DANS LA MEME COLLECTION

J. de ALONSO : LE SIECLE DES LUMIERES FRANCISCO DE MIRANDA Amiral AUPHAN : HISTOIRE ELEMENTAIRE DE VICHY C. CARRERE : TALLEYRAND AMOUREUX Duc de CASTRIES, de l'Académie française : PAPIERS DE FAMILLE J. CHABANNES : LES ENFANTS DE LA IIIe REPUBLIQUE C. CHAMBARD : HISTOIRE MONDIALE DES MAQUIS Général CHAMBE : AU CARREFOUR DU DESTIN R. CHRISTOPHE : NAPOLEON III AU TRIBUNAL DE L'HISTOIRE

G. CONQUET: AUPRES DU MARECHAL PETAIN M. FERRO : KISSINGER, DIPLOMATE DE L'IMPOSSIBLE

Maquette : Jérôme Lo Monaco Photo couverture : Agence Keystone

DE GAULLE ET LE CNR Du même auteur : Histoire : Alger 1830 (Ed. Prométhée, 1930). La Duchesse de Longueville (NRF, 1938 : réédition 1960). L'Agonie de la III République (Bateau Ivre, 1948). : la naissance de la IV République (Somogy, 1949). La Fayette (Ed. Mondiales, Del Duca, 1957). Les journées de . Tome I. De Philippe Auguste à Louis XI (Ed. Mondiales, 1960). II. De Louis XI à Henri IV : la Réforme — la Saint- Barthélémy — la Ligue (Ed. Mondiales, 1961). III. De Louis XIV à Charles de Gaulle (Ed. Mon- diales, 1972). La Résistance Intellectuelle (Julliard, 1970). De Gaulle contestataire (Plon, 1971). Romans : Fière esclave (NRF, 1934). Jeunes ménages (NRF, 1935. Prix Interallié). Secondes noces (NRF, 1937). Déroute (NRF, 1945). Exil au Grand Palais (Ferenczi, 1949). Sous la cendre (NRF, 1952). Jean Louis, nouvelle (Au Puy, 1949). Heure Chaude à Djibouti (Ed. Ile de France, 1967). La conjuration d'Amboise (Ed. Mondiales, 1970). Essais : Alphonse Daudet et la famille (Cahiers d'Occident). La crise de l'enseignement (1929). Abélard, biographie (Ferenczi, 1949). Charles Fourier (Ed. des Trois Collines, Genève, 1946). Angleterre, sous le pseudonyme Argonne (Ed. de Minuit clan- destines, 1943). Historique du Marché noir (Jeune Parque, 1947). Historique des Editions de Minuit (Ed. de Minuit, 1946). Carthage n'est pas détruite (Ed. Universelle, 1947). La tragédie du monde animal (Hachette, 1956). 20 000 siècles de chasse à la pierre (Ed. France-Empire, 1976). Jacques DEBU-BRIDEL

DE GAULLE ET LE CNR

ÉDITIONS FRANCE-EMPIRE 68, rue Jean-Jacques Rousseau — 75001 PARIS Vous intéresse-t-il d'être tenu au courant des livres publiés par l'éditeur de cet ouvrage ? Envoyez simplement votre carte de visite aux EDITIONS FRANCE-EMPIRE Service « Vient de paraître », 68, rue J.-J. Rousseau, 75001 Paris, et vous recevrez, régulièrement et sans engagement de votre part, nos bulletins d'information qui présentent nos différentes collections, que vous trouverez chez votre libraire. © Éditions France-Empire 1978 Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays. IMPRIME EN FRANCE Photo couverture : KEYSTONE INTRODUCTION

Nul ne saurait exiger d'un témoin ayant participé aux événements qu'il évoque l'impartialité et l'objectivité de l'historien, qui devrait être selon Fénelon (mais a-t-il jamais existé ?) ni d'aucun temps ni d'aucun pays. Ce témoignage sincère d'un homme engagé a comme but essentiel de présenter quelques documents inédits et pour la plupart disparus dans les aléas de la vie clan- destine qui éclaireront l'avènement de notre société actuelle. Séduit en ma prime jeunesse par Maurras et Barrès puis collaborateur d'André Tardieu, et d'Emile Buré, bref de la « troisième génération clemenciste », suivant l'expression de mon vieil ami Georges Mandel, j'ai vu venir, et dénoncé le raz de marée hitlérien et l'effondre- ment de la III République, qui d'un Sedan à l'autre, celui de 1870 et celui de 1940, avait institué en France de façon durable et pour la première fois le régime parle- mentaire et le suffrage universel, et la liberté syndicale et somme toute un certain « consensus national ». La Résistance telle qu'elle se regroupa à la suite de l'Appel du 18 juin autour du général de Gaulle ne fut en ses premières semaines qu'un sursaut du patriotisme se refusant à l'acceptation passive de la défaite. Elle aurait pu n'être que cela, et le gouvernement de Vichy jouer alors ce rôle de « bouclier » que certains lui avaient assigné. Si la Résistance est devenue en fait une révolu- tion, ce fut en réponse à l'action de ceux qui à Vichy, les uns par passion réactionnaire, les autres par soumis- sion à l'envahisseur, se firent en France les protagonistes d'un fascisme si contraire à toutes nos traditions, cher- chant à prendre « grâce à Hitler » une honteuse revan- che contre le « Front Populaire ». Face à cette tentative, la Résistance devenait obliga- toirement à son tour mouvement politique. Politique, puis rapidement, par la force même des choses, mouve- ment révolutionnaire. Evolution que la participation effi- cace et souvent héroïque du Parti communiste devait accentuer en 1941, d'autant que le régime politique de Vichy s'efforça de se survivre par l'intermédiaire d'un Darlan et d'un Giraud aux côtés des Alliés victorieux, faisant d'un anticommunisme aveugle son principal che- val de bataille pour justifier son allégeance à Hitler. Cette entrée de jeu officielle du PC ne fut pas sans susciter quelques réactions hostiles de la part de certains mouvements de résistance, tels entre autres l'OCM, ou Combat animé par Frenay, vu l'attitude de certains communistes au lendemain de la signature du pacte Molotov-Ribbentrop. Attitude qui s'explique compte tenu de la mystique internationaliste vieille d'un siècle et de la foi de vieux militants pour qui l'URSS incarnait « la patrie du socialisme assiégée par les Etats capita- listes ». Erreur lourdement payée. Les communistes pour s'intégrer dans le sursaut de la Résistance avaient tout intérêt à se placer sous l'égide de Charles de Gaulle, symbole du patriotisme depuis le 18 juin. Et d'autre part pour faire échec aux tentatives désespérées de Vichy pour se survivre, de Gaulle eut besoin lui aussi de l'appui des masses populaires, c'est-à-dire de la classe ouvrière où l'influence du PC était redevenue déterminante. Max (1) l'avait compris, et de Gaulle fit preuve de sens politique en faisant appel aux partis aux côtés des jeunes mouvements de la Résistance. Cette politique ne s'est naturellement pas déroulée sans heurts. Entre le général de Gaulle, l'homme du 18 juin, et le CNR où le réalisme communiste tout à une politique de guerre à outrance contrastait avec les surenchères politiciennes socialistes et démocrates-chré- tiennes, l'accord ne fut pas toujours facile avant de se concrétiser dans le programme du CNR. Ce programme, dont tous les partis au lendemain de la Libération se réclamèrent, et qui sembla un moment sombrer dans l'oubli, n'en constitua pas moins le levain d'un régime nouveau. Entre de Gaulle et le CNR, j'ai assisté bien des fois au renouvellement du dialogue d'Hugues Capet et de ses barons : « Qui t'a fait comte ? — Qui t'a fait roi ? » En fait ils furent et demeurèrent solidaires face aux mêmes adversaires par-delà des oppositions parfois violentes. Avec la Résistance et le gaullisme une ère nouvelle avait débuté en France, qui devait de 1944 à 1968, avec de nombreuses éclipses, transformer totalement la société que nous avons connue de 1900 à 1940 : Sécurité Sociale, comités d'entreprise, décolonisation, etc. Pren- dre conscience de cette évolution, du rôle que les diffé- rents partenaires y ont tenu, de Gaulle, d'abord, Parti communiste, Démocratie chrétienne, Socialisme, Syndi- cats, ne peut être que profitable à ceux qui héritent, et surtout qui hériteront demain des charges du pouvoir. L'unité forgée dans la lutte clandestine contre l'occu- pant qui évita à notre pays la guerre civile et la crise profonde qui déchirent tant de nations de notre conti- (1) Max : le préfet Jean Moulin, ministre délégué du général de Gaulle en territoires occupés, fondateur et premier président du CNR. nent est-elle encore possible ? Elle peut l'être et sauve- garder à notre pays son indépendance, lui éviter de devenir l'instrument de toute superpuissance et lui per- mettre de jouer son rôle historique de champion de la justice sociale, de la liberté et de la fraternité interna- tionale. 25 août 1977.

N.B. — Tous les documents et textes relatifs au CNR cités dans cet ouvrage sont extraits des archives que j'ai pu conserver dans les conditions relatées au chapitre I de ce livre. Sont reproduits par ailleurs en annexe intégralement ou partiel- lement suivant leur intérêt les textes inédits à ce jour. Quant à ceux déjà publiés j'indique en note les ouvrages auxquels il est loisible de se reporter pour les consulter. J. D.-B. 9-IX-1977 Chapitre Premier DE GAULLE FACE A DARLAN ET GIRAUD VERS LE CNR

Au printemps 1943, après la capitulation de Paulus à Stalingrad et les succès anglo-américains en Afrique du Nord, l'Allemagne hitlérienne était irrémédiablement vaincue. Mais le sort de la France, son avenir comme nation indépendante et démocratique, était fort loin d'être réglé. Bien au contraire. La clique réactionnaire qui à Vichy avait fait et continuait à faire le jeu du Troisième Reich s'efforçait à Alger, avec la complicité des Etats-Unis, à maintenir un régime fascisant. Darlan d'abord, heureu- sement et rapidement liquidé par le jeune et courageux Bonnier de La Chapelle ; Giraud ensuite, plus borné que méchant, prétendaient poursuivre la guerre aux côtés des Alliés au nom et sous l'égide de Pétain ! Poussant ses pions sur cet étrange échiquier, le comte de Paris s'effor- çait de prendre la direction de cet invraisemblable amal- game dans la perspective, sans doute, d'une future res- tauration de la monarchie avec la bénédiction plénière de l'ambassadeur Murphy. Si les communistes, internés par Vichy, avaient été libérés (non sans peine) et placés sous surveillance, les gaullistes étaient toujours pour- suivis et emprisonnés ! Face aux intrigues royalistes qui s'épanouirent en Afrique du Nord, Laval et Déat se frottant les mains espéraient pouvoir jouer la carte de la défense républi- caine, risquant ainsi de troubler l'opinion alors que manifestement la nation ne croyait plus à Pétain défini- tivement discrédité par la collaboration. L'aveuglement de Roosevelt trompé par ses conseillers, l'amiral Lesly et l'ambassadeur Murphy favorables à Vichy, son hostilité à la France-Libre en général et à de Gaulle en particulier risquaient de faire le jeu de l'Allemagne en redorant en France le blason de . Un comble, ! (1 ) Il fallait agir, agir vite. Le mérite de Charles de Gaulle est de l'avoir, comme au 18 juin, tout de suite compris. Pour galvaniser les forces républicaines et démocrati- ques de la nation et répondre aux aspirations sociales du peuple français bafouées et persécutées par le gou- vernement de Vichy, dédaignées et redoutées par les hommes d'Alger, il propulsa le Conseil national de la Résistance (CNR), chargé de les regrouper sous l'égide de la France-Libre. Cette tâche fut confiée à Jean Mou- lin (Max) ministre délégué du général de Gaulle en France. J'ai, par le hasard de la clandestinité, participé du premier au dernier jour à l'action du CNR, depuis son épopée clandestine jusqu'à ses luttes pour la prise en (1) Avec le recul du temps on a perdu de vue toute l'ambiguïté et le caractère équivoque où se complaisait l'équipe Giraud, qui se réclamera jusqu'à la fin de mars 1943 de la légitimité du régime de Vichy et du maréchal Pétain. Le Journal officiel d'Afrique du Nord publiera jusqu'au 5 mars les décrets de Vichy signés de Pierre Laval, dont celui du 30 janvier créant la « milice » avec Darnand et celui du 13 février instituant le STO (Service du travail obligatoire) et mobilisant la main-d'œuvre pour le III Reich ! ! ! Giraud en son conseil est entouré de toute la haute administration nommée par Laval et Pétain, Noguès, gouverneur du Maroc qui a fait tirer sur les Alliés débarquant et fait arrêter le général Béthouard coupable de gaullisme ; Boisson en AOF qui en 1940 fit tirer sur les forces françaises libres, tuant un petit-fils du maréchal Foch, le capitaine Bécourt-Foch et blessant l'amiral Thierry d'Argenlieu, etc. En bref c'était Vichy passé de l'autorité allemande sous celle des Etats-Unis. considération de son programme après la Libération. Evoquer cette action est l'objet de ce volume : un témoi- gnage. J'ai parlé des hasards de la vie clandestine, en effet jamais, je le crois, le hasard ne joua rôle aussi fréquent et aussi déterminant dans l'existence de chacun d'entre nous, hasard des rencontres, des messages incompris, des rendez-vous manqués, d'engagements inattendus et parfois de défaillances redoutables..., hasard dramatique souvent. Deux de ces hasards sont à la base de cet ouvrage : l'un dramatique, l'arrestation puis la déportation du marquis de Moustier, belle figure d'officier et de député patriote qui aurait dû représenter Louis Marin à la fondation du CNR, alors que j'allais devenir ce délégué ; l'autre, anecdotique, l'imprudence d'un vieil ami, le pro- fesseur Lucien Broche, qui me servait de « boîte à lettres » et qui, malgré toutes les consignes de prudence conserva le double des archives du CNR qui enrichissent ce livre.

Au début de 1943, pendant qu'en Afrique se nouent, se dénouent, se compliquent les intrigues réactionnaires autour du « brave général » Giraud, en France grâce aux initiatives de Max, et malgré la mauvaise volonté évi- dente des chefs des « grands mouvements » chacun tenant à demeurer maître « chez lui », l'unité entre les divers groupements, Combats, Libération, Francs- Tireurs en zone sud, Ceux de la Résistance, OCM en zone nord, avait fini par s'imposer plus ou moins. Néces- sité vitale, aspiration générale de toute la base au sur- plus. Au point de vue militaire, en dépit de l'opposition du général Touny de l'OCM et de Frenay de Combat, le commandement suprême du général Delestraint sur l'en- semble de l'Armée secrète (AS) avait été reconnu. Seuls demeurent encore en dehors les Francs-Tireurs et par- tisans français (FTPF) dépendant du Front national (FN). Mais cet embryon d'unité n'était pas suffisant. La Résistance avait besoin d'une unité réelle politique à l'image du pays pour faire contrepoids à l'équipe hétéroclite rassemblée autour de Giraud. Pressé par les Alliés, où domine l'influence de Roose- velt, de s'entendre, de coopérer, sinon de se rallier à l'équipe algéroise ; conscient du danger qui menace l'ave- nir du pays, de Gaulle aura une double parade. Le 26 février 1943 c'est le mémorandum « confidentiel » mais largement diffusé adressé à Giraud, posant quel- ques conditions préalables à toute coopération : rupture définitive et totale avec les institutions de la dictature de Vichy ; rétablissement de toutes les libertés démocra- tiques fondamentales dans tous les territoires français ; libération sans délai de tous les citoyens détenus en violation de ces libertés ; dissolution de tous les orga- nismes d'inspiration fasciste créés par Vichy, telle « la légion des combattants » qui se pavanaient encore en Afrique du Nord ; création d'un pouvoir central assisté d'une assemblée représentative des diverses familles spi- rituelles de la nation ; tenir pour nulles et non avenues les réformes du soi-disant Etat français. C'était net et ne faisait place à aucune équivoque. Enfin ce fut l'envoi, pour la seconde fois en France de Jean Moulin avec des consignes précises en vue de l'unification définitive de la Résistance sous l'autorité du CFLN, parachevant la mission « Arquebuse-Bru- maire », de Brossolette, Passy et de l'Anglais Yeo Tho- mas (le lapin blanc) qui, vaille que vaille, était par- venue, comme je viens de le dire, à réaliser l'unité du commandement militaire. Arrivée qui devait bouleverser mes activités jusqu'ici rivées aux renseignements Marine pour le SOE, par l'intermédiaire de Pierre de Lescure (Larue) ; aux Lettres françaises éditées par le Front National et aux Editions de Minuit. L'arrestation du radio de Pierre de Lescure n'entrava guère mon service de renseignement, je fus en mesure de reprendre contact avec le SOE grâce au banquier Pierre Lebon, par l'intermédiaire de M. Couret, chef de bureau à la Marine qui appartenait au réseau.

La mission Arquebuse-Brumaire — Rencontre avec Pierre Brossolette En liaison avec Londres, Pierre Lebon travaillait aussi avec le réseau qui avait succédé à « Combat-zone nord », démantelé par la Gestapo : « Ceux de la Résistance » dépendant du BCRA (1) ; ses voyages à Vichy pour sa banque étaient fréquents et lui permettaient de coor- donner son activité avec celle de nos amis de la zone libre. Moins secret que Pierre de Lescure, il me recevait ouvertement à son bureau de « l'Union des Banques à Paris », sous le prétexte du financement d'une maison d'édition. J'étais grâce à lui tenu au courant des intri- gues de Vichy, des rivalités de servitude entre le clan Laval et le clan Darlan dont les échos ne parvenaient qu'assourdis dans les services parisiens de la Marine. Par Lebon j'avais repris contact avec Louis Marin ; son départ pour Londres était envisagé ; j'appris ainsi qu'il avait adhéré au Front National ce dont Lebon se féli- citait moins que moi. Il me révéla aussi les multiples intrigues qui se déroulaient en zone non occupée : l'opposition de Frenay à toute subordination à de Gaulle (1) BCRA : Bureau Central d'Information et d'Action. Services des renseignements de la France-Libre souvent en conflit avec les services anglais... et les rivalités des services français, anglais, américain. Rien de bien réjouissant, pour nous il s'agissait de « chasser les Boches ». Heureusement le CFLN pour- suivait inlassablement ses efforts pour l'unification — j'appris ainsi par Lebon l'arrivée prochaine en zone occu- pée d'un délégué du CFLN. L'homme désigné par le général de Gaulle était l'ancien préfet de Chartres, arrêté et torturé par les Allemands en 1943, Jean Moulin. Il venait d'être parachuté de Londres pour la seconde fois en qualité de Membre délégué du CFLN et muni expli- citement de pleins pouvoirs par le général de Gaulle (1). N'anticipons pas, je ne devais le rencontrer qu'en mai. Par contre, au cours de l'hiver, un confrère rédacteur parlementaire, Pierre Brossolette, passé à Londres en 1942 et adjoint de Passy à la direction du BCRA, en mission à Paris, désira me rencontrer. Rendez-vous fixé pour déjeuner au restaurant Le Calvet, boulevard Saint- Germain, où nos amis venus de Londres se rencontrèrent trop souvent à mon gré. But de la rencontre, organiser en zone nord comme en zone sud un comité de coordi- nation des divers mouvements : Front National, Libé- ration-Nord, Ceux de la Libération, Ceux de la Résis- tance, Francs-Tireurs. Tâche malaisée, chaque mouve- ment ayant aussi en zone nord sa vie propre, et chacun de ses animateurs désirant en conserver seul le contrôle. Je n'avais, vu mon rôle, aucun titre à participer à de tels pourparlers qui aboutirent à la création d'un assez fan- tomatique Comité directeur des Mouvements de Résis- tance de Zone Nord (CDMRZN). A vrai dire, le Front National d'une part (dont les francs-tireurs menaient

(1) Maxime Blocq-Mascart, fondateur de l'Organisation civile et militaire (OCM) avait prétendu pour fédérer divers groupes être investi de cette mission par de Gaulle tout au long de l'année 1942 ; simple vantardise jugeaient les indulgents ; imposture en fait d'un homme courageux mais d'une ambition effrénée. une lutte incessante de guérilla) se refusait à être sou- mis à des consignes extérieures, émanant d'états-majors formés à la guerre classique, et l'OCM d'autre part, qui avait vainement revendiqué le commandement unique pour son chef militaire, le colonel Touny, demeurèrent l'un et l'autre entièrement indépendants jusqu'à la for- mation du CNR. Je n'ai jamais pu tirer au clair quelles raisons avaient incité Brossolette à me convoquer et à me consulter. Nous nous sommes revus à deux reprises. Peut-être est- ce à l'instigation de Pierre Lebon qui appréciait peu Blocq-Mascart et ses méthodes, désireux que je fasse écho à ses mises en garde ? Peut-être s'agissait-il de trouver une solution au conflit qui opposait le journal Résistance auquel je collaborais et « Ceux de la Résis- tance ». Ou plus simplement Brossolette recherchait-il auprès d'un ancien camarade partisan depuis 1932 d'une rénovation complète de nos institutions, un appui contre la tentative de Jean Moulin de restaurer les anciens partis. Toujours est-il que tous ces sujets furent fort longuement discutés entre nous. Me voici donc « au parfum » (comme on dit aujourd'hui !) de tous les des- sous politiques, de toutes les rivalités qui divisaient des hommes tous sous la menace permanente de l'arresta- tion, de la torture, de la mort ! Brossolette (Brumaire) aucune peine à le reconnaître, bien qu'il fût dissimulé à une place particulièrement abritée, au premier étage du Calvet. Il n'avait pas changé depuis 1935, date de notre dernière entrevue. Toujours extraordinairement jeune. Brumaire ! Quel étrange pseu- donyme — et d'apercevoir en y songeant que mon ami avait quelque ressemblance avec Bonaparte jeune, celui du pont d'Arcole : même front haut et volontaire, visage émacié, rude tignasse noire et surtout ce regard profond et farouche, même taille aussi. Brumaire ? Brossolette rêverait-il aux grenadiers d'Augereau ? Cette rencontre me bouleversa ; j'eus l'impression d'être en face de l'en- voyé d'un autre monde ; il était là, venant d'Angleterre, terre sacrée, durant deux années notre espérance suprême, de Londres capitale de la Liberté, de cette Angleterre souffrante et héroïque à laquelle je venais de consacrer un essai vibrant de reconnaissance et d'admi- ration aux Editions de Minuit. Ce camarade était un envoyé, un collaborateur direct du général de Gaulle, personnage presque mythique alors, qui incarnait l'hon- neur de la France, notre honneur. Arraché à la grisaille, aux ténèbres de la clandestinité, j'étais, oui vraiment, ébloui par ce messager de lumière. Il sortait des rangs du monde qui n'avait pas capitulé, il avait quitté la libre Angleterre rejointe avec tant de peine, affronté combien de périls pour nous retrouver dans notre ergastule. Mon émotion fut telle que j'en eus le souffle coupé, incapable de lui témoigner mon admiration et ma joie de cette rencontre. Il enchaîna tout de suite comme jadis, gentil, nar- quois et, dans sa simplicité, fort sûr de lui. L'unité des forces militaires de la Résistance était surtout du res- sort d'Arquebuse (Passy), elle s'imposait et se trouvait en bonne voie. Elle devait se faire autour du délégué militaire du général de Gaulle, sous sa direction effec- tive ; l'organisation politique, administrative de la Résis- tance posait des problèmes plus complexes et difficiles à résoudre. Indispensable cette unité sans cela la coor- dination de l'action militaire serait un leurre. Brosso- lette redoutait la puissance d'attraction du Parti commu- niste. Sans blâmer mon ralliement au Front National, il le regrettait. Quant à l'OCM, comme Combat et Libé- ration, ils seraient contraints de passer sous l'obédience du CFLN, seules unité et discipline, sous les ordres des délégués du Général, leur permettraient de contreba- lancer la puissance du Front National. Les rivalités au sein de Résistance, les prétentions de l'OCM furent très rapidement passées en revue, Brossolette était bien au courant de la situation. La puissance du Front National avec ses FTP (1) était largement prépondérante en zone nord. Il en vint à l'essentiel de notre rencontre. L'autorité du général de Gaulle vis-à-vis des Alliés, face à Giraud : elle exigeait un organisme central, un conseil ou comité vraiment représentatif de l'ensemble de la Résistance française, avec des « personnalités » aux côtés des chefs de mouvements ; hommes politiques, écrivains, savants, journalistes, juristes, etc. Ils doubleraient sur le sol national ceux qui s'étaient rendus à Londres. Nous avons envisagé de pressentir plusieurs personnalités : Joliot- Curie, François Mauriac, le professeur Robert Debré, mais tous appartenaient déjà au Front National ! Quel- ques exceptions : Maurice Garçon, Merle d'Aubigné, le marquis de Moustier. Quant à Louis Marin, Brossolette désirait le faire passer à Londres le plus tôt possible. Il m'exposa sa conception de ce futur conseil ; elle se heurtait à celle de Jean Moulin qui désirait y voir figurer les anciens partis et syndicats aux côtés des délégués de la Résistance ; Brumaire s'indignait : « Les anciens partis, disait-il, sont brisés, discrédités. Aucun sauf le Parti communiste n'a conservé son unité, et encore ! Ils nous ont tous fait assez de mal. Il est vain, et surtout dangereux pour l'avenir de les arracher à leur linceul et de les ressusciter. Qui représente le Parti socialiste ? André Philip à Londres ou les Rivière, les Paul Faure, les Spinasse qui ont rallié Pétain ? Et les radicaux, où sont-ils ? Avec , Chautemps, Herriot ?

(1) FTP : Francs-Tireurs et Partisans. Organisation militaire du Front national. Est-ce Flandin ou Reynaud qui représente l'Alliance démocratique ? Louis Marin ou Philippe Henriot la Fédé- ration républicaine ? » Se souvenant de nos campagnes d'avant-guerre, avant le 6 février, pour les sanctions contre l'Italie, contre Munich, il voulait recueillir mon opinion sur ce point qu'il jugeait capital. Je partageais vraiment son point de vue, limiter la représentation de la Résistance aux « chefs » des réseaux était méconnaître la situation réelle du pays et plus encore de l'opinion internationale ; mais élargir cette représentation par l'appel aux anciens partis déconsidérés comme tels me semblait un non-sens. Seules des personnalités jouissant d'un prestige et d'une notoriété suffisants donneraient tout son poids au conseil envisagé. Il me chargea d'opé- rer quelques sondages, je songeais à Jean Paulhan, à Maurice Garçon, à Merle d'Aubigné. Je crois que c'est au cours de cette première rencontre que je lui remis un exemplaire de mon essai Angleterre qui venait de sortir aux Editions de Minuit. J'aurais été bien surpris en quittant Brossolette si j'avais appris que quelques semaines après cet entretien j'allais être désigné pour représenter « la Fédération républicaine et les Républicains nationaux » au Conseil National de la Résistance. Mais les événements allèrent vite.

Jean Moulin (Max) — Membre fondateur désigné par Louis Marin Retracer toutes les péripéties qui de mars à mai mar- quèrent la fondation du Conseil national de la Résistance n'est pas mon sujet ; elles ont été évoquées dans plu- sieurs études, biographies consacrées à Max, dans les travaux relatifs au CNR et les diverses histoires de la Résistance (1). A mon accoutumée, je rapporterai uni- quement ce que j'ai vécu, quitte à réfuter certaines erreurs assez répandues. Lors de ma dernière entrevue avec Brossolette, il ignorait encore si la thèse de Jean Moulin préconisant la représentation des partis l'emporterait sur la sienne qui avait l'appui non négligeable de Frenay (Combat), de Cavallies (réseau Asturies), de Blocq-Mascart et de Simon (OCM). Excédé des tergiversations qui accen- tuaient les conflits au sein de la Résistance en une année décisive, le général de Gaulle se rallia à la thèse de Jean Moulin, lui donnant tous pouvoirs pour pro- céder à la représentation des partis ou, ultime conces- sion à la thèse des grands féodaux des mouvements, à celle « des familles spirituelles ». Concession qui ne désarma pas l'hostilité des diri- geants de certains mouvements ; Chambeiron, autant qu'il me souvienne, me rapporta une déclaration de Frenay à Max : « Vous venez d'assassiner la Résis- tance (2) »... Egalement hostile, Blocq-Mascart, d'accord pour une fois avec le colonel Touny, décida qu'il ne siègerait pas au CNR, décision dont il ne tarda pas à « se mordre les doigts » et, après volte-face, se fit désigner au bureau permanent... Cette attitude, vraie révolte contre l'autorité du CFLN et du général de Gaulle fut, d'après ce que j'ai pu constater, durement condamnée par « la base » de nombreux groupes actifs de l'OCM, tant la volonté des « grands » d'accaparer la Résistance avait été manifeste. Certains de ces groupes (1) Entre autres, Henri Michel, Jean Moulin, l'unificateur (Hachette) et Histoire d'un mouvement de Résistance (PUF) ; René Hostache, Le Conseil National de la Résistance (PUF) ; J. Noguère, Histoire de la Résistance III (Robert Laffont) ; Alain Gué- rin, Résistance, II, III et IV (Ed. Diderot). de(2) la RésistanceDans un rapport,». Frenay traite Jean Moulin de « fossoyeur théoriquement absorbés, tel celui de Jacques Destrée, auraient désiré un conseil beaucoup plus largement ouvert qui leur aurait permis d'être représentés. Croyant sur parole les déclarations de Blocq-Mascart, Destrée avait accepté sa tutelle, ainsi Résistance dont l'activité était grande avait été écarté du Comité de coordination puis finalement du CNR (1). Je plaidai vainement la cause de Résistance auprès de Brossolette alors très influencé par Blocq-Mascart : « un journal n'a pas à être représenté en tant que tel », m'objecta-t-il non sans raison. Mais Résistance était devenu un vrai « mouvement ». Rien de plus naturel : la publication d'une feuille clandestine, son impression, sa diffusion, ses services d'information constituèrent presque toujours l'activité centrale des mouvements au- tour de laquelle s'aggloméraient les services de distri- bution et rapidement ceux de sabotage et de combat. Processus de tous les petits groupes formés en 1940 : Pantagruel, Valmy, etc. Résistance comprenait autant de combattants actifs que l'OCM ; Françoise Bruneau en a retracé l'histoire (2). Mes amis et collaborateurs directs, de Martini, Bro- che comme Jean Paulhan et l'équipe des Lettres fran- çaises de façon générale, y compris François Mauriac, étaient tous partisans de la participation au conseil en gestation des diverses « familles spirituelles » et même des partis rénovés dans et par la Résistance ; qu'impor- tait la dénomination. Un fait me semblait alors acquis, le marquis de Moustier, très actif dans le département du Doubs où il avait créé maquis et centre de rensei- (1) Rappelons que Blocq-Mascart se donnait pour chef du cabinet civil du général de Gaulle et son représentant en zone nord. Ce mensonge avait été accrédité par le ralliement à l'OCM de M. Jean- jean, ancien attaché de presse de Ch. de Gaulle durant ses quelques journées de Secrétaire d'Etat à la Guerre dans le ministère Reynaud. (2) Françoise Breneau, Résistance, Ed. Sedes, 1951. gnements, parlementaire ayant voté non à Vichy, serait désigné comme porte-parole de la Fédération républi- caine. Moustier, ami de Tardieu, patriote intransigeant, était une personnalité hors série, intelligent, courageux, sans complexes : il savait siffler dans ses doigts pour arrêter un taxi à l'issue des séances de nuit, au grand scandale des députés « bien-pensants ». Très direct, ancien combattant de la guerre 14-18, il avait dépouillé « au feu » tous préjugés de caste et de classe. Tardieu le considérait comme son oracle en matière agricole. Or Moustier fut arrêté. Au début du mois de mai, Pierre Lebon me convoque d'urgence ! Le soir même j'étais place de la Madeleine pensant qu'il s'agissait de dénicher quelque renseigne- ment important ; à peine assis, il me lança à brûle-pour- point : « C'est vous qui représenterez la Fédération républicaine au Conseil national de la Résistance qui doit se réunir dans une quinzaine de jours. » Je connais- sais trop mon homme et compris qu'il ne s'agissait pas de plaisanterie. J'en demeurai vraiment ahuri. Sans me laisser une minute pour réfléchir, il insista : « Alors, c'est décidé, je vous tiendrai au courant de votre ren- contre avec Max. » Et de se lever comme si l'affaire était réglée... De très méchante humeur j'ai répliqué du même ton : « Absolument inutile, je refuse. » Riposte : « Pas question, ce serait un refus d'obéissance en temps de guerre devant l'ennemi. Une désertion. » J'explosai. Parler de désertion quand il s'agissait de siéger à un pseudo-parlement, une sorte de conférence Molé clandes- tine. Me désigner pour représenter un parti discrédité, que je désirais voir disparaître comme tous les autres. Je ne croyais pas, je n'avais jamais cru, je ne croirai jamais aux partis ! J'étais Front National uniquement. Alors s'engagea la discussion. Lebon ne lâchait pas le morceau. Mes objections étaient pourtant sérieuses. Bien que collaborateur de Louis Marin à La Nation, son ami, je n'appartenais pas en titre à la Fédération républicaine (1). Je ne voulais pas, allié au sein du Front National aux communistes, faire au CNR figure d'homme de la réaction. C'était fini avec ces gens-là depuis l'affaire d'Ethiopie. Qui sait, demain j'appartiendrais peut-être au Parti communiste ! J'avais assez de besogne avec le renseignement, la litté- rature et la presse clandestine; j'avais promis de pren- dre en main le Super-NAP à la Marine... Qui trop embrasse mal étreint. Marin seul était qualifié pour siéger au CNR, à son défaut, pourquoi pas Pimienta ou Guiter, pourquoi pas Lebon lui-même ? Toutes mes contre-propositions furent repoussées : Lebon comme banquier se récusait, Pimienta comme commandant devait se consacrer à la Résistance armée, Guiter n'avait pas mes titres de résistance... Il était indispensable, dans l'état actuel des choses, face à l'intrigue américaine de Giraud, que le CNR représentât pour l'opinion alliée toutes les tendances de la nation. Marin, dont l'autorité est grande à l'étranger, doit être représenté. Il partira bientôt pour Londres, vous êtes celui qu'il a désigné. Votre devoir est d'obtempérer ! Je répétai que je n'avais pas de titre particulier à cet effet; j'étais loin ce jour-là, de me douter que tous les autres partis, sauf la démocratie chrétienne, seraient représentés lors de la fondation du CNR par d'anciens ministres ou des parlementaires chevronnés. Lebon fit de ma petite personne un portrait qui, pourquoi ne pas l'avouer, chatouilla ma vanité, m'affirmant au surplus que le rôle pour lequel j'étais désigné était lourd de res- (1) Collaborateur de ses journaux, Nation (à Paris), Union répu- blicaine (Lyon), j'avais eu son investiture aux élections de 1932 contre Pierre Cot. ponsabilités et des plus périlleux. Je me sentais faiblir. Au surplus aucune compromission ne me serait deman- dée, il s'agirait de défendre les idées pour lesquelles je n'avais cessé de batailler, celles du nationalisme fran- çais, la tradition de Barrès, de Déroulède, de Péguy, de Franklin-Bouillon. Je songeai alors au mot de Tardieu en 1932 : « Marin, Franklin-Bouillon et moi nous serons maintenant comme culs et chemises. » Allié aux commu- nistes au Front National, être le porte-parole au CNR du nationalisme français sans compromission ni avec le capitalisme ni avec le conservatisme social, après tout, pourquoi pas ? Pour ne pas céder tout de suite, je demandai à Lebon de faire part à Max de mes objec- tions, de mon refus d'être au CNR l'homme d'un parti inexistant, mais seulement le porte-parole de Louis Marin et de ses amis, les résistants républicains et natio- nalistes. S'il était d'accord, après tout, j'obéirais ! Dès qu'il aurait vu Max, il me ferait reconvoquer (1). Georges Bidault dans un livre amer où il me malmène, écrit : « Nous voulions un homme de droite, nous avons eu Debû-Bridel, nous avons été servis. » Voilà qui est faire bon marché de la vérité. Je suis entré au CNR, fidèle à Louis Marin et à la tradition nationaliste, patriote de Barrès et de Déroulède qui siégeaient en 1889 à l'extrême-gauche aux côtés des guedistes.

(1) Entre-temps Lebon me confirma « officiellement » l'adhésion de Louis Marin au Front National zone sud — ce qui me libéra de tout scrupule.

2

27 MAI 1943 — PREMIERE SEANCE DU CNR — LES SEIZE MEMBRES FONDATEURS

Le 10, autant que je m'en souvienne, un lundi en tout cas, Couret après s'être informé « comment j'avais passé le dimanche », ajoutait : « Lebon que j'ai ren- contré m'a chargé de vous dire que vos conditions sont acceptées ; considérez donc l'affaire comme réglée. Il vous convoquera bientôt. » Si cette conversation a eu lieu — le lundi 17 — comme c'est possible, la liste définitive des membres du CNR ayant été fournie à Londres le 14 mai au soir, Max m'aurait désigné préalablement à mon accord définitif et sur la seule caution de Pierre Lebon. Le lundi 24 au soir en tout cas, je me rendis chez mon ami, au 120 bd Denfert-Rochereau où j'allais pour la première fois ; la rue est notée en clair sur mon petit carnet, ce qui est impardonnable puisque je devais y rencontrer Max, ce que j'ignorais. Entrevue brève, elle ne me laissa qu'un souvenir assez flou et ne m'a pas bouleversé comme ma première rencontre avec Brossolette. Il fut surtout ques- tion de Louis Marin que j'allais représenter. Voici exac- tement ce que je transcrivais le soir sur mon carnet de note dont la langue chiffrée est aujourd'hui presque hermétique pour moi : « Passé rue Denfert. Nouvelles de Louis Marin. Va bien. Travaille. 2 (un mot indéchif- frable) guerre »... Cet entretien fut très court. Je restai Le 18 juin 1940, la Résistance était née d'un sursaut patriotique ayant pour seuls objectifs la poursuite de la guerre et la libération du pays. Trois mois plus tard elle prit, inévitablement, un aspect révolutionnaire et se politisa pour réagir contre le régime d'« ordre nouveau » instauré par Vichy. C'est pourquoi le Général de Gaulle dut faire face à de nom- breux adversaires et même à une tentative désespérée de « récon- ciliation nationale » dont Edouard Herriot aurait été l'artisan s'il avait cédé aux sollicitations d'un complot ourdi entre Laval, les Allemands et, dit-on, certains agents du gouvernement américain. Pour surmonter tous ces obstacles politiques, l'unité de la Résistance s'imposait. Elle se réalisa, à l'instigation du Général de Gaulle, par la création du C.N.R., ce Conseil National de la Résis- tance qui regroupa, non sans mal, les représentants des divers mou- vements politiques et des syndicats d'avant-guerre. Les commu- nistes y eurent naturellement leur place mais leur influence, parfois prédominante, ne fut jamais le résultat d'un calcul ni d'un privilège mais bien de leur clairvoyance et de leur qualité d'action. Des conflits assez vifs opposèrent néanmoins le C.N.R. et de Gaulle mais il n'y eut jamais de rupture. Le C.N.R., communistes inclus, reconnut toujours l'autorité du gouvernement du Général de Gaulle et celui-ci fit réellement sien le programme du C.N.R. et leur soli- darité fut totale, une fois la France libérée, pour sauvegarder l'indé- pendance nationale en écartant la menace d'une tutelle de nos alliés occidentaux. Ce livre, « DE GAULLE ET LE C.N.R. » fournit bien des éclair- cissements et même d'utiles précisions sur ces rapports du Chef de la France Libre et du Comité National de la Résistance qui avaient prêté jusqu'alors à tant de controverses. Celles-ci se dissipent désormais puisque l'auteur, Jacques DEBU-BRIDEL nous apporte, confirmé par des documents d'archives, pour la plupart inédits, un témoignage direct sur des événements qu'il a vécus étant donné qu'il fut l'un des seize membres fondateurs du C.N.R. adhérent du Front National dont il dirigea le journal à la Libération, sénateur R.P.F. et militant gaulliste de choc auprès d'André Malraux sous la IV République, Jacques DEBU-BRIDEL était ainsi parfaitement qua- lifié pour nous conter l'extraordinaire aventure à « suspense » de ces aspects méconnus de la Résistance politique qui permirent au Général de Gaulle de rassembler les forces démocratiques pendant la lutte contre l'occupant et de parvenir au pouvoir, en 1945, pour rétablir la République.

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal. Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.