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PRÉSENTATION HISTORIQUE

L’arrondissement actuel de Saint-Flour A l’époque, Saint-Flour n’est guère dévelop- regroupe en réalité des pays variés que pée, voire encore inexistante, mais appartient l’ancien découpage en deux arrondissements, bien alors au même ensemble qu’ ou Murat et Saint-Flour, respectait davantage. Mauriac. Il est vrai que ce découpage reste Cette zone occupe approximativement la flou, mais d’ores et déjà les montagnes sont moitié du département. Les quatre départe- au centre d’une zone unique, comme aujour- ments limitrophes sont, au Nord le Puy-de- d’hui, et non à une extrémité. Dôme, à l’Est la Haute-Loire, au Sud-Est la Cela n’interdit pas, à l’intérieur même Lozère et, au Sud-Ouest, l’Aveyron. Nous d’une zone « sanfloraine » qui correspondrait sommes donc ici en une sorte de carrefour à l’arrondissement actuel, de distinguer divers d’influences (les églises en témoignent logi- pays bien caractérisés. quement), d’autant plus que les contacts directs avec le reste de la Haute-, Mauriacois et Aurillacois, ont été limités. Au centre du en effet trônent les mon- tagnes qui, pour ne pas être extrêmement éle- vées, n’en constituent pas moins une frontière naturelle que la neige, chaque hiver, rend bien réelle, et le développement de chaque moitié ne pouvait qu’être relativement autonome. Quiconque fréquente alternativement les deux parties, Aurillac-Mauriac d’un côté, Saint- Flour de l’autre, aura remarqué qu’aujourd’hui encore, dans les mentalités et la réalité des échanges, une coupure bien nette traverse le Cantal de part en part. Paradoxalement, le percement du tunnel du Lioran ajoute encore à cette impression que, Les «pays » de l’arrondissement de Saint-Flour décidément, on traverse quelque chose. Au centre, la Planèze est une vaste éten- Il n’est donc pas inutile d’insister sur le due de basalte presque plate dont les limites, caractère pourtant unitaire du Cantal, car ce un peu incertaines, peuvent être la Truyère au que la géographie semble avoir distingué net- Sud, la Margeride à l’Est et, au Nord, la val- tement, l’histoire l’a réuni, et notre départe- lée de l’Alagnon. L’altitude oscille entre 900 ment n’est pas à proprement parler une créa- et 1000 mètres, avec quelques pointes dont la tion arbitraire: la Haute-Auvergne précède butte de , à 1092 mètres, surnom- largement le Cantal dessiné à la Révolution. mée pour cela le nombril de la Planèze. Il y a En 972, en effet, l’évêque d’Auvergne peu encore ce vaste triangle accueillait des désigne Aurillac comme seconde capitale de cultures de seigle, pois, lentilles et autres son diocèse et en profite pour préciser les céréales, aujourd’hui remplacées par limites de cette nouvelle structure, citant l’élevage. Un meilleur ensoleillement et une notamment le Lander en terme de frontière 1. pluviométrie plus faible qu’à l’Ouest, les montagnes là encore jouant leur rôle de bar- 1 - BOUDET, Cartulaire de Saint-Flour, Monaco, 1910, rière, ont fait de la Planèze le grenier de la texte I. Les frontières citées sont la Rhue, le Lander, le château de et les « limites de l’évêché ». Haute-Auvergne tandis que Saint-Flour, selon 10 l’expression traditionnelle, en fut le gardien. selon toute apparence, cisallier, en-deçà de Très tôt l’arbre disparut au profit des cultures, l’Allier 5. et à Valuejols, Tanavelle, Ussel, comme plus Cette région déborde largement dans le haut autour de aujourd’hui encore, Puy-de-Dôme et la Haute-Loire actuels, for- on recueillait la tourbe pour se chauffer. mant un trait d’union entre les monts Dore et Valuejols semble avoir été la première la Margeride. L’altitude est élevée, autour de capitale de la Planèze, dès le début du 1000 mètres avec des pointes à 1555 mètres Xe siècle. La vicaria avalogensis in territorio au Signal du Luguet et 1478 mètres au mont applanezæ apparaît alors dans les textes, Chamaroux, bien visible de , signalant la haute antiquité de l’appellation. Il commune la plus haute du Cantal. C’est une s’agit, selon Boudet, d’une « unité ethnogra- terre âpre vouée à l’estive. Les hivers y sont phique pouvant être considérée comme longs et bien enneigés. remontant aux premiers occupants, parce Par sa situation le Cézallier est donc à la qu’elle dérive de la nature » 2. De même limite de la Haute-Auvergne, qui n’en possè- Saint-Flour, anciennement Indiciac, est par- de qu’une petite partie; certaines paroisses fois nommée mons planeticus, parce qu’elle relevaient de la Basse-Auvergne mais furent est en Planèze (en réalité, déjà à la limite) 3. attribuées au Cantal lors de la formation du La viguerie de Valuejols est indifférem- département. ment nommée par son chef-lieu ou par A l’Est, la Margeride proprement dite ne l’espace qu’elle administre (vicaria avalogen- touche également qu’une faible partie du sis ou vicaria Planicie). Au début du Cantal, à qui appartiennent ses derniers XIIe siècle le Cartulaire de Saint-Flour cite contreforts Nord-Ouest, aux limites de la l’archiprêtré de Planèze, qui recouvre proba- Planèze et de l’Aubrac. Le canton de Ruynes blement l’ancienne viguerie 4. Une autre en Margeride forme l’essentiel de la viguerie a existé non loin à Neuvéglise. Margeride cantalienne, le reste étant constitué Ensemble elles couvraient le Sud de Saint- des cantons de Pinols, Le Malzieu, Saint- Flour, une partie du canton Nord actuel de Chély, Saugues, Saint-Alban, Grandrieu, Saint-Flour et le canton de . Langogne, Saint-Amans et Chateauneuf, en L’administration carolingienne avait donc Haute-Loire et Lozère. L’altitude ne descend déjà reconnu la spécificité de la Planèze. pas en dessous de 750 mètres, point culminant L’ensemble dépendait du comté de Tallende, au suc de Malebriou ou Roche du Beurre dans l’arrondissement de Clermont, et donc (1423 m.; le mont Mouchet, avec ses 1465 m., bien évidemment de l’Auvergne. D’autres est en dehors des limites départementales.) vigueries, à Chalinargues, Moissac, , Le parler margeridien est un auvergnat , , etc., organisaient le reste influencé par le Languedoc, nous disent les spé- de la région. cialistes, mais le dialecte sanflorain s’imposerait Autour de ce cœur qu’est la Planèze malgré tout autour de Ruynes jusqu’au Malzieu, rayonnent divers pays bien caractérisés. Au signe d’une vieille dépendance. Nous ne serons Nord, pour simplifier, nous trouvons le pourtant pas étonnés de retrouver, à Chaliers, Cézallier dont la capitale cantalienne pourrait Saint-Marc, Bour noncles, Védrines, etc., la être . Les limites là encore sont marque du Gévaudan et du Velay. imprécises : de la Rhue et la Couze de Entre Margeride et Cézallier le pays de Valbeleix au Nord, la Santoire et l’Allanche à présente également une forte identité 6. l’Ouest, l’Alagnon au Sud, jusqu’au val Voici en effet un petit bassin bien atypique en d’Allier à l’Est. Cézallier signifie d’ailleurs, Cantal, au profil tout méditerranéen. Un micro-climat extrêmement sec permet d’y

2 - Ibid, p. CI. 5 - Au cœur du Cézallier, Allanche. Aurillac, s.d. 3 - Ibid, VII, p. 34, n. 2 6 - Aice Massiacensi, 849 (Cartulaire de Brioude). Voir 4 - Ibid, VII, p. 52. RHA 1911, p. 154 sq. 11 faire pousser toutes sortes de fruits, et le bâti Ce rapide tour d’horizon n’épuise pas la est très clairement méridional, avec ses tuiles variété de l’arrondissement de Saint-Flour, romaines rouges et ses terrasses. Les gallo- mais en donne une idée. Les églises, globale- romains, semble-t-il, avaient particulièrement ment, respectent ces nuances tout comme elles apprécié le site puisque leurs traces sont fort reproduisent le découpage géologique. Granite, nombreuses, à Ferrières, Bousselorgues, schiste ou pierres volcaniques sont prélevés sur Boutirou, Grenier-Montgon, etc. Nous place et contribuent à typer fortement chaque sommes ici plus proches de Brioude, de Blesle zone, en accord avec les paysages. et des limagnes que de ou Murat, et l’impression d’étrangeté est frappante 7. Les fondations Au sud enfin la corne cantalienne enfon- cée entre Lozère et Aveyron est également Contrairement à Aurillac ou Mauriac, originale. Nous touchons ici l’Aubrac rude Saint-Flour n’a pas été un pôle administratif et des chemins de Compostelle, qui expliquent religieux avant une date relativement récente, sans doute l’église à déambulatoire de Saint- c’est-à-dire à la charnière des Xe et XIe siècles, Urcize et les nombreuses figurations de pèle- quand saint Odilon fonde le prieuré. rins (Saint-Urcize, , Deux-Verges…). Diverses abbayes ont pu créer librement C’est encore le Massif-Central, mais plus tout des filiales. Parmi les plus anciennes men- à fait l’Auvergne. tions nous trouvons Moissac, dans le Tarn-et- On peut nommer ce pays le Caldaguès, Garonne. En 804, Léger et sa femme Chaudes-Aigues en étant le chef-lieu. A Adalberge cèdent à Moissac l’église Saint- l’extrême pointe du cône se trouvait la vigue- Hilaire au bord des rivières Alagnon et rie de Villevieille ou , près Saint- Allanche, ainsi que les églises Sainte- Urcize. Selon Boudet il s’agissait pour les Anastasie et Saint-Saturnin de Valuejols 10. habitants du Caldaguès d’avoir accès aux L’église Saint-Hilaire est celle du Moissac riches pâturages de l’Aubrac, et cette aberra- cantalien, nommé au moyen-âge Saint- tion cartographique correspondrait alors à une Hilaire-de-Moissac, du nom du patron de la « nécessité de l’existence » fort ancienne 8. paroisse et de l’abbaye dont elle dépend. Ce triangle de terre auvergnate jouit donc De Moissac relevaient également Bredons, d’une forte identité. Le Cartulaire de Brioude au XIe siècle, ainsi que l’église Saint-Martin de cite, vers 841, un don à l’église Saint-Julien de Murat et , par l’intermédiaire de Chaudes-Aigues, in aice Caldiacensi, in comi- Bredons. C’est sans doute l’ancienne présence tatu Telamensi. Le « pays » de Caldaguès est de Moissac qui permit à Durand de Henry, donc distinct mais relève de l’Auvergne, enfant du pays, de devenir l’un des grands comté de Tallende. En 1274 un texte abbés de cette abbaye relativement lointaine. d’hommage parle de biens tenus en fief à Tous les prieurs de Bredons furent d’abord des Chaudes-Aigues et in toto Caldaguès. En moines de Moissac. Ils nommaient aux cures de 1360, pour citer un autre exemple, Guy de Murat, Albepierre, Valuejols, Sainte-Anastasie, Severac rend hommage à Astorg VII de Peyre Saint-Etienne-de- et Magnaval (ces deux pour tout ce qu’il tient de lui in Caldaguezio 9. dernières en Carladez). Un système de donations compliqué 7 - L’église de Bonnac, par exemple, est couverte en entraîna des troubles entre Moissac et tuiles romaines, et ce fut probablement le cas de celle de Saint-Mary-le-Cros puisque des travaux Conques qu’un jugement, en 1107, vint régler d’assainissement aux abords de l’abside ont permis en déboutant Conques de ses prétentions. de découvrir des morceaux de tuiles à rebords carac- L’abbaye rouergate était possessionnée à téristiques. Cf VINATIÉ, Sur les chemins du temps au apparemment dès 823, à pays de Massiac, Aurillac, 1995. Pierrefiche en Planèze, à Tanavelle en 1059, à 8 - Cart., p. XCIII sq. 9 - FELGÈRES, Chaudes-Aigues et le Caldaguès, RHA 10 - BOUFFET, RHA 1913, p. 347 ; BOUDET, RHA 1914, 1903, p. 183 sq. p. 8 sq. 12

dehors cette vénérable statue, sans la faire suivre de la châsse d’or donnée, dit-on, par Charlemagne. Le fief que sainte Foy possède à Molompize, en Auvergne, ayant subi une injuste agression, les religieux ordon- nèrent une procession. Le clergé et le peuple portaient à la main des cierges et des luminaires. Les châsses vénérables étaient précédées de la croix procession- nelle couverte d’or, décorée de reliquaires et resplen- dissante de pierres précieuses. Ce1le-ci était accom- pagnée des jeunes novices portant, les uns, les livres des Evangiles, d’autres l’eau bénite; d’autres encore frappaient sur des cymbales ou sonnaient de l’olifant, cors d’ivoire que les nobles pèlerins avaient offerts à l’église, en guise de décoration. La nouvelle de cette procession s’étant prompte- ment répandue dans tout le pays, des légions de malades se portaient de tout côté sur la route. La sainte en guérit un si grand nombre, qu’il serait impossible d’y croire, si nous n’avions le témoigna- ge de ceux qui y ont assisté. Les porteurs des véné- rables châsses ayant fait une halte sous un poirier, pour se reposer de leurs fatigues, une troupe innom- brable d’infirmes y fut guérie subitement. La sainte sema ainsi toute sa route de miracles et de bienfaits. Lorsque la procession fut arrivée à Molompize, il y eut un redoublement de prodiges si inouï, que les moines n’eurent pas même le loisir, durant toute la journée, de prendre leur nourriture.

Le texte qu’on vient de lire signale l’existence d’une véritable route des miracles traversant pra- tiquement tout le Cantal du Sud au Nord, et atti- rant une foule considérable. Le but évident est avant tout de se montrer, puis de défendre ses possessions et éventuellement d’attirer des dons à travers une politique d’extension agressive. Il faut donc imaginer à l’époque une forte présence de Conques dans cette partie de l’Auvergne. La dalle funéraire de Durand de Henry et son inscription, au cloître de Moissac dans le Tarn La Chaise-Dieu, un peu plus tard, était mieux « Saint Durand, évêque de Toulouse et abbé de Moissac » représentée encore et possédait une quinzaine d’établissements en Haute-Auvergne: , Ussel et (vers 940) 11. Là encore les Vignonnet et Saint-Martin-Cantalès en Mauria- troubles furent constants au XIe siècle, et le cois, Jou-sous-Monjou et Giou-de-Mamou près Livre des Miracles de Sainte Foy raconte ainsi d’Aurillac, et, dans notre région, Allanche, Ségur, la parade des moines de Conques 12 : Saint-Michel de Broussadel, Mallet, Magnac, Lorsque quelqu’une des terres données à sainte foy Saint-Urcize, Lieutadès, , Chaliers, Le 13 est injustement envahie par des usurpateurs, les Morle . Le nombre et la variété de ces posses- moines ont coutume d’y porter solennellement la sta- tue de leur sainte patronne, comme en témoignage de 13 - Mallet, Le Morle et Chaliers appartenaient primiti- la violation de leurs droits. Ils ne portent jamais au vement à Chanteuges, qui passa à la Chaise-Dieu en 1137. GAUSSIN, L’abbaye de la Chaise-Dieu, Paris, 11 - Cart. p. LXXXIII ; RHA 1914, p. 30 1962 ; BOUYSSOU, RHA 64-65, p. 136. Rappelons que 12 - Liber Miraculorum Sanctae Fidis, éd. Les Amis de la Chaise-Dieu fut fondée par le « cantalien » Robert la Bibliothèque Humaniste de Sélestat, pp. 56-58, de Turlande au milieu du XIe siècle, originaire de la 1994. paroisse de Paulhenc. 13 sions, réparties sur l’ensemble du département, en tout cas) et Védrines. Tout ceci appartenait en même si la concentration est logiquement plus fait à Cluny, comme les dépendances de forte à l’Est, nous permettent de mesurer Sauxillanges (Bonnac) 15 et de Saint-Flour. l’éventuelle influence de la Maison-mère dans Enfin l’abbaye de chanoines réguliers de la construction des églises dépendantes. Nous Saint-Augustin de Pébrac, fondée par saint constatons qu’elle est pratiquement nulle: Pierre de Chavanon, archiprêtre de Langeac Vignonnet et Vebret ont des points communs mort en 1080, possédait Saint-Just, Lorcières mais relèvent d’un style mauriacois bien carac- (donnée par Géraud de Corbières vers 1077- térisé, de même que Saint-Martin-Cantalès plus 1095), et La Chapelle-Laurent (donnée par au Sud, à la charnière des arrondissements de Géraud d’Ussel et sa femme vers 1072-1088, Mauriac et d’Aurillac, où l’influence mauria- en même temps que Saint-Poncy) 16. coise se mêle au style des églises du Nord- Plus étonnante est la présence de Lérins, à Aurillacois. Jou-sous-Monjou est une église au XIIIe siècle, qui possédait bien carladésienne ; Saint-Urcize évoque aussi deux mas à Talizat et l’église de Saint- Conques plutôt qu’autre chose et Allanche rap- Just près Brioude. Ces moines exotiques, pelle également le style mauriacois. C’est donc venus de la Côte d’Azur, laissèrent probable- partout l’œuvre de maçons locaux et non ment leur nom au Pont de Léris, non loin de d’hypothétiques envoyés casadéens. Il n’y a Vieillespesse. qu’à Chaliers peut-être, à observer le portail, D’autres possessions relèvent comme ici que l’influence vellave est perceptible, même si d’une présence ponctuelle due au hasard des elle est bien attestée en de nombreux autres donations. endroits du Cantal 14. Vauclair et Saint-Martial furent fondées Une bulle de 1185 fait le point sur les par Guillaume Robert, compagnon et conti- dépendances de Blesle, fondée par nuateur de Bertrand de Griffeuille dans la Ermengarde, épouse du comte Bernard II seconde moitié du XIIe siècle 17. Vauclair, Plantevelue, entre 850 et 885: Saint-Victor, annexe d’Escalmels à l’Ouest d’Aurillac, date Dienne, Chanet, Coren, Rézentières (?), des années 1153-1168. Peu après Guillaume Lussaud, Molèdes, Laurie, La Chapelle- fonde Beaulieu, commune de Saint-Martial, à d’Alagnon. Plus loin : Chastel-Marlhac l’appel des seigneurs de Chateauneuf en (Mauriacois) et Thérondels (Carladez rouer- Gévaudan (église détruite). gat). Le style est encore local. Seule l’église Les cisterciens s’installèrent à l’écart de la de , en quelques détails, montre civilisation, à Graule vers 1147, par don de l’influence certaine de Blesle. Léon II de Dienne à Aubazine (près de Brive Brioude possédait Mouret en 849 (don de en Corrèze), et à Féniers vers 1173. De la Bernard, comte d’Auvergne, et de sa femme Grange de Graule il ne reste que des ruines Lingarde), Faverolles (église Saint-Martin presque inapparentes dans les montagnes de donnée en 971), Talizat, Ussel (vers 969), . Les « Granges » cisterciennes . étaient en fait de petits monastères avec cha- De Lavoûte-Chilhac, monastère fondé en pelle, dortoir, réfectoire, etc., mais les moines 1025 par saint Odilon, co-fondateur de Saint- n’y avaient pas de poste fixe. En 1152 un Flour, dépendaient Lastic (donnée à Sauxil - décret interdira de construire ces annexes à langes en 1131 par l’évêque d’Auvergne), plus d’une journée de marche de l’abbaye- Rochefort (commune de Saint-Poncy, sur les mère. Graule, bien éloignée d’Aubazine, était bords de l’Alagnonnette. Prieuré érigé peut-être déjà fondée. Rochemonteix a étudié l’histoire vers l’an mil, comme Bonnac), Vèze (en 1535 de Graule et a dressé un plan à partir des ves-

14 - Il est cependant difficile de trancher car nous igno- 15 - Bonnac, Albuniacum, BOUDET, Cart. II. rons à peu près tout de l’église romane de la Chaise- Dieu, remplacée plus tard par le bel édifice gothique 16 - Cart., p. CCIII actuel. 17 - Voyez le second tome de cette série, pp. 18-21. 14 tiges encore perceptibles. On y voit divers bâtiments fonctionnels, une chapelle, une tour (?), le tout enveloppé au Nord et à l’Ouest par un mur, et à l’Est par un vallum ou levée de terre 18. L’abbaye de Féniers, près de Condat, pré- sente des ruines plus parlantes de son église, celle-ci dans le style original des cisterciens qui ne doit rien à l’Auvergne. Les templiers s’installèrent à Celles vers la fin du XIIe siècle ou plus probablement au début du XIIIe siècle, et construisirent une Chapelle de La Garde véritable forteresse dont l’un des pans est occupé par l’église. Au XIIIe siècle encore les Fondation de Saint-Flour hospitaliers de Saint-Jean sont à Montchamp, mais les informations sont partout si contra- La fondation de Saint-Flour remonte à la e e dictoires et embrouillées qu’il est difficile de charnière des X et XI siècles. Nous dispo- se faire une idée exacte de l’implantation des sons, pour relater cette histoire, d’un certain Ordres chevaleresques en Haute-Auvergne. nombre de textes qui malheureusement Citons tout de même les membres Tempel, n’éclairent pas tout, notamment en ce qui près de Bonnac, dont le toponyme du moins concerne les généalogies compliquées des indique l’origine, et La Garde-Roussillon, principaux protagonistes. Nous pouvons entre Jabrun et Lieutadès, qui conserve à cependant nous appuyer sur la grande synthèse proximité de ruines une belle chapelle de Marcellin Boudet dans son édition du cartu- d’époque indéterminée. laire de Saint-Flour (1910), et sur celle, plus 20 Les hospitaliers de Saint-Antoine, connus courte et plus lisible, de Deydier (1964) . à Saint-Antoine en Châtaigneraie à la charniè- A l’époque carolingienne, on l’a vu, Saint- re des XIIe et XIIIe siècles, fondèrent aussi Flour et sa région relèvent du comté de près de , à La Feuillade, une exploita- Tallende (aujourd’hui Saint-Amant-Tallende). tion complète dotée d’une chapelle ruinée Des viguiers administrent l’ensemble jusqu’à voire aujourd’hui disparue. Les photographies ce que le système craque avec la féodalité, aériennes montrent la trace de plusieurs bâti- bien avant l’an mil. La vita de saint Géraud e ments perdus dans ces solitudes désolées 19. d’Aurillac, écrite au début du X siècle, s’en Cet aperçu ne donne qu’une vision globa- fait largement l’écho. le des fondations pré-romanes et romanes En l’an mil quelques grandes familles dans notre région. Plus intéressante, et plus dominent cette partie orientale de la Haute- importante pour la suite de notre histoire loca- Auvergne. Ce sont les Mercœur, peut-être le, est la fondation de Saint-Flour. l’une des lignées les plus puissantes du royau- me à l’époque, originaires du Mercoeur briva- dois et qui fondèrent plus tard celui d’Ardes- sur-Couzes. Leurs possessions allaient de la 18 - La Maison de Graule, Paris, 1888. Haute et Basse Auvergne au Velay, Gévaudan, 19 - Sur templiers et hospitaliers voir BOUFFET, RHA Vivarais et Rouergue, ce qui leur vaudra le 1914 ; L. NIEPCE, Le Grand Prieuré d’Auvergne, titre de « roitelets de la Margeride brivadoise Lyon 1883, Laffitte reprints 1978 ; IUNG ET GERBEAU, et cantalienne » (Boudet). Ses membres sont RHA 1997. Sur les Antonins, voir le second tome de la série ; OGER, Saint-Antoine-de-La-Feuillade à Vernols, RHA 1989, p. 313 sq. ; MAURET, Les sites de 20 - BOUDET, Cartulaire de Saint-Flour, Monaco, 1910 ; Laprune et de Saint-Antoine à Cézerat, RHA 1979, p. DEYDIER, Histoire de la cité de Saint-Flour des ori- 321 sq. Une étude d’ensemble pouvant remplacer gines à la fin du Moyen-Age, Aurillac, 1964 (reprend celle de Bouffet reste à faire. et réordonne les éléments du Cartulaire). 15 des dignitaires du chapitre de Brioude, des reprend sa parole, récupère Indiciac et y ins- évêques, des abbés de Cluny, La Chaise-Dieu, talle Amblard de Brezons dans un château qui Mozac… La famille s’éteint en 1321 avec gardera son nom, tout près de la cathédrale Béraud VII. Son plus illustre représentant est actuelle. Ce second Amblard était peut-être le sans doute Odilon, abbé de Cluny en 994, né fils d’Astorg (Boudet) ou l’un de ses milites vers 960 et mort en 1049. Ses biographes le (Fournier). qualifièrent d’Archange des moines. Il fut A cette époque la guerre et le chaos grand fondateur et constructeur et c’est à lui règnent en Planèze. Bernard d’Angers, éco- que nous devons, en grande partie, notre cité lâtre, venu à Conques témoigner des miracles de Saint-Flour. de sainte Foy, raconte ainsi l’épisode dit de la Il devra traiter avec cette autre grande « guerre de Planèze » 22 : famille locale que sont les Nonette, qui possè- dent apparemment une bonne partie de la Il est, en Auvergne, un petit bourg, nommé La Planèze. De la fin du Xe siècle au début du Plaine (Planèze), qui tire son nom de la configura- e tion plane du terrain où il est situé. Dans ce lieu, XI siècle le maître de la région est Amblard vivait un chevalier, nommé Amblard, qui était en de Nonette, dit le Mal-Hiverné, c’est-à-dire le guerre ouverte avec les autres seigneurs, ses voisins. méchant, l’irascible. Il s’arroge le titre de Ils se disputaient avec acharnement la préséance et comtour, à la signification imprécise (compa- la suprême autorité. Dans cette querelle orgueilleu- gnon?), qui fut repris par plusieurs familles se, le peuple était accablé et ruiné par les incursions des soldats de chaque parti, qui portaient le fer et la probablement affiliées en Haute-Auvergne, flamme dans les chaumières des paysans. Ceux-ci, dont les plus célèbres seront les comtours pour prévenir les désastres de l’incendie, se virent d’ 21. obligés d’éteindre entièrement leurs feux, afin La donation d’Indiciac, nom primitif de d’ôter aux soldats une arme si meurtrière. Or les sol- Saint-Flour, dont l’origine gallo-romaine est dats d’Amblard, ne pouvant trouver du feu pour accomplir leurs projets incendiaires, assaillirent, aujourd’hui retenue, se fera en trois temps. pour s’en procurer, un village voisin, nommé 1 – 996-999. Un premier texte raconte Pierrefiche, placé sous le patronage de sainte Foy. qu’une chapelle, où reposent les restes de Ils y en trouvèrent, en effet, mais ils ne purent en saint Flour, fut donnée par Eustorgius clericus tirer profit. Allumé et dirigé par un souffle divin, ce à Cluny, le pape reconnaissant la donation. feu s’élançait vers eux, les entourait, s’acharnait sur leurs vêtements et sur leurs barbes et les forçait à Cet Eustorgius est Astorg de Brezons, peut- une fuite précipitée. être oncle (et cependant vassal) d’Amblard de Nonette ou du moins l’un de ses hommes. Un Ce récit n’est pas seulement celui d’un château de Brezons existait en 972. épisode ponctuel; il faut imaginer une lutte 2 – Autour de l’an mil. Astorg, vassal de totale et permanente, opposant divers milites à son neveu Amblard, aurait négligé de consul- la recherche de fiefs. Les paysans, on le voit, ter son suzerain, d’où une seconde charte faisaient les premiers les frais de cette agita- conservée dans le cartulaire de Cluny, confir- tion. C’est dans ce contexte qu’intervient mant une « première charte » ainsi connue, l’acte final de cette pièce troublée. mais signée cette fois par Astorg et Amblard. 3 – Vers 1025. Amblard de Nonette fait L’église d’Indiciac est alors nommée eccle- repentance. Effrayé par le meurtre qu’il com- siam in honore beati Flori dicatam. met sur l’un de ses proches, Guillaume Tout semble s’organiser, mais Amblard le Brunet, et tandis que beaucoup probablement Mal-Hiverné, profitant peut-être de la mort pensent à se détourner de lui, il va chercher à d’Astorg devenu moine à Sauxillanges, Rome le pardon et remet Indiciac, une nou- velle fois, à Cluny. Cette donation sera la 21 - De nombreuses légendes courent sur le Mal- bonne. Hiverné. La nonne qui ornait les armoiries de la famille aurait été l’une de ses victimes. Il s’agit plus probablement d’un jeu graphique rappelant l’origine des comtours : Nonette. 22 - Liber Miraculorum Sanctæ Fidis, III, 13.