LE TEMPLE DU MOULIN DU FÂ à Barzan, près Talmont-sur- Gironde (Charente-Maritime) par M. Louis Basalo 1944

PREAMBULE La Table de Peulinger et l'Itinéraire d'Antonin mentionnent la cité de Tamnum en Charente-Maritime. Est-ce au lieudit Le Fâ, à 2 km. de Talmont-sur-Gironde, dans la commune de Barzan, que se trouvait cette station gallo-romaine? Les vestiges des monuments existant à cet endroit laissent supposer que l'on se trouve sur le site de l'antique cité, mais jusqu'à présent aucun indice probant n'est venu démontrer catégoriquement qu'en ce lieu existait Tamnum.

On peut seulement rapprocher les points indiqués dans les documents anciens et signaler qu'ailleurs, dans la région, il n'a rien été trouvé qui puisse s'opposer à cette thèse. Au Fâ seulement existent des infrastructures de divers édifices : un temple, des thermes, un théâtre, un aqueduc et un port.

Un plan de Masse, au XVIIIe siècle, donne des indices nombreux qui lui semblent une preuve irréfutable. On y lit la légende suivante : « La tradition vulgaire assure qu'il y a eu en cet endroit une ville qu'on croit être l'ancien port saintongeais », et au lieudit La Garde : « Vestiges d'un amphithéâtre » ; au-dessous encore : « Ancien port. » Or les fouilles et prospections, qui ont été faites jusqu'à ce jour en ces différents lieux, et l'étude des vestiges justifient ces attestations vieilles de plus de deux siècles (1).

(1) [La localisation de la station de Tamnum à Talmont est une hypothèse ancienne soutenue par divers archéologues. On trouvera un exposé détaillé de la question dans Camille Jullian, Inscriptions romaines de , II, p. 227 sq. L'argument principal est la ressemblance, d'ailleurs très vague, entre le nom de Tamnum et celui de Talmont. Le second était la présence, dans les environs de Talmont, de ruines incontestablement romaines. Ni l'une ni l'autre raison n'est décisive. L'identification semble contredite par les indications des documents antiques, Itinéraire d'Antonin et Table de Peulinger qui nous fournissent le nom de Tamnum ou Lamnum (Table de Peulinger). La station se trouve sur la route de Bordeaux à Saintes par Blaye. De Blaye à Tamnum, V Itinéraire indique XVI lieues gauloises (35 km. 1 /2) ; la Table, XXII (49 km.). Or Talmont marquerait un détour vers l'ouest sur la ligne directe de Blaye à Saintes ; il se trouve à environ 56 km. de Blaye. L'Itinéraire compte ensuite XII lieues (25 km.) de Tamnum à Novioregum qui, d'après une autre hypothèse, d'ailleurs très incertaine, serait Royan (ressemblance toujours très vague des noms). Royan est à 15 km. à vol d'oiseau de Talmont. De Novioregum à Saintes, l’itinéraire compte XV lieues gauloises, environ 32 km, la distance de Royan à Saintes par est environ de 40 km donc de Blaye à Saintes par Tamnum et Novioregum, 43 lieues gauloises soit environ 95 km. Or la distance réelle par cet itinéraire serait de plus de 110 km. Le détour de la route par Talmont et Royan se trouve donc UNE

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La région de Talmont et de Barzan. LE TEMPLE DU MOULIN DU FÂ 143

De tous les monuments prospectés, le temple est le plus important. Des fouilles faites au Fâ en ont révélé l'ampleur et 'la richesse. Ce sont ces mises au jour que nous allons décrire dans un ordre chronologique. Le 2 mai 1839, le chevalier de Vaudreuil, membre de la Société d'Archéologie de Saintes, s'était intéressé à cette tour décrite par Bourignon et sur laquelle est édifié le moulin du Fâ ; ce devait être un ancien sanctuaire élevé sur un monticule. En 1860, M. l'abbé Lacurie y découvre des pans de mur d'une grande longueur et des fragments de marbre de toutes couleurs. En 1920, Léon Massiou com mence des fouilles méthodiques au pourtour du temple qui donnè rentles premiers résultats positifs.

Fig. 1. Moulin du Fâ. Corniche d'entablement. Fig. 2. Chapiteau encastré dans un fût de colonne. exclu. La Table de Peutinger ne mentionne pas la station de Novioregum. Elle a compté, de Blaye à Lammun (Tamnum) XXII lieues, soit 48 km. (au lieu de XVI lieues = 36 km. sur Y Itinéraire). De Tamnum à Saintes elle compte XIII lieues (28 km.) : total 35 lieues, environ 76 km. ; ce qui est effectivement la distance de Blaye à Saintes par la voie directe. Toutes les probabilités sont donc pour qu'au moins Tamnum se soit trouvé sur cette voie. Et comme le total des distances données par la Table est exact, il est probable que c'est elle qui donne la vraie distance depuis Blaye, XXII lieues et non XVI — que l'on a d'ailleurs proposé de corriger en XXI. Si l'on admet cette correction, la différence des distances totales de Blaye à Saintes données par les deux documents se trouve portée de 8 à 13 lieues, soit 28 km. Il est possible que cette différence corresponde à un détour pour atteindre le Novioregum mentionné par la Table seule. Mais le détour par Royan serait peu explicable et d'ailleurs le surplus de 28 km. serait insuffisant pour le justifier. Les indications des documents antiques s'opposent donc aux identifications de Tamnum avec Talmont et de Novioregum avec Royan. — A. G.] 144 L. BASALO

II entreprend, du côté nord-ouest, une prospection profonde dans l'espoir de trouver un escalier qui, selon l'abbé Bouly, curé d'Hardelot, devait exister à cet endroit. Mais au lieu d'emmarchements, il met au jour, à plus de 2 m. de profondeur, des éléments d'architecture de toute beauté qui sont les suivants : 1° Un fragment de corniche de style composite et d'assez grande dimension (fig. i) ; 2° Un tambour de colonne à canelure pleine de 1 m. de diamètre ; 3° Un fragment de colonne d'un ordre inférieur à canelure, avec un chapiteau corinthien encastré dans le tambour (fig. 2) ; 4° Une stèle sans inscription de 1 m. 50 de hauteur et différents autres fragments de sculpture. D'autre part, l'ancien propriétaire du moulin avait retiré des terres un morceau du pied gauche d'une statue en marbre blanc, fragment aujourd'hui retrouvé et gardé au musée de Talmont avec les autres éléments recueillis ces dernières années. Une multitude de morceaux de marbre de diverses couleurs avaient également été relevés à l'entour du monument. Tels furent les premiers résultats obtenus. Ils étaient probants, mais on n'avait pas cherché à explorer la structure du temple et à dégager celui-ci. Ce n'est qu'en 1935 que j'ai été appelé à m'intéresser aux ruines du Fâ et que j'ai pu, grâce au concours de la Société littéraire et artistique, qui a précédé la Société du Musée de Boy an, mettre au jour les infrastructures et en obtenir le classement comme monument historique en septembre 1937 (plan I).

HISTORIQUE DES FOUILLES En 1935, avant les fouilles, le monument se présentait de la manière suivante : C'était une vaste plate-forme circulaire de 36 m. de diamètre, qui surmontait le sol naturel de 2 m. environ. Au centre se trouvait le moulin du Fâ (fig. 3). Au pied de cette plate-forme, on constatait des redents de maçonnerie d'une largeur de 0 m. 95 vers le sud, et de 1 m. 95 vers le nord et le nord-est. Cette maçonnerie devait être profondément établie et c'est par le dégagement du pourtour que les travaux ont commencé. A la partie sud-ouest du monument, une excavation profonde a été faite, descendant à 2 m. au-dessous du niveau du sol naturel, sans trouver le sol primitif. Toutefois, les redents de la maçonnerie avaient été nettoyés et dégagés et laissaient apparaître une maçonnerie de petit appareil régulier, dont les moellons ont de 0 m. 17 à 0 m. 18 de hauteur et 0 m. 20 de longueur. LE TEMPLE DU MOULIN DU FÂ 145

Plan I. Plan d'ensemble des fouilles du moulin du Fâ.

A la partie supérieure, des plaques de pierre formaient revêtement. Les traces des joints en mortier permettent de relever leurs dimensions qui étaient de 1 m. 15 de longueur sur 0 m. 45 de hauteur. Au-dessous du premier redent, à 0 m. 45 de profondeur, on a trouvé un deuxième redent saillant de 0 m. 25 ; et, plus bas, à 0 m. 85 au-dessous, un 10 146 L. BASALO

Fig. 3. Le vieux moulin du Fâ.

Fig. 4. Soubasse mentdu temple.

troisième redent de 0 m. 35 dç saillie (fig. 4 et 5). Plusieurs débris de sculpture ont été trouvés et mis de côté. En même temps, on a exploré le souterrain situé sous le monument, du côté sud-est, et qui sert de caveau. On y a constaté que la superstructure était formée d'une plate-forme en béton d'une assez grosse épaisseur, reposant à LE TEMPLE DU MOULIN DU FÂ 147 l'extérieur sur des murs épais, et à l'intérieur sur une pile de gros blocage de maçonnerie. Les parois du fond sont formées d'un humus noir qui a été jadis enlevé afin de pratiquer ce souterrain. C'est surtout en 1937 que la campagne de fouilles a donné de bons résultats, permettant à notre Société d'obtenir le classement des vestiges du temple, en accord avec le propriétaire (plan II). A la partie supérieure, des son dages avaient mis au jour un ciment rose sur lequel des fragments de marbre étaient encore scellés, laissant supposer un carrelage formé de dalles de marbre. Les joints étaient marqués sur ce ciment rose (fig. 6). Des dégagements furent également pratiqués du côté est dans la cour de la ferme et nous nous sommes aperçus que le monument supposé circulaire présentait une partie saillante bien définie de 16 m. de largeur environ, formant le péristyle. L'angle sud-ouest étant apparu, symétriquement par rap port à l'axe, on a trouvé le même angle du côté nord-est. Ceci permettait de contredire les suppositions faites par l'abbé Bouly et de certifier que l'accès du monument ne devait pas se trouver Fin. 5. Gradins du soubassement du temple. du côté nord-ouest, mais bien du côté sud-est, au droit d'un péristyle. A la partie supérieure, le dégagement fut entrepris et le hasard a voulu que l'on commençât à mettre au jour des dalles disposées en rond par rapport au centre du monument et espacées d'axe en axe de 4 m. environ, ce qui permettait de croire que l'on se trouvait devant un temple monoptère à cella. Ces dalles étaient reliées par les infrastructures d'un mur. Extérieurement, un ciment gris recouvrait les maçonneries. Par contre, à l'intérieur, le ciment rose, dégagé à plusieurs endroits, laissait apparaître les joints du dallage, avec des fragments de marbre encore scellés. Chaque dalle de marbre avait 0 m. 80 de long sur 0 m. 60 de large, suivant les dimensions données par les joints. Les dalles de pierre du pourtour furent mises au jour ; elles sont au nombre 148 L. BASALO de 10 et ont 2 m. de long sur 1 m. 30 de large ; elles sont formées de deux pierres liées par des crampons disparus, mais dont l'empreinte est restée intacte. La sixième dalle trouvée était plus profonde que les autres, ce qui semblerait

0 20 100 m

Plan II. État des vestiges du monument (août 1936). justifier qu'il y avait là des charges de maçonnerie plus importantes que sur le reste du pourtour. La campagne 1937 ayant abouti au classement du monument, c'est au printemps 1938 que fut repris le dégagement complet de la partie supérieure et du pourtour qui donna les résultats les plus remarquables (plan III). Des fouilles ont été poursuivies dans la cour de la ferme, au droit de l'angle qui avait été dégagé. On a constaté que les infrastructures du péristyle LE TEMPLE DU MOULIN DU FÂ 149 s'avançaient d'une douzaine de mètres environ de la plate-forme circulaire, mettant au jour une murette, dont une face est inclinée. Poursuivant ces recherches au droit des bâtiments de la ferme, on a trouvé les infrastructures du péristyle avec des dalles aujourd'hui disparues et dont les

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Fig. 6. Plate-forme et vestige du sol en ciment rose. empreintes permettent de supposer qu'elles devaient être similaires à celles qui ont été trouvées à la partie supérieure du temple. Six excavations ont été repérées, déterminant ainsi l'axe général du monument qui se trouve en direction du théâtre antique situé à 800 m. au sud-est. Au pourtour, des dégagements ont été continués, mettant au jour les maçonneries. Les fouilles profondes n'ont pas été poursuivies, mais on s'est aperçu que la partie nord-est était bien plus dégradée que la partie sud-ouest, le parement extérieur des redents ayant subi des démolitions successives. Au centre, les infrastructures de la cella ont été complètement dégagées et COUR DE LA FERME Puits de la Ferme

10 m LE TEMPLE DU MOULIN DU FÂ 151 l'on s'est trouvé devant des maçonneries circulaires épaisses de 2 m. 40, et seulement de 1 m. 35. du côté nord-ouest, dans l'axe du monument. Les daller primitivement découvertes étaient légèrement saillantes à l'extérieur de cette maçonnerie. Du côté du péristyle des excavations profondes, mais très démolies dans leurs parties supérieures, laissaient apparaîtredes vides de deux piles bien régulières et bien symétriques par rapport à l'axe, sans doute les piles du porche de la cella. Entre ces^pHes se trouve du ciment gris à 0 m. 30 plus bas que le ciment rose, permettant de supposer que l'on se trouve devant un bassin pour les ablutions cultuelles avant l'accès au temple. A l'intérieur, presque tout le ciment rose était alors intact avec des fragments de marbre rose et vert, vestiges de l'ancien dallage. Du côté nord-ouest, c'est-à-dire au fond de la cella, des fragments de marbre verticaux permettent de justifier qu'il y avait à cet endroit des pièces, sans doute les chambres des trésors qui servaient au culte. La cella a 15 m. 40 de diamètre intérieur dans sa plus petite dimension. Dans l'axe du monument, à l'intérieur de la cella, du côté de la chambre des trésors, deux puits cultuels avaient été comblés ; ils ont été déblayés sans que l'on y trouve de vestiges intéressants. Leurs parois étaient très dégradées. L'intérieur du moulin avait été également dégagé et c'est au centre qu'un troisième puits a été trouvé. Ici se place un incident assez curieux. Un sourcier de Cognac, sincère, comme ils le sont pour la plupart, était venu solliciter de faire des recherches avec son pendule au droit du monument et, à ma grande stupéfaction, il avait repéré, du côté nord-ouest, une salle souterraine. Nous étions en discussion au sujet de ces pronostics, car ni à l'extérieur du monument, ni sur la partie supérieure complètement dégagée, rien ne permettait de justifier qu'il y eut des caves ou salles souterraines au-dessous de l'édifice. Quand, un beau jour, en évacuant les dernières délivres qui se trouvaient dans le fond du puits, une excavation apparut, très profonde, dans laquelle on a pu descendre et où j'ai constaté ce qui suit : II y avait là comme une salle souterraine, mais ce n'était qu'une excavation pratiquée entre les fondations du monument. Le sourcier avait donc raison lorsqu'il décelait un vide, mais l'architecture du monument ne justifiait pas que ce soit un vide volontaire. En effet, il faut croire qu'à une époque lointaine, sans doute pendant les guerres de religion, on a cherché à créer des abris et on a profité du puits cultuel situé au centre du moulin, pour faire ce souterrain, en enlevant les remblais d'humus sur une quinzaine de mètres carrés et presque 3 m. de hauteur, mettant ainsi à nu les fondations du monument. Le relevé de cette excavation intérieure m'a permis de tracer le plan des 152 L. BASALO fondations du temple (plan IV). Autour d'une maçonnerie circulaire qui est extérieure au monument, se trouvaient des parties remblayées par de l'humus noir, et, au centre, un croisillon parfaitement établi dans l'axe. Sous la chambre des trésors, à l'endroit des deux puits cultuels, le massif de maçonnerie est plus épais.

0 12 3 4 5 Puits de la Ferme

Plan IV. Détai^jdes découvertes du temple (été 1938).

Les fondations sont recouvertes d'une couche énorme de gros blocage de maçonnerie de 3 m. d'épaisseur ; à 3 m. au-dessous de cette dalle devait se rencontrer le sol primitif en rocher tendre qui est apparu à certains sondages. Il est curieux de constater que les fondations du croisillon ne sont pas établies sur le rocher, mais à même la faible couche de terre végétale qui la recouvrait. De plus, les remblais sont séparés de la dalle supérieure par une couche de sable, qui, tassée, laissait un vide de 3 à 4 mm. A la suite de cette trouvaille, on a poursuivi le dégagement du caveau situé LE TEMPLE DU MOULIN DU FÂ 153 sous le péristyle, qui sert de cave au propriétaire de la ferme. Les parois de la maçonnerie extérieure sont bien apparues, et on y a fait les mêmes constatations qu'au droit de l'excavation centrale. Sur les investigations du Professeur W. Seston, chargé de suivre les fouilles, des prospections ont été faites autour du temple afin de chercher les murs du péribole. C'est ainsi qu'en direction du théâtre antique, en suivant l'axe et à 40 m. du temple, on a trouvé deux murs de forte épaisseur qui se dirigent perpendi culairement à l'axe du monument ; ils ont été dégagés en plusieurs endroits. Un des murs a 1 m. 20 d'épaisseur, et, à sa partie inférieure, se trouve un parement de petits appareils en moellon. C'est au pied de ce mur que l'on a trouvé une stèle avec inscriDtion" et un et mur du périboleFlG- 7- (àPourtour gauche dudevant temple le personnage). chapiteau toscan d'as sez belle dimension. A 7 m. de ce premier mur se trouve le deuxième, plus démoli et moins épais. Ces fouilles n'ont pas été poursuivies, la parcelle servant toujours à la culture. Au sud sud-ouest du monument, le mur du péribole a été trouvé à 3 m. 65 du parement extérieur du soubassement du temple (fig. 7). Mais ce n'est qu'un an après qu'il a été dégagé à cet endroit. Les dernières campagnes de fouilles furent faites en 1939. Elles ont consisté en déblaiements importants du côté sud-ouest. Poursuivant le dégagement du mur du péribole, on a remarqué que sa maçonnerie de petits appareils n'était pas horizontale, mais suivait la pente naturelle du terrain. Une grosse pierre, servant sans doute à recouvrir le mur, a été retrouvée renversée. Elle est circulaire 154 L. BASALO

à sa partie supérieure et saillante de 0 m. 10 sur les parois. Parallèlement et à 3 m.; un autre mur a été trouvé, mais de pierre gelive et moins bien conservé. Ces deux murs ont 0 m. 60 d'épaisseur. Le premier se poursuit vers l'ouest sur une assez grande longueur, puis se retourne d'équerre, perpendiculairement à l'axe du monument. Du côté nord-est, on a constaté un autre mur qui part tangentiellement au pourtour du temple perpendiculairement à l'axe ; il semblerait qu'à cet endroit, vu les dégradations des maçonneries, il y a eu un bâtiment accolé ou une modification notable de l'entourage ; l'avenir fera sans doute apparaître ce que signifient ces différences. La guerre est venue arrêter la campagne de fouilles au droit du temple. Elles sont reprises aujourd'hui, et l'expropriation des bâtiments de la ferme permettra le dégagement complet du péristyle, en révélant le sol primitif qu1 entourait le monument et qui n'a pas encore été décelé d'une manière probante.

INVENTAIRE DES PRINCIPAUX FRAGMENTS D'ARCHITECTURE ET DE SCULPTURE

Les premiers fragments furent trouvés en 1920, comme nous l'avons mentionné préalablement. Ce sont : 1° Un fragment de corniche d'ordre corinthien qui se trouve actuellement dans le jardin de M. Graveau, maire de Talmont (fig. 2). Ce morceau est de belle architecture, très richement décoré ; c'est une partie de l'entablement, lequel n'a que 0 m. 63 de saillie. Les sculptures en sont fines et profondément dégagées, les modillons très ouvragés et les denticules entre des rangées de perles allongées par le haut, rondes par le bas. La hauteur n'est que de 0 m. 51 ; 2° Le tambour de colonne de 1 m. de diamètre est très bien conservé. On y compte 24 cannelures ; il semble que l'on se trouve en face d'un fragment d'ordre ionique, étant donnée la cannelure pleine. On peut supposer qu'une suite de colonnes se trouvaient au droit du péristyle, car la cella, avec la structure de ses fondations, ne permet pas de spécifier qu'il y eut à cet endroit des colonnes dégagées, et, sur le pourtour de la cella, on ne voit aucun indice d'infrastructure d'une colonnade aussi monumentale ; 3° Le fragment de colonne à cannelure avec chapiteau corinthien encastré est fort curieux, car il montre que l'architecture du monument n'était pas d'un style d'une pureté irréprochable. La construction serait donc d'assez basse époque, sans que l'on puisse préciser davantage. On notera en outre que l'aqueduc de Barzan, amenant les eaux de la source de Chauvigna, est demeuré inachevé, ce qui confirme l'hypothèse d'une construction tardive ; 4° La stèle sans inscription de 1 m. 50 de hauteur est moulurée haut et LE TEMPLE DU MOULIN DU FÂ 155 bas, elle est presque intacte, d'une pierre dure, comme les autres éléments d'architecture ; 5° Le pied de la statue est fort joli; c'est un fragment du pied gauche; les cinq orteils sont très finement sculptés, les ongles joliment dessinés. De l'extérieur du gros orteil au petit on relève 0 m. 10, dimensions bien au-dessus de la moyenne normale, démontrant que la statue en marbre blanc devait avoir des dimensions plus grandes que la taille humaine. Au fur et à mesure des fouilles entreprises depuis 1936 jusqu'en 1939, il a été mis au jour toute une collection de fragments divers que nous allons décrire suivant leur nature. a) D'autres fragments de statue de marbre ont été trouvés. Appartiennent-ils à la même statue que le pied ? C'est possible. On a trouvé une partie inférieure de la gorge montrant la naissance du sein droit avec le feston de la robe. Des fragments de bras dont un de la naissance du biceps du bras gauche, mais la dimension de cette pièce, 0 m. 10 dans sa grande largeur, semble être un peu forte, par rapport à la taille du pied. Du même marbre blanc, une tête de serpent assez fruste de 0 m. 10 et de 0 m. 07 de largeur, et des moulures qui semblent avoir appartenu au piédestal de cette statue, étant de même nature et d'un profil adéquat. Un autre fragment, celui-là en pierre, a été trouvé : il devait appartenir à la statue d'un guerrier. C'est un morceau du torse. Divers éléments pouvant être des parties de bras ou de jambes ont été mis de côté, mais ces derniers sont mal définis ; b) Une multitude de fragments de marbre de couleur ont été trouvés et parmi eux, des morceaux de moulure divers. D'autres morceaux de marbre vert et orange sont sculptés de feuilles de lierre et de rinceaux. Ils semblent provenir de frises qui décoraient l'intérieur de la cella elle-même pavée de dalles de marbre rose et vert. Deux fragments de marbre blanc avec des lettres inscrites assez vulgairement. On y lit notamment la lettre r. Il faut aussi signaler une partie de marbre mouluré portant l'inscription pecum au revers, assez grossièrement gravée. Est-ce un repère sur la place que devait occuper ce morceau dans la décoration ? L'avenir le dira peut-être ; c) Une multitude de fragments de sculptures ont été mis de côté, dont les principaux sont : Des parties de tailloir corinthien ; un de ces morceaux permet de reconstituer la dimension que devaient avoir ces chapiteaux étant données la courbure et la hauteur de ce fragment. L'écartement des extrémités du tailloir devait être de 1 m. 60, la hauteur de ce dernier étant de 0 m. 12. On peut en conclure, en 156 L. BASALO respectant les principes de Vignole sur l'architecture antique, que les chapiteaux devaient avoir 1 m. 60 de hauteur environ et les colonnes 12 m. de hauteur et 1 m. de diamètre. Si l'on rapproche ces données du magnifique morceau d'entablement qui a été trouvé, on ne peut pas supposer qu'une colonnade si colossale ait été

Fig. 8. Stèle trouvée en 1937 et mise en place le long du mur de la ferme. A droite, chapiteau toscan. couronnée d'une corniche aussi petite. Il semble que ces éléments d'architecture appartenaient à différentes parties du temple ou à des monuments adjacents, les fragments ayant tous été trouvés extérieurement à l'édifice. Il a également été trouvé un morceau de chapiteau corinthien de dimensions plus petites ; la corbeille y est visible, ainsi que des feuilles et l'amorce du tailloir. Une multitude de morceaux de feuilles d'acanthe de diverses dimensions et de deux classes bien différentes, quant à leur finesse, semblent avoir appartenu à des chapiteaux corinthiens de tailles diverses; Des fragments de moulures de modillons et de denticules ayant pour la LE TEMPLE DU MOULIN DU FÂ 157 plupart appartenu à des éléments de corniches similaires à celui qui a été retrouvé intact ; d) Des fragments de poteries sigillées en quantité assez considérable. On trouve des morceaux rouges et gris, certains avec dessins. Des débris d'amphore en terre cuite, ainsi que des débris de tuiles. Jusqu'à présent l'examen minutieux de tous ces débris n'a pas révélé de marques de potiers ; e) La stèle avec inscription, ainsi que le chapiteau toscan qui ont été trouvés au droit des murs situés à une quarantaine de mètres du temple, ne semblent pas avoir appartenus à cet édifice proprement dit. Ils se trouvaient peut-être dans le forum précédant le péristyle. La stèle découverte en plusieurs morceaux a été restaurée sur place dans la cour de la ferme (fig. 8). C'était une pièce d'un seul volume, haute de 1 m. 30 et d'une section carrée de 0 m. 55 au droit des inscriptions. On y lit les lettres romaines suivantes : c. caecilivs GALERIA CIVILIS MART Sur le dessus on remarque aux angles des encoches qui devaient servir à maintenir une statue ou des éléments décoratifs. Elle est moulurée haut et bas. Des traductions diverses en ont été données et ce qui est curieux dans ce texte, c'est le témoignage de la présence de la tribu galeria en , alors qu'on ne la trouvait que dans le Lyonnais. Quant au chapiteau toscan, il est en fort bon état ; il a 0 m. 75 de hauteur totale, le diamètre du fût a 0 m. 45. La moulure est presque intacte. Cette colonne n'est pas cannelée, un listel délimite le départ du chapiteau. Tels sont exposés les résultats des fouilles pratiquées avant et depuis le classement du temple du Fâ comme monument historique. Depuis cinq ans, les ciments roses de la cella s'abîment terriblement et si des travaux ne sont pas entrepris d'urgence pour leur conservation, il n'en restera que le souvenir.

l'aqueduc Des recherches qui ne sont qu'amorcées dans les environs du temple ont permis de reconnaître un aqueduc qui devait amener l'eau de la source des Monards (fig. 9). Sur plus de 100 m., nous avons pu circuler dans une galerie voûtée, haute de 2 m. environ. A la partie inférieure se trouve un caniveau 158 L. BASALO

Fig. 9. Entrée 7,40 dégagée du souter rainde l'aqueduc. ///■'-< ■ .•/■' Terre végétale ,

Fig. 10. Coupe de l'aqueduc. LE TEMPLE DU MOULIN DU FÂ 159 de 1 m. de large sur 0 m. 25 de profondeur. Tous les 30 m., il y a un orifice utilisé comme regard, fermé par une dalle faite de deux pierres avec, au centre, un trou d'une cinquantaine de centimètres de diamètre ; ces pierres ont été trouvées éboulées à l'intérieur (fig. 10 et 11).

Élévation

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Plan Fig. 11. Détail d'une dalle et de l'aqueduc.

LE THÉÂTRE ANTIQUE

Les vestiges de cet édifice ne sont pas classés monuments historiques. Toutefois le site existe d'une façon irréfutable et les prospections que j'avais faites en 1935 ont démontré la présence d'emmarchement (fig. 12) et permis de dégager certains vestiges des vomitoires. Ce monument était de grande dimension ; le relevé des lieux offre la particularité de présenter une forme qui n'est pas en arc de cercle, comme le sont en général les théâtres. On se trouve devant un tracé représentant beaucoup 160 L. BASALO

Fig. 12. Théât re. Ensemble du site. En haut et à droite, ont été repérés des esca liers en pierre.

□P> testes de gradins

Plan V. Plan du théâtre antique, d'après les fouilles de 1937.

Parement de mur

Vestiges de fondations LE TEMPLE DU MOULIN DU FÂ 161 plus l'extrémité d'un stade. L'édifice pouvait ainsi servir à deux fins : représentations théâtrales et jeux divers. C'est un type nouveau qu'il serait intéressant d'étudier (plan V).

LES THERMES

Léon Massiou, en 1921, avait déjà repéré, sur les terrains appartenant à M. Graveau, les vestiges de caniveaux en terre cuite semblant appartenir à des thermes. C'est en 1938 que nous avons repris ces fouilles d'accord avec les propriétaires et que nous avons mis au jour les infrastructures de ce monument qui devait avoir des proportions assez considérables (plan VI). Aujourd'hui, les parcelles appartenant à MM. Graveau et Varache sont classées monuments historiques ; les campagnes de fouilles de 1938 et 1939 nous ont permis de mettre au jour plusieurs salles avec d'importants hypocaustes (fig. 13). Il semble que l'on devait accéder à ce monument du côté est, c'est-à-dire par une partie non encore dégagée. De là, on pénétrait dans une vaste salle chauffée par un hypocauste à 3 orifices et décorée de plusieurs niches. De cette salle, on devait communiquer du côté nord dans une autre salle, sans doute le siudarium (fig. 14). L'hypocauste de cette salle présente la particularité d'avoir des piles différentes, carrées et trapézoïdales, avec un orifice au milieu. A. gauche et à droite du sudarium supposé, se trouvent deux piscines non dégagées, mais assez conséquentes avec les vestiges de baignoires marqués par des carrelages encore bien conservés, mais aujourd'hui désagrégés faute d'entretien. Les fouilles n'ont pas encore permis de déterminer comment ces therri^es étaient alimentés en eau. Il faudrait pour cela déblayer complètement l'édifice etjrepérer dans les parties inférieures les arrivées de conduites d'eau provenant peut-être de l'aqueduc que nous avons reconnu. Cependant, les thermes sont situés à une cote de niveau supérieure à celle de l'aqueduc. Il serait intéressant, si les thermes étaient bien alimentés par notre aqueduc, de savoir comment l'eau était remontée et distribuée dans l'établissement. Extérieurement, nous avons repéré des caniveaux en pierre et, à d'autres endroits, du côté de l'accès supposé, des caniveaux en terre cuite assez bien conservés. Des fragments de poteries diverses ont été trouvés ainsi que des morceaux d'enduits colorés qui dénotent la richesse de décoration de ces thermes. Dans tout le site du moulin du Fâ et les terres qui sont situées entre le théâtre antique et le temple, on trouve des restes de .murs, des fragments de tuiles et de poteries. Ces terrains doivent contenir les infrastructures d'autres ii 162 L. BASALO

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* salle à niches à déblayer

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Plan VI. Plan del thermes, d'après les fouilles de 1939. A. Grande salle carrée ; I. Piles d'hypocauste carrées ; B. A déblayer; J. Piles d'hypocauste perforées ; C. A déblayer ; K. Caniveau en terre cuite ; D. Grande salle à niches ; L. Parement de mur peint en rouge ; E. Vestiges de baignoires (carrelées) ; M. Porte d'un mur de clôture ; F. Caniveau en pierre ; O. Vestibule non déblayé ; G. Hypocauste simple ; P. Entrée supposée des thermes. H. Hypocauste triple ; Fig. 13. Ves tiges ^d'hypo- caustes.

Fig. 14. Rui nes des thermes. 164 L. BASALO

bâtiments ainsi que les voies donnant accès au théâtre, au temple et aux thermes. Dès que les circonstances seront à nouveau devenues normales, les fouilles seront reprises et continuées. Louis Basalo. RÉSUMÉ [Les résultats jusqu'à présent acquis peuvent se résumer comme suit : Au centre d'un large massif de maçonnerie, un vieux moulin se dresse solitaire sur une petite hauteur dominant Royan. Il a fonctionné jusque vers la fin du xixe siècle, puis les bois ont été vendus ; le moulin n'est plus qu'une tour sans aile se défendant mal contre l'inévitable décrépitude. Aux alentours, dans un rayon de près de 1 km., se remarquent des ruines, restes de thermes, d'un théâtre, d'un mur d'enceinte et de constructions indéterminées. Les travaux, jusqu'ici, ont porté à peu près exclusivement sur les substructions et les abords immédiats du moulin. Ils ont révélé l'existence d'un temple circulaire de grandes dimensions et richement orné de marbres de différentes couleurs. Il s'élevait au centre un podium circulaire de 36 m. de diamètre, haut d'environ 3 m., dont le parement, bien conservé, est construit en moellons de petit appareil. Il était couronné de deux assises de fortes dalles de 1 m. 30 sur 2 m., liées entre elles par des crampons de bronze, aujourd'hui. disparus, et disposées en cercle très régulier. Ces dalles, espacées de 4 m. d'axe en axe, étaient reliées par l'infrastructure d'un mur. Elles devaient porter l'enceinte probablement ajourée d'une galerie entourant la cella. La cella a 15 m. 40 de diamètre ; elle s'ouvre du côté sud-est, précédée par un parvis rectangulaire, large de 16 m. et marquant, sur le soubassement, une avancée d'une douzaine de mètres. La façade en était constituée par six colonnes, dont on a retrouvé les bases et en avant desquelles devait monter un escalier monumental. Cette partie antérieure du monument n'est encore qu'imparfaitement fouillée. Le sol de ce parvis était pavé de dalles de marbre rose et vert, dont on a retrouvé des fragments encore encastrés dans le ciment rose sous-jacent. Ce dallage semble avoir recouvert toute la surface du podium et l'intérieur de la cella. Le mur de la cella était épais de 2 m. 40, sauf dans la partie nord-ouest, où il ne mesure que 1 m. 35. On remarquera, à l'intérieur de la cella, la présence de quatre puits dont l'un, vers le centre, traverse l'épaisse couche de blocage qui soutenait le sol. Au fond .de la cella, dans l'axe, du côté sud-ouest, des fragments de marbre verticaux permettent de supposer une paroi isolant la partie dont le mur extérieur est précisément moins épais. Deux des puits se trouvent dans cette partie du monument. Celui qui est numéroté 3 a été élargi et atteint une excavation assez vaste, pratiquée, à une époque probablement récente, dans l'infrastructure. Les fondations sont, constituées par un puissant massif circulaire de maçonnerie et, en plus, de deux murs en croix d'environ 2 m. d'épaisseur. Entre ces murs, de même qu'entre le soubassement de la cella et le parement du podium, le sous-sol est simplement remblayé de terre au-dessus du rocher naturel. LE TEMPLE DU MOULIN DU FÂ 165

Les restes d'une enceinte ont été repérés en divers points, notamment du côté sud-est, en direction du théâtre. Ils se trouvent à 40 m. du temple et se présentent sous forme de deux murs parallèles distants de 7 m., ce qui permet de supposer une galerie. Au S. S.-O., ce double mur n'est distant que de 3 m. 65 du soubassement du temple, parallèle à son axe. Les débris d'architecture et les fragments de sculpture permettent de supposer une construction de très amples proportions et d'une composition décorative poussée. Il y était fait un large emploi du marbre.] A. G.