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BUSINESS | CULTURE | DESIGN | ARCHITECTURE | MODE | VOYAGES | LIFESTYLE | N° 13 AVRIL/MAI 2014 | 6 € | www.thegoodlife.fr

Le premier magazine masculin hybride : business & lifestyle Le magazine dont tout le monde parle en ce moment The Good Factory 6€ À LA DÉCOUVERTE DES TRAINS MÄRKLIN The Good Problem Eco Think L’IRLANDE SORT DU TROU Global The Good Trips HAMBOURG : DYNAMIQUE, BOHÈME ET BOURGEOISE TAIPEI: L’AUTRE CHINE, MADE IN TAIWAN The Good Cities STOCKHOLM, LEIPZIG & CARTHAGÈNE

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The Good Vibrations 6,00 F:

MUSIQUE, PHOTO, - 13 - ART CONTEMPORAIN Extremely addictive M 01770 ’:HIKLRH=UU[UUV:?k@k@b@d@a" THE GOOD LOOK THE GOOD DESIGN

peu à peu de la con!dentialité et que ces pages de "e Good Life prétendent d’ailleurs DESIGN y contribuer – sont intarissables sur les essences de bois tropical favorites de Sergio É L Rodrigues, les connotations scandinaves BR SI IEN du fauteuil Dinamarquesa de Jorge Zalszupin ou la modernité Bauhaus réin- à la mode ventée du Paulistano de . Certes, Etel Carmona, femme aussi et en!n reconnu discrète et sensible qu’exigeante, o"re des lettres de noblesse, inégalées à ce jour au Encore trop souvent Brésil, au travail d’éditeur avec sa marque méconnu, le design brésilien Etel Interiores. Mais, au risque de paraître n’hésite plus à faire cohabiter redondant, ce sont réellement Humberto et son riche passé moderniste Fernando Campana qui sont aujourd’hui avec des pièces uniques les plus dynamiques ambassadeurs du nées du recyclage et du design brésilien sur la scène internationale. détournement de matériaux, En secouant, à leur manière, le cocotier du dans la droite ligne des bon goût, comme l’avait fait, une décennie créations des Campana, plus tôt, Ettore Sottsass en Italie avec Mem- superstars incontestées phis, ils ont ouvert la voie à une nouvelle de l’alter-design. génération qui les vénère, c’est un fait, FAUTEUILS DIZ, DE SERGIO RODRIGUES, puisque leur parti pris de métissage et de Par Anne- Berthelon DANS LE LOBBY DE L’HÔTEL RELAIS &CHÂTEAUX recyclage correspond idéalement à la réalité SANTA TERESA, À RIO. sociale du pays et à la pratique écono- mique du design local. Car, oui, le Brésil Dites «Brésil» et vous verrez aussitôt se derniers retranchements structurels, comme bouillonne. Oui, l’Amazonie («le plus grand bousculer dans l’esprit de votre interlocu- le musée de la Sculpture (1988) de Paulo shopping mall de la planète», comme se teur un pêle-mêle d’images sur vitaminées Mendes da Rocha, à São Paulo, ou, si vous plaît à la nommer avec une vraie tristesse allant du pain de sucre sur fond de coucher tombez sur des passionnés, le SESC Pom- cachée sous ce trait d’humour le chef de soleil en Technicolor à la très attendue peia (1977), toujours à São Paulo, de cette superstar ), qui a longtemps (redoutée ?) Coupe du monde de football, grande dame italo-brésilienne de l’archi- fourni sans compter les plus belles essences en passant par les batucadas géantes du car- tecture qu’était . Sans oublier de bois aux artisans et aux designers, est naval, la plastique hautement bankable de le néomodernisme tropical (le tropicalisme aujourd’hui en danger. Gisele Bündchen ou encore les Havaianas, était un courant musical brésilien des Ce qui implique donc un nouveau sourcing adulées ou détestées, c’est selon. années 70 qui faisait l’éloge du métissage) écoresponsable de matériaux. La jeune Tapez « architecture brésilienne » sur Insta- des luxueuses résidences privées construites garde exposée au salon Made (pour Mer- gram et se succéderont des vues sous toutes aujourd’hui un peu partout dans le monde cado, Arte, Design) – Rodrigo Almeida, les coutures de Brasília, cette forêt moder- par Marcio Kogan, Isay Weinfeld ou Arthur Carol Gay, Brunno Jahara, Zanini de niste de béton brut résolument utopique Casas, pour le plus grand bonheur de leurs Zanine, Leo Capote ou Guto Requena, construite ex nihilo en plein désert, à la propriétaires comme celui des amateurs pour ne citer que les noms les plus saillants demande expresse du président Juscelino de co!ee table books. Maintenant, pronon- du moment – en a bien conscience. D’où, Kubitschek, par , Lúcio cez «design brésilien». Silence ou presque. toujours dans la voie montrée par les frères Costa et entre 1956 et Quelqu’un ose «les Campana ?». Bingo ! Campana, cette systématisation du recy- 1960. Actualisez la page. Voici les courbes Depuis les années 90, «les deux frères» clage et du détour nement, qui est en passe sensuelles du musée d’Art contemporain de (qui partagent ce surnom amical avec les de redé!nir à la fois la grammaire stylistique Niterói (1996), à Rio, comme celles de Bouroullec, bien que leurs esthétiques et l’écosystème productif. Mais qu’on ne s’y l’OCA du parc Ibirapuera (1954), à São respectives n’aient pas grand-chose en com- trompe pas : s’il est beaucoup question d’ar- Paulo, portant la signature si reconnaissable mun, malgré le côté tropical des lampes tisanat, la pratique n’est aucunement de Niemeyer. Le plus célèbre des archi- Lianes de ces derniers !) ont en e"et réussi considérée sous un angle passéiste, bien au tectes modernistes brésiliens est également à sortir le design brésilien de ses sempiter- contraire. Pour preuve : a!n de coordonner un monument à lui seul, puisqu’il a réalisé nels codes modernistes. Certes, les initiés la fabrication à distance de leur chaise non moins de 600 projets en soixante- –ceux-là même qui se précipitent aux Vermelha, éditée par Edra, Humberto et dix ans de carrière. Insistez, et vous ventes aux enchères vintage chez Piasa et Fernando Campana ont dû décomposer obtien drez encore quelques exemples bru- dont le nombre est en progression chaque geste de la main sur un tutoriel talistes qui poussent le béton dans ses constante puisque le design brésilien sort vidéo ! Tudo bem ! I

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6 Les fondateurs du modernisme brésilien

Eldorado du mouvement moderne, le Brésil a vu toute une génération d’architectes, d’urbanistes et de designers faire rimer «action» avec «expérimentation»…

Rio (1978, photo 2), dessinée le cofondateur, en 1959, da Rocha est le second Brésilien avec sa !lle, Anna Maria, de L’Atelier, un collectif à avoir reçu le prix Pritzker pendant ses années d’exil d’architectes, d’ingénieurs (2006). Il reste peu connu à , ce Carioca a toujours et d’ébénistes omniprésent du grand public, bien qu’il ait 1 voulu – et su – allier sensualité dans la plupart des réalisations signé le musée de la Sculpture et modernité. de Brasília. Jorge Zalszupin est (1988) ou la rénovation de 1. Flávio de Carvalho surtout connu pour ses lignes la gare de la Luz, à São Paulo. (1899-1973) à la fois sensuelles et rigoureuses C’est sans doute sa première Inclassable et avide et à la sensibilité toute danoise : réalisation – le gymnase d’avant-garde, Flávio fauteuil Dinamarquesa (1952) du Club athlétique de São de Carvalho, quali!é ou plus récemment Veronica Paulo (1958) – qui booste 3 par Le Corbusier de (photo 4). On ne s’étonnera pas sa notoriété, notamment parce «révolutionnaire romantique», 3. Lina Bo Bardi de savoir qu’il est aujourd’hui qu’il en a imaginé les sièges, se passionna pour l’idéologie (1914-1992) édité en partie chez Etel… en mettant en pratique moderniste, qu’il croisait L’ e x p o s i t i o n Lina Bo Bardi, son «mépris du super!u» volontiers avec les théories Together sillonne actuellement et son goût des innovations freudiennes. Son unique le monde, sponsorisée par structurelles. Résultat ? incursion dans le design Arper, qui (s’)o"re ainsi une Le mythique Paulistano (1957, – le très graphique fauteuil caisse de résonance cultivée photo 6), réédité par Objekto. FDC1 (photo 1), dessiné en pour la première mise en 5 1950 pour l’hacienda Capuava, production de la Bowl Chair qu’il a conçue, et réédité (photo 3), à la silhouette pop 5. Sergio Rodriges aujourd’hui par Objekto – est avant l’heure, créée en 1951 (1927)

un ovni mi-tribal, mi-futuriste par Lina Bo Bardi. L’occasion Esprit indépendant ayant 7 que l’on imagine volontiers de mieux connaître cette très tôt su s’a"ranchir dans un shooting mode sixties. architecte italienne qui a du modernisme radical, 7. Ricardo Fasanello émigré au Brésil pour explorer Sergio Rodriges n’en a pas (1930-1993) le modernisme avec sa propre moins meublé les immeubles Designer précoce – il construit sensibilité. En attestent conçus par Oscar Niemeyer son premier voilier à 14 ans –,

2 le béton brut mais sensuel ou Lúcio Costa à Brasília. Ricardo Fasanello a toujours du SESC Pompeia (1977), Considéré comme le père aimé dé!er les lois de 2. Oscar Niemeyer le brutalisme soft du musée fondateur du design brésilien, l’équilibre. Mais c’est surtout (1907-2012) d’Art de São Paulo (Masp, cousin du style scandinave, en ouvrant sa boutique-atelier Père incontesté de l’architecture 1968) ou le tropicalisme mais en plus sensuel, à Rio dans les années 60 que moderne brésilienne, Oscar épuré de la Casa de Vidro, ce créateur proli!que se dé!nit ce Carioca donnera libre Niemeyer s’est passionné sa maison, construite en 1951, comme un «dessinateur cours à ses expérimentations pour le béton toute sa vie. l’année de sa naturalisation de meubles». Après avoir établi de matériaux, et donc de Mais, à la di"érence de brésilienne. Comment son studio à Rio, en 1955, formes, avec un goût prononcé Le Corbusier, avec qui il a imaginer meilleur passeport ? puis ouvert dans les années 60 pour les courbes voluptueuses construit le siège des Nations un espace en Californie, ou aérodynamiques. unies, à New York, il choisira où Kim Novak viendra lui Designer brésilien totalement le camp de la courbe organique, acheter l’emblématique fauteuil iconoclaste, dans la mesure pas celui de l’angle droit. Mole (photo 5), il est, à 87 ans, où il ne s’intéressait pas au bois, De Brasília, manifeste utopique toujours actif et il supervise mais à la résine polyester en 3D édi!é ex nihilo au milieu ses rééditions pour son éditeur ou aux mousses recouvertes du désert, en 1956, au musée 4 exclusif, LinBrasil. de cuir, il a créé quelques d’Art contemporain de Niterói 4. Jorge Zalszupin pièces emblématiques comme (1996), en passant par le siège (1922) 6. Paulo Mendes da Rocha le fauteuil Anel (1970, photo 7), du Parti communiste français Emigré de Pologne au Brésil (1928) qui pourrait le faire passer pour (1965-1980), à Paris, après la Seconde Guerre Chef de !le de l’école brutaliste un cousin latino-américain

PHOTOS OLMO : DR – HENRI DEL sans oublier la chaise longue mondiale, Jorge Zalszupin est pauliste, Paulo Mendes de Joe Colombo. I

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Les héritiers contemporains

Optant pour des morceaux choisis du mouvement moderne, mais dépouillés de tout radicalisme politique et stylistique, la deuxième génération d’architectes et de designers croule sous les commandes, non de Kubitschek mais de happy few…

1 1. Marcio Kogan, Studio MK27 canapés de la Livraria da Vila –, L’une des premières passions il était logique qu’il cède de Marcio Kogan, partagée avec à la tentation d’une courte son ami Isay Weinfeld, avec collection (bar Toto, fauteuil qui il a collaboré sur le projet et sofa Isay), fabriquée de l’hôtel Fasano de Rio et dans les règles de l’art par Etel. avec qui il a également tourné un long métrage expérimental, 3. Claudia Moreira Salles 234 en 1988, est le cinéma. Toute Le showroom Espasso de New son architecture, résidentielle York lui a consacré, l’an dernier, à 90 %, pourrait en e"et une première exposition se dé!nir comme un montage rétrospective pour ses trente ans cut de travellings de béton brut de carrière. Malgré cela, le nom et d’ouvertures pensées comme de cette (jolie) designer formée 5 des cadrages millimétrés. Si le à Rio, mais installée à São 1. LE STUDIO MK27 DE MARCIO KOGAN. tracé est rigoureux, l’homme Paulo, en 1988, reste encore 2. ISAY WEINFELD. 3. CLAUDIA MOREIRA SALLES. est, lui, généreux. Pour rendre con!dentiel. Et pourtant… 4. HUGO FRANCA. hommage au travail sur les Claudia Moreira Salles est 5. LEBUFFETONDAS, D’ARTHUR CASAS. 6 chantiers, il a conçu Prostheses au design brésilien ce qu’Isay 6. LACHAISEESTRELA, DE CARLOS MOTTA. and Innesti, une exposition Weinfeld est à l’architecture : de meubles bricolés sur les sites une minimaliste cultivée, São Paulo pour le Nordeste, Carmona qui est la seule de construction par les ouvriers héritière du mouvement où il va vivre quinze ans en habilitée à éditer ses créations, eux-mêmes et sur lesquels il a moderne. Tous deux ont pleine jungle parmi les indiens qui, comme en atteste son juste ajouté, ici et là, un détail en commun un goût des lignes Pataxó, qui lui enseigneront bu"et Ondas, exigent de vraies en contraste de couleur pures et font de la qualité des techniques permettant prouesses de fabrication. ou de matière. Un upcycling des matériaux un élément de magni!er les rebuts de fonctionnel, qui sonne comme non négociable. La preuve ? la déforestation. Un travail 6. Carlos Motta un hommage aux Campana… Sa banquette Siri (2007), qu’il continue aujourd’hui. Surfer forever ! Pur produit houssée de lin avec dossiers bois de la contre-culture des 2. Isay Weinfeld pivotants incrustés de part et 5. Arthur Casas années 70 passé par la case Son nom est sans doute celui d’autre de l’assise, sur le mode Architecte mondain, work-shop d’ébénisterie à Santa qui compte le plus aujourd’hui des canapés «conversation», Arthur Casas a su imprimer Cruz, en Californie, Carlos dans le monde de l’architecture est éditée chez Etel, bien sûr ! son luxueux minimalisme Motta réalise artisanalement brésilienne. Ses réalisations aussi bien sur des résidences chacun de ses meubles dans son de résidences privées 4. Hugo Franca privées que sur des réalisations atelier depuis 1978. Sensibilisé ou commerciales (hôtel Fasano Rien ne prédestinait Hugo commerciales qui sont à l’épuisement des ressources de São Paulo, Livraria da Vila, Franca à devenir un designer des musts : boutique tokyoïte de la planète, et à celles du boutique Havaianas) partagent exposant de monumentaux d’Alexandre Herchcovitch Brésil en particulier, il n’utilise une approche identique : meubles sculptés dans (2007), shopping mall Cidade que des bois recyclés ou certi!és renouveler l’héritage du des environnements artistiques Jardim (2008), restaurant Kaa pour ses sièges à l’ergonomie mouvement moderne tout aussi prestigieux que (2008), sans oublier l’hôtel très étudiée. Sa rencontre avec en l’exprimant à chaque fois l’institut Inhotim, au Brésil, Emiliano (2001), à São Paulo. Etel Carmona, à la !n des de façon singulière. «Je déteste ou au Fairchild Tropical Botanic Comme tous les architectes, années 80, a donné naissance à me répéter», a#rme d’ailleurs Garden, à Miami. C’était sans Arthur Casas a commencé une amitié sincère, qui a permis Isay Weinfeld. Ayant goûté compter l’appel de l’Amazonie, à dessiner quelques meubles en 2012 la mise en production, au design de mobilier pour qui guette un jour ou l’autre pour répondre à la demande mais à toute petite échelle, ses projets commerciaux tous les Brésiliens ! En 1981, cet de clients fortunés et y a pris d’une dizaine de ses créations, –notamment les accueillants ingénieur de formation quitte goût. Et c’est, bien sûr, Etel dont la chaise Estrela (1979). I

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Les Campana : les superstars du Design Povera

Autodidactes mais superstars, Humberto et Fernando Campana tournent, depuis près de vingt-cinq ans, joyeusement le dos à l’héritage moderniste tout en rendant hommage à la diversité de la culture brésilienne avec leurs créations Design Povera. 3 le potentiel créatif du recyclage et qui sont souvent passés par la case «assistant» à l’Es- tudio Campana, aussi. Mais in"ltrer avec fraîcheur le design brésilien contemporain au sein d’institutions culturelles aussi pres- tigieuses que le MoMA ou le V&A et se voir o!rir, dès 2009, une première rétrospec- tive par le Vitra Design Museum – gage de good design par excellence –, puis une seconde (exposition Barrocco Rococó) en 2012 au musée des Arts décoratifs, à Paris, en dit long sur l’adoubement international enthousiaste. Di#cile par contre pour les curators qui se penchent sur leur œuvre de référencer vingt-cinq ans de créations, quand plus de 90 % d’entre elles sont des pièces uniques ! 1 Fort heureusement, en 1993, Massimo Voilà vingt-cinq ans déjà qu’Humberto Rodrigues. Pour les Campana, en e!et, Morozzi, directeur artistique d’Edra, qui et Fernando Campana électrisent à la fois le point de jacaranda, de cumaru ou d’ipé, avait repéré dans l’ouvrage 50 Chairs le pro- monde feutré du design en général et la même certi"és FSC (Forest Stewardship totype de la chaise Vermelha "èrement société brésilienne en particulier, en faisant, Council), mais des peluches probablement drapée dans 500 mètres de corde rouge, "t par créations kitsch et bricolées interpo- made in China ravies de jouer les guest- le pari de l’éditer, tout comme Favela, pla- sées, un éloge inconditionnel du métissage. stars pour le fauteuil régressif Banquete, des cardée de planchettes de récup. Suivront En exposant pour la première fois, en 1989, cordages en pagaille enlaçant la structure les fauteuils Sushi, Anemone et Corallo, à São Paulo, un ensemble de chaises peu métallique de la chaise Vermelha, qui trône les canapés Boa ou encore Cipria façon fonctionnelles sous un titre sans équivoque dorénavant au MoMA, ou des seaux en houppette de poudrier surdimensionnée, (Inconfortable), les deux frères, devenus plastique appelés à devenir de très désirables l’armoire de ville se prenant pour une hutte designers du jour au lendemain, ont volon- ready-made design. Cabana, liste non exhaustive, cela va de soi. tairement jeté un pavé dans la mare du Depuis vingt-cinq ans donc, Humberto et En parallèle, la love-story entre les superstars modernisme dominant en se positionnant Fernando Campana écument inlassable- du design brésilien et les marques en géné- à des années-lumière du travail d’un Sergio ment les bazars et les quincailleries de ral ne se dément pas, d’Alessi (collection quartier de Rio (dont celle du grand-père de Blow Up), à Louis Vuitton en passant par Leo Capote, lire page 236) pour dénicher Lacoste ou Camper. Et même l’hôtellerie des matériaux bon marché et populaires, avec les récents aménagements du New qu’ils magni"ent en les détournant systé- Hotel à Athènes et du café de l’Horloge du matiquement de leur fonction première. Et musée d’Orsay, à Paris, succombe à leur le succès pleut. Certes, nouer des relations Brazilian touch ! Mais pourquoi un tel suc- de proximité durables dans une mégapole cès ? Parce que, sans aucun doute, leur de plus de 11 millions d’habitants, soutenir apparition clignotante sur les radars du des ONG spécialisées dans la réinsertion ou design brésilien a coïncidé avec l’envie de encore préserver la forêt amazonienne en changement qui accompagnait les années 2 n’achetant pas de bois sans en connaître la Lula, une envie de changement qui a provenance mérite déjà amplement d’être résonné mondialement. D’autant plus que

1. LES FRÈRES CAMPANA ET LEUR STUDIO. salué. Jouer, toujours de bonne grâce, le les présidents peuvent bien passer, le design 2. LACHAISEFAVELA. rôle de grands frères pour la jeune généra- reste. Ce n’est pas Niemeyer qui aurait pu

PHOTOS :DR – KLAUS LEHMANN –ARCHIVE / PHOTOSENSO TRUNK / JASON SCHMIDT 3. LEFAUTEUILVERMELHA. tion de designers, qui explorent à leur tour dire le contraire… I

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La nouvelle génération

Dans le sillage des Campana, la génération émergente privilégie plus que jamais le recyclage créatif et cède, bien souvent, aux sirènes de l’autoproduction. 3 5

Une terminologie paradoxale, mène une en 2011. Pour lutter contre car les deux frères restent ré#exion croisée le massacre écologique de d’inébranlables "gures de sur les nouvelles la forêt amazonienne, Zanini proue. Carol Gay avoue même technologies et de Zanine privilégie métal que c’est sa participation à l’un sur la culture et polypropylène, à l’exception de leurs work-shops, en 1999, brésilienne. du bois de récupération, 1 qui a déterminé la suite de son L’ a m é n a g e m e n t qu’il travaille en pièces 4 travail, comme le démontrent du siège uniques. Editée depuis peu 1. Rodrigo Almeida son fauteuil Noar en larges social de Walmart à São Paulo, par Cappellini, sa chaise Trez Frère spirituel des Campana, bandes de pneus d’avion avec miniterrain de golf sur le (photo 5) n’est pas en jacaranda, Rodrigo Almeida a pour recyclés (2013) ou son miroir toit et salles de réunion mais en aluminium laqué, sa part choisi la voie des éventail Metro (2013, photo 2), meublées de sièges-hamacs, ce qui ne l’empêche pas, galeries de design-art plutôt qui alterne lamelles d’Inox créés par son ami Maurício avec ses trois pieds, de s’inscrire que celle des salons du meuble poli et bandes de mètre ruban Arruda, l’a propulsé depuis dans une tradition formelle pour faire connaître son métallique. Talent à suivre, dans les charts de la brésilienne ! style néotropicaliste. Si on assurément. blogosphère. Côté design, avait accès aux mood boards c’est sa chaise concept Nóize (collages e!ectués pour 3. Brunno Jahara (photo 4), présentée à Milan présenter un concept) Né à Rio, Brunno Jahara est chez Rossana Orlandi et à São de ce designer proli"que d’abord passé par la case Paulo au salon Made, qui qui s’exporte très bien (il a Brasília pour étudier le design a marqué les esprits. L’idée ? exposé à Paris et à New York), industriel, puis a "lé en Italie Ce n’est plus la fonction qui 6 on trouverait certainement, chez Fabrica auprès de Sam crée la forme, mais bel et bien punaisés côte à côte, des Baron, avant de revenir fonder l’environnement. Il su$t 6. Leo Capote masques africains, des photos son propre studio à São Paulo d’enregistrer le son d’un lieu L’histoire de Leo Capote de tribus amazoniennes, mais en 2011. Avec un nom avec un portable et de mixer dépasse largement les aussi des paniers de marché évoquant les percussions cet enregistrement avec le story-tellings les plus élaborés, en raphia ou des brassées de carnaval, sa série Batucada "chier numérisé d’une chaise car, une fois de plus, la réalité de cordes multicolores, (photo 3), en aluminium culte (par exemple, la Girafa vaut mieux que la "ction. comme celles qui ornent anodisé, est avant tout de Lina Bo Bardi, Marcelo Petit #ash-back. Simple sa désormais célèbre une histoire d’imperfection Ferraz et Marcelo Suzuki, la vendeur dans la quincaillerie chaise Africa (2009, photo 1). magni"ée car chaque pièce Oscar de Sergio Rodrigues, et de son grand-père, le jeune est martelée à la main. la São Paulo de Carlos Motta), Leo Capote avait comme Un choix eth(n)ique puisque puis d’envoyer le tout à une plus "dèles clients Fernando et que le Brésil recycle 98% imprimante 3D pour avoir Humberto Campana. Ceux-ci de son aluminium, récupéré un siège hybride et unique… promirent de le prendre par les «catadatores», en stage dans leur studio s’il 2 les ramasseurs de déchets, 5. Zanini de Zanine reprenait ses études. En 2002, explique-t-il. Récup toujours, Fils de José Zanine Caldas, diplôme de design industriel 2. Carol Gay mais plus premier degré modéliste attitré d’Oscar en poche, Leo vint comme Formée à l’urbanisme avec les lampes Multiplástica, Niemeyer et de Lúcio Costa, prévu frapper à la porte des et à l’architecture à l’université dont le pied est constitué Zanini de Zanine est tombé Campana. Tout s’est enchaîné Mackenzie de São Paulo, d’un assemblage unique de dans la marmite du design dès au mieux, puisque la boutique Carol Gay – qui vient bouchons de plastique, ou sa plus tendre enfance. Mais Firma Casa lui a même d’être invitée à exposer dans avec le bu!et Babilonia, façon c’est surtout un stage chez o!ert ses vitrines pour exposer la section «Talents 2014» Piet Hein Eeck multicolore. Sergio Rodrigues qui décidera sa collection de meubles du salon Ambiente, à de sa vocation, avant que la fée fabriquée à base de pièces Francfort – fait partie de cette 4. Guto Requena Cappellini se penche sur lui, récupérées dans la quincaillerie génération de designers Architecte, urbaniste alors qu’il vient tout juste familiale. Dont la chaise labellisés «post-Campana». et designer, Guto Requena de fonder son studio à Rio, Pregos, 100% clous ! I

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Made : «le» nouveau salon Editeurs ou curateurs et !ers de l’être… qui buzze…

Dans un contexte de production industrielle quasi inexistante, designers et éditeurs Alors que l’intérêt pour le design brésilien, aussi bien vintage que tirent le meilleur du savoir-faire artisanal, ce qui laisse la porte ouverte aux petites contemporain, ne cesse de croître, séries expérimentales, jugées inconcevables de notre côté de l’Atlantique… le nouveau salon Made (acronyme de Mercado, Arte, Design), sorte de cousin latino-américain de Suzuki, les trois architectes avec Sergio Rodriges, of course, Design Miami et de DMY, s’apprête fondateurs de Brasil une trentaine de pièces à dérouler une seconde édition Arquitetura, de pouvoir historiques ou contemporaines, très attendue du 12 au 17 août au expérimenter et réaliser de A dont la fabrication est Jockey Club de São Paulo. Créé par à Z le mobilier imaginé sous-traitée auprès d’artisans Waldick Jatobá, ex-financier cultivé 1 passionné d’art et de design et 1. Etel sur mesure pour leurs propres hautement quali!és. Sans reconverti en exigeant commissaire Artiste et designer projets, Baraúna n’était LinBrasil, l’hôtel Fasano de Rio d’expositions, Made a, malgré autodidacte – on lui doit à l’origine qu’un simple atelier n’aurait sans doute jamais pu (ou grâce à ?) sa jeunesse, la famille de sièges Astania de menuiserie intégré o"rir à ses hôtes le plaisir de tous les atouts pour devenir un rendez-vous incontournable (photo 1) –, Etel Carmona est, à l’agence. En éditant, depuis se prélasser sur le balcon dans sur le continent sud-américain, malgré sa discrétion, l’une 1986, dans le prolongement un fauteuil Diz (2002, photo 3) d’une part, et dans le calendrier des grandes dames du design de leurs diverses collaborations pour admirer le coucher international des design weeks brésilien. Fondée en 1988, sa architecturales avec le studio de de soleil sur Copacabana… d’autre part. Et ce, malgré le fait que société (ré)édite aussi bien des Lina Bo Bardi, la chaise Girafa ses dates tombent pile au milieu des vacances d’été en Europe, ce qui icônes du design moderniste (photo 2), entre autres meubles est un sacré challenge ! Sa force ? comme la chaise 104, d’architectes caractérisés Un positionnement résolument d’Oswaldo Bratke, les fauteuils par leur conception rigoureuse XXIe siècle qui entend sortir le design Veronica, de Jorge Zalszupin, –structure, équilibre, usage– brésilien des clichés dans lesquels il est trop souvent enfermé 4 ou Anel, de Ricardo Fasanello, et leur qualité de fabrication, et démontrer, notamment via la que des meubles contemporains Baraúna est devenu un lieu section «Coletivo», dédiée à la jeune signés Isay Weinfeld, Arthur de passage obligé pour tout 4. Objekto génération de talents émergents, Casas ou Claudia Moreira amateur de design radical Objekto a été créé en 2004 que la créativité ne se résume pas Salles. Pasionaria du design qui déambule dans les rues à São Paulo par Matthieu au binôme modernisme/Campana, même si une place de choix est, durable, entendu dans du quartier arty de Vila et Benoît Halbronn, deux frères bien entendu, réservée aux uns sa double signi!cation Madalena à São Paulo. français amoureux du Brésil et aux autres, hommages inclus. de longévité stylistique et de son héritage, pour Doublée d’un généreux programme et d’écofabrication, Etel distribuer sur un coup de cœur de conférences ouvertes à tous, cette plate-forme multifacette est Carmona peut s’enorgueillir et d’audace mêlés, la lampe bien résolue à faire dialoguer, art, de diriger la première marque Eclipse (photo 4), en forme architecture et design au sens large, brésilienne à avoir été certi!ée de nautile, de Maurício Klabin. ce qui semble d’ailleurs être l’ADN des Brics, puisqu’on retrouve FSC en 2001, ce qui l’a 3 En rééditant, dans la foulée, encouragée à ouvrir, un an le mythique fauteuil Paulistano, cette approche à 360° aussi bien à Pékin, avec la BJDW, qu’au Cap, plus tard, sa propre exploitation 3. LinBrasil de Paulo Mendes da Rocha, avec Design Indaba… de bois en Amazonie pour Pour la petite histoire, c’est conçu en 1957 pour le Club préserver la biodiversité, en visitant l’exposition Histoire athlétique de São Paulo mais aussi respecter du siège brésilien, en 1999, et dont il ne subsistait Objekto pilote aujourd’hui, les minorités et appliquer à Rio, que Gisèle Pereira que 300 exemplaires dans depuis Marseille, une collection le Code du travail. Tudo bem ! Schwartsburd, businesswoman le monde, juste avant que de meubles signés de Brésiliens avertie, dotée d’une sensibilité l’architecte soit auréolé du prix de naissance ou d’adoption, innée pour le design (sa famille Pritzker (2006), Objekto a tels que Renaud Bonzon, étant dans ce secteur depuis assurément signé son plus beau Michel Arnoult, Ilse Lang, plus de trente ans), a pris bulletin de naissance, ces deux Flávio de Carvalho. Mieux : conscience que le mobilier pièces faisant dorénavant partie loin de se limiter à regarder de Sergio Rodrigues n’était de la collection permanente dans le rétroviseur, ce petit 2 plus édité. LinBrasil a donc du MoMA. Délocalisant contre éditeur soutient plus que jamais été fondé en 2001, à Curitiba, toute attente la majeure partie la jeune génération comme 2. Baraúna pour pallier ce manque. de sa production – marché en atteste l’élégante table Né à la fois du besoin – et du La société commercialise brésilien excepté – en Europe tripode Illusion, de Roberta désir – de Francisco Fanucci, dorénavant sous licence, [pour un coût lissé d’environ Rampazzo, qui vient d’être

PHOTOS : DR – MARCOS CIMARDI – SADURSKI TOMEK Marcelo Ferraz et Marcelo et en étroite collaboration 30% moins cher, NDLR], lancée à Maison&Objet. I

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