Ouest- 10 Bretagne /Finistère Mardi 15 décembre2020

Jean-Marie Kerloc’h, maire, harangue Tous les soirs, pendant l’enquête publique, le départ des gendarmes mobiles Àl’heure de la «messe »de17h, Le 16 mars 1978, le pétrolier «L’Amoco Cadiz »s’était échoué sur les roches la foule et les gardes mobiles. et des mairies annexes de Plogoff donne lieu àdes échanges de cailloux les manifestants lancent des pierres. de Portsall. Il s’agit de la plus grosse marée noire en Europe.

| PHOTO : NOEL GUIRIEC, ARCHIVES OUEST-FRANCE et de grenades lacrymogènes. | PHOTO : NOEL GUIRIEC, ARCHIVES OUEST-FRANCE | PHOTO : NOEL GUIRIEC, ARCHIVES OUEST-FRANCE | PHOTO : ARCHIVES OUEST-FRANCE Unecaméra contredumazout et desfusils Nicole et FélixLeGarrecont saisi lesannées1970enBretagnedansleurs filmsetleurs diaporamas. Un coffretDVD rassemble unepartiedeleurtravail. Rencontre chezeux,àPlonéour-Lanvern.

porte surleremembrement autoritai- Qu’est-ce qui vous décideàfilmer Entretien re (voircicontre).C’était déjà engagé, la lutte de Plogoff, au plusprès nousétionsducôtédeceuxqui desévénements,dejanvier Nicole étaientcontre.Leprogrès,avecun àmars1980 ? Le Garrec, grand «P»,àl’époque,celasignifiait Je suis alléemanifesteràFeunteun réalisatrice tout araser,pourque lesgrostrac- Aod, surles lieuxdelafuturecentrale du film Plogoff, teurspuissentfairedelaBretagne nucléaire, avec le comitédedéfense, des pierres uneBeauce. Peudegensréagissent la mairie ;les marinsduCap et du contre des fusils. àl’époque,mais, au furetàmesure Pays Bigouden sont venuspar la mer. qu’il yaurades inondationsàChâ- J’ai sentiqu’il se passait quelque cho- teaulin, àQuimper et àQuimperlé,ils se. | PHOTO : OUEST-FRANCE ouvriront lesyeux. J’étaismoi-mêmemilitanteetj’avais Le paysage ne comptait pas vrai- toutes lesraisons qu’on devine contre En 1972,Nicole et FélixLeGarrecréa- ment alors, maisune Bretagne sans ce projet, maisjesentaisqu’il yavait lisent un diaporama surleremembre- talus, sansbocages, ça change tout. aussiunvraisujet :touteune popula- ment «autoritaire».En1978sort Desassociationsenvironnementales tion qui se dresse contre lesautorités. Mazoutés aujourd’hui…,sur le naufra- existaient déjà,commelaSEPNB La Région, le Département, le député ge de L’AmocoCadiz,l’une despires (Sociétépourl’étude et la protection (Guy Guermeur)…Lapetitecommu- maréesnoires de l’Histoire. Deuxans de la natureenBretagne–Bretagne ne avait tout contre elle et, pourtant, plustard, c’est Plogoff,des pierres Vivante).Ilyavait aussilarevue Oxy- leshabitantsétaient là,tousensem- contre des fusils.Une vision sociale et gène. ble,toutes générationsconfondues. écologiste, au plusprèsdes gens, qui Ce beaupaysage,calme,lapointe résonne toujours avec force. Mais le mouvement fait un bond du Razàcôtéet, tout àcoup, on leur en 1978, au moment du naufrage amène unequantitéimpressionnante Commentdécririez-vous de L’Amoco Cadiz,quand vous de gardesmobiles, c’était très cho- l’ambiance desannées1970 réalisezlefilm Mazoutés quant. QuandFélix avuça, alors en Bretagne ? aujourd’hui. mêmequ’il était réticent car nous Cesannéesétaient très particulières, Cette catastrophe,laquatrième n’avionspas d’argent pourfairece ce sont cellesqui, aujourd’hui enco- marée noireenBretagne, nousouvre film, il n’avait pas tort,iladit «Onyva» re,mefontvibrer le plus. Je dirais lesyeux. Lesgenssont ulcérés.Tout et il asorti la caméra.Nousétions que,d’une certaine façon, tout était àcoup, tout estnoir,épais, on touche trois, avec Jacques(Jakez)Bernard possible,nousétionsplusjeunes, àlamer,sacréeenBretagne. au sonetmoi àlaréalisation. bien sûr(sourires).L’époque nous On commenceàremettreencause soudait.Les gens manifestaient, lesdécisions despouvoirs publicset Ce qui étaittrèssingulier,c’était nousétionsmilitantsbretons,degau- le plan Polmar,qui devait soi-disant de voir d’anciensmilitaires che,pourlalangue,pourlamusique. régler le problème desmaréesnoi- contreles gendarmesmobiles… La musique ajoué un rôle majeur. res. En réalité, il faut yaller àlamain J’étaisépoustouflée de voir ça.Sides Pendant une des «messes »de17h,oùles opposants àlacentrale raccompagnaient les gendarmes mobiles et la mairie

Alan Stivell afait un travailconsidéra- avec despelles. Et,finalement, la gensqui avaient fait la guerre d’Algé- annexe, le maire de Plogoff, Jean-Marie Kerloc’h, se replie, les mains dans les poches. | PHOTO : NOEL GUIRIEC, ARCHIVES OUEST-FRANCE ble (FélixLeGarrecest photographe mer,elle-même,sechargedugros rie, la guerre d’Indochine –habituelle- indépendant surune de sestournées du nettoyage. C’estsigrave que ça ment dansl’obéissance, le respect tes. Nous,nousavons choisi de mon- les«messes »de17h,c’était desgre- du film de 1980 Plogoff,des pierres européennes),comme Servat, Glen- noustouche massivement, il yade de la hiérarchie et de tout un système trer danslefilm lesgensdePlogoff, nadescontrelacaméra. contre des fusils,sélection Cannes mor et lesautres… Lesinstitutions, grandesmanifestationsàBrest. de valeurs très cadré–,étaient capa- car on sentait que c’était quelque Maisc’était plushumain àl’épo- Classics2019 ;unlivre Plogoff,par elles, étaient àdroite. On commence aussiàparlerde blesdebasculer aussifortement, oui, chosedetrèssingulier,d’assez uni- que :dejeunesgardesmobilescra- Nicole Le Garrec, textes et photogra- Maisdepuis1968, nousavionspris radioactivité. Se crée le Crin (Comité ça donnait de l’espoir.L’écologie que. quaient, lesfemmesleurdisaient des phiessur l’histoiredutournageetde consciencedel’importancedelafor- régional d’information nucléaire) à pouvait atteindre un public beaucoup choses qui lesatteignaient :«J’ai la lutte (120 pages),unentretien avec ce de l’identité, de la culture. Résister, (), le Clin (Comité pluslarge. Quevousinspire, au regard l’âged’êtretagrand-mèreetj’aurais FélixetNicole Le Garrec ; Nicole et c’était important. Ça atout changé,le locald’information nucléaire) àPors- de Plogoff, le moment que nous honte d’avoir un petit-fils comme Félix,undocumentairedePhilippe corset s’estdesserré. moguer (Finistère),d’autresClin sui- Grâce aussi àl’expérience militante vivons, lesviolencespolicières toi!»Maisaujourd’hui, direçaàun Guilloux;La langue bretonne (1976), vront… de gensvenus en soutien… ou la loisur la Sécuritéglobale ? CRS ne servirait strictement àrien. La Mazoutés aujourd’hui…(1978), Santik C’estaussi la naissance L’un desslogansforts de l’époque Le rôle de Jean Moalic, avec l’asso- Je suis révoltée,c’est uneatteintegra- déshumanisation opèreaussiàce Du (1979). d’une véritable conscience est:«Mazoutésaujourd’hui, radioac- ciation Evit BuhezArC’hap (Pourla ve àlaliberté d’expression. D’ailleurs, niveau. écologique,que montre tifs demain ». On relie déjà la marée viedansleCap), et celui desClin ont avec cetteloi, nousn’aurionspas pu Dossier réalisé par votretravail… noireàla lutte antinucléaireetaupro- étédéterminants, ainsi que le soutien faireunfilm comme Plogoff, des pier- Le double coffretDVD (Les Mutinsde Marion GONIDEC. Notre premier diaporama,en1972, jet de centrale àPlogoff. de touteune Bretagne,jusqu’àNan- rescontredes fusils.Lesoir,pendant Pangée)contient la version restaurée

«Onvoulait donner la parole àceuxàqui on ne la donnait jamais» Avant PlogoffetL’Amoco,leremembrement Dansles années1960, Nicole et Félix nousdisaient,par exemple :“Ici,il En France, entre1955et1975, la haies, considérés comme desobsta- Le Garrectiennent un magasin de n’yarien àfilmer ;ici, il n’yaque du grande période desremembrements clesàla mécanisation. Le remembre- photos àPlonéour-Lanvern. «Lelien travail”». alieu, suivant la modernisation àmar- ment, pointédudoigtpourson carac- socialentreles gensétaitfort. Tout C’estdanscet esprit que Félix che forcée de l’agricultureausortirde tère autoritaire, entraîne,par ailleurs, le monde se connaissait, mais il y embarque àbordduSantik Du, pour la Seconde Guerre mondiale.Ils’agit unemodification profonde du paysa- avaitdenombreux devoirs. Beau- unecampagne au thon germon de regrouperdepetites parcelles ge et estàl’originedegravesattein- coup d’interdits aussi. Nous avions depuisSaint-Guénolé,que Nicole Le agricoles, pouvant appartenir àdiffé- tesaux milieuxnaturels. Àl’opposé envie de nouslibérer de ça, ça avait Garrecréalise «Mazoutés aujour- rentspropriétaires,enparcellesde de cespolitiques, on observeaujour- du sensoui, maispas suffisamment. d’hui»,sur lesravages de la marée plusgrande taille,afind’accroître la d’huiune volontéinversederestaura- J’aspiraisàde vraiesrencontres », noireen1978. Ou bienque le couple rentabilitédes cultures,enrepensant tion deshaiesbocagères pourlimiter introduit Nicole Le Garrec. choisit, avec Jakez Bernard, de suivre lesvoiesdedesserte, en faisant sou- l’érosion dessolsetlapollution des Bientôt, 1968 passepar là et cham- lesPlogoffistesenlutte,sur place, vent disparaître lesbosquets, les eaux. boule tout. FélixLeGarrecfait du pendant lessix semainesque dure reportage,comme celui surles Tsiga- l’enquêtepubliqueen1980 et jusqu’à nes, àPenmarc’h. Il estdemandé par la grande fête de la Pentecôtequi En soutien àlalutte de Plogoff, Costa-Gavras et JacquesPerrinsur le conclut le film. les24et25mai 1980, environ film Z. Pentecôte «Unautre petit miracle » 100000 personnes convergent L’installation àKerlamen Tournéen16 mm,lefilm sera adapté vers la baie desTrépassés pourune gigantesque Pentecôteanti- ÀAlger,sur le tournage, il rencontre pourêtreprojeté dansles salles. «Un nucléaire.AvecJacquesHigelin surscène.Enavril1981àBrest, Alexandre Popovitch, un régisseur autrepetitmiracledePlogoff», le candidat FrançoisMitterrand prometleretrait du projet de cen- yougoslave. «C’est Popovitchqui Nicole et Félix Le Garrec dans leur studio de montage, chez eux, àKerlamen, s’émeutNicole Le Garrec. trale.Une fois élu président de la République,l’annonceest con- nousprésenteRenéVautier », racon- où «Plogoff »aété monté, des jours et des nuits durant. | PHOTO : OUEST-FRANCE Cette année-là, Plogoff, des pierres te l’intéressédepuisKerlamen, le contre des fusils totalise firmée,par la voix du ministre de la Mer,LouisLePensec. corpsdeferme que le couple achète crochus. Il se dit, comme nous, qu’il FélixetNicole Le Garrecvont 100000 entrées en France. Quarante àPlonéourdansces années-là.Un sepasse bien deschoses en Breta- s’ancrer en Bretagne,deplusenplus, ansplustard, il estressortiensalles, lieu de passage,detravail et de fête gne. Et nous décidonsdecréer tous avec «cette idée un peu fixe,qui en version restaurée et après un pas- De nombreusessolidarités se tissententre qui abriteleur «sobriétéheureuse», lestrois l’UPCB,l’Unité production nous estchèreentout cas, de don- sage remarqué par Cannes. Larzac la lutte de Plogoffetcelle du Larzac, qui leur famille et lescopains. cinéma Bretagne,une société de nerlaparole àdes gensàqui on ne Un film témoin de sontempsetdu durerade1971à1981. Surlecausse, les «AvecRené, qui venaittourner ici, long-métrage (qui produiralefilmde la donnaitjamais. D’ailleurs, ilsy choixcourageux du couple Le Gar- notamment pour LesAjoncs (court- René Vautier, Avoir vingtans dans les étaient si peu habitués que lorsque rec, àune époque où produireetfil- opposantsrefusent l’extension d’un camp militaire. L’élection de métrage),nousavons desatomes Aurès,1972).» nous allions àleur rencontre, ils mer au pays était encoreune utopie. FrançoisMitterrand signe,làaussi, l’abandon du projet.