l’expérience est « marcher au milieu d’eux et pénétrer dans leurs cœurs » (V. Scully, op. cit., p. 5). 24. Freud prend les ruines de l’ancienne Rome et leur riche stratigraphie comme exemple pour montrer la capacité de l’esprit humain de préserver la mémoire de nombreuses réalités différentes et de les reporter à leurs circonstances exactes. 25. Cité d’après A. Tanoulas, op. cit., pp. 157-158.

RÉSUMÉS

L’auteur tente de représenter l’espace de l’Athènes antique en combinant la méthodologie mise en place par Kevin Lynch avec les interprétations savantes du paysage historique de la ville.

The author gives an attempt of representing antique Athens by a combination of Kevin Lynch’s methodology with scholarly interpretations of historical landscape of the town.

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AUTEUR

CLAIRY PALYVOU

Université Aristote, Thessalonique

Études balkaniques, 14 | 2007