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La paroisse des Estables, avec une popu- lation de près de 900 âmes a une superficie de 3625 hectares Elle ne se trouve limitée au nord par la paroisse de Moudeyres, de S t Front et de Freycenet-Latour à l'Est par Saint-Front et Borée ; au sud par le Béage et à l'ouest par Freycenet-Lacuche. Sur ces hautes cimes dont l'altitude oscille entre 1000 et 1750 mètres, l'élevage est la seule ressource de cette population exclusivement agricole. Par contre la pratique religieuse y est restée en honneur. Pays pauvre mais chrétien. Essayons d'en raconter l'histoire et d'en noter les diverses manifestations : ce- la pour répondre au désir de l'autorité diocésaine qui veut qu'on « tienne à jour » le livre de paroisse .

36 Tableau des Sections de la Cne des Estables d'après le cadastre de 1826.

Sections Nom du Village, hameaux et moulins Chabannes Veysseyre, Crassoule, Marcon, Donné à Moudeyres en 1855 Chabannes, Agrain.

Parsou, Vourzet, Maisonneuve, , Guilhoumette, Maisonneuve Braye d’Alambre, Moulin du Cros de las mays, Crespy, Chapelon de Maisonneuve, Jean de Maisonneuve.

Les Infruits, Chapelon, Chalandaroux, Rouane, Blachoux, Beauregard, La Grangette, Bourg des Estables, et les Infruits Veyssier, Peyrou, Auriac, Rafet, Pessemesse, Ebranchade, Broche, Chateau, les Moulins.

Mezenc, Jacassi, Court d’argent, Francillon, Les Plantins, Marceline, Gire, Chaulet, Ventebrenc. Mezenc et Goudoffre Blôt, Lamouroux, Boissi, Revenet, Montplaisir, Goudoffre, Les Gardes, Blache-Redonde, Gandoulet.

Belarbre et Ruches Les Ruches, les Ruches basses, Belarbre.

Chambusclade, Moulin de Cher, Chanteloube, Chanteloube L’Hort, Pratclaux, Brû, Planas, Tombarel, Gibert, Rioufrey.

Le Theuil, Les Chanaux, la Buissonnade, la Vacheresse, La Vacheresse Boissi, Le Mas, Roche-Aubert, Guilhoumette, Les Blaches, Faure, Chaumain, Malosse, Moulin de Malosse, Doublet, Bellefont, Borne, Matias, la Grangette.

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Le Mézenc avec ses 1754 mètres forme le point culminant de la Haute- Loire. Non loin de là le mont Alambre et le rocher Tourte dépassent respectivement 1500 et 1680 mètres. Le roi des Cévennes présente deux versants essentiellement différents. Du côté de l'Ardèche l'œil se perd dans un fouillis de gorges pareilles à des canons géants, burinés dans le granit, d'où émergent çà et là, à travers les brumes d'automne, comme des mâts ballottés par une mer furieuse, les poin- tements sombres des dykes de phonolite. Du côté du Velay, au contraire, par une série de plateaux en pente douce il s'abaisse progressivement jusqu'à la Loire. C'est sur cette première pente descendant du sommet même du Mézenc que s'étend, sur une longueur de 10 kilomètres la Commune ou paroisse des Esta- bles. Elle est limitée dans sa largeur à droite par le Mont Alambre et le suc d'Ai- glet jusqu'à la route de Fay-sur-Lignon, à gauche par la ligne qui passe du sommet du Mézenc par la croix des Boutières, le mont Chaulet, la rivière du saut de la jument borgne et la Veyradeyre jusqu'à la ferme de Rioufreyt. Dans sa plus grande étendue dans la direction de la Gazeille, la pa- roisse a pour point de limite la ligne qui part de la Veyradeyre à Rioufreyt, monte à la lisière du bois de Clergeat, en avant de Tourte, passe à mi-côte de la vallée de la Vacheresse pour s'arrêter à la ferme du Theuil vers le pont dit de la Mine. Après une boucle, elle passe sur l'autre versant de la vallée, remonte vers la Vacheresse se maintient sur la crête englobant la Buissonnade, les Chanaux, le Mas et la ferme de Boissy-du-Mas pour rejoindre enfin la route de Fay au Gachas.

37 Le sol – D'immenses plateaux gazonnés s'étendent, dénudés et tristes. Il semble que ce soit ici, parmi ces longues ondulations herbeuses le royaume de l'âpreté et de la désolation. La solitude est complète, solitude lourde que ne permet parvenir à dissiper, en été même, les attelages de bœufs revenant de la fenaison ou les troupeaux de vaches de race mézine au pelage jaune fauve, paissant à proximité des fermes. Une tristesse indicible flotte dans l'atmosphère. La bruyère, une bruyère courte et de couleur rousse couvre le sol. Les mottes de gazon sont découpées et sé- chées pour servir au chauffage. Point d'arbre, ou presque pas. Quelques saules, quelques maigres sapins sont, de distance en distance, l'unique parure de cette terre, qui même, sous l'ardent soleil de Juillet, ne peut oublier les rigueurs de l'hi- ver et qui ignore, au retour du printemps l'allégresse de la résurrection.

38 C'est une terre âpre, souvent balayée par les vents, soumise à des étés brefs et torrides

succédant à des hivers longs et rigoureux.

L'empreinte des volcans est marquée par tout, car le sol que l'on foule aux pieds est un soubassement granitique et volcanique. De grandes lauzes bordent le chemin pour indiquer la trace en hiver à travers ces pla- teaux désertiques. Les édifices et les murs de clôture sont en laves, les sentiers

formés de laves et de basalte. Il faut faire réflexion pour s'apercevoir de la ferti-

lité du sol. Ici les récoltes n'ont rien d'extraordinaire ; il y en a du reste presque pas dans la région du Mézenc et ce n'est qu'en descendant vers la vallée de la Va- cheresse que la végétation et la culture font leur apparition. Toutefois, l'herbe pas très haute, à cause des vents violents qui battent ces ré- gions dénudées d'un bout de l'année à l'autre est très propice à l'engrais des ani-

maux ; autrefois, de juin à septembre, les bergers du Gard amenaient de nom-

breux troupeaux de moutons, et c'est de la location des terrains communaux pour cet estivage que la commune tirait un certain revenu. On fauche le foin vers la fin juillet, et on le transporte, soit en trousses, soit dans barrot, soit maintenant en charriot jusqu'à la grange voisine. Ce sont les bœufs qui font cette besogne dans les grosses fermes, et les chevaux et même les vaches qui tirent les chars de foin pour les fumiers du bourg.

Le climat. Malgré le peu d'éloignement de la mer, mais par suite de son alti-

tude, le climat des Estables échappe à toute influence adoucissante, et les écarts de température entre les saisons extrêmes permettent d'y relever les indices les plus nets du type continental.

L'hiver

rigoureux et long empiète fort souvent sur le prin-

temps ; la

neige tombe

38 en abondance ; il n'est pas rare de la voir apparaître dès le mois d'octobre certaines années, même fin septembre, pour tenter un retour offensif en Mai ou en Juin. Elle s'entasse dans les dépressions, égalisant le relief et formant des congères, bloque les hameaux disséminés dans la montagne. Et qu'accidents survenus à la suite de ces tourmentes si bien désignées sous le nom glacial de "schères", quand égaré au milieu de l'uniformité trompeuse, le voyageur cherchant vainement une trace, s'enlise et meurt sous un épais linceul blanc.

Des étés par contre très chauds, avec des orages terribles qui se répercu- tent en grondements indéfinis à travers les monts. En Juillet et en Août, la foudre tombe sur un grand nombre de points occasionnant des accidents mor- tels. Les vents dominants sont des vents d'ouest, précurseurs de la pluie; sou- vent soufflent aussi les courants du nord ; quant aux vents d'est, beaucoup plus rares, ils concordent généralement avec une période si attendue de belles et agréables journées.

39 Voici comment Jules Vallès a défini l’aspect de nos « cimes » : Il souffle un vent dur qui rase la terre avec colère parce

qu’il ne trouve pas à se loger dans le feuillage

des grands arbres. Je ne vois que des sapins maigres, longs comme des mâts, et la montagne apparaît là-bas, nue et pelée comme le dos décharné d’un éléphant. C’est vide, vide, avec seulement des bœufs couchés ou des

chevaux plantés debout dans les prairies. Il y

a des chemins aux pierres grises comme des coquilles de pèlerins, et des rivières qui ont des bords rougeâtres comme s’il y avait eu du sang, l’herbe est sombre… » En un mot des hivers durs, des printemps

très réduits et presque inexistants, des étés

agréables avec des automnes ensoleillés : telles sont les principales caracté-

ristiques de ce pays de montagne. Il va sans dire que là comme ailleurs, une longue stagnation jointe à cet esprit observateur qui fait le fond de sa nature, permet au paysan de lire dans le ciel l’indice du temps pour le jour qui vient. Si une pluie matinale ne l’arrête point dans ses travaux, sûr qu’il est de voir les nuages dispersés à midi, en revanche, dès qu’il aperçoit à

l’horizon des cirrus allongés et à peine perceptibles ou encore la lune « qui se

lève dans l’eau », il ne conserve plus aucun doute sur la dépression inévita- ble du lendemain. Voilà certes des constatations en apparence simplistes, mais

auxquelles la météorologie

a donné une base scientifique qui permet d’en fournir une logique explication. C’est l’origine de tant de dictons ou de

proverbes marqués au coin

de si fines observations.

39 La Flore et la Faune – Le botaniste trouvera dans cette ré- gion peu d’espèces d’un réel intérêt. Toutefois, sur le flanc oriental du Mézenc, croit une espèce des plus rares de la flore française, le senecio leucophylus : plante blanche laineuse, à fleurs jaunes nombreuses,

à feuilles épaisses recouvertes d’un duvet argenté sur les deux faces. Dans les prairies les violettes poussent en abondance et on les recueille et on les fait sécher pour la foire dite « de la violette ». Les touristes recueillent les fleurs d’arnica, les racines de gentiane et le séneçon qui remplace ici l’edelweiss et que l’on emporte à titre de souvenir et de porte-bonheur.

Dans les bois ou les vallées, on va à la cueillette des champignons, surtout des bollets que l’on fait sécher et que l’on vend ensuite aux dépositaires. Les airelles avaient eu une grande vogue après la guerre et ce n’est que par in- termittence maintenant que la vente est annoncée. La faune n’offre pas un bien grand intérêt. Les loups ont à peu près disparu. Par contre renards, fouines, martres et écureuils etc. ne sont que trop nombreux et causent des dégâts. Les lièvres sont abondants, ainsi que les oiseaux et le gibier en été. Sur les plateaux du Mézenc se trouve une race bovine particulière, la

« race du Mézenc », remarquable par ses qualités de robusticité, de force, d’aptitude à la production laitière et même à l’engrais. Cette race a un pelage froment. Les mâles ont des formes puissantes une forte charpente, indice d’une grande rudesse au travail. Les concours régionaux ont mis en vedette toutes les précieuses qualités de cette race, autrefois peu

connue.

Le palmarès du Concours

de la Passion met à l’honneur la région du Mézenc.

40 Les habitations – Dans ces parages seulement jalonnées de loin en loin de rustiques croix de pierre, le climat reste excessif et hostile. Il explique ces bâtiments longs et bas, à la toiture de chaume ou de lauzes descendant presque jusqu’au sol, aux murs en bastion sans aucune ouverture du côté du nord et dont la cheminée semble être le principal ornement. M. Noël Thiollier, en définissant l’allure farouche leur a justement assigné l’aspect de digues ou de forts. À l’usage généralement de ferme isolée, ils parsèment des herbages, perdus qu’ils sont au milieu de ces immensités désertiques. La maison rurale est désignée ici sous le nom « d’houstaü ». Ceux qui l’appellent ainsi enclosent en cette expression traditionnelle leur sentiment d’affection pour les murs entre lesquels ils ont vu le jour et se sont formés à l’existence dans la fréquentation des aitres familiaux ou sous le regard de leurs parents. L’houstaü, ceux qui l’ont perdu le pleurent avec des larmes intérieures, et ceux qui l’ont conservé le revoient avec joie pour les évocations que son as- pect fait jaillir des mémoires : c’est là en effet, qu’ont vécu tous leurs ancê- tres et dont leur trace semble reconnaissable sur les vieux meubles et dont l’antique balancier de l’horloge à gaine en grave tic-tac, régulier comme les battements d’un cœur, a rythmé les heures de nouveaux venus, de leur ado- lescence et de leur jeunesse, ensuite la succession lente des années précédant les séparations éternelles. L’houstaoü porte le nom de ceux qui l’ont bâti et le possèdent pendant plusieurs générations. La voix du village n’admet pas en effet, les prescriptions et désigne d’un nom d’une race disparue depuis un demi-siècle 40 la maison qu'il habita. Ainsi auréolé de la noblesse qui lui confère un long passé, l'houstau n'est indifférent au cœur d'aucun montagnard.

Voyez comme Ajalbert en sait projeter la rude silhouette sur l'écran où sa fidélité de terrien a mis tant de curieux tableaux.

« L'houstaou, la maison de guingois, aux auvents

à demi-écroulés, avec l'hort derrière, et devant le couder ; avec ses fumiers contre l'étable et la soue aux porcs, ses broussailles et fagots, le tronc de bois où arrive l'eau de l'abreuvoir. À l'intérieur, l'âtre avec sa crémaillère à an- neaux, ses landiers de fer, le coffre à sel, l'armoire, les cuivres brillants, les ferrats et la fontaine. l'houstau, bien vieux, bien disloqué, tout en bringues, mais l'houstau ».

La maison rurale a une caractéristique bien définie, aussi marquée que celle que le vêtement donne à l'individu ; elle dépend de l'altitude, du relief du sol, de sa nature géologique, du climat, du régime des vents et des pluies, du genre de vie des occupants.

L'altitude surtout joue un rôle primordial, et c'est pourquoi nous trouvons ici tout ce qui a trait à la catégorie des résidences paysannes de nos régions froides.

41 La maison à peu près tou- jours isolée

emprunte au

pays

quelque chose de sa rudesse farouche. On la sent cramponnée au sol ingrat, constamment

balayé par un vent implacable, sujette à tous les caprices atmosphériques et

se ramassant sur elle-même pour y résister. C'est un grand rectangle de bâtisse massive sans étage, aux murs laté- raux en escaliers débordants, coiffé d'une toiture moitié en chaume, moitié en lauze, en pente très accusée, qui paraît comme une tente rivée à la terre. Seule la gaine extérieure de la cheminée élève vers le ciel son fût robuste de lave mal équarrie. Presque pas d'ouverture. Une petite fenêtre au nord apparaît seule dans le bastion. Au midi, un large passage sous porche cintré par lequel pénètrent

bêtes et gens. Il ne peut y en avoir d'autres à cause des rafales de pluie et de

neige.

Jadis de hautes murailles sombres entouraient l'habitation et ses dépen- dances. Aujourd'hui le paysan aime voir la route, les champs, la lumière. Mais la ferme reste traditionnellement massive. Si le souci de solidité persiste, le souci d'esthétique ne nait pas. Nul ne songe à innover de plans nouveaux : un cube accolé à la longue bâtisse dont le rez-de-chaussée abrite les vaches et les moutons, et le premier les grains et les foins. On accède à la grange par une levée de terre dite « la montadou ».

Les ouvertures sont rares. Celles du rez-de-chaussée sont presque tou-

jours grillagées. Les fermetures habituelles sont accompagnées de lourds ver-

rous ou "ferrouil". Les portes de l'étable sont fermées d'une façon très rudi- mentaire : une barre de bois coincée dans le mur et sur le battant de la porte, et voici la manière de fermer chez soi. Notons que le plus souvent les linteaux de l'arcade cintrée s'ornent d'initiales et dates et que des croix en pierres s'insè- rent dans la maçonnerie ou dominent le faîte. 41 Village des Estables – Le bourg des Estables à une altitude de 1344 mètres est construit dans l’un des nombreux plis de terrain qui rayonnent autour du Mézenc. Jadis il n’avait rien d’attrayant et la saleté, disait-on y régnait en maitresse. Depuis lors le progrès y est arrivé avec les deux voies de communications qui y accèdent : l’une par et , l’autre par le Monastier. Les toits en chaume disparaissent petit à petit pour faire place à des maisons plus spatieuses et plus aé- rées. Aux Estables, où les champs sont plus nombreux et entourés d’énormes murs de lave, les maisons du même type quoique un peu plus hautes, sont en pierre grise. Leurs teintes, comme effacées et lavées s’harmonisent assez bien avec l’ensemble des pâturages au milieu desquels elles s’élèvent. Jadis, une église trapue de couleur vieux rose, datant de la fin du XI e siècle, au clocher à peine proéminent,

42 « juste assez pour dominer », présentait un charme particulier, celui d’être un peu une grange, sœur ainée des fermes voisines. Malgré les supplications d’André Hallays, et la campagne de presse menée à l’occasion du projet de construction de la nouvelle église, on a cru bon, et je crois que ce fut avec rai- son, de la jeter à terre et de la remplacer par un édifice tout neuf, dont nous aurons à nous occuper en son temps. Cette vieille église était solidement bâtie, et comme le pays qui l’environnait, avait quelque chose de rude et de sévère. La toiture accusait une pente très aigue, de façon à éviter l’accumulation des neiges. A l’intérieur, l’abside était ornée d’arcades reposant sur des colonnettes avec de grossiers chapiteaux à feuillage. Au-dessus de la nef se trouvait une voute en berceau. Des chapelles latérales s’ouvraient de chaque côté. Le mo- bilier de culte était assez rudimentaire : autels en bois grossièrement sculp- tés, des statues aux tons criards, une chaire belle mais récente, et des ban- quettes aux panneaux vétustes et branlants, des chaises de forme rudimen- taire, quelques bancs, et une tribune qui étouffait sous la voûte moussue. Bref, rien d’artistique, rien de commode, et par-dessus tout un édifice trop exigu et peu convenable. Le clocher avait un aspect un peu massif, et était ajouré sur trois faces de hautes baies en plein cintre, dans lesquelles étaient disposées les deux cloches. Mais tout cela, c’est le passé qui mérite certes un souvenir mais qui n’admet pas de regret ! Les Habitants – Au dire de l’auteur « du Pays du Velay », le monta- gnard de la région a en général les cheveux bruns et les yeux foncés ; sa taille est dans l’ensemble inférieure à la moyenne ; mais trapu et bien mus- clé, il est d’une résistance peu commune à la marche comme à la fatigue. On a souvent cité le portait que jadis Posidonius traça du Gaulois et on y a trouvé plus d’un trait qui s’applique

42 à merveille aux gens de chez nous, au moins pour le temps jadis : « Le montagnard cache sous ses dehors froids et sa réserve habituelle, une violence qui éclate soudainement et déconcerte ceux qui le connaissent mal. Que de rixes amorcées par de vives paroles et des jurons qui se terminent par une effusion de sang, quand le vin aidant, la large coutellière sort de la poche, sinistre prélude d’une lutte féroce. Chicanier qui, sans avoir la fertile subtilité du Normand entame un procès pour le pousser quoi qu’il arrive avec un entêtement inouï, il révèle aussi son obs- tination et sa volonté tenace. En paysan qui sait tout le prix de la terre, il entend n’en céder aucun pouce sans l’avoir aprement défendu. Fier, hospitalier et donnant, mais facilement susceptible, sans garder pour cela de la rancune, il écoute, réfléchit et murit une idée au lieu de la disperser dans d’inutiles bavardages. Parfois, cependant, si la discussion l’intéresse, il s’y lancera brusquement et tout entier. Et les paroles viendront, tumultueuses, expressives, d’une véhémence que soulignera la vigueur du geste. Souvent aussi, sur un ton narquois, la conversation prendra un tour plus léger et l’on remarquera alors une finesse trop rarement mise en lu- mière, qui trouvera le mot juste et qui porte, l’image pittoresque et savou- reuse, la pointe qui touche au bon endroit. Il y a dans les vieux recueils des anecdotes vraiment charmantes, transmises de génération en génération. L’esprit y est, par endroit, d’une gauloiserie effarante, mais aussi quelle justesse sous cette truculence excessive ! Dans les rapports sociaux, le montagnard a une fierté, un sens de son droit qui tourne souvent à la susceptibilité et à l’arrogance ; il est volontiers forte tête, et vous bousculera dans une rue de vingt mètres pour montrer qu’il ne se laisse pas marcher sur les pieds, le connaissez-vous, il sera serviable,

43 aimable et complaisant, et si vous êtes son ami, dévoué, sûr et fidèle. N’omettons pas d’indiquer que les utopies même les plus généreuses, n’ont aucun crédit auprès de lui ; son instinct se révolte, son bon sens et ses habitudes résistent. Attaché à une terre qu’un labeur incessant a rendu féconde, le paysan presque toujours possesseur d’un lopin et d’une maisonnette, n’aime point le « partageux ». D’une manière générale les occupations de chacun sont bien délimitées : les hommes s’occupent du travail de la terre, et du soin du bétail au-dedans ; les enfants sont occupés à la garde des bestiaux ou fréquentent l’école, les femmes ont le souci des soins du ménage et de la mai- son, traient les vaches et s’emploient à faire beurre et fromage. Le travail du carreau les occupait beaucoup jadis avant la crise, et les longues veillées d’hiver entendaient la chanson des fuseaux, tandis que le travail de l’intérieur et la papote devenaient l’affaire des hommes. Aujourd’hui, la dentelle se meurt et avec elle se sont envolés ces petits gains de fin de semaine qui venaient à point répandre au foyer un peu plus de confort et d’aisance. Notons enfin en terminant, que dans leur pratique, la religion tient une grande place. Les cérémonies du culte, en élevant l’âme, ne leur apporte-t-elle pas la plus saine des distractions. Mais l’esprit déjà est ancré dans les mœurs. C’est un honneur dont nos familles se montrent fières, quand elles comptent un prêtre, un « frère », ou une « sœur ».

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