Blason du monastère de Saint-Lézer.

(clefs de Saint-Pierre et épée de Saint-Jacques)

SAINT-LEZER

S'étalant au soleil le long d'une colline, Saint-Lézer apparaît, que l'église domine Du haut d'un frais côteau, Tranchant sur le fond clair d'un ciel sans défaut.

Une belle lumière met en jeu les couleurs Des prés verts, des toits rouges ou de schistes bleutés, Que la buse en planant dans l'espace azuré Semblerait contempler sous son vol sans heurt.

Deux hameaux séparés composent le village, Mis en commun par un ruban de route. L'un d'eux s'est assemblé, le plus vieux sans doute, Accroché sous le temple ainsi qu'il fut d'usage.

L'autre plus éloigné, comprenant la mairie, Est groupé dans la plaine dont la riche nature Montre des champs fertiles voisinant des prairies, Où les eaux de l'Echez arrosent les pâtures.

En bas, plate vallée sur un terrain docile, En haut, vignes perchées sur des pentes d'argile Que des restes de murs sous la charrue affleurent, Rappelant au Présent que le Passé demeure.

Saint-Lézer, après grandeur et puissance déchues Il te reste la Paix et la sérénité, Et la beauté d'un site pas encore altéré Que tant d'autres villages ont à jamais perdues.

Roland COQUEREL Saint-Lézer le 21 Août 1958

Ces quelques vers ne mentaient pas quand ils ont été écrits, malheureusement pour le plaisir des yeux, le "progrès" des techniques est venu là aussi imprimer son sceau profane ! R.C. REMERCIEMENTS.

Tout d'abord, les remerciements de l'auteur vont à l'Association des AMIS DE LA BIBLIOTHEQUE CENTRALE DE PRET des Hautes-Pyrénées et à Madame Eliane BOUSQUET, grâce auxquelles fut édité ce livre ; et à tous ceux qui d'une façon quelconque ont oeuvré à sa réalisation.

Et ses remerciements vont aussi à la Municipalité de Saint-Lézer qui a bien voulu assumer une part du financement de la parution.

L'auteur exprime ici sa gratitude à ceux qui ont été pour lui les précieux auxilliaires sans lesquels il n'aurait pu mener à bien son travail : Gilberte sa fille, fidèle, attentif et bienveillant critique ; Paul Claracq, amical relecteur ; Paul Ponsan, Saint- Lézéen dont la connaissance des nombreux lieux-dits de son village, maintenant souvent oubliés, se montra très utile.

Ce livre a été écrit dans l'espoir qu'enfin dans ce département des Hautes- Pyrénées, on accepte de rendre à la commune de Saint-Lézer la vérité des enseignements primordiaux qu'elle représente : par son histoire, par les vestiges archéologiques qu'elle montre et ceux encore plus nombreux qu'elle recèle. Et n'est-ce pas une heureuse circonstance si, quelques jours avant la parution, Monsieur Jacques Coêffé Préfet des Hautes-Pyrénées, accompagné de Monsieur Claude Miqueu Député Maire de Vic- Bigorre, vint visiter le haut lieu de notre lointain passé régional ? Il faut voir dans cette visite, due à l'initiative de Monsieur Miqueu, un présage favorable à nos espoirs, et nous en réjouir.

Tarbes le 12 juin 1990 Roland COQUEREL Roland COQUEREL

DE BIGORRA

A SAINT-LÉZER ....

Grandeur et décadence d'un chef-lieu de civitas

Bibliothèque Centrale de Prêt des Hautes-Pyrénées 65000 1990

Au point central de notre plaine fertile, entre les deux rivières de l'Adour et de l'Echez, la civili- sation romaine s'étendit alors et fleurit en paix, désertant le coteau élevé, l'abri sûr des temps de guerre.

N. Rosapelly et X. de Cardaillac. - La Cité de Bigorre. P. 48. Plan 1 INTRODUCTION

Quand, récent Tarbais, en 1940, je demandai à l'un de ceux qui étaient considérés comme les plus avertis sur l'histoire régionale, s'il y avait des recherches archéologiques en cours dans la vallée de l'Adour en Hautes-Pyrénées, il me fut répondu qu'il n'y en avait pas, et que d'ailleurs on ne voyait pas l'intérêt d'une recherche en un endroit où de toute évidence il n'y eut pas d'occupation humaine. Assez étonné d'une telle réponse, je me mis néanmoins à lire les anciennes publications locales; et c'est ainsi qu'il m'arriva entre les mains l'ouvrage de Norbert Rosapelly et de Xavier de Cardaillac : "La Cité de Bigorre". Et j'allai visiter la fameuse colline de Saint- Lézer, où m'apparurent les incontestables vestiges d'une place forte très ancienne, puissamment organisée, qui n'avait pu être autre chose qu'un habitat assez important pour exiger une efficace protection.

De Tarbes, personne ne put m'indiquer la connaissance d'un reste de construction d'époque gallo-romaine, pas plus que je ne trouvai un texte qui en fît mention ; aucune trouvaille convaincante du début de notre ère ne semblait avoir été signalée dans ce quartier de la Sède montré comme étant le lieu de l'antique capitale de la Bigorre.

J'ai lu bien sûr la véhémente démonstration de Louis Deville (1) qui veut prouver la suprématie du chef-lieu tarbais dans l'antiquité, la faisant remonter au moins au temps de César, en oubliant que le document le plus ancien lui servant de référence datait de la fin du IVe ou du début du Ve siècle, et que, si en mentionnant Tarbes il apportait une présomption à l'existence plus ancienne de l'agglomération urbaine, rien ne permettait sérieusement de présumer du moment de son apparition (2).

Après Deville jusqu'à nous, parmi les historiens locaux il y eut ceux qui, reprenant les arguments de leur prédécesseur, voulurent, avec un fond de patriotisme outragé, contester qu'il en pût être autrement ; il y eut ceux qui, avec Larcher, donnèrent raison aux auteurs de la "Cité de Bigorre". Approuvant les premiers, quelques édiles tarbais proposèrent en 1953 de fêter avec faste le deuxième millénaire de Tarbes, s'inspirant dans leur intention de la commémoration toute récente du deuxième millénaire parisien. Je présentai alors une communication devant la Société Académique des Hautes-Pyrénées sous le titre "Tarbes a-t-elle 2000 ans ?". J'y expliquai pourquoi, à mon sens, le doute était permis quant à cette datation, argant de l'absence de témoignages archéologiques et de l'ambiguïté de l'unique document écrit (3). Vint le moment des grands travaux d'urbanisme tarbais avec la mise en tout-à-l'égout et les fondations profondes d'immeubles nouveaux au coeur de la ville, en 1959. Travaux qui se poursuivirent largement jusqu'en 1980, et que je suivis assidûment en y pratiquant le ramassage du mobilier archéologique et l'étude du milieu, ou, quand il l'était possible, une fouille de sauvetage. Trois choses m'apparurent alors, évidentes: une agglomération urbanisée existait dans ce qui allait devenir le chef- lieu des Hautes-Pyrénées, avant la soumission de la Bigorre aux forces romaines ; cette agglomération resta ville ouverte, non fortifiée, jusqu'à la fin de l'Empire ; les deux faits qui précèdent auraient été connus depuis longtemps si l'archéologue averti n'avait été absent dans la ville ; ils ont été largement expliqués dans les publications de mes recherches (4).

Et la petite phrase de la Notice de Provinces "Civitas Turba ubi castrum Bigorra" ne pouvait vouloir dire, en se forçant beaucoup, que le château antique de Bigorre se situait dans Tarbes. L'ambiguïté du texte est tel qu'on n'hésita pas à en corriger la forme en avançant l'hypothèse d'une erreur de copiste, et que cette hypothétique correction en "Civitas Bigorra ubi castrum Tarba" avec cette conclusion scientifiquement aberrante puisque s'appuyant sur une supposition : "ce qui tranche le débat" (5) !

Le débat étant tranché, en ce qui concerne le prétendu castrum Bigorra à Tarbes, il reste à savoir si par l'étude archéologique, l'argumentation de Rosapelly et de Cardaillac se trouve renforcée.

(1) Deville (Louis). - Etude historique sur Tarbes. Bull. Sté Ac. des H.-P. : 1859, pp. 156 a 185.

(2) Noticia provinciarum. - Document rédigé entre 386 et 450, publié par Pierre de Marca en 1633 dans son Histoire du Béarn. (3) Coquerel (Roland). - Tarbes a-t-elle 2000 ans ? Petites affiches des H.-P. et Tiré à part 1953. (4) Coquerel (Roland). - Les découvertes archéologiques de Tarbes. CELTICUM XX 1963. OGAM Rennes. - Le Centre urbain antique de Tarbes, dans les actes du XXVIIe congrès d'études régionales "L'urbanisation de l'Aquitaine" Pau 1975. - Et plusieurs communica- tions dans les bulletins de la Société Ramond de Bagnères-de-Bigorre. (5) Larrieu (Jean). - Histoire de Tarbes. 1ère et 2e édition (1975 et 1982) p. 26. Le contexte géographique et historique

La commune de Saint-Lézer, en un tiers environ de sa superficie, s'étale sur les pentes d'un coteau argileux, et les deux autres tiers s'étendent dans une plaine en partie sableuse qui rejoint la rivière Echez à l'Est. Elle s'encadre dans les coordonnées Lambert X 411,2 à 414,6 et Y 117,7 à 122,7. Ses points d'altitudes vont de 213 à 320 m. Superficie = 1117 ha dont 34 de voies et ruisseaux.

Les communes confrontantes sont, du Béarn : , Casteide-Doat, Montaner; en Hautes-Pyrénées : Talazac au Sud, et Vic-Bigorre à l'Est, Vic- Bigorre au Nord.

Trois ruisseaux parcourent le territoire, en allant à peu près de midi en septentrion : le Bergoun sur la hauteur, le Barmale à la base de la colline, la Luzerte dans la plaine.

La large vallée au fond alluvionnaire que dominent les hautes pentes de Saint-Lézer est l'ancien lit des écoulements conjugués de l'Echez, de l'Adour et du Gave d'Argelès, avant que ce dernier ne fut détourné vers Pau en se heurtant au bouchon morainique à Adé, auxquels s'ajoutaient les ruisseaux secondaires dûs aux résurgences des plateaux. Les eaux de fusion du glacier d'Argelès et de l'Adour, laissèrent sur les vallonnements qui encaissent la vallée, sous forme de terrasses, des dépôts alluvionnaires. Ils sont bien visibles de chaque côté de la route ancienne qui va de Tarbes à Saint-Lézer en passant par . Puis, quand le Gave d'Argelès fut détourné à Adé, après le recul des glaciers, les débits réduits de l'Adour et de l'Echez s'isolèrent comme ils le sont aujourd'hui.

C'est sur un banc de sable laissé par le retrait des eaux, vaste gué traversant la vallée encore marécageuse, que prit naissance le noyau primitif d'agglomération humaine d'où viendra la ville tarbaise (1).

Les résurgences des plateaux sont sans doute à l'origine des petits marais qui alimentent les rivières descendant vers la vallée, qui, au cours du temps, ont creusé de profonds sillons les terrasses en formant dans celles-ci des collines en éperons. Ces éperons sont nombreux au long des coteaux bordant l'Adour entre la plaine de Tarbes et les confins de la Rivière-Basse ; celui de Saint-Lézer est dû au Bergoun.

Ces éperons, par les pentes plus ou moins abruptes qui l'entouraient, ont un sommet pratiquement isolé de toute part, et tout naturellement ils devinrent dans de nombreux cas des lieux propices à la défense, quand les hommes eurent à se protéger de leurs semblables.

Sur la seule rive occidentale de l'Adour, entre Tarbes et Castelnau-Rivière- Basse, à Ibos, Lagarde, Saint-Lézer, , Villefranque, , , des éperons ont été aménagés en places fortes appelées oppida, bien avant la romanisation de l'Aquitaine ; certains comme celui de Saint-Lézer au moins à l'Age du Bronze.

Le travail de castramétation fut d'abord de compléter l'isolement de l'extrémité de la crête en la barrant, en son endroit le plus étranglé (l'isthme) quand il existait, par un profond fossé dont la terre extraite était dressée en un mur qui perfectionnait la fortification (2). Selon leur importance spatiale, ces oppida furent de simples points de surveillance, de refuge et sans doute de dévotion, autour desquels s'établirent des hameaux; ou pour les plus grands, de véritables habitats permettant d'ajouter à ce qu'offraient les autres, une possibilité de stockages des marchandises, un lieu d'échange et d'accueil, protégeant un village.

Lorsque la plaine fut à son tour habitée, elle l'était sans doute déjà au Bronze, il est logique de penser que les tribus voisines se confédérèrent et prirent pour chef- lieu l'oppidum le plus important.

En 56 avant notre ère, ce furent ces places fortifiées que Crassus, lieutenant de César, eut à vaincre pour assurer ses conquêtes sur les Bigerrions, peuple de la Bigorre d'alors.

Pendant la paix romaine, les habitats de la vallée prirent de l'extension, certains comme Tarbes, Vic, , devinrent de véritables centres urbains. Mais il apparaît évident, d'après les découvertes archéologiques, et notamment des restes de somptueuses mosaïques, faites dans la région qui cerne de près Vic-Bigorre et Maubourguet, que l'on peut dire pour la dite région ce que C. Lacoste dit pour celle du Vic-Bilh (3) : La région du Vic-Bilh a conservé quelques souvenirs de la préhistoire, mais les gallo- romains semblent avoir eu une prédilection particulière pour ce pays. C'est en effet en Vic-Bilh que nous sont conservés les plus nombreux vestiges de la période gallo- romaine et les découvertes déjà faites permettent d'affirmer sans témérité que ce pays fut le centre primitif le plus important de ce qui devint le Béarn. Les étapes successives de l'habitat ancien de Saint-Lézer Ce parallèle entre Béarn et Bigorre n'est qu'un de plus aux nombreux qui les lient dans une ethnie commune : il intéresse deux espaces géographiques rigoureusement contigus, recélant, au moins dans notre part, des trésors archéologiques encore mal exploités.

Les invasions de la fin du Ille siècle incitèrent le repli des populations vers les oppida plus ou moins abandonnés, l'ancien chef-lieu reprit sa fonction qu'il avait peu ou prou perdue, redevenant le centre administratif et militaire de la civitas. Et lorsque, dans le désarroi des autorités civiles l'Eglise fut seule capable, du fait de son ordre organique, de gérer les affaires publiques, c'est tout naturellement auprès de l'oppidum qu'elle crut pouvoir s'installer avec sécurité.

Sur le territoire bigourdan, l'oppidum le plus vaste, le mieux défendu, était celui dont les vestiges encore visibles, existent à Saint-Lézer. Pour ce qu'il en était de la civitas tarbaise, le refuge le mieux protégé ne pouvait être que la place forte de Lagarde, le "Castet-Crabé" ; mais la confirmation de cette hypothèse demanderait d'importantes fouilles sur le terrain.

(1) Coquerel (Roland). - Evolution de la ville de Tarbes dès ses origines au Moyen Age. Bull. Société Ramond 1980, pp. 99 à 113. (2) Coquerel (Roland) et Vié (Robert). - Les castramétations protohistoriques dans les Hautes-Pyrénées. Actes du Congrès des Sociétés Savantes, Tarbes 1978, pp. 23 à 46. (3) Constant (C.). - Saint-Jean-Poudge. Rev. de Pau et du Béarn, 1974. CHAPITRE I

L'antiquité de Saint-Lézer d'après les textes anciens

Les auteurs qui prirent parti dans ce débat, souvent passionné, sur l'emplacement du Castrum Bigorra et du premier évêché de la Bigorre, ne tinrent compte de ce que l'archéologie pouvait apporter dans l'argumentation, et certains, quand Rosapelly et de Cardaillac essayèrent de la faire valoir, la réfutèrent. Aujourd'hui, l'argument archéologique est reconnu comme particulièrement valable ; de plus, les documents du sous-sol tarbais sont suffisamment connus depuis environ deux décennies. Ils ne l'étaient absolument pas antérieurement.

C'est donc avec de nouvelles connaissances, sans passion puisqu'aussi bien, je fus le premier à signaler l'antiquité du premier urbanisme de Tarbes, que je vais tenter l'analyse des éléments qui font l'objet du débat.

Tarbes, sous la forme Turba, apparaît le plus anciennement dans la troublante formule de la Noticia provinciarum "Civitas Turba ubi castrum Bigorra", probablement au tout début du Ve siècle.

Il est évident que, si la notice en fait mention, c'est que Tarbes existait avant qu'elle ne fut écrite ; et il est tout probable que le petit centre urbain découvert près de la cathédrale portait ce nom.

Troublante formule parce qu'ambiguë, c'est l'opinion de latinistes aussi indiscutés que le regretté Jean Francèz ; tellement ambiguë qu'on l'a parfois corrigée arbitrairement pour lui faire donner raison à certaines interprétations. On peut donc dire que rien de sérieux ne peut être tiré de la formule, si ce n'est l'ancienne existence de Tarbes et d'un castrum Bigorra.

C'est dans des textes plus analysables, malheureusement postérieurs aux faits relatés, et non moins contestés, qu'il faut chercher un renseignement valable.

C'est d'abord un court passage dans De gloria confessorum écrit par Grégoire de Tours au Vie siècle, qui va retenir les controverses : "Infra terminum autem Beorretanae urbis, in vico Sexciacensi, sanctus Justinus presbiter quiescit... Hujus meritis ac sanctitate propinquus est Misilinus... qui apud Talvam, vicum hujus territorii, suescit".

Les auteurs sont généralement d'accord pour traduire "Beorretanae" en Bigorre, "Talvam" en Tarbes, et lire dans le texte qu'il y avait dans l'urbs un vicus ou bourg appelé Tarbes. Mais pour les uns, comme Deville (1), Bigorre était l'actuel quartier de la cathédrale (la Sède) et le vicus l'actuel Bourg Vieux autre quartier tarbais. Pour d'autres, l'opinion de Balencie est la meilleure.

Avec Gaston Balencie (2), il faut comprendre que le vicus Talvam était la cité de Tarbes, devenue peut-être qu'un village au Vie siècle, après les destructions dues au passage des Vandales vers l'an 297 ; le mot Bigorre désignant alors le territoire de la future province. Tout comme Deville, c'est de la Notice des Provinces qu'il tire la certitude du chef-lieu de la région administrative, la civitas, à Tarbes. D'après Balencie, le vicus ne pouvait être le Bourg Vieux, comme le croyait Deville.

Larcher, auquel on doit une grande masse de renseignements intéressant l'histoire locale, a écrit : "Grégoire de Tours distingue également Talva, qui ne paroit être que Tarbes... Talva et Sers étoient différens de la ville épiscopale de Bigorre." (3) Il situe la ville épiscopale Bigorre à Saint-Lézer en partant, semble-t-il, de textes plus récents.

Rosapelly et de Cardaillac, reprenant la leçon de Larcher, et s'appuyant sur leur étude sur le terrain, vont publier leur ouvrage "La Cité de Bigorre" dans lequel ils s'appliqueront à faire partager leurs conclusions. Ils auront été les premiers à prendre en considération les faits archéologiques ; mais ils n'avaient pas pour convaincre la connaissance des vestiges antiques cachés dans le sous-sol tarbais.

Notons encore que Balencie, par ignorance, croit qu'une civitas, dans le sens de cité (ville) signifiait que celle-ci, dans l'antiquité, était forcément fortifiée, alors que les villes des colonies romaines ne l'étaient qu'exceptionnellement. D'autre part, on le verra plus loin, malgré les fouilles d'à peu près tout le terrain du quartier de la Sède à Tarbes, aucune trace de murs d'enceinte antique n'a été trouvée.

Au débat sur l'emplacement primitif du chef-lieu de la Civitas Bigorra, est venu fatalement s'ajouter un autre désaccord à propos du siège de l'évêché primitif de cette Civitas. On sait qu'à la fin de l'Empire romain, l'Eglise étant le seul organisme resté, grâce à son indépendance, à peu près intact dans son administration quand les autorités civiles voyaient la leur complètement démantelée, devint facilement le soutien de ceux qui voulaient continuer à vivre. Cela se fit d'autant mieux que, suivant une règle générale, les évêchés, ainsi que l'avaient fait de nombreuses grandes abbayes, s'installèrent près des murs de la ville capitale fortifiée où résidait le Comte (4). Pour ceux qui situaient le Castrum Bigorra à Tarbes, l'évêché était resté là; pour ceux qui voyaient le castrum à Saint-Lézer, l'évêché ne pouvait être qu'en ce lieu.

Ce dont chacun tirait une conclusion favorable à son point de vue, était d'abord le cartulaire de Lescar, actuellement disparu, mais dont de Marca a reproduit le texte (5) qui, mentionnant des cités détruites par, semble-t-il ? les Normands: ... Lascuris (Lescar), Oloten (Oloron), Aquis (Dax), y joint ecclesia Tarba, l'église de Tarbes, mais sans présenter la ville comme une cité. La citation se termine par cette précision : "... et sedes Gasconiae fuerunt in oblivione multis temporibus, quia nullus episcopus in eas introivit" (et beaucoup de sièges de Gascogne furent oubliés, du fait que pendant longtemps aucun évêque n'y soit entré).

Le cartulaire ne montre donc pas Tarbes comme une cité et ne lui attribue pas spécifiquement une cathédrale ; mais certains voulurent qu'ecclesia signifiait "église principale" !

Un autre document va venir donner un supplément de controverses, c'est la charte de Marfin, datant de la fin du Xlle siècle, écrite en latin sur parchemin (6). Elle a été traduite par plusieurs chercheurs qui ne se contredisent pas, elle apparait peu crédible aux historiens.

D'après l'auteur, Charlemagne allant vers l'Espagne pour combattre les Arabes, s'empare de la ville d'Horre où se trouve le monastère de Saint-Lizier ; puis va assiéger le château de Mirembel dans lequel se tenait le sarrasin Mirat. Là se déroule le miracle de l'aigle qui porte à l'Empereur un poisson de la part de Mirat, du Maure qui se convertit au christianisme, etc. De cette légende, la ville de a tiré son emblème.

Marfin dans son récit explique que les mots Horra et Vic auraient donné par jonction Vic-Horra, puis Bigorra. L'argument contre cette explication est que Bigorre est mentionnée avant l'occupation romaine, donc avant que l'on puisse concevoir un vicus (Vic-Bigorre) à côté d'une ville (Saint-Lézer). Il n'est pas certain du tout qu'il faille voir la chose de cette façon, qui résulte de cette vieille idée bien ancrée dans l'esprit des historiens, il y a encore quelques décennies, d'une romanisation de l'Aquitaine seulement après César. Au moins pour la région tarbaise, l'archéologie a démontré que la culture romaine y pénétra déjà au Ile siècle avant notre ère.

Toujours dans ce récit, il est question d'un monastère de Sainte-Eulalie de Tara, qui autrefois (sans date précisée) aurait siégé à Horra, avant que l'évêché ne fût installé à Tarbes.

Nouvelles controverses sur ce Tara, dont on fera Tarbes, quand d'autres feront remarquer qu'il y a à Talazac, commune voisine de Saint-Lézer, un hameau de Sainte-Eulalie, et qu'on peut faire aussi Talazac de Tara. Il faut noter que l'église du village est dédiée à cette Sainte et que des petites communautés existaient au Moyen-Age dans de nombreuses agglomérations rurales, souvent désignées prieurés, qui étaient gérées par des laïcs pour le compte d'une abbaye ou d'un prieuré religieux important.

Un gros élément documentaire va encore ajouter de la matière à arguer, en sens contraire, en faveur de Tarbes ou de Saint-Lézer : c'est le cartulaire de Bigorre dû au moine toulousain Nicolas Bertrandi, écrit au début du XVIe siècle, et dont on ne connaît plus qu'une copie (7). Balencie n'y voit qu'une collation de chroniques puisées dans quelques vieux manuscrits qui n'auraient rien de commun avec un véritable cartulaire (8) ; mais il en dit : "J'arrive au récit de Bertrand. Sans être exempt d'exagération et, sans doute, de faute, il n'offre aux yeux d'une raison libre de préjugé aucun signe de nature à le rendre suspect."

Voici, faite par Louis Deville (9), la traduction de la partie retenue du texte latin de Bertrandi, traduction jugée correcte par Balencie et Francèz : Les Danois ou Normands s'emparent du château de Tarbes, puis ils se dirigent, par un circuit, vers la ville Orre ou Orraise, appelée aujourd'hui Bigorre, détruisant sur leur passage, villages, bourgs et villes.

Averti de leur approche, l'évêque Géraud, qui occupait alors le siège épiscopal de cette ville, se retire vers le château-fort de Foronilium (Forojulium d'après Larcher). Et comme le monastère n'était pas éloigné des rempars de la ville épiscopale de plus d'un jet de pierre, les moines se dispersent pour n'être pas enveloppés dans les ruines de la cité.

Deville tient cependant à ajouter : "Voilà, je crois, bien exactement, bien fidèlement retracés, les passages essentiels de ce récit où tout est faux, du moins dans les détails qui s'appliquent à notre pays."

Son refus d'admettre est on ne peut plus catégorique. Balencie, faisant "civitas Tarba = castrum Tarba", pense qu'il est possible que la ville fût abandonnée par les évêques partis se réfugier dans la forteresse de Saint-Lézer : ce qui expliquerait, l'auteur ne le dit pas, le siège épiscopal en ce lieu jusqu'en 1064. Notons enfin que pour les uns, Foronilium ou Forojulium fut près de Tarbes, quand Rosapelly et Cardailhac le situent dans le territoire de au nord de Vie. Deville retient comme preuve définitive une phrase de Bertrandi qu'il traduit: ... Fauste, prélat distingué du siège de Tarbes, et dont il dit : En faut-il davantage pour rendre à Tarbes son rang et sa suprématie ? sans que cependant le texte ne présente le prélat comme occupant un siège épiscopal.

Un sixième élément du dossier objet du débat "Tarbes ou Saint-Lézer", vient de la Gallia christiana, ouvrage rédigé en 1646, puis plusieurs fois remanié par la suite (10).

C'est en relatant l'histoire de Saint-Savin que l'ouvrage fait mention de ce qui nous préoccupe ici.

Saint-Savin, venant vers les Pyrénées, entra dans la ville Bigorre (urbe Bigorritana) où il trouva l'abbé Frontinius ou Frominius, avec quelques moines. Dans la ville, il existait un monastère dirigé par l'abbé, monastère fondé par Lizier (Licerius) vers le Vie siècle dans le temps où Saint-Fauste occupait le siège épiscopal de Bigorre (episcopi Bigorratini). Le couvent était dans le voisinage de Bigorre, au bord du fleuve Adour.

On ne manqua pas de relever que Saint-Lézer n'était pas voisin de l'Adour alors que Tarbes l'était. Mais la faute géographique, s'il y en a une, n'avait pas une grande importance si l'on veut bien considérer que la vallée de l'Echez et celle de l'Adour s'unissent. Ducos, d'après Deville (11), trouve une explication accommodante dans le fait qu'il y avait près de la cathédrale de Tarbes, un monastère construit sous l'invocation de Saint-Lézer ; ce à quoi Deville rétorque que ce monastère n'a jamais existé dans le quartier de la Sède.

Balencie ne mentionne pas la Gallia Christiana. Rosapelly et de Cardaillac pensent qu'il s'agit d'une erreur de la part des Bénédictins méconnaissant la région.

La Gallia Christiana fait état d'un concile qui aurait eu lieu à Orre, "apud sanctam Mariam Orrea in territorio Bigorretano", en 1078 sous le règne de Philippe 1er roi de .

Les auteurs de la Cité de Bigorre admettent la réalité de ce concile à Orre Saint-Lézer. Balencie réfute : pour lui Orre n'est pas Saint-Lézer, où, dit-il, il n'y eut pas de chapelle Sainte-Marie dans cette commune (12), l'église paroissiale y est dédiée à Saint-Jean-Baptiste.

Notons, en passant, à propos de la rencontre d'un abbé Frominius ou Frontinius avec Saint-Savin dans la ville Bigorre, qu'il y eut à Saint-Lézer, jusqu'au XVIIe siècle, un important domaine qui était un fief de l'abbaye de Saint-Savin. Ce fait, que semblent avoir complètement ignoré ceux dont les leçons sont analysées ici, s'il n'apporte pas un témoignage de cette rencontre, n'indique pas moins qu'une relation très ancienne existait entre les deux monastères ; sans qu'on en puisse, hélas, en expliquer l'origine. Il y a là cependant encore matière à la réflexion sur le prématuré des convictions acquises.

Analyse des argumentations

De la Notice des Provinces, on ne peut rigoureusement retenir que l'existence d'une place forte appelée Bigorre et d'une ville appelée Tarbes, à la fin du IVe siècle.

Grégoire de Tours mentionne aussi une ville (urbs) du nom de Bigorre, dans laquelle, si on prend son texte à la lettre, était un bourg (vicus) qu'il nomme Tarbes. Il en faudrait déduire qu'au temps des Mérovingiens, un bourg, sans doute l'actuel Bourg- Vieux tarbais, était compris dans le territoire de la ville Bigorre. Cela parait assez étrange pour que, bien qu'ambitieux de démonstrations opposées, les auteurs considèrent qu'une incorrection du texte en fausse le sens exact. Il semble qu'il faille non pas prendre l'expression urbs comme définissant un centre urbain, mais au contraire un ensemble territorial d'une même administration, la civitas. L'anomalie viendrait d'un mauvais usage du latin, fréquent dans le haut Moyen-Age. Dans l'antiquité, le vicus était une petite agglomération humaine, hors de la ville, et il est probable que Grégoire désigne ainsi l'actuel Bourg-Vieux.

Marfin donne une étymologie au nom Bigorre, qui, quoi qu'on ait écrit, n'est pas à rejeter sans procès et, de ce fait, empêche de nier sans plus la possibilité d'une ville Orre. L'hypothétique Sainte-Eulalie de Tara reste énigmatique.

On retrouve une ville Bigorre dans la Gallia Christiana, qui, dit-elle, aurait eu dans son voisinage un monastère fondé vers le Vie siècle, au temps où Saint-Fauste était évêque de cette ville.

La liste des évêques de Bigorre dressée par Gaston Balencie est prise en considération par tous les historiens régionaux du XXe siècle. Duco (13) fait état de 4 prélats qui auraient précédé ceux de cette liste, dont Saint-Fauste pour lequel il écrit : Nous ne trouvons point le temps où Saint-Fauste vivait. La cathédrale de Tarbes ne fournit qu'un vieux bréviaire où est l'office du Saint. Il est à présumer qu'il occupait le siège épiscopal, au commencement du règne des Goths.

Joseph Duffo, réalisateur de la publication de l'histoire écrite par Duco, donne en renvoi à la suite de la dernière remarque : Il est encore exclu par Monsieur Balencie, sur la foi de Mgr Duchesne qui s'exprime ainsi à ce sujet : Saint-Fauste évêque de Tarbes "provient d'un document hagiographique sans autorité, la vie de Saint-Lizier, par Bernard Gui. Cette pièce, du reste, bien qu'elle désigne Fauste comme Tarbae civitatis episcopus, le décrit assez pour qu'on y reconnaisse le célèbre Fauste de Riez... Mauran et Larcher en font le premier évêque de Tarbes ; le catalogue du chapitre et Oïhénard, le second; Duco et Laspales, le troisième ; la Gallia christiana et Colomez, le cinquième.

On le voit, ce Saint-Fauste tarbais reste un achoppement en ce qui concerne les premiers évêchés de Bigorre, achoppement éludé par Balencie qui est pourtant l'un des champions en faveur de Tarbes à ce sujet. Il est assez surprenant de constater que la Gallia Christiana se contredit, si l'on en croit Duffo, puisqu'elle donne Saint- Fauste, une fois évêque d'Orre, une fois évêque de Tarbes. A moins que la contradiction ne soit qu'apparente et qu'il serait possible que l'évêque l'ait été d'une ville puis de l'autre, ou qu'il l'ait été des deux à la fois ?

Les chroniqueurs de ces temps reculés ne nous ont pas préparé une compréhension simple et directe des événements qu'ils relatent.

Reste ce concile d'Orre, que Balencie refuse d'admettre parce que les églises conventuelle et paroissiale de Saint-Lézer n'étaient pas au patronage de Marie (ce en quoi il se trompait en ce qui concerne cette église paroissiale, comme on le verra plus loin), quand la cathédrale de Tarbes l'est. On peut lui objecter qu'en fait, on ignore sous quelle dédicace ces églises se trouvaient quelques siècles avant le Xle, puisque ce n'est que de cette époque qu'apparaissent les noms de Félix et Lizier pour le monastère, et le nom de Marie pour la cathédrale (14). L'on ignore totalement depuis quand l'église paroissiale de Saint-Lézer était dédiée à Saint-Jean-Baptiste, pas plus qu'on ne sait sous quel patronage elle était avant, si elle existait déjà.

Le manque de clarté dans le monde religieux du haut Moyen-Age de la Bigorre ne fait que correspondre à un état de chose généralisé dans toute la Gascogne, ce qui fait écrire à Michel Labrousse : ...et une situation anarchique s'instaura, ainsi que le suggèrent des indices tels que la solution de continuité qui intervient au Vile siècle dans les listes épiscopales (15).

De ce qui nous préoccupe, les textes tendent bien, dans leur globalité, à mettre la cité de Bigorre et son évêché sur la colline de Saint-Lézer. C'est sur l'incertain, pour ne pas dire plus, de l'expression de la Notice des Provinces, que s'accrochent ceux qui n'acceptent pas tout ou partie de cette conclusion en l'interprétant à leur goût, voire en la corrigeant ; sans reconnaître le sibyllin de ce Civitas Turba ubi Castrum Bigorra. Nul doute que, sans lui, personne n'aurait songé à soulever le débat.

Et personne n'aurait, sans parti pris, considéré douteux l'acte de soumission de 1064, par lequel Héraclius, évêque de Bigorre, et Bernard, comte de Bigorre, donnent à l'abbaye de Cluny le monastère dédié à Saint-Félix et à Saint-Lézer situé dans le territoire de Bigorre : ... monasterium in territorio Bigorrensi situm quod est constructum, in honore beati Felicis martyris et beati Licerii, confessori et episcopi. (monastère dans le territoi- re de Bigorre où il est construit, en l'honneur du bienheureux Félix martyr et du bienheu- reux Lizier, confesseur et évêque). La charte fut rédigée in ipso bigorrensi castro, (dans le château même de Bigorre) (15).

Ce n'est qu'après la donation que dans les textes figure la mention "Evêque de Tarbes", ce qui devrait mériter une sérieuse réflexion.

Les éléments d'archives dont l'analyse vient d'être faite furent présentés par certains auteurs, accompagnés d'arguments et de citations, à grand renfort d'érudition, n'ayant qu'un rapport indirect avec l'objet de la discussion. Par contre, une publication récente sur les Princes de Gascogne de 768 à 1010, qui fait encore de Tarbes le chef-lieu de la civitas, ne fait état d'aucun des textes qui pourraient tendre à favoriser Saint-Lézer, puisqu'aucun de ceux-ci n'y est mentionné quand Larreule l'est souvent. L'abbaye de Larreule était pourtant moins ancienne et moins importante, dans le haut Moyen-Age, que celle de Saint-Lézer. Les premières pages du livre veulent cependant nous assurer d'une parfaite impartialité (17).

Mais tout le monde sait qu'il n'y a rien de plus difficile que de faire admettre qu'une explication est erronée, quand elle a été dite et redite pendant plus d'un siècle!

(1) Deville (Louis). - op. cit. (2) Balencie (Gaston), avocat .- La Cité de Bigorre. Rev. de Gascogne 1892. (3) Larcher (Jean). - Glanages t. XIII 1748 p. 300 (4) Lelong (Charles). - La vie quotidienne en Gaule à l'époque mérovingienne, 1963 pp. 42 et 43. Février (P.-A.) .- Histoire de la France urbaine, sous la direction de Georges Du- by, 1980 p. 428. (5) Marca (Pierre de) .- Histoire du Béarn. Texte latin de 1633, traduit en français par V. Dubarat. 1894. (6) Arch. P.-A. E 369.

(7) Copie du cartulaire de Bigorre. Arch. P.-A. E 368. (8) Balencie (Gaston). - op. cit. p. 159. (9) Deville (Louis). - op. cit. p. 154. (10) Dictionnaire Larousse en 8 volumes. Avant 1906 p. 746. (11) Duco (J.-P.).-t-listoire de Bigorre. Le Semeur du 14/1/1924 à 28/5/1925. (12) Balencie (Gaston). - op. cit. p. 161. (13) Duco (J.-P.). - op. cit. (14) Francèz (Jean) . -A propos de la dédicace de l'église cathédrale de Tarbes. Le Semeur du 24/11/1949. (15) Labrousse (Michel). - Histoire de la Gascogne des origines à nos jours. Sous la direction de Maurice Bordes, 1982 p. 57. (16) Francèz (Jean) .- op. cit. (17) Mussot-Goulard (Renée).- Les Princes de Gascogne (768 - 1070) 1982 p. 10. CHAPITRE II

Le témoignage archéologique

En 1823, lors des travaux préparatoires à l'édification des thermes de Bagnères-de-Bigorre, les vestiges d'une installation thermale d'époque gallo-romaine sont apparus et l'on se donna la peine d'établir un plan des restes de murs dégagés. A Lourdes, en 1907, un néophyte en archéologie, Jean Labourie, s'appliqua à noter tout ce que la démolition en cours de la vieille église paroissiale permettait de découvrir, tant dans la structure du monument que dans le terrain d'assiette que les terrassements devaient ouvrir. Dans ces exemples, grâce à ces précurseurs, de précieux renseignements nous sont parvenus, des premiers siècles de notre ère et du Moyen Age.

A Tarbes, personne, jusqu'à l'année 1959, ne s'est préoccupé de savoir si les nombreuses excavations pratiquées dans son sous-sol n'apporteraient pas quelques éléments instructifs pour son histoire. Après la démolition du couvent des Cordeliers, l'on vit l'entrepreneur jeter dans les comblements qu'il devait réaliser, des chapiteaux et autres pierres sculptées. Quand ce fut le tour du donjon comtal, l'architecte Caddau en fit un relevé précis fort utile, mais l'étude des détails archéologiques ne fut pas faite. Une étude du terrain n'y fut même pas ébauchée, alors que de toute évidence il y gisait des rebuts mobiliers, et peut-être des substructions, dont la connaissance nous manque beaucoup aujourd'hui.

Les terrassiers tarbais, en de nombreux points de la ville, tranchèrent allègrement dans l'épaisseur de murs antiques, qui parfois affleuraient la chaussée, sans déclencher la moindre émotion (1), alors qu'il y avait dans la cité des historiens, dont certains de qualité incontestable, dont le lointain passé faisait une préoccupation première. Hélas, il n'y avait pas d'archéologue sur place, capable de reconnaître et identifier les documents fossiles que la ville recélait dans son sol. Et bien sûr, aucune preuve matérielle n'était connue qui permit de donner un âge certain à Tarbes.

Aujourd'hui, pour ceux qui ont voulu les voir, des ruines antiques mises à jour sont venues apporter leur témoignage dans ce débat resté si longtemps purement littéraire. Il reste d'ailleurs étonnant qu'en niant la possibilité de Bigorra à Saint-Lézer, on ne se soit pas demandé alors ce qu'avait pu être ce site aux imposants vestiges, encore apparents, si ce n'était le fameux castrum !

L'absence de toute trace de mur d'enceinte d'une ville fortifiée d'époque gallo-romaine à Tarbes, là où elles auraient dû apparaître, preuve significative que le quartier de la Sède ne fut pas fortifié aux premiers siècles de notre ère, a été expliquée et publiée plusieurs fois (2) ; il semble nécessaire d'y revenir.

A Tarbes, l'environnement de la cathédrale qu'on appelle la Sède comportait un lacis de cours d'eau ; le territoire encadré par les plus importants devait logiquement être celui le plus propice à une castramétation protectrice : ce qui ne manqua pas de se réaliser au Moyen Age ainsi que le montre le plan de la ville de 1749, que confirme l'étude archéologique.

Tarbes ne présentant aucune élévation naturelle susceptible de favoriser l'établissement d'un oppidum, il eût été logique d'y user de la protection de l'eau quand, à l'exemple d'autres villes de l'Empire, on aurait voulu protéger la cité en l'entourant d'une puissante muraille. Des tranchées, larges de plusieurs mètres, ont été creusées aux quatre points cardinaux au long des canaux qui encadraient la Sède et au long de celui qui la traversait d'est en ouest isolant le domaine de l'évêché. Ces tranchées ont atteint le paléosol et nulle part n'est apparu un vestige de mur d'enceinte antique, alors que ceux du Moyen Age ont pu être observés, en certains endroits sur plusieurs mètres de hauteur (3). On a objecté que si ceux-là n'étaient pas retrouvés, la preuve de leur inexistence n'en était pas cependant donnée, leur disparition pouvant s'expliquer par une démolition totale postérieure (4). Il est dommage que l'auteur de cette opinion se fut éloigné de près de 300 km de Tarbes au moment opportun où il aurait vu avec nous que, entre le niveau du sol d'occupation des premiers siècles et celui sur lequel furent construits les murs médiévaux, un remblai de 1,2 à 1,5 m les séparait. Il aurait vu que, au nord de l'ancienne cité épiscopale, le mur d'enceinte médiévale descendait s'appuyant sur un mur de construction du 1er ou Ile siècle, jusqu'à rejoindre le débordement de la fondation de ce mur sans porter atteinte à celui-ci. Il aurait vu encore qu'au sud de la cité, à l'est et l'ouest, il n'y avait aucune trace d'une muraille défensive d'époque gallo-romaine sous ou à côté de l'enceinte moyenâgeuse encore bien visible, quand le terrain proche d'elle n'avait pas subi de remaniement (5).

La Tarbes antique ville ouverte n'était pas une exception ; les peuplades autrefois groupées autour des petits oppida voisins sont sans aucun doute descendues

former dans la plaine la concentration humaine d'où sortira une cité urbaine, pendant la Paix romaine. Autour de la cité se créeront des points d'activité agricole, les villas rustiques, dont nous connaissons celle de la ZAC de l'Ormeau et celle d'Urac à Bordères- sur-Echez.

Le mobilier trouvé à l'emplacement de la cité, n'est que très localement postérieur au Ille siècle, et les traces d'incendie bien visibles sur les ruines dégagées semblent démontrer qu'une dévastation supprima la ville, en tant que telle. Ce n'est, d'après ce que disent les fouilles, qu'à la fin du IVe, peut-être au Ve siècle, qu'une petite occupation humaine semble s'être installée à la Sède, probablement religieuse, autour de laquelle s'étendra un vaste cimetière qui durera pendant tout le haut Moyen Age (6).

Dans ce même haut Moyen Age, un bourg civil se créa à l'est de la Sède, là où Grégoire de Tours situe le vicus Talva, et qui sera le domaine des comtes de Bigorre. Guillaume Mauran n'écrit-il pas : De tout temps le Bourg Vieux a été avantagé par dessus tous les autres de la ville, et en iceluy ont été les principales fortifications...

La Tarbes aquitano-romaine ne fut pas le castrum Bigorra, mais une cité commerciale et artisanale, et aussi peut-être administrative.

On peut encore relever cette étonnante argumentation présentée comme la mise au point finale : L'oppidum de Saint-Lézer, près de Vic-Bigorre, eut et a encore des partisans. Mais de fortes présomptions, récemment renforcées par la découverte d'un magnifique oppidum gallo-romain non loin de l'agglomération tarbaise, incline à penser que déjà ce fut Tarbes (7). L'oppidum en question, qui n'a rien de gallo-romain, le Castet-Crabé, se situe à 8,5 km de Tarbes quand celui d'Ibos ne se situe qu'à 5,5 de là ; pourquoi ce ne serait pas celui-ci qui viendrait renforcer les présomptions ? Dans un cas comme dans l'autre, on ne voit pas en quoi y trouver la confirmation que le castrum Bigorra fut Tarbes. Il serait d'autre part intéressant de connaître ce que sont ces fortes présomptions qui ne sont pas définies par l'auteur.

Par opposition avec ce que "archéologique ment", on peut dire de Tarbes, il faut rappeler ce que l'on sait de Saint-Lézer. A Saint-Lézer, l'oppidum fut romanisé et protégé par une enceinte de murs épais de 3 m, hauts de plus de 7 m en certains endroits, autour d'une superficie de 6,22 ha. La place forte, pourvue d'une source, put-elle résister victorieusement aux invasions du Ille siècle ? Rien ne permet de répondre à cette question, mais des pièces de monnaies et des tessons de poteries du IVe siècle trouvés dans la place indiqueraient qu'elle ne fut pas abandonnée à cette époque. Un pan de muraille également datée du IVe siècle, qui ne peut être qu'une réparation, indique l'intention de s'y abriter encore.

Le castrum de Saint-Lézer est l'unique dont les caractéristiques correspondent à une ville forte de l'Antiquité, dans ce qui fut l'ancienne Bigorre.

Un monastère compris dans un enclos d'environ 7500 m2, avait pour limite au sud le mur d'enceinte du castrum ; des substructions y sont reconnues sur plus de 60 m de longueur, et les constructions qu'elles situent avec précision correspondent, par leur emplacement, à ce qu'explique Bertrandi.

(1) Coquerel (Roland). - Les découvertes archéologiques de Tarbes p. 220 et photo 13 p. 213. (2) Coquerel (Roland). - Les découvertes archéologiques de Tarbes p. 271. - L'urbanisation de l'Aquitaine. Le centre urbain antique de Tarbes p. 33. (3) Coquerel (Roland). - Evolution de la ville de Tarbes dès ses origines au Moyen Age p. 103. (4) Larrieu (Jean). - Histoire de Tarbes p. 26. L'auteur y dit "la démolition des remparts au XVIIIe siècle a fait certainement disparaître des témoignages précieux du passé gallo- romain". En fait, les démolisseurs, qui n'ont fait que réduire les murailles médiévales jusqu'au niveau de la chaussée, n'ont pas pu de cette façon démolir des substructions anti- ques situées à un niveau plus bas. (5) Coquerel (Roland). - L'urbanisation de l'Aquitaine. Le centre urbain antique de Tarbes. (6) Coquerel (Roland). - L'urbanisation de l'Aquitaine. Le centre urbain antique de Tarbes. p. 34. (7) Larrieu (Jean). - Le diocèse de Tarbes et de Lourdes, p. 10. CHAPITRE m

Les temps préromains

Sur le territoire de Saint-Lézer, c'est de l'époque néolithique, il y a de 6000 à 7000 ans, que l'on trouve les témoignages les plus anciens d'une présence humaine, représentés par des haches en pierre polie et quelques tessons de poteries. Ces derniers ont été trouvés sur la colline qui domine le nord de la commune : les haches l'ont été sur la colline et dans la plaine.

Rien ne permet d'imaginer ce qu'a pu être en ces lieux l'habitat du dernier âge de la Pierre, il est cependant permis de le situer là où sera plus tard érigé un oppidum puis une ville fortifiée. La fertilité de la vallée et des bois proches, les cours d'eau qui l'environnaient de toutes parts, ne pouvaient qu'assurer en vivres ceux d'une tribu locale. Des sources résurgentes apportaient l'eau indispensable à l'intérieur du refuge.

Sans que l'on puisse savoir si déjà une castramétation, rudimentaire, avait été amorcée, de la place, il est certain qu'une sécurité relative y était assurée: du fait d'une surveillance possible sur le paysage d'alentour dégagé, et les pentes qu'il fallait gravir.

La fréquentation de la vallée bigourdane de l'Adour et de l'Echez par les Néolithiques, est largement prouvée par les nombreuses haches, galets percés et quelques silex grossièrement taillés, rencontrés fortuitement dans son sol. Mais aucune station aménagée n'est encore connue dans notre région, pour nous faire savoir comment se groupaient ces hommes.

De l'âge du Bronze, qui suit le Néolithique dans le temps, l'occupation humaine de l'oppidum y est attestée par la trouvaille de tessons du Bronze ancien (vers 1700 ans avant notre ère) et des tessons rencontrés avec un reste de foyer du Bronze final (900 à 800 ans avant J.-C.). Il est probable qu'à ces époques, sont apparus les premiers importants travaux de fortification du côteau, qui consistèrent en un barrage de la pointe pour la séparer du reste de la crête au Sud. cachés sous un énorme parapluie bleu quand l'eau du ciel les arrosait. Puis ce furent les voitures particulières qui se multiplièrent, et aussi les tracteurs. Dans le village régnait encore l'odeur de fumier de vaches et les cours de fermes ne pouvaient être traversées sans patauger dans le purin. Mais si vous atteigniez la terrasse des marroniers vous y jouissiez d'un panorama ravissant: vers le Sud, les Pyrénées, en face à l'Est les coteaux qui bordent la large vallée de l'Adour dont un espace à vos pieds limité par l'Echez, se montrait comme une tapisserie en la saison propice, faite de la multitude des petits lopins de terre aux cultures variées, colza, pomme de terre, maïs, blé, avoine, ou frais labours à côté d'une prairie. Et si vous alliez flâner sur la colline à travers les prés et les vignes, vous pouviez rencontrer un arbre fruitier, à l'air abandonné, chargé de fruits superbes, auxquel s'accrochaient des oiseaux.

Puis ce fut 1959, année funeste pour les amoureux du Saint-Lézer romantique, année du remembrement. Une photographie, hélas pas en couleur, présente la plaine de Saint-Lézer avec cette légende : Cette vue aérienne de la commune de Saint-Lézer montre le morcellement excessif des terres. Les champs (certains sont minuscules) dessinent une curieuse mosaïque. (6)

Tapisserie ou mosaïque, c'était bien beau ! Du point de vue économique, il faut l'avouer, c'était aberrant, du point de vue humain quelques Saint-Lézéens durent en souffrir. Conséquence pour le promeneur, l'exploitation de la colline n'étant pas favorable au matériel lourd, elle fut en partie rendue à la nature; plus de vigne, plus d'arbre fruitier, plus d'oiseaux; plus de vaches donc plus de prairies, de rares champs labourés les remplacent.

Dans le village, l'odeur ancestrale n'est plus là pour vous offusquer, celle vaguement présente du gas-oil la remplace. Les cours de ferme sont propres. Le fermier à Saint-Lézer comme ailleurs est devenu un artisan qui gère son bien comme un commerçant s'adonnant à la mécanique, un peu à l'électricité; ses enfants souvent refusent de lui succéder. Tout cela est-il un bien ou un mal? Comment le savoir?

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, la commune connut une amélioration très nette de ses finances. En 1897, elle est l'une de celles du canton de Vic dont les recettes sont les plus élevées, avec un total de 5064 f, entièrement dépensés au cours de l'année. Seuls Vic et Pujo ont des recettes supérieures, 94487f et 671 1f, mais si l'on ramène ces chiffres à l'unité de population, on trouve, pour HAUTES-PYRÉNÉES.

Extrait de « La situation financière des communes - Département des Hautes-Pyrénées - 1897 »