POUR L’AMOUR DE DIEU

QUATRE-VINGT-CINQ ANNÉES SOUS L’ŒIL VIGILANT DU SEIGNEUR CHRONIQUÉES PAR

N. KASTURI

En préambule,

Chacun de nous doit vivre le volume de la biographie que nous apportons avec nous chaque fois que nous naissons, page après page, chapitre après chapitre, quel que soit le nombre de points et de tirets, de points d’interrogation et de points d’exclamation, de virgules et de doubles points, jusqu’à ce que la phrase se termine par un point final. Mais heureusement, j’ai comme compagnon inséparable et comme conseiller Bhagavan Lui-même : Il met les points sur les i alors que je vis chaque ligne de chaque page. Il a fait du Livre de la Vie ma biographiecapitale et pleine de sens pour moi.

Je dois cependant avouer que je ne mérite pas ce livre sur moi, par moi. Il y en a, je le sais, des millions qui absorbent l’Amour de ce Dieu vivant et aimant beaucoup plus profondément et qui peuvent dès lors prétendre être les messagers de Son Amour. Ils peuvent amener les mal-aimés et les mal-aimants avec des pas plus assurés et plus fermes en la Présence du Rédempteur, du Consolateur, du Sauveur, de l’Avatar, de Sai.

Néanmoins, lorsque Bhagavan manifesta un faible intérêt favorable lorsque quelqu’un osa me murmurer en Sa Présence que quelques-uns de mes souvenirs pourraient être bien accueillis par beaucoup, je fus incité par Son sourire à m’embarquer dans cette audacieuse aventure, ma mémoire assumant le rôle de correcteur principal, d’où la chronologie imparfaite dont souffre la chronique. Puisque les quatre volumes de Sathyam Sivam Sundaram retracent la plupart de ce que j’ai voulu communiquer, ce livre est devenu un testament personnel, souvent peut-être trop personnel pour être supporté, ce pourquoi je demande pardon.

‘’La flatterie est la nourriture des imbéciles’’, disent ceux à qui elle est refusée. Je n’ose pas renier mes goûts, car j’ai été dupé par des flatteurs m’ayant lancé des épithètes telles que poète, érudit, linguiste, humoriste, philosophe et même ‘’sage de la fourmilière’’ !

Rappelez-vous, cher lecteur, que je m’efforce de mon mieux d’éliminer le poison de l’ego, et sympathisez avec moi à chaque fois que vous voyez le serpent relever la tête à travers les lignes de ce livre.

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Quelques-uns de mes anciens étudiants des Facultés, mon petit-fils, son épouse et quelques frères à Prasanthi Nilayam, ont demandé que je n’abandonne pas le travail et ont insisté pour que je termine ce livre.

En conséquence, ce livre, Pour l’Amour de Dieu, est maintenant déposé aux pieds du Seigneur et entre les mains de ceux qui vivent dans l’amour du Seigneur. Jai Sai Ram.

Noël 1982

N. Kasturi, Prasanthi Nilayam

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TABLE DES MATIERES

PLUIE DE PERLES 4 LE CHOUCHOU DE GRAND-PÈRE 20 SOUS LA GARDE DU PARAMAHAMSA 39 AVENTURES ACADÉMIQUES 53 DÉSASTRE ET DÉLIVRANCE 64 MARIÉS POUR LA VIE 88 PROXIMITÉ APPÉTISSANTE 132 ADIEU, DOULEUR 176 PÉNITENCE SCRIPTURALE 196 L’AMOUR EN MARCHE 217 MA TRADUCTION 245 SON HISTOIRE – L’HISTOIRE 259 REDYNAMISER LES TEMPLES 313 L’ENFANT CISELÉ 325 LE DIEU D’AMOUR 343

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PLUIE DE PERLES

Cette fois, j’inspirai le souffle de Dieu le jour de Noël, en 1897. Baba dit : ‘’Une personne naît pour apprendre comment ne plus renaître.’’ Le secret pour atteindre ce but m’a éludé durant mes précédentes apparitions, aussi ai-je dû retourner à l’école. Au cours de mon long voyage d’amibe à anthropos, je connaissais peu l’alphabet de la libération, même pas le A pour Atma ! C’est ainsi qu’une nuit de Noël, j’arrivai dans une famille hindoue, près du rivage de la Mer d’Arabie, sans défense comme toujours et poussant et donnant des coups à la perspective d’un nouveau séjour sur terre.

Le jour de ma naissance, la moitié du monde était éclairé par l’adoration pour le Fils de Dieu. Etait-ce une récompense pour quelque acte de mérite remarquable au cours de mon dernier séjour ici ? Ou était-ce un signe pour ma propre résurrection ? Je ne sais pas. Le passé modèle inévitablement le présent et l’avenir modèle aussi le présent avec une inévitabilité tout aussi grande. Bien souvent, l’attrait du futur est plus décisif que la pression du passé. L’arbre de demain se trouve dans la graine d’aujourd’hui, aussi sûrement que la graine d’aujourd’hui provient de l’arbre d’hier. La Gita fut prononcée pour modeler un Gandhi des siècles plus tard. Le devenir manifeste nécessite un être latent.

Naître le jour de Noël présageait d’une page brillante dans le livre de ma vie. Je quittai le village où je naquis en 1919 pour n’y rentrer qu’en 1968 avec Baba que des milliers de chrétiens de nombreux pays adorent le jour de Noël comme Celui qui a envoyé Son Fils unique pour sauver l’humanité. Et le but de la visite de Baba était de bénir un dévot chrétien et de poser la première pierre d’un temple qu’il érigeait pour Lui. C’est une histoire qui révèle la gloire de Baba et la piété d’Elias. Elias fut attiré dans une maison distante de dix kilomètres, où la volonté de Baba faisait se répandrede Son portrait (!), et à la surprise de tous, du portrait de Jésus-Christ aussi, la cendre sacrée curative () qu’Il matérialise souvent d’un geste de la main. Il s’y rendit, il vit, et il fut ravi. Il avait entendu que Baba était hindou. Il savait que Baba était à des centaines de kilomètres. Il fut le témoin de l’œuvre de la Volonté Divine. Il réalisa que l’Un répond à n’importe quel nom prononcé dans n’importe quelle langue. Il décida de construire un temple consacré à son Christ revenu comme Consolateur (Sai), avec le nom de la Vérité (Sathya) et portant une robe rouge-sang, comme révélé à St Jean.

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Baba me conduisit dans mon village dans l’Impala et séjourna dans le foyer chrétien. Le Sermon sur la Montagne fut prononcé de la terrasse de cette maison. En montant les marches, Il agita Sa main et matérialisa une magnifique croix pour un chrétien, le Ministre de la Santé du Kerala. La terrasse donnait sur le terrain de football de l’école secondaire, ma très chère alma mater. Ce soir-là, le terrain était comme un vaste jardin de visages rayonnants et d’yeux brillants. Je pouvais voir une douzaine de mes contemporains assis sereinement au premier rang des auditeurs.

‘’Fais ton lit et suis-Moi’’, disait le texte. Dans Son infinie , Il nous enjoint de quitter le lit de douleur sur lequel nous haletons et nous gémissons, nous nous tortillons et nous retournons et de marcher sur les pas du Sauveur. J’eus le plaisir rare de traduire Son discours en malayalam, la langue du Kerala. Non pas qu’Il eut besoin d’un interprète. Toutes les langues sont mues par Lui. Il voulait me présenter comme l’enfant du pays et m’accorder ce plaisir ce jour-là, c’est tout. Lorsque je ne pus ramener un mot approprié en malayalam à la mémoirecar j’étais resté éloigné de cette région pendant plus de trois décenniesIl m’aida ! Lorsque j’oubliai un adjectif ou une de Ses adjurations, Il vint au secours des auditeurs avec un mot qu’ils connaissaient !

Le village de Tripunittura possède en son cœur un temple dans lequel, selon la tradition, avait installé une idole de (Narayana) qui incarné en tant que lui servit d’aurige pendant la bataille de dix-huit jours sur le champ de bataille de Kurukshetra. Comme les rênes qu’Il tenait ne guidèrent pas seulement les chevaux, mais aussi Arjuna à travers les remous et les défis, les retournements et les rebondissements, les colères et les angoisses de la bataille, Krishna fut acclamé après cet acte unique de service gracieux à un suppliant comme Parthasarathi (l’aurige de Partha, Partha étant un autre nom par lequel Arjuna était connu).

Le onzième jour de ma carrière terrestre, ma mère me porta affectueusement au temple, comme la coutume l’exigeait et me déposa sur la dalle en pierre, sous la grosse lampe qui pendait devant le sanctuaire de Parthasarathi. Elle observa le visage de l’idole pour obtenir un signe de bénédiction. Les flammes des lampes de droite et de gauche vacillèrent pendant un moment. Elle chérit dans son cœur le sourire que l’idole lui accorda alors, puis elle me ramena à la maison tout à fait satisfaite. Par la suite, elle me conduisit chaque matin au temple jusqu’à ce que je

6 puisse y aller seul et réciter quelques psaumes propitiatoires qui attireraient sur moi la grâce de Parthasarathi. Je pus alors recevoir du prêtre une pincée de pâte de santal humide pour mettre sur le front et une cuillerée d’eau sanctifiée pour purifier l’intérieur.

Mon grand-père était le Karyakar ou l’administrateur du temple. Chaque soir, après avoir verrouillé la porte du sanctuaire, il ramenait à la maison sa part des offrandes de nourriture placées deux fois par jour devant le Seigneur. Nous veillions jusqu’à ce qu’il arrive. Je recevais la ‘’part du lionceau’’ du riz sucré qui nourrit l’âme que Parthasarathi m’avait envoyé.

Le temple est construit en travers de la route que je dus emprunter plus tard pour atteindre le ‘’restaurant’’ gratuit et mon école. Chaque jour, je me tenais devant Parthasarathi et je Lui faisais part de mes craintes et de mes sentiments, de mes doléances et de mes victoires avec larmes et sanglots, soupirs et gestes, jusqu’à ce que les lampes tremblotantes projettent sur le visage de l’idole l’apparence d’un sourire appréciateur et rassurant. Je Le priais de rendre ma nourriture savoureuse et de convaincre le gérant du restaurant de me donner chaque jour quelques bouchées supplémentaires. Je priais pour avoir des crayons et des pastilles de menthe. Je priais pour obtenir les réponses correctes aux problèmes arithmétiques des trop fréquents tests de l’école. Je Le priai de reporter la visite du vice-roi dans notre village jusqu’à ce que j’aie une veste à porter car sans elle, je ne pourrais pas rester avec mes camarades d’école sur le bord du trottoir et avoir une vue rapprochée de la procession. Parthasarathi était mon guide, mon ami, mon confesseur, mon complice, mon compagnon et même mon ours en peluche, quand j’étais au pays des rêves.

Baba déclare Lui-même qu’Il est l’incarnation divine de Krishna et le Parthasarathi décrit dans l’ancienne épopée indienne. Il annonce qu’Il est le Sarathi ou l’Aurige, le Guide et l’Eclaireur de chaque être vivant depuis que la vie s’est éveillée dans la matière terrestre. Il dit qu’Il est le Sanathana Sarathi, le Conducteur de Char Universel et Eternel. Des textes bouddhistes affirment que thrshna (la soif intérieure) possède une force incalculable. ‘’Thrshna désire voir, et nous avons des yeux ! Elle veut entendre, et nous avons des oreilles ! La plante souhaite fleurir, et nous avons des fleurs tout autour de nous.’’ Depuis l’enfance, j’aspirais après Parthasarathi, et à l’âge de cinquante ans, j’obtins le Sanathana Sarathi. Nous pouvons connaître les

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événements futurs, des années à l’avance par leurs présages. En 1957, à l’âge de soixante ans, mon Parthasarathi me nomma rédacteur en chef du ‘’Sanathana Sarathi’’ pour tenir la plume qui enlumine les pages de ce magazine avec la Gita qu’Il est venu enseigner.

Grand-mère fut déçue, lorsque dans son rôle de sage-femme pour sa plus jeune fille, elle me tint dans ses bras et me contempla avec la première paire d’yeux pour m’accueillir lors de ce présent voyage. J’étais un enfant trop frêle pour faire vibrer son cœur avec espoir. Même sans me peser, elle trouva que je manquais de poids.

Père avait dix-huit ans et mère douze ans, quand les rites védiques invoquèrent le dieu du Feu pour être témoin de leur mariage. Mère m’a dit que ses amies qui étaient assises autour d’elle en cette matinée ensoleillée s’abstinrent de la féliciter, car elles virent que père était aussi sombre que la pupille de son œil et mère aussi blanche que l’autre partie du même œil. (Ses yeux à elle étaient félins). Grand- mère passa sur mon teint qui ne l’inquiétait pas, parce que j’étais un mâle, mais elle s’inquiéta pour mon poids. Elle aimait beaucoup les bébés ronds, dodus et potelés, comme ceux qui nous regardent sur les étiquettes des petits pots. Elle essaya divers médicaments, huiles, massages et autres mixtures végétales pendant des mois, mais rien n’y fit. Je refusai résolument de grossir.

Je posai un autre problème pour tester la tolérance et l’intelligence de grand-mère. Lorsque je vins au monde, j’exhibais quelques appendices supplémentaires qu’elle coupa avec une paire de ciseaux sans cérémonie et plutôt maladroitement ! Non. Le vestige de queue n’était pas le problème. Il était quasiment invisible, mais j’avais six doigts à chaque main et six orteils à chaque pied, bien que les doigts superflus n’étaient que des esquisses non-fonctionnelles. Les ongles étaient présents, mais les extrémités des doigts pendaient au bout d’un ligament. Couché sur le dos, quand j’agitais les bras ou secouais mes menottes, quand je recroquevillais les jambes et tapais des coups de pied en l’air, les doigts et les doigts de pieds sans os pendaient gaiement mais ne me faisaient pas mal. Mais à grand-mère, oui. Lorsque grand-mère se réjouit à la fin de sa séance de chirurgie clandestine, mère versa des larmes à propos de son acte irréligieux et même calamiteux. Les doigts et les orteils supplémentaires, même élémentaires, étaient considérés comme des signes de chance par ceux qui croyaient en l’astrologie et au folklore. Grand-mère n’était pas au courant et elle aussi pleura en signe de repentir. La cuillère en argent m’avait donc été retirée de la bouche dans un accès de folie par la personne même qui était la plus intéressée par ma carrière.

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Les intentions de grand-mère n’étaient pas fautives mais les ciseaux l’étaient, aussi les coupures s’infectèrent et moins de deux semaines après mon arrivée sur la terre, je dus faire quelques pas dans le royaume de la mort. Comme les anthropologues le disent, durant les crises, l’homme régresse dans le passé, le primitif et même le préhistorique. Grand-mère découvrit que nos ancêtres vénéraient le Seigneur des Sept Collines Sacrées comme déité protectrice, et découvrant un pèlerin qui se rendait à ce sanctuaire, elle lui remit quelques pièces pour offrir un doigt en argent afin de demander pardon pour son crime hâtif et sauver ma vie. Sa prière fut entendue ; l’argent fit l’affaire.

Je récupérai rapidement de l’opération aux ciseaux. Mon tour de taille aussi réjouit bientôt toute la famille. Ils attribuèrent cela à la grâce du dieu Venkateshwara des sept collines.

En réalité, Venkateshwara qui est adoré par des millions de personnes depuis des siècles est Bhagavan Baba Lui-même. Des années plus tard, je le vis de mes propres yeux. C’est une longue histoire, mais je dois la raconter maintenant, à ce moment. A la fin de mon adolescence, j’escaladai les collines dans un pèlerinage d’actions de grâce et me prosternai devant le sanctuaire. Plus tard, je grimpai l’escalier de pierre en spirale, marche après marche avec mon bébé à califourchon autour de mon cou. Nous avions fait le vœu de raser ses cheveux en cet endroit sacré et de le déposer sur le sol du temple pour qu’il puisse être béni par le regard bienveillant du Seigneur compatissant. Dix ans plus tard, je montai au sanctuaire pour initier le fils au sacré de la Gayatri, dans la Présence divine. Je l’avais appelé Venkata Narayana pour que le nom du Seigneur soit sur nos langues et dans sa mémoire. J’appelai son cadet Venkata Adri (la sainte colline de Venkateshwara) pour la même raison. Douze ans plus tard, je gravis la pente jusqu’à la hauteur où se trouvait le Seigneur avec mon fils et sa femme. Venkateshwara et le sanctuaire des collines étaient gravés profondément dans nos cœurs. Nous et des milliers d’autres Kéralites allumâmes des lampes pour Le glorifier, lûmes des histoires témoignant de Sa miséricorde et chantâmes des chants qui L’invoquaient. Les années passèrent. Quand je fus accepté dans la présence de Baba, le besoin de garder le contact avec la sainte colline diminua, bien qu’un sentiment de culpabilité, comme si je jouais à l’école buissonnière ou le tire-au-flanc poignardait ma conscience à chaque fois que je passais le long de la grand-route qui contourne la colline

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et qu’à travers la vitre de la voiture, j’apercevais les guirlandes lumineuses qui ornent les escaliers.

Pendant plus de quinze ans, je détournai le regard, espérant ne pas être remarqué. Puis un jour, j’ouvris mon cœur à Baba et implorai Ses bénédictions pour un pèlerinage tardif. Baba dit : ‘’Tu peux aller. Mais qui verras-tu là-bas ?’’ Je répondis : ‘’Vous’’. Baba acquiesça. ‘’Va et sois heureux’’.

Lorsque je persuadai mes jambes septuagénaires de me porter en haut des marches – beaucoup d’entre elles arrivant proverbialement à hauteur des genoux – elles obéirent sans murmurer puisque Baba avait dit ‘’Va’’. Arrivé au sanctuaire, il se passa ce que j’avais prévu et ce qu’Il avait voulu. L’imposante idole de Vishnu incrustée de joyaux céda la place à Baba qui se tenait à sa place, souriant, les sourcils levés comme s’Il était surpris de me voir là !

Le matin du douzième jour de ma vie, on m’attacha une étiquette au milieu d’un grand tohu-bohu religieux. Mon père me vit alors seulement pour la première fois, lorsqu’il vint me donner un nom. Le nom qui m’est resté depuis lors était un nom ancien d’autant plus brillant qu’il avait été porté par toute une série de grands- pères. La règle était que le premier fils devait être nommé par le père d’après son propre père. Ainsi reçus-je de père le nom porté par son père…J’appelai mon premier fils Narayana, parce que c’était le nom porté par mon père…Père me prit des mains de mère et s’assit sur le sol devant l’autel familial avec moi reposant sur ses genoux. Il pria Dieu de bénir le nom et de m’aider à y ajouter quelque fragrance. Ensuite, il me souleva par les épaules à hauteur de son visage et murmura trois fois dans mon oreille droite un long chapelet d’étranges sons par lesquels je serais connu par après. C’était une rodomontade à neuf syllabes. J’étais tombé dans la caste des brahmanes et ainsi, les deux dernières syllabes devaient être ‘’Sharma’, qui symbolise ce statut. Le restant du nom, Kasturi Ranganatha n’indiquait ni le dieu idolâtré dans mon village ni le dieu installé sur les sept collines. Il indiquait Dieu tel qu’il est adoré par des milliers de personnes dans le Tamil Nadu, installé dans une position allongée sur un serpent aux têtes et aux anneaux multiples et décrit comme ‘’orné du point de musc’’. Kasturi veut dire ‘’musc’’, ranga signifie ‘’scène’’ et natha ‘’directeur’’ ou ‘’maître’’. Le temple de ‘’Ranganatha- orné-du-point-de- musc’’ est situé sur une ïle appelée Sri Ranga (la scène) de la rivière Kaveri, à mi-chemin entre le plateau de Mysore et la baie du Bengale.

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…La substance appelée musc est appréciée comme un parfum précieux. Comme elle est également de couleur sombre, un point de musc entre les sourcils sert à chasser le mauvais œil. Elle était préférée par les nobles et les princesses aux artifices meilleurs marchés. Le front de l’idole de Srirangam était marqué du point de musc, car rien de moindre ne pouvait satisfaire les adorateurs dévots. Le nom ‘’directeur de scène’’ nous rappelle que le monde entier est une scène. Dieu dirige la pièce cosmique, Lui-même étant non- affecté. Il s’allonge, magnifique, sur la terreur et le poison, la tête reposant sur un oreiller de calme. Sa volonté accomplit et active. La déclare : ‘’Assis, Il voyage ; allongé, Il est partout.’’

Kasturi Ranganatha Sharma était un nom trop long pour être prononcé entièrement chaque fois qu’on parlait de moi ou que l’on m’adressait la parole. Sharma, le symbole de la caste pouvait être amputé sans douleur. Le reste devait être également raccourci, mais le problème était : la tête ou bien la queue ? Tous ceux qui avaient affaire à mon grand-père n’utilisaient que Ranganatha et pour la belle- fille (ma mère), prononcer le nom du beau-père était tabou ! Aussi la seconde partie dut-elle être écartée avec la conséquence que j’en vins à être connu comme la substance animale odorante employée pour orner le front divin.

Ce n’est que dans ma 70ème année que je pus me tenir les mains jointes en la présence de Kasturi Ranganatha et cela, par la grâce de Baba. Des amis m’invitèrent dans une ville appelée Tirupur pour parler de Baba, un 24 décembre, et Baba m’ordonna d’y aller. Mais j’aspirais à passer la journée de Noël avec Baba, puisqu’elle me rappelait mon entrée sur la scène du monde. Je demandai la permission d’aller de Tirupur à Srirangam et de l’adorer sous la forme de Ranganatha allongé sur le serpent. Le serpent, dit Baba, est un symbole de pollution, de poison et de mort et Dieu est décrit comme dominant, apaisant et maîtrisant ces mauvais traits. Baba dit : ‘’Oui. Va à Srirangam et remplis-toi de riz sucré’’. L’allusion au riz sucré ne me surprit pas. Il y a des années, alors que nous nous rendions à Madras, Baba, comme à son habitude, demanda à chaque personne dans la voiture de chanter une chanson. Mes gênes n’avaient pas la musique dans leur composition, mais je dus néanmoins obtempérer. Ma mémoire me rapporta un chant que j’avais entendu chanter par un clown au cours d’une pièce à laquelle j’avais eu l’occasion d’assister à l’école. Il s’agissait d’une prière à pour une bouchée de riz sucré, soutirée à un spectateur affamé lors d’un festin consommé avec ostentation par un riche. Baba doit avoir perçu que mon

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subconscient avait dû accrocher cet air particulier pour la raison que j’avais moi-même un appétit insatisfait pour ce plat profondément ancré en moi et Il décida de supprimer ce tiraillement à Srirangam, à l’occasion de mon 70ème anniversaire.

Quel ravissement de me tenir devant le sanctuaire et de me remplir les yeux et le cœur avec la vision enchanteresse de cette idole de sept mètres, allongée sur les anneaux d’un serpent à sept têtes irradiant un charme iconique captivant ! A mes yeux, les pieds avec leur plante bien visible, n’étaient pas d’un vert sombre comme le restant du corps divin. Ils étaient d’albâtre légèrement bleutée. Ils étaient doux, tendres, beaux, familiers, vivants : c’étaient ceux de Baba ! Je m’éloignai du portail du sanctuaire à contrecœur. Je croyais que le riz sucré était l’offrande de routine au sanctuaire de Ranganatha, mais ce jour-là, nous ne reçûmes que des laddus et des muruks.

Il nous restait un temple à visiter sur cette île sainteun temple de Shiva réputé avec l’arbre sacré Jambu. Lorsque nous sortîmes du temple, le prêtre courut après nous pour nous annoncer que le jour était spécialement sacré, ‘’quand on offrait du riz sucré à la divinité.’’ C’étaient d’excellentes nouvelles, en vérité ! Il insista pour que nous retournions dans le temple et il nous fit asseoir sur le sol impeccable à la droite du sanctuaire. Il étala devant nous des feuilles de bananier et servit des portions non négligeables du plat dont Baba m’avait demandé de me ‘’remplir à satiété’’.

Père était le benjamin parmi quatre fils. Lui et ses parents vivaient dans un village isolé à 48 km à l’est du lieu où maman grandit. Ses ancêtres avaient fui devant les cavaliers de Tippu Sultan de Mysore, depuis la trouée de Palghat, ravie à la Compagnie des Indes Orientales, jusqu’au royaume du Maharaja de Travancore, qui avait stoppé les déprédateurs.

Lorsque père devint le beau-fils de grand-mère et de grand-père, les frères aînés de mèreils étaient troisdécidèrent de lui assurer des moyens de subsistance plus proches de Tirupunittura. L’un des trois était le copiste et ‘’gardien de conscience’’ d’un avocat prospère de la Haute Cour du Maharaja de Cochin située à onze km dans la ville d’Ernakulam. En route vers Cap Comorin (Kanyakumari), Vivekananda, dans son projet d’investiguer la pauvreté matérielle et spirituelle de ses semblables, avait séjourné un jour dans le bungalow de cet avocat.

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Tandis qu’il arpentait le sol en mosaïque des corridors bourdonnant d’activité de la Haute Cour de Cochin avec son beau-frère et qu’il observait le chapelet de vendeurs qui vendaient des timbres et qui écrivaient des documents légaux pour les clients, père eut une idée brillante : il serait à la fois vendeur de timbres et rédacteur de documents.

Père, le plus jeune des fils, était la cinquième roue de la charrette dans l’affaire agricole familiale. Ses frères aînés guettaient l’arrivée des nuages de pluie et grattaient le sol avant de semer ce qu’il fallait pour la récolte du paddy. Lui aspirait à la vie libre et ouverte du littoral. Il voulait regarder au-delà des turbulences des vagues vers le ciel occidental où le soleil se hâte pour son bain crépusculaire dans le chaudron d’or. Oncle attisa la ferveur de son fantasme. L’avocat qu’il servait avec une loyauté frisant la servilité bénit l’aventure. Il promit de diriger ses clients vers père et de lui obtenir la licence nécessaire pour le commerce.

Père était un calligraphe louable. Les gens se demandaient s’il tenait une plume ou un pinceau. Il pouvait écrire des pages et des pages de charabia juridique dans la seule écriture qu’il connaissait, le malayalam. Il vendit sa part du patrimoine pour tout ce qu’elle put lui rapporter, à savoir quelques centaines de roupies et plaça la somme ‘’en sécurité’’ entre les mains de mon oncle le plus âgé. Il ne la récupéra jamais. La perte de cette fortune hanta ma mère et ses parents pendant de longues années.

Ernakulam s’est élevée sur le rivage oriental du lagon bleu large et profond qui la sépare de Cochin, la ville côtière d’après laquelle le petit Etat fut connu. L’étendue d’eau saumâtre mesure environ huit kilomètres de large et dix-neuf kilomètres de long et pénètre à l’intérieur du pays par de longs chenaux étroits dont l’un touche mon village. Cochin était une escale depuis l’époque de Vasco de Gama où les marchands vendaient du poivre et des épices comme la cardamone, la canelle et le gingembre. Des bateaux à aube faisaient la navette et transportaient les passagers à travers les backwaters. Il y avait également des bateaux indigènes et des pirogues à profusion qui glissaient silencieusement d’une rive couverte de palmiers à l’autre.

Père aimait la saveur vivifiante de la pure brise marine. Bien qu’il lui fallait gagner son pain le long des vérandas de la Haute Cour de Justice sur la rive orientale, il préférait vivre sur la rive occidentale plus près de la mer. Les jours de congé et pendant ses courtes vacances, il ne traversait pas. Il s’amusait à jouer avec les

13 vagues et à observer les humeurs variables du ciel et de la mer. Il nous trouvait un coin tranquille pour tous les deux et me permettait de jouer avec du sable et des coquillages et d’observer les crabes qui couraient se mettre à l’abri.

Notre maison de Cochin était entourée de grands cocotiers qui l’ombrageaient du soleil et de la lune. Nous avions comme voisin le plus proche un temple avec une réplique du Linga réputé avoir été installé par sur le littoral de la Mer orientale avant qu’Il ne construise un pont pour atteindre Lanka à la tête de Ses hordes de primates. Le lieu où Rama installa Shiva ou Eshwara est appelé Rameshwaram ; le temple proche de chez nous, sur la Mer occidentale que père aimait s’appelle aussi ‘’Rameshwaram’’.

Le nom de mon père, Narayana, désigne le second de la Trinité ou …Vishnu. Mais c’était là un vocable hérité. C’était le troisième, Shiva, le Destructeur des méchants et de l’usé, l’Infini qui finit tous les finis qui monopolisait son adoration. Chargé du nom de Vishnu, il se prosternait devant la forme de Shiva. En fait, il est dit dans le que Rama, Lui-même la manifestation de l’aspect Vishnu de la Volonté Toute Puissante, a installé Shiva dans un geste propitiatoire pour Le détourner de Ravana, proche dévot de Shiva.

Chaque jour au petit matin, père faisait le tour de la cour intérieure du temple en récitant à voix haute des vers adulateurs à Shiva avec moi qui suivait en serrant très fort l’index de sa main droite. Il répétait cette circumambulation le soir, généralement. Pendant le programme du matin, il m’autorisait à rentrer à la maison à la fin du troisième, du cinquième, du septième ou du neuvième tour. Lui-même se tenait sur le pavement de pierre face à l’orient et offrait ses prosternations au dieu du soleil, chacune étant exécutée complètement avec une série de mouvements saccadés via lesquels il se pliait et se dépliait, il s’abaissait, touchait le sol et se relevait. Père avait des taches dures et sombres sur le front, la poitrine, les coudes et les genouxsignes louables de sa dévotion incessante au rituel du soleil.

Ce temple me procura des heures de joie inoubliables. Il y avait un réservoir qui faisait partie du complexe du temple. Il était tapissé de vert avec des feuilles de lotus et rempli de boutons et de fleurs. Chaque jour, le prêtre cueillait des fleurs pour le culte de Shiva. Il se déplaçait sur l’eau d’une fleur à l’autre à bord d’un récipient-vaisseau en cuivre rouge utilisé pour cuire des monceaux de riz les jours de fête. Depuis les marches de pierre qui conduisaient dans l’eau, j’observais mélancoliquement son voyage. Le prêtre s’aperçut de ma détresse et compatit. Je

14 gagnai quelques tours dans ce coracle de métal. Je voguai sur ce tapis vert, enchanté par ces visages empourprés qui sortaient de l’eau pour me dévisager. Si je voyais l’homme assis à côté de moi séparer une tête de son tendre cou et l’étouffer dans sa prise, je lui donnais un coup de coude désapprobateur. Néanmoins, la chance de partager cette excursion autour du réservoir qui m’était offerte par ce serviteur de Shiva était toujours une expérience étrange que j’appréciais.

Après quelques mois, mes parents me conduisirent au temple de Shiva de Vycome. Celui-ci connaîtrait plus tard une renommée internationale en étant la cible d’une campagne Satyagraha menée par Gandhiji en personne pour permettre aux harijans d’emprunter la route en face du temple. Père parcourut la distance d’environ 36 km en plusieurs étapes, avec moi le plus souvent assis à califourchon autour de son cou et mère qui trottinait derrière. C’était pour accomplir un vœu, celui de m’offrir moi, le premier enfant masculin, comme esclave à la déité installée et invoquée dans ce saint sanctuaire. Ils étendirent une grande feuille de bananier devant la porte ouverte du sanctuaire et ils m’allongèrent dessus, nu. Père et mère tombèrent sur le sol à côté de moi de tout leur long et me laissèrent pour entreprendre calmement de faire trois fois le tour du sanctuaire en priant. On me demanda de rester tranquille. Alors qu’ils en étaient à la moitié du troisième tour, le grand prêtre du temple s’approcha d’eux et leur transmit un message de Shiva Lui- même : ‘’J’ai un enfant dans les mains. Prenez-le et élevez-le pour Moi avec soin et dévotion. ’’Père et mère avaient des visages rayonnants, quand ils coururent me retrouver. Ils me relevèrent doucement et me forcèrent à me prosterner devant Shiva. Ceci était le vœu héréditaire depuis longtemps. Des années plus tard, quand mon fils eut cinq ans, nous l’emmenâmes au même sanctuaire pour l’offrir au Seigneur pour nous le voir à nouveau confié comme esclave de Shiva à élever pour Sa gloire.

J’avais, je crois, six ans quand père et mère complotèrent pour bien me faire comprendre pourquoi je devais aller à l’école à l’instar de mes camarades de jeux. Ils me dirent que j’étais déjà en retard de douze mois. Ces enfants avaient commencé à manipuler les ardoises et les crayons il y a longtemps. Je me résolus à l’inévitable, comme je l’avais fait quand j’avais été sevré. Le maître lui-même m’emmenait à l’école et me ramenait à la maison une fois les cours terminés. Aussi les garçons étaient-ils verts d’envie, car on m’estimait plus grand que le reste.

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Cependant je dus interrompre mes études avant qu’une semaine ne se soit écoulée. Un soir, mon père manqua sa visite au temple. Le matin suivant, son bain au réservoir fut annulé. Il resta au lit presque toute la journée. Je remarquai ma mère accroupie dans la cuisine, sombre et morose. Je dus monter sur son dos et souffler dans son oreille pour lui arracher un sourire. Puis elle me repoussa doucement sur le côté et soupira. Elle se dirigea vers le lit où mon père était couché. Elle ne s’approcha pas trop près et mon père ne m’appela pas pour m’asseoir près de lui, bien qu’il se tourna vers moi les yeux ouverts. J’entendis ma mère dire tristement, mais fermement à la femme du prêtre : ‘’Ne viens pas ici pendant plusieurs jours. Amma a répandu des perles sur le père de Kasturi.’’ Après ma naissance, mon père n’était mentionné par ma mère que de cette façon détournée.

Ma curiosité fut attirée par la référence aux perles. Ma mère avait des perles de chaque côté du disque en or qu’elle portait autour du cou, attaché à un fil d’or. Mais pour quelle raison quelqu’un avait-il jeté des perles à mon père ? Qu’est-ce que cela avait à voir avec son apathie ? Qui était cette Amma qui donnait des choses précieuses d’une main et la maladie de l’autre ? Pourquoi ne pouvais-je pas voir les perles sur le corps de mon père ?

Je parvins à jeter un coup d’œil furtif et prohibé à mon père qui grimaçait de douleur. Je découvris sur son visage, sa poitrine et ses bras des globules jaunâtres qui collaient à la peau. Etaient-ce des perles ? Ma mère me surprit en flagrant délit. Elle éclata en sanglots après m’avoir pris sur ses genoux. ‘’Mariamma, la déesse a lancé ces perles’’, dit-elle. ‘’C’est la variole.’’ Le seul médicament qui pouvait guérir la variole était la prière ; la seule attention que le patient pouvait espérer était l’isolement. Parents, voisins et amis fuyaient la personne choisie par Mariamma, par crainte de devenir la cible de son attention. C’était la croyance qui prévalait alors dans le Kerala.

Mère voulait que je traverse le lagon et que je me rende chez son frère, le copiste. Mon père m’avait souvent emmené sur la rive d’Ernakulam dans le bateau à aubes. Les roues monstrueuses qui barattaient l’écume furieuse, le moteur fumant et formidable, la sirène hurlante me fascinaient, quand bien même ils m’effrayaient. Elle dit : ‘’Sur la véranda de la Haute Cour, demande le bungalow de l’avocat. Puis chez l’avocat, demande à quelqu’un où vit ton oncle. C’est très simple. J’enverrai Keshav avec toi.’’ Keshav était un de mes bons copains, le fils du prêtre avec qui j’avais souvent partagé des bananes dans le sanctuaire. Ma mère me tendit une lettre à remettre à mon oncle écrite sur un bout de papier humide.

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Je me sentais très important. J’atteignis l’endroit sans l’aide de Keshav, tout seul. Mon oncle fut pris de panique. Il prit le ferry suivant avec nous. Il voulait louer un bateau du pays, un rondin creusé avec des extrémités pointues capable de contenir quatre personnes sans compter l’équipagetimonier et rameur. Il lui fallut de temps pour en trouver un, car peu de gens acceptaient de transporter un patient souffrant de la variole. Le bateau serait contaminé ; les gens auraient trop peur de voyager dedans plus tard. De plus, l’équipage devait être composé d’hommes qui avaient survécu à l’averse de grâce de Mariamma. Une fois que l’on était passé par l’épreuve des ‘’perles’’, on ne serait plus à nouveau touché, croyait-on. Mon oncle supporta résolument l’épreuve. Comme ma mère, il avait aussi échappé à Amma.

Il faisait déjà sombretrois heures après le coucher du soleil dans la Mer d’Arabiequand le bateau toucha la côte orientale avec père sur un lit de camp et mère accroupie à ses côtés. Le second canoé avec mon oncle sur la proue et moi sur ses genoux les rejoignit dans les secondes qui suivirent. Le lit fut soulevé avec un soin nerveux, pus-je voir, et déposé doucement sur le sol plat. Je pouvais distinguer les gémissements de mon père et les sanglots de ma mère. Je pouvais sentir la main de mon oncle qui tremblait, alors que je tenais ses doigts pour m’approcher du lit. C’était une nuit lugubre qui se refermait sur nous.

Oncle avait engagé quelques hommes pour être prêts à la jetée. Je compris que père devait être transporté là où vivaient grand-père et grand-mère. J’entendis le nom de ‘’Tripunittura’’. Le lit fut placé sur les épaules de quatre solides géants emmenés par un serviteur de l’avocat. En clopinant, ils s’engouffrèrent rapidement dans la nuit et ma mèrema chère mère, ma propre mère, ma seule mèrese hâta à leur suite. J’étais retenu par mon oncle. Il me cloua sur place. Je ne pus même pas crier. C’était trop soudain, trop sombre. Lorsque j’éclatai en sanglots et que je me mis à hurler de toutes mes forces, elle était trop loin que pour prêter l’oreille et répondre. Les étoiles clignotaient devant mon agonie. Le vent était calme. La nuit s’adoucit un peu pour révéler le mur de briques de la Haute Cour de Justice.

Les enfants de mon oncle (ils étaient trois) me taquinaient chaque fois qu’ils le pouvaient. Ils me mettaient au défi de réciter l’alphabet de A à Z et je ne connaissais que six lettres. J’avais dû quitter l’école alors que je ne pouvais déchiffrer que jusqu’à la lettre F, aussi ne pouvais-je répéter toutes ces lettres. Je ne pouvais que réciter les 52 lettres du malayalam. Je ne pouvais pas non plus courir aussi vite qu’eux avec la boule que j’avais dans la gorge et le vide dans mon

17 cœur. Je m’asseyais maussade, sur le bord de la route qui va du nord au sud, tout près de la maison. J’observais les bœufs qui haletaient en tirant de lourdes charrettes. Je leur disais en malayalam (car le charretier en faisait autant) de dire à maman de me sauver rapidement de ces trois petites pestes.

Le message parvint à grand-mère et ma mère envoya un homme me chercher. Le gang des trois protesta, car leurs journées seraient tristes et ternes sans moi. Ils pleurèrent, mais mon oncle insista pour que je parte sans attendre un seul instant. Je partis juste comme j’étais vêtu, avec une étroite bande de couleur rose repliée entre les jambes. Je trottai et je galopai derrière l’homme aux longues jambes qui était venu me chercher. Jamais il ne ralentit son allure pour moi. Je parcourus ces onze kilomètres cruels qui me séparaient de père et de mère en m’imaginant comment mon père était parti ce jour-là sur les épaules des géants et comment ma mère trottinait non loin derrière. L’homme dit qu’il fallait aller jusqu’à la maison d’un autre frère de maman, car elle m’attendait là et je me demandai pourquoi elle avait quitté la maison où grand-père et grand-mère vivaient.

Ma mère se précipita vers moi et me serra très fort contre sa poitrine en gémissant et en sanglotant comme jamais. ‘’Où est père ? Où sont les perles ?’’, demandai-je. Je n’aurais pas dû. Ses cris et ses pleurs redoublèrent. Le serviteur qui m’avait amené d’Ernakulam dit en se lamentant : ‘’Amma. Ne pleurez pas. Votre fils a faim. Il est fatigué.’’ Je lui tins la main, j’essuyai ses larmes et je lui tapotai le cou en plaidant tout aussi doucement qu’elle le faisait avec moi. ‘’Ne pleure pas !’’ Finalement, quelqu’un me retira de ses genoux et m’emmena à l’intérieur. Mais je refusai de manger ou de boire, à moins que mère ne me nourrisse. Je courus vers elle, je caressai son menton, je chatouillai son nez humide, je gloussai pour qu’elle fasse de même. Je n’avais pas conscience qu’elle avait été frappée par la foudre.

Il semble que père ne se soit pas relevé de son lit mortel. Grand-père l’avait veillé jusqu’à la fin, mais la Mort n’avait eu aucune miséricorde et père avait rendu son dernier soupir. Mère n’avait que vingt-deux ans, mais le destin l’avait marquée pour le veuvage.

Le vingtième siècle et le Mouvement de Libération de la Femme étaient à peine perceptibles, alors. Grand-père était le gestionnaire du temple où la déité familiale des dirigeants de l’Etat était installée. Il se devait de respecter les traditions et les prescriptions des textes qui contrôlent les destinées des vivants et des non-nés, des morts et des survivants, autrement il serait considéré comme un hérétique et un

18 hors-caste. Mère connaissait la conséquence du non-conformisme. Aussi le onzième jour après la mort de mon père, la longue chevelure épaisse, noire, luisante et douce avec laquelle j’aimais jouer, que je peignais souvent et que je tressais pour m’amuser fut rasée par un barbier horrible et impitoyable. Bravement, elle supporta la torture, sans ressentiment contre les anciens législateurs. Elle se maudit elle- même et personne d’autre. Pauvre et chère mère ! Je lançai une pierre au diable qui emportait les boucles qui m’étaient si chères. Je manquai la cible.

…Mourir de la variole était interprété comme un châtiment divin terrible pour la victime. La personne était damnée, même après la mort. On refusait au corps le privilège d’être offert au feu. Il devait être livré aux vers. Il fallait aussi que les rites funéraires soient célébrés dans un lieu spécialement sacré pour que l’âme puisse se libérer de la pénombre de la malédiction et poursuivre son chemin sans encombre vers la destination qu’elle s’était forgée vie après vie. La pauvreté obligea grand-père et mes oncles à postposer les rites purificateurs pénitentiels de père. Vingt-trois ans plus tard, je fus à même d’accomplir ce devoir. Je me rendis à Rameshwaram où le temple parent de celui de Cochin que père vénérait quotidiennement était situé. Il est sur le rivage de la Mer Orientale. Lorsque nous l’avons invoquée au moyen des formules védiques, l’âme de père a dû arriver là pour accélérer son chemin. J’exécutai les rituels en compagnie de ma mère et de ma ‘’moitié’’ et donnai en charité aux prêtres des céréales, de l’or et une vache.

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LE CHOUCHOU DE GRAND-PÈRE

Un mauvais bougre de l’école du scandale locale propagea des mensonges à l’encontre de sa réputation et la boue resta collée. Il dut abandonner la gérance du temple et il perdit sa part quotidienne des offrandes à l’idole. Notre consommation de calories fut sérieusement réduite par cette coupe sombre.

La seconde tragédie fut l’arrivée un après-midi torride, de trois estomacs supplémentaires qui réclamaient leur part de la réserve de nourriture épuisée. Mère et moi, nous avions à peine assuré nos places que la sœur aînée de mère vint chercher refuge dans la maison parentale avec sa fille (12 ans) et son fils (7 ans). Elle avait été abandonnée par son mari à Nagapatam, qui la laissa se débrouiller toute seule et rejoindre la maison de ses parents comme elle le pouvait !

Normalement irritable, grand-père s’assit lourdement sur le sol, la tête entre les mains et les mains sur ses genoux. Il devint tendu, susceptible, irascible et même enragé lorsque grand-mère tenta de le calmer et lui conseilla de faire face à la crise courageusement. Moi et mes deux cousins, nous étions enquiquinants, quand nous avions la bougeotte, et nous étions des obstacles, quand les autres s’affairaient.

Nous étions des charges inopportunes. A chaque fois que grand-père lançait un regard à ses deux filles et leur piteuse progéniture, l’effarement assombrissait son expression.

Les sœurs pleurèrent d’abord pour les choses élémentaires. Elles appuyèrent leur demande pour me mettre à l’école moi et mon cousin. Mais grand-père rechigna, car étudier dans des écoles était à cette époque un luxe que seuls les riches pouvaient s’offrir. Cela impliquait beaucoup de dépenses pour les livres et les frais scolaires, une veste et une casquette qui étaient des accessoires obligatoires (on n’insistait pas sur la chemise), et des heures de repas régulières pour que les élèves puissent être présents à temps. Cela voulait dire une lampe qui brûlait une heure de plus chaque nuit pour les devoirs. Cela nécessitait de l’argent pour un stylo, une plume, des crayons, et du papier. Aussi, grand-père proposa d’exploiter notre statut de brahmane et de prendre avantage des faveurs spéciales que nous pouvions obtenir sur cette base. Il proposa de nous remettre tous les deux au patasala sanscrit gratuit, à demeure, pour apprendre les par cœur et maîtriser la grammaire, la rhétorique, la logique, etc., en supplément des études védiques.

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Cette proposition signifiait que nous devions rester éloignés de chez nous pendant dix ans et que nous étions assurés de recevoir deux repas par jour et une natte en roseau pour dormir, quand la nuit tombait.

Mère s’opposa courageusement au vieil homme et à son stratagème désespéré pour m’expédier dans une académie en feuilles de palmier. Sa sœur succomba à grand-père sans un murmure. Elle ne put trouver aucun contre-argument. Mais ma mère avait quelques bijoux qu’en tant que veuve, elle ne pouvait porter (sa sœur, quant à elle, devait porter le clou de nez doré, le disque doré autour de son cou et les pendentifs précieux incrustés en or puisque son mari n’était pas mort). Ma mère offrit de vendre ses bijoux et de garder en lieu sûr le produit de la vente pour assurer mes besoins scolaires pendant trois ou quatre ans. C’est ainsi que mon cousin s’engagea sur la voie de Panini, Badarayana, , Shankara et , alors que moi j’empruntai celle qui mène à Donne et Dryden, Shakespeare et Scott, Black et Burke, Carlyle, Gibbon et Toynbee. Je devais maîtriser la langue la plus prestigieuse au monde, la langue anglaise.

Pendant les célébrations de Dasara à Prasanthi Nilayam il y a quelques années, en discourant sur la pensée védique, Baba parla de la langue sanscrite et du précieux panorama de valeurs dont on peut faire l’expérience à travers ce moyen d’expression. En me voyant assis devant Lui, Il dit : ‘’Cette langue a été préservée et promue par les brahmanes, comme le coffre au trésor des victoires spirituelles. Ce Kasturi, bien que brahmane, est tombé dans l’abécédaire pendant son enfance et il a ainsi perdu une occasion précieuse de l’apprendre…’’

…De nouveau, au saint sanctuaire de Badrinath dans les Himalayas, quand Baba demanda aux brahmanes qui L’accompagnaient de réciter quelques hymnes appropriés des Vedas, alors qu’Il était engagé à doubler la puissance de l’idole de ce lieu sacré, je ne pus me joindre aux pandits qui répondirent. Baba me vit bouder dans un coin de la salle comble et Il eut pitié de ma détresse. Il dit : ‘’Pauvre homme, tombé dans l’anglais, ayant perdu les hymnes anciens !’’ Je résolus illico d’apprendre ces hymnes que mes amis récitaient sous Son ordre. Plus tard, à , Baba me permit de réparer ma ‘’défaillance’’ de Badrinath. Je pus réciter en Sa Présence chaque jour pendant plusieurs mois ces captivants passages védiques (Namaka et Chamaka).

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Les autorités de Cochin avaient établi une école privée avec internat pour les étudiants de la tradition sanscrite, ainsi que des ‘’lieux de restauration’’ en de nombreux endroits partout dans l’Etat où les membres indigents de la caste brahmane, hommes, femmes et enfants recevaient deux repas de riz par jour, à l’exception des deux jours de jeûne qui tombent lors de la onzième phase de la lune. Durant les quatre mois et demi d’été, on ne servait que du gruau de riz et des pois chiches bouillis. J’ai fait la navette (6,5 km, deux fois par jour pendant dix ans) pour me doter d’un pourcentage minime des calories réclamées par mon corps. Je dois témoigner ma reconnaissance à la famille royale d’avoir fourni une subsistance, fut-elle maigre, à environ dix mille de ses sujets de haute caste, tous les jours, dans plus de cinquante villes de l’Etat de Cochin.

Les de Cochin préservaient les meilleures traditions de la culture indienne. Les Vedas proclament que le sage découvre l’Un dans le multiple. L’autorité régnante accueillait le multiple comme des facettes de l’Un. Elle donna asile aux adeptes du Christ qui fuirent les empereurs romains et qui vinrent de Syrie, de Chaldée et de Palestine. Elle reçut les juifs d’Israël, à bras ouverts. Elle ne refoula pas les Portugais, qui dans leur zèle catholique, persécutaient les Chaldéens syriens et les chrétiens nazaréens avec une iniquité inquisitoriale. Elle accueillit les Hollandais protestants qui suivirent les bateaux de sa majesté catholique. Elle tint compte des plaidoiries de la Grande-Bretagne anglicane pour une part de commerce en Inde orientale et souffrit d’anémie politique pernicieuse en conséquence…

Quand le premier contingent de juifs errants arriva avec leurs navires traînant derrière eux les nuages de la mousson, le raja leur alloua pour leur synagogue un site adjacent au temple de sa déité familiale, Bhagavathi, la Mère, le Féminin fondamental. Certains courtisans exprimèrent leur horreur devant la synagogue voisine du temple du palais. Le raja les fit taire en leur divulguant un rêve qui lui avait été accordé. ‘’Bhagavathi est apparue et m’a ordonné de leur donner ce morceau de terrain.’’ ‘’Réjouissez-vous’’, dit-Elle, ‘’quand Ma gloire est chantée dans une autre langue par Mes dévots au-delà des mers !’’

Les rajas avaient beaucoup de respect pour la caste des brahmanes, car depuis des millénaires, elle s’était distinguée pour exécuter six tâches difficiles pour le bénéfice de toute l’humanité : exécuter des rituels pour se concilier la Nature et son Dieu ; encourager l’accomplissement de tels rituels ; étudier les Ecritures ; les enseigner ;

22 donner en charité aux autres tout ce qui rend la vie plus heureuse et plus utile ; et vivre de dons offerts avec de purs motifs et de richesses gagnées par des moyens justes. Baba rappelle souvent aux diffamateurs modernes que les brahmanes se sont imposés des disciplines et des privations rigoureuses dans la vie quotidienne, la vie de famille et les contacts sociaux afin d’encourager la pureté, la droiture, l’action juste et l’humilité chez eux-mêmes et chez autrui.

En signe de gratitude, les rajas décidèrent qu’aucun brahmane ne devrait mourir de faim dans le royaume. Quand ils transférèrent le palais de Cochin à Tripunittura, un lieu de restauration fut établi là aussi. Ainsi mère put dire à grand-père que je pouvais m’inscrire à l’école secondaire puisqu’elle pouvait payer les frais et que le raja prendrait soin de mon alimentation. Les deux jours du mois où l’on jeûnait, mère s’arrangeait pour que je prenne mon repas dans un foyer situé sur le chemin de l’école.

En 1960, lorsque je pus déposer aux pieds de Baba le premier exemplaire du livre intitulé Sathyam Sivam Sundaram, mère était assise parmi les dévotes dans le hall de prière de Prasanthi Nilayam. J’ai décrit combien je fus béni en cette heureuse occasion, puisque ma mère qui avait lutté contre une forte opposition pour me placer dans une école anglaise était vivante et présente pour voir son fils obtenir cette unique bonne fortune. Son fils put écrire en anglais la biographie du Divin venu comme homme et offrir la fleur odorante à Ses Pieds de Lotus en sa présence. Baba me releva par les épaules, lorsque je versai des larmes sur Ses Pieds sans plus pouvoir bouger. Mère aussi était resplendissante derrière un voile de larmes.

Je pouvais prendre mon repas au restaurant royal et puis me rendre à l’école. Après l’école, je traînais dans le coin jusqu’au dîner, et puis je rentrais à la maison dans la nuit. Nous étions environ 250, jeunes, vieux, hommes et femmes à nous rendre dans ce restaurant.

Mais quel mélange misérable de bons à rien, de mélancoliques, d’érudits, d’étudiants, de marginaux et de paresseux il y avait là ! J’avalais dans la peur et m’échappais dans la panique avant que les groupes indisciplinés ne rentrent. Durant quatre jours auspicieux du mois du Scorpion, nous les ‘’goinfres de la table royale’’, avions la chance de rejoindre les brahmanes du temple de Parthasarathi pour un ‘’festin’’. Des festins étaient également à l’honneur les jours fériés, comme les anniversaires des Avatars. Nous, enfants brahmanes, attendions ces festins non

23 pas la langue pendante, mais avec les doigts qui nous démangeaient pour recevoir des crayons. Bien sûr, le temple servait sur des feuilles des pappads sautées (deux) qui pouvaient être croquées, écrasées et qui roulaient sur la langue ainsi qu’une banane bien mûre, mais nous les mettions impatiemment de côté pour les porter à l’extérieur du temple où des frères au bon cœur nous les arrachaient des mains pour y mettre à la place un crayon ou une gomme, articles que nous nous devions d’avoir afin d’éviter la fessée à l’école. Puisse le Seigneur bénir ces enthousiastes du troc.

Quand nous étions en cinquième année du cycle secondaire, l’un de nous appelé Kumar proposa une résolution à débattre en cours de débats scolaires qui disait : ‘’Selon l’opinion de cette maison, la nourriture sans travail doit être abolie partout’’. La résolution fut passée avec une confortable majorité, mais grâce à Dieu, le restaurant continua. Le raja ne prit pas au sérieux la résolution.

L’école où j’entrai en 1903 et que je quittai en 1914 était l’une des meilleures de l’Etat. Le personnel enseignant fut sélectionné à partir d’un panel de professeurs compétents, car les princes de la famille royale venaient dans cette école dans une magnifique voiture tirée par quatre chevaux gris-pommelés avec des touffes de crins sur les boulets.

Environ quinze d’entre eux arrivaient serrés dans un phaéton, avec de temps en temps un oncle royal qui assistait aux cours. Ils s’asseyaient sur des chaises et ils avaient des tables devant eux, alors que nous avions des bancs et que nous utilisions nos cuisses comme blocs en dessous de nos cahiers. Le directeur, Gopala Krishna Iyer était le fils du célèbre ‘’English’’ Narayana Iyer, autrefois professeur particulier du raja régnant. ‘’Ce qu’il ne connaissait pas de l’anglais ne valait pas la peine d’être connu’’ ; c’était ce que les gens disaient de lui. Son fils aussi était profondément ancré dans la grammaire ; il avait toutefois un fervent appétit pour la bonne poésie et c’était un supporter inconditionnel de qu’il avait rencontré à Madras, à la Ice House sur la plage.

Il y avait dans ma classe un fils du prince le plus âgé de la famille royale, Gopala Marar, un grand mince avec une passion pour la musique, la méditation et les hauteurs de l’esprit. Le directeur était son professeur particulier. Gopal devait se rendre du palais chez le professeur avec ses manuels. Mais ce que Gopal désirait et recevait de Gopala Krishna Iyer, c’était Vivekananda et plus que des doses de Goldsmith et de Steele. Et il les recevait dans une large mesure. Les jours

24 de jeûne où je prenais mon repas chez une dame riche, ma route vers l’école était la même que celle de Gopala Marar. Alors, je le rejoignais chez lui et nous nous rendions ensemble chez le directeur. Nous attendions qu’il s’apprête : il mettait un dhoti et de la vibhuti, un long manteau noir et un turban en mousseline blanche. Lorsqu’il se prosternait devant sa mère et qu’il se tenait les mains jointes devant l’image de Sri Ramakrishna Paramahamsa, nous savions qu’il allait sortir. Durant la marche d’une demi-heure, nous pouvions entendre de profonds épigrammes védiques et leurs explications en anglais.

A l’école, chaque classe ne comptait qu’une trentaine d’élèves, ce qui permettait au professeur de modeler nos aptitudes et notre volonté avec un amour et un soin constants. Le directeur entrait dans la classe sans prévenir (mais il était toujours le bienvenu), chaque fois que le professeur qui devait nous donner cours était en congé. Il avait dans son bureau des paquets de copies stencilées des poèmes qu’il aimait enseignerThe Happy Warrior, The Hermit, The Elegy Written in a Country Churchyard, The Deserted Village, Architects of Fate, Intimations of Immortality, etc. Il en distribuait des copies et imprégnait nos têtes d’une sublime douceur.

D’autres professeurs se sentirent incités à imiter le directeur. N.R. Subba Iyer, qui enseignait l’Histoire Britannique (qui à cette époque d’hégémonie britannique était un ‘’must’’) nous donna une série de dix leçons sur les ‘’pratiques parlementaires’’, basées, je crois, sur le livre d’Anson, sorti à cette époque. C’était très intéressant pour nous, élèves de cinquième. Ce cours nous laissa songeurs quant aux garde- fous invisibles, aux règles et aux conventions, modes et us qui dirigeaient le processus législatif d’un empire mondial.

En 1921, en tant que professeur d’histoire d’un Institut d’Enseignement Secondaire de Mysore, j’établis un Parlement d’étudiants avec un président, des ministres, une opposition et des députés chargés d’assurer la discipline de vote, une première, une deuxième et une troisième lecture des projets de loi et un impressionnant registre des lois en vélin dans lequel ceux qui avaient déposé des projets de loi victorieux pouvaient en consigner les clauses sous les applaudissements de la Chambre entière. Il fonctionna une vingtaine de dimanches par an jusqu’en 1928, année où je quittai l’école.

Subba Iyer entraîna un groupe de ses étudiants à jouer la mise en accusation de Warren Hastings par la Chambre des Communes devant la Chambre des Lords.

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Nous tirâmes nos discours des volumes des harangues d’Edmund Burke que nous découvrîmes dans la bibliothèque de l’école.

Un autre professeur, Padmanabhan Pillai nous guida pour discourir et débattre à l’Association des Etudiants. Je me souviens qu’un jour, il demanda à l’assemblée : ‘’Qui conduira les débats, la semaine prochaine et quelle est la proposition à discuter ?’’ Kumaran, mon compagnon de banc, se leva. Il nous revigora, quand il tonna : ‘’Les classes sociales appauvries et la suppression de l’oppression pratiquée sur elles’’. (C’était en 1913, je me souviens). Les partisans en faveur du changement remportèrent une victoire éclatante.

La bibliothèque de l’école était présidée par un autre professeur. Il nous persuadait de lire les livres qu’il choisissait pour nous et tentait de découvrir si nous les aimions. Je me souviens d’avoir lu sous sa suggestion des livres de Marie Corelli et d’avoir été fasciné. Je n’étais pas un prodige, je dois l’admettre ! J’étais seulement prodigieusement affamé de livres. Nous avions une version abrégée du Talisman de Scott, comme texte d’étude non-approfondie, mais notre directeur souffrait d’une allergie aux éditions abrégées, aussi voulut-il que nous achetions le texte complet et il parcourut avec nous tout le roman dans son intégralité. Je lus également Henty, Meadows Taylor, Rudyard Kipling, Cervantes et Dumas. En 1913, au cours d’une visite scolaire, un inspecteur me demanda en classe : ‘’Quel livre es-tu en train de lire, maintenant ?’’ Je répondis fièrement : ‘’Les Misérables.’’, mais il décida de me rendre moi-même misérable. Il me réprimanda et demanda à mon professeur de me garder debout toute la journée sur le banc. Mon crime était de ne pas avoir bien prononcé le mot. Cela aurait dû être ‘’La Miserabley’’. Le français me semblait encore plus absurde que l’anglais.

Grand-père était du genre à trouver un problème derrière chaque solution. Il ne pouvait pas fonctionner normalement, car chaque coup de vent était pour lui une tempête. Il n’avait pas de terres, pas de vaches, et aucun revenu d’aucune sorte. Mais le Kerala était bon pour les pauvres et grand-père découvrit qu’il avait un talent rare qu’il pouvait vendre : celui de conteur. Il devint ‘’colporteur de contes’’. Il pouvait raconter de longues histoires multicolores : les enfants l’écoutaient la bouche ouverte pendant des heures. Les adultes étaient fascinés par le récit des voyages qu’il leur faisait. Il passait chez les princes et leurs proches où sa réputation l’avait précédé et après une heure ou deux, il sortait plus riche d’une roupie ou deux cachées dans un nœud du coin du dhoti qu’il portait. Très souvent,

26 je l’accompagnais pour que grand-père puisse attirer leur attention sur moi et le besoin de fonds pour mon éducation et soutirer une pièce supplémentaire au client.

Baba utilisa une histoire de grand-père pour m’attirer vers Lui, au moins jusqu’à mi-chemin. Une fois, en racontant une histoire avec une description pittoresque des hommes et du milieu, grand-père parla de la cité-jardin de Mysore. Il fit apparaître devant mes yeux la colline de Chamundi, le zoo entretenu par le Maharaja et la procession de Dasara.

Le héros de son récit était un prince rajpout et l’héroïne une princesse musulmane. Il observait les paons qui se pavanaient dédaigneusement dans leur vaste cage, lorsque la princesse s’approcha du côté opposé de la cage avec ses servantes. Ses yeux liquides brillaient d’émerveillement. Quatre yeux se croisèrent pour la première fois. Les oiseaux célébrèrent l’événement par une danse en déployant leurs queues aux yeux multiples. ‘’Le prince et la princesse s’étaient tous les deux engagés dans leur cœur l’un vis à vis de l’autre’’, dit grand-père. Lorsque j’obtins ma maîtrise de lettres, j’aurais pu rejoindre n’importe lequel des nombreux collèges de Chidambaram, Narasaraopet, Gorakhpur ou Junagadh, mais les avenues vertes et les fruits succulents, la vibration sonore des hymnes chantés sur la colline, le lustre velouté du cou des paons rendirent le choix de Mysore incontournable.

Grand-père avait recours à une autre méthode pour garder le pot droit. Il préparait des pèlerinages à Kasi ou à Dwaraka, Puri ou Rameshwaram et soutirait par la cajolerie des dons aux riches marchands, propriétaires fonciers et avocats qui respectaient son âge et sa piété. A son retour, il leur rapportait des images des déités et d’autres preuves qu’il avait accompli son vœu et le leur. Le talent de persuasion lui procurait une bourse suffisamment pesante, tandis que des dépenses parcimonieuses garantissaient à son retour suffisamment d’argent que pour tenir un mois ou deux. Mais plus que de l’argent, il ramenait des tonnes de matériel pour des contes savoureux.

Le gouvernement de Cochin m’octroya une bourse mensuelle de cinq roupies pendant trois ans, quand j’étais en classe de quatrième, cinquième et sixième année pour être l’un des cinq meilleurs élèves ayant passé un examen d’Etat. Tous les trois mois, le directeur me remettait un souverain d’or avec l’effigie de la reine Victoria. C’était monnaie légale estimée à quinze roupies. Il était immédiatement transformé en argent, nickel et cuivre par grand-père.

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Un autre grand-père était pris dans une situation plus misérable que la mienne. Il avait la charge de deux filles veuves et de trois petites-filles qui fondaient sur ses maigres revenus et qui réclamaient vêtements, abri et nourriture. C’était l’époque où les brahmanespauvres et richessuccombaient au désespoir, quand leurs filles approchaient l’âge de neuf ou dix ans, si alors, ils ne leur avaient pas trouvé d’époux pour ensuite les transférer au gotra (clan) de leur mari par les rites du mariage. Les deux vieux compères se rencontrèrent et décidèrent de la destinée de leurs pupilles impuissants : moi le petit-fils et elle, la petite-fille. Il y avait non loin de notre maison un temple où était installée l’idole de Subramania, le commandant en chef de Dieu dans son combat éternel contre le mal. Chaque soir, quand le crépuscule noircit, dix-huit détonations retentissent en série pour annoncer l’arati offert au Seigneur, à la fin du jour. Quand les deux aînés eurent scellé le sort de leurs deux petits-enfants et échangé des feuilles de bétel d’un même plat, les dix- huit détonations éclatèrent. Le big bang leur fournit la preuve suffisante que le Seigneur Subramania avait béni leur complot d’unir les deux enfants.

La date du mariage fut fixée, les parents et amis informés. Les oncles et les tantes se préparèrent. J’avais quatorze ans et elle avait neuf ans. Une vingtaine d’entre nous se rendirent dans son village de Thottuvoi, près de la sainte Kaladi, lieu de naissance de Shankaracharya. Il est situé sur la rive gauche de la même rivière, la Poorna. Les mères étaient suprêmement heureuses. Je m’assis devant le feu sacré et récitai mot pour mot les tout en le nourrissant avec les bâtons sacrés et le beurre clarifié. J’avais été initié à la Gayatri et aux rites védiques à l’âge de sept ans, aussi accomplis-je les vocalisations et les diverses manipulations à la satisfaction complète des aînés. Je tins l’orteil du pied gauche de la jeune mariée tandis qu’elle effectuait en sept pas le tour du feu. Je récitai la prière védique, fort heureusement inintelligible pour elle comme pour moi, lui demandant de porter dix fils et ensuite de m’entretenir comme le onzième.

Maintenant, elle est âgée de quatre-vingts ans et est alitée depuis sept ans avec une congestion cérébrale qui a affecté sa mémoire. J’ai 85 ans et je me porte à merveille avec Sai comme invisible pacemaker dans ma poitrine. Nous avons eu quatre enfants dont deux sont en vie, un fils et une fille.

La fête dura quatre jours entiers. Le deuxième jour, je reçus un cadeau inoubliable de grand-père. Il me vit nager dans la Poorna. Il se souvint de l’alligator qui avait vicieusement saisi le jeune Shankaracharya dans cette même rivière, il y a douze siècles. Peut-être craignait-il une répétition de la tragédie dont Shankara ne dut son

28 salut qu’à son vœu de devenir moine. Il craignait que je ne ‘’coure’’ à un désastre similaire. Dans mon cas, il aurait aussi fallu se débarrasser de la femme que j’avais mariée, il y a à peine 14 heures !

Ainsi me héla-t-il aussi affectueusement que Shankara aurait dû l’être, et lorsque je sortis de l’eau trempé et dégoulinant, il me battit comme plâtre avec un paquet de brindilles. Il me traîna dans la salle du mariage. J’étais épuisé. La douleur était atroce. Avec ces bandes rouges sanguinolentes sur mon dos nu, je regardai chacun les yeux bouffis et m’assis à côté du feu sacré.

Pourtant, je pense à ce mariage comme à une aubaine, parce que grand-père réussit à soutirer à son camarade en détresse une offre de mariage à six cent roupies. Le vieil homme promit de payer la somme au moyen de son pouce, car il n’avait ni stylo ni papier ni espèces. Il apposa l’empreinte de son pouce sur un billet à ordre que grand-père n’avait pas préparé. C’était un prix fantastiquement élevé pour un jeune adolescent comme moi nourri par le raja de Cochin 28 jours par mois et luttant avec les gérondifs et les hypoténuses en quatrième année du secondaire. Dans cette note, le grand-père de ma femme marquait son accord pour envoyer par la poste trois roupies, le premier de chaque mois, comme intérêt rapporté par le dépôt invisible, au taux de 6% par an.

Ma mère ne permit pas à son père de s’enrichir par cette transaction. Elle s’empara de l’argent, puisqu’il était dû à son fils. Elle insista pour que deux roupies soient dépensées pour m’offrir chaque midi quelques bouchées de riz trempées dans du lait caillé qui étaient vendues par une vieille veuve brahmane dans sa maisonnette adjacente à l’école secondaire. Je dois être reconnaissant à ma femme pour cette manne bienvenue qui compléta le menu anémique du restaurant royal. Cela me permit de me tenir sur un pied d’égalité avec mes pairs et même de rejoindre l’équipe de football de l’école. La troisième roupie était suffisante pour payer le mois de gages d’une petite servante qui aidait ma mère à laver les vêtements et à balayer les quelques pièces de notre maison.

Le directeur éveilla notre intérêt pour les discours de Vivekananda et les paraboles de Ramakrishna. Le professeur qui enseignait les textes en malayalam créa une soif durable pour la poésie, spécialement les ballades décrivant les héros et les héroïnes épiques et des exemples d’intervention divine dans les conflits humains. Les longs thullals mélodieux de Kunjan (le satiriste social du 16ème siècle) étaient mes favoris. Je m’asseyais derrière la lampe à huile et je prenais plaisir à les lire et à les réciter

29 avec les gesticulations théâtrales et les acrobaties vocales appropriées jusqu’à ce que le sommeil me terrasse et s’empare de moi. Mère était assise et approuvait de la tête, alors que grand-mère ‘’montait ‘’ jusqu’au point d’ébullition. Grand-père se promenait dans le pays des rêves avec un terrifiant ronflement comme compagnon.

Un soir, grand-mère perdit tellement son calme qu’elle m’ordonna d’arrêter, alors que j’étais au sommet du bonheur. Comme je ne pouvais pas obtempérer et qu’il me fallait continuer, elle m’arracha les pages des mains, les déchira en petits morceaux et me les fourra dans la bouche ! J’appelai grand-père à la rescousse, mais il n’osa pas contrarier grand-mère.

Malgré le gavage ou peut-être en conséquence, les thullals de Kunjan résonnaient dans ma tête. Des années plus tard, quand je souhaitai communiquer au peuple du Kerala la joie que je tirais de la proximité de , ma langue vibra au diapason, mon cerveau produisit les vers en mètres thullal et mes mains écrivirent les vers dans le style de Kunjan. Je suis sûr que le Sai Bhagavatham plairait à Kunjan. S’il pouvait m’entendre le réciter seul, il serait content. Mais lorsque mon fils le chante dans les ragas que Kunjan aimait et reprenait, il serait certainement enthousiaste, car il est rempli des ingrédients dont il se délectait à saturer ses ballades : l’amour, la loyauté, la dévotion, le dévouement, la divinité, l’héroïsme, le sacrifice et l’émerveillement.

Le soir vint enfin où nous dûmes quitter nos condisciples, instructeurs et inspirateurs. Nous devions nous présenter à l’examen pour le certificat de fin d’études à Ernakulam, à une douzaine de kilomètres de là. Nous parcourûmes la distance, la tête chargée de Scott, Addison, Kunjan, Tout, Marsen, Nesfield et autres divers bagages de syllabi. Le directeur s’assura que les dix-huit étaient réellement nés il y a seize ans au moins, car aucun élève plus jeune ne pouvait passer l’examen donnant droit (à condition de le réussir) à l’éligibilité pour le service public ou les études supérieures. Il nous rencontra tous en groupe avant de partir et nous bénit : ‘’Dieu sera à vos côtés et sera votre ange gardien. Inspirez Dieu et expirez Dieu. Lorsque vous aurez reçu les questions d’examen, levez-vous et priez : ‘’Seigneur, éclaire mon esprit, affermit ma main, fais que mes réponses soient justes et que mon écriture soit lisible’’. Croyez que Ramakrishna est avec vous, que Vivekananda est en vous, vous encourage et vous éclaire.’’ Cette prière, je la répétai tous les jours, et avec plus de ferveur le jour où je fus aux prises avec les questions d’arithmétique, d’algèbre et de géométrie. Je dois avouer que j’étais un

30 cancre dans toutes ces matières. Jamais je ne pus, ne fût-ce que grappiller la moitié des points nécessaires pour passer, dans aucune d’elles. J’étais admis dans la classe supérieure seulement après de sévères avertissements du professeur de mathématiques. Le directeur me sermonnait pour que je maîtrise rapidement l’art de ces mathématiques qui me rabotaient le crâne.

Ce jour-là, j’inspirai Dieu longuement et profondément et Dieu fit les additions, résolut les équations et prouva les théorèmes pour moi. Les dix-huit étudiants de notre école réussirent, dont seize avec distinction. J’étais premier de tout l’Etat de Cochin en deux matières : le malayalam (langue et littérature) et l’histoire. Je terminai également cinquième, et ainsi, j’eus droit à une bourse mensuelle de dix roupies pendant deux ans (1914-16), lorsque j’étudiai pour l’examen intermédiaire au collège du Maharaja à Ernakulam.

Il y avait également un ‘’restaurant’’ gratuit à Ernakulam, mais les horaires n’aidaient pas les étudiants du collège. La bourse et l’intérêt sur ma dot m’aidèrent à éviter l’anémie. Je logeais dans l’une des pièces du bungalow d’un riche pote et recevais mes calories d’une vieille veuve brahmane qui acceptait quelques hôtes juvéniles payants.

C’est en juillet 1914, quand le Kaiser tortillait sa célèbre moustache en envisageant d’écraser les trônes des Hohenzollern, des Habsbourg et des Romanoff que je tendis la main à Glyn Barlow, le directeur du collège du Maharaja, pour qu’il la serre vigoureusement et chaleureusement. Il exigeait la main de tous les étudiants qui s’inscrivaient dans son collège. Quinze étudiants de première année étaient venus de Tripunittura et faisaient la queue devant sa porte ce matin-là avec leur manteau et leur casquette ainsi qu’un sourire rayonnant. Barlow était le rédacteur en chef du quotidien ‘’Madras Mail’’ publié à partir du siège de l’université à laquelle était affilié notre collège.

J’achetai l’Histoire de la Grèce (version non-abrégée) de J.B. Bury pour les cinq roupies que j’avais reçues comme bourse pour le dernier mois passé à l’école secondaire. Je pris l’histoire de la Grèce et de Rome, l’histoire de l’Inde, l’histoire constitutionnelle de la Grande-Bretagne et la logique comme sujets d’étude en plus de l’anglais comme première langue et du malayalam comme deuxième langue.

Le directeur partit peu de temps après notre inscription. Le nouveau responsable était un Irlandais très vif qui s’appelait F.S. Davies. Une grande aura d’amour

31 l’entourait. Il nous guida si pédagogiquement dans le texte du Jules César de Shakespeare que nous développâmes une passion pour la paraphrase, l’illustration et les annotations. Il nous aida à en présenter la plus grande partie sur la scène du collège. On m’attribua le rôle de Brutus et je réussis à réciter mon texte après la harangue galvanisante de Marc-Antoine aussi prosaïquement persuasive que Shakespeare le voulait.

A l’école, j’étais monté trois fois sur la scène. L’un de mes oncles était une star de talent moyen. J’assistai à la représentation d’Othello par l’Association du Barreau d’Ernakulam. Il était Desdémone alors. Il m’apprit à réciter un poème qu’il aimait. Il commençait ainsi : ‘’Je me rappelle, je me rappelle, la maison où je suis né.’’ J’offris de le réciter lors de la réunion des parents. La vision d'ensemble de la salle comble atomisa ma mémoire. Nerveux, je prononçai le premier vers, modulé, comme oncle l’avait recommandé. Je continuai de répéter ‘’Je me rappelle, je me rappelle’’, dans l’espoir que le deuxième vers émergerait du subconscient. Hélas, il n’en fut rien. Heureusement, une main compatissante me tira en dehors de l’estrade. Ma seconde apparition eut lieu deux ans plus tard dans le rôle d’un troubadour chantant une ballade malayalam. Cette fois-ci, les applaudissements furent appréciateurs et non plus moqueurs. Avant de quitter l’école, je fus repris comme Prospéro dans la distribution de quelques scènes de la Tempête de Shakespeare.

Les cours pré-universitaires dans le collège du Maharaja durèrent deux courtes années. Nous avions à passer un examen organisé dans la lointaine Madras. Habituellement, seulement 15% des étudiants en réchappaient. Il fallait entreprendre de bûcher intensivement dans les semaines qui précédaient l’examen et nous formâmes de petits groupes pour partager nos connaissances et stimuler notre confiance. Nous nous empêchions mutuellement de nous endormir trop tôt et aux petites heures de la nuit, nous consommions des tranches de mangue particulièrement aigres pour renforcer notre résolution à rester éveillés. Je réussis en obtenant des mentions ‘’très bien’’ et aussi la deuxième place parmi tous ceux qui réussirent de tous les collèges de l’Etat de Cochin. J’eus le don de louper la première place, ce qui m’est resté. ‘’L’opération digitale de grand-mère’’, murmura ma mère.

L’ami qui s’était classé premier s’inscrivit au Presidency College de Madras. Il avait droit à une bourse de l’Université de Madras, et s’il avait opté pour elle, j’aurais pu bénéficier de la bourse de l’Etat de Cochin à laquelle il devait dès lors renoncer, car aucun étudiant ne peut prétendre à deux bourses. Mais à mon plus grand dépit, il

32 opta en faveur de la bourse d’Etat. ‘’L’université décerne dix bourses et je ne suis honoré que comme un parmi d’autres, tandis que l’Etat de Cochin ne décerne qu’une seule bourse et j’en suis le seul bénéficiaire. La bourse d’Etat est par conséquent plus louable’’, m’écrivit-il.

Cette lettre me força d’abandonner tout espoir de m’inscrire au Presidency College et de vénérer la muse que je rêvais de servir. Le directeur Davies avait installé dans mon cœur un autre professeur, Mark Hunter, professeur d’anglais au Presidency College. En nous enseignant Jules César, Davies respectait et recommandait les notes de bas de page de l’édition de la pièce de Mark Hunter plus que la vérité ! Aussi aspirai-je à apprendre les trésors de la littérature anglaise directement de ce critique et commentateur gargantuesque. Mais cela ne devait pas être.

Je dus me tourner vers Trivandrum près de la pointe sud du Kerala où une autre famille royale avait établi un autre ‘’restaurant’’ pour ceux comme moi et où il existait un autre ‘’collège du Maharaja’’ géré par son gouvernement. C’était la capitale de l’Etat de Travancore et la résidence du Maharaja. N.R. Subbha Iyer m’encouragea à me spécialiser dans l’histoire indienne. Le directeur me demanda de garder le contact avec le groupe Ramakrishna-Vivekananda de Trivandrum. Il dit qu’ils avaient l’intention de construire un mandir là-bas et un de mes oncles, l’un des plus jeunes frères de ma mère venait juste d’y être envoyé comme professeur dans une école secondaire. Mais plus que tout, le collège du Mahraraja de Trivandrum comptait dans ses rangs comme professeur d’histoire indienne un prodigieux pandit sanscrit, un pilier de la culture de Bharat, un modèle, un érudit encyclopédique et un brahmane idéal, K.V. Rangaswamy Iyengar.

Je décidai de m’inscrire à la Faculté d’histoire sous son égide ; ainsi il fallut me sevrer de ma mère. A Ernakulam, je pouvais revenir à Tripunittura pendant les week-ends. En fait, grand-père me manquerait encore plus que ma mère, car il était devenu mon supporter. Il parlait de moi à ses clients et aux princes avec fierté. Il sentait que je progressais rapidement dans mes études grâce à ses prières au Seigneur dans le temple de Tripunittura. Le samedi soir, il s’asseyait sur le mur de la cour de la maison pour m’apercevoir, quand je quittais la route pour emprunter la crête qui divisait en deux parties égales le champ de riz qui séparait l’habitation de la grand-route. Sitôt qu’il m’avait repéré, il coupait une tranche d’ananas, de mangue ou bien une banane de façon à ce qu’après m’être approché de lui et avoir touché ses pieds, il puisse m’offrir tout son cœur rempli d’amour dans ce don juteux.

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En 1916, Trivandrum était un point lointain sur la carte à 240 km et 32 heures de route, tandis que Madras qui était trois fois plus loin n’était qu’à 26 heures. Le transport s’effectuait par les eaux mortes, des lagons peu profonds et d’étroits canaux au moyen de bateaux à aube qui étaient poussés et tirés, quand ils devaient négocier des secteurs d’une profondeur atteignant la hauteur des genoux et des tunnels creusés dans des falaises en latérite.

L’Université de Madras venait tout juste de mettre en place à Trivandrum un cours universitaire d’histoire d’une durée de trois ans. Le professeur Rangaswamy Iyengar me prit sous son aile sans la moindre question. Le directeur m’annonça que j’avais droit à la Grigg Memorial Fellowship, une bourse de douze roupies par mois pendant trois ans, puisque j’étais le premier des étudiants de première année qui s’étaient inscrits au collège. C’était là une nouvelle manne tombée du ciel ! Mon oncle était aussi un soutien fiable. Je pus également obtenir du grand-père de ma femme quelques pièces provenant de la dot. C’est ainsi que je pus avantageusement compléter le menu malingre accordé au temple par le Maharaja avec quelques cuillerées de yoghourt et des pickles vendus dans les échoppes près du temple aux jeunes brahmanes comme moi.

Mon professeur avait chez lui une bibliothèque qui était une véritable mine d’or. Il me permettait d’en parcourir les étagères aussi longtemps et aussi souvent que je le désirais. Son ami et voisin était ingénieur, un Banerji qui était la cheville ouvrière de la Ramakrishna Mission dans la ville ainsi que son gouvernail. Il me remit quelques paquets de demandes de dons imprimées et quelques carnets de quittances. Mes amis et moi, nous passions quelques heures chaque semaine à collecter des donations pour le Ramakrishna Mandir à Aruvikkarai, à la périphérie de la ville.

Mon professeur insistait sur la valeur et la validité des rites et des rituels, des codes de conduite, des lois et des limites, des directions et des destinations établies par les sages et les voyants pour l’individu, la famille, les groupes professionnels, les corps de métier, les castes et les coteries dans chaque domaine de la vie. Il contrôlait ses mouvements et ses engagements selon les prescriptions du passé. Lorsque ses étudiants soumettaient leurs demandes d’admission aux examens, il recommandait au bureau du collège la date et l’heure pour les présenter après avoir personnellement examiné leurs horoscopes. Il avait un véhicule à deux roues tiré par deux bœufs musclés qui l’emmenait au collège, au palais, au temple de Padmanabha (Ranganatha au nombril de lotus) et au bord de la mer. Il

34 m’emmenait avec lui, lorsqu’il se rendait sur les plages sablonneuses près de l’océan, car il désirait que moi aussi je bénéficie spirituellement d’une conversation privée avec lui et surtout de la vision sacrée possible des aigles au cou blanc. Selon les Ecritures, le Seigneur Vishnu possède un tel aigle, le Garuda, comme véhicule. Je dois admettre que le bénéfice récolté après l’avoir harcelé de questions sur les Vedas, les , la Gita et le des bouddhistes, des jaïns, des shivaïtes et des vishnouites fut pour moi beaucoup plus précieux que la vision de ces oiseaux en quête de nourriture. Ses exposés enchanteurs sur les anciens textes me faisaient aspirer chaque semaine à cette promenade enrichissante.

Bientôt, nous eûmes un autre professeur, un jeune homme tout juste sorti d’Oxford qui faisait la moue devant l’irritant symbole de caste rouge et blanc qui ornait le front de notre très cher Rangaswamy Iyengar. Il était contre l’hommage rendu aux vieilles traditions. Il faisait allusion à de tels collègues comme à des ‘’légumes’’. Il nous initia, nous innocents à la cigarette, bien qu’il toussait lui-même asthmatiquement, quand il fumait. Nous dûmes exercer tous nos talents de diplomate et notre art du camouflage pour conserver l’affection et l’adulation de ces deux professeurs.

Je ne puis m’abstenir de mentionner le Professeur Schloss qui nous enseigna la Renaissance de Walter Pater et le Professeur Sahasranama Iyer, un spécialiste des tragi-comédies de Shakespeare.

Cinquante ans après que j’eus quitté sa classe, quelques mois avant sa mort, Iyer m’écrivit une lettre à propos d’une erreur de grammaire que je commettais en écrivant en anglais. Il avait remarqué cette tendance dans les articles que j’écrivais ou que je publiais dans le Sanathana Sarathi. Telle était la mesure de son intérêt durable pour la réputation de ses élèves.

Mon oncle était à cette époque un professeur mal payé, mais grâce à lui et tantine, je pus sortir vivant d’une féroce attaque de fièvre typhoïde. Il ne m’était plus possible de faire deux fois par jour le trajet vers le restaurant du temple, aussi devins-je membre de son ménage. Pendant ma troisième année de collège, grand- père tomba gravement malade. Quand j’arrivai près de lui en réponse à son souhait, il ne pouvait plus parler. Les larmes étaient les seuls signes qui m’informaient qu’il m’avait identifié comme le Kasturi qu’il adorait. Sa mort fit se dérober le sol sous les pieds de ma mère. La maison où il mourut dut être vendue pour satisfaire aux dépenses de ses funérailles. Grand-mère prit refuge chez son fils

35 aîné qui habitait à 64 km de là. Je dus ramener mère à Trivandrum où elle chercha refuge chez son frère. Grand-père ne laissait que des dettes. Tout ce qu’il avait réussi à amasser avait été dilapidé dans l’audacieuse aventure de la construction d’un temple où il espérait installer son propre Vishnu.

C’est ainsi qu’à l’âge de 21 ans, quand je sortis du cocon du collège avec une licence d’histoire, j’avais sur les bras une femme et une mère. Je cherchai désespérément quelque chose à quoi m'accrocher. Fort heureusement, je décrochai un emploi d’enseignant dans une école du style Dotheboys Hall à Trivandrum même. Hardiment, nous nous installâmes en 1919. Je ressentais un sentiment d’humiliation, car j’avais remporté les lauriers de second diplômé de toute la présidence de Madras. Mon professeur d’Oxford me poussait à passer les examens de l’I.A.S1. ou de l’I.A.A.S2., mais je dus me brader pour quarante cacahuètes par mois. Pour sauver ma conscience, je m’inscrivis au Collège de Droit qui fonctionnait matin et soir. Je pouvais proclamer que je n’avais embrassé l’indigence de la pédagogie que comme un plat d’accompagnement ou comme un expédient. Le droit était ce que j’aimais.

La chance me sourit rapidement. Je reçus une augmentation de près de 50% de mon revenu mensuel. Un certain Damodaran Potti, aux idées bien arrêtées, me demanda d’être son ‘’nègre’’. Il déclara être le rédacteur en chef d’un magazine mensuel en langue anglaise, ‘’People’s Friend’’ et il offrit de me payer 15 roupies pour chaque numéro que je sortirais en son nom. Il avait une petite pièce donnant sur la route principale, comme bureau et il y avait à côté un cocotier dont je pouvais utiliser les fruits pour mes besoins culinaires. Potti était un patriote, quand l'amour de la patrie était une aberration criminelle et Vande Mataram (‘’Je salue la Mère’’) un chiffon rouge qui avait le don d’exciter John Bull. Bon gré mal gré, je devais rédiger quelques pages percutantes dans un anglais caustique, car Potti était un commanditaire habile. Il voulait que j’égratigne les pomposités prétentieuses et le double langage de ceux qu’il choisissait pour cibles. J’égratignai et je piquai aussi fort qu’il le désirait, bien que, je dois l’admettre, cela me faisait plus de mal à moi qu’aux personnes qu’il abhorrait.

Il me transmit aussi le virus Vande Mataram et dépensa de l’argent pour m’emmener avec lui, trois cent kilomètres plus loin à Salem pour être présent, lorsque le Mahatma Gandhi visiterait la ville, une main sur l’épaule de Mohammed

1 Indian Administration Service 2 Indian Audits and Accounts Service

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Ali et l’autre sur celle de son frère plus lourd encore, Shaukat Ali. Nous étions tous les deux là quelques jours avant la date de leur arrivée et nous séjournâmes chez le directeur du collège municipal de Salem, qui était mon professeur à Trivandrum avant d’accepter cette mission. Quand le puissant trio constitué par le Mahatma et les deux frères musulmans descendit à la gare, nous criâmes ‘’Jai’’ à pleine gorge, mais Gandhi, en passant en-dessous de nous, ne regarda pas dans l’arbre où nous étions perchés. Peut-être n’aimait-il pas les gens qui regardaient de haut les Ali. Nous fûmes emportés par la cohue, mais nous parvînmes sains et saufs au pandal où ils devaient s’adresser aux citadins. C’était le lieu d’une exposition swadeshi. Sri C. Rajagopalachariar (Rajaji) était là, supervisant l’organisation. Nous entendîmes Rajaji qui les accueillit lors de leur arrivée et les remercier, lorsqu’ils partirent. Entre les deux, pas grand-chose, car nous fûmes bousculés, poussés et quasiment écrabouillés par le rush bouillonnant et délirant en direction de l’estrade. Nous rentrâmes au ‘’People’s Friend’’ épuisés, mais grisés.

La déesse variole à qui père avait été sacrifié nous poursuivit à Trivandrum et exigea ma mère, mais celle-ci ne se laissa pas faire. Je dus employer une infirmière pour veiller sur elle pendant les jours critiques et elle s’en sortit. Avant même que mère ne soit libérée de sa grâce, la terrible pluie de perles n’épargna pas ma femme. Comme camarade, conseillère et compagne de joie, comme de peine, elle était rapidement devenue une part de moi. Assistée par la prière et les soins affectueux de l’infirmière que nous avions engagée, elle sortit victorieuse de l’épreuve avec un don : Mariamma chassa définitivement l’asthme qui depuis sept longues années la faisait bruyamment respirer, du crépuscule à l’aube. L’asthme succomba au choc. Depuis lors, tout est calme sur le front de la respiration.

Je pus prendre dans la foulée l’école secondaire et le collège de droit. En fait, mon enthousiasme parascolaire rapportait de bons dividendes sous forme de joie intérieure. Bien que le propriétaire de l’école ne payait mon salaire que lorsqu’il en reconnaissait le devoir (c’est-à-dire par à-coups et avec pas mal de résistance intérieure), je trouvai parmi les étudiants suffisamment de talent pour jouer au profit des enfants pauvres de l’école une pièce anglaise écrite et dirigée par moi appelée Shah Jehan. J’en tirai le matériel d’Aurangazeb, du professeur Jadunath Sarkar, qui fut publiée cette année-là. J’interprétai le rôle d’Aurangazeb, bien que Shah Jehan était la personne autour de laquelle la pièce tournait. Au Collège de Droit, je persuadai un groupe d’amis de mettre en scène pour la Journée du Collège Les Rivaux de Sheridan. Je progressais sur l’échelle de l’accomplissement théâtral,

37 car de Prospéro, Brutus et Aurangazeb, je me promus moi-même au rôle sublime de Mme Malaprop.

Plus tard, à Puttaparthi, lorsque Baba écrivit des pièces sur , Dhruva, Prahlada et Sakku Bai pour être jouées par les élèves du Patasala sanscrit et sur Shankaracharya, les Pandavas et Jésus-Christ pour être jouées par les étudiants de Ses collèges, je pus partager avec Lui la tâche plaisante et agréable d’observer et de conseiller les acteurs pendant les séances de répétition qui duraient souvent des semaines.

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SOUS LA GARDE DU PARAMAHAMSA

Entre-temps, je parcourais les colonnes des journaux à la recherche d’annonces pour le recrutement de maîtres de conférences. Et le beau-père de mon beau-père me mettait en garde depuis le jour où il apprit que je m’étais inscrit au Collège de Droit : ‘’Ne sois pas avocat ! Ne triche pas ! Enseigne ! Seul l’enseignant peut être heureux dans ce monde et dans le suivant.’’ Mère me pressait d’accepter toute offre d’un collège qui n’était ni trop proche (car nous avions, dit-elle, trop de relations médiocres) ni trop lointain (car nous avions, dit-elle, nos dieux tutélaires dans le sud de l’Inde). Aussi dus-je rejeter des offres de Gorakhpur en Uttar Pradesh, Junagadh dans le Gujarat et même de Vishakapatnam dans la Présidence de Madras. Un jour, après avoir répondu à un questionnaire pour mon examen de droit, je déambulais dans la salle de lecture du collège, quand mon regard tomba sur une annonce d’un certain établissement du secondaire D.B.C. de Mysore ! Il recherchait un agrégé d’histoire. Mysore était suffisamment lointaine et suffisamment proche. Je posai ma candidature. En moins de dix jours, je reçus la réponse comme quoi j’étais embauché. Nous décidâmes de partir vers ce pays des mines d’or et du santal.

Scolarisé dans l’Etat de Cochin, ‘’collégisé’’ dans l’Etat de Travancore, armé d’une licence en histoire (et d’un diplôme de droit dont je n’osais pas faire état), je dus me préparer pour un voyage plutôt téméraire dans une région de plateaux dont je ne connaissais quasiment rien, à part les quatre guerres appelée guerres de Mysore où l’East India Company combattit ses dirigeants. Je savais qu’il me faudrait lutter là-bas dans ce milieu linguistique, littéraire, intellectuel et social peu familier. Le trajet entre Trivandrum et Mysore fut en lui-même une formidable odyssée de 68 heures—descendre et remonter avec tout le fatras lors de six haltes. Mais mère m’encouragea à le braver.

Ni moi ni ma femme n’avions de frère ni de sœur, mais nous avions tous les deux pas mal de parents pauvres qui attendaient depuis longtemps la chance de s’attacher à un parent ramenant tous les mois à la maison un pactole à trois chiffres. ‘’Aucun d’entre eux ne pourra aller jusque-là’’, se consola ma mère. Mais elle insista pour que j’aide une femme dépendante du côté de ma femme : sa mère. Elle aussi observait ma carrière et priait pour avoir la chance de soulager son vieux père de la tâche de garder deux filles veuves et leurs enfants sous un toit qui perçait. Nous devions prendre congé du vieux patriarche et prendre la belle-mère en route vers Mysore.

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A la jetée de Trivandrum, je louai un bateau de taille moyenne dans lequel nous pouvions nous loger tous les trois avec nos biens. Ce fut une épreuve qui dura trois nuits et deux jours, le bateau négociant canaux, eau-mortes et vastes lagons. Les deux hommes d’équipage plongeaient alternativement de longues perches en bambou dans le sol et poussaient le bateau. Néanmoins quand des étendues d’eau vastes et profondes étaient disponibles, ils déroulaient la voile et maniaient la rame comme aide supplémentaire.

Assis tout seul sur la planche transversale sous un ciel peu compréhensif, je m’imaginai à Mysore admirant les pelouses, m’adressant aux étudiants de l’école, farouchement ou insidieusement mis au ban de la société en tant que brahmane (le mouvement à l’encontre de cette caste gagna de l’ampleur dans le sud de l’Inde à cette époque) ou encore snobé parce qu’incapable de parler leur langue. Je priai pour pouvoir tracer mon sillon droit. J’en appelai aux étoiles pour qu’elles m’épargnent toute attention maléfique.

Je contemplai les deux femmes qui dormaient sur le plancher du bateau. Je savais qu’elles aussi devaient rêver de Mysore où elles devraient passer leur vie. Je me demandai : ‘’Trouveront-elles là-bas lumière, rire et douceur ? Peuvent-elles être heureuses ensemble sous le même toit ?’’

Soudain, une voix de stentor retentit dans l’obscurité épaisse et salée. C’était un homme sur la rive au bout du lagon sur lequel nous flottions—un douanier. Nous étions juste à la frontière entre l’Etat de Travancore que nous quittions et l’Etat de Cochin où nous pénétrions. Le douanier peut nous ordonner de faire halte, envoyer un canot afin de découvrir de la contrebande et même réquisitionner le bateau si nous sommes déclarés coupables. Je n’étais pas du tout certain que les hommes d’équipage n’avaient pas quelques paquets d’opium ou des feuilles de tabac dans leurs affaires, mais la voix ne nous demanda pas de nous arrêter ou de nous diriger vers le poste. ‘’Hé, là-bas ! Où allez-vous ?’’ Le timonier de notre bateau était un fier amalgame de muscles et de bravade. Il répondit, plutôt nonchalamment : ‘’A Mysore !’’

C’était certes le summum de l’impertinence. Comment le bateau pourrait-il bien aller jusque-là ? Je m’apprêtai à affronter le combat inévitable avec les gardiens de la loi que cette réponse qui manquait de tact allait provoquer. Peut-être allions- nous devoir attendre au débarcadère de la douane jusqu’à ce que la police

40 pardonne cette réaction abrutie, mais à mon grand soulagement, la voix nocturne se fit douce et suave.

‘’Pourquoi dis-tu Mysore ? Ne connais-tu pas d’endroit plus loin que Mysore ?’’, cria- t-elle en clôturant la question par un rire. C’était pour nous la permission officielle d’entrer indemnes dans l’Etat de Cochin !

Vingt-sept ans plus tard, lorsque Baba, à Bangalore, capitale de l’Etat de Mysore me demanda de ‘’venir à Puttaparthi et de voir par moi-même’’, il me vint à l’esprit que l’ ‘’endroit plus loin que Mysore’’ dont parlait la voix était Puttaparthi ! Je subodorai que c’était Bhagavan Lui-même qui parla par son intermédiaire pour m’informer que Puttaparthi, Prasanthi Nilayam, la Demeure de Paix Suprême était le port destiné à m’abriter, et en effet, Baba reconnut avec un petit rire charmant que c’était Lui qui me bénit alors gracieusement par un aperçu de ma future bonne fortune !

A partir d’Ernakulam, nous prîmes le train puis la charrette pour accéder au village de ma femme sur la rivière Purna. Nous trouvâmes la rivière en crue. Elle devait être traversée. Ses eaux tourbillonnaient et bouillonnaient sauvagement. Les bateliers de la région étaient habiles pour faire traverser les gens et nous n’avions pas le choix : nous devions remettre nos vies entre leurs mains. Nous accostâmes sains et saufs devant la maisonnette du grand-père. Nous n’avions que deux jours pour célébrer les adieux, effectuer les prosternations et verser des larmes en abondance. La belle-mère ne fut que trop contente d’accéder à la requête de ma mère. En fait, elle n’attendait que çà. Ainsi, nous étions quatre à bord lorsque nous traversâmes ce qui apparaissait pour nous comme le Rubicon.

Lorsque nous descendîmes du train à la gare de Mysore, il y avait des drapeaux, des guirlandes, des feuilles vertes fraîches et des sourires rayonnants partout où je me retournais. C’était la fête d’anniversaire du Maharajah de Mysore. Je découvris que les bagages enregistrés pour m’accompagner dans le même train n’étaient pas arrivés. Manifestement, ils n’avaient pas été transférés dans le train à aucun des endroits indiqués. Le fonctionnaire responsable était trop occupé pour prêter l’oreille à ma détresse. Il me demanda de le contacter après la semaine du festival quand le rush diminuerait.

Pour moi, c’était une catastrophe majeure. Cela impliquait l’achat immédiat de vêtements et d’ustensiles de cuisine. C’était la ruine financière. Le montant que

41 j’avais emprunté pour franchir le premier mois était presque réduit de moitié. J’allais devoir apparaître devant le directeur et peut-être même devant mes étudiants dans une tenue de voyage souillée et prendre mon service ainsi. Il y avait dans la caisse qui m’avait été si cruellement enlevée un manteau de classe, un magnifique nœud, une superbe chemise, un beau pantalon et une paire de souliers à la mode parfaitement cirés. L’impact que je comptais faire sur mon patron, sur mes collègues et sur mes élèves disparaissait en fumée.

Et où allais-je m’abriter dans la métropole bruyante et surpeuplée du Maharaja ? A Ernakulam, les gens m’avaient dit qu’il y avait beaucoup de petits hôtels à Mysore où l’on pouvait louer une chambre, mais le tongawallah dont j’avais loué les services me dit qu’ils se remplissaient rapidement. Il proposa de nous emmener de l’un à l’autre jusqu’à ce que je puisse découvrir un endroit où squatter. Je remerciai le pathos qui imprégnait mon visage pour avoir évoqué en lui le désir de rendre service. Endéans les dix minutes, son vieux cheval rachitique nous emmena dans un caravansérail où le gardien plaida l’impuissance. Après une autre petite balade, je descendis et sous ses instructions passai en dessous d’une arche pour m’enquérir au bureau d’un gîte d’étapes et là, on me héla depuis la fenêtre de la chambre située au-dessus de l’arche. ‘’Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? De Trivandrum ?’’ C’était la voix d’un ange qui descendit. Un pugiliste bien baraqué et qui me dit qu’il était étudiant à l’école où je venais enseigner. Il savait qu’un homme de Trivandrum venait lui faire passer ses examens. Il avait échoué trois fois et il était le beau-fils du propriétaire de l’immeuble décrépit que je voyais devant moi. Il me donna une petite chambre avec une minuscule cuisine sur le côté et nous nous étendîmes dans la poussière avec les fourmis pour nous reposer un peu.

Le lendemain matin, je fis ma meilleure tête. J’époussetai mon dhoti et ma chemise en les battant contre le mur, puis je me rendis avec mes vieilles sandales de cuir usées à la D.B.C.H. (Dharmaprakash Banumiah Collegiate High School). Je montai l’escalier en bois qui menait chez le directeur, honteux de mon apparence prolétaire et redoutant la réaction peu flatteuse à laquelle je devrais faire face. En moi-même, je préparai mes excuses et la poignée de main inaugurale.

Comment puis-je décrire la surprise qui m’attendait ? Le directeur se leva et s’avança pour me recevoir. Il se tint les mains jointes et dit : ‘’Vaarungo ! Vaarungo !’’ (Venez ! Venez ! en tamil). Il portait un dhoti. Un large sourire illuminait son visage sous son turban de mousseline blanche. En une minute, nous devînmes les meilleurs amis du monde. Lorsque je m’épanchai sur mon logement

42 mal tenu, il me félicita pour avoir trouvé un toit quand la cité débordait de visiteurs. Il y avait un certain Shankar Rao assis de mon côté du bureau qui écoutait l’histoire de mes pérégrinations. Lui aussi venait de rejoindre l’école comme professeur de sciences. Il m’appela sur le côté et me proposa un prêt qui suffirait à équiper la garde-robe familiale jusqu’à ce que les Chemins de Fer de Mysore délivrent la marchandise.

Ainsi, les choses devinrent relativement roses. On m’attribua l’enseignement de l’histoire pour le cours d’entrée à l’université et l’économie et l’anglais pour deux classes de l’école secondaire. Les classes n’étaient pas trop remplies et les élèves n’étaient pas trop raides ! Mais le fondateur de l’école était par trop malveillant. Il utilisait l’institution comme si elle était sa propriété. Il était commerçant en grain, prêteur et membre du conseil municipal de la ville. Il nous payait (personnellement) nos salaires dans son magasin en vérifiant chaque mois nos pièces d’identité avec une curiosité agaçante. Lorsqu’il était convaincu qu’il devait nous payer nos salaires, il le faisait avec une expression contrite.

Tous ceux qui obtenaient les cotes minimales à l’occasion de l’examen pour l’obtention du certificat de fin d’études du secondaire remplissaient à cette époque les conditions pour être nommés dans le service public, tandis que ceux qui obtenaient des cotes plus élevées pouvaient entrer au collège. Ces derniers devaient suivre une année préparatoire au collège et réussir l’examen d’entrée. C’était un tamis particulièrement sélectif. Seule une quinzaine de candidats passait sans encombre. Le reste était rejeté comme de la balle.

Enseigner me plaisait et j’aimais mes élèves. Les leçons apprises de Gopala Krishna Iyer et de Subba Iyer avaient façonné ma personnalité. Chaque jour, j’écrivais une nouvelle ‘’prière’’ qu’un étudiant lisait devant la classe avec un enthousiasme jovial. Elle était soit composée par moi soit extraite des écrits des penseurs de tous les pays. J’encourageai l’interprétation de pièces en anglais. Il y eut une pièce sur Chandrahasa où je pris le rôle du mauvais ministre qui essaie d’usurper le trône. Le vice-recteur, N.S. Subba Rao qui assista à la pièce mentionna dans son discours que j’étais ‘’mauvais ‘’ jusqu’au bout des ongles ! Je mis sur pied un parlement des étudiants et éditai un magazine scolaire. Avec mon ami Shankar Rao, je visitai les foyers de mes étudiants et tentai de stimuler l’intérêt des parents pour les vertus ‘’faibles et intermittentes’’ de leurs enfants. Je menai une étude du milieu économique des étudiants de Mysore cherchant à entrer au collège.

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Ma mère s’entendait bien avec l’autre mère dans la maison spacieuse que j’occupais. Nous avions une vue de pied en cap sur la colline de Chamundi et le temple au sommet. Ma belle-mère se retira en elle-même, laissant ma mère plutôt confuse devant son abandon de toute démonstration d’affection à l’égard de son enfant unique, ma femme. Mais ce geste généreux assurait la tranquillité domestique. Ma femme aussi était suffisamment intelligente pour se soucier plus de ma mère que de la sienne ! Plus que tout, elle gagna l’affection et même l’adoration des deux mères en devenant mère elle-même. En 1923, un petit-fils ramena le soleil dans leurs vieux cœurs, un sentiment d’accomplissement dans la vie des parents, et un sentiment de continuité entre le passé et le futur.

Les manières et les manies du fondateur de l’école me causaient un immense souci. Il insistait pour que nous fassions du démarchage électoral à son profit pour les élections du conseil municipal et pour les élections de l’assemblée représentative de l’Etat. Il utilisait le hall de l’école pour stocker des charretées de céréales ou même des oignions périmés. Il ordonnait que l’école soit fermée quand il avait besoin des classes. Il louait la grande salle aux troupes de théâtre itinérantes.

Aussi cherchai-je désespérément à m’évader dans un air plus pur. Un de mes collègues, un gandhien, professeur de logique, un élève favori du Dr S. Radhakrishnan qui enseignait alors au collège du Maharaja à Mysore me suggéra d’ouvrir un cabinet d’avocat ! Mon sens du raisonnement véhément l’avait impressionné dans la salle commune et il me dressait un avenir rose de service public et de prospérité personnelle. Son beau-père était le guru héréditaire d’une cinquantaine de villages de l’Etat de Mysore. Chaque année, le vieil homme trottait sur un poney de village en village pour marquer au fer sur la peau de tous les humains de son cheptel les symboles sacrés qui pourraient leur accorder l’accès à son paradis et il collectait la dîme à cet effet. Mon ami m’assura que le guru dont la parole faisait loi pouvait conduire ses paroissiens—adeptes de la vendetta—à m’accepter comme leur avocat infaillible dans les tribunaux. Je parcourus environ 560 km jusqu’à son village, Siddavanahalli et fus réconforté par ses assurances. Il m’accompagna à Chitradurga, le siège de ce district et me promit de me permettre d’utiliser gratuitement comme bureau le premier étage d’un bâtiment lui appartenant jusqu’à ce que je puisse gagner suffisamment d’argent pour payer cette facilité.

Il y avait cependant trois points mineurs qui m’empêchaient de plonger dans une profession que j’avais délibérément évitée jusqu’à présent. L’un était ma

44 connaissance infantile des langues que mes clients parleraient : le kannara et le télougou. J’embarrassais encore mes étudiants en les vouvoyant, et j’insultais mes collègues, le directeur et même le vénérable fondateur de l’école en les tutoyant ! Le second obstacle était que mon diplôme de droit n’était pas suffisant pour me permettre d’exercer en tant qu’avocat. Je devais passer un autre examen sur les codes civil et pénal. Je passai directement ce dernier obstacle et décrochai le diplôme. Le troisième handicap était mon ‘’ignorance de la loi’’ ! Je n’y avais goûté que comme à une pilule amère. Au Collège de Droit, nous appelions ‘’Nécessité’’ un professeur populaire car, comme chaque étudiant le sait, ‘’Nécessité ne connaît pas la loi’’ (traduction littérale de notre ‘’Nécessité fait loi’’, N.d.T.). Je devais maintenant l’apprendre sur le tas de mes clients ! Ils devaient m’apprendre comment plaider pour eux. Je posai ma candidature au Tribunal Suprême de Mysore pour m’inscrire comme avocat autorisé à plaider devant lui et ses tribunaux subalternes.

Mais Bhagavan Ramakrishna Paramahamsa me fit renoncer au dernier moment. Un matin frisquet de décembre, mon ami Shankar Rao conduisit à ma porte une personne qui avait pris le même train et la même voiture depuis Bangalore. C’était Gopala Marar. Sous son parapluie, j’avais souvent marché le matin sous la pluie battante de son palais à l’école. Nous nous arrêtions en chemin pour présenter nos hommages conjugués à notre cher directeur. Il était parti pour Madras et il avait continué ses études au Collège Chrétien. Je savais qu’il était devenu moine de l’Ordre Ramakrishna, mais jamais je n’avais rêvé le voir dans sa robe ocre avec un radieux sourire juste devant moi à Mysore, ravivant ma mémoire avec la question : ‘’Me reconnais-tu ?’’ Evidemment que je le reconnaissais, bien que je n’avais pas connaissance de son nom monastique, Siddeshwarananda. Il était à Madras au Ramakrishna Math, dit-il, quand des ordres arrivèrent de Belur Math, le siège de l’Ordre, lui demandant de prendre en charge le centre récemment ouvert de Mysore. Il était aussi inquiet de cette mission dans une ville renommée, mais étrangère que je ne l’étais à l’aube de mon voyage. Il avait appris que son copain d’enfance se portait très bien quelque part dans l’Etat de Mysore.

Il sentit que si seulement il pouvait mettre le grappin sur moi, les choses se passeraient bien. A Bangalore où il fit halte à l’ Ramakrishna pendant sept jours, il avait interrogé le maraîcher, le jardinier, le fils du voisin, les plus anciens et les plus jeunes dévots qui suivaient les cours de l’ashram à propos d’un certain Kasturi du Kerala. Mais comme j’étais rapidement devenu un Mysoréen, personne ne put lui dire où était le Kasturi du Kerala. Ayant désespérément besoin d’une

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épaule sur laquelle s’appuyer, il posa la même question à la trentaine de passagers qui se pressaient dans le wagon du chemin de fer qui l’emmenait à Mysore. Shankar Rao leva la main droite et le conduisit jusqu’à moi. Comment pouvais-je maintenant poursuivre mon plan de ‘’mourir’’ en tant qu’enseignant pour m’enferrer dans des vendettas et des tomes de droit ?

Par chance, Swami Srivasananda, le moine qui avait proposé, conçu et inauguré le Centre de la Mission de Mysore avait choisi un bungalow à dix mètres de chez moi. Seul une portion de macadam et la maison d’un dévot de Tirupathi me séparaient de mon ami monastique. Srivasananda avait également convaincu une vingtaine de personnes dans le public de l’hôtel de ville qui écoutaient son discours de campagne d’accepter de verser tous les mois une donation de dix roupies pour la maintenance du Centre. C’est ainsi que Siddeshwarananda disposait d’un Centre parfaitement équipé avec des amis, des finances et un secrétaire (moi-même, en l’occurrence). Quelques mois plus tard, la fascination du début s’estompa, le flux des donations se tarit et nous à la Mission nous nous sentions ridicules et défrisés, mais toujours allègres.

Beaucoup d’étudiants de mon école étaient issus de la classe marchande. Une enquête plus approfondie révéla que leurs pères ou leurs oncles géraient des dépôts de provisions. Aussi, avec un groupe d’étudiants qui nous accompagnaient tous les deux, nous fîmes appel à leur aide. Les propriétaires inscrivaient dans le gros registre que nous transportions le nom de l’article (riz, froment, légumineuse, huile, carburant, sel) et la quantité qu’ils pouvaient nous donner chaque mois gratuitement. La réponse fut bonne et même enthousiaste, mais cette bonne volonté s’étiola également rapidement et le Centre fut de nouveau très vite en difficulté.

L’ashram me donnait la possibilité de sortir des murs de l’école. Le premier discours que je prononçai en kannara eut lieu à l’occasion de la réunion des propriétaires terriens de Coorg dans une ville appelée Ammathi. Gopal Maharaj (Swami Siddheswarananda) parla en anglais et je poursuivis en kannara. Je lus mon discours préparé à l’aide de ciseaux et de colle à partir de livres en kannara sur Ramakrishna. Je m’enhardis également à accepter d’autres engagements lorsque ma connaissance du kannara s’améliora avec l’usage.

Le problème que nous avions était de recruter des jeunes pour servir sous la bannière de Ramakrishna. A cette époque, beaucoup étaient loyaux. Le seul

46 obstacle était leur apathie. Je proposai de commencer des cours particuliers gratuits pour la réhabilitation des blessés et des décapités de l’examen d’entrée de l’université. Il y en avait beaucoup, 85 ou 86 % de ceux qui s’exposaient au tir groupé. Je savais que Gopal Maharaj, par sa douceur innée et sa spirituelle, gagnerait les cœurs de ceux qui seraient accueillis à l’ashram pour ces cours. Nous réussîmes à obtenir les services de nombreux professeurs du collège du Maharaja et de l’école préparatoire au collège. Chaque année, plus de 80 candidats à l’examen participaient avec reconnaissance aux révisions, certains revenant comme victimes, encore et encore.

Entre-temps, je m’inscrivis comme stagiaire dans un camp de boy-scouts et à mon retour, je rassemblai une vingtaine de jeunes gens fervents parmi ces patients et les nommai ‘’Vivekananda Rovers’’. J’étais très fier quand ils collectaient des fonds pour la troupe en entreprenant la lourde tâche de blanchir à la chaux et de peindre des bungalows et de coller des affiches sur des panneaux et des murs. Un lundi ensoleillé, la chance se présenta à nous de manière tout à fait fortuite. La troupe venait de sortir de la Filature Sri Krishna Rajendra, après en avoir parcouru chaque section et après avoir appris tout ce qui se produit quand les balles de coton se transforment en fil. Nous nous relaxions sous un arbre au bord de la route en mangeant des cacahuètes, quand la sirène d’alarme retentit ! Trois heures de scoutisme héroïque s’ensuivirent. Nous reçûmes une lettre de remerciement de la part du directeur de la filature.

C’était l’époque où l’imbattable génie littéraire, T.P. Kailasam jouait dans ses pièces en kannara—désopilantes en surface, mais douloureuses dans la profondeur, ‘’Poli Kitti’’ (ou les bons à rien) par exemple. Ma troupe monta un très bon spectacle et joua cette pièce au cours d’un rassemblement de scouts à Mysore, quand le prince Jayachamaraja Wodeyar fut initié au scoutisme. Nous fîmes si bonne impression que son père, le Yuvaraja de Mysore, nous invita à la rejouer dans son palais pour que le prince puisse voir la pièce en compagnie de ses parents et de ses sœurs.

Une autre pièce qui nous apporta la renommée fut ‘’The Headmaster’s Daughter’’ écrite par moi, avec un casting entièrement masculin. Lorsque le Maharaja de Bénarès visita Mysore et que le Maharaja de Mysore organisa une garden-party sur le champ de courses, la troupe des Vivekananda Rovers fut honorée par une invitation pour présenter cette pièce devant leurs Altesses. Nous nous élevâmes dans l’esprit du public comme des gens capables d’attirer la royauté à leurs bouffonneries, aussi, nous mîmes en scène de petites parodies sociales et des

47 pièces de moralité basées sur des thèmes mythologiques et nous fîmes don des droits d’entrée à l’ashram pour nourrir les pauvres (à l’occasion de l’anniversaire de Sri Ramakrishna, par exemple) à Mysore et à Ponnampet, Coorg.

Au cours de l’un de ces spectacle à Mercara, Coorg, je dus tirer les acteurs en dehors de la scène, car j’entendis quelqu’un crier : ‘’Abattez ce tigre !’’ Le gentleman était ivre et cela le démangeait d’aller à la chasse. Le décor devant lequel se jouait la pièce manquait singulièrement d’à-propos. C’était une bagarre de rue que l’on jouait et l’arrière-plan était un tigre royal du Bengale tapi dans les hautes herbes. Comme les habitants de Coorg étaient exemptés de la limitation sur la loi des armes et comme la plupart d’entre eux étaient des tireurs d’élite, mes amis me félicitèrent pour ma présence d’esprit. Le dignitaire ivre et échaudé fut rapidement conduit en dehors de la salle et la pièce reprit, bien que la frayeur avait entamé l’enthousiasme des acteurs.

Mais ce qui monte dans la stratosphère doit retomber un jour quelque part…Ce fut le cas à Hassan où nos gains suffirent tout juste à payer une photographie de groupe des participants héroïques en costumes complets ! Il y a sur cette photo une jeune fille scoute faussement timide à l’avant-plan avec une boite impressionnante en fer-blanc sur laquelle je peignis ‘’M.T.’’ (prononcez ‘’empty’’ = vide en anglais, N.d.T.) pour marquer le triste final de notre aventure.

Les Vivekananda Rovers firent un bon usage du garage inemployé de l’ashram. Ils en creusèrent le sol jusqu’à une certaine profondeur qu’ils remplirent d’une terre rouge et meuble, puis en firent un ring de lutte de première classe. C’était l’époque où le collège du Maharaja pouvait s’enorgueillir de nombreuses graines de champions. Nous avions comme visiteur régulier un membre de la famille royale, un mécène de la lutte, pour guider les garçons dans l’apprentissage de cet art vaillant.

Gopal Maharaj était président et j’étais secrétaire bien qu’il n’eut aucun secret que je devais protéger de l’œil du public. Nous visitions les foyers et les chambres des étudiants qui passaient occasionnellement à l’ashram, qui fréquentaient les causeries données par le swami ou qui étaient inscrits pour les cours particuliers. Je souhaite rapporter l’une de ces visites, car elle eut des répercussions exceptionnelles sur nous trois. On nous raconta qu’un jeune étudiant brillant qui passait régulièrement nous lire les poèmes qui jaillissaient de sa plume était malade. Il s’appelait K.V. Puttappa. Il vivait avec son cousin au premier étage exigu d’un dépôt de céréales situé dans la bruyante et poussiéreuse Santhepet ou grand

48 bazar de la ville. Nous le trouvâmes étendu sur son lit souffrant de fièvre. Nous suspectâmes la typhoïde. Nous contactâmes le médecin résident du Krishna Rajendra Hospital et Puttappa fut hospitalisé. Lorsqu’il fut autorisé à quitter l’hôpital après un séjour d’une semaine (pendant lequel nous le visitâmes tous les jours), Gopal Maharaj insista pour qu’il effectue sa convalescence à l’ashram même. Nous découvrîmes de nombreuses colonies de punaises sur les piliers en bois et les murs de la cabane nauséabonde où il vivait. Nous le suppliâmes au nom de Ramakrishna d’abandonner ce logement pour du bon. Quand certains initiés et résidents soulevèrent des objections quant à l’intrusion d’un jeune non-initié dans le cercle sacré, Gopal Maharaj écrivit à Belur Math que Puttappa était destiné à devenir un solide pilier dans la magnifique demeure de la culture de Bharat. Il était déterminé à l’entretenir autant d’années que le jeune poète le désirerait.

Puttappa pendant ses années à l’ashram se transforma en poète au style et à la pensée sensible. Il s’emplit de la Conscience Cosmique grâce à Ramakrishna et à Vivekananda. Siddeshwarananda et moi, nous gagnâmes beaucoup de joie dans cette sadhana du . Nous apprîmes aussi de Puttappa la richesse des classiques kannaras où des bardes jaïns, shivaïtes et vishnouites louent les victoires spirituelles gagnées par eux-mêmes et par les saints de ce pays. Alors que Puttappa lisait les strophes avec entrain, nous écoutions émerveillés les humeurs variables de la Muse : tonnerre, grondement, cascade, plic-ploc, murmure et silence.

Siddeshwarananda impressionna l’élite de Mysore comme un sannyasin simple et plein de bonté. Il sut gagner le respect et l’affection des étudiants et des professeurs par sa franchise douce et directe, par son amour de la musique et par son sens de l’humour réconfortant.

Nous approchâmes tous les deux le Dr Brajendranath Seal, le vice-recteur de l’Université, et nous lui demandâmes de nous faire quelques exposés sur la Gita. Il accepta et nous en tirâmes un grand bénéfice, car c’était un géant intellectuel à la maîtrise colossale des systèmes philosophiques occidentaux et orientaux. Le swami approcha les professeurs de psychologie et de philosophie de l’Université de Mysore et des académiciens du Collège Sanscrit parrainé par le Maharaja de Mysore. Le Ramakrishna Ashram de Mysore devint rapidement un lieu où les moines et les novices de l’Ordre de Ramakrishna pouvaient résider et s’équiper pour pouvoir exposer la pensée et la culture indienne. Sri Subrahmanya Iyer, l’administrateur de l’université, était un professeur de l’école de pensée moniste initiée par Shankaracharya. Il fut accepté comme précepteur par Siddeshwarananda et par les

49 moines. En tant que secrétaire de l’ashram, j’eus le privilège de m’asseoir avec eux pendant ces cours et de bénéficier des exposés sur la logique orientale et occidentale, les Upanishads, la Gita, les écoles dualiste et non-dualiste de la pensée indienne et la psychologie. Très vite, cela devint un cours de deux ans pour les moines. Le Maharaja qui avait honoré Sri Subrahmanya Iyer comme son instructeur, dota l’ashram de fonds pour financer le cours.

En 1937, Swami Shivananda (‘’Mahapurushji’’ ou encore ‘’Tarak Maharaj’’) arriva à Mysore. Avoir la chance de voir la personne qui, bien que camarade et co-sadakh à Dakshineshwar, put gagner de Vivekananda le titre honorifique de ‘’Mahapurush’’ (le grand) fut certainement un don précieux que me fit le Paramahamsa. Assis devant lui, je me rappelai ce que j’avais lu sur lui dans le Sri Ramakrishna Leelaprasanga. ‘’Le jour de Shivarathri, en 1887, à neuf heures du matin, quand Mahendranath Gupta entra dans le Baranagore Math, il trouva Mahapurushji et Brahmananda qui dansaient ensemble en chantant un chant sur Shiva composé par Vivekananda’’. Shivaananda est ce en quoi Tarak Maharaj était plongé et Shivananda est le nom monastique qu’il adopta. Gopal Maharaj me conseilla de me faire initier à un mantra par lui pour que mes exercices spirituels qui étaient intermittents et un peu mous puissent être plus systématiques et plus fructueux. Quelques jours plus tard, alors que Mahapurushji se trouvait au Ramakrishna Ashram de Bangalore, il me transmit le mantra de Sri Ramakrishna avec ses bénédictions pour mon progrès spirituel.

Mais je découvris rapidement que la méditation et la posture du lotus n’étaient pas mon fort. En dépit d’une pratique régulière et d’une posture rigoureuse—observée plus pour avoir l’approbation de Gopal Maharaj et assurer mon statut de secrétaire de l’ashram que pour obtenir un accomplissement spirituel, je ne me sentais pas appelé à découvrir la lumière intérieure par le bout du nez. Je ne pouvais pas m’isoler de la famille et des liens sociaux. Aussi très vite, je me dispensai de la routine au grand dam de mon ami monastique et mentor. Le , vénérer Dieu en l'homme et à travers l'homme, était pour moi le chemin. Gopal Maharaj finit par accepter mon attitude comme étant authentiquement bénéfique pour moi.

Je découvris un prestigieux allié en la personne de l’administrateur de l’Université de Mysore, un enseignant infatigable de l’advaita. Lorsque Paul Brunton vint en Inde pour poursuivre sa recherche des enseignements cachés de l’Orient, le Maharaja de Mysore, lui-même un fervent chercheur de l’Absolu, envoya ce gentleman en mission là où il se trouvait (à la station de montagne de

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Kemmangundi dans les occidentaux). Paul Brunton décrit l’administrateur comme un ‘’gentleman brahmane âgé au turban blanc et à lunettes, d’expression placide et de petite taille.’’ Quand il entra dans la chambre de Brunton, il avait trois petits livres sous son bras. Ces trois livres étaient ses compagnons inséparables : la avec le commentaire de Shankaracharya, la qui comprend douze strophes avec un commentaire de plus de 200 strophes du sage Gaudapada et l’Astavakra . Le Samhita est un texte ésotérique de l’école de pensée advaitique. On raconte que Sri Ramakrishna Paramahamsa conservait une copie de ce texte sous l’oreiller de son lit à Dakshineshwar, qu’il appela Vivekananda sur le côté et qu’en lui remettant le livre, il l’invita à en étudier le contenu. Subrahmanya Iyer présenta ce texte à Brunton qui lui dévoila de nouveaux horizons d’expérience intuitive sur le Surmoi. Le Samhita n’encourage ni les , ni les mantras ni les séances de dhyana.

Les moines et les novices du Ramakrishna Ashram de Mysore apprirent de ce même vieux brahmane à lunettes l’advaita tel qu’il était exposé par lui par l’intermédiaire de ces trois livres. Beaucoup d’entre eux n’apprécièrent pas l’Astavakra Samhita, parce qu’ils n’avaient pas la témérité de partager le menu que le Paramahamsa pensait adapté aux potentialités digestives de Vivekananda ! J’écoutai moi aussi avec les moines et le reste les exposés de Subrahmanya Iyer. Ce qui me plaisait chez Astavakra, c’était qu’il décrivait dhyana comme un rituel stérile. Il déclare que l’idée même de la méditation est une confession de notre imperfection et une insulte impardonnable au Soi parfait que nous sommes. Le connaissant qui médite sur Cela qui est cherché à être connu par ce processus et la connaissance acquise par le connaissant, cette triade n’existe pas. ‘’Cela seul est.’’ Il ne peut y avoir de chercheur ni de recherche. Rien d’autre n’est nécessaire que de comprendre ce fait.

Cet avis me procura un argument contre les programmes établis d’adoration. Je ne croyais pas que Dieu ou que la Personne dont la volonté avait trouvé expression dans ce monde pouvait être approché ou apaisé par la méditation sur des saints hommes ou des gurus. Je conjecturais que nous étions tous nés et secoués par des forces que nous ne pouvions pas comprendre ou sous-estimer. La meilleure manière de réagir à ces secousses était de sourire et de serrer les dents ou d’en rire et de laisser passer l’orage en rendant nos semblables aussi heureux que possible comme seule sadhana.

Pendant ce temps-là, l’université entreprit sa refonte périodique des cours et des programmes. Le cursus 2+2+2 pré-universitaire, universitaire, universitaire

51 spécialisé avait été défiguré il y a plusieurs années en un 1+3+2 (admission à l’université, diplôme universitaire, spécialisation). Soudain, on redécouvrit la valeur du 2+2+2. Le programme pré-universitaire fut renommé programme intermédiaire et il fut dispensé dans des collèges spéciaux. Une licence de trois ans fut ajoutée avec une année d’études supplémentaire pour obtenir la maîtrise. J’avais exercé comme enseignant dans la classe d’admission à l’université dans une école secondaire préparatoire affiliée et il n’était que juste, approprié et décent que je sois repris dans les collèges intermédiaires qui tous étaient gérés par des fonds publics et administrés par l’université. Après des hésitations et des négociations prolongées et sous les tirs de barrage de professeurs d’autres écoles secondaires préparatoires qui appréhendaient d’être supplantés par mon arrivée clandestine, je fus transféré à l’Université de Mysore par Dharmaprakasha D. Banumaiah en juin 1928.

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AVENTURES ACADÉMIQUES

L’université m’engagea pour le salaire que je touchais depuis 1925, 150 roupies par mois. Ils me gardèrent au même traitement pendant dix années et plus, mais au collège intermédiaire de Mysore et plus tard au Collège des Arts du Maharaja où je fus transféré, il y avait suffisamment de compensation dans les possibilités illimitées de flâner dans la bibliothèque et de développer une compagnie constructive avec les étudiants par le biais de drames, de débats et de camps de service dans les zones rurales.

N. Kasturi, en 1930

Pendant dix-sept années complètes, je partageai la vie de collègues dont le mode de vie était aussi significatif et vif que le mien. Ils servaient diverses facultés, enseignaient l’anglais, le kannara, le télougou, le tamoul, l’hindi, le sanscrit et le persan ou encore l’histoire, la philosophie, l’économie, la sociologie et la psychologie. La ‘’salle de détente’’ du collège du Maharaja était l’arène où vingt gladiateurs luttaient, où des pugilistes cognaient, où des experts enchaînaient des prises de la manière la plus huilée, avec le style le plus raffiné. Nous nous précipitions vers les chaises accueillantes sitôt que la cloche sonnait pour nous libérer des salles de cours afin de pouvoir poursuivre la bataille là où nous l’avions laissée. Pour obtenir la victoire de nos préjugés préférés ou pour mettre hors d’état de nuire les prédilections favorites d’un collègue hardi, nous nous creusions les méninges presque toute la journée.

Mes collègues me raillaient souvent pour mon caractère bravache et belliqueux. Narayana Sastry, un ami du département de psychologie, a immortalisé ce trait

53 malheureux dans son livre en kannara sur les rêves. Il écrivait sur le censeur et comment, par crainte du censeur, les désirs refoulés réapparaissent sous d’autres aspects par les fentes du couvercle sur lequel il monte la garde. Il apparut qu’il désirait me bâillonner. Ce vilain désir fut réprimé dans le subconscient, mais il dut être désamorcé au pays des rêves au moyen d’un drame interprété par des participants déguisés. Dans le rêve, il vit la femme du grand Gandhi, dont je porte le nom, couchée et bâillonnée sur l’estrade où Sastry lisait l’allocution de bienvenue au Mahatma lui-même.

En dépit de ces quelques aberrations, nous formions un groupe joyeux et désopilant sacrifiant à toute mode vestimentaire ou de langage significative. Le 15 août 1947, nous renonçâmes aux cravates et nous refermâmes les cols de nos manteaux. Manger des oranges devint un rituel du midi, alors que les pauvres ne pouvaient en manger que quand les médecins en prescrivaient. Nous nous infligions mutuellement des amendes sous forme de tarte, chaque fois que nous employions un mot anglais quand nous parlions en kannara. Nous tentâmes d’accélérer le progrès de la langue et de la littérature kannara. Nous traduisîmes Defence of Poetry de Shelley, l’essai de Carlyle ‘’On History’’, ‘’A Free Man’s Worship’’ de Bertrand Russell et d’autres documents déterminants de la pensée anglaise. Nous présentions nos versions en kannara après le dîner sur nos lieux de pique-nique. Nous créâmes une association de professeurs d’université. J’étais l’un des deux secrétaires au même titre qu’un professeur de philosophie dynamique aux manières amènes, G. Hanumantha Rao. Nous conçûmes des plans pour des ‘’semaines de conférences d’élargissement’’, et nous sollicitâmes des invitations de sociétés littéraires opérant dans des villes éloignées. L’idée devint vite populaire et nous développâmes une vaste expérience dans la manière de communiquer à l’homme du commun l’information que nous avions et l’inspiration que nous pouvions fournir. J’enseignais l’anthropologie sociale au collège et ainsi je pouvais parler sur les coutumes du mariage, les castes, le mauvais œil, la croyance aux fantômes, les rites funéraires etc. En tant que professeur d’histoire indienne, je parlais sur Asoka, Akbar, les pèlerins chinois dans l’Inde bouddhiste, les maîtres indiens dans la Chine bouddhiste et le développement de la culture indienne en dehors de la Chine.

C’était l’époque où une portion majeure des gens qui parlaient le kannara étaient sous la férule d’administrations marathe, ourdoue, télougoue et tamoule centralisées à Bombay, Madras et et sous celle de plus d’une douzaine de dirigeants appelés nawabs, rajas et sultans. Ces potentats recevaient également des degrés variables d’indépendance de la part du Pouvoir Suprême de la Couronne

54 britannique exercé par le vice-roi à Delhi. Par exemple, le nizam d’Hyderabad fut promu de l’usuel ‘’Son Altesse’’ à ‘’Sa Très Haute Altesse’’ et puis par la suite, à un échelon encore plus élevé de l’échelle (reposant sur le mur britannique) : ‘’Allier de Sa Majesté ! Une grande partie des terres épuisées du nizam était kannara sans aucune réserve. L’élite intellectuelle de l’Etat de Mysore ne put rester à l’écart du mouvement animant les sujets de ces dirigeants pour unifier le peuple kannara, au moins au niveau social, artistique et littéraire. Nous les professeurs d’université nous entrâmes dans ce domaine risqué de la fraternisation. Je fus très heureux de partager avec d’autres l’accueil que nous, ‘’sapeurs-mineurs’’ de l’armée kannarienne, nous reçûmes au-delà des frontières de l’Etat de Mysore à l’occasion de festivals littéraires, en tant que messagers de la réunion.

Je fus aussi invité dans de nombreuses villes et villages pour parler de Ramakrishna et de Vivekananda par des groupes de dévots. Les scouts de ma troupe et les participants des cours particuliers étaient fort désireux de m’avoir dans leurs villages pendant quelques jours. Je pus aussi recruter quelques étudiants du collège pour ce que nous appelâmes la ‘’reconstruction des villages’’. En tant que secrétaire du personnel du syndicat de l’université (établi sur le modèle des syndicats d’Oxford et Cambridge avec un secrétaire étudiant élu et un secrétaire du personnel nommé par le directeur), je pouvais m’intéresser à cette tâche de manière plus qu’épisodique. Mon ami le professeur de mathématiques, T. Krishnamurthy, était un passionné des programmes d’alphabétisation pour adultes. Je pris un intérêt actif à préparer des livres de lecture de niveau primaire en kannara pour les néo- alphabétisés, après avoir moi-même donné classe dans une colonie d’artisans du bambou à Chamundipura.

Il fut découvert que les villageois adultes ne pouvaient rester attentifs ni même éveillés pendant nos cours savants ni même, malgré des conseils, franchir les labyrinthes obscurs des déductions dont les professeurs d’université raffolent. Aussi décidai-je de leur communiquer le message de l’élévation individuelle et sociale par des moyens qui leur étaient déjà familiers, à savoir la musique et le théâtre.

Avec l’aide d’un groupe de jeunes gens talentueux dont mon propre fils, je partis en tournée pendant les semaines de vacances et je présentai dans les villages des pièces en faveur de la suppression de l’intouchabilité (Nandanar et Thiruppanalwar), de l’élimination de la superstition (Mankasura Vadhe) et de la promotion de l’alphabétisation (Sambho). Comme ces pièces avaient une toile de fond épique, puranique ou hagiologique et qu’elles étaient présentées avec des chansons et des

55 danses populaires entrecoupées d’apparitions en costumes classiques, elles eurent un grand succès. C’était pour la plupart des pièces non-écrites créées à même la scène par moi et mon équipe avec des atours multicolores de sérieux et de gouaille, d’esbroufe et de poltronnerie, d’entrées et de sorties inopinées de dieux et de saints.

J’utilisai aussi la technique du Harikatha, le récit théâtral des vies et des messages des saints, des héros des épopées et des avatars copieusement assaisonné de chants et de commentaire social. Mes cordes vocales renâclent toujours à obéir aux exigences de la musique et donc, pour interpréter les chants dans les contextes adéquats, j’avais formé quelques étudiants et mon fils pour m’aider. Avec eux, j’entrais dans les villages, motivé par le désir de leur faire prendre conscience de leur inertie et de leurs insuffisances. Je proposai ce type de représentations à propos du Bouddha, de Sri Ramakrishna, de la Gita, de Thiruppanalwar, de Nandanar, de Vivekananda, de Meera et d’Akkamahadevi dans de nombreux villages. Je bravai même le public des villes de Bangalore et de Davangere. A chaque fois que je pus faire passer le message, l’équipe musicale en était principalement responsable. Revêtu du châle rouge-orange à la bordure d’or sanctionné par la coutume (emprunté à des pandits de palais), brandissant les castagnettes d’argent (présentées lors de la Journée Annuelle du Syndicat de l’Université par un dignitaire non moindre que le vice-recteur de mon université), je pouvais disserter sans provoquer de ressentiment ni essuyer de rebuffade sur les factions dans les villages, l’extravagance des dépenses pour les cérémonies, les sacrifices d’animaux pour se concilier des déités maléfiques, l’isolement et l’exploitation des castes inférieures et même l’explosion de la population, car je découvris des dizaines de références dans les mythes et les légendes anciennes et les vies des saints sur lesquelles baser mes homélies. C’était la première fois qu’un professeur d’université jouait ce rôle et jouait des castagnettes d’argent ! De nombreux collègues furent choqués de la ‘’dévaluation de la tour d’ivoire’’. D’autres regrettaient que je sois devenu un ‘’ruromaniaque’’ ! Quelques rares étaient heureux que la profession de récitation Harikatha s’était offert un invité-surprise de luxe qui était également un militant.

Sri Mirza Ismail, le dewan de Mysore avait invité à Bangalore un jeune et brillant licencié d’Oxford pour enthousiasmer les étudiants au travail d’élévation sociale par l’entremise de la création de centres sociaux dans les bas-quartiers. Un bâtiment spacieux fut construit à Bangalore pour servir de centre à ses activités. A Mysore, j’encourageai le syndicat à louer une maison juste au centre d’Adikarnatakapuram,

56 un ensemble de plus de 1500 foyers harijans. Les étudiants devaient fraterniser grâce aux classes d’alphabétisation, aux , à la lecture des informations quotidiennes à des groupes d’adultes, au volley-ball avec les jeunes et grâce aux soins réguliers des malades.

Lorsque vint l’opération de recensement en 1940, moi-même et Krishnamurthy optâmes pour Adikarnatakapuram comme champ de dénombrement. Nous avions une équipe de 12 recenseurs. L’un d’eux, un brahmane comme moi, refusa de pénétrer dans la zone puisque celle-ci était taboue pour ceux qui étaient nés avec un mantra védique sur la langue ! Je pus exorciser la peur qui étranglait sa compassion. Il m’accompagna au temple de Rama des harijans et les entendit chanter du fond du cœur des bhajans au Seigneur des Sept Collines, alors qu’à cette époque, ils n’étaient pas autorisés à fouler la marche la plus inférieure. Mon ami recenseur versa des larmes, quand il contempla leur foi dans les textes hindous qui les gardait hors limites. Quand la tâche du recensement fut terminée, j’organisai un dîner pour ceux qui avaient œuvré sous ma direction. Le brahmane avait tant appris à admirer et à plaindre les harijans qu’il accepta joyeusement de s’asseoir à la même table que ses collègues harijans. ‘’Monsieur’’, confessa-t-il, ‘’vous avez défait ce petit moi.’’

En tant qu’organisateur des activités de service du syndicat dans les villages, pendant plus de deux ans, j’emmenai tous les samedis un groupe d’étudiants, masculins et féminins, pour un camp d’une journée à Coorghalli, un village situé à 16 km à l’ouest de Mysore. Nous arrivions sur place en bus, et après avoir réuni les enfants, nous leur apprenions des jeux et leur racontions des histoires. Par deux ou par trois, nous entrions dans leurs maisons et nous conversions informellement sur les problèmes qu’ils nous soumettaient ou qui les intéressaient. Nous avions avec nous des docteurs qui examinaient, diagnostiquaient et prescrivaient des remèdes. Nous interprétions des pièces et nous lisions à voix haute des livres spirituels sur la vie des grands hommes et des femmes illustres. Depuis Coorghalli, nous conduisîmes de petits groupes d’hommes et de femmes au palais, à la ferme royale, à la station de radio et sur le campus du collège. Nous avions été accueillis comme des frères et des sœurs et bientôt nous devînmes des amis proches et des guides fidèles.

Au fil du temps, j’avais développé un sentiment oppressif d’étonnement, de stupéfaction et même d’indifférence envers les tourments et les peines que les êtres humains s’infligeaient. Où que je me tourne, j’avais en moi une oasis appelée

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Dakshineshwar. J’avais conclu que je n’étais qu’un ballon de football lancé entre les joueurs sur le terrain par ma destinée et je me félicitais de chaque shoot, car je bondissais et donnais de la joie à celui qui l’administrait. Le stade de mon imagination se levait et supportait mon endurance. Mon sens de l’humour s’aigrissait rarement, même si je détectais de la mesquinerie, de la pusillanimité, de la grandiloquence et de la ruse là où d’autres percevaient de la générosité, du courage, de la sincérité et de la franchise.

La revue du syndicat de l’université imprima quelques-unes de mes piques et traits d’esprit, parodies et calembours écrits en kannara. Un jeune aventureux de Mandya risqua son argent et sa réputation et en publia une anthologie appelée Yadwa- thadwa. L’image de la couverture, un train qui a déraillé mais qui continue quand même d’avancer en crachant de la fumée, révèle la nature du train de pensées sur lequel le contenu était basé. Crever des bulles, faire des crocs-en-jambe, glisser des peaux de banane sous les pieds, transformer des montagnes en taupinières, brandir un miroir sous un nez, révéler des pieds d’argile, raser des châteaux en Espagne était mon violon d’Ingres.

Mes livres en kannara, Allola Kallola-Upayavedanta, Anaku Minuku étaient saupoudrés de tels éclats. Les romans, Galigopura, Sankha Vadya, Grihadaranyaka et Ranganayaki, le récit biographique d’un salarié, Chengooli Cheluva, une étude intime sur un simple employé, Chakradrshti, ont tous un courant sous-jacent de douleur et de compassion, chaque paragraphe soulevant le dilemme ‘’Devrions- nous rire ou devons-nous pleurer’’ face à l’absurdité, l’obscurité, l’incongruité, le chimérisme, la pomposité ou l’obscénité ? Le livre Anarthakosa, un ‘’fictionnaire’’, était une expérience originale dans la fabrication, non seulement de sens nouveaux pour des mots anciens, mais aussi dans la fabrication de mots nouveaux pour un usage actuel et la refonte d’anciens proverbes pour un usage contemporain. Je préservai mon prestige universitaire en publiant une monographie en kannara sur le grand empereur Ashoka et un livre d’anthropologie sociale, aussi en kannara, sur le mariage. Je publiai des articles de fond en anglais sur le ‘’Kerala dans le ’’ et les ‘’derniers rajas de Coorg’’.

Mon fils aîné, Narayana Murthy, avait son cours de géologie au Central College de Bangalore. Il logeait au foyer des étudiants du collège. En tant que visiteur du foyer, le Dr M. Shivaram connaissait mon fils. Le docteur est un étudiant assidu des sciences mentales, spécialement de l’exploration de la psyché faite par les sages et les voyants indiens. Il était connu comme un maître à l’esprit brillant et à la sagesse

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éclatante. C’était un ami proche du cyclonique Kailasam, qui devint subitement célèbre grâce à son humour tapageur, ses sketchs satiriques chirurgicaux et son analyse diagnostique des épisodes puraniques.

De manière audacieuse, le Dr Shivaram lança un mensuel humoristique qu’il nomma ‘’Koravanji’’, l’équivalent kannara de la femme de Punch, Judy. Koravanji est la diseuse de bonne aventure de l’Inde rurale. Avant de se lancer dans cette périlleuse aventure, il demanda à mon fils de me consulter et d’obtenir ma coopération car, comme il me l’écrivit plus tard, ‘’Votre sens de l’humour est le juste milieu : il peut toucher sans blesser’’.

Joyeusement, je me joignis à lui ! Je répandis mon exubérance sur la moitié des pages de Koravanji tous les mois pendant plus de dix ans. Je m’appelais ‘’Rudramma’’, si le sketch penchait vers l’orthodoxie et ‘’Srimathi Kesari’’, s’il s’en écartait. Je me donnais des pseudos pour les nombreux types de saillies et brouets littéraires auxquels je me risquais : Patali, Naka, Taraka. Le Dr Shivaram et moi avancions à l’unisson comme deux mains droites pour le même corps et nous eûmes la chance de découvrir et de faire connaître quelques étudiants, comme R.K. Lakshman et Nadig, qui avaient le don d’esquisser de délicieux dessins humoristiques.

Quand je lus dans les pages de ‘’The Hindu’’ que Shankar, le Low indien, une âme sœur avec une perversion identique, lançait un hebdomadaire portant son nom et dont le premier numéro devait être inauguré flamboyeusement et en fanfare par Jawaharlal Nehru, je lui écrivis une lettre, m’enquérant s’il se proposait d’avoir une chronique du genre ‘’Charivaria’’ dans ‘’Punch’’ et j’offris de lui envoyer un paquet de boules poivrées pour cette rubrique, chaque semaine ! C’était là une audacieuse démonstration d’orgueil, je l’admets.

Shankar répondit que la rubrique ‘’Charivaria’’ était tenue par un éminent comité de rédaction. De plus, dit-il, les nuances de la langue anglaise dépassaient la compréhension de la majorité des lecteurs de son hebdomadaire, c’est pourquoi il n’y avait pas songé. Je répondis que je fabriquais ces piques pour ma rubrique ‘’Urigaalu’’ dans le Koravanji, en kannara. J’ajoutai quelques échantillons. La lettre parvint à temps pour le deuxième numéro et après quelques jours, le facteur m’apporta l’hebdomadaire incluant les espiègleries de ma matière grise excentrique, l’une en-dessous de l’autre, sous le titre ‘’Simple babillage’’. Par après, pendant plus

59 de sept longues années, je babillai sur le bas de la page trois, juste en dessous du dessin humoristique de la semaine du redoutable Shankar lui-même.

Entouré de ses rats blancs, le Dr M.V. Gopalaswamy m’épiait depuis son laboratoire du département de psychologie du Collège du Maharaja. Il était là, lorsque le directeur, J.C. Rollo, me loua durant son allocation de la Journée du Collège, comme le chameau du collège, puisque je portais de nombreuses charges sans la moindre protestation et avec un évident plaisir, n’en demandant que d’autres. Il décida de placer un autre paquet sur mon dos. De retour de Hollande après un congrès de psychologie, il avait ramené à Mysore un mini émetteur Phillips. Encouragé par une petite subvention annuelle du Fonds du Conseil Municipal, il désirait l'employer pour diffuser des programmes éducatifs à destination de l’homme du commun en raison d’une heure par jour. Il trouva en moi l’homme qu’il fallait. J’aimais établir des programmes et mettre à contribution des orateurs et des artistes. Il ne pouvait leur offrir qu’un dédommagement dérisoire et les traditionnels noix de coco et bétel. Après quelques années de travail sérieux, il put obtenir la permission d’utiliser la transmission en ondes courtes pour de plus longues périodes et disposer de plus de fonds. La zone d’écoute de la station devint plus étendue et le programme plus varié. Un jour, Gopalaswamy arriva dans la salle commune où se réunissent tous les cerveaux du collège. Il nous fit part de son mal de tête en nous priant de trouver un remède. Il voulait un mot indien pour sa station de radio. Mon choix devint le sien, Akashvani, et il est resté.3

Il fut capable de me persuader de le rejoindre comme directeur-adjoint à plein temps à la station même. C’étaient des années de guerre et l’ennemi était presque à nos portes en Malaisie, où il pouvait nous écouter. Chaque terme devait être pesé et approuvé, spécialement ceux des nouvelles. Vous dirai-je comment je préparais les bulletins d’information ? J’avais à la maison un vieux Zenith à la retraite. Mon oreille collée dessus, j’écoutais les nouvelles de Delhi. Je sélectionnais les articles que j’estimais acceptables pour mes auditeurs kannara, je les traduisais, puis je les envoyais manuscrits à la station avec le présentateur, un étudiant nommé H.K. Ranganath qui pédalait à toute vitesse jusqu’à la station, à trois kilomètres de là ! C’était pour moi chaque jour une épreuve du feu, mais nous persévérâmes en bravant toutes les critiques. Un jour, nous découvrîmes trop tard que nous n’aurions pas dû inclure dans le bulletin d’information cette nouvelle : ‘’Le général Wavell a visité les jardins de Brindavan en aval du barrage de la rivière Cauvery !’’ Un autre jour, je fus réprimandé pour avoir permis à un présentateur de prononcer

3 All India Radio a été officiellement nommée Akashvani en 1956

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‘’srothrugalu’’ (auditeurs) sans audition préalable car, de la manière dont il le prononçait, le mot pouvait être compris comme ‘’sathrugalu’’ (ennemis) par certains gentlemen aux longues oreilles !

Le 9 août 1942, j’écoutais comme d’habitude le bulletin d’information du matin. Je le traduisis et j’envoyai mon homme à bicyclette. L’arrestation du Mahatma et de quelques autres fut diffusée par notre station. J’étais chez moi et j’écoutais les murdabads le long de la route de foules excitées conduites par M.V. Krishnappa, mon étudiant au collège, quand la panique s’empara de moi. ‘’Avais-je bien entendu mon Zenith ?’’ Je m’assis lourdement. Je ne pouvais prononcer un mot ni rien voir. Juste à ce moment-là arrivèrent des nouvelles en marathi. Mon petit garçon me secoua en disant : ‘’Ecoute.’’ Cela confirmait la nouvelle. Je récupérai du choc.

A part de tels moments de terrible tension qui étaient exclusivement les miens, nous formions une joyeuse bande à la radio et nous expérimentions tout le temps de nouvelles ou de meilleures méthodes de communication. Le directeur, le Dr Gopalaswamy, s’intéressait personnellement (souvent trop personnellement) aux programmes. Il prenait dans un bon esprit mes suggestions et mes corrections. Souvent, il était inquiet que nous ne piétinions les plates-bandes des ‘’grosses légumes’’. Une fois, nous diffusions le conte de fée Cendrillon pour les enfants et il craignit que nous n’ayons heurté les sentiments d’un aristocrate hypersensible qui avait trois filles, la troisième se trouvant plus ou moins dans la situation difficile de Cendrillon. Une autre fois, il voulut que j’annule un récital de musique annoncé à grand renfort de publicité et bien préparé, programmé en neuf parties durant les neuf matinées de la fête de Dasara. Quatre jours s’étaient passés et nous avions reçu de grands éloges. Le cinquième jour, le chant portait sur un autre nom sacré de la Déesse Mère vénérée pendant Dasara. Il craignit qu’une certaine VIP ne supporte mal l’utilisation de ce nom, puisque c’était celui de sa femme. Il voulut que j’annule la diffusion des quatre journées restantes. Je décidai de risquer de lui désobéir. C’est ainsi que le directeur exigea qu’un de mes collègues du Collège du Maharaja soit désigné à ma place comme directeur-adjoint. Je retournai à l’université. Encore sous le choc et malgré une vague de sympathie des auditeurs, je fus expédié dans un collège intermédiaire à plus de 350 km au milieu d’une région montagneuse infestée par la malaria où les fonctionnaires recevaient chaque mois un supplément de traitement pour acheter des paquets de quinine au bureau de poste. Ce ‘’ballon de football’’ retomba dans la gadoue loin du terrain, mais il reprit rapidement part au jeu.

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Je ne pouvais que rebondir à Shimoga, la ville où je fus envoyé. Pendant les deux années de ma présence là-bas où je pansai la blessure que j’avais attirée sur moi, j’expérimentai trois idées pour intensifier l’amour des gens de la région pour leur pays et leur langue. Les organismes culturels et littéraires des régions basses de l’Etat de Mysore célèbrent chaque année avec enthousiasme la Fëte du Printemps. Je sentis que le déferlement de la mousson et le déluge de pluie pendant des jours d’affilée sous les applaudissements tonitruants des cieux et la clameur bruyante de la terre devaient être célébrés avec une joie égale. Les rivières Cauvery et Tungabadhra se remplissent des pluies de la mousson et apportent fertilité et festivité aux plaines jusqu’à la mer. Les régions montagneuses sont recouvertes d’un épais tapis vert. Les forêts sont rafraîchies par d’abondantes averses bienfaisantes ! Toutes les maisons sont heureuses autour de l’âtre. Avec le jeune poète Parameshwara Bhat et le président de la Shimoga Karnataka Sangha, Vishnu Bhat et moi-même (que l’on surnommait Bhat), nous, la trinité, nous célébrâmes le Varshagama Mahotsava, la Fête de la Pluie. L’idée prit et le calendrier des fêtes de l’Etat reçut une nouvelle croix de la Karnataka Sangha de Shimoga. Un autre événement nouveau fut proposé et accepté : le concours d’improvisation pour groupes de théâtre amateur. Trois heures de délai étaient accordées pour préparer et monter une pièce de trois quarts d’heure en kannara sur n’importe lequel de cinq thèmes et situations données. Puisque faisant partie du projet du collège de développement rural, je connaissais déjà bien ce type d’expression. Il n’est pas nécessaire de mentionner que mon équipe remporta le premier prix plus d’une fois. Cette idée est depuis lors devenue populaire.

Comme autre expérience, il y eut le ‘’Festival des Farceurs’’, le jour de Deepavali. ‘’Haasya Chataaki’’, je l’appelai, en lieu et place du traditionnel son et lumière coûteux et risqué. La Sangha fut persuadée de mettre à contribution un assortiment de personnes corpulentes et enjouées—un officier de police, un professeur, un médecin, un avocat, un commerçant, un percepteur des contributions et un fermier et de leur donner dix minutes à chacun pour plaisanter à qui mieux mieux dans les limites de la décence. Ce fut une Deepavali désopilante et beaucoup rentrèrent chez eux en se tenant les côtes ! Ce programme fut tellement contagieux qu’il affecta même la très posée et très pondérée Académie Littéraire Kannarienne de la métropole, Bangalore.

En 1946, je fus transféré au collège intermédiaire de Bangalore. Je devais aussi donner le cours d’histoire constitutionnelle et sociale de la Grande-Bretagne aux étudiants du Central College qui préparaient le diplôme de littérature anglaise. Mon

62 fils aîné avait terminé ses cours à l’Institut Indien des Sciences, en tant que chercheur, alors que le cadet, Venkatadri s’était inscrit au Collège d’Ingénierie de Bangalore. Je vendis ma maison à Mysore et me mis en quête d'une nouvelle maison, loin du vacarme et des divertissements de la ville, mais suffisamment proche que pour pouvoir remplir mes obligations envers les collèges, Koravanji et l’hebdomadaire de Shankar.

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DÉSASTRE ET DÉLIVRANCE

C’était des jours intenses où l’Inde relâchait ses muscles pour le dernier round de son combat qui la libérerait de l’Empire britannique. Le 15 août à minuit, lorsque la lutte se termina par la victoire et que l’indépendance de l’Inde fut proclamée, mon fils aîné se trouvait à Glasgow pour des études supérieures de géologie et mon deuxième fils était alité, frappé par la fièvre typhoïde. Il écoutait la cérémonie à la radio. Le lendemain, alors qu’il écoutait le discours du Fort Rouge de Jawaharlal Nehru, il dut être transporté à l’hôpital en ambulance par des routes rugissantes de ‘’jai’’ et sous des arches triomphales d’or et de vert. C’était un garçon vif de dix-huit ans, un prodigieux lecteur, un membre actif du Corps National des Cadets, un bon tireur, un dessinateur talentueux et la prunelle des yeux de chacun à la maison, au gymnase, à la bibliothèque et à l’atelier de son collège. Mais la clinique ne put l’aider à contenir les hordes virulentes. Mon très cher ami, le Dr Shivaram de Koravaniji était son docteur. La petite flamme tremblotante finit par se rendre face aux assauts de la tempête. Il ne vécut que neuf jours dans l’Inde libre qu’il aurait pu servir longtemps.

Nous étions condamnés à poursuivre des vies boiteuses avec un vide béant comme compagnon. Ma femme et ma mère se montrèrent inconsolables. J’avançais sans enthousiasme dans la morosité. J’avais à peine récupéré du coup de couteau qui m’avait envoyé saignant à Shimoga que ce nouveau coup me brisa le cœur. Et dans ce cœur brisé, le Divin Guérisseur entra ! Swami Sambhavananda de la Mission Ramakrishna de Mysore me réconforta en disant : ‘’Vous serez sauvé par ce même Dieu qui vous a infligé cette blessure’’.

Une semaine plus tard, Gopi, un camarade d’école, un copain du fils que j’avais perdu vint me trouver. Il avait appris la nouvelle de sa sœur. Il me dit qu’il avait interrompu son voyage en un lieu appelé Dharmavaram pour rendre hommage à un Sathya Sai Baba qu’il vénérait. Il n’osa pas éviter le maître divin et continuer directement son voyage. Il lui parla de la mort de son ami. Baba lui avait remis quelques paquets de vibhuti pour les parents de son ami décédé. Il les plaça dans mes mains en me disant que ce Baba nous donnerait la sagesse pour supporter le chagrin et le courage pour reprendre nos devoirs normaux et nos responsabilités. Ce Baba était un jeune homme de 21 ans. Il parlait le kannara et le télougou, sa langue maternelle. Il était, selon Gopi, la Divinité même.

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Je réagis brutalement : ‘’Mon Dieu nous a abandonnés, comme tu peux le voir ; qu’est-ce que ton Dieu peut faire pour nous sauver ?’’ Je n’étais pas d’humeur à appliquer la cendre qu’il m’avait apportée sur mon front ou sur ma langue, mais je n’eus pas non plus l’audace de jeter les paquets au loin. Gopi me dit que ce Sai Baba était l’incarnation du Sai Baba qui vécut et qui enseigna à Shirdi près de Nasik dans la région du . Comment de la cendre pourrait-elle jamais consoler un père qui mit le feu au corps de son fils et qui ne put éteindre avec des larmes le feu qui brûlait à l’intérieur de lui-même ? (Les paquets furent envoyés chez un voisin qui avait Sai Baba de Shirdi dans son sanctuaire).

Très vite, un vieux parent vint m’assurer que la cendre pouvait être efficace parce que c’était un don de la grâce de Sathya Sai Baba. C’était un inspecteur sanitaire à la retraite, mais je suspectais qu’il était devenu un peu gaga. Son plaidoyer était manifestement fanatique. Son fils, un entomologiste avait obtenu une bourse de l’UNESCO pour étudier une maladie qui dévastait les cocotiers et il avait quitté Delhi pour l’Extrême-Orient. C’est ainsi que le vieil homme était venu à Bangalore habiter chez sa fille. Son beau-fils était comptable à la Hindustan Aircraft Limited fondée par Walchand Hirachand. Il avait découvert Baba à Delhi même. Il avait rencontré beaucoup de ses dévots là-bas et plus tard il était venu à Puttaparthi plus d’une douzaine de fois ! Il était devenu un ‘’intime’’ de Baba et celui-ci l’avait surnommé ‘’Potti’’, le nain. Il était en effet fier et heureux d’avoir été élevé au rang de curiosité physiologique en la Divine Présence. La femme de mon fils était la fille de son cousin. C’est ainsi qu’il pouvait entrer librement chez moi et que mes oreilles absorbèrent, bon gré mal gré, ses récits et ses descriptions, bien que ceux-ci n’éveillaient en nous que de la pitié pour son énorme crédulité.

Mon guru, Mahapurushji, et tous les autres moines de l’Ordre établi par Vivekananda mettent en garde contre les gens qui accomplissent des miracles, sans tenir compte du dommage spirituel causé par ces démonstrations déviantes à eux- mêmes ainsi qu’aux autres. Un trait d’humour impertinent me révéla que le nom même assumé par Baba était inapproprié, pour le moins. Je dis au vieil homme que ‘’Saayee’’ transmettait une malédiction dans la région kannara : l’imprécation ‘’Va-t- en et meurt.’’ J’avais un ami avocat, Dikshit, de Mysore qui mourut moins d’une semaine après son retour du Saayee de Shirdi. Aussi, bien que le vieil homme avait tout le loisir de pouvoir continuer à raconter ses histoires, je devais être autorisé, lui dis-je, à pouvoir m’accrocher à mes préjugés.

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Mais Potti Iyer avait un petit-fils, le seul enfant de sa fille, un diplômé en sciences, qui excellait dans l’art de la conversation et il fut en vérité un partisan plus convaincant et plus consistant de la divinité du jeune Baba. Nous avions ici un jeune homme, arguai-je, un diplômé du Collège St-Joseph de Bangalore, qui adorait une personne de son âge comme un miracle vivant. Le petit-fils me convainquit d’accomplir un miracle, en acceptant d’aller jeter un regard au Baba par lequel il était fasciné.

Ainsi, moi-même, ma femme, ma fille et ma mère nous accompagnâmes le groupe de Potti Iyer jusqu’au bungalow de l’hôte de Baba sur Bull Temple Road. Le salon était bondé. Baba fut découvert assis dans un fauteuil, la tête entre les mains. Seule était visible une immense touffe de cheveux ondulés. Il était douteux qu’il nous ait remarqués, nous ou qui que ce soit d’autre. Je ne fus pas impressionné, mais sur la route, je dis à ma femme : ‘’Ces personnes considèrent ce Sai silencieux comme leur maître. S’il dit un mot, ils accepteront de recevoir Padma chez eux.’’

Padma était ma fille. A plus d’une reprise, j’avais suggéré à Potti Iyer qu’elle épouse son petit-fils. Mon cœur était décidé, spécialement depuis les quelques leçons qu’il prit auprès de moi sur la constitution britannique pour l’examen I.C.S. auquel il avait l’intention de s’attaquer. Mais ses parents n’accueillirent pas favorablement l’idée ; ils avaient d’autres plans. Ils redoutaient que mon compte en banque ne soit pas assez épais pour payer la dot que leur fils pouvait gagner. En vérité, de sa propre initiative, le père s’était amicalement proposé pour me trouver un beau-fils ! Je pris cette promesse comme un baume réconfortant. Aussi, quand je fus le témoin de leur étonnante loyauté à l’égard de cette boule de cheveux frisés, il m’échappa des lèvres que si par un moyen ou l’autre, il pouvait être convaincu de dire un mot, le mariage pourrait avoir lieu. Ce fut juste une faible lueur dans ma psyché, un léger murmure porté par le vent.

Je tenais à en savoir plus à propos de ce Baba comme d’un fait historique intéressant. J’étais allé voir et j’avais séjourné trois jours entiers auprès de lui. Gopal Maharaj m’avait dit que si je pouvais arriver à ce que quelqu’un lise devant lui les propres poèmes du Maharshi sur Arunachala ou sur le Soi, je serais récompensé par une vision de sa parahamséité, le calme serein de ‘’la mère- oiseau seule dans son nid couvant tranquillement ses œufs’’, comme il dit. Je découvris que mon ami avait vu juste. J’avais visité l’ashram de Siddharoodha Swami à Hubli et j’y avais respiré des vibrations de shanti. Mais l’immense couronne de cheveux noirs épais, la ‘’création de vibhuti’’, les ‘’paroles

66 prophétiques’’, les ‘’plongées dans le passé et dans l’avenir’’, cela suscitait en moi crainte et doute, bien qu’avec une touche d’espoir, d’appréciation, d’admiration et d’amour. Bien que je me mis moi-même en garde contre le fait de me laisser déstabiliser par l’adulation exagérée accordée à ce Baba par mes parents, je n’osai pas dénier, décrier ou défier. Je m’accrochai à mon premier amour avec des mains tremblantes et une foi faiblissante. Gopal Maharaj qui aurait pu être mon soutien à l’heure de la mort était quelque part près de Toulouse où il enseignait le courage à la France frappée par la guerre et où il s’exposait à la vengeance de Rommel.

Quelques semaines plus tard, Parameswara Iyer, le père du jeune marié potentiel sur lequel j’avais fixé mon dévolu, dénicha un jeune homme pour lequel je craquerais, il en était certain. Mettant en lumière ses accomplissements et ses capacités, il affirma que l’étoile sous laquelle il était né indiquait une carrière d’ingénieur d’un niveau exceptionnel. Je menai une étude préliminaire à propos de ses qualifications et de son milieu familial. Son père me reçut et me confia qu’il serait heureux d’obtenir ma fille comme belle-fille. Nous leur rendîmes une visite formelle chez eux à Bangalore. Ma femme inspecta la cuisine où sa fille aurait à s’activer plusieurs heures par jour, si le mariage avait lieu. Elle la trouva claire et spacieuse, bien éclairée et propre. Je me lançai dans une conversation d’investigation avec le jeune marié potentiel. Je le trouvai enjoué, intelligent et plein de charme. J’appris qu’il avait été initié à la culture physique par un disciple de la deuxième génération d’Eugene Sandow. Je pus juger de la substantialité de ses biceps et de ses muscles pectoraux à travers la mince chemise qu’il portait. Nous prîmes congé après avoir invité chez nous le futur jeune marié et ses parents. A la maison, nous trouvâmes notre fille en larmes. Son cœur s’était engagé pour le petit-fils de Potti Iyer.

Parameswara Iyer recommanda le jeudi comme favorable à la rencontre cérémonielle du couple. Il ajouta que le Baba avait déclaré, alors qu’il était encore adolescent, qu’il était le plus gracieux ce jour de la semaine. Nous balayâmes par terre, époussetâmes les meubles et suspendîmes des rideaux. Nous achetâmes des sucreries et du raisin, sortîmes la belle argenterie et nous préparâmes à accueillir le groupe. De peur qu’ils n’oublient, je me précipitai chez Iyer et frappai à sa porte vers dix heures du matin, car il avait promis d’accompagner le groupe et de veiller à leur acceptation de la proposition de mariage.

Il lui fallut du temps pour ouvrir la porte. Son fils était déjà parti travailler. Il était comptable au Bureau d’Etudes Topographiques de l’Inde. Je pouvais entendre les

67 chuchotements irrités et vifs auxquels se livraient mari et femme de l’autre côté de la porte. Je me demandai ce que tout cela signifiait. Soudain, la porte s’ouvrit avec un chut ! péremptoire que l’homme lança à sa femme.

Il semble que Parameswara Iyer ait eu un rêve (!) dans la nuit de mercredi. Sathya Sai Baba y apparut (le mental vous joue de ces tours quand l’intelligence du propriétaire est absente). Et il demandait au fidèle de le rencontrer le lendemain matin. En fait, Iyer était en train de raconter à sa femme ce qui s’était produit au cours de l’entretien. ‘’J’ai voulu que tu viennes pour te réprimander’’, ‘’c’est ce que Swami a dit dès que j’eus touché ses pieds’’, dit Iyer. Tout cela était très déroutant pour ma logique. Le rêve, l’ordre, la confirmation ! Un comptable âgé de plus de cinquante ans répondant à une invitation hallucinatoire et fier d’être réprimandé par un Baba à peine sorti de l’adolescence. C’était pour le moins pathétique.

‘’Oui, Baba apparaît dans les rêves, de son propre chef. Nous qui le connaissons, nous écoutons attentivement ses paroles prononcées à ce niveau de conscience, nous chérissons les directives, les conseils et les avertissements qu’il nous transmet et nous agissons comme il se doit dès notre réveil. J’ai envoyé une note à mon patron lui demandant la permission de m’absenter pour me hâter en sa présence’’, dit-il. ‘’Quelle était la réprimande ?’’, fis-je plutôt impatiemment car je voulais rentrer chez moi pour superviser le programme de la réception des invités. ‘’Il m’a réprimandé très sévèrement pour avoir entrepris de te trouver un beau-fils’’, lâcha- t-il. ‘’Je regrette que l’on te reproche de m’avoir aidé. Tu ne l’as fait que par compassion.’’ ‘’Non, non. Ecoute-moi complètement. Il était vraiment fâché sur moi. Je n’aurais pas dû refuser ta proposition que mon fils épouse ta fille et me mettre en quête d’autres alternatives.’’ ‘’A-t-il prononcé mon nom ?’’, demandai-je. ‘’Oui. Ton nom et celui de ta fille ! Il m’a demandé pourquoi je n’avais pas montré d’enthousiasme quand tu l’as suggéré il y a quelques mois’’, continua-t-il. ‘’Mais il y a ces autres gens qui viennent chez moi ce soir’’, intervins-je. ‘’ Il a dit que c’était la raison pour laquelle il avait conçu le rêve et qu’il voulait me voir ce matin. Il voulait que je te demande pardon et que je te dise que ta fille épousera mon fils’’, conclut Iyer.

Je ne pouvais en croire mes oreilles ! Ce Baba vaut la peine d’être fréquenté, pensai-je. Cependant, Iyer trouva une difficulté : comment se libérer de son engagement envers la personne qu’il avait découverte pour moi, spécialement depuis qu’elle l’avait informé du rendez-vous de ce soir même. Je lui assurai que je pouvais prendre le blâme sur ma propre tête. ‘’Je m’en occupe’’, dis-je. Je me

68 précipitai à la maison pour annoncer la bonne nouvelle ‘’tombée du ciel’’ à ma fille, à ma mère et à ma femme. J’envoyai mon voisin, un de mes anciens étudiants, porter une note au père du jeune homme éconduit qui disait : ‘’J’ai reçu une lettre de mon fils de Calcutta, qui m’oblige à retarder la célébration du mariage de ma fille d’une année supplémentaire. Par conséquent, je suis au regret de vous informer que la visite proposée est annulée.’’ J’élaborai une fine excuse.

Iyer proposa de m’emmener voir Baba. Il se trouvait à Bangalore, dans le bungalow du directeur commercial de la Société des Chemins de Fer d’Inde du Sud, sur Richmond Road. Nous arrivâmes le vendredi, tôt dans la matinée. Mon cœur battait la chamade, car j’étais sûr que Baba m’accorderait une minute ou deux pour pouvoir le remercier d’avoir intercédé spontanément en ma faveur. Mais l’émerveillement grandit. Je voulais savoir s’il reconnaîtrait le Kasturi qu’il prétendait bien connaître, aussi m’installai-je parmi quelques étudiants de l’Institut Indien des Sciences, à une quinzaine de mètres de l’endroit où je fis asseoir Iyer. Baba se trouvait dans une autre pièce où l’on chantait des bhajans. J’avais déjà participé à des séances de bhajans dans les de Ramakrishna, bien que je n’aie pas l’oreille musicale ni le goût de l’exaltation. Vous pouvez m’étiqueter comme uniquement accro à l’activité, au service. Nous entendîmes la cloche de l’arati qui annonçait la fin des bhajans. Mes voisins m’avertirent que Baba emprunterait la rangée des fidèles assis, avec la flamme de camphre sur un plateau d’argent. Chacun pourra alors ‘’se réchauffer’’ les mains ! Il s’arrêtera devant chaque personne. En passant, il pourra dire ‘’Allez dans le hall’’ à quelques-uns ; ensuite, il accorde des entretiens à ceux qu’il a ainsi choisis. Ma température monta alors qu’il s’approchait. Allait-il me dire quelque chose ou non ? Oh ! Ces tendres petits pieds ! Et cette étincelle dans les yeux ! Il sourit…le sourire de la reconnaissance, de la bienvenue ! Il me parle ! ‘’Allez-y !’’ dit-il en tamil.

Nous étions environ six personnes dans le hall. Il nous appela un par un dans une autre pièce. J’étais le quatrième. Il referma la porte lui-même et nous fûmes ensemble. Il me donna une tape affectueuse, comme si j’étais un ami qu’il n’avait pas vu depuis longtemps ! Avant que je n’aie pu trouver les mots que j’avais l’intention de dire, il me demanda : ‘’Etes-vous heureux que j’aie arrangé l’histoire avec ce garçon ? Vous vouliez que j’intercède auprès de Potti Iyer pour qu’ils marquent leur accord. Vous avez perdu un fils…Pauvre homme ! Ce garçon sera un beau-fils et un fils pour vous. Ne vous inquiétez pas. Je sais que vous n’avez pas le statut universitaire que vous méritez. Cela aussi, vous l’obtiendrez très vite. Votre vieille mère sera heureuse maintenant…’’ ‘’Je vous suis reconnaissant, Swami ! Ils

69 refusaient et ils me menaient en bateau’’, dis-je. ‘’Je sais’’, répondit-il. ‘’Swami ! Puisqu’ils vous sont si fidèles, je serais heureux que vous me permettiez d’avoir le mariage célébré en votre présence à Puttaparthi’’, plaidai-je. ‘’Bien ! C’est d’accord. Seulement, je veux que vous et votre femme—qui connaît mieux les besoins— veniez à Puttaparthi et voyiez l’endroit. C’est un petit village. Vos amis pourront trouver difficile de voyager jusque-là. Vous pourrez avoir une réception en ville, après le mariage’’, suggéra-t-il.

Il posa sa main sur mon épaule. Il me faisait face. Je pouvais voir mon reflet dans ses yeux. ‘’Célébrez le mariage à Puttaparthi. Dites-moi tout ce dont vous avez besoin. Et… après votre retraite de l’université, restez avec moi. Vous pourrez écrire ma Jiva Charithra, ma biographie’’, dit-il. ‘’Moi ?’’, m’exclamai-je. ‘’Oui, je vous dirai qui consulter pour les détails—les parents, les frères, la famille, les voisins, les professeurs, etc. Je vous aiderai aussi.’’

Nous étions en juillet 1948 ! J’étais abasourdi. Etait-ce là une réprimande, une pique pour l’avoir décrié, une clarification, une blague sur ma vanité d’écrivain, un avertissement comme quoi je ne devais pas seulement babiller dans des hebdomadaires, un appel pour saisir ma destinée ?… Il me poussa gentiment en dehors du hall pour recevoir la personne suivante. Le pensait-il vraiment ? Moi, écrire un livre sur lui ?

Le cas d’Arnold Schulman, vingt ans plus tard est, si pas tout à fait identique, du moins largement similaire. Il était très satisfait et même fier de pouvoir rejeter ‘’les fanatiques religieux de Bénarès et la relation maître-disciple hindoue comme, au mieux, la dépendance sentimentale de névrosés ou au pire, l’exploitation systématique de psychopathes compulsifs.’’ Il avait vu Sathya Sai Baba à Whitefield.

Bhagavan décida donc qu’il revienne Le voir afin de lui enlever ses œillères. A New-York, Schulman développa la compulsion irrésistible d’écrire un livre sur Sathya Sai Baba qu’il ne pouvait nier, supprimer ou rationaliser. Son éditeur accepta le livre avant même que le premier mot n’eut été écrit. Sa femme fut mystérieusement guérie d’une tumeur au sein. Il obtint la permission de Baba pour passer quelques jours avec Lui.

Mais au tout premier entretien, des semaines après son arrivée en Inde, Baba lui dit : ‘’Vous ne comprenez pas ! Je vous ai dit seulement ‘’Ecrivez le

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livre’’, parce que Je vous voulais. Vous comprenez ? Vous. Pas un livre. Le livre, c’est de la publicité. Je n’ai pas besoin de publicité. Je vous veux. Je veux votre foi. Je veux votre amour. Tous ceux qui viennent Me voir ici pensent qu’ils l’ont programmé. Mais c’est Moi qui programme. Quand le moment est venu, J’appelle tous ceux qui ont besoin de Moi à venir Me voir, lorsqu’ils sont prêts. Nul ne peut venir Me voir autrement. Je veux votre âme, car il est temps maintenant pour vous de cesser d’être indécis.’’

Moi aussi, j’avais été indécis. Moi aussi, j’avais confondu la voie. Moi aussi, j’étais un écrivain et Il suspendit devant mon nez l’appât d’un livre pour m’attirer en Sa Présence. Il dit à Schulman, après quelques semaines supplémentaires, des mots qu’Il aurait pu me dire lors de mon premier entretien. ‘’Vous vous demandez pourquoi Je vous ai appelé ici plutôt que des millions d’autres, parce que vous n’aimez pas ce que vous ressentez à Mon égard, n’est-ce pas ? Et cela vous rend soucieux quant à la raison pour laquelle Je vous ai appelé.’’

Cela m’a vraiment inquiété lorsqu’Il m’a confié la tâche d’écrire Sa biographie, quand des milliers d’autres ne seraient que trop désireux d’accepter cette merveilleuse expérience.

Et quand Schulman lui demanda la permission d’écrire le livre à Son sujet, Il répondit : ‘’Que savez-vous de Moi ? Avez-vous foi en Moi de la manière dont J’ai dit que vous devez avoir foi en Moi ?’’ Il me fallut douze ans pour m’approcher un peu du degré de foi qu’Il nous enjoint d’avoir, douze ans de darshan, sparshan et de sambashan, et bien que j’écrivis le livre avec Sa permission en 1960 (une permission qu’Il m’accorda par pure compassion), je suis maintenant plus conscient, en 1982, du peu que je connais de Lui…

C’était trop beau pour être vrai, trop doux à avaler, trop soudain à réaliser, trop léger à penser ! Oh ! Les dons qu’Il fit pleuvoir ! Le mariage de ma fille, l’acceptation de ma requête, l’offre gracieuse d’élever mon statut officiel, la chance d’écrire un livre sur Son enfance, Son adolescence et Sa jeunesse ! Oui. Ce n’était pas un rêve, une projection de mon désir, une hallucination provoquée par un subconscient confus. ‘’C’était une véritable aubaine’’, dit Iyer.

Je dis à quelques-uns de mes collègues qui ne mettraient pas en doute mon équilibre mental que Baba avait créé un beau-fils pour moi ! Un gain indirect, mais

71 important pour moi, fut que les parents du jeune marié ne réclamèrent aucune dot dans leur acceptation loyale de l’ordre de Baba. Tous les plans qu’ils avaient échafaudés pour dépenser l’argent qu’ils espéraient soutirer d’une victime argentée avec une jeune fille adolescente s’envolèrent en fumée dans la tempête que déchaîna la réprimande de Baba.

En août 1948, nous, mari et femme, nous aventurâmes nerveusement jusqu’à Puttaparthi—un voyage en chemin de fer d’une lenteur pénible jusqu’à Penukonda, ville morne et irritable ; ensuite, cinq kilomètres dans un jutka branlant tiré par une rossinante jusqu’à la gare des bus ; puis vingt-cinq kilomètres en bus dans la poussière et le vacarme, confinés à l’intérieur d’un véhicule maladif et poussif ; et encore six ou sept kilomètres de trajet à travers champs dans un véhicule à deux roues en bois et sans ressorts tiré laborieusement par deux bœufs stimulés à coups de cravache. Nous parvînmes au Mandir où vivait Baba.

Un long hangar dallé au toit de tôle ondulée, avec une estrade surélevée à l’extrémité ouest où des peintures à l’huile (pas très flatteuses) de Sai Baba de Shirdi et du jeune Sai Baba qui m’avait secouru étaient placées contre le mur. On pouvait également voir une idole en papier mâché grandeur nature de Krishna avec sa flûte.

Nous montâmes les quatre marches et nous pénétrâmes dans une véranda avec une pièce (de 2,5 m sur 2 m) de chaque côté. On nous dit que depuis environ six ans, Baba utilisait la pièce de droite comme living-room. Nous continuâmes et nous entrâmes dans le hall où à peine trente personnes pouvaient s’asseoir pour les bhajans devant un autel avec des bustes en plâtre de Paris des deux Babas. Une autre marche nous conduisit à la véranda arrière où il y avait des pièces de chaque côté. Le sol était dallé et le toit était en terre cuite.

Derrière, il y avait une petite cour de six mètres sur six, une série de pièces très étroites avec toit en appentis sur la gauche, un puits dans le coin voisin de la pièce la plus éloignée et une structure en gradins qui nous faisait face. ‘’Swami’’, chuchotèrent-ils, était là, dans la petite pièce sur notre droite. Et à quoi sert la moitié gauche ? ‘’C’est la salle de bain de Swami’’, fut la réponse. Dans l’autre coin, au lieu du puits, il y avait une imposante remise où la ‘’dynamo’’ qui fonctionnait au diésel pour éclairer le Mandir les jours de fête était stationnée. Nous trouvâmes le long du mur, sur la droite, une série de cuisines improvisées par les visiteurs, avec des feux allumés à partir de brindilles sèches ramassées dans les champs. Les

72 pièces que nous aperçûmes sur notre gauche étaient les cuisines des quelques résidents.

Nous déposâmes nos couchages et nos caisses le long du mur du hangar où les séances de bhajans avaient lieu. Nous venions à peine de détendre nos jambes, de nous accroupir et de nous rafraîchir avec quelques gorgées d’eau que Swami parut devant nous et s’assit sur un couchage ! Nous prîmes position sur le sol face à Lui, à distance respectueuse, mais Il insista pour que nous nous rapprochions de Lui. Environ huit femmes et quatre hommes s’étaient assis silencieusement derrière nous et à côté de nous pour partager la Présence. Ceci pouvait-il être le Mahapurush auquel mon guru, Mahapurushji m’avait conduit ? Ou comme Potti Iyer le jure, était-Il l’incarnation, dans la région télougoue, du Sai Baba de Shirdi ? Pouvait-Il en répandant de doux rayons avec l’étincelle de Ses yeux, parler au téléphone à Madras, ‘’Voici ! Reçois cette vibhuti, applique-la et sois guéri’’, et faire qu’une poignée de cendre tombe du combiné à 357 km de là, à Bangalore ? La femme du directeur commercial avait raconté cette histoire à Iyer. Elle avait été témoin du miracle téléphonique. Baba me posa les questions préliminaires habituelles. Puis Il parla en télougou de l’importance du pèlerinage aux lieux saints, mais j’étais trop distrait pour pouvoir absorber le sens de Ses paroles. Le sol banal, les murs poussiéreux, les taches brunes de l’estrade, les idoles astrologiques anachroniques dans le coin sud-est, des neuf déités planétaires, les colonnes de bois malingres supportant le toit métallique, les marches en pierre enjambant la rigole étroite entre le hangar et la maison, et au milieu de tout cela, le jeune Précepteur, Prophète et Phénomène sur mon couchage ! J’étais subjugué par l’incongruité et le mystère, le potentiel et la promesse de ce jeune Dieu de vingt- deux ans.

Je n’étais pas convaincu qu’Il soit né en 1926. L’année devait être plus récente, 1932, selon moi. Le visage doux et épanoui, le front large, les oreilles cachées par un halo magnifique de cheveux noirs et soyeux, le nez ciselé à la perfection, les lèvres bien ourlées révélant, lorsqu’Il riait en se moquant de quelqu’un pour une quelconque absurdité l’extrémité de dents perlées, je vis ce visage partout où je me tournais pendant un long moment. Et Ses pieds ? Ils apparaissaient furtivement sous Son dhoti en soie rouge, couleur d’ivoire et délicieusement tendres avec des stries et des boucles de rouge et de bleu. Pouvaient-ils être les aimants qui attiraient à des centaines de kilomètres de distance ces hommes et ces femmes assis devant Lui ? Pour la joie de toucher ces pieds, ils ont abandonné les gurus qu’ils adoraient, les tombeaux de leurs saints et les temples de leurs dieux. J’eus

73 l’audace de toucher ces orteils et comme Il supportait cette impertinence en silence, je m’aventurai à les presser doucement. Les galets et les rochers, le sable et les épines des collines et des vallées autour de Puttaparthi n’avaient pas abimé les plantes. Ma paume m’offrit frisson après frisson.

Sathya Sai Baba, en 1948

Lorsque les gens près de moi rigolaient et riaient d’un bon mot de Baba, moi aussi je souriais et je riais, bien que je ne pouvais saisir la finesse de la réprimande, de la repartie ou du reproche dont Baba faisait preuve au cours de la conversation. Mon télougou était trop balbutiant pour pénétrer le sens des leçons qu’Il saupoudrait de joie. J’en étais toujours au stade de mal comprendre le sens des expressions télougoues, ce qui est bien sûr le stade qui doit précéder la compréhension. Baba se leva soudainement, entra dans le hall de prière et passa dans la cour. Il prit à gauche et entra dans l’une des cuisines. Il y avait là une dame qui s’appelait Krishnamma de Masulipatnam. Le frère de Baba, Seshamaraju, y avait un beau- frère (le frère de sa femme). C’était l’un des responsables d’une compagnie d’assurance. La ville était située en bordure de la Baie du Bengale, à 1300 km de Puttaparthi. Krishnamma et ses fils (un ingénieur, un directeur d’un institut d’agronomie et un enfant sourd-muet) avaient rejoint le groupe à mi-chemin. Elle avait été le témoin de nombreux épisodes miraculeux—de l’eau de mer transformée en lait sucré, Baba flottant sur les vagues et la manifestation de Lui-même en tant

74 que Mahavishnu. Elle décida alors de passer ses années en Sa présence immédiate. Rejetant les importunités de ses fils aînés, elle voyagea jusqu’à Puttaparthi avec son fils handicapé. Je trouvai aussi une mère avec un enfant poliomyélitique et un père qui fut sauvé par Baba alors qu’il était au bord du suicide. Plusieurs personnes avaient entendu l’appel de ce nouveau Shirdi : ‘’Venez à moi, vous tous qui peinez et qui êtes lourdement chargés et Je vous rafraîchirai.’’ Il y avait aussi quelques visiteurs simplement attirés par la curiosité. Ils me confièrent qu’il leur fallait encore ressentir l’authenticité des histoires propagées par les dévots.

Baba réclama un almanach. Un homme pesant qui était, je le découvris plus tard, l’inspecteur-général des prisons de la Présidence de Madras, se précipita et rapporta en quelques minutes, le calendrier astrologique de l’année lunaire télougoue en cours. ‘’Je vais choisir un jour et une heure propices’’, me dit-Il. J’appréciai Son adhésion à la tradition, mais je me demandai comment Il avait appris l’art de coordonner et d’intégrer divers facteurs planétaires positifs et négatifs afin de décider quel jour et quelle heure étaient les plus favorables à un mariage. Alors qu’Il tournait les pages, je me permis de Lui suggérer que du temps me soit donné afin de mettre la main sur les finances nécessaires. Il me mit en garde contre toute extravagance. Il me dit qu’à Puttaparthi, il n’était pas nécessaire d’impressionner qui que ce soit par un faste ou une consommation ostentatoire. ‘’Ne souscris pas de prêt. Que le mariage soit aussi simple que possible. Je vous donnerai toute la joie que vous désirez’’, assura-t-Il.

Baba me donna deux semaines complètes pour trouver le sari et les bijoux de la mariée et les cadeaux de mariage pour la famille. Il annonça que le dixième jour de la Fête de Dasara serait idéal. Ceci nous donna une immense satisfaction, car nous savions que c’était une date sacrée célébrant la victoire du bien sur le mal. N’importe quelle heure de cette journée serait certainement favorable. La Mère est vénérée dans tout le pays durant Dasara, trois jours en tant que Protectrice, trois jours en tant que Providence et trois jours en tant qu’Educatrice. Nous étions également certains qu’il y aurait beaucoup de fidèles au Mandir le jour de Vijayadasami, ainsi un hall rempli de sympathisants assisterait au mariage, du moins l’espérai-je.

Baba nous emmena quelques pas au-delà du hangar couvert, de la plate-forme avec la plante de tulsi et du sanctuaire, sur une portion à découvert. ‘’La cérémonie aura lieu dans ce hangar. La nourriture pourra y être servie. Ici, à côté du mur, il y aura la cuisine’’, dit-Il. ‘’Je ferai faire une longue tranchée étroite pour servir d’âtre.

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Les récipients seront placés en travers de la tranchée ; le feu brûlera en-dessous. Il y aura de l’ombre, rassurez-vous.’’ J’appris que le combustible était rare pour les villageois. Je me risquai à exprimer ma crainte. ‘’Je demanderai à ce qu’il y en ait en suffisance, ne t’inquiète pas’’, dit-Il. Ensuite, Il fit venir le père.

Il se trouvait au ‘’magasin’’ qu’il gérait, situé dans l’ancienne pièce des bhajans (2,5 m x 2 m) attenante à la maison ancestrale, à l’extrémité ouest de la route en face du Mandir. Les pèlerins et les autres pouvaient y acheter du riz, du millet, du sucre brun, du pétrole, de l’huile comestible, des oignons, du savon, des allumettes, etc. Il vendait aussi des saris, des vêtements pour hommes et pour enfants. A gauche du ‘’magasin’’ se trouvait la petite maison du grand-père, le centenaire et très respecté Kondamaraju.

Tandis que je visualisais les ruelles poussiéreuses, les chaumières délabrées, le bétail maigre et les éclats bruyants de la jeunesse, je me demandai comment le village de Puttaparthi avait pu être le théâtre de la naissance de Baba qui dominait de la tête et des épaules tous ses habitants et ses professeurs et même des moines et des érudits réputés attirés en Sa présence par curiosité ou poussés par le désir stupide de Le mettre au défi. Baba avait annoncé Lui-même qu’Il était Sai Baba de Shirdi revenu pour continuer et achever Sa mission. Je me demandai comment un garçon élevé dans ce hameau encerclé par des collines qui l’isolent du monde extérieur pouvait prétendre être identique à un fakir entré dans son tombeau des années avant que ce Baba n’apparaisse sur terre. A Shirdi, Il parlait le marathi et le hindi. Il se fit connaître à l’âge de seize ans. Il avait annoncé qu’Il reviendrait huit ans après avoir quitté ce corps. Et je découvris dans le mandir une famille depuis longtemps dévouée au Baba de Shirdi ! Debout devant Baba, j’étais subjugué par l’émerveillement et pris par le doute en attendant l’arrivée de Son ‘’père’’.

Le père arriva rapidement, dès qu’on le fit appeler. Je remarquai qu’il ne s’assit pas en la présence de Baba, bien qu’à son arrivée, Baba était Lui-même assis sur un couchage avec quelques-uns d’entre nous qui Lui faisions face, assis par terre. Il était mince et sans distinction apparente, mais la cordialité et la générosité exsudaient de sa personnalité. Lorsqu’il me vit, moi et ma femme (les derniers arrivés), son visage s’éclaira chaleureusement. Autour de la taille, il portait un dhoti dont la longueur ne dépassait les genoux que d’une trentaine de centimètres. Il portait une chemise blanche et étroite, sans manches. Ses cheveux qu’il avait longs, à part sur le front, étaient noués à l’arrière de la tête. Aux oreilles, il portait des clous en or avec des pierres qui scintillaient, lorsqu’il tournait la tête.

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Baba lui dit que pendant Dasara, je reviendrais de Bangalore avec un groupe d’une trentaine de personnes pour célébrer le mariage de ma fille, le jour de Vijayadasami. ‘’Tu dois te procurer les provisions, les légumes et les fruits nécessaires. Fournis tout ce dont il a besoin.’’ Il dit en se tournant vers moi : ‘’Les autres donnent une liste des choses qu’ils veulent et paient à l’avance pour qu’il puisse rapporter les articles de Dharmavaram ou de Hindupur, mais vous pouvez passer commande quand vous en aurez besoin et payer quand votre groupe s’en ira.’’

‘’Oui’’, répondit le père et il quitta les lieux. Ici, tout semblait être sens dessus dessous. Dans d’autres centres spirituels que j’avais visités, bien que le ministère était concentré dans un seul individu saint, il y en avait d’autres, habituellement le père ou le frère, l’oncle ou le neveu, le mari ou la mère qui pesaient de tout leur poids et manipulaient l’administration. Où étaient les frères et sœurs ici, la mère et le père ? Je ne pouvais voir que des chercheurs et des sadhaks. Nul ne Lui faisait de l’ombre ou tirait les ficelles. Baba était tout, du tout au tout.

Seshagiri Rao, un ancien inspecteur de la santé au service du gouvernement de Mysore était la personne qui avait la charge de préparer le hangar et l’estrade pour les séances de bhajans. Les bhajans du soir devaient commencer sur le coup de six heures. Ainsi, nous vîmes des hommes et des femmes qui convergeaient vers l’intérieur avec des guirlandes de fleurs et d’épaisses liasses de tulsi. Baba les leur ôta des mains et les lança de manière à ce qu’elles retombent autour de la tête de la grande idole de Krishna. Baba s’assit sur un tapis face à Krishna qui se tenait entre les images grandeur nature de Lui-même et de Sa forme antérieure de Shirdi. Quelques minutes plus tard, Sa sœur aînée, Venkamma, se hâta de rentrer et prit sa place parmi les femmes dans la ligne la plus proche de l’autel. Baba chanta un bhajan, vers après vers, de la plus douce des voix humaines. Nous répétions chaque vers après Lui. Il y avait environ quarante personnes en tout. La sœur chanta le bhajan suivant. Sa voix aussi était envoûtante et tout à fait adéquate pour communiquer l’émotion de l’âme.

Je me demandais pourquoi Baba menait les bhajans et chantait des kyrielles de noms que des dévots amateurs assis derrière Lui devaient répéter. Mon voisin me chuchota que Baba chantait Ses propres compositions sur Lui-même et que Venkamma était sa toute première élève parmi les jeunes de Kuppam, Karur, Trichinopoly, Madras et Bangalore. J’apaisai mon esprit agité par le doute en m’affirmant que Baba ne faisait que nous enseigner à prier, comme une mère

77 apprend à parler à son enfant en chantonnant des sons, le visage tourné vers le bébé assis sur ses genoux pour qu’il puisse apprendre à les reproduire.

…En fait, Sa mission avatarique est de nous éveiller à la conscience de Lui- même en nous et autour de nous. ‘’Etrange petite chose pitoyable et futile’’, nous accoste-t-Il, tandis que nous dormons du sommeil de la paresse. ‘’Ah ! Toi qui m’es si cher et qui es si aveugle et si faible ! Je suis Celui que tu recherches.’’ Il nous conduit avec une insistance emphatique à la Demeure de Paix Suprême, Prasanthi Nilayam. Il lutte pour sauver ceux qui demeurent en Sa Présence ou qui s’égarent ou qui viennent baigner dans Sa lumière. Il écrit des ‘’prières’’ pour chaque individu pour qu’il sublime ses désirs et désinfecte ses défauts particuliers. J’ai ici quelques-unes de ces ‘’prières’’. Je me permets de révéler le contenu de trois d’entre elles qui me furent gracieusement données à l’occasion de Son Anniversaire en 1959 et à l’occasion des bénédictions du Nouvel An, en 1960 et 1962. Elles ressemblent beaucoup aux bhajans. La soif déchirante du moi pour le Surmoi que l’on retrouve dans des expressions comme ‘’Krupa Karo, Bhagavan’’ (Accorde miséricorde, ô Seigneur) ou ‘’Darusana dee jo’’ (Bénis-moi de Ta vision) est ici élaborée en une demande de grâce et une affirmation de foi.

Vas-Tu me laisser tomber, Seigneur ? Non Seigneur, non Seigneur, Tu ne me laisseras pas tomber, Quelle que soit ma méchanceté.

Vas-Tu me laisser tomber, Seigneur ? Non Seigneur, non Seigneur, Tu ne me laisseras pas me perdre, Quelle que soit ma médiocrité.

Vas-Tu me laisser tomber, Seigneur ? Non Seigneur, non Seigneur, Tu ne me laisseras pas partir, Quelle que soit ma nature difficile.

Vas-Tu me laisser échapper à Ta vigilance, Seigneur ? Non Seigneur, non Seigneur, Tu ne me laisseras pas m’échapper,

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Quelle que soit mon impulsivité.

Tu ne peux que Te hâter de secourir les Tiens ; Tu ne peux pas traîner à peser le pour et le contre ; Tu ne peux pas rester indifférent, quand nous pleurons ; Tu ne peux que répondre aux prières des malheureux !

Et à l’aube de 1960, je reçus la prière suivante composée par Lui et écrite de Sa propre main sur une carte de vœux. Afin d’augmenter la joie de recevoir ce bijou, Swami envoya la carte par l’intermédiaire d’une personne qui la déposa au bureau de poste de Bukkapatnam, à huit kilomètres, alors que son destinataire se trouvait en Sa Présence à Prasanthi Nilayam même. Quand la bénédiction fut distribuée par le facteur avec d’autres courriers, la surprise, le frisson, la gratitude et le désir d’exprimer directement tout cela me rendit incapable de parler ou bouger.

Je crois fermement qu’il n’y a personne de meilleur que Toi pour répandre la grâce sur moi. Dis-moi, n’est-ce pas la raison pour laquelle je me trouve à Tes Pieds de Lotus ? Je crois fermement que Tu répondras vite, quand je prie et quand j’implore. Dis-moi, n’est-ce pas la raison pour laquelle je crie si fort pour Toi ? Je crois fermement que Tu es toujours près de moi pour guider mes pas. Dis-moi, n’est-ce pas la raison pour laquelle, jour et nuit, je suis à Toi ? Je crois fermement que, jamais, Tu ne peux refuser ce que je Te demande. Dis-moi, n’est-ce pas la raison pour laquelle j’aspire à un regard de Toi ?

Que m’as-Tu préparé, cette fois ? Pourquoi cette terrible attente pour offrir Ta générosité ? Peu importe combien Tu me fais attendre et pleurer, Je ne partirai pas. Je ne bougerai pas Jusqu’à ce que Tes yeux remplis d’amour se tournent vers moi.

Post-scriptum : ‘’Kasturi, commence la nouvelle année avec cette prière.’’ Et les bénédictions et les aubaines suivent en abondance, car Il écrit : ‘’Jouissant d’une longue vie et d’une bonne santé, entouré d’enfants, de petits-enfants et d’amis, continue d’absorber la joie par la et Jnana. Je

79 te bénis pour que tes jours se passent au service de Sarvesvara, le Seigneur de tous. Passe ta vie dans une paix abondante et le bonheur. Baba.’’

Remarquez la compassion infinie et l’exhortation insistante à faire le bien et à être bon.

Permettez-moi de partager avec vous une autre prière que Baba composa à mon intention et m’envoya par l’intermédiaire du facteur du Bureau de Poste de Prasanthi Nilayam à Prasanthi Nilayam pour me faire une agréable surprise le 23 novembre 1962, le jour de Son Anniversaire.

En espérant que Tu me guideras Ce jour ou demain— J’attends Ton appel, jour après jour. En espérant que Tu accorderas Ton darshan, Mais redoutant que Tu ne le fasses, Je suis en alerte, heure après heure. En espérant que Tu viendras droit sur moi En cet instant même, Je veille et je prie, encore et encore. En espérant que Tu me souriras Pour finir si pas au début, Je regarde avidement avec des yeux assoiffés.

Je demeurerai dans une profonde détresse Jusqu’à ce que mon jour de félicité pointe. Je suis Tien, bien qu’exilé au loin. Cher Père ! Mon Père ! Guéris Ton enfant.

Ceux d’entre nous qui reçurent de tels cadeaux-surprises se précipitèrent en Sa Présence pour se placer à Ses Pieds. Baba nous rendait alors notre joie. Prenant les lettres de nos mains, Il nous apprenait à réciter la prière et à développer les sentiments détersifs qui purifient notre esprit quand nous Lui adressons la prière. Il nous disait que la prière ne nécessite ni manière onctueuse ni érudition. C’était une simple conversation avec Dieu. Ramakrishna suppliait ainsi Kalimatha : ‘’Prie-Toi en moi. Apprends-moi à Te chercher.’’ Lorsque nous récitons ces poèmes donnés par Lui ou que nous chantons en chœur les bhajans qu’Il place dans nos bouches via nos oreilles,

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‘’Il Se prie en nous’’ ou plutôt ‘’Nous nous prions nous-mêmes, car Il est le Soi que nous sommes.’’

Après les bhajans, l’arati, l’agitation de la flamme de camphre jusqu’à ce qu’elle ait brûlé totalement sans laisser de cendres. Baba prit le plateau d’argent sur lequel brûlait le camphre et l’agita devant l’idole de Krishna et les images de Baba, au nom de nous tous, tandis que les fidèles chantaient un chant sur Lui. Comme à Bangalore, Baba porta le plateau avec la flamme le long du couloir entre les hommes et les femmes pour que chacun de ceux qui étaient présents puissent s’y ‘’réchauffer les mains’’. Je ne pus pas ne pas reprocher à Seshagiri Rao de tolérer cette incongruité. Il aurait pu persuader Baba de lui permettre de faire circuler la flamme plutôt que de confier cette routine au Maître.

Potti Iyer m’avait dit que Baba, alors qu’Il était âgé de quatorze ans et toujours à l’école, avait un jour jeté Ses livres et qu’Il était sorti de la ville pour entrer dans un jardin. Il s’assit sur un rocher un peu surélevé entouré par les citadins qui L’avaient suivi. Il les appela, à l’aide d’un nouveau bhajan émouvant, à vénérer Ses Pieds, les pieds du guru (!), avec la foi dans leurs cœurs, car cette adoration pouvait les sauver de la roue de la naissance, de la vie et de la mort à laquelle ils étaient attachés.

Et huit ans plus tard à Bangalore et à Puttaparthi, je Le trouvai en train d’apprendre aux gens la même leçon au moyen des bhajans. Mais pourquoi exécutait-Il la tâche triviale d’agiter la flamme et de la présenter devant les dévots réunis ? Il s’annonce Lui-même comme le Consolateur et le Libérateur, et dans la foulée, Il s’engage dans les routines du ritualisme. A Puttaparthi, je fus confronté à ce point d’interrogation où que je me tournai.

Entre-temps, le très respecté grand-père, Kondama Raju portant bien droit la sagesse accumulée de cent huit ans pénétra dans le Mandir. Baba ne parut pas s’en réjouir ou s’en inquiéter. On me dit qu’il était un visiteur fréquent. Quand les dévots utilisèrent l’expression ‘’pour présenter ses respects’’, je haussai les sourcils pour marquer mon scepticisme. Mais ils m’assurèrent que leur interprétation était correcte, car ils avaient entendu le vieil homme exulter qu’une personne divine était apparue dans sa famille de Ratnakaram.

‘’Ratnakaram’’ signifie ‘’océan de corail et de perles’’. ‘’Il avait maintenant produit un joyau céleste’’, dit-il les yeux humides. Il raconta un rêve dans lequel l’épouse

81 divine de Sri Krishna, Sathyabhama lui apparut pour qu’il lui construise un lieu où se reposer et il expliqua que Sathya était né avec une beauté, une sagesse et un pouvoir divins en raison des bénédictions gagnées en accomplissant son désir. Avec des larmes de joie dans les yeux, il parla également d’un saint, d’un moine qui avait rompu tous les liens et qui errait, libre comme le vent dans le domaine de Dieu, un avadhootha qu’il appela Venka, ancêtre pas trop lointain. ‘’Ce petit-fils est aussi un avadhootha, mais il est dans le monde, pour le monde’’, me dit-il. Je tombai à ses pieds et priai pour qu’il accorde à ma fille ses bénédictions et pour qu’il honore son mariage de sa présence.

Nous nous reposâmes un moment dans le hangar en consommant quelques fruits rapportés de Bangalore avec un peu de pain. Bientôt, nous vîmes des gens transporter leurs couchages dans le bâtiment, puis dans la cour derrière. Nous en fîmes autant. Il y avait un grand lit métallique avec de grandes bandes de coton qui servaient de trame en son centre. Quelqu’un mit un matelas dessus. Les femmes firent leur lit par terre à droite du lit métallique et les hommes en firent autant à gauche. Baba sortit de Sa pièce et s’assit sur le lit. Le lit de Seshagiri Rao était le plus proche de celui de Baba. Ceux des autres hommes et femmes étaient à quelques mètres. Le ciel s’était débarrassé des nuages et les étoiles avaient une vision claire de Puttaparthi, du Mandir et de Baba au milieu de nous. Nous ne pouvions pas dormir : la proximité de Baba était trop troublante et trop excitante. On nous dit qu’Il dormait rarement, qu’Il visitait les gens très loin dans leurs rêves. Ils devaient nécessairement dormir pour qu’Il vienne converser dans leurs rêves. Certains jurèrent qu’ils rêvèrent de Lui cette nuit-là. Nous nous condamnâmes comme étant inférieurs, puisque nous n’eûmes que quelques rêves douteux, bien que nous étions allongés dans la même cour, à peine à cinq mètres de Lui.

Tôt le lendemain, nous nous rendîmes chez la sœur, Venkamma, pour présenter nos respects à Easwaramma, la mère de Baba. Potti Iyer m’avait demandé de ne pas manquer de la voir. Quand Baba avait quitté la maison, Easwaramma s’était précipitée à Uravakonda, mais Il avait parlé d’elle comme de ‘’’’ (l’Illusion). Malgré cela, Baba avait accédé à son désir qu’Il réside à Puttaparthi même et qu’Il abandonne l’idée de chercher un autre endroit comme centre de Sa mission avatarique. Puttaparthi était devenu un lieu saint grâce à sa prière. En conséquence, il insistait sur le besoin de lui offrir notre gratitude.

Je vis dans cette histoire la vérification du vers de la Gita où Krishna parle de Maya comme de la Maya du ‘’mon et du mien’’. Nous découvrîmes une femme aimable,

82 curieuse et attentionnée, simple dans ses manières et spontanée dans son amour. Cela la réjouit quand je lui dis comment Baba avait décidé du mariage et que nous reviendrions pendant Dasara. Sa joie quand elle apprit cette nouvelle était véritablement sincère, car elle accueillait toujours les dévots de son fils avec une affection maternelle. Nous apprîmes d’elle que le frère aîné de Baba se trouvait à Dharmavaram, à 40 km, où il enseignait le télougou à l’école secondaire et que son frère cadet était à Madras, où il suivait un traitement médical pour une affection du poumon.

Le lendemain, lorsque ma femme s’approcha de Baba et Lui demanda la permission de partir, Baba protesta de manière fort touchante. ‘’Restez aujourd’hui. La fille ne devrait pas quitter la maison de sa mère un vendredi’’, lui dit-Il. La maison de sa mère ? ‘’Quelle bénédiction ce fut là !’’ , me dit-elle. Cet après-midi, vers 16 heures, nous sûmes pourquoi Il avait différé notre départ. Tout le monde était en état d’excitation. Baba avait proposé que la séance de bhajans ait lieu sur les sables de la Chitravathi. Nous nous apprêtâmes à suivre Baba. Il discutait avec deux nouveaux venus de Madras, une personne qui possédait un chenil lucratif et un exportateur de pierres tombales—de sujets que je n’avais pas envie d’écouter indiscrètement. Finalement, Baba leur demanda : ‘’Où allons-nous nous asseoir ?’’ L’un d’eux désigna un endroit où le sable était immaculé. Nous nous assîmes tous autour de Lui.

Pendant les bhajans, j’observai le cercle des dévots devenir de plus en plus étroit, puisque les gens se rapprochaient subrepticement de Baba. J’en demandai la raison à mon voisin et sa réponse fut très intrigante. Ils croyaient qu’à partir du sable Baba allait créer quelque présent sacré pour l’un d’entre eux et ils ne voulaient pas manquer une vision rapprochée du miracle. Les bhajans se terminèrent abruptement, quand Baba agita Sa main. Il fit signe à Seshagiri Rao d’attendre, alors qu’il allait frotter une allumette pour allumer le camphre.

Alors le miracle se produisit. Devant une centaine d’yeux grands-ouverts, Baba demanda à l’homme de Madras d’entasser du sable sur une hauteur de trente centimètres devant lui. Je ne pouvais deviner pourquoi. Etait-ce pour y faire asseoir un enfant et jouer avec ? Mais Baba lissa la surface jusqu’à ce qu’elle devienne égale tout en murmurant : ‘’Voyez-vous, J’aime le sable. Qui peut s’asseoir près du sable sans jouer avec ?’’ Alors que nous observions en retenant notre souffle, Il dessina avec Son doigt un grand cercle, un ovale aplati au sommet retombant dans le cercle, deux lignes sur le côté et deux ronds plutôt longs en dessous d’elles. Il eut

83 un petit rire et dit : ‘’J’adorais dessiner à l’école. Le maître aimait Mes dessins.’’ Si ceci était un échantillon de Son talent, je ne pouvais féliciter ce maître pour son jugement, pensai-je en moi-même. Mais Baba dit : ‘’ est déjà là. Vous voyez, voici l’estomac, voici la tête, la trompe, les oreilles et les pattes. Il est prêt.’’ Il plongea Ses deux mains dans le tas de sable et Il en extrait un magnifique Ganesha en argent de vingt-cinq centimètres, correct jusqu’au plus petit détail de l’orthodoxie iconographique ! Il me fallut longtemps pour m’en remettre. Il le prit dans Ses bras et le montra à chacun d’entre nous, alors que quelqu’un éclairait l’idole avec une torche. Puis, reprenant Sa place, Il prit une poignée de sable qu’Il versa lentement sur un plateau. Ce qui tomba sur le plateau n’était plus du sable, mais du sucre candi. ‘’C’est pour vous tous’’, dit-Il. Je crois qu’Il fit don du Ganesha à l’amateur de chiens. Je n’ai pas bien vu, car des dévots L’entouraient quand Il s’est levé. Nous reprîmes la direction du Mandir, la piste éclairée par la lampe à gaz d’un dévot. Baba fit rire tout le monde pendant tout le trajet. Je me sentais petit car, sans connaître le télougou, je ne pouvais répondre comme les autres le faisaient.

Le lendemain matin, nous fûmes autorisés à partir, bien que nous n’ayons aucune envie de rentrer. Le char à bœufs que nous prîmes pour nous accompagner à Bukkapatnam appartenait à un jeune homme du même âge que Baba, dont la maison était voisine de celle où naquit Bhagavan. Elle était nichée entre cette maison sainte et l’imposante maison à étages du Karnam qui dominait les huttes à l’entour, comme un faucon domine de jeunes colombes. Kesava se montra d’humeur excellente quand il nous vit impatients d’écouter des récits de l’enfance et de l’adolescence de Baba. Il les débobina jusqu’à Bukkapatnam et continua jusqu’à ce que le bus nous emmène à Penukonda. C’était l’un des élèves du ‘’guru’’, à savoir Sathyanarayna Raju ou Sathya tout court. Ils étaient une douzaine qui avaient grandi ensemble depuis l’âge de trois ou quatre ans, quand ils couraient sur les chemins. Il faisait partie du groupe de bhajans rassemblé et mené par Sathya dont il apprit des chants sur Vittal, la déité installée à Pandharpur dans l’Etat du Maharashtra et qui est adorée par les Marathes, les Andhras et les Kannadigas. Kesava nous raconta que lorsqu’une terrible épidémie de choléra balaya le district en 1935, Puttaparthi fut épargnée. Les gens attribuèrent cela à la grâce du dieu de Pandharpur, Vittal, que les enfants invoquèrent en chantant des bhajans dans les rues du village. Kesava nous dit que Sathya leur leader, était en réalité , , Gorakumbar, Sakku Bai et d’autres saints fameux de Pandharpur, tout en un. Ainsi, dit-il, Vittal ne pouvait permettre au choléra d’entrer dans le village où le groupe de bhajans de Sathya s’activait.

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Je fus surpris par la coïncidence ! Les choses devenaient de plus en plus curieuses pour moi au pays de Sai Baba. J’avais lu un livre à propos de Sai Baba de Shirdi où Dhabolkar, l’auteur, mentionne que le premier miracle qui le poussa à perpétuer Baba dans la mémoire humaine via son livre ‘’Sai Satcharita’’ était ‘’Sai Baba protégeant du choléra le village de Shirdi’’ ! Un jour, il vit Sai Baba moudre du grain pour le transformer en farine. Alors même qu’il regardait, quatre femmes audacieuses sortirent de la foule rassemblée devant la mosquée de Dwarkamai. Elles vinrent s’asseoir près du moulin et prirent des mains de Baba l’instrument qu’Il tenait. Elles continuèrent le travail tout en chantant à haute voix des chants sur les miracles de Baba. Quand elles eurent fini, elles divisèrent la quantité de farine en quatre tas pour la ramener chez elles. Baba se mit en colère. Il cria : ‘’Vous ne pillerez pas cette farine. Ce n’est pas la propriété de votre grand-père (expression également souvent utilisée par Sathya Sai Baba). Prenez-la et parsemez-la tout au long de la limite du village.’’ C’est ce qu’elles firent et le choléra n’osa pas traverser le ruban protecteur de farine qui entourait les maisons de Shirdi. Dhabolkar (surnommé ‘’Hemadpant’’ par Sai Baba de Shirdi) écrit dans le Sai Satcharita : ‘’Cet incident est inexplicable. Je devrais écrire quelque chose là-dessus et chanter les leelas de Baba à satiété.’’ C’est ainsi que l’histoire de Baba vint à être écrite.

Lorsque Kesava nous dit comment le choléra avait été maintenu en dehors de Puttaparthi par le groupe de pandari bhajans, je sentis que le ‘’Sathya Sai Satcharita’’ qui m’avait été attribué était inauguré par une leela identique, car ce Baba-ci était ce Baba-là revenu.

Kesava nous raconta que le chœur des chanteurs de bhajans fut invité à arpenter les rues de nombreux villages autour de Puttaparthi. Baba accepta avec enthousiasme. Il n’attendit même pas que des chars à bœufs arrivent à Puttaparthi pour les transporter dans les hameaux touchés par la panique. Sa politique était, disait Kesava, ‘’Ils ont besoin de nous, allons-y.’’ Des villages situés à trente ou soixante kilomètres comme Penukonda et Hindupur avaient aussi besoin des vibrations curatives de la voix de Baba. Kesava nous avoua que la randonnée jusqu’à Penukonda (26 km) n’était pas la bienvenue, mais que par après, ils profitèrent de leur premier long voyage en car qui les emmena jusqu’à Hindupur. Ils chantèrent des chants sur Vittal comme :

‘’Venez, allons au sanctuaire Pandari,

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Où Vittal attend sur la brique grossière. La route est longue, le but est Dieu— Plus vite nous irons et plus vite nous y serons. En chantant, nous pouvons abréger et adoucir la route.’’

Kesava nous dit qu’ils chantaient aussi les louanges d’un ‘’Saideva’’. Ils pensaient que c’était un Nom donné par Sathya, leur guru, à Panduranga. A Hindupur, certaines personnes leur dirent toutefois que ‘’Nous avons entendu parler d’un Sai ou Sai Baba qui a vécu et qui est mort quelque part dans la région de Pandharpur.’’ Nous lui demandâmes de chanter aussi ce chant. Heureusement pour nous, la mémoire de Kesava était fiable.

‘’Kaappaadu Sayi Devudaa,’’ commença-t-il, tout comme Baba chantait, quand Il avait neuf ans pour enseigner à ses camarades.

‘’Epargne-nous, ô Sai ! Il n’y a pas de Dieu aussi bon que Toi. Je suis plongé dans le mal, je suis attaché au mal ; Je ne trouve aucune aide, je recherche Ta grâce. Plonge-moi dans le lait ou plonge-moi dans l’eau, Je n’exulterai pas, je ne me plaindrai pas. En cet âge de , Tu es venu parmi les hommes Pour les libérer des chaînes qu’ils se sont eux-mêmes forgées. Les faibles humains peuvent-ils appréhender Ta gloire ? Tu es pour eux un phénomène insensé ! Quand je Te vénère avec une foi ferme Comme l’Avatar réel de Dieu sur la terre, Tu es toujours à mes côtés pour guérir et pour sauver.’’

Lorsque je pénétrai dans la salle commune du Central College de Bangalore après mon pèlerinage à Puttaparthi, mes collègues qui avaient eu vent de ma loyauté flambant neuve me reçurent avec des yeux curieux, des sourires moqueurs et des soupirs empreints de pitié. Je les approchai moi aussi avec de la pitié, car ils ne pouvaient se défaire de leurs distorsions mentales favorites ni de dures strates intellectuelles sanctifiées par des ouï-dire éculés. Moi-même, je ne m’étais qu’à moitié réveillé de mon sommeil dogmatique. Je n’avais pas réussi à réajuster mes lunettes pour voir au-delà des préjugés que je caressai pendant si longtemps. Comprendre Baba implique un examen révolutionnaire des valeurs, de nos critères favoris de ce qui est pertinent et cadres de jugement. Moi-même, je n’avais pas

86 récupéré de l’incroyable impact du Phénomène, alors comment pouvais-je espérer que ceux qui sont sciemment aveugles à l' ''infra-rouge’’ et à l’ ‘’ultra-violet’’ dans le spectre de la conscience humaine me félicitent pour mon escapade exaltante dans l’ésotérique et l’éternel à Puttaparthi ? Je leur fis simplement part du mariage et de la considération affectueuse dont ce ‘’Messie de l’Andhra’’ m’avait témoigné.

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MARIÉS POUR LA VIE

Lorsque Dasara approcha, Parameswara Iyer vint me voir plus souvent, car il avait l’impression que c’était son devoir de me guider correctement. Le rôle habituel des parents du jeune marié est beaucoup plus distant et autoritaire. Les parents de la jeune fille doivent les considérer comme des bénéficiaires de la grâce suprêmement bénis, dont le droit indiscuté est d’être traités comme les propriétaires envoyés par le ciel de la progéniture masculine. Eux et leurs proches peuvent annuler le mariage sous le moindre prétexte tant que le dernier rite védique n’a pas été célébré.

En fait, mon propre oncle prit ombrage, lorsque le parent manifestement radin de la jeune fille offrit à son fils, le jeune marié, un parapluie bon marché, quand il commença la marche symbolique vers Bénarès, un des rites préliminaires essentiels qui précèdent l’acceptation de la jeune fille. Fâché, oncle nous rappela nous et son fils pour prendre la direction de la gare ! Mais le père de la jeune fille apporta vite un accessoire plus coûteux et tomba aux pieds de oncle en produisant des excuses à la douzaine. Nous restâmes et le mariage du fils de l’oncle eut lieu.

Ainsi, je remerciai Baba de m’avoir accordé, non seulement un gendre désirable, mais également un beau-père ‘’sans désir’’. Parameswara Iyer m’aida à préparer les bagages, loua une voiture pour nous emmener à la gare, négocia la commission des porteurs et veilla à notre confort pendant le trajet jusqu’à Penukonda. Là, nous eûmes la grande surprise de voir un car envoyé par Baba pour nous emmener tous à Puttaparthi, nous épargnant ainsi la pénible épreuve d’un autre trajet en voiture (tirée par des chevaux) et la torture en char à bœufs. Nous n’avions plus qu’à traverser le lit de sable de la Chitravathi de Karnatanagapalli à Puttaparthi. Nous nous hâtâmes pour pouvoir avoir le darshan de Baba aussi vite que possible.

Baba nous attendait à la porte du Mandir avec un groupe de dévots derrière Lui. Il nous conduisit à l’intérieur du hall, puis dans les pièces à l’arrière. Il supervisa le déchargement et le rangement des caisses et des couchages. Nous étions une vingtaine. Mon voisin (un de mes chers étudiants) m’avait accompagné pour pouvoir donner un coup de main. Baba confia à Potti Iyer la responsabilité des rites du mariage et le déclara maître de cérémonie. Mes épaules étaient libres. Il appela le couple tout près de Lui et posa Ses mains sur leurs épaules en disant ‘’Joie et prospérité’’.

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Baba me fit signe de Le suivre. Par la porte est du hangar, Il me fit passer dans une tente où une longue et profonde tranchée d’environ 50 cm de large avait été récemment creusée. ‘’Voici la cuisine où les cuisiniers que tu as amenés de Bangalore peuvent commencer à s’affairer. Ils peuvent commencer à puiser de l’eau au puits. Plus tard, il va y avoir affluence. Les gens arrivent en masse. Tu peux obtenir de grands récipients en cuivre auprès du Grham Abbayi,’’ dit-Il. ‘’Je vais le faire venir. Tu peux lui emprunter toute la vaisselle dont les cuisiniers ont besoin.’’

Le Grham Abbayi arriva et on me conduisit auprès de lui. Imaginez ma surprise quand je vis comme Grham Abbayi devant moi non moins que Pedda Venkapa Raju, le père de Baba que j’avais rencontré plus d’une fois ! On me dit que Baba ne faisait allusion à lui qu’en termes de Grham Abbayi (le garçon de la maison). Jusqu’au jour où Il déclara qu’Il était Sai Baba venu sous une autre forme humaine à Puttaparthi, Il l’appela ‘’père’’, mais à partir de ce jour, le ‘’garçon de la maison’’ fut le nom par lequel Il désigna Pedda Venkapa Raju ! Il me fallut du temps pour m’en remettre et lui aussi doit s’être demandé ce qui s’était passé pour perturber mon équilibre !

Easwaramma, la mère, subit également le changement. Elle fut désignée par la nouvelle expression ‘’Grham Ammayi’’, la fille de la maison. Les Avatars Rama et Krishna reconnaissent constamment, même au cours de conversations informelles, le statut des personnes que le monde a accueillies comme étant leurs parents. Baba est unique en annonçant Son statut de cette manière, pensai-je. Je me dis en moi- même que l’Avatar avait raison, après tout, car le Bhagavatha Purana qui raconte l’histoire de la naissance de Krishna dit que Dieu, afin de revêtir le vêtement de l’humanité, pénétra dans l’esprit du père putatif, Vasudeva et que Vasudeva transféra le Principe Divin ainsi reçu à son épouse Devaki ‘’comme un guru communique une formule mystique à un élève pour que l’élève puisse méditer dessus en silence et réaliser la félicité qu’elle peut conférer.’’

‘’Pénétra dans l’esprit, transféra dans l’esprit’’—telles sont les expressions. ‘’L’enfant était dans l’utérus comme la lune dans le ciel,’’ avais-je lu. C’est-à- dire qu’il ne tirait aucune subsistance de la mère. Par conséquent, pourquoi imposer la paternité et la maternité à des personnes qui étaient parents en esprit ou qui ne faisaient qu’assister à la croissance ? Pourquoi ne pas déclarer que ce fut la Volonté de Dieu et que le Verbe se fit chair ?

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Nous étions arrivés à Puttaparthi l’avant-dernier jour de Dasara, le neuvième jour. On nous dit que chaque nuit, Baba était emmené en procession dans les rues du village sur un palanquin ou sur une chaise finement décoré(e) par des artistes floraux de Bangalore dont la dévotion pour le jeune Baba était manifestement fantastique. Ils remodelaient la chaise en cygne, en éléphant ou en aigle. Lorsque Baba était installé, ils la soulevaient et la posaient sur les épaules des dévots et la vision provoquait l’admiration et l’adoration. Ce jour-là, ceux qui observèrent le motif se révéler sous leurs doigts habiles jurèrent que cette nuit-là, il s’agirait d’une ‘’balade à cheval’’. Nous étions ravis. Je vis les enfants du village sauter et bondir de joie. Quand la procession sortit du Mandir, nous nous joignîmes à la foule et nous ajoutâmes nos voix aux chœurs.

Mais je découvris que nous allions dans la mauvaise direction. Nous étions devant le ‘’cheval’’ sur lequel Baba avançait. Pourtant, je vis que tout le monde s’était tourné dans l’autre sens ! ‘’Que se passe-t-il ? ’’, demandai-je. Quelqu’un répondit : ‘’Regardez ! Le visage de Baba !’’

Nous fîmes demi-tour. A dix mètres, on pouvait voir le ‘’cheval’’ floral monté par Baba, éclairé par des lampes à gaz. ‘’Regardez’’, dit une voix sur le côté en pointant un index vers le front de Baba. Oui. Le front était couvert de poudre rouge. ‘’Du kumkum’’, annoncèrent-ils. ‘’Jai Sai Baba’’, acclamèrent-ils. Au plus je regardai, au plus je vis. Plus j’en voyais, plus je doutais de mon équilibre mental. Il était minuit quand nous parvînmes au Mandir. Je ne pus pas même dormir une seule seconde pour calmer mon esprit. J’en avais trop vu.

Vijayadasami attira au Mandir quelques officiers en provenance de Madras, Anantapur et Bangalore qui avaient bénéficié des bons soins de Baba. Une belle assistance prit part à la cérémonie du mariage qui eut lieu dans le hangar, après la séance matinale des bhajans. Mon fils, qui était revenu d’Angleterre avec un doctorat en géologie et son épouse supervisaient la préparation du festin. Pendant plus d’une heure, Baba observa le déroulement des opérations dans le hangar. Il bénit les cadeaux que nous offrîmes au jeune marié et qu’on offrit à la jeune épouse. Il bénit le bijou en or que le jeune marié plaça autour du cou de l’épouse en signe de lien. Lorsque ma fille fit sept pas autour du feu sacré sous la conduite de son mari, Baba de Sa main vide, répandit sur leurs têtes des grains de riz sacré jaune. Puis ensemble, ils prirent une guirlande de fleurs et Baba leur permit gracieusement de la Lui offrir. Ils tombèrent à Ses pieds et après avoir prononcé de nombreuses bénédictions en sanscrit, Il les releva et leur tapota la tête.

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Moi et ma femme, nous avions célébré le mariage de mon fils, il y a quelques années. A ce moment-là aussi, les sept pas furent effectués autour du feu sacré avec les mêmes mantras des mêmes Ecritures, mais l’amour et la compassion de Baba, la pluie de riz miraculeuse, la bonté et la générosité des dévots autour de Lui et l’atmosphère de fraternité et de sororité que nous respirâmes à Puttaparthi firent du mariage de Vijayadasami une expérience céleste.

Mon fils me rappela que le déjeuner était prêt à être servi et que les invités pouvaient prendre leurs places. Potti Iyer qui était un vétéran dans l’organisation de déjeuners, de dîners et de petites fêtes suggéra que nous priions Baba pour qu’Il nous accorde le plaisir de Sa Présence. Ma femme parvint à obtenir Son gracieux consentement. Nous décidâmes d’installer le couple des jeunes mariés dans le hall avec Baba en vis-à-vis. Potti Iyer était parti en mission exploratoire et avait préparé une liste des VIP qu’il avait découverts dans la région. En tant que père de la jeune mariée, je devais les inviter protocolairement à participer au repas. Je m’acquittai de cette tâche plaisante et les priai de s’asseoir à proximité de Baba, dès que Baba entrerait dans le hall.

Entre-temps, mon fils et sa femme avaient conçu la stratégie par laquelle les longues files de dévots pourraient recevoir chaque pièce du menu sur des assiettes en feuilles de bananier que des équipes de serveurs armés de casseroles en inox remplies par eux à la cuisine serviraient en abondance et rapidement à la gente masculine et féminine, séparément. Au beau milieu de tout cela, Baba nous surprit en arrivant dans le hall. Ma fille et mon beau-fils touchèrent Ses pieds. Il leur tapota le dos en disant ‘’bangaroo’’.

Potti Iyer, Parameswara Iyer et nous-mêmes, nous nous précipitâmes dans le hall. Baba me demanda : ‘’Pour qui sont ces assiettes ? Qui vient ici ? ‘’ Les VIP se tenaient derrière Lui, exultant à la perspective de s’asseoir près de Lui au déjeuner. L’un d’entre eux donna la réponse à la question que Swami m’avait posée : ‘’Swami ! Kasturi nous a invités pour être ici près de Vous.’’ ‘’Non’’, dit sèchement Baba. ‘’Partez ! Emmenez vos chaises dans le hangar. Kasturi ! Fais venir ici les couples de ton groupe et du groupe de Potti Iyer. Ceci est votre journée. Je serai parmi vous. Les autres n’ont pas besoin d’empiéter sur votre joie. Allons tous nous asseoir pour le repas du mariage avec les jeunes mariés. Que ta vieille mère serve le repas. Old is gold’’. Ma mère fut enchantée. Elle le prit comme une bénédiction supplémentaire.

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La réaction initiale de mon fils au bouleversement de son programme minutieusement préparé et répété quant à la circulation du menu de la cuisine aux rangées d’assiettes fut du ressentiment bouillonnant sur un courant de tristesse. Mais un moment plus tard, il était rempli de joie et d’admiration car Baba était, réalisa-t-il, éminemment différent de tous les babajis, gurus et mahants sur lesquels il avait lu ou qu’il avait rencontrés. Baba ne faisait pas de distinction. Tout le monde avait droit à Sa grâce et avec le même enthousiasme. ‘’Ce Baba est un démocrate’’, me dit-il, lorsqu’il s’assit avec sa femme près de sa sœur dans le hall. Cet incident fit en sorte que mon fils saisirait par la suite les occasions de creuser ce Phénomène Sai qui s’était déjà approprié un coin du cœur de son père. Potti Iyer et sa femme, moi et ma femme, Parameswara Iyer et sa femme, un cousin et sa femme, nous étions donc six couples en tout. Baba anima tellement le déjeuner avec Ses traits d’esprit et Ses reparties, Ses piques et Ses jeux de mots que nous nous rendîmes à peine compte de ce que nous mangions et pendant combien de temps. Les jeunes mariés furent la cible principale de Son feu nourri.

On préparait le Mandir pour les bhajans du soir qui clôtureraient la fête de Dasara. L’image de Baba et l’idole de Krishna furent décorées avec goût avec des guirlandes multicolores. Un dévot de Madras avait amené sa fillette qui suivait des cours de danse depuis plus d’un an. Lui et sa femme étaient occupés à l’habiller magnifiquement dans le hall dans l’espoir que Baba lui permettrait gracieusement d’esquisser quelques pas de danse devant Lui et l’assemblée des pèlerins. Nous nous réjouîmes à la perspective de ce charmant divertissement, le jour du mariage. Chacun dans le hangar bondé observait la porte par laquelle Baba ferait Son entrée.

Nous aperçûmes la robe orange et l’épaisse touffe de cheveux divisée en une grande moitié et une petite moitié alignée sur le coin de l’œil gauche. Soudain, Baba glissa sur le sol de la véranda et la foule cria ‘’transe’’ ! Ce fut vraiment un choc pour moi, alors que les résidents du Mandir et les dévots rassemblés dans le hangar ne tressaillirent même pas. Venkamma, la sœur, me confia que ce ‘’voyage extracorporel’’ était un ‘’must’’ le jour de Vijayadasami. Elle se tenait à l’écart du petit groupe de fidèles occupés à masser les pieds, les mains et la poitrine de Baba. Ses yeux étaient ouverts et n’étaient dirigés vers nulle part en particulier. Je l’importunai pour qu’elle me dise où Baba avait voyagé. Elle répondit : ‘’Il va à Shirdi où on Lui rend un culte avec une cérémonie spéciale aujourd’hui. Vijayadasami est le jour où Il quitta le corps physique de Shirdi Baba.’’

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Qu’est-ce qu’un membre de la Faculté d’Histoire de l’Université de Mysore, détenteur d’une maîtrise de lettres et d’un diplôme de droit qui s’accrochait encore à la vision courante de la science devait penser de cet incident extraordinaire juste devant ses yeux ? Baba était devenu soudainement inconscient des événements autour de Lui, mais au lieu de l’interpréter comme une crise physique fâcheuse, les dévots se complaisaient dans une perception erronée et grossière. Comment la conscience désincarnée de ce Baba pouvait-elle être perçue à Shirdi, à mille kilomètres ? Moi et mon fils, le docteur en géologie de Glasgow, nous nous risquâmes auprès du corps prostré de Baba. Baba ouvrit les yeux dans un état de semi-hébétude. Il parla d’une voix légèrement grinçante. Les mots jaillirent vite et fort comme s’Il avertissait quelqu’un de conséquences terribles. Un couple de Sholapur dans le Maharashtra s’exclama : ‘’Ce sont des mots en marathi. Il invite un homme à servir des bonbons à un autre’’. Je regardai mon fils et il en fit de même. Les yeux de Baba devinrent plus brillants et Son marathi plus clair.

Soudain, Il se leva et Il entra dans le hangar où des bhajans jaillirent immédiatement d’une centaine de gorges. Ainsi, mon hypothèse qu’Il était sujet à des crises ne tenait pas debout. Baba s’assit à côté de deux chanteurs de Madras, des jumeaux qui menaient les bhajans en modulant leurs voix sur celle de Baba.

La conversation après les bhajans, pendant le dîner et même plus tard, tourna apathiquement autour du voyage que Baba entreprend chaque Vijayadasami à Shirdi, Sa résidence d’autrefois. Etrange, divin, incroyable—tels étaient les adjectifs avec lesquels la discussion tergiversait. Je me demandais pourquoi cette jeune personne ne s’était pas annoncée elle-même comme elle-même ! Pourquoi lui, un jeune villageois de quatorze ans, a-t-Il déclaré être un fakir du Maharashtra mis au tombeau, et revenu pour poursuivre la tâche d’intégration de l’homme avec le Dieu qui réside en lui ? Des garçons plus intelligents auraient déclaré que leur original était Muruga du Tamil Nadu, Ayyappa du Kerala, Sankar Dev ou Chaitanya du Nord-Est de l’Inde, Ramakrishna ou Jnaneshwar du Bengale et du Maharashtra. Et seulement après qu’ils soient plus âgés. ‘’Mais cet adolescent s’en tenait à la Vérité’’, me dis-je en moi-même. Je résolus d’investiguer et de développer l’identité des deux Babas dans la biographie que je devais écrire.

A l’aube, Potti Iyer me rappela que très tôt nous devions prendre un bus qui emmènerait directement les membres de notre groupe à la gare de Penukonda. La ‘’transe’’ ou le ‘’voyage transcorporel’’ de la veille avait bouleversé la padapuja ou ‘’vénération des Pieds’’. Le couple des jeunes mariés était le plus privilégié, mais

93 chacun de nous pourrait participer à la cérémonie. On nous annonça que Baba prendrait place sur la chaise ornementale placée à l’entrée du hall et qu’Il placerait Ses Pieds sur un plateau d’argent. Ceux-ci pourraient alors être lavés comme on le faisait déjà à Shirdi avec de l’eau sanctifiée. Ensuite, on pourrait leur appliquer de la pâte de santal et de la poudre de kumkum. Puis, avec la répétition des 108 noms de Sai Baba, des fleurs pourraient être placées dessus. On offrirait alors des fruits ou des bonbons à Baba qu’Il pourrait accepter et goûter. Pour finir, on agiterait la flamme de camphre devant Lui, (fondamentalement) pour éviter le mauvais œil et (secondairement) comme prière pour la sublimation de nos pulsions. La padapuja était un ‘’must’’ pour les pèlerins, bien que Baba estimait Lui-même que c’était une ‘’option’’. Baba avait proclamé à Uravakonda que Ses Pieds, les pieds de l’Instructeur mondial, pouvaient libérer l’humanité du bombardement alternatif de la joie et de la douleur, de la régénération et de la dégénérescence.

Bien que je n’avais pas avalé la validité de cette déclaration sans la moindre réserve comme Potti Iyer et Parameswara Iyer, j’attendis le rite de la padapuja comme un comportement traditionnel historique encouragé par des gurus de toutes obédiences en Inde depuis des siècles. La plupart des gurus utilisaient leurs pieds pour récolter de l’argent et arrondir leur compte en banque, mais je fus soulagé d’apprendre que Baba ne permettait jamais que le moindre sou ne contamine l’atmosphère d’adoration.

Mais puisque Baba était parti pour Shirdi et qu’il Lui fallut environ une heure pour retourner, la padapuja dut être annulée. Nous ne pûmes que toucher les Pieds et placer quelques feuilles de tulsi dessus avant d’agiter la lampe. Baba effectua deux ou trois rotations de la main droite, la paume tournée vers le bas et Il attrapa habilement la vibhuti qui en tombait. Il versa la cendre dans nos mains. J’avais lu qu’à Shirdi, Baba avait un feu à l’endroit où Il passait la plupart de Son temps et qu’Il donnait de la cendre aux gens avant qu’ils ne prennent congé de Lui. Mais ce Baba n’avait pas de feu. La cendre n’était pas chaude au toucher.

Soudain, j’entendis un des enfants pousser un cri de joie. ‘’C’est sucré !’’ Il avait léché la cendre sitôt qu’elle avait été donnée par Baba. Nous la tenions encore dans nos mains. J’en plaçai quelques grains sur ma langue. C’était salé. Baba avait distribué la vibhuti du tas originel de la même main avec les mêmes doigts dans un geste continu à tous, mais l’enfant la trouvait sucrée et l’adulte la trouvait salée. Je dus me débarrasser d’une fameuse dose de mon dédain et m’appuyer pesamment sur mon sens de l’humour pour remplir le vide. Mon horizon était en train d’être

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élargi au-delà de toute mesure ! Je devais renoncer au confort que j’avais gagné dans l’étroitesse d’esprit.

Baba appela certains membres du groupe derrière l’épais rideau qui cachait l’autel du restant du hangar. Il se tenait sur la marche que Seshagiri Rao empruntait pour verser de l’huile dans les lampes placées sur l’estrade. Il ouvrit le rideau et appela les jeunes mariés qu’Il bénit.

De ce côté du rideau, nous ne pouvions capter qu’un petit rire ou un soupir occasionnel, un ricanement ou un sanglot et un murmure continu. Le tour des autres vint ensuite. Mon étudiant fut également appelé. Il trébucha quand il sortit et il tomba dans les bras de Parameswara Iyer qui le rattrapa en vol plané. Il fut, dit- il, submergé par la compassion de Baba et l’assurance formelle que Baba lui procura. Il avait perdu cinq enfants, l’un après l’autre, alors qu’ils faisaient leurs premiers pas ou qu’ils zézayaient encore. Il avait à la maison un bébé (une fille) et un garçon potelé de trois ans qui parcourait déjà l’alphabet. Baba lui dit qu’Il avait pitié de la détresse de la mère. Il tapota la tête de Venkataramiah en lui disant : ‘’Il n’arrivera rien aux enfants que vous avez maintenant. Ils vivront longtemps et ils connaîtront une grande renommée grâce à leur bonté.’’ Venkataramiah me demanda : ‘’Comment savait-Il que j’ai perdu cinq enfants et qu’il m’en reste deux ?’’ Je lui demandai : ‘’Comment savait-Il que j’ai une fille ?’’ Potti Iyer, qui entendit notre conversation, dit : ‘’Posez-moi la question plus tard’’.

A ce moment-là, je vis le visage de Baba dans la fente du rideau. Il m’appela par mon nom et voulut que ma femme m’accompagne. Nous grimpâmes les marches et nous nous retrouvâmes face à Lui. Je dois avouer que je ne pouvais pas comprendre l’énigme nimbée de mystère qui nous souriait aussi angéliquement. Il révéla que mon problème, c’était de savoir comment réconcilier ma dévotion pour Ramakrishna et ma gratitude envers Lui. ‘’Pauvre homme’’, dit-Il à ma femme, ‘’il ne sait pas que c’est Ramakrishna qui l’a conduit à Moi. Ramakrishna l’a récompensé de sa longue loyauté. Il l’a conduit à Kothacheruvu.’’ (Il dit ceci avec un petit rire.) (Kothacheruvu est un village à 9 km de Puttaparthi) ‘’Il l’a guidé jusque-là et il est parti, car le guru n’a plus rien à faire, une fois que son élève est face à face avec Lui’’. Je me demandai comment Il était au courant de mon initiation dans le giron de Ramakrishna. Immédiatement, Il remua la main qui serrait deux pièces d’argent avec un anneau, apparues mystérieusement. Il en donna une à ma femme et l’autre à moi. ‘’Portez-la à votre cou,’’ lui-dit-Il. Il y avait Son portrait sur l’avers et , la déesse de la bonne fortune sur le revers.

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‘’Portez ceci sur votre cordon d’initiation,’’ me dit-Il. La pièce à port constant que je reçus avait Son portrait sur l’avers et le portrait de Sai Baba de Shirdi sur le revers. Cela engendra une épreuve qui m’envoya musarder dans les royaumes de la théologie, de la mythologie et de l’hagiographie. Les deux Baba sont-ils un ? Etait- ce une nouvelle Résurrection ? Le voyage à Shirdi était-il réel ? Pouvait-il s’agir d’une réincarnation volontairement entreprise par la même Volonté Toute-Puissante qui décida de l’incarnation de Shirdi ? Mon esprit bondissait d’une idée à l’autre, tantôt ponctuée par un point d’interrogation, tantôt ponctuée par un point d’exclamation.

Un bus spécial nous attendait sur la rive orientale de la Chitravathi. Nous traversâmes les sables en laissant une bonne partie de nos cœurs au Mandir avec Baba. Il nous accompagna jusqu’en bordure des sables et Il agita Son mouchoir jusqu’à ce que le dernier d’entre nous ait pris pied sur le versant oriental de la rive. Potti Iyer et sa fille régalèrent le groupe avec des bhajans. Mon beau-fils chanta quelques chants qu’il avait composés sur Baba. Venkataramiah resta silencieux, ruminant l’aubaine qu’il avait reçue. Le lit asséché du réservoir de Bukkapatnam, la route de Kothacheruvu, les champs de paddy autour de Locherla, les neems en surplomb, la succession des collines nous dirent au revoir alors que nous prenions de la vitesse. Je me promis d’autres retours heureux le long de cette même route sinueuse.

Ma mère était la plus heureuse du groupe. Son adhésion fanatique aux injonctions prescrites par les législateurs hindous dès 400 av. J.-C. avait été systématiquement tempérée par Gopal Maharaj qui la nomma mère de la famille Ramakrishna Paramahamsa à Mysore. Quand les intouchables furent autorisés à pénétrer dans les temples de ses dieux—à Vycome par exemple—par un décret issu par le Maharaja de Travancore, elle célébra l’événement en permettant à ses propres petits enfants d’entrer avec des vêtements souillés et leur corps malpropres dans son oasis d’orthodoxie, la cuisine, qu’elle avait jusque-là protégée de toute profanation. A présent, à Puttaparthi, en compagnie de femmes de toutes castes, elle savourait des légumes qu’elle avait longtemps bannis, à la Manu. Elle tomba amoureuse de Sai Baba et de Son généreux sens de l’hospitalité qui refusait d’écarter le moindre chercheur, qu’il soit riche ou bien pauvre, pompeux ou prolétaire, de haute caste ou de basse caste, érudit ou médiocre. Tout comme un fruit qui est amer quand il est jeune devient aigre, puis se gorge de douceur quand il atteint la maturité, elle aussi s’était adoucie avec l’âge. Elle acceptait l’Universel comme le Réel et rejetait le limité comme une prison.

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Je plaçai un portrait de Baba à côté de l’image de Sri Ramakrishna. Mon cœur battait la chamade. Je ne demandai pas pardon. Nous commençâmes des séances de bhajans le soir à la maison. Mère veillait à placer un verre de lait devant Baba durant les bhajans chaque jour et quand nous découvrîmes qu’un quart ou un tiers du lait disparaissait, il ne nous fallut pas longtemps pour conclure que Baba acceptait subrepticement et délibérément l’offrande ! Ah ! Potti Iyer avait raison ! Nous l’invitâmes alors à venir nous raconter d’autres histoires, de plus en plus d’histoires, à propos de notre découverte.

Je saisis chaque opportunité d’aller à Puttaparthi. Une fois, Baba présenta un problème auquel nous devrions réfléchir. ‘’Qu’est-ce qui a meilleur goût—du lait chaud rendu tiède en le versant d’un verre à un autre un certain nombre de fois ou du lait chaud refroidi à la température de la langue en le plongeant un certain temps dans une bassine d’eau froide ?’’ Je ne pus répondre sur le moment même et Baba ne le fit pas non plus. Le problème demeura en suspens, car il devait être résolu par une expérience mécanique et un goûteur expert. Comment le processus de refroidissement pouvait-il affecter le goût ? Mais Baba me dit : ‘’Lorsque tu retourneras, pose à ta mère cette question. Dis-lui que ce qu’elle fait n’est pas correct.’’

C’est ce que je fis et je découvris qu’elle refroidissait le lait rapidement avec l’aide d’une bassine d’eau froide avant de le placer devant Son portrait, comme Baba l’avait révélé. Je savais que Baba n’était pas à cheval sur la nourriture, que Son palais n’était jamais trop sensible aux variations de saveur ou amateur de délicatesses particulières. Je l’avais entendu déclarer que notre bonheur était la nourriture qui Le faisait vivre, qu’Il trouvait Son bonheur dans le fait que nous mangions une nourriture saine, inoffensive et délicieuse.

De manière surprenante, Baba n’appréciait pas le lait ni les produits laitiers ! Le jour de Vijayadasami, jour du mariage, quand mère servit du lait caillé, Il le repoussa avec une blague (ou était-ce une explication ?) : ‘’Oh ! La dernière fois que J’étais ici, en tant que Krishna, J’ai consommé assez de lait, de lait caillé et de beurre que pour satisfaire de nombreux Avatars.’’ Par conséquent, cela doit sûrement être Sa compassion infinie qui Le poussa à boire le lait du verre devant Son portrait dans le sanctuaire de la maison de la douzième rue, Wilson Gardens, de Bangalore où nous vivions. Via la question concernant la supériorité de la stratégie lente sur la stratégie rapide pour refroidir le lait, Baba avait ratifié la conclusion à laquelle nous étions parvenus à propos de la destination du lait qui disparaissait.

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Mère fut encore bénie par Baba autrement. Tandis que le reste de la famille et quelques voisins s’asseyaient pour les bhajans près de l’alcôve qui abritait l’autel, mère s’asseyait seule à quelques pas tout contre le mur. Elle gardait le tempo en battant des mains aussi vigoureusement que le plus fort des dévots, car elle aimait les bhajans. Elle avait même composé un bhajan en tamoul et elle insistait pour que nous le chantions à Baba tous les jours. Un jour, à la fin de la séance, elle se tenait les mains jointes dans la pose namaste. Elle sentit quelque chose dans ses mains, quelque chose qui tournait de son propre chef entre ses mains. Elle supposa qu’il devait s’agir d’une grosse abeille ou d’un bourdon. Effrayée, elle ouvrit les mains et y découvrit un jeune plant de tulsi sacré. Un véritable don de grâce ! Mère était si heureuse d’avoir été choisie pour cette bénédiction que nous nous risquâmes à l’imiter. Chacun à notre tour, nous nous assîmes quotidiennement à la même place contre le mur et nous aussi, nous battîmes vigoureusement des mains, nous nous levâmes et nous joignîmes les mains. Mais nul ne fut béni par la répétition de l’aubaine. Nous conclûmes que Baba avait Ses propres raisons pour chacun de Ses actes, que ce soit dans la Présence visible à Puttaparthi ou dans l’invisible Présence au-delà du royaume de la perception sensorielle.

Je m’évadais à Puttaparthi à chaque fois que je le pouvais, car Bangalore devint pour moi les Iles Andaman où l’on envoyait les condamnés à perpétuité. Au cours de l’une de ces visites, je fus accueilli là-bas par non moins que le Dr B. Thirumalachar, directeur de mon collège et professeur de zoologie. Il était officiellement mon patron, mais néanmoins un pote génial et un joyeux Ramakrishnaïte. On aurait dit que le groupe des dévots attendait mon arrivée, tant était la chaleur de la réception qui me fut accordée. Je ne savais pas que le calendrier avait annoncé une pleine lune ce jour-là et que les prévisionnistes avaient prédit un ciel serein. Les nuits de pleine lune étaient des occasions festives à Puttaparthi, car Baba conduisait les dévots sur les sables du lit de la rivière pour bhojan ou bhajan ou les deux. Bhojan était un genre de petite fête où chaque famille apportait son propre pique-nique et tous partageaient la mise en commun des denrées. Baba se joignait aussi au groupe des joyeux participants.

On me dit que quelque chose avait dû aller de travers. Baba était resté silencieux et froid quand on avait mentionné la Chitravathi. Un pan de morosité s’était abattu sur le Mandir. Seul le visage de Baba était radieux. Il semblait jouir de leur déconfiture. Le directeur et d’autres s’imaginaient que si j’ajoutais ma prière à leurs importunités, Baba pourrait céder et accepter de s’asseoir sur les sables avec nous pour bhajan et même consentir à bhojan. Nous étions certains que les sables

98 pourraient animer la soirée, car Baba serait naturellement tenté de jouer avec eux et le jeu se terminerait par la création d’un médaillon, d’une bague, de cendre vibhuti ou d’une icône à adorer par quelqu’un.

Baba faisait lentement les cent pas d’est en ouest et d’ouest en est dans le hangar aux bhajans, inattentif au groupe de dévots qui implorait silencieusement la répétition de l’aubaine de la pleine lune. Environ cinq d’entre nous entreprirent de Le suivre tout le long du hangar, désireux de déranger Ses pensées, mais effrayés par la critique sévère qui pourrait s’ensuivre. ‘’Swami ! C’est la pleine lune aujourd’hui. Il y a la réunion sur les sables’’, nous Le priâmes, alors qu’Il se déplaçait d’ouest en est. Quand Il eut atteint l’extrémité est du hangar, Il stoppa, se tourna brusquement vers nous et railla : ‘’Pensez-vous que Je ne puis transformer que le sable de la Chitravathi ? N’y a-t-il pas de sable autour du mandir en construction ?’’ Ainsi, Il savait pourquoi nous Le priions de nous rendre sur les sables de la rivière.

Bien entendu, il existait des tas de sable non négligeables sur le site d’où Prasanthi Nilayam sortait de terre. Aussi Lui dis-je, alors qu’Il se déplaçait d’est en ouest : ‘’Swami ! Nous irons sur ce site, nous nous assiérons sur un monticule et nous chanterons les bhajans.’’ Il s’arrêta à l’extrémité ouest. Il n’était pas d’humeur à accepter quoi que ce soit. ‘’Je sais que ce ne sont pas les bhajans qui vous intéressent. Vous souhaitez que Je vous divertisse par des miracles. Vous pensez qu’il Me faut du sable pour cela.’’ Il rit et continua vers l’est. Nous Le suivîmes. Quelqu’un dit : ‘’Très bien, Swami ! Nous savons que Vous pouvez créer des choses à partir de l’air. Nous n’avons pas besoin d’aller sur le site en construction. Rassemblons-nous dans le Mandir même. Un miracle peut se produire ici, maintenant, si Vous êtes gracieux.’’ Nous Le complimentâmes pour Sa clairvoyance et ajoutâmes nos voix : ‘’Où, cela n’a pas la moindre importance. Nous voulons profiter du clair de lune en Votre présence, joyeusement. C’est tout.’’ Baba s’arrêta. Il nous fit face et dit : ‘’Vous réclamez des miracles, mais vous n’avez pas conscience d’un miracle : vous, chacun de vous. Votre existence même est Mon miracle.’’ Il dynamita tous nos espoirs de réjouissances nocturnes, mais par cette simple déclaration, Il révélait qu’Il était autrement phénoménal que n’importe qui dans l’histoire humaine.

Moi, Son miracle ? Je ressentis de la honte d’avoir été conduit dans un piège et convaincu de demander des babioles insignifiantes à ce Baba qui comme le Seigneur Krishna, prétend qu’Il est la Semence qui devint tout ceci. Je rassemblai

99 mes compagnons sur le côté et me reprochai devant eux d’avoir cédé à l’assaut de la tentation et de la curiosité. Je leur dis que Baba devait être non seulement aimé, adoré, approché pour la grâce et les dons, mais plus que tout ‘’craint’’ ! A Shirdi, Baba était redouté parce qu’Il excusait la mesquinerie ou la tergiversation. Ce Baba est maintenant plus compatissant mais ce jour, nous découvrîmes qu’Il était beaucoup plus profond que n’importe lequel des phénomènes divins dont nous connaissions l’existence quelque part à n’importe quelle époque. ‘’Vous êtes Mes plus grands miracles.’’ Qui oserait faire pareille déclaration, à part celui qui est Dieu venu dire la Vérité dans un langage que nous comprenons ? ‘’Comment devons- nous approcher, appréhender, adorer et tirer profit de cette Personne unique—voilà ce que chacun d’entre nous avait à déterminer,’’ leur dis-je. Lorsqu’Il dit que nous étions tous Ses miracles, cela me rappela le Psalmiste qui exprima ainsi sa gratitude à Dieu : ‘’C’est Toi qui as façonné mes entrailles ; c’est Toi qui m’as assemblé dans le ventre de ma mère. Je Te louerai, Toi qui me remplis d’une crainte respectueuse. Merveilleux es-Tu, merveilleuses sont Tes œuvres. Tu me connais par cœur. Mon corps n’est guère un mystère pour Toi – comment je fus secrètement pétri et modelé dans les profondeurs de la terre. Tu as vu mes membres point encore formés dans la matrice et dans Ton livre, ils sont tous répertoriés. Jour après jour, Ils furent façonnés, tous se développant à temps et à heure.’’

Je ne sus pas dormir cette nuit-là et je ne permis pas non plus à mes amis de Bangalore de dormir. Nous nous glissâmes en dehors de la cour et nous nous assîmes en groupe sur la plage sous la pleine lune. Nous réfléchîmes de nouveau à l’importance de la déclaration qui avait échappé des lèvres de Baba.

Baba la fit si spontanément, si naturellement et si énergiquement que nous ne pûmes y découvrir la moindre trace de fanfaronnade, de fantasme ou de fiction. Ce n’était pas là une affectation pédante. Le Dr Thirumalachar fit remarquer que Sri Ramakrishna avait déclaré qu’il était le Principe Divin qui s’était incarné sous forme humaine, d’abord comme Rama, puis comme Krishna. Mais nous lui répondîmes que ceci s’était passé pendant la dernière heure de sa vie terrestre et en réponse à une prière qui exigeait une réponse. Swami Vivekananda désirait entendre l’authenticité de son maître de la bouche du maître avant qu’il ne quitte son corps. Il pensa en lui-même ‘’Si seulement il l’annonçait au moins maintenant,’’ et c’est ce qui s’est passé.

Sri Rathnayya dit que dans la Gita, le Seigneur Krishna avait dit que le mystère de Sa Divinité ne devait pas être révélé à tout le monde. ‘’Vous ne devez pas parler de

100 ceci à celui qui manque d’austérités et de dévotion, ni à ceux qui n’aiment pas servir, ni à ceux qui disent du mal de Moi.’’ Mais ici, Baba déclare la ‘’Guhyaad Guhyataram jnaanam’’, la ‘’vérité plus secrète que tous les secrets,’’ à vous, à moi et à eux en faisant les cent pas dans un hangar ouvert, au su de tous ! C’est un mystère pour moi,’’ dit-il.

Une autre personne intervint. ‘’Ce jeune homme est né dans une chaumière en terre dans ce village pauvre enserré dans des collines arides. Il a joué dans ce sable et Il a surveillé le bétail sur les bords de cette rivière. Tel un diamant pris dans les profondeurs du sol, Il brille maintenant de Sa splendeur innée. Qui croirait que ce hameau deviendra bientôt le paradis sur terre ?’’

Savoir que nous revenions sur nos pas pour passer la nuit sous le ciel étoilé dans le voisinage immédiat de notre ‘’Créateur et Maître’’ nous remplit d’un étrange mélange d’humilité et d’orgueil, de crainte et de confiance, de vacuité et de richesse. Baba savait que nous étions partis et que nous étions revenus plus heureux et plus sages, aussi s’abstint-Il de tout reproche.

Ma tête posée sur l’oreiller tournait autour du verset II.29 de la Gita : ‘’Une personne Le voit comme une merveille étonnante ; une autre en parle comme d’une merveille étonnante ; une autre en entend parler comme d’une merveille étonnante. Pourtant, nul ne Le comprend réellement !’’ J’ai vu Baba ; Il m’a parlé et je Lui ai moi-même parlé. J’ai entendu beaucoup de personnes parler de Lui. Et pourtant, Il demeure une merveille étonnante qui échappe à l’évaluation et au jugement ! Cette personne blottie dans ce lit peut-elle être le Principe Absolu ayant pris forme humaine ? Comment ma foi infidèle peut-elle m’aider à Lui être vraiment loyal ?

Les quelques jours en la présence de Baba au Mandir furent une expérience éducative qui nous inculqua le respect des sources fondamentales de la culture indienne et qui nous enseigna le processus de l’amour pur. Je fis la connaissance de parents d’un hameau près de Trichinopoly qui avaient amené leur fils de cinq ans pour que Baba l’initie à l’alphabet. Baba leur donna beaucoup plus que ce pour quoi ils avaient prié. Il leur dit qu’ils avaient contourné quelques autres rites préliminaires qui devaient être effectués, selon les anciens textes. Il lui coupa quelques mèches de cheveux et lui fit raser la tête. Il supervisa le bain qui lui fut donné avant l’initiation. D’un geste de la main, Il créa deux fils d’or pointus comme une aiguille à une extrémité. Il perça les lobes des oreilles du garçon avec les fils et

101 les torsada sous forme d’anneaux, car le perçage des oreilles est un autre rite obligatoire pour les enfants hindous. Puis, Il prit le garçon rayonnant de joie sur Ses genoux et en maintenant son index droit entre Ses doigts, il le guida pour écrire ‘’’’ qui subsume tous les sons et tous les mots. Car la voix humaine a sa source dans la gorge et son apogée sur les lèvres et ‘’Om’’ s’élève dans la gorge, roule le long de la langue et s’achève sur les lèvres.

Baba visitait très souvent les dévots de Bangalore. Ma femme et moi ne manquions jamais l’opportunité de recevoir Ses bénédictions. Mère se joignait à nous avec enthousiasme. Bien qu’ils étaient des centaines à grouiller autour de Lui pour avoir la chance de toucher Ses Pieds, par un sourire ou par un signe de la main, Il nous montrait qu’Il nous avait vus et que nous pouvions avancer auprès de Lui. Il séjournait chez Sri Purnayya, le directeur commercial principal de Southern Railway. Sa femme, Nagamani Amma, était très gentille pour les dévots de Baba. Pendant le séjour de Baba, sa maison était ouverte à tous, et même après Son départ pour Puttaparthi ou pour un autre endroit, elle passait des heures avec les dévots à raconter avec enthousiasme les miracles auxquels elle avait eu le privilège d’assister. Nous nous sentions attirés chez elle, car ses souvenirs étaient la preuve authentique de la divinité de Baba que nous brûlions d’explorer et d’expérimenter de plus en plus profondément. Ma joie augmentait lorsque je l’écoutais ; je ne me sentais jamais rassasié.

Baba visita la demeure des sœurs de la Rani de Chincholi à Bangalore. Une fois, Baba nous invita dans leur salon. La plus jeune sœur, Seethamma était mon étudiante lorsqu’elle préparait son diplôme de lettres au collège de la Maharani de Mysore. Baba parla en kannara et ainsi nous pûmes profiter au maximum de Ses traits d’esprit et de Ses reparties. Les deux sœurs avaient perdu leurs maris. La plus âgée des deux, Rajamma avait perdu une fille, mais elle avait un fils et une fille qui se portaient bien. Elles avaient leur vieille mère chez elles. Baba rappela les jours qu’Il passa à Hyderabad chez leur sœur aînée, la Rani, lorsque l’hystérie collective des Razakars était à son apogée. Il relata plusieurs incidents où Sa Volonté intervint pour sauver la Rani et son entourage. Il parla de la profonde dévotion du défunt Raja de Chincholi envers Lui quand Il était à Shirdi et Il décrivit comment le Raja manifestait cette dévotion par l’humilité et la commisération envers les pauvres et les nécessiteux. De là, Sa causerie se porta sur le sujet du dévouement et de l’abandon comme . ‘’Il est facile de parler d’abandon à Dieu, mais vous n’êtes pas ‘’libres’’ de vous abandonner ! Les sens auxquels vous vous êtes déjà abandonnés ne vous permettront pas de vous abandonner à un idéal

102 supérieur,’’ dit-Il. ‘’Vous n’avez pas la maîtrise de votre esprit. Il vous tire dans vingt directions différentes. Ravana avait dix têtes. Chaque tête complotait différemment. Comment pouvait-il alors s’abandonner à Shiva ? Pas étonnant qu’il chercha à détrôner Shiva !’’ Baba se tourna vers moi et demanda : ‘’Quelle fut la plus grande erreur de Ravana ?’’ Je ne pus le découvrir de suite et Baba fournit la réponse. Il vola prakriti au Maître de prakriti. ‘’Vos scientifiques commettent la même erreur aujourd’hui et ne peuvent qu’entraîner tous ceux qui les célèbrent et qui les suivent à la perdition. est la Nature, prakriti, la fille de la Terre, trouvée dans un sillon. Ravana kidnappa prakriti. La science exploite la Nature et est fière de l’avoir conquise. Mais Ravana ne tint pas compte du Seigneur de la Nature, Rama. La science ne respecte pas la vie, elle n’a pas peur d’insulter et de blesser prakriti. Elle renie Rama, le Seigneur de prakriti.’’ Je découvris une nouvelle facette de la personnalité de Baba—la rareté, la clarté et la validité de Sa compréhension de la condition humaine contemporaine.

Baba parla au fils de la sœur la plus âgée. Il avait été sélectionné comme agent de police et suivait un entraînement spécial au Mont Abu. Baba cita abondamment la Gita en lui conseillant d’accomplir son devoir aussi consciencieusement que possible et aussi scrupuleusement que la loi ne l’exige ou ne l’impose. Quand le jeune homme pria pour que Baba le guide et le protège, Baba répondit : ‘’Je le fais pour tous ceux qui cherchent, c’est Mon devoir. J’ai infligé la faim à l’homme et Je dois le nourrir. J’ai planté l’arbre, aussi J’arrose ses racines.’’ J’étais bouleversé, suite à la révélation du caractère unique de cette Apparition. J’avais lu dans la Shri Sai Satcharita que Baba avait déclaré à Shirdi que Son trésor était plein et qu’Il pouvait donner à chacun ce qu’il voulait. J’avais dit à mes amis que c’était une vantardise, mais maintenant, Baba prouvait que c’était moi le fanfaron.

Le désir d’accueillir Baba dans ma maison s’intensifia avec chaque opportunité de bénéficier de Sa compagnie et de Sa conversation dans les maisons des autres dévots. Je découvris rapidement que cet avantage était un acte de grâce spontanée. Il ne pouvait être obtenu par un autre moyen que la prière. Un jour, mère eut l’audace d’arrêter Baba, alors qu’Il sortait d’une séance de bhajans et de Lui présenter sa demande. Elle obtint la bénédiction. Il dit : ‘’Je viendrai, je viendrai,’’ trois fois ! Mais quand ? Quand Il le voudra ! Malgré tout, la promesse bien réelle qu’Il fit fut une source de consolation.

La Fête de l’Anniversaire en 1948 et Sivarathri en février 1949 nous attirèrent à Puttaparthi. Les célébrations furent simples, avec des centaines d’intimes dévots.

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Baba répandit Sa grâce sur tous, y compris les hommes et les femmes du village. Un riche festin fut le point d’orgue de l’Anniversaire. Sivarathri fut l’occasion d’une séance de bhajans et d’une veillée nocturne. Baba se retira dans la pièce où Il passait la journée quand le linga fut prêt à sortir. A part deux compagnons de Son âge, seules quelques personnes purent assister au saint événement, bien que d’autres eurent le privilège de voir le symbole mystique de la divinité qui s’était développé en Lui. Les villageois vinrent également en grand nombre avec leurs charrettes remplies de canne à sucre prête à être broyée au moulin. Ils prièrent pour que Baba les bénisse d’une récolte de jus profitable et d’un bon prix pour le sucre brun qu’ils fabriquent.

Je m’étais construit une petite maison d’habitation pour moi-même dans la banlieue de Bangalore. Quel que soit le temps, je devais marcher plus de cinq kilomètres pour atteindre le collège. Un jour, en juillet 1949, il pleuvait, non pas des cordes, mais des hallebardes ! Alors que j’approchais des bureaux du conseil municipal, il y eut un coup de tonnerre qui déchira le ciel et qui faillit me briser les tympans. Je m’abritai sous le porche, trop petit déjà pour accueillir les ânes, les vaches, les chiens et les humains trempés. Je savais que l’administrateur de l’université était en ville. Je résolus de lui demander de me poster comme professeur dans le collège universitaire de n’importe quelle ville, peu importe son éloignement ou son délabrement, là où je pourrais vivre à quelques minutes du collège.

De sous le porche, je m’aventurai dans le crachin et me hâtai vers le collège. J’étais certain que l’administrateur serait au Collège Central, mais je devais d’abord donner cours à une classe qui attendait avant de lui présenter ma demande. Le Dr Thirumalachar, le directeur, m’attendait à l’entrée même et il m’apostropha : ‘’Félicitations ! Baba t’a béni,’’ s’exclama-t-il. ‘’Tu dois rentrer au Collège Intermédiaire de Davangere en tant que directeur. L’ordre de l’université vient juste d’arriver. Demain, c’est jeudi, le jour de la semaine spécialement béni par Baba. Je veux que tu envoies un télégramme maintenant et que tu prennes le train de nuit qui part à 21h00. Il te déposera là-bas à 7h00 du matin.‘’

Lors du tout premier entretien, Baba m’avait assuré que mon salaire et mon statut à l’université seraient bientôt augmentés. Ses paroles étaient devenues réalité. Sa volonté avait prévalu. Ainsi, en Son jour, je me présentai devant Sri O.K. Nambiar que je remplaçais et j’assumai la couronne d’épines qu’il ôta volontiers de sa tête.

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J’appris que le campus du collège était l’arène aride de factions rivales empoisonnées par de caustiques loyautés de caste, que le vice-recteur avait envoyé quatre directeurs à Davangere en cinq ans pour remettre le collège sur les rails et que si l’on ne me permettait pas de remplir ma fonction, il fermerait le collège pour de bon, sans la moindre hésitation. Aussi, sans en être conscient, j’avais apporté avec moi une épée de Damoclès qui était maintenant suspendue au-dessus du temple de Sarasvati ! Il n’y avait là aucune perspective agréable, mais puisque Baba m’y avait envoyé, j’avais la certitude que les épines seraient bientôt émoussées.

J’installai un portrait de Baba dans mon bureau. Je demandai Ses bénédictions en y entrant ainsi qu’en apposant ma signature sur toute lettre, chèque, document, notification ou ordre. Le Sai mantra de l’amour guérit l’allergie chronique envers toute activité au relent d’éducation dont souffrait une partie des étudiants. Avec ce mantra, je plantai le jeune arbre du seva dans les quartiers harijans de Davangere. La ville avait une usine d’huile végétale, car c’était le marché de la région productrice d’arachide du nord de Mysore. C’était également le centre d’une vaste région à la terre noire où l’on faisait pousser du coton. Ainsi il y avait aussi trois filatures de coton. Elle comprenait une importante colonie de campements harijans, isolés et abandonnés, dont les résidents travaillaient pour la plupart à garder la ville propre. Nous choisîmes le Rama Mandiram comme centre de service du collège, une hutte de terre de 3 m x 2,5 m construite dans cette colonie par les Harijans. Nous délimitâmes un terrain de volley-ball et nous l’équipâmes de piquets, d’un filet et d’un ballon. Là, dans le périmètre sacré, mes étudiants et les jeunes Harijans se côtoyèrent en servant, passant, bondissant et en frappant. Oh ! Quel plaisir et quel enthousiasme il y avait là ! De nombreux sourcils s’élevèrent dans les milieux de l’orthodoxie craintifs et suspicieux, mais l’idéalisme des collégiens les convainquit. Sur le mur du mandir, nous affichâmes un bulletin de nouvelles hebdomadaires avec des photos que nous commentions volontiers aux personnes âgées curieuses. Nous chantâmes des bhajans et nous programmâmes des discours, des exposés et des pièces musicales. Chaque fois qu’une personnalité en vue ou qu’un ministre visitait le collège, nous l’emmenions au mandir et nous l’amenions à improviser une conférence. Certains conseillers municipaux n’étaient pas très contents. Ils appelèrent cela de la flatterie, nous taxèrent d’exhibitionnisme et nous accusèrent de découper les illustrations des magazines auxquels le collège était abonné. Les garçons s’amusèrent de leur cynisme et les programmes en firent leurs choux gras. Comme leurs propres fils étaient impliqués et comme des hôtes distingués pénétraient dans le bidonville, la municipalité dut améliorer les routes et les

105 canalisations et veiller plus spécialement aux problèmes des résidents. Je répétai mes récitals Harikatha au Centre de Davangere et dans quelques villages des alentours comme Malladihalli. Le dernier jour de ma titularisation en tant que directeur du collège, j’offris aux Harijans un Harikatha sur Nandanar, le saint harijan du 15ème siècle qui fut porté dans le magnifique temple de Shiva de Chidambaram par les prêtres brahmanes en personne. Le ministre de l’Education du gouvernement de Mysore présida la réunion au Rama Mandiram.

Je lançai également un programme rural novateur comme part de l’activité du collège. La troupe scoute reçut la responsabilité de ce service—l’exposition éducative itinérante. Nous rassemblâmes une centaine de photos que nous fîmes encadrer, dont cinquante inspireraient les adultes et cinquante attireraient et instruiraient les enfants. Nous préparâmes aussi une série d’une vingtaine d’expériences de laboratoire de physique et de chimie qui feraient naître l’émerveillement et implanteraient la curiosité. Nous sélectionnâmes des coquillages étranges, des branches de corail, des nids d’oiseaux, des plumes de paon et des bois de cerf. Les caisses contenant tout ce matériel étaient transportées par bus ou par chars à bœuf dans les villages des alentours—parfois éloignés de cinquante kilomètres.

Les scouts montaient l’exposition dans le hall de l’école, préparaient les expériences (démontrées par les étudiants) et accrochaient les photos à des hauteurs appropriées. Ils accrochaient des drapeaux, des guirlandes et des bannières en travers de la route. Un scout se tenait à la porte et battait du gros tambour que nous emmenions avec nous pour rassembler le village entier— hommes, femmes et enfants— dans le hall. Ils entraient par des files séparées et profitaient d’un excellent divertissement.

Il fallut aussi sevrer les enseignants d’attitudes anti-scolaires et agressives. Je tentai des réunions sociales bimensuelles des membres du personnel, l’hospitalité étant assurée par les enseignants eux-mêmes, en rotation. Ceci aida à fraterniser. Très vite, une compétition hilarante apparut dans la confection de plats. C’était une époque où la présidence de Bombay était à quinze kilomètres de Davangere et celle de Madras à peine à cinquante kilomètres. De larges populations de ces deux présidences parlaient la langue kannara et étaient liées à la population de l’Etat de Mysore par des liens culturels, religieux, familiaux et commerciaux. J’encourageai mon équipe d’enseignants à se déplacer avec moi dans les villages et les villes des districts voisins affiliés à Bombay et à Madras et soumis à la pression culturelle et

106 linguistique du marathi, de l’urdu et du télougou. Nous prîmes la parole en kannara devant des assemblées de nos frères et nous leur parlâmes des saints et des érudits, de l’art et de la culture, des mythes et des légendes, des héros et des héroïnes qui ont rendu le pays kannara illustre et glorieux. Je découvris que les enseignants de mon collège étaient très enthousiastes pour élargir le projet. Formant un groupe de missionnaires culturels, nous visitâmes pratiquement chaque ville accessible par rail de Davangere à Hubli, et accessible par bus de Davangere à Hospet et Gadag.

Pas étonnant que j’aie pu déclarer à Baba lorsque je pris ma retraite de l’université en 1954 à l’âge de 56 ans et que je quittai Davangere (la règle était que je devais cesser de servir le gouvernement à l’âge de 55 ans) : ‘’Swami ! Vos bénédictions m’ont permis de passer cinq années heureuses dans ce lieu notoirement ‘’difficile’’. Et lors de mon départ, il y avait une immense assemblée d’étudiants et de Harijans pour me dire au revoir à la gare. Leurs guirlandes de fleurs ont failli m’étouffer.’’ Tout de suite, Swami dit ‘’Bien’’ et Il agita Sa main. A ce moment-là, Il matérialisa un rosaire de grains de tulsi. Lorsqu’Il le tint devant moi, il semblait trop court d’une dizaine de centimètres, mais quand Il le déroula et le plaça autour de mon cou, il était suffisamment long. Baba nous aide à chaque pas et quand nous franchissons la ligne d’arrivée à la fin de la course, Il nous couvre de cadeaux pour avoir gagné par Sa propre grâce constante—alors que nous prétendons avoir gagné par nos propres efforts !

Mais il se passa beaucoup de choses avant que je ne quitte mon poste de directeur. Ma fille m’informait immédiatement de l’arrivée de Baba à Bangalore pour que je puisse me présenter où Il se trouvait et Le prier de passer quelques temps dans ma maison où elle vivait avec ses beaux-parents. (Je me souviens de la première fois où j’employai ce mot égocentrique exécrable.) ‘’Oh ! C’est votre maison ! N’est-ce pas ?’’, intervint-Il. ‘’Votre maison Swami, Votre maison, toute entière !’’, concédai- je. Alors, Il s’exclama : ‘’Qui êtes-vous pour M’inviter dans Ma maison ? Je peux être chez Moi et en dehors de chez Moi comme Je l’entends. Cela ne vous concerne pas.’’

Une fois, ce fut le jour où nous célébrions la Fête de Ganesh. J’étais à Bangalore avec ma femme et ma mère. Il accepta de venir. Mais j’appris d’autres amis qu’Il leur avait donné la même gracieuse assurance. Chacun de nous—environ une douzaine de dévots—nous espérâmes la bénédiction, le cœur et les portes ouvertes

107 jusque tard dans l’après-midi et le soir, Baba nous trouva tous à Ses Pieds, les yeux rouges de ressentiment et les langues liées par la tristesse. Mais Baba parut s’amuser de la scène. Il dit : ‘’Je suis venu chez vous. Je ne manque jamais à Ma parole. Dites-Moi. Je vous ai donné un signe à tous. La guirlande de fleurs que vous aviez placée autour de Mon portrait ne s’est-elle pas brisée ?’’ Effectivement, elle s’était bien rompue ! Nos visages s’illuminèrent. Nous touchâmes Ses Pieds en signe de gratitude.

En 1950, il n’y eut pas de fête de Dasara à Puttaparthi car Prasanthi Nilayam (la Demeure de Paix Suprême), qui était en construction depuis plus de deux ans suivant le plan dessiné par Lui, fut prêt pour l’inauguration, le 23 novembre, le jour du vingt-cinquième anniversaire de Baba et des dispositions élaborées furent prises pour mettre en lumière l’événement qui était réellement une avancée majeure dans la carrière avatarique. J’arrivai sur place quelques jours à l’avance et je me joignis à des frères d’Hyderabad, Venkatagiri, Madras, Salem et Bangalore pour nettoyer les canalisations et les routes du village et pour ériger des arches de bienvenue sur la route de la procession longue de quatre cent mètres entre le mandir du village et Prasanthi Nilayam, sur les contreforts des collines au sud. La route longe un étroit talus entre des champs de paddy verts bordés d’arbustes épineux. Un ingénieur de Bangalore qui contribua pendant quelques jours à superviser la construction m’indiqua un arbuste où Baba cueillait des oranges et des pommes pour lui et les autres, tandis qu’ils marchaient en groupe du mandir vers le site pour vérifier les progrès. ‘’Combien je désirai qu’Il cueille une bouteille de ma marque de whisky préférée’’ se lamenta-t-il sans honte. J’eus pitié de la victime.

Ils furent des milliers à parcourir cette route, ce matin-là. Les dévots fleuristes avaient préparé un superbe palanquin pour Bhagavan. D’épaisses guirlandes de roses et de jasmin étaient suspendues aux extrémités du dais. Baba s’installa sur le lit de soie sous un magnifique gland orné de fils d’or. Respectueusement porté sur les épaules d’équipes de dévots qui se relayaient, Il avançait majestueusement vers le Nilayam. Chalumeaux et tambours, clarinettes, clairons, saxophones, cornemuses et tam-tam Le précédaient, tandis que des groupes de bhajan chantaient en chœur et à gorge déployée devant, à côté et derrière. Tous les yeux étaient braqués sur le visage du ‘’Sauveur’’ introduisant l’ère de la Paix sur la Terre et de Bonne Volonté parmi les hommes. Beaucoup purent apercevoir le front de Baba révélant un point brillant en son centre, là où Shiva est décrit par les sages comme possédant le Troisième Œil. Nous remarquâmes que Baba arracha malicieusement des pétales, jusqu’à ce que Ses mains en soient remplies. Ensuite, Il les éparpilla sur la foule qui

108 grouillait autour. Quand ils touchèrent le sol ou même leurs têtes, ce n’étaient plus des pétales ! Chacun d’eux se transforma en un médaillon d’argent avec le visage de Baba d’un côté et celui de Baba de Shirdi de l’autre. Il ne pleuvait pas que de l’argent et des médaillons. Il y avait aussi des bagues, des pièces, des chocolats, des raisins, des noisettes—chaque cadeau étant une surprise pour celui qui le ramassait. Et c’est ainsi qu’il plut d’or et d’allégresse pendant tout le trajet, du nord au sud.

Avant que le palanquin ne touche le sol sous les acclamations extatiques de la foule, Baba fit signe aux porteurs de s’arrêter et lança une nouvelle volée de pétales—qui n’étaient ni de rose, ni de jasmin, ni d’aucune essence botanique familière. Ce furent d’étincelantes pièces d’argent qui retombèrent, peut-être frappées au Ciel, avec des images fines de Lui-même et l’inscription consolatrice ‘’Pourquoi craindre quand Je suis ici ?’’ dans plusieurs langues indiennes et en anglais. Nous sûmes que l’Ere Sai avait commencé sous tous les cieux, quand cette Magna Carta nous assurait l’immunité contre la peur.

Quelques ingénieurs qui étaient venus spécialement pour assister à l’inauguration hésitèrent à ramasser les pièces. Ils ne souhaitaient pas être les ‘’victimes’’ d’une hystérie collective. Ils préféraient garder leur logique intacte. Je leur montrai deux pièces que j’avais ramassées et les persuadai d’examiner leur authenticité, mais ils cherchèrent à tout prix à étayer leurs hypothèses bornées. Quelle pitié !

Vingt-cinq années plus tard, un psychiatre de San Diego en Californie, le Dr Samuel Sandweiss décida de rencontrer Baba ‘’pour étudier et comprendre…pour prouver que les miracles n’existent pas ! Selon mon opinion, croire aux miracles émanait de phénomènes comme l’hystérie collective, l’illusion de groupe ou la capacité de quelqu’un d’exercer une influence étrange sur d’autres au point d’altérer leur perception de la réalité. J’avais l’impression qu’observer Baba en personne me donnerait une idée de ce qui avait pu se passer au temps du Christ pour propager ces histoires incroyables !’’ Ces phrases sont tirées de la page 27 de son livre, Sai Baba, le Saint Homme et le Psychiatre. (version anglaise,NDT)

Il vint et il observa Baba. Et à la page 47 du même livre, démontrant involontairement l’insuffisance du titre-même qu’il avait choisi, il écrit : ‘’Ces histoires bibliques ne sont manifestement pas symboliques mais authentiques. Le divin se manifeste pour enseigner. Dieu apparaît sur la Terre. Il existe des forces

109 dans l’univers, des pouvoirs que nous ne pourrons jamais imaginer.’’ Et sur la même page, il s’exclame : ‘’Surprenant ! Incroyable ! Impensable ! L’expérience la plus époustouflante et la plus extraordinaire—comme si la science-fiction la plus improbable devenait réalité.’’

Oui. Il est venu piquer l’orgueil de la science et de la technologie, car leurs adeptes encouragent volontairement ou involontairement la violence, la haine, l’avidité et la tyrannie. Le nom qu’Il a apposé au Centre de Son activité—Prasanthi Nilayam— symbolise la somme des qualités qu’Il a décidé d’implanter dans le cœur de l’humanité—l’amour, le service mutuel, le renoncement et la fraternité. Prasanthi implique la paix supérieure—pas l’intervalle de calme entre deux tempêtes, mais la tranquillité sereine, suprême et inébranlable d’un esprit libre de passion et d’un intellect nettoyé et purifié qui reflète l’amour de Dieu. La Gita dit : ‘’Prasanthi est la nature humaine quand les passions sont au repos (Saantha rajasam) et quand la raison est sans tache (Akalmasham). L’état de Prasanthi ne connaît pas la peur (Vigatha bhee), car il n’est pas contaminé par la vendetta ni la voracité.’’ Silencieusement, Baba déclara en ce jour de Son 25ème Anniversaire qu’Il inaugurait non pas un bâtiment appelé Prasanthi Nilayam mais le monde comme un vaste Prasanthi Nilayam. Tous ceux qui avaient des oreilles purent entendre les échos de cette déclaration tout autour du monde.

Lors de visites subséquentes, nous vîmes quelques bâtiments sortir de terre à droite de Prasanthi Nilayam, destinés aux dévots désireux de passer quelques jours en la Présence. Des fours situés près du puits situé sur le côté est de la route qui conduit à la rivière, nous transportâmes des briques sur le site où les maçons s’activaient avec leurs truelles. Baba s’assit sur une chaise et observa les deux longues chaînes d’hommes et de femmes se passer les briques de main en main jusqu’à ce que le monticule près du puits devienne le monticule près du site. Ensuite, nous marchâmes en file indienne devant Lui et nous reçûmes un salaire symbolique de Sa main—une pièce en cuivre d’une valeur d’un quart d’anna, circulaire, fine avec un trou au milieu, conçue par les Anglais pour économiser ce métal ! Elle reste un souvenir précieux de Son amour, de Son sens de l’humour farceur.

Il nous enseignait que nous n’avions aucun droit d’exploiter le travail de quiconque, qu’il soit riche ou pauvre, qu’il soit proche ou éloigné. La gratitude est un noble trait. Ce n’est pas un signe de faiblesse d’accepter ni un signe de supériorité d’offrir. Bien que quatre quartiers résidentiels s’élevèrent rapidement, la plupart d’entre

110 nous ne purent trouver abri qu’au village dans le Mandir, pour nous plein d’heureux souvenirs, mais à présent pathétiquement surnommé ‘’vieux Mandir’’. Là-bas, nous cuisinions et nous mangions, nous faisions notre toilette et nous dormions, nous nous reposions et nous nous rafraîchissions, nous priions et nous bavardions, mais pendant tout ce temps-là, le ‘’nous’’ essentiel demeurait à Prasanthi Nilayam où Baba était. Là-bas, nous participions aux bhajans deux fois par jour. Nous préparions aussi sur nos foyers improvisés ce que nous espérions voir se révéler être des mets délicats que nous emportions avec des précautions nerveuses, et nous placions les plats autour de la table où Baba s’asseyait pour déjeuner. Comme à Shirdi, ici aussi, Baba ne mangeait que ce que les dévots offraient. A Puttaparthi, Il avait parmi Ses dévots Sa mère et Ses sœurs. Elles aussi Lui présentaient leurs expériences culinaires.

Nous ne rentrions au village à midi et au soir qu’après que Baba se soit retiré après le rituel du déjeuner ou du dîner. Quand nos plats nous étaient rendus, nous découvrions que Baba y avait goûté dans Son infinie compassion. Et Il pouvait même dire à une dame triste qui s’en retournait au vieux mandir avec son plat, en l’observant de la véranda du premier étage : ‘’Ton rasam était très bon,’’ ‘’ton riz était très savoureux,’’ juste pour qu’elle puisse ressentir ‘’Ta bénédiction me rend heureuse,’’ ‘’Tes paroles sont comme du nectar pour mon cœur.’’

A Davangere, nous n’étions pas loin de Baba, bien que la carte indiquait 360 km. Sitôt arrivés sur place, une enseignante nommée Padma, diplômée en lettres et en pédagogie, personne parente de la pieuse Subbamma de la famille du Karnam à Puttaparthi, m’apporta une lettre de Baba dans laquelle Il mentionnait qu’Il lui envoyait dans ce lieu étranger, à Davangere, un ‘’père’’ et une ‘’mère’’. Nous l’adoptâmes sur le champ. Elle avait été le témoin de nombreuses leelas de l’enfance de Baba et je pus prendre de nombreuses notes pour mon livre sur Baba. Elle avait eu une étrange expérience à la gare de Bangalore, où Baba sous Sa forme de Shirdi, la convainquit de rentrer chez elle plutôt que, comme elle l’avait décidé, de s’aventurer sur la table d’opération d’un hôpital de Mysore.

Baba, une personnalité aux allures de boxeur, était vêtu d’une longue robe blanche trouée. Il portait une petite barbe bien taillée et clopinait gaillardement sur des sabots de bois. Il lui dit qu’Il avait un ashram près du Vidura Aswattha, un ancien banian sacré planté par le sage Vidura qui est mentionné dans l’épopée du . (Puttaparthi se trouve à environ 50 km de cet arbre sacré). Il lui dit aussi à demi-mot qu’après quelques années, Il se rendrait à Shirdi avec tous les

111 disciples qui sont maintenant dans Son ashram et qu’Il s’y fixerait. Ensuite, Il préleva une poignée de petits paquets de vibhuti du sac qui pendait à son épaule et après les avoir partagé en deux moitiés, Il en remit une pour son usage et l’autre ‘’pour la personne qui est comme un père pour toi.’’ Et elle m’écrivit qu’elle viendrait bientôt me voir avec les paquets de la grâce de Shirdi car la nuit suivante, à Tumkur, elle eut un rêve où apparut le même ‘’vieil homme’’ qui lui demanda : ‘’N’as-tu pas donné la vibhuti à Kasturi ?‘’

Décembre 1951. Je reçus au courrier une lettre de Baba en langue kannara, mais avec l’écriture anglo-saxonne. Je ne pouvais ni lire ni écrire le télougou et ma compréhension de la langue était hésitante et vague, aussi Baba dut-Il concevoir cette méthode de correspondance duelle et tortueuse pour communiquer Ses ordres. La lettre me rendit à la fois fier et repentant. C’était un ordre déguisé en requête. Je devais dévoiler le portrait de Bhagavan à l’occasion de la cérémonie de la Journée Scolaire de l’Ecole Secondaire Sri Sathya Sai Baba de Bukkapatnam ! Par mesure de prudence, Baba avait écrit que cette chance en or était un signe précieux de ma bonne fortune.

Je me sentis honteux de ne pas pouvoir parler le télougou, car la grande majorité des gens qui se réuniraient à Bukkapatnam ce jour-là ne connaîtraient pas l’anglais et le kannara était pour eux de l’oriya ou de l’espéranto. Ainsi, après avoir très humblement accepté la mission, je me rendis à Bangalore pour en conférer avec un professeur de télougou de la Fort High School et pris note en écriture malayalam de la version télougoue de mon discours en kannara qu’il me dicta mot pour mot. J’arrivai à Puttaparthi et déposai la chose à moitié cuite devant Baba qui rit de ma fébrilité et écarta le manuscrit. Il dit que le discours ne devrait pas être artificiel (artificial). ‘’Il doit venir du cœur’’ (ce que Baba rendit par le terme ‘’heartificial’’!), conseilla-t-il. Ainsi rentrai-je à Davangere fort soulagé et plus riche d’un nouveau mot anglais.

L’école secondaire de Bukkapatnam fut le don de Baba à la ville qui doit son existence et sa prospérité aux ingénieurs du 14ème siècle (employés par l’empereur Bukka de l’Empire de Vijayanagar) qui choisirent le site des digues près de ce lieu pour la construction d’un barrage sur la Chitravathi. Baba y fut élève à l’école moyenne, après avoir quitté l’école primaire de Puttaparthi. Il n’avait pas besoin d’étudier. Il utilisa Son professeur pour enseigner à Ses compagnons et Ses camarades que les hommes sages et les aînés devraient être respectés. Il utilisa Ses compagnons et Ses camarades pour enseigner aux villageois que les enfants

112 devraient être chéris comme des piliers potentiels de la société. L’école moyenne qu’Il fréquentait à Bukkapatnam fut élevée au statut d’école secondaire avec l’aide d’une donation substantielle du Raja de Venkatagiri qui fut attiré à Puttaparthi par un concours de circonstances mystérieuses voulues par Baba. Baba dut se rendre à Madras pour se mettre en rapport avec le Premier Ministre et obtenir l’autorisation nécessaire, car le ‘’grand homme’’ qui avait la charge de la présidence n’était pas du tout sûr que le petit point sur la carte méritait cette institution prestigieuse. Il y avait encore un autre problème qui devait être résolu : l’école secondaire devrait- elle être construite du côté oriental ou du côté occidental du barrage ?

L’école secondaire de Bukkapatnam fut la première expérience de Baba dans le parrainage et la promotion d’instituts d’enseignement pour les jeunes. Elle obtint l’honneur de porter Son nom. Il était le Président du Comité de l’école. Il visitait souvent l’école et donnait des avis constructifs au directeur et aux autres professeurs. Chaque année, Baba organisait une fête pour les étudiants de l’école à Prasanthi Nilayam dans le cadre des célébrations de l’Anniversaire. Il connaissait chaque étudiant par son nom ainsi que son milieu familial. Sa sympathie était profonde et s’exprimait généreusement et pratiquement. Il fit don à l’école d’une série d’instruments de musique pour qu’un orchestre puisse être formé pour des défilés, des marches d’entraînement, des rassemblements etc. Les garçons apprirent à jouer des bhajans à chaque fois qu’ils se rassemblèrent au Nilayam. Ils présentèrent aussi pendant les fêtes au Nilayam des exercices avec des cerceaux, des lassos et des torches. Comme bénédictions pour Son Anniversaire, Il offrit des uniformes aux enfants harijans. Il équipa l’école de mobilier, d’une bibliothèque, d’une chaîne stéréo et d’un récepteur radio avec des hauts-parleurs. En fait, Il nourrit Son école dès sa naissance et continua à être Son protecteur et Son président jusqu’à ce qu’elle devienne l’une des meilleures écoles secondaires du district, intellectuellement et autrement.

La Fête de l’école devait être présidée par Sri Koti Reddy, le Ministre des Finances de l’Andhra Pradesh. Baba m’avait conféré le titre de docteur honoris causa sur la carte qu’Il avait fait imprimer pour envoyer à tous les invités de la cérémonie. Des larmes me montèrent aux yeux quand je vis mon nom indiqué comme N. Kasturi, diplômé en lettres, diplômé en droit, docteur, directeur du DRM College de Davangere, sur les faire-part.

A mon crédit, j’avais quelques thèses embryonnaires sur des sujets pour lesquels j’avais à cœur d’obtenir un doctorat des universités de Madras ou de Mysore. Je ne

113 pus dépasser quelques chapitres sur ‘’La Législation Industrielle de l’Inde’’ ; je terminai presque une étude sur ‘’Les Derniers Rajas de Coorg’’ ; je recopiai quelques dizaines de dossiers du secrétariat de l’Etat de Cochin sur ‘’Les Marchands Hollandais à Cochin’’. Ainsi, je dus avouer à Swami quand je tombai à Ses pieds à Bukkapatnam que je n’avais pas le droit au titre de docteur. Baba sourit et me donna une petite tape dans le dos. ‘’Tu es un docteur.’’ Sri Vittala Rao, un ancien membre du Service des Forêts de Mysore et un vieil ami à moi souleva le doute : ‘’De quelle université, Swami ?’’ Swami se tourna vers lui et dit : ‘’De l’Université de Puttaparthi’’.(Trente ans plus tard, le jour de Vijayadasami, au Poornachandra Auditorium, devant une assemblée de cinquante mille dévots présidée par le Président de la Cour Suprême de l’Inde et avec comme invité principal, le gouverneur du Maharashtra, l’Université de Puttaparthi—l’Institut d’Enseignement Supérieur Sri Sathya Sai— fut inaugurée, avec Bhagavan comme recteur et le Dr Vinayaka Krishna , maître et docteur en lettres, comme vice-recteur. Nulle parole de Bhagavan ne peut être superficielle, stérile ou légère.

J’arrivai à Bukkapatnam une heure avant le début de la cérémonie et je fus gracieusement introduit dans la distinguée compagnie. Lorsque mon tour vint, je me levai de ma chaise et fort heureusement sans maladresse de ma part, je tirai sur le ruban auquel était attaché un voile en soie argentée, exposant ainsi le magnifique portrait du Seigneur et je disposai autour une guirlande de fleurs.

Je m’adressai à l’assemblée en anglais, comme Baba m’y avait autorisé. Je dis que les écoles s’honorent elles-mêmes en plaçant devant des générations successives d’élèves des portraits de l’une ou l’autre personnalité, comme d’éminents anciens étudiants, de généreux donateurs et d’illustres personnalités mondiales. Je mentionnai que Baba fut un élève de l’école alors qu’elle était encore une école moyenne. Cela faisait de Lui un ‘’ancien étudiant’’, un ‘’ancien étudiant’’ que

114 n’importe quelle école serait fière d’avoir. Il fut aussi l’artisan personnellement responsable de son élévation, de son établissement et de son progrès. Baba était un Phénomène Divin dont le portrait conférerait renom et pouvoir à n’importe quelle institution ayant pour objet de promouvoir la connaissance et de prescrire les normes de la moralité et de la spiritualité dans n’importe quel pays. Le fait qu’Il était le Président du Comité de l’école était, je le soulignai, d’une valeur unique. Baba adorait les enfants et Il s’efforçait toujours de les encourager à devenir des citoyens du monde capables, efficaces et honnêtes.

Ce fut mon premier discours sur Baba et je fus transporté de joie lorsqu’Il me sourit quand je m’assis nerveusement sur le bord de ma chaise après dix minutes de tension. Il m’avait mis en garde de ne pas utiliser de notes et de ne pas dépasser le temps imparti. Il autorisa le ministre à disserter quelques minutes de plus. Sa femme, une travailleuse sociale réputée et une oratrice de son plein droit parla également jusqu’à ce que l’assemblée ne commence à présenter des signes d’agitation.

Cette nuit-là, j’arrivai tard à Puttaparthi après un dîner en la présence de Baba, à l’école même. Le lendemain matin, Baba me fit appeler dans la pièce populairement appelée Korike (‘’Korike’’ est un mot télougou qui signifie ‘’souhait’’—c’est la pièce qui exauce tous les souhaits, en fait). Mais ce jour-là, elle fut pour moi une pièce particulièrement frustrante !

Laissez-moi vous expliquer. Une fois, à l’occasion d’un séjour à Puttaparthi, des princes de la famille royale de Venkatagiri me parlèrent d’une farce curieuse à laquelle se livrait Baba. Quand Il était d’humeur, Il tendait la main vers une personne qui possédait une bague incrustée de pierres et maugréait : ‘’Oh ! Quelle honte ! Pour quelle raison devez-vous transporter des pierres sans être payé pour cela ? Depuis quand accomplissez-vous ce travail méprisable ? Donnez-moi cette bague !’’ Quand la personne ainsi réprimandée (la critique était techniquement correcte) desserrait la bague et la plaçait dans Sa main, Baba soufflait dessus et elle se transformait en bague avec un portrait en émail de Son propre visage charmant. Ils me présentèrent la bague qui avait subi l'impact miraculeux du souffle divin.

Je développai le désir d’être le témoin de ce miracle unique et de porter une bague ainsi métamorphosée. Aussi, j’achetai une bague en or sertie d’un énorme grenat. J’étais sûr que Sa compassion serait éveillée en me voyant transporter une pierre beaucoup plus lourde que celle que les autres portaient. J’espérais aussi qu’Il ne

115 manquerait pas de la remarquer et qu’Il me donnerait un beau portrait de plus grande taille. Le charme de la pierre était indéniable, mais Baba m’encouragea à souffrir. Il ne réclama pas la bague pendant deux années complètes.

Ce matin-là, j’entrai comme d’habitude dans la ‘’pièce-qui-exauce-tous-les- souhaits’’, le bras droit reposant sur la poitrine pour que le grenat soit là où son éclat serait le plus manifeste. Baba tendit la main pour recevoir la bague ! Ah ! Je la déposai dans cette paume à la douceur soyeuse. Mes doigts tremblaient d’excitation. Baba continua à parler. ‘’Oh ! Vous désirez avoir un grand portrait pour vous faire admirer comme un grand dévot. Ainsi, tout le monde vous envierait et cela voud rendrait célèbre. Non. Les gens exhibent Mon portrait sur leurs doigts, sur leurs montres, sur des médaillons autour de leur cou, sur les murs de leurs maisons, sur les autels de leurs sanctuaires… Non. Possédez-Moi dans votre cœur. Là est Mon foyer.‘’ Puis, Il souffla sur la bague qu’Il tenait entre Ses doigts. Elle ne s’y trouvait plus. Or et grenat avaient disparu dans le néant. Je ravalai un soupir et tout de suite après un sanglot qui naissait.

Baba dit quelques bons mots à propos de mon discours devant l’assemblée réunie pour la Fête de l’école. Il prit des nouvelles de ma mère et de mes enfants. Ensuite, Il me remit quelques paquets de vibhuti et ouvrit la porte pour que je puisse quitter ‘’la pièce qui exauce tous les souhaits’’. J’avais à peine fait deux pas que Baba me rappela. ‘’Pauvre homme,’’ compatit-Il. ‘’Voulez-vous votre bague ?’’ Puis, de la manière la plus compatissante qui soit, avec un ‘’Non ?’’ d’une douceur exquise et un sourire charmant qui illumina soudainement Son visage, Il agita Sa main droite et produisit ce qui m’apparut comme un morceau de lumière. C’était une bague en or sertie de neuf pierres précieuses dont la légende disait qu’elle était capable d’obtenir pour son porteur les avantages que les neuf planètes peuvent conférer. Elle comportait une perle, un rubis, une topaze, un diamant, une émeraude, un lapis-lazuli, un corail, un saphir et un zircon, trois dans chaque section. Il la plaça à mon doigt. Elle m’allait parfaitement.

Il dit : ‘’Maintenant, vous n’annoncerez plus que Je suis vôtre avant même que Je ne reconnaisse que vous êtes Mien. Cette bague est portée par beaucoup de personnes qui croient que les Navagrahas (les neuf planètes) doivent être propitiées. Vous découvrirez bientôt que Mon Anugraha (Ma Grâce) peut triompher des sinistres desseins des neuf planètes. Jusque-là, portez ceci.‘’ Je sortis de la pièce pour la seconde fois, avec un sourire jusqu’aux oreilles.

116

Baba fut toujours avec moi pendant les années où je trimai à Davangere. Il déjoua de nombreux complots visant à me déstabiliser. Il ôta plusieurs figures-clé mal disposées à mon encontre. Il protégea ceux qui m’étaient loyal. Durant les mois de vacances, j’allais à Bangalore et je m’occupais là-bas de la correspondance officielle. Le bureau de Davangere m’envoya là-bas un chèque à cinq chiffres en provenance du Ministère des Finances, à payer comme bourses aux étudiants du collège. On m’envoya également une enveloppe officielle timbrée pour que je puisse retourner le chèque signé par envoi recommandé. Avec l’enveloppe en poche, je pris un bus pour me rendre au centre commercial de la ville. Il pleuvait à verse. Je fis quelques achats dans quatre ou cinq échoppes, puis j’arrivai à la poste pour m’apercevoir que ma poche trempée était vide. Ma tête bascula dans le pur désespoir.

Frénétiquement, je me mis à courir en empruntant les routes que j’avais prises et les bus dans lesquels j’avais voyagé. J’avais peur qu’une personne ayant ramassé la lettre ne touche le montant du chèque et même si elle ne le faisait pas ou ne le pouvait pas, cela entraînerait des accusations irréfutables de négligence, de travail indigne et d’absence du siège non-autorisée, ainsi que des avertissements et des excuses. Je n’avais pas le numéro du chèque sur moi ! Je ne pus donc pas téléphoner au ministère ni envoyer un télégramme pour signaler sa perte. Paniqué, je pris le train de nuit à destination de Davangere et j’arrivai au collège vers huit heures. Je convoquai le comptable pour qu’il dactylographie une lettre afin de prévenir le responsable du Ministère des Finances. Le comptable se présenta à 9h30.

Avant que je ne puisse dicter la lettre, le facteur entra dans la pièce avec un paquet de lettres dans lequel je découvris un envoi recommandé—celui que j’avais perdu à Bangalore ! Le chèque était sain et sauf à l’intérieur. De manière évidente, il était tombé sur une artère animée. Des bottes l’avaient piétiné. Une bonne âme (Baba ?) l’avait ramassé et déposé dans une boite aux lettres toute proche. Le receveur des Postes qui l’avait découvert parmi les lettres avait inscrit dessus ‘’Trouvé dans une boite aux lettres’’, et puisqu’il était affranchi correctement, il avait pris la peine de l’inscrire et de l’envoyer à la bonne adresse. Il avait voyagé avec moi dans le train de nuit et il était arrivé dans mon bureau au même moment ! Jamais je ne révélai à mes collaborateurs combien je l’avais attendu et pourquoi je les avais surpris par cette visite.

Les examens de septembre de l’Université de Mysore dont mon collège dépendait avaient débuté. Et à Puttaparthi, c’était Dasara ! En tant que directeur du collège, il

117 me fallait diriger les examens, ouvrir les paquets scellés de questionnaires et les distribuer aux candidats, organiser la surveillance, ramasser les feuilles de réponse et les envoyer aux examinateurs. En tant que dévot, j’aspirai à participer à la Fête de Dasara au moins pendant les trois derniers jours avec ma femme et ma mère. Heureusement, ces trois jours étaient des jours de congé pour mon collège et pour tous les collèges. Je pus par conséquent télégraphier à ma femme qu’elle soit à la gare de Bangalore le lendemain soir et qu’elle y attende mon arrivée de Davangere. Ensuite, nous pourrions prendre ensemble le train pour Puttaparthi. Le plan était parfait jusqu’à la bourde de ce matin-là.

Les candidats avaient pris leurs places. Les paquets scellés étaient prêts, devant moi. Après en avoir extrait les questionnaires, j’entrai dans la première salle et je tendis un exemplaire à chacun des 25 étudiants. Soudain, ce fut le tollé général. Les vingt-cinq étudiants se levèrent en protestant. Les questionnaires n’étaient pas en rapport avec la matière sur laquelle ils devaient être testés ce matin-là ! Ils concernaient l’Histoire de l’Inde, mais l’horaire avait décrété qu’ils devaient être prêts pour un examen sur l’Histoire de la Grande-Bretagne !

Ils avaient raison. J’avais tort. Je ramassai les questionnaires, courus dans mon bureau, ouvris le coffre-fort, sortis le paquet correct et les doigts tremblants, je déchirai les scellés. Je distribuai les questionnaires corrects et revins m’asseoir dans mon bureau. Maussade, je contemplai les dégâts. Je me levai et refermai la porte. Je me plantai devant le portrait de Baba et me mis à pleurer.

Qu’est-ce qui m’est arrivé ? Pourquoi, ô pourquoi a-t-Il permis que je commette une telle bévue ? Le test d’Histoire de l’Inde était dans six jours ! Maintenant, le jury d’examen d’histoire devait se réunir, discuter et décider d’un nouveau questionnaire. Celui-ci devait être imprimé et envoyé à une quinzaine de centres où les candidats attendaient l’examen. Une tâche presque impossible à accomplir en six jours. Ceux qui ne m’aiment pas, ceux à qui j’avais déplu et ceux qui n’avaient pas de sympathie pour moi allaient tous se liguer contre moi, à présent. Il faudrait demander à environ quatre cent candidats de venir au centre au moins après une quinzaine de jours. Ceci provoquera certainement une vague de colère, car cela nécessitera de lourdes dépenses pour chaque étudiant et beaucoup d’inconvénients pour tous ceux qui sont concernés. C’est ce que je dis à Baba tout en pleurant. J’envoyai un télégramme à ma femme, disant que je devais me rendre à Mysore pour affaire urgente et qu’elle pouvait se rendre de Bangalore à Puttaparthi avec ma mère, comme prévu. Je les rejoindrais plus tard.

118

Je pris le train de nuit pour Mysore et j’arrivai là-bas à 7 heures. Je me rendis directement chez l’administrateur, un ami cher. Celui-ci apaisa une grande partie de mes craintes. Il me dit que deux autres membres du jury d’examen d’histoire étaient présents à Mysore et pouvaient être contactés. Il téléphona à l’imprimerie du gouvernement et on nous répondit qu’ils pouvaient imprimer et livrer la nuit, si le questionnaire était transmis à 14 heures au plus tard et il découvrit après enquête que le jour de congé de la poste pour Dasara ne tombait que deux jours plus tard. Il souhaita que j’attende chez le vice-recteur de l’université vers 10h30, car il devait participer à une réunion historique au Crawford Hall où le Premier Ministre Shri Hanumanthaiya lançait un programme scolaire révolutionnaire ainsi qu’une réorganisation administrative surprenante. En tant que directeur de mon collège, il suggéra que j’assiste à cette cérémonie et puis que je reçoive les inévitables reproches et dénonciations du Grand Moghol. Sa maison était toute proche, je le savais.

Aussi, je m’installai à l’intérieur du Crawford Hall sous le nez même de celui qui était destiné dans quelques heures à faire la grimace devant ma stupidité. Beaucoup me félicitèrent pour mon enthousiasme à être présent lors du lancement d’un projet éducatif qui toucherait des millions de personnes, un enthousiasme qui m’avait conduit pendant la nuit de Davangere à Mysore ! Je répondis à chacun par un sourire, complètement faux.

La cérémonie débuta en fanfare. Le Premier Ministre fut introduit dans le hall sous le son des trompettes et des tambours. Lorsqu’il se leva pour parler, le hall fut plongé dans un profond silence. Ses premières paroles furent en anglais. Les étudiants dans le fond de la salle réagirent immédiatement en se massant autour des portes et en se perchant sur les fenêtres. Ils crièrent ‘’ Sindabad’’, ‘’Angreji Murdabad’’, ‘’Kannada Ki Jai’’. Les cris du cœur (du chœur !) étaient assourdissants. Le Premier Ministre regagna son siège. La police sentit qu’elle devait prendre en main la situation. A l’extérieur et à l’intérieur du hall, les lathis plurent sur les étudiants. Ils frappèrent tous ceux qui tentaient d’éviter les coups. Le Premier Ministre envoya quelques épithètes tranchantes au vice-recteur qui était assis à côté de lui. Je vis sa crête choir. Je m’aperçus qu’on employait le gaz lacrymogène afin de disperser les gens pour que nous puissions rentrer chez nous sains et saufs.

Quand finalement je parvins à m’extraire du nuage de gaz, je me hâtai chez le vice- recteur et pris place dans la véranda de manière à ce qu’il ne me manque pas lors

119 de son retour. L’administrateur se trouvait déjà à l’intérieur, prêt à intervenir si nécessaire. Le vice-recteur rentra en boitant. Il ruminait les événements calamiteux et les récriminations de choix dont il fit l’objet, lorsque les étudiants de ses collèges se transformèrent en défenseurs fanatiques de leur langue maternelle réduite au silence. A cause du gaz lacrymogène, ses yeux étaient aussi rouges que les miens. ‘’Quelles sont les nouvelles ?’’, me demanda-t-il froidement en s’asseyant maladroitement sur la chaise en face de moi. ‘’J’ai un certain problème,’’ répondis- je. ‘’Avec les étudiants ?’’, fit-il, la voix tremblante. ‘’Non, monsieur ! Ici, c’est de ma faute, et seulement de ma faute,’’ dis-je. Il fut soulagé. Il se leva et me tendit la main. ‘’Je suis heureux,’’ dit-il. ‘’Pendant toutes ces années, vous avez maintenu au calme les étudiants de Davangere. Regardez la pagaille ici ce matin !’’, se lamenta- t-il, en allumant un cigare. Je lui parlai de la bévue que j’avais commise et de la nécessité urgente d’arranger les choses. Il se leva de nouveau. ‘’Ne vous faites pas de souci, Kasturi ! De telles erreurs se produisent même dans les institutions les mieux dirigées. Tant que vous gardez vos étudiants sous contrôle, je suis prêt à laisser passer la moindre de vos erreurs.’’ Ensuite, il fit appeler l’administrateur.

Je me retirai dans une pièce pour rédiger un questionnaire sur l’Histoire de l’Inde. Dans l’heure, les deux autres membres du jury arrivèrent et apposèrent leurs signatures en signe d’acquiescement. Il fut envoyé à l’imprimerie du gouvernement à midi. L’une des membres, une dame qui avait étudié l’Histoire de l’Inde avec moi se proposa pour corriger l’épreuve. La poste confirma que les paquets arriveraient dans les centres en temps voulu. Le vice-recteur me donna une grande tape dans le dos. ‘’Continuez, Monsieur Kasturi, aussi gaiement que jusqu’à présent. Ne perdez pas votre sens de l’humour. Les cieux ne sont pas tombés sur notre tête. Les étudiants sont calmes. Tout est O.K. Vous pouvez maintenant vous rendre à Puttaparthi.’’

Je partis à 15 heures et j’arrivai à la gare où ma femme et ma mère s’attendaient à me voir descendre du train de Davangere. Elles n’avaient pas reçu mon télégramme, bien que je l’avais envoyé en urgence avec des frais supplémentaires. Baba n’avait pas dérangé notre horaire. Il me fit appeler dans Sa pièce à la dernière minute du séjour. Je L’implorai : ‘’Swami ! Je ne veux pas continuer à être directeur du collège. C’est trop…’’ Swami m’interrompit. ‘’Que s’est-il réellement passé ? Je sais que vous avez ouvert un paquet par inadvertance à la place d’un autre. Vous avez pleuré devant Moi. Et dans votre bureau, encore bien ! Eh bien, votre patron vous a renvoyé avec une tape dans le dos, non ? Ce n’est pas la première fois que

120 vous commettez une bévue. Je suis toujours avec vous. Continuez tant bien que mal et Je suivrai en vous épargnant les blessures.’’

Je sortis, sidéré par la compassion illimitée de Baba et par Sa conscience de chaque acte de mission ou d’omission de ceux qu’Il aime. Je n’ose pas ajouter ‘’et de ceux qui L’aiment. ‘’

Car, comment puis-je déclarer que je L’aime, la main posée sur le cœur ? Je Le crains, je suis fasciné par Lui, je L’adore, j’aspire à L’entendre me réconforter moi et d’autres. Mais je ne sais pas si je L’aime comme Il m’aime.

A Davangere, l’enseignante qui m’avait été donnée comme ‘’fille’’ fut d’une grande inspiration. Elle nous raconta de nombreuses histoires sur l’enfance de Baba à Puttaparthi. Elle L’avait vu devenir un guru. Elle avait été témoin des manifestations de Toute-Puissance sur la colline du Kalpataru. Elle avait eu des visions du Troisième Œil, de Krishna sur la balançoire, de Baba en tant que Varalakshmi et Shirdi Sai Baba. Elle se souvint des jours passés et tourna son cœur vers Baba comme un sol sec assoiffé de pluie. Elle ne s’était pas mariée, mais j’entendis Baba l’appeler ‘’veuve’’ (une appellation de mauvaise augure), quand Il était d’humeur joviale. Elle était invariablement froissée, mais Baba semblait s’amuser de sa réaction. Un jour, je plaidai en sa faveur, mais Baba dit en guise d’explication : ‘’Oui ! Son mari s’est noyé dans la Yamuna.’’

Elle éclata en sanglots. Il lui fut demandé de découvrir auprès de ses parents qui était l’homme et comment cela s’était passé. Ils lui racontèrent l’incident qui s’était produit il y a longtemps, il y a dix-sept ans en fait. Tout le monde l’avait oublié, sauf Baba. Ils dirent : ‘’Il y a longtemps, quand tu étais une enfant de cinq ans, notre voisin de Chamarajpet était un ardent dévot de Krishna. Il venait d’Udipi, le lieu saint où l’on vénère Krishna. Il gérait un hôtel dans cette ville et ses affaires étaient florissantes. Il n’avait pas d’enfant. Il passait le plus clair de son temps en devant la charmante idole de marbre qu’il s’était procurée à Mathura même. Tous les jours, il éveillait Krishna, Le baignait, L’habillait, Le nourrissait, L’éventait, Lui donnait du lait chaud, du beurre sucré et Le couchait.

Un jour, il décida de célébrer le mariage de Krishna avec Rukmini. Le pandit dont il ne pouvait négliger l’avis lui conseilla de prendre un radieux petit chérubin pour remplir la fonction de l’épouse. C’est ainsi que Padma fut conduite chez son voisin et qu’elle fut persuadée de jouer le rôle grâce à de nombreuses sucettes. Elle reçut

121 de nouveaux habits de soie et de velours et fut ‘’enguirlandée’’ pour Krishna. Le mangala en or fut attaché autour du cou de l’enfant au nom de Krishna, tandis que les mantras appropriés étaient récités à voix haute par des brahmanes.

Les années passèrent. Padma perdit tout souvenir de cette fête et du festin qui suivit. Le lendemain même, le mangala sutra fut échangé contre de l’argent liquide pour faire face à des besoins domestiques urgents. Le voisin aussi perdit sa vénération fanatique pour Krishna. Ses affaires sombrèrent. Sa famille se moqua de lui, car il avait dépensé une fortune pour des brahmanes corpulents, des pandits voraces et une idole en marbre qui était sourde. Il perdit la tête. Il ne put plus supporter la vue de Krishna qu’il aimait autrefois comme la prunelle de ses yeux. Il mit l’idole dans un sac et la transporta jusqu’à Mathura (la ville natale de Krishna) et à l’occasion d’une nuit sombre, il entra dans la Yamuna et abandonna à ses profondeurs le cher ennemi qui l’avait pompé jusqu’au dernier sou. C’est ainsi que Padma, la jeune mariée de cinq ans devint ‘’veuve’’ dans le Livre de Dieu en raison de ce crime désespéré. Pas étonnant que Baba s’amusait à la taquiner et à rire de son deuil fictif.

Chaque fois que Padma se rendait à Puttaparthi (ce qu’elle faisait souvent car la seconde femme du Karnam était sa tante), Baba l’interrogeait pour savoir comment nous nous portions. Un jour, elle Lui dit que ma mère était triste parce qu’elle n’avait pas été bénie par Son darshan, même en rêve, depuis longtemps. Baba réagit avec la plus grande compassion. ‘’Oui ! La vieille dame M’avait tenu les mains lors de son départ et elle avait prié pour que Je lui accorde Mon darshan en rêve. J’exaucerai son souhait cette nuit-même.’’ Padma écrivit pour s’inquiéter de ce qui s’était passé en donnant la date de la promesse.

Merveille des merveilles ! Lorsque la lettre arriva, nous débordions encore d’allégresse parce que Baba avait visité notre maison. Cette nuit-là, mère s’était glissée sous la moustiquaire qui entourait son lit, puis elle s’était redressée et elle avait fait quelques pas en direction de la porte (ouverte, selon elle) jusqu’à la marche où Baba se tenait en pleine lumière du jour. En exultant, elle se prosterna à Ses Pieds de tout son long. Quand elle redressa la tête, Baba était invisible dans l’obscurité. Elle cria mon nom. Je m’éveillai et j’allumai, et à ma grande surprise, je découvris mère, pourpre d’excitation qui me bégaya son expérience.

Un soir, Padma entra chez nous en boitant à Davangere. Son pied droit s’était tordu en descendant les marches de l’école. Elle souffrait beaucoup. Cette nuit-là, dans

122 son lit, la lampe allumée, elle se plaignit à Baba qu’Il la négligeait et elle Lui demanda de lui épargner l’ignominie de boiter le long de la route animée qui mène à l’école où elle enseignait. Tout à coup Baba cria son nom et lorsqu’elle ouvrit la porte pour Le faire entrer, Il dit : ‘’Ne Me reprochez pas ainsi votre imprudence !’’ Il avait apporté avec Lui une bouteille d’un liquide jaune épais et un tampon. ‘’Quel est le pied qui a raté une marche ?’’, demanda-t-Il. Il appliqua le remède et disparut. Puis, Padma plongea dans le sommeil. Elle ne ferma même pas la porte. Le lendemain matin, elle arriva chez moi toute sautillante et bondissante. Elle nous montra son pied qui avait une épaisse couche de jaune. Elle ne voulait pas partir, même avec du savon et de l’eau chaude !

La Volonté Toute-puissante peut tout, partout. Elle peut apparaître sous la forme de Sai en une centaine d’endroits et accomplir une centaine de tâches différentes. Néanmoins, Lui-même peut rester immuablement non-affecté. Il appelle cela Son , la réalisation immédiate de Sa Volonté, la projection de Sa personnalité sur n’importe quelle tâche, la concrétisation de Sa pensée. Il nous assure que chacun d’entre nous possède la même Volonté Toute-puissante comme noyau de son être. A chaque aperçu de l’Amour qu’Il incarne, je décidai de prier Baba de renforcer ma résolution d’aimer Baba de tout mon cœur, de toute mon âme, de tout mon esprit et de toute ma force. Car Baba nous aime sans calculer nos qualifications, sans insister sur un retour, et même en ignorant comme de simples erreurs nos péchés et nos vices.

J’eus la bonne fortune de constater l’alchimie de l’amour de Baba chez Ananthappa qui le fit aimer Baba aussi intensément que je le désirais moi-même. Sa foi en Lui et en Ses conseils était plus ferme et plus profonde que la mienne. C’était l’un des seize manœuvres que mon collège comptait dans ses effectifs. Je l’avais hérité de Nambiar. Les manœuvres étaient affectés à différentes tâches au secrétariat, à la bibliothèque, au laboratoire, au gymnase, au foyer des étudiants, etc. A cette époque, le directeur du collège pouvait garder un serviteur à son service, à sa résidence. Je choisis pour moi-même Ananthappa, car il était le plus empoté du lot, selon Nambiar qui l’avait souffert pendant deux longues années. Je craignais que si son maître était un autre membre du personnel du collège, le pauvre ne perde son travail en moins d’une semaine. Ananthappa était une âme pieuse. Il aimait se rendre en ville pour acheter des fleurs, des bâtons d’encens, du camphre et des fruits pour la puja de Baba qu’accomplissaient chaque matin ma femme et ma mère et pour la séance de bhajans qui avait lieu chaque jeudi. La précision mathématique était une notion qui lui était tout à fait étrangère. Il additionnait, soustrayait,

123 divisait et multipliait selon sa fantaisie. C’est ainsi que nous devions le renvoyer encore et encore au même magasin avec la différence d’argent que nous devions pour les choses qu’il achetait et qu’il rapportait. La plupart du temps, il somnolait sur une chaise en bois près de la porte extérieure. Mais il se réveillait en sursaut quand sonnait la cloche de la puja et il regardait par la fenêtre le visage de Baba. Dès que la nouvelle guirlande était placée sur le portrait, ma femme remettait à Ananthappa celle qui avait été enlevée. C’était pour lui un tonique, un talisman, un trésor.

Une fois, il nous accompagna à Puttaparthi. Baba me dit qu’à Lanka, c’était un Vibhishana. qui bondit par-dessus l’océan et qui atterrit à Lanka, en cherchant la cachette où Ravana avait confiné Sita, ne put découvrir qu’une seule maison dans cette ville où il pouvait sentir d’intenses vibrations de dévotion et de dévouement à Dieu. C’était l’endroit où vivait Vibhishana, le plus jeune frère de Ravana. La hutte d’Ananthappa était remplie de la fragrance de pensées sattviques. L’atmosphère n’était ni rougie par de la colère, ni noircie par de la malveillance. C’était en reconnaissance de sa simplicité et de sa sincérité que Baba l’appela comme le vertueux frère de Ravana. C’était également pour moi un avertissement de ne pas le traiter comme un grand benêt incapable d’aller faire une simple course. Ceci me révéla aussi la valeur d’un régime d’amour démocratique qui seul peut soutenir le pèlerin sur la route qui mène à Dieu.

Une fois, Baba se manifesta à lui en rêve et sa femme eut simultanément le même rêve ! Sa femme était reprise dans les effectifs du collège comme femme de ménage. Sa sœur travaillait dans une filature. Une nuit, son mari complètement ivre se querella avec elle et la battit jusqu’à ce qu’elle s’effondre sur le seuil de la mort. Baba apparut dans le rêve d’Ananthappa et lui dit : ‘’Hé ! Lève-toi ! Va voir ce qui se passe chez ta belle-sœur.’’ Sa femme s’éveilla au même instant. Le couple se précipita dans la hutte située dans le même bidonville et la sœur échappa aux griffes de la mort.

Baba assumait la responsabilité de protéger et de guider Ananthappa de la manière la plus affectueuse. Une fois, en quittant Sa Présence pour retourner à Davangere, Baba me surprit en me tendant un grand portrait de Lui-même. ‘’Emmène ceci à Davangere !’’, me dit-Il avec un grand sourire qui illuminait Son visage, ‘’et place-le dans le sanctuaire d’Ananthappa’’. Ananthappa vivait dans une hutte en terre battue au milieu d’une centaine de huttes semblables à environ deux kilomètres du collège. Son fils et ses filles chantaient des bhajans dans une pièce de 2,5 m x 2 m.

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Son nom était sur les lèvres des professeurs et des maîtres assistants de mon collège, mais aussi du collège d’ingénierie. Beaucoup d’entre eux empruntaient les routes boueuses des bidonvilles et s’asseyaient sur des dalles en pierre à l’extérieur de la maison pour écouter les bhajans et recevoir la vibhuti sacrée après l’arati.

J’installai le portrait donné par Bhagavan dans le sanctuaire. La pierre rejetée par les bâtisseurs fut acceptée par Baba comme la pierre angulaire de Sa demeure à Davangere. Quel événement extatique ce fut ce jour-là dans cette colonie de misère et de mécontentement ! L’endroit devint bientôt un mini Prasanthi Nilayam.

Ananthappa s’asseyait pendant de longues méditations solitaires et silencieuses ou il conversait avec Baba sur tout ce qui l’inquiétait. Il se levait et se plantait devant Sa photo et protestait à sa manière personnelle, inimitable contre Baba qui déposait pour lui une fleur depuis la photo de Shirdi Sai Baba placée au-dessus de celle de Sathya Sai Baba. Il faisait la moue et il insistait : ‘’Non ! Je n’ai vu que Toi, Baba. Je T’appartiens à Toi plus qu’à Lui. C’est Toi qui dois me donner la fleur !’’, et ayant entendu son appel, Baba détachait une fleur de la guirlande placée autour de Son portrait et la laissait choir dans la main tendue d’Ananthappa. La lumière brille effectivement sur les justes et la joie sur les hommes de bien.

Je ne connais que quelques occasions où Baba a prévenu les proches d’une personne malade qu’il n’y avait aucun espoir de survie. Il sait que beaucoup ne comprendront pas, qu’ils pousseront de grands cris, comme si la mort était la fin de la carrière d’une personne. C’est seulement changer de vêtement, l’âme n’étant pas encore devenue suffisamment pure que pour se tenir nue devant Dieu. Mais quand la fille aînée d’Ananthappa tomba gravement malade, Baba lui dit de ne pas courir après les médecins et de ne pas gaspiller d’argent en pilules et en piqûres, en capsules et en raccordements. ‘’Elle sera délivrée avant la fin du mois.’’ Pendant le restant du mois, Ananthappa continua à ruminer seul la vérité que la mort n’est que le coucher de l’âme, afin que les cieux étoilés puissent lui être révélés avant qu’elle ne se lève à nouveau dans un monde déchiré par les conflits. Quand sa femme fut mordue par un chien suspecté par tout le voisinage d’avoir la rage, elle refusa de croire en Pasteur et ne se guérit qu’avec l’aide de Puttaparthi. Beaucoup de pauvres de Davangere devinrent les clients d’Ananthappa pour la vibhuti qu’il avait placée devant le portrait envoyé par Baba. Ils participaient aux bhajans et chantaient avec lui pour mériter le don.

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Une autre de ses filles était mariée à un cheminot des Chemins de Fer de Mysore. Ils vivaient dans l’une des banlieues les moins bien équipées de Bangalore. L’homme était particulièrement jaloux. Quand sa femme ouvrait une fenêtre, il était sûr que c’était pour reluquer un passant ! Il la gardait prisonnière dans sa sombre demeure. Il la battait souvent pour ses badinages supposés. Les efforts d’Ananthappa et d’autres pour l’adoucir et apporter l’harmonie dans la famille s’avérèrent futiles. La pauvre femme fit un jour une proposition à l’homme : ‘’Emmène-moi voir Baba et demande-Lui. S’Il dit que je suis et que je resterai une femme fidèle, garde-moi. Sinon, je mettrai fin à mes jours. Il y a des puits suffisamment profonds à Puttaparthi.’’ Ananthappa et sa femme se rendirent à Bangalore et accompagnèrent leur fille et leur beau-fils à Puttaparthi.

Baba dit à la tête-de-pioche pendant l’entretien qu’elle était aussi pure que Sita, l’épouse de Rama et que , l’épouse de Shiva. C’était trop dur à avaler pour l’homme orgueilleux. Il se mit en colère dans la pièce même et cria sa désapprobation. Il accusa la fille d’infidélité et exigea qu’elle soit châtiée. Baba le poussa gentiment hors de la pièce et referma la porte. Il dit à Ananthappa : ‘’Ne t’inquiète pas. Il peut être pacifié. C’est un bon gars. Ils vivront heureux.’’

Ils arrivèrent trop tard à Penukonda pour attraper le train de jour. Ils attendirent à la gare jusqu’à minuit. Le beau-fils, discrètement à l’écart, ravalait sa rage contre les gurus et ruminait des représailles. Quand finalement le train s'arrêta dans un nuage de vapeur, il entassa Ananthappa, sa fille et sa belle-mère dans un compartiment de troisième classe et lui-même approcha le chef de train pour pouvoir dormir en première classe puisque là-bas, toutes les couchettes étaient vacantes. Il dit au chef de train qu’aucun passager de première classe ne prendrait le train aux petites heures de la nuit. Le chef de train savait que c’était vrai. Il lui donna la permission, puisque c’était un employé des chemins de fer et qu’il voyageait gratuitement.

Le restant de l’histoire me fut conté par le chef de train en personne. Elle m’échut d’une manière inattendue. Je n’étais pas du tout au courant des souffrances de la fille d’Ananthappa. Ce week-end-là, j’étais à Bangalore. Après avoir couru dans les rues de la ville pour toutes sortes de courses, j’étais trop épuisé pour rentrer chez moi à pied. C’est ainsi que j’attendais à l’arrêt de bus en face du Vidhana Soudha l’arrivée d’un bus qui me rapprocherait un peu de chez moi. Je ne voulais pas emprunter de cabriolet, car ces ‘’jutkas’’ étaient des engins branlants tirés par des canailles au tempérament très capricieux. Juste à ce moment-là apparut un jutka

126 avec un passager solitaire. En me voyant faire le pied de grue, l’homme m’aborda respectueusement et dit : ‘’Les employés des autobus sont en grève aujourd’hui. Montez.’’ C’était un de mes anciens élèves de l’Ecole Secondaire Banumaiah. Je me hissai dans le jutka. ‘’Monsieur’’, dit-il, ‘’je veux aller à Puttaparthi pour avoir le darshan de Sathya Sai Baba.’’ J’étais abasourdi. Je ne pouvais pas imaginer qu’un homme qui était un arrière diabolique de l’équipe de football de l’école, dont le crâne était si dur qu’un jour il propulsa le ballon dans le but pour gagner un match, qui était un chef de train agitant des lampes et des drapeaux puisse entretenir une soif de réconfort spirituel. Je lui demandai : ‘’Pourquoi ? Que vous est-il arrivé ?’’

‘’Monsieur ! L’autre nuit, j’étais de service comme chef de train sur le train en provenance de Guntakal. A Penukonda, j’ai autorisé un employé des chemins de fer à entrer dans le wagon des 1ère Classe, bien qu’il ne pouvait voyager qu’en 2ème classe. Toutes les couchettes étaient vides et il était passé minuit. Quand le train fit arrêt une heure et demie plus tard à la gare de Thondebhavi—vous savez qu’il s’arrête là-bas pendant dix minutes—l’homme que j’avais laissé entrer dans le wagon des 1ère Classe bondit dehors et cria de douleur. Il se massait les joues avec les mains. Je courus dans sa direction. Les porteurs m’emboitèrent le pas. Bientôt, il se forma un petit attroupement autour de lui. ‘’Qui était avec vous dans le wagon ? Qui est-ce qui vous a frappé si fort ? S’est-il enfui ?’’, nous lui demandâmes, car manifestement, le malheureux avait été solidement tabassé par un intrus. Au milieu de sanglots et de gémissements, il nous raconta l’histoire dans le bureau du chef de gare devant une tasse de thé. Alors que le train était à environ dix kilomètres de Thondebhavi, les lampes s’allumèrent brusquement dans son wagon. Il s’assit dans sa couchette. Puis l’endroit prit une teinte rouge sombre et Baba sembla emplir tout le compartiment. Des coups se mirent à pleuvoir de tous côtés. Il entendit une voix qui l’admonestait : ‘’Vas-tu Me croire quand Je dis qu’elle est innocente ? Arrête de la battre. C’est Mon enfant. Tous ceux qui souffrent M’appartiennent.‘’ Quand nous approchâmes de la cabine, Il disparut et la lumière était blanche.’’

Maintenant, Monsieur, vous connaissez la raison pour laquelle je désire avoir le darshan de Sathya Sai Baba. Oh ! Quel grand miracle c’était !’’ Pendant quelques minutes, il dut s’arrêter de parler.

J’interrogeai Ananthappa, mais il dormit à poings fermés jusqu’à Bangalore. Il ne connut que les séquelles. Après ce voyage à Puttaparthi, son beau-fils est maintenant doux comme un agneau et sa fille lui écrit que tout va bien à la maison.

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Je rencontrai le turbulent beau-fils. Il admit son arrogance, s’excusa pour son effronterie et avoua qu’il méritait la punition. Il me confia qu’il remettait chaque mois tout son salaire à sa femme et qu’elle ne lui donnait que quinze roupies comme argent de poche !

Des mois plus tard, au cours d’une conversation avec quelques dévots, Baba fit allusion à Shirdi Baba et parla de Ses éclats de colère où il n’hésitait pas à frapper les gens avec Son bâton. J’eus l’audace de Lui poser cette question : ‘’Maintenant, sous la forme de cet Avatar, avez-Vous frappé quelqu’un ?’’ Baba dit : ‘’Je suis tout amour, maintenant.’’ ‘’N’avez-Vous frappé personne, bien que pas aussi directement que Sai Baba ne le faisait ?’’, demandai-je. ‘’Vous faites allusion au beau-fils d’Ananthappa ? C’est aussi par amour,’’ dit Baba. J’ajoutai : ‘’Par amour pour cette pauvre fille persécutée.’’ Mais Baba insista : ‘’Mais aussi pour ce beau-fils insensé.’’ Cette remarque déclencha en moi un train de pensées sur la compassion infinie du Seigneur qui refuse de considérer quiconque comme un pécheur.

Une fois, Baba me dit à Puttaparthi : ‘’Ces bhajans du jeudi chez toi à Davangere me font mal aux oreilles pendant une heure !’’ Je savais que je n’étais pas béni d’une voix suave : elle est très aiguë comme un sifflet bon marché. Aussi, je chante les bhajans silencieusement à moi-même. Je dis à Baba que je ne me joignais pas au groupe. Il dit : ‘’Pas toi. Qui est ce voisin qui vient chaque jeudi ? Dis-lui de ne pas élever la voix. Elle est si grinçante !’’ Un autre obstacle pour écrire le livre ! Comment puis-je décrire en mots un Phénomène dont les Ecritures disent : ‘’D’où les mots reculent, que l’esprit ne peut atteindre ?’’ Il est présent, partout où je suis et où vous êtes.

Un autre jour à Puttaparthi, Il réprimanda gentiment ma femme : ‘’Je suis venu chez toi à Davangere. Tu as déposé un demi-anna dans la sébile que Je tenais, bien qu’il te soit brièvement venu à l’esprit que Je pouvais venir de Shirdi. J’ai demandé plus et tu as dit : ‘’Le maître de maison n’est pas là,’’ comme si Je ne le savais pas. Je me suis alors rendu au collège et j’ai crié ‘’Om’’ par la fenêtre du bureau de ton époux. Ne te l’a-t-il pas dit ? Peut-être que lui aussi pensait que Je n’étais qu’un mendiant.’’ Comme dit la Sruthi : ‘’Le Seigneur a des yeux partout, des visages partout, des bras partout et des pieds partout. Il propulse chacun au moyen de Ses bras et de Ses pieds infinis.’’ Chaque déclaration faite par lui, chaque réponse donnée par Lui écarte un peu le rideau du doute avec lequel nous jouons pour protéger notre ego de tout dommage.

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Un de mes ex-étudiants du Collège du Maharaja de Mysore, Siddhaveerappa qui connaissait la préoccupation qui me poussait à me rendre dans les fermes rurales et dans les ghettos harijans était un avocat qui exerçait à Davangere. C’était un membre de l’Assemblée Constituante qui établit la Constitution labyrinthique de l’Inde. En route pour Delhi, sa voix intérieure l’incita à s’arrêter à Shirdi. Des années plus tard, quand Baba le vit au milieu d’un groupe d’avocats, Il lui dit qu’Il l’avait vu à Shirdi et mentionna l’année, le mois et le jour. Comme je savais alors que le même Baba était revenu, j’invitai Siddhaveerappa à raconter ses expériences et je fus amplement récompensé.

Il fonda un Centre pour la célébration du culte de Sai Baba de Shirdi et je m’y associai en tant que secrétaire. Très vite, il entra dans la famille Sathya Sai. Baba matérialisa pour lui un Linga, alors que quelques législateurs se trouvaient au réservoir qui approvisionne la ville de Bangalore en eau potable. Baba confirma cette faveur par une visite dans sa maison, quand le Linga (il appartenait à la croyance Lingayat de l’hindouisme) y fut rituellement installé. A cette occasion, Baba lui accorda une vision de Lui-même en tant que Baba de Shirdi. A la suite de cette révélation extraordinaire, Siddhaveerappa, alors Ministre de l’Intérieur de l’Etat, offrit une grande parcelle de terrain au centre de la ville de Davangere pour l’érection d’un Centre de Service Sathya Sai et l’installation du Baba d’ ‘’alors’’ et du Baba ‘’actuel’’.

Des mois avant que je ne me retire de la profession d’enseignant, je commençai à me languir du jour où je pourrais me débarrasser de ma selle, de mes étriers, de ma bride et de mon mors pour aller paître, déferré, sur les vertes collines de la littérature. Bien que le 15 août 1947, lorsque l’Inde devint une nation libre, je saluai chaque arbre que je vis en l’exhortant à devenir plus vert et à développer des racines qui pénétreraient plus loin jusqu’aux sources éternelles (Sanathana), la frénésie fratricide qui suivit glaça mon âme. Les mauvaises herbes de l’avidité apparurent bientôt pour se nourrir de la récolte.

Mon collège fut également confronté aux déferlements de la férocité libre. Alors même que j’attirais l’attention de mes quarante-cinq étudiants sur le message intégral d’Ashoka, d’Akbar ou de Shivaji, des slogans assourdissants en provenance de la rue assaillirent leurs oreilles et ils sautèrent par la fenêtre pour suivre la flûte des patriotes bigarrés. Je commençai à décompter les mois et puis les jours. Une fois, lorsque je vis la classe qui commençait à s’agiter et à se déplacer vers la sortie où un ‘’patriote’’ criait, je leur dis : ‘’Ici ! La prochaine fois, puissiez-vous naître

129 comme professeurs de collège et puissiez-vous voir vos chers étudiants vous abandonner quand un mégalomaniaque les appellera dans la rue au mégaphone !’’

L’Histoire se répète, dit-on. Je crois qu’il le faut parce que personne ne fait attention aux leçons qu’elle enseigne. Je découvris aussi que le professeur d’histoire doit répéter année après année la même séquence sordide de folies, de frénésies, de visions et de divagations humaines. A la fin de trente années de labeur monotone, je criai : ‘’Assez !’’ Je dus néanmoins ‘’tirer’’ vingt-quatre mois supplémentaires jusqu’à ce que le moment vienne où la muse, Clio, me libère, et où je pus être moi- même.

Je décidai d’habiter ma petite maison douillette de Wilson Garden, Bangalore. Bangalore était alors affectueusement considérée comme le paradis des pensionnés. Elle n’était pas aussi chaude et humide que Bombay, ni aussi dégoulinante que Cochin, aussi transpirante que Madras, aussi disparate qu’Hyderabad, aussi somnolente que Mysore, aussi poissonneuse que Mangalore, aussi explosive que Calcutta, aussi transmondaine que Bénarès, aussi militaire que Delhi. Elle avait de grands parcs ombragés avec des avenues vert sombre équipées de bancs en pierre polie où de vieux amis du même bord et à la langue bien pendue pouvaient tranquillement guillotiner leurs successeurs en place. De plus, j’avais mon Koravanji et son parrain, le Dr Shivaram. Je projetai de transformer cette ‘’Judy’’ kannarienne en un hebdomadaire édulcoré, comme son Punch. Les douleurs de la naissance par césarienne de l’Inde libre avaient infligé au corps social de la mère patrie de nombreuses et incurables blessures qui pouvaient être quelque peu soignées par une dose hebdomadaire de propos aigres-doux. Je m’imaginai en tant qu’apothicaire du peuple spécialisé dans la piqûre de l’ego.

Après trente-deux ans d’enseignement, je quittai l’école pour de bon le 1er avril 1954. Le gouvernement de Mysore cessa de me payer un salaire à partir de ce jour auspicieux. Il fallut plus d’un an au département concerné pour approuver le paiement de ma pension. Je dus vivre de ma propre matière grise. Je traduisis pour la Delhi Sahitya Akadami deux livres malayalam. Je traduisis en kannara mon vieux favori, les Misérables, pour un éditeur de Bangalore. Je mitonnai des Charivaria kannariennes pour un journal quotidien et les vendis cinq roupies la douzaine. Mais je ne pouvais toujours pas joindre les deux bouts. Je me rendis alors chez le vice- recteur de l’université, un ami de longue date, et je lui fis part de mon plan pour m’en sortir. ‘’Je vais faire insérer un appel au don dans les journaux demandant à mes anciens étudiants de me prêter la somme que me doit le gouvernement en leur

130 promettant de les rembourser lorsque ma pension sera autorisée et versée.’’ Il fut horrifié par la publicité que ce projet déclencherait et me conjura de l’abandonner. En moins d’une semaine, je récupérai les arriérés et la pension du mois !

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PROXIMITÉ APPÉTISSANTE

A présent, nous avions un toit couvert de tuiles au-dessus de nos têtes à Puttaparthi, à quelques mètres seulement à droite de Prasanthi Nilayam, le hall de prière ainsi que la résidence de Baba. Trois blocs de deux maisons avaient suivi de ce côté, parallèles à la route du village. J’avais prié pour que l’une de celles-ci me soit attribuée et j’avais fait plus de sept fois le déplacement avec ma bourse dans l’espoir futile qu’un paiement symbolique confirmerait l’avantage. Baba me pressa de garder la somme car, comme Il dit : ‘’Ton besoin est grand et ce dont J’ai besoin, c’est ton bonheur.’’ Quand Baba nous fit entrer dans la maison, Il m’assura qu’Il avait ‘’purifié’’ cérémoniellement la maison avec des mantras védiques et qu’Il y avait même fait entrer un veau et une vache à un moment propice pour assurer santé, bonheur et abondance. Assis sur un banc dans la seule pièce de la maison (derrière, il y avait la cuisine et devant, la véranda ouverte), on pouvait avoir par la fenêtre le darshan de Baba chaque fois qu’Il passait par la véranda ou par le porche au premier étage du Nilayam.

Ô, quelle extase ! Des années plus tard, Swami Amrithananda (considéré comme un ‘’Yathindra’’, un moine en chef dans la Ramana Geetha), a eu ce darshan par cette fenêtre plusieurs fois par jour pendant plusieurs jours, car Baba séjournait à Puttaparthi, même pendant l’été torride à l’époque où le Swami était cantonné avec moi. Un jour, le Swami m’appela auprès de lui et demanda : ‘’Combien cette fenêtre coûte-t-elle ?’’ Quand je lui dis : ‘’Seulement quelques roupies, ce n’est pas du teck’’, il me coupa plutôt sèchement : ‘’Non. Elle vaut des millions de roupies, ce n’est pas du bois, c’est du diamant. Ecoutez ! Même si on vous offre le palais du Maharaja de Mysore en échange, ne cédez pas cette maison. Vous avez le darshan de Dieu par cette fenêtre ! C’est Kanakana Kindi.’’

Il y a là une allusion à un miracle du seizième siècle. Kanaka, un berger, eut des expériences mystiques et des visions du Seigneur. Une pulsion intérieure le poussa à visiter de saints sanctuaires. Il se rendit au célèbre temple du Seigneur Krishna où l’idole avait été placée par Madhwacharya. Mais puisque les bergers élevaient des moutons, des chèvres et des agneaux pour la laine et pour la viande, aucune personne appartenant à cette classe professionnelle ne pouvait alors pénétrer à l’intérieur de l’enceinte sacrée. Kanaka ou Kanaka ‘’Das’’ (le serviteur de Dieu) poussa un cri d’angoisse : ‘’Seigneur ! Accorde-moi ton darshan.’’ Soudain, il y eut un tremblement de

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terre et un éclair. L’idole pivota à 180 degrés, le mur de pierre s’écroula et Kanaka qui chantait la louange du Seigneur ouvrit les yeux pour découvrir la fissure (Kindi) dans le mur par laquelle il put apercevoir la Forme de Dieu qu’il avait placée dans son cœur. Amritananda expliqua que la Kindi ou fenêtre par laquelle il pouvait apercevoir Baba était une faveur de ce Krishna à lui et à nous.

Ce fut entièrement une idée de Baba. Ni moi ni ma mère ne l’avions entretenue même dans nos rêves les plus fous. J’avais passé une semaine à New Delhi, quand je participai à un congrès d’histoire. Je pus alors observer de la tribune réservée aux visiteurs, Babu Rajendra Prasad qui présidait l’Assemblée Constituante et Jawaharlal Nehru qui parla avec entrain d’un amendement ou l’autre. Ce fut pour moi un événement historique, que ce congrès d’histoire. Plus tard, j’avais aussi séjourné à Calcutta avec ma femme pendant une vingtaine de jours, quand mon fils fut hospitalisé au Lake Hospital avec une fièvre que l’on identifia plus tard comme ‘’la cousine la plus proche du Kala-Azar’’, une affection peu banale, comme nous le supposions.

Lorsque je me rendis à Puttaparthi pour Lui dire que j’avais reçu le montant d’une année entière de pension d’une seule traite, Il suggéra (c’est-à-dire Il ordonna) que nous nous mettions en route pour un pèlerinage dans la région du Gange, à Hardwar, Kasi, Prayag, Gaya et Dakshineswar. Comme je restais muet, Baba posa Sa main sur mon épaule et dit : ‘’Va ! Emmène ta mère à Kasi, Triveni et Gaya. Elle a prié pendant des années pour obtenir cette chance. Elle croit que l’âme de ton père ne pourra reposer en paix que si des offrandes funéraires sont faites à la sainte Gaya. Pourquoi hésites-tu ? Achète trois billets de train pour le voyage. Nous quatre nous pourrons voyager avec ceux-ci.’’ Cette remarque conclut le programme. Ainsi, c’était un pèlerinage de ‘’Kasi’’ à Kasi avec le Seigneur Viswanath ! A Madras, mère suggéra de passer un jour chez le fils de son frère, le frère qui avait ‘’englouti’’ les quatre cent dernières roupies de mon père. Car Baba avait ôté cette trace de colère de son esprit. Nous prîmes le Grand Trunk Express qui reliait tant bien que mal Madras et Delhi. Il y a cette histoire d’un homme qui se coucha sur la voie en espérant que le Grand Trunk Express l’écraserait. A la place, le pauvre homme dut mourir de faim car l’Express arriva trop tard ! Notre Express arriva à Nagpur avec six heures de retard. Cela nous permit d’admirer la campagne plus longuement et d’observer les gens de la campagne qui travaillaient et qui s’amusaient. Nous fîmes halte à Nagpur avec une famille si dévouée à Baba que

133 quelques années plus tard, Il sauva miraculeusement le soutien de famille du suicide.

A Delhi, nous eûmes la grande chance de séjourner chez des personnes qui furent récompensées, comme j’ai été récompensé, par Sri Ramakrishna Paramahamsa, de proximité avec Baba. Swami Ranganathananda, que je connaissais depuis le jour où il quitta son foyer pour prendre refuge dans le giron de Sri Ramakrishna, était devenu le président de la Mission Ramakrishna à Delhi, après avoir vécu l’invasion japonaise de Rangoon et les pogroms de la partition à Karachi. Nous passâmes des heures à parler de ces années déterminantes d’études du aux pieds de Gaudapada et d’ par l’intermédiaire de Subrahmanya Iyer et de nos efforts frénétiques de service social à Mysore. Nous parlâmes des idées et particularités de mon ami et camarade de classe et de son mentor Gopal Maharaj (Siddheswarananda) et du prolifique poète sylvestre Puttappa. Le swami se souvint avec gratitude des plats du Kerala que ma mère lui cuisinait, ainsi qu’à Gopal Maharaj.

New Delhi enchanta ma mère et ma femme. Nous pûmes assister à des séances de la Lok Sabha et de la Rajya Sabha. Sri S.V. Krishnamurthi, un avocat de Shimoga qui avait joué dans nombre de mes pièces pleines de verve et improvisées et qui avait participé à beaucoup de séances ‘’chataki’’ était député et vice-président de la Rajya Sabha. Nous souhaitâmes le voir présider la Rajya Sabha. Ainsi, alors que nous observions la Loka Sabha qui somnolait ou qui avançait au pas de charge dans un agenda lourdement chargé, un chaprasi (messager) somptueusement caparaçonné m’apporta une note nous invitant à accompagner ce dignitaire dans la tribune réservée aux visiteurs da la Rajya Sabha. Le vice-président, le Dr S. Radakrishnan était parti et Krishnamurthi présidait. Alors que nous occupions des sièges somptueux où nous étions aux premières loges du spectacle, le vice- président se leva et les mains jointes, il s’inclina respectueusement vers la tribune des VIP où se trouvait ma mère. C’était l’hommage du cœur transparent d’un simple enfant de Mother India à une grand-mère chenue qui incarnait l’héritage qu’il vénérait profondément. De nombreuses têtes se tournèrent vers ma mère qui se leva de son siège pour le bénir.

‘’Comment l’Homme Blanc a-t-il pu laisser tout ceci derrière lui et rentrer chez lui ?’’, fut la question souvent posée par ma mère, quand nous fîmes le tour de la capitale. Elle admira sa sagesse, quand je lui dis qu'’il sentait que le fardeau devenait trop lourd à porter. Il savait qu'’il pourrait conserver notre amour, mais

134 non notre loyauté en quittant l’Inde, lorsque Gandhi le pressa de partir. ‘’D’autres se seraient battus pour chaque pouce de terrain. Tu dis que cette ville était l’Hastinapura ou l’Indraprastha du Mahabharatha. Eh bien, Duryodhana, notre propre concitoyen ne put abandonner cette ville et partir. Il fit la guerre pendant dix-huit jours, détruisit dix-huit armées et périt avec ses cent frères plutôt que de la donner à ses cousins qui avaient le droit d’être ici ! Ces hommes blancs valent mille fois mieux.’’ Tel fut le jugement qu’elle prononça, lorsque nous quittâmes New- Delhi pour Hardwar.

La famille qui nous accueillit à New Delhi reçut comme moi l’impact de Sri Sathya Sai en pratiquant des séances de sadhana dans les ashrams Ramakrishna, tout spécialement celui de Delhi. Elle connut Baba par l’entremise d’un violoniste employé par All India Radio. La dame de la maison avait engagé cette personne pour lui donner des leçons sur ‘’l’art d’extraire des sons mélodieux’’ (comme l’a dit un farceur malicieux) de la queue d’un cheval ou d’un boyau de chat. Mais mieux, ce qu’elle apprit fut l’extraordinaire histoire d’un Phénomène à l’apparence humaine, capable de révéler la musique des sphères émanant du cœur d’un caillou dérisoire. La curiosité la mena à Puttaparthi, l’émerveillement se mua en admiration et l’admiration en adoration.

A Hardwar, nous logions à l’Ashram Ramakrishna même, heureux de nous blottir dans le giron de Guru Maharaj. L’abondance, les bienfaits et la beauté du Gange sont chantés dans toutes les langues de l’Inde depuis des siècles, par des poètes, des peintres, des sculpteurs, des dramaturges et des pandits. Il entre dans la plaine à Hardwar, dévalant les glaciers après avoir franchi de nombreux obstacles et contourné de nombreux pics des Himalayas. Le spectacle qui attire des centaines de pèlerins en cet endroit sacré est le Gange large, plein et frais, son tumulte adouci, son grondement devenu calme, ses flots tranquilles et maternels. Chaque soir, au coucher du soleil, les foules se rassemblent sur la rive à côté du temple de Ganga Ma pour assister à l’arati et des lampes pyramidales à mèches multiples sont agitées sur les marches du sacré pour exprimer la reconnaissance des millions de citoyens de ce pays pour la fertilité, la fécondité, la fortune et la plénitude qu’il apporte. Pendant l’arati, les gens vénèrent le Gange avec une ferveur pieuse en déposant des fleurs dans son giron. Ils envoient des petites lampes tremblotantes dans de petites coupes sur des bateaux en feuilles et prient pour des faveurs. Ils se baignent dans le Gange jusqu’à ce que la sainteté circule dans leurs veines.

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Nous nous rendîmes au ghat où est accompli l’arati le soir de notre première journée à Hardwar. Nous vîmes que l’endroit était déjà rempli de monde, mais en face, il y avait une petite île avec un beffroi. De cette position élevée, on pourrait avoir une belle vue des lampes qui flottaient sur la rivière et que l’on agitait sur les marches. Et il y avait une passerelle qui nous invitait à traverser. Nous l’empruntâmes et rejoignîmes un petit groupe de pèlerins qui se tenaient là. Des conques rugirent, des trompettes retentirent, des tambours battirent, des cloches carillonnèrent et des bouches crièrent. Les prêtres brandirent les lourdes lampes en cuivre jaune et les agitèrent en formant des cercles, devant…ah ! devant Baba ! Oui. Il recevait l’ovation et l’adoration. Tous purent Le voir ou nous trois pûmes Le voir, jusqu’à ce que l’arati se termine en apothéose avec un ‘’Ganga Maa Ki Jai.’’ Nous étions pétrifiés alors que d’autres avaient déjà retraversé. Lentement, nous retrouvâmes l’usage de nos jambes et notre chemin, et après nous être inclinés très bas, nous touchâmes la marche sur laquelle Il s’était tenu pendant si longtemps. L’image de Baba acceptant l’arati demeura comme une lumineuse bénédiction jusqu’à Bénarès où nous visitâmes le saint des saints, le sanctuaire du Vishwanath où nous fûmes bénis d’une extase époustouflante. Notre visite à Rishikesh et le retour à Delhi, Agra et Brindavan n’entamèrent pas l’aura qui brillait autour de Baba dans l’image imprimée dans nos cœurs.

Autrefois, Sai Baba demanda à Balaram Mankar de s’éloigner de Shirdi et de séjourner à Machindragad dans le district de Satara. Le cœur lourd, il fit comme il lui avait été demandé. Après quelques jours, Baba lui apparut et dit : ‘’Tu pensais que J’étais à Shirdi et pas en dehors de Shirdi. Tu pensais que J’étais un corps de trois coudées et demi de haut. Réalises-tu maintenant que ce que tu as cru jusqu’à présent n’est pas correct ? C’est pour cette raison que Je t’ai envoyé ici.’’ Il semblait que Baba me donnait aussi la même leçon à propos de Sa Réalité. N’a-t-Il pas déclaré qu’Il se meut sur chaque pouce de ce vaste monde (‘’Inchi Inchi Bhoovalya mye Sancharinchunu’’) ?

A Brindavan également, nous séjournâmes à l’ashram Ramakrishna. Notre hôtesse de Delhi envoya au moine responsable un télégramme précisant la date et l’heure de notre arrivée sur place. Mais lorsque nous descendîmes du taxi devant l’entrée, les moines furent surpris de voir le Kasturi de Mysore, le copain de Gopal Maharaj juste devant leurs yeux avec sa mère et sa femme qu’ils savaient très occupées dans la cuisine les jours de fête à l’ashram de Mysore. Ils dirent attendre l’arrivée d’un autre groupe, le groupe d’un Sai Baba qui avait envoyé un télégramme de

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Delhi. On me montra le télégramme, où à la place de Kasturi, le réceptionniste de Brindavan avait décodé ‘’Sai Baba’’, comme nom de l’expéditeur. Baba était vraiment avec nous tout au long du chemin ! Mathura et Brindavan furent pour moi plus significatives, car j’avais lu dans l’Evangile de Sri Ramakrishna qu’il avait foulé ces sables en bhavasamadhi continu, subjugué par la vision de l’Enfant Divin et par la mélodie de la flûte divine.

Nous séjournâmes pendant une semaine complète à la dharmasala de l’Etat de Mysore à Bénarès. Lors de notre première visite au temple, dans le sanctuaire le plus intérieur du temple de Vishwanath, nous eûmes le darshan de Baba qui était là, tel qu’Il est, avec Sa couronne de cheveux, Sa longue robe orange et une main prête à bénir. Nous ne pûmes apercevoir le lingam. Nous vidâmes l’eau du Gange que nous avions emportée en haut des marches pour l’ablution rituelle du lingam sur les Pieds de Lotus de Baba. Il ne protesta pas.

Nous séjournâmes pendant deux jours à Gaya, une ville qui était gravée dans mon cœur comme un saint des saints. C’est le lieu qui vient à l’esprit chaque fois que les hindous accomplissent des rites funéraires, quel que soit l’endroit, pour que la prononciation du nom puisse attirer sur le lieu son unique sainteté et le rendre aussi méritoire que Gaya. Chaque année pendant plus de cinquante ans, en offrant la nourriture prescrite à mes ancêtres à l’occasion de l’anniversaire de la mort de mon père, j’avais prié : ‘’Puisse cette offrande être aussi acceptable pour vous que si elle vous avait été donnée à Gaya’’. Et à présent, j’avais la chance de faire cette même offrande à Gaya même ! Quel moment heureux ! Quand nous entourâmes la dalle sacrée sur laquelle nous avions déposé la nourriture, les mantras appelèrent au festin non seulement mon père et mes ancêtres, mais aussi les esprits des défunts de ma famille, de mes amis et de mes étudiants, de mes animaux domestiques, des vaches et des veaux que j’avais soignés et même des fourmis, des mouches et des insectes que j’aurais pu tuer gratuitement ou par simple négligence.

Gaya était l’endroit où Siddartha accomplit la pénitence historique qui le transforma en Bouddha. L’arbre ‘’bo’’ sous lequel il s’assit, résolu à ne pas se lever avant d’avoir découvert le remède qui soulagerait l’humanité de sa souffrance, est toujours là. Depuis 2500 ans, ses branches ont été transplantées dans des pays distants et sont toujours vénérées en ces endroits pour leur association avec ce vœu et cette victoire.

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Gaya comptait également le sanctuaire sacré de Gadadhar (Vishnu avec une masse), où le père de Ramakrishna Paramahamsa eut une vision et entendit une voix annonçant que le Rédempteur lui naîtrait comme fils.

Nous fûmes bientôt à Calcutta. Mon fils se trouvait là en tant que fonctionnaire du service d’étude géologique de l’Inde. Calcutta pour moi était la ville dont Ramakrishna et le groupe de jeunes qui s’accrochaient à lui empruntaient les routes et les ruelles pour se rendre chez ses dévots, aux réunions de prière des brahmos et sur les lieux de prédilection de Girish Babu. C'était la ville que Guru Maharaj vit brûlante de haine et d’avidité que des visiteurs matérialistes fuyaient dans le temple de Dakshineswar, la ville où il attendait de jeunes aspirants à la Libération éternelle, épris de liberté. Je profitai de toutes les occasions pour me rendre au temple, au bord du Gange et pour m’asseoir dans l’atmosphère sereine de la pièce où Guru Maharaj passa des années à éclairer et à instruire mon guru (Mahapurushji) et d’autres chelas : Vivekananda, Brahmananda, Ramakrishnananda et d’autres. Je m’assis à la base du trois fois béni Panchavati. J’entrai dans le Gange qui avait assisté aux labeurs et de Guru Maharaj. Je passai des heures à la Cossipore Garden House où Ramakrishna fut tendrement soigné par des apôtres dévoués pendant ses derniers jours. Je visitai Baranagore Math et le bureau d’Udbodhan sanctifié par la Sainte Mère.

Je laissai ma mère auprès de mon fils et de mes petits-fils, et avec ma femme, je me rendis à Kamarpukur et à Jayarambati, car je ne pouvais pas ne pas y aller. Le besoin était si insistant. Nous eûmes la chance d’atteindre la maison de village de la Sainte Mère et de séjourner à l’endroit même où elle s’était incarnée. Le lourd pilon en bois avec lequel elle décortiquait le paddy était là, in situ. Nous dûmes nous reposer tout près, mais l’image de la Mère de millions acceptant cette corvée pour nourrir les affamés ne nous procura aucun repos. Je dois avouer que j’ai sangloté jusqu’au moment de m’endormir.

C’était un jour de fête à Jayarambati – Akshaya Trithiya - et il y eut une puja spéciale au temple où des centaines de personnes furent nourries. De là, nous nous rendîmes à Kamarpukur, le hameau qui avait trouvé sa place dans les pages de l’histoire du monde. Nous rendîmes un culte à toute la région—aux arbres, aux réservoirs, aux jeunes gens, aux oiseaux, au bétail et nous touchâmes le manguier à la belle ramure issu d’une graine que Guru Maharaj avait rapportée de Brindavan.

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De retour à Calcutta, nous nous rendîmes en pèlerinage à Belur Math et nous conversâmes avec les moines qui étaient disciples de Mahapurushji. Nous eûmes la grande chance de pouvoir déjeuner avec eux et de partager avec eux le bhong offert à Sri Ramakrishna.

Arrivé à Bangalore après un arrêt d’une journée à Madras, j’écrivis une lettre à Bhagavan qui se trouvait à Kodaikanal, une station de montagne près de Madurai. Je décrivis l’expérience exaltante d’Hardwar et de Bénarès qui n’était clairement pas le résultat d’une hallucination ou de l’idéation mentale, et je Lui offris ma gratitude pour nous avoir guidés sûrement au pays de Ramakrishna. Je reçus de Baba une réponse en kannara, écrite en écriture romaine : ‘’Je suis heureux que vous soyez rentré plein de joie après avoir visité les lieux saints avec votre matrudevi (vénérable mère) et votre grhalakshmi (celle qui est bénie et qui apporte la prospérité domestique). Comment le retard, la déception ou le danger peuvent-ils contrarier vos projets quand Swami est toujours avec vous ? Mon Nom n’est pas distinct de Ma Forme. Le Nom entraîne la Forme devant l’œil de l’esprit, sitôt qu’il est prononcé, remémoré ou entendu. Quand la Forme se trouve devant l’œil, le Nom revient à la conscience immédiatement. Comme le Nom danse toujours sur vos lèvres, la Forme doit toujours être devant vous et près de vous. Quel besoin y avait-il de mentionner ceci dans votre lettre comme un don de Moi ? Il me faut manifester la Forme chaque fois qu’on se souvient de Mon Nom avec foi ou qu’on le chante avec dévotion’’.

‘’Vous pourriez dire que ces visions étaient des faveurs de la Grâce de Swami. Non. Je dis toujours : ‘’D’abord la sadhana, ensuite le sankalpa.’’ Mon sankalpa (volonté) n’octroie la félicité qu’après avoir évalué la profondeur de la sadhana (aspiration). La sadhana est la condition préalable essentielle. Vous avez longtemps été professeur, aussi vous pouvez facilement comprendre ceci. Vous avez dû coter les réponses de nombreux étudiants. Vous n’attribuiez des points qu’après avoir examiné attentivement combien ils avaient été zélés dans leurs études. Je mesure et Je soupèse aussi la sincérité et la régularité de la sadhana que vous avez imposée à vos pensées, à vos paroles et à vos actions et J’élabore Mon sankalpa conformément à vos progrès. Beaucoup de personnes n’ont pas conscience que la misère dans laquelle elles se trouvent peut être annulée par la sadhana et par le sankalpa qui peut se gagner par elle’’.

Je dois ajouter que cette lettre ne révèle pas la spontanéité étonnante de la compassion de Baba. Shankaracharya décrit le Maître d’œuvre divin comme

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‘’Ahethuka daye sindhu’’, ‘’l’incarnation de la Compassion Inépuisable qui n’examine pas les qualifications’’. Mesurer et soupeser la sadhana afin de déterminer le sankalpa n’entre en vigueur qu’après que Sa Grâce ait ramené au bercail la brebis égarée. Alors qu’Il n’était encore qu’un jeune homme sorti de l’adolescence, Baba avait annoncé au monde par l’intermédiaire d’une lettre écrite à Son frère aîné qu’Il avait décidé de ‘’tenir par la main’’ et de sauver les infortunés qui manquent la route de la ‘’délivrance de la peur’’ (abhaya) identifiée dans les Upanishads comme même.

Une fois, je Lui demandai pourquoi Il devait les tenir par la main. ‘’Guidez, éclairez doucement’’ est tout ce qu’ils demandent, dis-je. Baba dit : ‘’La lumière ne peut aider que ceux qui ont de la compréhension. L’aveugle, le malvoyant et ceux dont l’imagination a produit la fumée du fanatisme ou un épais brouillard doivent être conduits par la main. Il y a beaucoup d’occasions de glisser entre un pas et le suivant. De plus, Je dois les vacciner contre la couardise avec le vaccin du courage. Je dois leur faire des piqûres pour renforcer leur foi et leur détermination. Comment le médecin peut-il employer l’aiguille s’il ne tient pas fermement son patient par la main ?’’ Il l’a souvent déclaré en beaucoup d’endroits, en s’adressant à des milliers de personnes : ‘’Vous Me méritez si vous avez besoin de Moi.’’ Et Il est le juge de l’intensité et de l’urgence du besoin. On peut même ne pas être conscient que l’on est mortellement malade ou que le nectar qui peut conférer l’immortalité est disponible dans la paume de Sa main. Faites confiance au médecin et suivez le régime de la sadhana. Tout ira bien.

Nous résolûmes de passer le restant de nos jours dans le sanctuaire sacré de Prasanthi Nilayam. L’atmosphère était accueillante et vibrante de fraternité, de félicité, de charité et d’amour, épanouissante et enveloppante. Nous étions heureux d’être arrivés dans son calme et sa fraîcheur et nous décidâmes d’y jeter l’ancre. Nous n’étions qu’une cinquantaine de résidents et pendant les séances de bhajans du matin et du soir, une vingtaine de visiteurs nous rejoignaient. Certains jours, les chefs des villages environnants venaient avec quelques fermiers exposer devant Baba certains conflits locaux ou rechercher Ses bénédictions pour entreprendre des cultures profitables. Ils amenaient en Sa Présence des bouvillons récemment achetés pour que Ses bénédictions les dotent d’une longue vie et d’une bonne santé.

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Je me souviens d’un vieil homme dont Baba accueillit l’arrivée par une exclamation de bienvenue. Il avait été un témoin des années d’enfance de Baba à Puttaparthi, mais comme ses fils avaient obtenu du travail à Penukonda pour le gouvernement, il avait dû s’exiler de Baba. Son adoration pour Baba était telle qu’il faisait le pénible trajet à pied au moins une fois tous les quinze jours. Baba conversait avec lui de manière touchante pendant des heures d’affilée, à propos de la sadhana, des héros des épopées, des saints et des lieux saints. Baba montrait de l’intérêt pour sa santé et le bonheur de ses fils et de ses petits-fils. Chaque fois qu’Il le repérait pendant une séance de bhajans, Baba quittait Son fauteuil argenté, sortait dans la pelouse et s’accroupissait à côté de lui sous l’arbre-à-pluie devant le mandir et ils échangeaient des propos familiers. Je me souviens qu’Il m’a dit une fois : ‘’Ce Thirumalappa est l’une des rares personnes du village qui croît en Mon caractère unique. Il supplia les parents de reconnaître et de respecter Ma Réalité en tant qu’incarnation de Dieu. J’étais alors encore un petit garçon.’’

A cette époque, Baba descendait généralement de Sa chambre du premier étage vers quatre heures de l’après-midi. C’était devenu une routine quasi immuable. Il y avait huit immeubles à droite du bâtiment, cinq à gauche et une rangée de six pièces uniques à l’arrière. Ces dernières étaient si proches du mandir que les odeurs de cuisine flottaient dans le hall des bhajans quand le vent se montrait malicieux.

En descendant les marches, Baba s’arrêtait un bref instant et nous nous demandions où Ses pas allaient Le conduire, mais rapidement Il décidait qui Il allait d’abord bénir. Oh ! Comme il nous rendait heureux ! Il entrait dans chaque maison et passait quelques minutes égayantes avec ses occupants. Chaque midi, nous préparions la maison pour l’accueillir. Nous balayions et nous frottions, nous nettoyions et nous époussetions. Des motifs étaient dessinés par terre, de la verdure suspendue à la porte. Dans chaque maison, il y avait à Sa disposition un fauteuil de bon goût, confortable, avec un repose-pied. La lampe métallique placée sur un petit autel qui occupait une niche dans le mur ou un coin de la pièce unique était allumée et brûlait joyeusement. Chaque famille avait une jolie petite boite de feuilles de bétel destinée à l’usage de Baba, tandis qu’Il bavardait. Nous nous procurions des feuilles de bétel, des suparis doucement parfumées et des citrons verts pour Lui offrir.

Chacun guettait sans cligner de l’œil l’apparition de la robe orange et de la couronne de cheveux, bien qu’Il ratait rarement une maison dans Sa marche de miséricorde et bien que l’on pouvait être certain de Sa visite chez soi

141 immédiatement après qu’Il ait quitté la maison voisine. Ma maison était située à droite du Mandir. Baba avait facétieusement nommé cette rangée d’immeubles ‘’Brindavan’’, avec une emphase sur la troisième syllabe qui signifie ‘’jungle’’, car nous avions derrière notre bloc de maisons une rangée épaisse de buissons épineux qui nous séparait de la route qu’empruntaient les villageois pour se rendre à la rivière, à l’est. Il appela ‘’Gokulam’’ la rangée de maisons situées à gauche du Mandir, parce que la construction la plus en vue y était un enclos pour quelques vaches.

Souvent, Il nous faisait une farce. Il faisait semblant d’entrer, mais n’en faisait rien et poursuivait Son chemin avec une moue chez le voisin, nous plongeant ainsi dans les rires et les larmes. Nous devenions verts d’envie lorsque nous étions dédaignés et que les voisins nous étaient préférés. Souvent, de là, Il nous exaspérait en parfumant Sa grâce de chants et de blagues. Nous entendions les éclats de rire que Ses calembours espiègles provoquaient. Nous nous condamnions pour l’infortune de les avoir manqués. Soudain, une chape de silence tombait qui durait quelques secondes insoutenables. S’était-Il levé ? Quittait-Il la maison ? Allait-Il venir chez nous ? Mâchait-Il du bétel ? Sirotait-Il un jus d’orange ? Regardait-Il les photos suspendues au mur ? Mais non ! D’habitude, Il fredonne un air quand Il fait cela. C’est cela. Il doit être entré dans la cuisine. Ah ! C’est le bruit fait par la porte qui donne dans l’arrière-cour ! Regarde-t-Il la petite hutte au toit de chaume où réside Son ‘’père’’, Venkaparaju ? Va-t-Il descendre les trois marches en pierre et traverser la route poussiéreuse ?

Nous n’osions pas regarder à travers la fente de la porte de la cuisine. Ce serait un sacrilège. Comment nos suppositions légères pourraient-elles sonder Son potentiel infini ? Ah ! On frappe à la porte de la cuisine. C’est Lui ! Il entre chez nous par cette porte avec un chant destiné à effacer notre morosité—un chant composé il y a cinq siècles en kannara, si cher à nos oreilles, par le saint Purandara Das. Il commence ainsi : ‘’Ne doute pas du Seigneur’’. L’assurance était un avertissement.

Un autre jour, Baba pénétra dans l’arrière-cour du tout premier immeuble de ‘’Brindavan’’ et alors que nous regardions au loin pour L’apercevoir quand Il sortirait par la porte principale de cette maison et nous activer nous-mêmes, Il parvint à sortir par la porte arrière et à marcher sans être vu le long d’un passage étroit entre les blocs 6 et 7 et à se glisser derrière moi, pauvre innocent ! Avec Ses mains, Il me ferma les yeux pour m’accorder la plus douce des surprises. Lorsqu’Il me demanda ‘’Qui c’est ?’’, ma réponse fut une cascade de larmes. Enfantillages ? Jeu

142 de colin-maillard entre un trentenaire et un trois-fois-vingt ? Oui, Sa forme était bien celle du crépuscule de la jeunesse, mais le contenu était un enfant, l’Enfant venu réprimander et changer, l’Enfant venu révéler l’hypocrisie de l’homo sapiens et rendre l’humanité consciente de la fumisterie à laquelle elle s’accroche.

La légende relate l’orgueil pompeux d’un empereur monté sur un cheval caparaçonné précédé et suivi par des chevaliers et des courtisans et qui portait des vêtements royaux trop diaphanes que pour exister. En réalité, les tisserands habiles avaient promis de le vêtir des vêtements en or les plus transparents, et parce que ses sujets contemplaient son corps nu, il croyait être magnifiquement vêtu. Parmi les millions de personnes qui observèrent la procession triomphale de l’empereur dans sa tenue d’anniversaire, nul n’osa proclamer l’hideuse vérité. Mais un petit enfant s’écria : ‘’Saperlipopette ! L’empereur est nu !’’

Baba est l’Enfant qui est venu révéler la vanité de la pompe des pandits et de leur grandiloquence et pour nous ridiculiser jusqu’à ce que nous réalisions la Réalité. De Sa paume apaisante, cet Enfant Divin applique le baume de la bénédiction rafraîchissante sur nos yeux rougis par la jalousie et aveuglés par la colère. Quand Il referme ces yeux, l’Œil Intérieur perd ses œillères. Il n’existe plus aucune division par après—seulement la vision de Lui-même qui demande à chacun, tout le temps : ‘’Qui c’est ?’’ Cet Enfant nous attire à Lui par Son Amour spontané et sans tache et par Sa sagesse authentique et sans ternissure.

L’enfant humain se voit lui-même comme le centre de l’univers et le monde comme une extension de son être. Cet Enfant Divin sait qu’il en est ainsi. L’enfant humain arrive sans l’étiquette d’un nom ; nous lui en collons une sur le front. Baba, l’Enfant Divin a annoncé : ‘’Je n’ai pas de nom ; Je réponds à tous les noms’’. Baba a déclaré : ‘’Il n’y a aucun lieu que Je revendique comme étant personnellement le Mien ; J’appartiens à tous les lieux. Je suis là où l’on Me veut.’’ Les enfants sont très impliqués dans le ‘’maintenant’’. Baba nous rappelle : ‘’Le passé est le passé. Ne vous retournez pas pour regarder nostalgiquement ou tristement la route que vous avez déjà traversée.’’ Les enfants ne voient pas le monde compartimenté par des murs, qu’ils soient chinois ou berlinois ou autre. Ils s’impliquent avec tout et avec chacun. Ils représentent l’innocence, l’amour, le pardon et la fraternité vraie. L’enfant n’a pas de vanité ou de mépris des genres. Cet Enfant Divin

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affirme : ‘’Avec les hommes, Je suis homme. Avec les femmes, Je suis femme. Avec les enfants, Je suis un enfant.’’ Cette déclaration rappelle les Upanishads qui décrivent Dieu : ‘’Tu es la femme, Tu es l’homme, Tu es la fillette, Tu es le vieillard qui s’appuie sur un bâton.’’ L’enfant humain aime répandre le sable à travers ses doigts. J’ai vu cet Enfant saisir une poignée de sable de la Chithravathi. Il se transforma en livre : la Bhagavad Gita. Du sable se coagula en perles quand Baba trottina joyeusement sur la plage blanche de Cap Comorin où trois mers lèchent le rivage. Cet Enfant Divin s’assit sur la plage près de Dwaraka et joua aves Ses deux mains dans le sable. Une idole en or de Krishna de quarante-cinq centimètres en sortit ! Cet Enfant nous inspire de redevenir des enfants pour que nous puissions toujours être avec Lui.

La conscience de cette vérité pénétra en moi de plus en plus profondément au fur et à mesure que les années passèrent. Elle persiste encore aujourd’hui, alors qu’Il est dans la cinquantaine et que je fais partie des quatre-fois-vingt. L’espièglerie est inhérente à la relation entre Dieu et l’homme. Baba a écrit : ‘’J’ai créé le monde pour Mon plaisir.’’ Une autre fois, Il a déclaré : ‘’Je dirige ce spectacle de marionnettes et J’en suis satisfait.’’ Crever des bulles, faire exploser la baudruche de l’ego, démolir des châteaux en Espagne, jouer à cache-cache, voilà quelques-uns de Ses passe-temps favoris. ‘’Aimer Mon incertitude’’, voilà ce que nous conseille ce Phénomène Divin. Et qui peut être plus imprévisible qu’un enfant ? Lorsqu’Il distribue des laddus et qu’Il invite chaque dévot à l’attraper quand Il en lance un dans sa direction, de temps en temps, Il feinte un geste et rit de la déconfiture qu’Il provoque. L’instant suivant, Il pourra nous en donner deux avec une petite tape dans le dos pour atténuer l’impact de la déception.

Je me souviens d’un soir de 1959 où Il m’envoya quelqu’un pour me conduire dans Sa chambre au mandir. Baba me dit que le rédacteur en chef d’un quotidien d’Hyderabad avait demandé une photo de moi car il voulait me présenter dans son journal avec une belle critique comme l’éditeur du ‘’Sanathana Sarathi’’. Baba avait promis de lui envoyer une photo et Il me demanda de me préparer à être pris en photo par Lui-même, dans les minutes qui suivirent, avec un appareil tout neuf qu’Il avait spécialement choisi pour l’occasion. Oh ! Je ne me tenais plus de joie ! Je montai au huitième ciel, puis dévalai les dix-huit marches afin de me refaire une beauté.

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Endéans quelques minutes, je fus de nouveau dans la Présence, rasé de près et amidonné, un large sourire au frontispice. Baba me prit par les épaules et me plaça à la distance appropriée. Il regarda à travers l’objectif et me félicita pour mon ‘’visage photogénique’’. J’étais transporté de joie à l’idée que ma photographie allait flatter l’œil d’au moins trente mille lecteurs dans tout l’Andhra Pradesh. Mon sourire s’épanouit en un généreux rictus ! Baba me fit un geste et je ravalai le rictus. ‘’Prêt ?’’ Il appuya sur le bouton…Une grosse chose noire avec une queue me sauta dessus d’à l’intérieur de l’appareil ! Avec un cri strident, je bondis dans un coin de la pièce en projetant la chose horrible et hirsute…Etait-ce un rat ? Etait-il mort ? Non. C’était une souris en tissu, habilement glissée à l’intérieur de l’appareil photo bidon qui s’échappait au déclic. Baba rit de bon cœur devant ma panique. Moi aussi je ris pour relâcher la tension.

Il me réprimanda gentiment pour avoir avalé l’histoire qu’Il avait inventée pour dégonfler mon ego. Il me rappela que le fait que je sois l’éditeur du Sanathana Sarathi n’était pas le genre de ‘’nouvelles’’ qui intéressait le monde. La renommée durable ne se trouve pas dans les journaux qui se transforment en vieux papiers le lendemain même, mais dans le service dévoué à Dieu et aux pieux.

Je quittai Sa chambre plus sage et l’ego aminci. Baba nous aide charitablement, lentement et subtilement à nous défaire du fardeau de l’ego. Il condamne la modestie qui n’est que simple pose destinée à attirer l’attention ou l’admiration sur soi. Il nous conseille d’être simplement nous-mêmes et de ne pas porter de masques derrière lesquels nous nous cachons. ‘’Quel statut plus grand pouvez-vous avoir que d’être l’instrument pour empaqueter et poster Mon message à des milliers de dévots tous les mois ?’’, me demanda-t-Il.

Baba est un soleil trop éclatant pour les yeux humains. Nous pouvons nous baigner dans la lumière solaire, mais nous ne pouvons pas le contempler. Le soleil doit lui- même réduire sa splendeur et devenir un beau disque rouge deux fois par jour pour que l’homme puisse imbiber sa grandeur dorée. Baba nous donne aussi de fréquents coups d’œil de la Gloire qu’Il est.

Baba était revenu de Venkatagiri il y a deux jours. Une dame âgée qui séjournait au Nilayam s’était rendue dans son village natal qui borde la route que Baba doit traverser pour aller ou revenir de Venkatagiri. Elle avait l’intention d’arrêter Sa voiture à Son retour et de Lui offrir l’hospitalité dans sa propre maison. Mais

145 lorsqu’elle apprit que Baba était rentré à Prasanthi Nilayam, elle se dépêcha de revenir.

Alors que Baba conversait de la véranda située au premier étage avec un petit groupe de visiteurs qui se trouvaient au rez-de-chaussée (parmi lesquels je m’étais faufilé), elle se trouvait non loin de nous et se plaignit tout haut : ‘’Swami ! Comment Votre voiture a-t-elle traversé notre village sans être remarquée ? Nos hommes montaient la garde des deux côtés, nuit et jour. Nous n’avons vu aucune voiture !’’ Tandis que Baba gloussait de plaisir devant son désarroi, nous entendîmes le gloussement derrière nous, car Baba se trouvait maintenant juste derrière nous. ‘’Voyez-vous, Je suis venu de là jusqu’ici. Si Je peux faire cela, ne- puis-Je alors pas passer par votre village sans être vu avec la voiture et tout ? Ni le temps ni l’espace n’osent Me lier,’’ dit-Il. Nous restâmes pétrifiés devant cette Révélation. Je sentis un choc dans mon cœur. Je tombai à Ses pieds. Son visage était éblouissant et divin…Jésus sortit du temple ‘’au milieu d’eux et passa.’’ Baba passa avec voiture et tout !

Des mois avant ma première visite à Puttaparthi, le frère aîné de Baba, Seshama Raju Lui avait écrit une lettre qui Lui détaillait sa gêne devant les sarcasmes obliques et les railleries stupides que les étranges annonces et les actions encore plus étranges de Baba provoquaient dans la région. Baba lui répondit : ‘’Ils ne savent pas qui Je suis ni pourquoi Je suis venu. Ils Me regardent à travers leurs yeux astigmates et ne Me voient que comme ils le désirent. En fait, nul ne peut jauger Ma réalité, peu importe combien de temps il essaye et les moyens qu’il emploie.’’ C’était par conséquent un exercice futile que de chercher à savoir comment Il se joua de l’espace et du temps. Le frisson que cela nous procura est assez pour nous. Je décidai de ne pas Le mesurer mais de me concentrer à L’aimer.

Laissez-moi vous raconter une autre expérience charmante. Un jour en suivant l’allée des maisons de ‘’Brindavan’’, Il ‘’oublia’’ la nôtre avec un clin d’œil enchanteur. Ma mère tenta de Le faire entrer. ‘’Je ferai l’arati avec le camphre ! Entrez, Swami !’’ Baba s’arrêta et dit : ‘’Non, ce n’est pas suffisant. Tu dois faire deux aratis. D’accord ?’’ Mère répondit que oui. Swami entra, resta assis plus longtemps qu’à l’accoutumée, reçut l’arati supplémentaire qu’Il avait extorqué, et puis partit conférer instructions et délices à notre voisin.

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Avec quelques blagues, un éclat de rire, une chanson ou une histoire, une parabole ou un proverbe, Il illuminait chaque maison. En se déplaçant nonchalamment autour des maisons, Il remarquait les dernières acquisitions et s'enquérait de leur nécessité. Il soulevait les couvercles des casseroles mises sur le feu et faisait des commentaires sur la valeur calorifique ou sur les conséquences nocives du menu en préparation. Ses paroles et Ses faits et gestes étaient sur toutes les lèvres et chacun était au courant de ce que tous les autres avaient reçu. Les résidents étaient ainsi soudés en une famille heureuse et se réjouissaient dans une activité plaisante.

Quelques jeunes cocotiers furent plantés par Lui devant le mandir. Ils devaient être arrosés tous les deux jours, de même que les parterres de fleurs autour des bâtiments. L’eau devait être puisée à un large puits profond situé de l’autre côté de la route à une centaine de mètres du mandir. Les dévots masculins—peu nombreux—étaient choisis pour la partie la plus épuisante du travail : remplir des pots en aluminium et se les faire passer de l’un à l’autre jusqu’aux femmes qui attendaient au-dessus. Celles-ci les saisissaient et les envoyaient le long d’une chaîne de mains avides jusqu’à l’arbre ou la plante bénéficiaire. Une autre file de femmes, généralement les plus âgées, se repassaient les pots vides jusqu’à la personne la plus proche du puits. Celle-ci expédiait le pot par la même route manuelle à la personne la plus proche de l’eau.

Certains jours où le progrès était lent, Baba promettait un prix à la file qui accomplirait sa tâche plus rapidement que l’autre (celle des hommes qui hissait verticalement ou celle des femmes qui transmettait horizontalement). Si le pot rempli n’était pas tendu lorsqu’était retourné le premier pot, les femmes gagnaient ; si la main qui réceptionne n’était pas là quand le pot rempli apparaissait, les hommes gagnaient ! La récompense que Baba offrait était un médaillon pour chacun, avec Son portrait ou celui de Baba de Shirdi ou le Pranava. D’un geste de la main, Il créait autant de pièces d’argent brillantes qu’il y avait de vainqueurs devant Lui. Il manifestait une telle joie devant le silence, la sincérité et la régularité de ce service qu’un soir, Il prit des dispositions pour que soit prise une photographie des deux groupes, chacun avec son pot, et Swami souriant, assis sur un pot renversé avec quelques enfants autour de Lui. Un petit ange était assis sur Ses genoux. Il tenait dans sa main potelée un petit chombu en cuivre dans lequel son grand-père avait ramené de l’eau du Gange de Kasi. Cet enfant participait avec les autres à l’arrosage quotidien des plantes avec cet ustensile. En apercevant ce

147 petit écureuil faire sa part de seva, Baba lui donna une tape dans le dos et s’exclama : ‘’Continue ! De l’eau de Puttaparthi dans un récipient de Kasi ! Bien.’’

Puisque Baba Lui-même faisait partie du groupe à photographier, Il me donna des instructions précises quant à la manière de prendre la photo à Son signal. Quand les dévots en réclamèrent une copie, Baba me présenta comme coupable. J’avais, semble-t-il, pressé le mauvais bouton ou le mauvais levier et le film était resté vierge ! Quoi qu’il en soit, les préparatifs solennels d’une photographie avec Baba, l’intimité que cela procure, le frisson ressenti quand Baba supervise la formation des rangs et quand Il s’assure que chaque visage béni appraîtra clairement et entièrement sur la photo, l’émotion durant les secondes cruciales avant le déclenchement, tout cela procure une satisfaction durable. Peut-être ne voulait-Il accorder que cela car l’activité offre plus de joie que le résultat qui en découle. Il dit : ‘’Le karma est plus agréable que la conséquence.’’

Il n’y avait pas de moment spécifique où l’on pouvait s’attendre à être appelé par Baba pour un entretien personnel. Les gens pouvaient communiquer avec Swami et retirer courage, consolation, réconfort, conseil et guérison pendant la padapuja, l’adoration rituelle des pieds du guru, un mode d’adoration normal et traditionnel qu’à cette époque, Il permettait à chaque famille de pèlerins d’accomplir avant de retourner chez elle. Quand des visiteurs avaient avec eux un bébé dont les cheveux de naissance devaient être coupés à un moment auspicieux avec certains rites approuvés ou qui devait recevoir un nom au cours d’une cérémonie ou bien qui devait recevoir sa première bouchée de riz, Swami se rendait dans le bâtiment où logeait la famille pendant que tous les autres participaient aux bhajans. Il s’asseyait au milieu d’eux et coupait quelques cheveux ou bien Il appelait le bébé par le nom qu’Il désirait ou Il mettait le riz sucré sur sa langue avec Ses doigts. Si c’était l’initiation à l’alphabet qui était voulue, Il trempait une bague ou une pièce en or dans du miel et avec, Il écrivait sur la langue, Om, la lettre mystique. Ou bien, Il saisissait l’ardoise que l’enfant tenait, et après avoir sanctifié son cadre avec une couche de rouge et de jaune, Il écrivait dessus avec un morceau de craie la lettre Om pour que l’enfant la recopie et l’apprenne à loisir. Om est la source, le flux et la somme de tous les sons que les cordes vocales humaines peuvent émettre et produire. Invariablement, Il créait pour l’occasion un médaillon considéré comme un talisman qu’Il plaçait autour du cou de l’enfant.

Lorsqu’une famille arrivait avec une personne malade, les visites à leur lieu de résidence étaient plus fréquentes. La cendre curative coulait à flot. Des pilules, des

148 cachets et des capsules inconnues de la science pharmaceutique tombaient de Ses mains après quelques rotations. Swami a dit : ‘’C’est l’esprit de l’homme qui est réellement responsable de sa maladie ou de sa santé. Donc, quand il s’agit de guérir, la foi nécessaire doit être créée dans l’esprit. Tout ce que Je fais, c’est fournir la confiance, la volonté pour se guérir soi-même. C’est Mon Amour abondant auquel le dévot répond par l’intensité de sa foi en Moi qui produit le résultat désiré.’’

Mais Sa compassion est tellement spontanée qu’Il ne retarde pas la guérison jusqu’à ce que la foi éclose et grandisse en intensité. Il fait trois pas en direction de la personne qui souffre avant même qu’elle sache qu’elle doit faire le premier. Il n’y avait pas encore d’hôpital sur le campus et ainsi, la plupart des bâtiments étaient des pavillons pour patients hospitalisés. Un jour, ma mère était assise dans la véranda, quand un groupe de gens du Madhya Pradesh l’interpella : ‘’Depuis combien de temps êtes-vous ici ?’’ Elle répondit : ‘’Quatre ans.’’ Ils furent abasourdis et s’exclamèrent : ‘’Quatre ans ici et vous n’êtes pas encore guérie !’’ Ils avaient amené avec eux une jeune fille malade et la réponse de ma mère n’était pas une bonne nouvelle pour eux ! Je ne pouvais pas leur révéler que nous subissions tous une rééducation. Baba a dit une fois qu’Il nous traitait tous pour anémie de la volonté, myopie de l’orgueil, jaunisse de la vision et constriction du cœur.

Au sujet de Ses modes de traitement, je me souviens d’un étrange modus divinitatis dont je fus témoin, un matin mémorable :

Un réfugié de l’ex-province de Sind était au Nilayam avec sa fille caractérielle qui souffrait d’un dérangement mental. Elle pleurait et elle riait, errait sans enthousiasme et s’emportait pour aucune raison apparente. Elle marmonnait tout le temps la même série de syllabes. Baba toléra ses pitreries et sa folie frénétique pendant quelques semaines. Il avait certifié au père qu’Il guérirait la maladie avant qu’ils ne repartent. Cette heure était venue et Baba était dans leur chambre. Baba plaça Ses mains de chaque côté de son cuir chevelu, et comme Il pressait de plus en plus fort, nous pûmes voir dégouliner de la racine de chaque cheveu des gouttes d’un liquide brun sombre. Ce liquide fut récolté dans un plat. Il sentait mauvais et il y en avait environ trois décilitres. Quand toute la substance fut purgée, Baba se leva et se lava les mains avec du savon. Puis le groupe partit pour Bukkapatnam en carriole pour prendre le bus qui les emmènerait à la gare la plus proche, Dharmavaram.

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Trois années s’écoulèrent. Baba se trouvait à Bombay. Il décida d’aller visiter la colonie des réfugiés du Sind en banlieue pour y bénir le père et la fille. Virevoltant dans toute la maison, celle-ci était aux petits soins pour les fidèles qui s’étaient rassemblés pour avoir le darshan de Baba. Elle chanta des bhajans avec enthousiasme et montra qu’elle avait été remodelée en une beauté délicieuse et pleine de santé.

Plus tard, je fus de nouveau le témoin de deux opérations de ce genre. A Prasanthi Nilayam, mon voisin avait une femme qui souffrait de crises d’épilepsie occasionnelles qui la rendaient effrayante, faible et imprévisible. Baba la ramena à la normale avec le même traitement spécial. Purger le fluide putride par les racines des cheveux guérit une autre femme, la fille d’un dévot de Bangalore de crises d’hystérie récurrentes.

Chaque fois que je raconte cette histoire à mes amis, ils doutent de ma santé mentale ! Ils répugnent cependant à me le dire en face, de peur que je ne remette en cause leur propre équilibre. ‘’Comment cet homme dont l’incrédulité prodigieuse et l’humour piquaient la réputation des imposteurs et des fakirs, des escrocs et des charlatans, est-il si facilement devenu la victime d’un Baba deux fois plus jeune que lui ?’’—s’interrogeaient-ils. Un homme, disent-ils, est jugé par la compagnie qu’il entretient. Mais je fus jugé par ma compagnie, lorsque je les quittai. Ils se sentirent terriblement supérieurs à moi et s’accrochèrent avec un fanatisme insensé à leurs roseaux flétris.

Heureusement, ma foi en l’amour, la sagesse et le pouvoir de Baba, en le miracle de Ses actions, en l’éternelle intangibilité du Divin s’approfondit en proportion égale à la pitié et au mépris que mes admirateurs et amis d’autrefois répandirent sur moi. Je ne pouvais que les plaindre en retour, car leurs yeux étaient aveuglés par les préjugés et l’amour-propre. Concernant les expériences extraordinaires que j’ai gagnées en la présence de Baba, je puis seulement m’ ‘’exclamer’’, je ne peux pas ‘’expliquer’’. Je fus attiré par Son éclat, pas vexé par lui comme les autres le furent. Grâce à Dieu, j’avais réussi à m’extraire du purgatoire du doute. Certains amis vinrent à Puttaparthi pour confirmer leur jugement sur mon QI. Mais comme Jésus l’a dit : ‘’Voyant, ils ne voient pas et entendant, ils n’entendent pas. Et ils ne comprennent pas, car le cœur de ces gens est endurci. Et leurs oreilles d’entendre sont émoussées et leurs yeux, ils les ont fermés, de peur à tout moment de voir avec leurs yeux, d’entendre avec leurs oreilles, de comprendre avec leur cœur et d’être convertis.’’

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Des séances de bhajans se déroulaient dans le hall de prière devant le portrait de Baba et de l’Incarnation qui L’a immédiatement précédé, Sai Baba de Shirdi. Des portraits de saints et de chefs spirituels de toutes les époques et de tous les pays ornaient les murs du hall. Je fus chargé par Baba de rapporter de Bangalore des grands portraits de Zoroastre, de Bouddha, de , de Jésus, de Shankara, de , de Madhva, de Nanak, de Meera, de Surdas et de . Nous chantions en chœur de nombreux hymnes et prières pour la paix et la pureté que Baba avait composés et qu’Il nous avait appris lorsque nous nous asseyions autour de Lui sur les sables de la Chithravathi ou sur la pelouse devant le mandir.

Beaucoup de ces chants éclairèrent pour nous les étapes du progrès spirituel. Un chant insistait sur la leçon d’ériger la demeure de la vie sur les piliers bien solides de la vérité, de la conduite juste, de la paix intérieure et de l’amour. Un autre nous apprenait à connaître la divinité comme vérité, sagesse et éternité. Les hymnes vénéraient les diverses Formes de Dieu imaginées par les saints et les mystiques de tous les pays. Ceux-ci nous rappelaient la gloire et la majesté qui énergisaient les créatures, les vivantes et celles qui s’efforçaient de rejoindre le flot de la vie. Chaque Nom désignant l’Un évoquait un frisson, un flash, un parfum, car c’était une épopée incluse dans une syllabe ou une Ecriture abrégée en un seul mot. Les jours où Rama et Lakshmana, les jumeaux qui furent pendant des années chanteurs à la All India Radio de New Delhi étaient au Nilayam, Baba les encourageait à chanter avec Lui les compositions du mystique du dix-huitième siècle, Thyagaraja.

Une fois, Baba déclara devant une assemblée à Tirupati : ‘’Mon affection envers Thyagaraja est vieille de plusieurs siècles ! Lorsque le standard de la conduite morale tomba très bas, il prépara le médicament du Ramanam dans de savoureuses capsules. Le raga est approprié au tempo émotionnel de l’idée expliquée dans le chant. Le battement de la mesure est adapté à l’élaboration du sens. Les adjectifs allitératifs dictent l’espacement et l’accent. Ils conduisent la voix dans les voûtes merveilleuses de l’architecture du chant, éveillant grâce à ses vibrations les énergies yoguiques du chanteur et de l’auditeur.’’

Un connaisseur d’un certain âge, après avoir entendu une composition de Thyagaraja interprétée par Baba, ne sut plus contenir sa joie. Il bafouilla : ‘’Swami ! J’ai cru que c’était Thyagaraja lui-même qui chantait maintenant !’’ Baba se tourna vers lui et lui dit : ‘’A propos, qui selon vous, a inspiré Thyagaraja à chanter ainsi ?’’

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L’Enfant Divin aimait tant chanter les compositions de Thyagaraja, de Bhadrachalam Rama Das et de Purandaras Das, du Karnataka, qu’Il n’aimait pas qu’aucun de nous ne rate l’occasion pour aucune raison. Pendant Sa tournée de l’après-midi, Lui-même annonçait la bonne nouvelle. ‘’Aujourd’hui, Je chante pendant l’heure des bhajans.’’ Et avec les jumeaux à l’arrière-plan, Sa voix nous tenait sous son charme pendant une heure ou plus. Il avait Ses chants favoris qu’Il interprétait souvent. Le chant ‘’ Brochevarevaru’’ assure à l’homme que Dieu a un pouvoir infini qu’Il exerce avec une infinie miséricorde. La leçon transmise par un autre chant préféré ‘’Rama nannu’’ est que le Seigneur meut le cosmos tout entier, le macro et le micro, Brahma et la fourmi. Le chant ‘’Endaro’’ nous communiquait le message que Baba aimait beaucoup implanter : ‘’Saluez toutes les grandes âmes qui ont fait l’expérience de Dieu, qui se réjouissent d’offrir leurs talents à Dieu, qui font preuve d’une sollicitude constante pour l’humanité affligée, qui écartent tout doute et tout débat au sujet de la divinité, qui ont compris les enseignements ésotériques cachés dans les textes scripturaux et qui se sont engagées à louer la gloire du Seigneur.’’

‘’Mundu Venaka’’ est une autre composition que je L’ai entendu chanter avec beaucoup de plaisir. C’est une prière pour laquelle Baba Lui-même est la réponse, savions-nous. Thyagaraja implore Rama : ‘’Viens Seigneur ! Sauve-moi du mal qui m’assaille de toutes parts, viens vite ! Viens avec Ton arc invincible qui ne rate jamais sa cible !’’ Et Baba déclara : ‘’Lorsqu’un tel appel jaillira de vos cœurs, Je vous protégerai comme la paupière protège l’œil. Je serai derrière vous, à côté de vous, devant vous, tout autour de vous.’’ Baba nous enseignait quelle faveur demander à Dieu. Il ne faisait que rappeler l’affirmation upanishadique de Son omniprésence que l’homme avait déraisonnablement repoussée dans l’oubli. Purastaad Brahma ( devant toi), Paschad Brahma (Brahman derrière toi), Dakshinathah (à ta droite), Uttarena (à ta gauche), Adhah (en-dessous de toi), Oordhwam (au-dessus de toi) Brahma eva (Brahman seul) Viswam (ce cosmos). Baba arrachait la mauvaise herbe de l’impuissance qui sommeillait dans nos cœurs qu’Il éveillait en arbre de la Bodhi. Le chant ‘’Ninu Vina’’ éveilla en nous une aspiration d’un ordre différent. Thyagaraja y décrit la félicité qu’il but en contemplant la beauté de Rama. Quand Baba nous remplissait de la mélodie de ce chant, Il attirait notre émerveillement transcendant sur Lui-même. Chaque facette qui fascinait Thyagaraja—le sourire, la posture, la finesse, l’éclat, la grâce, la délicatesse—nous la reconnûmes et nous la vénérâmes en Baba Lui-même.

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Par la même occasion, les chanteurs jumeaux apprirent de Baba de nombreuses leçons de musique. C’était la raison pour laquelle ils prenaient la route de Puttaparthi à chaque fois qu’ils en avaient l’occasion. Baba remarqua que leurs langues tamoules déformaient les expressions télougoues des compositions de Thyagaraja et produisaient souvent des distorsions ridicules. Pour donner un exemple, ils caricaturaient innocemment une sublime expression d’humilité d’un chant de Thyagaraja en un défi irrespectueux et même insolent ! Ils prononçaient ‘’pogada kunte’’ comme ‘’pokoda tinte’’ et massacraient le chant, car le sens en était par-là désastreusement profané. Au lieu de ‘’Oh Seigneur ! Ta gloire est louée par les sages et les visionnaires. Elle ne peut être diminuée par le silence de ce pauvre homme,’’ ils le défiguraient en ‘’Oh ! Seigneur ! Ta gloire ne peut être diminuée si je mange quelque chose d’épicé frit dans l’huile !’’ Baba chassa de tels lapsus de leurs langues en riant.

Baba était réellement un chant dans le vent, de la musique en marche. Lorsqu’Il était au centre d’un groupe de dévots parlant le kannara, Il fredonnait tout haut ‘’Thallanisadiru Kandya. Thalu Manave.’’ (Ne tremble pas de peur, Ô mental), un chant de Purandara Das ou un vachana de Basavana, ‘’Kalla Naagara Kandare’’ (Quand ils voient un serpent de pierre) ou un ‘’ragale’’ de Harihara sur Kumbaara Gundanna (le saint potier, Gundanna). Lorsqu’un groupe de dévots parlant tamil s’asseyait autour de Lui, les lignes étaient de Gopalakrishna Bharathi sur Nandanar ou Arunagirinathar sur Muruga ou Andal sur Vishnu. L’air se faisait de plus en plus neuf quand notre esprit se rapprochait de Lui. Oh ! Chaque ligne et chaque intonation étaient un pacemaker pour le cœur, un tonique pour les membres, un baume pour le cerveau et une manne pour l’esprit.

Nous aussi, dans chaque maison où Il entrait, nous chantions un psaume ou deux quand nous voyions qu’Il était disposé à rester aussi longtemps. Ma femme s’aventura un jour à chanter une prière en kannara qu’elle avait laborieusement répétée pendant des jours. Elle commençait par ces lignes ‘’Ninna nambi bande, enna kye bidadiru, Ghana mahimane Sai Natha.’’ Je suis venue à Toi remplie de foi, Ô Merveille majestueuse ! Ne lâche pas ma main.’’ Baba nous observait silencieusement les mains jointes. Quand elle s’arrêta, Il se mit à chanter une réponse rassurante à sa prière dans sa langue natale, le tamil. ‘’Virumbum munne tharuvaare, Sai Baba, Vendum munne varuvaare’’. C’était les premières lignes. ‘’Pourquoi crains-tu ?’’, semblait-il demander. ‘’Sai Baba t’accordera des faveurs, avant même que tu les demandes. Il te secourra avant même que tu L’appelles.’’

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Parfois, Il anticipait le chant avec lequel les dévots se préparaient à L’accueillir dans leurs maisons et fredonnait tout haut ces mêmes lignes quand Il entrait ! Un jour, à Bangalore, Baba promit de visiter notre maison, ‘’Asoka’’, sur Wilson Gardens et nous étions bouche bée d’excitation. Ma femme répéta un chant sur le caractère unique de cet Avatar et l’avait sur le bout des lèvres. Quelle ne fut pas notre surprise lorsque Baba descendit de voiture en fredonnant tout haut les premières lignes du chant que ma femme voulait à tout prix chanter lorsqu’Il pénétrerait dans le sanctuaire de notre petite habitation. ‘’Baba ! Parama kripanidhiye’’ (Baba ! Toi dont la compassion est illimitée), commençait-il. Il demanda à ma femme de chanter le reste du poème. Il procura une joie immense à ma mère quand Il l’incita à répéter sa composition ‘’Naan Kanda manigalile’’ (Parmi toutes les pierres précieuses que j’ai connues et aimées, il n’en n’est d’aussi belle que le joyau Sai Ram). Baba dit ‘’Bien’’, lorsque ma mère toucha Ses pieds. Puis, Il me demanda d’allumer le camphre et d’agiter la flamme de l’arati. ‘’Commence ! Sadaa enna hrdayadalli’’, me dit-Il. ‘’Toujours dans mon cœur.’’ C’était le chant de l’arati composé par moi que l’on utilisait quand des séances de bhajans avaient lieu dans la maison de Bangalore. ‘’Ainsi’’, nous nous dîmes, ‘’Il écoute tous nos bhajans’’.

Des séances de bhajans d’une heure avaient lieu chaque jour dans le hall de prière. La tâche d’agiter la flamme de l’Arati fut assignée à Seshagiri Rao, quelques mois après l’inauguration de Prasanthi Nilayam. Baba se levait de Son fauteuil d’argent pour la recevoir et puis, Il s’approchait des vases contenant l’offrande des denrées et la consacrait en goûtant quelques grains. Ensuite, Il se plaçait près de la porte de la sortie nord pour que les hommes puissent accomplir le padanamaskar en sortant, et après qu’ils soient tous sortis, Il traversait le hall pour se placer à la porte de sortie sud pour accorder la même bénédiction aux femmes.

A cette époque, on fêtait Dasara au Nilayam même. La participation féminine était plus évidente et plus enthousiaste que celle des hommes, car Dasara est consacrée au culte de la Mère qui nourrit, bénit et éduque Ses enfants. Tous les jours, matin et soir, les femmes s’asseyaient en rangs à l’intérieur du hall de prière. Chacune avait une photo de Baba placée devant elle et récitait à voix haute les 1008 noms de la Mère dans Ses différentes Incarnations. Elles offraient la puja avec la poudre de kumkum rouge à Baba, la triple incarnation de , Lakshmi et Saraswathi. Alors qu’autre part, les veuves n’étaient pas autorisées à participer à un tel culte dans cette ‘’matrie’’ (motherland’) de tous, Baba leur ouvrit également les portes.

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Sa compassion refusait d’exclure les malheureuses. Baba pénétrait dans le hall vers la fin de la puja et circulait dans les rangs en laissant à chacune un moment pour toucher les Pieds de Lotus qui s’immobilisaient. Les tas de kumkum chargés par le contact sanctificateur de la photo et par les vibrations dévotionnelles étaient ramassés et préservés jusqu’au dixième et dernier jour de Dasara, moment où ils étaient répandus par Baba Lui-même sur l’idole d’argent de Sai Baba de Shirdi qui officiait ce jour-là comme symbole silencieux de Swami Lui-même.

Le soir, Baba se déplaçait en procession dans les rues du village de Puttaparthi, même après Son entrée à Prasanthi Nilayam. Il s’asseyait dans une jeep décorée différemment chaque jour par des mains pieuses, ainsi en Hamsa, en Garuda, en char, en vimana ou en palanquin. Les routes du village étaient trop étroites pour permettre à l’immense masse des dévots de manœuvrer librement, aussi Baba ramena-t-Il plus tard l’événement à un seul jour, le dixième. Les bhajans, le nadaswaram, les cornemuses, les timbales et les feux d’artifice faisaient de l’événement une fantastique fête populaire. La plus grande source de joie était bien entendu l’apparition de vibhuti, de kumkum ou d’éclairs de lumière sur le front divin. Les villageois l’appelaient ‘’vibhuti du Kailash’’ puisque dans les textes anciens, le Dieu Shiva qui réside au mont Kailash portait sur Son front divin d’épaisses et larges lignes de cendre et qu’Il avait le corps recouvert de cendre.

Un jour, quand j’eus la chance de Lui dire le nom qui circulait entre nous pour la vibhuti, Il expliqua : ‘’Shiva a sur le corps la cendre qu’Il ramasse sur le champ de crémation quand le corps d’une bonne et sainte personne est brûlé sur le bûcher. En veux-tu un peu ? Un sadhak très pieux est mort et son corps est livré aux flammes sur la rive du Gange.’’ Il agita la main et quelques onces de cendre blanche apparurent. Quand Il la versa dans le creux de ma main, c’était très chaud. ‘’C’est la cendre que Shiva bénit,’’ dit- Il.

La fête de Dasara procura aux dévots dix jours d’extase exquise. Nous n’étions que quelques centaines, assez pour remplir le hall de prière du Nilayam. Comme au vieux mandir, ici aussi nous reçûmes petit-déjeuner, déjeuner et dîner tous les jours et ainsi la journée entière pouvait se dérouler dans la pénitence et dans la prière. Un jour était réservé pour les enfants des dévots. Ils chantèrent des bhajans et jouèrent des pièces à partir des épopées. Baba cajola les participants et encouragea les enfants à réciter et à régaler. Un autre jour, des écoliers du village, les groupes de Pandari bhajans et les garçons de l’Ecole Secondaire Sathya Sai de

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Bukkapatnam présentèrent des exercices avec torches, lassos, etc. Un jour était réservé au service social : nettoyer les routes et les ruelles, nourrir les pauvres, distribuer des vêtements aux indigents et discours de personnes expérimentées dans les activités de service.

La Journée des Enfants célébrée depuis 1945 est devenue classes Bala Vikas partout dans le monde et le Programme d’Education des Enfants par les Valeurs humaines, qui est maintenant de plus en plus adopté dans la plupart des Etats de l’Inde. La Journée du Service Social s’est depuis étendue à la formation des sevadals, environ 30000 hommes et un nombre égal de femmes, bien entraînés et affectueusement guidés pour offrir des services de tous types à leurs semblables.

Les quelques pandits qui trouvèrent la route de Puttaparthi reçurent l’opportunité d’exposer des passages des Ecritures et furent bénis par Baba avec des cadeaux traditionnels. Le neuvième jour de Dasara fut marqué par le culte rendu à la déesse du savoir, la Sarasvati puja. Au soir de ce jour-là, des érudits en télougou et en sanscrit, dont le frère aîné de Baba, Vidwan Seshama Raju lurent et expliquèrent des poèmes qu’ils avaient composés sur Baba et la bénédiction qu’ils avaient retirée de Lui. Chaque année, je me risquais aussi à lire une strophe ou deux en anglais ou en kannara en la présence du ‘’Kaveenaam Kavi’’, le Poète des poètes. Les musiciens aussi arrivèrent pour être dans la sainte Présence et ils purent offrir leurs talents. Baba répondait avec joie lorsque l’aspiration naturelle à la vision de Dieu se reflétait dans l'élaboration d'un raga ou dans l'interprétation d'un chant. Je me souviens qu'alors que Honnappa Bhagavathar, le célèbre chanteur de Bangalore chantait, Baba se leva de Son fauteuil en argent et vint s'asseoir près de lui sur l’estrade, côte à côte avec les artistes qui jouaient du violon, du mridang, du ghatam et du tambour. Quand le programme fut terminé, Baba créa pour lui un collier en or qu’Il plaça autour de son cou de Sa propre main. L’histoire de ce collier, bien que je l’ai déjà relatée dans ‘’Sathyam Sivam Sundaram’’ vaut la peine d’être répétée ici, car je fus le témoin compatissant de la déconfiture, du désespoir et du rétablissement du musicien.

Sur le chemin du retour vers Bangalore, Honnappa Bhagavathar et ses amis tentèrent d’estimer la valeur en carats de l’or. Ils proposèrent différentes évaluations de sa valeur monétaire. Ils n’hésitèrent pas à remettre en cause jusqu’à l’authenticité du miracle. Bientôt, ils se retrouvèrent devant une chaussée qu’ils ne purent pas emprunter, car des eaux en crue l’avaient envahie. Ils firent halte

156 jusqu’à l’aube du matin suivant, coincés dans le véhicule même. Une fois que les eaux eurent reculé et que la voiture fut mise en route, ils s’aperçurent que le bijou avait disparu du cou de Bhagavathar. Il ne put le trouver nulle part. Il était perdu, au-delà de toute récupération. Alors, il décida de retourner à Puttaparthi et de demander pardon. Baba m’avait mis au courant de la tragédie qui s’était produite avant son arrivée, aussi était-il difficile pour moi de contrôler mon excitation devant la détresse de l’homme célèbre. Il se tenait déconfit, appuyé contre un pilier, retenant sanglots et larmes, jusqu’à ce que Baba ne vienne près de lui et que la digue ne saute.

Baba le réconforta et le cajola longtemps. ‘’Il n’y a pas de mal. C’était juste ce que n’importe qui aurait fait. Les autres vous ont aussi encouragé. Ne vous tracassez pas. Je vous aime quand même. J’apprécie le doute, puisque lui seul peut confirmer la foi. Eh bien, le revoici—le même ! Quand Je crée quelque chose, c’est une part de Moi et elle doit Me revenir’’. Ce-disant, Il agita la main et le collier disparu fut restitué au pénitent ébahi.

Je dois rapporter ici ce qui est arrivé vingt ans plus tard à un ingénieur norvégien qui s’appelait Tidemann. Lorsqu’il prit congé de Baba pour se rendre au Bangladesh et se lancer dans un projet à Chittagong Harbour qui était en train d’être reconstruit sur une large échelle, Baba avait créé une bague qu’Il avait placée à l’index de sa main droite. Six mois plus tard, il réapparut brusquement à la porte du bungalow de Baba à Brindavan, Whitefield. Voyant que les bhajans étaient sur le point de commencer, il se glissa dans un coin et se plaça entre moi et le Dr S. Bhagavantham. Baba le regarda et demanda : ‘’Où est la bague ?’’ Tidemann répondit tout penaud : ‘’Perdue’’. ‘’Où ?’’, fut la réponse de Baba. ‘’A Chittagong. Je descendais le long d’une corde devant la coque d’un navire et elle est tombée dans le fleuve,’’ expliqua Tidemann. ‘’Quand ?’’ ‘’Le 23 février.’’ ‘’C’était il y a trois mois,’’ me dis-je à moi-même.

Je vis la main effectuer un cercle ou deux et attraper quelque chose qui en tombait. Il la tint entre deux de Ses doigts, de manière à ce que les cinquante personnes qui étaient présentes puissent la voir. C’était une bague ! Mais était-ce la bague ? Cette question fusa dans tous les esprits. J’étais sur le point de la poser, quand le Dr Bhagavantham (docteur es sciences) me devança. Il ne put retenir sa curiosité scientifique ! Baba se tourna vers lui et dit : ‘’Eh bien ? Votre foi n’est-elle pas encore ferme ?’’

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Entre-temps, Tidemann s’était levé et toucha Ses Pieds. Baba plaça la bague dans la main tendue avec ces paroles : ‘’C’est la même. Elle est tombée dans Mes Mains ! Je suis dans ce fleuve. Je suis partout. Mes yeux, Mes oreilles, Mon visage sont partout. Je demeure, enveloppant tout’’. Ce soir-là, nos réentendîmes l’affirmation de l’Upanishad, démontrant que Bhagavan est venu dans la forme pour enlever le voile du doute de nos rétines rétrogrades.

Gayanapatu Saraswathi Bai arriva au cours d’une autre Dasara. La vieille dame enchanta des centaines de dévots avec son récital musical. Son corps de soixante- dix ans fit face aux demandes d’endurance et de mémoire. Bhagavan lui remit un sari de Bénarès quand elle prit congé. A quelques-uns d’entre nous, Il fit remarquer que la longueur de soie (douze coudées) serait peut-être trop courte pour son style. Certaines femmes confirmèrent que Saraswathi Bai portait invariablement des saris d’une longueur de dix-huit coudées. Baba feignit d’être triste. Il examina deux saris de Bénarès du même lot et découvrit d’un air apparemment consterné qu’ils étaient tout aussi indésirables. Mais quelques jours plus tard, je reçus une lettre de Madras écrite par l’honorable musicienne décrivant sa stupéfaction face au miracle. Elle apprit que le sari gracieusement offert était beaucoup trop court. Elle décida cependant de le porter, au moins en faisant la puja dans l’intimité de son sanctuaire privé. Quelle ne fut pas sa surprise quand elle découvrit que Baba avait voulu qu’il puisse atteindre une longueur de dix-huit coudées et quelques centimètres supplémentaires !

Vidwan T. Chowdiah, le célèbre virtuose du violon divertit la galerie un autre soir avec un récital splendide. Au bout de la représentation d’une heure, Baba qui se trouvait dans le fauteuil d’argent avec quelques-uns d’entre nous autour de Lui agita Sa main et matérialisa pour lui une médaille en or. Chowdiah se leva pour la recevoir, mais alors qu’Il plaçait le don dans sa main, Il la retira en disant : ‘’Oh ! Vous avez déjà de nombreuses médailles. Il doit y avoir Mon nom sur celle-ci.’’ Il souffla dessus alors qu’elle oscillait dans Sa main, et voilà ! ‘’Présentée par Bhagavan Sri Sathya Sai Baba à T. Chowdiah’’ s’était inscrit en lettres artistiques sur le revers de la médaille.

Des miracles à profusion ! Ce furent des jours glorieux pour nous à Prasanthi Nilayam. Nous avions à peine réalisé que Prasanthi Nilayam n’avait pas de frontières et que les miracles n’étaient pas limités par des frontières géographiques, raciales ou religieuses. A chaque fois que nous étions gratifiés d’éclairs de Sa gloire, nous étions transportés dans la conscience de la magnificence de Baba.

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A cette époque, Baba ne prononçait pas de discours pendant Dasara. En fait, pendant de nombreuses années, Il s’est limité à des conversations ou à des discussions de groupe et à des séances de questions-réponses, lorsque des dévots se rassemblaient autour de Lui et soulevaient des points de sadhana ou de philosophie. Même maintenant, Il apprécie de telles séances pariprasna. Ce fut à l’occasion de Vijayadasami, alors qu’Il se trouvait sur la jhoola (balançoire florale) à la clôture du programme des célébrations de Dasara qu’Il bénit l’assemblée de Son tout premier discours.

C’était en 1953. Fort heureusement, j’avais mon stylo dans ma poche et quelqu’un me prêta des feuilles de papier. Je pus recueillir Ses paroles et les rassembler. Il débuta Son discours par cette confession : ‘’Pendant toutes ces années, J’ai donné des conseils et des réponses individuelles à des questions individuelles. Ceux-ci étaient semblables à des paquets et à des colis disponibles dans des magasins spécialisés et ils étaient donnés à ceux qui fréquentaient ces magasins avec l’envie de posséder les articles qu’ils contenaient. Toutefois, un discours donné à une assemblée comme celle-ci doit être un bazar, une foire où toutes sortes d’articles sont disponibles pour des clients de tous types. Bien qu’un discours de Ma part est une nouvelle expérience pour vous, ce n’est pas nouveau pour Moi. J’ai parlé à de larges audiences de chercheurs à de nombreuses reprises dans le passé, bien que sous d’autres formes. A chaque fois que l’Absolu sans forme et sans attribut révèle le mystère et apparaît devant l’humanité en tant qu’homme, Il doit enseigner et former pour remplir Sa tâche.’’

Permettez-moi de faire une petite digression à ce propos. Dans Son char, Sri Krishna a révélé à Arjuna ce que Baba nous a révélé ce jour-là sur la jhoola ! Il a dit : ‘’Il y a des éons de cela, J’ai tenu un discours à Vivaswan à propos de cette voie perpétuelle. A présent, Je te déclare le même mystère. Nombreuses furent Mes apparitions dans le passé’’. Dans le Ramayana comme il est raconté par Baba, Rama fit de fréquents discours à d’immenses assemblées de Son trône même.

Poursuivant Son discours, Baba dit : ‘’Les seize premières années de la carrière terrestre de ce corps se sont passées an leelas (jeux et farces), les seize suivantes se passent en mahimas (manifestations de pouvoir et de gloire). Après la trente- deuxième année, vous Me verrez de plus en plus actif dans la tâche d’upadesa : enseigner à l’humanité errante et diriger le monde sur la voie de sathya, dharma, shanti et Prema. Ce n’est pas que J’ai décidé d’exclure les leelas et les mahimas à

159 partir de la trente-deuxième année. Je veux seulement dire que rétablir le dharma, corriger la malhonnêteté de l’esprit humain et guider l’humanité à nouveau sur les rails du Sanathana Dharma sera Ma tâche principale par après.’’ Mais voilà ! Le Seigneur est plein de pitié et de tendre miséricorde. Tout en annonçant ces repères chronologiques, Il avait miséricordieusement avancé de cinq ans Sa propre tâche d’upadesa !

Comme à l’accoutumée, quand la cérémonie de la jhoola de ce jour prit fin, les fidèles féminines insistèrent pour que l’on accomplisse un arati élaboré qui comprenait pas moins de 108 flammes et également l’offrande d’une grande variété de fruits et de bonbons. Tout se termina par le chant d’airs traditionnels par les dévotes.

L’Anniversaire de Bhagavan célébré le 23 novembre était à cette époque une charmante fête familiale. Ces jours-là, plus que n’importe quel autre, Baba était la prunelle de nos yeux, le rayon de soleil de nos cœurs, le trésor de notre convoitise. Et Il nous permettait de Le cajoler librement. Pendant quelques années, même après le transfert au Nilayam, Baba rendit visite aux résidences des ‘’sœurs’’ et prit Son déjeuner avec elles et les ‘’parents’’, mais plus tard, ils durent apporter les plats spéciaux qu’ils désiraient Lui offrir au Nilayam même. Le matin, Baba était assis sur l’estrade occidentale du hall de prière, celle où l’image de Shirdi Sai Baba était installée. Ce jour-là, elle devait céder la place au successeur. Les parents, le frère aîné et sa femme, et après eux quelques dévots âgés et leurs épouses montaient sur l’estrade et oignaient Baba avec quelques gouttes d’huiles versées sur la couronne de cheveux. C’était juste un rite symbolique, un symbole du bain d’huile que la plupart des gens du sud de l’Inde prennent le jour de leur anniversaire et à l’occasion d’autres jours fériés.

C’était une cérémonie médico-religieuse que la coutume avait imposé aux hommes, aux femmes et aux enfants, au moins une fois par mois si pas plus. Baba aussi y fut soumis dans Son enfance et Son adolescence. Plus tard, Il céda aux prières des dévots et continua les ‘’bains d’huile’’ jusqu’en 1960, environ.

Permettez-moi de me rappeler et de narrer, entre parenthèses, les occasions plutôt rares où le corps de Baba était massé avec de l’huile et puis rincé. Quelques-uns d’entre nous eurent le privilège de jouer un rôle dans cette cérémonie. Nous accueillions l’occasion comme un don de la grâce. Un

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bâtiment avec des pièces spacieuses et libres de meubles était choisi. Un jour avant le jour du ‘’bain’’, il était récuré par les dévots. Il était décoré de feuilles vertes et le sol était embelli par des motifs auspicieux dessinés dans de la farine de riz. Baba entrait dans la maison vers neuf heures du matin. Seuls quatre ou cinq dévots masculins étaient à l’intérieur. L’huile odorante médicinale était versée dans une coupe en argent. Celle-ci était tendue à l’extérieur à une file d’aîné(e)s qui la touchaient en prononçant des prières. Ensuite, l’huile était versée sur la tête et vigoureusement massée dans les innombrables boucles rebelles. Le talent et l’énergie pour le faire appartenaient seulement à une ou deux personnes. Les autres appliquaient l’huile sur le dos, les épaules, les bras et les pieds. Baba faisait Lui-même une bonne part du travail. Pendant ce temps-là, un très grand récipient en cuivre était rempli d’eau chaude par les dévots. Il semblait que nous jouions le rôle de Ses compagnons à Gokulam. Deux d’entre nous appliquaient une pâte pour enlever l’huile, tandis que les autres versaient de l’eau chaude sur Lui avec animation. Après avoir enlevé la pâte et l’huile, du savon était utilisé pour nettoyer les dernières traces. Baba nous divertissait de façon hilarante en plaisantant, en se moquant de nos pitreries d’amateurs, et en rappelant nos absurdités et nos erreurs en d’autres occasions. Puis venaient les serviettes pour le séchage final.

Aussitôt que Baba était prêt, Il entrait dans la pièce contigüe où nous nous étions retirés. Et il y entrait pétillant de joie et de jovialité. Il mettait Son dhoti et Sa robe en soie et après s’être reposé pendant un moment, Il sirotait parfois une ou deux gorgées de jus d’orange. Il séchait Ses cheveux dans la fumée d’encens et leur donnait une forme. Quand nous étions à l’intérieur occupés à servir Baba, Brahmasri Kamavadhani, le célèbre récitant des Védas (qui porte le titre de Veda Samrat que lui ont décerné des sociétés savantes dévouées à l’érudition védique) prenait invariablement la liberté de réciter devant la porte les Namaka Chamaka mantras que l’on prononce généralement lorsque l’idole de Siva reçoit le bain sacerdotal. Il était certain que Baba était Siva ayant revêtu un corps humain. Ensuite Baba sortait et entrait dans le hall de prière pour donner le darhsan.

Cette parenthèse refermée, j’étais l’un des dévots âgés qui fut béni par la mission d’oindre Bhagavan à l’occasion du tout premier Anniversaire célébré à Prasanthi Nilayam. Je me levai du côté des hommes et ma femme s’extirpa du groupe où elle était assise. Belzébuth me souffla à l’oreille une recommandation empoisonnée :

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‘’C’est l’occasion de voir si Son unique couronne de cheveux est une perruque afro.’’ La voix était celle de mon voisin, une vieille relation, le directeur d’une banque de Bangalore où je gardais un petit bas de laine. De mon temps, j’avais visité des dizaines de loges réservées aux artistes où les perruques valsaient. Moi-même, je m’étais métamorphosé avec leur aide en Surpanakha et Mme Malaprop, en Brutus et Aurangazeb, en Vidyaranya et Brahma. Aussi en montant sur l’estrade, le pendule oscillait de la foi au doute. Je décidai d’obéir à l’impulsion et de tirer sur la perruque, si cela était possible. Nous trempâmes la rose dans l’huile parfumée et quand ma femme laissa goutter l’huile, je pris la tête et j’osai imprimer au cuir chevelu un rapide mouvement de côté. Baba tenait la tête penchée pour l’onction. Quand Il reçut l’impact de mon impertinence, Il chuchota : ‘’Oui, essaye de pousser dans l’autre sens, aussi’’. Je frissonnai de peur. Je me maudis pour m’être laissé envahir par le soupçon. Ma femme se demandait ce qu’il m’était arrivé. Déconfit, je repris ma place à côté du serpent. Encore maintenant, de temps à autre, Baba raconte l’histoire de mon audacieuse expérience à des groupes de dévots, et Il suscite des éclats de rire sympathiques à propos de ma déconfiture.

Après le rite, tous ceux qui étaient présents montèrent sur l’estrade et placèrent une guirlande autour du cou de Baba. Certains remirent des cadeaux d’anniversaire à leur Bala Sai, leur Chinni Sai (tendre petit Sai), surtout des symboles de leur

162 affection et de leur amour. Il y avait des guirlandes de bonbons, des noix de cajou ou des abricots, des poupées, des modèles de voitures, de bateaux et de chars, des figurines et des jouets, des peignes et des miroirs, des flûtes et des clairons—tous méritant d’être acceptés à cause de la sincérité du donneur et du grand cœur du Bénéficiaire. Des vagues de joie balayaient le hall d’une extrémité à l’autre quand chaque paquet était ouvert et le contenu dévoilé. Chacun exultait lorsque Baba exprimait de la surprise et de la satisfaction pour montrer Sa conscience de la dévotion qui avait motivé l’offrande. Mais quand Baba découvrit que des gens introduisaient clandestinement des bourses remplies d’autant de roupies que comptait le nombre d’années marquant l’Anniversaire, Il désapprouva l’appauvrissement du lien sacré et mit un terme à la cérémonie. Seules des offrandes de fleurs furent désormais acceptées.

A cette époque, le jour de Son anniversaire, Baba visitait l’Ecole Secondaire Sathya Sai Baba de Bukkapatnam après que la foule du Nilayam se soit dispersée. L’école portait le nom de Baba, parce que Ses dévots avaient racheté le bâtiment menaçant ruine et qu’il abritait l’école où Baba se joignait aux autres enfants quand Il était petit. Ils y apportèrent suffisamment de fonds pour en faire une école secondaire et pour la loger dans un nouveau bâtiment clair et spacieux. Bien que l’école était gérée par le Comité de District d’Anantapur, elle avait un Conseil d’établissement dont Baba était le président. L’école fut entretenue avec un soin affectueux par Baba jusqu’à ce qu’elle puisse être sevrée et qu’elle puisse continuer à fonctionner par ses propres moyens.

Baba devait traverser le lit sablonneux de la Chitravathi et franchir quelques mètres de courant au milieu pour monter dans une voiture et rejoindre Bukkapatnam à cinq kilomètres de là. Quelques voitures remplies de dévots Le suivaient. A l’école, après les bhajans chantés par les élèves, Il s’adressait aux étudiants (dont le nombre avoisinait les 300), puis Il remettait dans les mains du directeur Son cadeau d’anniversaire pour l’école. Je me souviens d’une année où Il donna assez de livres que pour faire ployer les étagères de la bibliothèque de l’école. Une autre année, Il offrit une radio. L’année suivante, c’était un ensemble d’instruments de musique pour le groupe de l’école.

Après Son discours, Baba demandait généralement aux étudiants de venir à Puttaparthi pour la fête d’anniversaire parrainée par les dévots. Comme il s’agissait d’une marche de cinq kilomètres, Baba demandait aux garçons et aux filles d’attendre que les cinq ou six voitures des dévots les transportent jusqu’à la rive

163 droite de la Chithravathi. Baba s’asseyait sur l’épais tapis vert de feuilles d’arachides dans les champs contigus à la rivière pour que Sa voiture puisse aussi participer au convoi. Il nous occupait tous, nous nourrissant de cacahuètes, jusqu’à ce que le dernier groupe d’étudiants et de professeurs nous aient rejoints. Les voitures devaient faire la navette à peu près six fois pour amener tout le monde. Puis la foule conduite par Baba et Son entourage traversait les sables brûlants et arrivait au Nilayam. Plus tard, lorsqu’une route saisonnière fut aménagée et réalisée comme élément d’un programme d’aide aux victimes de la famine, Baba utilisa la jeep pour se rendre à l’école par la route et la traversée des sables et de la gadoue fut évitée.

On célébrait aussi la naissance du Seigneur Krishna au mandir. Le point du hall de prière où convergeaient tous les regards était une idole grandeur nature de Krishna jouant de la flûte. Ce jour-là, Baba enroula autour de l’idole un nouveau dhoti en soie et drapa son épaule d’une fine étoffe arachnéenne lacée d’or, scintillant avec des bordures de brocart. Chaque année, Il plaçait une nouvelle perruque, renouvelait les boucles d’oreille, les bracelets, les bagues et la ceinture pour qu’ils étincèlent de grandeur. Il plaçait autour du cou jusqu’à sept ou huit colliers de perles et de pierres précieuses pour qu’elles forment un cercle brillant aux reflets arc-en-ciel sur la large poitrine du Seigneur. Les vaches du Nilayam étaient lavées et des draps de velours recouvraient leur dos. Leurs cornes étaient peintes en rouge, vert ou jaune. Des points de kumkum ornaient leurs têtes et de la pâte de haldi était appliquée généreusement sur leurs sabots. Des clochettes étaient placées autour de leurs cous.

Le soir, l’idole de Krishna était emmenée en procession avec les vaches et les veaux qui se pavanaient devant elle et les dévots qui chantaient des bhajans. Baba accompagnait Krishna quand l’idole quittait les lieux sur de pieuses épaules. Elle était emmenée le long des rangées de maisons ouest, est et sud, à côté du Nilayam. Les résidents offraient l’arati aux deux devant leur porte. Quand ils tendaient à Baba une guirlande de fleurs, Il la saisissait et la lançait suffisamment haut pour qu’elle forme un cercle et qu’elle retombe autour du cou de la grande idole de Krishna. Baba ne pouvait pas résister aux supplications sincères des dévots pour qu’Il entre dans leurs maisons et qu’Il les bénisse.

Ce jour-là, dans chaque foyer du pays, Krishna est adoré. Enfant, Il aimait le beurre et le lait, la crème et le lait caillé, aussi c’était les offrandes que l’on plaçait devant l’autel. Je me souviens de Sa venue dans mon logement temporaire, où moi et ma

164 femme, ma fille et ma mère attendions de Le recevoir avec Krishna. Il avait béni la rangée de Gokulam et la rangée de Brindavan. Le bâtiment où nous logions était en train d’être rénové et nous logions dans le garage avec la Plymouth de Baba. Il m’avait surnommé ‘’ply-mouth’’ (ply = harceler, mouth = bouche) pour me rappeler que ma logomanie devenait rapidement presque insupportable.

Baba entra dans le garage. Ma mère lui offrit un verre de lait sucré et une noisette de beurre. Baba trouva difficile de décevoir mère. Il m’avait souvent dit : ‘’Garde-la heureuse’’. Aussi Il trempa le bout d’un doigt dans le verre et ouvrant la bouche, Il secoua le doigt pour qu’une goutte atterrisse sur Sa langue. ‘’Paatti’’, expliqua-t-Il, ‘’J’ai bu des pots entiers de lait quand Je courais partout à Gokulam. A présent, Je n’ai plus aucune envie de lait.’’ ‘’Paatti’’ est l’équivalent tamoul de Mammy. Quand Baba lui parla ainsi, elle fut comblée par la vision de Krishna, l’adorable enfant bleu qui était tout sourire. Avant qu’elle n’ait pu s’en remettre, Baba avait disparu. Il lui restait la rangée sud à visiter.

L’anniversaire de Rama était aussi un jour spécial. Une ou deux fois, Baba visitait le Rama Mandir dans le village de Puttaparthi, ce jour-là, et Il bénissait les villageois rassemblés là. Habituellement, Il conduisait les dévots jusqu’aux sables de la rivière dans la soirée et tandis que les bhajans étaient chantés en chœur, Il transformait le sable en idoles de Rama, Sita, Lakshmana et Hanuman. Lors d’une telle occasion, Il posa les quatre idoles sur un plateau et dit : ‘’Comment ces quatre-là peuvent-ils rester des entités séparées ? Ils doivent être ensemble.’’ Il fouilla dans ce même tas de sable et voilà qu’apparut dans Sa main un plateau d’argent moulé sur quatre petits pieds. ‘’Je vais mettre Rama ici,’’ dit-Il. Quand l’idole approcha de l’endroit indiqué, un support auquel l’idole d’argent pouvait parfaitement adhérer apparut devant nos yeux ! Les trois autres furent également fixées sur le plateau de la même manière mystérieuse. Hanuman nécessita un plus petit support placé verticalement par rapport à la ligne horizontale formée par les trois autres. La volonté de Baba moula l’objet nécessaire sur le plateau. Nous pûmes transporter les quatre idoles fermement fixées sur ce plateau sacré dans le mandir où nous leur chantâmes des bhajans pendant quelques heures encore. Quel miracle auquel nous venions d’assister ! Les idoles, le plateau sur pieds, les supports, tous créés à partir du sable par le contact de cette Main ! Quelle magnificence pour révéler l’importance de Swami, pour nous attirer vers Son atelier où Il nous défait et nous refait à Son image !

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Vaikunta Ekadasi, Uttarayana, Yugadi, Shivaratri et Deepavali étaient d’autres jours de fête que l’on célébrait au Nilayam. Beaucoup déclarèrent que les portes du Ciel (Vaikunta) furent ouvertes pour tous en ce onzième jour de la moitié lumineuse de la lune. Baba nous permit de célébrer l’événement avec des bhajans que nous Lui offrîmes sur les sables de la rivière. Nous reçûmes de Lui ce jour-là l’ambroisie céleste qui s’écoula de Ses doigts dans un récipient. Pendant les bhajans, tandis qu’Il marquait la mesure avec Ses mains qui montaient et qui retombaient, les paumes libéraient un étrange parfum et semblaient saturées d’un miel épais. Baba pressa les deux paumes ensemble, et du bout de Ses doigts, de l’amrita dégoulina et remplit la coupe.

Un miracle encore plus étrange se produisit lors d’une nuit d’Ekadasi. Il y avait environ trois cent dévots sur les sables de la Chitravathi. Baba dit : ‘’Vous êtes accroupis tout autour de Moi et Je suis également accroupi. Vous ne pouvez pas Me voir remplir la coupe d’amrita. C’est dommage.’’ J’étais assis suffisamment près que pour entendre, aussi osai-je suggérer : ‘’Swami ! Vous pouvez Vous lever et lever Vos mains. Qu’un pot d’amrita descende du ciel dans Vos mains. Nous pouvons tous le voir arriver et il y aura assez d’amrita pour tout le monde.’’

J’avais vu quelques jours plus tôt à Madras un magnifique vase en verre très artistique avec des perroquets en verre perchés sur les côtés descendre de nulle part sur les mains tendues de Baba, le jour de l’anniversaire de Krishna. Il était avec Sri Hanumantha Rao et sa famille ce jour-là et à la fin des bhajans, Il dit :’’Je vais vous donner du prasad de Mathura,’’ et le vase fut présenté avec un superbe assortiment de friandises de Mathura.

Ainsi ma prière n’était pas aussi irréaliste que beaucoup le sentirent. Baba réagit à ma suggestion de Sa propre manière insondable et dit : ‘’Non ! Je vais créer la chose via laquelle le nectar a d’abord été obtenu.’’ Du tas de sable, Il extirpa une grande conque blanche étincelante, la spire tournant vers la droite – un spécimen rare et d’autant plus sacré de la vénérable conque. Ensuite, Il se leva pour que chacun puisse avoir le darshan de l’événement. De cette conque vide jaillit un flot d’amrita jusqu’à ce qu’une coupe d’argent soit remplie à ras bord. Le dogme scientifique fanatique et le culte idolâtre de la raison ne peuvent que vous refermer les portes du paradis en pleine figure, mais ce jour-là, nous vîmes les portes du ciel s’ouvrir pour nous. Plus tard au mandir, Baba déposa une cuillerée du nectar sur les langues des centaines de personnes qui étaient présentes.

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Chaque année, Vaikuntha Ekadasi attirait de plus en plus de personnes au Nilayam, puisqu’elles pouvaient avec certitude observer et admirer le miracle de l’amrita et baigner dans la Présence de la Source de douceur. A l’occasion d’une autre Ekadasi, nous fûmes réunis sur les sables. Baba ne faisait pas que recevoir nos ‘’louanges’’, mais Il nous enseignait aussi comment articuler et chanter Ses Noms et Ses Gloires et dirigeait la congrégation dans ses chants. J’étais assis directement derrière Lui, perdu dans le manorama que Sa voix avait tissé pour moi. Brusquement, Il s’arrêta. Il prit dans Sa main le gobelet d’argent rempli d’eau. J’en conclus que c’était la soif qui avait mis un terme à la mélodie, mais non ! Il vida l’eau dans le sable et planta le gobelet en face de Lui. C’était un geste étrange qu’Il n’avait encore jamais fait auparavant, aussi j’observai le déroulement de Sa volonté. Bientôt, je Le vis hoqueter légèrement au début, puis plus fort après, avec des intervalles plus brefs. Les bhajans continuaient avec une ferveur qui ne diminuait pas. D’un geste vif, Il saisit le gobelet vide et l’approcha de Sa bouche. Un parfum emplit l’air et on entendit un gargouillis bruyant : l’amrita coulait et remplit le récipient presque à ras bord. Baba me demanda de porter au mandir le précieux médicament qui guérit de la mortalité. Chaque pas que je faisais devait être Sa réponse à ma prière de ne pas gaspiller le précieux liquide. Les Ecritures disent que Garuda, l'’aigle divin, fut chargé par le Seigneur de porter l’amrita aux dieux. L’oiseau put voler tranquillement dans un ciel clair et sans nuage, mais je devais me frayer un passage à travers une foule déferlante d’hommes impatients et marcher précautionneusement pendant quatre cent mètres sur un chemin irrégulier. Je me fis entourer par un cercle de gros bras pour me protéger des assauts de la curiosité et de la frénésie.

J’arrivai sain et sauf au mandir où Baba attendait le saint calice. D’un geste de la main, Il transforma une bouffée d’air en une cuillère en or. Les hommes étaient assis par terre et formaient de longs rangs qui se faisaient face. La cuillère n’était ni une cuillère à thé, ni une cuillère à soupe, mais entre les deux, aussi à mi-chemin le récipient ne contenait plus que quelques cuillerées. Baba trempa Ses doigts dans le gobelet et celui-ci fut de nouveau plein. Avec l’amrita sur la langue, Baba nous donnait aussi un upadesh (conseil spirituel). ‘’Faites attention ! L’amrita ne la spoliera plus,’’ ce qui voulait dire qu’aucun mensonge ne devrait contaminer la langue sur laquelle le tonique de la Vérité aura passé aussi doucement…Les miracles en tant que tels n’ont pas d’importance. Ce qui importe, c’est la Source qui est au-delà de l’évolution.

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Yugadi est le Nouvel An de millions de personnes en Inde, qui calculent l’année sur base des mouvements lunaires. Un rite très intéressant et très significatif que l’on observe ce jour-là est la distribution, non pas du doux amrita, mais d’un breuvage doux-amer, mélange de sucre et de pâte de feuille de neem dissous dans de l’eau. Baba versa dans l’eau une poignée de vibhuti créée sur place et le breuvage ainsi sanctifié fut donné à chaque participant. Ils le burent avec la prière d’être bénis tout au long de l’année à venir avec la force de supporter la peine comme la joie avec confiance et courage.

Le jour d’Uttarayana ou Sankranthi, les dévots saluent le soleil qui à partir de ce jour-là se déplace de quelques pas quotidiennement en direction du nord. Les jours deviennent aussi plus longs, et la terre, par conséquent, plus chaude. Ce jour est célébré avec des dons mutuels de graines de sésame et de sucre. Le sésame contient beaucoup d’huile. Le mot pour huile, en sanscrit, est sneha, qui signifie amitié, camaraderie, fraternité. Ainsi, ce qui est offert et accepté, c’est la fraternité. Baba partageait la chaude joie de l’amitié et de l’amour avec les villageois qui venaient en grands nombres en ce jour de fête.

Shivaratri était la fête qui manifestait le plus le Dieu qu’est Baba. Le miracle de la formation dans Son estomac de sphères de pierre ou de métal durant la semaine précédant la date fériée (qui change d’année en année, puisqu’elle est calculée sur base des phases de la lune) était suffisant pour électrifier l’atmosphère de Prasanthi Nilayam. Des jours à l’avance, une grande aura d’un blanc éblouissant avec une bordure rose L’enveloppait où qu’Il soit. Lui-même annonçait que le lingam grandissait, et si la douleur qui augmentait était inhabituellement perceptible, leur nombre, prédisait-Il, était supérieur à 1.

Jusqu’en 1956, la veillée nocturne de Shivaratri et les bhajans purent avoir lieu dans le hall de prière même. Baba s’asseyait dans le fauteuil en argent placé sur une peau de tigre sur une estrade légèrement surélevée. Quand la petite aiguille de l’horloge s’approchait du huit, le lingam ou les manifestaient le désir de sortir et Baba montrait des signes de lutte physique pour faciliter leur sortie. Chaque année, je me tenais debout à Sa gauche avec une carafe d’eau en argent. Seshagiri Rao se tenait debout à Sa droite avec un plateau d’argent pour réceptionner le lingam. Au moment prévu, le lingam avançait à travers l’œsophage pour apparaître ensuite à la vue du public. Certains étaient destinés à un usage personnel. Une année, onze lingams sortirent à la queue-leu-leu. Une autre année, il y en eut neuf. Il m’en a donné un des neuf. Il est vénéré avec les mantras

168 prescrits dans les Ecritures. Le miracle du lingam se produit annuellement à chaque Shivaratri, où que soit Baba.

La plupart des gens considèrent le monde de matière comme la seule réalité et s’accrochent à leurs hypothèses quant à son comportement comme suprêmement valables ; aussi, ils affirment tout haut que les miracles ne se produisent pas et ne peuvent pas se produire. Baba sait que nous savons que le lingam est le symbole de l’Œuf Cosmique, la sphère que le Souffle divin gonfle et dégonfle. Ce que fait Baba, c’est vouloir que ces symboles se forment en Lui pour que nous puissions visualiser le Pouvoir qui a projeté l’univers et par là élargir le champ de notre conscience. Ce miracle unit tous les esprits en Sai.

Ces dernières années, avec l’arrivée de dévots plus savants, Sa Volonté a créé des lingams montrant plus en détail les processus d’évolution et d’involution, d’énergie et de matière comme onde et particule, comme sujet et objet, (Leeyathe, gamyathe) fusionnant et naissant comme l’indique le terme ‘’Lingam’’.

J’étais transporté de joie chaque fois que je me retournais et que je reconsidérais la piste qui m’avait conduit au Nilayam, la Demeure de la Paix Suprême. Pour nous, résidents, chaque jour était une fête. Baba souda les individus discrets et les familles distantes qu’Il avait rassemblés autour du Nilayam en un bouquet de fleurs multicolores. Les nuits de clair de lune, Il favorisait les réunions, chaque famille étant disposée de manière à former un grand cercle, avec les plats spéciaux qu'elle avait préparés. A Son signal, la mère de chaque famille faisait le tour du cercle et servait à chacun sa contribution. Très souvent, Baba soulevait le couvercle des récipients et découvrait que la quantité était trop petite pour satisfaire tout le monde. Alors, Il disait : ‘’Donnez-Moi le récipient. Si c’est Moi qui fais le service, la quantité augmentera et Je pourrai servir chaque assiette,’’ et c’est ce qui se produisait. En deux occasions, ma mère subit cette ‘’humiliation’’ (?) et fit en sorte que Baba multiplie les vadais et les pappads qu’elle avait apportés en trop petite quantité pour la mise en commun. Marc dit (6.53) : ‘’Ils ne comprirent pas le miracle des pains, car leurs cœurs étaient endurcis.’’ Lorsque Jésus rompit les cinq pains et que ceux qui en mangèrent étaient cinq mille, leurs cœurs étaient si endurcis qu’ils ne retirèrent aucun profit de l’impact du miracle. Mais pour nous, en 1956 . J.-C. à Puttaparthi, le même miracle révéla la compassion et le pouvoir du Père Divin. Ce ne sont pas des transgressions ou des suspensions des lois naturelles, parce que les lois naturelles ne sont pas immuables. Les vadais et les

169 pappads n’apparurent pas dans notre esprit, ils furent broyés par nos dents et fournirent des calories pour notre subsistance. Quand toutes les assiettes avaient reçu des quantités égales, Baba se servait Lui-même sur Sa propre assiette et s’asseyait au centre du cercle des réjouissances. Lorsque le nombre des participants était élevé, Baba proposait le lit sablonneux de la Chitravathi comme lieu de la réunion ou nous nous asseyions en rangs sur la terrasse du Nilayam même.

L’Hôpital Sathya Sai situé sur la colline derrière le Nilayam était en construction, quand un groupe important de fidèles enthousiastes en provenance de la région du Telengana de l’ancien dominion du nizam arriva pour un long séjour dans la Divine Présence. Il y avait là une douzaine de jeunes hommes bien bâtis qui manquaient manifestement d’exercice physique. Les aînés aussi, hommes et femmes, se mirent en quête de projets où ils pourraient exercer leurs compétences rurales. Ils nettoyèrent des puits, éclaircirent des buissons, soignèrent le bétail, taillèrent les arbres et tondirent les pelouses. Par-dessus tout, ils formèrent des chaînes humaines qui transportèrent des charretées de sable, de briques et de blocs de granit du bas jusqu’au site de l’hôpital sur la colline. Tandis qu’ils étaient engagés dans cette tâche pénible, nous les résidents les approvisionnions en eau potable et autres facilités. Plus tard, les volontaires aidèrent également les maçons à étaler le mortier et le ciment et à poser les briques.

La plupart du temps, Baba prodiguait Sa Présence auprès de la ligne des volontaires ou sur l’échafaudage. Les bhajans qui dopaient les muscles en puissance et en flexibilité devinrent encore plus significatifs en Sa Présence. A la fin des séances de seva, chaque jour ou chaque nuit (lorsque la lune brillait), les dévots du Telengana priaient Baba de distribuer parmi nous de grandes quantités de fruits ou de bonbons qu’ils avaient déposés devant Lui. Ce don effaçait les dernières traces de fatigue du corps et garantissait la participation de chacun le lendemain.

Le groupe était très attaché à Baba. Ils se pressaient autour du sofa lorsque Baba était dans Sa pièce au premier étage. Ils caressaient Ses pieds et progressivement, ils osèrent exercer une pression supplémentaire en prétendant accomplir le seva du massage. Je dus me faufiler à travers leurs torses jusqu’à une fissure pour pouvoir caresser les Pieds de Lotus. Un jour, alors que Baba provoquait notre hilarité, Parthasarathi, de Madras, eut une brillante idée. Il sortit un appareil photo de son sac, visa, déclencha et mit en boite une photo de nous tous aux pieds de Baba, tous sourires. A ce moment-là, Baba se leva et réclama l’appareil photo. Je craignais qu’Il n’invalide le portrait et qu’il ne détruise le négatif en saisissant l’appareil, mais

170 au lieu de cela, Il dit à Parthasarathi : ‘’Venez et mettez-vous derrière le sofa, Je prendrai la suivante’’. Les frères de la région du Telengana n’apprécièrent pas et ils crièrent—ils n’avaient pas encore appris à parler doucement—que le sofa vide ne méritait pas d’être photographié. Je protestai : ‘’Quoi ? Si Baba prend la photo, ce sofa ne sera pas vide, croyez-moi !’’ Et Baba répondit emphatiquement : ‘’Juste, Kasturi !’’ Je gardai ma main droite sur le repose-pied quand Baba regardait à travers l’objectif. Mon intention était de tester si, sur la photo, ma main apparaîtrait sous le pied ou sur le pied, mais Baba s’en rendit compte et dit : ‘’Non ! Enlevez- la !’’ Je dus obtempérer.

Quand Il rendit l’appareil à Parthasarathi, Il dit : ‘’Hé ! Faites attention. Je suis là- dedans !’’ Sur ce, je dis à Parthasarathi : ‘’Vous devez nous remettre à chacun un exemplaire’’ et levant les yeux vers Baba, je L’implorai : ‘’Swami, vous devez lui dire qu’il nous donne des copies ou sinon, il ne le fera pas’’. Et à notre toute grande joie, Baba le pria d’en envoyer un exemplaire, format carte postale, à chacun. Il me parvint dix jours plus tard. Baba y est assis dans le fauteuil, le visage et les cheveux légèrement flous, avec un air de surprise quant au rôle qu’Il s’est Lui-même imposé.

Bien que j’admirais la profonde dévotion du groupe du Telengana, j’étais incapable d’apprécier leurs farces éhontées, souvent en la présence même de Bhagavan. Je les vis ouvrir la boite de bétel en argent de Baba et prendre du supari pour leur propre usage. Je les vis se comporter comme les jeunes vachers de Brindavan. Ils emportèrent des régimes de bananes qui se trouvaient près de la pièce de Baba et se plongèrent dans une frénésie de pelage pour n’en laisser aucune. ‘’Ils ne

171 devraient pas se pavaner ainsi,’’ dis-je à mon voisin, Radhakrishna de Coimbatore. Lui aussi secoua la tête en signe de désapprobation. Nous ne supportions pas leur ‘’mépris’’ pour la sainteté profonde et pénétrante de l’endroit. Nous faisions des commentaires, en cachette bien sûr, sur la tolérance phénoménale avec laquelle Baba leur permettait de s’exhiber ainsi. Le sommet pour nous fut atteint lorsque Baba accepta de les accompagner dans leurs villages natals quand ils décidèrent de partir.

Les jeeps qui les avaient amenés quelques semaines auparavant et qui nous avaient aidés à rejoindre plusieurs destinations de pique-niques (dans les collines, dans la jungle, et sur les bords de la Chithravathi) prirent le chemin du retour. Je les avais entendus projeter des visites avec Baba de nombreux sites pittoresques dans la campagne du Telengana et proche du Telengana. Certains noms de lieux comme Ekasilapuri, l’ancienne capitale de l’Empire Kakatiya et Ajanta, où sont visibles d’anciennes fresques bouddhistes, éveillèrent en moi un profond désir de me joindre au groupe. Il y a des années, j’avais emmené mes étudiants en excursion en ces lieux, mais les revisiter en tant que membre d’un groupe guidé par Baba, l’Artiste Suprême, m’élèverait certainement, selon moi. Nul ne savait qui Baba privilégierait de l’ordre de se préparer à L’accompagner, aussi nous attendions presque tous en embuscade.

Je vis deux grosses caisses descendre l’escalier circulaire en provenance de la chambre de Swami. Au même instant, un des Telenganais courut en bas dans ma direction et dit avec beaucoup d’animation : ‘’Swami veut que vous…’’Sans avoir fini sa phrase, je pus deviner le message :’’…que vous montiez dans une jeep.’’ Après avoir escaladé deux marches à la fois, je trouvai Baba en discussion avec Seshagiri Rao, le septuagénaire. Baba se tourna vers moi et dit : ‘’Kasturi ! Vous restez ici. J’emmène Seshagiri Rao avec Moi. Vous n’avez pas du tout apprécié que ces gens soient si libres avec Moi. C’était de la pure jalousie. Vous et votre Radhakrishnan ! Ne pouviez-vous pas vous réjouir que tant d’habitants du Telengana viennent voir Swami et accomplissent un si splendide seva et gagnent autant de grâce de Moi ? Ce Seshagiri Rao était heureux pour cette même raison. Aussi, Je ne vous emmène pas avec Moi. Seshagiri Rao ! Allez-vous asseoir dans la jeep.’’

C’en était fait ! Je descendis les dix-huit marches lourdement chargé de remords et de regrets. Je demeurai statufié quand Baba et Ses compagnons vachers s’éloignèrent le long de la route cahoteuse qui les emmenait sur la route asphaltée

172 vers Hyderabad. C’était la première fois que j’étais dans une solitude aussi profonde. Je ne pouvais m’occuper de rien d’autre que la blessure que mon complexe de supériorité m’avait infligée. Je diagnostiquai le complexe avec l’aide de mon complice, Radhakrishnan. La bhakti ne se trouve pas toujours dans des cols amidonnés. J’avais interprété leur ouverture de cœur pour de l’audace, leur innocence pour un manque d’éducation. Je devais me débarrasser des acquisitions académiques clinquantes qui pesaient sur moi. Elles ne m’aidaient pas à m’élever dans l’estime de Baba—les diplômes universitaires, la suffisance pédagogique, le vernis métropolitain d’étiquette creuse. Comme Seshagiri Rao, je dois m’engager de tout cœur dans les devoirs qui me sont assignés et ne pas me mêler des gesticulations d’autrui. Ne juge pas afin de ne pas être jugé, me dis-je à moi- même. Je luttai pour me rendre digne d’être dans la Présence divine en rejetant ma tendance ancienne et profondément enracinée de rechercher les fautes et les défauts d’autrui. Je tentai de diriger mon sens de l’humour vers la découverte, sous les couches de roches, des précieuses veines de bonté et de piété.

Le Nilayam était nu et désolé depuis que Baba m’avait laissé derrière pour soigner la maladie de mon mental. Je veillai rigoureusement à me purifier de mon cynisme, un handicap que Baba avait souvent classé comme mal n°1. Pour me soulager de ma détresse, je passai un temps plus important en prière et en méditation. Le père, Venkapa Raju, était plus disponible pour moi, puisque le magasin qu’il gérait avait moins de clients depuis le départ de Swami. Je retranscris de nombreuses heures de conversation avec lui et avec la mère à propos des premières années de Baba.

J’avais un grand respect pour le père, spécialement après que Baba m’ait permis de lire une lettre qu’il Lui avait écrite de Madanapalli. Pedda Venkapa Raju s’était rendu au sanatorium de l’endroit pour y faire hospitaliser le plus jeune fils, âgé de 18 ans. Les médecins pratiquèrent une opération sur le poumon droit et le jeune homme s’en sortit de façon tout à fait satisfaisante. Le père avait écrit une carte postale à Baba à ce propos. Je me tenais en face de Lui quand on apporta le courrier. Je L’observais en train d’éplucher les lettres une par une, du tas qu’Il tenait sur Ses genoux. Il lut rapidement la carte et me la lança. Je la ramassai. Swami me demanda de la lire. Elle était rédigée en télougou. J’allai jusqu’au bout des deux premières lignes de l’hommage coutumier qui m’était familier : ‘’Avec mes prosternations, de la part de Pedda Venkapa Raju à Bhagavan Sri Sri Sathya Sai Baba.’’ Baba qui m’observait aux prises avec le gribouillage dit : ‘’Stop ! C’est assez !’’ J’en étais heureux.

173

Baba demanda : ‘’De qui est-ce ?’’ ‘’D’un certain Pedda Venkapa Raju, de Madanapalli,’’ répondis-je, un peu effrayé d’avoir mal lu. ‘’C’est le père de ce corps. Vous vous inquiétiez de savoir comment il s’adressait à Moi, n’est-ce pas ?’’, interrogea-t-Il. Je Lui avouai que oui. Cette carte me révéla qu’il était un authentique fidèle de son fils, pas un iota moins.

Cela me rappela un autre père qui fut honoré par l’arrivée d’un Avatar comme fils. J’avais lu dans le Bhagavatha comment le père, Kardama, le grand sage, reconnut le rôle divin de , son fils. Il le respectait profondément et se prosternait devant Lui.’’ Tu es venu en tant qu’homme et Tu as béni cette maison. Tu es venu apprendre à l’homme que sa nature réelle est divine. Tu es l’incarnation de la sagesse et d’ananda. Quelle que soit la forme que Tu assumes, Tu ne Te limites pas à elle. Ainsi, la forme à quatre bras que voient les sages et la forme à deux bras que je vois maintenant sont toutes les deux Toi ; l’une n’est pas supérieure, l’autre n’est pas inférieure,’’ déclara Kardama. Il tomba aux pieds de son fils avant de se rendre dans la forêt pour pratiquer des austérités. Le fils lui permit de partir en disant : ‘’Dédie-Moi toutes tes activités, tous tes sentiments et toutes tes pensées. Je te révélerai la splendeur de l’Atma qui est le cœur de tous les êtres vivants. Je te donne Mon consentement pour vivre comme un moine à partir de maintenant.’’

Après avoir pris conscience de l’Avènement de l’Avatar, Venkapa Raju dédia également sa vie au service des gens qui arrivaient en masse aux Pieds de Baba, en provenance de tous les milieux. Il consultait tout qui était en visite au Nilayam ou qui séjournait là à propos de ses besoins. Il se rendait au marché de Bukkapatnam le lundi ou dans les magasins d’Hindupur et d’Anantapur ou à Kothacheruvu le jeudi. Il s’y procurait ce dont il avait besoin et puis livrait la marchandise à ceux qui avaient demandé ce service. C’était une personne simple et sereine qui gagnait tous les cœurs par sa sincérité totale.

Mais Easwaramma s’inquiétait à propos de son fils et de ses petits-fils, de ses filles et de leurs enfants et même à propos de Baba, le Protecteur de millions de personnes. Baba était parti pour le Telengana avec le groupe de dévots, mais nous ne reçûmes aucune lettre de Lui ou à Son sujet après deux semaines. La mère refusa toutes les prescriptions habituelles de courage et les appels au calme. Elle insista pour que je me rende à Hyderabad pour découvrir où Il était et pour Le ramener ! Elle envoya Krishnappa, le fils du frère de Venkapa Raju avec moi ‘’pour

174 la compagnie,’’ dit-elle. Si je ne lui écrivais pas de lettre, elle était sûre que Krishnappa le ferait.

Nous arrivâmes au bungalow de l’hôte de Swami moins de deux heures avant Son retour d’Aurangabad, d’Ellora et d’Ajanta. Swami avait permis au groupe du Telengana de rentrer chez eux, alors qu’Il rentrait à la capitale avec Seshagiri Rao. Ce jour-là, il y eut une grève des pompistes dans tout l’Etat et Baba nous dit qu’en conséquence, Il dut couvrir une distance de 240 km sans une goutte d’essence. ‘’Cette fois,’’ dit-Il avec un sourire, ‘’nous n’avons pas versé d’eau dans le réservoir, car nous n’avons pas vu de lac ni de rivière ! Il faisait sec partout. J’ai voulu que les roues tournent.’’ Incroyable, mais vrai !

Sur le chemin du retour vers Puttaparthi avec Swami, nous avions avec nous Sri T.A. Ramanatha Reddy, un ingénieur des routes. Swami lui avait donné le surnom ‘’TAR’’ (goudron, NDT), car sa tâche principale était de goudronner les routes.

Nous nous arrêtâmes environ une heure pour prendre le petit-déjeuner à Raichur Town et puis nous prîmes la direction de Hampi. Après environ une heure de route, Swami découvrit que l’ingénieur ne portait plus ses lunettes alors que lui-même n’avait pas conscience qu’elles ne reposaient pas sur son nez. Il avoua à Swami qu’il les avait déposées sur le rebord de la fenêtre à côté du lavabo du bungalow de l’Inspection et qu’il avait oublié de les remettre. Baba dit : ‘’Ne vous inquiétez pas. Vous pourrez envoyer un télégramme depuis Hampi au receveur du district de Raichur. Celui-ci les récupérera et vous les renverra par le prochain courrier.’’ Tandis qu’Il le réconfortait par ces mots, Swami agita la main et, ô surprise, la paire de lunettes réapparut ! ‘’Ce sont les vôtres ?’’, demanda-t-il. Ramanatha Reddy resta silencieux ; ses yeux le confirmèrent par ses larmes. ‘’Vous avez réussi à ramener Swami !,’’ dit Easwaramma. Son affection maternelle exagéra et se méprit franchement sur nos rôles. ‘’J’attendais une lettre, mais vous avez fait beaucoup mieux !,’’ nous dit-elle.

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ADIEU, DOULEUR

Il y avait une lettre qui attendait une réponse. Je la trouvai à mon arrivée. Ma première réaction fut d’en ignorer le contenu. Une réflexion plus profonde me poussa à exposer le problème devant Swami, car il semblait que Baba avait conçu un plan pour guérir une blessure que je traînais depuis longtemps et que j’avais reléguée dans les cavernes de mon subconscient.

La lettre était une invitation de la toute nouvelle station de radio All India de Bangalore à me joindre à l’équipe en tant que producteur de programmes dans la langue régionale, le kannara. De façon évidente, mon nom avait été communiqué au siège de Delhi par le Ministre de l’Intérieur du Gouvernement de Mysore, Sri H. Siddaveerapa, un de mes anciens étudiants qui avait été le témoin de mon enthousiasme pour l’élévation des populations rurales et pour le lancement de nouveaux moyens efficaces de communication de masse. Le Ministre de l’Information et des Communications du Cabinet Central avait mis sur pied un plan original pour embaucher des hommes de lettres comme producteurs afin que les programmes qui passent à l’antenne soient attrayants, réconfortants et intéressants. Chaque station recruta quelques figures littéraires populaires de sa région et se félicita de son choix. La station de radio de Bangalore me dénicha dans les archives. Ils furent étonnés de découvrir que j’étais l’homme qui avait forgé le nom avec lequel on baptisa l’audio-visuel—Akashvani. Ils découvrirent qu’un acte d’’’indiscipline’’ justifiable et même louable avait provoqué ma sortie et mon exil de l’antenne. C’est ainsi que le Ministre de l’Intérieur qui fut aussi peiné que moi lorsque je fus prié de quitter l’Akashvani à Mysore, recommanda mon nom comme producteur des programmes. Je devais recevoir comme honoraires mensuels une somme rondelette. Ce revenu additionnel des fonds publics n’affecterait pas la pension de retraite que je touchais, était-il précisé.

Bien sûr, l’offre était alléchante. Mais pas pour moi. Je ne voulais pas m’aventurer en pleine mer après avoir jeté l’ancre dans ce port céleste. Je priai, j’implorai, je protestai, je saisis Ses Pieds et je sanglotai, mais Il me dissuada de mon obstination. Ma femme interpréta également cette offre comme une punition, car Baba nous rejetait à Bangalore, alors que nous goûtions le délice de la Présence Divine. Nous roulâmes tous les deux à Ses Pieds.

Baba ne céda pas. Il dit : ‘’Vos talents et votre érudition ne doivent pas rester inutilisés. Ils doivent être employés efficacement. Vous n’avez pas d’opportunité

176 réelle de les manifester ici. La tâche pour laquelle on a besoin de vous là-bas est aussi la Mienne. Pensez-vous que vous servirez ‘’quelqu’un d’autre’’, si vous acceptez ce travail ? Il n’y a pas de ‘’quelqu’un d’autre’’. Tous les jobs sont pour Moi, avec Moi, et Je ne vous envoie pas loin de Prasanthi Nilayam dans un lieu étranger pour une mission désagréable et inconnue. A Bangalore, vous serez à trois heures de route et vous y avez une maison, votre fille et ses enfants. Votre travail est de faire ce qui vous intéresse, ce qui vous a occupé pendant beaucoup d’années heureuses. Kasturi est un autre nom du kannara, l’ignorez-vous ? (Un proverbe kannara soutient la vérité que cette langue est aussi odorante que le musc). Je sais que profondément dans votre cœur, il y a une aspiration à partager à nouveau l’animation de l’antenne et à faire entendre votre voix chez les gens du Karnataka. Cette invitation est arrivée comme une surprise, vous ne l’avez pas cherchée. Aussi est-ce un don de la grâce. Allez-y ! Vous ne vous éloignez pas de Moi. Pourquoi ? Parce que vous ne le pouvez pas, même si vous le voulez !’’ Il persuada ma femme de m’accompagner et de rester à Bangalore. Ma mère était déterminée à ne pas bouger. Baba reconnut et respecta son entêtement. Il dit : ‘’Paatti ! Vous restez ici. Si quelque chose vous arrive et qui nécessite de l’attention, que fait votre Kasturi ? Il accourt vers Moi ! Aussi, pourquoi devrait-il être ici ? Moi-même, J’accourrai vers vous.’’ Nous partîmes néanmoins à contre cœur, chargés des bagages les plus pesants, le cœur morose.

Akashvani m’accueillit comme son vieil amant. Beaucoup d’artistes avaient rejoint l’équipe quand je l’avais étoffée, il y a des années. Les administrateurs des programmes étaient ceux avec qui je m’étais frotté dans les studios de la radio naissante, pendant les années quarante à Mysore. Ils étaient plus heureux que moi de mon retour, car ils étaient plus en colère que moi à propos de la brutalité de mon éviction de mon poste de directeur-adjoint par le directeur de l’époque !

On me donna la charge des programmes destinés aux gens ruraux, aux enfants et aux femmes—en reconnaissance de mes expériences de communication avec les illettrés. J’avais aussi beaucoup à faire avec la préparation et la révision de textes pour de nombreuses ‘’Journées’’ comme le Journée de la Force Navale , la Journée de l’Armée, la Journée du Métier à tisser, la Journée du Drapeau, la Journée des Droits de l’Homme, la Journée de l’O.N.U., la Journée des Enseignants, la Journée des Enfants, etc, etc, etc. Des textes devaient être préparés pour chacune de ces commémorations récurrentes. Nous devions réviser tous les manuscrits qui nous parvenaient ou traduire ce qui nous arrivait par courrier de New Delhi. En plus de cela, les anniversaires devaient être célébrés par des programmes spéciaux : cela

177 concernait une soixantaine de personnalités, hommes et femmes, qui avaient laissé leurs empreintes sur les sables de l’Histoire. Trois cent millions de personnes ont vécu pendant 5000 ans entre les montagnes et la mer et notre Mère l’Inde a eu des douzaines d’enfants qui ont obtenu des jours spéciaux dans les calendriers hindou, bouddhiste, jaïn, sikh, chrétien, musulman, et autres. Nous devions louer chacun d’eux comme étant unique et passer des journées en quête d’épithètes d’adoration pour rappeler aux quelques-uns qui écoutaient que ‘’notre hommage à l’âme défunte doit être l’adoption sincère de leur mode de vie et de pensée.’’ Le 2500ème anniversaire de l’avènement, de l’Illumination et de la mort du Bouddha nous vit affairés à la présentation d’une centaine d’hommages : conférences, pièces de théâtre, reportages, interviews, causeries, lectures, récitations et présentations musicales.

Puisque la philosophie de base de notre nation est que chaque être vivant est une projection du même Principe Divin, que le Soi de chacun est égal au Soi de l’autre, l’Assemblée Constituante ne pouvait manquer de nous mouler en une démocratie où chaque individu—riche ou pauvre, mutilé ou entier, homme ou femme, capable de lire et écrire ou non—se voyait attribué le vote. Pour obtenir du pouvoir politique, on doit récolter plus de voix que son rival et pour avoir des voix dans son escarcelle, on doit respecter chaque volonté et chaque coutume, chaque aberration et chaque caprice. Ce besoin a engendré une prolifération de sommités dont les jubilés d’argent, d’or, de diamant et de platine empiètent sur les émissions et sur le temps et l’humeur des producteurs. Pas étonnant que notre vocabulaire et que notre volubilité furent poussés à bout. Bientôt réduits au rôle d’écrivaillons et de plumitifs, nous arborions une mine renfrognée et nous poussions notre crayon. Bien entendu, puisque Baba m’avait vivement conseillé d’utiliser mes talents pour Le servir (et servir comme producteur de programmes à la radio était indubitablement Le servir, comme Il le dit), je fis de mon mieux pour justifier Son choix pour ce travail. Simultanément, je Le priai de me bénir d’un autre rôle où je pourrais diffuser Son avènement et Son message.

La seule occasion où je ressentis un frisson et pour laquelle je remerciai Baba d’avoir placé le micro du studio entre mes mains fut le 1er novembre 1956, quand je fus chargé par le Président de la République de l’Inde, Sri Rajendra Prasad, de faire le commentaire en continu en kannara de l’Inauguration du nouvel Etat de Mysore incluant toutes les régions kannariennes. Pendant plus de 150 ans, beaucoup de gens qui parlaient le kannara respirèrent un air tamil, télougou et marathe. L’unification de ces gens en un seul Etat était l’aboutissement pour lequel

178 j’avais utilisé mes compétences littéraires et pédagogiques et mon éloquence avec autant d’enthousiasme (si pas avec autant d’efficacité) que mes collègues nés et élevés dans la région du Karnataka.

Mon statut de producteur m’aida aussi à participer à un congrès littéraire à New Delhi et à parler pendant dix minutes au Vigyana Bhavan sur les tendances de la littérature kannarienne, au moment où le pandit Jawaharlal Nehru présidait. Des sommités littéraires attirées dans l’audio-visuel étaient là en provenance de la plupart des régions linguistiques de l’Inde. Nous assistâmes à une réception dont l’hôte était le Président de la République de l’Inde au Rashtrapathi Bhavan. L’incongruité du chapeau gandhien au milieu de ce riche faste était réellement pénible pour nous, le troupeau sensible des hommes de lettres. Je quittai Delhi par Dakota. C’était mon premier vol. Comme j’avais obtenu l’autorisation de Baba pour voler à partir de Delhi, j’écartai l’appréhension d’un possible crash et de ses conséquences sur ma carrière terrestre pour atterrir sain et sauf à Bangalore. Ce fut une expérience instructive de voir d’en haut le pays et ses habitants et qui aiguisa mon appétit pour plus de visions panoramiques semblables.

En volant tranquillement entre la Yamuna et la Cauvery, ma tête bourdonnait avec une idée que Baba avait introduite dans ma matière grise. Il avait confié quelque chose à ma mère à mon sujet qui ne Le rendait pas heureux. ‘’De nombreux fidèles que J’ai bénis arrivent en voiture à Puttaparthi, puisque la route les amène jusqu’au Mandir même. Je lui ai donné des revenus supplémentaires et cela Me ferait certainement plaisir, si la voiture de votre fils se parquait aussi avec les autres.’’ C’est ce qu’Il dit à ma mère, peut-être avec une légère moue, puisque mon solde bancaire était dangereusement proche de zéro et je ne pus me procurer qu’une sénile Morris 8 chez une personne qui n’était que trop désireuse de se débarrasser du véhicule.

Ma mère apprécia l’achat et en parla avec enthousiasme à Baba qui se tint quelques instants à côté de lui et me susurra : ‘’Vous entreteniez ce désir depuis tant d’années... A présent, à vous les hauts et les bas !’’ Il y eut plus de bas que de hauts pour moi. La Morris était une invalide chronique qui passait la plupart du temps au garage. Mais elle ne buvait que très peu d’essence, puisqu’elle n’avait besoin que d’une bonne poussée et d’être tractée. Une fois, sur la route de Puttaparthi, je pus surprendre des dizaines de villageois à Palasamudram, Somandapalli, etc, avec une automobile transformée en char à bœufs. J’étais majestueusement installé sur le siège arrière, le chauffeur Chinnadorai était au

179 volant, tandis que la Morris 8, avec un axe cassé, était tractée vers Penukonda par une paire de bœufs émaciés.

Bien entendu, j’avais ruminé la perspective d’acheter une voiture quand j’étais assistant-directeur à la station de radio de Mysore. Afin de me garder parfaitement ignorant de son projet de me renvoyer au collège, le directeur m’avait fait miroiter la possibilité de garder la voiture de fonction dans mon propre garage. Il m’encouragea à construire chez moi un garage en annexe, à Krishnamurthypuram, Mysore. Mais quand le garage fut prêt à accueillir le véhicule, un trait de sa plume me frappa dans le dos et m’emporta dans la classe d’histoire du Collège du Maharaja.

Ainsi les balades dans la Morris 8, bien que branlante et récalcitrante, étaient du baume au cœur. Baba nous conseille de ne pas avancer avec les yeux tournés vers l’arrière. ‘’Le passé est passé : pourquoi scruter la route que vous avez déjà parcourue ? Ne vous lamentez pas à propos des erreurs du passé et ne calculez pas la profondeur des ornières du passé. Soyez heureux avec vos capacités actuelles et avancez,’’ dit-Il. La Morris 8 et les tactiques qui me forcèrent à quitter l’Akashvani en 1947—les pensées sont aussi des choses ; elles vous encombrent et ralentissent vos pas jusqu’à ce que vous les chassiez de votre esprit.

Au cours des quinze mois pendant lesquels je servis en tant que producteur, je dus m’absenter deux fois pour de longs congés. Une fois, ce fut pour accompagner Baba à Delhi, Rishikesh, Brindavan et au Cachemire. Baba écouta gracieusement mon enthousiasme à écrire Sa biographie et m’inclut dans Son entourage. Je crois que je fus pris parce qu’Il avait entendu ma prière que je ne devais pas manquer d’être avec Lui pendant Sa première visite dans le nord de l’Inde. Baba avait été invité par deux vaillants sannyasins de la Divine Life Society de Rishikesh, Swami Satchidananda et Swami Sadananda qui espéraient qu’Il pourrait guérir leur guru mondialement célèbre, Swami Shivananda. Les deux swamis avaient rencontré Baba à Venkatagiri, quand Baba avait parlé à l’occasion du Congrès Indien de la Divine Life Society. C’était là une grande occasion, parce que Baba, que le Raja de Venkatagiri et la branche locale de la Société avaient invité à inaugurer le Congrès, était pour eux seulement un protégé du Raja et rien de plus. Pour plaire au Raja qui était l’hôte du Congrès, ils furent forcés d’accepter Sri Sathya Sai Baba, bien que, pour autant qu’ils sachent, Il n’avait aucune distinction académique ni de statut d’. Mais l’amour que Baba répandit, la sagesse qui brillait dans Ses discours et Sa conversation, l’indulgence qu’Il montrait en rencontrant le doute et

180 l’incrédulité firent avouer à de nombreux participants : ‘’ Nous brûlions de Le défier, et au lieu de cela, nous avons été déifiés par Lui,’’ car Baba leur avait assuré que chaque être vivant était Dieu et devait parvenir à la vie divine.

Swami Satchidananda fut appelé par Baba pour une conversation intime après le congrès. Baba parla à Satchidananda d’une vision que le moine avait eue d’une mer étincelante, bleue, calme et fraîche au clair de lune et de la félicité céleste qu’il avait expérimentée pendant des semaines au souvenir de cette vision. Baba le réprimanda pour s’être écarté du chemin quand le but était si proche. Il lui garantit Sa présence constante avec lui pour le guider à partir de là. Baba fit un cercle avec Sa main pour lui donner un souvenir de Sa Grâce, mais le Swami saisit la main de Baba et dit : ‘’Non, je Vous veux avec moi, pas une pincée de cendres ou une image de Votre Forme ou un peu d’or ou d’argent. De toutes les choses précieuses que Vous pouvez donner, Vous êtes la plus précieuse. Vous nous révélez Votre divinité ainsi que la nôtre.’’

Alors qu’à Puttaparthi, les voitures se préparaient pour le trajet vers Madras d’où nous décollerions pour Delhi, Easwaramma, la mère vint me trouver avec une requête qui me rappela l’histoire du Bhagavatha de Krishna et de sa mère, Yasoda. Quoi qu’elle assista à de nombreux miracles de Krishna enfant et qu’elle put conclure que l’adoration et l’hommage qu’Il recevait de milliers de personnes étaient réels et justifiés, Yashoda s’accrochait au fantasme que Krishna était son cher petit enfant qu’elle devait protéger et guider. Easwaramma avait entendu des histoires farfelues d’inimitié entre moines de haut rang, de rivalités entre ordres monastiques et elle avait appris l’efficacité de l’utilisation de la magie noire pour contrecarrer l’ascension des rivaux. Et comme Baba allait s’aventurer dans un ermitage des Himalayas, encouragé par deux disciples d’un maître-moine, la mère vit apparaître dans son esprit apeuré diverses pratiques qui pourraient être employées pour porter atteinte au mystère de son fils. Des maladies de toutes sortes étaient provoquées rien que par le ‘’mauvais œil’’, d’après les grands-mères du village. La mère trouva difficile de rejeter les croyances populaires dans lesquelles elle avait grandi. Aussi elle me demanda d’être vigilant et prudent. Je savais que Baba était hors de portée et hors d’atteinte de tout rituel, fut-il himalayen, mais pour réconforter la mère nerveuse, je promis de protéger Baba avec le tout-puissant mantra de la Gayatri ! Mon but, après tout, était d’apaiser ses craintes, et j’y réussis.

181

Sur la route de Madras, Baba s’arrêta dans un village à plus de 190 km de Puttaparthi où Il installa une idole de Shirdi Sai Baba dans un ashram dirigé par une fidèle. C’était une ascète qui pratiquait la sadhana de la famine ! Baba n’encourage jamais l’immolation de soi, quelle que soit la lenteur du processus. Il exhorte les gens à protéger le corps de la maladie et à le garder fidèle à sa tâche, c’est-à-dire, permettre à son propriétaire d’atteindre le but de l’expérience bienheureuse de l’Un. Aussi, bien que Sa visite était en apparence pour installer l’idole de Baba, elle était surtout pour briser la fausse idole d’un corps affamé que la pieuse femme vénérait. Les villageois l’adoraient parce qu’elle subissait une privation qui les dépassait. Baba leur dit que la sainteté se gagnait par des disciplines plus sévères qu’affamer de pauvres petits estomacs.

Les bhajans attiraient des gens de tous les âges, de toutes les classes et de toutes les castes, où que Baba demeure. Pour permettre à une foi dans un nom et une forme particulière de Dieu de prendre racine et de devenir un arbre solide, les fondateurs de croyances et de cultes ont érigé des clôtures autour des esprits des hommes. Des enfants ne peuvent pas ramper ni marcher à quatre pattes dans des rues animées. Lorsqu’ils sont devenus des petits garçons et des petites filles robustes, ils peuvent jouer à l’extérieur et courir le long des routes. Des avertissements comme ‘’Sens unique’’, ‘’Regardez avant de traverser’’, ‘’Accès réservé strictement aux piétons’’ doivent aussi être placés dans le domaine spirituel. Le danger réside toutefois en ce que ces avertissements deviennent des chaînes. ‘’Ceci est le chemin’’ dégénère rapidement en ‘’Ceci est le seul chemin’’ et plus tard en ‘’Les autres chemins mènent en enfer’’ et ‘’Nous vous sauverons de l’enfer, que vous le vouliez ou non.’’

Baba insistait pour que les bhajans glorifient tous les noms et toutes les formes de Dieu. Souvent les gens découvrent à la fin de la séance qu’ils ont chanté des bhajans pour des formes de Dieu qu’ils avaient évitées depuis des générations. Et ils sont contents de l’avoir fait. Baba voulait qu’il n’y ait pas de comparaison et pas de critique à propos de la multiplicité des concepts que Dieu a suscités dans l’imagination humaine. Tous sont valables et précieux.

Après quelques jours passés à Madras, nous nous envolâmes pour Delhi, puis nous prîmes la route de Rishikesh où l’ashram de Shivananda attendait l’arrivée de Baba. A l’Ashram Shivananda, les bhajans faisaient également partie du programme. Le flot pétillant d’ananda qui émanait du guru transforma l’hommage en une heure hilarante. Nous fûmes surpris par un refrain après l’autre. Quand il conduisait les

182 bhajans, Shivananda Maharaj avait une manière naturelle, enfantine de faire chanter chaque participant qui nous remplissait d’allégresse et d’attente. Il enseignait des leçons profondes sur les vérités spirituelles, à sa manière propre. ‘’Rama ! Krishna ! Govinda !’’, la première ligne pouvait devenir ‘’Diamant, collier, Govinda’’ en deuxième et ‘’A-B-C-D Govinda’’ en troisième. Le point qu’il cherchait à souligner, c’était l’Absolu universel inhérent à tous les aspects et concepts.

Au cours de ma première nuit à Rishikesh, haut-lieu sacré sur le Gange, je remportai une victoire qui m'avait échappé pendant plus de neuf années déchirantes. Je dois avouer que j'étais devenu la victime d’une certaine poudre durant mes années passées dans la cité royale de Mysore. La préparation d’une variété sombre de capsules qui, lorsqu’elles étaient pressées entre le pouce et l’index, devenaient de la poudre odorante était un art qui n’était connu que de quelques familles là-bas. C’était une habitude aristocratique aromatique ! Mon ami Swami Siddeshwarananda, le poète Puttapa, et beaucoup d’autres de cette génération étaient attachés à ce moyen d’excitation mentale. Pendant plus de trois décennies, ce vice me mena par le bout du nez. Quand je subis l’impact de Baba, je décidai, comme Sindbad, de renverser le vieil homme qui était monté sur mon dos, mais il était solidement installé. Baba parlait souvent avec virulence de cette habitude en ma présence, mais heureusement, seulement en termes généraux. Il parlait en termes désobligeants de quelques personnes que je connaissais et condamnait la faiblesse qui les empêchait d’abandonner cette habitude dégoûtante de la poudre à priser. J’étais heureux qu’Il ne m’ait pas inscrit sur Sa liste noire. Avant de rejoindre le groupe de Rishikesh, je me chargeai d’une livre de la précieuse substance achetée à Madras que je pourrais sniffer avec bonheur dans la région immaculée.

Au cours de cette nuit cruciale, Baba quitta la maisonnette qui Lui avait été attribuée pour Son séjour dans le complexe de l’ashram et pénétra dans le dortoir où moi et cinq autres nous nous installions pour la nuit. J’avais préparé mon lit et me détendais, quand Baba apparut, suivi par Satchidananda et Sadananda. Il s’approcha de mon lit de camp et retourna l’oreiller pour exposer la boite de poudre à priser sous lequel elle reposait. Je frissonnai, plein de remords. Je me rappelai le très ancien rituel que les hindous observent lorsqu’ils arrivent sur un lieu de pèlerinage. Ils renoncent à une habitude qui leur est chère. Baba me regarda sévèrement. Il ne prononça qu’un seul mot : ‘’Dé-goû-tant !’’ Je pris la boite et la jetai au loin dans la nuit épaisse. Je serrai les dents pour contenir mes sanglots.

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Puis, je fis un vœu capital en touchant les pieds de Baba. ‘’C’est fini, Swami ! J’y renonce à partir de maintenant !’’

Baba me tapota doucement l’épaule. Je me penchai, tirai ma valise du dessous du lit et sortis la livre de poudre dégoûtante que je m’apprêtais à balancer dans les buissons, quand deux renonçants en robe ocre me l’arrachèrent des mains ! Ils dirent (ils ne faisaient évidemment pas partie de l’ashram de Shivananda) qu’ils s’approvisionnaient en ‘’Jnana Choornam’’ (la poudre qui excite l’intellect) à New Delhi, qui était trop loin. En entendant tout ce remue-ménage, Baba se retourna et Il se mit à rire, imité par Satchidananda et Sadananda. Depuis, je n’ai plus inhalé ce poison rajasique. Il était assurément pitoyable que ce que moi, un chef de famille, je voulais jeter aux quatre vents ait été récupéré et mis en lieu sûr par deux sannyasins !

Avant son entrée au monastère, Swami Sadananda était professeur d’histoire au Presidency College de Madras. Il était venu à Puttaparthi précédemment le jour du Nouvel An tamoul. Baba nous avait emmenés tous les deux jusqu’à une source qui gargouille entre deux rochers dans une vallée à l’ouest du Mandir. Le shivaïsme, une école de philosophie et un culte qui honorent l’aspect Shiva de la divinité, était son sujet d’étude favori et Baba l’avait invité à expliquer la signification du linga. Baba expliqua qu’il représentait la naissance du cosmos à partir du sans–forme, ainsi que la fusion du cosmos dans le sans-forme. ‘’Le soleil apparaît comme un énorme disque rouge quand il se lève et quand il se couche,’’ dit Swami.

‘’C’est une révélation pour moi en ce jour de l’an,’’ dit le sannyasin. ‘’Cela fait maintenant beaucoup d’années que vous célébrez le Nouvel-An. Vous vous trouviez alors dans votre famille. Maintenant, vous êtes dans la famille Sai. Prenez ceci,’’ dit Baba en agitant Sa main. Un obbattu, un mets sucré traditionnellement préparé dans les foyers tamouls le jour de l’an, reposait dans Sa paume—chaud, sentant le , épais, rond avec une pincée de sucre ! Ma bouche se mit à saliver. L’ascétique Ananda tendit la main. Voyant mon supplice, Baba remua à nouveau la main pour faire apparaître un second obbattu pour moi aussi. Comme à l’origine, j’étais un Tamoul, né dans la région malayalam, ayant vécu pendant 32 ans dans la région kannarienne avant d’accoster au port télougou de Sai, je pouvais prétendre à de nombreux Nouvel-Ans ! En tant que bénéficiaires communs de l’obbattu du Nouvel-An de Baba et professeurs d’histoire, Sadananda et moi, nous étions inséparables à Rishikesh comme une paire de jumeaux. Swami Shivananda incarnait l’équanimité même. Au milieu des sollicitations et des protestations

184 bruyantes des visiteurs et des résidents, ses disciples le poussaient à droite et à gauche dans un fauteuil roulant.

Après un séjour d’une journée au Palais Garhwal situé sur la rive droite du Gange, quelques kilomètres en amont, Baba entra tout seul dans la Vasishta Guha (la caverne qui porte le nom du guru de Rama, Vasishta) afin de bénir l’ermite qui en avait fait son oratoire et son laboratoire. Quand il apprit que je provenais du Kerala, que je pouvais parler malayalam et que j'avais été initié dans la mouvance de Ramakrishna Paramahamsa par son propre guru, Tarak Maharaj (connu sous le nom de Mahapurushji), il m’accueillit sans réserve. Les cordes de mon cœur se tendirent quand je me réprimandai pour lui avoir fait part de ces trois points me concernant. C’était un moine qui avait renoncé à son nom et à son foyer, qui avait fait le vœu d’adorer tout le monde comme identiquement divin. Quel droit avais-je de revivifier sa mémoire en lui relatant des événements et des idées dont il s’était laborieusement défait, me demandai-je. Je me souvins que Bodhidharma, le fondateur du zen, était connu comme un saint silencieux en sept langues. Mon malayalam pourrait réveiller chez ce swami un flot de souvenirs de son Kerala natal, de Trivandrum et du temple royal d’Anantha Padmanabha.

Alors même que Purushottamananda, dans cette caverne à l’extrême nord, se réjouissait du souvenir de ce sanctuaire situé à la pointe sud de l’Inde, Baba nous demanda de sortir et de fermer l’entrée de la caverne. Il s’installa sur les genoux du saint âgé de soixante-dix ans. Le corps de Baba baignait dans un éclat divin et semblait beaucoup trop grand pour les genoux ou même pour la caverne. Des rayons d’une incroyable splendeur émanèrent du visage et du corps de Baba dans toutes les directions. Purushottamananda était perdu dans une transe extatique. Ses deux disciples étaient trop surpris pour comprendre ; ils étaient éblouis par le mystère. Je supposai que Baba était en train de conférer une vision unique. Plus tard, Baba expliqua qu’Il lui avait octroyé le darshan de Padmanabha tel qu’il est présent dans son cœur depuis l’enfance. ‘’C’était Jyothirpadmanabha’’. Il dit que Jyothi signifiait lumière.

Après une minute ou deux, Baba se leva, s’assit au côté du septuagénaire, l’appela par son nom, et lentement, Il le ramena à la conscience de l’espace et du temps. Baba chanta un chant sur Rama composé par et à la fin, Il agita la main et matérialisa un rosaire de perles étincelantes pour Purushottamananda.

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Trente-huit ans auparavant, Purushottamananda avait écrit à son guru (et au mien) : ‘’Tout est faux. Je ne peux pas être satisfait, avant et à moins que je ne me retrouve face à face avec la Vérité’’. Je crois que ce soir-là, il s’est trouvé face à face avec la Vérité. Cinq ans plus tard, quand le swami quitta son corps pour se fondre dans la Vérité, Baba m’annonça son départ à Puttaparthi. C’était quelques minutes après la sortie du lingam de l’estomac de Baba où il avait grandi pendant des jours. C’était Mahashivarathri. Baba me dit que le corps du swami serait enterré avec le rosaire de perles sur la poitrine. (Et ce fut le cas !)

Sathya Sai Baba et Swami Purushottamananda

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Les événements qui se produisirent dans la caverne Vasishta furent réellement époustouflants. Lorsque nous pûmes entrer, nous nous accrochâmes à chaque mot que Baba prononça et nous récoltâmes chaque signe d’adoration qui émanait du vieux moine—les sourcils relevés, les yeux pétillants, le souffle coupé, les mains jointes, le sourire qui brillait dans sa barbe. Baba lui parla de ses premières difficultés dans la caverne, de ses efforts pour allumer un feu et de sa surprise, un matin, de découvrir un paquet de boites d’allumettes caché dans un coin. Baba confirma : ‘’Je l’ai placé là pour vous’’. Le moine se redressa en entendant cette surprenante révélation. Les moines attachés à sa personne expliquèrent que pendant des années, ils utilisèrent des silex pour obtenir une étincelle qu’ils nourrissaient, alimentaient et transformaient en flamme. Eux aussi furent stupéfaits par la découverte que Baba était conscient de leur guru, de ses durs labeurs et de ses besoins ‘’Il sait tout ; Il est tout !’’, s’exclamèrent-ils. L’homme ne dispose d’aucun moyen pour identifier ce qui ne peut être représenté, ni expliqué ni mesuré. Il peut juste s’asseoir silencieux, sidéré, dans un profond désarroi.

J’étais incapable de croire en la présence de Baba dans la même jeep. L’effet de l’aura était presque insupportable. Baba doit avoir réalisé notre épreuve, car Il remplit la jeep de rires grâce à une pluie continue de paraboles plaisantes, la plupart sur la cavité du cœur où le Seigneur aime résider. Il nous mit à genoux lorsqu’Il parla des ‘’punaises de lit’’ qui forcèrent les dieux à se réfugier sur la neige himalayenne, l’océan azur ou la fleur de lotus !

Avant de quitter Rishikesh, Sadananda pria Baba de conseiller les résidents de l’ashram à propos de la sadhana et de la vie spirituelle. Baba leur dit que l’indifférence apparaît naturellement si la vie est trop réglée et trop sécurisante. Il voulait que les moines se sentent frais et libres à chaque instant, qu’ils accueillent aujourd’hui comme une récompense pour hier et comme une préparation pour demain. Le matin du jour de notre départ, Swami Shivananda insista pour accompagner Baba autour de l’ashram. Baba avait restauré sa santé à l’aide de doses journalières de l’eau sacrée du Gange. Lorsque Baba se pencha sur la dernière marche de pierre pour remplir la tasse avec l’eau de la rivière, par Sa volonté, le Gange devint un remède sucré et odorant que le moine prit de Sa main. Il était ravi. Le séjour de Baba à Rishikesh fut ainsi ponctué d’événements silencieux mais capitaux révélant Sa souveraineté.

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Sathya Sai Baba et Swami Shivananda

De retour à Delhi, un autre cadeau précieux nous attendait—un séjour d’une semaine dans la charmante vallée du Cachemire avec Baba. La mer avait hiverné sur les pics à l’entour. Les prairies portaient des saris de vert tacheté. La Jhelum portait des maisons entières en son sein. Sur des radeaux de bois qui flottaient, des plants de safran odorant fleurissaient. C’était un véritable enchantement. Fontaines, pins, sycomores, cerfs et perroquets par dizaines et vingtaines, des roses où que les yeux se posent agrémentaient la vue et purgeaient la vision interne du brouillard. Des files de pèlerins entrèrent dans le bateau où Baba leur donna Son darshan. Beaucoup d’entre eux, comme la sœur du redoutable Subash Chandra Bose, furent appelés en Sa présence par Baba Lui-même qui apparut dans leurs rêves.

Nous n’escaladâmes pas la colline de Shankaracharya, car nous avions Shankara lui-même parmi nous. Les partisans de l’acharya, dans des récits exagérés de sa vie, avaient inventé un miracle douteux qui pouvait être écarté comme à la fois comique et grossier. L’histoire, mis à part quelques fioritures légendaires, est la suivante : l’acharya vainquit un rival dans un duel philosophique, mais la femme qui n’acceptait pas la déconfiture de son mari, déclara qu’elle était sa moitié et que la victoire complète ne pouvait être remportée que si elle aussi acceptait la défaite. Et dans un accès d’audace définitivement peu indienne et peu féminine, elle défia l’ascétique acharya par des questions qui portaient sur les complexités de la vie sexuelle. Selon cette histoire absurde, l’acharya réclama du temps ! Il découvrit le

188 cadavre d’un maharaja placé sur le bûcher funéraire et désira promptement que son propre principe vital entre dans le mort et le réanime, laissant sa propre enveloppe physique aux soins de ses disciples loyaux. Le maharaja ayant ainsi échappé aux funérailles ou plutôt l’acharya à présent revêtu du corps royal, passa plusieurs mois de réjouissances dans le harem, mais il dut rentrer précipitamment dans son propre corps, lorsque les reines se mirent à douter de l’authenticité du ‘’maharaja’’ mystérieusement ressuscité. L’acharya vainquit alors la dame dans la bataille des esprits et sortit triomphant de cette lutte vulgaire. Baba explique que de telles histoires sont trop grosses et triviales et qu’elles ne sont pas nécessaires pour conférer de la lumière à la splendeur solaire de Shankaracharya. Elles ne servent qu’à obscurcir sa gloire.

Baba décida de nous emmener jusqu’à la limite des neiges éternelles de la chaîne himalayenne. Le voyagiste qui avait organisé la visite avait déjà renoncé à son rôle d’homme d’affaires pour se fondre dans notre groupe. Il supplia Baba de visiter ses vieux parents à Srinagar et de bénir sa femme et ses enfants, ainsi que la famille de son frère. Il ne fut que trop heureux de réserver un car pour Gulmarg et des poneys pour aller de là à Kilanamarg où la neige recouvre les flancs des montagnes himalayennes.

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J’étais retenu au lit dans le house-boat par le Dr Lakshmi, la doctoresse qui lut 40° sur le thermomètre placé sous ma langue, mais je pus échapper à sa vigilance et courir vers le véhicule qui était prêt à partir pour Gulmarg. Malgré le bonnet qui recouvrait ma tête et le châle en laine qui entourait mes épaules, Baba qui se tenait près de Sa limousine me reconnut. Il dit : ‘’Kasturi ! Pourquoi êtes-vous en retard ? Montez vite !’’ Je me hissai dans le bus et laissai la fièvre et la température derrière moi.

A Gulmarg, je dus faire face à un problème insoluble : monter ou ne pas monter le poney qui avait été loué à mon intention. Il portait le joli nom de Black Beauty et il avait le poil lisse et brillant. Il me fit un accueil plutôt hésitant. Je n’avais jamais monté à cheval, je n’avais même jamais monté un cheval de bois ! L’animal me dévisagea avec une méfiance évidente. Il était clair pour moi qu’il aurait préféré quelqu’un d’autre qu’un vieux professeur à la retraite. Ce n’était pas non plus que j’étais enchanté à la perspective de grimper sur cet animal à quatre pattes qui ne tenait pas en place. Mais j’entendis la voix de Baba qui mit fin à mes tergiversations : ‘’Montez ! C’est votre cheval !’’ Je demandai au palefrenier de conduire Black Beauty le long d’un muret quelques mètres plus loin. Je parvins à grimper sur le muret, et de cette hauteur, je me laissai lentement glisser sur le dos du cheval avec l’aide du palefrenier qui m’aida à placer mon pied droit dans l’étrier. J’étais bien installé sur la selle qui était mal fixée. Lorsque le cheval réagit au coup de fouet, je faillis être projeté la tête la première, mais le palefrenier me remit rudement en place.

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En tout, il y avait une quinzaine de chevaux. Le mien avait ses préférences, ses préjugés et ses fantaisies. Le palefrenier suivait derrière ; il fouettait le derrière du cheval, ce qui avait pour effet de faire se dresser la partie arrière du cheval, tandis que la partie avant refusait de bouger. Très souvent, il marchait à côté de Beauty tout en tenant fermement sa crinière et en lançant des imprécations abominables à ses ancêtres. Pendant ce temps-là, le pauvre malheureux que j’étais priait Baba pour qu’Il rapproche la limite des neiges éternelles. J’étais assis sur la selle dure avec mes cuisses qui pressaient les flancs de l’animal, aussi bientôt, ma peau commença à me brûler. J’approchai rapidement du point d’ébullition. Certains des autres chevaux devinrent également hystériques ; ils piquaient des sprints ou ils tombaient en syncope. Quand la piste s’élevait, on nous conseillait de nous pencher vers l’avant et lorsqu’elle descendait, on nous conseillait de nous pencher vers l’arrière. C’était difficile de décider quoi faire et quand. Pour finir, l’épreuve prit fin. Quand je descendis, je découvris que je n’avais subi presque aucun dommage. Je pus monter près de Baba et toucher Ses pieds.

Bientôt, nous fûmes comme une bande de gamins indisciplinés autour de Krishna. Baba nous lançait des boules de neige et s’amusait des ‘’luges’’ avec lesquelles nous descendions la pente neigeuse. Nous grimpions sur la pente, et puis nous descendions assis sur des planches en employant comme freins des petits bâtons que nous tenions dans nos mains et que nous plantions dans la neige quand nous descendions trop vite. Baba n’était pas touché par le froid extrême. Il ne portait pas de laine. Il avait Sa fine robe de soie habituelle. Il nous rappelait Shiva dansant sur le tapis de neige du Kailash.

Quand nous fûmes tous trop épuisés pour continuer à nous taquiner et à jouer avec cette étrange substance qu’est la neige, Baba mit fin au jeu. Nous sirotâmes un café chaud que la Mère Sai nous avait tendu d’une bouteille thermos, puis nous posâmes pour des photographies avec Baba montant Raja, Son cheval. Chaque cheval monté par son cavalier fut ainsi béni. Puis nous rentrâmes à Gulmarg, et de là, en bus à Srinagar. L’histoire du Cachemire telle qu’elle est décrite dans le très ancien recueil sanscrit, Rajatarangini, se déroula devant mes yeux, page après page, au fur et à mesure que je franchissais les gorges, les plaines et les cols de cette vallée, le plus beau joyau de l’Inde.

Les dévots de Delhi décidèrent de passer une journée avec Baba à Mathura et à Brindavan où résonnent encore les vibrations de la flûte du Seigneur Krishna et les clochettes qui tintaient aux chevilles virevoltantes des gopis. Baba et nos hôtes

191 arrivèrent beaucoup plus rapidement que nous à Mathura, car notre bus tomba en panne à mi-parcours et nous dûmes attendre qu’un autre véhicule puisse nous rejoindre de Delhi. Baba ne bougea pas avant que nous ne L’ayons rejoint. Il résista aux persuasions, aux prières et aux pressions. Il refusa d’entrer dans la ville ou dans les temples sur la rive de la Yamuna avant que le groupe au complet ne puisse s’y rendre.

Alors même qu’Il était encore un adolescent qui faisait paître le bétail et qui conduisait des chœurs de Pandari bhajans, Baba avait annoncé qu’Il était le même Principe Divin venu sous la forme de Krishna dans la région de Mathura et de Brindavan. Il avait octroyé des visions de Lui-même en tant que Krishna à ceux qui adoraient Dieu sous cette forme. J’avais remarqué que l’un d’eux de la région de Chebrole, dans le district de la Godavari occidentale n’avait pas encore récupéré de l’extase, même après sept ans ! Une autre continuait à répéter ‘’Krishna ! Krishna ! Krishna !’’ avec chaque souffle, où qu’elle se trouvait.

Ce fut certainement un pèlerinage inoubliable, ce midi, à la Yamuna, avec le Krishna contemporain. Je fus étonné de voir les ghats remplis de tortues géantes— le symbole depuis des siècles en sculpture et en peinture de cette rivière sainte. Je vis également une foule de paons qui se pavanaient fièrement et qui faisaient étalage de leur sainte histoire remontant au Bhagavatha. Ils semblaient savoir que Krishna, dans Sa jeunesse, avait une plume de paon fichée dans un pli de Son couvre-chef rustique.

Baba nous conduisit au temple de Krishna où Mirabaï, la reine rajpoute avait vidé son âme dans un flot mélodieux. Quand nous proposâmes de réciter quelques bhajans de Mira devant le sanctuaire, Baba effectua une rotation de la main devant la porte et nous découvrîmes dans Sa main une idole qui était la réplique exacte de celle qui avait captivé le cœur de Mira. Il dit : ‘’Retournons au bungalow où vous pourrez chanter des bhajans à satiété devant ce même Krishna’’. Qui aurait pu imaginer que Sa volonté aurait moulé un Krishna miniature en argent brillant de vingt centimètres de hauteur qui copiait en détail chaque courbe et chaque contour, chaque pli et caractéristique, chaque regard et chaque trait qui rendaient si vital et si vibrant le Krishna de Mira ? Mon angoisse à comprendre Baba devenait insupportable, mais je ne pouvais que prier pour que cet état d’esprit dure toujours. Je ne désirais que l’humilité pour faire face au frémissement, pas la bravade pour L’enfermer dans une formule ou L’explorer par un syllogisme ou L’identifier avec

192 l’aide d’un dogme. La dite icône était là, dans ma main, car Il l’avait placée sous ma responsabilité. Nous chantâmes des bhajans pendant une heure devant elle, puis, plus tard, elle prit la direction de Delhi et elle est maintenant installée sur l’autel domestique de notre hôte.

Chaque jour, je devenais un peu plus vieux, bien que je m’en rendais à peine compte. Baba nous maintenait toujours dans un tel état d’émerveillement que je n’avais pas l’inclination ou le loisir de compter les rides de mon front. Néanmoins, mon soixantième anniversaire approchait, un tournant dans la vie qui est marqué par l’accomplissement de rituels védiques pour apaiser les dieux et pour entreprendre des pénitences préalables à des activités spirituelles plus intenses. Baba recommande que la fin de six décennies de vie soit célébrée avec un ultimatum aux six ennemis internes de l’homme—la luxure, la colère, l’avidité, l’attachement, l’orgueil et la haine. J’hésitais à organiser l’accomplissement des rites, puisque mon fils était au Canada où il travaillait pour le Bureau d’Etudes Topographiques de ce pays. Sa femme était avec lui. Ses deux enfants, tous deux des garçons, étaient à l’école à Madras sous la tutelle de son directeur, un ardent théosophe. Quand les parents les quittèrent pour partir à Toronto, Baba avait rassuré les garçons : ‘’Quand vous languirez après votre mère, pensez à Moi.’’ Selon les mœurs sociales, il était indigne pour un père d’annoncer et d’organiser sa propre célébration d’anniversaire ; le privilège était le monopole du fils. Je gardai donc le silence.

Mais Baba dit : ‘’Je dois avoir la joie d’être le témoin de la joie de ta mère,’’ et ainsi je dus outrepasser les limites du protocole et préparer moi-même les cérémonies religieuses ! Je trouvai un prêtre à Bukkapatnam et l’invitai à officier. Plusieurs de mes amis d’All India Radio arrivèrent de Bangalore. L’artiste nadaswaram que j’avais introduit à la station de Mysore en 1973 vint à Prasanthi Nilayam et proposa ses services. Baba était si désireux de promouvoir la joie qu’Il vint à ma résidence lorsqu’on accomplit le rite initial pour sanctifier l’huile de notre bain rituel. Il anima l’événement avec des blagues et des railleries, la plupart à mes dépens et aux dépens de ma femme. Il pénétra dans la tente adjacente et bénit les cuisiniers qui s’affairaient là.

Vers dix heures, le prêtre débuta le programme. Nous portions les vêtements que Baba nous avait offerts plus tôt et nous entrâmes dans le hall de prière. Nous nous prosternâmes ensemble devant le sanctuaire, puis nous prîmes place devant le feu sacré déjà allumé sur la maçonnerie du côté est du hall. Nous avions disposé le

193 fauteuil d’argent au sud-est de l’estrade. Heureusement pour nous, un dévot avait apporté ce jour même, un repose-pied en argent qui avait la forme d’une fleur de lotus ouverte. Avec l’autorisation de Baba, nous pûmes le disposer pour Son usage, lorsqu’Il occuperait le fauteuil pour assister à la cérémonie. Le prêtre avait reçu comme instruction de s’en tenir aux points que Baba considérait comme essentiels—le culte de Ganesha, le sacrifice propitiatoire aux neuf déités planétaires et le rite de pénitence pour attirer sur nous les bénédictions du Seigneur. Baba occupait le fauteuil quand le dernier de ces rites fut accompli. A la fin, Il nous permit de Le vénérer en déposant des fleurs sur les Pieds qui reposaient sur le lotus d’argent. Les dévots remplissaient le hall.

Le prêtre lut, un par un, dans un style clair et convaincant, les 1008 noms composés à la gloire de Baba il y a longtemps par les pandits de la région de Shirdi. J’étais assis à la droite et elle à la gauche du lotus et les deux tas de fleurs de teintes et de parfums divers grandissaient à chaque seconde sur les Pieds. Baba était assis, souriant et serein et nous accordait une bonne fortune imméritée. Il corrigeait ma prononciation des noms sanscrits et devançait souvent le prêtre dans la récitation de Ses Noms. Je ne pus réfréner mes larmes quand les noms que je prononçai étaient porteurs de sens qui touchaient mon cœur et qui évoquaient des souvenirs de la puissance, de la majesté et du mystère de Baba qui était venu m’enseigner à accepter les coups et les bouquets avec équanimité.

A chaque pas que je fais vers Lui, l’horizon du ciel s’élargit ; à chaque pas qu’Il fait dans ma conscience, l’horizon de ma vanité rétrécit. Ma femme était très intimidée et très impressionnée devant le Phénomène qui avait permis une telle proximité. Quand la puja fut terminée, Baba se leva et vint vers nous. Nous étions là avec ma mère entre nous. Ma mère qui m’avait déposé en tant qu’enfant aux pieds de Shiva à Vaikom dans le Kerala pouvait maintenant voir Shiva sous forme humaine et cet enfant qui se tenait les mains jointes devant ce même Shiva.

Baba agita Sa main, et elle transforma l’air qu’elle saisit en un mangala sutra pour elle et en un médaillon pour moi, tous deux en or. Tandis que j’attachais le mangala sutra autour de son cou, Baba agita Sa main droite au-dessus de sa tête et des grains de riz colorés, de la poudre de kumkum et de haldi tombèrent en fine pluie de cette paume ! Ce sont des articles traditionnellement bénéfiques avec lesquels les aînés bénissent les jeunes mariés. Nous étions à nouveau mariés sous des auspices célestes. Il plaça dans ses bras un sari de soie et un dhoti de soie dans les miens. C’était de Sa part une compassion sans borne. Ma femme était éblouie. Elle

194 n’avait plus les pieds sur terre, mais elle planait quelque part dans l’espace. Je dus l’aider à atterrir et la ramener doucement à notre place. Elle avait un air étrange et émerveillé, son visage était jaune et rouge et ses cheveux étaient parsemés de grains de riz. La cérémonie qui marqua ce soixantième anniversaire fut illuminée par la grâce divine à un point qui dépassait de loin ma compréhension. Y repenser est encore très fructueux aujourd’hui.

Nous reprîmes le chemin de l’exil, direction Bangalore. Le charme de diffuser des produits culturels attrayants pour des millions de Karnatakis qui, nous le savions, n’avaient pas de postes de radio chez eux ou dans les salles de village s’usa très rapidement. L’image de Ses Pieds posés sur le lotus d’argent sous des piles de roses entraînait mon esprit vers Puttaparthi à toutes les heures du jour.

Ma mère aussi était malheureuse que nous étions physiquement éloignés de la source de joie éternelle. Elle écrivit de plus en plus souvent des lettres nous poussant à nous envoler et à quitter l’antenne : ‘’Aujourd’hui, Baba est venu dans la cuisine et Il a trouvé à redire que je me contente de ce qu’Il a appelé ‘’un repas maigre.’’ ‘’Aujourd’hui, Baba m’a conduit par la main dans la salle d’entrevue pendant les bhajans et Il m’a dit de manger plus de légumes et de fruits. J’ai donné à Kasturi plus d’argent qu’il n’en faut. Je veillerai à ce que vous receviez quotidiennement de bons fruits,’’ a-t-Il dit. ‘’Aujourd’hui, Baba est resté longtemps à la maison. Il m’a dit que tu n’étais pas content de ton travail. Il m’a dit que tu as du travail à faire ici-même, à présent.’’ Ces lettres nous incitèrent à nous tenir prêts et à croiser les doigts.

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PÉNITENCE SCRIPTURALE

Très vite, je reçus la bonne nouvelle. Baba était venu à Bangalore. Il séjournait chez Sri Vittal Rao, au 9, Cross Road, Wilson Gardens, à cinq minutes de chez moi, la résidence Ashoka. Comme je savais qu’il y avait une possibilité qu’Il se rende là-bas, j’avais donné un pourboire au teinturier chargé de nettoyer et de repasser ses rideaux afin qu’il m’informe aussitôt qu’il aurait livré le linge chez Vittal Rao. J’avais remarqué qu’il avait fait nettoyer et repasser ses rideaux avant la visite de Baba. Quand la nouvelle filtra enfin, je postai la petite fille de mon aide- ménagère devant chez lui, avec pour instruction de surveiller l’arrivée d’une grosse voiture et d’un homme en robe orange. C’est ainsi que moins de dix minutes après l’arrivée de Baba chez lui, Vittal Rao fut tout surpris de me voir dans sa véranda ! ‘’Attends ! Attends !, implora-t-il. Mais Baba me repéra et vint dans ma direction, Sa main prête à tomber sur mon épaule. ‘’Maintenant, vous avez du travail à Puttaparthi,’’ dit-Il. ‘’Un magazine mensuel va bientôt démarrer. Devinez comment il s’appelle ?’’ J’avouai ne pas pouvoir sonder Sa volonté. Néanmoins, Il parvint à m’extirper quelques noms : ‘’The Godward Path…Karma Dharma…Premayoga.’’ Il balaya les titres que j’avais suggérés et Il annonça qu’Il avait décidé de l’appeler ‘’Sanathana Sarathi’’ !

Ce nom est un coup de clairon. C’est la conque de Vishnu qui réveille l’endormi. C’est le tambour de Shiva invitant les indisciplinés à se débarrasser de leur inconstance. ‘’Sarathi’’ signifie ‘’Celui qui tient les rênes’’, ‘’Sanathana’’ signifie ‘’éternel’’. Ainsi ce titre annoncerait au monde que Baba est la Volonté Toute- Puissante qui module et qui manipule, depuis le commencement des Temps, les volontés des êtres vivants depuis l’amibe jusqu’à l’astronaute. ‘’Reconnaissez Dieu comme le Sarathi, abandonnez-vous de tout cœur à Sa direction, parvenez au but en bon état’’ ; tel était le message que Baba communiquait par ce nom. Je me sentis transporté de joie et élevé.

‘’C’est la 32ème année de Sa carrière d’Avatar et il est temps qu’Il se présente comme Instructeur Mondial,’’ me dis-je à moi-même en me rappelant Son propre discours pendant Dasara, en 1953. C’est lorsque le Seigneur était le Sarathi d’Arjuna que la Bhagavad Gita fut offerte à l’humanité par son intermédiaire. Le Seigneur est ainsi connu comme Partha (Arjuna) Sarathi. Baba se présente maintenant comme le Sanathana Sarathi—le Sarathi de chacun, partout.

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Au propre, comme au figuré…

Quelques jours avant la sortie du premier numéro, Baba déclara devant une foule sur les sables de la Chitravathi : ‘’La Bhagavad Gita est un guide, une carte pour celui qui aspire à la paix et à la libération. Le Seigneur s’est installé dans chaque cœur comme aurige. Demandez-Lui la bonne direction. Il vous répondra et vous guidera. Vous pouvez entendre une Gita spécialement conçue pour vous, si vous appelez le Seigneur’’4. Le ‘’Sanathana Sarathi’’ était par conséquent destiné à être la parole du Seigneur d’un monde qui a quitté ses rails et qui se trouve dans une situation plutôt critique.

4 En témoignent les versions de Jack Hawley, ‘’La Bhagavad Gita revisitée pour les Occidentaux’’ et celle du magazine Heart2Heart de Radio Sai, ‘’La Bhagavad Gita pour les enfants’’, qui viendront beaucoup plus tard, NDT.

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J’informai l’Akashvani de mon départ. La blessure que j’avais encourue auprès du professeur pionnier qui fut le sarathi de l’Akashvani de Mysore avait été guérie pendant mon second séjour à la station. Cela facilita le processus de sortie. Le directeur tenta de me retenir. Il me brandit une carotte sous le nez, mais j’eus de la chance de partir car, moins d’une semaine plus tard, des ordres arrivèrent en provenance de New Delhi pour récupérer auprès des producteurs (des hommes littéraires recrutés comme moi) l’argent supplémentaire qui leur avait été versé des fonds publics. La règle qui voulait qu’aucune personne ayant pris sa retraite du service au gouvernement ne gagne plus d’argent en provenance de fonds gouvernementaux ou du gouvernement local, que le montant qui lui était payé le jour de sa retraite fut découverte par un limier du secrétariat. Quand je pris ma retraite, je touchais comme salaire 350 roupies/mois ; ma pension plus mes honoraires de l’Akashvani se montaient à 600 roupies /mois. Par conséquent, si j’étais resté, j’aurais dû rendre l’excédent de 250 roupies pour chaque mois de mon association avec l’audiovisuel ! Certains payèrent, mais je pus éviter la piqûre.

Du tumulte et de la tempête, le ‘’Sanathana Sarathi’’ me ramena à la Demeure de Lumière et d’Amour. A Rishikesh, Baba avait exhorté les moines de la Divine Life Society : ‘’N’inhalez que le souffle de Dieu ! C’est la vie divine réelle. Soyez sans ego, creux comme la flûte. Alors, le Seigneur Krishna jouera avec vous et remplira le vide que vous avez laissé. Il inventera des mélodies captivantes qui envoûteront toute la Création.’’ Le Seigneur avait décidé de jouer Ses mélodies dans le ‘’Sanathana Sarathi’’ pour envoûter la Création.

Le premier numéro était déjà paru en février 1958 le jour de Mahashivarathri. Sri B.V. Raja Reddy s’était lui-même déclaré éditeur. Il fut imprimé à Dharmavaram et quelques centaines de copies furent distribuées aux dévots. Quand Baba visita Bangalore, Il visita l’imprimerie Darpana sur Avenue Road (une grand route sans arbres) avec Raja Reddy et moi-même, et Il acheta une petite machine à pédale avec une planche de 14 pouces de diamètre, un rouleau composé d’un moule et une caisse de caractères anglais et télougous.

Dans le message qu’Il écrivit pour les lecteurs du premier numéro du Sanathana Sarathi, Baba explicita pourquoi Il avait ainsi nommé le magazine. ‘’A partir de ce jour’’, déclara-t-Il, ‘’le Sanathana Sarathi conduira l’armée (les textes spirituels et les Ecritures) contre les forces du mal de l’injustice, du désordre, de la fausseté et de la méchanceté conduites par le démon ego. Ce Sarathi luttera pour le ferme établissement de la paix dans le monde ; il proclamera sa victoire aux

198 résonnements des battements du tambour. Par son triomphe, il procurera l’ananda à l’humanité tout entière.’’ En tant qu’aurige, Baba était déterminé à sortir le monde de la maladie, du désastre et du désespoir.

Pour ce qui est de l’ananda, Baba avait affirmé dès 1947 que la raison pour laquelle Il avait enfilé le vêtement humain était de ‘’secourir l’humanité d’un danger imminent et de conférer l’ananda à tous les hommes, partout’’. Le Sarathi n’était qu’un des instruments conçus par Sa volonté. Et par Sa grâce, je devins la mouche posée sur l’essieu du char qui pouvait se griser de penser que les roues bougeaient parce que j’étais là !

En 1954, Dorothy Sayers écrivit : ‘’Futilité : absence de foi vivante ; dérive dans une moralité dissolue ; consommation avide ; irresponsabilité financière et colère non-contrôlée ; individualisme forcené ; violence ; stérilité et absence de respect pour la vie et la propriété dont celle en propre ; exploitation du sexe ; abâtardissement du langage par la publicité et la propagande ; commercialisation de la religion ; indulgence envers la superstition et conditionnement de l’esprit des gens par l’hystérie de masse et les envoûtements de toutes sortes ; vénalité et manipulation dans les affaires publiques ; malhonnêteté dans le domaine matériel ; malhonnêteté intellectuelle ; fomenter la discorde (classe contre classe, nation contre nation) pour ce que l’on peut en retirer ; altération et destruction de tous les moyens de communication ; exploitation des émotions de masse les plus basses et les plus stupides ; traîtrise, même envers les principes de la famille, de la nation, de l’amitié et du serment d’allégeance—telles sont les étapes par trop reconnaissables qui mènent à la mort lente de la société et à la destruction de toutes les relations civilisées.’’

En 1958, Sai Baba nous assurra que la ‘’mort lente’’ sera annulée et la crainte de l’extinction, exorcisée. Baba a diagnostiqué que la maladie mortelle dont Dorothy Sayers a énuméré les symptômes était causée par un méchant virus, ‘’ego egregius’’. L’ego doit être plongé dans l’ananda pour que son pouvoir toxique devienne pouvoir tonique. Cette ananda n’est pas une émotion qui apparaît et qui disparaît. C’est une expérience positive et complètement satisfaisante. Ananda nous libère de la peur et de l’instabilité, de la jalousie et de l’hostilité, de l’orgueil et de la mesquinerie. Dans l’ananda, nous sommes seul avec l’Unique.

Baba rappela aux lecteurs du Sanathana Sarathi que les initiales de Son Nom, SSSB, expriment l’étendue et la nature des domaines de pensée et d’action qui Le

199 préoccupent intimement. ‘’S’’ représente sangha (la société). Il recherchait, dit-Il, l’intégration et l’illumination de la société en tant qu’instrument d’élévation de l’individu qui y est moulé et modelé. Le second ‘’S’’ représente samskrithi (la culture). Il s’efforçait, dit-Il, de cultiver les instincts, les pulsions, les passions et les émotions de l’homme afin de promouvoir la paix et l’harmonie dans la société et la douceur et la sérénité chez l’individu. Le troisième ‘’S’’, dit Baba, représente sanathana (les valeurs éternelles). Il recherchait, dit-Il, la conservation et l’aboutissement des valeurs humaines, telles qu’elles furent découvertes et décrites par les voyants, les sages et les saints de tous les pays et de toutes les époques. Baba déclara que la lettre ‘’B’’ signifiait ‘’blocage’’ ! C’est-à-dire qu’alors que les trois ‘’S’’ indiquent Sa stratégie pour l’élévation humaine, tout ce qui ne s’y rapporte pas est ‘’bloqué’’ ; Il le considère comme indigne d’attention. Ces trois horizons délimitent le ministère du Sanathana Sarathi. Tout le reste sort de la compétence de la revue.

Même quinze années plus tard, Baba rappela aux personnes chargées de préparer et de publier le magazine, qu’elles doivent promouvoir assidûment, sans égard pour l’ostentation décorative ou pour le calcul des pertes et profits l’intégration de la race humaine.

Il nous assigna encore un autre devoir. ‘’L’homme peut maîtriser l’univers, mais que peut-il prétendre connaître quand il ne s’est pas maîtrisé lui-même ? Quand il n’a pas conscience de lui-même, il n’a pas connaissance du Connaissant. Le Sanathana Sarathi a pour mission l’affirmation de cette vérité, l’installation de cette vérité dans le coeur de l’homme, et l’insistance sur la pratique de cette vérité par chacun.’’

‘’Sathya et dharma—voilà ce que l’on devrait chercher à connaître, pas le monde de la nature, le corps ou l’esprit qui ne sont pas si essentiels, bien qu’une certaine connaissance les concernant est peut-être nécessaire et même inévitable comme équipement.’’ La connaissance, de n’importe quel type, a pour base l’Atma. Dans chaque objet, l’Atma se manifeste comme forme et fonction. Le Sanathana Sarathi a pour idéal la communication de cette expérience. Il consacre tous ses efforts à attirer les chercheurs dans une nouvelle aventure—réguler les activités de la vie individuelle et assagir la vie sociale. ‘’Puisse le Sanathana Sarathi s’écouler comme le dai (celui qui donne la joie qui comble), gonfler et déferler comme prema Saayi (l’Amour qu’est Sai) et parvenir à son accomplissement suprême dans sarva jiva samai kya vaandhi (l’union intégrale et océanique de tous les êtres), le but de la Conscience de l’Un sans second’’, bénit Baba. En 1978, Baba écrivit

200 encore : ‘’Le Sanathana Sarathi est le pont qui vous conduit à Moi et qui M’amène à vous’’.

Quelle grande pénitence, que porter le costume d’éditeur du Sanathana Sarathi : le magazine était reçu comme du prasad par les dévots. Le facteur qui l’apportait était accueilli avec reconnaissance et remercié à profusion. Il était placé sur l’autel devant le portrait de Bhagavan et lu avec respect. Très rapidement, les mains qui se tendaient pour saisir les copies se multiplièrent tellement qu’une cotisation annuelle de trois roupies dut être perçue pour faire face aux frais de la poste et aux autres frais. Baba n’était pas en faveur de campagnes pour recruter des abonnés, des donateurs ou des mécènes et Il n’approuvait pas non plus l’acceptation de cotisations de plus d’un an. Il voulait que les lecteurs décident par eux-mêmes s’ils désiraient prolonger le menu qui était placé devant eux. Baba rejeta la proposition de poster des lettres aux abonnés les avertissant qu’en cas de non-paiement pour une année supplémentaire, le Sarathi ne serait plus envoyé à leur adresse. ‘’Laissez-les décider. La faim qui tenaille est un avertissement suffisant,’’ dit-Il. ‘’Le Sarathi devrait être attendu, reçu, chéri et étudié avec avidité. Le manquer doit être aussi pénible que de ne pas avoir de compagnon de voyage dans un pays étranger,’’ dit-Il.

Nous ne devions pas non plus prospecter pour de la publicité. Dans le tout premier numéro, il fut clairement annoncé : ‘’Le magazine ne contient pas d’espace pour de la publicité commerciale.’’ Baba dit : ‘’Elle favorise les désirs débilitants, elle se développe par l’exagération et le snobisme.’’ ‘’Je suis Sathyasya Sathyam, la Vérité des Vérités. Pourquoi la Vérité est-elle venue sur terre sous forme humaine ? La réponse est : pour planter le désir ardent de la Vérité dans le cœur de l’homme, pour placer l’homme sur la route de la Vérité et pour aider l’homme à atteindre la Vérité par le biais d’un enseignement bienveillant et le don final de l’Illumination.’’ ‘’Le Sanathana Sarathi est le résultat de Mon sankalpa (volonté), de Mon utsaha (enthousiasme) et de Mon ananda (félicité). Rien ne peut faire obstacle, une fois que J’ai décidé d’un progrès dans Ma mission,’’ dit-Il en 1962 à l’occasion de la célébration de la Journée Annuelle du Sarathi, à Prasanthi Nilayam. ‘’Les lecteurs doivent apprécier le magazine pour l’instruction et l’inspiration qu’il apporte.’’

La remarque suivante fut publiée dans le tout premier numéro : ‘’Les articles qui sont la contribution des lecteurs ne seront acceptés que sur base de leur contenu philosophico-religieux. Ils doivent émaner de ceux qui s’efforcent de mettre en pratique ce dont ils parlent ou ce à propos de quoi ils écrivent. Des nouvelles

201 publiques ou des commentaires à propos des nouvelles publiques ne devraient pas être envoyés pour publication.’’ Beaucoup d’amis érudits qui se sont fait une place au panthéon de la renommée se sont plaints à moi que la prescription de ‘’s’efforcer de mettre en pratique ce à propos de quoi ils écrivent’’ les avait empêchés d’apporter leur contribution au magazine. Puisque Bhagavan utilise gracieusement le Sarathi comme véhicule principal de Ses messages et de Ses écrits et puisque Ses discours divins occupent la majeure partie du magazine, on peut certainement se permettre d’être ‘’difficile’’ pour ce qui est des contributions. Un frère qui m’a envoyé quelques articles un peu longuets n’a pas réagi aimablement après que je les aie quelque peu élagués. Son ressentiment explosa dans une tirade si pestilentielle que je dus lui renvoyer la lettre par le prochain courrier trempée dans du désinfectant. Ceci, heureusement, n’était qu’une pique isolée. Je dois reconnaître avec gratitude la commisération et l’indulgence dont les lecteurs m’ont généreusement comblé. Je n’ai jamais recherché les éloges ni les félicitations, car j’étais conscient de mes déficiences plus que n’importe qui d’autre. Je dois lutter avec elles à chaque instant de ma vie. Bhagavan m’a encouragé à me racheter pour toute défaillance et à me repentir pour toute maladresse.

Pendant de nombreux mois, le Sarathi fut rédigé pour moitié en télougou et pour moitié en anglais. Plus tard, les deux langues furent séparées. Mes accomplissements dans l’utilisation de la langue kannarienne qui me valurent une petite renommée comme figure littéraire s’avérèrent être un handicap lorsque je me mis au télougou. Des idiotismes, des locutions, des proverbes et des phonèmes kannariens apparaissaient furtivement dans mes phrases télougoues. J’essayai bien de les débusquer, mais je dois avouer ne pas avoit réussi aussi pleinement que mes lecteurs ne le désiraient. Chaque fois que Baba était physiquement absent de Puttaparthi, je passais des heures avec le directeur de l’école primaire du village à apprendre la lecture et l’écriture au moyen d’un manuel volumineux intitulé ‘’Pedda Bala Siksha’’, un manuel de connaissances utiles destiné à la population rurale. Mais le directeur ne put m’emmener bien loin et Baba insistait gracieusement pour que je ne Lui adresse la parole qu’en télougou. Pendant des années, cela me confina dans une misérable mutité. Quand enfin je trouvai le courage de parler, ma langue perpétra des maladresses, commit des impropriétés de langage et des solécismes, ce qui me valut à chaque fois une leçon de Baba sur la conjugaison, la déclinaison, la syntaxe et le genre télougou.

Baba exposa plusieurs de mes pétards mouillés à la moquerie publique pour que je ne puisse plus jamais jouer avec eux. Un jour, je luttais avec un mot étrange trouvé

202 dans un des articles de Baba que je traduisis en anglais. C’était ‘’Santhapakoadeelu’’. Je savais que ‘’lu’’ était la terminaison du pluriel en télougou. Les noms que se terminent par ‘’a’’ se transforment en ‘’alu’’, au pluriel et ceux qui se terminent par ‘’ee’’ en ‘’eelu’’. C’est ce que j’avais appris du directeur de l’école. Ainsi, je divisai ce mot en ‘’Santhapa’’ et en ‘’koadeelu’’, car je savais que ‘’koaadi’’ voulait dire volaille et ‘’koadeelu’’, c’est sûr, voulait dire ‘’volailles’’. Mais qui était ou qu’est-ce que c’était que ce Santhapa ? Il n’y avait aucune trace du mot au dictionnaire et personne à Puttaparthi ne pouvait m’aider. C’est ainsi que je dus aller voir Baba Lui-même. ‘’Qui est ce Santhapa ? Qu’a-t-il à voir avec des volailles ?’’ Il sourit et me demanda : ‘’Que se passe-t-il ?’’ Je répondis : ‘’Je dois traduire ‘’Santhapa’’ en anglais’’. Oh la la ! J’avais tout mélangé ! Santhapa était un spectre que j’avais moi-même inventé. Il fallait diviser le mot de six syllabes, non pas en 3 + 3 mais en 2 + 4 ! Santha (qui veut dire marché) et pakoadeelu (‘’pakoada’’ au pluriel). Ma conviction que ‘’pakoada’’ au pluriel devait donner ‘’pakodalu’’ m’avait conduit à des volailles appartenant à une personne appelée Santhapa. Ce qu’écrivait Baba, cependant, concernait des pakoadas, de savoureuses boulettes de farine frites dans l’huile vendues dans des paniers les jours de marché, qui mettaient en danger la santé de ceux qui étaient tentés par leur odeur. Baba a mentionné cette erreur élémentaire à l’occasion de discours donnés à des groupes d’enseignants Bala Vikas et de professeurs pour souligner l’importance d’une syllabation correcte.

L’épreuve de la correction n’était qu’un autre nom pour un duel avec l’apprenti imprimeur. Cette personne m’a frustré mois après mois et m’a privé de sommeil. Bien sûr, mes pages dactylographiées étaient pour la plupart à peine lisibles et hésitantes ! Mes caractères télougous étaient curieux et ‘’kannariens’’. Etant donné que chaque ligne avait des surannotations et des sous-annotations et que le compositeur n’avait pas beaucoup de talent linguistique, la tâche était en effet herculéenne. Les pages étaient habituellement retournées par moi surchargées de hiéroglyphes et truffées de corrections. Je dus par conséquent me féliciter que le lutin qui hantait l’imprimerie n’osa pas commettre plus de facéties que je ne pourrais m’en excuser.

L’alphabet de la langue anglaise est monolinéaire et par conséquent, l’apprenti ne pouvait faire passer clandestinement ses espiègleries en haut ou en bas. Mais l’alphabet télougou lui en donnait largement l’occasion, car il est trilinéaire. En anglais, thattwa est sur une seule ligne ; en télougou, ‘’tha’’ est sur la ligne et ‘’ttwa’’ doit former un ‘’tt’’ en-dessous de la ligne et un ‘’w’’ en-dessous même du

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‘’tt’’, trois lignes en tout. De même, ‘’may’’ en anglais est assez simple ; en télougou, ‘’may’’ = ‘’ma’’ avec ‘’ay’’ au-dessus de la ligne, mais cela ne rend pas le ‘’ay’’ suffisamment long. Il devient aussi court que dans ‘’mess’’ ou dans ‘’member’’. Pour indiquer cela, le son ‘’ay’’ doit être ajouté sur le ‘’ay’’ au-dessus de la deuxième ligne. L’apprenti désireux de vilipender le nom du correcteur dispose ainsi de plus d’occasions en télougou.

Un des tours que l’apprenti m’a joués est devenu historique puisque Baba l’a souvent cité dans Ses discours. La lettre télougoue ‘’R’’ comme dans ‘’Rshi’’ (ermite) est la lettre kannarienne ‘’bu’’ avec un signe comme un U ajouté. Durant le processus d’impression, l’apprenti cassa le signe U et laissa intact le ‘’bu’’ tronqué. Ainsi, cela devint ‘’bushi’’. Avec le mot qui succédait, ‘’koti’’, le texte devint ‘’bushikoti’’ et donna l’impression que Baba avait écrit que les ermites qui rendirent hommage à Rama dans les ashrams de la forêt portaient des sahariennes ! A chaque fois que cet incident était développé par Baba pour l’édification du peuple, je me tortillais sous la moquerie et les rires qu’il déclenchait. Souvenez-vous que j’étais professeur d’Histoire de l’Inde ancienne ! Mais chacun savait fort heureusement que tout cela, c’était pour rire. Je me levais ‘’puni’’ et joyeux à chaque fois que j’étais soumis à de telles taquineries.

Bien sûr, je ne pus continuer longtemps ces erreurs et fournir des modèles de lapsus qui doivent être évités ! Baba m’a aidé à survivre à d’autres diableries. Une fois, lorsqu’une telle farce suscita un raffut justifiable, le compositeur télougou amateur issu de la région kannarienne dut en supporter le blâme, et l’impression du magazine télougou fut transférée à Hyderabad, la capitale de l’Etat télougou, l’Andhra Pradesh. Quand il fut découvert que les coquilles étaient inévitables, quel que soit le compositeur et quel que soit l’endroit où était située l’imprimerie, l’expérience fut abandonnée. Le fait que mon nom continue comme éditeur du Sanathana Sarathi télougou constitue un autre miracle de Bhagavan.

Pendant à peu près un an, Narasimhachari, le seul aidant à la pédale, mit ensemble les caractères, prépara les pages et pédala pour avoir deux pages imprimées à la fois. J’offrais de l’aider dans la composition et dans le travail des jambes à chaque fois que je le voyais traîner ou somnoler. J’étais choqué qu’il acceptait mon offre à chaque occasion ! Ce travail était vraiment pénible, bien qu’il l’allégeait et l’éclairait en se chantant des bhajans pour lui-même.

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J’étais occupé pendant presque la totalité du jour et même pendant une partie de la nuit, étant donné que le nombre des abonnés augmentait rapidement. L’argent était envoyé par la poste ou payé directement par les dévots et les pèlerins qui réalisaient que le Sarathi était le lien entre le char et l’Aurige. A chaque fête célébrée à Prasanthi Nilayam, le registre des abonnés devenait plus volumineux. Des milliers de visiteurs qui vinrent baigner dans la Sainte Présence, désiraient s’assurer que la voix du Seigneur entrerait chez eux au moins une fois par mois.

Pendant plus de deux ans, moi et Narasimhachari nous supportâmes le joug. Nous étions anxieux de poster les numéros à la poste de Prasanthi Nilayam tout récemment ouverte le seize de chaque mois, comme annoncé dans le tout premier numéro. Nous savions que les dévots l’accueilleraient avec encore plus de respect, lorsqu’ils trouveraient sur le coin supérieur droit de l’enveloppe l’oblitération circulaire de la poste avec le nom grisant de ‘’Prasanthi Nilayam’’. Mais nous ne pûmes acquérir une rogneuse que beaucoup plus tard, longtemps après qu’une presse cylindrique ne soit installée pour faire face aux trois mille exemplaires que nous devions imprimer. Il fallait alors les rogner à Bangalore à plus de 160 kilomètres.

Ainsi chaque mois, après avoir terminé l’impression, je déposais la quantité des magazines anglais et télougous dans deux énormes caisses, je les conduisais à Bukkapatnam dans un char à bœufs, je les faisais hisser sur le toit du bus qui se rendait à Penukonda, et j’ordonnais au chauffeur de s’arrêter près du passage à niveaux, à environ trois cent mètres de la gare de Penukonda. Les caisses étaient descendues du bus et Narasappa, un porteur herculéen, les transportait sur sa tête, jusqu’au quai. Là, j’attendais l’arrivée du train de passagers à destination de Bangalore située à 136 km, et je faisais enregistrer les caisses comme frêt. A Bangalore, des porteurs les chargeaient sur une voiture tirée par des chevaux que j’orientais vers une imprimerie disposant d’une rogneuse. Ensuite, les caisses remplies des exemplaires parachevés étaient emmenées dans la maison d’un dévot, au cœur de la ville. J’y passais la nuit avec une douzaine de jeunes qui s’étaient portés volontaires pour mettre les magazines dans des enveloppes que j’avais amenées avec moi du Nilayam. Les magazines étaient donc prêts à être envoyés et nous pouvions dormir pendant le restant de la nuit. Le lendemain, tout le programme était répété pour le retour—la voiture tirée par des chevaux, les porteurs, le voyage en train, la gare de Penukonda, Narasappa, le passage à niveaux, le bus jusqu’à Bukkapatnam, le char à bœufs, et finalement le bureau de

205 poste de Prasanthi Nilayam afin d’y apposer le saint nom et permettre au précieux prasadam d’atteindre plus de trois mille foyers !

Permettez-moi d’ajouter que je fus aussi celui qui pendant plus de huit mois remplit la fonction de receveur des Postes ! Le ministre des Postes et des Télécommunications d’Andhra Pradesh avait insisté pour que lui soit présenté un pensionné du gouvernement de l’Etat comme receveur des postes potentiel, avant qu’il ne puisse autoriser l’ouverture d’un bureau à Prasanthi Nilayam. J’avais levé la main et attiré son attention. J’y fus officiellement installé et je dus percevoir des honoraires mensuels. Quelle aventure éreintante, mais profondément satisfaisante, ce fut ! Pas un murmure, pas même un gémissement à l’intérieur de moi-même pour qu’il en soit autrement, ne troubla le délice de ces jours.

Le magazine était consacré à l’Evangile de l’Avatar, son énoncé, son élaboration et son explication. L’Avatar apparaît, non seulement quand l’humanité renie Dieu ou défie Dieu, mais aussi quand les hommes ignorent que Dieu est leur moteur intérieur, leur mentor et leur maître, leur souffle même. Par conséquent, quand des hommes sont avides de partager leurs expériences à propos de l’amour, de la sagesse et du pouvoir de l’Avatar, des comptes-rendus authentiques sont publiés dans ses pages. Quand des exemples d’intervention de l’Avatar avec le comportement connu des lois de la nature me tentèrent, il me fut très difficile d’obtenir Son consentement. Invariablement, Il me répondait que ce n’étaient pas des démonstrations destinées à être publiées, mais seulement des expressions spontanées de Son Amour. Il n’ ‘’accomplit’’ pas, Il ne ‘’fait’’ pas de miracles. Ils se produisent simplement, parce que Son Amour ne connaît pas les frontières du temps et de l’espace, ni les limites du possible. Il est hors de portée de la logique boiteuse. Comment un poisson peut-il comprendre le ciel ?’’, demanda Baba à Arnold Schulman, lorsqu’il voulut qu’Il révèle Sa Vérité.

Je n’osais suggérer l’acceptation d’aucun compte-rendu personnel pour le Sanathana Sarathi avant de faire confirmer son authenticité. Toutefois, Baba bloquait généralement l’idée, car cela pouvait être pris pour de la ‘’propagande’’, la promotion d’un ‘’culte’’ et gonfler l’ego de la personne que nous présentions comme bénéficiaire de la Grâce. Quand je reçus de Manjeri, dans le Kerala, le récit de Baba rendant visite à un dévot, Rao, qui passa là-bas plusieurs heures à écouter des bhajans, qui chanta même quelques chants et qui accorda aussi des entretiens privés, je dus Le supplier pendant des jours de me permettre de le publier dans le Sarathi. Le jour où Il se trouvait à Manjeri, Baba se trouvait au

206 palais de Venkatagiri situé à près de mille kilomètres de là, et ce soir-là, Il prit la parole devant une grande assemblée à Kalahasti, à environ cinquante kilomètres. En fait, Ramananda Rao fut prévenu par Baba à Manjeri, quand Il s’apprêtait à partir, qu’Il avait un engagement à Kalahasti. Ramananda Rao pensa que c’était quelque part tout près de Manjeri—le nom de la résidence d’un dévot, peut-être. Il ne fut pas autorisé à suivre Baba dehors, sur la route.

Lorsque ma joie d’obtenir de telles preuves indiscutables devint par trop incontrôlable, Baba me conseilla de récolter tous les détails chez les personnes qui avaient partagé cette expérience, avant d’en imprimer le compte-rendu. Le Dr Karlis Osis, Directeur de Recherches pour l’American Society for Psychic Research repéra l’article. Il vint en Inde, me contacta, et après s’être procuré des lettres d’introduction, il se rendit à Manjeri et à Venkatagiri pour y rencontrer les gens qui avaient été les témoins de cette expédition bilocale de l’Avatar. Il m’écrivit qu’il avait été amplement récompensé par les résultats de son enquête et il a inclus cet épisode, ainsi que quelques autres dans son rapport de ce qu’il a appelé les ‘’expériences extracorporelles’’ liées à Baba. Howard Murphet aussi prit soin en citant dans son livre, ‘’Sai Baba, l’Homme des Miracles’’ des histoires du Sanathana Sarathi, de vérifier personnellement leur authenticité. Par exemple, il écrit dans le chapitre ‘’D’autres guérisons miraculeuses’’, ‘’Je décidai d’enquêter’’, et puis, ‘’Je reçus une lettre du professeur dans laquelle il confirmait la description originelle du cas tel qu’il fut publié dans le magazine.’’

Vers 1967, des récits mentionnant divers phénomènes étranges commencèrent à affluer de tout le pays, par lesquels l’Avatar annonçait Son Avènement au monde. Baba appelle ‘’cartes de visite’’ les cadeaux qu’Il crée pour un usage personnel comme la vibhuti, les bagues, les médaillons, les montres, les talismans, etc. L’Avatar les distribue abondamment et le Sanathana Sarathi ne peut pas endiguer rigoureusement le flot d’extase chez les bénéficiaires. Baba surveille mon enthousiasme et tient fermement les rênes, car ces cadeaux sont trop personnels, trop intimes et souvent même trop ésotériques pour être mentionnés par écrit. A côté de ces ‘’cartes de visite’’, Baba fabrique aussi des ‘’posters géants’’ pour que les hommes prennent conscience de Son Avènement. Un signal clair est la pluie continue de vibhuti ou de nectar sucré et odorant qui tombe des portraits qui sont vénérés sur les autels domestiques ou publics. Nuit et jour, depuis des années et des années, le nectar s’écoule des photos et peut être collecté et partagé. Lorsque certains de ces actes de grâce reçurent de la publicité, des dévots qui n’avaient pas été bénis par cette preuve de loyauté envers Baba se sentirent humiliés et tentèrent

207 de gagner l’estime d’autrui en ayant recours à de fausses déclarations. Par conséquent, le Sarathi dut régulièrement délivrer des avertissements contre les truqueurs et les escrocs qui trompent les imprudents en revendiquant des miracles dans leurs maisons, par la Grâce de Baba !

Un exemple de ‘’pluie de vibhuti’’ matérialisée par l’entremise d’un portrait de Sathya Sai Baba

Il fallut également attirer l’attention sur quelques personnes fragiles, hystériques et mégalomanes qui s’imaginent être possédées par Bhagavan et que des gens crédules approchent par erreur pour recevoir conseils et cadeaux. Bhagavan s’oppose aux demandes de dons pour tout projet réalisé en Son nom ou pour promouvoir les objectifs de l’Organisation Sathya Sai de Seva, mais puisque cette attitude est partout étrangère aux pratiques courantes, des escrocs apparaissent dans les pays où Bhagavan est adoré comme le Divin, et ils peuvent ramasser un pactole avant d’être découverts et écartés. Le Sarathi ne cesse de conseiller aux lecteurs de ses douze éditions de ne pas faire de donation à tout qui les approche au nom de Baba.

208

Pendant près de 25 ans, le Sanathana Sarathi s’est efforcé de répandre les enseignements de Baba. Bhagavan a accordé au Sarathi la faveur inestimable de porter chaque mois Son message à la porte des chercheurs. Il est à présent publié en hindi, en sindhi, en marathi, en népali, en oriya, en assamais, en tamoul, en kannara et en malayalam, en plus du télougou et de l'anglais. Tout récemment, le Sanathana Sarathi japonais a rejoint la famille.

Bhagavan a prescrit que seule de la vibhuti ou de la cendre sacrée soit offerte aux dévots après les séances de bhajans et les autres réunions. Le Sarathi est une offrande tout aussi simple, mais puissante. Il ne comprenait jamais plus que 32 pages (format crown 1/8) ou 30 (format double crown). Pendant plus ou moins deux ans, il accueillit sur sa page de couverture de simples dessins au contenu spirituel. Pendant la fête de Shivarathri en 1970, Baba dessina au stylo sur le dos d’une enveloppe usagée une figure avec les symboles sacrés des cinq religions majeures du monde, avec le lotus au sommet d’un pilier en son centre indiquant le sadhaka luttant le long de l'une de ces voies et remportant la victoire. Ce dessin a pris une forme concrète. Celle-ci a depuis lors été acceptée comme illustrant l’universalité du Message de Sai. Le monde qui souffre d’une angoisse terrible à cause de la haine entre des groupes prônant l’allégeance à des fois, des croyances et des cultes particuliers trouve aujourd’hui un réconfort dans ce symbole et le message qu’il représente : ‘’Il n’y a qu’une seule religion, la religion de l’amour’’.

Le sarvadharma stupa qui illustre le message de Sathya Sai Baba

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Bhagavan a été le collaborateur le plus régulier du magazine. Chaque mois, le magazine est béni de présenter au moins quatre pages de Ses précieux écrits comprenant des enseignements sur prema, dharma, prashanti et jnana, sur la Gita, les Upanishads, le Bhagavatha et le Ramayana ainsi que les base de (la connaissance supérieure) et de la réalité atmique. En me rendant chaque mois dans Sa Présence pour Lui présenter les éditions anglaise et télougoue du Sanathana Sarathi, je monte les marches avec appréhension. Je les descends avec un frisson dans le cœur et une exclamation dans la tête après avoir reçu Sa contribution pour le numéro du mois suivant, la longueur de l’article étant identique, mois après mois. L’expression—douce et agréable, simple et substantielle—évite le pédantisme et la prolixité. La calligraphie charme le regard. L’énigme métaphysique la plus compliquée est résolue par une parabole ou un proverbe. Les profondeurs de la sagesse védique, de la théologie chrétienne ou du mysticisme musulman sont éclairées par Lui et se reflètent de façon indélébile dans Ses expressions et dans Ses métaphores.

Bien que Baba nous encourage à cultiver et à clarifier notre intellect et à sublimer nos émotions pour que nos activités soient rendues plus fructueuses, Il sait que notre manque d'empressement inné peut souvent nous faire trébucher alors que nous sommes occupés à des tâches qu’Il nous a confiées, aussi est-Il prêt avec des solutions et des méthodes pour nous sauver à chaque fois que nous nous retrouvons dans les problèmes. Je me rappelle une fois où j’avais négligé d’annoncer dans le magazine une fête célébrée annuellement à Prasanthi Nilayam. Il me dit : ‘’Ceci prouve que vous avez été négligent dans le de la Gayatri’’. C’était un rappel de la valeur de l’ancienne sagesse et une réprimande pour avoir opté pour la voie facile de réduire mes tâches obligatoires.

Baba pense, planifie et décide pour nous en anticipant les embrouilles et les hésitations possibles et en nous conseillant à temps à propos d’imprudences imminentes. Sa Présence infaillible, où que je me trouve, quelle que soit la tâche à laquelle je suis occupé est la Lumière qui m’a conduit pendant ce quart de siècle de journalisme spirituel dans deux langues pour lesquelles je ne puis prétendre à beaucoup de maîtrise.

Un après-midi, alors que je me trouvais, non pas seul, mais en conversation active avec moi-même sous la véranda de l’imprimerie, un monsieur qui passait par-là s’arrêta pour me demander : ‘’Y a-t-il des livres sur Swami, ici ?’’ Je répondis : ‘’Non, nous imprimons seulement un magazine mensuel’’. Il poursuivit son chemin,

210 plutôt déçu. On pouvait voir la véranda depuis le premier étage du mandir. Baba avait observé la scène. Il me fit appeler et je me hâtai de me rendre en Sa Présence. ‘’Qu’est-ce que cette personne vous a demandé ?’’ ‘’Elle a demandé s’il y avait des livres sur Swami,’’ répondis-je. ‘’Et que lui avez-vous dit ?’’, fut la question suivante. ‘’Je lui ai dit qu’il n’y en avait pas.’’ ‘’Ce n’est pas la bonne réponse. Vous auriez dû lui dire que ce Swami ne peut pas être compris au moyen de livres’’, dit- Il, et Il m’autorisa à sortir. Je descendis les marches, plus sage, en raison de l’aperçu qu’Il m’avait donné de Son impénétrabilité et plus triste à la perpective qu’il n’y avait aucun livre de publié sur Swami, pas même le mien. Baba me regardait alors que je me dirigeais lentement vers l’imprimerie. A mi-chemin, je me retournai pour regarder dans Sa direction avec des yeux humides. Je sus alors qu’Il avait lu dans mon esprit car Il agita Sa main rassurante pour apaiser cette bouffée de chagrin.

La consolation fut rapidement octroyée. Baba séjourna chez des fidèles de Madras et de Venkatagiri pendant quelques jours. A Puttaparthi, nous espérions qu’Il rentrerait pour la fin de la semaine, mais sa voiture emprunta une route récemment macadamisée et rentra, à notre grande surprise, le jeudi même. Il me fit appeler. Mon cœur battait à tout rompre. Qu’est-ce qui m’attendait ? Avais-je fait quelque chose de répréhensible ? Dit ou même pensé du mal d’autrui ? Ma mère qui s’était rendue compte que j’étais appelé en Sa Présence, se mit à prier pour que je sois pardonné pour toute bévue que j’aurais commise. Je me présentai devant Lui. Il sourit devant mon état, me regarda de la tête aux pieds et Il dit : ‘’A Madras et à Venkatagiri, on demande : ‘’Y a-t-il des livres sur Swami ?’’, et vous, vous restez tranquillement assis ici !’’

Onze années après cette première rencontre à Bangalore, Baba avait décidé que le temps était mûr, que le monde avait développé l’appétit et que le livre pouvait être servi aux affamés. Lorsque le texte dactylographié fut presque prêt, je m’efforçai de découvrir un titre digne de l’Avatar. Baba avait fait inscrire les lettres SSS sur le parapet du premier étage de Prasanthi Nilayam. Il faisait souvent allusion à Lui- même comme à SSS. Par conséquent, je décidai que Sa Vie devrait contenir dans son titre trois mots commençant chacun par S. Il devait aussi faire passer des vibrations divines et communiquer la gloire de Dieu dont le livre était censé raconter la leela. Je parcourus les domaines védique, upanishadique et épique, mais je ne pus trouver une meilleure expression que ‘’sathyam jnanam anantham’’ qui exprime Dieu ou Brahman. SSS est Sri Sathya Sai, Sathyam doit être dans le titre, mais que doivent être les deux autres S ? Santham, sundaram, sivam, santosham,

211 sukham ? Je posai la question à beaucoup de gens. Pour finir, une nuit en attendant le train sur le quai de la lointaine Davangere, je décidai que ‘’Sathyam Sivam Sundaram’’ serait approprié et authentique.

Baba le bénit à l’instant où je Le consultai à Nandanavanam, Whitefield. Il entra dans l’autre pièce à l’arrière et rapporta un album de photographies. Il me montra trois photos de Lui-même assis sur le même siège à Nandanavanam, prises l’une à la suite de l’autre par Matthews (maintenant Saidas), en disant : ‘’Vous pouvez avoir ces trois photos ensemble, côte à côte, sur la couverture. Regardez ! Celle-ci est un peu sérieuse, Sathyam. Ici, vous Me trouvez avec l’esquisse d’un sourire, Sivam et celle-ci est un large sourire, Sundaram. Sathyam, Sivam, Sundaram est bien,’’ me dit-il avec une tape sur l’épaule.

‘’Sathyam Sivam Sundaram’’ possède une touche distinctement upanishadique, bien que sa source n’est pas facile à trouver,’’ dit K. Guru Dutt lorsqu’il entendit le titre. Ces mots signifient ‘’Vérité, Bonté et Beauté’’, et puisque Baba est la synthèse la plus harmonieuse des trois, il a fait que les lecteurs et les dévots acquiescent volontiers quant à sa pertinence. Deux ans après que la biographie soit publiée, le jour de Mahasivarathri, Baba me bénit avec Brahmasri Doopaali Thirumalachar (dont la traduction du livre en télougou avait été offerte à Bhagavan ce jour-là). Il plaça sur nos épaules des châles avec des bordures en brocart. Ce jour-là, Il dit à l’immense foule de dévots : ‘’Certains d’entre vous peuvent se demander pourquoi j’ai aimé la publication de ce livre sur Ma vie ! Eh bien, J’ai répondu aux prières des dévots et Je leur ai permis de l’écrire. ‘’Ramayathi ithi Rama’’. (Celui qui fait plaisir est Rama). La joie du dévot procure de la joie au Seigneur, la joie du Seigneur est la récompense du dévot.’’

‘’Le titre donné au livre est plein de signification,’’ dit Baba. ‘’Il parle de Moi comme immanent en chacun d’entre vous ! Souvenez-vous que sathyam est la Réalité de base de vous tous. C’est la raison pour laquelle vous n’aimez pas que l’on vous traite de menteur. Le ‘’Vous’’ réel est innocent de tout mensonge. Le ‘’Vous’’ réel n’acceptera pas cette imputation. Le ‘’Vous’’ réel est bonté, joie, bonheur, prospérité, sivam. Il n’est pas savam (une chose morte et méprisable). Il est subham, nithyam, anandam. Comment pouvez-vous supporter alors que l’on vous dise mauvais au lieu de vous acclamer comme bon ? Le ‘’Vous’’ réel est beauté, sundaram. Vous n’aimez pas être traité de laid. Vous êtes l’Atma et vous n’aimez pas que les difformités et les défauts du véhicule physique vous soient attribués.’’

212

Ainsi, c’était Baba qui me conduisit à prendre cette décision que j’osai prétendre être la mienne. Il y a quelques années, le Dr S. Bhagavantham attira mon attention sur un livre de traductions télougoues des conférences de Swami Vivekananda sur le , données en Amérique. Le traducteur avait utilisé les mots ‘’sathyam sivam et sundaram’’, dans cet ordre. Je me mis en quête du discours anglais original, et voilà ! Vivekananda parlait de l’arrivée de l’Avatar du ‘’Seigneur de la Vérité’’ (Sathya Sai). Le swami avait annoncé qu’Il révélerait les choses les plus merveilleuses concernant la Vérité, la Bonté et la Beauté ! Ainsi, j’eus l’impression que le titre m’avait été communiqué par Guru Maharaj via Vivekananda.

Il y a quelques mois, un autre fait attira mon attention qui mit fin au dernier vestige d’ego et qui m’assura au-delà de tout doute que lorsque je décidai de la combinaison SSS, c’était Lui qui me révéla le titre de la biographie. Lorsque mes yeux tombèrent récemment sur le début du Rama Charitha Manasa de Goswami Tulsi Das (Githa Press, Gorakhpur), je vis ces trois mêmes mots sur la page de couverture : Sathyam Sivam Sundaram ! Le ‘’Nivedam’’ expliquait pourquoi ces mots étaient là. Il y eut, semble-t-il, une controverse entre les pandits de Bénarès, quant au respect dû à une version du saint Ramayana dans la langue vulgaire. Ils décidèrent finalement de déposer le manuscrit dans le sanctuaire intérieur du fameux temple de Shiva devant le Visweswara lingam, avec la prière que Lui, le plus grand dévot du Principe de Rama juge l’œuvre dans Son infinie sagesse et écrive dessus Son verdict quant à son acceptabilité. La porte du sanctuaire fut verrouillée et les pandits se retirèrent en espérant qu’elle serait condamnée comme l’œuvre douteuse et sacrilège d’un roturier. A l’aube, quand le paquet fut sorti, ils trouvèrent à leur plus grande surprise les mots ‘’Sathyam Sivam Sundaram’’ écrits de Sa main (apne Haath se, comme le dit le Nivedam) et un lingam dessiné comme signature divine. Quelle coïncidence miraculeuse que celle-ci ! Que ma recherche de trois mots, chacun commençant par un S, m’ait conduit au titre approbateur par lequel le Seigneur Shiva a reçu la biographie immortelle d’un autre Avatar de Dieu me confond par la magnitude de la bénédiction divine.

Le titre du livre fut accepté par Baba comme un Nom par lequel Lui aussi peut être reconnu. Lorsqu’Il se leva pour s’adresser à une foule de gens debout sous une pluie battante, abrités sous une forêt de parapluies sur la crête et les côtés d’une colline (appelée Srisailam par Rabindranath Tagore, quand il séjourna là-bas dans le Kerala), après avoir placé la première pierre d’un Sathya Sai Vidyapeeth sur cette éminence, Baba voulut se révéler aux milliers de gens désireux d’entrevoir le mystère. Alors jaillit un couplet en sanscrit, tel un quadruple éclair de lumière :

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Sarva naama dharam, santham Sarva roopa dharam, sivam Satchidaananda roopam, adwaitham Sathyam Sivam Sundaram

J’adopte tous les noms (la paix, l’équanimité) ; J’adopte toutes les formes (la bonté) ; Je suis l’Etre, la Conscience, la Félicité (la non-dualité) ; La Vérité, la Bonté, la Beauté.

Dans le livre, je me suis étendu sur les trois mots en creusant leurs implications, avec l’aide d’intuitions occasionnelles octroyées par Baba. Il est le substrat, la substance, le séparé et la somme—Sat, l’Etre, Sathyam. Il est la conscience, l’activité, le sentiment, la volonté et le faire—Chit, Sivam. Il est la lumière, la splendeur, l’harmonie, la félicité, la mélodie—Ananda, Sundaram’’.

Le livre se retrouva entre les mains des dévots et de ceux dont le sentiment de curiosité et d’émerveillement fut éveillé par ouï-dire, et aussi celles de ceux qui redoutaient l’avènement d’un nouveau culte ! Je reconnus que les dévots de Baba pouvaient l’estimer superflu car Baba était alors âgé de trente-quatre ans et Son ministère avait attiré des milliers de personnes à Ses pieds. Elles pourraient m’en vouloir pour la narration plutôt froide, inévitable quand Baba est décrit sur papier. J’écrivis : ‘’D’autre part, ceux qui n’ont pas connaissance de Baba pourraient me rejeter comme un fanatique, voire pire. J’ai beaucoup de sympathie pour eux, parce que moi aussi j’ai objecté, j’ai douté et je n’ai pas cru, en témoignent tous les sarcasmes et la satire des romans, parodies, pièces et essais que j’ai écrits en anglais et en kannara et que j’ai publiés de 1923 à 1948. Pendant de longues années, moi aussi dans mon stupide orgueil, je n’ai fait aucun effort pour Le rencontrer.’’ ‘’A présent, j’invite tout le monde à venir et à partager avec moi Sa grâce et Sa miséricorde et à être témoin, tout comme moi, du pouvoir divin qu’Il personnifie.’’5

M. John Moffit Jr. qui collabora avec Swami Nikhilananda à New York, lorsqu’il prépara la version anglaise de l’Evangile de Sri Ramakrishna, m’écrivit après un long entretien avec Baba qu’il avait vécu une heure avec Sri Ramakrishna en personne—‘’la même profondeur et le même enjouement—la plénitude, le même amour et le même rire, la douceur et la sérénité.’’ Je dois rapporter que mon cher

5 Ici j’ai dû couper un paragraphe, car il manquait une ligne complète dans la version anglaise, NDT.

214 ami Swami Siddheswarananda me complimenta pour avoir Baba comme Maître. Une Argentine, Mamita, fut pendant plusieurs années la voisine et la ‘’mère’’ des moines de l’Ordre Ramakrishna à Bangalore. Elle reçut la grâce de Baba, car elle aussi avait à cœur de servir celui qui sombre et celui qui lutte. Bien qu’âgée de plus de 65 ans, Mamita ne ratait jamais une occasion de visiter Puttaparthi, où elle passait plusieurs jours à méditer les paroles upanishadiques de Baba et où elle donnait un coup de main aux dévots pour servir et pour nettoyer. Elle prenait plaisir à laver, sécher et repasser les vêtements. Quand elle rentra chez elle en Argentine, elle emmena avec elle le jeune fils de son hôte à Bangalore. Elle passa par Paris et séjourna chez Gopal Maharaj, au Centre Ramakrishna. Elle lui décrivit Baba comme l’espoir de cet Age. Elle confirma la validité de mes lettres à Maharaj. Je lui avais dit que Baba était un Phénomène Divin qui ne peut jamais être expliqué, mais qui peut toujours être expérimenté. Mamita m’écrivit de par les mers que Baba lui avait conféré la vision de son bien-aimé Sri Krishna et qu’elle était très heureuse et paisible. Des années plus tard, lorsque mon fils rendit visite à Gopal Maharaj à Paris en se rendant au Canada, il entendit dans le ‘’salon’’ de Swamiji un magnétophone qui jouait des bhajans chantés à Prasanthi Nilayam. Ainsi, nous étions de nouveau sous la même ombrelle.

Mon cœur était rempli d’hommage pour Sri Ramakrishna Paramahamsa qui m’avait conduit à Sathya Sai. Plus j’observais Baba et plus je L’écoutais, plus j’étais dans la compagnie joyeuse de Ses dévots, plus j’étais heureux. Mes anciens collègues et amis déplorèrent que j’avais déserté la langue que j’avais adorée, que le champ humoristique que j’avais cultivé pendant des années était en jachère. Mais ils ne connaissaient pas la langue qui réjouit le cœur ni la paix et la tolérance que l’on peut développer par la compréhension compatissante des aspirations et des angoisses de la race humaine.

Après huit années de plus dans la présence de Baba, quand la seconde partie de Sathyam Sivam Sundaram fut écrite et publiée, je les invitai ainsi : ‘’Venez, donnez- moi la main. Nous parcourrons page après page et partagerons l’émerveillement et la sagesse, la crainte admirative et le mystère, la vérité et le témoignage, la gloire, la grandeur et l’abondance de paix’’. A l’aube de ma septante-cinquième année, je finis la troisième partie de la biographie. Dans l’introduction, je citai une déclaration de Baba : ‘’Je ne suis ni homme ni Dieu, ni ange ni esprit. Je ne dois pas être étiqueté comme appartenant à une des quatre castes ou comme progressant dans un des quatre stades de la vie. Connaissez-Moi comme Celui qui enseigne la Vérité, comme Sathyam, Sivam, Sundaram.’’ Je tentai aussi de mettre en mots ce qui pour

215 moi devenait plus clair au fil des années, que tous trois n’étaient que des facettes de l’Amour qu’Il est : l’Amour en pensée est Vérité, Sathyam ; l’Amour en action est Bonté, Sivam ; l’Amour en sentiment est Beauté, Sundaram.’’

La quatrième partie de ce livre fut écrite et publiée dix ans plus tard. Je dus confesser dans les pages d’introduction de ce livre qu’ ‘’il est devenu presque impossible d’arriver à suivre la multiplicité toujours croissante de la manifestation de la divinité qu’est Sai. L’amour tout-puissant nous submerge dans un silence plein de félicité ; la puissance qui englobe tout nous fait prendre conscience de nos insuffisances. Néanmoins, le divin en nous nous attire vers Lui, alors même qu’Il nous recherche—le faible comme le fort—pour nous entourer de Sa protection rassurante.’’

216

L’AMOUR EN MARCHE

Un professeur de l’Université d’Arizona décrivit Baba comme ‘’l’amour en marche’’. En marche ou bien assis, parlant ou silencieux, Baba est l’amour, tout le temps, pour tous, en tous lieux. Son amour est si pénétrant qu’Il observe et corrige la moindre faute de grammaire dans notre langage, la récurrence d’un tic dans nos gestes ou la plus petite apparition d’orgueil dans notre comportement. Une heure en Sa Présence vaut plusieurs leçons de bonnes manières, de savoir-vivre et de sadhana spirituelle. Mon télougou subit encore un élagage de ses soins et mon anglais aussi est sujet à Sa correction et à Son examen vigilant. Il a souvent remarqué que je ne réponds pas immédiatement avec un geste similaire, quand quelqu’un me salue avec un ‘’namaste’’, les mains jointes. Il me met en garde contre ma tendance à débobiner de longs monologues à chaque fois qu’une oreille complaisante me prête attention. Il me conseille de m’asseoir bien droit, sans être voûté et sans m’affaler. Il remarque les vêtements que je porte et Il insiste pour que le dhoti et la chemise soient tous les deux immaculés. Il n’a toujours pas exprimé (en 1985) Sa satisfaction quant à ma manière de porter le dhoti, car même celui long de 10 coudées et large de 54 pouces, le dhoti de Calcutta qu’Il me donne dépasse ma compétence vestimentaire. Il cite les Ecritures pour m’instruire sur le rituel du port du dhoti. Les textes disent que les brahmanes (ce que je suis) devraient porter le dhoti de façon à ce que les muscles des mollets ne soient pas apparents. Les muscles de mes mollets sont déraisonnablement saillants. En désespoir de cause, j’ai souvent envisagé de les cacher sous des pantalons, mais les n’ont pas autorisé cette impertinence vestimentaire. Et Baba n’encourage pas à changer de vêtements à mi-chemin. ‘’Quand un homme a projeté une image de lui-même comme l’expression authentique de la culture qu’il aime et qu’il vit, il ne devrait pas la ternir ou la vernir quand un caprice passager saisit son imagination’’. C’est Son conseil.

A propos de manies, je dois avouer avoir développé un attachement pathétique à l’explétif ‘’idiot’’ depuis ma période scolaire, quand N.R. Subba Iyer, le professeur que j’adorais, se plaisait à l’utiliser envers Pierre, Paul et Jacques. J’attrapai sa maladie et ce mot devint une exclamation inévitable pour exprimer tout degré de déplaisir. Beaucoup le prirent comme le signe d’un complexe de supériorité et étaient naturellement blessés quand leurs amis étaient ainsi apostrophés par moi, bien que ce n’était pas du tout une pique que ma langue décochait. Baba exorcisa ce mal de mon vocabulaire, lorsqu’un jour Il me fustigea plutôt sèchement : ‘’Ne blessez jamais l’amour-propre de quelqu’un intentionnellement ou non,’’ me

217 conseilla-t-Il. Par Sa grâce, ce mot a disparu de mon arsenal. Baba ne fait pas qu’aimer ; Il est attentif.

La sadhana est un processus qui dure toute la journée pendant toute une vie, selon Lui. Ainsi notre allure ne doit être ni trop rapide ni trop lente, la respiration doit suivre rigoureusement le rythme de Soham, l’attention doit être pleinement concentrée sur le travail en cours, sans remords pour le passé ni inquiétude pour l’avenir. Il faut faire attention à ce que personne ne se sente injurié, insulté ou encore dénigré par nos paroles. Le contentement et la joie doivent saturer chacune de nos pensées, chacun de nos mots, chacun de nos actes.

Un jour, alors que nous nous trouvions dans une ville de province avec Swami, un jeune homme demanda à notre hôte une tasse de lait battu, une heure avant le déjeuner. Celle-ci fut dûment apportée, bien qu’après un délai d’une quinzaine de minutes. Il faisait chaud et sa soif fut étanchée. Baba entra nonchalamment et vit la tasse vide sur le rebord de la fenêtre. Découvrant que l’un d’entre nous l’avait demandée et qu’il avait troublé notre hôte pour la lui servir, Baba devint réellement furieux. Il désira que nous soyons satisfaits avec ce qui nous était donné, que nous gardions le contrôle de nos désirs, que nous compatissions avec les difficultés que les autres sont forcés de rencontrer à cause de nous et que nous pratiquions l’indulgence à tout prix. Il entra ainsi dans le détail des bonnes manières à table et de la nécessité de nous abstenir de demander une deuxième portion. L’incident pouvait sembler bénin, mais Baba l’utilisa pour nous inculquer la sadhana de la domestication de nos sens.

Lorsque Baba nous accorde le privilège de faire partie du groupe qui L’accompagne lorsqu’Il visite un lieu ou qu’Il séjourne chez un hôte, Il nous donne une leçon de pratique spirituelle, car nous devons être humbles, silencieux, satisfaits et droits. Nous devions nous tenir sur la pointe des pieds, à tout moment. Baba décidait, sur le moment même, de visiter une école, de rencontrer un groupe de dévots ou de donner Son darshan au cours d’une séance de bhajans sur les sables ou le lit d’une rivière ou au bord de la mer. Il nous fallait Le suivre dans la trouée qu’Il effectuait dans la foule et trouver des sièges pour nous-mêmes sur l’estrade, soit à côté ou derrière le fauteuil placé pour Lui. Nous devions guetter un signal du coin de l’œil, surtout pendant les bhajans qu’Il chante pour couronner Son discours. Celui-ci nous invitait à sortir suffisamment tôt pour prendre nos places dans la voiture de manière à ce que dès qu’Il monte à l’intérieur, Il puisse démarrer avant que les gens n’entourent le véhicule pour avoir Son darshan. Très souvent, il devient

218 extrêmement difficile pour Lui de se faufiler gracieusement dans la foule des dévots. Par conséquent, si la congrégation perd le contrôle d’elle-même, Baba s’arrange pour qu’une voiture modeste L’attende à côté d’une porte de service, tandis que le véhicule qui L’a amené sur place est stationné devant l’entrée principale.

La même tactique doit être employée quand Baba voyage à la tête d’une longue file de voitures sur les routes nationales du pays. Il s’assied dans la toute première voiture qui est ordinairement ignorée comme la voiture pilote. Lorsque Baba doit se rendre quelque part, Il ne fait pas attendre des milliers de personnes pendant des heures. Ainsi Il circule rapidement le long des foules venues pour recevoir Son darshan et s’ils ont de la chance, sparshan et même sambhashan. En deuxième position, la voiture qu’Il utilise généralement, dont le numéro d’immatriculation est largement diffusé, continue. Les dévots regardent dans la voiture dont le numéro est gravé dans leur mémoire, puis retournent en s’en voulant de ne pas s’être rendus suffisamment tôt au village où le discours devait commencer. Quand Baba sait que les groupes au bord de la route sont disciplinés en plus d’être dévoués, Il ralentit et s’arrête même pour satisfaire leur désir ardent. Souvent, Il se tient sur le marchepied pour bénir les grands rassemblements de Son darshan.

Parfois, Il n’hésite pas à monter carrément sur le capot !

219

En de rares occasions, quand Il a du temps libre, Il circule entre les parterres fervents d’hommes et de femmes disposés sur de longues files avec suffisamment d’espace et Il répand Son sourire rafraîchissant sur la multitude. C’est ainsi que progresse l’entourage de l’Avatar, que la route aille de Kanyakumari à Madurai, de Chandigarh à Simla, de Jammu à Srinagar, de Vijayawada à Rajahmundry ou de Coimbatore à Trivandrum. Des hommes, des femmes et des enfants de toutes fois et de toutes castes sont attirés par cet Aimant Cosmique hors des taudis et des palais, des champs et des usines, des écoles et des bureaux, par centaines et par milliers pour entrapercevoir le visage qui les libère des fers qu’ils se sont forgés par crainte de la liberté qui est leur dû.

Etre dans la même voiture que Bhagavan lorsqu’Il part en voyage, qu’il soit long ou court, c’est être béni d’une cascade de joie ininterrompue. Baba n’aime pas voyager seul, ni même avec une personne ou deux. Lorsqu’à Prasanthi Nilayam, Il entre dans la voiture en agitant la main en direction des dévots qui luttent pour ravaler leurs sanglots, il n’y a normalement qu’une ou deux personnes assises avec Lui dans la voiture. Les dévots hypersensibles, mais trop peu compréhensifs, auraient été tristes de voir la voiture remplie à ras bord et Baba pris dans le paquet. Ainsi, bien qu’Il était assis seul sur le siège arrière lorsque la voiture quittait le Nilayam, les passagers que Baba avait préalablement choisis pour L’accompagner étaient

220 partis à l’avance et attendaient un peu plus loin pour monter. La même tactique est employée pour le retour au Nilayam. La foule qui se rassemble devant le Nilayam pour L’accueillir voit seulement Bhagavan descendre, les autres descendent plus tôt en vue du Mandir.

Baba n’encourage pas les gens à utiliser la chance de la proximité avec Lui dans le véhicule pour obtenir des réponses à des problèmes personnels. Il incite chacun à L’interroger à propos de la sadhana et à exposer devant le groupe les difficultés qu’il rencontre dans cette sadhana. Une fois, la doctrine du karma fut analysée sous Sa supervision sur une distance de plus de trente kilomètres ! ‘’Ce n’est pas une loi implacable,’’ dit-Il ; ‘’si c’était le cas, pourquoi la Grâce interviendrait-elle ?’’, demanda-t-Il. ‘’La Grâce peut adoucir sa rigueur et enrichir de joie sa moisson. Jnana peut atténuer le coup. Bien qu’on ne puisse rappeler la balle à l’intérieur du révolver, l’on peut cesser de tirer et échapper au désastre,’’ dit-Il. ‘’Et repentez- vous, de sorte que l’esprit soit purifié de la haine,’’ ajouta-t-Il. Une autre fois, Il demanda à chacun de parler sur le sujet de la bhakti et ce qu’il entendait par-là. Après que tout le monde eut terminé, Il clarifia les choses. ‘’Quand vous vous êtes libérés de la vibhakti, la bhakti se manifeste.’’ ‘’Vibhakti signifie séparation, division, morcellement, multiplicité. La bhakti veut dire l’amour de Dieu. Vous ne pouvez pas aimer Dieu sans aimer le vivant et le non-vivant,’’ expliqua Baba. Quand quelqu’un demanda : ‘’Swami ! Dans la Gita, il est dit que si une personne n’a pas d’autre pensée, hormis la pensée de Dieu, Il la nourrira et la guidera pour toujours. Cela signifie-t-il dire que l’homme ne doit penser qu’à Dieu et à rien d’autre ?’’ Baba répondit : ‘’Krishna n’a pas exigé que l’homme ne pense qu’à Lui et à personne d’autre. Ce qu’Il voulait dire, c’est : ‘’Vous devez abandonner la pensée de ‘’l’autre’’ ; il n’y a pas d’anya, d’autre, quelqu’un de différent. Tous sont un. Si vous avez renoncé à toute pensée de ‘’l’autre’’, le Dieu aimant vous aime comme Sien,’’ dit-Il.

Ou lorsqu’II sent que la profondeur de la présence de chacun à son royaume intérieur est trop faible pour être explorée, Baba peut demander de chanter un chant à tour de rôle. Personne ne peut s’esquiver. Si quelqu’un est trop nerveux pour s’aventurer dans la musique, il peut s’en sortir avec un hymne védique récité à la mode du 15ème siècle av. J.-C. Le colonel Joga Rao et Gogineni Venkateswara Rao choisirent des strophes en télougou issues du célèbre classique, Bhagavatha, de Pothana. Baba s’excuse Lui-même rarement quand chacun s’est exécuté. En réalité, nous suivons avec enthousiasme Sa suggestion, car nous savons qu’Il nous

221 récompensera d’un festin de délices qui pouvait durer jusqu’aux abords de notre prochaine destination.

J’avais peur à la perspective de devoir entendre le grincement de ma voix, mais Baba était prêt à tout subir. Il n’était pas d’humeur à faire une exception. La première fois que je dus affronter l’épreuve, je remplis mes poumons de courage, j’éclaircis ma gorge des toiles d’araignée qui s’y trouvaient, et je chantonnai la petite ritournelle que j’avais entendue chantée par un clown au cours d’une moralité, quand j’avais dix ans. Bien que celle-ci fut accueillie par les rires étouffés de mes compagnons de voiture et une tape sur l’épaule approbatrice de la part du Maître, je résolus alors de m’équiper d’un bhajan de quatre lignes sur Rama, au cas où de nouvelles occasions se présenteraient où je serais amené à me produire. Mais bien paré avec cette munition innocente, je dus réciter ces vers de mirliton à de nombreuses reprises, parce que Baba était ravi de leur côté pittoresque et de leur pathos.

Pendant les heures de voyage, Baba attirait invariablement notre attention sur les collines qui changeaient de couleur du bleu au brun et du brun au noir, les nuages aux fanfreluches d’argent ou d’or, la lune à l’aura argentée, les étoiles scintillantes

222 accrochées à la voûte céleste, les moutons effrayés fuyant les coups de klaxon, et les enfants heureux qui se dépêchaient de rentrer de l’école. Il nous recommandait d’imaginer le peintre en contemplant la beauté de la galerie de la nature. Si nous avons de la chance, Il peut se souvenir de Ses années d’enfance et nous raconter à nous—une bande juvénile—des histoires sur Sa troupe de gamins conspirant pour enseigner aux anciens du village les idéaux de la vie simple, du service aux malades, de la solidarité, de gages équitables, etc, au moyen de satires rythmées qu’Il composait pour l’occasion, ou à propos du groupe de bhajans qu’Il emmenait et qui éloigna le choléra de beaucoup de villages touchés par la panique, ou à propos de la troupe scoute dont Il était le chef qui accomplissait des bonnes actions à la douzaine pendant les foires et les festivals autour d’Uravakonda. A chaque fois, Il sortait une nouvelle série d’histoires qui nous captivaient.

Ou Baba peut nous bénir avec la leçon du silence serein. Ceci se produit plus souvent quand nous volons. Quand Il est silencieux, nos esprits cessent de galoper. Le cœur est réchauffé par un amour sans vagues et sans objet. Les sens sont prisonniers de la mélodie, du charme, du parfum, de la fragrance et de la douceur qui infusent tout, partout. La respiration se régule rythmiquement. Les pensées se fondent dans la paix. Le corps physique vibre inexplicablement. Le véhicule ronronne de joie. Et quand Baba décide de reprendre contact, nous sommes automatiquement ramenés dans le royaume de la philosophie.

Baba tire la nourriture dont Son physique a besoin en étanchant notre soif et notre faim. Quand Il programme une excursion, Il charge la voiture de lourds paniers à pique-nique remplis avec le petit-déjeuner, le déjeuner ou le dîner, en plus de fruits et de snacks en abondance. Il scrute la campagne pour trouver un coin abrité entouré d’arbres en fleurs et Il en découvre un rapidement. La couverture est étendue, les carafes d’eau sont sorties, les paniers à pique-nique sont ouverts, les corbeilles vidées, les assiettes et les tasses sont servies. La Mère Sai s’accroupit au centre. Avec des exclamations d’appréciation, Il pose sur chaque assiette que Ses enfants Lui tendent un peu de tout. Les dévots n’osent pas dire ‘’assez’’ ou bien ‘’non’’ sur base de leur capacité digestive, de leur crainte des allergies, de leurs préjugés diététiques, etc. Ils savourent tout ce qui provient de la Main divine et ils consomment la quantité qu’elle accorde. Ainsi, Baba décide de la quantité et du menu de chacun. Il interdit, persuade et Il conseille. ‘’Vous avez un peu de diabète’’, ‘’Vous dépassez les quatre-vingt kilos’’, ‘’Les pickles sont populaires dans votre Etat’’, commente-t-Il en remplissant les assiettes.

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Un jour, en voyant que mon assiette contenait trois idlis, Il en enleva un en disant que deux étaient déjà de trop pour moi. J’avais un appétit immodérément exagéré pour les idlis et Sa mise en garde me poussa à obéir immédiatement. Baba m’expliqua plus tard que les graines de légumineuse que l’on trouve dans les idlis peuvent aisément favoriser l’arthrite chez les personnes âgées. Il m’aida à comprendre que, puisque chaque être vivant joue un rôle dans Son drame cosmique, Il aime les voir aussi en forme et aussi solides que leur rôle ne l’exige. Bhagavan partage aussi le petit déjeuner ou le déjeuner avec nous. Il aime nous voir nous réjouir de la nourriture qu’Il nous donne. Même à l’intérieur de la voiture, Il sort du sac qu’Il tient auprès de Lui des pommes délicieuses, et après les avoir soigneusement coupées, Il nous invite à en manger à satiété. Une fois, sur la route du retour entre Bombay et Bangalore, Il écoutait Dikshit chanter, et à la fin, Il distribua des quartiers de pommes à chacun. Je ne pouvais pas mâcher ni avaler la peau, car j’avais un dentier inefficace pour ce genre de tâches. Je n’osais pas cracher la peau à l’extérieur de peur que le dentier ne suive le même chemin. Swami perçut mon embarras : le quartier suivant qu’Il me tendit avait la peau enlevée !

Baba récompense la discipline par le darshan. Mais il faut admettre que lorsque Dieu appelle, il est presque impossible pour le cœur affamé d’attendre dans des files ou de s’asseoir patiemment sur le sable en étant optimiste. J’ai admiré des policiers en service de Kakinada qui contrôlaient la foule, mais qui plongèrent pour placer leur tête sur les Pieds de Lotus de Swami quand Il passa. Le flic le plus dur se met à chanter des bhajans lorsqu’on l’envoie rétablir la circulation autour d’un mandir où Baba est attendu ou dans lequel Il est présent.

Quand Baba visite un lieu, Il prévient souvent ses hôtes très peu de temps à l’avance ; autrement, la bonne nouvelle ferait en sorte que les parents et les amis afflueraient dans chaque maison pour un séjour de plusieurs jours, les hôtels seraient bondés et dans les petites villes, la nourriture et même l’eau pourraient se faire rares. Baba ne peut pas non plus séjourner longtemps dans un même lieu. Les foules deviennent chaque jour plus importantes, car ceux qui viennent ne partiront pas avant que Bhagavan ne s’en aille. C’est ainsi qu’Il s’éloigne souvent par des directions différentes et qu’Il donne Son darshan chaque jour en cours de route dans des villages et dans des villes avant de retourner le soir à Sa base. La population est ainsi encouragée à rester chez elle et à ne pas venir envahir le lieu saint où Il séjourne—l’Arbre-qui-exauce-tous-les-souhaits se déplace pour répandre Sa grâce sur tous. ‘’Cette montagne de sucre ne voyagera pas pour nourrir les

224 fourmis ; les fourmis elles-mêmes peuvent venir ici,’’ dit Baba il y a quelques années quand des dévots rivalisèrent en prière pour qu’Il visite leur ville. Mais la compassion pour la petite fourmi a dissous cette résolution, si jamais elle a été sérieusement entretenue.

Dans la voiture, de temps à autre, Il montait deux personnes l’une contre l’autre et se réjouissait des arguments et des contre-arguments, des thèses et des antithèses, des reparties et des répliques avec lesquels chacun essayait de réduire l’autre au silence. Il observait la lutte avec une joie à peine dissimulée, mais si la joute verbale menaçait de s’envenimer, Il désamorçait la crise avec une synthèse brillante. Baba stimulait les adversaires en accordant Son soutien à l’un ou à l’autre avant de finalement rendre un jugement qui les disculpait tous les deux.

Je me souviens d’un voyage dans les Nilgiris depuis Bangalore. Il y avait un spécialiste en sylviculture dans la voiture avec Baba. Je fus malicieusement poussé à soulever une controverse et je partis sur le sujet du santal. Lorsque j’étais producteur des programmes à la radio de Bangalore, je dus examiner un texte sur cet arbre. L’auteur, un expert en la matière, avait déclaré que l’arbre doit être propagé comme un parasite. Puisque je devais lancer le défi, je fis l’assertion suivante : ‘’Le santal commence sa vie comme un parasite,’’ et je le mis au défi de la réfuter. Bien entendu, ce fait était nouveau pour lui et il argumenta bruyamment et longuement en tentant de me désarçonner. Je suggérai que la question soit soumise à un tribunal indépendant, le professeur de botanique de l’Université de Madras, spécialiste d’une maladie qui affectait cet arbre. ‘’Combien pariez-vous,’’ me demanda-t-il. Je proposai cent roupies. Baba nous observait en train d’entrer dans une zone interdite. Quand l’agent des Forêts répliqua : ‘’Il vous faudra payer le tout en une fois,’’ Il intervint au nom de la distinction et des bonnes manières et Il nous pria de diriger notre attention vers le ciel qui rougeoyait à l’occident. Souvent, le sujet du débat était une histoire mythologique ou une parabole upanishadique ou peut-être un aphorisme extrait des textes védantiques. Tout dépendait des acteurs disponibles dans la voiture. Ce que l’on désirait, c’était un duel agréable qui se terminait dans un éclat d’appréciation cordiale, et un ‘’Bangaroo’’ de la part de Bhagavan.

Une fois, Baba repéra une mère qui avançait d’un pas lourd avec un bébé sur sa hanche et un panier pesant sur la tête. Le lendemain avait lieu Deepavali, la Fête des Lumières, où de nouveaux vêtements sont un must. Baba fit arrêter la voiture. Répondant à nos questions, elle nous dit qu’elle avait entendu parler de Sai Baba,

225 que quelques personnes qu’elle connaissait étaient parties en pèlerinage à Puttaparthi et qu’elle aussi avait fait le vœu de faire le voyage et d’avoir le darshan de Baba. Baba bénit la mère et l’enfant et lui donna de l’argent pour s’acheter de nouveaux vêtements en déclarant : ‘’Votre vœu est exaucé. Je suis Sai Baba.’’ Elle tomba aux pieds de Baba à plusieurs reprises et fixa longuement la voiture alors qu’elle s’éloignait en se demandant si tout cela avait été un rêve.

Baba sait, des kilomètres à l’avance, qu’une personne aveugle ou un mendiant handicapé demande l’aumône aux voitures qui passent. Quelques minutes avant la rencontre, Il se dote d’un billet de cinq ou de dix roupies et Il demande que la voiture s’arrête juste en face de la main tendue. Comprenant que l’aveugle ne peut connaître la valeur du bout de papier placé dans ses mains, Il prend la peine de lui dire : ‘’Tenez ! C’est un billet de cinq roupies. Ne le perdez pas.’’ Chacun de Ses gestes est une leçon pour ceux qui regardent.

S’Il était d’humeur et si l’amour débordait, Baba pouvait ‘’créer’’ des sucreries ou des biscuits pour Ses compagnons de voyage. Une fois, sur le chemin du retour entre Hyderabad et Puttaparthi, Il ne trouva que des mets salés dans les boites que notre hôte avait préparées pour le long voyage. Il fit stopper la voiture à côté d’un empierrement, puis Il me demanda de ramasser une pierre et de la Lui apporter. J’en choisis une grosse, mais Il la jeta au loin ! Il en voulait une encore plus grosse et plate. Je Lui en remis une de ce type et Il me la rendit immédiatement. Mais elle était devenue une sucrerie plate de la même taille, de la même forme et du même poids. ‘’L’autre aurait été trop dure à casser en petits morceaux,’’ dit-Il en me priant d’en donner une petite part à chacun.

Le trajet entre Trichinopoly et Palamaner me donna une occasion mémorable de réaliser une autre facette de Son amour. Nous devions rejoindre Bangalore, mais à la place de prendre la route plus courte et meilleure qui passait par Salem, Baba décida d’emprunter celle qui passait par Palamaner. Le but était d’éviter une douzaine de ‘’réceptions’’ en chemin, organisées sans autorisation par des individus trop zélés. Nous dûmes faire halte pendant environ une heure à mi-parcours à cause d’un problème mécanique. La Forest Rest House de Palamaner fut surprise de voir la voiture de Baba débarquer vers 22 heures. Baba envoya l’un de nous chercher à dîner dans un hôtel et par chance, il revint les mains pleines, même si l’heure de fermeture était passée depuis longtemps. La maison forestière n’avait pas grand-chose pour nous permettre de nous reposer en termes de lits, couvertures, lits de camp, etc et l’air de la nuit était très froid. Aussi nous fîmes

226 avec les moyens du bord. Nous réussîmes à persuader Baba de mettre le châle qu’un dévot ingénieur exhibait autour de son torse à Trichinopoly. Le sommeil nous envahit doucement. Quand je me réveillai à l’aube sur ma natte, je découvris le châle qui m’avait gardé au chaud de la tête aux pieds. Baba, la Mère, était venu furtivement pendant mon sommeil et m’avait gentiment couvert. Baba me trouva en larmes. Comment aurais-je pu exprimer autrement ma bonne fortune et ma gratitude pour la leçon qu’Il nous enseignait ?

Baba permet à chaque membre du groupe qu’Il choisit pour L’accompagner de tirer profit de ce processus éducatif. Quand le trajet est long, Il envoie dans d’autres voitures une ou deux personnes de Sa propre voiture, à intervalles de quarante ou de cinquante minutes, et Il invite les autres personnes dans Sa voiture pour qu’elles

227 ne se sentent pas exclues. Il est compatissant envers toutes les personnes de Son entourage. Avant l’un des nombreux trajets que Baba fait entre Puttaparthi et Brindavan (près de Whitefield), Il dit à Samuel Sandweiss : ‘’C’est Mon intention que vous puissiez voyager avec Moi dans Ma voiture pendant une partie du trajet.’’ Sandweiss écrivit plus tard : ‘’Quelle joie de faire l’expérience de la personnalité de Baba aussi intimement pendant le trajet ! Je me tournai pour Le regarder et je fus soudainement enveloppé moi-même de béatitude, pris dans Son amour, d’une façon qui faisait fondre toute conscience du moi.’’

Peut-être que l’une des raisons pour laquelle Baba remplit sa voiture au maximum est d’éviter les accidents de circulation. S’Il est l’unique passager, chaque voiture qui passe remarquerait facilement Sa présence. La robe orange et la couronne de cheveux proclament haut et fort que Baba est dans la voiture. Très souvent, la voiture qui passe a, à son bord, un dévot qui depuis longtemps désire au moins un darshan de loin. Alors, il fait demi-tour, accélère comme un fou, traverse du côté gauche de la route, saute de la voiture et se tient les mains jointes pour attirer la grâce de Baba. Sur une route animée, cette folle poursuite et cette performance stupide peuvent provoquer des collisions frontales catastrophiques entre véhicules, aussi Baba remplit la voiture au maximum pour minimiser les chances d’être reconnu. Quand Il repère un bus qui s’approche, Il ordonne aux deux personnes assises à l’avant de se rapprocher encore plus pour que Sa présence soit difficile à détecter. Sandweiss note un stratagème identique : ‘’Baba ordonna au chauffeur de s’arrêter et Il nous invita (lui et son frère Donald) à faire une promenade. Quelques minutes plus tard, nous marchions sur la route comme de vieux amis…Loin sur la route, derrière nous, nous pouvions voir des phares qui se rapprochaient. ‘’Vous M’entourez, tous les deux,’’ dit Baba. ‘’Nous marcherons ainsi, de façon à ce que personne ne puisse Me voir, parce que si c’est un bus et qu’ils Me voient, ils s’arrêteront et mettront un terme à notre promenade.’’ Sandweiss commente : ‘’J’avais presque oublié Son immense notoriété et Sa popularité. Puis, je me rappelai qu’après tout, j’étais là avec un Avatar qui disait simplement la vérité.’’

Dans la plupart des parties de l’Inde, la dévotion est domestiquée par la discipline, la condition sine qua non du disciple. A chaque fois qu’Il voit sur le bord de la route des foules obéissantes assises en rangs serrés, les hommes et les femmes séparés, engagés dans des bhajans, Il stoppe la voiture, ouvre la porte, emprunte seul les allées et les bénit. Parfois, Il peut même leur enseigner un bhajan ou deux. Mais Baba est à cheval sur la ponctualité. Il ne permettra pas des interruptions qui interfèrent avec les horaires. Aussi, lorsqu’Il sent la perspective d’une émeute ou

228 d’un embouteillage fanatique de la part d’adorateurs impatients et indisciplinés, Il fait un détour et surprend les gens par le darshan inattendu qu’Il confère sur le nouvel itinéraire. Une fois, lors d’une tournée, Il décida brusquement d’emprunter la route plutôt que l’avion, car Il sentit que les dévots avaient préparé une réception ostentatoire à l’aéroport.

Chaque fois que j’ai la chance de voyager dans la voiture immédiatement derrière la voiture de Bhagavan, je suis rempli de joie. Quand il y a beaucoup de véhicules dans la caravane, Bhagavan établit l’ordre dans lequel ils doivent Le suivre et même la place de chaque membre du groupe à l’intérieur des véhicules. De la position avantageuse dans la voiture qui suit la voiture de Bhagavan, je puis observer l’ensemble des visages qui sont illuminés par la joie et qui se transforment en bouquets de fleurs à l’instant où ils voient la Forme Divine. Baba agite presque toujours la main en direction des gens qui forment des files sur le trottoir, en attendant l’instant de gloire qu’ils pourront chérir pendant des années. J’ai vu sur les routes sinueuses qui escaladent laborieusement les contreforts himalayens, la chaîne des Montagnes Bleues, les monts Annamalai, et les hauteurs de Kodaikanal, de simples paysans et des membres de communautés tribales appelés là-bas par Dieu sait qui, se prosterner sur l’asphalte ou le macadam pour que leur front puisse entrer en contact avec le sol rendu sacré par les roues de la voiture transportant l’Avatar.

Baba a annoncé que cette fois, l’Avatar a assumé le rôle d’enseignement de la Vérité (Sathya bodhaka). Quoique l’Avatar Rama était là principalement pour débarrasser le monde des hordes démoniaques, Baba a révélé dans Sa Rama Katha Vahini que Rama discourait régulièrement à propos de la moralité et de la spiritualité devant des assemblées de citoyens. L’histoire de Krishna telle qu’elle est racontée dans le Bhagavatha Purana contient seulement deux exemples de Son rôle d’instructeur, une fois avec Arjuna comme interrogateur et plus tard avec Uddhava. Mais Baba fut acclamé comme Guru, alors même qu’Il faisait Ses premiers pas et qu’Il zézayait. Il a déclaré qu’Il est maintenant venu sous forme humaine, afin de sauver les hordes démoniaques (qui prièrent Rama pour la rédemption) maintenant incarnées et qui peuplent la Terre. Le modus operandi pour les sauver de la perdition est, comme Il l’a dit, ‘’darshan, sparshan et sambhashan’’—la conscience de Sa présence, recevoir l’impact de Sa Divinité et assimiler et réaliser Son enseignement. Par conséquent, Baba est toujours en mouvement dans toutes les régions parmi toutes les classes de l’humanité. Il est venu parce que le monde d’aujourd’hui a besoin d’un Instructeur armé de l’Amour et du Pouvoir divins pour le

229 sauver des catastrophes effroyables provoquées par l’amour limité et par le pouvoir homicide.

A Trivandrum, Il séjourna une fois chez un directeur d’école à la retraite, beau-père d’un dévot. Lorsque le Dr B. Ramakrishna Rao, gouverneur de l’Etat du Kerala fut mis au courant de la tournée de Baba, il plaida pour que Baba réside au Raj Bhavan même lors de Sa prochaine visite. Le gouverneur prétendit que son succès en tant que juriste, sa survie après la révolte contre l’autocratie du Nizam d’Hyderabad, son élection en tant que Premier Ministre d'Hyderabad libérée et sa nomination comme gouverneur du Kerala étaient tous dûs à la grâce constante et riche de Bhagavan.

Baba retourna rapidement dans le Kerala et séjourna alors dans le palais du gouverneur. Raja Reddy et moi pûmes rester avec Lui, mais les autres membres du groupe furent les hôtes du maître d’école. C’était lui qui avait transmis la nouvelle de la visite précédente de Baba au chef d’Etat. Le directeur était invité par le Dr Ramakrishna Rao pour superviser les études de ses enfants et bien entendu, il ne fut pas capable de garder pour lui les événéments qui avaient transformé sa maison en paradis !

En cette occasion, Baba avait donné Son accord pour prendre la parole lors d’un meeting public que le gouverneur devait présider. Je devins le centre de l’attention, mais aussi d’une réelle angoisse au Raj Bhavan dès que je sortis de la voiture, car j’avais perdu ma voix quelque part sur la route de Palghat. Je ne pouvais faire que des grimaces pour tenter de communiquer mon désespoir aux sympathisants et aux médecins qui s’étaient rassemblés autour de moi. Comme j’étais en danger de perdre la chance de traduire le message divin le lendemain soir, j’obéis scrupuleusement à toutes les prescriptions, espérant retrouver ma voix par n’importe quel moyen ou par la combinaison de tous. Je tamponnai, je gargarisai, je douchai, j’avalai, je babillai, je rinçai, je toussai, je criai—j’explorai toutes les possibilités. Mais un grognement déshydraté fut tout ce que mes cordes vocales purent produire, même après cette persuasion massive. Baba entra dans ma chambre alors que Raja Reddy me consolait et essuyait les larmes que les gémissements provoquaient. Baba dit : ‘’Cessez ces absurdités et allez vous coucher !’’ Le lendemain matin me vit dans le même état pathétique. Le gouverneur ne voulait pas agir de sa propre initiative pour trouver un remplaçant ou un suppléant. Je faisais des gestes désespérés chaque fois que je rencontrais le Dr Rao et je me rassurais à chaque fois que Baba entrait que tout irait bien.

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Le soir n’arriva que trop vite. La limousine du gouverneur s’arrêta. Je fus prié d’entrer. Le hall était rempli à ras bord. Baba s’assit sur la chaise placée au centre de l’estrade décorée. Le gouverneur suivait. Il rendit hommage à Bhagavan et prononça quelques paroles bien choisies. Mes amis supputèrent que comme j’étais maintenant une victime, Baba pourrait les surprendre en parlant le malayalam. Il se leva et me fit signe de me placer devant l’autre micro. Dès que les premières phrases en télougou furent prononcées, j’entendis ma voix proclamer le message à voix haute et claire dans un malayalam plus pur et plus approprié que je n’aurais pu l’imaginer. Ma voix aussi me semblait étrange ; elle avait comme une vibration nouvelle qui résonnait dans le hall.

Quand Baba se rendit au Cap Comorin, je vis le diamant que des pirates avaient arraché il y a trois cents ans au clou de nez de l’idole de Kanyakumari provisoirement matérialisé d’un geste de Sa main depuis l’endroit où il est conservé aujourd’hui. Sur le sable de la plage, je ramassai des perles de quartz qui sautaient de Ses pieds et j’aidai à compter les perles et à en constituer un rosaire. J’étais à Son côté, la cible de Ses blagues, lorsque des vagues me prirent au dépourvu et trempèrent ma chemise. J’observai Baba accueillir une vague : ‘’Voyez comme elle désire me laver les pieds ! Elle laissa sur les Pieds de Lotus—pas sur, mais autour des Pieds de Lotus—une guirlande de 108 perles, un trésor que seul la mer peut offrir !

Une autre expérience dont je me souviens est le discours de Bhagavan à l’hôtel de ville d’Ernakulam à la fin de Sa tournée. Baba conclut en mentionnant Son appréciation de l’ardeur spirituelle des gens. Il dit qu’Il reviendrait rapidement et qu’Il passerait quelques jours dans chaque ville, de la partie la plus au nord de l’Etat

231 jusqu’à l’extrémité de la péninsule où se trouve Kanyakumari. Lorsque je traduisis cette promesse en leur langue, les acclamations de gratitude faillirent rompre le plafond. Murali, le directeur de la station de radio de Calicut qui suivait Swami avec sa camionnette d’enregistrement, prépara un reportage en rassemblant des extraits des discours de Swami. L’annonce faite au cours des dernières minutes du discours final de Bhagavan était une ‘’perle’’ précieuse à ses yeux. Quand la nouvelle se répandit que Baba revisiterait bientôt le Kerala, quelques amis rendirent visite à Murali pour obtenir confirmation. Murali insista sur le fait que la nouvelle était authentique. ‘’Si Baba ne vient pas avant la fin du mois prochain, j’ai décidé de me rendre à Puttaparthi avec l’enregistrement et de la faire passer pendant l’interview. Je Le mettrai au défi avec Ses propres mots !’’, dit-il.

Ses amis étaient pleins d’admiration pour la frime de Murali. Ils demandèrent à écouter la voix de Baba qui accordait l’aubaine qu’ils convoitaient tant. La bande tourna et tourna. Elle parvint à son terme—mais où était la promesse tant attendue ? Elle n’était pas sur l’enregistrement. Quand Murali, dans son orgueil, a dit : ‘’Je Le mettrai du défi…’’, ces phrases cruciales avaient été effacées ! Le télougou de Bhagavan et mon malayalam avaient tous deux disparu, sans laisser de blanc révélateur. Quand Murali me mit au courant plus tard de son expérience exaspérante, je réalisai que Baba avait saisi le ton d’une conversation à voix basse et qu’Il avait accompli une prouesse technologiquement impossible sur une bande mise sous clé dans un bureau situé à des centaines de kilomètres de Sa présence physique pour administrer un traitement de choc à quelques individus curieux et à une personne suffisante et avide de publicité dont la tête menaçait d’enfler démesurément.

Le jour sacré de Vaikunta Ekadasi, selon la mythologie hindoue, les portes du Paradis sont ouvertes pendant vingt-quatre heures—ouvertes pour tous. Baba se trouvait à Allepey, une ville côtière du Kerala. Nous espérions et nous priâmes pour que, comme d’habitude, Il crée de l’amrita pour nous ce jour-là, mais Baba n’est pas lié par les précédents ni les intentions, ce qui est le secret réel de la fascination par laquelle Il nous lie. A la place de nectar, Il créa une idole de Krishna et Il invita Ses hôtes à inaugurer le culte de Lui-même sous cette Forme. Il me gratifia d’une autre preuve de Son amour en m’envoyant chez le secrétaire privé du Maharaja de Travancore avec un message. Le secrétaire avait apporté une prière de son maître pour que Bhagavan sanctifie le palais et bénisse le Maharaja. Je devais lui dire que Baba ne quitterait pas le bâtiment dans lequel Il se trouvait pour décevoir ainsi tous les gens qui y affluaient afin de satisfaire un seul individu. Le Maharaja pouvait se

232 déplacer où Baba se trouvait ! Dès que la permission de Baba lui parvint, le Maharaja se déplaça et fut récompensé. Baba ne traite pas les riches et les pauvres différemment. Il traite les plus pauvres avec autant d’amour que d’autres traitent les plus riches. Il reconnaît et Il estime la richesse de l’âme.

J’eus le privilège d’être avec Baba lorsqu’Il se déplaça à Bombay et qu’Il séjourna là-bas à plus d’une douzaine d’occasions. Le long voyage en voiture de Bangalore via Dharwar, Belgaum, Satara et Poona nous offrait la possibilité merveilleuse d’être baigné dans l’aura de Sa Présence, d’être amélioré par Son conseil. Une fois, la voiture dans laquelle je me trouvais connut une série de faiblesses inquiétantes, des explosions, de la fumée, des écarts, sur la route de Bombay. Baba me certifia alors près d’Hubli qu’il n’y aurait plus de grincements annonciateurs de désastre. Lorsque j’arrivai au Gwalior Palace de Bombay que Baba avait déjà atteint, la voiture ne pouvait plus avancer d’un centimètre ! Elle était immobilisée à cause de blessures internes au-delà de tout espoir d’une réparation rapide, mais Sa voix l’avait conduite à bon port après plus de mille kilomètres ! Les dévots qui se rassemblaient autour de Baba se comptaient par milliers à chaque visite. Des foules ferventes passaient des heures à voyager des banlieues lointaines vers Malabar Hill, Carmichael Road, le Gwalior Palace à Worli, Andheri Mansions etc. pour mériter Son darshan et écouter Sa voix.

Sathya Sai s’apprête à poser la première pierre du Dharmakshetra

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J’étais l’un de ceux qui accompagnaient Baba lorsqu’Il quitta les limites de la ville pour choisir un site où le Dharmakshetra de cet âge pourrait être érigé et j'étais présent quand la petite colline sur laquelle il se dresse fut choisie pour cela. J’eus la chance d’être présent au moment auspicieux de la Bhoomi Puja et de la sanctification de la pierre ‘’angulaire’’ du sous-sol circulaire, le jour où la plaque de la fondation fut dévoilée et le jour de l’inauguration du Dharmakshetra.

Au cours de Dasara en 1958, le soir réservé à la récitation de leurs propres poèmes par des poètes dans la divine Présence, je m’aventurai à lire un poème décrivant le pouvoir alchimique des discours de Bhagavan.

Comment quelqu’un pourrait-il oser traduire de telles averses, Sans être trempé par la peur et par la chance ? La Voix est du miel sanctifié Collecté par les abeilles célestes auprès des fleurs Parijatha. L’appel est un coup de clairon. Oh, l’extase palpitante qu’elle suscite dans l’âme ; Elle coule comme le Gange, libère des liens, Produit une riche récolte ; Elle gonfle et tourbillonne comme les flots à Jog. Elle produit une énergie inépuisable. Son discours est un torrent, si lucide, si limpide. Il enseigne sans jamais prêcher, il dénoue tous les vilains nœuds. Il illumine tous les questionnements avant que ne naisse la déprime. Il définit, il précise, il console ceux qui se languissent, Il commande, il exige que l’orgueil se courbe ; Il réprimande les fanatiques tout comme les idiots ; Il plaisante, il cajole, il se moque. Poésie resplendissante, avalanche d’ambroisie, Jolies petites images, clins d’yeux à la vérité transcendante, Parabole, proverbe, lai, légende et conte, Rythme télougou, léger, pétillant, sautillant, Chaque mot un mantra, chaque phrase un sutra, Chaque couplet une Gayatri, chaque discours une Upanishad, Chaque heure une minute, une minute une seule seconde.

La présence de Baba, Sa voix, Ses paroles, Son maintien, Son message enchantent l’esprit de millions de personnes. Je me souviens de Sa visite à l’école secondaire de

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Chittoor, il y a environ 25 ans. Alors qu’Il s’adressait à la foule massive accroupie en rangs serrés sur le terrain de football, un événement extraordinaire se produisit. Dépassées par la vitesse, la puissance des vibrations et incapables d’absorber le choc de la splendeur mystérieuse, quelques personnes tombèrent dans un délire extatique. Treize d’entre elles furent évacuées et allongées sur des lits. Baba a dit que même un lever partiel du voile que l’Avatar s’est imposé à Lui-même révélera une gloire que l’esprit humain ne peut pas supporter. Par conséquent, je crois qu’Il a dû vouloir que tous les auditeurs soient suffisamment renforcés pour soutenir l’afflux d’émotions stimulantes, car pareil phénomène ne s’est plus produit dans aucun discours ou réunion depuis lors.

Une fois, à Kakinada, avec trois rues, l’une se prolongeant au loin devant l’estrade et deux autres à droite et à gauche de l’estrade, toutes remplies de monde (et chaque toit chargé de grandes quantités d’humains), Baba se leva pour s’adresser à l’énorme assemblée. Mais avant qu’Il ne commence Son discours, Il contempla délibérément chaque portion de l’assemblée au niveau du sol et des toits, sur les trois côtés, y passant plus de cinq minutes en tout. Après que le discours fut terminé, tout en conversant avec nous, Baba fit référence à ce nouvel épisode. ‘’Vous dirai-je pourquoi J’ai agi ainsi ? Je renforçais les toits de ces maisons. Lorsqu’elles furent construites, personne n’avait prévu qu’un jour des centaines de personnes se percheraient dessus. Et avez-vous vu les grappes d’hommes sur les branches de ces arbres ?‘’

Bhagavan prévint et empêcha la chute d’auditeurs à bout de nerfs en leur lançant Son regard protecteur. A Chittoor et plus tard, dans de nombreux villages autour de Nellore et à Nellore même, Bhagavan s’adressa à des milliers de personnes. En juillet 1958, Il décrivit Sa mission de compassion comme la Kalinga Mardana du Bhagavatha. En fait, Sa tâche, toujours et partout, est la neutralisation du poison qui émane de Kalinga, le serpent lové dans le cœur de l’homme. Krishna, dans sa tendre enfance, dansa sur les têtes multiples de Kalinga. Et lorsque chaque capuchon fut pressé doucement et silencieusement par les Pieds de Lotus, les sacs de poison se vidèrent de leur propre accord et les crochets à venin tombèrent. Ce fut vraiment pour moi une expérience galvanisante de voir toute la région briller d’une nouvelle splendeur. Baba exhorta les gens à Le reconnaître comme Premaswarupa, l’incarnation de l’Amour. Il les mit en garde contre le fait d’être mal orientés par des hommes avides et égoïstes. ‘’Observez, étudiez, mesurez à l’aune de votre propre expérience intérieure,’’ recommanda-t-Il.

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A Rajahmundry, il y avait deux auditeurs, un père et son fils adolescent, son seul enfant qui étaient loin de l’estrade. Ils pouvaient entendre le discours distinctement, mais Baba n’était pour eux qu’une tache orange. Le fils imbiba l’appel de l’Avatar à se lancer dans l’aventure héroïque et escalader les hauteurs de la réalisation du Soi. Il rentra chez lui avec son père, mais il aspirait à rentrer dans sa vraie demeure, le giron du Tout-Puissant. Il réalisa son désir ardent en moins d’une semaine. Le père écrivit à Baba : ‘’Je Vous suis reconnaissant de m’avoir donné un fils si pur et si persévérant. Je sais qu’il s’est fondu en Vous. J’ai accompli les rites funéraires aujourd’hui, de bon cœur.’’ Les transformations lentes ou brusques, superficielles ou substantielles provoquées par Sravanam—écouter les paroles de Bhagavan— sont nombreuses. J’ai écrit ces quelques lignes tirées d’un poème :

Là : Sa parole, un coup de tonnerre, Une goutte de rosée, un rayon de lumière, une bouffée d’air, Une graine gonflée qui tombe sur votre cœur rocailleux, Et, merveille des merveilles, elle germe Dans une fissure, elle pousse doucement la roche, Les radicelles soyeuses à demi-aveugles Aspirent à sucer, réclament l’humidité, Chatouillent et poignardent, fouinent en quête de nourriture. Enfin, elles réussissent, s’accrochent et puis grossissent : Tronc, branches, feuillage, myriades de fleurs, Splendeur qui s’étale sur chaque rameau… Et la roche est brisée, pulvérisée.

La région est avertie du poison de la haine fratricide et beaucoup sont sauvés de ses conséquences. Ceux qu’Il bénit deviennent des ardents messagers de Son Amour. Les quelques-uns qui s’égarent dans la jungle d’où ils sont sauvés sont gentiment localisés, dépoussiérés, désinfectés et acceptés. Baba dit qu’il est impossible pour quelqu’un de se séparer de Lui, quel que soit le degré de sa débauche, de sa perversité ou de sa prétention. La mère est toujours prête à cajoler et à secourir l’enfant. Je me souviens d’une personne qui publia un article calomnieux, signé par elle il y a quelques années dans un journal de province. Baba a dit qu’elle serait tellement tourmentée par le péché que, grâce à sa pénitence, elle deviendrait plus propre et plus éclairée. En moins d’un an, Bhagavan inclut sa maison parmi les maisons des dévots qu’Il visitait lorsqu’Il était dans cette ville. Il a dit que se séparer de Lui, c’est comme séparer l’eau d’un lac quand une grosse

236 pierre tombe dedans. Les parties se rejoignent aussi rapidement qu’elles se sont écartées l’une de l’autre.

Tous ceux qu’Il appelle ressentent la soif de revenir Le voir. En fait, toutes les routes mènent à Prasanthi Nilayam, c’est-à-dire, en Sa présence. Quand vous serez parvenu eu terme du voyage, vous Le trouverez tendant les bras pour vous accueillir : ‘’Ah ! Très cher, aveugle et faible, Je suis Celui que vous cherchiez !’’

Comme l’écrivit Rainer Seeman, l’auteur allemand qui étudia spécialement les Avatars : ‘’On est vite forcé d’admettre que Baba est entré dans l’arène comme un Avatar, non pas pour se faire voir, mais plutôt pour rencontrer notre divinité.’’ C’est Dieu qui s’attire Lui-même.

L’amour est le solvant le plus rapide et le plus efficace contre la haine et contre la colère. Baba ! Personne ne peut résister au magnétisme de ce Phénomène. Permettez-moi de rapporter un incident qui montre la grandeur de Son Amour. A Kodavalur, un village situé à une quinzaine de kilomètres de Nellore, la résidence de notre hôte ainsi que les routes et les espaces découverts à l’entour étaient bondés de personnes impatientes de recevoir le darshan. Baba avait accepté que l’hôte accomplisse le rite de padapuja puisqu’il L’adorait comme le Maître Divin. Mais

237 chaque pièce de la maison était trop bondée pour permettre à quiconque d’avancer ou de reculer. L’Amour de Baba découvrit comment sortir de l’impasse. Il ne voulait pas blesser le cœur du dévot. Il lui proposa de suivre Sa voiture dans la plaine. Il lui dit qu’Il sélectionnerait un endroit isolé le long d’un chemin dans un bosquet et qu’il pourrait avoir son cœur rempli d’ananda, là-bas. J’assistai à la padapuja sous un arbre au bord de la route en la présence de vaches élégantes et silencieuses. J’étais à Brindavan, à ce moment-là.

Gopala Krishna Sai

Baba dit : ‘’Dieu cherche l’homme avec plus d’angoisse que ce qui incite l’homme à rechercher Dieu, car l’homme est seulement Dieu jouant un rôle, mais trop saisi d’admiration pour le costume qu’il porte’’. Les discours de Swami pénètrent dans les cœurs et ouvrent les sources de la joie qui ont été bouchées pendant des années. Les plus modestes et les plus pauvres répondent aussi chaleureusment que les plus huppés et les plus riches. Même quand le nectar télougou de Swami est dilué et déformé par la traduction anglaise, l'appel ne perd ni de son urgence ni de

238 son caractère intime. Les moutons qui ont faim regardent, mais cela ne se passe pas comme l'a trouvé Milton. Ils sont nourris. Les auditeurs les plus attentifs respirent l' ‘’Atma-sphère'’ immortalisante qu’Il irradie. Pendant qu’ils écoutent, ils sont amadoués par Sa chaleur ; ils imbibent le timbre tonique ; ils se réjouissent du frisson du thaththwam ; leurs cœurs vibrent à cause du tremblement transcendant de la Voix. La foi nourrit les racines, les doutes tombent comme des feuilles séchées. Italiens, Espagnols, Arabes et Japonais restent assis, totalement satisfaits pendant tout le discours sans même l’ébauche d’un bâillement ou un regard oblique vers la montre, car ils reçoivent le réconfort et la force dont ils ont besoin, simplement en regardant et en écoutant.

L’autre jour, lorsque quelqu’un suggéra que Baba pourrait inclure dans Son itinéraire un séjour d’une journée dans une station de montagne, étant donné qu’il y avait beaucoup d’endroits empreints de beauté dans les environs, Baba répondit : ‘’La beauté ? Je suis la Beauté. Ce sont Mes images, votre imagination. Le darshan n’importe où—sur l’estrade, derrière vous ou devant vous, proche ou lointain— partagé par l’œil intérieur est une faveur de Beauté que l’œil transmet au Je.’’

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Bhagavan a Ses manières d’accorder Son darshan aux endroits où l’on a besoin de Lui. La promesse de séjourner plus longtemps dans d’autres lieux du Kerala a été tenue, comme des milliers de gens peuvent en attester. La vibhuti, ardemment désirée par les dévots, s’écoule de Ses portraits, sur une centaine d’autels domestiques. On me parla d’une vieille dame de Palghat qui était le centre d’un groupe de bhajans qui se réunissait dans sa petite maison. La guirlande placée sur le portrait de Baba oscillait de droite à gauche en gardant la mesure avec les bhajans. Quand le tempo devenait rapide, elle oscillait rapidement ; quand il était lent, elle oscillait lentement. D’autres guirlandes placées sur d’autres images ne bougeaient pas. Je me rendis sur place pour assister au miracle, mais bien que les bhajans étaient aussi énergiques qu’à l’accoutumée, la guirlande refusa de bouger. La vieille dame était en larmes et je me condamnai pour l’avoir privée ce jour-là du divin leela. La dame refusa de croire que ma présence avait immobilisé les fleurs. Elle implora Baba dans une supplication pathétique. ‘’Baba ! Pourquoi êtes-Vous aussi muet aujourd’hui ? Kasturi est venu de Puttaparthi. Il a l’impression que l’histoire de Votre leela ici est une invention de ma part et de ces autres gens. Sauvez-moi, Baba, de cette imputation’’. Sa voix se mua alors en sanglot et Baba répondit avant qu’elle ne se brise à cause du désespoir. La guirlande se mit à osciller vigoureusement en nous insufflant de la vigueur. Mon cœur reprit et retrouva sa cadence normale. La Bhagavad Gita prend acte de la déclaration du Seigneur : ‘’Mes yeux et Mes oreilles sont partout’’. Baba est venu parmi nous démontrer la vérité de cette déclaration.

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Lorsque j’étais étudiant au Collège du Maharaja à Trivandrum, j’avais un ami dans la même classe qui s’appelait Subrahmanya Iyer. Plus tard, il s’inscrivit au Collège de Droit comme moi. Il ouvrit un cabinet à Trivandrum même, puisque la Cour Suprême de l’Etat de Travancore était située là-bas. Je perdis contact avec lui et sa carrière jusqu’à ce qu’il me rentre dedans à Puttaparthi, quarante-quatre ans après que j’eus pris congé de lui à Trivandrum. Car il avait été remodelé par Baba en un plaideur pour la miséricorde et la grâce divines. Baba s’installa dans son sanctuaire comme le témoin de son comportement familial. Je savais qu’il était affecté d’un tempérament colérique. En vieillissant, comme il me l’avait confié à Puttaparthi, cela n’avait fait qu’empirer. Chaque fois qu’il s’emportait contre quelqu’un chez lui, Baba laissait tomber une carte de Son portrait, lui signalant qu’Il avait remarqué son écart. L’avertissement était écrit en tamoul, sa langue maternelle, et signé— votre Baba ! Lorsqu’il me remit une pile imposante de ces cartes de réprimande, je lui susurrai : ‘’Tu sembles avoir perdu ton calme si souvent plus pour être récompensé par ces cartes qu’à cause d’un défaut profondément enraciné !’’

‘’Non, non, je n’ai pas pu m’en débarrasser. Je paye un lourd tribut à cause de cette faiblesse. Je suis déjà venu trois fois à Puttaparthi, bien que je te rencontre pour la première fois aujourd’hui. Laisse-moi partager avec toi ma tristesse. Comme tu le sais, Baba bénit ceux à qui ont été attribués environ quarante appartements dans le complexe de Prasanthi Nilayam en les conduisant Lui-même dans leurs appartements, avec Sa bénédiction. Je suis l’un de ceux qui ont eu cette chance et j’aurai cette grâce extraordinaire demain matin. Je suis arrivé hier après-midi avec ma femme et nous séjournons provisoirement en dehors du campus. Je me trouvais dans le hall de prière pendant les bhajans du soir. Quand Baba est entré dans le hall, quand la séance était sur le point de se terminer et quand Il a donné Son darshan assis dans Son fauteuil d’argent, je Lui ai parlé silencieusement d’où je me trouvais : ‘’S’il Vous plaît, Swami, permettez-nous à tous les deux de rester dans l’appartement que Vous nous avez attribué pour le restant de nos jours. Nos deux fils ont de belles places et des carrières lucratives qu’ils aiment. Ils pourront vivre heureux dans le bungalow de Trivandrum et nous serons parfaitement heureux à Puttaparthi.’’ Baba n’a pas donné Son accord et Il n’a pas non plus montré Son désaccord. J’ai décidé de prier pour la réalisation de ce vœu, lorsqu’Il nous permettrait de toucher Ses pieds, assis dans le fauteuil de l’appartement. Après les bhajans, nous nous sommes rendus dans la pièce que nous avions louée et nous avons pris la bourse qui contenait l’argent que nous avions. Et en l’ouvrant au comptoir de la cantine où les tickets pour le dîner étaient disponibles, j’ai trouvé

241 un morceau de papier avec des instructions de Baba en langue tamoule familière et le ‘’Votre Baba’’ réconfortant à la fin.’’

Mon ami plaça le morceau de papier dans ma paume. Celui-ci disait : ‘’Je ne désire pas que vous restiez ici en laissant vos fils chez vous. Restez là-bas en chantant les bhajans, comme à l’accoutumée et donnez de la joie à votre famille en vous débarrassant de votre mauvaise nature (durguna).’’ Lorsque je remis la note à Subrahmanya Iyer, il était en larmes, car cette mauvaise nature l’avait privé du paradis dont il rêvait depuis des années. Il y a une autorité en tout être humain qui lui interdit de se conduire comme un simple animal sauvage. Sai est l’Auteur de cette autorité.

Il est certes étrange que l’appétit latent pour Dieu s’aiguise après le darshan de l’Avatar et qu’il ne diminue pas, même après l’impact continu des signes et des miracles qu’Il condescend à offrir. Je me trouvais en compagnie de Baba dans les villages et les villes des districts de Nellore, Guntur, Krishna, West Godavari et East Godavari en Andhra Pradesh, lorsqu’Il visita cette région en cinq occasions différentes. Baba nous dit souvent qu’Il nous prenait pour que nous puissions saisir les implications du Sukta du Rg Veda où la Personne Cosmique (Dieu) est décrite comme ayant des têtes innombrables (Sahasra Sirsha). ‘’Ceci est la prolifération du Purusha. Voyez comme ils se précipitent de la circonférence vers le Centre, la Source.’’ Bien que des milliers de personnes reçoivent un très long darshan pendant le discours, lorsque Baba apparaît un peu plus tard sur la terrasse du bâtiment dans lequel Il est entré, ces milliers de personnes se précipitent à nouveau pour se régaler encore un peu.

Baba a Lui-même comparé les centaines de milliers de personnes qui se hâtent en Sa Présence à des fourmis qui sont attirées par une montagne de sucre. Chaque personne communique la nouvelle de l’Avènement à une centaine d’autres, pas seulement par la parole, mais plus clairement par son affection plus prononcée, son engagement plus important, ses voyages intérieurs plus fréquents et sa réponse plus vive à l’appel de l’amour. J’ai été le témoin de l’immense raz-de-marée de dévotion que provoque la visite de Baba à Repalle, Rajahmundry, Ernalulam, Bombay, Navsari et en d’autres endroits. Je sais que plus de trois fois ou cinq fois ce nombre se sont rassemblés à New-Delhi et même dans une ville aussi éparse qu’Ulhasnagar entre Bombay et Poona. A Kurukshetra, Richard Bock m’a dit : ‘’Il y avait plus d’êtres humains remplis d’enthousiasme pour écouter la Bhagavad Gita de Baba que de soldats rangés sur le champ de bataille du Mahabharata il y a

242 cinquante-cinq siècles.’’ La Gita de Sri Krishna fut entendue par seulement quatre personnes : Arjuna, à qui elle était destinée, Hanuman qui était sur la bannière qui flottait au-dessus du char, Sanjaya qui l’entendit grâce à une faveur spéciale qui lui fut octroyée pour rapporter au roi aveugle des Kurus les événements du champ de bataille, et le roi lui-même (bien que la Gita n’eut aucune influence sur lui). Mais la Sai Gita prononcée sur le même lieu saint fut entendue par cinq cent mille cœurs assoiffés et haletants. ‘’Enthousiasmos’’, le mot grec qui est à la racine d’enthousiasme veut dire littéralement rempli de theos ou de Dieu. La Gita, d’alors ou d’aujourd’hui, remplit l’auditeur de Dieu. La déclare : ‘’Si quelqu’un devait communiquer ceci, fut-ce à une souche desséchée, des branches lui pousseraient certainement et des feuilles bourgeonneraient.’’

A New-Delhi, les foules avides massées autour de la résidence de Baba étaient si denses que des embouteillages comme jamais il n’y en eut auparavant persistèrent pendant plusieurs jours. A Navsari dans le Gujarat, Baba attira en Sa présence deux fois la population de la ville. Aucune shamiana ne pouvait les abriter. Quand Baba emprunta le passage entre les hommes et les femmes, ils restèrent rivés au sol, mais quand Il se dirigea vers l’estrade, ils se levèrent et Le suivirent en ne réalisant pas que chaque pas de plus comprimait de plus en plus la masse. Debout sur l’estrade, Baba observait l’avalanche. Nous qui étions assis derrière le fauteuil placé à Son intention, nous Le vîmes sauter en bas. Ce fut tout. Personne ne remarqua quoi que ce soit, excepté Son absence. Il nous fallut environ vingt minutes pour atteindre la route. Des conducteurs de taxi nous informèrent qu’une ‘’charmante personnalité avec un kafni rouge’’ monta à bord d’un taxi et démarra en trombe. Nous pensâmes qu’il devait s’agir de Baba et comme le prochain endroit où Baba devait se rendre était Baroda, nous traçâmes le long de cette route. Après environ trente minutes, nous entendîmes les coups de klaxon d’une voiture qui nous poursuivait. C’était le taxi de Baba. Baba dit qu’Il était parvenu à la route sans traverser la distance intermédiaire par laquelle nous avions dû nous frayer un chemin. Assis près de nous, Swami parla de la discipline et dit : ‘’Navasri regrette maintenant d’avoir perdu le contrôle d’elle-même.’’ Il dit : ‘’Tout le monde là-bas a reçu le darshan. J’ai circulé d’un bout à l’autre. J’étais debout sur l’estrade. Ils ont reçu suffisamment.’’

Une autre fois, Baba se déplaça sans passer à travers une incroyable armada de dévots. C’était à Repalle, près de Guntur. Repalle est le mot télougou pour Gokulam, le village où Krishna a passé Son enfance, et les gens vénéraient l’endroit comme s’il s’agissait de l’original. Le village fut transformé en un nouveau Shirdi par

243 un dévot dont le dévouement sanctifiait l’atmosphère à des kilomètres à la ronde. Pas étonnant qu’il reconnut le Sai Baba qu’il adorait comme sa Mère et son Père, son Guru et son Dieu en Sathya Sai Baba. Il pria pour que Baba installe une idole de Sai Baba de Shirdi dans le mandir de Repalle. Baba donna Son accord et arriva sur place vers 10 heures, le jour fixé pour la cérémonie. ‘’Arriva’’ n’est pas le mot juste, car les routes étaient déjà complètement saturées dès l’aube. Nous parvînmes à ne pas nous faire écraser et à grimper l’escalier en bois pour être avec Baba. A perte de vue, le sol était tapissé d’humains.

Baba fit apporter l’idole et la fit placer sur une table haute, de façon à ce qu’au moins quelques milliers de personnes puissent voir la main du Seigneur opérer le rite de sanctification avec les eaux des rivières saintes et la vibhuti. Le mandir attendait l’installation. Mais tant de gens encombraient les alentours que personne ne pouvait entrer ou sortir. Aussi Baba attendit jusqu’à onze heures du soir que la grande majorité des pèlerins s’allongent sur le sol, terrassés par le sommeil. Nous- mêmes, nous frôlâmes la limite de la région du sommeil. Nous devisâmes une stratégie pour franchir la longue rangée des corps entre les micro-intervalles. Mais Baba n’était plus avec nous. Il était à l’intérieur du mandir au moment même où nous atteignîmes le périmètre extérieur. ‘’Je n’ai pas besoin de faire un pas après l’autre. Je peux réduire la distance’’. Baba n’ ‘’accomplit’’ pas, ne ‘’fait’’ pas ou même ne ‘’veut’’ pas de miracles. Ils se produisent tout simplement, car Il est le Miraculeux. Tout de suite après l’installation, Baba quitta Repalle en jeep, car Il savait qu’à l’aube d’un nouveau jour, des milliers d’autres personnes convergeraient en masse vers cet endroit minuscule et souffriraient du manque de nourriture, de boisson et d’abri.

Quoique des milliers de personnes n’affluent que pour Son darshan comme de la limaille de fer vers un aimant, Bhagavan est résolu à semer dans leurs cœurs adoucis par le chant les graines de l’Amour qui germeront du sol purifié sous la forme d’empathie et d’enthousiasme. Baba parle à la foule en télougou, de loin la plus mélodieuse des langues indiennes. S’Il parle à des individus ou à des petits groupes, Il utilise la langue qu’ils comprennent le mieux. Il ne recherche pas la popularité en s’adressant au public dans la langue qu’il préfère. Ainsi, quand Il visite des régions où le télougou n’est pas la langue parlée, Son discours est instantanément traduit en anglais.

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MA TRADUCTION

Je ne me souviens pas quand je fus chargé de la mission presque impossible de traduire Ses discours en anglais. Je crois que c’était au Lakshmi Narayana Temple près de Malabar Hill à Bombay, en 1958. Par après, au fil des années, cette opportunité peu enviable me fut confiée jusqu’à ce que j’échoue dramatiquement à interpréter Ses paroles devant une assemblée de vingt mille personnes à Madras. J’y reviendrai plus tard.

Bhagavan n’a pas besoin de traducteur, car Il sait comment apprêter Son message en anglais ou dans n’importe quelle autre langue. Et les milliers de personnes qui écoutent Sa voix (excepté une toute petite partie) ne désirent pas entendre le message traduit pour eux, car bien qu’apparemment la voix soit en télougou, le message est divin et le moyen d’expression est le cœur. Le télougou, lorsqu’il est parlé par Baba, possède la diction qui peut directement les diviniser. Les quelques personnes dans la foule qui ne sont pas accordées sur Sai ni touchées par le télougou seront soulagées si la langue anglo-saxonne n’intercepte pas le flux musical de la flûte de Krishna. Elles retirent la plus grande extase en s’imprégnant de Son visage, en absorbant Son aura et en palpitant aux vibrations des tambours.

Pendant Dasara, en 1970, on fit une tentative pour donner la version anglaise des discours de Baba dans un programme ultérieur. Baba hissa le drapeau de Prasanthi sur le Nilayam pour marquer l’inauguration de la fête de dix jours. Je lus Son discours devant des milliers de personnes pendant la soirée. Les gens pouvaient entendre la traduction de chaque discours divin quelques heures plus tard, à heures programmées. Même si l’immense assemblée restait assise durant toute la séance de lecture et même si ceux qui ne connaissaient pas le télougou mais qui connaissaient l’anglais étaient conscients de mon effort dévoué, je pouvais percevoir un sentiment d’irréalité et de superflu sur les visages qui me faisaient face. Même la présence de Baba sur l’estrade ou parmi les auditeurs pendant que je lisais le discours traduit ne dissipait pas le brouillard. En réalité, Sa Présence transformait mon interprétation en parodie, car leurs yeux supplantaient leurs oreilles. L’expérience dut être abandonnée.

Une traduction instantanée ne peut se faire sans tentative d’interprétation également. L’interprétation nécessite une compréhension totale de la personnalité et du point de vue de l’orateur et de la trame de ce qu’il communique. Il faut être

245 très familier avec le paysage du message de Baba. Ce qu’on doit faire, c’est convertir des ‘’symboles soniques’’ décidés par le milieu culturel indien en ‘’symboles soniques’’ largement formulés par des commerçants et par des subalternes. Tolstoï étiquetait la traduction comme ‘’le revers du tapis’’. Les Italiens ont un proverbe : ‘’Traduttori, traditori’’. Traducteurs = traîtres. La traduction, si elle ne s’aventure pas avec audace dans l’élaboration et la périphrase, est au mieux une approximation et au pire un assassinat.

L’anglais est un instrument trop grossier pour révéler les trésors subtils de la sagesse avatarique. Par conséquent, le traducteur est la personne la plus malheureuse qui soit quand Bhagavan fait un discours. Le discours télougou de Baba ne tolère aucun arrêt ni surplace. Il double l’anglais avant même que la phrase ne finisse, à telle enseigne que l’auditeur connaissant le télougou sympathise avec les autres pour avoir manqué la moelle du message et n’avoir reçu que la coquille. La structure de la phrase anglaise diffère tellement du télougou que le traducteur doit commencer sa version à partir des derniers mots et revenir en arrière où le principal est généralement exprimé. Chaque discours de Baba est une pluie de sagesse saturée d’amour. Baba n’y fait jamais référence comme à un discours ; il ne s’agit pas du tout d’un cours magistral, mais d’une ‘’mixture’’ préparée et prescrite par le Médecin pour nous purifier, pour nous guérir et nous rendre sains et entiers. Il l’appelle sambhashan, dialogue, conversation.

Il n’hésite ni ne balbutie, Ne calcule, ni ne s’arrête pour réfléchir, N’attend, n’oscille ni ne s’égare A chercher et à choisir des pensées et des mots. Il ne cherche ni notes, ni citations. Il ne s’attarde pas à décorer son langage Avec des fioritures, ni à habiller une phrase empruntée D’un nouveau vernis. Il n’est pas un orateur Qui cultive le culte, qui réclame des applaudissements, Avide de publicité. Il ne déclame pas, Il ne s’étend pas, Il ne prend même pas la parole. Il vous parle à vous, à vous, et à vous, A chacun d’entre vous qui êtes assis là, Tous les Arjunas qui veulent atteindre le but, mais qui craignent de se mettre en route. Il parle de la tâche qui les attend et de la Vérité intérieure.

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Baba est toujours neuf et frais. Aucun discours n’est le même ou même semblable en contenu ou en style. Quand Il récite une strophe pour la seconde fois, les vers peuvent subir de surprenantes altérations et si le traducteur anticipe le familier, le routinier, l’habituel, alors malheur à lui ! Et puis non, cette exclamation est déplacée, car Baba le sauvera de la déconfiture.

En voici un bon exemple !

La parabole une fois racontée apparaîtra sous une nouvelle forme, quand elle sera présentée à une autre assemblée. La structure de la leçon, le dénouement auquel conduisent les arguments, l’insistance sur différentes facettes−tout ceci varie pour satisfaire à l’intelligence, à la soif et aux idéaux de l’assemblée. Pour le traducteur, la série des surprises peut être presque déconcertante. Des mots sanscrits qui jusqu’à présent avaient certaines implications bien connues sont analysés par Baba et éclairés par Lui pour produire de nouvelles étincelles de sens.

Madhusudana signifie, d’après les commentateurs, le Seigneur Krishna qui tua (sudana) le démon Madhu. Baba a révélé que madhu (le miel) veut dire les plaisirs sensuels qui séduisent et qui piègent, et que Krishna détruit l’enchantement que les sens projettent sur l’esprit, si l’homme s’abandonne à Lui. Kuru-nandana est l’un des noms par lesquels Krishna s’adresse à Arjuna dans la Gita. Durant tous les millénaires qui se sont écoulés, ce nom était expliqué comme ‘’descendant du clan des Kurus’’, mais Baba au cours d’un discours répandit sur lui la lumière. Il dit : ‘’Kuru signifie ‘’faire’’, ‘’s’engager dans une action’’, et Nandana, en plus de ‘’descendant’’ veut dire ‘’celui qui trouve la joie’’. Le résultat était qu’Arjuna était

247 présenté aux auditeurs du discours comme une personne que Krishna avait transformée de lâche fuyant l’engagement sur le champ de bataille en un héros prêt à plonger dans la bataille. Des centaines de mots sanscrits, télougous, hindis, ou anglais, ont brillé de leur splendeur latente rendue patente par Baba. Qui aurait pu voir que la déclaration athée de l’astronaute ‘’Dieu est nulle part’’ (God is nowhere) avait cachée en elle l’affirmation théiste,’’Dieu est maintenant ici’’ (God is now here), jusqu’à ce que Baba le révèle ? Ou que les biens propres (properties) ne sont pas des liens propres (proper ties) pour lier l’homme ?

Parfois, le poème qui jaillit de Lui quand Il se lève pour s’adresser à l’assemblée pouvait commencer ou finir par un mot étranger fascinant et qui rendait le traducteur muet de stupeur. Cela se produisit à Madras quand j’étais devant le micro, prêt à traduire Son discours qui inaugurait la conférence pan-indienne des représentants des milliers d’unités de l’Organisation Sri Sathya Sai de Seva. Le poème commençait par ‘’Automatic light ukku adhipudevadu’’ et continuait en télougou pur par après. Pour moi, le vers voulait dire : ‘’Qui, pensez-vous, est le maître de la lumière automatique ?’’ Je me sentais confondu. Je m’approchai de Baba et Lui avouai que j’étais trop confus pour commencer ma tâche. Il répéta de nouveau le vers. Je demandai à nouveau pardon. Les lignes suivantes du poème étaient plus faciles à comprendre, mais je ne pouvais absolument pas découvrir comment coordonner leur sens avec la ‘’lumière automatique’’ . Baba me dit que le poème avait un message d’intérêt immédiat et Il me pria de regagner mon siège dans l’auditoire. Le Dr S. Bhagavantham, à qui l’on demanda de prendre ma place, ne put pas non plus percer le mystère de la ‘’lumière automatique’’. A partir de ce jour, il continua pendant de nombreuses années à traduire en anglais les discours télougous de Bhagavan en de nombreux endroits partout en Inde.

J’ai une dette à l’égard du lecteur. Plus tard, Baba nous a décrit le symbolisme inhérent à Sa référence à la ‘’lumière automatique’’, quand nous L’approchâmes révérencieusement. Ce sont les feux de signalisation qui canalisent le flot du trafic aux carrefours et qui changent du rouge à l’orange et de l’orange au vert à intervalles réguliers. Les codes de la conduite morale et de la conduite sociale, bref du dharma, sont aussi des feux de signalisation établis par le maître pour sauver les hommes des conflits et des querelles, de la violence et de la guerre. Baba parla aussi des règles de circulation établies par la Providence pour empêcher les galaxies et les planètes, les comètes et les constellations de se comporter de façon chaotique dans leurs rondes cosmiques.

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Puisque j’écris à propos de la crise de la ‘’lumière automatique’’, je dois témoigner de ma gratitude envers Bhagavan pour m’avoir souvent aidé à temps avec le terme anglais approprié et pour m’avoir rappelé sur place les points que j’avais manqués en traduisant. Baba observe la traduction, et dès qu’Il me voit en train de chercher désespérément après un terme anglais acceptable, Il me donne le mot qui, je sais, est le plus adéquat. Imaginez mon combat pour griffonner sur les pages de mon carnet les séries de propositions adjectivales ou adverbiales qui se bousculent sur Ses lèvres et les noms et verbes englobant idées, personnalités et principes. Dès qu’Il s’arrête, je commence l’anglais. Pendant que c’est mon tour, Baba observe et scrute. Il n’oublie aucun mot, aucun idiotisme, aucune expression. Quand je transmets anémiquement une suggestion de sadhana sur laquelle Il a insisté, Il veut que je la répète avec plus de force. Il assiste ma mémoire lorsque je loupe une ou deux des cinq ou six catégories ou concepts qu’Il mentionne. Quand un mot se bloque dans ma gorge, Il le libère. Si le mot juste joue à cache-cache, Il s’en acquitte. C’est un Dictionnaire analogique des synonymes avec l’équivalent parfait !

Une fois, le traducteur se battait avec deux termes télougous utilisés par Baba : hamsa6 et baath. Il reprit hamsa, un mot sanscrit que beaucoup connaissaient et il put s’en sortir ainsi. Mais quid de baath ? Il savait que c’était un oiseau domestiqué et en réalité, il en avait vu beaucoup dans son propre village. Mais 25000 auditeurs plus Baba le virent fouiller dans sa mémoire afin d’en extraire le terme anglais et en désespoir de cause, il tenta de s’en sortir par une périphrase. Il dit : ‘’Il vaut beaucoup mieux passer dix minutes sur terre en hamsa que d’y passer dix ans sous la forme d’un oiseau de la même espèce, mais appartenant malheureusement à une race inférieure.’’ Baba referma Son micro. Il agita la main pour attirer l’attention du traducteur et Il dit en souriant : ‘’Dites plutôt canard !’’

J’ai bénéficié de tels secours d’urgence en traduisant Ses discours en malayalam dans mon village natal, en kannara à Madikeri en en tamoul à Trichinopoly. A Jamnagar, dans le Gujerat, je traduisais le télougou en anglais et immédiatement après, le Dr Chudasama traduisait mon anglais en gujarati. Ainsi, Baba devait superviser les deux traductions et nous aider tous les deux quand nous nous perdions dans des voies sans issue.

L’Avatar doit apparaître avec des limitations qu’Il s’est Lui-même imposées pour accomplir la tâche qu’Il s’est fixée. Quand Baba sélectionne des personnes pour des entretiens, Il parle la langue qui leur sera le plus profitable, que ce soit le swahili, le

6 cygne

249 népali, le français, l’adi, le marathi ou le bantou. Cependant, lorsqu’Il s’adresse à de grandes foules, Il utilise généralement la langue de la région qu’Il a choisie pour Sa naissance. En plus du télougou, Sa région parle un peu le kannara (la frontière de l’Etat du Karnataka n’est qu’à quelques kilomètres) et elle possède quelques rudiments de tamoul (elle fit partie jusqu’il y a trois décennies de la Présidence de Madras). Lors de l’inauguration de la conférence de l’Etat du Karnataka des représentants de l’Organisation qui avait lieu à Dharwad, Baba annonça que ‘’Kasturi n’est pas là. Aussi, Je vais vous parler en kannara. C’est la première fois que Je m’essaye à un discours dans cette langue.’’ Je n’ai pas besoin d’ajouter qu’Il ravit les cœurs de milliers de personnes. Par après, Il utilisa le même moyen d’expression avec succès à Bangalore, Belgaum, Gadag, Sirsi et d’autres villes, bien qu’Il prétendait malicieusement être nerveux devant les réactions du public.

Quand Il visita le complexe éducatif du Sathya Sai Loka Seva Trust d’Alike, dans les Ghats occidentaux, Il me télégraphia d’être présent et je découvris que je devrais traduire en kannara Son télougou ! Je Le suppliai en présence de l’immense assemblée de leur adresser la parole dans Son délectable kannara. Il me chargea de consulter le public, parce que, dit-Il, Sa diction et Sa prononciation pourraient ne pas être du goût des gens de la localité où deux langues étaient d’usage : un dialecte, le tulu, qui était leur langue maternelle et le kannara qu’ils apprenaient à l’école. Je dis à l’assemblée que le kannara contenait une bonne dose de marathi dans le nord du Karnataka, de télougou dans l’est du Karnataka, de tamoul dans le sud du Karnataka et de konkani dans l’ouest du Karnataka. Mais, s’ils désiraient entendre du kannara avec une bonne dose de prema, ils devraient prier Swami pour qu’Il parle dans cette langue. Ils prièrent et Il répondit très gracieusement.

Une fois, je ne pus répondre quand Swami m’enjoignit de traduire Son discours. C’était à Nairobi au Kenya. Dès que le Boeing d’Air India toucha le sol, Baba fut accueilli par des centaines de personnes au pied même de l’échelle et emmené jusqu’à une vaste plaine derrière l’aéroport où cinquante mille personnes attendaient depuis des heures pour recevoir le darshan de l’Avatar de cet Age. Nous, les six qui L’accompagnaient, nous dûmes franchir les barrières et attendre près du tapis roulant pour récupérer les bagages et les charger dans les voitures prêtes à partir pour Kampala. Entre-temps, Baba m’avait fait appeler par haut- parleurs pour pouvoir transmettre Ses bénédictions dans une langue que les gens pouvaient comprendre. Assis dans la voiture, j’entendis l’appel, mais il y avait des centaines de voitures tout autour de moi et personne ne put m’aider à franchir l’espace bondé qui me séparait de Baba. Aussi, un Indien tamoul proposa-t-il ses

250 services et Baba parla dans cette langue. Plus tard, je pus traduire les discours de Baba à Kampala et à Nairobi.

Sathya Sai Baba lors de Son voyage en Afrique

La tournée d’Afrique de l’Est me permit d’obtenir deux dons de la grâce inestimables. Le premier fut un accident de voiture qui m’occasionna plusieurs blessures, ce qui me valut, pendant sept jours complets, un déluge de tendre affection de la part de Sai, la Mère. J’avais depuis longtemps chéri le désir d’être veillé par Swami tout au long d’une maladie. Le continent africain me conféra cette faveur. Le deuxième don, je l’obtins sur le sol indien, à Bombay.

Mais permettez-moi de rapporter ici l’histoire d’une séance de traduction au Dharmakshetra, quelques semaines avant notre départ pour l’Afrique. La Première Conférence Mondiale des dévots Sathya Sai eut lieu en mai 1968, durant la semaine où le Dharmakshetra lui-même fut inauguré. Plus de soixante mille personnes se rassemblèrent au Bharathiya Vidya Bhavan Campus dans une atmosphère d’adoration et de dévouement. Dès que Bhagavan se fut levé pour prononcer Son discours et que j’eus pris position derrière le micro avec mon carnet de notes et mon crayon, je fus rendu muet par la première phrase. Elle était en sanscrit classique, la langue immaculée de l’Isopanishad et de la Bhagavad Gita. Je me

251 tenais à trois mètres de Lui, mais des siècles nous séparaient et je me tordais les mains et Le priai de parler aussi par mon intermédiaire en anglais. Dix minutes s’écoulèrent. J’entendis Baba prononcer mon nom et annoncer que j’avais négligé l’étude de la langue de Bharath. C’était en télougou et je dus attirer l’attention de l’assemblée sur cette lacune avant de continuer ma tâche, car après, Il parla en télougou.

Sai présidant la Première Conférence Mondiale de l’Organisation Sathya Sai à Bombay

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Le deuxième jour de la Conférence, pendant la séance du soir, Baba s’adressa à l’immense assemblée. Peut-être que les délégués de tous les continents désiraient ardemment une déclaration de l’Avatar concernant Son authenticité et Son autorité. Peut-être voulut-Il la leur révéler, mû par la compassion pour la race humaine. Ce qui se produisit réellement, c’est qu’après avoir parlé de la mystérieuse efficacité du Nom de Dieu et des différents niveaux émotionnels de ceux qui vénèrent Dieu, Baba éleva soudain la voix, accéléra Ses phrases et déclara avec beaucoup d’insistance : ‘’Puisque ceux qui ont de la dévotion se sont réunis ici et que des gens de toutes les nations sont venus, Je ne peux que vous dire ceci.’’

Tous les visages luisaient d’excitation. Toutes les oreilles étaient en alerte. Je priai pour pouvoir réussir le test imminent. Et Baba se révéla dans un accès de sublimes vérités : ‘’Vous ne pouvez comprendre la nature de Ma Réalité ni maintenant, ni après des milliers d’années, quand bien même vous passeriez ces années à pratiquer des austérités ou à d’ardentes recherches et que toute l’humanité s’unisse dans cet effort.’’ ‘’Etant donné que Je me déplace parmi vous, que Je mange comme vous et que Je parle avec vous, vous vous illusionnez sur le fait que Celui-ci n’est qu’un exemple d’humanité ordinaire.’’ ‘’Voici la forme humaine où chaque entité divine, chaque facette du Principe divin, c’est-à- dire, tous les noms et toutes les formes attribués par l’homme à Dieu, sont manifestes.’’ Le Gange se déployait dans toute sa puissance. Je suis encore stupéfait, quand je me remémore la scène et que je rumine cette Déclaration. Je suis incapable d’expliquer comment je parvins à dominer mon extase, à retenir en mémoire les paroles chargées d’énergie divine et à communiquer la bénédiction aux chercheurs et aux sadhaks assis-là.

Permettez-moi de revenir au don que Baba m’octroya au Dharmakshetra, à l’occasion de notre retour en Inde. C’était la sainte Guru Pournima. Baba était à Kampala et à Nairobi. Il bénissait les dévots en ce jour où les disciples rendent partout hommage à leur précepteur. Il parvint à temps à Bombay pour bénir les dévots en ce jour sacré. Bombay organisa une réception colorée pour Baba, car Sa visite en Afrique de l’Est était, du moins le croyaient-ils, Son premier voyage à l’étranger. Plus de trente mille personnes se rassemblèrent pour L’accueillir. Le Dr K.M. Munshi se trouvait sur l’estrade avec Bhagavan. On prononça des discours en l’honneur de la visite de Baba sur un continent étranger.

Baba entonna Son discours avec un léger reproche. ‘’Pourquoi toutes ces histoires à propos de Ma visite en Afrique et de Mon retour à Bombay ?’’, demanda-t-Il. ‘’Je

253 suis partout. Tous les lieux sont miens.’’ ‘’Prapanchame naaillu.’’ Je traduisis ainsi la phrase télougoue : ‘’Le monde est Ma demeure’’ et j’attendis la vague d’applaudissements que je méritais pour avoir choisi ‘’demeure’’ pour indiquer ’’illu’’−un mot prolétaire ordinaire qui signifie, au mieux, une ‘’maison’’. Mais ce que je reçus fut un ‘’non’’ sonore de la part de Baba Lui-même ! Il avait coupé le micro et s’était tourné entièrement vers moi. Il agita un doigt vers moi, m’avertissant de la bourde. Il répéta deux fois ‘’non’’ et …Sai Ram !...Il fit quelques pas dans ma direction. Je craignis d’avoir gaffé au-delà de toute rédemption. Qu’avais-je dit exactement ? N’avais-je pas bien entendu ? Je dois avoir craché un terme anglais sacrilège ! J’étais au bord des larmes. Je tremblais de la tête aux pieds. Ce doigt ! Ce froncement de sourcil ! Ce non, non, non ! Je fis quelques pas rapides dans Sa direction pour recevoir ce qu’Il devait me donner.

Nous nous rencontrâmes sur l’estrade devant Munshiji. Baba avait le doigt levé. Il l’agita vers moi et dit : ‘’Non ! Pas le monde. L’Univers est Ma demeure !’’ Ah ! J’avais le darshan de Celui dont l’illu est l’Univers ! J’ai entendu le mot, le Seigneur Lui-même proclamant Sa Vérité ! Je tombai à Ses Pieds pour la béatitude du sparshan. Il me releva par l’épaule avec un doux ‘’levez-vous’’, et lorsque je réussis à me tenir debout, Il dit ‘’allez’’, en désignant le micro. Il fit quelques pas et reprit Son discours, mais pas avant que je parvienne à prononcer ‘’l’Univers est Ma demeure.’’ Le mot ‘’monde’’ m’avait offert un don plus précieux que tout ce que celui-ci pourrait jamais offrir. Oui. J’aurais dû être plus circonspect. J’étais trop amoureux du terme ‘’demeure’’ pour être suffisamment attentif à l’autre mot ‘’prapancha’’. Baba m’avait instruit à propos de ce mot il y a longtemps. Il voulait dire ‘’cosmos’’ ou plutôt, puisque ‘’pancha’’ veut dire cinq, il désignait la terre, l’eau, le feu, l’air, l’espace et où ceux-ci se trouvaient. Mon ‘’monde’’ était en effet beaucoup trop petit pour contenir la majesté de Sa Réalité.

Le 24 novembre 1926, vingt-quatre heures après la naissance de Sathya Sai, les sadhakas de l’ashram de Pondichéry furent appelés dans le hall par la Mère et Aurobindo Ghose bénit chacun d’entre eux avant son retrait du regard public. L’atmosphère était chargée de spiritualité vibrante et l’un des sadhakas s’exclama : ‘’Le Divin est descendu sur la Terre. ‘’ Car, à peine trois mois avant cette date, à l’occasion de son 54ème anniversaire, Aurobindo avait déclaré que ‘’l’objet de notre yoga, c’est d’appeler cette plus grande Conscience directement dans l’être vital et l’être physique, pour que le baume suprême de l’Universalité puisse être là dans toute sa plénitude du

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haut jusqu’en bas.’’ Baba est cette Conscience universelle et l’Univers est Sa demeure, le prapancha qu’Il se créa pour résidence.

Pas étonnant qu’Il soit acclamé comme une ‘’Puissance cosmique’’, même par ceux qui annoncent que le second avènement du Christ, la puissance planétaire, est imminente. Pas étonnant non plus que Baba ait révélé qu’Il est le Père dont la Bible avait prophétisé la venue.

Permettez-moi de rapporter un autre incident. Longtemps avant la Conférence d’Etat de Dharwad, où Baba bénit pour la première fois les gens dans leur propre langue, le kannara, j’étais chargé de traduire le télougou dans cette langue chaque fois qu’Il prononçait un discours dans cette région. Je dois avouer que la tension qui accompagne cette tâche hautement responsable sape l’attention indispensable pour entendre, comprendre, moduler et articuler le télougou du Seigneur. Je cherche votre sympathie pour une erreur que j’ai commise qui augmenta la tension et qui me mit sur le grill pendant plus d’une heure et demie.

C’était une réunion en plein air dans la cour spacieuse d’un bungalow à Madikeri dans le district de Coorg. Il y avait plus de trois mille hommes et femmes désireux de recevoir le darshan et d’écouter le message de Bhagavan et les chants qu’Il interprétait invariablement pour leur bénéfice. Baba me demanda de parler pendant quelques minutes, probablement en guise de lever de rideau. Lorsque Je me retrouvai en face du micro, mes yeux découvrirent à l’horizon une formation puissante de nuages noirs de mousson émettant des grondements menaçants qui laissaient présager une attaque. Les collines se recroquevillaient déjà de terreur à la perspective d’une terrible fusillade aquatique. Je pouvais voir beaucoup de gens pâlir à la perspective d’être trempés par le déluge. Je décidai de leur raconter une histoire qui pourrait diminuer leur angoisse.

C’était un épisode qui se produisit à Puttaparthi. Baba avait treize ans. , le dieu céleste désirait envoyer des trombes d’eau sur le village où Baba, Sai Krishna veillait sur vaches et veaux. Les gens couraient comme des dératés, cherchant à s’abriter du désastre à venir. Venkamma, la sœur aînée, était prise de panique. Elle avait prévu de construire une maison, et les briques, bien qu’empilées dans le four, étaient toujours humides et attendaient d’être cuites. La pluie abîmerait certainement le four et réduirait les briques à un tas de boue. Quelqu’un lui conseilla de recouvrir les briques avec des paquets de feuilles de canne à sucre séchées disponibles à Karnatanagapalli, le

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hameau en face de Puttaparthi, sur la rive droite de la Chitravathi. Une quinzaine d’hommes proposèrent leur aide et suivirent Venkamma qui traversa en vitesse le lit sablonneux de la rivière jusqu’au hameau. Baba aussi courut derrière eux. Mais Il s’arrêta brusquement après avoir parcouru la moitié de la distance. Il leva Sa petite main droite en l’air et cria : ‘’Venkamma ! Vaanaraadu’’. ‘’Vaana (la pluie) raadu (ne viendra pas).’’ Elle ne le pouvait pas. Il avait voulu que les nuages s’éloignent.

Je vis les visages rayonner de foi et de courage et m’assis, très satisfait de moi- même, seulement pour vite me relever car Baba commençait Son discours.

Alors que je parlais dans le micro, je fus effrayé de voir les nuages fondre sur la chaîne de collines qui frissonnèrent sous l’impact assourdissant. La tempête, dans un accès de folie furieuse frappa les contreforts. Mon esprit bascula dans la confusion. Une partie de moi procédait à la traduction tandis que tout mon être me reprochait mon effronterie pour avoir choisi cette ‘’Vaana raadu’’. La ‘’vaana’’ progressait rapidement, enveloppant la vallée et fouettant les jungles cachées là. Elle détrempa les collines et fusilla les hauteurs où Madikeri était construite. Elle engloutit le bazar et la gare des bus située à un demi-kilomètre.

Mais Baba continua de parler avec la même douceur et la même sérénité. Terminant Son discours par une pluie de bénédictions, Il chanta trois bhajans, et priant Ravindra Punja qui s’était avancé avec le plateau de l’arati d’attendre, Il parla de mon duel avec un dilemme. Je dus également traduire en kannara ces phrases lentes et délibérées pour le bénéfice de l’immense public.

‘’Avant que Je ne commence à parler, Kasturi vous a certifié que la pluie serait chassée par Moi. Il n’était pas ferme dans sa foi, bien qu’il essaya d’insuffler cette foi en vous, le pauvre homme ! Pendant tout ce temps, il avait peur, il s’inquiétait, il priait, il Me suppliait. La pluie tombe maintenant à Mahadevpet. Elle n’atteindra cet endroit que dans vingt minutes’’. Je fus alors obligé de faire réaliser à ces dévots que j’étais comme la plupart des autres qu’ils avaient connus−un pendule oscillant entre l’acceptation et l’appréhension.

Comme Baba le répète, juger de Sa gloire nous dépasse. Murphet a écrit qu’Il contient en Lui-même et qu’Il a sous Son contrôle tous les pouvoirs de Dieu comme un flacon d’encre dans lequel un océan a été compressé. Les Upanishads déclarent que Cela est plein et que Ceci est plein. Baba a aussi annoncé qu’Il est tout ce que

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Dieu est et que c’est Son Amour qui L’a incité à venir sous cette forme humaine. Nous pouvons volontiers juger de Son Amour mais pas sa Sagesse ni Son Pouvoir.

Bhagavan a déclaré que dans cet Avatar, Il a revêtu le rôle d’enseignant, d’enseignant de la Vérité. Ainsi, Il est à la fois Rama et Krishna. Son histoire est à la fois le Ramayana et le Mahabharata. Quand Baba nous dit que Sa vie est Son message, Il est Rama. Quand Il nous dit, ‘’faites comme Rama, mais pas comme Krishna,’’ Il nous met en garde contre le fait d’essayer d’utiliser des montagnes comme des parapluies ! Il nous conseille d’ ‘’agir comme Krishna l’a enseigné.’’ ‘’Je peux,’’ déclare-t-Il, ’’lever sur Mon petit doigt toute une chaîne de montagnes. Pour vous, pratiquer une seule ligne de la Gita est une aventure suffisante.’’

Baba enseigne une Gita particulière à chaque chercheur et à chaque caste, à chaque classe sociale, groupe d’âge, profession ou communauté. J’ai écouté Ses discours adressés aux enfants, aux femmes et aux personnes âgées, aux aveugles, aux handicapés, aux étudiants des Veda Patasalas, de lycées, de collèges, d’instituts techniques et scientifiques, de collèges pour jeunes filles, de collèges d’agriculture, d’universités de médecine ; aux pensionnaires de centres de détention pour mineurs, aux orphelins, aux pensionnaires de maisons de correction, de maisons de redressement et de prisons ; à des groupes de professeurs (d’école maternelle, primaire et secondaire), à des directeurs d’école, des professeurs d’université ; des psychiatres, des médecins ; des lions et des rotariens ; des hommes d’affaires, des cadres, des chefs d’ordre religieux ; des ouvriers d’usine, des ouvriers sur des sites de barrage, des mineurs et des fermiers, à des infirmières et du personnel de service social, des techniciens, des chercheurs en énergie atomique, des soldats du génie, des jawans de l’armée, du personnel de l’armée de l’air ; des poètes, des pandits, à des hommes de lettres ; des fermiers, des pêcheurs, des policiers, des pèlerins et des moines, des journalistes et des membres des communautés tribales. J’ai mis en vers les impressions que j’ai récoltées tout en observant les visages de ces gens au cours de centaines de discours que Baba a donnés dans les villages, les bourgades et les villes.

L’impact des discours de Baba sur les auditeurs est profondément positif.

Ils se rendent compte que Son discours est rafraîchissant mais sans glacer, Plein de chaleur mais sans brûler, Généreux mais sans noyer. Il guérit ceux qui souffrent et les cœurs qui saignent,

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Il est apaisant et pas lancinant, parfaitement revigorant. Il applique un baume, calme, améliore sans dissiper. Il invite à l’enquête, gagne l’assentiment, Chasse le découragement, combat les réticences, Insuffle la foi, fusionne et désamorce la vengeance. Il n’impose aucune doctrine suscitant des querelles de dogmes. Il informe, toujours charmant, jamais blessant, désarmant. Il passe au crible ceux qui y répondent, relève les découragés, Ondes sonores qui propagent Son amour, plus rapides que la lumière. Quand vous entendez Ses paroles, vous décidez calmement De faire un pas en avant sur la route du pèlerin… De déployer vos ailes, d’explorer le ciel Et de chercher les régions qui dépassent votre entendement. Il accueille tous les assoiffés et les affamés, Les boiteux et les geignards, ceux qui escaladent et ceux qui glissent, Redresse ceux qui ploient, réconforte ceux qui se noient. Ouvre les yeux et fortifie les membres, Réveille l’endormi, pousse celui qui est assis à se lever, Celui qui est debout à marcher, celui qui marche à progresser, Celui qui progresse à atteindre le but, Et celui qui atteint le but à se fondre dans le Soi.

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SON HISTOIRE – L’HISTOIRE

Pendant 32 ans, de 1921 à 1954, j’ai donné cours à des classes pré- universitaires et à des étudiants préparant des diplômes de troisième cycle. En moyenne, j’ai dû donner dix cours par semaine pendant 36 semaines chaque année. Alternativement, j’enthousiasmais et je refroidissais mes jeunes, soufflant le chaud et le froid, car l’Histoire est l’histoire de l’ascension et de la chute de l’homme parsemée d’antagonismes et d’antipathies, de crucifixions et de croisades, de Tamerlans et de Jeannes d’Arc, de Nérons et d’Asokas, de Legrees et de Lincolns, de Marcos Polos et de Hiuen Tsangs qui composent la biographie tachée de sang mais haute en couleur de l’homo sapiens. En pénitence pour les pitreries absurdes auxquelles je me livrais en classe en tant que membre de l’honorable Faculté d’Histoire, je me plongeais volontiers dans des devoirs incluant des cours extra- muros destinés aux illettrés, aux marchands, aux fermiers, aux prisonniers, etc, qui portaient sur les aventures, les accomplissements et les expériences des saints et des sages de l’Inde avec en points d’orgue, la symphonie glorieuse de Sri Ramakrishna Paramahamsa. Des années avant d’être libéré du joug de la Faculté, j’avais fait le vœu de ne plus colporter les stupidités de l’homme sous le prétexte qu’elles méritent d’être immortalisées dans l’Histoire.

Heureusement pour moi, après m’être débarrassé de l’emprise de l’Histoire du malheur, je me retrouvai dans le laboratoire de l’Histoire de la joie. ‘’Faites partie de Mon Histoire’’. Telle était l’exhortation de Baba à des milliers de personnes qui s’étaient rassemblées à Prasanthi Nilayam pendant Dasara en 1960. Comment pourrais-je écrire Son Histoire autrement, m’interrogeai-je en traduisant Son télougou pour l’assemblée. La seule gloire est Son Histoire, je découvris. C’était l’Histoire pour laquelle je désirais ardemment dépenser mes facultés, pas l’Histoire ancienne, médiévale ou moderne, orientale, occidentale ou indienne, mais positive et instructive, concernant toute l’humanité.

Il devint difficile pour moi de résister à la tentation d’accepter des invitations qui arrivaient de tous côtés pour parler du phénomène Baba. Je dois avouer que, lorsque je prenais connaissance d’un signe exceptionnel, d’une analogie dans les épopées ou d’une déclaration éloquente qui pouvait éclairer une fraction du mystère de Baba, je pensais à mes anciens étudiants et collègues de Mysore. Je débarquais chez eux pour partager mon ananda avec eux. Je reçus une lettre du Swami Abhedananda, un résident du Ramanasram à Tiruvannamalai. Avant même que ma réponse à sa demande concernant la disponibilité de Baba à Puttaparthi ne lui

259 parvienne, Baba lui avait accordé Son darshan à l’ashram en se matérialisant dans sa chambre à quatre heures du matin. Baba lui donna un coup sur la tête, un coup que le vieux moine âgé de 70 ans décrit comme ‘’fort mais supportable’’. Quand il s’assit dans le lit et quand il alluma la lumière, Baba ne disparut pas. Il parla pendant plus de cinq minutes en télougou sur le processus de méditation adapté aux aspirations et aux accomplissements du moine, puis Il disparut en disant : ‘’Ce coup vous fera penser dans la bonne direction.’’7

Comment pouvais-je bien lire cette lettre et m’abstenir de monter sur le toit de la maison pour crier son contenu à tous les passants ? L’histoire possède une collection authentique d’incidents semblables dans les annales de chaque pays. Quand j’entends des histoires similaires au sujet de Baba ou des interprétations profondes d’anciens textes qu’Il donne dans la conversation courante, mon cœur bondit. Je cours vers un groupe d’âmes sœurs et partage généreusement ma joie avec d’autres. ‘’Tout au long du jour, Votre vertu et Vos actes rédempteurs seront sur mes lèvres.’’ C’est mon message à moi-même.

Pendant le Cours d’Eté sur la Culture et la Spiritualité Indiennes, le premier qui eut lieu à Brindavan, Whitefield, je pus parler de Bhagavan aux participants. Bhagavan était présent parmi les étudiants. A la fin de l’exposé précédent, alors que je grimpais les marches pour rejoindre l’estrade, Il se leva et s’avança. Il s’acquitta de la tâche de me présenter, ainsi que le sujet sur lequel j’allais parler. Il le fit en une seule phrase : ‘’A présent, notre Kasturi va danser.’’

Que pouvons-nous faire d’autre quand nous recevons l’amour et la joie qu’Il répand sur nous ? L’Infini est entré dans la forme humaine pour assouvir la faim de son âme, infinitiser la personne et satisfaire sa faim de Dieu. Aussi l’extase ne peut être contenue par le corps frêle : elle déborde dans la joie et dans la danse. Baba a Lui- même annoncé : ‘’Je suis le Maître de la Danse, Je suis Nataraja, le premier parmi les danseurs.’’ Il danse dans chaque cellule de ce corps, Il danse dans chaque atome. Ainsi, nous sommes nous aussi poussés à danser. En fait, Baba a avoué : ‘’Moi seul connais l’angoisse de vous enseigner à chacun comment danser’’. Lorsque nous dansons, nous sommes submergés, nous sommes perdus dans la mélodie, l’harmonie, la sérénité. Mon vénéré guru Mahapurushji écrit : ‘’Nous avions même perdu le sens de la faim et de la soif. Nous dansions parfois tellement qu’en bas, le gardien avait peur que la maison ne s’écroule. ‘’ Nous nous absorbons dans la contemplation de notre propre immensité et immunité. Pour le Rig Veda, le plus

7 Pour plus de détails, voir l’article intitulé ‘’Lavision merveilleuse’’, NDT

260 vieux testament de la race humaine, le sage a révélé le but de toutes les girations de l’homme sur la Terre : Aagaama (Nous sommes venus) Nrtaye (danser) Hasaaya (rire) draagheeya aayuh (toute une longue vie !)’’

Le nord-est de l’Inde fut peut-être la première salle de danse où je pus éclairer les visages avec l’annonce que l’Infini est venu se réaliser lui-même dans les limites de l’homme où il brille d’une splendeur silencieuse. Mon fils était le directeur du Bureau d’Etudes Topographiques de l’Inde qui a son siège à Shillong et toute la région du nord-est comme domaine d’étude. La région comprenait les Etats de Meghalaya, d’Assam, de Tripura, de Mizoram, du Nagaland et d’Arunachal Pradesh. Quelques membres du personnel de l’armée et de la marine, une douzaine d’ingénieurs et de docteurs ainsi qu’une poignée de sadhakas de cette région avaient découvert l’Avatar et se languissaient de L’accueillir dans leurs cœurs. Mon fils partagea avec eux son expérience et son enthousiasme. En tournée, il essayait de communiquer le Message aux gens du commun attendris par l’adoration pour le Bhagavan implanté en eux par le grand saint . Les membres des communautés tribales qui vivaient près de la frontière vallonnée du sous-continent étaient entrés en contact avec Puttaparthi et Bhagavan en profitant de circuits organisés dans tout le pays par le gouvernement indien.

Quand j’arrivai à Shillong, les dévots organisèrent une ‘’danse’’ dans la salle spacieuse de la bibliothèque. Je parlai à un groupe de jawans dans la ville basse de Shillong et à des membres du personnel de l’armée de l’air à Upper Shillong. Le gouverneur, Sri B.K. Nehru, que l’on appelait familièrement le ‘’Vieil homme’’, fut mis au courant de ma visite, et il voulut connaître le Message de Baba pour l’humanité ainsi que Ses plans et Ses projets. Il me dit que quelques-unes de ses relations proches qui se trouvaient à Bombay étaient très attachées à Baba et qu’elles lui avaient raconté leurs expériences des miracles de Baba. ‘’Mais’’, me confia-t-il, ‘’la manière dont votre Baba a redressé et assoupli ce chef tribal, B.Y. est certainement le véritable miracle pour moi. J’aimerais que vous visitiez Along tout près de la frontière et que vous y rencontriez les gens. Je m’occuperai de tous les arrangements pour votre visite. Vous devez accepter. C’est une mission qui en vaut la peine.’’ Je connaissais la personne qu’il avait citée. Je l’avais rencontrée quand elle se trouvait en visite à Puttaparthi avec un groupe conduit par un sous- secrétaire du gouvernement, Sri Patir, et un architecte, Sri Sarma, du Ministère des Travaux Publics. Sarma était chargé de dessiner un temple pour les déités tribales, Donyi et Polo, qui devait être construit à Along par le gouvernement.

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B.Y. était affecté par une étrange douleur intestinale qui avait fait de lui un invalide chronique. Les médecins et les chirurgiens de Shillong et de Gauhati ne pouvaient ni guérir la douleur ni soulager son angoisse qui lui collait à la peau. Il visita bon nombre d’hôpitaux, sans succès. B.Y. fut convaincu de se joindre au groupe des membres des communautés tribales qui visitaient le reste de l’Inde par le colonel Raja, conseiller du gouvernement pour les affaires tribales. Dévot de Baba, il était certain que, quand le groupe atteindrait Puttaparthi, la douleur disparaîtrait. ‘’Vous êtes conduit en présence du Dieu vivant. Il exorcisera le démon qui a fait de votre abdomen sa résidence,’’ le rassura-t-il. Ses paroles se sont avérées exactes.

Baba lui révéla qu’Il était conscient de sa douleur intense. Il lui dit que toute la tribu était un spectateur angoissé de sa tragédie. Il matérialisa une petite quantité de cendre curative à partir de l’air qui les entourait. L’officier rapporta au gouvernement de Shillong que B.Y. fut guéri si radicalement et si efficacement qu’à partir de ce jour, il consomma trente roupies de nourriture par jour et qu’il ne se porta pas plus mal, malgré le gavage. La bonne nouvelle se répandit dans la communauté tribale. Ils accueillirent le vorace avec de grandes réjouissances. Baba devint Dieu venu comme médecin avec la cendre comme panacée.

De North Lakhimpur où l’avion me déposa, après avoir parcouru en jeep plus de 250 km de routes éprouvantes, je parvins à Along. Là, je ‘’dansai’’ devant une large assemblée de membres des communautés tribales. Je leur parlai du Dieu vivant qui avait béni leur chef avec une pincée de cendre. Ils me montrèrent le site où devait être bâti le temple de Donyi-Polo. Ils me dirent que Baba avait donné un plan de la structure à l’architecte.

B.Y. et le groupe avaient quitté Puttaparthi par le premier bus. Ainsi, bien que Patir m’avait chuchoté à l’oreille la bonne nouvelle que Bhagavan les avait bénis avec une plaque et un plan, je n’avais pas eu l’opportunité de les voir. A Along, sur le site du temple, je demandai au fonctionnaire qui me chaperonnait de les apporter.

Ils se hâtèrent et ils revinrent avec deux coffrets en bois qu’ils ouvrirent révérencieusement l’un après l’autre. Le premier coffret contenait la plaque en Panchaloha avec les symboles de Donyi (le soleil) et Polo (la lune) gravés dans le Om, la syllabe mystique des Védas. Le second coffret contenait une

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enveloppe avec une feuille de journal à l’intérieur. C’était des dons de la main divine, déclarèrent-ils. Je réprimai le sourire amusé qui marquait mon visage, car je pris conscience de leur profonde loyauté envers tout ce que Baba touchait et communiquait.

Sur le côté vierge d’une enveloppe usagée qui autrefois avait contenu une lettre qui Lui avait été adressée, Baba avait dessiné le plan du temple. Il y avait un cercle devant l’autel rectangulaire. Il leur expliqua : ‘’C’est une plate-forme pour votre danse propitiatoire.’’ Il dessina une figure circulaire devant l’entrée principale et dit : ‘’Ici vous sacrifiez les animaux, si vous le devez.’’ Il recommanda au groupe : ‘’N’abattez pas d’animaux pour plaire à Donyi et à Polo. Eux aussi sont des enfants de Donyi et de Polo. Dites aux gens que s’ils s’aiment, les dieux seront plus heureux. Souvenez-vous-en ! Le dimanche (jour de Donyi) et le jour de la Pleine Lune (jour de Polo), ne tuez pas d’animaux. Et laissez-Moi vous dire ceci aujourd’hui même : quand Je visiterai votre Along, ne tuez pas d’animaux où que vous soyez, pour n’importe quelle raison.’’ Je conclus à partir de leur récit de ce qui s’était passé à Puttaparthi que Baba avait planté les graines du doute et du dégoût qui se transformeraient rapidement en une incrédulité saine à propos de la validité et de la valeur de leur offrande traditionnelle du veau engraissé. Comment Dieu peut-Il se réjouir quand Ses enfants placent devant Lui les cadavres de leurs frères abattus par eux en Son nom ?

Mes deux conférences aux membres des communautés tribales furent traduites en adi par le fonctionnaire chargé de le faire (Patir rapporta qu’à Puttaparthi, Baba avait parlé à B.Y. et aux autres dans leur propre dialecte). A Along, je passai une journée à l’école secondaire de la Mission Ramakrishna. Swami Bhavyananda qui dirigeait l’institution était un moine du Karnataka que je connaissais depuis des lustres et nous parlâmes avec nostalgie du bon vieux temps et de souvenirs qui semblaient ne pas vouloir disparaître. Je parlai de l’Avatar Sai aux moines et aux dévots laïques ainsi qu’aux élèves de l’école. B.Y. avait organisé un satsang à sa résidence, le dernier jour de mon séjour. Swami Bhavyananda et moi, nous dînâmes avec lui après la fin du satsang. La dévotion des hommes simples des communautés tribales envers le Dieu vivant était pour moi une leçon qui m’enjoignait de broyer les incrustations de dialectique scolastique qui enveloppaient ma d’une épaisseur telle que la splendeur de l’Atma ne pouvait pas l’éclairer.

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Je retournai dans la région du Nord-est cinq ans plus tard, quand le président d’Etat de l’Organisation Sri Sathya Sai m’invita à présider la Conférence des responsables des Unités qui s’étaient rapidement multipliées parmi les gens des plaines et les tribus. L’atmosphère embaumait l’encens, les hauteurs répercutaient les bhajans, les vallées résonnaient du Om, les namghars s’éveillaient avant les oiseaux et Sai Ram était devenu le sésame qui ouvrait les cœurs des habitants. Des enfants qui jouaient aux billes au bord de la route criaient Sai Ram.

La Conférence de Shillong dans le Meghalaya réunit des dévots Sai de villes et de villages éloignés. Le colonel Raja, alors gouverneur adjoint de l’Arunachal Pradesh, me persuada de visiter Tezpur, la capitale jusqu’à ce que l’érection de la nouvelle métropole soit achevée. Je parlai aux fonctionnaires civils et militaires que le colonel Raja avait invités au Raj Bhavan. Quand je m’assis, il se leva pour annoncer que lui aussi était un dévot de Bhagavan, ayant trouvé en Lui la forme divine qu’il adorait depuis des années. Il leur raconta un incident qui se produisit au Raj Bhavan même. Un gigantesque massif de bambous autour duquel étaient placées les tentes d’ouvriers népalais prit feu dans l’enceinte du Bhavan, dit-il. Les flammes, déchaînées, montaient haut dans le ciel, et quand les gros bambous creux éclatèrent à cause de la chaleur, le bruit ressemblait à des pétards. ‘’Je n’étais pas présent. Ma femme s’est précipitée sous le portique et elle a vu la conflagration. Elle a craint que les maisons des Népalais ne soient réduites en cendres et elle a crié ‘’Sai Baba !’’

Le colonel Raja fit une pause. Nous nous interrogeâmes sur ce qui allait suivre. Il reprit. ‘’Le feu est retombé en cinq secondes ! Même une douzaine de camions de pompiers n’auraient pas pu accomplir ce travail’’. Sur ce, il invita toute l’assemblée à se rendre à l’extérieur pour contempler le bosquet. L’appel avait attiré la réponse. Le miracle était là pour que tous puissent voir et s’abandonner. A environ six mètres du sol, chaque tige de bambou avait une pointe noircie, ce qui démontrait sans aucun doute possible que le feu dut obéir instantanément et sans broncher à la Volonté de Sai qui avait répondu à la prière.

A Tezpur, je fus autorisé à pénétrer dans le Centre d’entraînement des forces de sécurité frontalières et je pus être présent pendant les bhajans. Je leur parlai de l’Avènement de l’Avatar et de Son message de salut par l’amour. Les jawans du Kerala découvrirent que j’étais né et que j’avais été élevé dans leur propre pays de montagne et de mer (les deux voix de la liberté qui stimulèrent Shankaracharya dans l’aventure libératrice de l’advaita). Ils se rassemblèrent autour de moi et je

264 leur récitai un long poème en malayalam que j’avais composé en l’honneur de Bhagavan. Loin, très loin des palmeraies et des mangroves de leur pays natal, ils furent enchantés d’entendre le poème et d’absorber la majesté qui s’en dégageait.

De Tezpur, je me rendis à Nowgong, traversant le Brahmapoutre qui s’étalait sur plus de six kilomètres de terres dans sa furie obstinée. A Nowgong, Dilbrugarh et Tinsukia, des centaines de dévots qui suivaient joyeusement la thérapie Sai pour l’élimination des impulsions égoïstes et de la spiritualité exhibitionniste écoutèrent mes paroles. Baba m’avait déclaré quand je pris congé de Lui à Puttaparthi : ‘’Si on annonce un discours donné par vous, trente personnes y assisteront. Mais si on annonce un discours donné par vous Me concernant, trois cent personnes y assisteront.’’

A Sa manière propre et insondable, Baba s’était installé dans des milliers de cœurs et de foyers, et je découvris très vite que j’avais été envoyé plus pour apprendre que pour communiquer ce que j’avais appris. Les histoires que j’entendis, les dévots que je rencontrai, les signes de Sa Présence et de Son empressement à revitaliser et à remodeler ce que je vis dans les villages et dans les plantations, les camps et les nouvelles implantations où mes hôtes m’emmenèrent me firent hésiter à faire étalage de mes qualifications. Je réalisai la valeur de la déclaration que j’avais souvent faite en parlant de Baba : ‘’Que connaissent-ils de Prasanthi Nilayam que seul le Seigneur de Prasanthi Nilayam connaît ?’’

En donnant cours d’Histoire Britannique à mes élèves pendant les années vingt, j’avais tendance à m’étendre sur la vantardise anglo-saxonne, ‘’Que connaissent-ils de l’Angleterre, que seule l’Angleterre connaît ?’’, bien que je le faisais avec un correctif. ‘’Les Britanniques gouvernent un Empire sur lequel le soleil ne se couche jamais, parce que Dieu ne peut pas se fier à eux dans l’obscurité.’’ Mais ici, c’est un empire gagné par Baba, un empire sur lequel l’amour brille pour toujours, gagné par la compassion, un Commonwealth de dévotion, de dévouement et de discipline.

A Tinsukia, je parlai à un groupe d’enfants de la paume levée de Baba, l’Abhaya Hastha, visible sur le portrait qu’ils avaient devant eux, et je leur promis des prix pour les rédactions qu’ils rédigeraient à propos de ce que je leur avais dit. A Dilbrugarh, je racontai l’histoire upanishadique d’un glorieux pilier de lumière qui apparut devant les dieux, alors qu’ils fêtaient fièrement leur victoire sur les démons. Il posa un brin d’herbe devant eux. Le dieu du Vent ne parvint pas à le faire

265 trembler, bien qu’il soulevât sa plus furieuse tempête. Le dieu du Feu ne put, ne fut-ce que l’abîmer, bien qu’il créât la conflagration la plus colossale. Le Seigneur des dieux fut humilié, car la Lumière était UMA, AUM, la Volonté Toute-Puissante, Brahman Lui-même. Les dévots savent que Baba était l’incarnation lumineuse, la Volonté Toute-Puissante d’où s’en retournent chagrinés et plus sages la science, la psychiatrie et l’érudition, comme le firent ces dieux.

Je continuai jusqu’à Gauhati, en passant devant une plantation de thé où les cueilleurs circulent le long des huttes en chantant des bhajans chaque jeudi et chaque dimanche à l’aube, qu’ils concluent en se prosternant devant Lui. Baba s’était établi dans des douzaines de foyers de la ville et des environs. Je pouvais voir Ses empreintes dans la cendre qu’Il répandait afin d’annoncer Sa Présence. Je racontai des histoires au sujet de l’enfance de Baba à des enfants qui remplissaient une salle immense. C’était tous des élèves des classes Bala Vikas. Je ‘’dansai’’ au centre de service du samithi et à la bibliothèque, mais je dois avouer avoir été envahi par une plus grande joie, quand je dansai avec une chatte blottie contre ma poitrine dans le salon de la résidence de l’infirmière en chef de l’Hôpital du gouvernement, à Gauhati...

Minkie, la chatte que je câlinais, fut sauvée de la mort par Baba, alors que dans un accès de colère, elle était battue par une jeune fille dont elle était l’animal familier. Il y avait seize portraits de Baba par l’entremise desquels Il assista à la torture et chacun d’entre eux dégringola du mur, avertissant l’infirmière que son accès de colère à l’encontre du chat avait provoqué la tragédie.

(Ce signal qui indique Sa Présence est un phénomène que les groupes Sai expérimentent couramment. Le Dr. Samuel Sandweiss, le psychiatre californien, écrit dans son livre : ‘’Un soir, Sharon et les enfants parlaient de Sai Baba dans notre living. Etait-Il réellement réel ?, voulaient-ils savoir. ‘’Je pense qu’Il est réel,’’ répondit un des enfants sur un ton hésitant. A ce moment-là, une grande photo de Baba s’écrasa brusquement sur le sol depuis la table proche, stupéfiant tout le monde. Dans un murmure intimidé, tous commencèrent alors à affirmer : ‘’Il doit être réel !’’)

Alertée, l’infirmière supplia sa sœur de cesser de battre Minkie et quand la chatte toute tremblante fut déposée sur la table, elle s’ébroua pour se soulager de la douleur et ainsi, la table accueillit une fine pluie de vibhuti odorante provenant sans

266 aucun doute de Puttaparthi. ‘’Si vous avez besoin de Moi, vous Me méritez,’’ dit Baba. ‘’Appelez-Moi par n’importe quel nom, Je répondrai immédiatement.’’ Quelle histoire pour illuminer les pages du Bhagavatam qui se déroulait maintenant parmi nous ! L’histoire connut une suite sensationnelle. La sœur de l’infirmière se rendit à Prasanthi Nilayam quelques mois plus tard et de façon tout à fait inattendue, Baba plaça dans ces mains qui avaient infligé des coups à l’animal domestique une poignée de paquets de vibhuti avec l’injonction, ‘’C’est pour le chat’’ ! Pas étonnant dès lors que je dansai avec le chat serré contre ma poitrine ! Alors que j’écris, j’ai devant moi une photographie du chat sur la table et sur laquelle la vibhuti répandue par Baba tomba en abondance en ce jour fatidique. Elle me met en garde contre toute pensée, parole ou acte qui provoque ou suggère le moindre mal ou la moindre insulte ou négligence à l’encontre d’une être vivant, car tous vivent en Lui et par Lui.

Je pris l’avion de Gauhati pour Calcutta à travers un épais rideau de nuages sombres illuminés par des éclairs occasionnels. Je restai six jours dans cette ville. Le président de l’Organisation Sathya Sai du Bengale-Occidental avait établi un tel programme de visites et de discours dans presque toutes les régions où des dévots aspiraient à entendre parler de Ses leelas et Ses mahimas que mon hôte me dit un peu tristement à la gare de Howrah, où je pris le train pour Puttaparthi : ‘’Oncle ! La seule occasion où j’ai pu vous donner quelque chose à manger et à boire, c’est quand je vous ai donné deux cachets d’aspirine avec un peu d’eau, vous vous rappelez ?’’ On me trimballait dans tellement d’endroits pendant la journée que je lâchai complètement prise. J’étais accueilli avec gratitude, parce que je leur apportais une bouffée d’air de Puttaparthi à laquelle ils aspiraient.

J’allai à Dakshineshwar rendre hommage à la Mère et à l’Enfant de la Mère, le Paramahamsa qui me conduisit à Baba. J’eus une surprise agréable et réconfortante, lorsque les résidents de Dakshineshwar qui avaient formé un Sathya Sai Bhajan Mandali m’accueillirent et m’accompagnèrent pendant que je priai au temple et que je méditai dans la pièce sanctifiée pendant des années par Sri Ramakrishna. Nous nous assîmes en silence sur le sol sacré près du Panchavati Grove, face au Gange peu enclin à troubler la paix dans nos cœurs. Finalement, ils demandèrent que je leur parle de Baba. Les mots flottaient dans ma conscience, et je sentis qu’ils étaient inspirés par Guru Maharaj lui-même. L’heure passée à partager ma joie avec eux est toujours imprimée en lettres d’or dans les pages de ma mémoire.

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Je me sens poussé à mentionner au moins quelques expériences exceptionnelles qui eurent lieu pendant ma visite à Calcutta, puisqu’elles éclairent quelques facettes de la splendeur avatarique de Baba. Sœur Madhuri, la femme d’un routier, contribuait modestement à remplir la bourse familiale en faisant des petits boulots dans le voisinage. Ils habitaient dans un immeuble délabré dans une ruelle boueuse et tortueuse. Néanmoins, lorsque nous entrâmes dans cet espace appelé ‘’maison’’ par les deux bambins, nous fûmes frappés par la propreté et la piété qui en émanaient. Nous nous demandâmes comment ils pouvaient bien avoir de la place pour installer un autel sur lequel figuraient quatre portraits de choix de Baba, ainsi que quelques autres déités spécialement vénérées dans l’Etat du Kerala. Nous fûmes accueillis au son des bhajans et on nous présenta de petites nattes pour nous asseoir et contempler les photos. Celles de Baba étaient recouvertes de Vibhuti qui tombait en pluie sur des plateaux. Elle émanait des portraits et restait collée, mais le visage de Baba resplendissait avec un sourire bienveillant sur chacun d’eux. J’ai vu de telles émanations à Nellore, Mangalore et Ernakulam.

Je vis une petite icône en argent de Krishna bébé rampant à quatre pattes que la sœur découvrit dans les fleurs sur l’autel le jour de Janmashtami, le jour saint où l’on célèbre l’anniversaire de Krishna. Elle était là, dans un récipient presque complètement rempli d’amrita qui coulait continuellement de l’image du Seigneur. Je pouvais identifier la consistance, le goût et le parfum comme étant authentiques, car j’avais déjà été le témoin de cet écoulement, j’avais reçu l’amrita dans la paume et sur la langue, et j’avais apprécié le goût et la saveur de l’amrita créée directement par Baba à Puttaparthi, Kovalam, Venkatagiri et Banashankari. Je l’avais vue s’écouler de portraits et d’icônes dans le Tamil Nadu, le Kerala, le Karnataka, le Maharashtra et le Nord-Est de l’Inde. Pas étonnant que cette ruelle boueuse était devenue une route de pèlerinage. J’appris que les événements ne pouvaient pas être cachés ou empêchés ou écartés. Les gens venaient, ils voyaient, et ils étaient impressionnés. Ils examinaient, ils expérimentaient et ils étaient éblouis. Ceux qui venaient pour se moquer restaient pour prier. Baba devint le dieu du foyer de milliers de personnes dans toutes les parties de la ville tentaculaire.

Ce fut Sudha Mazumdar qui me raconta l’histoire. Elle fut présidente adjointe de la Women’s Association of India, une auteure célèbre et une travailleuse sociale infatigable. Elle avait été attirée par Sai depuis qu’elle avait vu Ses prodiges dans cet humble taudis. Avec Baba, c’est le coup de foudre et la joie par la suite via la compréhension. Plus tard, elle eut une série de visions et de voix qui furent confirmées par Baba, à Puttaparthi.

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Quand je visitai Calcutta quelques années plus tard, elle m’emmena dans l’aile réservée aux femmes de la prison d’Alipore, lors de sa visite régulière pour y enseigner aux détenues l’histoire du Ramayana. Je mis à profit l’occasion pour raconter aux infortunées quelques histoires du Sai Ramayana. Etant donné la courtoisie, le calme et la concentration avec lesquels les septante d’entre elles écoutèrent les deux , j’en conclus que la compassion et la compréhension aimantes peuvent baratter le beurre dont Krishna raffole, même dans des cœurs pervers et pollués.

Après avoir fait ses premières classes avec Ramakrishna et le tantrisme, Sri S.P. Ghosh, qui était le directeur principal de la prison d’Alipore, s’engagea aussi auprès de Sai. J’entrai dans la prison avec lui et je me tins en méditation silencieuse dans la cellule où, en 1908, eut la vision de Vasudeva sarvam idam. En 1909, Aurobindo sortit d’Alipore dans la peau d’un homme nouveau. Il avait réalisé qu’il était un instrument de Dieu.

Permettez-moi de faire une petite digression et de partager avec vous les pensées qui affluèrent dans mon esprit, alors que je me trouvais dans cette cellule. Aurobindo arriva à Pondichéry en 1910 et se réfugia dans cette colonie française. Seize années de sadhana yoguique suivirent. Le 15 août 1926, alors que ses disciples célébraient son cinquante-quatrième anniversaire (exactement 100 jours avant la naissance de Sathya Sai Baba à Puttaparthi), Aurobindo déclara lors de son discours : ‘’L’objectif de notre yoga, c’est d’attirer une Conscience, une Puissance et une Lumière de Vérité, une Réalité divine qui est différente de la conscience qui est conforme à un être ordinaire de la Terre−une Conscience, une Puissance, une Lumière de Vérité, une Réalité divine qui est destinée à élever la conscience terrestre et à tout transformer ici…’’ Je me sentis suprêmement heureux de me trouver à l’endroit où Aurobindo avait été béni de la première vision qui conduisit à la seconde.

Au cours d’une autre visite, je me rendis à la prison Dum Dum de Calcutta, à l’occasion d’un jour férié où les prisonniers reçurent un repas festif. Je leur parlai de Sai qui cajole les criminels comme Ses propres enfants malavisés, comme ceux qui se trouvent en dehors des murs. Son amour le conduit à travers les barbelés et la pierre, les verrous et les serrures chez ceux qui désirent purifier leur esprit avec le détergent de la dévotion. Ils se montrèrent des auditeurs avides des récits que je leur fis de Son omniprésence et de Sa compassion. Laissez-moi dire que j’ai eu des

269 occasions similaires de porter la Bonne Nouvelle et l’Evangile aux prisonniers de Gulbarga et de Mysore dans le Karnataka et de Salem et Coimbatore dans le Tamil Nadu. Des dévots de Baba qui visitent les prisons et qui ouvrent une fenêtre dans les cœurs sombres pour révéler un coin de ciel bleu de l’amour de Sai me conduisirent chez ces frères mutilés et menottés. J’en ai rencontré quelques-uns qui sont venus à Puttaparthi d’Hazaribagh et de Warangal après avoir purgé leurs peines. Le repentir les avait fortifiés et la foi avait renforcé leur volonté d’éviter d’autres chutes et de continuer vers le But.

J’étais enchanté de voir l’apparition de vibhuti et d’amrita sur les portraits de Bhagavan−une stratégie qui convainc même les rationalistes les plus retors. Je ne pourrai jamais oublier les moments passés dans l’appartement de Das Gupta. Il me décrivit comment le kumkum apparut mystérieusement sur le front de Baba et d’Anandamayi et comment le jour de Shivarathri, il reçut du portrait de Baba un linga et les jours suivants, un damaruko (le petit tambour de Shiva), un trisula (un trident), une bilva argentée (une feuille sacrée) et quelques gouttes d’amrita. Il y avait beaucoup de vibhuti qui provenait des photos de Baba et − le plus étonnant de tous les phénomènes…de la photo du vénéré guru de Das Gupta, Guru Mohananda qui avait lui-même assisté à l’incroyable spectacle qui indiquait que Baba avait reconnu qu’Il utilisait ce guru comme instrument de Sa Tâche.

Il y avait un certain Ravi Kumar Basu qui vivait au rez-de-chaussée et dont le fils âgé de trois ans ne pouvait marcher droit sur ses jambes. Bien que des gens aient suggéré que les parents aient recours à la vibhuti disponible en abondance dans le même bâtiment, leur ‘’superstition scientifique’’ les en empêchait. Mais un matin, Baba poussa le garçon à gravir tout seul les dix-neuf marches. Il pénétra dans le sanctuaire de Das Gupta, s’installa devant le portrait de Baba et il fut découvert en train d’appliquer de la vibhuti sur ses jambes. Quand je marquai le désir de le voir, il fut appelé et je pus voir que c’était un petit garçon tout à fait normal qui courait partout.

Le Président de l’Etat du Bihar, le Dr D.S. Murthy, chimiste en chef chez Tata, me convainquit de visiter Jamshedpur et Ranchi. Je fus surpris de voir une grande foule de Pendjabis se précipiter vers nous quand nous fûmes repérés à la gare. Le vénérable Sri S.D. Khera, le Président de l’Organisation Sai Seva du Bengale- Occidental qui m’accompagnait, ne m’avait pas révélé qu’il était le guru héréditaire d’une secte qui comprenait des centaines de familles. Puisqu’il avait été annoncé que Sri Khera présiderait lors de mon discours dans la soirée, un contingent

270 appréciable de ses disciples y assistèrent et furent exposés au Sai universel et unificateur. Dans un autre lieu, le Madrasi Hall, des employés du Tamil Nadu se rassemblèrent une heure avant que le public ne soit là pour m’entendre lire et expliquer dans leur langue et avec des illustrations le Sai Bhagavatham.

Le Président de l’Etat du Bihar me força à interrompre mon voyage et à m’arrêter dans la petite gare de Chakradharpur, qui possédait un hall spacieux comme centre de bhajans et de service construit par les membres du Sathya Sai Seva Samithi local. Je fus rejoint là par un membre de l’Assemblée Législative du Bihar qui représentait les tribus aborigènes de la région, les Adivasis. Il me décrivit la sensibilité étonnante des gens de sa circonscription : ‘’Ils écoutent le silence et contemplent le vide ; ils voient Dieu dans la feuille qui tremble et le diable dans un oiseau qui crie,’’ dit-il. Ils ne sentent ni dégoût, ni mépris, ni peur chez les dévots Sai et ainsi, ils leur font confiance comme à l’un des leurs. Mais ils se méfient des pourvoyeurs de l’assistance sociale en col blanc et des chercheurs curieux en quête de friandises anthropologiques pour leurs thèses de doctorat ; ils n’apprécient pas la charité démonstrative ni les programmes motivés par les photos, expliqua-t-il. Il était plutôt explosif dans sa condamnation de telles tactiques. Je souhaitai qu’il y eut encore d’autres kilomètres à parcourir, mais Ranchi approchait rapidement et on me conduisit dans la salle de conférence.

En rentrant à Calcutta, je remplis mes engagements à Kharagpur, Howrah et Burdwan. La colonie des chemins de Fer de Kharagpur était réellement un village de dévots Sai. Ils avaient acquis un bout de terrain et construit un centre pour leurs activités de service et de sadhana. A Howrah, je fus surpris de découvrir l’ancien hôtel de ville rempli bien au-delà de sa capacité maximale, ce qui témoignait des efforts sérieux du Sai Seva Samithi local pour apporter la lampe de l’amour Sai dans les foyers des faibles et des fléchissants. A Burdwan aussi, il y avait le même hôtel de ville dans lequel se répercutaient des bhajans chantés par des centaines de cœurs. Je pus bien communiquer avec le public, parce que nous étions sur la même longueur d’onde.

J’étais aussi très impatient de me rendre à Darjeeling, parce que des troupes de dévots des régions himalayennes comme la vallée de Kulu, Simla, le Sikkim, le Bhoutan et le Népal venaient à Prasanthi Nilayam en quête d’un diagnostic et de médicaments pour leurs maux et qu’ils rentraient chez eux guéris, reconstruits et soulagés. Ceux qui les rencontrent par la suite sont étonnés de la transformation qui s’est produite − l’assurance montrée, la courtoisie communiquée et la chaleur

271 de l’amitié manifestée. Je quittai Calcutta pour un endroit avec un nom difficile, mais avec un aéroport tranquille d’où les frères des collines me conduisirent, non pas à Darjeeling, mais dans une ville perchée sur un escarpement.

C’était une conspiration innocente par des pirates amicaux. On me dit que je devais me reposer un peu et boire tranquillement une tasse de thé chaud. Pendant ce temps-là, la nouvelle que Puttaparthi était arrivée se répercuta partout dans les maisons accrochées aux rochers escarpés et aux crevasses, aux petits sommets, aux plateaux et aux promontoires, et trois quarts de la population−hommes, femmes et enfants se rassembla sous ma fenêtre et me contempla comme si j’étais l’homme qui avait marché sur la lune. Quelqu’un les rassembla dans un hall où l’on me conduisit. Ils chantèrent des bhajans et apaisèrent l’atmosphère. Je n’étais que trop heureux d’apercevoir l’étincelle de leurs yeux, lorsqu’ils écoutèrent les histoires de Baba et de la conquête universelle qu’Il avait accomplie grâce à l’amour.

Après ceci, on me relâcha et nous pûmes nous rendre à Darjeeling où un copieux programme m’attendait ainsi qu’une ample provision de gants en laine, de pulls, de châles, de tricots, de chaussettes et de bonnets.

Je parlai à plusieurs groupes pendant les deux jours de mon séjour, mais deux événements sont restés gravés dans ma mémoire. Le premier fut mon discours aux membres du personnel et aux étudiants d’une école fondée par une femme et une mère en souvenir d’un mari et d’un fils tué alors qu’il circulait en scooter. C’était un ardent fidèle de Baba et l’école venait d’avoir deux ans. Mes hôtes me dirent que le chemin le plus facile pour arriver à l’école à temps passait par le piétonnier où les voitures étaient interdites. L’école me voulait ; je voulais l’école. Le piétonnier nous séparait. Mais nécessité fait loi. Ils découvrirent un moyen. Mon hôte me suggéra de tomber malade, ainsi je pourrais être transporté en ambulance dans le piétonnier. L’interdiction ne concernait pas les véhicules de cette catégorie. Ce n’était pas une perspective très agréable, mais ils me supplièrent d’accepter. Je n’aurais qu’à me coucher, étendu de tout mon long sur la banquette bien rembourrée. Trois d’entre eux m’accompagneraient, l’inquiétude se lisant sur leurs visages, l’un près de ma tête, l’autre près de mes pieds et le troisième sur la banquette opposée. Je reçus une vision de Baba que ma situation fit glousser, mais Il donna Son accord, quand je Le priai de répondre par oui ou par non. Ainsi l’ambulance arriva, suite à un bref appel téléphonique. Je me hissai dedans et m’allongeai sur la banquette pas si bien rembourrée. Les autres prirent leurs places

272 avec des têtes d’enterrement et nous fonçâmes à travers le piétonnier. Après la réception à l’école, nous répétâmes la manœuvre en sens inverse.

A Darjeeling où je pouvais voir clairement le Kanchenjunga, le désir d’observer les premiers rayons du soleil éclairer le Mont Everest fut irrépressible, d’autant plus que sa réalisation n’impliquait qu’une promenade en jeep aux petites heures jusqu’à Tiger Hill dans le froid mordant et un ciel dégagé au-dessus du mont. Mes hôtes y consentirent. Ils me transportèrent sur la colline, et je me retrouvai en première ligne des spectateurs debout sur la pointe des pieds qui attendaient que la lumière éclaire cette scène de sublime grandeur. Mais les nuages s’y opposèrent. Je redescendis, le cœur lourd et triste. Certains pèlerins ne purent toutefois digérer leur déception. Certains déclarèrent qu’ils virent ce que l’on ne leur a pas montré. J’eus toutefois une grande consolation le matin même. Le Mont Everest jouait à cache-cache avec moi et s’amusait peut-être de ce vilain jeu. Mais bientôt, je me retrouvai au côté de l’homme que même la plus haute montagne du monde n’osait pas mépriser. Il lutta, et malgré tous les jeux de cache-cache, il gagna. Il s’appelle Tenzing Norkay, et quand je me rendis à l’Ecole d’Alpinisme de Darjeeling, il m’offrit une longue et chaleureuse poignée de main.

A l’Institut, une surprise m’attendait. Alors que nous suivions le chemin en gravier qui conduisait au bâtiment, nous rencontrâmes un homme qui balayait les nombreuses feuilles mortes qui le jonchaient. Il répétait : ‘’Sai Ram’’, ‘’Sai Ram’’, le sésame qui mène à la paix et à la joie ! Voilà un diamant caché dans un mendiant, me dis-je en moi-même. Après qu’on lui ait donné mes références, il abandonna son balai et courut vers la cabane où les siens vivaient. Nous continuâmes notre chemin et nous sortîmes de l’Institut après une heure, puis l’homme nous invita pour une séance de bhajans à la mode de Puttaparthi, de Sri Ganesha à Jai Jaggadeesha Harey et Sathya Sai Baba Ki Jai, avec le plateau de vibhuti. A des kilomètres de tout et face aux saintes montagnes himalayennes, un modeste serviteur de Sai suit Ses directives : ‘’Maan Anusmara Yuddhya cha’’. ‘’En Me gardant toujours à l’esprit, engagez-vous dans le jeu de la vie’’.

J’eus la grande chance de passer quelques jours dans l’Etat d’Orissa que je nomme Orissai, car d’importants groupes de volontaires masculins et féminins arrivent à Puttaparthi de cet Etat et se distinguent par leur enthousiasme à servir les dévots. ‘’Nous balayons les routes et nettoyons les environs pour le passage du char de Jagannath (le Juggernaut des dictionnaires anglais) à Puri, la Ville Sainte, aussi, attribuez-nous le même service sacré de garder le site de Prasanthi Nilayam

273 impeccable,’’ demandent-ils. Ces gens ont été modelés en de simples serviteurs de Dieu par les poètes, les pandits, les Pandas (prêtres) et les sages du passé. Jagannath, le suprême souverain du cosmos sous la forme de Krishna, règne sur le pays avec son frère Balarama et sa sœur Subhadra. Pour indiquer que ce ne sont que des noms et des formes, des réceptacles provisoires de la Volonté du Tout- Puissant, les icônes de bois sont solennellement remplacées après quelques années. On offre au Seigneur Jagannath du riz bouilli dans des pots en terre cuite, car c’est la nourriture et ce sont les plats que les adorateurs de Jagannath utilisent dans cette terre sacrée. J’étais heureux d’être avec eux ce jour-là.

De Kurda, où je descendis du train Calcutta-Madras, je me rendis à Berhampore, Konarak et Puri. Je dois dire que je fus emporté par la vague d’affection provoquée par la récapitulation des jours heureux que des dizaines de dévots passèrent à Puttaparthi et que mon nom et ma présence avaient déclenchée. A Puri, je restai pétrifié devant un témoignage de la dévotion d’un célèbre pandit sanscrit envers Sathya Sai. C’était un char de guerre avec quatre chevaux impétueux prêts à charger, l’œuvre de sculpteurs et de peintres conçue par un poète mystique qui avait imaginé la scène classique du champ de bataille de Kurukshetra. Le char d’environ huit mètres de haut, de la base des roues jusqu’à la bannière et de cinq mètres de large était un rêve réalisé, une vision rendue tangible. Arjuna était là, découragé et sous l’emprise de l’illusion, bien qu’on pouvait sentir sa discipline et son dévouement. Le Seigneur, la Vérité qui soutient le Cosmos, la Bonté qui le nourrit et la Beauté qui l’adoucit est à son côté. Il tient le fouet pour l’activer et les rênes pour maîtriser son inconstance. Et Krishna a placé devant Arjuna la Geetha Vahini prononcée par Sai Krishna ! Le char qui symbolise le dialogue Nara- Narayana, vague-océan (le trait d’union étant une hypothèse qui est fondée sur de l’autohypnose et non sur la Vérité) est là, majestueux, et proclame que Baba, qui prononça la Geetha Vahini, est le Sanathana Sarathi.

J’ai découvert que tous ceux qui sont parvenus en présence de Sai, que ce soit lors de visites en des lieux où Son darshan est possible ou que ce soit Lui qui les visite lors de rêves ou dans des visions, dans des films ou par l’intermédiaire de portraits ou des pages d’un livre ou par le biais d’apparitions physiques réelles et des signes et des signaux concrets, tous ceux-là, je ne sais trop comment, sont attirés vers les autres dévots et sont poussés à partager leur allégresse avec ceux qui deviennent aussi exaltés qu’eux-mêmes. Chacun possède un bouquet de roses fraîches et odorantes sur son autel intérieur. Au cours de séjours en différents endroits, j’ai vu

274 ma foi en la divinité de Baba renforcée au-delà de toute épreuve. L’impact de ces révélations intimes de Sa gloire fut profond.

Un inspecteur des Impôts me confia qu’il avait utilisé sa jeep ‘’officielle’’ pour se rendre dans un sanctuaire de Shiva isolé situé dans une forêt accessible seulement par une longue piste praticable par beau temps. Ce véhicule le transporta, lui, les femmes et les enfants de deux familles prolifiques−la sienne et celle de son voisin. Le sanctuaire se situait dans une grotte sur l’escarpement d’une colline rocheuse. Sa réputation se fondait sur son inaccessibilité et sur le goutte-à-goutte incessant qui tombait du plafond sur le Shiva Linga. Je prévoyais que son récit allait finir par le fait qu’ils soient bloqués la nuit en plein milieu de la jungle et ce fut le cas. La jeep s’embourba dans un nullah, alors qu’il restait environ trois kilomètres à parcourir et ses occupants se révélèrent trop faibles et trop peu nombreux pour l’extirper du bourbier et la pousser ou la tirer d’un côté ou l’autre de la pente. Aussi le dévot, le seul homme disponible en ce moment critique, courut vers la grotte en espérant recevoir de là les renforts musculaires nécessaires pour désembourber la jeep.

Il n’était maintenant plus intéressé par le linga ou par le goutte-à-goutte. Il compta le nombre d’hommes assis ou appuyés à la lumière de la seule lampe à huile. Ils étaient sept mendiants vêtus de la robe ocre, mais il ne put les persuader d’entreprendre les six ou sept kilomètres de marche à travers une jungle infestée, dirent-ils, d’ ‘’animaux sauvages’’. Cette information le fit revenir encore plus vite auprès des femmes et des enfants, mais alors qu’il n’était plus qu’à quelques centaines de mètres du nullah, il tomba sur un petit groupe d’hommes jeunes qui lui dirent qu’ils avaient poussé la jeep sur le sol ferme. Elle pouvait maintenant reprendre le chemin de la maison. ‘’Nous sommes des Sai sevaks,’’ crièrent-ils depuis la jungle où ils disparaissaient. L’Orissa était devenue l’Orissai en conséquence d’une accumulation de miracles de cette nature.

Le défunt Rao Saheb Sohan Lal était le Président d’Etat de Delhi, de l’Haryana, du Pendjab et de l’Himachal Pradesh. Il était impatient que je partage sa joie due à la diffusion phénoménalement rapide du Message Sai de vérité, de moralité, de paix et d’amour dans ces quatre Etats. Baba attirait quotidiennement des centaines de milliers de personnes à New Delhi chaque fois qu’Il visitait la métropole. Hommage Lui fut rendu sous la forme de projets de service dans des bidonvilles et des hôpitaux, de centres de bhajans actifs, de dons de sang et d’organisation d’étude des Ecritures et de leçons spirituelles pour les enfants. D’une façon ou d’une autre,

275 j’avais manqué la chance d’être à Delhi, lorsque Baba y était (jusqu’à très récemment, en mai 1982). Mais Sohan Lal me conduisit aux Centres Sai de Seva qui avaient poussé et qui s’étaient développés là où les Pieds de Lotus du Seigneur avaient touché les cœurs humains et imprimé en eux le Message, ‘’Commencez la journée dans l’amour, passez la journée dans l’amour, finissez la journée dans l’amour. C’est la voie qui mène à Dieu.’’

Sai me donna le courage d’oser parler en télougou, lorsque j’aspirai à gagner la gratitude des Andhras vivant et travaillant loin du lieu saint sanctifié par l’Avatar Sai. Je m’exprimai devant l’Association Télougoue du Venkateshwara College de Delhi et je m’adressai à des dévots tamouls et télougous dans le hall spacieux de la résidence de Sohan Lal à Golf Links Road. Sohan Lal m’offrit l’opportunité de rencontrer des étudiants, des enfants, des femmes et des sevadals. Il m’emmena au Kurukshetra, où une assemblée gigantesque de plus de cinq cent mille personnes avaient écouté dans une extase silencieuse l’appel à l’action prononcé par Sai Krishna en faveur de la pureté individuelle et sociale, la compréhension et la compassion. Je demeurai paralysé sur ce champ sacré imprégné du sang de nombreuses batailles fratricides, mais néanmoins un mémorial à l’aurige qui assure la victoire de la Vérité. Situés dans un espace entre les montagnes et le désert à travers lesquels des armées peuvent marcher de la Vallée de l’Indus au Gangétique et du Gangétique à la Vallée de l’Indus, nous avons là une série de champs où des hommes massacrèrent leurs frères humains.

A Chandigarh, je parlai du caractère unique et de l’universalité du Message de Baba et de Ses recommandations pour raffiner et diviniser nos émotions et nos passions. Nous suivîmes les traces laissées par Bhagavan en faisant halte où Il avait fait halte et en percevant l’écho de Sa voix dans la conduite et la conversation des gens que nous rencontrions. Nous Le humâmes à Ambala et à Kalka et nous empruntâmes la portion de route que les résidents d’une ville située en bordure de route avaient transformée en procession colorée et chantée pour la voiture de Baba. Nous parvînmes à Simla où nous séjournâmes dans le palais même où Il avait séjourné. Face à lui se trouvait le jardin sacré où s’étaient assis les enfants d’Himachal pour être cajolés et nourris par la Mère Sai. A présent, Sohan Lal me maternait en alimentant la cheminée de la chambre où je dormais et en me recouvrant de laine douillette. D’après le nombre et la variété de gens qui affluèrent au palais, je pus mesurer l’impact que Baba a eu sur les simples gens des collines, car j’étais sûr qu’ils vinrent me voir et m’écouter parce que j’étais une voix du Puttaparthi de Bhagavan.

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L’aube odorante se glissa à travers les cèdres et les pins et éclaira les marguerites et les dahlias autour du portique. Il y a aussi un piétonnier à Simla, mais j’évitai une seconde pseudo-fièvre. Je préférai marcher jusqu’à la salle de conférence, car Sohan Lal me parla des milliers de gens qui avaient rempli chaque centimètre carré du piétonnier pour écouter avec une attention soutenue le discours de Bhagavan et reprendre avec vigueur après Lui les bhajans qu’Il leur avait enseignés. Il avait parcouru à pieds nus le piétonnier, en sillonnant les allées des hommes et des femmes, souriant, parlant, réprimandant, acceptant pétitions et prières, conférant récompenses et grâces.

De nombreux conférenciers qui passent d’une estrade à l’autre se plaignent qu’en plus de devenir des raseurs insupportables pour le public qui tourne les yeux vers eux pour leur édification, eux-mêmes sont rapidement affectés par un ennui écœurant. Mais les mêmes gens accueillent la répétition du même discours, s’il tourne autour de Baba, car il est plein de possibilités agréables. Il peut susciter l’émerveillement, l’admiration, l’adoration, la soumission, l’allégresse, la gratitude, l’euphorie, la jubilation ou toute autre réaction semblable. Ce conférencier ne peut jamais répéter son discours, parce que l’image de Baba qu’il installe dans les cœurs des auditeurs possède un million de facettes qui peuvent attirer l’attention. Le temps ne trace pas de ride sur Sa gloire. L’omniprésent Baba est Félicité éternelle. Ce jour-là, par l’entremise des élèves balvikas, le samithi avait aussi organisé une présentation de quelques danses folkloriques d’Himachal que Simla présenterait à Puttaparthi dans le cadre d’un festival de danse folklorique national durant les célébrations du Jubilé d’or de l’Avènement de l’Avatar.

Sri Sathya Sai, lors de Son voyage à Simla, en 1975

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Bhagavan avait suivi une route recouverte de neige jusqu’à un endroit situé à environ vingt-cinq kilomètres de Simla, d’où l’on pouvait voir les océans hiverner sur la chaîne himalayenne comme d’épaisses couvertures blanches de neige. Je parcourus aussi cette distance pour me tenir à l’endroit indiqué par Sohan Lal et je frissonnai face à la scène superbe et sublime qui s’étalait d’un bout à l’autre de l’horizon. Des pics acérés ou émoussés, des pics lisses ou déchiquetés séparés par de hautes chaînes de montagnes scintillantes avec de lourdes couronnes d’argent me donnèrent leur darshan divin. C’était une image resplendissante qui envahissait le ciel, un souvenir inestimable dans le trésor de mon être.

Sohan Lal et moi nous nous rendîmes aussi à Jullunder. Bhagavan avait visité Mogha près de la frontière pakistanaise et Il y avait inauguré un prestigieux hôpital. C’était un acte de grâce. Des centaines de milliers de personnes avaient alors reçu Son darshan et écouté Sa voix captivante et Son message. Le contact se transforma rapidement en conviction dans le cœur héroïque du Pendjab. Des signes et des miracles étaient visibles en abondance. Des sikhs des Forces Armées recherchèrent activement Sa Présence. A Jullunder, les dévots se réunirent dans une grande salle et je pus leur parler de l’amour, de la sagesse et de la puissance de Baba.

Bhagavan m’autorisa deux fois à présider la Conférence d’Etat des Unités de l’Organisation Sathya Sai de Seva du Madhya Pradesh, une fois à Indore dans l’ouest et l’autre à Raipur dans l’est. Je vis Baba dans les yeux de chaque délégué, et leurs yeux brillaient en entendant le moindre incident illustrant Son omniprésente compassion ou tout poème qui jaillissait de Lui comme un chant. L’air était l’onde porteuse qui transmettait Son upadesh. Je m’étendis sur la tâche que l’Avatar avait prise sur Lui et sur la manière dont nous, qui avons reçu l’avantage de la contemporanéité, nous devons satisfaire à l’obligation que cet avantage implique.

A Indore, j’appris beaucoup sur la révolution spirituelle Sai. Là-bas, les dévots avaient une façon unique de nourrir les pauvres, ce qui est prescrit comme sadhana. Chaque maison préparait un paquet de nourriture comprenant les plats qui formaient le menu du dîner de la famille. En fait, le destinataire inconnu du paquet était aussi proche que quiconque à la table du dîner. Des volontaires passaient régulièrement chaque jour vers midi collecter les offrandes dans une douzaine de maisons chacun et les déposaient respectueusement dans les mains de ceux qui vivent de cette charité. Je dirigeai un jeu de questions-réponses à l’intention des sevadals et je me rendis compte qu’ils étaient plutôt faibles en ce qui concerne les connaissances que l’on pouvait retirer de ‘’Sathyam Sivam Sundaram’’.

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En conséquence, le Président d’Etat émit une circulaire pour que les responsables et les sevadals fassent des efforts pour comprendre et assimiler le contenu des livres sur la vie de Bhagavan. Dans un orphelinat, je vis des enfants que l’on nourrissait et dont on était en train de s’occuper. Ils avaient été tellement transformés par la méthode d’éducation Bala Vikas de Baba que même lorsque je leur proposai du halva, il n’y eut pas de ruée ni de mains tendues avant que ce ne soit leur tour. Et vous savez quoi ? Quelques enfants dans la posture du lotus avec les paumes sur les genoux et les doigts formant un mudra étaient perdus en dhyana jusqu’à ce que je les ’’ramène’’ dans la classe avant de partir ! Je ne pus résister à la tentation de visiter Ujjain, où un samithi actif exhortait les dévots à pratiquer la sadhana de l’amour et du service. Mon discours fut traduit par un professeur de l’université locale, provenant du Tamil Nadu.

En écoutant sa diction mélodieuse en hindi et en me souvenant de la charmante cascade d’hindi qui formait le discours d’un percepteur des Impôts provenant de mon Kerala natal à Indore, je ressentis une pointe de honte de devoir m’accrocher à une langue inconnue de la plupart tout en transmettant la gloire de Son Histoire. Pour surmonter ce handicap, je me liai d’amitié avec un professeur d’université du Kashmir College, docteur en hindi, et je le convainquis de me traduire dans un hindi simple et courant un long discours décousu et spontané sur Baba que j’enregistrai. Il me remit un paquet de 25 feuilles en hindi. Ma langue et mon oreille, habituées depuis des années à la famille des langues dravidiennes …le malayalam, le tamoul et le télougou, n’osait pas s’aventurer dans la langue indo-européenne, mais je me forçai à l’épreuve. Je répétai le discours devant quelques amis, et chaque semaine, je cherchai de nouvelles victimes. Aux endroits appropriés, j’insérai des hésitations, des pauses, j’accentuai certains passages et je fis des digressions que j’avais aussi soulignées dans le script. Lorsque je fus convaincu de pouvoir faire face au public dans les régions où l’on parle l’hindi avec cet unique discours écrit lu comme si c’était ma langue maternelle, j’invitai quelques dévots hindis pour la répétition finale. Avant même d’avoir fini de lire dix pages, ils me conseillèrent de laisser tomber, bien qu’ils me félicitèrent pour mon courage.

Sur la route d’Ujjain à Bhopal, je séjournai un jour à Sohore où je m’adressai en anglais aux étudiants de l’Ecole d’Agriculture située à quelques kilomètres de la ville. Comme ils connaissaient très peu la magnificence de l’Avatar, je pus aider à imprimer l’empreinte de Sai dans leurs cœurs ou tout au moins, à susciter leur curiosité et leur sens de l’émerveillement. Ce jour-là, les membres du Sai Seva Samithi de la ville se rendaient au Foyer des Lépreux et j’acceptai volontiers leur

279 offre de les accompagner. Une quarantaine de pensionnaires s’assirent sur deux longues lignes qui se faisaient face avec leurs assiettes devant eux dès qu’ils entendirent le klaxon de notre camionnette car ils espéraient une fête de chappatis, de curry, de dhal et de pappad avec un dessert spécial, le srikhand. Ils savaient que c’était du srikhand cette semaine, car ils en avaient demandé et cela leur avait été promis !

Je fus heureux de découvrir une nouvelle forme de l’amour de Sai à Sohore. Chaque dimanche, lorsqu’il est temps que la camionnette reparte avec les volontaires sevadals, le coordinateur demande quel dessert particulier les frères et les sœurs lépreux aimeraient qu’ils leur apportent la semaine suivante. Généralement, ils sont prêts avec un nom, car ils mettent en commun leurs idées, et après quelques discussions, ils arrivent à un consensus. Une vieille femme (qui avait mendié à Shirdi pendant plusieurs dizaines d’années) avait fait campagne pour le srikhand, un dessert tenu en haute estime par les épicuriens du Maharashtra et ils le réclamèrent tous d’une seule voix, bien qu’elle seule ait une petite idée de son délice. Les sevadals ne le connaissaient pas non plus, aussi ils la questionnèrent sur les ingrédients, les mesures et la préparation. Le produit de leurs expériences était venu avec moi dans la camionnette et quand il fut servi, la femme de Shirdi le déclara excellent. Les autres étaient d’accord et ils en réclamèrent davantage. Oui. Une cuillerée sur la langue me dit que c’était à coup sûr une spécialité de Pune. Cette femme doit avoir été une super cuisinière avant de développer la maladie et de commencer à mendier.

A Bhopal, capitale du Madhya Pradesh, je ne fus que trop heureux de parler aux étudiantes du Collège Sathya Sai pour jeunes filles et de rencontrer le directeur et les membres du personnel. Le Président des samithis de l’Etat avait accepté en mon nom deux autres engagements de conférence, l’un au Collège Médical, où je parlai des ‘’guérisons’’ effectuées par Baba pour tous les types de ‘’maux’’, en personne ou autrement, et un autre à la Bharat Heavy Electricals, Ltd, une entreprise du gouvernement indien. L’auditoire de l’usine était rempli de scientifiques, d’ingénieurs et de techniciens. Le directeur présidait. J’utilisai cette opportunité pour leur parler des limitations de la science et de la manière dont Baba transcendait ses lois. Les dévots se réunirent un autre soir et m’écoutèrent parler de l’Organisation, de ses idéaux et de ses programmes ainsi que des règles de discipline que les membres doivent observer.

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Laissez-moi déclarer que, où que j’aille, je découvris des groupes bien soudés d’hommes, de femmes et d’enfants qui sont la nouvelle société de l’Ere Sai de l’histoire humaine. Le progrès humain, dans n’importe quel domaine ou direction, ne peut se réaliser par phases ou par étapes. Comme Bergson l’a observé : ‘’C’est réellement un bond en avant,’’ et le bond, selon lui, n’est effectué que lorsque l’humanité est secouée ou ébranlée par un événement ou une personne extraordinaire. Baba est cette personne et les groupes auxquels je me suis mêlé dans tous les endroits que j’ai visités sont les pionniers, les propagateurs, les instruments, les participants. Les graines semées sont séparées, quel que soit le sol, et chaque unité est une graine qui grandit à sa propre allure en rencontrant les obstacles locaux et en assimilant les bienfaits locaux. Mais toutes sont d’un seul type : elles sont nourries par le même Soleil et ne produisent qu’une seule récolte : la récolte de l’amour.

Bombay a été définie comme l’estomac de l’Inde par Baba, et comme la pilule avalée entraîne la force du corps entier, Sai l’a traitée avec des visites annuelles. J’ai eu plus d’une fois l’opportunité de rencontrer des dévots Sai à Sion, Chembur, Fort, Andheri, Sivaji Park, Worli et dans beaucoup de banlieues comme Thane, Ullasnagar et j’ai constaté la croissance phénoménale de leur nombre, de leur discipline et de leur foi. Dans cette cosmopolis, j’ai pu toucher le cœur de nombreuses personnes parlant le télougou dans les chawls de Bombay, le tamoul à Matunga et le kannara à Sion.

Il y a plusieurs années, Sri M.M. Pinge, le Président de l’Etat du Mahrashtra, m’invita à participer à un pèlerinage déboussolant de dix jours de Bombay à Bombay dans une camionnette que l’Organisation avait récemment acquise. Nous étions cinq hommes en tout. Longtemps avant notre retour à Bombay, nous étions unis comme une joyeuse et solide bande de héros. Nous avions des films sur Baba qui étaient montrés à la fin de mon discours. La perspective de voir un film sur Baba attirait la grosse foule, même dans des hameaux, et le sevadal chargé de la projection choisissait des endroits incroyables dans son enthousiasme à montrer les images, quelle que soit l’heure. La camionnette se comporta admirablement bien, consciente manifestement de la mission pour laquelle elle avait pris la route. Les Sai Seva Samithis avaient publié nos programmes bien à l’avance et ainsi, nous fûmes accueillis par l’élite de chaque ville, ce qui incluait les étudiants et les enseignants, les travailleurs sociaux et les aspirants spirituels.

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C’était les jours où un président d’université, qui avait respiré autant que moi l’atmosphère de Dakshineshwar, crachait sa colère sur le Soleil qu’il ne pouvait contempler, la ‘’Vérité, Beauté, Bonté’’ qui viendrait sur la Terre sous forme humaine, selon Vivekananda lui-même. Des gens qui s’accrochaient au rationalisme enterré il y a longtemps par Eddington, Jeans et compagnie, se pavanaient en annonçant que par leurs incantations, ils avaient exorcisé la Terre de Dieu et des hommes de Dieu. Le mécontentement qu’ils provoquèrent par leur cacophonie et l’admiration suscitée par l’indifférence olympienne avec laquelle elle fut traitée, même par les dévots les plus sensibles de Baba, en amenèrent des milliers, partout, à écouter, voir et retourner avec la foi en Dieu éveillée ou approfondie.

Prenant la route côtière au départ de Bombay, nous arrivâmes à l’heure à Ratnagiri pour la conférence et la représentation du film. Dans cette ville, beaucoup de dévots attendaient depuis des années la visite que Bhagavan avait promise, et beaucoup sentirent maintenant que Baba était réellement présent et installé dans le fauteuil placé pour Lui à l’entrée de la salle. Notre prochaine étape fut Goa, marquée en lettres d’or, en mémoire du miracle de l’appendice au Raj Bhavan. De Goa, nous nous rendîmes à Sangli et à Miraj, puis à Satara et à Poona. Je fus heureux de pouvoir parler à des assemblées en deux endroits différents à Goa ainsi qu’à Poona. A Sangli, quand je mentionnai l’exhortation que Baba m’avait faite de ‘’danser’’, le proviseur Desai commenta que l’ordre avait l’autorité du Rg Veda lui- même (X-18-3) et qu’ainsi, il ne devrait pas être traité comme prononcé à la légère.

Cette information confirma mon expérience que Baba était le Vedapurusha, la Source des Védas. J’étais présent lorsque le dernier jour du tout premier Vedapurusha au Nilayam, Il récompensa les érudits, les prêtres et les novices qui participèrent au rituel de sept jours, en montant sur l’autel et en proclamant qu’Il était le Verbe devenu Chair. Plus tard, au cours d’un cours d’été d’un mois sur la culture et la spiritualité indiennes, Il parla chaque soir pendant une quinzaine de jours du concept de Bharath, tel qu’il est décrit dans la littérature védique, l’expression la plus ancienne et la plus profonde du divin en l’homme. L’avertissement qu’Il lança aux pédants, aux dogmatiques et aux rats de bibliothèque qui font étalage de leur érudition et le conseil compatissant qu’Il leur offrit d’abandonner leur prétention démesurée et de cultiver l’humilité furent formulés en des termes puissants.

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Sri Sathya Sai avec des érudits védiques lors d’un yajna ( Yajna, 1961)

A Poona, en plus des conférences annoncées par le samithi, j’avais aussi un engagement à l’Institut de Formation des Forces Armées Khadakvasala. Le colonel S. Bhonsle fut mon hôte, ainsi que le président de la réunion. Quand je me fus assis après mon discours, le colonel se leva pour raconter une expérience qui lui avait révélé la divinité de Baba. Alors qu’il commandait un cantonnement dans la vallée Kulu nichée dans les Himalaya, il découvrit un jour qu’une institutrice de l’école primaire gérée par l’Armée avait quitté son poste, et même la région pendant trois jours entiers. Le quatrième jour, elle surgit de nulle part. Il la fit appeler et il lui demanda des explications. Ce fut un récit pathétique. Elle était allée à Chandigarh consulter des spécialistes qui lui avaient dit qu’elle avait un cancer qui nécessitait une opération immédiate.

Il se trouvait que Bhonsle avait justement lu le livre, Sai Baba, l’Homme des Miracles, d’Howard Murphet. Le livre rapportait des guérisons miraculeuses de cancer et il ressemblait à un conte de fées écrit par un indophile hautement crédule. Bhonsle décida de tester l’authenticité des guérisons ainsi que l’intégrité et la fiabilité de l’Australien. Il conseilla à la dame de se rendre à Puttaparthi où Sai Baba, ‘’l’Homme des Miracles’’, le ‘’Christ de cet Age’’, vivait.

Elle se rendit à Bombay où sa sœur se joignit à elle, et en temps voulu, elles parvinrent à la petite bourgade quasi inaccessible. Mais Baba ne se trouvait pas à Prasanthi Nilayam. Son désespoir s’accentua. On lui signala qu’Il se trouvait à

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Madras. Les sœurs entreprirent le voyage et elles arrivèrent à Madras. Par chance, les chauffeurs de taxi de la Gare Centrale connaissaient l’endroit, le nom de la route et même le bungalow où Sai Baba résidait et donnait des entretiens. Elles y parvinrent, mais de nouveau, Baba était absent. Il se trouvait au Sindhi Hall. Au mieux, elles pourraient peut-être avoir Son darshan de loin car, comme un visiteur parsi d’Hyderabad qui se trouvait dans la même situation le disait, l’endroit devait être bondé des heures avant que Baba n’arrive là-bas. Elles se rendirent sur place, mais elles durent payer le chauffeur et marcher encore plus d’un demi-kilomètre. La route était saturée de deux-roues, de trois-roues et de voitures, un tintamarre de coups de klaxon et de cris. Elles durent s’en tenir au périmètre de la foule grouillante et elles purent juste apercevoir la tache orange et entendre la voix de Dieu qui appelait.

La professeure ne savait pas que Baba était si précieux que des millions de personnes tendaient leurs mains vers Lui. Le colonel Bhonsle lui avait dit que ce serait aussi facile que de Le toucher et puis de partir. ‘’Touchez Ses Pieds, et le cancer disparaît !’’ Elle avait traîné sa douleur pendant plus de trois mille kilomètres pour être placée à Ses Pieds, les pieds de l’ ’’Homme des Miracles’’, et tout ce qu’elle recevait de Lui, c’était Sa voix déformée par un haut-parleur hurlant ! Sa peine se transforma en colère contre Bhonsle, Murphet, et même Baba. ‘’Ignorez- vous à quel point je souffre ? Ne m’avez-Vous pas attirée à Puttaparthi et à Madras ? Vous voici, l’ ‘’omniscient Tout-Puissant Sai’’ discourant tranquillement sur le dharma et sur prema, alors que la personne qui a le plus besoin de Votre grâce pleure !’’ Sa sœur était incapable de la réconforter. Elle aussi était baignée de larmes.

Bhonsle dit : ‘’Juste à ce moment-là, une sombre et frêle figure traversa la foule dans leur direction en répétant tout haut ‘’Chandigarh’’. Elle les reconnut et arrivée à leur hauteur, elle demanda : ‘’Vous êtes les sœurs de l’hôpital de Chandigarh, je suppose ?’’ ‘’Oui’’, sanglotèrent-elles. L’homme dit : ‘’Sai Baba m’a donné ces paquets de vibhuti pour la sœur institutrice. Il dit qu’elle peut retourner à son poste. Utilisez cette vibhuti comme Shivaji le dit. Et Il a donné d’autres paquets pour Shivaji. N’oubliez pas. Vous pouvez partir, maintenant.’’ Bhonsle continua son récit. Elles firent halte à Chandigarh, et les médecins déclarèrent qu’il n’était pas nécessaire d’opérer ! Elles rapportèrent le miracle extraordinaire au colonel Bhonsle, mais lui dirent qu’elles n’avaient pas pu trouver ‘’Shivaji’’. Le colonel Bhonsle dit : ‘’Je suis Shivaji. C’est ce que veut dire le ‘’S’’ de mon nom, bien que très peu de gens me connaissent sous ce nom ici.’’ Cette histoire remonta le moral

284 des stagiaires et des officiers. J’étais certain qu’elle serait répétée cent fois par tous ceux qui l’entendraient. J’ai moi-même éclairé de nombreux groupes de sadhakas et de dévots en racontant cette preuve inexplicable de la grâce de Baba.

De retour à Bombay dans la Rover, je ne fus que trop heureux de décrire à une assemblée de dévots les points forts de notre tournée et de la vague fertilisante de la Présence Sai qui rapprochait l’homme de son prochain et de Dieu.

Lorsque le secrétaire du samithi de Bombay qui m’avait présenté au public là-bas vint à Prasanthi Nilayam quelques mois plus tard, Baba le réprimanda pour un crime d’omission. Il ne m’avait pas présenté en des termes qui auraient pu faire comprendre que j’étais qualifié pour leur parler de Prasanthi Nilayam et de la Présence. Je ne l’avais pas remarqué sur le moment et cette omission ne m’avait pas troublé. Mais Baba dit : ‘’Vous avez failli à votre obligation. La seule référence que vous avez faite, c’est quand vous avez dit : ‘’Kasturi n’a pas besoin d’être présenté.’’ Je vis que Baba observait ma réaction, lorsque le secrétaire présenta ses excuses et qu’Il refusa de les accepter. Je sais que la scène fut conçue par Sa volonté pour nous faire prendre conscience de Sa présence constante, pour nous rappeler que la familiarité ne peut pas enfreindre les mœurs traditionnelles et pour m’enseigner une nouvelle leçon sur l’élimination de l’ego.

De Bombay, je pris le train pour Madras et je descendis à Renigunte pour atteindre Nellore. Les dévots de Nellore m’encouragèrent à parler en télougou, bien que les responsables de l’organisation du meeting public préféraient l’anglais. Je dois reconnaître que les dévots me dirent plus tard que leurs préférences ne laissaient sous-entendre aucune critique de mon anglais ! Baba m’a donné de longues leçons en télougou, chaque mois, pendant des années avec Ses épisodes mensuels de la série des Vahini pour le Sanathana Sarathi. Avant de me remettre les pages, Il lit le texte et Il explique les idées que je ne comprends pas. Quand je reste sans réaction devant un idiotisme, une expression ou un proverbe, Il le voit et Il me l’explique en télougou facile. Il a insisté pour que je n’utilise que le télougou en Sa Présence, depuis le jour où j’occupe la maison qu’Il m’a attribuée à Prasanthi Nilayam. En conséquence, j’ai développé suffisamment de courage pour parcourir les classiques télougous : le Bhagavatham de Pothana, le Bharatham de Nannayya Bhatta et les de Thyagaraja. Je les lisais assis à côté d’un dévot du district de la Godavari orientale qui émigra plus tard de Puttaparthi à l’ashram de Ramana Maharshi. Je ne pus tirer que très peu de la lecture des anciennes versions de ces poèmes épiques,

285 mais le peu que j’en tirai était indiscutablement précieux. Je pus m’occuper du Sanathana Sarathi avec un tout petit peu plus de confiance. Je pus rester un an en poste comme président du Comité Télougou de la Sai Books and Publications Foundation. Je pus parler de Baba, sans appréhension, lors de réunions de dévots à Bangalore et dans les districts adjacents, à Guntur, Vijayawada, Chirala, Bapatla, Guntakal, Tirupati, et même à Hyderabad, la capitale de l’Etat télougou de l’Andhra Pradesh. Mais il me reste encore à maîtriser le courage de m’adresser au public en télougou, la langue maternelle de l’Avatar, en présence de l’Avatar.

Je dois confier à mes lecteurs que l’occasion la plus satisfaisante où je pus utiliser mon vocabulaire télougou amateur fut la fois où je parlai de la grâce infinie de Bhagavan à des milliers de victimes de la colère océanique inimaginablement désespérées. Un terrible cyclone qui transforma la mer en un raz-de-marée dévasta la côte de l’Andhra et le delta de la Krishna, quand la nuit tomba, le 19 novembre 1977. Vingt mille corps humains suffocants et mourants et des centaines de milliers de têtes de bétail furent emportés par le vent et par les eaux jusqu’à ce que leur furie s’apaise, quatre-vingt kilomètres plus loin. Des arbres anciens furent arrachés, soulevés et projetés au loin ; de centaines de milliers de cocotiers, il ne resta que des souches. Tout ce qui avait été érigé−cabanes, huttes, chaumières, maisons, bâtiments−tout fut entièrement rasé. Cette région qui, jusque-là, avait baigné dans la paix et dans la joie fut frappée par la mort par le désespoir.

De nombreux dévots qui étaient déjà partis pour Puttaparthi pour les célébrations de l’Anniversaire et la Conférence Pan-Indienne des Organisations Sri Sathya Sai de Seva, les 20, 21 et 22 novembre, étaient maintenant pressés de rentrer dans leurs villages et de rendre service aux survivants. Bhagavan ordonna que les sevadals Sathya Sai se rendent rapidement dans la zone sinistrée. Endéans une semaine, deux cent volontaires sevadals routinés, une vingtaine de médecins et du personnel médical avec des caisses remplies de médicaments rejoignirent l’endroit effroyablement triste qui avait été dépeuplé en une nuit et qui gémissait sous l’amoncellement de cadavres en décomposition gisant dans la boue.

Des dévots organisèrent des opérations de secours et transportèrent en camion des chargements de vêtements pour hommes, femmes et enfants. Des centres de secours furent ouverts à Kotta Manjeru (4500 personnes furent logées et nourries là-bas quotidiennement), Barrankual (1500), Adavula Deevi (5000) et Ganapavaram (2000). Du riz et d’autres provisions furent offerts par les dévots des villages et des villes des régions avoisinantes et des équipes de volontaires,

286 hommes et femmes, se relayaient quand la surcharge de travail provoquait l’épuisement. Entre-temps, des camions en provenance de Puttaparthi amenèrent dans ces centres des milliers de vêtements pour enfants préparés par les étudiantes du Collège Sri Sathya Sai pour jeunes filles d’Anantapur, ainsi que des milliers de saris et de dhotis pour les adultes.

Baba m’autorisa à vivre pendant quelques jours dans ces centres de secours et à bénéficier des leçons que les sevadals apprenaient en apaisant la souffrance et en injectant le courage. Les survivants n’avaient ni foyer, ni grain, ni sel, ni huile, ni pots, ni assiettes. Ils se rendaient aux cuisines du centre de secours pour les deux repas de la journée. Le repas du soir était servi avant le coucher du soleil pour qu’ils puissent rejoindre le lopin de terre qu’ils considéraient toujours comme le leur avant que l’obscurité ne tombe. Partout, un grand portrait de Baba était placé près des files des invités. Des vers de la Gita étaient récités pendant que la nourriture était servie sur des feuilles et avec des cris de Jai Sai Ram, le repas commençait. Quand j’apparus sur les lieux, les dévots chargés des centres me convainquirent d’accepter leur prière de leur parler de Bhagavan, car ils cherchaient à se renseigner sur la Providence dont ils reconnurent la puissance et la compassion dans la générosité du centre de secours et dans l’humilité, la sincérité et la simplicité de chaque dévot. Mes discours devaient durer au moins quinze minutes et quinze minutes entre le menu et le repas pouvaient être extrêmement longues, mais comme ils avaient également faim de cette nourriture, je ne vis aucun accès de colère dans les files qui s’étiraient devant moi.

Dans l’un des centres où nos hôtes n’avajent que 3 km à effectuer, on m’encouragea à m’étendre un peu plus, car ils pouvaient attendre pour m’écouter, après le repas. Ils s’assirent sous un arbre à la large ramure et je me tins à côté d’une lampe Petromax bourdonnante suspendue à l’une de ses branches. Après avoir dressé un tableau général de Prasanthi Nilayam, j’allais parler du hall de prière, quand je fus interrompu par des cris dans la foule, sur ma gauche. Un serpent ! Un serpent ! Il y eut un début de panique. Je me tournai vers eux et m’entendis annoncer d’une étrange voix de stentor : ‘’Non ! C’est Ram ! N’ayez pas peur. Asseyez-vous. Dites ‘’Sai Ram !’’ Ils crièrent ‘’Sai Ram !’’ et s’assirent rapidement. Pourquoi le serpent était-il venu et où était-il allé ? , se demandèrent- ils. Je leur parlai du Naga Sai Temple à Coimbatore, des deux cobras qui prirent position aux côtés d’un portrait de Baba dans le bungalow Ursu à Mysore et ils réclamèrent d’autres histoires de Baba.

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Sathya Sai Baba consacre l’idole de Shirdi Sai Baba au Naga Sai Temple de Coimbatore, en 1961

Je parlai aussi aux volontaires, hommes et femmes, qui cuisinaient et servaient la nourriture, qui construisirent des huttes pour les survivants et qui distribuèrent des séries d’ustensiles pour chaque famille ressuscitée. Dans un autre centre de secours, les survivants s’étaient réunis dans le seul bâtiment qui avait survécu aux éléments enragés, mais une partie du bâtiment se trouvait aussi dans un état pathétique. Tout autour étaient entassés des têtes de cocotiers décapités par la tempête et des arbres géants jetés pêle-mêle. Le jour de mon arrivée là-bas, la distribution sur une large échelle de nourriture, que les dévots avaient entreprise depuis plus de 25 jours dut s’interrompre, car le gouvernement avait remarqué que les réfugiés n’étaient pas désireux de retourner dans leurs villages rénovés et de recommencer la vie avec les bateaux, les filets de pêche, le bétail et les charrues qui leur étaient offerts. Je découvris un festin d’adieu servi à des milliers de personnes qui connaissaient les volontaires par leurs noms et qui renâclaient quelque peu à s’en aller. Je ne pus résister au désir de servir du porridge au lait sucré aux enfants installés séparément. Ils engloutirent le mets avec de la gratitude inscrite partout sur leurs visages et des yeux qui brillaient de joie.

‘’Kannadam Katthuri Althe ?’’ Le kannara n’est-il pas du kasturi? , demanda un poète kannara du 17ème siècle. Il faisait bien sûr allusion à la langue et il louait son parfum pénétrant, car kasturi veut dire musc. J’en découvris la fragrance et fus fasciné par elle. Pendant 33 ans, je rendis hommage à la langue et au peuple qui

288 veille sur elle. Je fus chaleureusement accueilli par des groupes littéraires et culturels dans tout le Karnataka. Mes écrits dans cette langue reçurent une telle estime que pour m’honorer, la Karnataka Sahithya Akadami me conféra une récompense.

Lorsque je quittai l’Etat du Karnataka pour l’Andhra Pradesh, G.P. Rajarathnam, le poète révolutionnaire et écrivain qui avait été l’un de mes plus chers étudiants parla du mouvement d’un lac vers l’océan. Fort heureusement, je pus écrire ‘’Sathyam, Sivam, Sundaram’’ en kannara. Je remboursai la dette que je devais au pays des Tamouls, d’où mes ancêtres émigrèrent vers le Kerala et envers la langue que ma mère parlait, en écrivant le même livre en tamoul. Au cours des 25 dernières années, j’ai exprimé ma conscience encore brumeuse de la majesté, de la gloire et de l’amour de Bhagavan dans des villes et des villages de toute l’Inde. On reçoit d’innombrables aperçus de miracles divins en la Présence de Baba, ainsi les auditeurs peuvent-ils connaître à chaque fois des facettes toujours nouvelles et plus éclairantes de l’Avatar. Je visitai certains endroits, apparemment pour inspirer et pour informer, mais je compris que l’intention de Bhagavan était d’approfondir ma foi et de démolir mon ego.

Je rencontre des dévots qui habitent et qui travaillent dans des lieux distants et qui sont conscients de la Présence constante de Bhagavan. Quand j’évoque des exemples qui illustrent l’omniscience et l’omnipotence de Baba, je peux voir la joie de la réalisation briller sur leurs visages. Quand je lis un poème qui a jailli de Baba quand Il se lève pour donner un discours, je peux m’émouvoir de la résonance que les mots télougous créent dans leurs cœurs. Ils sont contents avec cela. Une explication du sens dans la langue qu’ils parlent me paraît superflue. Et dans les anciennes villes-temples de Tirupati, Tanjore, Madurai et Udipi, des dévots adorent Baba sous la forme de la déité consacrée dans ces temples qui est venue parmi nous pour sauver et pour soutenir.

Pendant les années avant que l’Organisation Sri Sathya Sai de Seva n’acquière une structure administrative, consultative et d’encadrement, je fus prié par Bhagavan de mettre en garde les dévots contre les imposteurs et les escrocs qui prétendent être des agents, des disciples, des représentants ou des instruments de l’Avatar et de leur conseiller d’éviter les fanatiques qui le présentent hystériquement comme le fondateur d’un nouveau culte. De tels propagandistes sont admirés et même adorés par des gens qui ne savent pas que Baba est venu nourrir et fertiliser la foi en Dieu, quel que soit le nom que l’homme utilise pour L’appeler, quelle que soit la forme

289 que sa crainte respectueuse évoque quand il se L’imagine. Je fus aussi chargé d’exposer l’absurdité des revendications faites par des psychopathes, selon lesquelles Baba leur a accordé des avantages, des pouvoirs et une autorité spéciale. Ces tâches m’ont conduit à plus d’une reprise dans certains districts du Tamil Nadu, du Kerala et du Karnataka et en tant que président d’Etat des Unités de l’Organisation du Karnataka pendant près de trois ans, la responsabilité m’incomba particulièrement de purifier l’atmosphère d’une telle pollution et de renforcer la foi et la connaissance des dévots pour qu’ils puissent résister à sa propagation.

Je dus informer un président de district de l’Organisation de son ignorance colossale à propos de Baba. Il prenait Baba pour un moine et il se proposait d’organiser son séjour de quatre mois dans un lieu saint de son district−un vœu que les moines hindous doivent respecter selon les règles monastiques orthodoxes. Je dus admonester un autre dignitaire qui, s’étant procuré une chaise ornementale, me demanda de supplier Bhagavan de visiter sa ville maintenant qu’une belle chaise était prête à Le recevoir ! Une fois, je dus placer les dirigeants de deux factions opposées de la même ville dans un rickshaw et les obliger à faire ensemble une balade d’une heure. Ils rentrèrent les meilleurs amis du monde. Dans une ville près de Cap Comorin, le président d’un samithi rival m’attendait à la porte du hall où je m’adressais au samithi légitime. Il avait une centaine d’ouailles à lui qui chantaient des bhajans quelque part ailleurs et il insistait pour que je les rencontre. J’acceptai. Je devais leur parler de leur président, des rivalités et de leur situation de victimes pour satisfaire les egos mesquins d’hommes incapables d’apprendre même la première leçon en matière de spiritualité.

Une fois, le samithi local avait invité Suddhananda Bharathi, un poète octogénaire du Tamil Nadu, à présider pendant deux soirées consécutives une réunion à Salem où je pris la parole. Le deuxième jour, après cinquante minutes d’un discours décousu sur Baba, il conclut par une acclamation bruyante destinée à couronner sa péroraison : ‘’Jai kijai’’ !

Je désire encore partager avec vous deux expériences étranges. Le président du samithi de Dharapuram remarqua mes pieds, lorsque je pénétrai dans sa maison, et quand je m’assis sur la chaise qu’il me proposait, il m’interrogea à propos de la décoloration de la peau. Il y a de cela des années, j’avais souffert d’un eczéma suintant provoqué par des sandales de cuir infectées et les docteurs me conseillèrent alors une exposition aux rayons ultraviolets, je pense. Je ne suis pas certain du type de rayons. Je fus guéri de l’eczéma, mais la peau blanchit par

290 petites taches dans le processus. Quand je lui racontai cette histoire, il secoua la tête avec incrédulité. ‘’Non, monsieur ! Vous ne pouvez pas m’abuser. C’était la lèpre’’, souria-t-il. Il soutint son diagnostic au moyen d’un argument étrange. ‘’Monsieur ! Sri Sathya Sai Baba est Shirdi Sai Baba revenu, vous êtes bien d’accord ?’’, demanda-t-il. ‘’Eh bien ! C’est ce qu’Il a déclaré Lui-même,’’ répondis- je. ’’Monsieur ! Quand Shirdi Sai Baba se rendait en procession chaque soir à Lendi, une ombrelle le protégeait, et quand Sathya Sai Baba se rend en procession à l’auditorium du Poornachandra, une ombrelle le protège, vous êtes d’accord ?’’ Où voulait-il en venir ? , me demandai-je, mais je répondis ‘’oui’’, néanmoins. ‘’C’est vous qui tenez cette ombrelle, n’est-ce pas ?’’, demanda-t-il en me désignant du doigt. Avant que je ne puisse dire ‘’chaque fois que Bhagavan m’octroie cette faveur’’, il dit : ‘’Vous ne pouvez pas le nier. J’ai la photographie avec moi.’’ Ensuite, il se rendit dans la pièce arrière et rapporta un livre. ‘’Monsieur ! Ecoutez ! Ceci est le Sri Sai Satcharita, l’histoire de notre Baba, quand Il était à Shirdi. Ecoutez. Un dévot lépreux, Bhagoji Sindhya tenait une ombrelle au-dessus de Lui, quand Baba partait pour Lendi et L’accompagnait là-bas. Chaque matin, lorsque Baba s’asseyait près du poteau près du dhuni, Bhagoji était présent et commençait son service.’’ Il referma le livre et annonça : ‘’Ainsi, vous êtes Bhagoji Sindya, et cela saute aux yeux que c’était la lèpre !’’ ‘’Si ce diagnostic vous conforte dans votre foi que notre Baba est le Baba de Shirdi, je n’y vois pas d’inconvénient, bien que je ne l’accepte pas,’’ répondis-je.

Shirdi Sai Baba et Sathya Sai Baba et leurs porteurs d’ombrelle respectifs

291

Il y environ huit ans, quatre jeunes gens brillants étaient venus à Prasanthi Nilayam pour un séjour d’une bonne semaine. C’était des membres actifs du samithi de Chidambaram, célèbre pour son culte de Shiva et son magnifique temple de Shiva Nataraja. Ils venaient souvent me voir pour me presser de les accompagner chez eux. En fait, ils prolongeaient leur séjour et ils étaient déterminés à rester au Nilayam jusqu’à ce que je trouve le moyen d’entreprendre le voyage. A toutes les heures du jour, seuls, ou en groupe, ils m’importunaient avec leur unique requête : ‘’Monsieur ! Quand partons-nous ?’’ Un matin, j’étais tellement énervé que je leur criai à la figure : ‘’Quoi ? Qu’est-ce que vous mijotez, vous quatre, de m’emmener pieds et poings liés ?’’ Ça ne les empêcha pas de continuer à me harasser. En fait, leurs pressions devinrent encore plus exaspérantes. Je finis par succomber et me résolus à accompagner les quatre lascars.

Alors que nous approchions de Chidambaram, ils me mirent dans la confidence, demandèrent pardon pour la réaction obtuse dont ils avaient fait preuve, quand je me suis mis en colère et ils me racontèrent avec plus d’un gloussement l’origine de leur invitation. L’un des quatre, le plus âgé et apparemment le plus ardent dévot eut un rêve à Chidambaram, un jeudi. Dans celui-ci, ils étaient accroupis dans la véranda de Prasanthi Nilayam. Le soleil réchauffait la terre, la brise était fraîche et parfumée. Ils étaient seuls au Nilayam devant la porte de la pièce où Bhagavan donne des entretiens. Soudain, la porte s’ouvrit et ils furent appelés par Bhagavan. Ils me trouvèrent par terre. Baba dit : ‘’Il est mort. Vous quatre, transportez le corps à l’extérieur.’’ Baba demeura silencieux pendant la manipulation du corps. Ensuite, Il referma la porte et le rêveur ouvrit les yeux. Quand il raconta son rêve à ses potes, ils décidèrent de partir le jour même à Prasanthi Nilayam pour voir si quatre autres jeunes gens avaient reçu l’opportunité d’enlever mon corps ou pour voir si l’événement attendait leur arrivée. Ils séjournèrent pendant une semaine, et je me portais fort bien. Ils voulaient m’emmener avec eux à Chidambaram au moment de leur départ. Ils sentaient qu’ils avaient un rôle à jouer. Le rêveur dit alors : ‘’Monsieur ! Vous rappelez-vous les paroles que vos lèvres ont proférées ? Elles indiquaient que vous aussi vous endossiez le rôle que Baba nous a attribué dans le rêve. Un de ses camarades cita cette parole. Vous avez dit : ‘’Qu’est-ce que vous mijotez, vous quatre, de m’emmener pieds et poings liés ?’’ Je les écoutai en riant sous cape et avec l’heureux espoir de finir terrassé de la manière dont l’avait rêvé le frère de Chidambaram. Et si l’on considère l’attachement extraordinaire qu’ils avaient pour leur mission, on est éperdu d’admiration pour leur ténacité et leur sens du devoir.

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J’ai remarqué un grand enthousiasme pour les bhajans dans les Etats du sud de l’Inde. Les bhajans sont la nourriture des villageois, la seule sadhana spirituelle qui puisse attirer les bûcherons et les porteurs d’eau et les garder en paisible harmonie. Bhagavan a insisté sur la valeur des bhajans pour éveiller et élever la conscience vers des niveaux supérieurs. Quand des gens se rendirent compte – ou furent prévenus par ceux qu’ils respectent ou par ceux qui l’avaient expérimenté − que l’Absolu, l’Omniprésent, l’Omniscient et l’Omnipotent s’était incarné sous la forme de Sai Baba, Ses portraits furent installés sur des autels et vénérés avec les cérémonies traditionnellement appropriées. Des manuels avec les 108 Noms furent spontanément préparés par des dévots et chaque fois que l’on prononce un Nom, une offrande florale est placée devant le portrait. Baba a révélé que Dieu n’acceptera pas la répétition mécanique du Nom. Il observe si le récitant est enthousiaste chaque fois qu’il prononce un Nom. L’enthousiasme ne peut être expérimenté que lorsque le sens, l’aura subtile et les racines du Nom sont visualisés quand le Nom est articulé. Puisque la langue kannara m’est aussi naturelle que le malayalam dans lequel je suis né, je constituai une liste de 108 Noms pour l’usage des dévots vénérant méditativement les Pieds de Lotus de Bhagavan. Sa première invitation à l’humanité, alors qu’Il n’était à peine âgé que de 14 ans, était destinée à leur éviter d’être désespérément ballottés sur les vagues de l’océan de la vie en s’accrochant aux Pieds du Guru, en esprit. Des images des Pieds tendres, doux et immaculés de Baba furent alors vénérées par des dévots dans tout le pays.

Les 108 Noms attribués aux Pieds furent d’abord récités et expliqués par moi, quand les Pieds de Lotus furent installés sur la rive gauche de la sainte Kaveri à Srirangapattana près de la ville de Mysore. (C’était en fait une dalle où étaient sculptés les Pieds de Lotus. Baba avait marché dessus et l’avait bénie). Les lecteurs pourront sentir le mystère et l’histoire qui imprègnent les Noms dans les quelques exemples que je vais citer :

Nithya yavvam charana Datta devana charana Matte shirdee charana

Baba nous a certifié que la vieillesse ne L’atteindrait pas, aussi les Pieds sont-ils toujours jeunes. Il a révélé que Sa Réalité est Datta Deva ou Dattatreya ou la Trinité en Un, comme la mythologie hindoue le conçoit. Une fois, alors que des appareils photographiques Le mitraillaient de toutes parts, Il a dit à un des

293 photographes : ‘’Attendez ! Maintenant, appuyez ! Je vais vous donner Ma Forme réelle !’’ Et l’image fut celle de la Trinité. Ainsi, les Pieds sont à Datta Deva.

Photo Polaroïd matérialisée dans la forêt de Bandipur par Baba, le jour de Mahashivaratri, en 1974 et qui Le représente sous la forme de Dattatreya

‘’Matte’’ en kannara veut dire ‘’encore’’. Un dévot de Madras voulait une impression de la plante des Pieds de Baba sur un tissu en soie. De la pâte de santal fut appliquée sur les plantes. Comme cela se passait dans un temple de Shirdi Sai Baba et qu’ils se trouvaient juste devant l’autel, Baba dit : ‘’Je vais vous donner les Pieds de Shirdi’’ et l’impression des pieds fut celle d’encore ces pieds-là. Ainsi, chaque ligne des 108 Noms évoque un épisode, une expérience, une trace de la leela divine.

Koogi Karedavara bali Dhaavisuva daye charana

‘’Les Pieds qui, par compassion, se hâtent vers ceux qui poussent des cris d’angoisse’’. Cette ligne va certainement en réjouir des milliers, puisque des

294 exemples de Sa Présence (‘’Si vous avez besoin de Moi, vous Me méritez’’) se précipitent, de mémoire.

Paade paramaadaradi Peetha sarisida charana

‘’Les Pieds qui poussèrent le repose-pied sous le fauteuil quand des chants furent chantés avec dévotion.’’ Cette ligne se base sur un incident miraculeux qui se produisit à la fin d’une séance de bhajans à Royapettah. Pour autant que les yeux humains puissent le voir, le fauteuil d’argent n’était pas occupé et Baba ne se leva pas visiblement pour indiquer que l’arati devait commencer. Mais le repose-pied fut poussé par les Pieds en dessous du fauteuil pour qu’Il puisse se lever !

J’ai utilisé ces 108 Noms pour transmettre les diverses facettes de la divinité de Baba en chargeant un dévot musicien de chanter les vers. J’intervenais avec des citations appropriées tirées des discours de Baba, des explications simples de Ses directives ou d’authentiques exemples de Ses miracles innés que chaque ligne devait amener à l’esprit. Le vers ‘’Sankalpa tharu charana’’ me propulsait dans une longue histoire qui expliquait pourquoi le terme familier Tharu, l’Arbre du Paradis qui octroie tout ce pour quoi l’on prie a été changé en Sankalpa Tharu. J’explique que l’Arbre céleste doit être approché où il se trouve et qu’il ne donne que la faveur demandée, mais que les Pieds de Baba sont partout et qu’ils accordent les avantages qu’Il juge les meilleurs pour nous, même quand nous sommes trop stupides ou trop fiers pour Lui demander et même lorsque nous ne savons pas que nous pouvons Lui demander d’où nous sommes et que nous pouvons L’appeler par n’importe quel Nom que nous connaissons.

Les 108 Noms devinrent populaires. Cela m’encouragea— ou plus exactement Baba comme moteur caché de ce complexe corps-sens-mental-buddhi, m’utilisa comme instrument pour écrire un autre long poème de plus de 300 lignes en kannara sur Sa vie et Son message, mais ici avec chaque vers qui ne se terminait pas par ‘’charana’’, mais par un mot rimant avec la dernière syllabe de Jay Sathya Sanathana Sarathi. Cette composition était récitée par des dévots au talent musical et complétée par des commentaires manifestement inadéquats de ma part. Ce moyen de communication original fut bien accueilli chaque fois qu’il y avait des réunions mixtes de personnes, certaines dévouées à Swami, d’autres assoiffées de savoir, certaines curieuses du Phénomène et d’autres seulement faiblement intéressées.

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Kasturi récitant un de ses poèmes

Le saint et poétique Purana connu sous le nom de Bhagavatham est une monumentale narration de la carrière des avatars de Dieu, un guide inspirant pour les pèlerins qui sont en route vers les Pieds de Lotus. Baba a dit que le Bhagavatham est un must pour les aspirants ayant pour dessein baagavuthaam (le mot télougou pour ‘’succès dans la bonté et dans la piété’’). Dès 1956, j’avais zézayé un poème anglais intitulé ‘’Sai Stores’’, lors du grand rassemblement des poètes, pendant la Fête de Dasara. Il décrit la compassion de Baba lorsqu’ Il accepte nos fautes, nos faiblesses et nos défauts, nos maladies, nos inquiétudes et nos craintes, nous encourageant même à les déposer à Ses Pieds et nous assurant qu’en échange, Il remplirait nos cœurs de confiance, de courage, de beauté et de félicité. Naturellement, le poème du Bhagavatham en kannara suivait cette tendance de pensée. Je sentis qu’il était de mon devoir de composer le

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Bhagavatham dans la langue du Kerala. Très rapidement, je m’aperçus que la grâce de Bhagavan pouvait couler dans le stylo, quand je m’aventurai dans la poésie tamoule et quand je rédigeai une version tamoule du Bhagavatham. Le génie de ces trois langues est différent, particulièrement dans le domaine des hymnes dévotionnels et des psaumes, aussi lorsque je modelai mes poèmes sur les débordements des mystiques du Karnataka, du Kerala et du Tamil Nadu, la structure, le style et le flux de chacun différaient du reste.

Je ne pus toutefois m’enhardir à adoucir les récitations avec ma musique. Baba m’avait une fois mis en garde contre une telle impudence. Un soir, alors que je descendais les escaliers avec Ses bénédictions pour une série de ‘’danses’’ en Assam, Il me rappela et dans un murmure mi-amusé, mi-solennel, Il m’interdit d’empiéter sur le territoire du chant. ‘’Danse, mais ne chante pas ! Ou ceux qui viendront t’écouter s’enfuiront !’’, dit-Il.

Néanmoins, mon fils savait bien chanter quelques ragas carnatiques et il avait une voix plaisante. Pendant la période mouvementée de la lutte pour l’indépendance, il se trouvait au collège à Bangalore. Les étudiants de son collège se lancèrent dans des activités contre les Britanniques et l’Université ferma les collèges. Mon fils rentra à la maison et décida de se rendre plus utile pour son prochain. Auprès de mon ami et collègue Krishnagiri Krishna Rao, il apprit l’art du récital Gamaka, c’est- à-dire, l’art de réciter la poésie épique en ragas pouvant illuminer l’émotion ou l’élan, le pathos ou la passion, le calme ou le conflit que le poète a placé dans chaque strophe. Par le placement habile de l’accentuation, par la répétition de mots et d’expressions qui nécessitent une attention et une appréciation plus intenses et par la modulation intelligente du ton et du timbre de la voix, la sublimité du thème, la vision du poète et la magnificence des héros et des héroïnes épiques sont clairement rendues, même pour l’homme du commun. Quand il eut donc projeté de consacrer ses années au Gamaka, les Britanniques décidèrent de partir et l’Inde devint ‘’libre’’. L’Inde indépendante envoya mon fils à Glasgow pour suivre des études supérieures de géologie. Mais la veine du Gamaka n’en fut pas pétrifiée pour autant. Il n’était que trop heureux de réciter le Sai Bhagavatham (les versions en kannara et en tamoul, les langues qu’il connaissait) dans le style Gamaka. Nous pensions que c’était un style qui pouvait renforcer l’impact du Bhagavatham dans une large mesure.

Un jour, cette aventure père-fils reçut la bénédiction de Bhagavan très simplement. Bhagavan s’occupait du courrier. Il saisit l’annonce d’une conférence de deux jours

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à Dharmapuri dans le Tamil Nadu et Ses yeux tombèrent sur mon nom et sur celui de mon fils. ‘’Qu’allez-vous là-bas ?’’, demanda-t-Il. ‘’Parler de projets de service’’, répondis-je. ‘’Et Murthy ?’’, s’enquit-Il. ‘’Il va parler d’un autre sujet lié au seva’’, dis-je. ‘’Pourquoi faire deux discours ? Présentez là-bas votre Bhagavatham. Ne l’avez-vous pas traduit en tamoul ?’’ Et ceci conclut l’affaire. Mon fils chanta les strophes et je racontai la leela et les mahimas et développai l’enseignement. En s’adressant à une foule lors de Dasara en 1974, Bhagavan parla des dévots qui évitent à tout prix de reconnaître qu’ils vénèrent la forme de Sai et qu’ils fréquentent Prasanthi Nilayam. ‘’Suivez le Maître, affrontez le diable, luttez jusqu’au bout et terminez le jeu’’, conseilla-t-Il. ‘’Soyez ferme, soyez courageux. Si quelqu’un vous demande : ‘’Dieu existe-t-Il ?’’, répondez ‘’Oui’’. Et s’il demande où, n’essayez pas de brouiller les cartes et d’éviter votre responsabilité en citant les Ecritures qui déclarent qu’Il est partout. Dites-lui : ‘’Dieu est à Puttaparthi’’.

Comme St-Paul écrit à ceux de Rome que Dieu aime : ‘’Nous devons employer nos dons différents conformément à la grâce que Dieu nous a donnée. Si notre don est de délivrer le message de Dieu, nous devons le faire conformément à la foi que nous avons. Si c’est de servir, nous devons servir. Si c’est d’enseigner, nous devons enseigner. Si c’est d’encourager les autres, nous devons le faire. Celui qui partage avec les autres ce qu’il a doit le faire généreusement. Celui qui détient l’autorité doit travailler dur. Celui qui témoigne de la bonté aux autres doit le faire joyeusement.’’ Mon Gurudev, Sri Ramakrishna Paramahamsa a raconté une parabole qui m’a également poussé à me lancer dans le programme du récital du Sai Bhagavatham. ‘’Quatre amis tentaient de découvrir ce qu’il y avait derrière un mur. Trois d’entre eux grimpèrent sur le mur, l’un après l’autre, virent le champ, éclatèrent d’un rire extatique et se laissèrent tomber de l’autre côté. Le quatrième s’en retourna et raconta au peuple ce qui s’était passé.’’ Baba possède un million de ‘’quatrième homme’’ et ce tandem père-fils n’est que l’un d’eux.

Je peux encore une fois citer St-Paul qui correspond au rôle, car il en exhorta d’autres dans des circonstances semblables : ‘’Comme le dit l’Ecriture : ‘’Tout qui a recours au Nom du Seigneur sera sauvé.’’ Mais comment peut-on L’appeler si l’on n’a pas cru ? Et comment peut-on croire si l’on n’a pas entendu le message ? Et comment le message peut-il être délivré si des messagers ne sont pas envoyés ?’’ St-Paul a écrit, ‘’si des messagers ne sont pas envoyés,’’ mais Bhagavan ne veut pas de publicité et Il n’a pas besoin de publicité. Le soleil n’a pas besoin d’une

298 fanfare. Mais comment les oiseaux peuvent-ils se taire ? Ils doivent réveiller ceux qui dorment avec leurs pépiements et leurs gazouillis. Nous avons envie de partager, nous avons envie de nous dilater, nous voulons que le ‘’je’’ se transforme en ‘’nous’’, nous ne nous laisserons pas tomber de l’autre côté du mur, mais nous aiderons chacun de bonne grâce à obtenir une vision resplendissante de la Vérité, de la Bonté et de la Beauté sur le champ.

Le duo épique père et fils

Le Sai Bhagavatham en version tamoule est parvenu en beaucoup d’endroits, car en tant que Directeur du Département de Géologie du Tamil Nadu, mon fils devait visiter l’Etat et j’étudiai son programme de visites afin de découvrir où et quand je pourrais le rejoindre pour le récital. Quand Murthy fut promu Directeur Général Adjoint des Etudes Géologiques en charge de la région du sud qui comprend les Etats de l’Andhra Pradesh, du Tamil Nadu, du Kerala et du Karnataka en plus des Territoires de l’Union de Goa et de Pondichéry, les versions télougoue (j’ai aussi composé le Sai Bhagavatham en télougou), tamoule, kannara et malayalam (Murthy pouvait prononcer le malayalam aussi bien qu’un Kéralite !) s’avérèrent utiles pour communiquer notre joie et Son message aux gens rassemblés par les samithis de cinquante villes et villages de la région du sud. Nous présentâmes aussi le poème en kannara au Collège Sathya Sai pour jeunes gens à Brindavan, Whitefield et en télougou au Collège Sathya Sai pour jeune gens, Vidyagiri de Prasanthi Nilayam, ainsi qu’aux résidents du campus de Prasanthi Nilayam.

J’étais tellement impressionné par la joie que les gens retiraient du récital que j’accueillais chaque opportunité pour leur en donner l’occasion. Lorsque j’appris que Murthy avait fixé une date pour une visite officielle dans une célèbre ville-temple du Karnataka située à 580 km de Bangalore, j’écrivis au samithi que je serais moi aussi à Gadag, ce soir-là. Je parcourus 480 km par chemin de fer, descendis à Haveri et

299 de là, je pris le bus pour remplir l’engagement que j’avais moi-même projeté. Je révérais le récital et la récapitulation de Sa Gloire comme une offrande aux Pieds de Lotus. La même aventure se répéta à Cannanore et à Trivandrum dans le Kerala, à Madras, Pondichéry et Coimbatore dans le Tamil Nadu et à Hyderabad et Tirupathi en Andhra. Quand mon fils s’aperçut une fois que j’étais à Delhi, il fit le voyage de Jaipur où en tant que Directeur Général Adjoint, il dirigeait la Région Occidentale des Etudes Géologiques de l’Inde. Sohanlalji répandit la nouvelle chez les dévots parlant tamoul et Bhagavan nous bénit du seva de les amener à une vision de la Gloire qu’Il est par le biais du chant et du récit, de la poésie et de la philosophie.

Quelques dévots étrangers qui se trouvaient dans le public assistèrent aussi au récital du Sai Bhagavatham en se demandant ce qui nous arrivait à nous, sur l’estrade et à ceux qui se trouvaient dans le parterre. Ils se rendirent auprès de Murthy pour lui demander de chanter le poème en anglais. Permettez-moi de satisfaire votre curiosité. Voici le poème en anglais (ici en français, ndt) qui jaillit après des prières à Bhagavan pour guidance. En effet, la première version du Sai Bhagavatham en langue kannara fut considérablement modifiée lorsqu’elle se para de la langue du Kerala ; elle fut embellie et enjolivée quand elle fut présentée en tamoul ; elle devint sublime, quand elle fut adaptée dans la langue qui est celle de Swami, le télougou. Permettez-moi d’insister sur un autre point. Lorsque ce Sai cosmique déguisé en homme est résolu à jouer cette pièce aux rôles multiples, le commentaire ininterrompu d’un témoin ne peut être que médiocre et fragmentaire. Le témoin sera trop ahuri ou trop réjoui pour décrire en mots l’extase radieuse qui l’envahit.

Le poème débute avec le ravissement d’un témoin comme décrit dans le Rg Veda (autour de 4000 avant notre ère) :

‘’Ecoutez-moi, vous, enfants de Dieu,’’ A dit le sage védique il y a des siècles, ‘’Je brûle de vous parler d’une vision que j’ai eue, Du millier de soleils (un faible éclair !), De l’EFFULGENCE que j’ai vue.’’

L’hymne du Rg Veda continue à décrire la vision comme celle d’une Personne cosmique obtenue par dhyana et d’inspirer chacun à l’atteindre par le même processus car, ‘’il n’y a pas d’autre chemin connu que celui-ci.’’ Mon poème annonce que nous pouvons maintenant l’obtenir, car Baba est ici.

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‘’Ecoutez un peu la bonne nouvelle que j’apporte : Dieu est revenu—le Sat-Chit-Ananda— suprême.’’

Baba a annoncé que Son nom, Baba, veut dire B (Being-Etre-Sath), A (Awareness- Conscience-Chit), B (Bliss-Félicité-Ananda), A (Atma-Volonté toute-puissante).

‘’La Vérité est Son Nom ; l’Amour, Son souffle ; Le Dharma, Sa voix ; la Paix, Sa Présence. Il est venu pour vous et moi et tout ce qui vit, Oiseaux et bêtes (nos amis et parents) — Chacun de nous ayant un rôle à jouer dans Son Jeu Eternel.’’

Ici, j’interviens avec des histoires provenant de mon expérience de Sa compassion envers les chats, les chiens, les buffles et la volaille. Je cite des vers de poèmes impromptus chantés par Lui nous décrivant comme des marionnettes ou des acteurs. Le poème s’étend alors sur l’unique bonne fortune de partager sa joie avec les autres.

‘’Nul homme n’a entendu un récit si vrai— Ce Sathyam, Sivam, Sundaram.

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Nul homme n’a chanté un chant aussi doux— Cette Gita, ce Gange, cette Gayatri.’’

Le récit se déroule devant un million d’yeux et réjouit un million de cœurs tout autour du globe avec la floraison de la Vérité, de la Bonté, de la Beauté et il adoucit le cœur (Bhakti-Gita), les mains (Karma-Ganga) et l’esprit (Jnana-Gayatri). Sai est omniprésent. Il est l’Aurige derrière tout mouvement et toute activité. Ainsi,

‘’Il me pousse à chanter sur Lui, Mais c’est Lui qui chante à travers moi ! Il vous presse de m’écouter, Mais c’est Lui qui m’entend.’’

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La descente de l’Avatar a été assurée à l’humanité par Dieu. Dieu, dans Son infinie miséricorde, a envoyé Ses Messagers, Ses Messies et Son Fils pour sauver l’humanité du désastre.

‘’Il est venu comme Homme libérer l’homme, Sous différents cieux, à différentes époques ! Quand l’homme gémit : ‘’Guide-nous, éclaire-nous,’’ Il est revenu avec la Lampe de l’Amour.’’

Baba a révélé qu’Il est venu pour accepter le renoncement à la méchanceté, au vice et à l’avidité et pour conférer à la place l’ananda à toute l’humanité, pour guider tous ceux qui s’écartent du droit chemin vers la rectitude et la bonté, pour protéger les pauvres et les faibles. Il incite chacun à venir voir, expérimenter et être sauvé.

‘’Venez, tous ceux qui ont soif de repos, Venez, tous ceux qui aspirent au Paradis sur la Terre, Qui recherchent le soulagement de la souffrance. Demandez-Lui d’alléger votre douleur, De détendre vos chaînes, d’extirper les parasites qui vous sucent. Apportez vos désastres, vos maladies, votre détresse et vos échecs Et empilez-les à Ses Pieds. Alors, le pied léger et le cœur joyeux, Empruntez la route du pèlerin heureux, bondissant, libre.’’

Ici, j’arrête le récital musical pour expliquer que Prasanthi Nilayam, la Demeure de Paix Suprême est le Paradis, le Royaume de Dieu. Baba a dit qu’Il a pour mission de faire de chaque cœur, dans chaque pays, partout dans le monde un Prasanthi Nilayam, car Il réside dedans. Ensuite le poème évoque une image de Prasanthi Nilayam même.

‘’Une ceinture de collines brunes et bleues, La rivière sacrée Chitravathi, C’est la sainte Puttaparthi, Demeure du Sanathana Sarathi, Prasanthi Nilayam, Jérusalem, (Les deux noms signifient la même chose Pour toute âme assoiffée).’’

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Les lignes qui suivent évoquent pour l’auditeur la splendeur et la sublimité de Prasanthi Nilayam.

‘’Des anges planent au-dessus de la Porte d’Argent, Des devas se pressent autour des dômes dorés. Le Gopuram dirige votre regard De plus en plus haut, Vers le OM tout-puissant.’’

Om, le Son Primordial, produisit la vibration qui est l’Energie en ondes et en particules, en atomes et en cellules, la Source qui consume tout, qui subsume tout, qui soutient tout. Il y a des Om qui décorent la tour d’entrée sous de nombreuses formes, de la porte jusqu’au dôme…la plus grande leçon spirituelle adressée à tous ceux qui entrent.

L’auditeur est conduit dans l’Auditorium avec des sculptures des formes divines sur chaque colonne gigantesque et jusqu’au Pilier du Lotus, haut de dix-sept mètres qui domine la cour au sud.

‘’La Salle de la Pleine Lune—où tous les Dieux Que l’homme a jamais adorés Se rassemblent pour Le voir !

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Le Pilier proclame qu’Il est venu pour enseigner : ‘’Toutes les fois sont des facettes de la Vérité.’’ Vous pouvez vous agenouiller ou faire tourner une roue, Le conjecturer sans forme ou avec forme— Ou Le voir et Le servir dans l’homme, l’animal et la plante— Sai est la fin de votre voyage—quel que soit le chemin que vous empruntez. Il est le Guide, le But, la Divinité.’’

Le Sarvadharma Stupa

Ces lignes permettent d’expliquer en long et en large la religion Sai qui selon Swami est la religion qui insiste sur le respect sincère de toutes les religions. On peut développer comment les musulmans (‘’Nous comprenons maintenant mieux le Saint Coran’’), les chrétiens (‘’Le Consolateur, le Père révélé à St Jean est ici’’), les juifs (‘’Es 56.7’’), les bouddhistes, les parsis, les sikhs, les jaïns—tous trouvent réconfort et lumière en Lui. Comme Baba l’a déclaré aux délégués qui participèrent à la Première Conférence Mondiale des dévots Sai à Bombay : ‘’Cette Forme est une Forme où chaque Entité Divine, chaque Principe Divin, c’est-à-dire, tous les Noms et toutes les Formes attribués par l’homme à Dieu sont manifestes.’’ Le chant insiste ensuite sur l’impact du Nilayam sur tous ceux qui recherchent la Présence.

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‘’Ce Nilayam est le laboratoire où l’Alchimiste Transforme les cœurs de plomb en trésors ! C’est un ashram où le Sadguru Ressuscite ceux qui flanchent et les morts. C’est un atelier où Il restaure Les cœurs brisés, où Il répare les esprits endommagés. C’est une école où nous apprenons Quelques lettres supplémentaires de l’alphabet atmique, Où l’arithmétique perd la tête— Trois moins un égale Un8, Et un plus un plus un plus un Egale Un, et non pas quatre !’’

En expliquant ces lignes, je pouvais dire aux gens que Baba prononce la bénédiction, ‘’Bangaroo’’ (or), lorsqu’Il répand Son tendre Amour, mot qui a le pouvoir de transsubstantier le plomb du cœur et le fer de l’âme. Je pouvais relater des épisodes où Bhagavan ressuscita des gens physiquement morts ou flanchant mentalement. Chez Baba, nous apprenons que le D veut dire discipline, dévotion et devoir et que le F représente les quatre étapes pour mettre un terme au jeu de la vie9. Si la nature est niée comme une projection irréelle de l’esprit, le moi se fond dans le Soi et l’individuel est l’Universel. C’est la vérité de base que Baba vient nous enseigner, après que nous ayons acquis la pureté de l’esprit et la clarté de l’intellect par la sadhana.

Sathya Sai Baba entouré par Elsie et Walter Cowan qu’il a ressuscité le jour de Noël en 1971

8 Allusion aux mathématiques spirituelles de Sathya Sai (voir par exemple Son discours du 21/05/1970) 9 Allusion à Sa maxime ‘’Follow the Master, face the devil, figtht to the end, finish the game’’ (Suivez le Maitre, affrontez le diable, luttez jusqu’au bout et terminez le jeu).

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Le poème indique ensuite à l’aspirant qui est arrivé à Prasanthi Nilayam ce qu’il doit faire comme sadhana préliminaire.

‘’Prenez votre place dans les rangs du darshan Et joignez les mains. Dites adieu à la haine et à l’orgueil, A la jalousie et à l’avidité. Imaginez Sa belle forme et puis priez Pour obtenir darshan, sparshan et sambhashan — Trois faveurs qu’Il a fait le vœu de vous accorder.’’

Ici j’ajoute que le darshan veut dire, non pas tant la vision de la Forme et du charme physique, mais la joie de la vision intérieure méditativement acquise de la beauté divine. Sparshan veut dire, non pas tant le contact avec Ses Pieds, mais l’installation des Pieds de Lotus et de tout ce que le lotus représente dans votre propre cœur. Sambhashan veut dire prier directement devant Lui et écouter directement Sa réponse. Et ceci n’est pas non plus tellement une question de dialogue face-à-face, mais une conversation avec Lui dans l’autel intérieur pour autant que dure la vie.

Le chant reprend là où il s’est interrompu—dans les rangs du darshan où attendent les pèlerins.

‘’Le voilà—la robe orange, L’éclair, la flamme, la brise odorante, La couronne de cheveux éclairée par le soleil ! L’exaucement de tous les vœux. Tous les dieux dans la Forme Sai. Grâce, majesté, puissance et joie.’’

Des hommes et des femmes de toutes les nations, de toutes les croyances sont ici, amenés par des rêves de guérison ou d’autres faveurs voulues et accordées par Baba, en personne ou autrement. Lorsqu’Il marche le long des rangs serrés des gens, beaucoup voient en Lui la forme et le visage du Dieu qu’ils adorent. Je peux citer les exclamations de ceux qui ont expérimenté ces visions.

‘’Voici Shiva, , Krishna, Ram, Jéhovah, Bouddha, Jésus-Christ !

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Serrez ces Pieds de Lotus, préservez la douceur du contact, Il vous gardera doux d’autant plus.’’

Personne ne peut plus être le même après cela ! Une source naissante d’amour pétille dans le cœur. La transformation se poursuit quand l’aspirant est choisi pour la faveur d’une entrevue personnelle.

‘’Regardez ! Son doigt vous indique de vous lever ! Vous êtes élu, cher enfant ! Suivez-Le. Béni est ce jour, bénie est cette heure. Vous allez renaître !’’

Baba dit que nous devons être défaits et refaits. Ce processus remodèle notre personnalité dans son entièreté pendant les entrevues qu’Il accorde, soit directement en personne, soit dans le cœur en tant qu’aurige, où que nous soyons.

‘’C’est un grand nettoyage de printemps de toute la saleté qui encombre le cerveau, Et votre identité et sa raison d’être deviennent claires dans Sa lumière. Il appose Sa vibhuti sur le point ajna Et guérit la vision affectée par la phobie des couleurs. Il rit de vous trouver sourd – l’ouïe est si proche, si dégagée – Au mantra nasal de la respiration, ‘’Soham’’, ‘’Soham !’’ Je suis Lui, Il est moi ! Il voit votre langue, chargée de venin, Prescrit une dose constante de dhyana et de japa, Purifie votre gorge avec Son sirop divin Et vous ferme la bouche d’un ‘’CELA suffit !’’ Il enlève la charge pesante sur votre dos : ‘’Je suis ici pour la porter, continuez à avancer !’’ , dit-il. Il dote le lâche d’une armure Et l’œil pétillant, Chasse votre volonté inconstante.’’

Après l’élaboration interprétative, ces lignes doivent être de nouveau chantées, car elles décrivent la révision totale de la personne de la tête aux pieds, pour ainsi dire. La vibhuti créée par Baba est Sa vibhuti (qui veut dire ‘’gloire unique’’, en plus de son autre sens, ‘’cendre sacrée’’). Le point où Baba l’applique, entre les sourcils, indique en l’ajna , le siège de l’autorité qui commande. Le conflit

308 racial est basé sur les préjugés de couleurs, aussi applique-t-Il un onguent pour corriger le défaut d’optique. Baba nous conseille d’écouter le mantra de la respiration, Soham, afin que le moi puisse fusionner avec le Soi supérieur dont il est une vague. La gorge doit être purifiée à l’aide d’un sirop divin (Achyut) pour que notre voix puisse apaiser et adoucir au lieu de peiner et de provoquer.

Baba est disponible partout et en tous temps pour tous ceux qui voyagent sur l’océan tempétueux de la vie. Le poème continue ainsi :

Il répond à chaque appel de détresse, Au SOS des voyageurs naufragés. Quelle que soit l’heure ou la faiblesse de l’appel, Sai n’a pas besoin d’aller loin. Il est toujours à votre porte, A vos côtés, devant, derrière ! Doutez, Il répond. Verrouillez, Il entre. Décriez-Le, Il sourit. Reniez-Le, Il reste. Il sait tout ce que nous avons été, ce que nous sommes Et ce que nous serons encore.

Des centaines d’incidents authentiques se bousculent dans l’esprit et réclament d’être choisis pour illustrer l’amour et la compassion omniprésente de Bhagavan. Les auditeurs aussi réclament toujours plus d’exemples de la bienveillance infinie de l’Avatar.

Le poème entreprend de décrire la plus haute vérité (l’immanence de Dieu dans le cosmos, qu’Il a projeté par une pensée), que Baba révèle à présent miraculeusement par les mots et par le geste. Il a soufflé sur une petite pierre et elle s’est transformée en une icône de Krishna jouant de la musique des Sphères sur Sa flûte. Il a soufflé sur deux brins d’herbe placés en croix et ils sont devenus un crucifix avec le Fils de Dieu à l’agonie10.

Dans Sa grâce infinie, Il nous fait prendre conscience De la mélodie qui vibre dans la pierre, De la Croix qui saigne dans chaque feuille. Il répand Sa cendre sacrée, Ses signes et Ses miracles Dans des millions de foyers—Ses ‘’cartes de visite’’—

10 Voir la photo de la page suivante, NDT

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‘’Je suis vôtre’’, dit-Il, ‘’Je suis vôtre’’, Ses mains et Ses pieds, Ses yeux et Sa voix Encerclent la Sphère Cosmique.

Il s’agit d’un crucifix que Sathya Sai Baba a matérialisé à partir du bois originel de la croix du Christ et qui le représente au moment de sa mort, crucifix qu’il a offert à John Hislop

A ce stade, je pouvais m’étendre sur les révélations que Baba accorda à Y.J. Rao, le géologue, à Hislop, le chrétien et à des milliers de personnes qui L’ont vu, qui L’ont

310 entendu et qui ont été secourues par Lui dans des pays allant de la Nouvelle– Zélande à l’Islande, du Pérou à la Corée.

Le Sai Bhagavatham se termine par une assurance, un appel et une prière.

Alors pourquoi courir et nous précipiter D’est en ouest et d’ouest en est, Par monts et par vaux, par terre et par mer, A la recherche des Pieds de Lotus ? Ils sont ici, à la portée De chaque main qui les convoite. N’a-t-Il pas chanté dans Son tout premier chant, Maanase bhajare guru charanam, ‘’Adorez en esprit les Pieds du Guru’’ ? Installons-les dans notre temple intérieur Et prions : ‘’Sai ! Mon Seigneur ! Accorde-moi la vision De Ton Royaume en moi. Attribue-moi le travail qui est adoration pour Toi, Conduis-moi chez ceux qui prêtent attention à Ta parole Et qui se languissent de Toi. Révèle Ton charme, où que je pose les yeux Et Swami, satisfais encore ce dernier désir— Permets que ce petit moi se fonde en Toi.

Nous avons présenté ce chant de l’Annonciation à Sivam, Hyderabad et dans quelques endroits du Karnataka. Bhagavan m’a gracieusement chargé, ainsi que mon fils Murthy, le Professeur Sachdev et Sri Hejmadi, de donner des conférences à tour de rôle, chaque jour, aux dévots étrangers, sur l’Avatar, Ses enseignements et les disciplines qu’Il a prescrites pour le progrès spirituel. Chaque fois qu’un groupe de tels visiteurs rentre chez eux, Bhagavan a gracieusement accédé à notre demande de remettre à chaque participant une copie du poème avec des explications illustrées, après le récital.

Des centaines de personnes partout dans le monde répandent aujourd’hui la bonne nouvelle de la disponibilité sur Terre du Principe Divin ayant pris forme humaine. Leur joie évoque la joie. Leur bonté, leur sincérité, leur affection, leur simplicité et leur amour inspirent ces vertus chez les autres. Ceux qui sont malheureux et

311 abandonnés, ceux qui sont désespérés et malades et qui ont été guidés par eux jusqu’à la Paix et au Pouvoir de Sai doivent toujours leur être reconnaissants de les avoir guidés jusque-là. Je souhaite inviter chaque personne qui a été réjouie par l’impact de Sai de reprendre avec enthousiasme le rôle du ‘’quatrième homme’’ de la parabole de Ramakrishna. Permettez-moi de citer à cet effet une lettre de remerciement que j’ai reçue, il y a onze ans d’une personne qui s’est identifiée comme ‘’John, de Californie’’.

‘’Monsieur N. Kasturi ! Qui ou ce que je suis n’a pas d’importance. Ce qui est important, c’est que par la porte que vous avez ouverte pour moi, je suis entré dans le temple de Baba pour m’incliner à Ses Pieds et connaître l’ananda de Son Existence entre le temps de mon arrivée et celui de ma sortie dans cette incarnation. Je prie pour que mes yeux Le voient, pour que mes oreilles L’entendent et pour me tenir en Sa Présence, tout comme vous. Je prie, je Lui écris et Il me répond dans mon cœur que je Lui ai ouvert, parce que vous m’avez aidé à Le comprendre. Ce n’est pas que je prétende Le comprendre en totalité mais plutôt que, grâce à vos efforts, Ses paroles m’ont touché de manière à ce que je puisse les comprendre à un certain degré. Merci, mon frère, merci.’’

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REDYNAMISER LES TEMPLES

L’Avatar est occupé à remodeler l’esprit humain par toute une série de méthodes. Baba a développé ces méthodes dans un poème qu’Il a chanté à Prasanthi Nilayam : ‘’Restaurer la foi dans la voie de la dévotion et du dévouement comme moyen de libération des chaînes du monde duel, promouvoir l’amour chez les individus, les groupes, les communautés, les pays et les races comme moyen de paix ; réconforter et consoler les bons et les pieux pour nourrir et entretenir les idéaux qu’ils professent ; réinterpréter les Ecritures de tous les peuples afin de cultiver les vertus qu’elles diffusent.’’

Baba n’a pas fait que réinterpréter les textes anciens. Il a ‘’reconsacré’’ d’anciens lieux de culte pour en faire des sources de bénédiction plus jeunes et plus efficaces. Les idoles de Vishnu et de Shiva ainsi que d’autres Formes sanctifiées par la Tradition ont été dévaluées à cause du traitement insolent et insultant que des préjugés et un mauvais esprit ont répandu sur elles. Les prêtres eux-mêmes ont perdu la foi dans les rituels et le culte. Les pèlerins se sont transformés en pique- niqueurs dégénérés et les temples sont devenus des comptoirs à marchandise. Les temples ont été autrefois conçus pour être les dépositaires de la sagesse religieuse et les gardiens des vertus sociales— toutes deux issues de Dieu symbolisé par l’autel central. Aussi, Baba a dit que ‘’recharger les batteries spirituelles vides des temples’’ fait partie de Sa Mission d’Avatar.

Conformément à ce programme, Baba a revitalisé six temples, trois de Vishnu et trois de Shiva, un de chaque au nord, au centre et au sud de l’Inde—tous recevant l’adoration d’Indiens vivant loin des Etats où ces temples sont situés. Ce sont, au nord, le Temple de Vishwanath à Bénarès, sur le Gange et le Temple de Narayana à Badrinath dans les Himalayas ; au centre, le Temple de Somnath dans le Gujarat et le Temple de Krishna à Dwaraka, dans le même Etat ; au sud, le Temple de Mallikarjuna à Sri Sailam, en Andhra Pradesh et le Temple de Vittala à Pandharpur, dans le Maharashtra. Excepté le dernier, je fus béni de pouvoir assister à la revivification des cinq autres centres d’énergie spirituelle.

Etant donné que le pèlerinage à Badrinath impliquait un voyage d’une semaine par train et par bus, plus une montée épuisante d’une bonne trentaine de kilomètres, Baba n’emmena avec Lui qu’une petite fraction des dévots qui prièrent pour avoir la chance de L’accompagner. Le groupe était composé d’une bonne septantaine de

313 personnes. Le Dr Rama Krishna Rao, gouverneur de l’Uttar Pradesh où est située Badrinath, nous rejoignit à Hardwar avec son entourage.

Le 11 juin 1961, tout le groupe assista à la Ganga puja et à l’arati qui furent célébrés ce jour-là en présence de Baba. Ma femme et moi, nous observâmes la cérémonie depuis l’île en face et nous vîmes Baba qui se tenait sur la marche même où Il nous avait accordé Son darshan quelques années auparavant, lorsque nous étions venus en pèlerinage avec ma mère, à Sa demande. Comme tous les membres du groupe, Baba envoya aussi quelques lampes flotter sur la rivière , qui clignotèrent alors qu’elles étaient emportées au loin par le courant. Il aspergea d’eau bénite les prêtres qui se pressaient autour de Lui et les dévots réclamant la bénédiction.

Plus tard, nous nous réunîmes à Ses Pieds dans la cour de Sa résidence. Les étoiles scintillaient de joie, car elles pouvaient obtenir Son darshan, plein leurs yeux. La lune aussi montrait une face rougie par l’excitation cette nuit-là, tandis qu’elle observait timidement Baba qui nous bénissait. Baba décrivit les divers lieux saints et confluents sacrés que nous apercevrions tout au long des 293 km qui nous séparaient de Badrinath—les endroits où Kanva avait son ermitage et où Arjuna fit sa pénitence, ceux du site du sacrifice de Daksha et de l’académie de . Nous étions stupéfaits par les détails de Sa narration et par la profondeur de Sa

314 connaissance du terrain et des temples. Il nous parla du temple de Badrinath— pardonnez-moi, mais je pris note des faits qu’Il mentionna pour vérification ultérieure—et attira notre attention sur l’idole principale et les idoles secondaires du sanctuaire principal et celles des corridors extérieurs et des halls. Il raconta l’histoire de Ghantakarna dont Il promit d’identifier pour nous l’image de pierre. Il étonna les femmes par Sa déclaration que la Lakshmi de Badrinath serait vue comme une femme d’Uttar Pradesh avec le sari tiré sur la tête. Il termina par cette remarque : ‘’Les autres vont à Badri pour y voir Narayana ; vous allez avec Narayana pour y voir les idoles !’’ Il confessa avoir quitté Shirdi parce que, (comme Il le fit observer à Das Ganu), les mobiles commerciaux prédominaient là-bas. A Badrinath aussi, le même type d’avidité pollue l’atmosphère et c’était Son intention de purifier le lieu saint, d’empêcher l’érosion de la foi et de révéler à ceux qui sont chargés des rituels du temple la gloire et la grandeur, la puissance et la prédominance du Narayana qu’ils perpétuent. Il les convaincrait, dit-Il, que Badri et et le Kailash étaient deux yeux qui appartenaient au même visage.

Le temple de Badrinath

Et à Badri, le 16 juin, tandis que le chef des prêtres, le mahant, comme ils l’appellent (et qui provenait comme le demandait la tradition, de la pointe sud de la péninsule indienne) célébrait le rite de l’, Baba inaugura la tâche

315 avatarique de revitaliser l’idole pour le bien de l’humanité. Il effectua une rotation de la main et Il matérialisa un lotus d’or aux mille pétales. Puis, Il agita de nouveau la main, mais cette fois-ci, ce ne fut plus une création : le Netra Linga placé par Shankaracharya il y a 1200 ans (comme Baba l’a déclaré ce soir-là devant l’assemblée des dévots et des résidents de Badrinath) dans la cavité de pierre sous l’idole de Narayana, se retrouva dans Sa paume. Il le posa sur le lotus et nous vîmes que les deux semblaient faits l’un pour l’autre ! Il y avait beaucoup de pèlerins qui se pressaient pour entrer dans la petite salle du sanctuaire et pour que tous puissent avoir une vision correcte, Bhagavan proposa de ‘’recharger la batterie’’ à la Gujarat Dharmasala où résidait le groupe.

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Shankaracharya, le saint philosophe, vécut au huitième siècle après Jésus-Christ. Il interpréta les Upanishads, les Brahma de Badarayana et la Bhagavad Gita en employant les principes d’une logique imprenable et il démontra qu’une seule Vérité unique parcourait chaque phrase et chaque doctrine, à savoir que Brahman est la seule Réalité et que tout le reste est temporaire et transitoire, des apparences surimposées par l’ignorance. Cependant, il propagea la valeur et la validité de l’émotion et de l’intuition pour obtenir la conquête de l’ignorance et la disparition de la fausse identification du Soi avec le complexe corps-esprit. Il parcourut le sous- continent indien en long en en large en éclairant les érudits et les dialecticiens et en encourageant les gens ordinaires à sublimer leurs pratiques religieuses. Baba révéla ce soir-là à Badrinath que le Dieu Shankara confia à Shankaracharya cinq lingams qu’il fut chargé d’installer dans différents centres entre les Himalayas et Rameswaram. Le lingam que Baba fit sortir de sa niche de pierre était l’un des cinq. Lorsqu’une dynamo spirituelle est placée dans un lieu saint, la source souveraine d’énergie (un chakra mystique, un dessin divin, un linga sacré) est profondément dissimulée à la vue des hommes. C’était le cas de la ‘’batterie’’ dont Baba connaissait l’état d’épuisement.

Sur la droite du plateau, on distingue bien le lotus d’or qui soutient le Netra lingam (à gauche, il s’agit d’une idole de Narayana matérialisée par Baba)

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Shankaracharya est loué par les hindous comme étant voulu et inspiré par Shankara Lui-même. Et Baba ? Il est Sankara, rien de moins. Quand Baba était jeune, Seshagiri Rao et quelques autres dévots composèrent un chapelet de 108 noms à répéter pendant le culte. Le livre fut rapidement épuisé, et en tant que responsable de la petite imprimerie, on me persuada d’entreprendre la pieuse tâche de le réimprimer. Je demandai conseil à Baba, car certains de Ses Noms me semblaient inappropriés. Baba en repéra quelques-uns et me pria de les remplacer par d’autres Noms. Croyez-moi, l’un des Noms omis était Shankara Amsa (une part, une portion ou un membre de Shankara), et le substitut qu’Il me donna était Shankara !

Ainsi, ce fut Shankara qui rechargea la batterie que Shankara donna et que Shankaracharya installa. Le rechargement auquel assistèrent plus de deux cents personnes fut des plus exaltants. Baba circula parmi nous avec le linga monté sur le lotus d’or. Il attira notre attention sur l’œil qui pouvait clairement être vu à l’intérieur, la rétine noire brillante sur fond blanc et les bords fuselés avec les paupières supérieures et inférieures. Quand Baba tournait le lingam vers la droite ou vers la gauche, l’œil semblait rouler dans la même direction. ‘’Tout le monde l’a vu ?’’, demanda-t-Il. ‘’Si vous ne l’avez pas vu, venez ici, car il doit retourner là où Shankaracharya l’a placé’’.

Ensuite, alors que nos bhajans résonnaient dans Badrinath, Baba se leva en tenant un pot en argent dans Sa main qu’Il avait matérialisé. Il s’approcha de la table sur laquelle tous pouvaient apercevoir un plateau d’argent avec le lingam posé sur le lotus. Il annonça que le pot contenait de l’eau bénite provenant de Gangotri, la source où est né le Gange. Il retira un doigt de dessous le pot et miracle, un trou apparut qui permit à un flot d’eau de tomber sur le lingam sous la forme d’un ‘’abhisheka’’. Les pandits et les prêtres récitèrent les hymnes védiques prescrits pour les rites. Ensuite, Baba agita Sa paume au-dessus du lingam, de façon à ce que des grappes de fleurs d’or et d’argent qui émanaient d’elle tombent sur le lingam et augmentent sa puissance. Miracle des miracles, avec un autre mouvement de la main, un gros bouquet de fleurs thumme encore perlées de rosée, avec lesquelles les dévots de Puttaparthi vénèrent Baba, des fleurs qu’on ne trouve que sur les collines pelées et les plaines arides du sud de l’Inde, tombèrent sur le lingam. Les habitants de Badri se demandèrent ce qu’étaient ces petites gouttelettes blanches et soyeuses de la Grâce Divine. Baba déclara alors : ‘’A présent, le lingam va retourner à sa place’’, et il disparut de notre vue.

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Le gouverneur Ramakrishna Rao eut encore la chance d’être présent lorsque Baba visita le sanctuaire principal de Kasi où depuis des millénaires, Shiva était vénéré sous la forme du linga en tant qu’Essence Cosmique Suprême, Viswanatha. Une vingtaine d’entre nous accompagnèrent Baba pendant le voyage de Lucknow à Ayodhya, puis de Prayag à Kasi. Le grand prêtre récita des des anciens textes glorifiant le Seigneur, pendant que Baba regardait les dévots qui versaient respectueusement l’eau du Gange sur le linga. Les parents tenaient ensemble le récipient qui contenait l’eau bénite. Tandis qu’ils baignaient Viswanatha, Baba me demanda aussi de tenir avec eux le récipient afin de partager leur ravissement. Tout hindou, aussi pauvre, illettré ou disgracié qu’il puisse être, aspire, où qu’il se trouve, à boire une petite gorgée d’eau du Gange et même plus pathétiquement, à recevoir l’opportunité de baigner le lingam du Seigneur et de sanctifier ainsi ses mains par le rite de l’abhisheka.

Le célèbre temple de Shiva de Somnath dans le Gujarat fut la cible d’une série d’attaques de pillage de hordes musulmanes en provenance de Ghazini en Afghanistan. L’or, l’argent, les joyaux et même le linga de pierre du sanctuaire principal furent emportés par les pillards dans leur furie fanatique contre l’idolâtrie. Quand l’Inde conquit son indépendance en 1947, le temple délabré fut reconstruit, sa gloire restaurée et un nouveau linga fut installé dans le même lieu sacré. Bien que la rénovation et que la reprise du culte journalier et saisonnier de Shiva s’effectuèrent avec les rites solennels appropriés, Bhagavan sentit que le monde devait être rassuré sur le fait que l’ère de turbulence était terminée et que Sivam durerait toujours. Il savait que le Jyothirlinga (le symbole sphéroïdal lumineux de l’apparition et de la fusion de l’Energie Primordiale) qui était placé dans la niche de pierre sur laquelle d’autres lingams furent érigés après chaque retraite de chaque armée d’invasion, était là intact, prêt à irradier des vibrations spirituelles, dès qu’il aurait reçu la touche de la main de Shiva. C’était la batterie qui était à plat.

Bhagavan visita Somnath avec un petit groupe de dévots incluant la Rajamatha de Nawanagar qui pria pour qu’Il inaugure l’entrée du Digvijayasingh Gopuram érigé en commémoration du Jam Saheb qui fut l’un des mécènes les plus dévoués du projet de reconstruction de Somnath. Après l’inauguration, Baba pénétra dans le vaste sanctuaire et observa pendant quelques minutes les rituels védiques avec lesquels les prêtres rendaient un culte à l’idole de Somnath. Il matérialisa une poignée de feuilles de bilva dorées qu’Il répandit sur le lingam de quatre pieds. Puis Il effectua de nouveau une rotation de la main, avec un mélange d’espièglerie et de nonchalance. Avant que la paume n’ait pu effectuer un tour complet, un éclair de

319 lumière aveugla les prêtres ainsi que les visiteurs de Prasanthi Nilayam accroupis sur le seuil du sanctuaire et la Rajamatha qui se tenait debout les mains jointes. Quand l’éclair devint une aura brillante autour de la paume de Baba, il nous montra un ovale énorme de lumière céleste placé il y a plus d’un millénaire par un sage inconnu. Baba circula parmi nous avec le Jyothirlinga et révéla son importance épique et marquante. Lorsque le sanctuaire de Somnath fut conçu par la Volonté Divine, ce linga fut doté d’une énergie spirituelle qui pourrait durer des siècles et il fut préservé du regard de l’avidité impie. Comme à Badrinath, Baba l’avait fait sortir du lieu où il avait niché pendant si longtemps, mais Bhagavan ne replaça pas le linga rechargé et renforcé de Somnath dans sa situation originelle. Sai offre vigueur à celui qui est las et force à celui qui est épuisé. ‘’Il n’y a plus de danger pour ce temple, dans aucune direction. J’ai donc décidé que vous lui rendrez un culte directement devant les dévots’’, dit-Il en agitant la main. Immédiatement, un support d’argent sur lequel la merveille pouvait être placée devint visible. Baba fixa le linga. Le grand-prêtre le reçut révérencieusement de Sa main. Le linga miraculeusement réapparu, la source de la compassion divine offre maintenant son darshan dans le sanctuaire historique où cette leela s’est produite. Il en a fait une Lumière pour les nations au-delà des plus lointains horizons.

Sri Sathya Sai dans le saint des saints du temple de Somnath

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Le rajeunissement de l’idole de Dwaraka s’opéra pendant la même visite au Gujarat, bien que Bhagavan n’entra pas dans le sanctuaire, ne répandit pas de fleurs et ne la toucha pas de Sa main qui transforme ! Le temple était si densément rempli de pèlerins qu’il n’y avait pas le moindre interstice par lequel nous frayer un chemin. Même la porte extérieure était bloquée par des masses d’hommes et de femmes. Bien entendu, Baba aurait pu se matérialiser dans le sanctuaire intérieur à côté de l’idole, comme Il l’avait fait à Repalle, là où aussi des milliers de gens s’étaient accroupis dans les espaces libres, mais Il considéra notre sort. Il accorda Son darshan aux milliers de personnes qui étaient à l’extérieur du temple. Beaucoup virent qu’Il ne pourrait pas se frayer un chemin dans les couloirs et les salles à colonnades jusqu’au sanctuaire, aussi ils se précipitèrent dehors et réussirent à obtenir Son darshan.

Entre-temps, Bhagavan signala aux voitures de Le suivre et Il fila en direction de Jamnagar. Sentant que la mer se trouvait derrière une petite crête sur Sa droite, Baba s’arrêta et nous conduisit jusqu’à la plage mouillée par les vagues. Là, Il nous fit faire un grand tas de sable sec. Plongeant Ses mains dans le tas, Il en sortit une idole de Krishna en or, resplendissante à contempler. Quand Dikshit, de Bombay présenta à Baba sa belle-sœur qui attendait l’ablation d’un sein touché par le cancer, Baba créa de la vibhuti et frotta vigoureusement la cendre sur la poitrine de Dikshit et l’opération fut déclarée inutile, quand on l’emmena voir les médecins. Quand Baba sauva le glorieux Krishna doré des sables du doute, de la dialectique et du reniement, le temple de Dwaraka fut également chargé de vibrations vitales. Baba annonça que c’était le but du miracle que nous avions vu. L’idole avait écarté l’infécondité et revêtu une fécondité festive.

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Srisailam est un temple shivaïte réputé d’Andhra Pradesh situé sur la rive de la Krishna. Shiva est vénéré comme Mallikarjuna (jasmin blanc) et Son épouse comme Bhramara (abeille). Beaucoup de mystiques du Maharashtra et du Karnataka ont expérimenté la Conscience Cosmique en méditant sur la Déité adorée là et Shankaracharya a loué la sainteté du sanctuaire. Baba entra dans le sanctuaire et répandit sur le Mallikarjuna linga des feuilles dorées de bilva qui tombèrent de Sa main, quand Il le voulut.

Pandharpur, où le Seigneur Krishna est adoré sous la forme de Panduranga Vittal, était le sanctuaire à propos duquel Baba enseigna à Ses compagnons d’enfance à chanter. Ces compagnons d’alors durent se contenter de cette bonne fortune. D’autres accompagnèrent Baba plus tard, quand Il se rendit à Pandharpur entre Bombay et Hyderabad. L’aspect féminin de Dieu représente Sa compassion, Son empressement à pardonner, à guérir et à corriger les erreurs, Sa tendresse et Sa douceur. A Pandharpur, Baba attacha plus d’attention à Rukma (Rukmini) qu’à l’aspect masculin de la majesté, du pouvoir et de la sagesse de Dieu. En entrant dans son sanctuaire, Il matérialisa un collier en or incrusté de joyaux qu’Il plaça autour du cou de l’idole. De nombreuses personnes qui sont entêtées dans leur incrédulité et d’autres qui ne sont que marginalement théistes pourraient écarter comme ridicule la possibilité que les idoles soient chargées de divinité et qu’un vœu, un mot ou un acte les rechargent, quand la Divinité s’épuise. Mais la foi peut certainement rendre les montagnes saintes et les ruisseaux sacrés. Elle peut entendre des sermons dans les ruisseaux qui coulent et lire le Livre de la Genèse dans une pierre. Baba est la Volonté Divine.

Depuis ce jour où, âgé de 14 ans, Il quitta l’école et jeta son cartable en annonçant : ‘’Mes dévots M’appellent. J’ai Ma Tâche à accomplir’’, Il n’a jamais parlé de Dieu comme distinct de Lui-même. Au fil des ages, des sages et des prophètes ont consolé les autres avec des assurances telles que ‘’Dieu vous bénisse’’, ‘’C’est la Volonté de Dieu’’, ‘’Priez Dieu et Il vous guérira’’. Au cours de 31 ans de proximité intime, je n’ai jamais entendu Baba consoler ou réconforter quelqu’un en désignant un Consolateur, un Protecteur ou un Sauveur autre que Lui-même. Sa langue n’a jamais une seule fois trébuché à la deuxième ou à la troisième personne en parlant de Dieu. Elle est établie singulièrement dans la première personne du singulier. Je Lui demande pardon pour dévoiler une expérience personnelle. J’avais soulevé avec Lui l’aspect Père-Mère, Aayi-Baba, Shiva-Shakti, l’instant d’unité entre Justice et Grâce, lorsqu’Il me révéla dans une vision claire et concrète la forme de

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Shiva-Shakti, plusieurs années avant qu’Il ne déclare cette Réalité en ce fameux jour de Guru Poornima. D’autres personnes eurent d’autres visions, je le sais.

Il encourage les rituels, le culte, les bhajans et les fêtes religieuses, surtout comme moyen pour calmer et purifier les sens et le monde souterrain de l’homme. Il ratifie les tabous traditionnels et les conseils de sadhana, car Il est certain qu’Il peut guider les hommes à partir d’où ils se situent, pourvu qu’ils se persuadent de faire un pas en direction de la prochaine étape. Ganesha est le gardien de la première étape, aussi Baba a accordé à Ganesha la priorité majeure dans les bhajans et dans les plans d’architecture des campus. Mais Il sait que la forme de Ganesha n’est au mieux qu’un outil provisoire dans l’atelier divin où les humains sont révisés, rechargés et reconditionnés selon Son plan.

En dépit des prières pour que l’Avatar puisse exercer visiblement Sa volonté et multiplie l’efficacité d’autres sanctuaires populaires comme Tirumala, Madurai, Ananthasayanam et Rameswaram, Bhagavan n’a pas donné aux dévots la chance d’assister à la cérémonie divine. Mais Baba montre toujours qu’Il est conscient du

323 rôle important que doivent jouer les temples pour ce qui est de promouvoir l’élévation individuelle et l’intégration sociale. Dans les villages situés autour de Brindavan, Whitefield et de Prasanthi Nilayam, Il a encouragé la construction de temples, de mosquées et la rénovation d’anciens lieux de culte et depuis chacun d’eux, on peut entendre Son appel : ‘’Je vous conduirai jusqu’à Moi, de l’irréel au Réel, de l’obscurité à la Lumière, de la mort à la Vie Eternelle. Vous ne trébucherez pas et vous ne défaillirez pas.’’

Baba loue la croyance traditionnelle selon laquelle on ne devrait pas passer la nuit dans un village qui n’a pas de maison de Dieu. Il examine la condition du temple du village et décide par-là de la nature de l’atmosphère morale de l’endroit. Si les locaux sont utilisés pour jouer ou pour bavarder, pour comploter ou faire de la politique, Il condamne et fustige la congrégation. Le corps humain est aussi la maison de Dieu. Et il possède dans son saint des saints le Netra linga de Badrinath, l’Œil éternel universel ou le Jyothirlinga de Somnath, la flamme éternelle et universelle de l’amour.

La légende de tous les pays fait état d’un Kalpataru, un Arbre-à-souhaits, mais il se trouve au Ciel, là où il est superflu et ceux qui ont besoin de son aide doivent se hisser jusque-là. Baba est le Kalpataru descendu sur Terre : nous n’avons pas besoin de voyager péniblement. L’Arbre recouvre chaque ciel. Nous sommes dans son ombre, où que nous soyons. Nous nous approchons de l’Arbre pour satisfaire un désir, mais nous réalisons rarement ce que l’Arbre fait pour nous. Il nous incite à nous cramponner à lui pour toujours. Lors d’un discours à Prasanthi Nilayam, Baba annonça : ‘’Je sais que beaucoup d’entre vous sont déconcertés par Mon habitude d’écouter chaque jour, matin et soir, vos supplications, vos longues listes de souhaits et de désirs, de vous faire appeler et de passer de longues heures à vous consoler et à conférer les avantages terrestres que vous réclamez. Ils disent qu’aucun Avatar ne s’est comporté ainsi avant, que cet Avatar s’adresse surtout aux hommes matérialistes. Les gens viennent Me voir avec des désirs idiots. Néanmoins, Je les accueille avec compassion et amour. Moi seul connais leur soif fondamentale, leur insatisfaction basique. Je suis content qu’ils viennent Me trouver, plutôt que de se conduire de manière servile devant des hommes qui ne sont eux-mêmes que des instruments. Silencieusement et progressivement, Je les tourne vers la voie de la sadhana et du pèlerinage spirituel. Comment puis-Je me contenter de regarder, lorsqu’ils s’égarent et lorsqu’ils souffrent ?’’

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L’ENFANT CISELÉ

Sri Ramakrishna Paramahamsa, ma Mère adoptive, m’avait découvert, enfant orphelin de père, qui tentait de survivre grâce à la nourriture offerte en charité à des paresseux de haute naissance qui appréciaient le jeu et une conduite impie. Il me sauva de la souillure, de ce chaudron du vice et de l’inconstance. Son dévot, le directeur de mon école, installa Guru Maharaj comme mentor et moniteur de mon cœur. Il nous racontait des histoires du Paramhamsa et de ses apôtres de manière si pittoresque que nous en réclamions toujours plus. Il nous persuada d’apprendre par cœur cette partie de l’un des discours électrisants de Vivekananda qui culmine avec la prière : ‘’Dieu ! Fais de moi un homme !’’ Gurudev fut mon soutien et ma Providence jusqu’à la cinquantaine. C’est alors qu’il me remit dans le giron de Sai qui nous enseigne à prier : ‘’Dieu ! Fais-moi prendre conscience que Tu es en moi, que je suis en Toi et que nous sommes Un.’’ Lors du transfert, Guru Maharaj doit avoir supplié en mon nom : ‘’Répands Ton amour illimité sur celui-ci, mon enfant. Apprends-lui à devenir conscient de Toi comme sa Réalité.’’ Malgré mon retard et mon état malingre, le Ramakrishna mantra planté dans mon cœur par Mahapurushji avait miraculeusement développé des vrilles qui cherchaient une main qu’elles pourraient saisir. Et la main de Baba répondit : ‘’Pourquoi avoir peur ? Je suis ici.’’

C’est alors que je réalisai combien j’étais indigne de la compassion divine. J’avais tissé autour de moi comme prison une toile d’idées négatives, de préférences et de préjugés vraiment nocifs qui auraient dû me priver de la Grâce. Le sens de l’humour qui m’avait permis de me faire une petite niche dans le panthéon de Delhi et de Bangalore avait facilement pénétré dans le domaine interdit du ridicule et de la satire. Avec les errances sauvages de ce sens, j’avais blessé la sensibilité de beaucoup de personnes sans le vouloir. Pour maintenir ma réputation de Leacok et de Wodehouse, je devais me focaliser sur les pieds d’argile, les têtes enflées, les yeux jaunes et la cupidité des gens autour de moi et les inventer si besoin était. Cette tendance avait détourné mon attention du normal, de l’essentiel, du symétrique et du simple.

Mes 34 ans d’enseignement avaient implanté et développé en moi la maladie professionnelle du dogmatisme, de l’autoritarisme, de l’arrogance morbide et pour inventer un mot, de la philoflatterie. Je souffrais, comme tous les professeurs, du virus incurable de la lecture, d’un laisser-aller inévitable et aussi d’ ‘’absences’’. Rencontrer, vivre avec et guider des jeunes ouailles qui recherchaient l’instruction

325 et les conseils et qui les acceptaient avec gratitude lorsqu’on les leur donnait (entre les années vingt et les années cinquante) avait coulé mon esprit dans le moule rigide d’une suprême estime de soi. Je dois avouer que mes attitudes et mes approches envers les problèmes et les programmes ne dépassaient pas le niveau de l’adolescence, même quand l’âge me força à renoncer à l’association avec la jeunesse. Woodrow Wilson qui enseignait les Sciences Politiques à l’Université de Princeton, était un homme doté d’un bons sens de l’humour. Il savait se moquer de lui-même et se joindre à ceux qui le raillaient. Mais en tant que Président aux prises avec le problème de l’Europe d’après-guerre, c’était un jouvenceau comparé à Lloyd George et à Clémenceau.

Le bon peuple du Karnataka contribua aussi à oblitérer mon sens des proportions. Ayant découvert que, venant de la côte du Kerala, j’étais parvenu sur le plateau de Mysore sans la moindre notion de kannara, ils furent enchantés de découvrir que je le parlais et que je l’écrivais comme si c’était ma langue maternelle. Les doyens de la littérature kannarienne me dorlotèrent comme si le Destin m’avait restitué au Karnataka, après avoir été kidnappé dans le Kerala. En dépit de mes protestations, on m’exhiba comme un animal de cirque. En fait, j’ai même décrit le sort pénible d’une victime de l’adulation de masse dans mon roman, Gaali Gopuram. Les fumées d’encens, en dépit de tous les traitements prophylactiques que mon sens de l’humour employait, avaient atteint la tête et l’avaient enflée à un niveau appréciable.

Déjà en humanités, j’étais fasciné par le panorama multicolore de l’histoire humaine. N.R. Subba Iyer devint un héros pour moi. J’aspirais à apprendre autant que lui et à enseigner aussi bien que lui. Mais comme membre de la Faculté d’Histoire de l’Université de Mysore, je me retrouvai dans une impasse pour ce qui est des augmentations de salaire et les perspectives de promotion. Celles-ci ne pouvaient s’obtenir que si quelqu’un de plus haut parmi la douzaine de ses membres s’en allait et personne ne voulait partir. Nous appartenions tous à la même tranche d’âge et nous étions considérés comme fiables par les gens des assurances. Obligé de faire face à une demande croissante de revenus avec un salaire mensuel fixe depuis des décennies, je devins aigre et légèrement misanthrope.

Mon engouement pour Clio, la Muse de l’Histoire, ne put résister aux revers de fortune. Il y avait aussi une cause plus profonde au désastre. L’immersion de mon esprit dans les marécages de l’histoire humaine affectait mon opinion sur l’homme

326 et ses bouffonneries. Bien que l’histoire se répète tous les trente ans, l’humanité refuse d’apprendre ses leçons. L’homme a marché sur la lune, mais la folie de la haine entre frères est devenue plus grande. Il n’est pas nécessaire d’égratigner quelqu’un pour découvrir le sauvage en lui. Je devins de plus en plus convaincu de la futilité d’enseigner l’Histoire aux jeunes. Elle n’est bien accueillie que lorsqu’elle entretient les feux des haines raciales, religieuses, nationales, linguistiques ou les haines de caste. Les étudiants qui optaient pour les cours universitaires diminuaient en nombre et en sérieux. On se désintéressait des professeurs d’histoire et ils étaient l’objet du ridicule. Je ne pouvais gagner un peu de respect de la communauté estudiantine que par des activités extérieures dans lesquelles je les attirais. Mais l’amertume de la désillusion affecta mon affection pour ma profession de pourvoir la chronique de l’ingratitude de l’homme envers l’homme.

C’est ainsi que quand je tombai aux pieds de Swami, je tombai à cause du poids de l’orgueil. Mon cœur était aigre. Mes habitudes étaient négligées. Mon sourire était un masque. Mes regards étaient teintés de malice et de misogynie. Mes pas étaient incertains et mon but était kaléidoscopique et nébuleux. La seule sadhana que je connaissais, c’était le seva, mais peut-être l’avais-je adoptée parce qu’elle gonflait mon ego. Je riais des manies et des pomposités des autres sans réaliser que je les détectais parce que le les avais moi-même.

Et le nouveau Gurudev m’accepta juste comme j’étais. ‘’L’homme doit être défait, puis refait,’’ a-t-Il dit. J’eus en effet la chance de mériter Sa gracieuse attention et de subir une révision pendant trois décennies et demie. Le processus est toujours en cours et il est possible qu’il doive se poursuivre pendant une ou plusieurs vies, pour autant que je sache. Si Baba me fait dire maintenant de venir en Sa Présence, ma première réaction est de m’examiner pour découvrir où j’ai commis une erreur ou dans quoi je me suis fourvoyé, quelle limite j’ai transgressée, qui j’ai blessé ou diminué, car Il appelle surtout pour rectifier.

Dans la Bhagavad Gita, le Seigneur a déclaré qu’Il est le But, le Soutien, le Souverain, le Témoin, la Demeure, le Refuge, le Compagnon, l’Origine, la Providence, la Prémisse, la Promesse et le Pouvoir inépuisable. Baba a été tout ceci pour moi et des millions comme moi, car Il nous a pris par la main et nous a fait passer par un processus de transformation dans le creuset de Son amour.

Chaque fois que j’ai l’opportunité de Lui parler et même quand il n’y a personne d’autre tout près, Il scrute chacune de mes phrases et découvre invariablement une

327 exagération ou une lacune, une faute grammaticale ou bien l’utilisation d’un mot qui n’exprime pas aussi clairement quelque chose qu’un autre l’aurait fait. Il ne manque jamais de révéler ces preuves de négligence de langage. A chaque fois que cela arrive, mon ego de professeur subit une piqûre. Ce fait de me tourner implacablement en ridicule exorcisa mon laisser-aller ainsi que les manies et les tics qui me possédaient comme les gesticulations, les haussements d’épaules, les signes de tête, l’emploi abusif d’expressions telles que ‘’idiot !’’ et de stimulants comme le tabac à priser. Il me disciplina pour me libérer de tels manques d’à-propos. Quand le corps est calme, on peut inhaler la Présence plus profondément.

Le jour où j’emménageai dans l’immeuble qui m’était attribué, Il me proposa une tâche que mon ego n’accueillit pas de gaieté de cœur. C’était de tenir à jour le registre des ouvriers qui construisaient l’hôpital sur la colline derrière le mandir, d’être le contremaître du groupe, et de calculer et leur donner leurs gages tous les lundis. Ceci après 32 ans d’enseignement supérieur dont cinq comme directeur de collège ! Mais le travail est adoration, spécialement quand il est offert à Prasanthi Nilayam. Je n’avais qu’à le faire avec le meilleur de mes capacités. Heureusement pour moi, après quelques jours, un dévot arriva sur place, qui pouvait reprendre cette tâche qui lui allait comme un gant, me soulageant de l’ennui. J’appris cependant la leçon qu’un sadhaka doit accepter joyeusement tout travail, même inconnu ou épuisant, comme une opportunité d’étendre son amour. Plus tard, on m’envoya en mission à Bangalore chercher du bois de construction et des tuiles pour l’école Sai Baba de Bukkapatnam. On me chargea également de rechercher de grands portraits des prophètes, des saints et des visionnaires de tous les pays et de les faire encadrer pour les fixer sur les murs du hall de prière de Prasanthi Nilayam.

Pendant de nombreuses années, le jour de Vijayadasami, Baba m’appela ainsi qu’un directeur des télégraphes de Trichinopoly pour transporter des récipients d’eau depuis le puits situé près de la porte est jusqu’à la cuisine située à l’extrémité ouest. Il y avait si peu d’hommes en ce temps-là que nous étions souvent réquisitionnés pour ce genre de travail. Quand le Ministre des Postes et des Télécommunications d’Hyderabad proposa d’établir un bureau de poste dans le complexe de Prasanthi Nilayam, si on pouvait trouver un pensionné de l’Etat ou d’une municipalité cultivé, je réalisai que j’étais le seul candidat qualifié. Je ravalai mon ego (un bon morceau de ce qui en restait) et j’acceptai le joug. Baba testa alors la réalité de mon dévouement. Il dit : ‘’Je n’apprécie pas qu’on traite un directeur de collège et un Ph.D. comme un receveur des Postes !’’ Je savais qu’Il m’observait pour voir si Sa déclaration dénigrant le poste que j’avais assumé

328 recevait de moi le moindre signe d’approbation. Je répondis simplement : ‘’N’importe qui devrait être fier, Swami, d’être appelé receveur des Postes de Prasanthi Nilayam.’’

Pendant les années cinquante, quand l’afflux quotidien des pèlerins se montait seulement à une vingtaine ou à une trentaine de personnes, la plupart d’entre elles me confrontaient avec une requête de présenter leurs doléances à Baba. Elles croyaient que Swami était juste un autre Baba qui attirait et qui retenait des disciples en leur donnant des mantras pour obtenir la prospérité, la guérison physique ou mentale et la destruction de leurs ennemis. Quand Baba s’en allait, elles restaient jusqu’à Son retour, et découvrant que j’étais un auditeur patient et même compatissant, beaucoup d’entre elles répandaient leurs histoires dans mes oreilles. Je dois avoir créé l’impression que je pouvais communiquer et que je communiquerais leurs récits à Bhagavan car, lorsqu’Il en appela une ou deux plus tard pour un entretien, Il les mit en garde contre le fait de révéler leurs revers familiaux et leurs angoisses personnelles à ceux qui ne pouvaient qu’exhiber de la sympathie verbale. ‘’Ceux qui écoutent vos histoires peuvent vous prendre en pitié ou pleurer avec vous, mais ils ne peuvent avoir aucune influence sur les circonstances qui vous ont conduit au chagrin ni les rétablir. Pourquoi vous abaisser devant de simples humains qui ne peuvent sympathiser avec vous que durant le temps de votre récit ?’’ Et Il mentionna spécifiquement qu’il ne fallait pas me dire pourquoi elles étaient venues à Puttaparthi. ’’Je vous fait venir ici pour pouvoir vous écouter et vous libérer.’’ Lorsque ces personnes vinrent me trouver et qu’elles s’excusèrent pour m’avoir impliqué dans une conversation non souhaitable, je savais que ceci était aussi une leçon pour moi. Je n’avais pas le droit d’induire les autres en erreur en leur laissant croire que j’étais une personne différente du reste. Je dois circuler dans Prasanthi Nilayam en ne m’inquiétant que de moi-même, de mon propre voyage.

Il fallut du temps et beaucoup de réprimandes pour apprendre que Baba avait Lui- même appelé chacun des visiteurs et qu’Il s’occuperait de chaque personne de la manière qu’Il déciderait et quand Il le jugerait approprié. Quand je prêtais l’oreille aux histoires d’un visiteur, je devenais la victime de ma sympathie et l’ego me poussait à assumer le rôle du bon Samaritain et à parler de la détresse de cette personne à Swami. Au cours des premières années, la personne était souvent quelqu’un qui parlait le kannara ou plus souvent, elle provenait du Kerala. Ceci révélait une prédilection coupable pour les langues que j’aimais. Baba découragea toutes les tentatives que je fis pour attirer Son attention sur des afflictions dont Il

329 avait déjà conscience et qu’Il était déjà résolu à alléger. Il se moquait de mon impatience et Il écartait mes demandes avec des paroles tranchantes comme : ‘’Combien avez-vous touché pour cette recommandation ?’’ ou ’’Qu’y a-t-il de particulier chez la personne dont vous parlez ? A-t-elle des bois sur la tête ?’’ ou ‘’Qui vous a donné cette tâche ? Pourquoi développez-vous des contacts ici ?’’, etc. Arnold Schulman a mentionné dans son livre sur Baba que Baba lui avait dit : ‘’Nul ne peut venir à Puttaparthi, à moins que Je ne l’appelle. Je n’appelle que ceux qui sont prêts à Me voir. Bien entendu, il y a différents niveaux de préparation.’’

J’appris ainsi qu’il n’y avait pas besoin d’ ‘’informer’’ l’Omniscient Baba, d’ ‘’intercéder’’ avec le Tout-Compatissant et de L’ ‘’intéresser’’ au projet même qui L’avait motivé à s’incarner. C’est ainsi qu’une activité sinistre à laquelle mon ego me poussait fut contrecarrée par Baba. Néanmoins, les gens me voyaient chercher parmi la foule des individus et les conduire là où ceux qui sont choisis pour des entrevues se positionnent. Ils en déduisirent que je témoignais à ces individus une faveur particulière, puisque j’avais reçu l’autorité de Baba pour la conférer à qui bon me semblait ! Ils ne pouvaient pas deviner que je n’étais qu’un chaprasi obéissant aux ordres, faisant des courses et notifiant des citations. Dans presque tous les centres spirituels où la figure centrale est un saint, un yogi, un guru ou un chef monastique, un disciple masculin ou féminin qui tire les ficelles, qui choisit et sélectionne, qui connaît les cartes et qui sait manipuler le maître, est un phénomène inévitable. Prenant Prasanthi Nilayam pour un autre ashram, gurukulam ou ermitage ordinaire et me méprenant pour une personne de sexe féminin (Kasturi est un nom qui indique l’autre sexe), le rédacteur en chef d’un journal du Kerala annonça dans une sublime ignorance qu’il fallait passer par l’intermédiaire d’une dame, quand la vérité était qu’un gentleman appelé Kasturi était l’un des loyaux chaprasis occupé à diverses corvées !

Des corvées ! Durant les premières années, il y en eut plein, car les résidents étaient peu nombreux. J’ai eu la chance de devenir la cible de l’attention et en conséquence, le destinataire de coups de marteau qui pulvérisèrent l’ego récalcitrant. Des dévots souhaitant venir fréquemment dans la Présence avaient établi une cantine qu’ils devaient gérer sur une base volontaire, sans pertes et profits. Un frère dévot supervisait la cuisine et la salle à manger. Baba nous donna comme instruction d’accorder une hospitalité aimable aux dévots. Il y en avait certains dont Il savait que la dévotion était si profonde qu’ils vénéraient même la nourriture de la cantine comme la manne céleste. Lorsqu’une telle personne venait, Baba sentait que la cantine ne devait pas souiller le ‘’prasad’’ en égalant sa valeur

330 sacerdotale avec de l’argent. Une fois, Il appela mon ami et Il lui dit qu’une certaine personne ne devrait pas payer pour le repas servi à la cantine. Nous n’avions pas conscience que l’homme avait d’autres mérites que le fait d’être un haut fonctionnaire autorisé à puiser dans les fonds publics plus d’argent comme indemnités journalières et frais de transport qu’il n’en dépensait réellement. Aussi la fois suivante, je lui donnai une chambre, mais ne me souciai pas de l’envoyer prendre son repas à la cantine. Lorsque Baba l’appela tard le soir pour lui parler, Il découvrit que l’homme avait jeûné depuis le matin, car il n’avait pas reçu de prasad. L’homme l’attribua à la volonté de Dieu, pas à mon entêtement. Baba décida de me corriger. Je manquais d’amour, de loyauté et de bonnes manières. J’avais l’audace d’imposer ma mesquinerie entre Sa compassion et sa manifestation.

Il cessa de me parler ou même de me remarquer. Mon pauvre ego était sur le grill. Privé de tout signe de Son Amour, je dépéris rapidement. Je m’interrogeai afin de découvrir quelle entrave avait bloqué l’écoulement de la miséricorde de Dieu. Mais comment l’ego qui est coupable peut-il témoigner contre lui-même ? Sa nature est de rejeter le blâme sur quelqu’un d’autre. Il n’ose pas regarder dans le miroir par crainte d’y découvrir le criminel. Pendant neuf longues journées et neuf nuits encore plus longues, j’endurai la douleur de la séparation d’avec mon Seigneur, une douleur d’autant plus poignante qu’Il était si proche et pourtant si loin, qu’Il entendait mes pleurs et qu’Il ne faisait que de m’en renvoyer les échos. Ses yeux ne me voyaient pas, sauf de la manière dont ils voyaient le mur contre lequel j’étais appuyé. Oh ! Les larmes ne permettaient pas au sommeil de m’apaiser. La langue ne pouvait plus me transmettre le goût des choses. Ma mère commença à s’inquiéter quand elle me vit gémir tout seul. Elle aborda Baba, quand il fut près du jasmin et Lui demanda ‘’Swami ! Qu’est-il arrivé à Kasturi ?’’ Swami lui dit (elle ne me révéla ceci que plusieurs semaines plus tard) : ‘’Il sera bientôt normal. Ne vous inquiétez pas. Mais ne lui dit pas que vous M’avez interrogé à son sujet’’. Elle obtint le réconfort dont elle avait besoin et en dépit de pulsions impossibles, elle garda la bouche cousue.

La chaleur du grill devint insupportable. Je restai pendant des heures d’affilée devant Lui sans pouvoir discerner sur ce visage enchanteur le moindre espoir de mon retour dans le cercle toujours plus large de Son Amour. Le huitième jour, mon cœur éclata en sanglots et je saisis les Pieds de Lotus. Baba me releva par les épaules et dit : ‘’Maintenant vous pleurez, mais savez-vous à quel point ce dévot a pleuré le jour où vous lui avez refusé le prasad qu’il désirait tant ? Vous vouliez qu’il

331 paye pour l’obtenir, n’est-ce pas ?’’ Cela fit tilt dans mon esprit—la discussion entre moi et le frère responsable de la cantine à propos des fonctionnaires et des fonds publics. ‘’Ne recommencez pas cette erreur ! Et ne faites pas non plus tant d’histoires en exhibant votre détresse. Allez, maintenant !’’ ‘’Je ne savais pas. J’aurais dû me souvenir que Vous l’aviez béni.’’ ‘’Tout le monde est béni par Moi. Allez, maintenant.’’

Dans ce ‘’Allez !’’, je sentis une trace de colère, bien que j’avais entendu Baba dire : ‘’Il n’y a pas de colère en Moi. Il semble y en avoir seulement quand J’exprime Ma déception, quand vous ne vous comportez pas comme vous le devriez’’. Le baume ne me guérit pas totalement. Je descendis les marches. On chantait les bhajans dans le hall de prière. Je me dirigeai silencieusement vers l’entrée nord, m’assis sur un petit muret et me livrai au repentir. Après l’arati, quand Baba fut remonté dans Sa chambre, je grimpai les marches quatre à quatre et me plaçai contre le mur, devant Lui. Voyant que mon visage ne s’était pas éclairé, même après l’apaisement de tout à l’heure, Il m’adressa un regard surpris et posa Ses mains douces sur mes épaules en disant ‘’Qu’y a-t-il encore ? Qu’y a-t-il, maintenant ?’’ Je parvins à demeurer ferme et dis : ‘’Swami. Quand Vous avez dit ‘’Allez !’’, j’ai pu voir que Vous étiez toujours mécontent de moi. Donnez-moi une petite tape sur la tête, Swami, avec ce mot, Bangaroo !’’, pleurai-je. Le pleinement miséricordieux Baba répondit bien volontiers. ‘’D’accord, voilà la petite tape sur la tête, Bangaroo ! Maintenant, allez dire à votre mère que vous êtes heureux !’’

La domination coloniale n’est plus, dans ce pays. L’homme blanc a déposé son fardeau et plus triste et plus sage, il est revenu sur ses pas dans son île natale. La domination féodale est devenue pareillement odieuse. Les 650 Etats feudataires avec leurs maharajadhirajas, maharajahs et rajahs, sultans et nawabs ont été submergés par la démocratie, le socialisme et la laïcité. Les allocations de Delhi à partir desquelles les dirigeants avaient bâti leurs palais, furent progressivement réduites par les nouveaux dirigeants de l’Inde libre, puis finalement refusées. Le pays était rempli de maharajahs et de rajkumars mécontents, de trônes vacants et de drapeaux enroulés.

Un jour, un char à bœufs qui venait de Bukkapatnam déposa à Prasanthi Nilayam un rajkumar, sa princesse et leurs deux enfants, un garçon et une fille de 12 et 7 ans. Le prince avait été laissé en plan quand le raz-de-marée des slogans gandhiens avait déferlé sur sa cour. L’histoire de sa dynastie s’étale sur quelques pages de l’histoire de l’Inde médiévale. Je la connaissais fort bien. Je prêtai l’oreille chaque

332 jour pendant des heures à la narration de la pathétique histoire de ce clochard historique. Il avait perdu la petite fortune qu’il avait pu sauver. Il avait émigré en Assam. Là, des difficultés initiales avaient transformé sa plantation de thé en une peau de chagrin. Je pris ses jérémiades tellement à cœur que j’en parlai à Bhagavan. ‘’Swami ! Le pauvre homme vit d’une poignée de cacahuètes ! Il faut faire quelque chose pour le sauver.’’

Baba ne répondit pas. Il ne parla pas. Son humeur s’assombrit. Je pouvais voir qu’Il n’appréciait pas que j’intercède en faveur du prince indigent. ‘’Etais-je entré dans une zone interdite ? Avais-je exagéré mon rôle ?’’, me demandai-je, car ma voix contenait une note de tristesse personnelle. Quand j’avais dit ‘’cacahuètes’’, mon esprit s’imagina les banquets, les shikars et les matchs de polo qui avaient dû réjouir le pauvre homme jusqu’au moment où l’Inde fut libérée à minuit, le 15 août 1947. Le prince ne savait pas, il n’avait pas besoin de savoir combien je m’étais comporté stupidement en priant Dieu pour lui ni à quel point les conséquences m’avaient blessé. Chaque visage que je contemplais était éclairé par les rayons de l’amour de Baba, mais j’avais perdu le sourire réconfortant et les paroles consolatrices. ‘’Pour combien de temps, Seigneur ? Pour combien de temps’’, balbutiai-je en haletant.

Quand une graine est grillée, elle ne peut plus germer ni se développer. Quand l’ego est frit dans le feu du remords, il ne peut plus proliférer ni étendre ses tentacules. Une remise de peine me fut enfin accordée, quand je sanglotai à Ses Pieds. ‘’Pauvre homme ! Pauvre homme ! Vous m’avez dit que le prince était un ‘’pauvre homme’’. C’est juste de la comédie ! Comme si vous étiez riche et lui pauvre ! L’avez-vous aidé ? Pour quelle raison ne l’avez-vous pas aidé ? Vous auriez pu faire quelque chose, au moins en nourrissant les enfants !’’

C’était donc la leçon. Cheppinattu Cheyyaali. Agir conformément à ce que vous dites. Les paroles de sympathie ne peuvent pas remplir les estomacs. L’hypocrisie est le pire des péchés. C’est la leçon que Baba a enseignée au monde depuis l’âge de 14 ans. Quand Il n’était qu’un écolier de 12 ans à Uravakonda, ce fut le thème d’une pièce qu’Il écrivit et dirigea et dans laquelle Il joua le rôle principal—celui d’un petit garçon exposant l’hypocrisie de sa mère, de son père et de son professeur. L’homme ne peut pas vivre que de paroles, il veut du pain, et si Dieu est miséricordieux, du beurre aussi.

333

La plus longue période que je passai sur le grill eut lieu après un heureux tour de l’Inde du Nord-Est, du Bengale-Occidental, de l’Orissa et des Circars. Je fus prié par Baba de me rendre d’Hyderabad à Bombay par avion et de L’attendre au Dharmakshetra. J’avais pu conclure un programme très chargé de conférences établi pour moi par le président de chaque Etat et j’étais au comble de l’allégresse lorsque j’arrivai au Dharmakshetra. Je brûlais d’exprimer ma joie aux centaines de personnes rassemblées pour écouter Son histoire, Sa généreuse libéralité mise en exergue par Ses miracles qui me stupéfiaient où que j’aille et l’enthousiasme des sevadals qui servaient les délaissés et les condamnés.

Toute la journée, je prêtai l’oreille pour entendre le son du vrombissement de Sa voiture montant la route sablonneuse. Enfin, Il vint ! Je me tenais sur les marches qui conduisaient à la porte du hall depuis lequel 18 marches mènent au premier étage où Il séjourne habituellement. Il me toisa et demanda : ‘’Quand êtes-vous arrivé ici ?’’ ‘’Il y a deux jours’’, répondis-je. Il monta rapidement l’escalier de marbre avec les trois dévots qui avaient voyagé dans Sa voiture. Je les suivis et je me retrouvai devant la porte familière qui était close. Il était à l’intérieur et j’étais hélas à l’extérieur avec ma joie qui commença à fondre en larmes, quand j’entendis la voix de Baba qui me parvenait cruellement à travers les interstices.

Après environ une heure, je descendis les marches et je me réfugiai dans la chambre qui m’avait été attribuée. Au dîner, je m’assis par terre avec les autres en face de la table de Baba. Il pétillait de joie, tout en exposant des vérités profondes. Mais pas une fois, Il ne m’aborda pour s’enquérir de la tournée où Il m’avait envoyé avec Ses bénédictions ou pour m’encourager à manger plus de certains plats et me mettre en garde contre d’autres, comme c’était Son habitude. Je perdis tout goût pour la nourriture. Le sommeil me déserta et l’agitation s’installa. Je pouvais entrer dans Sa chambre et demeurer comme un lampadaire dans un coin. J’avais peur de ne pas être appelé pour traduire Son discours—la tâche même pour laquelle j’étais venu. Je me tenais accroupi par terre au premier rang, quand la réunion commença. Le stylo et le papier étaient prêts, mais j’avais perdu tout espoir. Je lançai un regard circulaire pour voir s’il y avait quelqu’un qui pouvait me remplacer de disponible et ne vis personne. Mais Swami pouvait parler en anglais, en hindi ou en marathi et me faire mariner encore plus. Là, Il me fait signe ! Je bondis sur l’estrade, me positionnai, rayonnant devant le micro et j’épongeai mes larmes avec un mouchoir.

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Espérant que l’opportunité qui m’avait été offerte de traduire Son discours prouvait que mon incartade avait reçu le pardon (je n’osai pas chercher ce que c’était, décidai de ne pas m’enquérir, ne pouvant le découvrir par moi-même), je suivis Baba et le groupe (qui avait voyagé dans Sa voiture depuis Bangalore) jusque dans le saint des saints au premier étage. Là, je restai coi et j’attendis, mais je ne reçus aucune parole d’encouragement. Frissonnant et tout en transpiration, je dégringolai les marches et regagnai ma chambre. J’écrivis une lettre à Baba, mais ce n‘était qu’une grosse tache bleue noirâtre. ‘’Il sait, Il sait, pourquoi Lui écrire ? Il est le Sanathana Sarathi’’, me dis-je.

Je dormis après m’être tourné et retourné pendant une heure jusqu’à ce qu’Indulal Shah me secoue en disant : ‘’Le dîner est prêt ! Swami arrive.’’ Je passai par le même rituel. Comme un corbeau blessé, je criai piteusement : ‘’Sauve-moi ! Sauve- moi !’’ Je vis Indulal descendre de chez Swami avec un large sourire. Je priai pour qu’il me soit destiné. Il me dit : ‘’Baba s’envole pour Ahmedabad, demain matin à cinq heures. Sois prêt. On retourne le lendemain.’’ Je refermai la porte, j’éteignis la lampe et croyez-moi, je sautai en l’air une douzaine de fois, ivre de joie. Je pouvais distinguer à travers les barreaux de ma fenêtre la fenêtre éclairée de Bhagavan. Frénétiquement, je témoignai ma reconnaissance. Je me prosternai par terre en dédiant le namaskar à mon très compatissant Bhagavan.

J’étais prêt à trois heures du matin. Morose et tendu, je m’assis. Va-t-Il me parler comme avant ou non ? Le fossé va-t-il grandir ? Le contact sera-t-il chaleureux, la voix vibrante d’amour ? Indulal Shah entra sans frapper. J’avais laissé la porte grande ouverte pour pouvoir sauter dans la voiture et la paix céleste. ‘’Je suis prêt, mon frère,’’ dis-je. ‘’Ta présence n’est pas requise’’, annonça-t-il. ‘’Nous partons !’’

On m’ordonna de rentrer à Puttaparthi par la voie du rail. Baba et le groupe qui L’accompagnait prendraient l’avion pour Hyderabad pour rejoindre ensuite Bangalore. Je voulais me cacher quelque part, mais je ne le pouvais pas. Le Sanathana Sarathi devait être mis sous presse, puis posté. Cacher ma tristesse qui couvait et porter un masque souriant était un exercice atroce. Quand Baba rentra à Prasanthi Nilayam, cela devint une torture. Je montais dans Sa chambre et je m’appuyais contre le mur. Oh, comme il était vexant d’entendre chacun rire de bon cœur aux bons mots, paraboles et poèmes de mon Bien-aimé Seigneur, mais ma voix intérieure me mettait en garde contre le fait de polluer leur joie avec ma misère. Les jours passèrent comme des nuits et les nuits passèrent dans une morosité plus grande encore.

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La conférence pan-indienne des représentants des unités de l’Organisation Sri Sathya Sai de Seva devait avoir lieu à Madras pendant trois jours. ‘’Demande à Swami’’, chuchota la voix. ‘’Tu es revenu très vite de Bombay, parce qu’Il a dit : ‘’Allez ! Il y a du travail qui vous attend pour le Sanathana Sarathi.’’ Demande-lui maintenant la permission d’aller à Madras. Ton Sanathana Sarathi te réclame là- bas.’’ C’est ainsi que j’eus l’audace de toucher Ses Pieds et de demander, en tâchant de me relever : ‘’Swami ! La Conférence de Madras ?’’ ‘’Qu’avez-vous dit ?’’, demanda-t-Il. ‘’La Conférence de Madras…Le Sanathana Sarathi…’’, bredouillai-je. ‘’Naranaiya ira, cette fois !’’, fusa la réponse.

Le ciselage fit gicler du sang du marbre et cela faisait mal, vraiment mal. L’ego pleurait : ‘’Je suis perdu.’’ Je refusai de me rendre au désespoir. Au milieu de l’agitation de la foule qui courait vers la cour du mandir pour obtenir le darshan de Baba qui allait monter dans la voiture pour se rendre à Madras pour la conférence, je courus et je pus me placer juste près de la porte par laquelle Il passerait pour se rendre dans la véranda ouverte près de laquelle la voiture attendait. La voix insistait : ‘’Demande ! Tu auras la réponse.’’ Il sortit. Je demandai, oui, je m’entendis demander : ‘’Swami ! Madras ?’’ Il y eut une lueur soudaine et je L’entendis dire : ‘’Oui ! Venez !’’

Ce fut le bouquet. J’arrivai à Madras la nuit avant la conférence. On me dit d’être à Abbotsbury Hall, où elle devait avoir lieu avant huit heures. J’étais là à sept heures. ‘’Désolé’’, m’asséna-t-on comme un coup de massue. ‘’Pourquoi’’ ? ‘’On ne délivre plus de badges d’entrée.’’ Je ne pouvais pas entrer légitimement. Comment pourrais-je entrer clandestinement ?

Abbotsbury est construit en forme de L, dont les deux bras sont des salles. La salle de droite était la salle à manger. L’autre, qui était plus grande et mieux meublée, était la salle de conférence. L’accès à la salle à manger se faisait par la salle de conférence. Elle était fermée par une grille métallique escamotable, au travers de laquelle on pouvait voir l’estrade et entendre ce qui était dit. Je pus entrer dans la salle à manger grâce à une personne qui osa faire face à tous les risques que sa générosité impliquait et je m’accroupis derrière la grille métallique pour observer à travers les interstices de cette porte de prison. Lorsque Baba monta sur l’estrade décorée, qu’Il alluma la lampe et qu’Il inaugura la conférence avec Son message vibrant d’amour, la grille escamotable ne pouvait pas du tout être un obstacle. Je me sentais libre comme un oiseau en plein vol, comme un brin d’herbe dans une prairie, comme un bébé contre le sein de sa mère. Mais beaucoup de ceux qui me

336 découvrirent tapi derrière la grille métallique furent très troublés. On me procura un badge d’entrée et je pus rejoindre le contingent de Puttaparthi, bien que je me sentais toujours comme un passager clandestin susceptible d’être jeté par-dessus bord à tout moment.

Je survécus à la conférence et je passai quelques jours lugubres à Bangalore avec ma fille et ses enfants. Elle devait penser que je profitais de longues heures d’un yoga intense, quand elle me découvrit morose et pesant. Lorsque j’appris que Baba avait rejoint Brindavan, je pris un bus jusque-là. Nerveusement, je me dirigeai à petits pas vers la chambre de Baba. Il me sourit. Encouragé, j’ouvris la bouche, et comme si rien ne s’était passé pour obscurcir mon esprit, je dis : ‘’Swami ! Mon petit-fils Prasad a obtenu une place à l’Institut de Technologie.’’

‘’Qu’il en soit ainsi’’, dit-Il en se levant du fauteuil. ‘’Que vous est-il arrivé ? Votre orgueil est insupportable, votre grosse tête va exploser un de ces jours ! Qu’avez- vous fait en Orissa ? Vous méritez une correction impitoyable !’’, m’admonesta-t-Il. ‘’J’ignore ce qui s’est passé en Orissa’’, plaidai-je. ‘’Ah, vous l’ignorez ?’’, dit-il en me singeant. Il se rendit alors dans la pièce annexe, ouvrit un sac et en extirpa une feuille de papier imprimée qui reprenait l’horaire de mon programme dans cet Etat, tel qu’il avait été fixé par les organisateurs. Il posa Son doigt sur un point précis et après l’avoir mis sous mon nez, Il m’ordonna de le lire.

‘’De 10 h à 11 h : entrevues avec d’éminentes personnalités’’. Il me fallut du temps pour me ressaisir. ‘’Oui, Swami ! Pendant mon voyage vers Calcutta dans le Howrah Express, le secrétaire m’a rejoint à la gare de Khurda Road et m’a consulté à propos du programme et il m’a dit : ‘’Pouvez-vous rencontrer des professeurs et d’autres qui voudraient en savoir plus au sujet de Baba ?’’ Et j’ai dit ‘’Bien sûr !’’’ ‘’Et quand vous avez lu cette notification, ne leur avez-vous pas dit que ce n’était pas correct ?’’ ‘’Non, Swami.’’ ‘’Là réside votre orgueil, votre ego surdimensionné !’’ dit-Il. J’étais en larmes et je tombai à Ses Pieds. J’étais content qu’Il me réprimande, qu’Il extirpe l’ego par les racines. ‘’Levez-vous et envoyez un télégramme à ces gens en leur stipulant bien que s’ils répètent un tel non-sens, vous n’irez plus en Orissa’’. ‘’Je m’en occupe, Swami.’’ Quand je relus ces mots, il me sembla qu’il était trop tard pour émettre une objection. ‘’Pourquoi leur faire de la peine ?’’, pensai-je, ‘’et faire une scène ?’’, plaidai-je. Baba me donna une petite tape sur l’épaule et murmura doucement : ‘’Envoyez le télégramme.’’ J’avais été encore une fois purgé, mais dans quel tunnel j’avais dû ramper pour réapparaître dans la lumière de l’Amour !

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Me nourrissant surtout de livres et ayant un préjugé favorable à l’égard des rats de bibliothèque, la nécessité de retourner chaque pierre pour découvrir ce qui se cachait en-dessous m’avait échappé. Si je l’avais fait, j’aurais remarqué la pollution de l’égotisme qui suppurait en-dessous des mots ‘’entrevues avec d’éminentes personnalités’’. Bien. Plus jamais cela, me jurai-je en moi-même.

Je dois avouer que le fiasco concernant l’Orissa s’est produit parce que les mots ‘’personnalités éminentes’’ me titillèrent, tout comme le mot ‘’entrevues’’ (avec les VIP de la Famille Sai !). Bien entendu, je rationalisai la situation et justifiai mon acceptation silencieuse comme un témoignage de bonnes manières ou même de dédain, mais Baba savait que mon ego s’était dilaté, quand les ‘’personnalités’’ furent introduites pour l’entrevue. Cela révélait un grave défaut spirituel et Baba entreprit gracieusement de le corriger.

Quand Baba exposa le caractère superficiel et l’inutilité de ma sympathie à l’égard du prince indigent, j’appelai un de mes anciens étudiants qui tenait un prestigieux magasin de cycles à Bangalore et je réussis à le convaincre d’offrir au pauvre homme un travail de comptable. Heureusement pour moi, le prince quitta son emploi et émigra à Mysore où un Pendjabi qui adorait la dynastie le prit en pitié et l’engagea comme caissier dans sa confiserie. C’est Baba qui m’a dit qu’il avait quitté l’hôtel du Pendjabi en emportant avec lui la recette du jour de 8000 roupies. ‘’La police est aux trousses de votre ami !’’, me railla-t-Il. ‘’Il aurait joué le même tour à Bangalore et il vous aurait impliqué, mais J’ai fait en sorte qu’il quitte à temps votre étudiant.’’ Baba connaît les actes passés, les circonstances actuelles et le destin à venir de chacun.

Il me fallut beaucoup d’autres leçons pour apprendre que tout ce qui brille ou qui flatte n’est pas authentique. Permettez-moi de rapporter une autre leçon que le Maître miséricordieux m’a enseignée. Un jeune Californien scintillait dans la lumière du matin et de l’après-midi dans les rangs du darshan depuis douze mois. Je savais qu’il avait un problème insoluble d’extension de visa. Baba lui avait demandé de rentrer chez lui, mais il n’arrivait pas à s’en aller. Peut-être pourrait-il avoir la permission de rester quelques mois de plus, s’il pouvait produire une lettre de Prasanthi Nilayam comme quoi il était engagé dans une sadhana et qu’il étudiait sous ses auspices. Il savait que Baba m’avait demandé de remettre des lettres semblables à quelques Américains au cours des années passées, aussi il me harcelait pour ‘’convaincre’’ (!) Baba de me permettre de lui remettre une lettre

338 similaire. Je me défilais chaque fois qu’il soulevait le problème. Lorsque Baba partait pour Whitefield, il partait aussi, ainsi j’étais débarrassé du souci de lui répéter jusqu’à la nausée que j’étais quelqu’un sur qui il ne pouvait pas compter.

Mais soudain, un matin, son ombre se fit sentir sur moi. ‘’Mon visa expire dans deux jours. J’ai demandé à Baba dans les rangs du darshan, ce matin et Il a dit :’’Allez chercher la lettre.’’ S’il vous plaît, M. Kasturi, vous connaissez ma situation désespérée ! S’il vous plaît ! Vous êtes tellement bon, tellement sage…’’ Il en remit encore une couche et je succombai. J’écrivis la lettre qu’il désirait. Mais la voix murmura : ‘’Ne la lui donne pas ! Envoie-la à Bhagavan par son intermédiaire.’’ Aussi, je la plaçai dans une enveloppe avec une lettre destinée à Bhagavan que je scellai et que je remis au jeune homme. Il fila en direction de la gare des bus et rapidement, il prit la direction de Bangalore.

Ce soir-là, Baba visita une usine à Whitefield et des milliers de personnes s’étaient rassemblées pour écouter Son discours. Mon ami était là. Lorsque Baba s’avança dans le passage entre les hommes et les femmes, il brandit l’enveloppe et cria avec une jubilation évidente : ‘’Swami, Kasturi m’a remis la lettre ! Swami ! Kasturi ! La lettre !’’ Baba passa devant lui sans mot dire. Il a dû être vexé par mon audace. Le lendemain soir, Baba quitta Brindavan pour rentrer à Puttaparthi. Une minute avant de partir, il chargea le concierge de me téléphoner et de m’ordonner de quitter Prasanthi Nilayam, dès réception de l’appel. ‘’Il ne devrait pas se trouver là quand J’arrive’’, lui dit Baba. Je n’avais aucune conscience de la flèche que Sai Rama m’avait décochée. Lorsque Baba rentra à Prasanthi Nilayam, je tombai à Ses Pieds et répondis à quelques questions qu’Il me posa à propos de choses et d’autres. Le lendemain matin, le Californien vint me trouver et me tendit la lettre qui, d’après lui, n’avait pas été acceptée par Baba. Elle était adressée à Bhagavan Lui-même, car j’avais écrit là qu’Il pouvait la donner à l’homme, s’Il le voulait.

Mais Baba ne m’épargna pas. Il me réprimanda vertement pour avoir outrepassé mes limites et pour satisfaire naïvement Pierre, Paul et Jacques, pour encourager les hippies, les paresseux et les tricheurs. Il attribua ceci à ma sénilité prochaine et à un besoin maladif de flatterie. Il prit l’enveloppe, en extrait la lettre que j’avais écrite et me dit que l’homme avait effectué quatre photocopies de la lettre avant même de la Lui tendre. ‘’Allez lui reprendre ces quatre copies et détruisez-les avec ceci !’’, ordonna-t-Il. ‘’Je ne vous ai pas demandé de lui donner ceci, n’est-ce pas ? Voyez quel genre d’homme c’est ! Je le savais depuis toujours !’’ Je pus récupérer

339 les quatre copies. Le Californien fut complètement abasourdi que Baba ait su ce qu’il avait fait en cachette et ceci après être resté aussi longtemps en Sa Présence.

Plus tard, une semaine plus tard, le concierge de Brindavan confia que, dès que Baba avait quitté les lieux, il avait effectué l’appel interurbain, mais qu’en dépit de tous ses appels frénétiques et insistants, il n’avait pas pu atteindre Prasanthi Nilayam. La ligne était morte. Et c’est ainsi que je survécus ! Ce fut là une nouvelle leçon— ne jamais agir suivant la demande d’une personne d’après laquelle Baba lui a permis d’obtenir quelque chose par mon intermédiaire. Si quelque chose doit être fait, Il insistera Lui-même là-dessus. Il sait qui est qui, comment il est devenu ce qu’il est et ce qu’il deviendra et quand.

Le ciselage continue. Depuis lors, j’ai trébuché de nombreuses fois. Une communication informelle d’une réaction de Bhagavan au discours ou à l’article, au poème ou au livre d’une personne a été exploitée par cette personne comme un outil pour faire sa propre publicité. Certains ont même cité mes paroles comme émanant de Bhagavan Lui-même. La lune quand elle est vue entre les branches d’un arbre paraît étrangement proche des feuilles et des brindilles. Nous avons l’impression que la feuille peut murmurer à la lune et écouter les songeries de la lune. Les gens tombent dans la même erreur absurde. Ils s’imaginent que les brindilles humaines qu’ils supposent être proches de Bhagavan peuvent intercéder en leur faveur et les aider à recevoir Sa Grâce plus rapidement et plus généreusement ! Il me faut par conséquent passer du temps avec de telles personnes pour bien leur faire comprendre le caractère unique de l’Avatar Sai. Sai les a appelés, Sai les connaît jusqu’au bout des ongles et Sai s’occupera d’elles quand et comme Il l’entend. J’ai écrit des lettres à de nombreux présidents de district de l’Organisation Sai de Seva qui leur expliquent ceci, quand ils m’envoient des personnes avec des lettres me priant d’arranger des entrevues avec Bhagavan. Il est difficile pour les gens de réaliser qu’il y a aujourd’hui une personne dans le monde qui ne peut pas être influencée, convaincue ou conseillée par quelqu’un, mais qui influence, convainc et conseille chacun, du plus bas au plus élevé, et que Sa Volonté est souveraine.

Les disciples ont besoin d’être disciplinés. Swami ne se reposera pas avant qu’ils ne soient 100 % stables et droits. Il ne laissera passer aucun écart de conduite. Sa colère est inévitable, quand le sadhaka dérape. L’enthousiasme que j’ai à partager avec les autres le plaisir que je retire des paroles et des actes de Baba se

340 transforme souvent en volubilité et finit par du dénigrement de la part de ceux dont les yeux sont trop faibles pour supporter Son éclat.

Baba a remarqué que, lorsque je visite des endroits où les dévots se rassemblent, certains touchent mes pieds comme geste de respect pour les aînés, comme c’est la coutume. Ce comportement s’impose chez les habitants de Coorg depuis des siècles et il persiste encore dans la majorité des familles. Les jeunes le pratiquent automatiquement envers les aînés comme une marque de respect dans tous les Etats du Nord-Est et au Bengale, aussi je ne pouvais pas protester ou refuser, de peur de peiner la personne ou que ce ne soit interprété comme une critique à propos de la pureté de la jeune personne. De nombreux gurus ne permettent pas aux disciples de toucher leurs pieds, par peur de la contamination par le contact qui pourrait entraîner des maladies comme le cancer, lorsque la pollution transmise s’accumule à un degré morbide. Au cours de mes 33 ans d’enseignement, j’ai rassemblé des étudiants qui sont maintenant éparpillés dans tout le pays. Chaque fois qu’ils savent que je suis en visite, ils me recherchent, se font annoncer et me rendent hommage en touchant mes pieds. Ce sont des procédures établies par la société et les aînés ont le devoir de bénir les jeunes, mais lorsque nous sommes nous-mêmes des mendiants recherchant des bénédictions, comment pouvons-nous oser revendiquer le pouvoir de bénir ? Baba me mit en garde contre la dilatation de l’ego. ‘’Vous devenez vaniteux’’, me réprimanda-t-Il. ‘’Non, Swami.’’ ‘’Si. Vous ne protestez pas quand les gens touchent vos pieds. Vous l’acceptez sans broncher, comme si c’était votre droit !’’ Quelle obligeance de Sa part de nous caricaturer en train d’offrir nos pieds pour être respectueusement touchés par des semblables. ‘’Renoncez-y !’’, exhorta-t-Il.

Il me mit également en garde contre les réjouissances des dîners de groupe et des fêtes conviviales en compagnie des dévots. A chaque fois que j’obtenais Sa permission pour faire la tournée des samithis, Il me menaçait de trouver porte close si je rentrais plus lourd qu’au départ. Il m’a même ordonné de bannir certains plats que j’apprécie de trop et de réduire le nombre de pièces, même les idlis que je consomme, au strict minimum. ‘’La nourriture doit être traitée comme un remède contre la maladie de la faim’’, conseille-t-Il. ‘’Vous pouvez prétendre avoir un bon sens rare, mais Moi Je vois que vous n’avez aucun bon sens’’, m’a-t-Il dit une fois.

Il me faut mentionner une autre piqûre que mon ego affamé reçut du Guérisseur. Nous devions informer les foules immenses de Prasanthi Nilayam de respecter la discipline du lieu et même annoncer quelques-unes des directives les plus

341 importantes. Je pouvais lire la liste des règles en anglais, en télougou, en hindi, en tamil, en kannara et en malayalam, ce qui me valait, naturellement, de recevoir des éloges. Lors d’une fête de Dasara, je n’étais malheureusement pas présent près du micro, quand vint le moment de l’annonce. Baba savait— contrairement à moi—que c’était le jeu malicieux de l’ego qui voulait démontrer son importance. On aurait dû me faire appeler, et ce ne fut pas fait, et je restai en dehors du coup pendant les onze jours de la fête.

Je souffre d’une démangeaison chronique de la langue qui a un besoin maladif de conversation. Le surnom ‘’babeille’’11 que Baba m’a donné ne m’a pas guéri totalement. Il y a quelques mois, Il me surprit en train de raconter avec animation à un docteur du Gujarat, toute Sa grâce qui me fit sortir en vie d’une chambre d’hôpital. J’étais assis à l’intérieur du bungalow de Brindavan et il y avait là une vingtaine d’étudiants du collège de Bhagavan qui attendaient l’opportunité de toucher Ses Pieds de Lotus. Le docteur m’avait vu de loin et ne put résister à la tentation de souhaiter que tout aille bien pour moi, comme il était resté dans son Etat depuis longtemps. J’étais plongé au beau milieu de mon histoire, quand Baba entra. ‘’Pris en flagrant délit de rompre la sadhana du silence ! Comment, vous les aînés, pouvez-vous imposer la règle aux jeunes, alors que vous l’enfreignez sous leurs yeux ?’’ Il pria le docteur de sortir et puisque j’étais en convalescence, je fus épargné. Il traita mon ami d’idiot et moi d’âne. Honteux, nous baissâmes la tête. Nous nous enjoignîmes intérieurement de ne pas répéter l’incartade et nous restâmes silencieux pendant des heures par la suite et Baba nous désigna tous les deux aux jeunes hommes présents dans la pièce comme des exemples à ne pas suivre.

Swami, le Guru, est si vigilant, si attentionné et si compatissant qu’Il nous corrige sur le champ et qu’Il daigne même le faire en public pour que cela rentre et pour instruire les autres de ne pas commettre les erreurs qu’Il remarque chez nous. Il s’est incarné pour cela. ‘’Je tiendrai par la main ceux qui s’écartent du droit chemin et Je les servirai,’’ écrivit-Il à Son frère aîné à la fin de Son adolescence. Bénis sommes-nous, que le Dieu d’amour est venu ciseler et discipliner.

11 Caquet, NDT. (‘’Babeille’’ est un belgicisme, mais il est tellement adéquat et approprié ici que je ne pouvais pas ne pas l’utiliser. Peut-être dérive-t-il du français ‘’babil’’.

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LE DIEU D’AMOUR

Ces trente–quatre années pendant lesquelles j’ai tenté de nourrir mon cœur de Sai ont été pour moi un printemps trop court. Les dévots qui furent mes compagnons à Ses Pieds pendant ces premières décennies étaient ceux qui avaient été les disciples de Ramana Maharshi à Tiruvannamalai, Ramdas à Kanhangad, Nityananda à Vajreshwari, Malayalaswami à Yerpedu et Shivananda à Rishikesh. Je sus que Prasanthi Nilayam était réellement l’aboutissement et le couronnement de l’aspiration humaine à la paix suprême.

Mon adoration à l’égard de la Bhagavad Gita s’approfondit en observant Baba et en L’écoutant. Les mots ‘’Bhagavan uvacha’’, via lesquels le sage Vyasa introduit les enseignements de Krishna sonnent encore plus juste à mes oreilles, car Bhagavan Baba conseille et affirme en des termes identiques. Les visages de Krishna sont partout. Ce fut exactement ce que Baba dit à Tidemann Johanssen, d’Oslo, en Norvège, lorsqu’à Whitefield, Il rendit à Johanssen la bague qu’il avait imprudemment laissée tomber dans le fleuve Chittagong au Bangladesh, un mois plus tôt. Baba dit : ‘’Elle est tombée dans Mes mains, car Je suis dans ce fleuve, dans tous les fleuves, partout.’’ Le Bhagavan de la Gita nous donne à chacun une Gita, maintenant, en tant qu’aurige.

Au cours d’une fête de Dasara, il y a plusieurs années, Baba me demanda un soir de m’adresser à l’assemblée. Je relatai divers épisodes pour bien faire comprendre aux auditeurs que ce vers particulier de la Bhagavad Gita mentionné ci-dessus est confirmé comme totalement vrai par le Sai Krishna dans la Présence duquel nous baignions. Mais Baba savait que ma foi en Son omniprésence était faible et intermittente. Faisant allusion à moi dans le discours qui suivit, Il dit : ‘’Ce Kasturi vous a raconté toutes ces histoires à propos de Mon omniprésence. Mais vous dirai- Je ce qu’il fait ? Quand Je quitte Puttaparthi pour seulement quelques jours, il M’envoie des lettres en se lamentant qu’il ne peut pas supporter la séparation ! Il veut toucher Mes Pieds ! Il dit que Mes Pieds sont partout, mais il se plaint qu’il a perdu le contact avec eux !’’

Un pandit védique érudit me montra un jour une lettre que Bhagavan avait écrite pour le mettre en garde et le réveiller. Baba l’entendit réprimander sa femme, chez eux, quand celle-ci suggéra que Swami soit informé de la détresse extrême dans laquelle ils se trouvaient. Le pandit saisissait toutes les opportunités pour s’adresser aux foules dans les districts de la Godavari à

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propos de l’omniprésence, de l’omnipotence et de l’omniscience de Baba, mais sa foi, comme la mienne, était seulement superficielle, aussi, ce jour-là, Baba écrivit une lettre au pandit en l’admonestant : ‘’Pourquoi avez-vous empêché que la lettre soit écrite ? Ne puis-Je pas savoir, même sans être informé ?’’

Baba est un défi pour ceux qui nient ou qui hésitent à accepter que l’Univers est une pensée de Dieu, que Dieu est à la fois immanent et transcendant par rapport à l’univers et que l’omnipotence de Dieu est une raison suffisante pour expliquer l’avènement périodique de l’Avatar. Quand Ravana acquit des armes grâces auxquelles il pouvait tenir sous son emprise des millions de personnes, l’Avatar apparut sous la forme de Rama, l’incarnation de la Vérité et de la Droiture. Baba a écrit l’histoire de cet Avatar. A chaque page, nous pouvons discerner la délimitation de Son propre rôle dans ce monde surchargé d’armes. Il nous révèle qu’Il est une autre apparition de la compassion cosmique sous forme humaine.

Les Upanishads deviennent aussi des textes contemporains lorsque Baba les illumine à la lumière de Sa vie. L’Isopanishad annonce la Vérité des Vérités : ‘’Eesavasyam idam sarvam—Dieu enveloppe tout ce qui fut, qui est et qui doit être.’’ Ce fut l’expérience intuitive d’un ancien sage qui vécut il y a des siècles. Baba a déclaré qu’Il est Celui qui enveloppe ainsi dans une lettre adressée à un érudit spécialisé dans les études upanishadiques. Il l’a fait simplement et avec assurance, comme un fait évident et transparent sur lequel il n’y a pas besoin d’insister. ‘’J’enveloppe la Terre, chaque cm² de celle-ci,’’ dit-Il. J’ai rencontré une personne qui fut remontée depuis le fond des chutes de Jog (800 pieds) dans le Karnataka, et une autre qui fut précipitée vers la terre de plus de 20000 pieds d’altitude, quand son avion fut tragiquement secoué. Sa Présence a stupéfait et satisfait des dévots d’Hawaï, de Rome, de Malaisie et des Iles Fidji, pour citer juste quelques endroits du globe.

Les Védas, les Ecritures les plus anciennes de l’humanité, proclament la Vérité que la création est la projection du Divin par Sa propre volonté, quand celui-ci fut agité par le désir de se scinder Lui-même, ‘’Ekoham bahusyam—Je suis UN, que Je devienne multiple.’’ L’ ‘’Etre’’ voulut ‘’devenir’’, disent les Védas. Baba dit que nous sommes le multiple qu’Il est devenu. Par conséquent, aussi vrai qu’Il est Dieu, nous aussi nous sommes des Dieux. Il dit : ‘’Je suis en vous, vous êtes en Moi. Nous ne pouvons pas être séparés.’’ Ce dicton védique circule comme une devise courante dans l’empire spirituel de Baba. C’est le courant profond du Gange qui est Son

344 message. Dans les rangs du darshan, Il écrivit sur la page de garde d’un livre un message pour son propriétaire et ses amis, la déclaration védique : ‘’Il n’y avait personne pour Me comprendre avant que Je ne crée les mondes pour Mon plaisir avec un Mot.’’ Toutes les Ecritures prévoient Son arrivée et consacrent Sa majesté. Au commencement était le Verbe.

Il écrivit une lettre que le directeur du foyer du Collège de Brindavan dut lire aux garçons. Son Mystère implore pour une communication ouverte avec ceux qui’Il aime. Ainsi, Sa plume annonce : ‘’Lorsque Je M’aime, Je vous aime. Lorsque vous vous aimez, vous M’aimez. Nous sommes Un. Je Me suis seulement divisé Moi- même pour pouvoir M’aimer.’’ C’est exactement ce que Baba révéla à l’ancien sage qui cherchait à connaître le mystère du multiple et de l’Un.

Les Védas ont déclaré il y a des siècles que Dieu est hors de portée des mots, hors de portée même de l’esprit, que celui qui dit qu’il Le connaît ne Le connaît pas. Nous pouvons à présent écouter la même déclaration de la part de l’Avatar qui est venu révéler l’absurdité des savants qui proclament que ce qu’ils ne peuvent pas comprendre ne vaut pas la peine d’être compris : ‘’Même si toute l’humanité s’efforçait pendant des milliers d’années de démêler Mon mystère, elle ne peut pas y réussir,’’ affirma Baba devant cinquante mille aspirants réunis à Bombay pour la toute première Conférence Mondiale des dévots Sai.

A peu près six mois après que ma mère ne décède, j’eus un rêve dans lequel elle apparut devant moi comme une en robe ocre avec un halo autour de la tête. Je tombai à ses pieds, puis je me tins devant elle, les mains jointes. Elle me dit : ‘’Kasturi, à partir de maintenant, lis le Bhagavatam chaque matin. Quand le pays était déchiré par l’anarchie, je le lisais régulièrement.’’ J’acquiesçai et elle plaça sa main sur ma tête. Je me mis à sangloter tout haut et le bruit me réveilla. Je continuai à sangloter jusqu’à ce que je puisse surmonter le choc délicieux d’avoir reçu un ordre de ma très chère mère. Ses mots, son visage éclatant, le contact tendre, la voix familière, le doux, tendre ‘’Kasturi’’ qu’elle prononça, le but…Oh, c’était ma mère, de bout en bout.

Je compris rapidement le pourquoi du Bhagavatam. Baba n’est-il pas le divin joueur de flûte qui ensorcèle homme et bête, oiseau et buisson, rivière et rocher ? Baba ne s’est-Il pas installé dans des millions de cœurs qui se délectèrent de Ses farces enfantines et qui furent impressionnés par les

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miracles et les mahimas de Son adolescence ? N’est-Il pas le Krishna qui a assumé le rôle de conducteur de char et qui a annoncé être l’instructeur de Vérité pour tous les hommes, partout ? J’ai appris du Bhagavatam le langage que l’Avatar parle, ses nuances et sa fragrance innée. ‘’J’ai choisi Mes parents,’’ dit Baba. J’ai trouvé dans le Bhagavatha que Krishna fit la même chose. ‘’Je ne leur appartiens pas,’’ dit Baba. Dans le Mahabharata, j’ai lu que le ‘’père’’ de Krishna, Vasudeva, a révélé au roi de Virata : ‘’Mon fils, dites- vous ? Comment puis-je prétendre que Krishna est mon fils ? Il dit : ‘’Je n’ai ni père, ni mère, ni famille. Je ne suis lié qu’à Mes dévots.’’ Krishna affirme : ‘’Je souffre quand Mes dévots souffrent. Je suis heureux quand ils sont heureux.’’ ‘’Ô roi ! Laissez-moi vous confier quelque chose. Il n’est pas ordinaire. Il est unique. Son cœur fond lorsque les siens sont dans la douleur. Et, n’est-ce pas étrange ? Il s’offre Lui-même à ceux qui Lui sont hostiles ! Il dit qu’Il est là pour toute l’humanité.’’

La mère de Kasturi, à l’âge de 75 ans

Ma mère m’a mis sur la bonne route de la compréhension. Je retirai une plus grande force de la strophe du dixième skandha qui décrit la bonne fortune des gens qui vieillissent à Brindavan, Mathura et Dwaraka. Elle dit : ‘’Là, même ceux qui avaient atteint un âge très avancé resplendissaient de force physique et d’éclat intellectuel, car ils pouvaient absorber par leurs yeux, encore et encore et chaque jour le nectar du visage de lotus de Krishna.’’ Le darshan ou vision est le tonique

346 sucré qui, jusqu’à ce jour m’a permis de tenir des discours cohérents et d’écrire valablement.

J’explorai les actions et les réactions, les révélations et les réponses des Incarnations de Dieu au sujet desquelles Vyasa écrivit dans le Bhagavatam afin de discerner les excellences communes (ou plutôt hors du commun) des Avatars et trouvai qu’elles étaient précisément ce que Baba a admis comme étant les siennes. Baba a souvent dit que l’Avatar partage manifestement avec les humains les cinq sens de la perception, les cinq sens de l’action et les quatre instruments internes du mental, de l’intellect, de la conscience et du sens de l’ego (tous bien sûr avec des spectres plus fins et beaucoup plus étendus). Il partage avec les plus grands sages dotés de facultés divines les pouvoirs d’intégration (srishti), de préservation (sthithi) et de désintégration (laya). Il possède la suprême compassion de la Divinité de répandre la grâce, non seulement sur les bons et les pieux, mais aussi comme une bénédiction spéciale sur ceux qu’Il souhaite racheter. Ces deux facettes de la miséricorde souveraine peuvent se distinguer dans les carrières d’hommes de Dieu, mais l’Avatar total (Dieu n’est pas diminué, lorsqu’Il projette pour Lui-même une habitation humaine) possède DEUX caractéristiques qui annoncent qu’Il est un, sans second. La première : Il est présent là où se trouve Sa Forme (photo ou image). La seconde : Il est inséparablement attaché à Son Nom (et tous les Noms par lesquels la race humaine connaît Dieu sont les Siens !)

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Nous qui empruntons les routes gravillonnées de Puttaparthi parsemées de vaches qui ruminent, nous pouvons nous imaginer encore plus clairement les farces de Krishna à Gokulam et à Brindavan. Pourquoi ? Baba a toujours en Sa Présence des Brindavan et des Gokulam. Comme Sri Krishna, Baba a attiré des enfants de tous âges et des gens des deux sexes par Ses farces miraculeuses et mystérieuses. Une fois, alors qu’Il était enfant, Baba confia à Ses petits camarades de jeu la tâche très amusante de remplir un panier de grenouilles, recouvrit le panier avec un morceau de tissu qu’Il enleva par la suite et les grenouilles transformées en moineaux s’envolèrent en pépiant joyeusement au-dessus de leurs têtes ! Il raconta cet épisode à un moine octogénaire de l’ashram de Ramana Maharshi.

Baba empêcha une fois que le village ne soit dévasté par la tempête. Il tendit la paume de Sa main vers le ciel et, comme Sa sœur me le raconta, les nuages dérivèrent lentement au-delà de l’horizon. Baba dit que les seize premières années de Sa carrière avatarique se passeraient principalement avec de telles farces, les seize suivantes, en annonçant l’Avènement par des actes merveilleux et des déclarations, et après Sa trente-deuxième année, Il transformerait l’humanité en enseignant et en éclairant l’esprit. Krishna aussi, découvris-je, eut trois étapes similaires dans Sa carrière. Maintenant qu’Il est de nouveau apparu sous la forme de Baba, la transformation s’accomplit dans le monde grâce à la douceur pénétrante et envahissante de Son Amour. Comme Krishna l’a avoué, Baba a aussi révélé qu’Il réussit à nous faire croire qu’Il est aussi humain que n’importe lequel d’entre nous, peut-être avec quelques facultés supplémentaires. ‘’Tout en mangeant comme vous, en parlant les langues que vous parlez, en chantant des chants qui vous plaisent, Je joue toujours un rôle dans une pièce plus vaste. Mais laissez-Moi vous avertir. Soyez toujours conscients que ce n’est qu’un rôle que J’adopte pour vous attirer vers votre propre Vérité qui est Moi,’’ dit-Il. Nous laisserons échapper la chance en or d’être près de Son costume physique si nous ignorons ou si nous lâchons prise avec la Réalité qu’Il est.

Ceux qui sont dans Sa proximité immédiate jouissent d’une double bonne fortune. Primo, nous pouvons admirer, adorer les inspirations et les productions par lesquelles l’Avatar nous trompe, faire nôtres et assimiler les leçons qu’Il enseigne via Ses discours, Ses dialogues et Ses chants, Ses poèmes et Ses postures, Ses entrées et Ses sorties, Ses petits pas et Son placement, Ses apparitions et Ses retraites, Ses silences et Ses sourires qui constituent le riche répertoire de cet Acteur Divin. Secundo, nous pouvons totalement nous abandonner et sans résistance à la traction du Soi supérieur sur sa propre espèce, la Source même vers

348 laquelle la rivière entraînée vers l’océan salé se retourne de plus en plus avec nostalgie à chaque instant du voyage, la Mère dont nous fûmes sevrés.

Nous pouvons ressentir un tiraillement dans le cœur pendant tout le temps que nous sommes proches de Lui. Les derniers vers de la Bhagavad Gita nous donnent un aperçu de l’augmentation de la joie que peut provoquer ce tiraillement. Sanjaya qui obtint la vision directe de Krishna comme Vishwa Viraat Swaroopa, l’Un qui apparaît sous la forme du Temps, de l’Espace, de l’Energie et de la Volonté, s’exclama devant Dhritarashtra, le roi aveugle condamné à subir la défaite : ‘’Me rappelant tant et plus la forme merveilleuse de Krishna, je me réjouis encore et encore.’’ Me rappelant et m’imaginant la Vishwa Viraat Swaroopa de Baba—Sa Présence qui englobe les continents, les océans et le ciel qui domine tout — je me réjouis encore et encore. J’ai obtenu et collectionné dans le coffret de mon cœur des échantillons de cette Vision que Baba m’a octroyés depuis qu’Il m’a fait signe en 1948.

‘’S’il ne doit y avoir ni naissance ni mort, comment puis-Je passer Mon temps ?...Je suis le conducteur de char guidant chaque être vers le but…Je suis Shiva-Shakti…Je suis le Sanathana Sarathi…Je chanterai une Bhagavad Gita conçue pour chacun d’entre vous…Je suis l’incarnation de toutes les Formes que les hommes ont

349 imposées à la Divinité pour la chérir dans leurs cœurs… Je n’ai pas de Nom ; tous les Noms sont Miens…Je répondrai à tous les Noms par lesquels vous Me connaissez…Je n’ai pas de lieu que vous pouvez distinguer comme étant le Mien ; tous les lieux sont Miens…Je suis le moteur de chaque cœur…Ma parole doit prévaloir…Tout est Ma leela ; chacune de Mes leelas a un sens et de l’importance… Je suis le Témoin du temps et de l’espace…Lorsque vous vous aimez vous-même, vous M’aimez…Vous ne pouvez pas M’échapper, Me renier ou Me décrier…Je suis venu baratter l’esprit de l’homme et le purifier…Je suis Dieu ; vous aussi, vous êtes Dieu…’’

Examinez les pages de l’Histoire. Pouvons-nous trouver une Personne qui ait affirmé être elle-même tout ceci, qui ait proclamé ‘’Ma vie est Mon message’’ — tout en bravant avec succès le feu des médias ? Quand on nous congratule pour notre bonne fortune, nous avons le droit de l’accepter sans aucune hésitation. Le corps physique de Swami est clairement la manifestation de l’Esprit Universel (Brahman) ; Sa Conscience englobe l’Univers qui est Son Corps, comme le proclame l’hymne du Purusha Sukha du Rg Veda. Sa parole est une expression de la Vérité éternelle et du Pouvoir Cosmique.

Pour révéler en quelques mots tout ce que j’ai gagné durant toutes ces années, je peux dire, la main sur le cœur que j’ai appris à accepter comme possible même le plus improbable, à rejeter comme préjudiciable la plupart des choses que j’estimais indispensables, à supporter sans mot dire et même avec empressement tout ce que je redoutais comme étant intolérable et à permettre à chaque instant de partir sans laisser de cicatrice, de sorte que je réalise rarement avoir franchi le cap des 85 ans. La confiance en Son Amour renforce mon sens de l’humour et apaise mon esprit. Elle a joué comme une protection contre tous les déferlements en des périodes de perturbation domestique, de maladie physique et de calamité au niveau de ma carrière. La mort, la maladie, l’abandon, le divorce, la dérision, rien de tout cela, grâce à Swami, n’a pu détourner ni déformer ma foi. Durant toutes ces années, j’ai vu beaucoup de compagnons pèlerins succomber et se laisser distancer, incapables qu’ils étaient d’avancer dans ces bourrasques dont ils exagéraient la portée.

Quand j’ai souffert de longues séries d’éternuements dus à une allergie chronique, Il créa pour me guérir définitivement de la maladie explosive une délicieuse friandise semblable à celle que l’on nomme sur la Terre, ‘’bahadur shah’’. Quand je me retrouvai alité en raison d’une opération chirurgicale des intestins due à un ulcère douloureux, Il me dit : ‘’Le médecin a utilisé le terme de ‘’goudron noir

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épais’’ en décrivant votre maladie. Je vais vous donner…des rasagolas épaisses et blanches comme médicaments !’’, tout en effectuant deux rotations de la main en terminant Sa phrase. Des boules de crème épaisses trempées dans du sirop. J’en attrapai quatre, alors qu’elles prenaient forme et qu’Il les plaçait dans ma main. ‘’Mangez !’’, ordonna-t-Il, comme si j’allais hésiter. Je me levai du lit, rétabli et fou de joie afin de reprendre mes tâches et faire des courses. Une autre fois, je roulai à l’intérieur d’une voiture effectuant des tonneaux et je fus extrait du véhicule par une porte coincée sur la route de Kampala. Je gagnai par-là deux semaines de béatitude, grâce à la main de notre Mère Sai posée sur mon front bandé. Une autre fois encore, je gisais sur un lit d’hôpital, épuisé en raison de crises quotidiennes de trois heures de l’après-midi jusqu’à dix heures du soir. Il fallut trois semaines aux médecins pour identifier la maladie. En fin de compte, ils diagnostiquèrent une tuberculose abdominale avancée. Ils me pesèrent et virent que je perdais du poids. J’en tirai mes propres conclusions et je demandai à Baba que le Sanathana Sarathi qu’Il m’avait confié soit transféré à quelqu’un d’autre, car je me dirigeais en droite ligne vers la sortie. Baba fit prévenir que ma mission était prolongée sine die. Je ne rendis pas l’âme. La maladie était terrassée. Je me levai, clopinai pendant quelques jours et quelques temps après, j’avançais d’un pas ferme lorsqu’Il m’appela en Sa Présence. Il concéda qu’Il m’avait donné un bonus de quelques années de plus avec Lui. En fait, Il m’accusa du crime d’avoir lésé le Feu affamé de la proie qu’il tenait entre ses griffes.

Le Seigneur a annoncé dans la Bhagavad Gita (IX, 8) les rôles qu’Il jouerait à chaque fois qu’Il vient comme homme parmi les hommes. Et Baba remplit cette charte. ‘’Je suis le But, Je suis le Soutien et Je suis le Pourvoyeur, Je suis le Seigneur et Maître, Je suis le Témoin qui a l’Œil sur tout, partout. Je suis votre demeure. Je suis le refuge, lorsque la peur, l’agitation de la famine vous submerge. Je suis votre Ami fidèle inséparable.’’ Qu’est-ce, qui d’autre peut égaler Baba qui est tout ceci pour nous, maintenant ?

Cet amour absolu se répand en abondance sur tous. Swami refuse de condamner quiconque comme un pécheur, pas même le couple originel. Il n’y a pas de ‘’pourceaux’’ à qui refuser les perles. Chacun mérite les perles et peut en bénéficier, dit-Il. Même l’homme le plus insensible aime quelque chose. Cet amour le désigne comme une personne potentiellement bonne et pieuse. L’homme s’abaisse et rampe. Il se vautre dans la boue seulement parce qu’il n’en a pas vu d’autres marcher droit ou parce qu’il n’a pas été encouragé à se tenir sur ses propres jambes. Comme l’a dit le poète : ’’Nous ne savons jamais à quel point nous

351 sommes grands avant d’être appelés à nous élever. Et alors, si nous sommes fidèles au plan, notre stature touche le ciel’’. Baba ne nous demande pas seulement de nous lever. Il nous élève jusqu’à ce que nos têtes soient dans les cieux, nos pieds bien fermes sur le sol et nos mains toujours actives dans un service gorgé d’amour.

Narayana seva, 1948

La Fortune ne m’a pas laissé dans l’embarras. L’ancien législateur, Manu, conseillait à l’homme qui avait atteint la cinquantaine de déposer son fardeau et de se retirer du champ de bataille pour consacrer ses années au silence et à la sérénité car il ne peut suivre l’instant présent encombré du bric-à-brac du passé et soucieux de la récolte à venir. ‘’Poussé par le Soi intérieur, il devrait faire des préparatifs pour le voyage vers l’estuaire de tous les temps—où le temps est immobile.’’ A cinquante ans, je déposai mon fardeau aux Pieds de Baba et je respirai l’atmosphère de Prasanthi, du silence et de la sérénité. J’ai commencé ma carrière d’enseignant à Mysore avec cent roupies par mois en 1921 et trente-deux années plus tard, je me retirai à Prasanthi Nilayam avec une pension mensuelle de cent quatre-vingt

352 roupies et quatorze annas, ce qui valait conformément à la valeur réelle, plus ou moins septante roupies. Baba dit qu’il ne faut pas avoir une paire de chaussures trop larges ou trop étroites. J’ai découvert que ma pension, avec l’allocation que me donne le gouvernement de Mysore et son successeur, le gouvernement du Karnataka, me permet de marcher confortablement.

Sudama, un copain d’enfance de Krishna, alors qu’il avait atteint l’âge mûr et qu’il était chef d’une famille nombreuse, était surnommé le ‘’loqueteux’’. Il décida d’aller trouver Krishna. Quand Krishna le vit, Il l’accueillit avec enthousiasme et le fit s’asseoir sur un trône dans la salle d’audience. Il se souvint des jours que Lui et Sudama avaient passés comme étudiants dans l’ermitage de Sandeepani et lui offrit une hospitalité somptueuse. Il mangea avec un plaisir non-dissimulé la poignée de riz que Sudama avait apportée pour Lui, puis Il permit à Sudama de prendre congé. Sudama franchit le portail du palais richement orné, lança un dernier regard au lieu saint et se dit en lui-même : ‘’Ah ! Comment puis-je mesurer la compassion du Seigneur qui a triomphé de Son ancienne amitié pour moi. Il me renvoie, aussi pauvre qu’à mon arrivée. Il sait que je basculerai dans la routine vide du plaisir sensuel et de l’orgueil et que je tomberai dans la vase, si je suis récompensé par la richesse.’’

L’amour de Bhagavan m’a soutenu, pas seulement depuis 1948 quand je me retrouvai en Sa Présence, mais au moins depuis ma naissance, en 1897, lorsqu’Il veillait sur moi dans le berceau. Bhagavan m’a dit une fois qu’Il me connaissait même avant ma dernière naissance dans le Kerala. Il a dit à Arnold Schulman, le scénariste et auteur dramatique de New-York : ‘’Certains pensent que c’est une belle chose pour le Seigneur de se trouver sur la Terre avec une forme humaine, mais si vous étiez à Ma place, vous n’auriez pas cette impression. Je connais tout ce qui est arrivé à chacun dans le passé, tout ce qui arrive dans le présent et tout ce qui se produira dans le futur…Je sais pourquoi une personne doit souffrir dans cette vie et Je sais ce qui lui arrivera lors sa prochaine naissance en raison de cette souffrance actuelle.’’ Je suis sûr qu’Il était avec moi au restaurant et à l’école, qu’Il a mis ensemble les deux grands-pères pour que le petit-fils puisse marier la petite- fille. Son amour m’a fait savoir que ma destination était Ses bras tendus alors même que mon embarcation flottait sur les eaux avec la proue qui indiquait l’Etoile Polaire. Il fut le baume qui apaisa la douleur, lorsque la fièvre typhoïde emporta mon fils de seize ans. Il s’installa comme Guide et comme Gardien à l’occasion du mariage de ma seule fille. Lorsque mon fils servait au Canada pour le Bureau

353 d’Etudes Topographiques de ce pays, il m’écrivit pour me dire qu’il aimerait rester dans ce pays lointain afin de poursuivre ses études et ses recherches avec un groupe sympathique de scientifiques. Non seulement Baba lui écrivit une lettre de Sa propre initiative, mais Il lui fit aussi abandonner sa décision presque irrévocable de rester dans ce pays.

J’appris plus tard de la bouche de mon fils que Baba lui avait promis, en Inde même, la gloire et la fortune qu’il espérait récolter au Canada. Baba lui avait aussi rappelé son dharma envers ses parents et sa patrie. ‘’Ce n’est pas par accident, mais à dessein qu’une personne naît en Inde ou dans un autre pays. Cette personne doit rembourser sa dette en utilisant à fond ses talents et en les dédiant au service de ses semblables’’, lui conseilla Baba. Lorsque ma fille et plus tard mon fils durent passer par de rudes épreuves qui auraient pu fracasser leur foi et leur courage, Baba fut le mât auquel ils s’accrochèrent. Il sauva mon fils des griffes d’un ours auquel il fut confronté dans la jungle tout près de sa tente, alors qu’il arpentait les collines en quête de spécimens de roche et Il lui envoya un camion pour le transporter sur une distance de 65 km, alors qu’il se trouvait immobilisé et alité à la suite d’un accident dans les rochers. ‘’J’ai reçu votre appel téléphonique’’, lui dit-Il, quelques mois plus tard, quand il vint à Prasanthi Nilayam.’’ Je vous ai envoyé un camion.’’

Baba dit à Sri Krishnappa qui fait la puja au mandir : ‘’Ecoutez ! J’ai des milliers de filles et des milliers de beaux-fils. Je connais leurs manières, leurs angoisses et leurs problèmes.’’ Baba a répandu Sa grâce sur ma fille et ses enfants. Comme chef de famille, Il a initié ses enfants à la Gayatri, et le fils aîné de mon fils reçut la même faveur le jour où ma mère témoigna sa gratitude à Baba pour lui avoir permis de vivre assez longtemps pour assister à l’initiation de son petit-fils ! Baba bénit mon petit-fils en lui faisant écrire et prononcer le Pranava primordial, Om, l’épitomé de tous les Vedas et Shastras, le symbole même du Principe cosmique.

Tout ce que j’ai eu à faire après mon cinquantième anniversaire fut de découvrir ce qui Lui plairait le plus ou de deviner comment Il me guiderait et puis d’agir. Ceci, quand Il n’était pas disponible lorsque je voulais déposer le problème à Ses Pieds. Son implication dans les hauts et les bas de Ses dévots est vaste et merveilleuse (une fois qu’ils L’ont accepté comme Guide, comme Gardien et comme Dieu, il n’y a plus de hauts et de bas, Il les équilibre mentalement et les rend réfléchis). Vasanth, le cadet de mon fils Murthy opta pour la biologie marine comme spécialisation de sa

354 maîtrise de sciences à l’Université de Gauhati, en Assam. Il était allongé dans sa chambre au foyer des étudiants, quand Baba réveilla son esprit qui somnolait : ‘’Quelle spécialisation as-tu choisie ?’’ Et quand Il obtint la réponse, Il lui dit d’une voix claire : ‘’Non, cette spécialisation ne te conviendra pas. Choisis l’entomologie !’’ Vasanth était embêté. Nous savons tous que lorsque Swami apparaît, il ne peut pas s’agir d’un rêve. C’est une visite authentique pour conférer la grâce. Mais il m’écrivit pour consulter Baba afin de savoir s’il devait abandonner la biologie marine pour de bon. Je parlai à Baba de sa lettre. Baba dit : ‘’’Il ne se souvient pas, mais Moi oui. Ecris-lui qu’il est préférable qu’il choisisse l’entomologie’’, et Il donna quelques raisons convaincantes.

Lorsque Sudhakar, le frère aîné de Vasanth, après huit ans passés à San Francisco décida de rentrer en Inde avec sa femme et ses deux enfants et de dédier ses compétences et son expérience au développement d’un village du Karnataka où il avait résolu de vivre, Baba fut heureux que le conseil qu’il avait donné au père soit également suivi par le fils.

Avec Ses bénédictions, Ramesh, le fils aîné de ma fille, étudia les Vedas et gagna Son appréciation affectueuse, lorsqu’enfant, il put réciter le Yajur Veda du début à la fin, en parfait unisson avec de vieux pandits pour le rite de sept jours du Vedapurusha Yajna à l’occasion de deux fêtes de Dasara consécutives. Pendant son apprentissage des Vedas au Patasala de Prasanthi Nilayam, Baba voulut qu’un défaut naissant de la vision présageant une incapacité permanente de l’œil soit corrigé, et cela advint. Tout ceci est la preuve de Son amour abondant. On ne peut pas prétendre que ce sont des dons que j’ai ou qu’ils ont mérité par la docilité et la pureté morale et mentale.

Baba ne passe pas au crible les qualifications. L’air chaud s’élève au-dessus des terres desséchées et le vide attire le vent et les nuages qui répandent la pluie. En tant qu’éditeur du Sanathana Sarathi, je reçois des lettres vibrantes de joie, d’émerveillement et de gratitude qui rapportent des expériences personnelles de la grâce de Bhagavan. Elles émanent de toutes les catégories de l’espèce humaine — d’ambassadeurs africains, de pêcheurs de la Californie, de professeurs islandais, d’acrobates américains, d’architectes d’Hawaï, d’anesthésistes de Vancouver, de géophysiciens de Toronto, d’administrateurs, de professeurs et de docteurs de l’ONU, de l’UNESCO et de l’OMS, d’ingénieurs en génie maritime et de commerçants en diamants de Scandinavie, de journalistes de Tasmanie, de libraires de Nouvelle-Zélande,

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de fermiers des Iles Fidji, d’officiers de la marine thaïlandaise, du personnel hospitalier de Médine, etc. Elles arrivent en réponse à l’appel chaleureux de Baba depuis les déserts du désespoir, la brousse de l’incrédulité cynique, les plaines verdoyantes de l’espoir, les hauts plateaux de l’érudition, les îles volcaniques du fanatisme, les promontoires de l’aspiration et les sommets de la fusion mystique. L’amour de Baba console et purifie, comble et rend humble, guérit, satisfait et accueille.

Mes parents ne m’ont pas laissé de frère ni de sœur. Je suis ce que la psychologie appelle un enfant unique. Mais Baba m’a béni de frères et de sœurs partout dans le monde. En fait, Baba Lui-même joue avec mon nom qui est aussi porté par des femmes dans la plupart des régions de l’Inde. Il s’adresse ainsi à de nombreux dévots : ‘’Avez-vous vu votre sœur ?’’, et quand ils restent là, bouche bée, Il leur dit : ‘’Kasturi, Je veux dire’’, et les rires fusent pour relâcher la tension. Je suis maintenant devenu, conformément à l’opinion de W.B. Yeats, ‘’une chose dérisoire, un pardessus fripé sur un manche à balai’’. Mais Yeats dit qu’il est possible d’échapper à cette imputation de délabrement si ‘’l’âme applaudit et chante et chante plus fort pour chaque lambeau de son costume mortel’’. Sai m’a béni en m’octroyant ces lambeaux et ce chant. Et c’est ainsi que Baba confronte souvent des dévots occidentaux récemment arrivés avec une question concernant leur ‘’belle-mère’’, peut-être le phénomène le plus redouté avec lequel on est aux prises dans la vie. Et quand ils Le regardent sans comprendre, ahuris, Il indique que je suis la personne sur qui Il veut attirer leur attention.

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Baba rejette comme de l’ ‘’imagination poétique’’ beaucoup de mes exclamations face à Son mystère qui laisse son empreinte merveilleuse dans l’esprit et la matière. Ce que nous adorons comme miracle, Il l’écarte comme insignifiant. Il minimise les miracles comme ‘’des moustiques sur le dos d’un éléphant’’, tellement ils sont microscopiques. ‘’Ces poètes les exagèrent tellement qu’ils ignorent Mon caractère miraculeux. Ils ne prêtent pas attention à la Source du Flux’’, dit-Il. C’est la profondeur de notre ignorance qui apparaît, quand nous parlons de Baba comme d’un faiseur de miracles. Ils sont inexplicables, parce qu’Il est inexplicable. Pendant Dasara, en 1960, le jour de Vijayadasami, le dixième et dernier jour, puisqu’il n’y avait que quelques poètes présents pour la fête, Baba ne nous avait pas permis d’annoncer la rencontre habituelle des poètes, ce soir-là. J’étais trop accaparé pour pouvoir composer une strophe ou deux en kannara ou en anglais et pour l’offrir au Poète des poètes. Je priai pour que, dans le cas où le programme ait quand même lieu, je ne sois pas choisi pour participer. Mais sept poètes avaient préparé des poèmes. A la demande, je confessai n’en n’avoir composé aucun. Baba me demanda quelle langue je pouvais manier le plus habilement, le kannara ou l’anglais ? Je répondis en hésitant et nerveusement : ‘’le kannara.’’ En entendant cela, Il m’enjoignit de préparer un poème pour le soir même, et en anglais ! Ne comptant pas sur le Poète devant moi, je tremblai. Il dit : ‘’Cela doit être simple comme bonjour pour vous. Commencez par ‘’Scintille, scintille, petite étoile !’’ et les vers suivront comme des moutons suivent un chien de berger.’’ Voici le poème12 que je lus en Sa Présence, devant 25000 personnes en tant que membre du groupe des ‘’distingués poètes’’ :

Scintille, scintille, petite étoile ! Ce que tu es, te l’es-tu demandé ? Là où tu es, y as-tu pensé ? Te dirai-je pourquoi tu es Posée tout là-haut dans le bleu si haut Comme un diamant dans le ciel ?

Tu dois briller, petite étoile, Tu es une étincelle, une projection de la volonté de Baba, Ton scintillement est un écho, le Réel est ici, Tu n’es qu’un éclair dans l’œil de Baba. Quand une étoile tombe, son scintillement aussi

12 Pour être pleinement intelligible, il est certainement avantageux de connaître la biographie et les péripéties qui émaillent la vie de Sathya Sai, NDT.

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Se fond en Lui, son devoir accompli.

Par crainte de Lui, le Feu brûle, Quand Il murmure ’’non’’, il baisse la tête, Quand sa furie reçoit Son ordre, Son emprise cesse, la victime est libre.

Chaque jour, le soleil vient répandre Sa lumière, son amour, d’est en ouest. La lune est triste, car sa clarté ombragée, N’est pas aussi fraîche que la grâce de Baba.

L’air qu’Il brasse dans Sa jolie paume, Cet air informe, sans forme Se durcit, s’édulcore, prend forme ou luit Dans des choses variées et durables pour nous.

Le tas de sable, la pierre, le caillou, La substance qui paraît inerte, Ont suffisamment de sensibilité que pour sentir Sa volonté Et se transforment silencieusement en ce qu’Il donne.

Le flot rugissant est un filet silencieux ; C’est une route pour Sa voiture. Par crainte de Lui, la pluie tombe. Quand Son drapeau se déploie, les averses cessent.

Toute la journée, les arbres vibrent au chant De milliers de petites voix. Chaque note proclame Son amour, Sa gloire et Sa grâce.

Chaque bourgeon chétif désire s’épanouir rapidement Et répandre son parfum sur Ses pieds délicats. La goutte de rosée scintille, comme toi, en bas, Sur Son épais tapis vert.

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Les nuages avec de merveilleuses briques de lumière Bien cuites dans le four solaire Forment pour Lui un arc de triomphe Magnifique à contempler.

Le firmament, Sa tente, est éclairé Par un milliard d’étoiles scintillantes. Le temps n’est qu’un clin d’œil, l’espace n’est qu’une étape Dans Son jeu éternel.

La Voie Lactée où Il circule Est pavée de globes dorés. La musique des sphères est un hymne qui Lui est destiné. Les nébuleuses murmurent Sa louange.

Les montagnes silencieuses à l’entour, Enveloppées dans le depuis des siècles, Attendent l’opportunité d’obtenir Une vision de Lui, une heure bénie.

Le vent se sent triplement béni Car Il lui a assigné la tâche De porter sur ses ailes déployées Sa voix qui réconforte et qui guérit.

Toutes les langues vibrent de Sa douceur, Toutes les mains se joignent et soupirent après Lui, Tous les pieds empruntent la route qui mène à Lui, Toutes les âmes se fondront un jour en Lui.

Scintille, scintille, petite étoile ! Tu dois scintiller, petite étoile ! Tu es une étincelle, comme moi, Jaillie de la pensée de Baba, mon étoile sœur !

Ceux qui écoutèrent ces lignes en 1960 furent aussi stupéfaits que moi, de par l’audace cosmique avec laquelle le poème décrivait la Merveille vêtue de rouge qui leur souriait depuis l’estrade. Mais dans les années qui suivirent, Baba qui tenait

359 mon stylo lorsque j’écrivis ces lignes élogieuses trop profondes pour être inexactes, captiva Lui-même un public plus vaste, lorsqu’Il annonça que Lui, le Un primordial, désira et conçut le cosmos et dirige et dissoudra à nouveau la diversité dans l’Un. ‘’Le soleil est stable, la Terre tourne, la rivière coule, le vent souffle, car J’en ai décidé ainsi.’’ ‘’Les humains ont des motivations multiples, des destins divers et des couleurs de peau différentes, car ils jouent des rôles dans la pièce que Je souhaite dévoiler.’’ ‘’Les feux de signalisation automatiques pour le mouvement des corps célestes ont été installés par Moi.’’ Ces déclarations se font l’écho du poème écrit avec le scintillement de l’étoile comme point de départ. En 1970, Il accorda un Message révélateur au monde par l’intermédiaire d’un groupe de dévots, qui atténua l’éclat du panégyrique cité ci-dessus. Bhagavan écrivit :

‘’Il n’y avait personne pour savoir qui Je suis Avant que Je ne crée le monde Pour Mon plaisir avec un Mot ! Immédiatement, des montagnes surgirent ; Océans, mers, terres et lignes de partage des eaux, Soleil, lune et sables du désert Apparurent de nulle part Pour prouver Mon existence.

Vinrent ensuite toutes les formes d’êtres, Hommes, bêtes et oiseaux— Volant, parlant, entendant. Tous pouvoirs leur furent conférés, Conformément à Mes ordres.

La première place fut accordée A l’humanité Et Ma connaissance fut placée Dans l’esprit de l’homme.’’

Réfléchissez, amis, à cette toute-puissante déclaration. Comment de simples humains peuvent-ils oser revendiquer la proximité, l’adhésion ou même la relation avec ce Suprême Souverain ? Néanmoins, Il est en réalité le sursis et l’espoir, le foyer et le port de chacun d’entre nous !

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Il n’est pas étonnant que le poème suivant que j’offris comme une fleur à Ses Pieds le jour où le monde célébra le Jubilé d’Or de son Avènement fût accueilli comme un testament de Vérité :

‘’Ô, les affres de la naissance et la joie qui jaillit, L’éveil fœtal de la matrice cosmique, Quand pour la première fois, Tu pris conscience de Toi ! Quel est le mot qui surgit, Baba ? ‘’Soyez !’’ ‘’Au commencement’ ?’’ ‘’Bahusyaam’’ ? Om ?

Il me semble que c’était Ekoham, , Je, la division qui multiplie, Car ‘’Je’’ seul peut garder ‘’tu’’ à part Du ‘’nous’’ que Tu deviens.

Je connais pleinement ma Vérité, à présent Car Tu as dévoilé la Tienne. La douleur qui harcèle ma solitude, Le désir de l’amante perdue depuis longtemps Est l’enfant de Ton soupir prétemporel ! Le frisson qui me parcourt quand Tu m’approches Est l’écho de Ton extase, Quand Tu étais sur scène comme Je.

Tu es sûrement content du monde que Tu es, Car dans le vacarme de la morosité générale et du désespoir, C’est Ton rire cristallin qui chatouille mes tympans.’’

L’ETRE sans vague qu’était et est Baba eut, selon Son propre aveu, le désir mystérieux d’avoir une histoire, de s’activer dans le temps et l’espace, de jouer à cache-cache avec Lui-même. ‘’Je me suis divisé Moi-même pour pouvoir M’aimer,’’ déclare-t-Il. Donc, ce Kasturi n’est que Lui-même modelé et étiqueté pour paraître différent. Baba a assuré aux étudiants de Son collège (et moi aussi je prétends être un ‘’étudiant’’ de Son ‘’collège’’) que ‘’lorsque vous vous aimez, vous M’aimez ; lorsque Je M’aime, Je vous aime.’’ L’amour est aussi réciproque que l’amour de l’arbre pour la fleur, de la vague pour l’océan, de l’image pour sa Réalité.

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Une fois, Johanssen Tidemann d’Oslo arriva par avion de Bombay à Bangalore, puis il fit la route jusqu’à Puttaparthi et monta dans la chambre de Swami. Baba détailla son physique nordique de la tête aux pieds et dit : ‘’Vous avez l’air en pleine forme’’, puis Il l’incita à répondre à Sa question : ‘’Comment ai-Je l’air ?’’ Tidemann était déconcerté. Il bégaya : ‘’Swami, Vous avez l’air en pleine forme.’’ Il n’eut pas le temps de trouver d’autres épithètes et ne fit que répéter ce que Swami avait dit à son sujet. Swami le surprit une nouvelle fois en demandant à Tidemann comment Kasturi avait l’air ! Je me tortillai et m’efforçai d’avoir une bonne apparence. Tidemann continua dans la même veine. Il me regarda de la tête aux pieds et dit : ‘’Il a l’air en pleine forme.’’ Sur ce, Swami dit : ‘’Savez-vous pourquoi ? Vous êtes tous à Mon image !’’

Beaucoup d’aspirants me demandent quelle voie spirituelle—Karma, Bhakti, Dhyana ou Jnana—Baba m’a prescrite pour vaincre la faiblesse de foi, les tourbillons de la pensée. Ils sont curieux de connaître quels jours j’observe le jeûne et de quelles nourritures je m’abstiens. Est-ce que j’observe le silence le jeudi ? Pendant combien de temps, sur quoi et avec qui est-ce que je médite ? Je suis heureux de les renvoyer aussi curieux qu’à leur arrivée et un peu fâchés de ma réponse que chacun reçoit une ordonnance spéciale de Baba. Il n’est pas nécessaire de consulter des patients quand le Médecin Lui-même est disponible.

Le mantra de Ramakrishna que Mahapurushji m’avait donné comme béquille m’a conduit jusqu’à Puttaparthi. Depuis lors, il me sert plus comme ami que comme soutien. Lorsque mon petit-fils fut initié à la Gayatri avec trente autres novices au Veda Patasala de Prasanthi Nilayam, Swami m’enjoignit d’apprendre auprès du petit la Gayatri, car j’avais laissé le mantra s’atrophier sur ma langue. Il me conseilla de le faire tourner dans mon esprit, quelle que soit l’occupation de mes mains. Par cette prescription, Baba doit avoir projeté d’ôter la mousse et la lie de mon ‘’maanasa sarovar’’ — la mousse de la plaisanterie légère et la lie de la gloutonnerie. Et de temps à autre, Il m’interroge pour voir si je permets à la Gayatri de s’infiltrer dans mon silence, spécialement les jours où ma buddhi semble prendre un jour de congé.

Mais, laissez-moi vous le confier, la mienne est une histoire d’amour. L’amour est ma sadhana, ma voie, mon mantra, mon jeûne et mon festin, mon silence et mon discours. Lorsque Baba m’autorisa à faire partie du groupe qui L’accompagna de Lucknow à Ayodhya et à Bénarès, mon mental joua avec l’idée de recevoir un

362 mantra de Bhagavan, quand Il se trouva dans cette trois fois sainte cité. Je savais que lorsque Sri Ramakrishna se trouvait à Kasi, il était constamment en samadhi. Il voyait la cité resplendissante de gloire divine. Il avait des visions de Shiva murmurant des mantras à des personnes prêtes à mourir. Aussi, j’approchai Baba quand Il fut seul et Lui présentai ma requête. Baba l’accepta très facilement. Le lendemain matin, je pris mon bain, non pas à la pension de famille de Sarnath où le groupe séjournait, mais dans le Gange même. Lorsque Mahapurushji allait m’initier dans le cercle Ramakrishna, je me souvins avoir été averti par une personne de l’ashram de Bangalore de garder l’estomac vide, aussi ce jour, je me passai également de petit déjeuner. Baba parut particulièrement occupé ce matin-là. Nous visitâmes les temples et l’université, et à notre retour, le déjeuner était servi. Baba nous conduisit dans la salle à manger. Voyant que j’avais des scrupules à toucher ma nourriture, Il me dit : ‘’Thinnu’’ (‘’Mange’’) —et j’avalai quelques bouchées.

Deux semaines plus tard, à Puttaparthi où nous étions rentrés la nuit précédente, Baba me demanda de réunir les résidents dans le mandir et de raconter l’histoire de notre pèlerinage. Je leur citai le nom des endroits et la durée de notre séjour dans chaque ville, avec quelques brèves références aux temples. Nous étions tous très impatients d’entendre Bhagavan Lui-même. Durant Son discours, Baba dit : ‘’Ce Kasturi a omis un incident qui s’est passé à Bénarès. Peut-être n’en a-t-il pas parlé parce qu’il ne concerne que lui. Bien ! Il a prié pour obtenir un mantra. Il a dit : ‘’Kasi est le meilleur endroit pour cela.’’ Il a refusé de manger. Il pleurait. Mais tout le temps, Je riais de sa stupide demande. Imaginez ! Demander un mantra après L’avoir obtenu, Lui, que tous les mantras promettent d’obtenir !’’

Baba dit qu’Il est Dieu, et nous aussi nous sommes des Dieux ; seulement, nous n’irradions qu’une faible lueur, handicapés que nous sommes par notre ignorance et suffoqués par notre ego. Je découvre que je suis essentiellement beaucoup plus que je ne puis l’exprimer par mes paroles, mes actes et ma conduite. Mon essence trouve son expression la plus complète en Swami, c’est pourquoi mon cœur aspire à demeurer en Lui, le Bien-Aimé. Quand Charles Penn envisagea d’écrire un livre sur Baba, je suggérai comme titre, ‘’Mon Bien-Aimé’’. Baba est le Bien-Aimé de chacun. Il est l’expression la plus complète de ce que je suis réellement : Sathyam, Sivam, Sundaram. Je suis devenu Kasturi, je le sais, parce qu’Il est venu ! Je me sens merveilleusement remonté et dilaté en Sa Présence. Je vois Son visage derrière les masques que les gens portent en jouant leurs rôles dans la pièce qu’Il dirige et qu’Il apprécie. J’entends Sa Voix comme l’ ‘’onde porteuse’’ qui apporte à mon oreille ce que les gens autour de moi essayent de communiquer. J’ai volontiers

363 désavoué mon intelligence et je possède maintenant cette stupéfaction comme une possession merveilleuse. Mon Bien-Aimé Sai stupéfie le monde par Sa nouveauté et Son inexplicabilité unique. J’attends, mon attention tendue à son maximum, la surprise agréable avec laquelle Il va me bénir, à chaque instant. Depuis que j’ai goûté au frisson de Sa Présence, j’ai perdu l’appétit pour les événements qui se passent comme prévus, comme promis. J’ai appris à sauter de joie face à Ses incertitudes aimables, Ses incohérences cohérentes, Ses clins d’œil qui interrompent le temps, Ses signes de tête qui effacent l’espace, Son regard qui rectifie l’arc-en-ciel, Sa main qui solidifie l’air. Le Dr Baranowski a dit que Baba est l’Amour qui se déplace sur deux jambes ; je L’adore pour être en plus une Enigme itinérante.

Je me cramponne à mon Bien-Aimé et j’espère que le Bien-Aimé m’acceptera. J’aime Sai, non pas parce que je reçois de l’amour en retour, mais parce que je sais qu’Il est la Personne la plus digne d’être aimée sur la Terre. Ma sadhana préférée est de présenter mon Bien-aimé à tous ceux qu’Il aime, d’exulter quand mon Bien- Aimé est adulé et adoré, d’entendre ceux qui L’aiment raconter des histoires sur Sa majesté, Sa munificence et Sa miséricorde illimitées.

Baba m’a ciselé durant toutes ces années pour mériter Son amour. ‘’Votre ego est en train d’enfler’’, me rappelle-t-Il. Je ne dois pas accepter d’être pris en stop,

364 quand je me rends à Bangalore ou quand je retourne à Puttaparthi, car cela créerait un sentiment d’obligation qui nuirait à ma liberté d’action. Je ne me déplace dans la région qu’en autobus et je paye mon ticket ! Je ne puis accepter de cadeaux pour la même raison et pour le mal qu’ils causent au sadhaka qui désire réduire ses besoins. Un de mes ‘’admirateurs’’ kannarien m’observa un jour en train de lire, d’écrire et de taper sur un genre de siège cylindrique en rotin et au cours de sa visite suivante, il me fit le don surprise d’un fauteuil confortable qu’il me pria d’essayer à mon aise. Baba remarqua le fauteuil et me rappela que m’allonger dans ce fauteuil n’était pas un type de sadhana recommandable ! Et accepter un cadeau d’un visiteur, d’un admirateur ou d’un ami méritait l’anathème. Baba a remarqué que je ne réponds pas prestement lorsque des gens me saluent les mains jointes, en me voyant. Un sourire de reconnaissance ou un vigoureux signe de tête ne suffit pas, m’a-t-Il appris. Ce sont des gestes dédaigneux. Ma réponse doit être proportionnée à la leur. Je dois aussi boycotter la flatterie, l’admiration et même la reconnaissance.

Les gens trouvent qu’il est difficile de croire que Bhagavan est l’Avatar. Ils ont rencontré des moines et des pandits et les chefs d’ordres et d’institutions monastiques. Ils ont vu des adorateurs d’idoles qui confèrent le pouvoir de bénir, des chercheurs qui ont obtenu ce qu’ils cherchaient, des mystiques qui s’efforcent de communiquer la joie qu’ils retirent de leurs visions, des gourous qui donnent des directives pour trouver la divinité, des médiums qui sont des canaux par lesquels s’écoule la sagesse divine, des messagers, des philosophes et des propagandistes en tous genres, mais pas l’Avatar, pas le Divin à l’apparence humaine, l’Omniscient, le Tout-Puissant, le Toujours Conscient et Partout Présent. Ainsi, ils essayent toutes leurs petites manigances amusantes pour obtenir l’attention et la grâce, ne sachant pas que l’Avatar est venu pour leur donner l’attention dont ils ont besoin et la grâce à laquelle ils ont droit. Ils tentent de découvrir les personnes qu’ils estiment les plus proches de Lui pour qu’à leur tour elles puissent influencer Baba pour qu’Il leur accorde ce pour quoi ils prient.

Etant donné que je suis l’un des plus anciens habitants des lieux et puisque des imprimeurs ont apposé mon nom sur de nombreux livres, ils pensent que je suis quelqu’un de précieux et m’affublent d’épithètes colorées : biographe officiel, secrétaire privé, premier disciple, premier dévot, Vyasa, , etc, etc. Ils ne font que me défigurer et me tourner en ridicule, bien que leur motif soit de titiller mon ego et d’arriver à leurs fins particulières. Lorsque je me détourne de ces flatteries, les gens me flattent encore en disant que je fais partie de ces rares

365 personnes qui ne peuvent pas être flattées. Ainsi, la moitié de mon temps se passe dans l’occupation très gratifiante d’expliquer à ces gens que ce Baba est différent des autres Babas qu’ils ont connus, qu’en réalité, Il ne peut pas être connu. Je leur dis qu’ils ne viendront à Lui qu’en réponse à Son appel. Lorsqu’ils seront prêts à recevoir Sa Grâce, Il leur accordera certainement cette faveur. Aucun tiers ne doit négocier en leur nom. Ils me demandent quand Il va rentrer, lorsqu’ils voient qu’Il est parti ou quand Il va partir, lorsqu’ils Le trouvent là où ils s’y attendent. Au risque de perdre ma réputation en tant que personne encore exempte de sénilité, je dois répondre que nous aimons et que nous adorons Baba parce qu’Il n’est pas lié par le temps ni par l’espace.

Heureusement pour moi, je me trouve en présence de Quelqu’un qui ne fera aucun compromis sur aucun principe, qui n’est pas permissif, qui ne choie ni ne persécute, ne pardonne ni ne pénalise. Avec beaucoup de tapes amicales et de baratin, de traits d’esprit et d’humour, Il arrondit nos angles. Il ne nous lance pas des titres comme Bhakthasiromani, Adhyatmaratna, Gurusevapraveena, Lokasevaniratha ou Poojya. Le Dieu d’Amour n’aurait jamais permis que je sois hospitalisé si l’hôpital n’avait été le meilleur endroit pour moi à l‘époque, car Il a souvent arrêté l’ambulance à mi-chemin pour me remettre sur pieds. Pour quelle raison ? Il veille sur moi si affectueusement qu’Il m’avertit à temps et m’empêche de commettre des bourdes qui empêcheraient Son amour de m’atteindre. ‘’La fête de Dasara arrive bientôt. Soyez extrêmement prudent. N’oubliez pas d’être présent où vos devoirs vous appellent. Un seul petit faux pas ruinerait pour vous les dix jours’’, dit-Il par commisération. Il me protège et Il me guide de telle manière que mon sentiment de gratitude peut nourrir et fertiliser mon amour.

Je dois avouer que je suis frappé par un désir chronique d’accepter des engagements pour des conférences. ‘’Maître de conférences’’ fut mon titre officiel pendant 27 ans à l’Université de Mysore. J’ai donné des centaines de conférences sur Sri Ramakrishna et Vivekananda et un nombre égal en tant que membre actif de l’Association des Professeurs de l’université. La renaissance littéraire et culturelle kannarienne avait en moi un ardent défenseur et propagandiste. Mais Bhagavan me dit maintenant de bien choisir les lieux et les programmes, de considérer le problème de ma santé et des finances de mes hôtes, quand on m’invite en des endroits éloignés accessibles seulement par train ou par avion. Il me préserve de nombreuses situations compromettantes. Il écoute chacun de mes discours et je ne reçois pas de Lui des bouquets, mais des réprimandes pour avoir exagéré la vérité.

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Beaucoup d’amis regrettent le dommage que j’ai causé à la littérature humoristique en renonçant à ‘’Koravanji’’ et à ‘’Shankar’s Weekly’’, et en cessant d’écrire des essais, des romans, des parodies et des limericks en kannara. Ils s’imaginent que je suis devenu un ‘’reclus’’ enfermé dans des ‘’polémiques pesantes’’. Que savent-ils de la joie que le Divin peut conférer, que connaissent-ils des rayons de soleil qui jouent autour de Ses Pieds de Lotus ? Ce n’est pas un Dieu solennel ni somnolent. A chaque pas, Il diffuse Ses blagues fleuries. Il émousse la pointe acérée du désespoir en prescrivant malicieusement un impossible remède : ‘’Coupe le membre’’, ‘’Marie la plus vieille’’, ‘’Va jouer dans un film’’, ce qui provoque le rire et détend l’atmosphère. Si la plaisanterie est l’essence de l’humour, Baba est un réservoir inépuisable. Il rit comme personne, parce qu’Il voit clair à travers nos tours, nos entraves, les stratagèmes que nous fomentons, les mensonges que nous appelons vérités, le serrement pathétique de nos poings et toutes nos prétentions. Mais Son rire est celui du médecin traitant la bêtise du malade. C’est une réaction préliminaire au don d’amour, un mélange de pitié et d’affection. L’humour est une réaction naturelle, lorsque les choses ne sont pas ce qu’elles prétendent être et que les hommes pratiquent l’hypocrisie comme mode de vie. Comme Baba le dit, l’humour naît quand un homme rentre dans la bouteille dont il dépend, quand il est possédé par ses possessions, rendu captif d’une manière de parler, d’un tic, d’un préjugé, d’une passion, d’un ‘’isme’’ ou d’une idole. En se moquant de telles perversions, en les ridiculisant, en les exposant à l’influence désinfectante de l‘humour, Il assure le progrès de l’individu comme celui de la société.

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Les surnoms que Baba emploie lorsqu’Il est confronté à des fidèles qui se situent à différents niveaux de préparation ou différents stades de progrès spirituel et de formes et de tailles différentes, provoquent des éclats de rire qui révèlent à la personne concernée la perspective d’années réformatrices ! ‘’Bangaroo ‘’,‘’dunna poathu’’ (‘’trésor’’, ‘’buffle d’eau’’), ‘’voyou’’, ‘’rouleau compresseur’’, ‘’pakoda’’ (une boulette salée de farine de maïs frite dans l’huile), ou ‘’cocotier’’… J’ai été salué comme le ‘’buffle’’ en arrivant en Sa Présence. Si je m’aventure à narrer un épisode de Sa compassion ou de Son omniprésence dans un style trop fleuri, Il sabre mon enthousiasme en me traitant de ‘’kapi’’ et dégonfle promptement mon ego. ‘’Kapi’’ veut dire ‘’singe’’. Baba l’utilise pour signifier un ‘’versificateur’’, alors que ‘’Kavi’’ qui signifie ‘’poète’’ est un terme védique faisant allusion au mystique qui démêle le mystère de Dieu, de l’Homme et de la Nature. On m’appelle aussi ‘’Bhatta’’, car je suis né dans la caste des brahmanes. Lors d’une occasion mémorable, Il combina Bhatta avec le nom du tout premier poète épique télougou, Nannayya, et s’adressa ainsi à moi, Nannayya Bhatta, fabriquant une situation humoristique décrivant comme sublime le ridicule. Il m’appelle en général ‘’vieille femme’’, ‘’Dokku’’, ‘’le modèle 1897’’ ou ‘’le vieux tacot’’. Quand Il se réfère à moi comme à ‘’la vieille dame chaste’’, j’éprouve alors un surcroît de bonheur, mais j’ai dû faire face à l’imputation de manque de chasteté en plusieurs occasions. Quand Il dispense ces épithètes, elles sont si imprégnées par le sirop de l’amour que leurs destinataires sont transportés au septième ciel et qu’ils en redemandent !

Baba nous demande de vivre pleinement dans le présent, parce que ‘’le passé est le passé ; ne regardez pas le chemin que vous avez déjà parcouru.’’ C’est un conseil valable pour ceux qui ont lutté et trébuché toutes ces années et qui gaspillent leur temps à nourrir des griefs et des déceptions. Mais je passe mon ‘’passé’’ en revue comme la personne proche du drapeau lors d’un défilé assiste à la procession d’expériences superbes.

Je me remémore encore et encore les paroles et les actes de Bhagavan, car ils rafraîchissent mes jours et déterminent mes rêves. Je me rappelle Sa bonté dans les années passées. Hélas ! Comme elles ont filé ! Je médite Ses paroles et songe à tout ce qu’Il m’a accordé. Je m’exclame, comme le fit le Psalmiste : ‘’Quel Dieu est aussi grand que notre Dieu ? Tu es le Dieu qui fait des miracles, Tu as montré Ta puissance aux nations.’’

Sai m’a prodigué Sa grâce, bien que j’aie souvent agi avec impertinence, dans l’incrédulité. Il a calmé les accès de doute et des tempêtes de refus colérique,

368 quand même ma raison conspirait pour me mettre des œillères. Il m’a toujours rendu à moi-même quand des gens rusés avaient kidnappé ma foi. Mon fils et ma fille, ma belle-fille et mon beau-fils — tous les quatre furent projetés dans l’abîme de la crise, avec moi au bord du ring qui me tordait les mains dans une prière pathétique. Il prit mes enfants par la main et les conduisit affectueusement dans Son havre de paix. J’ai été un élève à problèmes, je dois l’avouer. Sa compassion seule a préservé mon nom dans le registre de l‘école aussi longtemps. Le programme qu’Il a prescrit pour que je sois accepté comme candidat à la réalisation comprend en plus des devoirs de traduction, des syllabi qui peuvent me convertir, le japa, dhyana, la Gayatri et la méditation sur la Lumière intérieure. J’ai conscience qu’il me reste encore des kilomètres à parcourir avant de franchir la ligne d’arrivée et de revendiquer ce qu’Il est prêt à donner…ou devrais-je dire des vies ?

Au cours de mon séjour actuel sur Terre, j’ai tourné autour du Dieu de la Gayatri 85 fois. Sai peut m’accorder quelques tours supplémentaires ou pas. Les Upanishads déclarent que le dieu de la mort fait des commissions pour Lui. Il se hâte pour libérer de prison ceux dont la peine est arrivée à son terme. Il retourne sur un contrordre de Sai et s’Il annonce que la personne doit exécuter Son travail. Je sais que Sai a rappelé l’émissaire de la Mort qui se tenait à mon chevet il y a trois ans, quand je fus emmené d’urgence par une équipe médicale. Qui sait combien de fois Il s’est interposé contre les exécuteurs des jugements karmiques pour me garder en vie ? Il n’annonce pas de tels dons de grâce. Ils tombent secrètement et en douceur comme la rosée du matin des feuilles et des fleurs qui se penchent. Lorsqu’Il prit sur Lui les conséquences des péchés d’autrui—des attaques de paralysie, des infarctus, une appendicite, etc—ceux qui auraient été affectés, estropiés ou mortellement atteints étaient à peine conscients de la tragédie qui les avait pris pour cible.

Je n’ai conservé aucune trace écrite de mes activités, sentiments et expériences au cours de mes 34 années passées à Puttaparthi et à Prasanthi Nilayam. Ce fut ma résolution pendant de nombreuses années, mais comme chacun le sait, le pourcentage de mortalité infantile au pays de la chronique est presque égal à cent. Je ne peux compter que sur ma mémoire, une mémoire qui éclaire quelques niches du corridor de ma vie, des niches où la joie est installée et préservée. Beaucoup de celles-ci sont encore éclairées, même après le passage de plusieurs décennies. Mais si j’en révélais le contenu maintenant, cela pourrait attirer sur moi l’imputation d’un égoïsme impardonnable, bien qu’elles illustrent l’amour parental et la brusque flambée de faveurs que Dieu seul peut concrétiser et conférer.

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Il y a de cela plusieurs années, alors que nous nous tenions à deux avec Swami dans une pièce du premier étage du Nilayam, soudainement, sans aucune raison apparente, Il demanda à mon ami de pouvoir garder Sa tête sur ses genoux, tandis qu’Il s’allongeait sur le sol ! Mon ami fut tout à fait abasourdi. Cette question suivait une série de demandes impossibles de la part de Baba—à savoir si nous nous jetterions dans le vide s’Il nous le demandait, si nous pourrions tenir en l’air une colline sur la paume de notre main, s’Il la plaçait là. Nous devinâmes que ces défis n’étaient que quelques coups de sonde avant un formidable miracle imminent. Mais ce qui en sortit fut cette proposition incroyable. Mon ami se leva précipitamment et s’appuya contre le mur. Swami se tourna alors vers moi. Je répondis : ‘’Bien volontiers’’. Je découvris que Sa demande n’avait pas été faite par jeu. Il y avait une raison à cela. L’exaltation fut véritablement upanishadique. Dans le silence fragrant, on pouvait sentir la respiration rythmique de l’Enfant Cosmique. Je renonçai à ma personnalité et devins la Mère. Mes mains tapotèrent Son dos, mes doigts caressèrent Ses boucles. L’horloge faisait tic-tac, mais le temps s’était arrêté. Quand Baba voulut ‘’s’éveiller’’, je tombai à Ses pieds et j’implorai Son pardon. Il refusa de me pardonner. ‘’Quelle faute avez-vous commise ?’’, demanda-t-Il.

Ce soir-là, nous étions à Chebrole et pendant le dîner, Il annonça que nous devions partir pour Madras. Son visage était rouge et Il semblait de toute évidence pressé. Je conjecturai qu’Il avait diminué l’intensité de la fièvre de quelqu’un et qu’Il avait décidé d’assumer la terrible maladie qui l’avait frappé. Il préférait être chez des dévots de Madras, car ils sont plus au courant des rôles qu’Il joue pour le compte de Sa mission avatarique. Baba était assis sur le siège arrière. J’étais le seul autre occupant de la voiture, à part le chauffeur et j’étais aussi assis sur le siège arrière. Après quelques kilomètres, Baba voulut s’étendre de manière plutôt inconfortable sur l’espace disponible. Je demandai l’assistance du chauffeur pour pouvoir m’installer à côté de lui. Baba refusa. Je réalisai alors que nous n’avions pas d’oreiller et mon ancienne réponse positive pour servir de soutien était toujours valable. Je caressai les cheveux et épongeai Son front jusqu’à ce que l’aube se lève dans la périphérie de Madras. Baba avait demandé que la voiture traverse à toute allure Nellore pendant les petites heures de la nuit, de peur que des lève-tôt ne provoquent une clameur en Le suppliant de descendre et de rester.

Ma supposition s’avéra correcte. Baba me dépêcha par le train en insistant bien pour que je voyage en 1ère classe, étant donné que j’étais resté raide pendant toute la nuit, car la fête de Vaikunta Ekadasi était toute proche et des milliers de personnes afflueraient vers Prasanthi Nilayam pour être bénies par le don d’amrita.

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On m’avait donné comme instruction de maintenir le calme et le recueillement chez les dévots en leur fournissant des explications réconfortantes et convaincantes concernant l’absence de Bhagavan, le jour crucial.

La semaine de tension que nous subîmes au chevet de Baba qui, par personne interposée, passa par une attaque de paralysie et par une série de crises cardiaques au Nilayam avant Guru Pournima reste profondément gravée dans les tablettes de ma mémoire. Sa langue pendait ; Sa main tremblait ; Sa démarche était paraplégique ; Son visage était déformé ; Son pouls était irrégulier. Mais Baba nous ordonna de Le transporter en bas de l’escalier des 18 marches en spirale pour que les quatre mille dévots puissent avoir le darshan (du visage déformé et des pieds handicapés) en ce jour sacré. Le grognement qui jaillit des poitrines blessées remplit l’air d’une douleur atroce.

J’ai utilisé l’expression ‘’profondément gravée’’. Non. Les tablettes de ma mémoire n’ont pas gardé l’inscription. Elle fut effacée par Swami en un clin d’œil. Baba chassa les symptômes par une aspersion d’eau et se dressa comme l’incarnation splendide de la majesté, de la sagesse et de l’amour divins. Je roulai aux Pieds de Lotus, sans la moindre égard pour la foule immense qui écoutait le discours. J’embrassai le Pied qui avait ‘’souffert’’ sous nos yeux et le baignai de larmes. Ces instants furent une compensation suffisante pour la torture d’une semaine que nous traversâmes dans la mutité du désespoir.

L’épisode de Goa fut pour moi une autre aventure incroyable dans le mystère de Swami. Une personne obtient rarement la chance d’observer et de regarder le Rédempteur sur la croix et de se réjouir quand la croix vole en éclats, révélant le Seigneur ressuscité sur le Trône céleste. L’appendice rempli d’un pus fatal avait enflé. Baba était heureux de pouvoir épargner au dévot une douleur atroce. Lorsque je priai pour qu’Il me permette de souffrir à la place de cette personne, Baba répondit : ‘’Vous ne savez pas à quoi vous vous engagez ! Vous ne pourriez pas supporter la douleur. Par désespoir, vous pourriez même vous jeter dans la mer, là-bas !’’ L’équipe médicale, composée des Dr. Souza, Varma et d’autres, dressa un tableau épouvantable des conséquences qu’entraînerait tout retard afin de persuader Sri Nakul Sen, le gouverneur de Goa, de les laisser accomplir une opération immédiate. Pour rendre la tragédie imminente encore plus pathétique, le gouverneur, comme voulu par Baba, avait invité des centaines de personnes au Raj Bhavan pour une rencontre, à 18 heures où Baba les bénirait d’un discours, bien

371 que ce fut le jour le plus glauque pour Goa avec des nuages noirs qui remplissaient le ciel.

Au tout premier jour de Son séjour à Goa, Baba avait ‘’accepté’’ l’appendice enflammé, mais ce jour, les dévots de Goa s’étaient rassemblés par milliers pour L’accueillir et écouter Son discours. Ce soir-là, Baba m’appela tout près de Lui et m’ordonna de m’adresser à l’assemblée. Il voulait que je leur parle des événements de Guru Pournima et de la compassion de l’Avatar qui ne peut tolérer aucun report ou retard. Sri Krishna avait assuré qu’en tant qu’Avatar, Il ‘’porterait le fardeau’’ (de la souffrance physique ou mentale) des dévots qui L’adorent. Krishna se doit, même maintenant, de respecter cette assurance. Baba révéla que je fus inclus dans le groupe au dernier moment quand les voitures quittèrent Brindavan, puisque j’avais vécu la gloire de Guru Pournima et que par conséquent, je pouvais conférer du courage au gouverneur et aux autres et les convaincre que Bhagavan pouvait en un clin d’œil chasser la maladie qu’Il avait invitée sur Lui.

Le miracle se répéta de nouveau. Baba flotta comme à Son habitude à travers les rangs des dévots et Sa voix enchanta l’assemblée stupéfaite pendant plus d’une heure. Je traduisis en anglais la déclaration historique, en dépit des vagues d’allégresse qui surgissaient en moi face à la révélation de la Réalité de Bhagavan. Bhagavan m’envoya le lendemain à Prasanthi Nilayam communiquer la merveilleuse manifestation de divinité aux dévots et à Mère Easwaramma qui était abattue en raison de comptes-rendus exagérés parus dans la presse à propos d’une ‘’maladie critique’’. Baba me convainquit de quitter Sa présence avec cet argument : ‘’Quand vous les rejoindrez et quand vous leur parlerez personnellement, Easwaramma n’hésitera pas un seul instant à croire que Je vais bien, car elle sait que vous ne vous éloigneriez pas de Moi, à moins que Je ne sois totalement guéri.’’

J’ai eu très souvent l’occasion d’être envoyé pour de telles missions. Lorsqu’un imposteur volubile commença à faire circuler des histoires de son cru ridiculement exagérées afin d’impressionner les gens crédules par sa dévotion et son érudition, on m’envoya il y a une dizaine d’années dans le Tamil Nadu pour anéantir son plan de ramasser un pactole. Quand Bhagavan voulut que de la cendre sacrée et que du miel divin émanent de Ses photos, des dévots craignirent que les cendres ne présagent une calamité et que les gouttes de liquide indiquent que Baba transpirait à cause d’une chaleur suffocante ! J’écrivis et leur parlai de vive voix pour les informer que c’était là des signes de Sa Présence et de Sa Grâce. Plus tard, quand des avortons

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psychopathes et des individus hystériques devinrent les victimes de l’adulation des masses et qu’ils rassemblèrent des dévots qui croyaient qu’ils étaient des médiums par lesquels Baba s’exprimait, les gens durent être mis en garde contre les escrocs et les tricheurs en tous genres. Je visitai des endroits remplis des miasmes de tels manipulateurs malavisés afin d’empêcher les dévots de placer leur confiance dans des agents et porte- paroles du Divin autoproclamés.

Je suis heureux d’avoir passé trente-quatre années de ma vie dans la vibration de Sa Présence affectueuse. Prasanthi Nilayam est là où Il se trouve. C’est une oasis luxuriante de fleurs et de fruits dans un monde de plus en plus privé d’amour et de vérité. La terre vaine qu’Eliot décrit est devenue un terrible désert. Mais l’oasis s’étend petit à petit et le désert est envahi par la verdure.

La paix sur la Terre et la bonne volonté parmi les hommes sont des bénédictions que chaque nation recevra bientôt de la Nouvelle Jérusalem. Prasanthi Nilayam est le lieu unique sur la Terre où personne n’est mesuré en termes de race, de religion, de caste, de croyance, de couleur, de langue, d’érudition ou de richesse. Ici, l’homme n’est pas une arme ou un véhicule, un outil ou une remorque, un ange déchu ou un singe évolué. Ici, l’homme est apprécié et honoré comme un fils de Dieu et accepté comme Sai Lui-même. Car Swami nous enseigne ‘’Je Me suis séparé de Moi-même pour pouvoir M’aimer. Je suis en vous et vous êtes en Moi. Nous ne pouvons pas être séparés.’’

Nous sommes tous Lui. Il nous aime comme Lui-même. Nous pouvons Le renier ou Le défier, nous pouvons ne pas L’avoir rencontré ou ne pas avoir entendu parler de Lui, mais Il nous connaît et Il nous aime. Nous sommes Siens, même si nous Le fuyons, par opacité d’esprit ou par audace. En fait, beaucoup sont incapables de supporter la rigueur de la discipline qu’Il exige. Ils trouvent très incommode d’avoir Son regard posé sur eux, partout, en permanence. Ils ne désirent pas subir le profond diagnostic qu’Il entreprend avant de conférer la paix qu’ils recherchent. Baba ne fait pas de compromis, ne transige pas, ne cautionne pas et ne couvre pas, comme le font la plupart des gurus et des autorités monastiques. Il ne fait aucune concession à l’adolescence ou à la sénescence, pour l’ignare ou l’académicien, le mendiant ou le milliardaire. Tous doivent voir le bien, être bons et faire le bien. Tous doivent vivre dans l’amour.

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J’en connais beaucoup qui ont quitté Sa Présence après avoir découvert qu’Il connaissait tout sur eux, en permanence. Il est difficile de conserver son vieux moi dans la lumière crue de cette gloire. D’autres sont partis parce qu’ils sont tellement accoutumés à se désoler pour eux-mêmes qu’ils ne savourent pas le bonheur que Prasanthi Nilayam confère. Ils préfèrent être malheureux avec leurs enfants plutôt qu’être heureux avec l’Avatar. Certains découvrent que l’amour qui s’écoule de Baba est si divinement pur qu’ils doivent bon gré mal gré y succomber. Ils prient pour que Baba les libère de son emprise. Arnold Schulman écrit : ‘’L’auteur se tenait près du sofa et attendait. Il ne pouvait rien dire. Un genre de chaleur et de proximité qu’il n’avait jamais connu auparavant se répandait dans sa conscience et cela l’effrayait. Il redoutait que cela ne le suffoque, mais ce n’était pas seulement l’intensité du sentiment qui le troublait. C’était la réalisation soudaine que ce sentiment d’amour—il pensait que c’était de l’amour—était différent de toute autre sorte d’amour qu’il avait jamais ressenti ou dont il avait entendu parler ou au sujet duquel il avait lu. Il est possible que ce soit cette incapacité de définir ce qu’il ressentait qui le fit brusquement paniquer. En moins d’une minute, il était devenu un réfugié.’’ Pas étonnant que certains amis me disent : ‘’Si jamais nous venons une fois, il est possible que nous ne puissions plus nous éloigner !’’ Prasanthi Nilayam est le cœur de chacun d’entre nous et l’appel de Prasanthi est irrésistible.

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Je m’estime particulièrement heureux d’avoir pu passer — au moins la deuxième partie de ma vie — avec Lui. Mes camarades et collègues de l’Université de Mysore, certains de mes amis chez les poètes, auteurs dramatiques, pandits et philosophes, n’ont pas pris la peine d’examiner pourquoi tant de personnes au sein de leurs propres fraternités s’accordent avec moi pour vénérer Baba et observer Ses directives. Il délimite le pèlerinage qui mène à notre propre perfection. Hélas ! Ceux-ci exposent et louent des phénomènes mythologiques et légendaires incroyablement mystérieux ; ils érigent leur réputation sur des adaptations et des élaborations des classiques populaires. Mais pour eux, l’ère d’aascharya, de respect et d’émerveillement devant l’inexplicabilité et l’indétermination de l’Univers n’a toujours pas sonné ! Ils sont trop attachés à leurs anachronismes dont ils ne peuvent se dépêtrer et aux lunettes qu’ils ont acquises en étant subjugués par des trivialités. Je ne puis que compatir pour leur suffisance et leur paresse. Certains d’entre eux sont des Thomas chroniques dont l’ego boursouflé par un soupçon de sanscrit et une once de philosophie les incline à une incrédulité encyclopédique à l’égard de tout, hormis leur propre infaillibilité. ‘’D’autres se sont aigris’’, nous dit Sri M. K. Rasagotra, ‘’par jalousie ou par rancune envers ceux, qui selon eux, jouissent injustement des faveurs de Sathya Sai.’’ Beaucoup de ceux-ci ne s’approchent pas, mais ils ne peuvent pas s’empêcher de maugréer. Ils sont vexés que les barrières de méchanceté qu’ils ont érigées autour de ‘’Sathyam Sivam Sundaram’’ sont renversées par des personnes provenant de tout le sous-continent indien et de toutes les autres parties du monde. Baba bénit ceux qui L’adorent, comme ceux qui L’évitent, ceux qui s’approchent, comme ceux qui Lui font des reproches. Comment des plantes grimpantes, qui doivent avoir certains préjugés à s’accrocher, pourraient-elles grimper directement vers la lumière de la Vérité ?

Bien. Il y a longtemps que j’ai décidé de ne plus perdre une seule minute de sommeil ou d’avoir des palpitations, lorsque de telles personnes se cramponnent à leurs fantasmes. Je m’occupe de l’extase qui m’échoit en voyant Sai qui me sourit de toutes parts ; et je retire du courage de la bénédiction qu’Il m’a accordée pour ‘’Sathyam Sivam Sundaram’’, lorsque j’ai déposé à Ses Pieds la version kannarienne du livre :

Sree Puttaparthi nilayudu Kaapaadunu ninnunepudu ; Karunaakarudu : Cheypatti broachuneppudunu ; Echchatanu ; maravakundu ;

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Yerugumu, Bhakthaa !

Le Résident de la sainte Puttaparthi, Le Compatissant Te protégera toujours Et te tiendra toujours par la main Pour te sauver partout et toujours, Sache-le, ô dévot ! Et ne l’oublie pas !

Je n’ai pas connaissance de mon dernier séjour sur Terre, mais je dois me féliciter d’avoir reçu cette fois une bonne éducation. A présent, j’attends de recevoir mon certificat de fin d’études, à savoir le signal pour bondir dans le giron accueillant de

Sai pour y trouver le repos éternel.

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