On parlait déjà du pétrole à au XIIIe siècle

par M. Martial VILLEMIN, membre titulaire

A la mémoire de mon ami Pierre-Louis Maubeuge, le grand géologue du Nord-Est, auteur, en autres ouvrages, de « Comme une odeur de pétrole ». Ed. Pierron, , 1996. Il aurait été passionné par ce problème.

Le pétrole a fait son entrée dans l'histoire dès la plus haute antiquité. Il n'était alors le plus souvent mentionné que comme une sorte de curiosité naturelle. On utilisait en effet ce produit naturel, non seulement en tant que lubrifiant des roues de chariots, mais aussi comme médicament, et parfois il était vendu très cher comme tel, (contre les maux de dents, la goutte, les plaies et les parasites externes); enfin, mais rarement, on l'employait comme combustible.

On ne connaît de mention écrite sur le pétrole dans notre région qu'à partir du xve siècle. C'est d'abord Jacob Wimpheling, un des humanistes de Sélestat qui, en 1498, cite la source de Baechel Brunn, près de Merkviller. Henry et Charles Hiegel {Le Bailliage d'Allemagne de 1600 à 1632, Sarreguemines, 1968) nous rappellent que Thierry Alix, président de la Chambre des Comptes de Lorraine, parle d'une source située à Walschbronn, dans son travail : Dénombrement du duché de Lorraine publié en 1594. Ils ajoutent qu'en 1598, 100 florins furent accordé au fer­ mier des bains de Walschbronn pour contribuer à réparer l'établissement. Ensuite Pierre-Joseph Buc'hoz en 1749 dans son Catalogue des mines, terres, fossiles, sable et cailloux qu'on trouve dans la Lorraine et les Trois-Evêchés est très explicite sur le « pétrole blanc » que l'on peut recueillir à Walschbronn.

En 1755, Rougemaître et Gormand dissertent sur cette source étrange dans un mémoire adressé à l'Académie de Stanislas à Nancy. En 1757, c'est Dom Calmet qui en parle dans sa « Notice sur la Lorraine » (tome i, page 931). En 1788, Frédéric de Dietrich (mort en 1793) dans le 3e volume de sa « Description des gîtes de minerai... du Royaume ». (qui ne parut qu'en 1799) cite le pétrole de Walschbronn. C'est donc grâce à ces auteurs, dont le plus ancien est des dernières années du xve siècle que l'on fait connaissance pour la première fois des résurgences d'hydrocarbure dans notre région Nord-Est.

Or, je viens d'étudier un manuscrit messin daté de 1245, la célèbre Ymage du monde, de Gossuin de Metz. Un mot sur l'ensemble de cet ouvrage juste pour vous indiquer pourquoi et comment je m'y suis inté­ ressé. (Lawrence Schoenberg, conservée à la Bibliothèque de l'Université de Pennsylvanie, à Philadelphie, sous le matricule lsj 264). Ce manuscrit ; acheté en en 1998 a été numérisé par le « Schoenberg Center for Electronic Text and image ». C'est donc très aisément que j'en ai obtenu la reproduction en couleurs

Ce manuscrit a la particularité d'être considéré comme la première encyclopédie médiévale qui ait été écrite, non en latin, mais en roman, la langue dérivée du latin populaire, telle qu'elle était parlée à Metz. J'ai pu disposer de ce manuscrit de 126 folios. J'ai pu découvrir, dans la page où il décrit de nombreuses sources de la région (y compris les sources salées de Vie qui, dit-il, fournissent en sel tout le pays, ou celle de Plombières qui guérit les femmes stériles) le passage suivant (page 152, soit folio 76 verso) :

ff

Une en y a devers orient Dont Ion fait feu gresoy ardent Ou lautre chose que Ion y mest Si est si chaus quant espris est Que deau estaindre ne le puet on Fors daisil dorine ou de sablon Celle eau vendent Sarrazin Plus chère quii ne font or fin

« Il existe (une source) à l'Est (de Metz), dont, avec d'autres ingrédients, on fabrique le feu grégeois ; celui-ci est si chaud, quand il est enflammé, qu'on ne peut l'éteindre, sauf si on utilise du vinaigre, de l'urine ou du sable. Les Sarrazin vendent ce liquide plus cher que l'or ».

Il est certain que sont ainsi suggérées les résurgences d'hydrocarbures anciennement connues dans notre région. J'ai d'abord pensé au vallon au nord de Merkviller, vers Lampertsloch ; en effet nous sommes bien ici à l'est de Metz. Baechel Brunn, qui veut dire en bas allemand : la fontaine du petit ruisseau, donna son nom à un village qui est plus connu sous le nom déformé de Pechelbronn (source de poix), parce qu'il fut le siège d'une exploitation du pétrole (1), de 1740 jusqu'en 1970; l'endroit se trouve dans le Bas-Rhin, à environ 120 km à l'Est de Metz en ligne droite.

Mais, ayant pris contact avec les responsables du Musée du Pétrole de Pechelbronn, je me suis vu fort judicieusement aiguillé par ceux-ci (cour­ rier de M. Daniel Rodier du 15/01/03) plutôt vers la source de pétrole de Walschbronn, en cette fois, à un peu moins de 100 km à l'Est de Metz. L'argument absolument convaincant qu'il utilise est le suivant: le pétrole blanc qui était obtenu à la source de Walschbronn était éminem- VALLERIUS LOTHARINGIE, CATALOGUE DES MINES, TERRES, FOSSILES , SABLES ET CAILLOUX QU'ON TRO UVE DANS LA LORRAINE ET LES TROIS ÉFECIIÉS, Enfemble leurs Propriétés dans la Médecine & dans les Arts & Métiers; f&t M. PIBKRZ-JCSSPH EUC'HOZ, Mtdecin Botan'Jlt Lorrain, G» dt jeu le Roi de Pologntt Manhic it flvjieiirt Académies.

A NANCY,

QJ.cz f LAHOM, ImprimeurI prè» des Dominicains. L G E K v o i s. Libraire • près du Pont-Mouja. Et A PARIS, ChezDuRAKD, Neveu, Libraire, rue S. Jacquet, à la SagefTc.

Avec Approbation O Pcrmiflion Royalt. M. D C Ci 1 X I X.

1. La plus ancienne exploitation pétrolière, au sens moderne de ces mots, du monde! ment inflammable, alors que le bitume de Baechelbronn ne l'était pas. Effectivement le pétrole de Walschbronn est décrit par Pierre-Joseph Buc'hoz dans son Catalogue des mines, terres, fossiles, sables et cailloux qu'on trouve dans la Lorraine et les Trois-Evêchés (Nancy, 1769), comme un pétrole blanc qui « s'enflamme très promptement à l'approche du feu ».

De plus cette curiosité géologique est située dans le comté de qui, c'est à noter, fait partie du diocèse de Metz. La cure de la paroisse était à la collation de l'abbaye cistercienne de Sturtzelbronn, dont on peut imaginer les liens intellectuels avec les bénédictins de Saint-Arnoul. Déjà connue des Romains, cette source ne pouvait être ignorée par la « clergie » de la ville capitale de la Lotharingie.

On voit la bouche à feu qui crache vers le navire ennemi Image d'un manuscrit byzantin du XIVe siècle (obtenue sur http//www.byzantina.com)

On venait d'apprendre de la bouche des premiers croisés revenus d'Orient que le pétrole faisait partie des combustibles entrant dans la com­ position du dangereux feu grégeois. Il s'agit de cette terrible bombe incen­ diaire, engin de guerre tant naval que terrestre, auquel les croisés avaient été confrontés en différentes circonstances.

Cependant il semble que l'existence et l'emploi du feu grégeois n'aient été explicitement relatés dans notre pays qu'avec la parution, au XIV° siècle de « l'Histoire de Saint-Louis » de Joinville (manuscrit BNF Fr 13568 Folio 68) ou bien encore celle des « Grandes Chroniques de France » (BNF Fr 2813) relatant le siège de Damiette (1249).

On doit donc noter ici la grande antériorité de Gossuin, notre auteur messin, car il fut le premier (quatre ans avant le fameux siège de Damiette et deux cents ans avant les diverses relations écrites que j'ai mentionnées) à signaler ce liquide extraordinaire qui, entre parenthèses, n'avait pas fini de nous offrir bien des commodités et de nous causer aussi bien des tracas !