FOCUS LES VITRAUX DE L’ATELIER MAUMÉJEAN DANS LES PYRÉNÉES BÉARNAISES 1. Saint Louis, vers 1930, SOMMAIRE DE L’OMBRE , église Saint-Michel. 2. Signature au bas d’un À LA LUMIÈRE vitrail. 3. Les frères Mauméjean dans l’atelier d’, vers 1925.

2 CHRONIQUE D’UNE RÉUSSITE INTERNATIONALE Plébiscitée par les commanditaires français, L’ambition de Jules-Pierre Mauméjean espagnols et américains, récompensée lors Mauméjean Frères - Mauméjean Hermanos des grandes expositions internationales Une activité entre art et industrie de l’entre-deux-guerres, la manufacture Mauméjean travailla à l’ornementation de 5 L’HISTORICISME DE L’ATELIER PRIMITIF plus de cinq mille cathédrales, basiliques ou Asasp-Arros, église Saint-Jean chapelles disséminées dans plus de trente- , église Saint-Martin quatre pays. , église Saint-Pierre Osse-en-Aspe, église Saint-Étienne Ayant accueilli les premiers pas de cette Rébénacq, église Saint-Jean-Baptiste dynastie au destin hors du commun, le Goès, église Saint-Jean-Baptise Béarn, le Pays basque et les Landes restent Soeix, chapelle Sainte-Lucie les témoins privilégiés d’une production originale qui, après avoir été sous-estimée 7 UN « MODERNE DE BON ALOI » en raison de sa monumentalité et de son Borce, église Saint-Michel éclectisme, apparaît aujourd’hui comme un Oloron-Sainte-Marie, cathédrale Sainte-Marie indispensable jalon conduisant de l’histori- Bedous, église Saint-Michel cisme de la fin du XIXe siècle aux recherches , église Saint-Martin plus drastiques menées par les verriers d’après-guerre. 9 CARTE Les vitraux de l’atelier Mauméjean dans les Pyrénées Béarnaises 2

En couverture : Vitrail d’une chapelle latérale de la cathédrale d’Oloron- 1 Sainte-Marie. 3 1 1- CHRONIQUE D’UNE RÉUSSITE INTERNATIONALE

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L’AMBITION DE JULES-PIERRE marché américain. En 1911, Charles - le benjamin MAUMÉJEAN de la fratrie - prit la direction d’une antenne pari- L’aventure artistique de cette dynastie débuta sienne qui connut un développement significatif en 1862, quand Jules-Pierre Mauméjean décida après la Première Guerre mondiale. de créer la première fabrique de vitraux peints Pour répondre à ce considérable afflux de com- de la région paloise. Fondée au moment où le mandes, les frères Mauméjean édifièrent, au vitrail connaissait un nouvel essor, la petite début des années 1920, une vaste manufacture à entreprise s’imposa immédiatement auprès Hendaye. Récompensés lors de grands concours d’une clientèle régionale. organisés à Philadelphie, Pampelune, Milan, Pourtant, confronté à une crise de la com- Barcelone, Séville ou Liège, ils se distinguèrent 3 mande dont les effets avaient été accentués plus particulièrement lors de l’Exposition par l’expulsion des congrégations religieuses, internationale des Arts décoratifs et industriels le peintre verrier dut se mettre en quête de modernes de 1925, où ils firent édifier leur propre nouveaux marchés. Contrairement à la plupart pavillon et remportèrent le Grand Prix dans la de ses confrères provinciaux qui envisagèrent catégorie « Architecture-Verre » . une salvatrice installation parisienne, il nourrit le projet d’établir son activité en Espagne où UNE ACTIVITÉ ENTRE ART il avait obtenu le titre de peintre officiel de la ET INDUSTRIE Maison royale. Dès le début des années 1880, il En dépit des intenses rythmes de production déménagea son atelier à et ouvrit une auxquels ils étaient soumis, les Mauméjean succursale madrilène dont il abandonna rapi- restèrent assujettis à des modes de fabrica- dement la direction à ses fils aînés - Joseph tion traditionnels. Contrairement à certaines 1. Jésus devant Pilate, 1934-1935, Verneuil-sur-Seine, et Henri - qui collaboraient depuis plusieurs grandes maisons concurrentes, qui avaient dû chapelle de l’institution années au développement de la petite entre- se résoudre à l’adoption de procédés méca- Les Oiseaux. prise artisanale. niques permettant une augmentation signifi- 2. Joseph Mauméjean cative des niveaux de rendement, les Palois se au travail dans l’atelier MAUMÉJEAN FRÈRES - contentèrent d’améliorer les techniques définies d’Hendaye. MAUMÉJEAN HERMANOS à l’orée du XIIe siècle, par le moine Théophile, et 3. Portrait de Jules-Pierre Tirant profit d’une réelle absence de concurrence, d’optimiser la longue chaîne d’opérations néces- Mauméjean. les fils de Jules-Pierre Mauméjean exprimèrent saires à la confection d’un vitrail. Ils procédèrent immédiatement de grandes ambitions. Sollicités notamment à une stricte rationalisation de leurs 4.Document publicitaire en français, vers 1925. dans toute la péninsule, pour l’ornementation locaux qui, de Paris à Madrid, accueillaient le tra- de prestigieux édifices civils ou religieux, ils vail répétitif, et sans doute peu valorisant, d’une 5.Décor de mosaïque ouvrirent de nouvelles annexes à Barcelone et importante main-d’œuvre hiérarchisée et forte- (détail), 1933-1937, Paris, 2 église Saint-Jean-Bosco. 4 Saint-Sébastien, et partirent à la conquête du ment spécialisée. 3 1. Signature au bas d’un vitrail de l’église de Goès. 2- L’HISTORICISME 2. Verrière composite, 1866, Asasp-Arros, église Saint-Jean. DE L’ATELIER 3. Saint Michel terrassant le démon, 1877, Rénénacq, église Saint-Jean-Baptiste. PRIMITIF

4. Saint Martin enchaîné (détail), 1871, Accous, église saint-Martin.

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À l’instar de tous les peintres verriers qui partici- droit – des premières réalisations du fondateur pèrent au renouveau du vitrail, durant le dernier de la dynastie qui, ne tenant pas véritablement quart du XIXe siècle, le fondateur de la dynastie compte des spécificités techniques du vitrail, Mauméjean souscrit au revival du style gothique traitait ses panneaux à la manière de miniatures qui, selon Flaubert, « port[ait] plus à la religion sur porcelaines. Les figures aux modelés doux et que les autres ». Dans les édifices religieux des vaporeux des scènes de la vie de saint Martin ou Pyrénées béarnaises, comme dans ceux de du Baptême du Christ peinent encore à se déta- l’agglomération paloise, des Landes ou du Pays cher sur des paysages complexes et sombres. basque, le Palois proposa une libre réinterpré- tation de modèles médiévaux dont la région SOEIX, CHAPELLE SAINTE-LUCIE conservait pourtant peu de spécimens. Le vitrail qui illumine la chapelle de Soeix fut sans doute réalisé durant la première décennie ASASP-ARROS, ÉGLISE SAINT-JEAN d’activité de l’atelier. Cette élégante représenta- Conçues en 1866, les verrières du chœur de tion de la Vierge à l’Enfant, qui fut remaniée a l’église d’Asasp-Arros figurent parmi les pre- posteriori, s’éloigne du modèle iconographique mières réalisations béarnaises de Jules-Pierre diffusé par la manufacture. Ici les personnages, Mauméjean. Installées sous de solides architec- drapés dans de larges tuniques immaculées sont tures mêlant des éléments issus des répertoires mis en valeur par un fond travaillé dans de pro- classique, baroque et rococo, les figures de saint fondes teintes de rouge. Joseph et de la Vierge encadrent une représen- tation intimiste de la Cène. Placé au centre de EYSUS, ÉGLISE SAINT-PIERRE l’oculus, le Christ étreint tendrement saint Jean, Fondée à l’époque romane et reconstruite aux sous le regard attentif des apôtres dont les sil- XVIe et XVIIe siècles, l’église d’Eysus fut ornée, houettes colorées se détachent nettement sur entre 1836 et 1879, de décors peints et de un fond damassé réalisé au pochoir. Témoignant vitraux. Dans les vaisseaux latéraux, les baies d’une plus grande maîtrise, les vitraux hagio- sont fermées par des verrières composites graphiques de la nef furent sans doute réalisés associant représentations figurées et orne- quelques années plus tard. ments. Emprunts d’une certaine mélancolie, les portraits en buste de saint Jean et de sainte ACCOUS, ÉGLISE SAINT-MARTIN Catherine dominent une superposition de L’église d’Accous, qui fut remaniée aux XVe, XVIIe compartiments polylobés ornés de motifs de et XIXe siècles, accueille un ensemble de verrières « cage à mouches ». Dans le chœur, l’autel est dessinées en 1871. Disposées dans la nef, le chœur éclairé par trois verrières sur lesquelles se déve- et le baptistère, elles offrent une remarquable loppent d’identiques décors architecturaux 4 2 3 illustration du style original – et parfois mala- associant – avec une grande liberté – arcades, 5 1. Sacré-Coeur de Marie, 1866, Osse-en-Aspe, église Saint-Étienne. 3- UN 2. Verrière composite, 1879, Eysus, église Saint-Pierre. « MODERNE 3. Couronnement de la Vierge (détail), vers 1920, Oloron-Sainte-Marie, cathé- DE BON drale Sainte-Marie. ALOI »

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tourelles et pignons. Le Sacré-Cœur de Jésus, Le succès considérable rencontré par la mai- un ensemble de sept verrières témoignant de la peint sur un fond damassé vermillon, est encadré son Mauméjean, entre 1920 et 1957, décou- lente évolution du goût des commanditaires. par de minutieuses représentations des appari- lait avant tout de sa capacité à répondre aux Dans les parties hautes de la croisée du tran- tions pyrénéennes de la Vierge. timides aspirations modernistes du clergé qui, sept, les vitraux évoquant les vies de la Vierge, dans sa grande majorité, ne se sentait pas plus de Jeanne d’Arc et de sainte Thérèse illustrent, OSSE-EN-ASPE, ÉGLISE attiré par les « mièvreries » du XIXe siècle que comme à Borce, un certain attachement aux SAINT-ÉTIENNE par les « outrancières » expériences menées par formules du passé. Les deux panneaux fermant Au fil des siècles, l’église romane d’Osse-en-Aspe Rouault, Matisse ou Picasso. Particulièrement les baies des deux chapelles situées à l’entrée connut de nombreux aménagements. Incendiée disposés à s’adapter aux demandes des curés, de l’édifice sont plus audacieux : renonçant aux par les troupes huguenotes, elle fut convertie les Palois développèrent un style consensuel, délicats modelés obtenus par l’ajout de grisaille en temple protestant (de 1569 à 1620) puis en « un moderne de bon aloi », qui se contentait de ou d’émaux, les frères Mauméjean misèrent ici temple de la Raison (1794) avant d’être finale- « rafraîchir » diverses formules historicistes à la sur l’emploi de verres teintés dans la masse et ment rendue au culte catholique. En 1886, elle source de l’Art déco. sur une raisonnable géométrisation des formes. fut ornée de peintures murales et de vitraux. Si 2 l’atelier Montaut d’Oloron fournit les vitraux du BORCE, ÉGLISE SAINT-MICHEL BEDOUS, ÉGLISE SAINT-MICHEL chœur, Jules-Pierre Mauméjean réalisa les ver- Bien qu’elles aient été dessinées dans les années Réalisés dans les années 1930, les sept vitraux rières à grands personnages de la nef. Fidèle au la complexité du style des peintres verriers de la 1920, à l’époque où une majorité d’intellectuels de l’église de Bedous forment un ensemble modèle qu’il développa dès le milieu des années fin du XIXe siècle qui, s’ils adoptèrent le réper- et d’artistes s’accordaient sur la nécessité de remarquable. Si les verrières consacrées à 1860, le Palois installa ses figures, enveloppées toire ornemental médiéval, ne purent renoncer à procéder à une acceptable modernisation de l’évocation des exploits de saint Michel s’appa- dans d’amples tuniques aux couleurs vives, sous « introduire les qualités propres à la peinture opa- l’art religieux, les verrières de l’église de Borce rentent – par leur graphisme et leur intensité une sobre architecture circonscrite par un liseré que dans la peinture translucide ». affichent un parti éminemment traditionnel. chromatique – aux plus belles réalisations Art perlé doublé d’une fine bordure constituée de Si les nuages et les flots figurés sur le Baptême déco de la firme, les panneaux hagiographiques motifs végétaux. GOÈS, ÉGLISE du Christ semblent s’animer sous l’effet d’une dédiés à sainte Cécile, saint Louis, saint Léon, SAINT-JEAN-BAPTISE légère stylisation, force est de constater la sainte Bernadette et saint Michel Garicoïts RÉBÉNACQ, ÉGLISE Installée en 1900, les verrières à grands person- mesure avec laquelle les peintres verriers trai- témoignent de la volonté des verriers de s’af- SAINT-JEAN-BAPTISTE nages de l’église de Goès sont peu représenta- tèrent l’ensemble. Cet historicisme tardif s’ex- franchir de tout naturalisme pour composer Pour l’église de Rébénacq, Jules-Pierre tives du style développé durant les premières plique sans doute par la nécessité d’accorder de chatoyantes mosaïques de verre aux lignes Mauméjean imagina un ensemble de verrières années d’activité de la manufacture. Comme le style des nouvelles réalisations avec celui de souples et stylisées. légendaires et de vitraux à grands personnages l’ensemble des œuvres produites au tournant l’architecture et des œuvres conservées dans évoquant, de manière assez traditionnelle pour du siècle, elles témoignent d’une finesse d’exé- l’édifice. LEDEUIX, ÉGLISE SAINT-MARTIN l’époque, les apparitions de la Vierge, la dévotion cution inédite : l’attention portée au traitement Les deux panneaux qui ornent le chœur de au Sacré-Cœur ou les saints patrons des familles des visages, des mains et des vêtements pourrait OLORON-SAINTE-MARIE, l’église de Ledeuix illustrent le génie créatif donatrices. Dais architecturés, fonds damassés, trahir l’intervention d’un nouveau peintre – peut- CATHÉDRALE SAINTE-MARIE des frères Mauméjean qui participèrent au motifs végétaux, perspective, profondeur des être Joseph, l’aîné des fils Mauméjean – au sein L’ancienne cathédrale Sainte-Marie, qui fut le renouveau technique du vitrail en élaborant la 6 paysages, clair-obscur… on entrevoit ici toute de l’atelier. siège de l’évêché jusqu’à la Révolution, accueille technique de la « mosaïcristal ». À mi-chemin 7 LES VITRAUX DE L’ATELIER 5 Église Saint-Etienne « C’est donc dès la MAUMÉJEAN DANS Place de l’église, 64 490 Osse-en-Aspe LES PYRÉNÉES BÉARNAISES 6 Église Saint-Jean Baptiste tombée du jour, un Place de l’église, 64 260 Rébénacq 7 Église Saint-Jean Baptiste décor mystérieux d’un 1 Église Saint-Jean Place de l’église, 64 400 Goès Rue d’en Haut, 64 660 Asasp-Arros 8 Église Saint-Michel gris laiteux rehaussé 2 Église Saint-Martin Village, 64 490 Borce Rue de Haut, 64 490 Accous 9 Cathédrale Sainte-Marie d’or qui s’offre à nos 3 Chapelle Sainte-Lucie Place de la cathédrale, 64 400 Oloron Sainte-Marie Rue Sainte-Lucie, Quartier de Soeix 10 Église Saint-Michel regards […]. » 64 400 Oloron Sainte-Marie Rue de l’Ardoisière, 64 490 Bedous 4 Église Saint-Pierre 11 Église Saint-Martin A. Gérault, « Vitraux et mosaïques », Village, 64 400 Eysus Rue de l’église, 64 400 Ledeuix Le Bâtiment illustré, juin 1935.

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entre le vitrail et la mosaïque, ce procédé – qui 1. Baptême du Christ, vers 1920, Borce, église 2 fit l’objet de plusieurs dépôts de brevets en Saint-Michel. et en Espagne – consistait à remplacer une partie du réseau de plomb par une arma- 2. Planche de présentation de la technique de la mosaïcris- ture en ciment armé recouverte de tesselles de tal, 1934. céramique dorées. À la nuit tombée, le décor prenait une nouvelle dimension grâce à l’éclai- 3. Panneau de mosaïcristal, 8 effet nocturne (détail), Ledeuix, 8 rage électrique. église Saint-Martin. 9 « DIRE MAUMÉJEAN C’EST DIRE ART, C’EST RAPPELER UN NOM QUI VIENT À L’ESPRIT DE TOUS QUAND NOUS CONTEMPLONS N’IMPORTE QUELLE GRANDE ŒUVRE ».

Journal La Accíon, 15 février 1923.

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