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Les plus belles Légendes chinoises

Je ne savais pas encore très bien lire et pour mon Noël, des amis m’avaient offert un très beaux livre intitulé « Les plus belles légendes chinoises » dont les pages étaient ornées de très beaux dessins en couleur. Cela était nouveau pour moi dans la figuration et dans la prose, c’est pourquoi il fallut m’expliquer ce qu’étaient les légendes ; par mes questions, cela était me disait-on des récits populaires qui avaient pour sujet des faits ou des êtres imaginaires, mêlés de merveilleux. Cela avait éveillé ma curiosité, au point que j’en commençais la lecture avec pas mal de difficultés, et sans bien comprendre le sens de certaines phrases, et des belles images bizarres. Il m’eut fallu trop de temps pour que je puisse mener à bien cette entreprise, mais malgré tout, cela me tentait au plus au point, j’étais encore trop jeune pour les comprendre. Ma maman s’étant aperçue de mon penchant pour la lecture, voulu m’encourager dans cette voie et proposa après la prière du soir, me de me faire lire moi-même « Les plus belles légendes chinoises » avec toutes les explications nécessaires dont j’aurais besoin. J’étais heureux de cette proposition, sachant que ma maman au bout du compte ne me ménagerait pas ses câlins pour faciliter mon sommeil. Voici un extrait des plus belles légendes chinoises :

2 LES DRAGONS CHINOIS

Le DRAGON EST L’ANIMAL, le plus caractéristique de la mythologie chinoise, il apparaît très fréquemment dans les légendes anciennes. Le dragon chinois lung, était très différent des dragons européens. Il ne crachait pas le feu, mais des nuages ; on l’a décrit avec une tête de chameau, des cornes de cerf, des yeux de démon, des oreilles de vaches, un cou de serpent, un ventre de mollusque, des écailles de carpes, des serres d’aigle et des pattes de tigre. Cependant, très souvent, il prenait une apparence humaine. Son élément était l’eau, et il avait un pouvoir sur la pluie, l’eau des rivières, des lacs et des torrents. A la différence des dragons des mythologies européennes, c’était une créature bien intentionnée, même si parfois il était sujet à des accès de rages, causant des dégâts par les tempêtes et les déluges qu’il pouvait déclancher. Chaque mer, chaque rivière ou lac avait son dragon-gardien, souvent doté d’un statut royal, vivant dans un palais sous-marin de cristal, entouré de trésors inestimables. Il protégeait jalousement son trésor des voleurs, mais il pouvait lui arriver d’en donner une partie à un mortel qui lui avait fait plaisir d’une façon ou d’une autre. Tout comme les esprits-gardiens, les dragons appartenaient à la race des immortels, et ils se mêlaient librement aux dieux et déesses, qui s’en servaient parfois de montures pour chevaucher dans le ciel. Le dragon était aussi un symbole important et puissant. Les Chinois pensaient qu’il y avait un principe mâle(yang) et un principe femelle(yin) dans toutes les classes de l’univers. Le soleil, par exemple, est mâle (yang) et la lune femelle (yin). Les dragons représentaient le principe mâle, ils étaient le symbole de toutes les choses mâles. Le dragon était aussi le symbole de l’empereur de chine, dont on disait qu’il était assis sur une tête de dragon, accompagné souvent d’un phénix symbolisant l’impératrice. Le dragon impérial est représenté avec cinq griffes au lieu de quatre normales, pour le distinguer de tous les animaux inférieurs. Les images de dragons faisaient partie du décor familier des chinois, et deux fêtes populaires célèbrent le dragon. Le 3 quinzième jour du premier mois du calendrier lunaire, ce qui correspond à la fin de février pour nous, était férié pour marquer la fin des festivités du nouvel an chinois et l’arrivée du printemps. Ce jour là la danse du dragon était exécutée en public. Un certain nombre d’hommes tenaient chacun un lampion accroché au bout d’un bâton qui représentait une partie du dragon. Ils se tenaient tous en ligne, le premier lampion étant décoré comme une tête de dragon, et les suivants de plus en plus petits, jusqu’au dernier qui était la queue. Pour exécuter la danse les hommes étaient vêtus de noir, ils tournaient et se déplaçaient toujours en ligne, en sorte que dans l’obscurité leurs lampions fissent l’effet d’un dragon brillant qui ondulait. Un autre danseur, à part, tenait un lampion simulant une balle rouge ; il représentait une perle, et la ligne des danseurs semblait poursuivre la perle. Généralement, cette danse était vue comme un spectacle de fête, mais elle était probablement à l’origine d’un rituel religieux, symbolisant l’éveil de la terre avant la saison des semailles. Le second événement populaire était la Fête du Bateau- Dragon, elle aussi à la foi fête et rituel, qui avait lieu au début de l’été, le cinquième jour du cinquième mois du calendrier lunaire, correspondant à peu près à la mi-juin pour nous. Les bateaux avaient des proues en forme de dragon ; c’était une compétition entre des équipes d’hommes dans des courses à la rame, avec un grand prix pour le bateau gagnant. On a pensé que c’était une fête pour faire venir la pluie, car les pluies d’été étaient importantes pour la culture du riz. Mais une autre légende s’est répandue pour expliquer l’origine de la fête du Bateau-Dragon. Aux environs du IVème siècle avant J-C, il y avait un ministre au royaume de Chu, nommé Chü Yüan. C’était un homme honorable très aimé de tous, mais son roi fut assez fou pour ne pas tenir compte de ses conseils, et le ministre fut banni. Chü Yüan erra dans le pays, écrivant des poèmes qui nous sont parvenus ; mais son bannissement fini par le déprimer complètement, et il se noya. Après sa mort, il apparut en songe à ceux qu’il avait aimé, leur disant d’offrir des sacrifices à son esprit, en jetant dans la rivière des aliments enveloppés dans des feuilles de bambou ; il ajouta qu’ils devaient faire fuir les démons et les esprits avec des 4 bateaux de course aux proues en forme de dragon. Ses amis firent ce qu’il avait dit, et par la suite, les gens continuèrent à envelopper des aliments dans des feuilles de bambou avant de les faire cuire à la vapeur, en souvenir du ministre défunt. Ces courses de bateaux-dragons ont toujours lieu. On a dit parfois que les rois-dragons chinois pouvaient être comparés aux démons-serpents indiens, dont les légendes sont arrivées en chine avec les missionnaires bouddhistes. Même si certaines légendes du dragon de la mythologie chinoise ont probablement été influencées par les mythes indiens, l’aspect gardien et bien intentionné des dragons chinois les différencie nettement et les rend uniques.

L’ESPRIT DU SINGE

Il y avait une fois une montagne qui s’élevait au milieu de la mer ; on l’appelait la montagne des fleurs et des fruits. Au sommet de la montagne, il y avait une pierre insolite. Ses dimensions étaient gigantesques, et elle possédait des pouvoirs spéciaux ; depuis que avait créé l’univers, elle était toujours restée là, nourrie des essences du ciel, de la terre, du soleil et de la lune. Un beau jour, la pierre éclata soudain et donna naissance à un œuf pierre. Tandis que les éléments jouaient autour, l’œuf pierre devint progressivement un singe. Ce singe bien que d’une taille normale, n’était pas un animal ordinaire. Il explora les environs, sautant et grimpant partout, comme n’importe quel singe ; il mangeait des fruits sauvages et se désaltérait aux sources. Ses compagnons étaient les bêtes sauvages des montagnes et des forêts ; il s’était joint à une tribu de singes sauvages, qu’il suivait partout, faisant tout ce qu’ils faisaient. Finalement, il les conduisit jusqu’à un gîte sûr, dans une grotte située derrière une cascade, au sommet de la montagne des fleurs et des fruits, et, avec leur consentement, devint leur roi. Le singe pierre était un roi plein de sagesse, bien aimé de ses sujets-singes depuis environ trois cent ans, et il commença à se poser des questions sur l’avenir. Les autres singes se moquèrent de lui et demandèrent : 5 « Comment pourrions nous avoir une vie plus belle, puisque nous avons tout ce qu’il nous faut pour manger, boire et dormir ? ― Quoi que nous fassions ici bas, nous sommes toujours menacés par la mort, répliqua le singe, car, un jour, yama, le seigneur des enfers, nous appellera, et nous devrons y aller. ― O Roi, dit un singe, connais-tu Bouddha, les divinités et les immortels ?” Le singe reprit espoir en entendant ces mots. « Je vais les chercher, et voir si moi aussi je peux apprendre à devenir immortel », dit-il. Le lendemain le singe descendit de la montagne et traversa la mer sur un radeau, jusqu’au monde des hommes. Après avoir erré longtemps dans le monde, il se dirigea vers une montagne, où un bûcheron lui indiqua un sentier qui menait à une grotte située plus haut sur le flanc de cette montagne. C’était là que vivait un saint homme nommé maître Subodhi, qui enseignait comment atteindre la vie éternelle. Le singe trouva la grotte, mais une porte de bois en barrait l’entrée, et elle était fermée. Le singe n’osant pas frapper grimpa à un pin qui se trouvait là, juste à côté de l’entrée, et se mit à grignoter des pignons. Au bout d’un petit moment, la porte s’ouvrit, un petit page regarda dehors et dit : « Qui est là, qui fait tout ce bruit ? » Le singe glissa vite le long du tronc de l’arbre, et salua le page : « Sire page, je suis venu pour devenir un disciple de ton maître, je ne voulais pas faire du bruit ici. ― Est-tu à la recherche de la Voie ? demanda le page. ― Oui dit le singe. ― Comme c’est étrange, dit le page, le maître allait interpréter les écritures quand tout à coup il a levé les yeux, s’est tourné vers moi, et m’a dit d’aller à la porte et de faire entrer celui qui venait chercher la Voie. Je pense qu’il s’agissait de toi, entre. Le singe fut conduit devant le maître érudit. « D’où viens-tu ? Demanda le maître. ―De la montagne des fleurs et des fruits.

6 ― Va-t-en, menteur ! Dit le maître en colère. Comment peut-tu venir de là, alors qu’il faut traverser la mer, sans parler de toutes les terres qu’il faut parcourir jusqu’ici. »

Le singe protesta qu’il avait dit la vérité, et il raconta l’histoire de sa naissance dans un œuf-pierre. Se rendant compte qu’il ne s’agissait pas d’un singe ordinaire, le maître Subodhi l’accepta comme disciple, et lui donna un nouveau nom, selon la coutume, comme à tous ceux qui quittaient tout pour suivre un maître et apprendre la Voie. Le singe reçu le nom de Sun l’Éclairé, Sun étant l’un des mots chinois désignant le singe.

LES PREMIERS HÉROS

Dans la mer située au-delà de l’océan oriental, à l’extrémité tout à fait orientale du monde, poussait un arbre appelé . Cet arbre mesurait plusieurs milliers de pieds de haut, et environ milles pieds d’envergure. Les soleils se posaient sur ses immenses branches, tels des oiseaux. En ces temps anciens, il n’y avait pas qu’un soleil qui dardait ses rayons ardents, mais dix. Ils passaient leurs nuits à folâtrer dans la mer, ils se baignaient pour entretenir leur éclat, et ils retournaient ensuite se poser sur le grand arbre Fusang. Ils décrivaient chacun à son tour un cercle autour de la terre, chacun envoyant ses rayons sur les hommes, afin que ces derniers croient qu’il n’y a qu’un seul soleil pour leur donner sa lumière et sa chaleur. Ils ignoraient tout des neuf autres soleils qui, à l’extrémité orientale du monde, chauffaient la mer dans laquelle ils se baignaient, jusqu’à la rendre brûlante. Ces dix soleils étaient les enfants du dieu de l’Est, Dijun, et de sa femme Siho, la déesse du soleil. Un jour, les dix frères , tels des enfants désobéissant à leurs parents, se montrèrent tous en même temps dans le ciel, au lieu de faire comme d’habitude. L’éclat et la chaleur de dix soleils en même temps fit tout griller. Les soleils, tout heureux de cette lumière éblouissante 7 qu’ils faisaient surgir, pensèrent peut-être que les hommes, sur terre, se réjouissaient comme eux, mais ce ne fut pas le cas : les hommes les haïrent. La terre devint toute sèche, les cultures, les fleurs et les arbres se ratatinèrent, et même les roches et les minéraux semblèrent fondre. Le sang se mit à battre très fort dans les veines des hommes ; ils respiraient avec peine, le jour comme la nuit. Ils n’avaient pas grand chose à manger ni à boire car les rivières étaient asséchées. Pour tout arranger, des monstres terrifiants sortaient des forêts transformées en bois mort, et du fond des lacs et des rivières rétrécies. Le père des soleils, Dijun, bien que vivant dans le ciel, n’était pas sourd aux plaintes des hommes, ni aux prières que lui adressait désespérément leur souverain, l’empereur Yao. Incapable de raisonner ses enfants, il se décida à prendre des mesures draconiennes. Il convoqua un archer un archer immortel, un certain Yi. Djinn donna à Yi un arc rouge et un carquois rempli de flèches blanches, et il l’envoya sur terre. Yi obéit. Il emmena avec lui sa femme Chang’O, et il alla droit au palais impérial, où il put constater les terribles dégât que les soleils avaient causés et les souffrances des hommes qui arrivaient, chaque jour moins nombreux, pour demander secours. Pour commencer, Yi se dirigea vers un lieu élevé, d’où il menaça les soleils qui dansaient dans le ciel ; il espérait que la simple vue des arcs et des flèches magiques les impressionnerait. Mais les soleils avaient pris goût au pouvoir, et ils n’étaient pas d’humeur à se laisser effrayer facilement. Ils firent comme si de rien n’était. Yi ajusta alors une flèche à son arc, visa soigneusement l’un des soleils, et lâcha la flèche. Un moment plus tard, une boule de feu tomba lourdement sur le sol. Immédiatement l’air se rafraîchit un peu, et les gens, reconnaissants, accoururent pour voir leur ennemi à terre. Mais ils ne trouvèrent qu’un corbeau géant de trois pieds de long, gisant sur le sol. Yi ajusta une autre flèche, tira, et une autre boule de feu tomba du ciel. Un autre corbeau de trois pieds de long gisait mort à ses pieds. Les soleils refusaient toujours d’obéir, et, tandis que 8 l’une après l’autres les flèches de Yi atteignaient leur but, la terre grillée reprenait vie. Heureusement pour la terre, l’empereur comprit qu’il fallait qu’au moins un des soleils restât pour fournir de la chaleur et de la lumière. Il se faufila derrière Yi et compta combien il restait de flèches dans le carquois, puis il retourna compter les corbeaux tombés. Il y avait quatre flèches dans le carquois, et six corbeaux étendus sur le sol. L’empereur enleva subrepticement une flèche du carquois, pour être sûr qu’au moins un soleil survivrait. Yi était trop occupé pour remarquer ce qui se passait, et il continua à tirer ses flèches, jusqu’à ce qu’il ne lui en reste plus. Il restait un seul soleil, tout pâle après le fort rayonnement des dix conjugués, suspendus tristement dans le ciel ; il n’était pas prêt à s’écarter de nouveau du droit chemin, maintenant qu’il était tout seul. Les soleils étaient partis, mais, pour que la terre pût reprendre une vie normale, il fallait maîtriser les monstres. Avec une nouvelle provision de flèches, Yi les pourchassa sans pitié. Dans les plaines, il en trouva un que les gens appelaient grand vent. C’était un oiseau énorme, ressemblant à un paon géant, avec une large queue et un bec d’aigle cruel. Comme l’aigle, il pouvait foncer sur le bétail, sur les hommes, et les enlever. Son envergure était telle que lorsqu’il volait un tourbillon se formait dans son sillage. Yi savait que, grâce à ses ailes puissantes, grand vent avait un vol si rapide qu’il pouvait aisément s’échapper avant qu’il ait eu le temps de tirer plus d’une flèche. Il se réfugierait sur quelque pic rocheux éloigné, attendant que ses blessures guérissent, puis il reviendrait faire d’autres ravages dans les plaines. Pour prévenir cela, Yi attacha une corde de soie noire solide à la queue de sa flèche, puis, visant soigneusement, il tira de manière que la flèche toucha l’oiseau en plein cœur. Avant qu’il ne comprit ce qui lui arrivait, Yi avait tiré fort le bout de la corde et ramené le monstre jusque sur le sol où il le tua avec son couteau. Yi poursuivi son voyage jusqu’au lac Dongting, qui s’étend dans les portions droites du milieu du cours du Yangtze. Dans ce lac, il y avait un énorme serpent d’eau, qui faisait son apparition lorsque l’eau s’évaporait ; il attrapait les bateaux de pêche et 9 noyait les pêcheurs avant qu’ils aient pu atteindre le rivage. Yi prit un petit bateau et se mit à ramer, traversant le lac de long en large, espérant ainsi attirer l’attention du monstre. Il n’attendit pas longtemps. Le monstre sortit d’abord sa tête hideuse, puis son corps de serpent apparut, s’enroulant en spirale tandis qu’il se hâtait vers sa proie. Yi tira ses flèches les unes après les autres dans la peau d’écailles, mais le serpent était fort ; finalement Yi dut le combattre de près, dans sa frêle embarcation. Il lui perça enfin le cœur d’un coup de sabre. Le serpent disparut pour toujours dans les eaux du lac, avec un grand coup de queue. Une foule de petits bateaux furent mis à l’eau, et les pêcheurs firent une escorte à Yi pour l’emmener chez eux. Ils le pressèrent de rester, mais Yi refusa, leur disant : « Tant qu’il y aura encore des monstres sur la terre, personne ne sera en sécurité. Je ne prendrais pas de repos avant de les avoir tous anéantis. » Le dernier combat que Yi livra fut contre un sanglier géant mangeur d’hommes qui rodait dans une forêt de mûriers. Il avait la taille d’un bœuf, et tous les soirs il piétinait les cultures, emmenait le bétail, et parfois attaquait les villageois assez fous pour s’aventurer dehors dans l’obscurité. Même cet animal redoutable ne fut pas de force à lutter contre Yi avec son arc et ses flèches magiques. Yi le toucha aux pattes, et le traîna vivant jusqu’aux villageois qu’il avait terrorisé. On fit une grande fête, et une cérémonie eue lieu, au cours de laquelle le sanglier fut tué, cuit et mangé. Même l’empereur vint, pour célébrer la mort du dernier monstre et le commencement d’une nouvelle vie dans la paix et la sécurité. On donna à Yi les meilleurs morceaux de viande, pour qu’il les emporte au ciel en offrande de remerciement à Dijun, le dieu qui avait envoyé le grand archer sauver la terre.

CHANG’O, ET

L’ÉLIXIR D’IMMORTALITÉ

10 Lorsque Yi retourna au ciel avec sa femme Chang’O, il s’attendait à être félicité et remercié d’avoir sauvé la terre. Mais il n’en fut rien. Quand Yi arriva devant le Dijun, le dieu, fronçant les sourcils, lui dit avec colère : C’est vrai que tu as bien servi les hommes, mais n’attends pas de moi que je te remercie. Tu as tué mes fils, je ne peux penser à eux sans chagrin, et chaque fois que je te vois, cela me rappelle cruellement ceux que j’ai perdus : je ne peux supporter ta vue. Ta femme et toi, vous devez partir vivre sur la terre avec le peuple que vous avez si bien servi, et ne jamais revenir au ciel. » Yi protesta en vain, disant qu’il n’était pas responsable du manque de soumission des enfants du dieu soleil, qu’il n’avait fait qu’exécuter les ordres du dieu lui-même. Dijun resta inflexible. Yi n’eut pas le choix, et il dut descendre avec sa femme sur la terre. Pour comble de malheur, Chang’O réagit très mal à la nouvelle de leur exil, « Quai-je donc fait pour mériter cela ? se lamentait-elle. Moi une déesse de naissance, élevée dans le luxe du ciel, se peut-il que je sois blâmée pour les actes de mon mari ? » Et elle maudit le destin qui l’avait unie à un tel époux. Mais elle dut finalement obéir aux ordres du Dijun, et ce fut à contrecœur que les deux immortels rassemblèrent tout ce qu’ils possédaient, emportant leurs biens sur la terre. Yi trouva dans la montagne un endroit pour s’installer, et il put vivre de sa chasse grâce à son habileté d’archer. La vie était dure pour Yi. Il passait ses journées à errer dans les forêts à la recherche du gibier, et rentrait le sois, épuisé, pour retrouver une épouse de mauvaise humeur. Chang’O, refusait de s’adapter à cette nouvelle vie, dont elle rendait Yi responsable. « Si tu n’avais pas tué les soleils, nous serions encore dans le ciel, disait-elle. Maintenant, nous sommes bannis, condamnés à vivre sur la terre parmi les hommes, et, comme eux, nous mourrons. Vois ce que cela signifie Yi. Nous avons été des immortels, et nous devrons descendre aux enfers , dans les ténèbres, avec les esprits comme compagnie. » Yi ne pouvait qu’acquiescer, l’air sombre, se demandant ce qu’il pourrait bien faire. 11 Ce fut Chang’O qui suggéra une solution : « J’ai entendu dire qu’il existait un certain élixir de vie, une drogue si puissante qu’elle confère l’immortalité à quiconque en prend. On dit que vers l’Ouest, sur la montagne de , vit une déesse appelée la reine mère de l’Ouest, qui recueuille et conserve l’élixir. » Yi avait, lui aussi, entendu parler de cette déesse, et, comme il n’avait pas plus envie que Chang’O de vivre et de mourir comme un simple humain, il fut d’accord pour aller chercher son aide. Le nom de reine mère de l’Ouest peut laisser croire qu’il s’agissait d’une gentille vieille dame aux cheveux blancs, mais c’était en fait une déesse monstre. Elle avait un visage de femme, avec des dents de tigre, et ses longs cheveux ébouriffés retombaient lourdement sur son corps hideux qui se terminait en queue de léopards. Elle portait sur la tête une couronne de jade en forme de pousses de roseaux. Ses servantes étaient des oiseaux à trois têtes qui parcouraient les alentours en quête de nourriture ^pour la satisfaire. Elle ne quittait jamais son antre, mais elle avait le pouvoir d’envoyer des fléaux à l’humanité pour la punir de ses méfaits. Le mont Kunlun se situé à l’ouest de la chine, Au de-là des chaînes du Tibet. Il y avait aussi d’autres dieux qui vivaient là, comme la reine mère, et c’était une formidable forteresse contre les intrus. La montagne était entourée d’un fossé rempli d’une eau sur laquelle rien ne pouvait flotter―même la plume la plus légère coulait instantanément au fond. Après ces douves, il y avait un cercle de feu qui brûlait nuit et jour, dégageant une chaleur intense. Jamais aucun mortel n’avait passé ces deux barrages. Mais Yi, possédant encore quelques-uns de ses pouvoirs célestes, réussit à nager dans cette eau, à passer à travers les flammes, et il arriva enfin dans l’antre de la reine mère. A son grand soulagement, la déesse était d’un abord avenant ; après avoir entendu son histoire, elle lui donna une petite boite, et lui dit : « Voilà l’élixir de l’immortalité ; garde-le bien car il est extrêmement précieux. Il est extrait d’un pêcher magique, dont le fruit confère une vie infinie. Cet arbre fleurit tous les trois mille ans, et ne porte des fruits que tous les six mille ans. La récolte est 12 donc peu abondante, et tout ce que j’ai réussi à cueillir est dans cette petite boite. Il y en a assez pour vous donner à toi et à ta femme, la vie éternelle―mais vous vivrez toujours dans le monde des hommes. Il vous faudrait deux fois plus de drogue pour obtenir l’immortalité véritable et la divinité. Prenez-la et gardez-la soigneusement, c’est absolument sans prix. » Yi revint chez lui par le même chemin qu’à l’aller. Il donna l’élixir à sa femme, en lui répétant tout ce que la reine mère lui avait dit. « Dans quelques jours, dit-il, je préparerai un festin, et nous prendrons la drogue. Nous aurons alors la certitude de ne jamais mourir. » Se sentant bien plus heureux qu’il ne l’avait été pendant des mois , Yi partit à la chasse dès le lendemain, espérant trouver assez de gibier pour faire un bon festin. Cependant, à la maison, sa femme n’était toujours pas très heureuse. Elle était encore profondément contrariée d’avoir été envoyé sur la terre pour vivre comme une vulgaire mortelle, elle qui avait été une déesse. Il ne lui suffisait pas d’échapper à la mort, elle voulait redevenir une déesse, et retourner vivre parmi les dieux, dans le ciel, comme leur égale. Très honnêtement, Yi avait tout dit à Chang’O ; elle savait donc qu’il y avait assez de drogue pour qu’une seule personne devienne tout à fait immortelle. Elle décida de tout prendre : elle retira la boite de sa cachette, en avala le contenu d’un seul coup, puis elle s’assit en attendant que la drogue agisse. La drogue puissante fit immédiatement son effet. Chang’O sentit son corps flotter, glisser lentement dehors par la fenêtre, et elle s’éleva progressivement dans les airs. « Je ne devrais peut-être pas aller directement au ciel, se dit- elle, voyant la terre rapetisser sous elle, tous les dieux me connaissent, et ils vont certainement me blâmer d’avoir pris tout l’élixir pour moi toute seule, sans rien laisser à mon époux, même si tout ce qui est arrivé est de sa faute. » Elle regarda autour d’elle : il faisait nuit, c’était la pleine lune, et de nombreuses étoiles scintillaient dans le ciel. « J’ai 13 entendu dire que la lune était entièrement inhabitée, voilà un bon endroit pour vivre. » S’élevant lentement de plus en plus haut, elle arriva enfin sur la lune argentée, et froide. Comme elle s’y attendait, il n’y avait rien, excepté un canéficier et un lapin―formes que l’on peut encore deviner sur la face de la lune lorsqu’elle est pleine. Elle s’installa, toute seule. On ne sait pas si Chang’O retrouva le bonheur dans l’immortalité. Sa vie fut sans doute bien solitaire, là-haut sur la lune. Selon une des versions du mythe, la reine mère de l’Ouest fut tellement fâchée contre elle pour sa cupidité et son égoïsme quelle la changea en grenouille et la garda prisonnière sur la lune. Mais il est plus plaisant de penser qu’elle vécut là, dans la gloire solitaire, le regard constamment tourné vers la terre qu’elle avait choisie de quitter. Lorsque Yi rentra chez lui et s’aperçu que sa femme avait disparu, ainsi que l’élixir, il eut tôt fait de deviner ce qui s’était passé. Il perdit tout espoir de vie éternelle, et devint un homme amer et aigri. Il y avait alors, parmi les serviteurs de la maison de Yi, un certain Fengmeng. Fengmeng était un serviteur intelligent, et Yi avait pour lui un traitement de faveur : il l’emmenait avec lui à la chasse, et lui apprenait même à tirer de son arc. Fengmeng devint un très bon archer, mais malgré tous ses efforts, il n’arriva jamais à égaler son maître. Un jour qu’ils étaient sortis chasser ensemble, ils tirèrent tous deux sur un vol d’oies sauvages. Chacun lâcha trois flèches, qui atteignirent toutes leur but ; mais celles de Yi percèrent chacune l’œil d’un oiseau, alors que celles de Fengmeng ne touchèrent que diverses parties de leur corps. Les oiseaux se dispersèrent. Yi tira encore négligemment trois flèches, et trois oiseaux tombèrent encore du ciel, chacun d’eux touché à l’œil. Fengmeng sut alors qu’il ne pourrait jamais égaler Yi en habileté, et il se détourna, jaloux, pour ruminer sa défaite. Au fil des jours, Fengmeng devenait de plus en plus jaloux, et son respect envers son maître ne tarda pas à se transformer en haine. Yi, de son coté, devenait de plus en plus exigent, difficile à servir ; il était dur et d’humeur changeante. Fengmeng n’eut 14 aucun mal à trouver chez les autres serviteurs des complices pour comploter contre la vie de Yi. Par un beau jour de printemps, Yi était parti à la chasse, et les serviteurs tendirent une embuscade. Ils attendirent, juchés sur un arbre, au bord d’un étroit sentier où ils savaient qu’il passerait. Quand il arriva, ils le frappèrent à la tête avec un pieu en bois très dur et très pointu, et Yi le grand archer fut tué sur le coup. Bien que son esprit s’en soit allé rejoindre les esprits des humains aux enfers, on ne l’oublia pas. On lui rendit hommage à la fois pour ses actions passées et comme l’un des chefs du monde des esprits. Il fut en effet chargé de contrôler les mauvais esprits, afin qu’ils fassent le mois de mal possible à la race humaine qu’il avait tant contribué à sauver.

YÜ MAITRISE LE DÉLUGE

Yao fut le premier empereur humain à régner sur la chine. Ce fut le souverain le plus sage, le plus miséricordieux qui eu jamais existé. Il vivait très simplement, sans aucun luxe. Ce qu’il désirait avant tout était le bien-être de son peuple, mais ce fut un empereur très malheureux. C’est pendant son règne que survint la grande sécheresse, quand dix soleils brillaient en même temps dans le ciel. Puis, alors que la terre se remettait un peu, un déluge épouvantable la détruisit presque entièrement de nouveau. Le déluge eu lieu, parce que Tiandi, le dieu très Haut du Ciel, voyant, d’en haut, la mauvaise conduite des hommes, envoya le dieu de l’eau noyer leurs champs et leurs maisons, sans égard pour ceux qui étaient innocents et qui souffrirent. Il y eu de nombreux dieux pour plaindre l’humanité ; parmi eux, un cheval céleste blanc, du nom de Gun. Gun parut plus affecté que les autres ; ayant intercédé en vain auprès de Tiandi, il errait tristement dans le ciel. Puis, alors que la terre se remettait un peu, un déluge épouvantable la détruisit presque entièrement de nouveau. Le déluge eu lieu, parce que Tiandi, le Dieu très haut dans le Ciel, voyant, d’en haut, la mauvaise conduite des hommes, envoya le dieu de l’eau noyer leurs champs et leurs maisons, sans 15 égards pour ceux qui étaient innocents et qui souffrirent. Il y eu de nombreux dieux pour plaindre l’humanité ; parmi eux, un cheval céleste blanc, du nom de Gun. Gun parut plus affecté que les autres ; ayant intercédé en vain auprès de Tiandi, il errait tristement dans le ciel. Il rencontra un jour deux amis, un hibou et une tortue. Ces derniers, le voyant déprimé, lui demandèrent ce qu’il avait. « La terre en dessous de nous, est inondée, leur répondit Gun, et je ne peux rien faire pour la sauver.―Ce n’est pas si difficile que cela d’arrêter un déluge sur la terre ! répliqua le hibou. Il te faut une substance précieuse, que l’on appelle shirang. Cela ressemble à une motte de terre, mais en fait, c’est magique. Si tu peux t’en procurer, même une petite quantité, tu pourras endiguer n’importe quel déluge. Le shirang, va gonfler énormément dés qu’il sera en contact avec l’eau, et rien ne pourra passer au travers. Mais il est évidemment bien caché, et même bien gardé. » Gun se renseigna, et il ne tarda pas à découvrir la cachette de la terre magique. Il en déroba quelques poignées, et les transporta avec soin sur la terre ; en un rien de temps il avait construit un barrage impénétrable contre le flot du déluge. La joie et la reconnaissance des hommes suffirent à le récompenser de tous ses efforts, mais Tiandi, le Dieu Très Haut, n’était pas content du tout. Il était même furieux, et il envoya sur terre le dieu du feu pour tuer Gun, et enlever la terre magique. De nouveau le déluge recouvrit le pays. Mais comme Gun n’avait pas encore terminé sa tâche, son esprit ne mourut pas. Au lieu de cela , un fils grandit en lui pour achever la tâche de son père. Pendant trois années, les hommes surveillèrent le corps de Gun, jusqu’à ce que le fils qui s’appelait Yü, fût prêt à sortir. Une fois de plus, Tiandi le Dieu Très Haut se mit en colère et envoya un dieu détruire cette nouvelle menace contre ses plans. Le dieu frappa le corps de Gun d’un coup de sabre―mais au lieu de tuer l’enfant, il le fit sortir, et Yü fit ainsi son entrée dans le monde, sous la forme d’un puissant dragon. 16 L’apparence féroce du dragon et la volonté qui l’avait fait naître adoucirent le cœur de Tiandi qui consentit à ce qu’il arrêtât le déluge. La tâche de Yü n’était pas facile, car le dieu de l’eau, Gouggong, qui disposait de la terre, n’accepta pas de se retirer sans combat, et il ignora tous les ordres de Yü. Il y eu un combat dont Yü sortit vainqueur. Il distribua alors à chacun des morceaux de terre magique, pour construire un autre grand barrage, et contenir les eaux. Mais conscient que ce n’était pas la solution définitive, il fit creuser par les hommes un passage pour l’écoulement des eaux, afin quelles rejoignent la mer sans causer de dégâts. Reprenant son apparence de dragon, il traça un sillon avec sa queue et montra aux hommes comment le creuser pour en faire de profonds canaux. Le flot qui s’écoula par ces canaux jusqu’à la mer forma les grands fleuves de la chine. Yü avait alors trente ans, et il n’avait jamais prit de repos, ni pensé au mariage. Ne sachant comment choisir une femme, il attendait un signe. Celui-ci vint bientôt sous la forme d’un renard blanc à neuf queues. Le renard le conduisit à une jeune fille qui vivait sur une montagne voisine, le mont Tu, où l’on fit le contrat de mariage. Yü et sa femme commencèrent une vie heureuse ensemble. Mais la femme de Yü ne sut jamais que son mari était un dieu, et quelques mois plus tard, alors quelle attendait son premier enfant, son ignorance fut la cause d’un terrible accident. Yü était toujours occupé à des travaux de maîtrise des eaux, et il se transforma un jour en ours, pour creuser un tunnel devant servir à faire passer l’eau sous la colline. Sa femme, à la vue de cet ours, s’enfuit terrorisée. Il la poursuivit pour lui expliquer, mais elle courait de plus en plus vite ; finalement, épuisée elle tomba et fut changée en pierre. Horrifié, Yü se précipita vers la pierre, et il cria très fort :« donne moi mon fils ! » La pierre se fendit : ainsi naquit Chi, le fils de Yü. Yü, aidé de son fils, continua son œuvre de maîtrise des eaux et d’extermination des monstres qui étaient apparus à l’époque du déluge. Dans ses vieux jours, il fut élu empereur pour succéder à l’héritier de Yao, et il régna sagement sur le pays jusqu’à sa mort. 17

L’ENFANT ABANDONNÉ SUR LA GLACE

Durant le règne de Yao, la terre chinoise se remit progressivement de la sècheresse et des inondations successives, et les hommes commencèrent à vivre normalement. Ce fut à cette époque que naquit l’un des fondateurs du peuple chinois , Houji. La mère de Houji s’appelait Jiangyuan, mais personne ne savait qui était son père. Un jour que Juangyuan revenait chez elle par le chemin qui longeait la rivière, elle vit des traces de pas de géants qui l’effrayèrent et l’intriguèrent à la fois. Elle mit son petit pied dans la première empreinte, et elle suivit ces traces un moment, sautant de l’une à l’autre. Elle ne savait même pas qu’en marchant sur ces traces elle avait conçu un enfant, que le petit Houji était né. Comme Houji n’avait pas de père, la famille de sa mère, craignant le scandale, arracha l’enfant nouveau-né des bras de Jianggyuan, et le jeta sur un chemin emprunté régulièrement par les troupeaux de vaches et de moutons―espérant qu’il serait bientôt piétiné et tué. Or, non seulement les bêtes le contournait soigneusement, mais elles lui donnèrent leur lait à têter pour qu’il grandit. Lorsque la famille s’en aperçu, elle le reprit et l’abandonna dans une forêt profonde, sans plus de succès. Des bûcherons venus couper du bois trouvèrent l’enfant et le ramenèrent, pensant qu’il avait été perdu accidentellement. Finalement, en désespoir de cause, ils l’exposèrent sur un sol gelé par un hiver très froid ; mais les oiseaux descendirent du ciel et le couvrirent de leurs ailes pour lui tenir chaud. La famille avait maintenant la certitude que ce n’était pas un enfant ordinaire, alors elle le récupéra et le rendit à sa mère. Houji était un enfant extraordinaire. Déjà, très jeune, il apprit à ramasser et à trier les graines sauvages et les graines comestibles de chaque variété. Il les cueillit dans la campagne sauvage et les cultiva près de chez lui ; il les voulait hautes, et savoureuses, pour bien nourrir les gens. Il commença aussi à 18 fabriquer des outils agricoles rudimentaires, comme la houe. Ce fut par hasard que l’empereur entendit parler des activités de Houji ; il lui demanda de devenir ministre d’état, pour faire profiter tout le peuple chinois de ses connaissances sur les graines et sur l’agriculture. Même après sa mort , Houji continua à bonifier les cultures. La terre où il fut enterré devint exceptionnellement fertile, et les graines qu’il avait cultivées donnèrent des récoltes beaucoup plus importantes que n’importe où ailleurs en chine.

SHUN LE SAGE EMPEREUR

Tandis que Houji grandissait et jetait les bases de l’agriculture en chine, un autre garçon naquit ; il s’appelait Shun. Peu de temps après sa naissance, sa mère mourut, et son père, aveugle, se remaria. De ce second mariage naquirent un garçon nommé Shiang, et une fille nommée Shi. La famille de Shun n’était pas une famille heureuse. La cécité du père était aussi dans son cœur ; il chérissait sa seconde femme et leurs enfants, mais il ignorait complètement son fils aîné. La belle-mère de Shun, femme avare et cupide, le détestait, et elle faisait tout pour lui rendre la vie difficile. Son fils Shiang, dont le visage était défiguré par un nez gigantesque, agissait comme elle. La seule personne qui avait quelques égards pour luiétait sa demi- sœur Shi. Pour Shun, la vie devint de plus en plus insupportable chez son père, si bien qu’il s’enfuit. Si ses parents ne l’appréciaient guère, Shun produisit par contre un effet extraordinaire sur tous les autres gens qu’il rencontra : où qu’il fut, il était bien accueilli, et, sous son influence, les gens oubliaient leurs querelles et commençaient à mieux s’entendre. L’empereur Yao entendit bientôt parler de cet homme surprenant, et il le fit venir à la cour. Comme tous les autres il fut impressionné par Shun, à tel poin qu’il décida d’en faire un jour l’héritier du royaume. Pour faciliter l’héritage, il donna à Shun ses deux filles en mariage. 19 Quand les membres de la famille de Shun entendirent parler de sa bonne fortune, ils devinrent très jaloux, et le haïrent plus que jamais. Le plus jaloux de tous était son frère Shiang, car il convoitait ses jolies belles-sœurs. Ils complotèrent, son vieux père et lui, de tuer Shun. Shiang arriva un jour à la demeure de Shun, et il lui demanda de venir réparer la grange familiale. Shun accepta naturellement, ne soupçonnant rien. Les femmes de Shun furent moins confiantes, et, craignant pour sa sécurité, elles essayèrent de le convaincre de ne pas y aller. Ne parvenant pas à le persuader de la réalité du danger, elles lui donnèrent un manteau de couleur vive sur lequel était peint un grand oiseau. « Porte cela tout le temps que tu seras avec ta famille, lui dirent-elles. Ainsi, tu ne craindras aucun mal, quels que soient leurs desseins. » Shun grimpa sur une grande échelle pour inspecter le toit de la grange, et, juste au moment où il atteignait le faîte et allait crier à ceux d’en bas qu’il ne voyait rien d’anormal, Shiang enleva l’échelle, le laissant perché là-haut. A sa grande horreur, Shun vit que Shiang et son père avaient mit le feu à la grange : les flammes montaient vers lui, le bois sec craquait et flambait. « A l’aide, quelqu’un, » cria Shun. Mais les silhouettes qu’il apercevait en bas, toutes petites, le regardaient sans bouger. C’est alors que, soudain, le manteau de couleur s’ouvrit, donnant vie à l’oiseau qui agita ses ailes, et s’envola vers le ciel, emmenant Shun en lieu sûr. Quelques semaines plus tard, le méchant demi-frère de Shun fit une nouvelle tentative. Il se rendit à la cour, et, se confondant en amabilité et en excuses, il demanda de l’aide pour nettoyer le fond du puit. De nouveau, les femmes de Shun tentèrent de le persuader de ne pas y aller, et, de nouveau, quand il refusa de les écouter, elles lui donnèrent une étoffe sur laquelle était peint un dragon. « Porte ceci sous tes vêtements habituels, lui conseillèrent-elles, et ne montre le dessin qu’en cas de danger extrême. » Shun arriva chez son père, et la famille, qui l’examina de très près, ne remarqua rien dans ses vêtements. 20 « Cette fois nous réussirons », soufflèrent-ils. Le puit était profond, et Shiang descendit Shun attaché à une longue corde. Arrivé à la moitié, il y eut une brusque secousse de la corde, et Shun se sentit tomber de plus en plus vite, tandis que des pierres le frôlaient avec fracas. Son mauvais frère avait coupé la corde, et, pour être plus sûr que Shun n’en réchapperait pas, il lançait des pierres sur lui dans le puits. Shun évita les pierres, et, juste avant d’atteindre l’eau, il réussi à se débarrasser des vêtements qui cachaient le dragon. Immédiatement, Shun devint lui même un dragon, il glissa dans l’eau et nagea le long de la rivière souterraine qui alimentait le puit ; il se retrouva saint et sauf sur un autre sol. Shiang était toujours décidé à tuer Shun. Après avoir beaucoup réfléchi, il décida d’agir autrement. Il invita Shun à une fête familiale, avec intention de le saouler avec du vin préparé spécialement ; il pensait qu’une fois profondément endormi, il pourrai alors le tuer. Heureusement, Shi, la sœur de Shun, l’avertit du sombre projet, et il demanda une fois de plus l’aide de ses femmes. « Prend cette poudre, lui dirent-elles, fais-la dissoudre dans ton bain, avant d’aller à la fête, et lave-toi soigneusement. » La fête commença. La famille, faisant mine de le traiter avec grand respect, apportait les plats les uns après les autres et lui versait force rasades de vin. Mais malgré tout le vin qu’il but, il ne fut pas saoul ; et finalement il quitta la table en marchant, laissant tous les autres complètement ivres. L’empereur Yao fut très fier de son gendre, et il décida de lui donner le trône tout de suite ; il pourrait ainsi profiter plus librement de sa vieillesse. Il n’y avait plus qu’une épreuve à laquelle Shun devait se soumettre pour prouver qu’il en était digne. C’était une épreuve de courage. Yao envoya Shun dans une forêt profonde située dans la montagne. C’était un endroit sombre et sinistre, où éclataient souvent des orages ; des éclairs terrifiants déchiraient l’obscurité de la forêt, et des pluies torrentielles causaient des inondations et des avalanches imprévisibles. Des monstres étaient tapis derrière des tronc sombres, prêts à sauter sur toute créature vivante qui 21 oserait pénétrer dans leur domaine. Shun n’hésita pas, il avança dans la forêt, très calmement écartant les broussailles de ronces comme s’il s’était agi d’herbes, et ne prêtant aucune attention aux monstres terrifiants. Shun avait maintenant passé cette dernière épreuve avec succès,et comme prévu, il fut proclamé empereur. Le nouvel empereur n’oublia pas sa famille, qui l’avait pourtant si mal traité. Il donna une pension à son père, et lui pardonna, voyant qu’il regrettait sa méchanceté passée. Il pardonna aussi à son frère au long nez, mais il l’envoya gouverner une colonie loin dans le sud du royaume, où il ne serait plus hanté par la jalousie. Shun régna de longues années, et c’était un vieil homme lorsqu’il mourut, au cours d’un voyage dans le sud du royaume. Quand ses femmes apprirent la nouvelle de sa mort, elles partirent,en larmes, pour assister à ses funérailles. En arrivant dans le sud de la chine, elles traversèrent une épaisse forêt de bambous, et leurs larmes laissèrent des taches sombres sur les jeunes cannes de bambou. On peut voir encore aujourd’hui une espèce de bambou tacheté qui pousse dans le sud, portant les marques de leurs larmes. Les deux épouses n’arrivèrent jamais jusqu’à la tombe de leur mari. Lorsqu’elles arrivèrent au fleuve Shiang, elles tentèrent de le traverser dans une petite embarcation, mais une tempête se leva et elles furent noyées. Les dieux eurent pitié d’elles, et firent de leur esprit les déesses gardiennes du fleuve Shiang. Quelques mois après les funérailles de Shun, on vit un homme au teint basané en train de faire des sacrifices sur la tombe. C’était son frère Shiang, hâlé par le soleil tropical, presque méconnaissable, à part son énorme nez. Les gens qui le regardaient faire eurent la surprise de le voir se changer en éléphant, s’en aller pesamment labourer les champs voisins appartenant au cimetière. Les dieux avaient décidé qu’il devait expier la méchanceté dont il avait fait preuve envers Shun de son vivant, et, à cause de son grand nez, ils avaient choisi de le transformer en éléphant.

22 LE COUCOU

Dans l’ancien royaume de Shu, l’actuelle province de Sichuan, il y avait une fois un roi nommé Wang. Wang était à l’origine un dieu qui vivait au ciel. Il descendit sur la terre et y rencontra une femme, elle aussi immortelle, qui avait quitté sa maison, un puits profond, pour élire résidence à Shu. Les deux immortels se marièrent et régnèrent ensemble sur la région. Le roi Wang était un souverain bienveillant, qui s’intéressait au bien être de son peuple. Il lui apprit la meilleure façon de cultiver la terre, et l’observation des saisons. Le royaume devint prospère, mais il restait encore un problème auquel Wang ne trouvait pas de solution : chaque année, le grand fleuve Yangtze qui traversait le royaume inondait ses rives et détruisait de vastes zones de cultures. Wang, qui voulait pourtant tout faire pour son peuple, ne pouvait rien contre ces inondations. Ce fut alors qu’on trouva le cadavre d’un homme,flottant sur leYangtze. Il était évident que ce n’était pas un cadavre ordinaire, car, au lieu de flotter vers l’aval, il remontait le courant. Et, plus mystérieux encore, dés qu’il fut sorti du fleuve, le cadavre se remit à vivre. Lorsque l’étranger put parler distinctement, il dit qu’il était de Shu, à plusieurs miles en aval, qu’il avait glissé et était tombé dans le fleuve. Wang entendit bientôt parler de l’arrivée de l’étranger et fut tout de suite très curieux de le voir. Lors de leur rencontre, le roi fut très impressionné par la sagesse et le savoir de l’étranger, et surtout par sa connaissance des fleuves et de la maîtrise des eaux. Toujours soucieux de trouver une solution au problème des inondations,Wang prit l’étranger à sa cour et fit de lui un ministre important. Le nouveau ministre n’était pas à la cour depuis longtemps que le Yangtze fut de nouveau en crue. Il vit très vite la cause des dégâts. Dans cette partie du pays, le fleuve traversait une série de gorges trop étroites pour contenir le flot grossi par la fonte des neiges, au printemps. Les eaux débordaient rapidement le niveau des rives et se déversaient sur le plateau, de chaque côté. Le ministre montra aux gens comment percer des tunnels dans la 23 montagne, pour canaliser le trop plein du fleuve en crue ; c’est ainsi que la région de Shu fut sauvée. Wang prit la décision de céder son trône à cet homme qui savait maîtriser l’eau, et il quitta la cour pour s’en aller mener une vie paisible dans les montagnes de l’Ouest. Il n’y était pas arrivé depuis longtemps qu’il eut vent des rumeurs pernicieuses qui ternissaient son nom. Selon ces rumeurs, pendant que l’homme de Shu était occupé à organiser les travaux de maîtrise des eaux, Wang avait séduit sa femme. Quand le mari était revenu et les avait trouvés tous les deux ensemble, Wang, honteux, lui avait laissé le trône. Wang ne se remit jamais de ces calomnies, et il regretta profondément son acte de générosité. Il ne tarda pas à mourir, dans le malheur et le dénuement. Son esprit se changea en cet oiseau que l’on appelle le coucou. En chinois, son cri lugubre semble dire « J’aimerais revenir », et depuis, l’oiseau crie toujours le regret de Wang d’avoir laissé son peuple. Certains donnent une version différente de l’origine du coucou et de son cri. Selon eux Wang mourut de sa belle mort,heureux, parmi les siens. Mais son amour pour son, peuple était si grand que son esprit, sous l’apparence du coucou, retourna vers lui chaque année, au début de la saison des semailles. Son cri étrange était le signal qu’il fallait planter les graines, et c’était un rappel pour le respect des saisons dans les cultures.

L’OISEAU ET LA MER

Le dieu du soleil avait une fille qu’il chérissait plus que tous les autres enfants. Un jour, pour s’amuser, la petite fille sortit en bateau sur la mer orientale. Malheureusement une tempête se leva tandis qu’elle était au large, et des vagues hautes comme des montagnes submergèrent le bateau et la noyèrent. Le dieu du soleil eu beaucoup de chagrin pour sa fille préférée, mais même ses puissants rayons ne purent la ramener à la vie, et il s’enferma avec son chagrin. 24 La fillette morte accepta mal sa mort prématurée, et son âme devint un petit oiseau nommé Jingwei. Jingwei avait la tête grivelée, le bec blanc et les griffes rouges ; il détestait la mer car elle lui avait ôté la vie, et avait privé son père de son enfant. Tous les jours il prenait dans son bec un petit caillou ou une brindille et, ouvrant les ailes, s’envolait vers la mer orientale. Planant au-dessus des vagues il laissait tomber son fardeau dabs l’eau ; il espérait ainsi remplir un jour la mer de ces cailloux et de ces brindilles. Pendant longtemps la mer ne remarqua pas le petit oiseau. Mais un jour elle se moqua ouvertement de lui, montrant ses dents blanches d’écume, et lui dit sarcastique : « Petit oiseau, minuscule oiseau, arrête donc tes efforts. Tu n’arriveras jamais à ce que tu veux, pas même dans un million d’années. Comment peux-tu espérer remplir la mer avec des cailloux et des brindilles ? » L’oiseau battit des ailes et cria : « Et si je laissais tomber des cailloux et des brindilles pendant un million d’années, et un million de fois un million d’années, jusqu’à la fin du monde ? Je ne m’arrêterai jamais, et j’arriverai un jour à te remplir ―Pourquoi me hais-tu autant ? ―Parce que tu m’as ôté ma jeune vie, et celle d’innombrables autres qui sont morts par ta cruauté. ―Si, si, j’y parviendrai, disait le cri lugubre de l’oiseau qui planait au-dessus de la mer, un jour j’y parviendrai. » Le petit oiseau revint vers la terre, juste pour reprendre, jour après jour, et laisser tomber dans les vagues, ses cailloux et ses brindilles. Et il continue encore aujourd’hui.

LE MONDE CHINOIS

La terre des chinois est grande à peu près comme l’Europe ; ses climats et ses paysages sont au moins aussi variés. Au Nord s’étendent les plaines arides du fleuve jaune, où les hivers sont glacés et secs, et les étés chauds et humides ; à environ deux jours de voyage par chemin de fer, vers le sud, le climat est tropical. De 25 hautes montagnes s’étendent à l’Ouest où elles s’élèvent jusqu’au plateau du Tibet ; dans le reste de la chine, le relief est généralement peu élevé, sauf dans le sud est, où de hautes terres séparent les provinces côtières du sud, comme celles de Fukien et de Canton, du reste du pays. Les deux plus grands fleuves de Chine prennent leur source dans les hautes terres de l’Ouest, et coulent vers l’est, irriguant les grandes plaines de la Chine, pour se déverser dans la mer jaune et la mer de Chine oriantale. Les traces les plus anciennes de la culture chinoise ont été trouvées dans la partie nord de la chine actuelle, principalement dans le bassin du fleuve jaune, délimité au nord de la plaine, et au sud par le fleuve Yangtze. Ce fut la terre de notre première mythologie, le foyer des premiers hommes créés par les dieux. La longue histoire de la chine est aussi ancienne que celle des Grecs ; elle a suivi un développement parallèle en bien des points. Cette histoire a commencé aux environ du XIIème siècle av J.C. vers le Ivème siècle avant J.C, les Chinois tout comme les grecs, étaient déjà hautement civilisés. Mais à la différence des grecs, dont le territoire a très vite été conquis par d’autres peuples, et dont la civilisation a cessé de se développer selon sac ligne propre, la civilisation chinoise s’est continuée selon une tradition ininterrompue jusqu’à aujourd’hui. Bien sûr la chine fut envahie et conquise à plusieurs reprises, mais toujours par des peuples dont la culture était moins développée que celle des Chinois. Ces cultures finirent donc par être absorbées elles-mêmes par la culture chinoise dans la plupart des cas. Jusqu’aux temps modernes, le seul peuple du même degré de civilisation que les Chinois, avec lequel ils aient eu des contacts, a été celui de l’Inde. Les deux civilisations se sont rencontrées de manière pacifique, à travers des liaisons culturelles et commerciales ; mais la rencontre a eu une grande répercution sur la Chine, en particulier parce qu’elle a apporté une nouvelle religion―le bouddhisme. Avant l’arrivée du bouddhisme, la religion chinoise était semblable à celle des Grec anciens, avec plusieurs dieux différents, représentant divers aspects de la nature, et des croyances qui étaient des tentatives d’explication des mystères de 26 l’univers en thermes humains. Les hommes instruits, bien que conscients de l’existence possible d’un pouvoir surnaturel supérieur, n’étaient pas religieux et n’adoraient pas de divinités. Ils appliquaient dans leur vie un code moral basé sur des principes humains. L’école de pensée la plus importante, qui a dominé la Chine durant des millénaires, a été le confucianisme. Cette doctrine tient son nom du fondateur de l’école, maître Kong ou Kongfuzi (en alphabet romain, Confucius). Le confucianisme s’intéressait surtout aux rapports humains, et enseignait un ordre social pratique qui permettait aux hommes de vivre en harmonie les uns avec les autres. Une autre forme de pensée est venue contrebalancer cette perspective ― le taoïsme. Le mot tao signifie « la voie » , et le taoïsme est une quête mystique des lois qui gouvernent nos vies, en tenant compte des autres formes de vie que celle des êtres humains. Ces deux principaux systèmes de pensée étaient déjà établis lorsque le bouddhisme est arrivé en Chine. A son plus haut niveau, le bouddhisme était, lui aussi, une religion intellectuelle, mais il a apporté ses propres dieux, ses esprits et ses superstitions, qui furent avidement adoptés par les Chinois et intégrés à leurs croyances. Le bouddhisme a aussi influencé le taoïsme originel, qui s’est alors compliqué de pratiques religieuses. Comme la prêtrise et le monachisme. En Chine, les religions étaient un mélange de différentes croyances, parce qu’elles s’étaient développées à partir de sources diverses. Elles différaient complètement d’une religion comme le christianisme qui, bien qu’ayant absorbé certains éléments d’autres religions et d’autres cultes, a maintenu ses croyances fondamentales sous une forme très pure. Le Dieu chrétien s’élève au-dessus de tout rival, alors que les divinités chinoises rivalisent et se bousculent dans le ciel comme sur la terre. Le résultat en est souvent un beau mélange d’éléments bouddhistes et taoïste. Les quatre premières parties de ce livre traitent des premiers mythes de la Chine, des mythes développés par un peuple simple et robuste, pour expliquer les choses qu’il ne comprenait dans le monde qui l’entourait. Viennent ensuite les contes du folklore et 27 les légendes religieuses de la civilisation ultérieure. Il n’y a pas entre elles de différences bien définies, bien que les légendes les plus récentes proviennent d’une société plus complexe et techniquement plus avancée. Toutes ces légendes sont maintenant anciennes, et certaines d’entre elles remonte vraiment loin, entre le VIIIème et le Vème siècle avant J-C. Nombre d’entre elles sont arrivées jusqu’à nous par la tradition orale, et il peut exister plusieurs versions différentes de chacune d’elle. Cela arrive souvent lorsque des légendes sont dites plutôt qu’écrites. Chaque fois qu’un nouveau conteur passe, certains détails changent, mais l’essentiel reste. Les contes sont presque tous familiers aux Chinois contemporains, qui les ont aimés et racontés mainte et mainte fois à leurs enfants. On a cessé de croire aux dieux comme pouvoir surnaturel, mais bien des pratiques religieuses ont survécues, en tant que coutumes folkloriques hautes en couleurs ; ainsi la fête du Bateau-Dragon qui, comme Noël en Occident, est un jour férié, bienvenu dans la routine quotidienne. Les Chinois divise leur histoire en remontant dans les dynasties, chaque dynastie représentant la période pendant laquelle les empereurs d’une même famille ont régné. La dernière dynastie impériale avant l’ère républicaine était celle de Ching, elle a duré du XVII siècle à 1911. La dynastie Tang, fréquemment mentionnée dans ces légendes, a duré du VIIème au Xème siècle ; ce fut l’une des périodes les plus prospères et les plus vivantes de l’histoire de la chine. Bien que la langue chinoise ai changé radicalement à travers les âges, les caractères chinois, c’est à dire le chinois écrit, sont restés les mêmes depuis le IIIème siècle avant J-C. environ, lorsque le premier empereur de Chine, le premier despote chinois puissant, est supposé avoir standardisé l’écriture. Nous ne savons pas comment les anciens Chinois prononçaient les caractères, mais actuellement, dans la prononciation chinoise courante (dite aussi prononciation mandarine)chaque caractère se prononce comme une seule syllabe, avec des mots composés d’une ou de deux syllabes. Les noms chinois ont presque tous une syllabe, 28 comme Zhang ou Li. Les prénoms comportent souvent deux syllabes. Dans ce livre, à part les noms chinois bien connus comme Pékin et taoïsme, les noms propres sont orthographiés selon un système inventé par les Chinois, et utilisé internationalement, connu sous le nom chinois de pinyin.

LES DIEUX ET L’AUBE DES TEMPS

A L’aube des temps, l’univers n’était qu’un sombre chaos, une masse noire de néant. Le ciel et la terre ne faisaient qu’un, le jour et la nuit aussi. Le soleil, la lune et les étoiles n’avaient pas leur aspect définitif. Il est presque impossible à l’esprit humain d’imaginer que rien n’existe, et de se représenter ce temps et ce lieu inimaginables ; certains l’on vu comme un gros œuf. C’est dans cette masse sombre à l’apparence d’œuf qu’est née la première créature de l’univers ; son nom est Pangu. Pangu grandit dans l’obscurité qui enveloppait tout et dormi d’un sommeil qui dura plusieurs millier d’années. Lorsque enfin il s’éveilla, il était devenu un géant et, s’avisant qu’il vivait dans le chaos, il décida d’y mettre de l’ordre. Il prit dans ses mains une lourde hache (encore que nous ne sachions pas comment il se la procura) et d’un coup puissant il fit éclater l’œuf. Les éléments les plus légers de cet œuf brisé s’élevèrent et se mirent à flotter dans les airs, devenant le ciel ; les éléments les plus lourds tombèrent, et devinrent la terre. Comme les éléments ne s’étaient séparé que sous l’effet du choc, Pangu craignit de les voir se rassembler à nouveau par la suite ; aussi, de ses mains il repoussa le ciel très haut, tandis que, de ses pieds, il maintenait fermement la terre pour la gardée bien détachée du ciel. Sa force était telle quelle éloigna le ciel d’un zhang ( environ dix pieds ) par jour. Comme le ciel s’éloignait de plus en plus, Pandi grandit de plus en plus, jusqu’à devenir une sorte de pilier soutenant le firmament. Il resta ainsi pendant une éternité, jusqu’à ce que le ciel et la terre, une fois stabilisés, ne risquent plus en se rapprochant de reformer le sombre chaos dont ils étaient issus. 29 Ayant achevé cette tâche, Pangu pensa qu’il pouvait alors s’étendre pour se reposer. Cependant, plusieurs milliers d ‘années s’étaient écoulées depuis le moment ou il avait pris corps dans cet œuf informe, et il était maintenant si vieux de corps et d’esprit qu’il sombra dans un sommeil de plus en plus profond, et glissa doucement vers la mort. Mais Pangu ne retourna pas dans l’obscurité d’où il venait. Lorsqu’il mourut, son corps se transforma, créant le monde tel que nous le connaissons : son souffle devint vent et nuages, sa voix devint tonnerre, son œil gauche devint le soleil et son œil droit la lune. Son corps et ses membres devinrent des chaînes de montagnes et son sang des rivières. Chaque partie de son anatomie devint une partie de la nature. Les poils de son corps devinrent les arbres et les fleurs, les parasites vivants sur sa peau devinrent les animaux et les poissons, et ses os formèrent les différentes pierres précieuses et les minéraux. Même sa sueur devint rosée. Ainsi, le grand géant Pangu, le premier être de l’univers, créa le monde que nous connaissons, faisant don de tout ce qui lui appartenait à la terre et à ceux qui viendraient bientôt l’habiter. Comme le ciel et la terre, ces différents éléments restèrent séparés ; mais on dit aussi que les hautes montagnes formées par le corps de Pangu jouaient le rôle de piliers, supportant l’arche bleue des cieux. Quoique l’univers eu alors prit forme et fut complet, avec le soleil, la lune, et les montagnes formées par le corps de Pangu jouaient le rôle de pilier, supportant l’arche bleue des cieux. Quoique l’univers eût alors prit forme et fut complet, avec le soleil, la lune, et les montagnes, les rivières, les plantes et les animaux, Il n’y avait toujours pas d’êtres humains. En ces temps reculés, la terre était habitée par des dieux, des géants et autres créatures monstrueuses. Le dieu le plus important était une déesse mère appelée Nüwa, créatrice d’ordre. Le haut de son corps avait une apparence humaine, avec un visage humain et des bras humains, mais le bas était un dragon. Elle avait aussi le pouvoir de se transformer et de prendre des apparences diverses. Nüwa voyageait de part le monde. Elle le trouvait riche et beau, mais elle songeait qu’il était bien triste et désolé, car il y 30 manquait des êtres humains ; et Nüwa souhaitait la compagnie d’êtres qui pourraient aimer, sentir et penser comme elle. Un jour, elle arriva au grand Fleuve Jaune. Elle tira du lit de la rivière des poignées de boue et en fit des petites figurines ; elle modela la tête et les bras à l’image des siens, mais au lieu d’une queue de dragon, elle donna des jambes aux figurines, pour leur permettre de se tenir debout et de marcher. Elle y mit un grand soin et fut satisfaite du résultat. Elle leur insuffla la vie, et fut ravie de les voir sauter et danser autour d’elle, poussant des cris joyeux et l’appelant mère. Au début, Nüwa fit les figurines une par une, à la main, mais après en avoir fait un grand nombre lentement et soigneusement, elle décida d’utiliser ses pouvoirs surnaturels pour achever plus rapidement sa tâche. Elle trempait une canne de jonc dans la boue de la rivière, et quand elle la ressortait et la secouait sur la terre sèche, de petites gouttes de boue s’en détachaient et se changeaient instantanément en hommes et femmes. On a dit par la suite que ceux qu’elle avait confectionnés de ses propres mains étaient les gens heureux et bien nantis de ce monde, tandis que ceux qui avaient été faits avec la canne de jonc étaient les pauvres et les moins heureux. Finalement, ayant créé assez d’hommes et de femmes, Nüwa institua le mariage, pour assurer, sans son intervention, la procréation des humains et la perpétuation de la race. Nüwa avait un compagnon, représenté sur les peintures anciennes avec la même apparence, la tête et le haut du corps d’un homme, mais les membres inférieurs d’un dragon. Son nom était Fushi, et il fut lui aussi un grand bienfaiteur de la race humaine. Le plus grand nom qu’il fit à l’humanité fut le feu. Les humains avaient vu le feu jaillir des cieux sous la forme de l’éclair, mais ce fut Fushi qui leur apprit à l’utiliser pour leur propre usage, et leur montra comment l’obtenir en frottant deux morceaux de bois sec l’un contre l’autre. Grâce au feu, les humains pouvaient faire cuire leur nourriture, ils n’étaient plus obligés de la manger crue, ce qui était indigeste. Ils pouvaient chasser aussi de façon plus efficace, car toutes les bêtes sauvages avaient peur des flammes– et seul l’homme pouvait les maîtriser. Certaines légendes 31 racontent que Fushi était le fils ou le frère du dieu du tonnerre, raison pour laquelle il avait pu faire le don du feu aux hommes. Fushi apprit aussi aux hommes à faire des cordes et des filets pour attraper du poisson, mais il ne s’intéressait pas qu’aux choses pratique ; il se préoccupait aussi des besoins spirituels des hommes. Il leur enseigna la musique, l’art mystique de la divination et la prédiction du futur. Il fut le premier à dessiner les huit hexagrammes, symboles écrits composés de lignes droites et brisées représentant huit entités élémentaires de ce monde. Chaque hexagramme se composait de trois segments. Les lignes s’assemblaient différemment selon qu’elle représentait le ciel, la terre, l’eau, le feu, la montagne, le tonnerre, le vent et la rivière. Les symboles, utilisés en combinaison, avaient signification d’oracle, que l’on interprétait ensuite à l’aide d’un manuel de divination appelé Viging ou : Livre des changements. Ce livre ancien est encore consulté de nos jours. La divination était très importante en ces temps primitifs. On y avait recours pour prédire l’issue des guerres, pour prévoir les probabilités de paix et les affaires d’état, et, avant l’introduction de la médecine moderne, l’évolution d’une maladie. Les noms de Fushi et de Nüwa sont souvent liés dans les écrits anciens, comme ceux des bienfaiteurs de l’humanité. D’aucuns ont dit qu’ils étaient frères et sœur ou encore mari et femme. Certaines versions de la légende leur donnent des rôles différents dans la création de la race humaine. Selon celle-ci il y a bien longtemps, le monde fut la proie d’un immense déluge. Les seuls survivants furent un jeune garçon et une jeune fille nommés Fushi et Nüwa, qui se réfugièrent sur une grande calebasse. Lorsque le déluge s’arrêta enfin, Fushi et Nüwa étaient mariés, et la race humaine se perpétua avec leurs enfants. Quoi qu’il en soit, des différents mythes de Fushi et de Nüwa une certitude subsiste : considérés comme les premiers créateurs de l’humanité, ils furent nos maîtres. Nüwa ayant créé les êtres humains et Fushi leur ayant enseigné les techniques dont ils avaient besoin pour mener une existence civilisée, les humains purent vivre dans un certain confort et une certaine sécurité. C’est alors qu’un jour, de manière tout à fait inattendue, Gouggong, le 32 dieu de l’eau, et Zhurong, le dieu du feu, commencèrent soudain à se battre. Personne ne sait pourquoi la lutte commença, mais elle devint rapidement féroce et, débordant les limites du ciel, elle s’étendit au monde des hommes. Après plusieurs jours de lutte acharnée, le dieu du feu fut vainqueur. Le dieu de l’eau, Zurong, fut très humilié, au point qu’il n’osa plus revoir ses amis dieux et décida de se suicider. La méthode qu’il choisit eut des résultats pour le monde des hommes, car il choisit de se tuer en envoyant rouler sa tête contre l’une des montagnes qui jouait le rôle de pilier soutenant l’univers. Il ne se fit en fait que peu de mal (après tout, il était un dieu), mais il endommagea gravement la montagne contre laquelle il s’était jeté. Le grand pic rocheux et glacé s’écroula, écrasant un coin du monde, tandis qu’au même moment les cieux soutenus par la montagne tombaient, laissant un grand trou dans l’arche bleue du ciel. D’énormes crevasses s’ouvrirent à la surface de la terre éventrée, certaines dégageant de grandes flammes, et d’autres des flots bouillonnant issus des profondeurs inconnues, inondant des régions entières et formant ainsi une mer. Des milliers de gens furent noyés, des milliers d’autres regardèrent désespérément les grandes flammes lécher et brûler leurs maisons et leurs cultures. Nüwa , la créatrice, celle qui avait apporté l’ordre, ne pouvait ni tolérer le spectacle de cette terrible dévastation, ni regarder ses enfants devenir des fugitifs. Assis vite quelle le puit, elle se mit à réparer le mal. Dans les lits du Fleuve Jaune et du Yangtze elle choisit soigneusement plusieurs correspondant aux cinq couleurs primaires. Elle les mélangea dans une forge céleste et s’en servit pour réparer le ciel afin qu’il redevînt une belle arche régulière et ronde. Pour s’assurer que les cieux ne s’écrouleraient plus jamais, elle prit une des tortues géantes immortelles, lui coupa les quatre pattes et les plaça comme piliers supplémentaires, aux quatre points cardinaux. Elle brûla les roseaux qui bordaient la rivière, et, avec les cendres elle combla les grandes crevasses qui s’étaient ouvertes dans la terre, et fit refluer les eaux du déluge. 33 Selon certaines sources, pour faire oublier aux gens leur terrible épreuve, elle fabriqua un instrument avec les roseaux. Elle lia ensembles des roseaux de treize longueurs différentes formant comme la Queue d’un oiseau, pour faire une sorte de flûte de Pan. Lorsque l’on soufflait dedans, les tuyaux rendaient un son clair musical. Il restait cependant quelques problèmes, que même Nüwa ne put résoudre. Quand le pilier montagne s’était effondré, il avait atterri sur le coin Nord-Est de la terre, dont le niveau s’affaissa par rapport au reste. C’est pourquoi tous les fleuves et rivières de la Chine coulent vers l’est, se déversant dans le grand océan qui s’est formé dans l’affaissement oriental de la terre. Si vous regardez une carte de la Chine, vous verrez que jusqu’à ce jour tous les fleuves principaux coulent toujours dans cette même direction. LES ÎLES DU BONHEUR

Lorsque les premiers hommes découvrirent que les fleuves et les rivières de Chine se déversaient tous dans la grande mer à l’Est, ils commencèrent à craindre quelle ne se rempli un jour et quelle ne débordât. Si cela devait arriver, ce la cause d’un nouveau désastre pour l’humanité. Mais il ne fallait pas s’alarmer ; Loin, à l’Est des mers, personne ne sait où exactement, il y avait un immense golfe. Ce golfe paraissait d’une profondeur illimitée et tellement large qu’il était impossible à remplir. Toutes les eaux de la mer s’y déversaient, mais, même au printemps, quand toutes les rivières de Chine charriaient des eux torrentielles jusqu’à la mer, le golfe n’était jamais plein. La surface de l’eau, à l’intérieur du golfe, formait un second niveau ; au milieu de cette surface surgirent un jour cinq grandes îles, chacune d’elles surmontée d’une montagne. C’était les îles du paradis, peuplées de dieux et d’immortels qui vivaient dans des palais d’or aux colonnes de jade blanc. Les oiseaux qui vivaient alentour avaient un plumage très blanc et très brillant, ou très coloré. Les arbres sur lesquels ils se perchaient portaient de 34 véritables perles, aussi bien que des fruits comestibles au parfum délicieux qui conféraient l’immortalité à quiconque en mangeait. Les habitants de ces îles vivaient une vie heureuse et sans souci. Le seul point qui les préoccupait parfois était ceci : aussi merveilleuses que fussent les îles, elles avaient l’inconvénient d’être des îles flottantes ; elles n’étaient pas rattachées au fond de la mer, et pouvaient se déplacer partout dans ce grand golfe si profond, se fixant de temps en temps ou échangeant leurs places ; elles étaient généralement assez instables. Lassés de cette existence errante, les immortels allèrent trouver le Dieu Très Haut dans les cieux, Tiandi ( dont le nom signifie empereur du ciel), et lui demandèrent de stabiliser les îles pour leur sécurité. Le dieu comprit leur problème et, bien qu’il fût impossible de fixer les îles dans un golfe sans fond, il trouva un moyen de les aider. Il choisit cinq tortues de mer géantes pour porter les cinq îles sur leur dos. Les tortues se mouvaient très lentement, et très sûrement, faisant en sorte de ne pas renverser les immortels. Tout le monde fut satisfait du nouvel arrangement, et la vie continua ainsi, sans incident.

Ce fut alors qu’arriva un terrible désastre. Un géant à l’intelligence bornée décida d’aller pêcher. Il s’assit sur un gros rocher au bord du rivage et lança sa ligne loin par-dessus les vagues au-delà de la courbe que dessine la rencontre du ciel avec la mer. Lorsqu’il tira sur sa ligne, elle pesait lourd, et quand le bout apparut à l’horizon il vit deux énormes tortues qui se débattaient dans l’eau ; les îles quelles transportaient sur leur dos «étaient presque submergées. Tout content de sa prise, le géant sortit les tortues de la mer sans précaution, et les emporta chez lui pour en faire un copieux repas.

Les habitants des deux îles noyées furent évidemment très choqués quand ils virent leur monde se renverser littéralement, et que leurs maisons furent détruites. Ils se dirigèrent alors vers le ciel pour se plaindre amèrement auprès du Dieu très Haut, Tiandi. Celui-ci les écouta avec sympathie. 35

« Vous êtes dans une situation tout à fait impossible, dit-il enfin, car cela peut tout aussi bien se reproduire, avec des géants de cette taille dans le monde. La seule chose à faire pour que vous soyez en sécurité est d’obtenir des géants plus petits. Je peux alors vous assurer que vos îles resteront sûres, comme les trois autres ».

A partir de ce moment-là les géants devinrent considérablement plus petits, et cessèrent d’être une menace pour les habitants des îles. Ainsi que Ttiandi l’avait promis, les autres îles demeurèrent en toute sécurté sur le dos des tortues, stables et sûres. Leurs noms sont Penglai,Fanghu et Yingzhou ; depuis ces temps anciens, il arrive que l’on parle d’elles comme étant le refuge d’immortels, et autres hommes et femmes hors du commun, qui y aurait trouvé la paix, loin des remous de ce monde.

KUAFU A LA POURSUITE DU SOLEIL

L’un des géants de l’aube des temps était un homme nommé . Kuafu était un être énorme et impressionnant, mais comme beaucoup de géants, il n’était pas très intelligent. Il aimait regarder le soleil se lever à l’est tous les matins, et le voir tomber derrière l’horizon à l’ouest tous les soirs. Il se disait : « Je hais l’obscurité. Où peut donc disparaître le soleil à l’ouest ? Où se cache-t-il jusqu’au matin suivant ? Si je pouvais fixer le soleil dans mon ciel, je ne serais plus obligé de vivre dans l’obscurité. » Il resta un moment ainsi, à réfléchir, puis : Je sais, je vais poursuivre le soleil et m’en emparer, ainsi j’aurai sa lumière nuit et jour. » Kuafu commença sa poursuite du soleil dans les plaines du nord de la Chine. Comme c’était un géant, il avait de très grandes jambes et il parcourut en un jour deux mille milles. Le soir venu, il se trouvait en vue de l’endroit où le soleil se couchait. Se réjouissant à l’avance de sa réussite, il tendit les mains vers la boule de feu resplendissante. Il ressentit alors tout à coup une soif 36 terrible, comme cela ne lui était jamais arrivé, une soif impossible à ignorer. Elle semblait s’emparer de son corps tout entier et le brûler complètement. Il se dirigea vers la rivière la plus proche et l’assécha d’une seule gorgée. Cela ne lui fit pas plus d’effet qu’une goutte d’eau pour étancher sa soif. Il courrut à une autre rivière, puis à une autre, et encore une autre, sans que jamais cela suffît. De ses grands pas de géants, il refit en sens inverse le chemin qu’il avait fait dans sa poursuite, buvant jusqu’à assécher toutes les sources, tous les torrents et toutes les rivières qu’il rencontrait, asséchant même les eaux du Fleuve Jaune et du Yangtzé ; il avait toujours soif. Son seul espoir était d’atteindre la mer, où il trouverait sûrement enfin assez d’eau pour se désaltérer. Mais avant qu’il n’ait atteint le rivage, il tomba d’épuisement, et, tandis que les derniers rayons du soir l’atteignaient, étendu de tout son long sur le sol, il poussa un long soupir. Rassemblant toutes ses forces, il jeta son bâton vers le soleil dans un dernier geste de colère, puis il ferma les yeux et s’endormit. Le lendemain matin, lorsque les rayons blancs du soleil matinal réapparurent à l’est, et qu’ils effleurèrent le visage du géant endormi, ce n’était plus un géant : il était devenu une grosse chaîne de montagnes. A l’ouest des montagnes, il y avait un bosquet d’arbres, en forme de long bâton ; bien que les arbres n’eussent pas existés la veille,ils avaient un beau feuillage vert et leurs branches portaient des fruits splendides, rosés et savoureux. Ces arbres provenaient du bâton en bois de pêcher que Kuafu avait jeté au soleil, et ils portaient les fruits les plus succulents jamais connus ; des pêches qui pourraient toujours redonner vie à un homme, étancher sa soif la plus violente, et lui donner la force de continuer. On dit que le corps du géant est devenu la grande chaîne de montagne de la province de Shaanxi, appelée aujourd’hui le mont Chiu. A l’extrémité occidentale de la chaîne s’étend une région qui est encore appelée de nos jours le Bosquet de Pêche.

37 LE GÉANT SANS TÊTE

Il y avait une fois un géant qui n’avait pas de nom – mais de grandes ambitions : il voulait se battre contre Tiandi, le Dieu Très Haut, et lui voler son trône. Il grimpa droit au ciel, un bouclier rond au bras gauche et une hache dans la main droite, puis, poussant son cri de bataille, il provoca le Dieu Très Haut en combat singulier. « Qui donc ose me provoquer ? » grogna Tiandi en colère, et, s’emparent de son sabre, il courut au devant du géant. Le combat dura des jours, les coups pleuvaient, ils se faisaient tournoyer en ‘air, et ils ne s’arrêtaient ni pour manger ni pour prendre du repos. Ils étaient constamment en mouvement, leurs pieds se déplaçant à la recherche d’une meilleure position, et se faisant, ils se rapprochaient imperceptiblement du monde des hommes. Ils se retrouvèrent ainsi le long d’une grande chaîne de montagnes de la Chine occidentale, près d’une montagne appelée Changyang. Ce fut là, que Tiandi, brandissant son sabre, asséna

un coup puissant au géant, lui tranchant la tête et la faisant rouler de ses épaules jusqu’en bas de la colline, comme un gros galet. Le bruit de la tête dégringolant de la montagne résonnait comme le tonnerre, et on en entendit l’écho à travers toutes les vallées et les forêts.

Aussi étonnant que cela paraisse, le grand corps du géant ne tomba pas. Il resta debout une bonne minute, étourdi par le choc, puis, comme pris de panique, il changea sa hache de main, et se pencha vers le sol à la recherche de sa tête. Tous les sommets de la montagne voisine tremblèrent lorsque sa main de géant les balaya, faisant tomber des rochers et déclanchant des glissements de terrain vers les vallées en contrebas. Des arbres furent fracassés, un nuage de morceaux de bois mélangé à des pierres et à de la poussière s’éleva dans les airs, masquant la lumière du soleil. 38

Tiandi le Dieu Très Haut observa de loin, craignant que le géant ne retrouvât sa tête, ne la remît sur ses épaules et ne reprît le combat. Alors, promptement, d’un coup de sabre, il fendit la montagne, du côté où la tête avait fini par s’arrêter. La grosse tête roula dans le gouffre béant et la montagne se referma dans un bruit sourd. Tiandi retourna au ciel en riant triomphalement ; il laissa le géant debout sur le flanc de la montagne, écoutant l’écho du roulement des rochers, et tournant son corps sans tête d’un coté et de l’autre, essayant de comprendre ce qui s’était passé. Mais le géant sans nom n’était pas vaincu. Comme il se tenait là, debout, de nouveaux yeux apparurent sur sa poitrine et son nombril devint une nouvelle bouche. Dansant une danse de guerre qui fit trembler les montagnes, et agitant sa hache, il hurla son défi vers les cieux : « Sors rencontrer ton adversaire, Dieu Très Haut du Ciel ! » D’après ce que l’on sait, il est encore là-bas de nos jours.

L’EMPEREUR JAUNE

Au temps jadis, l’Empereur jaune était un dieu important. Ce fut un personnage très puissant ; il eut de nombreux enfants, dont certains étaient des dieux, et certains des homes. Il s’intéressa beaucoup à la race humaine ; on le considéra souvent comme un empereur terrestre, le premier qui régna sur la chine. Il protégea les hommes et les aida à mener une vie paisible et stable. L’un de ses plus grands bienfaits fut sa victoire sur un monstre nommé . Chiyou était un dieu inférieur. Il fut d’abord coursier de l’empereur jaune, c’était lui qui préparait la route lorsqu’il partait en voyage. Mais Chiyou était très ambitieux, et il fit le projet de renverser l’empereur et de lui prendre son trône. Il rassembla quatre-vingt dieux mineurs, mécontents du règne de l’Empereur Jaune. Ces dieux avaient un aspect terrifiant : ils avaient des têtes de fer et des visages de cuivre, avec quatre yeux, six mains et des pieds fourchus. Ils se nourrissaient de pierres et de métal, et ils étaient doués d’une 39 habileté particulière pour fabriquer des armes de fer de toute sorte – des lances pointues, des javelots des haches et des arcs très puissants. Lorsque Chiyou eut entraîné ces dieux-démons dans le ciel, il descendit sur la terre. Il alla trouver la tribu barbare du Miao, au sud de la Chine, suscitant révolte et mécontentement contre l’Empereur Jaune. Pendant ce temps, l’Empereur Jaune vivait tranquillement dans son palais, au ciel, ignorant les intrigues et les complots qui se tramaient autour de lui. La brusque attaque de Chiyou, avec sa redoutable armée de démons au visage de cuivre, fut donc une véritable surprise. L’Empereur Jaune essaya d’abord de discuter avec Chiyou, mais ce dernier était trop obsédé par l’ambition et refusa de l’écouter. La bataille s’engagea vraiment. Le cliquetis des sabres et des armures qui s’entrechoquaient rompit le calme, et les cris de guerre emplirent l’air. Chiyou était décidé à gagner par tous les moyens ; au plus fort de la bataille, il utilisa ses pouvoirs magiques pour envelopper l’armée de l’Empereur Jaune d’un épais brouillard. L’empereur tenta de rassembler ses hommes, et de sortir du nuage qui les encerclait, mais en vain. Quels que fussent leurs efforts, ils se retrouvaient toujours en train de marcher en rond, tandis que le sinistre brouillard tournoyait autour d’eux. Alors que tout semblait désespéré, l’un des ministres de l’Empereur Jaune, combattant à ses côtés sur le char royal, eut soudain une idée : Si seulement nous pouvions voir les étoiles à travers ce nuage, nous pourrions trouver facilement notre chemin. Alors, qui sait ? Si nous avions un point de repère, comme l’étoile polaire… Quelque chose qui nous guiderait pour sortir du brouillard… » Le ministre se mit immédiatement à chercher ; en quelques minutes, grâce à ses pouvoirs magiques, il avait inventé et mis au point la première boussole. Avec ce nouvel instrument merveilleux l’Empereur et son armée n’eurent pas de mal à trouver leur chemin pour sortir du brouillard, et la bataille reprit de plus belle. 40 C’est alors que l’Empereur Jaune fit appel à un autre de ses guerriers, , un dieu qui pouvait faire tomber la pluie à la demande. « Fais moi venir une tempête qui emportera ce rebelle hors du ciel », ordonna-t-il. Mais une fois de plus Chiyou fut plus habile que lui. Avant que Yinglong n’ai pu mettre en œuvre ses pouvoirs magiques, Chiyou fit tomber une pluie diluvienne qui mit toute l’armée de l’Empereur Jaune en déroute. Celui-ci ne se démonta pas pour autant. Il appela une de ses filles, une déesse qui avait toujours très chaud ; dès quelle arriva, la chaleur de son corps brûlant sécha la pluie, ne laissant que de petites flaques fumantes qui s’évaporèrent rapidement. L’armée était sauvée, mais la fille de l’Empereur Jaune avait presque épuisé ses pouvoirs, et elle ne pouvait plus rester au ciel. Sur la terre personne n’en voulait plus non plus, car partout où elle allait, elle asséchait les rivières, les puits et les champs, et les gens la chassaient de village en village. Elle était comme bannie, on avait peur d’elle et on la haïssait. Yinglong, le faiseur de pluie, fut lui aussi chassé du ciel, car il avait été vaincu par une force supérieure, il était donc discrédité. Lui aussi resta sur la terre, où il devint roi, dans le Sud. Aujourd’hui encore, le sud de la Chine est fréquemment humide, à cause des pluies qu’il provoque. L’Empereur Jaune paraissait gagner la guerre, mais son armée était presque à bout de force, et son moral était au plus bas. Chiyou restait une menace, et l’Empereur savait qu’il devait trouver un moyen de rendre courage à ses soldats. Ayant longuement réfléchi, il décida qu’il lui fallait un tambour de guerre plus fort et plus puissant qu’aucun autre : un tambour qui donnerait véritablement du cœur à son armée et remplirait de crainte ses ennemis. Dans la mer orientale vivait un monstre appelé Kuei, une créature étrange ressemblant à un bœuf, avec un seul pied qui flottait sur la mer ; compagnon des tempêtes il ouvrait une immense gueule pour cracher ses éclairs, et il grondait comme le tonnerre. « C’est Kuei qui sera mon tambour », dit l’Empereur Jaune, et il envoya ses guerriers les plus forts capturer et tuer le monstre. 41 On fabriqua un énorme tambour avec sa peau, mais lorsque les hommes tapaient dessus avec leurs mains, le son n’était pas encore assez fort, et l’Empereur Jaune ne fut pas satisfait. Il pensa alors au dieu du tonnerre. Il n’hésita pas longtemps et ordonna que l’on tuât le dieu du tonnerre, que l’on prît son fémur pour le donner au tambour-major. L’énorme tambour gronda enfin, les forces de l’Empereur Jaune marchèrent au combat et les démons au visage de cuivre furent mis en déroute. La guerre était finie dans le ciel, mais sur la terre, les tribus Miao étaient toujours en rébellion. Il ne fallut pas longtemps à l’empereur Jaune pour rétablir son pouvoir sur elles, capturer en même temps Chiyou et l’enchaîner, pieds et poings liés. Mais Chiyou refusait toujours de se rendre, et l’Empereur Jaune n’eut d’autre recours que de le faire exécuter. Chiyou se débattit si furieusement que les menottes furent tachées du sang de ses mains ; après son exécution, l’Empereur les jeta au loin. Elles se changèrent en pommiers, et chaque année, lorsque les feuilles devenaient rouges et brillantes, on disait que c’était la couleur du sang et de la colère de Chiyou.

QUAND LES DIEUX ET LES HOMMES SE MÉLANGEAIENT

Dans l’ancien royaume de Shu, dont le nom actuel est Sichuan, il y avait une fois un souverain nommé Li Bing. Le cours supérieur du Yangtze traversait Shu ; le dieu de cette partie du fleuve était cruel, et il inondait souvent la région. Chaque année, le dieu du fleuve exigeait du peuple de Shu qu’il lui donnât deux jeunes filles. Le peuple avait peur, car il savait que s’il n’obtenait pas les jeunes filles, le dieu du fleuve inonderait la région. Aussi, chaque année, on tirait au sort pour décider quelle serait la famille qui fournirait les jeunes filles et les trésors pour leur dot. Les deux jeunes filles étaient alors installées sur un petit radeau, puis remorquées jusqu’au milieu du fleuve, où on les laissait couler. Les jeunes filles se noyaient et le trésor coulait au 42 fond, mais les gens n’osaient pas agir autrement, malgré leur chagrin. Lorsque Li Bing devint souverain de Shu, il était décidé à mettre fin à la tyrannie du dieu du fleuve. « Cette année, c’est moi qui donnerais le tribut au dieu du fleuve, dit Bing à son peuple. C’est moi qui prendrais les jeunes filles dans ma propre famille, et les trésors dans ma propre bourse. » Quand vint le moment, Li Bing fit habiller deux de ses filles de vêtements brillants, et fit garnir les autels de sacrifice dressés sur la rive de mets, de vin et d’encens. Les musiciens reçurent l’ordre de jouer, et, et devant l’image du dieu fleuve, Li Bing versa une coupe de vin. Il posa la coupe pleine sur l’autel, en disant : « Je sus heureux d’être celui qui offre le sacrifice cette année, et je suis sûr que mon seigneur m’honorera en buvant une coupe de vin. »Li Bing but lui-même une coupe, mais la coupe du dieu resta intacte. « Tu m’insulte ! cria Li Bing en colère. Comment ose-tu refuser mon vin ! Je n’aurai de répit quie cette insulte ne soit vengée ! » A ces mots il tira un sabre étincelant et disparut rapidement. La musique s’arrêta, les gens restaient là, effrayés abasourdis, Ils virent tout à coup le fleuve se gonfler, agité par une houle, et il en sortit progressivement un énorme bœuf gris luttant avec un serpent de mer géant. Toujours en de battant, ils replongèrent sous les vagues. C’est alors que Li Bing sortit de l’eau, haletant, baigné de sueur. « J’ai besoin de votre aide, dit-il à la foule qui se tenait sur la rive. Le dieu du fleuve m’a presque battu, mais maintenant qu’il s’est arrêté pour se reposer, il me faut rassembler toutes mes forces. » Choisissant un grand nombre des meilleurs archers de son peuple, il les arma d’arcs et de flèches solides, et leur dit ; « Tout à l’heure je me suis changé en bœuf pour combattre le dieu du fleuve, tandis que lui devenait serpent. Maintenant je suis certain qu’il va se changer lui aussi en bœuf. Vous devrez alors lui tirer dessus ; mais pour que vous puissiez nous distinguer l’un de l’autre, je vais m’attacher ce ruban de soie blanche autour du corps. » Li Bing replongea alors dans le fleuve. 43 Le vent se leva, l’eau s’agita, et l’on vit apparaître deux énormes bœufs qui se battaient à mort entrechoquant leurs cornes et se donnant de grands coups de sabots. L’un des bœufs avait un ruban blanc autour corps, et les archers, ajustant bien leur tir, tuèrent l’autre bœuf. Le bœuf se souleva et s’agita dans l’eau ; le sang coulait à flots des multiples blessures de flèches, colorant le fleuve en rouge. Tandis que le bœuf luttait contre la mort, il reprit soudain l’apparence d’un serpent de mer géant, et flotta ainsi sur les vagues teintées de rouge à demi mort. Li Bing sauta sain et sauf sur la rive du fleuve, à la grande joie de son peuple soulagé. Mais il craignait encore que le dieu du fleuve n’en réchappât, et, pour s’assurer que cela n’arriverait jamais, il fit capturer le serpent de mer qui fut attaché avec de lourdes chaînes. Après cela, le peuple de Shu creusa de grands tunnels et emménagea de grandes pièces d’eau sous les montagnes, pour permettre au flot de s’écouler, et de rester en réserve. Ce fut là qu’ils mirent le serpent de mer enchaîné. Au cours des siècles suivants, ces lacs souterrains furent connus sous le nom de « lacs du Serpent enchaîné ». Le peuple de Shu ne fuit plus jamais contraint de donner ses filles au dieu du fleuve.

PANHU LE CHIEN MERVEILLEUX

Il y avait une fois à la cour d’un petit royaume chinois, une reine qui avait des oreilles extraordinairement longues. Soudain, un jour, elle eut très mal à ses oreilles, et, pour son grand malheur, cela dura trois années entières. Toutes sortes de médecins essayèrent toutes sortes de remèdes, mais aucun ne fut efficace. Puis un jour, un petit ver doré s’échappa de l’une des oreilles de la reine, et la douleur s’arrêta aussitôt. Ce petit ver intrigua la reine, et elle décida de le garder et de le nourrir elle-même. Elle le mit dans un pot qu’elle couvrit d’une assiette. Lorsqu’elle regarda plus tard dans le récipient, elle découvrit que le ver s’était transformé en un petit chien doté d’un très beau poil. Comme il avait prit naissance dans un pot recouvert d’une assiette, la reine appela le chien « pot-assiette », 44 en chinois Panhu. Le chien grandit rapidement, si bien que, dressé sur ses pattes de derrière, il était plus grand qu’un homme. Il devint un grand favori du roi, qui le gardait toujours à ses côtés. A cette époque, le roi était en guerre avec un royaume voisin, et la bataille n’était pas à son avantage. En fait, les soldats ennemis avaient assiégé le palais royal. Le roi réunit ses conseillés, et leur dit : « Si quelqu’un m’apporte la tête de mon ennemi, je serai heureux de lui donner la main de ma fille, la princesse. » Les conseillés se regardèrent tous, mais ils connaissaient la grande puissance de l’ennemi du roi, et aucun d’entre eux ne s’offrit pour relever le défi. Ce jour-là, Panhu le chien disparu, et personne au palais ne put le retrouver. Ils ignoraient qu’il était parti au royaume voisin et qu’il se trouvait en présence du roi ennemi. Ce dernier, voyant dans l’apparition du chien un bon présage, dit à ses courtisans : «Le siège sera bientôt terminé – même le chien favori de mon ennemi à déserté » Fort de cela, il donna l’ordre de préparer une grande fête pour célébrer sa victoire imminente. Pendant la fête le vin coula à flot, et le roi, ses courtisans et même et même ses gardes ne tardèrent pas à sombrer dans un profond sommeil. Voyant cela, Panhu bondit et, d’un coup de dents, trancha la tête du roi. Quand les gardes se réveillèrent, ils furent horrifiés à la vue du corps sans tête de leur roi, et dans la peur et la confusion, ils ordonnèrent la fin du siège. Lorsque Panhu revint au palais avec la tête du roi ennemi, tout le monde se réjouit et l’entoura. Mais lui, dédaignant les excellentes viandes qu’on lui présentait, se mit à bouder dans un coin. Le roi se souvint de sa promesse, et il vint voir Panhu. « Tu ne veux pas prendre part à la fête, et redevenir mon favori ? Demanda-t-il. Il est évident que tu ne peux songer à ce que je te laisse épouser la princesse. Après tout, tu n’es qu’un chien, et il ne peut y avoir de mariage entre un animal et une femme. » A la surprise de tous le chien ouvrit la gueule et répondit au roi dans sa propre langue : « Si c’est cela qui t’ennuie, s’il te plaît fait ce que je te demande. Mets-moi sous une cloche d’or, et ne permet à personne 45 de me regarder pendant sept jours et sept nuits. Et je deviendrai un homme. » Le roi fit ce que Panhu lui avait demandé ; Pendant cinq jours, personne n’approcha ou ne toucha la cloche ; mais, le sixième jour, la princesse, craignant que Panhu ne mourût de faim, alla regarder furtivement sous la cloche. Elle vit que Panhu était presque devenu un homme : il avait une apparence entièrement humaine sauf la tête. Mais alors, comme elle avait soulevé la cloche d’or et rompu le charme, Panhu ne pouvait plus changer sa tête de chien en une tête d’homme. La princesse se coiffa d’un chapeau de fourrure pour se donner l’apparence d’un chien, et elle épousa Panhu. Après la noce, ils quittèrent le palais pour s’en aller mener une vie simple. Panhu subvint à leurs besoins en chassant, et sa femme ne se plaignit pas d’avoir à travailler durement. Ils eurent de nombreux fils et une fille ; leurs enfants fondèrent eux- mêmes des familles, constituant un grand clan dont tous les membres pouvaient se réclamer de Panhu comme ancêtre.

LA JEUNE FILLE GRUE.

En ces temps anciens, quand les dieux et les hommes se mélangèrent, les filles des dieux descendaient sur la terre, et il y eu des jeunes filles célestes qui épousèrent des hommes mortels. Il y avait une fois un paysan nommé Kunlun qui était célibataire. Il y avait près de sa maison un étang très clair, à l’eau profonde et pure comme le jade vert, à l’hombre de beaux arbres. Un jour qu’il passait par là, Tian vit trois belles jeunes femmes en train de se baigner dans l’étang. Sa curiosité en fut excitée, et il se glissa près de l’étang pour mieux voir. A ce moment là, les trois jeunes femmes se transformèrent en grues blanches et sortirent de l’eau en rasant la surface. Deux d’entre elles prirent leur tas de vêtements posés sur le bord de l’étang et s’envolèrent vers le ciel. Mis la troisième grue ne fut pas aussi rapide, et Tian se saisi avant elle de ses vêtements. La grue blanche voltigea autour de lui, puis 46 elle retourna à l’étang, où elle reprit l’apparence d’une belle jeune femme. Elle pria Tian de lui rendre ses vêtements. « Je te donnerais tes vêtements si tu me dit qui tu es, dit Tian. –Je suis une des filles du Dieu très haut, répondit la jeune fille. Mon père nous a donné ces vêtements pour que nous puissions aller et venir librement dans le ciel et sur la terre. Nous étions juste en train de nous baigner dans l’étang, et nous ne t’avions pas vu. Mes sœurs sont retournées au ciel, et je ne peux les suivre sans mes vêtements. Alors, s’il te plait, rend-les moi. Si tu le fais, je deviendrai volontiers ta femme. » A ces mots, Tian fut ravi, mais il pensa que, s’il lui rendait ses vêtements, elle pourrait s’envoler comme ses sœurs, et disparaître à jamais. « Je ne désire rien de plus au monde que de t’avoir pour femme, dit-il à la jeune fille. Je vais te donner mes vêtements, pour que tu puisses sortir de l’eau et rentrer à la maison avec moi. Je ne peux te donner tes vêtements, car tu pourrais t’envoler et m’abandonner . » La jeune fille n’était pas satisfaite, mais elle compris qu’il n’y avait pas d’autres issues, aussi accepta-t-elle. Tian alla jusqu’à la maison de sa mère, avec la jeune fille. La mère fut ravie d’avoir une si belle bru, et elle prépara immédiatement une fête, invitant tous leurs amis et voisins à se joindre à la cérémonie. Après la noce, Tian et sa femme vécurent heureux ensemble, et , peu de temps après, ils eurent un fils nommé Tian Zhang. Quelques années après la naissance de son fils, Tian fut appelé à la guerre, très loin de chez lui. Avant de partir, il prit sa mère à part, et lui montra les vêtements célestes de sa femme, qu’il avait caché. Il lui dit de veiller à ce que sa femme ne les trouvât pas, car elle pourrait alors les revêtir et s’envoler vers le ciel. Ils fabriquèrent ensemble une cachette dans les boîtes de sa mère, et Tian s’en alla. Lorsqu’il fut parti, la femme grue demanda tous les jours à sa belle-mère si elle savait où se trouvaient ses vêtements célestes, la suppliant de les lui laisser entrevoir. « Si tu me permets de les voir juste un instant, je serai heureuse », disait-elle. 47 Entendant ces mot, la vieille femme eu pitié de sa belle fille, et elle alla chercher les vêtements célestes dans leur cachette. La jeune fille grue pleura en les voyant, et elle les prit dans ses bras. Avant que la vieille femme n’ait pu l’en empêcher, elle les avait revêtus, et en l’espace d’un instant, s’était envolée par la fenêtre. La vieille femme se précipita, mais sa belle-fille n’était déjà plus qu’un petit point loin dans le ciel. Lorsque Tian revint, il pleura avec sa mère, mais ils ne pouvaient plus rien pour faire revenir la jeune fille grue. Le petit garçon, Zhang, demandait sa mère et il la cherchait dans les champs, pleurant et appelant. Un sage vieillard entendit ses cris ; il connaissait la cause de ses larmes, et il savait aussi que la mère n’avait pas oublié son fils. « Va jusqu’à l’étang près de la maison, dit-il à Zhang, et attend que viennent trois belles femmes habillées de suie blanche. Deux d’entre elles te regarderont curieusement, mais la troisième fera comme si elle ne te voyait pas. Celle là sera ta mère. » Zhang fit ce que lui avait dit le vieillard, il alla se poster près de l’étang. Pendant ce temps, au ciel, la jeune fille grue était très malheureuse. Elle avait pensé quelle serait heureuse de retrouver sa famille céleste, mais tout lui rappelait son petit garçon qu’elle avait laissé sur la terre, et elle pleurait toute la journée. Ses sœurs se moquaient d’elle, de sa bêtise, mais, en même temps, elles étaient désolées pour elle, et lui promirent d’aller toutes ensembles sur la terre vérifier que son fils allait bien. Lorsque les trois sœurs arrivèrent à l’étang où elles s’étaient baigné une fois, Zhang était déjà là entrain d’attendre, comme lui avait conseillé le sage vieillard. Il vit les trois femmes en blanc, et il alla droit vers elles. Deux d’entre elles lui sourirent, et dirent : « Sœur, sœur, voilà ton fils. » Mais la troisième baissa les yeux et fit comme si elle ne le voyait pas. Zhang couru alors vers elle, en l’appelant « Mère, mère ! » Elle ne put s’empêcher de le prendre dans ses bras en pleurant de joie. Ils s’étreignirent longtemps, jusqu’au moment où l’une des deux sœurs dit : « Maintenant, il faut repartir ; si vous ne voulez pas être séparés, il vaut mieux que nous emmenions ton fils avec nous au ciel. » 48 Elles mirent le petit garçon entre elles, et s’envolèrent avec lui jusqu’à la demeure du Dieu Très Haut. Celui-ci fut ravi de son petit-fils, il le prit sous sa protection, lui donna des livres et lui transmit tout son savoir. L’enfant apprit rapidement, et, au bout de quatre ou cinq jours, le Dieu Très Haut lui donna huit livres à emporter sur la terre, en lui disant : « C’est le moment pour toi de partir. Prend ces livres et étudie-les bien, tu en tireras grand bénéfice. » Zhang quitta sa mère, et s’en retourna sur la terre avec les livres de son grand-père. Bien qu’il ne fût resté au ciel que quatre ou cinq jours, il avait été absent de la terre pendant environ vingt ans. Sa grand-mère était morte, et il ne retrouva pas son père, mais son tout nouveau savoir lui permit d’être indépendant, et il obtint un poste élevé à la cour impériale. Chaque fois que l’empereur lui demandait son avis, Zhang consultait ses livres .célestes, et ce qu’il disait se révélait toujours vrai. C’est ainsi qu’il devint célèbre.

LE JEUNE PÂTRE ET LA TISSEUSE

Quand le monde neuf, au temps des premiers hommes, les cultures étaient rares, et il n’y avait jamais de quoi nourrir tout le monde. Alors, le Dieu Très Haut envoya l’étoile bœuf sur la terre en messager, pour dire aux hommes de ne prendre qu’un repas tous les trois jours, en complément avec un casse-croûte de temps en temps. Malheureusement, le bœuf qui n’était pas très intelligent, dit aux hommes de prendre trois repas par jour, plus un casse-croûte. Lorsque le Dieu Très Haut s’aperçut que le bœuf avait mal transmit son message, et que de ce fait il y aurait encore mois de nourriture à répartir, il fut très en colère. « Comme tu as donné aux hommes un fau conseils, dit-il au bœuf, tu vas descendre sur la terre pour rétablir les choses. Tu deviendras le serviteur des hommes, tu les aideras à laboure le sol et à cultiver suffisamment pour subvenir à leurs trois repas par jour, plus le casse-croûte ! » Tristement, le bœuf descendit donc sur la terre, et c’est depuis ce jour qu’ils furent, lui et ses descendants, les 49 serviteurs des hommes. On ne sait pas si l’étoile-bœuf du rester lui même sur la terre, mais ce fut certainement par son intermédiaire que le jeune pâtre rencontra la tisseuse, une autre jeune fille céleste. Le pâtre était un jeune homme apprécié de tous pour son travail et son honnêteté. Lorsque ses parents moururent, ses deux frères aînés décidèrent de diviser la propriété, et de partir chacun de son coté. Comme ils étaient plus âgés et plus rusés, les deux frères obtinrent les meilleures terres et les meilleurs animaux, ne laissant au jeune pâtre qu’un vieux bœuf et le lopin de terre le plus aride. Il conduisit le bœuf sur sa terre, se construisit un abri rudimentaire, et ils travaillèrent tous deux très dur, menant une vie modeste. Comme c’était un jeune homme honnête et travailleur, jamais il ne se révolta, ni n’essaya de voler quelqu’un. Un soir, «épuisé par ses travaux dans les champs, il s’assit à coté du bœuf ; il se sentait bien seul et bien triste. En effet, grâce à son dur labeur, il avait pu se faire une vie acceptable, mais il n’avait personne d’autre que le bœuf avec qui la partager. C’est alors que le bœuf parla soudain : « s’il te plaît, ne soit pas triste, maître, je peux t’aider. » Le jeune pâtre fut très étonné d’entendre parler le bœuf. « J’ai été envoyé ici pour travailler dur, en punition. Mais comme tu a été un très bon maître pour moi, je voudrais t’aider à trouver une femme qui te rendra heureux. Non loin d’ici, il y a un étang d’eau claire, entouré d’arbres et de plantes. Vas-y demain, et attend que les jeunes filles célestes viennent s’y baigner. Pendant qu’elles se baigneront, prend les affaires de l’une d’entre elles ; elle ne pourra plus s’envoler vers le ciel. Elle sera alors ta femme. » Le jeune pâtre fit ce que le bœuf lui avait dit, il attendit près de l’étang d’eau claire. Bientôt il vit arriver du ciel une nuée de belles jeunes filles célestes ; elles enlevèrent leurs vêtements brillants comme du plumage, et les laissèrent sur la rive pour entrer dans l’eau. Le jeune pâtre attendit, puis, tandis qu’elles sortaient de l’eau, il bondit de sa cachette et se saisit de l’un des tas de vêtements. Les jeunes filles effrayées se saisirent vite des leurs avant de s’envoler vers le ciel. Il ne restait plus qu’une jeune fille ; le jeune pâtre s’approcha jusqu’au bord de l’eau, et lui 50 demanda doucement de devenir sa femme. Sa douceur la décida et elle accepta. Le pâtre ôta ses vêtements de dessus, pour en envelopper la jeune fille, et il l’emmena chez lui. Lorsque la jeune fille céleste et le jeune pâtre furent mariés, elle lui dit qu’elle était la tisseuse du ciel. Elle était en fait la déesse du tissage, et son habileté pour toutes sortes de tissus leur fut d’un grand secours. Très vite, le revenu de son tissage leur donna une vie confortable et aisée. Ils étaient très heureux ensembles, et la tisseuse donna le jour à un fils et une fille. Mais les dieux regrettaient la perte de leur déesse et du tissage, et ils se préoccupaient de la faire revenir au ciel. Lorsque son grand-père, le Dieu Très Haut, découvrit qu’elle vivait avec le jeune pâtre, il pensa qu’elle était trop bien pour lui, et il envoya ses gardes sur la terre pour la ramener de force au ciel. Le mari et les enfants de la tisseuse restèrent impuissants face aux gardes, et ils assistèrent en larme à sa disparition dans le ciel. Soudain, ils entendirent un beuglement en provenance de l’étable : « Jeune pâtre, disait le bœuf, je vais encore te donner une preuve de ma gentillesse. Je vais mourir ici avant de retourner au ciel. Dés que je serai mort, prend ma peau et enroule toi dedans. Tu retrouveras alors ta femme. » Quand il eu fini de parler, le bœuf se laissa tomber mort. Le jeune pâtre était triste de perdre son ami et conseillé, mais il fit ce que le bœuf lui avait dit. Il s’enveloppa de la peau du bœuf, mit un bâton en travers de ses épaules, avec un panier à chaque extrémité. Puis il mit son fils dans un panier, sa fille dans l’autre, et comme la petite fille était plus petite que son frère, il ajouta une cuiller à pot dans son panier pour équilibrer. Ensuite, il prit son bâton, quitta sa maison, et s’aperçut qu’il s’envolait vers le ciel, comme sa femme. Peu après, il put distinguer la silhouette d’une tisseuse dans le lointain. Le Dieu Très Haut fut très content de voir revenir la tisseuse, mais il fût horrifié quand il vit que son mari suivait de près. Il étendit alors le bras pour tracer une ligne en travers du ciel. Cette ligne devint la voie lactée, et forma une large rivière que le jeune pâtre ne put franchir. Il se tenait arrêté devant, la regardant désespérément, quand la petite fille dit : « Père, nous pouvons 51 vider l’eau de la rivière avec notre cuiller. Cela nous permettra de traverser. » le jeune pâtre se mit immédiatement à la tâche, et les enfants l’aidèrent en enlevant l’eau avec leurs mains. Mais, malgré tous leurs efforts, ils n’arrivèrent pas à vider la rivière. Lorsque les dieux virent que le jeune pâtre et ses enfants ne renonçaient pas, ils furent profondément émus. Le Dieu Très Haut décida que le jeune pâtre pourrait venir voir sa femme une fois par an. Il décréta que le septième jour du septième mois de chaque année, toutes les pies de la terre voleraient jusqu’au ciel pour former un pont au-dessus de l’eau, et faire traverser le jeune pâtre. Lorsque la tisseuse rencontrait son mari, elle était si heureuse que parfois elle versait des larmes de joie, ce qui faisait tomber cette nuit-là une pluie fine sur la terre. Alors, toutes les mères de la terre disaient à leurs enfants : « Pauvre petite tisseuse elle pleure encore. » Cela faisait si longtemps que le pâtre et la tisseuse étaient au ciel, qu’ils finirent par devenir des étoiles. Quand on regarde le ciel, on peut voir une étoile très brillante, d’un coté de la voie lactée, dans la constellation de Vespa : c’est la tisseuse. De l’autre coté, on voit une autre étoile plus brillante (Aquila) avec deux petites étoiles à côté : c’est le pâtre et ses deux enfants. Il y a trois autres étoiles près de la tisseuse, et l’on dit quelles représentent le bâton de berger que le pâtre à jeté à sa femme. Près du pâtre, il y a quatre autres petites étoiles : on dit que c’est la navette que la tisseuse a jetée à son mari. On dit aussi que pendant les longues journées et les longues nuits où ils sont séparés, le couple accroche des messages au bâton et à la navette, qu’ils se lancent par-dessus la rivière. En regardant ces étoiles séparées par la voie lactée, tous les amants séparés se rappellent le pâtre et la tisseuse, et cet exemple de fidélité leur redonne courage.

52 LE VER A SOIE

Il y avait une fois un homme qui vivait avec sa femme et sa fille. Il fut appelé très loin aux confins de la Chine, pour servir dans l’armée. L’homme fut très malheureux de quitter sa famille, mais sa femme et sa fille essayèrent de continuer à vivre normalement. Elles se sentaient cependant bien seules, en l’absence du père ; la jeune fille se consola en s’occupant du cheval de la famille. Elle le pansait et lui donnait à manger tous les jours, veillant à ce qu’il ne manquât de rien. Un jour alors qu’elle était dans l’étable avec le cheval, elle pensa tout haut ; « Si seulement tu pouvais galoper jusqu’à la frontière et ramener mon père de la guerre…Celui qui y parviendra, je serai heureuse de l’épouser et de le servir. Même si c’est toi. » A ces mots, le cheval hennit,se cabra, et rompit la corde qui l’attachait. Avant que la jeune fille n’ait pu faire quoi que ce fût, le cheval avait traversé la cour au galop, et il était déjà loin. Il arriva à la frontière de la Chine et, au bout de quelques jours, il réussit à trouver le père. L’homme très étonné de voir le cheval, pensa qu’il lui apportait peut-être un message de sa famille. Mais ne trouvant rien, il craignit que quelque chose fût arrivé pendant son absence. Le cheval semblait l’inviter à monter, alors il l’enfourcha, puis, évitant soigneusement les sentinelles, il se lança au galop en direction de chez lui. Sa femme et sa fille se réjouirent fort de le revoir ; mais il fut intrigué de ne rien trouver d’anormal, à part qu’il leur manquait beaucoup de choses. Il pensa finalement que le cheval avait eu assez de perspicacité pour se rendre compte de la grande tristesse de sa maîtresse. Pour le remercier, il lui donna le meilleur foin et la meilleure avoine, et fit tout son possible pour le rendre heureux. Mais le cheval refusait de manger,il restait dans un coin de l’étable, l’air très malheureux. Il ne s’animait que lorsque la fille de la maison approchait, il hennissait alors, se cabrait et devenait presque incontrôlable. La jeune fille évitait l’étable autant que possible, et elle prenait un air coupable en présence du cheval. 53 Son père qui voyait tout cela, en était très intrigué. Un jour, il prit sa fille à part, et lui demanda si elle pouvait expliquer l’étrange comportement du cheval. Elle commença par dire qu’elle n’y comprenait rien ; puis elle finit par admettre quelle avait promit d’épouser le cheval s’il ramenait son père de la guerre. A ces mots, son père se mit en colère et lui parla durement : « Il était aberrant de ta part d’en avoir simplement eu l’idée ! Désormais, je t’interdis de sortir de la maison ! » Bien que l’homme aima beaucoup son cheval, il pensait qu’il ne pouvait pas lui permettre d’épouser sa fille. Mais le comportement du cheval resta étrange, même quand la fille ne sortit plus du tout. L’homme fini par ne plus le supporter, il prit un arc et une flèche, se dirigea vers l’étable et tua le cheval. Pensant avoir résolu un problème difficile, il retira la peau du cheval, la mit au soleil dans la cour, et n’y pensa plus. Sa fille fut soulagée d’apprendre que le cheval était mort, et elle se précipita joyeusement dans la cour. Comme elle passait près de la peau du cheval, un brusque coup de vent la souleva, et la déposa sur les épaules de la jeune fille. C’était un tourbillon, qui emporta la jeune fille loin dans la campagne déserte. Le père et la mère étaient horrifiés par ce qu’ils avaient vu, et l’homme se mit à courir à la poursuite du tourbillon. Il le suivit dans la campagne sauvage pendant des jours et des jours, puis le tourbillon sembla devenir de plus en plus petit, pour finalement disparaître tout à fait. Il avait fini par se poser dans un mûrier, et le père s’y précipita. En cherchant dans l’arbre, il trouva un petit ver qui rampait sur une feuille et il comprit que c’était tout ce qu’il restait de sa fille. Tristement, il emmena le ver chez lui, et lui donna chaque jour des feuilles de mûrier. Il remarqua un jour que le ver faisait un fil long et solide ; quand le ver se fut reproduit, il pensa qu’avec sa femme ils pourraient tisser ce fil très fin et en faire un tissu merveilleux. L’étoffe était douce et belle au toucher ; ils l’appelèrent soie. Comme il y avait de plus en plus de vers, le peuple chinois produisit de grandes quantités de soie, qui firent sa célébrité. Au cours des siècles suivants, les fabricants de soie 54 vouèrent un culte au ver à soie femelle, qui avait offert ce présent aux hommes.

ET L’Amour qu’est-ce que c’est, ? L’amour c’est hêtre habité Un jour quelqu’un vous a ébloui Et depuis ce jour là cet être a Etabli sa demeure en vous. Vous savez alors que vous n’ête Plus seul et que cette présence Dispense la tristesse et illumine Le Monde. Vous vous sentez Enrichi par ce regard qui est Toute transparence et rien n’est Bien qui ne pourrai faire entre Ces paupières fertiles plus de Clarté encore. Cette fiancée pourquoi lui demander Si elle était heureuse ? Ses yeux le Disaient assez. Elle était toute simple. ( Il faut être simple pour conquérir le bonheur) et dans sa candeur délicieuse On la sentait habitée. Je sentais que son Cœur était plus ample et qu’il battait au rythme Du monde, son amour n’était pas égoiste Yl s’ouvrait à l’amitié des autres, car L’amour humain, le vrai, n’est pas un Commerce mais une communion. Depuis mes fiançailles, je voudrais que tout Le monde fût heureux me dit–elle.