justice et politique entretien

La première rencontre avec Roland Dumas a lieu moins de quarante-huit heures après son entretien avec Jean-Jacques Bourdin à RMC et la polémique sur « l’influence juive » et . Dans l’ancien atelier de la sculptrice Camille Claudel sur l’île Saint-Louis où il vit depuis 1956, c’est l’effervescence. Ses trois lignes téléphoniques sonnent à tue-tête : des journalistes bien sûr, des proches qui s’inquiètent, des clients toujours, mais aussi des appels masqués le menaçant de mort.

Depuis ses études de droit et de sciences politiques débutées sous l’Occupation, Roland Dumas a toujours navigué entre la justice et la politique, avec un anticonformisme certain et le sens de la provocation. Avocat durant soixante ans au barreau de Paris, il a défendu Marc Chagall, Pablo Picasso, Jacques Lacan. Mais aussi François Mitterrand, Pierre Mendès ou Pierre Bérégovoy. Il a connu également la justice de l’autre côté de la barre au moment de l’affaire Elf. En plein « Dumas bashing », il fallait donner du temps au temps pour que l’ami de François Mitterrand puisse s’exprimer dans toute sa complexité.

par Alexandre Chabert portraits Arnaud Meyer

37 38 Charles Charles Justice et politique roland dumas « Pendant la guerre, des étudiants de , evenons donc quelques années en arrière... À quel qui étaient des mecs avec du fric, s’étaient réfugiés moment vous êtes-vous dit : « Je veux faire de la politique » ? J’ai toujours eu envie de faire de la politique. Je vais vous à . Ils avaient des pantalons de golf, raconter une anecdote. Mon père était petit fonctionnaire, ils draguaient les filles. Ça m’impressionnait. ma mère élevait les gosses, on vivait dans le Limousin et le Et j’ai dit à mon père : “Je veux faire Sciences Po.” » dimanche, on allait les uns chez les autres. Ma mère avait une copine qui était fiancée avec un propriétaire terrien un peu snobinard, qui m’interrogeait sur des sujets dont je ne savais rien. Et donc un dimanche, il me demande : « Alors Roland, qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? » Goguenard, je Rlui réponds : « Moi je veux être président de la République ! » Tout le monde se marrait, la gare et monte dans un train sans billet pour Lyon. J’ai sur le réarmement allemand. Et donc je fais une liste mais pour moi, c’était tout naturel. pris le maquis. Mon père a été fusillé, moi condamné. de socialistes indépendants avec un vieux copain, qui Et avocat ? Et j’ai attendu 44, j’ai posé des petites bombes par-ci, était sénateur et avocat à Limoges. On fait chier la SFIO. J’ai eu affaire avec la justice dès l’âge de 8 ou 10 ans. J’avais arraché les plantes du par-là. À la Libération j’ai repris ma licence, parce que je J’arrive à Paris, je n’avais pas de groupe où aller. C’est là jardin de la maison que louaient mes parents pour les vacances. Ça s’est terminé au n’avais que la première année. Je me suis ensuite inscrit que j’ai retrouvé Mitterrand, que j’avais vaguement vu à la tribunal ! Il y avait eu une bagarre entre les avocats, j’avais trouvé cela marrant... au barreau. Libération. Et là, Mitterrand me dit : « Je vais vous donner Ce monde des avocats commençait à m’intéresser. Je gardais ça dans ma tête. Et Comment avez-vous commencé à exercer ? mon investiture. » Et je suis élu. Alors Mitterrand me dit : puis, le temps passe. Au début de l’Occupation, je ne savais pas quoi faire. J’avais Je n’avais pas de local mais j’avais une petite amie, et « Comment vous avez fait ? » Alors je lui dis : « Vous savez, mon bac, mais enfin ce n’était pas suffisant, et je pars en vacances en Normandie elle était bonne chez un type qui avait un cabinet moyen c’est très compliqué. » J’avais premièrement derrière moi avec d’autres garçons. Un jour, dans un virage, un type avec une énorme voiture dans le Quartier latin. Celui-ci m’a reçu et m’a dit : « Alors les communistes dissidents de Guingouin qui passaient décapotable accroche notre voiture. On s’arrête, je sors du véhicule, c’était un type écoutez, vous serez mon collaborateur, mais je ne vous dans toutes les fermes où il avait fait son maquis ; avec une nana, très belle – moi je regardais surtout la fille. Le type dit : « Faut que donne pas un sou. » C’était l’usage. « Mais je vous donne deuxièmement, les socialistes dissidents de mon ami je sois ce soir à Paris, je plaide une affaire demain. » Ça m’en a foutu plein la vue ! une pièce. » Au bout de deux-trois mois, j’avais plus de sénateur, et troisièmement, le plus drôle : les poujadistes. C’était Maître Jean-Charles Legrand, l’avocat le plus à la mode. Moi ça ne me disait clients que lui ! Alors qu’en même temps, je faisais le Pourquoi les poujadistes ? Parce que Pouja imprimait son rien à l’époque, mais il m’avait alors impressionné, comparé à mon père, le petit métier de journaliste (au service étranger de l’Agence journal pour les commerçants, dans la même imprime- fonctionnaire… économique et financière de 1949 à 1955 – NDLR). Et rie que moi. Il imprimait le lundi, et moi je faisais mon Et vous avez fait des études de sciences politiques et de droit …. là, m’arrive ma première grosse affaire : celle du colonel petit journal électoral le mardi. On déjeunait toujours au J’étais à Limoges. À l’époque c’était un bled, c’était un peu la campagne déjà. Euh , chef des maquis, dissident du Parti bistrot du coin. Un jour, il me dit : « Alors petit, tu veux être non, depuis toujours (Rires) ! Je tournais en rond. Pendant la guerre, des étudiants communiste, renvoyé devant la cour d’assises (victime candidat ? » Je dis : « Oui, mais ce n’est pas simple. » Il m’a de Sciences Po, qui étaient des mecs avec du fric, s’étaient réfugiés à Limoges. Ils d’une machination l’accusant de meurtre – NDLR). dit : « Écoute, tu ne peux pas te présenter sous mon étiquette, avaient des pantalons de golf, ils draguaient les filles. Ça m’impressionnait aussi. J’avais quoi ? Deux ans de barreau ! Et là je m’impose, et ce serait une connerie. Mais ce que je vais faire, c’est que je Et j’ai dit à mon père : « Je veux faire Sciences Po. » Il m’a dit : « Mais enfin, tu es fou, je prends le dossier, et je fais acquitter Guingouin... C’est ne présenterai pas de candidat contre toi. » Et donc, j’ai eu faire Sciences Po ! » Il voulait que je fasse Polytechnique. Mais moi, ça m’emmerdait comme ça que les choses se sont agglutinées autour de des voix poujadistes. Et j’ai fait un siège. Ça a époustouflé et je me suis inscrit à Sciences Po, alors réfugié à Lyon. C’est là-bas que j’ai eu moi. tout le monde. Je dis quelquefois que la chance passe. Il de « mauvaises fréquentations » dans la Résistance. J’ai fait quelques conneries. Et En 1956, vous devenez député à l’âge de 33 ans y a deux attitudes : ou on la regarde passer, ou bien alors en mai 42, je suis arrêté (pour avoir organisé à Lyon le boycott par les étudiants en vous appuyant lors de la campagne électorale hop, on l’attrape par les cheveux. lyonnais de l’Orchestre philharmonique de Berlin − NDLR). Ils me foutent à Fort justement sur le réseau de Guingouin. Pendant la guerre d’Algérie, vous défendez la Barraux. Au bout de trois semaines, j’en avais marre. Lors d’une corvée de bois, je C’est effectivement avec l’affaire Guingouin que j’ai cause de l’indépendance de l’Algérie à la fois au Palais me planque et je m’échappe. Ce n’est pas héroïque… Je me retrouve hors de la forte- démarré en politique. En 56, vous étiez trop jeune, mais je de justice et au Palais Bourbon. resse, avec un ou deux francs et sans papiers. Je marche deux kilomètres jusqu’à vais vous rafraîchir la mémoire : c’était la grande bagarre Je faisais de la politique avec mon métier d’avocat. La

39 40 Charles Charles Justice et politique roland dumas « J’ai proposé à Mitterrand de prendre une affaire. Et il m’a dit : “Je vais être votre collaborateur.” C’était un peu comique tout ça. Il a plaidé pour l’actrice Dawn Addams. »

guerre en Algérie se prolongeait ainsi à Paris. À l’Assem- d’abord. Une fille l’a tapée. C’est là où il y a eu la fameuse blée, il y avait tous les jours des votes. Et alors, moi, j’étais phrase qui a été reprochée à Jean-Paul Sartre : « Si le FLN apparenté à l’UDSR qui votait dans sa totalité pour le gou- me le demandait, je transporterais des armes. » vernement. Et on mettait une exception : « Roland Dumas Ça… c’est de vous ? contre ». Mitterrand ça l’énervait. Et je disais : « Tant que Oui, c’est de moi. (Rires.) Je suis allé le voir en Espagne et le gouvernement fera cette politique, je voterai contre. Mais il m’a dit : « Vous y avez été un peu fort quand même. Mais quand il changera de politique, je vous promets, je voterai enfin je ne démentirai pas, je dirai rien. » pour. » Ça a pris dix-huit mois. … en 58 de Gaulle revient au pouvoir. Avec Et au Palais de justice, vous défendez les porteurs François Mitterrand, vous vous retrouvez sans siège de valises du réseau Jeanson, le secrétaire de Jean-Paul à l’Assemblée. Et le futur président de la République Sartre aux Temps modernes, et vous travaillez avec devient votre collaborateur. Jacques Vergès qui défendait les militants du FLN. On était tous battus, j’ai alors repris mon cabinet tranquil- On ne travaillait pas ensemble, on était même rivaux. lement. Et lors du procès des Algériens, avec Vergès, on Vergès et son groupe ont même voulu prendre la main sur s’est fait suspendre tous les deux comme je vous l’ai déjà la défense du réseau Jeanson. Au cours du procès, il y a dit. Et donc à ce moment-là, je ne pouvais plus plaider. eu une surenchère entre nous deux. Moi, j’ai pris six mois J’avais trois ou quatre clientes, des filles de cinéma. J’ai de suspension de barreau parce qu’on a un peu insulté le proposé à Mitterrand de prendre une affaire. Et il m’a dit : tribunal. J’avais dit au président : « Ce n’est pas vous qui « Je vais être votre collaborateur. » C’était un peu comique dirigez ce débat, c’est nous. Ça durera le temps que ça durera, tout ça. Il a plaidé pour l’actrice Dawn Addams. trois mois, six mois, un an s’il faut. » Alors là, on avait joué C’était un bon avocat, un bon orateur, Mitterrand ? avec la procédure, on s’était débrouillés comme des chefs. Non, il ne savait rien. C’était un littéraire, Mitterrand. On est partis pendant qu’il rendait le jugement. Donc ils Il n’a pas fait de carrière d’avocat, il a plaidé une seule ont rendu le jugement par défaut. Quand on est rentrés affaire un peu sérieuse, qui sortait de l’ordinaire, une dans la salle, le président nous demande : « Où étiez- affaire littéraire sur une contrefaçon d’un roman célèbre vous ? » Et alors Vergès, avec insolence, lui dit : « Monsieur du xviiième-xixème. Il avait un copain éditeur, qui lui a confié le président, j’étais entre les mains de ma masseuse. » Et le dossier… Mais il n’était pas encore ce qu’il est devenu. la salle rigolait. Le procès a eu lieu. On a bien défendu Il avait été ministre, mais petit ministre. Notre amitié quand même. Ça avait pris une ampleur telle que tous date de cette époque. On sortait beaucoup, on draguait. les jours le tribunal était plein de journalistes, mais aussi On était jeunes, il était un peu plus vieux que moi, mais de gens qui venaient assister au spectacle. Et ils ont pris enfin pas tellement. Et il avait des filles sensationnelles. conscience de ce que c’était que la guerre d’Algérie. Je me rappelle d’une maîtresse à Neuilly, une beauté. Je ou r c harl es Et il y a cette histoire de « faux témoignage » de ne me souviens plus comment il l’avait levée. Jean-Paul Sartre en soutien aux porteurs de valises, En 1959 a lieu l’affaire de l’attentat de avec sa signature imitée par Siné. l’Observatoire (François Mitterrand est accusé par ud meye r p Ça s’est passé ici-même. Siné avait picolé un peu. Le l’ancien député Robert Pesquet de lui avoir demandé arna

© matin on s’était installés, alors, on avait fait la lettre d’organiser un faux attentat contre lui en vue de

41 42 Charles Charles Justice et politique roland dumas « Mitterrand me raconte : “Je vois dans mon rétroviseur, une voiture qui me suit. Je me dis : ça y est, c’est le gars.” redorer sa cote de popularité alors en berne – NDLR). lui fait le premier baratin. À partir de là, c’est Mitterrand Il s’arrête au jardin de l’Observatoire, il ouvre la porte Dans quelles circonstances vous demande-t-il d’être qui me raconte. Pesquet lui dit : « Je suis dans un groupe. et il saute dans le buisson. Mitraillette. Et Mitterrand a toujours dit, son avocat ? Vous savez, moi, je suis un peu de droite, mais j’ai horreur du mais enfin là, moi je ne peux pas garantir : Un soir, je prends ma voiture, j’allume la radio et j’ap- sang. Je ne suis pas un révolutionnaire. Or, il se prépare un “C’était un vrai attentat”. Il dit que s’il n’avait prends l’attentat de Mitterrand. Je change d’itinéraire attentat contre vous. Alors je vous le dis, on va se revoir si et vais directement chez lui. Et là, j’arrive : Mitterrand vous voulez, mais surtout gardez ça pour vous. Si jamais ça pas sauté dans le jardin, ils le tuaient. » n’était pas là, il y avait sa femme qui me dit : « François se sait, moi ils me zigouillent. » Alors ça, c’est la version de te cherche partout. Il est chez Georges (Dayan), il t’attend. » Mitterrand. Et il accepte de le revoir, mais ça il ne me le dit J’ai pris ma voiture et je suis allé rue Saint-Honoré. Et il pas. Il accepte de le revoir le lendemain, puis le surlende- était dans les appartements de Georges… Il faisait les main. Et la veille du faux attentat ou de l’attentat, il voit cent pas. Et alors je lui ai fait raconter l’histoire. Et il Pesquet affolé qui lui dit : « Monsieur le ministre, c’est pour et des assassinats politiques. Si la première partie de Et pour conclure avec cette affaire de l’Observa- me raconte sa version. Il me dit : « Qu’est-ce que vous en demain. Alors ne changez rien à vos habitudes. » Alors Mit- l’histoire est vraie, tout le reste en découle. À partir de toire, comment vous expliquez que Mitterrand n’ait pensez ? » Alors je lui dis : « Ce sera votre parole contre la terrand lui donne son itinéraire. « Je dîne chez Lipp, puis je là, j’ai pris l’affaire en main, je peux vous dire que je me pas dit à la police, et ne vous ait pas dit surtout à vous sienne (Robert Pesquet – NDLR) Vous êtes ancien ministre partirai vers onze heures, onze heures et demie. Je prendrai suis remué. Et j’ai appris par des racontars, qu’en réalité qu’il avait rencontré Pesquet les jours précédents de la République, ça a un peu plus de poids. » On se quitte la rue qui remonte vers le Sénat, je tournerai à droite, etc. » le juge d’instruction connaissait Pesquet, qu’ils avaient l’attentat ou le faux attentat ? à trois heures du matin et on se donne rendez-vous le Et Mitterrand me raconte après : « Je prends mon itinéraire, été ensemble aux élèves officiers de Fontainebleau. Alors J’ai souvent posé la question à Mitterrand. Sa réponse lendemain. et je vois à un moment dans mon rétroviseur, une voiture j’ai fouillé, je suis allé à Fontainebleau, et le bonheur était la suivante : « Roland, je ne vous ai rien dit à vous − Et donc il ne démord pas de sa version, Mitterrand, qui me suit. Je me dis : ça y est, c’est le gars. » Il s’arrête au a fait que j’ai récupéré une photo où ils sont ensemble. pourtant vous étiez là, tout à fait au départ − mais Pesquet il vous ment ? jardin de l’Observatoire, il ouvre la porte et il saute dans J’ai payé Pesquet pour l’avoir. On a réglé ça en Suisse. Et était tellement affolé à l’idée que ça puisse se savoir… il Oui, enfin ça sera la version qui sera vérifiée après. Il le buisson. Mitraillette. Et Mitterrand a toujours dit, mais donc j’ai la photo, et devant la chambre d’accusation, je risquait de se faire exécuter. Je ne l’ai donc dit à personne. » me rappelle une scène où on était tous les trois : Robert enfin là, moi je ne peux pas garantir : « C’était un vrai dis : « Messieurs, vous allez avoir un procès superbe. » Les Il ne l’a même pas dit au bâtonnier, il ne l’a dit à aucun de Pesquet, lui et moi. On était au Palais de justice, et au attentat ». Il dit que s’il n’avait pas sauté dans le jardin, ils types, ils sont devenus blancs (Rires.) Ils ont rendu un ses amis, même pas à Dayan. Et à moi à plus forte raison. moment où on part, Pesquet vient me voir : « Comment le tuaient. Et version Pesquet : « Il était d’accord, on avait non-lieu. Mitterrand, il est tombé dans un piège, et ça c’était le vas-tu ? » Moi je le connaissais, Mitterrand ne le connais- dit qu’il sauterait là, et que je tirerai sur la voiture, mais que Est-ce que vous croyez à la thèse du complot plus humiliant pour lui. C’était un super ministre de l’In- sait pas du tout. la voiture serait vide. » Voilà, c’est les deux versions qui politique ? térieur, homme de gauche, malin, roublard. On parlait de Et vous êtes sûr de ça ? continueront à se heurter jusqu’à la nuit des temps. Oui. Parce qu’après les langues vont se délier, et j’étais lui comme d’un vénitien malin, et puis il s’est fait piéger Ah je vous garantis que c’est vrai. Et quelle est votre version ? très copain au barreau avec l’avocat Jacques Isorni. Isorni par un petit bonhomme, quoi. On m’a raconté, je ne suis pas allé sur place vérifier Pfff. Je suis très embarrassé de répondre. Je pense que et Tixier-Vignancour travaillaient avec la même clientèle Comment vous êtes devenu l’avocat du Canard les témoignages, mais il semblerait qu’ils se soient toute la première partie est vraie. Mitterrand a toujours d’extrême droite, mais ils ne pouvaient pas se supporter. enchaîné ? Vous connaissiez déjà des gens ? rencontrés pendant la guerre, du côté de Cormatin, prétendu qu’ils voulaient le tuer. Lors de la reconstitu- Quand Isorni est devenu l’avocat de Robert Pesquet, il Ah, je connaissais beaucoup de gens. Déjà, j’avais un en Saône-et-Loire. tion, ils devaient tirer avec des balles à blanc. Mais Mit- n’était pas mécontent de pouvoir tailler des croupières à excellent ami qui travaillait à RTL qui faisait des piges Alors ce n’est pas impossible, mais je vous garantis terrand a dit : « Non, non, je veux qu’on tire à balles réelles. Tixier-Vignancour. Et un jour, il m’a dit : « Tu sais, toute pour le Canard... Et par lui, j’avais fait la connaissance du que ce jour-là, lorsque Mitterrand revient du kiosque Je préférerai me prendre une balle dans la jambe, mais l’affaire a été montée par Tixier contre Mitterrand. » Il m’a directeur général. Et ils avaient un vieil avocat, qui était où il a acheté Le Monde, lorsque je lui demande : « Vous pour mon honneur, c’est mieux. » Je crois en Mitterrand. dit : « Je te jure. » Ce qui fait que j’étais armé pour aller là depuis longtemps. Ils n’en étaient pas très contents. connaissez Pesquet ? », il me répond « Non. » Mais vous Forcément. J’étais son avocat en plus. chez le juge d’instruction. J’avais les photos et en plus je Et donc un jour mon copain me dit : « Ça vous dirait d’être savez, à l’Assemblée nationale, il y avait 350 types à Mais il n’y a pas un moment, où vous lui avez dit : savais. (Rires.) Donc je renseigne Mitterrand. Mitterrand avocat du Canard ? » Et donc là, on ne réfléchit pas. On a fait l’époque. Pesquet connaissait Mitterrand bien sûr, mais « Bon allez François, qu’est-ce qu’il s’est passé ? » est confronté avec Tixier, qui avait demandé la confron- un déjeuner, on a parlé, et puis la première affaire arrive. Mitterrand ne connaissait pas Pesquet. Et donc Pesquet Non, non. Je ne lui ai pas dit : « Je te crois pas ». Mais il était tation. Il a dit : « Monsieur le juge, je vais vous demander de C’était les diamants de Bokassa. (Le Canard enchaîné dit : « On peut prendre un verre. » Alors on va au petit café tellement acharné sur cette version, que je ne peux pas noter ce que je vais vous dire, M. Tixier-Vignancour qui se avait dévoilé que l’empereur de la République centra- en face, au bar des Deux Palais. On s’assoit, Mitterrand douter. dit avocat est une fripouille. Je vous dis fripouille, écrivez fricaine avait offert en 1973 une plaquette de diamants continue à lire son journal, et moi je parle à Pesquet. Et Par loyauté ? fripouille ! » Bon ça a pris cette tournure. Et puis alors de trente carats destinée à Valéry Giscard d’Estaing, qui quand on se quitte, Mitterrand dit : « Moi je vais marcher Par loyauté, non, mais il faut comprendre le contexte. l’affaire donc finit par avorter… n’avait à l’époque pas déclaré ce cadeau – NDLR). Giscard un peu. » Et Pesquet dit : « Je viens avec vous. » C’est là qu’il C’était une époque où il y avait des tueurs professionnels n’a pas voulu faire le procès lui-même, il l’a fait faire

43 44 Charles Charles Justice et politique roland dumas « Je suis resté dix ans au Canard. On s’est fait trois présidents quand même ! Il y a eu les diamants de Bokassa sous Giscard, “la commode à Foccart” comme ils disaient sous de Gaulle et les écoutes du Canard sous Pompidou. Et sur les trois sujets, on les a balayés ! »

par ses cousins. Et c’est devenu une mascarade. À l’au- spécialisé dans les affaires juridico-politiques ? dience, il avait pris le plus grand bâtonnier de l’époque. Comment l’expliquez-vous ? La salle était pleine de monde. Et on a gagné le procès. Dès que des affaires politiques voyaient le jour, si c’était Et vous avez observé des pressions sur les juges ? une affaire de droite, ils allaient voir des avocats de Le président du tribunal civil devait sa nomination au droite, Isorni, etc. Et si c’était des affaires de gauche, on président de la République. Il était là pour condamner venait me voir. le Canard. Après, j’ai su qu’il avait été mis en minorité Mais là, c’était presque des affaires judiciaires, par ses deux assesseurs qui voulaient l’acquittement du avec un volet politique à chaque fois. Canard. Les discussions ont duré quinze jours, mais les Exactement. Et moi j’étais là pour développer le volet deux types n’ont pas cédé. Le président a alors dit : « Dans politique, et je substituais l’audience politique qui ne ce cas, je ne fais pas de jugement. » Et il l’a donné à son pouvait pas avoir lieu à l’Assemblée nationale au Palais premier adjoint. Vous savez qu’à cette occasion, le tirage de justice. du Canard est monté jusqu’à plus d’un million et demi Le journaliste Georges Marion a écrit que lors de d’exemplaires. Ça n’a pas été dépassé depuis. l’affaire de Broglie, vous aviez transmis des informa- Vous avez plaidé contre Giscard… qui était un tions à François Mitterrand, qui s’en servait pour les vieux copain (Ils avaient sympathisé en 1956 au sein exploiter politiquement. du Mouvement des nouveaux élus – NDLR) ? C’est-à-dire que j’ai évité à Mitterrand de faire fausse Oui, il m’en a beaucoup voulu. Je lui ai, après coup, dit route. Mitterrand, il avait une vision purement politique, qu’il avait un procureur général nul. Et dès que Giscard mais erronée. Alors, je ne lui disais pas : « Le coupable c’est faisait une réunion à l’Élysée, je savais ce qui s’était dit. untel. » Mais je disais : « Votre vision n’est pas la bonne. » Il C’était fou. On s’est ensuite réconciliés. Je suis resté dix n’était pas tout à fait dans le secret professionnel, mais ans au Canard. On s’est fait trois présidents quand même ! enfin on s’en approchait. Il y a donc eu les diamants de Bokassa sous Giscard, « la François Mitterrand arrive au pouvoir en 81. commode à Foccart » comme ils disaient sous de Gaulle Vous n’êtes plus l’avocat du Canard à partir de ce (Le Canard avait révélé qu’une commode du Palais de moment-là ? l’Élysée permettait d’écouter les autres pièces − NDLR), Si, si, je le suis encore, jusqu’à ce que j’entre au gouverne- et les écoutes du Canard sous Pompidou (Des agents de ment en 1983. Alors évidemment, les gens venaient me la DST déguisés en plombiers avaient installé des micros voir pour d’autres affaires. C’était des gens qui avaient dans les bureaux de l’hebdomadaire – NDLR). Et sur les un procès en propriété, ou fiscal. Ils considéraient que du trois sujets, on les a balayés ! fait que j’étais bien avec Mitterrand, j’allais avoir tout le ou r c harl es Vous êtes ensuite l’avocat du frère de Stephan monde à ma botte. Ce n’était pas le cas, parce que je ne Marković, puis du policier Guy Simoné, qui avait confondais pas les genres. m’a apporté par fourni l’arme du crime de Jean de Broglie, puis de exemple deux ou trois dossiers de grandes sociétés. ud meye r p Roger Delpey, l’informateur du Canard dans l’affaire à cette époque-là, vous informiez Le Canard arna

© Bokassa. D’une certaine manière, vous vous êtes enchaîné ?

45 46 Charles Charles Justice et politique roland dumas « Lors du procès de Klaus Barbie, j’ai pris Klarsfeld à part et lui ai dit : “Écoute, c’est stupide la façon dont Quand j’avais les bons tuyaux, je leur en faisais profiter. des prisonniers, fusillés, etc. me désigne. J’ai repris ma le procès s’engage. Vous allez diviser les avocats juifs Quel genre de bons tuyaux ? robe pour venir défendre madame Lefèvre, dont le mari (Silence) Mais enfin pour finir sur ce sujet, le jour où j’ai avait été torturé et déporté par Barbie. Madame Lefèvre des avocats non-juifs. Ce n’est pas ça la Résistance, été nommé ministre, Mitterrand m’a dit : « Vous n’avez était une belle femme aux cheveux blonds. On prétend la Résistance ça a été au contraire, plus à faire vos preuves au Palais, c’est fait. » Alors ils maintenant que Barbie l’aurait épargnée parce qu’il était tout le monde.” On a sauvé le procès. » avaient fait un petit encadré en bas à droite de la page de un peu amoureux d’elle. Mais son mari a été déporté, Une, avec un petit canard qui s’en va comme ça, un code et son fils a été fusillé. Et donc ce qui était intéressant, civil sous le bras, et qui dit : « Et moi, qu’est-ce que je vais c’était le procès lui-même, parce que c’est une histoire devenir ? » Le titre, c’était « Dumas ministre ». C’était très incroyable, d’abord la façon dont Barbie avait été arrêté sympa. et transféré en France. Donc ça a été la première partie de cette connerie. Vous n’allez pas faire ce procès comme ça. Ce Ça a tiraillé. On ne se ménageait pas dans l’audience Et Mitterrand, il communiquait avec Le Canard la plaidoirie de Vergès. Ensuite Vergès a trouvé le moyen procès, c’est un procès de la Résistance contre l’hitlérisme. » publique. Vergès pensait qu’il allait tirer son client enchaîné ? de dire : « Mais qu’est-ce que vous lui reprochez ? C’était la On a sauvé le procès. Parce que sinon cela aurait été très d’affaire… Ce qui a été le fait saillant du procès c’est que Mitterrand ne les aimait pas. Il n’épargnait personne. guerre, et nous, nous avons fait pire en Algérie, et dans les néfaste sur le plan politique parce qu’on aurait dit : « Ils les gens sont venus expliquer les tortures, en présence En 81, donc, on vous attend garde des Sceaux. colonies. » Donc il avait constitué un collège d’avocats, n’arrivent pas à s’entendre ». Et donc le procès s’est bien de Barbie. C’était un procès affreux. Et puis surtout, Cela a été la grande querelle avec Badinter. Bon, c’est avec deux bras cassés : un Algérien et un Africain, qui terminé, aussi parce que Vergès a bien plaidé, intelligem- l’affaire des enfants d’Izieu que j’ai plaidée. Il y avait une vrai que ça lui revenait objectivement. Moi-même, sont venus dire quelques mots, comme ça, mais le gros ment, il s’était arrangé pour que son client ne vienne pas maison de vacances en pleine montagne, à quarante j’avais dit à Mitterrand : « C’est un bon choix, Badinter. » morceau, c’était Vergès. Alors ça a dégénéré assez vite, à l’audience, pour qu’on ne lui pose pas de questions… ou cinquante kilomètres de Lyon, ils étaient là, cachés, Il n’aspirait qu’à ça Badinter, depuis toujours… Et puis, parce que tout le palais de Lyon était mobilisé, on avait Moi, il m’a pris à partie, il m’en a voulu que je ne partage tranquilles, depuis quelque temps. Et les parents étaient Mitterrand avait un pacte avec Badinter sur la peine de fait ouvrir une salle spéciale. Et est apparu un clivage pas la même thèse que lui. Tout en nuançant. dispersés dans la nature, les gosses étaient gardés. Il mort. Ce qui était évidemment déséquilibré, c’est que extraordinaire à ce moment-là, car tous les avocats juifs Pris à partie dans les coulisses ? y avait des femmes admirables. Et bon, un jour, Barbie moi je n’avais rien. Je suis resté tranquille deux ans, j’ai – je vais encore me faire traiter d’antisémite, mais enfin Oui, c’est ça. C’est ce qu’il me disait : « T’es un salaud, etc. » a reçu une lettre de dénonciation, il est arrivé avec ses fait mon travail de député, et mon métier d’avocat. Puis peu importe –, tous les avocats juifs de Lyon avaient Il me reprochait de ne pas avoir la même position que lui. sbires, et les a ramassés. Il les a tous raflés, les a mis dans un beau jour, au cours d’un voyage en Yougoslavie, il a constitué un groupe, qui a voulu accaparer le procès, en « C’est-à-dire tu as été un avocat anticolonialiste, on a plaidé le train. On les a emmenés à Auschwitz, ils ont tous été demandé de prendre un petit déjeuner avec moi. « Je vais nous éliminant. Moi, j’avais constitué un petit consor- ensemble pour les Algériens, pour des Africains. » Je disais : brûlés. vous faire entrer dans le gouvernement. » J’ai été ministre tium d’avocats français, avec mon collaborateur. « Ce n’est pas le même problème. » On s’est un peu fâchés à Et est-ce qu’à un moment, vous avez dit à Jacques des Affaires étrangères pendant dix ans. Il y avait Gilbert Collard aussi ? ce moment-là. Après, il a fait un article un peu venimeux. Vergès : « Comment tu peux défendre Klaus Barbie ? » Votre nomination aux Affaires étrangères était le Collard est venu. Comme toujours, il s’est glissé là-dedans. Voilà, le procès d’un point de vue politique ou philoso- Non même pas. Mais il avait quand même des arguments fruit d’une discussion commune ? Mais la tentation du barreau lyonnais, c’était de dire : ce phique, c’était un peu ça, mais ça n’a pas débouché sur pour lui. Je ne dis pas sur le fond. Mais il disait : « Moi Je pense que ce qui a impressionné Mitterrand, c’est le procès, c’est essentiellement le procès des juifs, de la la grande place publique, qui s’en est tenue aux aspects j’étais chez de Gaulle. » Il s’est engagé à l’âge de 18 ans. fait que je parle un grand nombre de langues étrangères. Shoah. Donc on n’a pas besoin de vous. C’était un peu ça superficiels. Il était dans la Marine. Il ne s’en vantait pas tellement. Et lui, il avait un mal fou à parler anglais. Et en même l’atmosphère. Mais ces divisions, comme vous le disiez, entre Mais quand on l’attaquait, il disait ça. Et en plus, il avait temps, le fait que j’aie des relations avec les résistants Et qui disait cela? les « avocats juifs », et les autres, c’est quelque chose une lettre personnelle de De Gaulle, datée de 45 ou 46, grecs, avec les Espagnols. Tout ce qui bougeait un peu C’était Alain Jakubowicz qui était un peu le chef de file de qui était, comment dire… « presque officiel » ? « adressée à Vergès, mon compagnon ». Ça avait de la dans le monde, quoi. Il m’avait dit aussi : « Vous avez très tous les avocats. C’était évident, oui c’est connu. Vous pouvez interroger gueule quand même, ça le rendait invulnérable. bien réussi comme avocat, prenez chacun de nos dossiers Serge Klarsfeld aussi ? Klarsfeld. Appelez-le, dites-lui : « C’est Roland Dumas qui J’ai lu dans votre livre, Dans l’œil du Minotaure, que comme un dossier d’avocat. » Ah non, non. Justement pas Klarsfeld. Je vais vous m’a dit que... » Je serais surpris qu’il dise le contraire. C’est ce qui vous différenciait de Jacques Vergès, c’est que En 1987, vous réenfilez votre robe pour le procès dire pourquoi. C’est lui qui avait découvert l’affaire des comme ça que ça s’est passé. Il y avait une belle unité vous ne pouviez pas vous attaquer au sacré. Qu’est-ce Barbie, « le boucher de Lyon ». Qui est venu vous enfants d’Izieu. Et j’ai pris Klarsfeld à part, je lui ai dit : de la défense face à Barbie, qui il faut le dire n’avait pas que vous vouliez dire ? chercher ? « Écoute, c’est stupide la façon dont le procès s’engage. Vous grand-chose pour lui. Et donc voilà la philosophie un Je voulais dire que… C’est encore plus vrai aujourd’hui que J’étais l’avocat déjà depuis très longtemps des orga- allez diviser les avocats juifs des avocats non-juifs. Ce n’est peu de l’histoire, qui a évité cette césure, qui à mon avis ça ne l’était à l’époque, parce qu’à l’époque tout le monde nisations de Résistance, un peu communisantes. J’avais pas ça la Résistance, la Résistance ça a été au contraire, aurait défrayé la chronique à l’époque. était d’accord, sauf les collaborateurs… Mais aujourd’hui, plaidé beaucoup en province, contre Isorni, qui plaidait tout le monde. » Et Klarsfeld très intelligemment a réuni Comment s’est déroulé le procès avec Jacques vous remarquerez que dans la vie politique française, il toujours pour les vieux collaborateurs. L’association tous les avocats juifs, et leur a dit : « Vous n’allez pas faire Vergès ? y a une zone sacrée. Faut pas toucher à tout ce qui

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« Je n’attaquerai jamais quelqu’un, ou je ne plaiderai jamais pour quelqu’un qui vante les fours crématoires, ou qui vante la déportation. C’est ça le sacré. »

concerne l’existence juive. de plusieurs heures. Alors je l’appelle, je lui dis : « Est-ce L’existence juive ? que tu connais Kadhafi ? » « Non, je ne connais pas. » « Est-ce La réalité juive, c’est-à-dire le comportement des juifs, que tu veux le connaître ? » « Oui ! » « Et ben viens avec moi. » leur malheur, et pas dire un mot… C’est un peu ce qui Je l’ai emmené, j’ai prévenu Kadhafi. « Pas de problème, m’arrive aujourd’hui (Roland Dumas fait référence à qu’il vienne. » Lors du dernier voyage chez Kadhafi, on a la polémique qui a suivi l’échange avec Jean-Jacques visité l’hôpital, Kadhafi avait donné des ordres pour qu’on Bourdin sur BFM TV en février 2015, au cours duquel nous emmène à la salle des grands blessés, les types qui le journaliste lui a demandé si Manuel Valls était « sous avaient été bombardés par l’Otan. « Allez-y, promenez- influence juive ». L’ancien ministre des Affaires étran- vous partout », nous avait dit Kadhafi. Et donc Vergès est gères avait répondu « Probablement. » − NDLR). Il ne faut venu avec moi, et c’est là où j’ai découvert l’âme profonde même pas prononcer le nom. C’est le sacré. de Vergès. On s’est promenés, on nous a amenés dans la Et donc vous, à l’époque, vous ne pouviez pas vous salle des grands blessés, il y avait le médecin chef qui attaquer au sacré… était là. Il nous demande : « Vous voulez voir le travail des Oui, c’était une partie d’entre nous qui était sacrée. Américains ? » Un type de 22 ans, je me souviens, tout Aujourd’hui, encore. Je n’attaquerai jamais quelqu’un, jeune. Le médecin attrape le drap, il ouvre, le type a deux ou je ne plaiderai jamais pour quelqu’un qui vante les jambes coupées, plus de jambes, coupées au ras du tronc. fours crématoires, ou qui vante la déportation. C’est ça le J’ai regardé Vergès, il s’est mis à pleurer. C’est la première sacré. Alors, à partir de là, il y a tout un environnement fois que j’ai vu Jacques pleurer, et ça, ça m’a réconcilié du sacré. Je ne vais pas aller plus loin. avec lui. C’est quand même l’être humain qui parlait. Et Et quelques années plus tard, vous retrouvez donc il s’est mis à pleurer, c’est moi qui l’ai consolé. Je lui Jacques Vergès. ai dit : « Écoute, tu as fait la guerre, comme moi, moi je ne On s’est retrouvés un peu par hasard, le hasard du pleure pas. Reprends-toi. » Mais il a fondu en larmes quand destin. Je reçois un coup de fil de Jacques, quand j’ai il a vu ça. Incroyable. eu les premiers ennuis (lors de l’affaire Elf – NDLR). Il Et dans votre carrière, vous allez me dire si je m’appelle : « Tu sais, je suis avec toi. » Très bien, je dis : « Je dis vrai ou pas, mais vous avez défendu des causes : te remercie, etc. » Je croyais qu’il voulait entrer dans ma l’Algérie indépendante avec les porteurs de valises, la défense, mais ce n’était pas ça. C’était par amitié. Alors liberté de la presse avec Le Canard enchaîné, l’antisé- « on se reverra ». Et puis un jour, je reçois à deux heures du mitisme avec le procès Barbie, et puis, là avec Gbagbo, matin un appel de Laurent Gbagbo qui me demande de avec Kadhafi, vous défendez aussi des hommes qui venir le voir. Je fais un voyage, et avant de partir, j’appelle ont commis des crimes. Vous le faites parce que tout ou r c harl es Vergès et je lui dis : « Ça t’amuserait de défendre Gbagbo le monde a le droit à une défense ? avec moi ? » « Formidable ! » Alors on se voit, on a déjeuné, Oui. Mais c’est pas parce qu’on défend quelqu’un qu’on ud meye r p et voilà. Alors après, tout s’est enchaîné pour Kadhafi, épouse ses thèses. Et qu’en lui touchant la main, on est arna j’allais voir Kadhafi. Ça m’emmerdait, c’était des voyages pestiféré. ©

49 50 Charles Charles Justice et politique roland dumas « Ces interviews à la télévision, ça va très vite. Vous réfléchissez, mais enfin vous n’avez pas Je suis d’accord, mais est-ce qu’il n’y a pas une Certes, mais ce sont des gens qui ont, que ce soit le temps de polir vos phrases. Ce n’est pas comme évolution dans votre carrière où jusqu’alors vous ne Kadhafi ou Gbagbo, commis des crimes contre… quand vous faites un article, vous vous arrêtez, défendiez que des gens dont... … et Ouattara, il n’en a pas commis ? … vous voulez dire qu’ils étaient plus fréquentables que Si, si, bien sûr que si. Je caricature un peu mais vous allez pisser, vous revenez, et vous tournez la page. » les derniers ? jusqu’alors vous étiez plutôt du côté de la veuve et Disons que oui, j’avais l’impression que l’orphelin, et après... jusqu’alors, vous étiez toujours dans le camp qui vous … je l’ai été tout à fait au début. Après, c’est vrai, j’ai pris convenait le plus d’un point de vue éthique. des positions politiques. J’ai choisi les causes qui valaient la peine. Sans me renier Après, vous êtes allé vers des gens, comme vous Mais dans votre bouche, à chaque fois que je vous rence à Genève, il m’a dit dans l’avion : « J’ai pensé à vous moi. Sans aller jusqu’aux excès, parce qu’il y avait des disiez, « moins fréquentables »… ai entendu parler de cette histoire, c’était dans le pour Matignon. » Et c’est là que je lui ai répondu, que je excès, avec Vergès qui épousait les « théories » des gens Mais qui est vraiment fréquentable dans ce monde ? sens de « pro-israélienne » (La veille, Roland Dumas n’avais pas très envie d’aller à Matignon, que j’étais qu’ils défendaient. J’ai considéré que tous les gens à un Vous croyez qu’il y a beaucoup de chefs d’État qui étaient m’avait fait part de menaces de mort qu’il avait fatigué, avant d’ajouter : « D’abord je vous remercie, per- moment avaient le droit d’être défendus, qu’il y avait des fréquentables ? Quand on regarde un peu tout ça en reçues : « Ils sont fous ces mecs. Parce qu’on ose dire : mettez-moi de vous dire quelque chose, je pense vraiment causes valables, qu’il y avait des choses qui devaient être Amérique latine, Afrique, en Extrême-Orient. “Il est marié avec une israélienne militante et elle a une que c’est le tour de Bérégovoy. » « Ah oui, pourquoi ? » dites, notamment lors du procès Gbabgo, où il fallait dire Hier (l’entretien a donné lieu à quatre rendez-vous influence.” Alors si on n’a même plus le droit de dire ça… » « Bérégovoy a souffert que Matignon lui passe sous le nez, que l’armée française a ouvert les portes aux gardes de – NDLR), on parlait de l’interview que Manuel Valls − NDLR) déjà, et il a ressenti une certaine hostilité à l’égard de celle Ouattara. avait donnée à la radio strasbourgeoise Judaïca en Oui. Ces interviews à la télévision, ça va très vite. Vous (Édith Cresson – NDLR) qui avait pris sa place. » Et c’est J’ai vu une interview dans « Apostrophes », datée 2011. J’ai écouté cet entretien où il disait : « Oui, je suis réfléchissez, mais enfin vous n’avez pas le temps de polir après qu’il a fait le déjeuner dans le jardin de l’Élysée. Il de 77, où vous disiez : « Oui, moi je ne pourrais jamais lié de manière éternelle à la communauté juive et à Israël vos phrases. Ce n’est pas comme quand vous faites un y avait Lang, Mermaz, d’autres vieux… Il faisait un beau défendre Jean-Marie Le Pen. » quand même. » Et j’ai vu dans la suite de la vidéo qu’il article, vous vous arrêtez, vous allez pisser, vous revenez, soleil, au mois de juin. Il a dit : « Voilà, il faut qu’on pense ça, c’était à l’époque, mais je crois que je le redirais. Tout vous traitait de « sale bonhomme », en insistant sur le et vous tournez la page. à ma succession ». C’est là qu’il a dit : « Celui que je vois le ce qui touche à la guerre, l’Occupation, les massacres, fait que vous aviez un discours négatif par rapport Et aujourd’hui sur les réseaux sociaux, il y a cette mieux parmi vous tous, c’est Roland. » Et la vacherie tout la mort de mon père dans cet ensemble, je ne peux pas à Israël, et aussi en évoquant vos liens avec Jacques photo de vous avec Dieudonné qui circule. Est-ce de suite après : « Le problème c’est qu’il a dix ans de trop. » trahir ça. Par exemple, je ne pourrais pas plaider pour Vergès. Et aujourd’hui, il vous accuse d’antisémi- que vous pensez que Dieudonné est allé trop loin (Rires.) Alors ça a permis aux autres d’avoir de l’espoir. Faurisson. Ce que j’ai refusé de faire. Parce que bon, je tisme, comment vivez-vous ces accusations ? dans la provocation quand il a dit : « Je me sens Charlie Mais dans l’avion lorsqu’il vous en parle, vous ne trouve qu’il déraillait complètement, je pense qu’effec- Je ne veux pas en parler. Je trouve ça minable de la part de Coulibaly » ? rebondissez pas ? tivement, il y avait des camps d’extermination, toute la quelqu’un qui est Premier ministre. Mais enfin sa phrase, J’ai vu, je suis allé une fois à son spectacle, je lui ai pro- Dans l’avion, c’était pour la succession de madame démonstration qu’ils veulent faire, qu’ils la fassent, mais à Strasbourg, elle existe. C’est la confirmation de ce que bablement dit bonjour, j’en sais rien. Alors ils se servent Cresson. Et donc il voulait que je prenne Matignon, mais ce n’est pas mon sujet. Si vous voulez, la guerre à laquelle j’ai dit à demi-mot. de ça. Je ne suis pas son avocat, je ne m’occupe pas de je n’étais pas en forme. j’ai participé… de loin, par rapport à mon père (Georges J’ai l’impression que dans cette histoire, il y a un ça. Il dit ce qu’il veut, tant qu’on n’a pas encore disposé Vous n’étiez pas en forme, c’est-à-dire ? Dumas était membre de l’Armée secrète et chef régional malentendu sur la sémantique, parce que dans l’in- tout un ensemble de lois qui l’interdise. Il fait ce qu’il J’avais dix ans de Quai d’Orsay, j’étais fatigué. Donc j’ai du Noyautage des administrations publiques – NDLR), terview, ce n’est pas vous qui avez dit les mots qui veut. Je ne critique rien, je n’approuve rien, je laisse faire. laissé passer mon tour, vous savez, j’aurais été content c’est rien. J’ai vu mon père pleurer, le jour de la Seconde font la polémique, c’est Bourdin, lorsqu’il parle « d’in- (Silence). d’être Premier ministre, mais je ne me suis jamais attaché Guerre mondiale, en disant : « Il a fallu que je vois deux fluence juive ». Vous vouliez peut-être plutôt dire une En 1993, j’ai lu que Mitterrand vous aurait proposé à ça comme d’autres. Mitterrand par exemple, il avait une guerres dans ma vie. » C’est quand même incroyable. Et « influence pro-israélienne » ? de devenir Premier ministre. ténacité de fer, il s’est battu, d’abord contre le général de bien tout ça, c’est sacré. Je ne veux pas y toucher, c’est Je me rappelle, quand j’ai entendu cette phrase, je me suis Oh oui, ça c’est connu. Il avait fait une réunion dans le Gaulle, ensuite contre Pompidou, etc. Il voulait être chef tout. Que d’autres le fassent. Mais la prise de position dit : « Ça c’est un piège. » Et je lui ai dit : « On peut dire les petit jardin de l’Élysée, où nous étions huit-dix. Tous les de l’État, mais en même temps, il a écrit dans un livre un pour Kadhafi en 1980 ou 90, ça n’a rien à voir avec la choses comme ça. » Ce qui voulait dire que je lui renvoyais prétentieux étaient là. jour : « Vaincu ou vainqueur, dans ce métier, on est toujours guerre de 14-18, ni celle de 39-45. La position politique la balle. « On peut dire les choses comme ça. » C’était une Pourquoi avez-vous refusé ? seul. » Donc c’est un combat solitaire qu’il menait. Moi je pour Gbagbo, qui était quand même membre de l’Interna- façon, un réflexe, ça va vite ça. C’était une façon de dire : Je n’ai pas refusé, la question ne se posait pas. Il a dit : n’ai pas eu ce combat solitaire. tionale socialiste, ça n’a rien à voir non plus avec tous ces « C’est vous qui le dites. » (Roland Dumas a véritablement « Il faut penser à ma succession. » C’était lui qui dirigeait Vous avez été l’avocat d’artistes comme Picasso, événements. Donc je suis moi, dans mon siècle. dit à Jean-Jacques Bourdin sur BFM : « Probablement, je la conversation. Il ne m’a pas dit : « Je vous nomme Premier Giacometti, vous avez côtoyé Jean-Paul Sartre... peux le penser. Tout le monde a un peu d’influence. » – NDLR) ministre. » Mais avant, alors que nous allions à une confé- Lacan…

51 52 Charles Charles Justice et politique roland dumas « Tous ces grands hommes, quand ils sont en face de la machine de la justice, ils deviennent comme tous les autres. »

Et de politiques : Mitterrand… Pour l’affaire Jean-Edern Hallier (L’écrivain a écrit J’étais l’avocat de Mendès d’abord, j’étais l’avocat de Mit- au début des années 80 un pamphlet dans lequel il terrand. De bien d’autres : Bérégovoy, etc. révélait notamment l’existence de Mazarine, la fille J’ai une question peut-être un peu naïve, mais cachée de François Mitterrand – NDLR) est-ce qu’il y a quelque chose qui rapproche tous ces Notamment pour l’affaire Jean-Edern Hallier. grands hommes ? Vous avez déjà raconté dans Politiquement incorrect Tous ces grands hommes, quand ils sont en face de comment vous aviez récupéré le manuscrit de Jean- la machine de la justice, ils deviennent comme tous Edern Hallier (via l’avocat d’Hallier, Jean-Marc les autres. Il y a ceux qui connaissent les rouages et Vauraut, qui était l’ancien associé de Dumas dans les magistrats comme Mitterrand. Et un type comme les années 70. Condamné à de la prison ferme pour Bérégovoy, qui était d’une naïveté totale. J’étais à côté de fraude fiscale, il a consenti à échanger le manuscrit lui au Conseil des ministres. On écoutait les communica- contre la promesse d’une grâce présidentielle. – tions, mais on se parlait surtout : « Comment se fait-il ? Qui NDLR), mais ce que je n’ai pas très bien compris, c’est connaît ? Qui est avocat ? Qu’est-ce qui se passe ? Comment comment vous avez récupéré et confisqué le stock de un juge d’instruction peut-il donner les papiers du dossier à livres chez l’imprimeur. des journalistes ? » « Tu es naïf, tu es la naïveté incarnée. » Ça, ça reste encore secret, parce qu’il y a des gens qui Ils redeviennent pékin, comme un commerçant qui se sont toujours vivants. C’était une opération commando, fait prendre dans une affaire sans facture. nous dirons (Silence). Mitterrand était moins naïf quand même ? En 1995, François Mitterrand vous nomme Mitterrand était plus malin. Il voyait bien les magistrats président du Conseil constitutionnel. Comment comme ils étaient. Un qui les connaissait bien, c’était avez-vous pris cette décision de valider les comptes Badinter. Il connaissait bien les magistrats, Badinter. de campagne de Jacques Chirac et d’Édouard Et justement avec Badinter, je crois que c’était Balladur ? Pelat qui a dit un jour : « Mitterrand a deux avocats. Ça, on ne peut pas le dire tout de suite, parce qu’on a prêté Badinter pour le droit et Dumas pour le tordu. » serment de ne rien dire, rien divulguer des discussions, Non, ce n’était pas Pelat, je n’ai jamais su l’origine, mais des opinions des uns, des autres, et des votes. Alors bon, c’était un mot très drôle. Pas tout à fait exact, parce que j’ai dit ce qu’il était possible de dire pour démentir des j’ai fait du droit, et Badinter était capable aussi de faire choses, mais pour le moment je ne veux pas en rajouter. du tordu. Mais peu importe, c’est un bon mot, du droit et Surtout que les archives vont être ouvertes dans cinq du tordu, formidable ! ans. Et comment Mitterrand répartissait ? À la même époque, avec l’affaire Elf, c’est vous qui Ah non, on était quand même chacun sur son quant-à- passez de l’autre côté de la barre. soi. Quand il y a eu toute la campagne sur Mitterrand, Alors là, je suis pour mon compte. ou r c harl es et surtout la fille naturelle de Mitterrand. Badinter était Vous avez donc eu cette phrase devant le tribunal garde des Sceaux, donc il ne pouvait pas intervenir. qui est restée : « Quand tout cela sera terminé, je vais C’est moi qui suis intervenu pour Mitterrand, mais on se m’occuper de certains juges. » ud meye r p voyait, je voyais le garde des Sceaux. J’emmerdais tout Oui, c’était insensé. J’avais même été plus méchant que arna

© le monde. ça, j’avais dit… Mais enfin je ne vais pas le redire,

53 54 Charles Charles Justice et politique roland dumas « On n’arrivera jamais, je pense, à trouver un équilibre tel que la justice soit complètement bon, un passage comme ça, c’est le calvaire. extraite des contingences politico-médiatiques. Dans votre livre Coups et blessures, Mais on porte tout ça sur notre dos vous disiez : « Mis en examen en juin 1997, je suis abasourdi, ne crois plus en la justice comme l’escargot avec sa coque, depuis des siècles. de mon pays. Les grands principes du droit La justice retenue des rois de France, demeurent dans le marbre de la loi, mais dès qu’une affaire touche à la politique, c’était l’origine de tout ça. » met quelqu’un en vue, la sérénité, et la vérité laissent place au fantasme, voire au mensonge, je ne crois plus désormais qu’à la justice du ciel. » Ce qui était pour moi une façon d’aborder le vous demander un rendez-vous. » « Pourquoi ? » « Je voudrais Moi, j’ai assisté à toutes les réformes. J’en ai même voté ciel. (Rires.) faire de la politique. » Je dis : « Vous en faites, là, vous faites pas mal depuis 1956. On fait des petites réformes. On Est-ce que vous avez changé d’idée ou des communiqués. » Et il dit : « Oui, mais je veux être dans touche au pouvoir du procureur, du ministre de la Justice, pas ? la politique active. » Et on a commencé à faire le tour du juge d’instruction, mais on ne fait pas la grande Non, c’est pareil. Je suis aujourd’hui hors du des possibilités. Il m’a dit qu’il avait quelques relations réforme qui ferait basculer la justice dans un autre champ des batailles d’investigation, mais je en Corrèze. J’ai dit : « Ça tombe bien, moi je suis député de monde, dans ce qu’elle devrait être quoi : pas d’interven- présume que c’est pareil. Regardez un peu Brive. Et à Tulle, la place vient d’être libérée par la mort du tion, des gens totalement indépendants. En fait, on vit vous-même, faites-vous une idée. On n’arri- maire de Tulle. Alors venez et puis je vous présente. » Alors sur le système pas féodal, mais royal de la justice retenue, vera jamais, je pense, à trouver un équilibre je l’ai amené. J’ai dit : « Je vous ferai une édition spéciale où tout le pouvoir était entre les mains du roi. Alors bon, tel que la justice soit complètement extraite de mon journal », qui était Le Journal de Brive, un vieux petit à petit, avec le temps, la lutte des droits de l’homme des contingences politico-médiatiques. journal, racheté par un vieux libertaire de la guerre de 39. etc., ça s’est grignoté, et ça a mené au spectacle auquel Mais on porte tout ça sur notre dos comme Et bon, on a fait un tirage. Et puis, il s’est implanté, j’ai on assiste aujourd’hui. Mais vous avez des pays dans l’escargot avec sa coque, depuis des siècles. assisté à tout parce que les villes sont voisines de 35 kilo- lesquels il n’y a pas de ministre de la Justice. En France, La justice retenue des rois de France, c’était mètres. J’ai vu comment il a progressé, comment il conci- vous en avez un et c’est un des postes les plus désirés, les l’origine de tout ça. liait, il se débrouillait pas mal ce type. Puis finalement, plus contrôlés du gouvernement. C’est pour ça que vous aviez parlé après, j’ai vu qu’il mettait dans sa poche Chirac, c’est un Est-ce qu’il y a un ministre de la Justice dont vous aussi d’acharnement judiciaire contre miracle ! J’ai du reste un petit livre qu’il a écrit, dédicacé avez approuvé l’action ? Nicolas Sarkozy ? par lui : « À Roland Dumas, qui a guidé mes premiers pas Badinter, parce qu’il a fait une grande réforme fonda- C’est vrai qu’il y a eu un acharnement contre dans la Corrèze. » Très sympathique. mentale : la peine de mort. Mais c’est plus une réforme Sarkozy. Je ne sais pas si c’était l’œuvre des Vous sentiez qu’il avait un potentiel pour devenir sociale, philosophique, qu’une réforme de la justice. Tout magistrats eux-mêmes, si c’était les fautes président à l’époque ? ça, c’est sous contrôle. C’est mal organisé. Mais en même de Sarkozy, si c’était le pouvoir politique. Non. Mais si vous voulez, ça, ça se découvre avec le temps, vous avouerez, que pour y toucher, c’est comme Mais bon en tout cas, c’est évident. temps. Beaucoup de gens ne croyaient pas du tout que vouloir bouger le Mont Saint-Michel. Pourtant, il faudrait Et pour Dominique Strauss-Kahn ? Mitterrand serait président de la République. Ils étaient bouger le Mont Saint-Michel, le mettre plus au sud, là il y parce qu’on va encore nous poursuivre tous les deux. Je ne parle pas de Strauss-Kahn, c’est un épisode. nombreux. Moi j’étais un des rares qui pensait qu’il le a plus de soleil. Mais ce n’est pas facile. — Comment avez-vous vécu cette période-là où l’on Oui, mais il y a le procès du Carlton, aussi… serait. parlait de vous tous les jours dans les journaux ? Ah oui, c’est un sacré gaillard ! Vous disiez tout à l’heure qu’il était difficile On est au fond du trou, on est tout seul, on a beau avoir Puis en 2012, votre ancien directeur de cabinet, ou r c harl es d’arriver à une indépendance de la justice, étant des amis, on ne dort pas la nuit, je me promenais dans François Hollande, est élu président. donné les contingences politiques. Est-ce que vous l’appartement, je partais en voiture pour Limoges, je Oui, j’avais gardé le directeur de cabinet de Max Gallo avez une idée de ce qu’il faudrait faire pour que la ud meye r p commençais à broyer du noir. J’allais sur la tombe de mes auquel je succédais aux relations avec le Parlement. Un justice soit davantage indépendante du pouvoir arna parents, c’est vrai que j’ai pensé un peu au suicide. Mais jour, Hollande m’a dit : « Monsieur le ministre, je voudrais © politique ?

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