LES DROITES ET LES GAUCHES sous la V République

Albert LEBACQZ

LES DROITES ET LES GAUCHES sous la V République

EDITIONS -EMPIRE 68, rue Jean-Jacques Rousseau, 75001 Paris Vous intéresse-t-il d'être tenu au courant des livres publiés par l'éditeur de cet ouvrage? Envoyez simplement votre carte de visite aux EDITIONS FRANCE-EMPIRE, Service « Vient de paraître » 68, rue J.-J. Rousseau, 75001 Paris et vous recevrez régulièrement et sans engagement de votre part, nos bulletins d'information qui présentent nos différentes collections, que vous trouverez chez votre libraire. © Editions France-Empire, 1984 Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays. IMPRIMÉ EN FRANCE A Jean Jaudel et à M Flandin- Robida qui ont bien voulu m'ouvrir les colonnes de la « Revue des Deux Mondes ».

CHAPITRE I LE POUVOIR D'UN SEUL

M. François Mitterrand s'accommode d'une Cons- titution par lui tant combattue, il la « respecte », puis- que le pays l'approuva, et concède qu'en somme les institutions sont bonnes avec un président tel que lui... Dans son pamphlet de 1964, le Coup d'Etat per- manent, M. Mitterrand avait rapproché le retour au pouvoir du Général du coup d'Etat du Prince-Président et dénoncé « le régime » comme intrinsèquement per- vers, puisque s'identifiant selon lui à une dictature : « Le pouvoir d'un seul, même consacré pour un temps par le consentement général, insulte le peuple. L'abus ne réside pas dans l'usage qu'il fait de son pou- voir, mais dans la notion même de ce pouvoir. » S'il invoquait « une doctrine constante en France », depuis un siècle et demi, d'opposition à la délégation de la souveraineté populaire à un seul homme, M. Mit- terrand ne montrait pas beaucoup de considération pour la maturité politique, au moins acquise !, du peuple français invité par le général de Gaulle à choisir « direc- tement » le chef de l'Etat, ni d'impartialité dans l'analyse du nouveau système. Ce Léon Daudet de gauche, car quel talent de polémiste dans le Coup d'Etat perma- nent !, se gardait de relever la faculté toujours offerte à l'Assemblée nationale de censurer, de « renverser », le Premier ministre choisi par le Président. Et, en dehors de la « lettre », l'« esprit » de la Constitution ! Le Général se retirait s'il avait perdu les législatives de 1967. Il a constamment « vérifié » par la procédure référendaire et les élections générales (1968) l'approbation de son action par le pays. Après le désaveu populaire de 1969 sur le projet de décentralisation et de réforme du Sénat, regagna son village (on parla, à tort ou à raison, ou plutôt à tort et à raison, de « suicide politique »). M. Valéry Giscard d'Estaing décela un « exercice solitaire du pouvoir » par le Général, mais avant que de gouverner lui-même d'une façon beaucoup plus omni- potente et en entrant bien plus dans l'« exécution » que son illustre prédécesseur qui ne s'arrêtait qu'à l'essentiel : il n'y eut jamais autant de comités inter- ministériels à l'Hôtel de Matignon qu 'avec M. Debré Premier ministre. La « déviation » vers la présidentialisation de l'exécutif commence avec Georges Pompidou. Il demeu- rait le Premier ministre qu'il avait longtemps été. Son successeur, quant à lui, ne dépouillait pas le ministre des Finances. Il accorda cependant une délégation de pouvoir — insuffisante malheureusement pour un assai- nissement plus poussé de l'économie française ! à M. Barre reconnu officiellement, non seulement comme Premier ministre — ce qui dépasse l'état de « premier des ministres » —, mais comme chef de gouvernement (la Constitution ne crée pas expressément ce titre, mais pose que « le Premier ministre dirige l'action du gouver- nement »). M. Barre aurait-il dû donner sa démission si on ne lui avait pas permis d'agir plus fort et plus vite, c'est là une autre question...

Qu'y a-t-il derrière cette tradition républicaine que brandissait autrefois M. Mitterrand, à l'instar des grands orateurs radicaux d'antan ? Avant d'exercer sa dictature personnelle, Robes- pierre s'offensait fort de l'autorité des décemvirs et de Cromwell ! Rien de pire que la dictature de la foule, ou d'un homme s'appuyant sur la rue. La Révolution française fournit plusieurs démonstrations... Cicéron avait fait la religion des « hommes de la Révolution » en exaltant cette République romaine où le grand rhéteur trouva tant d'épanouissement per- sonnel. On en oubliait le poids des grandes familles sénatoriales qui, selon Polybe, faisait passer aux yeux des étrangers ce régime politique pour une aristocratie... En réalité le président à mortier Montesquieu dé- fend la robe avec sa théorie des « corps » dépositaires de la loi, et sa fameuse « séparation des pouvoirs » s'ins- pirait de la vision des grands whigs d'une équilibration de la monarchie par les grands propriétaires et les hommes d'affaires. N 'osant pas toucher à la personne du roi sur qui flottait encore quelque chose de sacré (plus tard les bolcheviks n'oseront pas abattre ouvertement le tsar !), la Révolution maintint le roi, « nu », en provoquant son « veto » face à un tout-puissant législatif, après s'être gardé de Mirabeau par l'interdiction du cumul de la fonction ministérielle et du mandat parlementaire. Après le 10 août, l'Assemblée assume la responsa- bilité de l'exécutif au travers d'un comité exécutif pro- visoire à présidences changeantes, mais où Danton s'af- firme. La Convention illustre le « régime d'assemblée », avec à la tribune des affrontements qui aboutirent à l'exclusion des Girondins, à la mort des hébertistes et des dantonistes, à Thermidor... Descente aux enfers d'une Révolution qui dévore successivement ses enfants sous la pression, nous dit le nouvel immortel Léopold Sédar Senghor citant le duc de Lévis-Mirepoix, du « troisième ordre : les ouvriers agricoles et des manufactures qui n'avaient ni le nécessaire, ni le droit de vote ». Les Anglais, par la voix d'Edmund Burke dans ses célèbres Reflexion on the Revolution in France, averti- rent l'Europe que la France n'avait pas « copié » la Grande-Bretagne, qu'elle en était bien incapable, que la liberté politique s'apprenait... Avant de s'engager sous la Restauration dans l'ex- périence du régime représentatif — d'où l'appel de M. Mitterrand à une tradition datant de cent cinquante ans — la France passa, heureusement pour elle, par le Consulat, par la Constitution de l'an VIII, qui lui ap- porta des institutions administratives exceptionnelles. Pas de cabinet, tout est dans le Premier consul, puis dans l'Empereur (Maret exerçant une simple coordi- nation technique de base), mais le Conseil d'Etat, les préfets, la Banque de France, l'Université, une organi- sation militaire. Dans le haut establishment administratif, une con- jonction de Feuillants et de Jacobins modérés fusionna la France. Ainsi se créa dans la lumière classique du Consulat, puis sous l'horizon chargé de l'Empire, cet Etat moderne que l'Europe nous envie encore. Et qui fut un substitut de la monarchie héréditaire sous nos débiles républiques parlementaires. Dans ce système autoritaire, le contreseing atteste l'obligation par les ministres, au reste révocables ad nutum, de se plier immédiatement aux ordres du chef de l'Etat. L'évolution constitutionnelle du XIX siècle aboutira à un renversement de situation, le contreseing ministériel mettant finalement le président de la Répu- blique dans la dépendance du ministre lui-même, « res- ponsable » devant le Parlement, et qui connaîtra seul la réalité du pouvoir. Le coup d'Etat de Louis Napoléon servit de nou- veau tremplin à toute la tradition républicaine de rejet du « pouvoir personnel ». Par un envoûtement extraor- dinaire de l'histoire, la France se donna à un homme dont elle savait au fond d'elle-même qu'il la violerait, comme l'oncle ! Mais on avait tout fait pour qu'il en fût ainsi : en limitant le mandat du Prince-Président à quatre ans avec interdiction d'une nouvelle candidature, en le privant de pouvoirs, en lui refusant le droit de dissolution. S'appuyant sur une majorité parlementaire de droite, Odilon Barrot, doté du titre de président du Conseil, réunissait le Cabinet pour envoyer des ultimatums au futur Napoléon III. Louis Napoléon a décrit le 2 décembre comme l'opération consistant à « quitter la légalité pour entrer dans le droit ». On sourit, mais c'est un fait que post eventum toutes les consultations, et d'abord le plébis- cite (où la pression des préfets de l'Empire par les « candidatures officielles » ne s'exerçait pas), rati- fiaient massivement, notamment en 1870, le second Empire. Bodin, le représentant du peuple tué sur les barri- cades, ne figurait plus dans les mémoires lorsque les républicains décidèrent de lui ériger un monument et de provoquer un procès permettant à Gambetta de dénon- cer « ce prétendant qu'entourent des gens sans talent, ni honneur, ni rang, perdus de dettes et de crimes ». Les Français n'avaient jamais connu à la fois, et à ce degré, la prospérité, le plaisir, et la prééminence (la première place en Europe, dans l'effacement des traités de 1815, après le congrès de Paris de 1860). La liberté politique se trouvait canalisée, certes, mais le pays se flattait de son accès au suffrage universel, et beaucoup, au Faubourg-Saint-Germain et au Barreau, s'accommodaient sans le dire, et parfois même sans se le dire à eux-mêmes, d'une situation où l'on brocardait César dans les salons, et où on le bravait sous les préaux, sans que cessât pour autant la paix sociale, l'accrois- sement des richesses, et « la fête impériale ». La République de 1875 se fonda grâce au rallie- ment d'un groupe charnière du centre (le groupe Allain- Target) qui, dans un esprit de conservation sociale, tro- qua le roi contre un « Sénat campagnard » avec parti- cipation au droit de dissolution. On inscrivit sur les tables de la loi (article 6 de la loi du 25 février 1875) : « Les ministres sont solidairement responsables devant les Chambres de la politique générale du gouverne- ment... » Une voix de majorité pour la République, comme pour la mort du roi ! Que valait cette voix, même au-delà de Caliban ?... La République se fit par un glissement du « centre droit » au « centre gauche » défini par Thiers comme « un groupe intermédiaire, nombreux, intelligent, habile aux affaires, de nuance incertaine, à peu près indiffé- rent sur la forme de gouvernement, orléaniste par occa- sion ». Pour M. Mitterrand le centre gauche n'est le plus souvent qu'un travestissement du centre droit ! Ne parvenant pas à imposer ses vues à Jules Simon, le maréchal Mac-Mahon, fort conseillé par le vicomte d'Harcourt, secrétaire général de l'Elysée, le remplaça par le cabinet de Broglie/Bardi de Fourtou. Intervint alors le fameux vote historique du 21 juin de « l'ordre du jour des 363 » au nom de la « défense républicaine », cette notion appelée à jouer un grand rôle sous la III République, et à devenir parfois un mythe ou un alibi. Le 16 mai, Mac-Mahon procède à la dissolution, mais les gauches conduites par Gambetta l'emportent avec 55 %. L'écart entre la droite et la gauche restera généralement jusqu'à nos jours à l'intérieur de cette fourchette 55/45 %. Le successeur de Jules Grévy annonce qu'il « n'en- trera jamais en lutte contre la volonté nationale expri- mée par ses organes constitutionnels », mais exerce une magistrature d'influence, écartant longtemps Gam- betta, subissant finalement Ferry, pesant beaucoup sur Freycinet dont il obtint qu'il lui « parlât » avant le Conseil des ministres de l'ordre du jour, et de ce qu'il dirait... Jusqu'à Albert Lebrun, les présidents de la Répu- blique joueront un rôle très important dans les « affai- res du dehors » — Grévy évite la guerre lors l'affaire Schnœbelé. Rôle considérable de la Présidence dans l'alliance franco-russe et l'Entente cordiale avec les Anglais — et parfois dans les « affaires du dedans » : Sadi Carnot contribua beaucoup à l'échec de Boulanger par son influence sur le cabinet Tirard-Constant, et sur le baron de Mackau. Durant l'affaire Dreyfus, le prési- dent de la République conserva par sa maison militaire le contact avec les grands dignitaires de l'armée. Cependant Clemenceau, président du Conseil, écarta Raymond Poincaré de la négociation du traité de Versailles qui créa les conditions de la Seconde Guerre mondiale... échouera dans son entreprise en faveur de l'élargissement du collège électoral prési- dentiel (le discours de Ba-Ta-Clan), et son engagement électoral en faveur du Bloc national (le discours d'Evreux) aboutira à la victoire du Cartel des gauches et à sa démission. En 1940, Albert Lebrun occupait l'Elysée. Mais comme disait le général de Gaulle, « il n'y avait pas de chef, il n'y avait pas d'Etat ». Contrairement aux idées reçues, la présidence re- prend de l'importance sous la IV République grâce à un homme et à des pratiques. Si le président du Conseil « convoquait » le Conseil des ministres, c'est le président de la Républi- que qui dirigeait les débats, et M. Vincent Auriol ne s'en privait pas. Il avait la maîtrise du procès-verbal. Sous le gouvernement provisoire d'Alger, dont il était le secrétaire général avec MM. et Raymond Offroy, M. Louis Joxe avait établi un relevé des déci- sions prises. Secrétaire général du gouvernement de 1947 à 1958, M. André Segalat fit de même. Le président Auriol exigeait la communication de tous les textes diplomatiques et organisait parfois à l'Elysée des réunions discrètes qui préludaient quelque peu aux conseils restreints d'aujourd'hui. Par cette magistrature d'influence, le président Auriol joua un rôle considérable dans l'éviction des ministres communistes, dans la loi sur les apparente- ments, dans le règlement de l'affaire scolaire, dans la division du R.P.F. et le retour au libéralisme écono- mique. Il soutient fort l'idée européenne, avec des ré- serves sur la C.E.D., il poussa à des évolutions réglées dans les colonies et dans les protectorats. Quant à René Coty, il nomma à Matignon Guy Mollet, et non Mendès France, d'une opinion très dif- férente sur l'« Algérie française ». Plus tard il appela Charles de Gaulle..., pressant le pas avec la phrase qu'il convenait de prononcer : « Il ne peut être question de fixer dans le huis clos des groupes le destin de la patrie. »

Le général de Gaulle rendit à la France l'immense service d'utiliser les procédures bonapartistes pour éta- blir une monarchie dans la République. Une monarchie républicaine, ou une république monarchique, suivant la lecture présidentialiste ou par- lementaire d'un régime mi-présidentiel, mi-parlemen- taire. Un Consulat républicain diffère de la République consulaire ! Le Général écarta le système des Etats-Unis dan- gereux pour la France, et qui lui aurait laissé beaucoup moins de pouvoirs : le président des Etats-Unis, élu seu- lement pour quatre ans, et qui ne dispose pas du droit de dissolution, se trouve constamment dans l'obligation de négocier des compromis avec le Congrès qui dis- pose de l'intégralité du pouvoir législatif. Le Général a agi en extraordinaire stratège, ne dévoilant pas ses batteries, et puis s'avançant par étapes vers une interprétation et des pratiques monarchiques, avec à l'heure du destin l'attaque frontale contre le plateau de Pratzen : le référendum sur l'élection du pré- sident de la République au suffrage universel direct, ce qui mit en complète déconfiture le « cartel des non », et toute l'opposition dite « républicaine ». Le Général disposait de son immense prestige his- torique, d'une légalité tirée du vote populaire, et de « pouvoirs propres », c'est-à-dire sans contreseing : la procédure référendaire — le droit de dissoudre l'Assem- blée nationale — les pleins pouvoirs en cas de crise extrême (l'article 16 de la Constitution). De la nécessité cependant pour le Président d'avoir un Premier ministre sûr et disposant d'une majorité au Palais-Bourbon. Le scrutin uninominal dégage cette majorité, au président de posséder l'autorité suffisante pour que ce soit « sa » majorité, un reflet du consensus présidentiel qui doit surplomber les législatives ! Le 31 janvier 1964, le général de Gaulle déchira les voiles par la déclaration d'une quasi nouvelle Cons- titution : « S'il doit être évidemment entendu que l'autorité indivisible de l'Etat est confiée tout entière au Pré- sident par le peuple qui l'a élu, qu'il n'en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni judiciaire, qui ne soit confiée et maintenue par lui, qu'enfin il lui appartient d'ajuster le domaine suprême qui lui est propre avec ceux dont il attribue la gestion à d'autres, dans les temps ordinaires il importe de maintenir la distinction entre la fonction et le champ d'action du chef de l'Etat et ceux du Premier ministre. » La Constitution exige le contreseing du Premier ministre pour les décisions gouvernementales, mais l'ins- tance décisive, c'est « le Conseil des ministres présidé par le président de la République », avec le secrétariat général du gouvernement à la disposition du chef de l'Etat pour la préparation et le suivi des décisions. Selon l'exégèse quasi officielle, « le secrétaire gé- néral du gouvernement est plus particulièrement l'orga- nisateur du Conseil des ministres, dont chaque semaine il prépare l'ordre du jour à l'Elysée. L'importance de cette réunion du lundi entre le chef de l'Etat, le secré- taire général de l'Elysée, et le secrétaire général du gou- vernement, ne saurait être trop soulignée « (Le Prési- dent de la République, par M. Jean Massot, conseiller d'Etat. Préface de M. Marceau Long, secrétaire général du gouvernement. Aux éditions de la Documentation française.) En amont du Conseil des ministres, le président de la République examine à l'Elysée, dans des conseils restreints auxquels participent des hauts fonctionnaires, tous les dossiers qu'il entend aborder directement.

La pratique de M. Mitterrand ne s'écarte guère de celle de ses deux prédécesseurs. On assiste au même « absolutisme », par une même lecture « présidentia- liste » de la Constitution, auquel s'ajoute un style parfois quasi impérial. Le Président use au maximum de son droit d'évo- cation, tranche dans toutes les matières, choisit les hom- mes pour tous les grands emplois, et même d'autres. Son brain trust, assez étendu, suit de très près ce qui se passe au gouvernement. Il suggère parfois aux ministres la composition de leur cabinet... Le chef de l'Etat est son propre ministre des Affaires étrangères avec la collaboration de M. Cheys- son et de M. Roland Dumas, et une liaison régulière avec « le Département » par le secrétaire général du « Quai », M. Francis Gutman. Des missions politiques sont confiées à M. Mauroy, et à M. Mermaz, et aussi à des émissaires privés. Il y a « un secret du roi ». La nature des choses impose ce que l'on appelle la « monarchie nucléaire ». Le décret du 14 janvier 1964 relatif aux forces aériennes stratégiques confia au Président la responsabilité de leur emploi. M. Mitter- rand précisa publiquement, et c'était nécessaire pour la crédibilité externe de notre force de dissuasion, et pour clouer le bec au parti communiste : « L'arme nucléaire, c'est moi. » Le grand domaine de l'Economie et des Finances relève, pour toutes les initiatives importantes, du Pré- sident qui s'est placé « en première ligne » pour la ri- gueur et les restructurations. M. Mitterrand, longtemps premier secrétaire du « parti dominant » dont il fut l'inventeur, reçoit heb- domadairement les hiérarques : M. Mermaz, président de l'Assemblée nationale; M. Lionel Jospin et M. Jean Poperen, à la tête de l'« appareil » du parti; le président du groupe parlementaire socialiste. M. Mauroy fut associé, parfois étroitement, à l'action du Président en politique étrangère (ainsi la négociation du voyage de Moscou; le règlement du contentieux avec le Gabon; le Tchad). M. Mauroy fut considéré à l'Elysée comme le leader le plus apte à faire passer auprès de l'électorat populaire le revirement du pouvoir socialiste, les sacri- fices, et à rappeler au parti communiste la règle de la solidarité gouvernementale. Depuis le Président a fait appel pour l'Hôtel de Matignon à un homme-lige tech- nocrate, au demeurant très brillant : M. . Deux grandes questions se posent : la réforme électorale et l'attitude de M. Mitterrand en cas de vic- toire de l'opposition aux élections législatives. La Constitution exige pour son bon fonctionne- ment une majorité homogène, donc un scrutin majori- taire. Si le pouvoir socialiste introduit la proportion- nelle, et même seulement une part de proportionnelle, il pervertit les institutions en permettant à un « groupe charnière » d'arbitrer la République, pour peu que l'écart soit faible entre la droite et la gauche. Si la droite gagnait la consultation de 1986, M. Mitterrand serait juridiquement en droit de rester jusqu'au terme de son mandat présidentiel, mais s'il ne se maintenait que par l'immobilisme, ou en « jouant » contre son Premier ministre, il serait condamnable, car il est en charge de la nation. En revanche, il ne lui est pas interdit de manœuvrer en faisant appel à celui que le président Pompidou appelait « l'Edgar du mo- ment », ou d'adopter la solution, provisoire jusqu'à l'élection présidentielle, d'un cabinet d'union nationale.

Une profonde évolution culturelle se produit en France qui se traduira sur le plan électoral. Une partie de l'opinion a été longtemps condition- née par un enseignement très partial du passé, dispensé sincèrement ou avec la volonté de créer une sorte de déterminisme à des fin politiques. Porte-parole du gouvernement, M. Max Gallo a relevé le développement d'une « école révisionniste du catéchisme de la Révolution française ». « La Révolution est un bloc », dogmatisait Cle- menceau montant à la tribune du Palais-Bourbon pour s'indigner d'une pièce de Sardou, Thermidor, où l'on osait en douter ! Cette « école de la Révolution », dont les vaincus font tous les frais, débute avec Thiers, se prolonge avec le best-seller de Lamartine, la Mort des Girondins, Jules Michelet, et puis Aulard et les historiens radicaux- socialistes, pour aboutir avec Soboul à la critique d'ex- trême gauche ! Les révolutionnaires partaient eux-mêmes d'une vision spécieuse de l'histoire romaine. Mommsen et Victor Duruy fournissent du « césarisme » une vision plus équitable. Celui-ci n'ouvre-t-il pas la voie à l'« uni- versalisme » et à la « splendeur de la paix romaine », comme disait saint Augustin. Exemple unique dans les annales, dans les chroniques, que les Antonins, ces rois- philosophes ! Si personne n'ignore Vitellius, les préto- riens, les vicissitudes du Bas-Empire romain, on sait aussi que le dominat était une magistrature dont le titu- laire se trouvait en charge de la res publica, de la lex romana. Vainqueur jusqu'à la Loire, Clovis accepte avec fierté de l'empereur Anastase, qui sauvait la face, le titre de Patrice et les insignes du consulat. Le roi des Francs, puis des Français, disposera du mundium ger- manique, ou autorité de décider par la parole, et du ban, pouvoir d'ordonner et d'interdire, mais aussi de ce qui s'attache à la majestas romaine. Les préjugés de beaucoup de Français contre « le pouvoir d'un seul » viennent de ce qu'ils ne connaissent pas assez l'histoire, et qu'ils ne distinguent pas toujours « l'homme royal », comme disait Platon, la royauté paternelle, la monarchie limitée, ou le charisme d'un Périclès, de la dictature aventuriste qui en est le con- traire... Les erreurs et les fautes de la monarchie française n'ont pas à être escamotées. De bonnes institutions ne garantissent pas absolument des précellences dans les œuvres ! Comme l'observe M. Michel Debré, elles pro- curent à la fois Richelieu et Brienne. Les hommes sont les hommes, et l'on retrouve toujours la question de l'Ecriture : « Qui gardera le gardien ? » Mais seule la centralisation du pouvoir permettait à la France... son édification, en mettant fin à la féo- dalité, en boutant hors du royaume l'Anglais, l'Alle- mand, l'Espagnol, et en avançant continument vers les frontières naturelles. D'abord il fallait s'opposer à la prétention du « roi des Romains » de considérer le roi des Français comme « un roi provincial » dans son empire universel. Contre l'école de Bologne, et ses bartolistes, Guillaume de Plaisians apporta la réplique : « Le roi de France est empereur dans son royaume. » La France dut se soustraire ensuite à la volonté théocratique de la papauté qui atteignit son maximum avec Boniface VIII et la démonstration implacablement logique de la bulle Unam Sanctam. Les « légistes du roi » trouvèrent de quoi répondre, et tout cela se termi- Analyste réputé dans l'establishment pour la sûreté de ses prévisions (ainsi le revirement du pouvoir socialiste, le départ des ministres communistes, l'audience de M. Raymond Barre), Albert Lebacqz, confident des grands leaders politiques, est aussi un historien dont l'originalité consiste à remonter le cours des évé- nements, expliquant le présent par de saisissants raccourcis... Avec « Les Droites et les Gauches sous la V République », Albert Lebacqz donne toute sa mesure d'expert, mais aussi de philosophe et de moraliste, car c'est toujours en partant des prin- cipes, et avec les plus hautes références culturelles, que l'auteur juge les institutions et les grandes familles politiques de la V République. En annexe, une « Histoire de l'U.D.S.R. » (il n'en existe pas en librairie). Comment ce « parti de la Résistance », sur lequel le général de Gaulle aurait pu s'appuyer, devint un « groupe char- nière » de la IV République dont M. François Mitterrand disputa victorieusement la présidence à M. René Pleven, c'est ce que raconte Albert Lebacqz.

Albert Lebacqz publie chaque jour une Note politique (L'A.R.I.), très lue dans les milieux diplomatiques, politiques, et des grandes affaires. Il rédige chaque mois la chronique de politique intérieure de la « Revue des Deux Mondes ».

58 F T.T.C. ISBN 2 7048 0395 1

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