PHILIPPE JAROUSSKY JÉRÔME DUCROS 1875-1947 1 A Chloris – Théophile de Viau 3:01

Cécile Chaminade 1857-1944 2 Sombrero (1894) – Edouard Guinand 1:35

Jules Massenet 1842-1912 3 Elégie** (1869) – Pierre Lorys 3:09

Gabriel Fauré 1845-1924 4 Nell Op.18 n°1 (1880) – Leconte de Lisle 1:35

Ernest Chausson 1855-1899 5 Le colibri Op.2 n°7 – Leconte de Lisle 2:56 Gabriel Fauré 6 Automne Op.18 n°3 (1880) – Armand Silvestre 2:36 Cécile Chaminade 7 Mignonne (1894) – Ronsard 2:53 Reynaldo Hahn 8 Fêtes galantes (1892) – Verlaine 1:46 9 Le temps de lilas – Maurice Bouchor 3:44 10 Les papillons Op.2 n°3 – Théophile Gautier 1:06

André Caplet 1879-1925 11 Viens, une flûte invisible soupire*** (1900) – Victor Hugo 2:45 Ernest Chausson 12 Les heures Op.27 n°1 – Camille Mauclair 3:04 Reynaldo Hahn 13 Quand je fus pris au pavillon (Douze Rondels, n°8) – Charles, Duc d’Orléans 1:02 Jérôme Ducros . photo © Alix Laveau 14 Offrande (1891) – Paul Verlaine 2:31 Camille Saint-Saëns 1835-1921 Opium et qui renferme d’innombrables joyaux souvent 15 Tournoiement « Songe d’opium » injustement méconnus. Je remercie chaleu­ Op.26 n°6 (Mélodies persanes, 1870) – Armand Renaud 2:37 l est certain que ce disque constituera une reuse­ment Renaud Capuçon, son frère Gautier et Emmanuel Pahud pour leur participation 1862-1918 surprise pour beaucoup. Ceux qui ont l’habitude de m’entendre dans le répertoire amicale et précieuse à cet enregistrement. 16 Romance (Deux Romances, n°2, 1891) – Paul Bourget 1:54 I baroque tout comme les amoureux de la mélo­die J’ai choisi volontairement la prononciation 1965-1935 française se poseront sans doute la même la plus proche possible de la voix parlée actuelle, 17 Sonnet – Pierre de Ronsard (Amours, Premier Livre, CLXIX) 3:15 question : pourquoi un contre-ténor dans ce afin que les mots résonnent de la façon la plus répertoire ? naturelle dans l’imaginaire des auditeurs, en 18 Nuit d’Espagne (1869) – Louis Gallet 3:24 A bien réfléchir, il faut bien reconnaître que ce essayant d’écarter tout « affect » ou « surinter­ type de voix ne dispose pas d’un répertoire prétation ». Je tiens à remercier tout particulière­ 1870-1894 spécifique très vaste si ce n’est les œuvres créées ment Frédéric Faye qui m’a permis, par ses 19 Sur une tombe (Trois Poèmes, n°1, 1892) – Guillaume Lekeu 3:54 depuis ces cinquante dernières années. conseils tout au long de cet enregistrement, Camille Saint-Saëns En effet, nous chantons la plupart du temps d’aller dans cette direction. 20 Violons dans le soir* (1907) – Anna de Noailles 5:11 des musiques écrites pour les castrats qui, on le sait, possédaient une vocalité assez différente Philippe Jaroussky César Franck 1822-1890 de la nôtre. De ce fait, pourquoi ne pas nous 21 Nocturne (1884) – Louis de Fourcaud 3:32 aventurer dans des univers musicaux qui 1878-1914 peuvent sembler surprenants pour des contre- 22 Les donneurs de sérénades (1901) – Verlaine 2:19 ténors, mais que nous sentons adaptés à notre Mélodies françaises voix ? Pour ma part, j’ai toujours éprouvé une Vincent d’Indy 1851-1931 affinité particulière avec l’univers raffiné et pium, fleur rare et enivrante : sans aucun 23 Lied maritime Op.43 – Anon. 2:34 intimiste de la mélodie française, que j’ai doute, ce titre va idéalement bien à un Reynaldo Hahn beaucoup travaillé dès mes débuts avec Nicole Obouquet ou une composition de mélodies 24 L’heure exquise (Chansons grises, n°5) – Paul Verlaine 2:13 Fallien, mon professeur. françaises. Si le lied allemand, si proche de la terre et forme essentiellement humble, chercha 66:06 L’étincelle qui a fait naître ce disque est venue de Renaud Capuçon qui, le premier, a eu l’idée de d’abord son inspiration dans les marches Philippe Jaroussky m’inviter à chanter Reynaldo Hahn, Gabriel solitaires à travers la forêt, la mélodie française Jérôme Ducros piano Fauré ou Ernest Chausson à son festival de la trouva davantage dans la chaleur des serres et dans les plis de soie et de velours d’un salon de * Renaud Capuçon violin Bel‑Air. Il m’a fait rencontrer, à cette occasion, musique. Assurément, elle fut d’abord un objet ** Gautier Capuçon cello Jérôme Ducros. Notre entente musicale a été d’esthète, parure idéale pour un Des Esseintes *** Emmanuel Pahud flute immédiate et nous a poussés à poursuivre notre collaboration dans ce répertoire si riche, si vaste, d’A rebours. De cette ascendance, n’allons pas conclure qu’elle puisse être moins profonde : un poème extravagant d’Anna de Noailles, de Verlaine inspire à Hahn une sérénade qu’il déploie un paysage profondément dramatique, la mélodie française cultive sa propre nostalgie prend la dimension d’un véritable morceau de recommande de chanter Très crâne et avec tour à tour morose et déchaîné. Autre disciple de et ses propres aspirations, celles de paradis concert. élégance. Amoureux de la langue française et, Franck, Ernest Chausson fut sans doute l’un des artificiels et d’une beauté parfaite. Ce n’est pas Gabriel Fauré fut sans doute le premier comme Proust, virtuose du pastiche, Reynaldo artistes les plus profonds et originaux de la fin un hasard si elle fut et demeure, à proprement compositeur français, avec Henri Duparc, pour Hahn mit en musique les poètes anciens, du xixe siècle. Son œuvre tout entière exhale une parler, un art fin de siècle. Son essor date des qui la mélodie fut le cœur même de son œuvre : Théophile de Viau pour le tendre et justement douloureuse mélancolie et une irrépressible lendemains de la guerre de 1870, et notamment des premières romances aux œuvres des années célèbre A Chloris, et Charles d’Orléans pour le fascination pour la mort, atteignant son som­met de la création de la Société Nationale de Musique, 1920, d’un dépouillement fascinant, l’on voit menuet de Quand je fus au pavillon. dans l’ineffable Temps des lilas, dernier chant du fondée entre autres par Duparc, Fauré, Saint- d’ailleurs se dessiner et se résumer toute l’his­ Les poètes de la Renaissance permirent Poème de l’amour et de la mer. Si Le Papillon et Saëns. En France, jusque là, le xixe siècle musical toire du genre. Nell et Automne, toutes deux des d’ailleurs maints exercices de style aux compo­si­ Le Colibri sont comme deux précieuses porcelaines avait été dominé par l’opéra et cette association années 1870, révèlent ses deux visages, le lumi­ teurs. C’est à Ronsard que Paul Dukas emprunta de Chine, Les Heures s’écoulent dans la lignée des plus brillants compositeurs allait donner neux et le dépressif. Comme on sait, la rencontre le texte de sa seule mélodie, composée pour la du symbolisme de Maeterlinck. Moins célèbre, un nouvel essor à la musique symphonique, de Fauré avec l’œuvre poétique de Verlaine est Revue musicale en 1924. Dukas mêle à la forme Guillaume Lekeu ne fut pas un élève moins la musique de chambre et la mélodie. Voilà qui une date fondamentale dans l’histoire de la classique d’un madrigal les harmonies les plus doué. Mais sa mort prématurée, au lendemain de était tardif, mais l’éclosion fut miraculeuse. musique française. Mais plus encore, c’est étranges et les plus hardies. Cécile Chaminade, ses vingt-quatre ans, nous prive à jamais d’une Et certes, n’oublions pas qu’elle avait eu des Verlaine à lui tout seul qui fut pour elle une figure très attachante des années 1900, choisit de œuvre sans doute considérable, comme précurseurs comme Berlioz, Gounod et Lalo. bénédiction. Sa grâce impaire, sa vaporeuse mettre en musique le célèbre Mignonne, ce qu’elle le prouve une prodigieuse sonate pour violon et Evidemment le compositeur d’opéra le plus sensualité et ses larmes retenues semblent en fait avec charme. Pianiste à succès, ses piano. Avec sa paradoxale lumière printanière, célèbre de l’époque, Massenet était leur héritier effet appeler les ailes du chant, et il fut l’inspira­ compositions trouvaient place dans les maga­ Sur une tombe nous ramène au plus beau de la le plus direct et composa de nombreuses teur des plus grands chefs-d’œuvre de Fauré zines féminins et lui assurèrent une enviable mélodie française : sensibilité extrême, mélodies, charmant divertissement pour mais aussi de Claude Debussy – ici présent par popularité. Mais l’intrépide Cécile pouvait faire délicatesse et inextinguible nostalgie. les belles écouteuses dont il aimait à s’entourer. une douce romance de jeunesse – ou Reynaldo preuve de la plus exquise excentricité, comme le Sa Nuit d’Espagne respire d’ailleurs une pénétrante Hahn, deux élèves et admirateurs de Massenet. prouve son fantasque Sombrero. Christophe Ghristi sensualité. Et la belle Elégie déploie, avec le sou­ Très jeune déjà, Hahn était célèbre dans les Les compositeurs les plus proches du lied tien ardent du violoncelle, une noble tristesse salons de la Belle Epoque. Né au Venezuela, élevé allemand, de sa gravité comme de son intimité, qui la rapproche des plus belles pages de Werther. à Paris, et plus parisien que tous les autres furent ceux réunis autour de César Franck. Tous Son ami Saint-Saëns s’était mis au genre dès son réunis, il chantait en s’accompagnant au piano, wagnériens et fous de Tristan, ils étaient égale­ plus jeune âge, et, dans la lignée d’un Franz Liszt, faisant l’admiration de Mallarmé, des frères ment nourris de Liszt, de Schumann et de donne à ses mélodies un tout autre caractère, Goncourt et de son ami intime Marcel Proust. Schubert – introduit à Paris dès les années 1830 volontiers virtuose. Extrait des Mélodies persanes Pas la couleur, rien que la nuance, recommandait par le ténor Nourrit et Liszt lui-même. Le Nocturne de 1872, le Songe d’opium tournoie jusqu’à l’égare­ Verlaine et Hahn lui obéit : son Offrande ou L’heure de Franck, avec son mysticisme et sa solennité, ment en un mouvement perpétuel de doubles exquise dédaignent les grands gestes et les éclats son intensité aussi, est l’emblème même de leur croches. Et le plus tardif Violons dans le soir, sur pour une silencieuse intimité. Les Fêtes galantes art. De même, le Lied maritime de Vincent d’Indy Opium unjustly underrated. I am deeply grateful to less profound a form: it has its own nostalgia never-ending torrent of semiquavers. The later Renaud Capuçon, his brother Gautier and to and its own aspirations, those of artificial Violons dans le soir, a setting of an extravagantly his disk is bound to come as a surprise Emmanuel Pahud for their kind and invaluable paradises and perfect beauty. It’s not by chance over-the-top poem by Anna de Noailles, takes on to many people. Listeners accustomed to support for this project. that, strictly speaking, it was – and still is – a fin- the dimensions of a full-blown concert number. hearing me perform the Baroque I have deliberately chosen a pronunciation de-siècle art. It blossomed in the aftermath of the Gabriel Fauré was the first French composer, T Franco-Prussian war of 1870, and its develop­ along with Henri Duparc, whose work was repertoire, not to mention those who love the that corresponds as closely as possible to the way French mélodie, will no doubt ask the same in which the words are pronounced today in ment was given an extra boost by the founding dominated by the mélodie: from his early question: why a counter-tenor in this repertoire? normal speech, so that they resonate as of the Société