le commerce Équitable en zones de conflit

1 2 le commerce Équitable en zones de conflit

3 ÉDITEUR RESPONSABLE Carl MICHIELS

www.phenyx43.be  COORDINATION Phenyx43 RÉDACTION Dan AZRIA - Phenyx43 CONCEPTION Julie RICHTER - Phenyx43

PHOTO COUVERTURE United Nations Environment Programme

Les opinions exprimées dans cette publication sont celles de son auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de la CTB ou de la Coopération belge au Développement. Des extraits de cette publication peuvent être utilisés dans un but non commercial à condition d’en citer l’origine et l’auteur. © CTB, agence Belge de Développement, Bruxelles, août 2010

4 LE COMMERCE ÉQUITABLE ORIGINES DU COMMERCE ÉQUITABLE 10 LE COMMERCE ÉQUITABLE, C’EST QUOI ? 11 FLILIÈRE LABELLISÉE ET FILIÈRE INTEGRÉE 12 LES ACTEURS CLÉS DANS LE COMMERCE ÉQUITABLE 13 LE COMMERCE ÉQUITABLE EN ZONES DE CONFLIT QUAND LE COMMERCE CONVENTIONNEL NE FONCTIONNE PAS 15 QUANT AU COMMERCE ÉQUITABLE 17

LES INITIATIVES DE DE COMMERCE ÉQUITABLE EN ZONES DE CONFLIT AFRIQUE 28 PROCHE-ORIENT 46 ASIE 56 AMÉRIQUE DU SUD 66 SOUTENIR LE COMMERCE ÉQUITABLE POUR SOUTENIR LA PAIX LE RÔLE DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES 70 LE RÔLE DES CITOYENS CONSOMMATEURS 72

5 6 INTRODUCTION

Depuis la fin de la guerre froide, près de 125 conflits ont été recensés dans le monde causant plus de 8 millions de victimes et le déplacement forcé d’environ 30 millions de réfugiés1. Si le nombre des conflits connaît une baisse constante depuis cette période, ceux qui persistent ont tendance à se prolonger et affichent un bilan très lourd en vies humaines, mais aussi en termes de dommages environnementaux, éco- nomiques et sociaux.

Ces guerres touchent souvent les populations d’Etats autoritaires ou, au contraire, affaiblis et impuissants. Leurs économies sont paralysées, les infrastructures sont ravagées, les forces vives contraintes de s’exiler, … Derrière le fléau de la guerre suivent souvent les famines, l’occupation militaire ou le terrorisme. Des millions d’hommes, de femmes et d’enfants confrontés au malheur et à la souffrance, autant de visages, d’histoires personnelles, de familles.

La résolution de ces conflits constitue le principal défi que doit relever la commu- nauté internationale. Pour ce faire, elle dispose d’une large palette d’outils qui vont de l’intervention mili- taire au financement de la reconstruction en passant par l’aide humanitaire.

Nous défendons dans cette brochure le fait que le soutien au commerce équitable doit être intégré à cette boîte à outils qu’utilisent les organisations internationales et les Etats démocratiques pour favoriser la pacification, la nor- malisation et la reconstruction des pays ou des régions du monde frappés par la guerre.

Nous mettons en évidence, dans ces pages, les bénéfices spécifiques qu’offre le commerce équitable et durable pour apaiser les tensions, rapprocher les communau- tés et favoriser le développement social et économique rapide de ces pays. Pour vous en convaincre, nous présentons de nombreux exemples d’initiatives et de projets mis en œuvre dans des régions en guerre en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud.

7 Crédit : - Ndem

8 LE COMMERCE ÉQUITABLE

ORIGINES DU COMMERCE ÉQUITABLE LE COMMERCE ÉQUITABLE, C’EST QUOI ? FLILIÈRE LABELLISÉE ET FILIÈRE INTEGRÉE LES ACTEURS CLÉS DANS LE COMMERCE ÉQUITABLE

9 Crédit : Max Havelaar - Frederic Raevens

UN PEU D’HISTOIRE ORIGINES DU COMMERCE ÉQUITABLE

Le commerce équitable est né d’un constat simple : les écarts de richesse entre les populations des pays les plus riches et celles des pays les plus pauvres ne cessent de se creuser malgré les sommes investies dans l’aide au développement.

En moins d’un siècle, l’écart de revenus entre les 20 % des pays les plus riches et les 20% des pays les plus pau- vres est passé de 11 contre 1 en 1913 à 75 contre 1 aujourd’hui. Guerres, catastrophes naturelles, infrastructures défaillantes, corruption,… les causes de ce déséquilibre sont multiples mais parmi celles-ci figurent indubitablement des problèmes économiques structurels. La spéculation sur les matières premières, la spirale de l’endettement, la concurrence subventionnée des produc- teurs des pays industrialisés, tous ces mécanismes constituent autant d’obstacles au décollage des pays les plus pauvres.  Bien que ces inégalités commerciales aient été mises en évidence dès le 19ème siècle (notamment avec la publi- cation en 1860 du roman du Néerlandais Edouard Douwes Dekker dont Max Havelaar est le héros), c’est à partir de l’Après-guerre qu’apparaissent les premiers projets de commerce équitable, par des organisations américaines et anglaises (Thousands Villages aux Etats-Unis et l’ONG Oxfam au Royaume-Uni). C’est en 1964, lors de la Conférence des Nations-Unies pour la Coopération et le Développement (CNU- CED), qu’est définie pour la première fois la notion de commerce équitable, «Le commerce, pas la charité» («Trade, not Aid»), qui en constitue le principe fondateur. Les premiers magasins de commerce équitable s’ouvrent en Europe dès la fin des années 60, tandis que se met- tent en place dans les pays en développement les coopératives et associations de producteurs qui vont bénéficier de ces échanges plus justes, d’abord dans les secteurs de l’artisanat et de l’agriculture.

10 LE COMMERCE ÉQUITABLE C’EST QUOI?

En 1999, les principales organisations internationales du commerce équitable (la World Organisa- tion, la Fair Trade Labelling Organizations - FLO, l’Eu- ropean Fair Trade Association - EFTA et le Network of European World Shops - NEWS) s’entendent sur une définition commune :

« Le commerce équitable est un partenariat com- mercial, fondé sur le dialogue, la transparence et le respect, dont l’objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial. Il contri- bue au développement durable en offrant de meilleu- res conditions commerciales et en garantissant les droits des producteurs et des travailleurs marginali- sés, tout particulièrement au sud de la planète. Les organisations du commerce équitable (soutenues par les consommateurs) s’engagent activement à soutenir les producteurs, à sensibiliser l’opinion et Pour soutenir la mise en œuvre de à mener campagne en faveur de changements dans ce système économique, les règles et pratiques du commerce international les organisations conventionnel ». du commerce équitable ont listé les

10 GRANDS PRINCIPES A RESPECTER : Concrètement, le commerce équitable garantit aux pro- ducteurs des pays les plus pauvres des prix d’achat plus rémunérateurs que les cours mondiaux ainsi qu’une re- lative stabilité des prix et la mise en place de conditions 1. Créer des opportunités pour les et de délais de paiement favorables (voire des possibili- producteurs qui sont économiquement tés de préfinancement), qui évitent aux paysans et aux désavantagés. artisans de brader leurs produits ou d’avoir recours à des prêts usuraires. 2. Favoriser la transparence et la crédibilité. 3. Encourager la capacité individuelle. Le prix équitable doit pouvoir couvrir tous les coûts de production du produit, y compris les coûts environne- 4. Promouvoir le commerce équitable. mentaux, et assurer aux producteurs un niveau de vie décent. De plus, les acheteurs du commerce équitable 5. Garantir le paiement d’un prix juste. s’engagent généralement à verser des primes supplé- 6. Veiller à l’égalité entre les sexes. mentaires qui seront utilisées par les producteurs certi- fiés pour la réalisation d’investissements productifs et/ 7. Assurer des conditions de travail ou de programmes sociaux (alphabétisation, accès aux décentes. systèmes d’éducation et de soins, etc.). 8. Proscrire le travail des enfants. 9. Protéger l’environnement. 10. Encourager des relations commerciales fondées sur la confiance et le respect mutuel

11 FILIÈRE LABELLISÉE ET FILIÈRE INTEGRÉE

Depuis 1988 et la création d’une part de l’IFAT, l’Association Internationale du Commerce Equitable (devenue en 2009 la WFTO, l’Organisation Mondiale du Commerce Equitable), et le lancement du label Max Havelaar d’autre part, on observe l’émergence et la coexistence de deux grandes filières de régulation du commerce équitable : la filière intégrée (avec la WFTO et l’EFTA –European Fair Trade Association - notamment) et la filière labellisée (avec en particulier FLO Max Havelaar).

Mode d’organisation historique du commerce équitable, la filière intégrée présente comme caractéristique principale le fait que tous les acteurs intervenant dans l’élaboration et la commercialisation du produit (producteur, transformateur, importateur et points de vente) sont engagés dans le commerce équitable et se conforment volontairement (voire activement) à ses principes. Ainsi, ce sont ces acteurs de la filière qui bénéficient de la certification (généralement associée à un logo) corres- pondant à ces règles et critères, qu’ils ont définis collectivement.

La filière labellisée repose sur la certification du produit commercialisé. Les entreprises qui élaborent ces produits s’engagent à respecter un cahier des charges précis et à s’approvision- ner auprès d’organisations de producteurs des pays en développement (souvent des coopératives) qui ont été agréées par l’organisme de labellisation (organisation indépendante qui certifie le respect des critères définis pour l’attribution du label). Les produits labellisés peuvent ensuite être commercialisés dans n’importe quel point de vente, y compris la grande distribution classique. Le label Fairtrade (Max Havelaar) est le plus célèbre d’entre eux.

La coexistence de ces deux filières illustre l’existence de visions différentes du commerce équitable, qui portent en particulier sur le type de relations à établir avec les acteurs économiques privés (multinationales, grande distri- bution) et sur des divergences entre une vision de développement (et de dénonciation du commerce international) d’un côté et une perspective commerciale reposant sur la réglementation d’autre part.

Crédit : Max Havelaar - Candico

12 LES ACTEURS CLÉS DANS LE COMMERCE ÉQUITABLE

TROIS CATÉGORIES D’ACTEURS CONSTITUENT LA CHAINE DU COMMERCE ÉQUITABLE :

- LES ORGANISATIONS DE PRODUCTEURS OU DE TRAVAILLEURS qui produisent, cultivent ou transforment les matières premières locales. Pour participer aux programmes de commerce équitable, ils doivent adhérer à une organisation agréée. Dans les pays du Sud, c’est le plus souvent Fairtrade Labelling Organisations2 qui délivre le label commerce équitable (mais de nouveaux intervenants apparaissent sur le marché, Ecocert par exemple). - LES OPÉRATEURS SUR LES MARCHES qui importent, exportent ou transforment les produits du commerce équitable. Par exemple, Solidar’Monde en France ou, bien évidemment, Oxfam Fair Trade et Oxfam-Magasins du monde en Belgique. Certains acteurs du commerce conventionnel assurent eux aussi l’importation ou la transfor- mation de produits équitables certifiés. - LES DÉTAILLANTS qui vendent directement aux consommateurs, soit à travers des commerces spécialisés, comme par exemple, les Magasins du monde, soit, de plus en plus, dans des chaînes de supermarchés traditionnels. Crédit :

13 LE COMMERCE ÉQUITABLE EN ZONES DE CONFLIT

ÉCONOMIE, COMMERCE, PAIX ET DÉVELOPPEMENT

De nombreuses théories économiques soulignent les relations qui existent en- tre développement économique, paix et stabilité.

Les principes de ces théories sont relativement simples : en favorisant l’en- richissement des acteurs économiques par les échanges commerciaux sur un territoire donné, on encourage ces acteurs à considérer le fait qu’ils ont plus à gagner à collaborer les uns avec les autres plutôt qu’à s’affronter. Ces échanges favorisent l’enrichissement des parties leur permettant de sor- tir de la misère et d’accéder ainsi aux minimums vitaux (eau et nourriture en particulier) puis aux services sociaux (santé et éducation) grâce auxquels ils pourront développer de nouvelles activités économiques à plus haute valeur ajoutée et atteindre de nouveaux paliers dans l’échelle du développement.

Ces théories ont prouvé leurs validité dans de nombreux cas. Elles sont d’ailleurs au fondement de la construction européenne voulue par les pères fondateurs qui, au lendemain de la guerre la plus terrible de l’histoire, ont estimé qu’en interconnectant les économies de ces nations jadis opposées, on éloignait d’autant le risque d’un nouveau conflit entre ces populations qui auraient plus à perdre qu’à gagner à entrer en guerre à nouveau.

14 QUAND LE COMMERCE CONVENTIONNEL NE FONCTIONNE PAS

Pour intéressantes qu’elles soient, ces théories ne sont pas universellement valides. En effet, de nombreux cas peuvent être relevés où l’action des acteurs économiques favorise les conflits et encourage les tensions, se nourrissant même parfois du chaos engendré par la guerre. Les guerres du diamant menées dans les pays d’Afrique centrale dans les an- nées 1990 constituent autant d’exemples de ces situations où des acheteurs internationaux ont encouragé des crimes de guerre en finançant les activités des rebelles en échange de l’accès aux ressources minières. En Colombie, de grandes sociétés ont préféré soutenir les milices paramilitaires pour garantir leur mainmise sur les ressources du pays plutôt que de traiter avec les producteurs locaux ou les autorités représentatives ; sans parler des agissements des multinationales pétrolières dans les pays africains ou du Sud- Crédit : Adam Cohn Est asiatique (Birmanie, etc.).

Qu’est ce que ces exemples (où l’intervention des acteurs économiques nuit à l’instauration de la paix) ont en commun ? Dans quel cas, le commerce classique nuit-il au développement ?  Y a-t-il des conditions ou des pré-requis pour que le commerce favorise le développement.

Tout d’abord, l’intérêt général

Par définition, les échanges commerciaux se font dans l’intérêt des parties prenantes (l’acheteur et le vendeur). Si ces parties prenantes sont des élites corrompues qui refusent de se plier aux règles de la collectivité pour satisfaire leur intérêt particulier, alors ces transactions se feront au détriment de l’intérêt général et au profit du plus fort. A fortiori si ces puissances commercialisent les fruits du travail de populations locales forcées à produire (comme ce fut le cas pendant des années avec les mineurs de diamant que les milices et parfois les armées nationales traitaient comme des esclaves).

Or, diamants, minerais rares, souffrances,...

Ces situations sont d’autant plus importantes que les pays en question sont riches en matières premières. En effet, si la richesse d’un pays est fondée sur ses ressources naturelles et n’est donc pas directement pro- portionnelle au niveau de développement (et d’éducation) de sa population, des décideurs nationaux dénués du sens de l’intérêt général n’auraient aucun intérêt immédiat à partager les fruits de la vente de ces ressources à des acheteurs internationaux uniquement motivés par la rentabilité. Parce qu’elles attisent la convoitise des acteurs étrangers sans scrupules et qu’elles n’encouragent pas les élites à investir dans l’éducation comme richesse ultime d’un pays, les ressources naturelles (en particulier les plus précieuses) constituent souvent une malédiction pour des Etats qui ont besoin de stabilité pour émerger et se développer. Rapportée au nombre d’habitants, la Sierra Leone est l’un des pays les plus riches du monde en matières pre- mières précieuses. L’espérance de vie moyenne y est de 40 ans à peine…

15 Les failles du système

Les théories économiques dites «classiques » soutiennent que les échanges favori- sent le développement des populations et encouragent l’instauration de la démocratie par l’émergence d’élites éduquées qui aspirent à la liberté et à la paix. C’est souvent vrai, ainsi que l’attestent de nombreux exemples, en Europe et en Asie notamment. Mais il convient de relever aussi certains dysfonctionnements propres au système économique global. En autorisant, voire en encourageant la spéculation à outrance, ce système va parfois à l’encontre de l’intérêt des populations locales et des politiques de développement qui exigent des perspectives de moyens termes (la capacité à planifier des investis- sements en se fondant sur des anticipations de résultats).

Olivier De Schutter, Rapporteur spécial des Nations-Unies sur le droit à l’alimentation, souligne cette incompatibilité : «Si vous respectez les règles du marché libre, l’eau et la terre atterriront dans les mains de quelques forces capitalistes. (…). Nous n’ap- prenons toujours pas assez de nos erreurs. Les ONG et les organisations paysannes savent depuis longtemps que la petite échelle est l’avenir»3.

En outre, l’ouverture systématique des marchés telle qu’elle est prônée par les gran- des puissances économiques (qui bloquent par ailleurs l’entrée de certains produits sur leurs marchés nationaux) peut aussi constituer un obstacle au développement des pays les plus fragiles (en particulier ceux qui connaissent ou ont connu des si- tuations de conflits ou de violences étendues). Trop souvent dépendants de l’aide internationale, ces pays ont besoin de protéger leurs secteurs économiques naissants avant d’affronter la concurrence des pays plus industrialisés. Dans ces cas, l’application aveugle de certains dogmes ne se fait pas au bénéfice des populations locales désireuses de produire et de travailler pour le bien-être de leurs familles et le développement de leurs communautés.

La haine, dernier obstacle

Ces aspirations sont aux fondements de l’économie. L’être humain cherche à assurer à sa famille et à sa communauté (locale, tribale, régionale ou nationale) bien-être et confort. Si les échanges commerciaux lui per- mettent d’atteindre ces objectifs plus facilement qu’en pillant ou en volant, il aura tendance à travailler pour produire, vendre, s’enrichir et améliorer les conditions de vie de ses proches. Encadré par des règles communes, ce «matérialisme minimal» constitue l’un des ciments les plus fondamentaux des sociétés humaines. Pourtant, il est des situations où cette propension humaine ne suffit pas, où la haine de l’autre est telle qu’elle surpasse le désir de satisfaire les besoins de sa famille. Cela est particulièrement vrai dans les conflits ancestraux où, en mémoire des générations précédentes tombées au combat, on engage les vies de ses en- fants. C’est souvent pire encore quand la religion s’en mêle, quand les individus dédaignent pour eux et leurs familles des perspectives de confort, de paix et de bien-être pour des questions de dogmes religieux qui souvent prédisent une vie meilleure après la mort en échange du sacrifice de soi ou de ses proches.

16 QUANT AU COMMERCE ÉQUITABLE

Dans les pays les plus exposés, la guerre, l’occupation militaire, les attentats ou l’oppression ont détruit les infrastructures, accaparé les forces vives du pays, meurtri des générations, affaibli les élites modérées et suscité des replis identitaires.

Le modèle économique classique n’est alors pas toujours la solution idéale pour mobiliser les populations autour de projets fédérateurs et stabilisateurs.

LES BÉNÉFICES DU COMMERCE ÉQUITABLE DANS LES PAYS FRAGILISÉS PAR LA GUERRE Par rapport au commerce classique, le commerce équitable présente des avantages d’ordre économique, social ou politique qui justifient l’engagement des acteurs internationaux en faveur de ce type d’initiatives.

Responsabiliser les acteurs locaux

«Tandis que les intervenants externes, tels que les gouvernements étrangers, les organismes intergouvernemen- taux et les ONG peuvent jouer un rôle important en facilitant les processus de transformation du conflit, un consen- sus quasiment unanime fait des intervenants locaux les principaux responsables de la construction de la paix. Une approche stratégique de la construction de la paix favorise la primauté des intervenants locaux»4.

Cette position est aujourd’hui très largement partagée par les acteurs qui soutiennent les processus de pacifica- tion et de reconstruction. Or, la participation active des populations locales implique que celles-ci appréhendent clairement les bénéfices qu’elles tireront de ces processus. Déposer les armes, d’accord, mais pour faire quoi ? Pour vivre de la pitié de l’Occident ? Pour me soumettre à des multinationales qui gèreront mon destin dans de grands bureaux à Londres, Paris ou New York ?

En négociant en direct avec eux, en leur offrant des perspectives visibles et accessibles et en leur fournissant un appui technique adapté, les acteurs du commerce équitable et durable responsabilisent les producteurs locaux qui peuvent alors (re)devenir maîtres de leur destin.

17 Crédit : UNESCOCaro Gardiner J.

L’accès aux marchés La réalisation de projets sociaux et de santé

Dans les pays fragilisés par la guerre ou dans les Dans ces pays, les infrastructures productives ou zones de tensions, le principal obstacle que ren- sociales ont souvent souffert des combats. contrent les populations locales qui souhaitent  commercialiser leurs produits concerne l’accès aux Le commerce équitable, dans la mesure où il asso- marchés. cie à toute transaction commerciale des investis- Insécurité, barrages de soldats, tracasseries adminis- sements productifs ou sociaux (primes spécifiques tratives, infrastructures détruites, moyens de transports s’ajoutant aux prix d’achat pratiqués), garantit le fait confisqués,… autant d’obstacles aux échanges com- qu’une part significative des revenus de la transac- merciaux qui permettraient de développer des projets tion sera consacrée à la réalisation de projets qui économiques, de réaliser des investissements produc- auront un impact réel et rapide sur le bien-être et le tifs ou de mettre en place des programmes sociaux. confort des populations. Sur cette question, le commerce équitable propose des solutions valables et avantageuses, ainsi que le souli- Evoquant en particulier les projets de commerce équita- gne Harriet Lamb, directrice exécutive de la Fairtrade ble en Irak et au Pakistan, Harriet Lamb, directrice exé- Foundation (L’équivalent au Royaume-Uni de Max Ha- cutive de la Fairtrade Foundation, souligne le fait que velaar) : « Les agriculteurs des pays touchés par des «la labellisation commerce équitable (Fairtrade Label- conflits comme la Palestine, la République démocrati- ling) garantit à ces petits producteurs un prix équitable que du Congo et l’Afghanistan font face à d’énormes pour leurs produits et ces revenus sont généralement difficultés pour cultiver d’abord, puis pour trouver des consacrés aux besoins essentiels du quotidien tels que marchés pour leurs produits, et encore moins à un prix l’achat de vêtements et de nourriture et l’éducation des équitable. C’est pourquoi nous sommes si soucieux de enfants»6. permettre à ces agriculteurs de vendre leurs produits sous le label Fairtrade, ce qui va de fait leur ouvrir plus Au Timor Leste, les producteurs de café se sont orga- de portes et leur permettre de bénéficier de revenus plus nisés en coopératives pour créer une structure unifiée, durables et d’améliorer les perspectives d’avenir pour Cooperativa Café Timor, qui a construit et mis en place leurs communautés. (…) Nous établissons des lignes un réseau de cliniques et de dispensaires mobiles. Cet- de ravitaillement vitales et des routes commerciales qui te organisation (qui propose du café certifié équitable et permettront aux producteurs d’autres régions d’emboî- biologique) est ainsi devenue le premier pourvoyeur de ter le pas. Nous espérons ainsi poser les fondements soins de santé dans les zones rurales du Timor Leste 7. économiques de paix»5.

18 «Après le conflit, les femmes sont souvent une force pour la croissance économique.»

Maria Livanos Cattaui, ancienne secrétaire générale de la Chambre de Commerce Internationale

Crédit : Erik Törner

Le respect des femmes des sources de revenu, et une or- ainsi que sur les éclairages néga- ganisation de femmes d’affaires qui tifs donnés par les médias sur la Directement ou indirectement, les favorise la réconciliation par le biais région, Nasser Abufarha, fondateur femmes figurent souvent parmi les d’une activité économique commu- de et de l’Asso- principales victimes de la guerre. ne entre les petites entreprises»9. ciation Palestinienne du Commerce Dans les conflits les plus durs, elles Equitable (Palestinian Fair Trade voient leurs époux et leurs fils pren- Association) insistait beaucoup sur dre les armes, sont parfois consi- Le respect et la valorisation des ce point : «Les gens sont excités de dérées comme des ressources à cultures et des identités voir une présentation positive de la piller, sont victimes de viols et de Palestine à travers nos produits de maltraitance. Et même dans les si- L’un des enjeux majeurs des pro- haute qualité. (…). Canaan Fair Tra- tuations de tensions moins brutales cessus de normalisation concer- de est une présentation de ce que (des situations d’occupation mili- ne la restauration des sentiments la Palestine est et de ce que les Pa- taire ou de colonisation), les crispa- de dignité dans les communau- lestiniens voudraient faire. Ce conflit tions identitaires conduisent à leur tés touchées par les exactions ou n’a pas été de notre choix, il nous mise à l’écart de la société civile, l’oppression. Le sentiment d’humi- a été imposé. Il est regrettable que à la perte de leurs droits. Ainsi, en liation entre en compte dans le cer- la plupart des pays ne perçoivent Palestine et en Israël, «les femmes cle vicieux de la violence qui pousse que la Palestine et les Palestiniens arabes qui n’ont pas accès à l’édu- chaque nouvelle génération condi- dans le contexte d’un conflit. Nous cation souffrent de trois handicaps : tionnée par ces récits de prisons, de travaillons à sortir de cette image elles sont arabes dans un Etat juif, brimades et de massacres à vouloir en présentant nos agriculteurs et femmes dans une société patriarca- restaurer la fierté communautaire nos artisans ainsi que les produits le et travailleuses non qualifiées»8. par la vengeance. que nous fabriquons, des produits  de qualité qui sont comparables à Or, le commerce équitable ou dura- Les ONG qui interviennent dans ces ceux de la Toscane, ou de la Vallée ble favorise la participation des fem- régions le savent, cette dimension de Napa. C’est notre contribution à mes dans le fonctionnement de ces psycho-collective est l’une des plus ces questions, une alternative, c’est activités économiques et celles-ci complexes à gérer. Et l’aide finan- vrai, et une présentation adéquate contribuent activement à la pacifi- cière massive (quelle que soient ses de la Palestine»10. cation des relations entre groupes vertus en termes de reconstruc- jadis opposés. Ainsi, les organisa- tion) n’aide pas particulièrement à Invité au Royaume-Uni quelques tions spécialisées reconnaissent «de restaurer la fierté communautaire mois plus tard, Nasser Abufarha plus en plus le rôle que les femmes autour de projets fédérateurs. réaffirme cette notion centrale : peuvent jouer en favorisant la paix Pour traiter cet aspect de l’après- et la médiation à différents niveaux guerre et aider les communautés à «Nous avons rendu l’espoir aux de la société. De nombreux cas ont reconstruire leur identité culturelle agriculteurs palestiniens. été relevés de femmes d’affaires à pour l’avenir de manière positive, le Un changement qui reconnaît les l’origine d’initiatives importantes, commerce équitable constitue une droits des agriculteurs palesti- abordant plus particulièrement la solution formidable. niens et respecte la valeur de leur question genre dans le conflit. Ces Interrogé lors du Salon de l’Alimen- rapport à leur terre. Après la mar- exemples incluent un réseau des tation Biologique de Nuremberg en ginalisation vécue sous l’occu- femmes travaillant au delà des di- 2006 à propos des problèmes po- pation israélienne, il s’agit d’une visions ethniques pour régénérer litiques entre Israël et la Palestine réalisation majeure»11.

19 Crédit : Small Farmers Big Change.coop

L’éducation à la démocratie

Les projets de commerce équitable structure (souvent coopérative) au et les travailleurs à développer leurs intègrent une très forte dimension sein de laquelle les mécanismes de capacités commerciales. (…) Les pro- éducative au profit des producteurs prises de décision doivent répondre ducteurs forment des coopératives locaux et de leurs familles. Ces as- à des principes de démocratie et de démocratiques, et élisent leurs pro- pects pédagogiques portent sur la transparence (élections renouvelées, pres dirigeants. Ils désignent ensem- maîtrise des techniques de produc- candidatures ouvertes, etc.). ble leur directeur et le personnel»12. tion et de commercialisation mais lI s’agit d’une position clairement re- aussi sur l’apprentissage des princi- vendiquée par les initiateurs de ces L’accès aux filières équitables ga- pes de la démocratie locale et par- projets : «Les objectifs stratégiques rantit la plupart du temps des reve- ticipative. du commerce équitable sont de per- nus plus élevés mais il exige aussi Le passage au commerce équitable mettre aux producteurs marginalisés des communautés (que la guerre (qui se traduit in par la certifica- et aux travailleurs de passer de la a souvent contraintes de se replier tion des produits ou de la filière par vulnérabilité à la sécurité économi- sur elles-mêmes) à adopter des mo- un organisme extérieur agréé) impli- que, d’amener les producteurs et les des de fonctionnement collectif qui que que les producteurs s’organi- travailleurs à participer à leur orga- constituent la base culturelle de la sent ensemble dans le cadre d’une nisation, et d’aider les producteurs démocratie.

Le respect et le rapprochement des communautés

Qu’elles reposent sur des critères ethniques, religieux ou culturels, les crispations identitaires constituent fréquem- ment des facteurs déterminants dans le déclenchement ou la poursuite des exactions entre les communautés. Ces spirales de violence radicalisent les positions, nourrissent des haines qui finissent par devenir partie intégrante des identités, créant ainsi des situations dont on sait qu’il faudra souvent des générations pour les dépasser. Dans la mesure où il incite les communautés locales à collaborer autour de projets collectifs, le commerce équitable peut contribuer à réduire les tensions entre communautés géographiquement proches. Le cas du Rwanda est particulièrement significatif, comme le souligne ce témoignage : Nous« avons rencontré des gens de la Compagnie du Café du Pays des Mille Collines.13 (...) Lors du génocide rwandais de 1994, 800 000 per- sonnes furent tuées et près de la moitié étaient des producteurs de café. Des familles entières ont été anéanties pour des raisons de haine raciale. Les deux communautés tribales en guerre, les Hutus et Tutsis sont maintenant engagés sur la longue route de la réconciliation. La Compagnie du Café du Pays des Mille Collines soutient ce processus. Dans les communautés où le café est acheté par la Compagnie du Café du Pays des Mille Collines, les producteurs Hutu et Tutsi doivent travailler côte à côte afin de gagner leur vie. Cela conduit les personnes qui, autrement, seraient ennemis à travailler ensemble avec pour objectif commun d’améliorer la situation de leurs collectivités. (...) Pour chaque livre de café qui est vendue, un dollar est versé à un fonds qui propose des prêts de microfinance aux veuves du génocide»14.

20 L’éducation à l’écologie et au développement durable

Dans les régions du monde frap- ronnement, considéré comme l’un pées par le fléau de la guerre, la des piliers du développement global. préservation de l’environnement fait rarement partie des préoccupations De nombreux exemples l’attestent : majeures des populations civiles qui «Green Action Israël (ONG israélien- ont généralement comme soucis ne membre de Fair Trade Judaica) premiers la recherche de la sécurité encourage activement la protection et l’assouvissement de leurs be- et le renouvellement des ressources soins essentiels. Pourtant, il s’agit naturelles de la terre ainsi que la du- d’une question cruciale car les éco- rabilité sociale des communautés systèmes ont subi des traumatis- défavorisées. Green Action travaille mes majeurs lors des combats. avec les agriculteurs palestiniens, Aussi, dans ces pays fragilisés, il est dans trois petits villages près de Na- indispensable d’intégrer aux actions plouse en Cisjordanie pour les aider Crédit : Forest People de stabilisation, de normalisation à exporter l’huile d’olive qui est uti- ou de reconstruction cette prise en lisée pour la fabrication de l’Huile compte des enjeux environnemen- de la Paix en collaboration avec Ce travail de sensibilisation des taux et d’inscrire cette question dans Canaan Fair Trade, la branche com- producteurs à la préservation de les programmes de développement. merciale de l’Association Palesti- l’environnement constitue une Le commerce équitable intègre pleine- nienne du Commerce Equitable (Pa- démarche majeure pour valoriser ment le sujet du respect de l’envi- lestinian Fair Trade Association)»15. le patrimoine et responsabiliser les acteurs locaux, ainsi que l’ex- priment des producteurs sri-lan- kais :

Commercer pour exister «Nous travaillons désormais avec l’idée d’établir une société pros- De nombreux conflits dans le monde ont pour origine des questions père et respectueuse de l’environ- identitaires que la fin des hostilités ne règlent pas toujours. nement. Des programmes de for- Comment faire en sorte que des populations hantées par des sentiments mations ont également été mis en d’injustice s’expriment autrement que par les armes ? Comment (continuer à) place pour tout le monde, avec des exister sans poser des bombes ou prendre des otages ? cours d’informatique, mais aussi sur Le respect et la valorisation des traditions et des cultures sont des compo- l’agriculture en soi, avec des séan- santes essentielles du commerce équitable ou durable. Les denrées com- ces expliquant comment combattre mercialisées par ce biais ne sont pas présentées et perçues que comme l’érosion des sols, comment entre- des produits sans origine. Au contraire, les acteurs du commerce équitable tenir correctement une plantation, s’efforcent tout au long de la chaîne de valoriser autant les producteurs, leur préparer du compost, etc. Produire histoire, leur identité que le produit lui-même. sans pesticides a eu aussi un effet Produire équitable devient une manière d’exister aux yeux du monde. positif sur notre santé, car les pro- duits chimiques sont très agressifs Cette dimension militante positive est soulignée par de nombreux produc- pour les yeux et la peau ! (…) Nous teurs. Au Tibet notamment : «Tibet Collection travaille directement avec les souhaitons nous positionner comme artisans tibétains, indiens et népalais pour réaliser des créations qui célè- l’entreprise productrice de produits brent la beauté et la culture du Tibet. En tant que membre fondateur de la bio la plus soucieuse de l’environ- , nous nous efforçons de créer des relations éthiques nement en Asie du Sud»16. et de promouvoir de meilleurs salaires et conditions de travail pour les ar- tisans. (…) Nous encourageons également les ONG et autres groupes in- La guerre civile du Sri Lanka a dépendants qui cherchent à soutenir ou à promouvoir la culture tibétaine, opposé le gouvernement dominé comme la Campagne internationale pour le Tibet à Washington et la Maison par la majorité cinghalaise boudd- du Tibet à New York»17. histe aux Tigres de Libération de l’Ilam Tamoul, organisation sé- Cette spécificité du commerce équitable constitue même une motivation paratiste luttant pour la création supplémentaire pour les producteurs, ainsi que le souligne Judeh Jamal, d’un État indépendant dans l’Est ancien directeur du Palestinian Agricultural Relief Committees, une ONG et le Nord du pays. palestinienne : «Ce qui importe, c’est qu’avec chaque bouteille vendue, on Ce conflit a causé plus de 70 000 raconte l’histoire des agriculteurs palestiniens»18. morts depuis 1972.

21 LES OBSTACLES A SURMONTER Si le commerce équitable présente de nombreux avantages pour la stabilisation et la normalisation des pays fragilisés par la guerre, il est vrai que la mise en place de telles initiatives sur ces territoires nécessite de surmonter un certain nombre d’obsta- cles spécifiques. Ces «nouvelles frontières» du commerce équitable ne sont pas faciles à atteindre, mais les enjeux sont vraiment à la hauteur des efforts à fournir. Quels sont ces obstacles spécifiques que les opérateurs du commerce équitable doivent intégrer dans leurs projets en faveur des populations vivant dans les zones de conflits ?

Satisfaire les besoins minimums

Une première évidence : quels que soient les ressources ou les savoir-faire des producteurs locaux dans les territoires fragiles, la mise en place de projets produc- tifs nécessite en priorité de répondre aux besoins de base des populations (eau, nourriture, vêtements, etc.). Cette dimension humanitaire est prise en compte par certaines organisations du commerce équitable qui intègrent à leur démarche la gestion de ce préalable.

Un minimum de sécurité

D’un point de vue opérationnel, l’un des principaux obstacles relevés concerne la sécurité des intervenants, notamment les agents chargés de la certification et du contrôle des produits et des systèmes productifs.

Kate Sebag, responsable de Tropical Wholefoods, connaît très bien ce problème. Retards aux points de contrôle, zones contestées, risques pour le personnel inter- national et les consultants,… toutes ces questions lui sont familières. «Nous avons commencé en travaillant dans un pays touché par la guerre, l’Ouganda dans les années 1980», dit-elle. «Ce n’était pas délibéré, mais nous voulions appor- ter des marchés aux agriculteurs qui, autrement, devaient lutter pour les trouver, alors nous avons fini par travailler dans les zones qui sont isolées et ont des problè- mes politiques».

Aujourd’hui, Tropical Wholefoods importe des produits issus du commerce équitable en provenance de deux des conflits les plus médiatisés dans le mon- de, l’Afghanistan et le Pakistan. Bon nombre des inspections externes auxquelles sont soumis les producteurs pakistanais partenaires de l’entreprise sont effectuées par un expert du Sri Lanka, qui travaille dans l’ensemble du sous-continent indien. Mais, à ce jour, il est considéré comme trop dangereux d’envoyer un inspecteur en Afghanistan pour certifier les producteurs de raisins secs des plaines de Shomali au nord de Kaboul19.

22 Les coûts d’accès aux marchés et les délais dans les pays en guerre, en particulier lorsque les violen- ces sont liées à des dissensions entre les communautés. La mise en place de filières de production locales dans Dans le Sud Liban, il faut attendre mai 2000 et le re- ces zones fragilisées exige d’anticiper les coûts impor- trait des troupes israéliennes pour qu’émerge l’idée tants liés à l’accès aux marchés pour ces produits, qu’ils du commerce équitable. Membre de l’organisation s’agissent de coûts directs (renouvellement des véhicu- caritative Saint-Vincent de Paul, Philippe Adaime se les, corruption, etc.) ou indirects (blocages, contrôles rend en 2003 dans le sud du pays où il découvre, in- militaires, etc.). digné, des familles entières vivant dans la misère et Interrogé sur cette question, Nasser Abufarha, l’un abandonnées par le gouvernement libanais. «Sous des principaux initiateurs du commerce équitable en l’occupation israélienne, les habitants de cette région Palestine,20 expliquait la stratégie adoptée pour gérer étaient coupés du reste du pays. Beaucoup travaillaient cette question : «Il est évident que le fait de travailler donc en Israël. Après le retrait israélien, l’Etat libanais sous occupation militaire constitue un obstacle qui ac- les a considérés comme des collabos et a délaissé la croît considérablement les coûts logistiques et de com- région» explique-t-il. Le Hezbollah prend la relève de mercialisation. Donc, notre principal problème finit par l’Etat et pourvoit au développement des villages chii- être le prix élevé de nos produits liés à ces coûts spé- tes en créant des centres sociaux, des hôpitaux, des cifiques. Nous compensons cet obstacle en offrant des écoles… mais personne ne se préoccupe, en revan- produits de qualité supérieure qui ont une valeur ajoutée che, des 15 000 à 25 000 personnes qui vivent dans les sociale (commerce équitable) et environnementale et qui villages chrétiens. «Nous nous sommes dit qu’il fallait sont bénéfiques pour la santé des consommateurs»21. faire quelque chose pour instaurer un climat pacifique, se souvient Philippe Adaime. Les Chrétiens voyaient leurs voisins s’en sortir grâce au Hezbollah, alors que eux ne parvenaient même pas à vendre leur produc- tion. Il fallait casser cette loi de la méfiance qui faisait Apprendre aux gens à travailler ensemble que les gens ne commerçaient même plus entre eux». (la méfiance) En 2004, Fair Trade Lebanon voit le jour. Une organi- A la différence du commerce traditionnel, le com- sation ouverte à tout le monde et qui se fixe comme merce équitable incite les producteurs locaux à objectif, à travers le commerce équitable, de rappro- s’organiser et à se structurer sous formes de filières cher les différentes communautés. «En leur imposant dotées d’instances de décisions élues et d’organes de travailler ensemble, on oblige les gens à se rencon- de gestion aux compétences clairement identifiées. trer, à discuter. Ca ne crée pas des amitiés fabuleuses Ce qui signifie pour les producteurs qu’il leur faut ap- mais c’est un début…», résume Philippe Adaime qui se prendre à collaborer et à travailler ensemble. Préalable plaît à rappeler que «la diversité fait la richesse du pays. indispensable, la restauration de la confiance entre les Pour que le Liban continue à exister, il faut un dialogue communautés fait donc partie des contraintes à gérer nourri entre les communautés. Nous y contribuons» 22.

Crédit : Max Havelaar

23 Flexibilité des modèles Fair Trade

Le dernier obstacle auquel se trouvent confrontés les producteurs et les distri- buteurs dans ces zones sensibles concerne les systèmes de certification eux- mêmes.

En effet, ceux-ci n’ont pas été conçus pour s’appliquer à ces conditions particulières. Interrogée sur ce point, Corinne Ingels, gérante du Domaine Monts de La Lune, une société installée dans le Nord Kivu en République Démocratique du Congo qui produit et vend de la vanille et du cacao, souligne ces difficultés :

«Initialement, nous nous étions intéressés au label FLO. A cause du contexte d’insécurité dans le pays, les inspections se sont avérées impossibles à mener. Nous nous sommes donc tournés vers Fair for Life (IMO), qui avait déjà l’avan- tage de pratiquer la certification de notre ferme biologique et d’un programme d’aide aux petits planteurs bios. Ce label accepte également des fermiers sous contrat avec nous. En outre, il n’impose aucun prix d’achat fixe pour les pro- ducteurs. Au final, je dirais que Fair for Life est plus pragmatique et moins dog- matique que FLO. (…) Si l’on veut établir une filière de commerce durable, il faut impérativement pas- ser par des prix corrects et décents payés aux producteurs. A cela s’ajoute une exigence de transparence sur le management. Mais je regrette l’étroitesse d’esprit et la position monopolistique de FLO sur la scène internationale du commerce équitable. Conçu pour l’Amérique latine, son modèle n’est pas trans- posable tel quel ailleurs. Bien plus flexible, Fair for Life/IMO, aurait grand intérêt à se faire mieux connaître dans le monde»23. Crédit : COMEQUI

24 Ceci étant, les systèmes existants, malgré certaines rigidités, peuvent être assou- plis, en particulier pour les projets de commerce équitable initiés dans ces zones à risques.

 Kate Sebag, Adam Brett et Richard Friend de Tropical Wholefoods, travaillent depuis 2006 à la mise en place d’une filière de production de raisins équitables en Afghanistan.

Ils racontent : «Obtenir la certification Fairtrade pour les producteurs de raisin était l’un de nos principaux objectifs. Cela a été une question délicate à gérer parce que l’insécurité dans la région est telle qu’elle ne permet pas aux inspecteurs de FLO de se rendre en Afghanistan. Cependant, (nous avons) travaillé en étroite collaboration avec la Fairtrade Foundation et Mercy Corps pour essayer de dé- velopper un mode de certification FLO qui peut être proposé à des groupes d’agriculteurs dans les pays fragiles et précaires, comme l’Afghanistan et la République Démocratique du Congo. Des progrès considérables ont été ac- complis dans ce sens»24.

Kate Sebag est optimiste : «Jusqu’à l’invasion soviétique, le raisin d’Afghanistan avait la réputation d’être le meilleur au monde.(…). Mais obtenir la certification commerce équitable est essentiel pour la commercialisation, compte tenu des volumes de vente. Bien que les inspecteurs n’aient pas encore été en mesu- re de visiter les producteurs auprès desquels Tropical Wholefoods se fournit, ceux-ci ont obtenu en février une exemption de la Fairtrade Foundation qui nous permettra d’étiqueter ces raisins secs avec ce logo qui est de première importance»25.

Toutes les initiatives de commerce équitable dans les zones dangereuses ne béné- ficient pas de telles exemptions, ainsi que l’explique Michel Verwilghen, de l’ASBL belge Commerce Equitable Grands Lacs (COMEQUI ASBL) qui soutient la coopé- rative SOPACDI en République Démocratique du Congo : «La principale difficulté que nous rencontrons pour faire certifier la SOPACDI au Sud Kivu est liée aux exigences administratives posées pour obtenir la certification car les coopé- ratives congolaises sont peu développées, quasiment pas structurées et très souvent sans gestion administrative. Il manque aussi parfois de leadership local pour mener à bien des projets de développement des activités de commerce équitable»26.

25 Crédit : COMEQUI

26 LES INITIATIVES DE COMMERCE ÉQUITABLE EN ZONES DE CONFLIT AFRIQUE / PROCHE-ORIENT / ASIE / AMÉRIQUE DU SUD

On compte aujourd’hui plusieurs centaines de projets de commerce équitable mis en place dans le monde, essentiellement en Amérique latine, en Afrique et en Asie,les continents où se concentrent les principaux conflits recensés depuis la fin de la guerre froide.

Les processus de reconstruction sont d’autant plus complexes à mettre en œuvre que ces pays doivent pouvoir s’inscrire rapidement dans le cadre global de la mondialisation pour pouvoir espérer un décollage économique durable. Ce qui implique d’adapter les systèmes productifs, les ressources et les travailleurs aux règles de ce système global tout en protégeant les secteurs stratégiques de ces pays fragilisés.

Ainsi que nous allons le voir à travers les projets présentés ci-après, le com- merce équitable propose des solutions dynamiques et originales.

27 EN AFRIQUE

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Afrique a souffert de très nombreux conflits. Aujourd’hui, alors que de nouvelles élites arrivent au pouvoir, on voit émerger une classe moyenne responsable, dont une partie s’engage en faveur du commerce équitable. Crédit : COMEQUI

28 Troisième pays le plus peuplé d’Afrique avec une population d’environ 68 millions d’habitants composée de plusieurs centaines d’ethnies différentes, la République Démocratique du Congo fait figure de coffre aux tré- sors grâce aux richesses naturelles de ses sols.

RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO

Diamants, pierres précieuses, métaux rares, pétrole brut,… autant de ressources qui, depuis l’indépendance, attisent les appétits des puissances mondiales et des mul- tinationales qui n’ont pas hésité à recourir à la violence (parfois) ou à la corruption (souvent), aux bénéfices d’un régime qui parût longtemps conçu pour ne servir que les intérêts de son leader historique, Mobutu Sese Seko (renversé par Laurent-Désiré Kabila en 1997 lors de la Première guerre du Congo).

En outre, de par son immensité et sa position centrale au cœur de l’Afrique (il est entouré de neuf pays), la République Démocratique du Congo est contrainte de gé- rer des flux importants de réfugiés fuyant les nombreux conflits qui ont embrasé les pays voisins (Ouganda, Angola, Soudan, Rwanda, etc.), ce qui a largement contribué à déstabiliser les fragiles équilibres ethniques locaux et à créer de multiples zones de tensions.

La guerre civile, qui a fait plus de quatre millions de morts et provoqué le dé- placement de deux autres millions de personnes, s’est peut-être officiellement terminée mais l’agonie perdure.

Chaque jour apporte au Congo son lot d’atrocités, de famine, d’exode, de pauvreté et de maladie. Ce conflit est assurément l’une des tragédies les plus sous-médiatisées de notre génération. C’est pourtant l’une des plus meurtrières depuis la Seconde Guerre mondiale. Des décennies acharnées de violences ont créé ce que les Nations- Unies ont appelé le plus grand défi humanitaire auquel le monde doit aujourd’hui faire face27. Peut-être plus encore que ses voisins, la République Démocratique du Congo doit s’efforcer de passer d’une situation de construction coloniale artificielle mêlant de multiples ethnies aux cultures très différentes à un état de nation soudée par des socles identitaires communs. Et tout cela, en gérant les convoitises d’organisations ou d’Etats peu scrupuleux que l’unification ou la pacification du pays n’intéresse pas forcément…

Dans ces conditions, le commerce équitable et durable offre des perspectives intéressantes pour rapprocher les communautés, enrichir les populations, qua- lifier et former les producteurs. Tout cela dans un pays d’où sont exportés des pierres précieuses, des métaux rares, du pétrole brut et du café quasiment sans valeur ajoutée.

Un défi à relever pour le cœur de l’Afrique.

29 SOPACDI Dépasser la violence

Le commerce équitable n’a pas connu en République Démocratique du Congo le même essor (relatif) qu’ont pu connaître certains de ses voisins (l’Afrique du Sud, le Kenya, la Tanzanie ou l’Ouganda par exemple). Pourtant, les producteurs de café en République Démocratique du Congo rencontrent d’énormes difficultés, par manque de débouchés pour leurs productions et surtout à cause des troubles qui agitent le pays. Au point que, chaque année, des centaines de cultivateurs se noient en essayant de franchir le lac Kivu pour accéder au Rwanda 28 où ils espè- rent trouver des acheteurs pour leurs récoltes.

Coopérative de droit congolais fondée en 2001, la SOPACDI (Solidarité Pay- sanne pour la Promotion des Actions Café et Développement Intégral) re- groupe près de 300 petits producteurs de café entre Kahele et Goma dans le Sud Kivu, une région particulièrement agitée (conflits armés liés à la présence de milices rwandaises). L’insécurité est telle que les paysans sont parfois contraints de fuir et d’abandonner leurs plantations qu’ils retrou- vent souvent pillées à leur retour. En outre, les infrastructures d’usinage du café sont régulièrement détériorées par les pillards et les milices.

La SOPACDI s’est fixée pour objectifs de développer des activités susceptibles d’améliorer la vie des planteurs de café et de leurs communautés en prenant en charge, en particulier, la commercialisation des quelques 20 tonnes de café vert qu’ils produisent, en évitant les intermédiaires. Par ailleurs, la coopérative a mis en place de nombreuses actions de soutien technique : régénération des cultures de café, approvisionnement des producteurs en semences et plantules, formation des planteurs pour améliorer la qualité du café et octroi de microcrédits pour accroître la production. Ces dernières années, la SOPACDI rencontrait de profondes difficultés pour réaliser ces missions, n’ayant plus les capacités suffisantes pour acheter le café de ses membres, manquant de moyens logistiques pour le transport et l’entretien de sa station de lavage 29.

Heureusement, la situation a évolué en 2008-2009. Avec l’aide de l’ASBL COMEQUI et de l’ONG anglaise Twin, la coopérative a mis en place un programme pour préparer une future certification équitable grâce auquel elle a connu une augmentation rapide du nombre de ses membres. Les organes de gestion ont également été revus et les femmes, très actives au niveau des comités de secteur, représentent 20% des membres de la coopérative. En 2009, grâce au soutien de l’ASBL COMEQUI, les représentants de la société importatrice Café Liégeois se sont rendus sur place où ils ont pu confirmer l’exceptionnelle qualité de ce café et négocier l’achat d’un premier container, rapidement suivie par le réseau britannique de supermarchés équitables Sainsbury’s qui s’est, à son tour, engagé à acheter du café à la SOPACDI 30.

Aujourd’hui, grâce notamment au soutien de l’ASBL belge COMEQUI, la coopérative est prête pour solliciter l’agrément de FLO mais l’organisme de certification refuse toujours d’envoyer ses inspecteurs au Kivu, région considérée comme trop dangereuse 31.

Pour en savoir plus : www.comequi.org Crédit : COMEQUI www.sainsburys.co.uk

30 L’ASBL Commerce Équitable Grands Lacs

Constituée en 2008, l’ASBL belge «Commerce Equitable Grands Lacs» (COMEQUI ASBL en abrégé) soutient les petits agriculteurs de la Région des Grands Lacs par la promotion de la production agricole équitable et/ou biologique.

Le partenariat fort qui unit cette association belge à la coopérative caféière SOPACDI s’est matérialisé par des actions très concrètes : - Fourniture de petit outillage pour les producteurs - Amélioration des installations de lavage de café - Distribution en 2009 de plus de 200 000 plants de caféiers - Création en 2010 d’une pépinière de 500 000 plants de caféiers destinés aux petits planteurs - Mise en place d’une organisation administrative pour solliciter et préparer la certification FLO Fairtrade - Promotion des produits de la coopérative auprès des grands Crédit : COMEQUI importateurs belges et européens - Sensibilisation du public belge à la nécessité de soutenir le secteur agricole dans la Région des Grands Lacs

«L’agriculture est sans aucun doute l’activité qui permettra le plus vite et au plus grand nombre d’obtenir des revenus pour vivre dignement. C’est un moyen indispen- sable pour stabiliser la région et y assurer la paix à long terme».

Michel Verwilghen - Commerce Equitable Grands Lacs (COMEQUI ASBL) - www.comequi.org

SAUVER DES VIES ET DES ARBRES

En 2009, plus de deux millions de personnes de personnes déplacées vi- vaient en République Démocratique du Congo, notamment dans les régions de l’Est du pays, aux frontières avec le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda. La violence et l’insalubrité dans les camps de réfugiés sont telles que des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sont contraints de fuir dans les forêts pour échapper aux attaques des milices et des belligérants qui mènent des raids pour piller les convois humanitaires ou procéder à des recrutements forcés. Ainsi, des petits groupes de réfugiés errent dans les forêts de l’Est du Congo, subsistant tant bien que mal de cueillette. De nombreux témoignages font état de violences sur les femmes et les filles qui doivent s’écarter de ces campements de fortune pour ramasser le bois

Crédit : Cassandra Nelson - Mercy Corps Crédit : Cassandra Nelson - Mercy qui servira à la cuisson des aliments. Dans ces forêts de l’Est de la République Démocratique du Congo, Mer- cy Corps, une ONG écossaise qui aide les communautés en péril, a mis en place un programme pour former ces femmes et filles menacées à la construction de fourneaux économes en combustible et à la fabrication de briquettes de biomasse, afin de réduire les quantités de bois de chauffe né- cessaires qu’elles doivent aller chercher dans des zones dangereuses. Ces poêles à haut rendement énergétique et les briquettes de biomasse per- mettent également de réduire la déforestation massive dans la région32.

Pour en savoir plus : www.mercycorps.org.uk

31 RWANDA

Au cœur de l’Afrique de l’Est, entre la Tanzanie et que plusieurs autres cultures vivrières (haricots, bana- l’Ouganda, le Rwanda a connu le génocide le plus nes, pois, manioc, patates douces,…). rapide de l’Histoire avec l’extermination de plus d’un million de ses habitants en 1994, parce que nés Tutsi Lancé en 2000, le programme Vision 2020 du Gouverne- ou reconnus opposants à la dictature. ment rwandais vise à favoriser la réconciliation entre les victimes et les bourreaux en encourageant le dévelop- Aujourd’hui, le Pays des Mille Collines se reconstruit pement économique du pays autour de grands projets avec dignité. Sécurité retrouvée, corruption plutôt fai- fédérateurs, en faisant la promotion de l’entreprenariat, ble, nombreux transports ponctuels... sont des atouts en modernisant l’agriculture et en attirant des investis- pour le visiteur et pour le développement du commerce seurs étrangers, européens et américains surtout. équitable et/ou durable. Dans ce contexte de reconstruction, les initiatives Avec environ 90% de sa population travaillant dans de commerce durable et équitable prennent toute l’agriculture, le Rwanda développe principalement deux leur raison d’être en contribuant aux rapproche- grandes cultures d’exportations (le café et le thé) ainsi ments des communautés33.

Travailler ensemble : LA COOPÉRATIVE ABAHUZAMUGAMBI BA KAWA 34

Jusque dans les années 1970, le café rwandais était parmi les plus réputés «Quand les gens dans le monde. font partie d’une association ou d’une Le café rwandais coopérative, ils ont Depuis, sa renommée a décru lentement mais inexorablement. En cause, la chute des prix du café sur les marchés internationaux mais aussi la libé- une activité com- ralisation du secteur menée par le pays qui a entraîné très logiquement une mune et génératrice très forte réduction des recettes d’exportation35. En plus de cela, pendant les années de guerre civile, nombreux furent ceux qui, très naturellement de revenus et il leur ont abandonné leurs caféiers ou les ont arrachés afin de se consacrer à des est donc plus facile cultures plus prioritaires à leur survie. «Avant le génocide, 52 000 hectares étaient couverts de plantations caféières. Quatre ans plus tard (en 1998 – de se réconcilier» ndlr), on estimait que seuls 24 000 hectares avaient été préservés»36.

François Habimana, secrétaire exécutif de la coopérative Abahuzamugambi Ba Kawa 41 Crédit : Borlaug Institute

32 Depuis le début des années 2000, la filière se recons- truit peu à peu. Le Rwanda a replanté 4 à 6 millions de caféiers par an et bénéficié dans le même temps d’une remontée des cours mondiaux et d’une baisse du taux de change de sa monnaie, ce qui a renforcé sa compétitivité. L’arrivée d’Internet a elle aussi bouleversé la situation en permettant au consommateur de choisir ses pro- duits en fonction de leur qualité, privilégiant, dans le cas du café rwandais, les cafés des terroirs dont la qualité est (re)connue. Cette nouvelle donnée a impliqué des changements de mentalité chez les planteurs qui ont dû progressivement privilégier la qualité à la quantité. C’est précisément dans ce contexte qu’apparaissent timidement les premières initiatives de commerce équi- Crédit : Alter Eco table au Rwanda.

« Produire un café de qualité dans l’une des régions les plus pauvres du pays pour rendre courage à la nation», tel est le défi posé en 2001 par l’Office des Cultures Industrielles du Rwanda, l’OCIR, qui dépend directement du Ministère du Commerce. Classé comme l’un des plus pauvres du Rwanda et situé dans la province de Butare, le district de Maraba est choisi comme site d’implantation d’une station pilote de lavage du café dans le cadre du projet PEARL (Partnership for Enhancing Agriculture in Rwanda through Linkages).

Mené en collaboration avec la Michigan State University et Texas A&M University et avec le financement de l’USAID (l’Agence Américaine pour le Développement International), ce projet-pilote37 «consiste à améliorer la pro- duction et la qualité du café produit dans ce district, afin de le vendre sur le marché du café de spécialité, à travers un meilleur encadrement et organisation des producteurs, de meilleures pratiques culturales, et une amélioration du traitement du café»38.

Une des premières organisations à tirer profit de ce programme fut la coopérative Abahuzamugambi Ba Kawa, dont le nom résume exactement la philosophie : «Ceux qui ont des objectifs communs». Créée après le génocide par 300 petits producteurs qui souhaitaient améliorer leurs conditions de vie, elle rassem- ble aujourd’hui près de 2000 membres et, fait admirable, permet aux Tutsis et aux Hutus de se côtoyer dans les collines verdoyantes de Butare. Etienne Bihogo, l’un des responsables de cette coopérative, le reconnaît volontiers : «C’est vrai que cette coopéra- tive contribue à la réconciliation. On peut voir notamment dans les stations de lavage du café les gens se retrouver ensemble sur les mêmes tâches. Ils raisonnent désormais tous en termes de profits et ne pensent plus à ce qui pourrait les opposer». Distribué par l’Union Hand-Roasted Coffee depuis octobre 2002, le café de la coopérative est commercialisé aux Etats-Unis et au Royaume-Uni (notamment dans les 350 magasins de la chaîne Sainsbury’s). Sa qualité a permis à l’entreprise de faire un bénéfice de l’ordre de 20 000 € et de vendre son café trois fois plus cher que les autres producteurs rwandais. Deux chiffres résument à eux seuls l’évolution de la coopérative : la livre de café était vendue 0,14 $ (0,09 €) en 2001 et 1,36 $ (0,9 €) en 2004 39.

Aujourd’hui, Abahuzamugambi Ba Kawa emploie de nombreuses veuves qui, avec l’argent des ventes du café, achètent des vaches et assurent la scolarité de leurs enfants. Selon Etienne Bihogo, «il est significatif de voir que, dans la région de Maraba, les centaines d’enfants des producteurs vont tous à l’école, que les médicaments sont désormais disponibles dans les dispensaires et surtout que les maisons ont été reconstruites ou rénovées. Et cela peut se prolonger»40.

Pour en savoir plus : www.befair.be

33 Crédit : Bead Ffor Life

34 Pendant toute la période coloniale, l’Ouganda était considéré comme la «Perle de l’Afrique» par les occidentaux qui ont découvert le pays en recherchant les mythiques sources du Nil. 

Ses paysages magnifiques, la diversité de sa faune et de sa flore, ses terres fertiles, ses plantations prospères et sa paysannerie aisée,... au moment de son indépendance, l’Ouganda semblait prêt à affronter la modernité avec des atouts certains.

OUGANDA

La décolonisation

En dépit de la forte présence de missionnaires catholiques et protes- tants, l’Ouganda n’a jamais accueilli de colonies de peuplement britan- niques ou européennes importantes. Comme dans de nombreux pays soumis aux puissances coloniales, le mouvement indépendantiste s’est manifesté surtout après la Seconde Guerre mondiale. Les négociations pour aboutir à un traité d’indépendance ont été longues et difficiles mais le 9 octobre 1962, l’Ouganda est reconnu comme Etat indépendant. Très vite vont se poser des problèmes liés à l’organisation politique et territoriale du nouvel Etat.

Des crises postcoloniales à aujourd’hui

Les tensions s’exacerbent entre les populations nilotiques du Nord et les populations bantoues du Sud. En 1971, Idi Amin-Dada, prend le pouvoir à l’occasion d’un coup d’état sanglant. Il augmente les effectifs militaires, fait massacrer ses oppo- sants politiques et instaure un régime de terreur. Le nombre de ses victimes est estimé à 200 000 personnes, femmes, hommes et enfants. En novembre 1978, l’armée tanzanienne entre en Ouganda, soutient la rébellion ougandaise et contraint le dictateur à prendre la fuite en Arabie Saoudite. Cependant, les troubles se poursuivent et les dictatures s’en- chaînent. L’inflation atteint des sommets, une famine terrible décime le nord du pays, l’opposition est brutalement réprimée.

En janvier 1986, Yoweri Museveni, chef de l’Armée Nationale de Résistan- ce, accède au pouvoir et s’attèle à la reconstruction du pays. Le nouveau gouvernement lance de nombreuses réformes qui permettent au pays de s’engager sur la voie du développement (stabilisation de l’inflation, crois- sance durable, etc.) mais la situation demeure difficile avec la persistance d’une rébellion violente dans le Nord, l’Armée de la Résistance du Seigneur (Lord’s Resistance Army) soutenue par le Soudan islamiste, qui fait régner la terreur. Du point de vue politique, un gouvernement d’union nationale pluriethni- que a été en place qui s’efforce de stabiliser l’équilibre des pouvoirs entre les communautés.

35 MIREMBE KAWOMERA : Délicieuse paix

CAFÉ ÉQUITABLE, BIO, CASHER ET HALAL

Tout à fait surprenante, L’histoire raconte qu’à la lecture du livre saint, Kakungulu, qui s’était engagé l’histoire de la coopérative depuis son enfance aux cotés des colonisateurs britanniques dans l’espoir Mirembe Kawomera trouve de devenir Vice-roi du Buganda, finit par conclure qu’il se trouvait bien ses racines dans l’histoire plus en accord avec les enseignements de l’Ancien Testament qu’avec le religieuse particulière de Nouveau. «Dans ce cas, lui aurait répondu un missionnaire, vous n’êtes l’Ouganda. pas chrétien, vous êtes juif».

Au début du XXème siècle, alors que les missionnaires Semei Kakungulu, délaissé par ailleurs par les occupants britanniques protestants britanniques qui commencent à le trouver encombrant, décide de se déclarer juif et se s’engagent dans de vastes convertit ainsi que ses trois mille sujets et leurs familles. Pendant plusieurs mouvements de conversion années, la nouvelle communauté s’efforce de suivre les prescriptions de la des populations locales, Thora sans avoir de contact avec le Peuple d’Israël. Ce n’est qu’en 1926 un chef de guerre charismatique que Semei Kakungulu rencontre pour la première fois un commerçant juif de la ville de Mbalé, à Kampala qui lui enseigne les rites et les pratiques réellement en usage. allié des Anglais, nommé Semei Kakungulu, reçoit Cette communauté, qui s’est réfugiée dans la région d’Abayudaya, en 1919 une bible des mains constitue l’unique cas d’apparition endogène d’une communauté re- d’un missionnaire. ligieuse juive dans l’histoire. Elle survivra à la mort de son chef histori- que mais connaitra des périodes très difficiles, en particulier pendant le régime tyrannique d’Idi Amin Dada qui la persécuta dans le sang, contrai- gnant un grand nombre de ses membres à se convertir à l’islam ou au christianisme. En 1979, ils ne sont plus que trois cents, mais avec l’aide de l’Etat d’Israël (qui a quand même eu un peu de mal à reconnaître cette communauté tout à fait unique) et de la diaspora juive mondiale, la communauté renaît et obtient sa reconnaissance religieuse et l’appui de rabbins israéliens et américains. La création de la coopérative Mirembe Kawomera s’inscrit dans cette histoire extraordinaire. Mirembe Kawomera

UNE COOPÉRATIVE POUR LA PAIX

Au début des années 2000, Joab Jonadav Keki, le leader de la communauté juive de la région de Mbalé, par ailleurs fermier et musicien, décide d’aller à pieds frapper aux portes de tous les producteurs de la région, quelle que soit leur appartenance religieuse, pour trouver ensemble une solution à la crise qui frappe le secteur du café depuis plusieurs années. «Notre plus sérieux problème est religieux», disait Joab Jonadav Keki42 qui soulignait les vives tensions qui régnaient entre les communautés, en particulier depuis la période Idi Amin Dada durant laquelle les juifs étaient honnis, bri- més et publiquement traités de «tueurs de Christ» par les chrétiens et d’«oubliés de Dieu» par les musulmans. Les discours d’ouverture et de tolérance de Joab Jonadav Keki finissent par porter leurs fruits et en 2002, il est élu au Conseil du Sous-Comté de Namanyonyi avec le soutien des trois communautés religieuses qui le reconnaissent comme leader crédible. Puis en 2004, aux termes de longues réflexions collectives, la coopérative Mirembe Kawomera (qui signifie «Délicieuse Paix» en Luganda, l’une des langues ougandaises) est créée avec pour objectifs de rapprocher les communautés et de contribuer à leur développement. «Nous avons longtemps réfléchi, raconte Joab Jona- dav Keki, en nous concentrant surtout sur ce qui nous rapprochait. Nous avons cherché tous ces points communs dans nos livres saints. Par exemple, nous avons reconnu le fait que nous saluons tous avec le mot «Paix» : Shalom, Salaam, Mirembé».

36 «J’achète tout. Je veux l’histoire toute entière.»

Une fois ces valeurs communes reconnues et acceptées, il a fallu bâtir un projet économique et trouver de nouveaux marchés. Pour ce faire, la nouvelle coopérative a reçu de nombreux appuis, notam- ment du directeur exécutif de la Thanksgiving Coffee Company, Paul Kat- zeff, qui s’est engagé à acheter la production de la coopérative à un prix supérieur de 30 % environ aux prix du marché et à l’accompagner dans ses démarches de certification. «J’achète tout», dira Paul Katzeff, «Tout ou rien, Je veux l’histoire toute entière. Je veux apporter cette histoire au monde».

La coopérative Mirembé Kawomera, qui rassemble aujourd’hui près de 1000 petits producteurs et leurs familles, fait elle-même partie de la coo- pérative plus importante Gumutindo.

«Nous espérons maintenant faire de notre coopérative un modèle pour les pro- jets de développement entre les communautés et que d’autres coopératives s’engageront vers ce modèle de coexistence pacifique. Ensemble, nous vivons beaucoup mieux. Vous n’imaginez pas ’harmonie et la paix qui règne mainte- nant dans notre grande communauté depuis que la coopérative a été créée».

Joab Jonadav Keki, fondateur de Mirembé Kawomera

Le Trade for Development Centre Les trois grandes communautés religieuses sont représentées au Conseil de la CTB aux côtés des Exécutif : l’actuel président est juif, le vice-président est chrétien et le producteurs de café équitable trésorier est musulman. ougandais soutient les activités de l'organisation caféicole Les caféiers cultivés par ces paysans poussent sur les flancs du Mont Elgon. équitable Gumuntido (dont fait Le café, une variété d’arabica doux, est certifié équitable, bio, casher partie Mirembe Kawomera). et halal. Mis en œuvre en collaboration Bien que relativement peu importante en quantité (environ 50 tonnes), la avec l’organisation non-gou- production de la coopérative Mirembé Kawomera est reconnue pour sa vernementale britannique de qualité, sa douceur et sa saveur. Grâce à ces certifications équitable (Fair commerce équitable Twin, le Trade Certified) et biologique, la vente du café de la coopérative rapporte programme financé par le Trade non seulement de quoi rémunérer les producteurs à un niveau plus décent for Development Centre a pour mais elle permet à la coopérative de réinvestir une partie de ses recettes objectif la fabrication d'un café dans des projets de développement sociaux et économiques, dans la for- de la meilleure qualité ainsi mation des cultivateurs et la mise en place de projets durables. La certifi- que la promotion et la commer- cation équitable garantit en outre aux producteurs un accès au crédit et le cialisation de ce nouveau café paiement d’une partie de leur production avant la récolte. gourmet. Ainsi, ces dernières années, les membres de la coopérative ont fondé Ce projet bénéficie du soutien ensemble une communauté dynamique et mis en place toute une série du Trade for Development Centre d’actions concrètes en faveur des fermiers et de leurs familles, telles que la pour un montant de 26 250 €. construction d’écoles, le développement d’infrastructures d’accès à l’eau potable et à l’électricité dans les villages. www.befair.be

Pour en savoir plus : www.mirembekawomera.com www.thanksgivingcoffee.com

37 Fondée en 2004 par trois américaines impressionnées par la qualité et la beauté des perles de papier fabriquées par les femmes ougandaises, l’organisation non-gouvernementale BeadforLife (Perle pour la Vie) s’est fixée pour objectif de développer le niveau de vie des femmes les plus pauvres, veuves de guerre, abandonnées ou atteintes par le VIH, en commercialisant leur production artisanale sur les marchés locaux mais aussi dans les magasins que l’organisation a ouvert aux Etats-Unis, à Boulder dans le Colorado, et en Europe, à Paris, depuis avril 2009.

BEAD FOR LIFE

Clairement intégrée dans un objectif d’éradication de la pauvreté et de prise en charge des femmes ougandaises victimes de la guerre, l’action de Bea- dforLife comprend la formation de ces femmes aux Crédit : Bead For Life métiers de la création de bijoux et de sacs réalisés à partir de perles de papier recyclé, peintes ou vernies. Puis, lorsque celles-ci ont acquis un savoir-faire suffi- sant, BeadforLife les accompagne dans la création de leur entreprise en s’engageant durablement sur l’achat de leurs productions à des prix qui leur permettront de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Ces projets sont financés intégralement par les ventes L’organisation propose par ailleurs à ces entrepreneu- des perles et des bijoux et permettent non seulement ses des formations en commerce et design ainsi que d’améliorer le quotidien des créatrices mais aussi celui l’accès à des financements complémentaires pour dé- d’autres personnes vivant dans la misère en Ouganda. marrer et développer leurs micro-entreprises. Pour ce faire, BeadforLife a mis en place un program- me de subventions pour soutenir d'autres organisa- Jennifer Rowell-Gastard, la coordinatrice de Bead- tions à but non-lucratif qui travaillent à l'éradication de forLife en Europe, résume ainsi la philosophie de son la pauvreté et à l’insertion des victimes du conflit. organisation : «BeadforLife travaille à l’éradication de Jennifer Rowell-Gastard insiste sur ce point : «Tous l’extrême pauvreté en créant des ‘ponts de compré- nos profits sont réinvestis dans nos Projets de Dé- hension et de commerce’ (bridges of understanding veloppement Communautaires (Community Develo- and commerce) entre les Africains les plus pauvres pment Projects). BeadforLife dispose de son propre et les citoyens du monde qui se sentent concernés. programme pour soutenir d’autres organisations non- Les femmes ougandaises transforment des papiers commerciales à œuvrer en faveur de l’éradication de la de couleur en jolies perles, et les gens attentionnés pauvreté. A travers ces collaborations, nous pouvons ouvrent leur cœur, leur maison et leur communauté démultiplier notre capacité à contrer l’extrême pauvre- pour acheter et vendre ces perles». té. Actuellement, nous soutenons financièrement une douzaine d’organisations».

««««Ces perles deviennent ainsi des revenus, de la Les œuvres des créatrices de BeadforLife sont vrai- nourriture, des soins de santé, des inscriptions ment magnifiques. Elles fabriquent à la main des per- à l’école et de l’espoir. C’est un petit miracle les de toutes tailles à partir de papier de couleur, qu’el- qui nous enrichit tous 43. Nos perleuses et nos les peignent ou vernissent à l’aide de colorants et de couturières sont des femmes très pauvres, qui teintes naturelles avant de les assembler en colliers, vivent avec moins de deux dollars par jour, qui sacs, bracelets ou boucles d’oreilles. La création de travaillent très dur, qui sont intelligentes et ces perles exclusivement composées de papier recy- tellement fortes dans leur désir de s’élever». clé contribue de manière très concrète à la préserva- tion de l’environnement. Les perleuses découpent des triangles dans des pa- En plus d’acheter à ces femmes leurs créations et de ges de magazines colorés, des vieux calendriers, des les vendre, BeadforLife soutient de nombreux pro- tracts ou des boîtes de céréales, avant de les rouler à jets de développement local dans les domaines de la la main et de les coller pour en faire des perles qui sont santé, de la formation professionnelle des jeunes, de ensuite décorées avec un vernis acrylique écologique l’éducation et du logement. et inodore.

38 Crédit : Bead For Life

Retour à la vie

Rapportée par la journaliste Theresa Morrow dans le Seattle Times 44, l’histoire de Fatuma, l’une des perleuses de BeadforLife, illustre les tragédies vécues par de nombreuses femmes ougandaises victimes des violences et l’importance d’organisations telles que BeadforLife qui les accueille quand elles sont rejetées par tous.  Fatuma a été enlevée à l’âge de 13 ans quand les rebelles de l’Armée de Résistance du Seigneur sont entrés dans son village, dans le Nord du pays, alors qu’elle et les autres enfants étaient à l’école. «Ils sont arrivés lorsque nous étions en classe, à 10 heures du matin. Quand la cloche de la ré- création a sonné, l’un des maîtres de l’école s’est rendu compte que nous étions encerclés». Les rebelles laissent les plus jeunes enfants sur place mais emmènent les plus vieux, dont Fatuma (qui s’exprime à voix basse, écrit la journaliste). «A partir de là, vous mourrez, vous vous flétrissez, vous abandonnez la vie. Certains ont été tués, beaucoup. Ceux qui ont résisté ou qui ont essayé de fuir. Ils ont été tués d’une affreuse manière». Fatuma est contrainte de rester avec les rebelles pendant deux ans jusqu’au jour où elle parvient à s’enfuir, à l’âge de 15 ans, enceinte d’un des nombreux rebelles qui l’ont violée. Sa famille a menacé de tuer le bébé, alors elle a fui à nouveau. Plus tard, elle s’est mariée, mais son mari est mort alors qu’elle était enceinte, la laissant seule avec quatre enfants.

Accueillie par BeadforLife, Fatuma apprend le métier de créatrice de perles et de bijoux. Elle est hébergée au Village de l’Amitié, un village géré par BeadforLife et Habitat for Humanity, une autre ONG spécialisée dans la construction de maisons pour les populations les plus pauvres des pays en développement. Grâce à ce soutien, Fatuma a pu faire construire sa propre maison, où elle habite aujourd’hui avec sa famille. Ses quatre enfants vont

Crédit : Bead For Life à l’école.

Pour en savoir plus : BeadforLife est membre de la Fédération du Commerce Equitable www.beadforlife.fr (Fairtrade Federation).

39 Crédit : Charles Reger US Gov.

SOMALIE

Depuis l’acquisition de son «La Somalie est l’exemple parfait d’un Etat défaillant». indépendance en 1959, la Somalie C’est ainsi que Nicolas Vercken, chargé de mission Corne de l’Afrique au n’a quasiment jamais connu de CCFD (Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement), ré- périodes de stabilité sume la situation de ce pays d’Afrique de l’Est. Un pays à la dérive, plongé dans la guerre civile depuis le renversement, en 1991, de la dictature de Les tentatives démocratiques des Siad Barré par des factions tribales. Un pays en plein chaos qui vit encore premières années (1960 - 1969) aujourd’hui sous le joug de chefs de guerre, «des groupes de bandits qui n’ont jamais abouti et, depuis le se contentent de contrôler des quartiers ou des régions, sans aucun projet coup d’état de Siad Barré en 1970, 46 le pays a vécu sous la dictature, politique» souligne Nicolas Vercken . Abandonnée par la communauté in- avant de sombrer en 1991 dans le ternationale, la Somalie est citée parmi les huit pays les plus sensibles à la chaos et la guerre civile. Depuis, famine avec 71% de la population en manque de nourriture47. la Somalie n’a plus de gouverne- En juin 2010, Charles Kituku, journaliste américain d’origine kenyane, a pu ment central. se rendre à Mogadiscio, la capitale, où il a assisté aux dernières absurdités des miliciens islamistes qui contrôlent la plupart des quartiers de la ville. Le pouvoir est aux mains des chefs Les hommes ont l’obligation de se faire pousser la barbe. Les populations de guerre et des milices, malgré se sont déjà vues interdire les cloches dans les écoles, les salles de cinéma, les interventions humanitaires les danses folkloriques, la musique et le football. des Nations-Unies (Opération des Nations-Unies en Somalie - ONI- Mais le pire, c’est le sort réservé aux femmes48. SOM) en 1992 puis des Etats-Unis un an plus tard dans le cadre de Toute résistance aux hommes devient un acte politique face aux miliciens l’opération «Restore Hope» 45 islamistes. La responsable de la Coalition des Organisations Populaires de Femmes (COGWO) témoignait récemment via Amnesty International : «Nous avons été prises pour cibles et on nous a demandé, à mes collègues et moi, de dénoncer publiquement notre travail en faveur des femmes com- me étant une activité criminelle. Nous avons reçu des menaces et plusieurs de mes collègues ont été tués»49.

Dans ces conditions, le commerce équitable ou durable n’est même pas une option. L’état de délabrement, d’in- sécurité et de violences est tel qu’avant d’envisager le lancement d’initiatives de cet ordre, il convient de satisfaire les besoins de base des populations et de soutenir les quelques efforts de sécurisation du pays. Pourtant, même dans ces conditions extrêmes, quelques rares projets sont mis en place pour tenter d’aider certaines communautés à sortir de leur isolement en commerçant les fruits de leur savoir-faire.

40 L'ENCENS DE SOMALIE CERTIFIÉ BIOLOGIQUE

A l'écart des agglomérations saccagées par les violences, dans la chaleur extrême du désert soudanais, il est difficile d'imaginer que cet environnement aride et brûlant soit capable d'accueillir des éclosions de vie. Pourtant, dans ce désert vit le peuple Samburu, composé de tribus nomades semi-pastorales qui vivent de leurs maigres troupeaux de vaches, de chèvres et de chameaux. Les femmes de ces tribus collectent dans ce désert la résine des buissons boswellia couverts d'épines à partir de laquelle elles fabriquent la gomme arabique qu'elles distillent à la vapeur pour produire de l'huile essentielle d'encens. Dans le cadre de ses activités de soutien aux communautés rurales retirées auprès desquelles elle se fournit, S & D Aroma Ltd, une société britannique de commercialisation de produits cosmétiques équitables et durables, a travaillé avec ces peuples nomades pour les aider à obtenir la certification biologique de leur huile essentielle d'encens. Ce qui fut fait en 2009. Aujourd'hui, l'encens et l'huile essentielle produits par les femmes Samburu de Somalie sont vendus tels quels ou en tant qu'ingrédients de cosmétiques ou de produits de beauté (par Neal's Yard Remedies notamment).

Pour en savoir plus : www.nealsyardremedies.com

LE COMMERCE ÉQUITABLE AU SECOURS DES RÉFUGIÉES SOMALIENNES

Nous ne sommes plus en Somalie Les responsables de Dean’s Bean’s, sein de son organisation MotherWo- mais aux Etats-Unis, à Springfield l’un des plus célèbres importateurs man, pour aider ces femmes et leur dans le Massachusetts plus préci- de café équitable et biologique aux apprendre la couture dans un ancien sément. Etats-Unis, se sont émus de cette atelier équipé de machines à coudre C’est ici qu’en 2009 sont arrivées situation et ont décidé de les ren- que nous mettons à leur disposition. plusieurs dizaines de réfugiés ve- contrer pour «essayer de trouver Deux de ces femmes, Yasmin et nus de Somalie, après des années de quelle façon nous pourrions les Nasra ont également reçu une for- d’errance à pied pour remonter aider, comme nous le faisons avec mation d’accompagnatrice chez d’Afrique de l’Est, de campements les producteurs de café dans cha- MotherWoman et utilisent leurs de fortune en camps de réfugiés, cun des pays où nous travaillons»50. compétences au sein de leur groupe traversant plusieurs pays pour finir De cette rencontre nait un projet de de femmes. Après plusieurs essais, par franchir illégalement la Méditer- création de sacs d’épicerie au de- elles ont créé des caisses et des ranée avant d’atterrir aux Etats-Unis. sign original conçus et cousus par sacs d’épicerie magnifiques, recou- La fin d’un long cauchemar. ces femmes à partir de toiles de jute verts de tissu de mousseline. Ils sont Mais les barrières culturelles et lin- recyclés. résistants, garantissent la qualité des guistiques sont telles que l’intégra- «Elles se retrouvent chaque semaine produits alimentaires, sont réutilisa- tion paraît hors de portée. pour coudre ensemble et partager bles et fabriqués à partir de sacs de Pour tenter de se sortir de cette si- leurs histoires personnelles, leurs café recyclés. L’intégralité des pro- tuation, ces femmes somaliennes drames et leurs luttes» explique fits leurs revient afin qu’elles- puis réfugiées se sont organisées et ont Dean sur son site. «Ma femme An- sent aider leurs familles. Maintenant, créé une association, les Sœurs nette a participé à certaines de ces les sacs sont prêts pour vous aider à Walaalo qui les représentent auprès réunions, en utilisant les compéten- faire vos courses de vacances»51. des autorités. ces d’animatrice qu’elle a acquises au

Que faut-il retenir de cette histoire ?

Que le commerce équitable et durable permet non seulement d’améliorer le sort des populations dans les zones fragilisées par la guerre mais aussi qu’il offre des opportunités pour mieux accueillir et intégrer dans nos pays les milliers de réfugiés que les guerres et les violences ont chassés de chez eux. Ce n’est pas de la charité, c’est du commerce. Une dignité retrouvée. www.deansbeans.com

41 Depuis son indépendance acquise en 1961, la Sierra Leone, petit Etat d’Afrique de l’Ouest, n’a pratiquement connu que l’instabilité.

SIERRA LEONE

Jusqu’à la guerre civile de 1991, l’histoire du pays est indissociable de l’ex- ploitation de ses prodigieuses mines de diamants qui ont souvent détourné les élites politiques et économiques des réformes structurelles nécessaires pour instaurer la démocratie et mettre en place une économie de valeur ajoutée qui remplacerait (ou compléterait) les rentes du diamant qui n’ont enrichi qu’une infime minorité de la population.

De 1991 à 2002, la guerre civile ensanglante le pays, provoquant dans son sillage certaines des pires atrocités de l’histoire contemporaine. Cette guer- re, qui avait pour principal but le contrôle des zones diamantifères, a causé la mort de près de 200 000 personnes et le déplacement de plus de deux millions de personnes (soit le tiers de la population de l’époque). De très nombreuses mutilations eurent également lieu, ainsi que l’emploi massif d’enfants soldats.

Le pays est actuellement en paix. Les différentes mesures prises par l’ONU sont progressivement réduites, voire supprimées, comme la levée de l’embar- go sur l’exportation des diamants du sang (cf. page 70). Cependant, pour des raisons économiques, de nombreux enfants travaillent toujours dans les mi- nes dans des conditions très dangereuses. La propagation du Sida y est éga- lement très importante, 16 000 enfants de moins de 15 ans sont séropositifs. En 2000, l’Indicateur de Développement Humain (IDH) était de 0,275 pour la Sierra Leone, le pays le moins développé du monde52.

LE DIVIN CHOCOLAT DE SIERRA LEONE

Dans le monde des communautés de producteurs du commerce équitable ou du- rable, fait figure à la fois de pionnier et d'exemple.

En 1998, la coopérative ghanéenne de production de cacao Kuapa Kokoo s'engage en effet dans une démarche commerciale intégrée en créant au Royaume-Uni l’en- seigne commerciale Day Chocolate et sa propre marque de chocolat Divine Chocolate 53 distribuée en direct sur le marché anglais. Cette maîtrise de l’ensemble de la chaîne de valeur du produit, de la production à la distribution, constituait un progrès majeur et une chance énorme pour les producteurs de cacao ghanéens de Kuapa Kokoo54.

Au début de l'année 2010, Divine Chocolate annonce fièrement qu'après des années de travail avec les producteurs de Sierra Leone soutenus par Kuapa Kokoo et l'organisation Twin, un premier conteneur de cacao certifié Fair Trade produit par la coopérative Kpeya Agricultural Enterprise (KAE) est intégré dans les recettes de la marque de chocolat divin.

42 Crédit : Kennet Havgaard -Max Havelaar

LA COOPÉRATIVE KPEYA AGRICULTURAL ENTERPRISE

Basé à Kenema, à près de 300 kilomètres de la capitale Freetown, Kpeya Agricultural Enterprise compte plus de 1200 membres organisés en 50 comités de village. Créé en 1996, pendant la guerre civile, cette coopérative a tant bien que mal survécu aux violences et aux exactions. Sa croissance est due en grande partie au travail d'un homme, Ibrahim Moseray, cultivateur de cacao de son état et directeur général de l'organisation, qui a réussi à convaincre les autres producteurs des avantages de faire partie d'une coopérative soucieuse du bien-être de ses membres. Avec l'aide de TWIN, l'organisation d'appui au commerce équitable (partenaire de CaféDirect et de Divine Chocolate), de la FAO et de l'agence allemande Agro Action, KAE a non seulement appris aux producteurs à cultiver et commerciali-

Crédit : Divine Chocolate ser un cacao de meilleure qualité mais aussi à s'organiser sur la base de struc- tures démocratiques multiethniques.

Les défis à relever pour développer une coopérative naissante sont beaucoup plus importants en Sierra Leone qu'ils ne l'étaient au Ghana lors de la création de Kuapa Kokoo. Le marché s'est libéralisé, la concurrence s'est accrue et, surtout, les produc- teurs dépendaient auparavant des opérateurs qui achetaient leur cacao avant qu'il ne soit récolté (pendant "la saison de la faim") pour imposer des prix extrêmement bas. Comme l'explique Ibrahim Moseray, cette situation est à l'origine de son projet : «Je suis un cultivateur de cacao et mes parents l'étaient avant moi. Pendant la guerre, j'ai vu mes frères se battre et j'ai vu comment les acheteurs nous trompaient. Je voulais faire quelque chose pour que nous ayons une vie meilleure»55. Rapidement, les autres agriculteurs ont commencé à rejoindre la KAE pour béné- Crédit : TransFair USA Crédit : TransFair ficier des prix plus élevés, ainsi que des aides à la production. Jusque là, le cacao exporté de la Sierra Leone était généralement considéré comme étant d'une qualité médiocre. Les membres de KAE ont appris à produire un meilleur cacao grâce à Pour en savoir plus : l'amélioration des techniques de fermentation et de séchage, ce qui leur a permis www.divinechocolate.com de bénéficier des primes du commerce équitable que leur accorde Divine Chocolate. www.twin.org.uk www.kuapakokoo.com Avec ces nouvelles ressources, la coopérative Kpeya Agricultural Enterprise a pu construire une école et payer un enseignant qui vient tous les jours. Les entrepôts de cacao ont été rénovés et la coopérative s'est dotée de nouveaux bureaux et d'un magasin à Kenema56.

43 Entre 1983 et 1989, la guerre civile au Soudan a déplacé plus de 4 millions d’habitants et fait 2 millions de morts.

SOUDAN

Les groupes armés des régions tribales du Sud du pays, de cultures et de religions animistes et chrétiennes, s’opposent au gouvernement islamiste de Khartoum qui, en 1983, a décidé d’étendre à l’ensemble du pays le droit musulman, la charia, qui prévoit notamment des peines de lapidation et d’amputation.

A ces conflits meurtriers est venue s’ajouter la sécheresse qui a provoqué des pénuries et la famine dans les régions du Sud et de l’Ouest. Certains ont fui dans des villes du Sud, d’autres ont cheminé vers le Nord Le Soudan est le plus grand jusqu’à Khartoum ou ont pris le chemin de pays voisins comme l’Éthiopie, pays d’Afrique. Depuis l’acquisition de son le Kenya, l’Ouganda ou l’Égypte. Victimes de malnutrition ou de famine, ces indépendance en 1956, le pays populations constituent ce que les organisations humanitaires internatio- n’ a connu que la guerre civile nales ont appelé une « génération perdue », mal éduquée sans accès aux et les coups d’états. soins de base, et sans grandes chances de trouver un emploi productif que ce soit dans le Sud ou dans le Nord. Une nouvelle rébellion a éclaté dans la province occidentale du Darfour au début de l’année 2003. Le gouvernement et les rebelles ont été accusés d’atrocités au cours de cette guerre, en particulier les milices arabes jan- jawids à la solde du gouvernement islamiste. En trois ans, cette guerre a fait plus de 300 000 morts et 3 millions de dé- placés et réfugiés. Accusé par la Cour Pénale Internationale (CPI) de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide lors de la guerre civile au Darfour, Omar El Bechir, le chef de l’Etat soudanais, est depuis 2010 sous le coup d’un man- Crédit : Uniterre dat d’arrêt international57. Crédit : UNEP

44 LA GOMME ARABIQUE SOUDANAISE CERTIFIÉE ÉQUITABLE

Cultivée au Soudan, en Somalie et au Sénégal, la gomme arabique est une ré- sine utilisée comme ingrédient pour la fabrication de confiseries, de boissons gazeuses et pour l'industrie pharmaceutique. Sa production constitue une im- portante culture de rente pour des milliers de paysans africains vivant dans les zones arides et semi-arides de «la ceinture de la gomme» sub-saharienne. Le Soudan est le plus grand producteur au monde de gomme arabique et, selon le Fonds International pour le Développement de l'Agriculture (IFAD), ce secteur as- sure la subsistance de plus de cinq millions de personnes dans le pays.

Au début de l'année 2010, Exchange, l'ONG britannique d'appui au com- merce équitable, le Réseau européen Euclid58 et ASDF BV, une organisation néerlan- daise, ont obtenu l'appui financier des Nations-Unies pour mettre en place un pro- gramme innovant de réduction de la pauvreté au Soudan fondé sur l'élaboration du premier standard de certification équitable de la gomme arabique. L'enjeu est de taille, en particulier pour les agriculteurs soudanais qui, selon une étude de la Banque Mondiale, reçoivent moins de 15 % du prix final du produit59.

Membre du Réseau européen Euclid, Filippo Addarii, souligne l'importance de ce projet : «C'est l'une des initiatives les plus intéressantes auxquelles nous participons, parce que nous travaillons sur l'ensemble du secteur en mobilisant nos compéten- ces, notre expertise et notre passion pour apporter un changement réel et des perspectives de prospérité dans l'une des régions les plus troublées du monde. Le modèle financier que nous avons conçu a le potentiel de révolutionner le déve- loppement international tel que nous le comprenons, tout en démontrant que des partenariats transversaux dans ce secteur fonctionnent»60. Geoff Bockett, Directeur International à Traidcraft Exchange, n'est pas moins enthou- siaste : «Ce projet est très important car il introduit beaucoup d'innovation dans le commerce équitable tout en permettant aux producteurs soudanais de gomme arabique de transformer leurs conditions de vie grâce au commerce équitable. Traidcraft soutient totalement ce projet qui intègre des bénéfices sociaux, environ- nementaux et commerciaux. Nous nous félicitons de travailler avec des partenaires influents pour étendre le commerce équitable à un nouveau secteur»61. Coordinateur du projet et directeur général de ASDF, Giulio Franzinetti insiste de son côté sur l'impact du projet en expliquant que «les acteurs du marché sont bien conscients de l'immense potentiel de ce projet qui pourra changer la vie de millions d'agriculteurs du Sahel subsaharien en offrant la possibilité d'apporter un change- 62 Crédit : UNEP ment durable et de long-terme dans l'une des régions les plus difficiles au monde» .

Euclid Network, Traidcraft Exchange et ASDF BV vont mettre en place une plateforme commerciale pour favoriser la transparence du marché et des fonds pour assurer la promotion de la gomme arabique soudanaise certifiée équitable.

Pour en savoir plus : www.gumarabic.org www.EuclidNetwork.eu www.traidcraft.co.uk http://capacity4dev.ec.europa.eu

45 Berceau des grandes religions monothéistes méditerranéennes et européennes, le Proche-Orient constitue l’une des principales zones de cristallisation des tensions mondiales.

AU PROCHE-ORIENT

Les guerres israélo-arabes, le contrôle des routes du pétrole, les jeux des grandes puissances durant la guerre froide ainsi que l’incurie de certains gouvernements arabes ont fait de cette région l’une des plus sensibles du monde. L’émergence des fondamentalismes religieux ces vingt dernières années a compliqué encore un peu plus cette situation avec la venue au pouvoir de mou- vements extrémistes qui ont adopté des positions beaucoup plus radicales encore que celles de leurs prédécesseurs.

D’un point de vue purement humanitaire, les tensions au Proche-Orient (entre Israé- liens et Palestiniens, entre communautés libanaises, entre pays arabes voisins) n’ont jamais été aussi meurtrières que les conflits en Afrique (Rwanda, Ouganda, Angola, Soudan, etc.) ou les massacres de masse en Asie du Sud Est (Cambodge, Tibet,…) mais leur portée symbolique et leur retentissement international ont toujours été in- finiment plus importants.

De l’Indonésie aux Etats-Unis, le monde est à l’écoute des soubresauts qui agitent la région.

Occident contre Orient, bloc soviétique contre alliés des Etats-Unis, islam contre christianisme et judaïsme, démocraties contre dictatures… au niveau des relations internationales, le Proche-Orient est de fait perçu comme l’un des principaux théâtres d’affrontement des grands blocs, au grand dam de ceux qui s’efforcent de rappro- cher les communautés autour de projets concrets et fédérateurs.

Ainsi que nous allons le voir, le commerce équitable offre des pistes de travail extrê- mement intéressantes en ce qu’il propose des cadres cohérents et crédibles pour de tels projets. Non seulement, ces initiatives contribuent à mobiliser les populations et les forces vives de ces territoires en leur offrant des perspectives de développement, mais elles offrent aussi une reconnaissance identitaire positive aux yeux du monde et l’espoir d’un avenir sans soldats ni terroristes.

46 Crédit : Joi Ito - Wikimedia

LES TERRITOIRES PALESTINIENS

Les deux territoires palestiniens ont des profils très différents.

A l'Est, entre la Jordanie et Israël, la Cisjordanie est une entité morcelée, entre zo- nes gérées par l'Autorité palestinienne, colonies juives, et espaces sous contrôle de l'armée israélienne. Ceci étant, cette partie de la Palestine connaît depuis 2009 une relative stabilité et voit se multiplier les grands projets économiques soutenus par le gouvernement du Premier ministre palestinien, Salam Fayyad. Un rapport du FMI d'avril 2010 évalue la croissance de la Cisjordanie à 8,5% en 2009. Ces bons résultats trouvent leur origine dans les réformes menées par l'Autorité palestinienne (notamment l'amélioration de la sécurité, l'assainissement des finances publiques, la lutte contre la corruption et la bonne gouvernance) qui ont renforcé la confiance du secteur privé63. Salam Fayyad ne s'en cache pas, il s'agit à travers la mise en place d'une économie dynamique, d'organisations transparentes et d'infrastructures intégrées, de créer ra- pidement un Etat palestinien crédible aux yeux du monde.

Au Nord-Ouest, la bande de Gaza connaît un tout autre destin. Après qu'Israël ait quitté ce territoire et démantelé les colonies qui y étaient établies, des combats ont éclaté en juin 2007 entre le Fatah, le mouvement nationaliste palestinien historique (majoritaire au sein de l'Autorité palestinienne), et le Hamas, le parti islamiste fonda- mentaliste soutenu par l'Iran et la Syrie. Au terme de cette lutte interne, le pouvoir a changé de mains à Gaza et, depuis, ce sont les intégristes du Hamas qui gèrent ce minuscule territoire où vivent plus d'un million de Palestiniens. Les responsables du Hamas n'ont pas les mêmes priorités que les dirigeants de la Cisjordanie. Ils refusent explicitement la paix avec Israël et mobilisent tous leurs efforts pour entretenir et développer leur «industrie de la mort»64. Soumis au blocus militaire israélien et dirigé par des fanatiques religieux, la bande de Gaza ne semble pas aujourd'hui en situation d'accueillir des projets de développement économique en dépit des efforts déployés par les organisations internationales et les agences humanitaires.

47 LE COMMERCE ÉQUITABLE DANS LES TERRITOIRES PALESTINIENS

Les obstacles majeurs que doivent affronter les producteurs palestiniens sont liés à l'occupation militaire et aux multiples tracasseries et injustices qu'elle engendre (barrages, points de contrôle, répartition inégale de l'eau, etc.). Pour essayer de contourner ces difficultés, de nombreuses initiatives de commerce équitable ou durable ont été initiées en Cisjordanie ces dernières années avec le sou- tien des principales organisations reconnues dans ce secteur (Oxfam, , Global Exchange, etc.) mais aussi des représentants des communautés re- ligieuses. Les deux principaux secteurs d'activité au sein desquels ces projets ont été mis en place sont l'artisanat et l'agriculture.

PALESTINE FAIR TRADE ASSOCIATION ET CANAAN FAIR TRADE

Après des études supérieures en anthropologie aux En quatre ans, le prix au kilo de l’huile est passé de Etats-Unis, Nasser Abufarha décide en 2003 de ren- 2 dollars US à 5,50 dollars US grâce aux efforts de trer en Palestine, son pays natal. Ce qui ne devait Canaan Fair Trade66. Comme l’explique Nasser Abufa- être qu’un séjour d’étude se transforme rapidement rha, le système a fonctionné : «Les petits producteurs en aventure historique lorsqu’il prend conscien- ne peuvent pas garantir de telles conditions à moins ce de la situation des agriculteurs palestiniens. d’être regroupés dans un réseau de coopératives. Il se souvient : «D’après ce que je savais des Territoires C’est ça ou ils n’ont pas accès aux marchés. Nous palestiniens et de la vie sous occupation israélienne, avons donc groupé leurs produits et nous les avons c’était principalement un problème d’accès au mar- aidés à obtenir une certification commerce équitable ché. J’ai beaucoup appris aux États-Unis, notamment et agriculture biologique, ce qui a donné une plus-va- sur la façon dont une économie moderne fonctionne. lue environnementale et sociale à leur production. Et Mais j’ai aussi des liens très forts avec le peuple pales- tandis que l’occupation israélienne vise à accroître la tinien puisque c’est là que j’ai grandi, donc je me suis dépendance des Palestiniens, les méthodes biologi- toujours efforcé de réfléchir à la manière dont je pou- ques qui font appel aux ressources naturelles les ont vais utiliser mes connaissances pour aider ces gens qui au contraire aidés à s’émanciper sur le plan économi- sont pris en otages dans ce conflit. Dans les Territoires que grâce aux principes du commerce équitable»67. palestiniens, ce sont essentiellement des familles de la région qui possèdent ces fermes qui leur ont permis de survivre à travers les siècles. Je me suis donc dit que Aujourd’hui, le développement d’un commerce équitable pourrait Palestine Fair Trade Association permettre aux agriculteurs palestiniens de surmonter compte 1200 membres, les difficultés qu’ils ont à écouler leurs produits»65. 49 coopératives et 20 propriétaires de pressoirs à olives qui peuvent Un an plus tard, Nasser Abufarha créé l’Associa- tion Palestinienne de Commerce Equitable (Pales- prendre part au programme tine Fair Trade Association) qui fédère un réseau de de Canaan Fair Trade et bénéficier coopératives et Canaan Fair Trade qui assure la ainsi de revenus décents. commercialisation de leurs produits. La PFTA gère la partie organisationnelle en aidant les petits producteurs à se structurer en coopératives et Le Trade for Development Centre (Centre Belge du les accompagne dans les démarches préalables à la Commerce pour le Développement) de la CTB et certification équitable et biologique tandis que Canaan l’agence néerlandaise EVD ont apporté leur soutien Fair Trade achète leurs productions aux meilleurs prix au programme de Canaan Fair Trade pour dévelop- pendant la récolte pour la revendre aux importateurs. per un système de contrôle qualité ISO 22000.  48 Crédit : Alter Eco

L'HUILE D'OLIVE ÉQUITABLE DE PALESTINE

Tous ces efforts ont porté leurs fruits. Ainsi, en février 2009, est mise sur le marché la première huile d'olive certifiée équitable de Palestine qui rencontre un grand succès sur les marchés occidentaux. Invité lors de la Foire Equitable Fairtrade For- tnight, le Premier ministre britannique de l'époque, Gordon Brown, affi- che son soutien à cette initiative : «La production d'huile d'olive est une part essentielle de l'économie de la Cisjordanie. En achetant cette huile, les consommateurs de Grande-Bretagne vont aider les producteurs de Palestine à améliorer leurs conditions de vie»68. Harriet Lamb, directrice exécutive de la FairTrade Foundation souligne l'exemplarité du projet : «Nous espérons que ce sera le premier de nombreux produits issus du commerce équitable en provenance des zones de conflits et des pays les moins avancés dans le monde. Si c'est le cas, cela contribuera à convain- cre les marchés et fera une réelle différence au niveau économique pour les communautés qui en ont le plus besoin»69.

TREES FOR LIFE ET LE DÉVELOPPEMENT DURABLE EN PALESTINE

Nasser Abufarha est aussi à l'origine du projet Trees for Life qui vise à planter des arbres et à redémarrer des plantations forestières dans les zones ravagées par le conflit israélo-palestinien. Ce projet s'inscrit dans sa vision du développement durable qui doit être intégré au renouveau de son pays : «Nous sommes parvenus à apporter le développement économique et social dans les Territoires palestiniens de façon positive grâce à nos méthodes de production innovantes. Les Palestiniens font partie d’un mouvement international pour la durabilité et peuvent désormais faire entendre leur voix. Il faut regarder la durabilité à la fois sous l’angle en- vironnemental et sous l’angle social. Nous devons apporter la même attention à la santé de l’environnement, à cette terre qui produit les aliments qui nous permettent de vivre et qui doit se régénérer, qu’à la santé des com- munautés dans lesquelles vivent nos producteurs. Elles doivent elles aussi être en mesure de se régénérer»70. Depuis son lancement, ce projet a permis de replanter près de 40 000 oliviers en Palestine.

49 La multiplication des projets de commerce équitable en Palestine contribue indéniablement au développement de l’économie locale et à la pacification de la région. Cependant, eu égard à notre sujet, intéressons-nous maintenant aux projets mis en place conjointement par des Palestiniens et des Israéliens pour rapprocher les deux peuples.

DES INITIATIVES ISRAÉLO-PALESTINIENNES POUR LA PAIX

L’organisation de commerce équitable Sindyanna of Galilee est fondée en 1996 par deux femmes, Hadas Lahav, une journaliste juive israélienne, et Samia Nas- ser, une enseignante palestinienne, avec le soutien de la maison d’édition Ha- nitzotz qui regroupe des militants pacifistes des deux communautés.

SINDYANNA OF GALILÉE

Aux côtés des producteurs

Sindyanna of Galilee développe des activités de soutien aux producteurs et de valo- risation des produits palestiniens auprès des acteurs économiques et des consom- mateurs en Israël et en Palestine mais aussi en Europe et aux Etats-Unis71. Pour ce faire, l'association travaille avec les producteurs d'olives, de savon et d'épices (des petits paysans en majorité arabes dont l'activité ne bénéficie ni des aides de l'Etat ni du soutien économique octroyé aux autres secteurs agricoles) auxquels elle propose de meilleurs prix pour leurs produits. Elle organise en outre des formations et finance divers projets sociaux. Depuis octobre 2003, l'organisation est membre de WFTO, le réseau international des organisations de commerce équitable.

Militants pour la paix

Aux côtés de la maison d'éditions Hanitzotz et du syndicat palestinien Workers Ad- vice Center (WAC)72, Sindyanna of Galilee mène un combat pour la reconnaissance des droits des populations arabes en Israël et la recherche de solutions alternatives face à l'actuel conflit israélo-palestinien.

En parallèle, arabes, juifs et volontaires internationaux luttent ensemble sous l'égide de Sindyanna pour tenter d'arrêter le processus d'expropriation des terres et l'arrachage d'arbres en menant des cam- pagnes de plantation d'oliviers. L'organisation déploie également des efforts importants pour développer les infrastructures agricoles et aider les pay- sans à améliorer la qualité de leur produc- tion d'huile d'olive73.

50 Crédit : Sindyanna of Galilee - Ross Stirling Hadas Lahav et Samia Nasser Avec le soutien du Trade for Development Centre de la CTB

Grâce au soutien qu'elle a reçu du Trade for Development Centre de la CTB, l'Agence Belge de Déve- loppement, l'organisation Sindyanna of Galilee a engagé un ingénieur alimentaire professionnel pour la mise au point d'un système de contrôle de qualité, la rédaction de manuels techniques et la formation des opérateurs. Aide financière fournie par le Trade for Development Centre de la CTB : 7.500 €

Par les femmes pour les femmes

En soutenant des projets d'associations féminines en Israël et en Cisjordanie, Sin- dyanna of Galilee veut promouvoir le nécessaire rapprochement des communautés et dénoncer les difficiles conditions de vie des Palestiniennes qui souffrent à la fois de l'occupation israélienne et des rigidités de la société arabe traditionnelle. «Une minorité de femmes travaille dans l’agriculture. Elles doivent très souvent pas- ser par des intermédiaires qui les conduisent sur leur lieu de travail et qui collectent leurs salaires (ils récupèrent bien souvent 40% au passage)», expliquent Michal Schwartz et Asma Agbarieh-Zahalka, deux des responsables du WAC qui collabo- rent avec Sindyanna of Galilee pour favoriser leur émancipation et accompagner leurs projets professionnels.

Michal Schwartz va même plus loin et pense que ces femmes peuvent devenir des actrices de changement pour la libération de la société et contribuer à une plus grande solidarité entre travailleurs arabes et juifs74. Le soutien qu'apporte Sindyanna of Galilee est très concret. Ainsi, des femmes arabes ont la possibilité de s'impliquer dans les projets éducatifs menés au sein de centres culturels gérés par des volontaires aussi bien juifs que palestiniens. Dernièrement, un atelier de confection de paniers en osier a été mis en place pour permettre à des femmes des communautés défavorisées d'exercer un métier tout en restant au village et en continuant à travailler leurs champs et à s'occuper de leur famille75. Crédit : Sindyanna of Galilee Pour en savoir plus : www.sindyanna.com www.oxfammagasinsdumonde.be www.wac-maan.org.il www.befair.be

51 L'HUILE DE LA PAIX

Le projet Peace Oil est le fruit d'une initiative conjointe des principaux acteurs du commerce équitable en Israël et en Palestine : Sindyanna of Galilee, Green Action et Canaan Fair Trade. Ces trois organisations se sont associées en 2005 pour proposer aux consommateurs américains et européens une huile d'olive de qualité supérieure élaborée ensemble par des producteurs israéliens et palestiniens. Commercialisée par Olive Branch Entreprise, une organisation palesti- nienne localisée en Cisjordanie, l'Huile de la Paix s'inscrit dans le cadre d'un vision forte : «Bâtir l'interdépendance économique entre les peuples par la création de partenariats générateurs de bénéfices mutuels, une in- citation pratique et concrète à la paix»76.

Pour en savoir plus : www.peaceoil.net

LE FAIR TRADE DEVELOPMENT CENTRE DE L’UNIVERSITÉ DE BETHLEEM

De nombreux obstacles

L’économie palestinienne est composée à près de 99% de Très Petites Entreprises de moins de 10 salariés chacune, essentiellement dans les secteurs de l’agriculture (olive, fruit et légume) et de l’artisanat. Confrontées à l’occupation israélienne, celles-ci rencontrent de très nombreuses difficultés pour accéder aux marchés auprès desquels elles pourront écouler leurs productions. Ces obstacles sont évidemment liés à la situation géopolitique régionale (fermeture des points de passage, tracasseries administratives, etc.) mais d’autres facteurs entrent en compte qui sont plus d’ordre interne (organisationnels et financiers). En effet, ainsi que l’expliquent les économis- tes de l’Université de Bethleem en Cisjordanie, l’immense majorité des producteurs palestiniens ne dispose ni des structures, ni des compétences commerciales, ni des réseaux qui leur permettraient d’établir par eux-mêmes des contacts directs avec d’éventuels acheteurs internationaux. Confrontées à des délais de paiement souvent très longs, ces entreprises connaissent par ailleurs d’importants problèmes de liquidités et de trésorerie qui limitent considérablement leurs capacités d’investissement commercial.

Un centre d’entreprises dédié au commerce équitable

Ces constats sont à l’origine de la création en 2006 du Fair Trade Development Centre (Centre de Développement du Commerce Equitable) fondé au sein de l’Université de Bethleem par l’Institute for Community Partnership avec le soutien de l’Agence Suisse pour la Coopération et le Développement et d’Oxfam Grande-Bretagne. En tant que centre de ressources spécialisé, le Fair Trade Development Centre s’est fixé les objectifs suivants :

- Promouvoir les principes et le fonctionnement du commerce équitable auprès des producteurs palestiniens - Soutenir et accompagner les coopératives et les groupements d’entreprises palestiniens qui souhaitent devenir membres de l’Organisation Mondiale du Commerce Equitable (WFTO, ex IFAT) - Permettre aux producteurs palestiniens de tirer profit de la croissance globale du secteur équitable et développer la mise en réseau du mouvement palestinien avec les organisations internationales et régionales du commerce équitable - Fournir un soutien stratégique et opérationnel (formation, consulting, animation, etc.) aux acteurs palestiniens dans les domaines où les besoins de modernisation sont les plus importants (management, planification straté- gique, marketing, etc.)

52 Crédit : FTDC

Membre de l’Organisation Mondiale du Commerce (WFTO), le Fair Trade Development Centre palestinien se pré- sente donc comme un véritable centre d’appui aux entreprises. A ce titre, il constitue un cadre performant pour la mise en place d’actions collectives, la mutualisation des ressources et le lancement de projets innovants.

Le projet STEPS du Fair Trade Development Centre palestinien

Depuis 2008, le Fair Trade Development Centre de Bethleem pilote un ambitieux projet (nommé STEPS - Strengthening Palestinian Farmers and Small-Producers) qui a pour objectif d’offrir un accompagnement global à un groupe de dix coopératives et groupements de producteurs représentant environ 500 travailleurs de Cisjor- danie. L’originalité du projet repose sur le caractère véritablement intégré de la démarche mise en place.

En effet, les dix groupements retenus (dont trois au moins sont des organisations de femmes productrices) béné- ficieront pendant près de trois ans d’un ensemble complet et cohérent de mesures de soutien, parmi lesquelles : - Formation des responsables commerciaux en gestion d’entreprises, marketing et anglais des affaires - Formation des techniciens agricoles aux pratiques de l’agriculture biologique et durable - Organisation et animation d’ateliers de sensibilisation des équipes aux concepts et bénéfices du commerce équitable - Attribution de subventions et de crédits pour la modernisation des infrastructures de production - Accompagnement à la mise en place des procédures de certification équitable (planification, organisation) - Organisation et animation d’ateliers de sensibilisation à la gestion de l’innovation - Consultance personnalisée en marketing et commerce international - Appui à la conception des outils de communication des coopératives et groupements participants - Participation à la conférence de l’Organisation Mondiale du Commerce et à des foires commerciales Fair Trade

Réalisé avec l’aide d’experts internationaux du secteur, l’accompagnement global fourni à ces coopératives et groupements de producteurs palestiniens vise donc très clairement à constituer un premier groupe d’entreprises exemplaires susceptibles de bénéficier très vite de la croissance des marchés équitables dans le monde. Par ailleurs, au delà de ces objectifs économiques directs, le projet STEPS illustre les potentialités qu’offre le commerce équitable pour fédérer, moderniser et dynamiser le tissu économique d’un territoire soumis aux aléas des tensions internationales.

Avec l’appui du Trade for Development Centre de la CTB, l’Agence Belge de Développement

Séduits par le sérieux et les ambitions du dossier, les responsables du Trade for Development Centre de la CTB, l’Agence Belge de Développement, ont décidé en 2008 de contribuer au financement du projet STEPS à hauteur de 208 420 euros (soit 74 % du coût total prévu). Ce soutien de l’Agence Belge de Développement permettra notamment de recruter une équipe de consultants spécialisés, de moderniser les infrastructures de production et de promouvoir les productions palestiniennes sur les marchés internationaux.

Pour en savoir plus : http://ftdc.bethlehem.edu

53 AU LIBAN

Entre son indépendance En 1975, les premiers troubles apparaissent avec l’arrivée massive dans en 1943 et le début de la le pays de milliers de réfugiés palestiniens et de combattants de l’OLP guerre civile en 1975, le Liban qui fuient la Jordanie. L’importation de l’infrastructure politique, militaire et a connu une période de stabilité culturelle des Palestiniens en exil perturbe gravement l’équilibre commu- et de prospérité exemplaire. nautaire du Liban, en dressant les sunnites libanais qui leur sont favorables Le pays était alors connu comme contre les chrétiens et les chiites qui s’opposent à leur naturalisation. Les «la Suisse du Moyen-Orient». Palestiniens sont alors répartis dans une quarantaine de camps où ils vi- Le Liban est un pays vent dans des conditions très précaires. C’est de cette divergence de posi- multiculturel et pluriconfession- tions qu’est née la Guerre du Liban qui opposera pendant 15 ans libanistes nel au sein duquel l’équilibre des conservateurs chrétiens et arabo-palestino-progressistes sunnites77. pouvoirs repose sur une répartition plus ou moins Au début des années 1980, l’armée israélienne envahit le Sud-Liban pour proportionnelle établie en mettre fin aux incursions terroristes de l’Organisation de Libération de la fonction du poids de chaque Palestine qui a fait du Liban sa base arrière. Les chiites, majoritaires dans communauté religieuse. cette région, furent les principales victimes des conflits et de l’occupa- tion. Or, l’Etat libanais les a longtemps laissés aux marges du dévelop- pement et n’a pas cherché à les protéger de cette occupation, l’essen- tiel du pouvoir étant partagé entre les chrétiens et les sunnites en vertu du pacte national de 1943. L’Etat libanais est mis à mal, sa souveraineté réduite presque à néant, ses frontières transgressées, son territoire en- vahi, sa population divisée. La pays en ressort exsangue et amputé d’en- viron 10 % de son territoire jusqu’au retrait israélien de 2000. La Syrie, qui occupe l’est du pays, exerce une forte pression en jouant le rôle de «tutelle politique» et en plaçant de fait le Liban sous son influence78 .

Immédiatement après la fin de la guerre civile, le gouvernement réalise des investissements colossaux pour la reconstruction. Le pays retrouve une certaine stabilité, cependant, la guerre israélo-libanaise de 2006 a causé des dommages importants provoquant un ralentissement économique. Par ailleurs, l’armement du Hezbollah soutenu par l’Iran suscite des craintes chez de nombreux Libanais (musulmans sunnites, druzes et chrétiens) qui acceptent mal de voir la milice chiite se soustraire à l’autorité de l’Etat. Crédit : Bertil Videt GNU License

54 FAIR TRADE LEBANON

Il faudra attendre le départ des troupes israéliennes en 2000 pour qu’émerge au Sud-Liban l’idée du commerce équitable en réponse aux difficultés des populations lo- cales, essentiellement chrétiennes, que l’Etat libanais et les principales communautés considèrent comme des collaborateurs des forces d’occupation israélien- nes. Tandis que les populations chiites du Sud-Liban reçoivent l’appui du Hezbollah et de ses réseaux, les Crédit : Mzaa Soap 15 000 à 25 000 personnes qui vivent dans les villages chrétiens voient leur perspectives de développement s’assombrir faute de soutien et de marchés pour leurs Si l’huile d’olive est, comme en Palestine, le produit produits. phare du commerce équitable libanais (et le symbole La méfiance et l’hostilité se répandent entre ces com- de son existence et de la résistance aux occupants), munautés qui ne bénéficient pas des mêmes appuis79. Fair Trade Lebanon commercialise aussi de nombreux produits aux résonnances quasi-bibliques (confitures Emissaire de l’organisation religieuse caritative Saint du Mont Hermon, savons de Byblos, fleur de sel de An- Vincent de Paul, Philippe Adaime, a participé aux réu- feh, etc.) qui sont fabriqués aux quatre coins du Pays nions de villages qui ont conduit à la création de Fair du Cèdre. Trade Lebanon. Cette nouvelle organisation, dit-il, est née «de la volonté Vendus sous le label «Saveurs équitables Terroirs du d’une poignée de Libanais de changer la vie des popu- Liban», ces produits sont disponibles actuellement lations rurales les plus défavorisées du Liban. Faisant le dans plusieurs centaines de points de ventes en Eu- constat qu’il existe dans les régions une infrastructure rope et au Canada. Ce sont près 350 bénéficiaires de production agricole sous-employée ainsi que des sa- directs qui profitent aujourd’hui de ces échanges et voir-faire traditionnels, ils ont fait le choix du commerce dont la «condition sociale s’est nettement amélio- équitable comme moyen de créer des débouchés à l’ex- rée», selon Benoît Berger84, l’un des responsables, portation pour les petits producteurs et les coopératives qui ajoute que «les efforts de Fair Trade Lebanon de transformation de ces régions»80. sont aujourd’hui couronnés par son adhésion au ré- seau international de commerce équitable, la World En 2005, les contacts établis avec l’importateur fran- Fair Trade Organization (WFTO)». çais SEL81 aboutissent à la signature d’un partenariat L’organisation libanaise est en effet devenue membre à qui sera décisif pour l’organisation naissante. En mars part entière de ce réseau à la renommée internationale. 2006, quelques mois avant la guerre de juillet, Fair Tra- Elle a également réussi à commercialiser, depuis le prin- de Lebanon voit officiellement le jour avec pour objectif temps 2010, ses produits à l’intérieur du pays, alors que «de devenir un fédérateur des réseaux de producteurs ceux-ci, issus de 14 coopératives agricoles libanaises, du pays (coopératives et petites exploitations familiales) étaient jusque-là destinés uniquement à l’export. désireux de participer à la dynamique du commerce équitable»82. Dernière initiative de Fair Trade Lebanon : soutenir les ex-producteurs de haschich de la plaine de la Békaa, Dès ses débuts, l’organisation de commerce équi- dont un grand nombre s’est retrouvé sans revenus de- table libanaise s’est montrée attentive à la perpé- puis la décision du gouvernement d’interdire ces cultu- tuation des richesses culinaires et artisanales tradi- res. Pour trouver une alternative, l’organisation libanaise tionnelles mises à mal par ces années de conflits : de commerce équitable s’est associée à un projet qui «La cuisine libanaise est réputée excellente, aux quatre soutient la conversion de ces producteurs aux cultures coins du globe. La diaspora libanaise s’investit et s’in- vinicoles et qui doit permettre à ces populations d’assu- tègre dans tous les pays. Souvent, le soleil du pays, rer des revenus plus élevés que du temps des cultures les bonnes recettes de grand-mère leur manquent. Par illicites85. ailleurs, les villages libanais regorgent de trésors culi- naires qui risquent de tomber dans l’oubli. A cause de la guerre, mais aussi de l’exode rural, les recettes se Pour en savoir plus : perdent, et les traditions culinaires aussi. A cause de la www.fairtradelebanon.org situation économique, les gens, les jeunes notamment, http://bloggingfairtradelebanon.blogspot.com quittent le village, puis le pays»83. www.artisanatsel.com

55 EN ASIE

Des rives méditerranéennes de la Turquie aux archipels d’Extrême-Orient, l’Asie présente une multitude de visages hérités de traditions très différentes. L’Asie Mineure, la Russie orientale, la Péninsule arabique, le sous-continent indien, les centaines d’îles d’Indonésie et des Philippi- nes, la Chine, le Japon,… autant de sous-régions dont les cultures se sont construites autour de civilisations puissantes et millénaires. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le continent asiatique a été le théâtre de nombreux conflits meurtriers liés à la guerre froide, aux sou- bresauts de la décolonisation et/ou aux politiques expansionnistes des grandes puissances régionales. Plusieurs de ces conflits perdurent aujourd’hui et, quand ce n’est pas le cas, leurs conséquences sont encore souvent sources de tensions. Historiquement, l’Asie a accueilli certaines des premières initiatives de commerce équitable. Ainsi que nous allons le voir, celles-ci ont souvent été mises en œuvre pour alléger les souffrances des populations meurtries par ces conflits. Crédit : Ashden Awards

56 A la différence de nombreux pays en voie de développement nés du démantèlement des empires coloniaux, l'Afghanistan a existé très longtemps en tant qu'entité indépendante et souveraine malgré les pressions des grandes puissances intéressées par le contrôle des anciennes routes de la soie.

AFGHANISTAN

Préparée par un coup d'état en 1973, l'invasion soviétique de 1979 va faire sombrer l'Afghanistan dans le chaos. Les affrontements entre l'Armée Rou- ge et la résistance nationale afghane soutenue par les Etats-Unis, le Pakis- tan et l'Arabie Saoudite ravagent l'essentiel des infrastructures du pays. En

Crédit : ISAF Headquarters Public Affairs Office dépit des moyens militaires mobilisés par l'armée soviétique, la résistance des Moudjahidines est telle que les autorités russes décident de quitter le pays en 1989. Les différentes factions afghanes issues de la résistance ne parviennent pas à s'entendre sur la composition d'un gouvernement d'union nationale et le pays, libéré de la présence soviétique, devient le théâtre d'une terrible guerre civile qui oppose les forces conduites par le commandant Massoud aux Talibans, tenants d'un islam sunnite fondamentaliste radical né dans les madrasas (écoles religieuses) de la zone tribale pakistanaise.

Les Talibans prennent le contrôle du pays en 1997 et instaurent une paix relative après des années de guerre, fondée sur une stricte application de la charia et la volonté d'instaurer «le plus pur État islamique du monde». L’Afghanistan est en guerre Accusant le chef d'Al-Qaida, Oussama Ben Laden, réfugié auprès des Ta- depuis bientôt quarante ans. libans, d'être responsable des attentats du 11 septembre 2001, les États- Dans ces conditions d'extrême Unis déclenchent une nouvelle guerre d'Afghanistan et renversent en insécurité, les organisations quelques mois le régime taliban. Hamid Karzaï devient alors le nouveau internationales et les ONG se président du pays. consacrent essentiellement aux questions humanitaires. L'OTAN, qui a pris le commandement de la Force Internationale d'Assis- tance et de Sécurité en août 2003, s'emploie à étendre l'autorité du pouvoir Ceci étant, des projets de commerce équitable ou durable central et à faciliter la reconstruction du pays. Mais les activités rebelles voient le jour, initiés par des perdurent et, à partir de 2005, la situation s'aggrave alors que les Talibans opérateurs courageux. s'infiltrent dans plusieurs régions86.

Depuis, la situation a peu évolué.

57 TROPICAL WHOLEFOODS ET LES RAISINS ÉQUITABLES D'AFGHANISTAN

Avant l'invasion soviétique de 1979, le raisin d'Afghanistan avait la réputation d'être Crédit : Tropical Wholefoods le meilleur du monde.

Les violences qui ont embrasé le pays depuis ont quasiment mis fin à cette activité. Jusqu'à aujourd'hui.

En effet, Tropical Wholefoods, une société de vente de fruits équitables fondée en 1980 en Ouganda87 par Kate Sebag et Adam Brett, a lancé un projet de commer- cialisation équitable des raisins afghans, en collaboration avec Mercy Corps, l'ONG écossaise qui s'est spécialisée dans l'aide aux populations les plus touchées par les violences et les catastrophes naturelles.

L'aventure afghane de Tropical Wholefoods commence en 2005, alors que les Tali- bans commencent à reprendre du terrain après les offensives de l'OTAN. Responsable de Fullwell Mill, la société labélisée équitable et biologique qui gère l'emballage des produits de Tropical Wholefoods, Richard Friend est un ami d'Adam Brett. Il raconte ses premières visites à Kandahar, au Sud du pays, pour étudier les perspectives d'achat de raisins : «Lors de nos premières visites, en 2006, nous avons effectivement identifié des groupes de producteurs avec lesquels nous aurions pu travailler ainsi que deux ou trois sites de production. Nous avons pu expérimenter le traitement de dix tonnes de raisins de Kandahar. Mais les conditions de sécurité étaient vraiment trop tendues : nous n'étions pas autorisés à faire ce que les gens d'ici ne faisaient pas, comme porter des lunettes de soleil ou mettre nos ceintures de sécurité dans les véhicules. Il n'y avait pas de ces 4x4 qu'utilisent les ONG et nous restions cantonnés dans le campement de Mercy Corps qui était entouré d'énormes sacs de sable»88.

Pour prometteurs qu'ils aient été, ces premiers contacts ont surtout mis en évidence l'importance des obstacles à surmonter, ainsi que le souligne Richard Friend : «Nous n'avions pris aucun engagement, mais nous avons rencontré les agri- culteurs et même élaboré une première série de plans d'urgence comme, par exem- ple, chercher des terrains où nous pourrions travailler hors des zones de sécurité si la situation devenait trop critique. Mais c’est devenu encore pire que ce à quoi je m’attendais, alors nous n’avons même pas pu faire cela. Kandahar est une zone de production du pavot (…). Alors, oui, c’était frustrant, car cela aurait pu être l’occasion de mettre en place une véritable alternative à la culture d’opium»89.

58 Crédit : Tropical Wholefoods

Kate Sebag, Adam Brett et leurs amis ne renoncent pas et décident de développer leurs projets sur des territoires afghans moins exposés, dans les plaines de Shomali au nord de Kaboul. Avec l'aide des équipes de Mercy Corps, ils consacrent plusieurs années à améliorer les techniques agricoles dans les villages et à rénover un site de séchage des fruits frais. Cela ne fut pas facile, ainsi que le rapporte Richard Friend : «La propriétaire de l'usine de séchage a d'abord du la récupérer auprès d'un chef de guerre local. Il y avait encore des vieux mortiers et des obus tout autour»90.

Progressivement, la filière de production est mise en place dans le respect des prin- cipes du commerce équitable et les premiers lots sont livrés en Grande-Bretagne où ils sont commercialisés par Tropical Wholefoods. «Nous avons importé 70 tonnes de raisins au printemps» raconte Adam Brett, «mais si nous pouvions le faire certi- fier FairTrade, ce pourrait être un millier de tonnes par an. Le marché du raisin est très important. Aujourd'hui, en Grande-Bretagne, ce sont près de 100 000 tonnes qui sont importées chaque année et près de 600 000 dans l'Union Européenne. (...) Avec les volumes qui pourraient être produits en Afghanistan, nous pourrions voir des communautés et des villages entiers devenir autosuffisants et capables de construire eux-mêmes leurs écoles et leurs infrastructures»91.

Les enjeux sont donc très importants pour le développement du pays et pour l'amé- lioration des conditions de vie des populations afghanes, mais, une fois encore, le principal problème qui se pose pour réaliser ces projets concerne la certification elle-même.

Finalement, une solution semble sur le point d'être trouvée. En effet, bien que les personnes chargées du contrôle ne puissent toujours pas se rendre sur place, à cause de l'insécurité du pays, la Fondation Fair Trade a accordé à Tropical Whole- foods une exemption qui lui permet d'afficher le précieux logo sur le délicieux raisin d'Afghanistan92.

Pour en savoir plus : www.tropicalwholefoods.co.uk

59 Né de la partition des Indes britanniques en 1947, le Pakistan entretient depuis sa création des relations tendues avec l’Inde en raison d’un contentieux territorial sur le Cachemire. Les deux pays se sont affronté lors de trois guerres successives. PAKISTAN

Le Pakistan traverse depuis plusieurs années une situation vraiment difficile. En dépit d’efforts diplomatiques remarquables, ses relations avec son grand voisin, l’Inde, restent tendues, en particulier à cause des sanglantes incur- sions de groupuscules extrémistes musulmans pakistanais au Cachemire indien. Au point que la frontière indo-pakistanaise est considérée par de nombreux experts comme la zone la plus sensible dans le monde (d’autant que les deux pays se sont dotés de l’arme nucléaire). Confrontée depuis la fin des années 1990 aux incursions des Talibans Crédit : Samantha Lille - Fr Gouv. afghans dans les régions tribales frontalières du Nord-Ouest, l’armée pa- kistanaise a engagé des moyens militaires importants pour essayer d’em- pêcher les combattants islamiques de se servir du pays comme base ar- rière pour ses attaques en Afghanistan. En réponse à ces offensives, de nombreuses attaques terroristes, souvent revendiquées par des Talibans pakistanais, frappent le Nord du pays93. Entre les Etats-Unis, qui exigent un investissement militaire beaucoup plus important pour sécuriser la frontière avec l’Afghanistan, les fièvres nationa- listes populaires qui expriment souvent une haine farouche de l’Occident, « Cette catastrophe est des rapports qui restent compliqués avec l’Inde, des services secrets qui pire que le tsunami de ne semblent pas toujours suivre la politique gouvernementale au point de 2004, le tremblement de se retrouver accusés de soutien à certains groupes talibans,… l’Etat pakis- tanais est soumis à des pressions contradictoires très fortes. terre au Pakistan en 2005 Et puis, en août 2010, des inondations extrêmement violentes frappent le et le récent tremblement pays. Le bilan est très lourd : plus de 20 millions de sinistrés, 1600 morts, de terre à Haïti». 6 millions de sans-abris. Avec près de 180 millions d’habitants et la deuxième plus nombreuse ma- Maurizio Giulano jorité musulmane du monde, le Pakistan occupe une place importante dans porte-parole du Bureau de la coordination des affaires l’équilibre géopolitique au Moyen-Orient et dans le Sud-Est asiatique. Les humanitaires de l’ONU94 populations qui y vivent sont souvent les victimes des intérêts divergents des puissances militaires et des extrémistes. Dans ces conditions, le com- merce équitable et durable offre des pistes de développement qui doivent être explorées et soutenues.

MOUNTAIN FRUITS LTD, TROPICAL WHOLEFOODS ET LES FRUITS ÉQUITABLES DU PAKISTAN

Perdus dans les montagnes

La région de Chitral et du Karakoram est située sur l'un plus hauts pics du globe dans l'extrême Nord du Pakistan. Cette zone, très peu peuplée, est restée isolée du reste du monde jusqu'à l'ouverture en 1972 de la Karakoram Highway qui relie Beijing à Karachi. Depuis la partition de l'Inde et du Pakistan en 1948, cette région fait partie des territoires contestés du Cachemire qui, faute d'accord international, n'ont pas de statut officiel ou de représentant auprès du pouvoir central. La population ne bénéficie pas des mêmes droits civils et politiques que les autres citoyens du Pakistan, il n'y a pratiquement pas d'industrie et les gens vivent dans de petits villages disséminés le long des vallées glaciaires où ils dépendent de l'agriculture de subsistance, sans accès aux services sociaux de base. L'instabilité politique, les restrictions imposées aux étrangers et l'absence d'investissements publics se sont conjugués pour enclaver ces populations qui vivent pourtant dans l'une des plus belles régions du monde95.

60 Les meilleurs fruits du monde Sur ces hauteurs perdues, les vergers sont irrigués par les eaux de fonte glaciaire des montagnes de l'Hima- laya. Abricots, pommes, cerises, mûres, noix, amandes, pignons de pin,… les agriculteurs des régions du Nord du Pakistan produisent une grande variété de fruits dont l'abricot Hunza qui est renommé dans le monde entier pour sa saveur et dont le noyau est, paraît-il, comme un trésor de noisette. Crédit : Ashden Awards Pourtant, en raison des engorgements saisonniers dans la production, de l'état déplorable des routes et de l'in- sécurité liée aux combats entre l'armée et les rebelles, où elles peuvent obtenir un travail rémunéré. C'est une une grande partie de la production ne peut être achemi- occasion unique pour elles de contribuer aux revenus de née et finit par pourrir avant de pouvoir être consommée leurs familles et de s'émanciper quelque peu du poids ou vendue96. des traditions. Elles assurent le séchage et l'emballage des fruits et des noix et sont payées dans le respect de Aux origines… la législation sur les salaires. Sher Ghazi est né dans la vallée de Hunza dans les Depuis ces premiers succès, Mountain Fruits a initié un montagnes du Karakoram. Après son diplôme en tech- nouveau projet de formation des producteurs à l'agri- nologie alimentaire, il rejoint l’Aga Khan Rural Support culture biologique et a investi dans l'acquisition de nou- Programme, une fondation qui œuvre à l’amélioration velles machines de cassage des noix qui offrent des des conditions de vie des populations vivant dans les gains de temps considérables. montagnes Karakoram. En tant que producteur de fruits, Sher Ghazi a longtemps réfléchi pour trouver un De plus, avec le soutien de Tropical Wholefoods, Moun- moyen d’améliorer l’existence des communautés agri- tain Fruits Ltd a innové en développant un modèle de coles pauvres des montagnes. sécheuse électrique portable fonctionnant à l'énergie solaire qui peut être installé dans de nombreux villages. … Tropical Wholefoods L'appareil se présente comme une sorte de four avec En 1997, Tropical Wholefoods, la société de commer- des rangées d'étagères fermées à l'intérieur desquelles cialisation de fruits équitables fondée par Kate Sebag et les fruits sèchent, protégés des insectes, de la pous- Adam Brett, commence à apporter son soutien à Sher sière et de la pluie. Ghazi dans le cadre du Projet Fruits Secs financé par Ces développements ont permis d'accroître la produc- l’Aga Khan Rural Support Programme. Les premières tion de manière significative et surtout de viabiliser des années sont consacrées à l’amélioration des méthodes processus de conservation et de commercialisation qui traditionnelles de séchage solaire et à la formation des sont aujourd'hui expérimentés sur de nouveaux pro- 97 producteurs aux techniques de lavage des fruits, de duits (miel, morilles) . manière à rendre les processus de fabrication compati- bles avec les normes internationales. La certification équitable Afin de permettre aux producteurs pakistanais de béné- En 2002, une première usine de transformation est ficier pleinement des avantages du commerce équita- construite où peuvent être traités, lavés, classés et em- ble, la société Mountain Fruits a soutenu la création de ballés les fruits collectés auprès de villages situés dans l'Association des Producteurs de Fruits des Zones de un rayon de 300 kilomètres. L’usine a la capacité de Montagne (Mountain Areas Fruit Farmers’ Association) traiter 100 tonnes de fruits séchés par saison. qui répond aux critères démocratiques exigés pour la certification Fairtrade. Mountain Fruits Ltd En 2005, l'association a reçu ses premières primes équi- En 2004, le Projet Fruits Secs de l’Aga Khan Rural Sup- tables, grâce auxquelles un certain nombre de projets port Programme est enregistré en tant qu’entreprise ont pu être mis en place dans les villages : installation d’export de fruits secs et baptisé Mountain Fruits (Pvt) d'un générateur d'électricité pour un village, achat d'un Ltd. La société forme les producteurs aux techniques ordinateur pour la nouvelle bibliothèque, construction de séchage des fruits qui sont achetés et commercia- d'une école communautaire, prise en charge des frais lisés par Tropical Wholefoods et d’autres importateurs. de scolarité pour les enfants les plus pauvres, construc- Contrairement aux méthodes traditionnelles de sécha- tion d'une aire de jeux, achat de machines à coudre et ge, le recours aux techniques modernes a permis de de tissus pour des centres de formation professionnelle 98 créer un produit commercialisable qui répond parfaite- réservés aux femmes, etc. ment aux standards internationaux. Pour en savoir plus : Mountain Fruits travaille maintenant avec plus de 2000 www.tropicalwholefoods.co.uk familles d’agriculteurs. Près d’une centaine de femmes http://hunzatimes.wordpress.com sont employées dans l’usine, le seul endroit de la région

61 Crédit : Jan Reurink - Ganden Gompa Tibet

TIBET

En 1950, l’armée chinoise envahit le Tibet. En dépit des efforts déployés par le Dalaï-lama, le leader spirituel et politique des Tibétains, pour garantir la préservation du patrimoine et de la culture du pays, des troubles éclatent et, en 1959, le Dalaï-lama est contraint de se réfu- gier en Inde. Il sera suivi d’environ 100 000 Tibétains. La révolte est sévèrement réprimée par le gouvernement chinois qui lance une série de «réformes» qui conduisent à des répressions sanglantes. Pendant la Révolution culturelle (entre 1966 et 1976), des milliers de monastères et de temples ont été pillés et détruits. Des dizaines de milliers de Tibétains ont été envoyés dans des camps de travail. La fermeture des routes et des voies commerciales traditionnelles, ainsi que les politiques agricoles autoritaires vou- lues par les autorités chinoises ont provoqué des famines massives99. Le nombre de victimes tibétaines du conflit (un important sujet de désaccord entre la Chine et le gouvernement tibétain en exil) est généralement estimé à plusieurs dizaines de milliers de personnes100.

62 TIBET COLLECTION

En 1987, le gouvernement tibétain en exil réalise une étude relative au potentiel de développement des communau- tés de réfugiés au Népal et en Inde. Deux ans plus tard, le Conseil de Planification, mis en place pour coordonner les initiatives économiques, lance le Projet de Développement de l'Artisanat Tibétain avec pour objectif de favoriser la commercialisation des créations des artisans tibétains aux Etats-Unis tout en faisant la promotion du combat politique mené pour la défense de la culture tibétaine.

Crédit : Tibet Collection Trois ans plus tard, une société commerciale est fondée à Washington, «Tibet Collection», pour servir de lien entre les artisans et les acheteurs sur le marché américain. Dans les mois qui suivent, l'entreprise reçoit le soutien de la Fonda- tion Ford, de l'organisation Aid To Artisans101 et de Market Place of India102 pour organiser des formations en design, en marketing et en gestion au bénéfice des artisans réfu- giés en Inde et au Népal.

A partir de 1997, Tibet Collection commence à commercia- liser une nouvelle génération d'œuvres et de créations tibé- taines artisanales fabriquées en particulier à Katmandou au Népal. Papiers faits à la main, boîtes décorées, coffrets à encens, bijoux traditionnels,… ces collections remportent un franc succès lors des foires commerciales de New York, Crédit : Tibet Collection Los Angeles et Boston103.

Membre fondateur de la Fair Trade Federation, Tibet Collection travaille directement avec des artisans tibétains, indiens et népalais pour créer et commercialiser des créations qui célèbrent la beauté et la culture du Tibet. Les relations étroites qu'entretient l'enseigne avec ses fournisseurs s'inscrivent dans le cadre des principes du commerce équitable.

Les engagements pris sont aussi concrets que possible : - Relations de long terme avec les artisans (flux régulier de commandes et de revenus) - Tarification équitable permettant de garantir des marges et des revenus suffisants - Promotion de la santé et de la sécurité des artisans (financement de meilleures conditions de travail) - Promotion de l'utilisation de matériaux durables et recyclés (teintures naturelles, etc.) - Soutien commercial spécifique pour les groupements de producteurs des régions plus isolées - Soutien aux communautés locales et appui aux organisations humanitaires - Promotion de la culture tibétaine (Campagne Internationale pour le Tibet, Maison du Tibet à New York, etc.)

Soutenir la cause Tibet Collection participe aussi à plusieurs projets en faveur des populations tibétaines : Le Mouvement GuChuSum : ce projet collectif vise à susciter auprès de l'opinion publique une prise de conscience des conditions d'emprisonnement des détenus politiques tibétains en Chine et à dénoncer les mul- tiples violations des droits de l'homme dont ils sont victimes. Le Mouvement GuChuSum offre en outre une aide médicale, des logements, un accès aux études et des emplois aux anciens prisonniers politiques tibétains. Tibetan Nuns Project : ce programme a pour objectif la prise en charge des moines et des religieux qui fuient le Tibet vers l'Inde et le Népal. Vêtements, nourriture, logements et soins de base leurs sont proposés dans le cadre de ce projet.

Pour en savoir plus : www.tibetcollection.com

63 TIMOR LESTE

Originellement colonie portugaise, le Timor Oriental (qui est constitué de la moi- tié orientale de l’île de Timor et dont la population est très majoritairement chré- tienne) est annexé par l’Indonésie en 1975. En novembre de la même année, le Timor Oriental déclare unilatéralement son indépendance et adopte comme nom officiel République démocratique du Timor Leste. Dans les jours qui sui- vent, l’armée indonésienne envahit le pays qu’elle soumet à une répression Crédit : Chris Johnson - Wikimedia féroce dans l’objectif affirmé d’assimiler cette nouvelle province.

Une politique qualifiée d’exterminatrice est mise en œuvre, avec l’utilisa- tion par l’armée de napalm sur les villages timorais soupçonnés d’apporter leur aide aux rebelles indépendantistes, causant plus de 200 000 morts, la plupart civils, sur une population de moins d’un million d’habitants, entre 1975 et la fin des années 1980. Il faudra attendre l’année 1999, après des années d’oppression, pour que le mi- nistre indonésien des Affaires étrangères accepte le principe d’une consultation d’autodétermination et, le 30 août 1999, les Timorais choisissent l’indépendan- ce lors du référendum organisé par l’ONU. Aussitôt la province est mise à feu et à sang par des milices pro-indonésiennes qui s’emparent de Dili, la capitale, et lancent une chasse sanglante aux indépendantistes. Après plusieurs jours de tueries, de déportations et de pillages, l’ONU se décide enfin à envoyer une force multinationale sous commandement australien afin d’imposer la paix et d’instaurer une administration provisoire qui aboutira à l’ac- cession formelle du pays à l’indépendance, le 20 mai 2002. La majeure partie de l’infrastructure du pays est alors détruite et l’économie paralysée104.

CAFÉ TIMOR

Le café Les exactions commises par les milices pro-indonésiennes au lendemain du référendum d'autodétermination ont aussi touché l'industrie du café du Timor Leste du Timor Leste. Les agriculteurs et leurs familles ont été tués ou déportés, les fait son entrée au cultures ont été détruites ainsi que les routes, les entrepôts et l'essentiel des sommet du classement infrastructures indispensables à ce secteur d'activité, crucial pour l'économie des meilleurs cafés du pays. Le commerce du café constitue en effet la plus importante source de du monde115. devises du pays et la principale source de revenus pour environ un quart de la population.

Créée à l'origine en 1994 par quelques 20 000 petits producteurs organisés en 16 coopératives et 493 groupements, la structure nationale de coopé- ration Timor Cooperativa Café s'efforce alors d'apporter son soutien aux familles meurtries en les aidant à rebâtir leurs exploitations et à vendre leurs premières récoltes. La reconstruction de la filière est rendue plus difficile encore par les violences et le vandalisme qui subsistent, par l'absence de fonc- tionnaires qualifiés et par l'exode d'une partie des élites du pays. Grâce à l'appui des organisations du commerce équitable, des ONG et de plu- sieurs agences d'aide au développement, Timor Cooperativa Café parvient à certifier équitable et biologique une part relativement importante de sa produc- tion. Les efforts réalisés pour améliorer la qualité portent rapidement leurs fruits et le café du Timor Leste (Café Timor) fait son entrée au sommet du classement des meilleurs cafés du monde.

64 En septembre 2003, la coopérative nationale timoraise signe un accord avec l'enseigne américaine Starbucks pour la vente de son café équitable et bio- logique. Les primes équitables obtenues à cette occasion vont permettre la construction de huit cliniques pleinement opérationnelles et de 24 centres de soins mobiles, ce qui fait de Timor Cooperativa Café le principal pourvoyeur de soins de santé en milieu rural dans le pays106. Le réseau de soins mis en place par Timor Cooperativa Café accueille en moyenne 18 000 patients par mois. Les soins sont gratuits pour les familles des membres de la coo- pérative107.

"Je sais qu'une part des revenus issus du commerce équitable que mes collègues et moi-même avons gagnés sert à acheter des médicaments et à dispenser des soins dans les cliniques de Timor Cooperativa Café. Crédit : USAID - NCBA Je suis très reconnaissant de cela, le personnel de cette clinique a sauvé la vie de ma femme"109.

Alfonso Sarmento, producteur membre de Timor Cooperativa Café.

Dans le cas particulier du Timor Leste, le secteur du café (en particulier équitable et biologique) a joué un rôle important dans la reconstruction du pays et son économie.

L'organisation Timor Cooperativa Café est intervenue à de nombreux ni- veaux : pour améliorer la production, rénover les exploitations et former les Pour en savoir plus : cultivateurs, mais aussi, de manière plus large, en finançant des projets de www.transfairusa.org développement économique, en construisant des écoles et des centres de www.gov.east-timor.org formation, et même en contribuant à l'adoption de la nouvelle monnaie et www.globalcafedirect.com.au en assurant l'accès aux soins pour les populations rurales108. Crédit : PSYMCA - Busan YMCA Cafe Timor

65 EN AMERIQUE DU SUD

L’accession à l’indépendance des pays d’Amérique latine, durant la première moitié du XIXème siècle, aboutit à la dislocation des structures et équilibres hérités de la Couronne d’Espagne, qui considérait ces pays comme ses colonies. La justice et le pouvoir sont alors monopolisés par de nouveaux « propriétaires » qui soumettent les populations les plus pauvres qui se retrouvent «sans terre».

Au Brésil, en 1901, 85% des terres appartiennent à 1% de la population110. La nature floue des frontières pousse à de nombreux conflits interétatiques qui contribuent à une militarisation de la société latino-américaine. Les insurrections populaires, lorsqu’elles s’expriment, sont instrumentali- sées ou réprimées111. La première moitié du XXème siècle est marquée par un double phénomène. Tandis que les Etats-Unis s’engagent dans une politique interventionniste sur tout le continent, des mouvements révolutionnaires et/ou démocratiques s’organisent dans plusieurs pays d’Amérique latine et finissent par se heurter aux intérêts de la grande puissance du Nord. La guerre froide va contribuer au raidissement des tensions. Par crainte d’une infiltration des gouvernements progressistes et des mouvements populaires sud-américains par des cellules communistes à la solde de l’Union Soviétique, les Etats-Unis s’engagent en faveur des partis de droite et des grands propriétaires quitte à soutenir des dictatures militaires et des régimes totalitaires violents. Cette situation va nourrir les mouvements de sympathie en faveur des populations de ces pays chez les jeunes générations en Europe occidentale et aux Etats-Unis, durant les années 1960 et 1970. C’est notamment pour cela que l’Amérique du Sud a été l’un des premiers continents à accueillir des projets de commerce équitable, initiés par des organisations européennes ou américaines progressistes et/ou religieuses (Oxfam, etc.).

66 Depuis les années 1960, la Colombie vit dans une situation de violences impliquant l’armée, des guérillas marxistes telles que les FARC et des groupes paramilitaires d’extrême-droite à la solde de grands propriétaires terriens112. Aujourd’hui, si la Colombie est connue pour son café de haute qualité, elle l’est également pour ses conflits armés vieux de plusieurs décennies et ses cartels de la drogue qui sont considérés comme faisant partie des organisations criminelles les plus puissantes dans le monde. COLOMBIE

La guerre, l’industrie de la cocaïne, et les inégalités Depuis l’année 2000, la coopérative colombienne économiques se sont conjuguées pour faire de la Co- bénéficie de la certification équitable Fairtrade lombie le théâtre de «la plus grave crise humanitaire de grâce à laquelle les revenus des agriculteurs ont l’hémisphère occidental», selon les Nations-Unies113. augmenté d’environ 40%.

Les efforts de COSURCA pour encourager l’abandon COSURCA «Faites du café, pas la guerre» des cultures illicites dans la province commencent à porter leurs fruits. Depuis 1993, près de 2000 familles La province de Cauca, au Sud de la Colombie, est l’une ont rejoint la coopérative et le nombre de ses membres des plus pauvres du pays. Poussés par la misère, de augmente chaque année. Par ailleurs, on estime que la nombreux paysans abandonnent les cultures vivrières campagne menée par la coopérative auprès des agri- pour cultiver la coca qu’ils revendent aux trafiquants culteurs a permis l’éradication de centaines d’hectares ou aux rebelles, au risque de mettre sérieusement en de plantations de coca. péril la sécurité alimentaire de la région. Cette partie de la Colombie est aussi l’une des princi- Mais les conséquences positives de cette initiative pales zones d’affrontement entre les forces gouverne- ne concernent pas que la transformation des cultu- mentales, les paramilitaires et les FARC (qui tirent une res. partie de leurs revenus du narcotrafic). En effet, les observateurs relèvent le fait qu’avec la re- Qui plus est, les cultures de coca ont des conséquen- prise de relations économiques saines, un tissu social ces désastreuses pour l’environnement en dégradant et culturel neuf se recrée. Les producteurs reprennent les sols, en polluant les rivières et en encourageant confiance en eux face à la guérilla et la pauvreté qui les la déforestation (chaque hectare de coca nécessite la avaient précipités dans le narcotrafic. Ils se forment, destruction de quatre hectares de forêt). pensent et décident, ils redeviennent acteurs de leur L’éradication des cultures illicites est donc considérée vie et retrouvent un rôle politique et citoyen perdu dans comme une priorité, d’autant que ces cultures, en enri- le conflit. chissant les rebelles et les narcotrafiquants, entretien- La coopérative COSURCA a été nommée par l’ONU nent l’état de conflit permanent qui fragilise la région meilleure pratique permettant de dépasser le conflit et empêche son développement. colombien116. Conscients de cette situation, l’ONU et les Etats- Unis soutiennent en 1993 la création de la coo- «Avec les revenus que nous procure le commerce pérative COSURCA (Cooperative Association of équitable, nous pouvons améliorer notre niveau de Southern Cauca) qui regroupe des familles de pro- vie et être plus autonomes. Une des conséquences ducteurs, des associations locales et des collecti- les plus importantes pour nous, c’est l’assurance que nous aurons la capacité de produire notre pro- vités avec comme principal axe de développement, pre alimentation en temps de guerre. Si nous pro- la production et la commercialisation d’un café bio- duisons beaucoup, nous pouvons stocker des cé- logique et équitable de qualité. réales, des fruits et des légumes, ce qui évitera à Les paysans qui veulent y adhérer s’engagent à aban- notre peuple d’avoir à abandonner ses terres. C’est donner la culture de la coca en échange de quoi ils cette chance qui nous permet de vivre et de traver- reçoivent un microcrédit initial d’environ 300 € pour ser une guerre qui dure depuis 40 ans». éradiquer les plants illicites de leurs terres et initier René Ausecha Chaux, COSURCA117 d’autres cultures (de café ou de fruits par exemple)114.

La coopérative COSURCA fournit une assistance tech- nique à ses membres, ainsi que l’accès à des banques Pour en savoir plus : des semences, des formations, des microcrédits et un www.expocosurca.com appui particulier s’ils souhaitent bénéficier de la cer- www.fairtradecolombia.com tification attribuée par l’agence suisse indépendante www. lwr.org/colombia Imo Control115.

67 Crédit : Transfair USA

68 SOUTENIR LE COMMERCE ÉQUITABLE POUR SOUTENIR LA PAIX

Des hauteurs de la Cordillère des Andes aux jungles d’Asie du Sud-est, des projets de commerce équitable sont imaginés et mis en œuvre par des femmes et des hommes courageux et créatifs dans des zones frappés par la guerre.

C’est souvent dangereux et les obstacles sont nombreux (y compris à cause des rigidités des systèmes de certification), mais lorsqu’on passe en revue ces différentes initiatives, on constate leur impact réel sur les populations.

Ces bénéfices sont économiques et sociaux. Ils permettent aux communautés de subvenir à leurs besoins et de se réapproprier des activités productives qui vont leur permettre d’engager la reconstruction de leurs foyers et de leurs territoires. Mais il n’y a pas que cela.

Le commerce équitable n’a pas pour unique vocation de produire de la ri- chesse. En favorisant des modes d’organisation démocratiques, en soutenant des projets sociaux ou éducatifs, en encourageant des coopérations entre les communautés, le commerce équitable contribue au retour de la confiance et du respect de soi que de nombreuses populations victimes des conflits ont perdus dans les violences.

Définitivement, le commerce équitable est un formidable outil au service de la paix.

69 Etats, institutions internationales, agences d’aide au développement, ONG, fondations,… de nombreux acteurs interviennent pour contribuer à la pacification puis à la reconstruction des régions du monde touchées par la guerre. Les moyens à leur disposition sont nombreux et efficaces.

LE RÔLE DES ORGANISATIONS INTERNATIONALES

Aujourd’hui, pour toutes les raisons que nous avons soulignées, le soutien aux initiatives de commerce équitable doit être intégré aux politiques globales menées pour apaiser les tensions dans les zones frappées par la guerre et mobiliser les populations autour de projets fédérateurs.

Concrètement, que peuvent faire les acteurs internationaux pour sou- tenir le commerce équitable sur ces territoires sensibles ? Crédit : Max Havelaar

Protéger des tumultes des marchés

En premier lieu, il convient de rappeler le fait que ces initiatives de com- merce équitable sont très souvent lancées pour soutenir le développement de filières économiques fragiles (même quand elles emploient des popula- tions nombreuses). Ces secteurs d'activité stratégiques naissants mettent du temps à se structurer et à se consolider et, pendant cette période d'émergence, il est souvent nécessaire de les protéger de la concurrence internationale, en particulier en provenance des pays industrialisés qui peuvent pratiquer des coûts beaucoup plus bas.

Pour ces pays fragilisés, peut-on imaginer des dispositifs permettant de protéger prioritairement les secteurs d'activité qui se développent dans le cadre du commerce équitable ? Voilà une première question qui peut être réfléchie au niveau des organisa- tions internationales compétentes.

Ouvrir la porte aux initiatives vertueuses

Les grands marchés internationaux sont essentiellement situés dans l’hé- misphère Nord et en particulier aux Etats-Unis et en Europe. Or, ces pays ont justement adopté des positions souvent défensives en ce qui concerne la pénétration de leur marché intérieur en instituant des barrières pour les producteurs d’autres régions du monde, en particulier en matière agricole.

70 «Nous devons aider les petits A côté de cela, ces grands pays mobilisent des montants considérables en paysans à avoir un accès direct faveur de l’aide au développement, notamment dans le cadre de processus au marché. Si les gouvernements de reconstruction pour les pays que la guerre a dévastés. des pays industrialisés veulent Ces ressources, aussi importantes soient-elles, n’ont pas toujours l’impact vraiment faire quelque chose souhaité sur le niveau de vie des populations, que ce soit pour des raisons pour les pays en voie de d’inadéquation de la dépense par rapport aux besoins (certains investisse- développement, pourquoi ne ments américains dans l’Irak de l’après-guerre ont récemment fait la preuve diminuent-ils pas les droits de leur inutilité), de corruption des intermédiaires ou de résistance des po- d'importation pour les produits pulations bénéficiaires. équitables de ces pays ? 118» Dans la mesure où le commerce équitable s’inscrit dans le cadre d’une démarche de certification indépendante (qui peut difficilement être mise Olivier De Schutter Rapporteur spécial des Nations-Unies en doute), il nous paraîtrait donc intéressant de concevoir un système sur le droit à l'alimentation qui favoriserait les productions certifiées en leur accordant un accès facilité aux marchés intérieurs des pays les plus riches. «Tous les pouvoirs publics, Un tel dispositif d’exception ne pourrait-il être discuté dans le cadre des y compris les écoles, devraient institutions du commerce international ? acheter des produits du commerce équitable. Et les autorités devraient avoir pour mission d’informer le public sur le commerce équitable»119. Protéger les opérateurs

Une des principales difficultés que rencontrent ceux qui souhaitent initier ou soutenir des projets de commerce équitable dans les pays fragilisés par la guerre concerne les questions de sécurité. Dans certains cas, l’incapacité des intervenants extérieurs (en particulier des contrôleurs chargés de la certification) à se rendre sur place constitue l’ultime obstacle à la certification d’une filière de production alors même que la structure de distribution est prête à commercialiser (et ce, au béné- fice des populations qui percevront ces revenus et ces primes). De nombreux acteurs internationaux ont des compétences en matière de sécurité. Un des moyens pour soutenir le commerce équitable pourrait être alors de renforcer la sécurité de ces opérateurs lors de leurs déplacements, par des moyens spécifiques, voire par l’octroi d’un statut particulier.

Donner l’exemple

Dans la mesure où elles jouissent souvent d’une forte visibilité (voire d’une couverture médiatique importante comparée à leur taille réelle), les organi- sations internationales ont une responsabilité en termes d’image auprès du grand public et des acteurs de leurs réseaux. Alors, pour soutenir le commerce équitable, l’une des premières cho- ses que ces organisations devraient faire, ne serait-elle pas de servir les produits de ces coopératives à leurs tables?

Plusieurs organisations assurent la livraison de produits équitables à Bruxelles et font l’interface avec les producteurs120. Auprès d’elles, les institutions intéressées trouveront de quoi se régaler, en montrant à leurs collaborateurs et à leurs partenaires le caractère concret de leur engagement en faveur du développement des communautés loca- les, notamment dans les zones les plus fragiles dans le monde.

Ce n’est pas compliqué, c’est efficace, c’est exemplaire et c’est valorisant. Alors, pourquoi ne pas le faire ?

71 LE RÔLE DES CITOYENS CONSOMMATEURS

Les Etats et les organisations internationales ont entre leurs mains certaines des clefs qui permettraient de développer considérablement le commerce équitable dans le cadre des programmes de reconstruction des pays touchés par la guerre. Il s’agit de leurs responsabilités. Les nôtres sont liées à notre statut de simple «citoyen-consommateur». C’est peu dans la mesure où aucun d’entre nous, individuellement, ne peut modifier le système. Mais c’est beaucoup dans le sens où notre modèle économique offre à chacun la possibilité de choisir ses modes de consom- mation. L’économie de marché s’apparente à la démocratie dans le sens où 360 millions d’européens peuvent changer la face du monde par la somme de leurs choix et de leurs engagements individuels. La question est alors : comment ? Crédit : Raysonho - Wikimedia

«Ce t-shirt fait partie de l’économie sociale. (demandez-moi ce que cela veut dire)»

72 CONSOMMER

Quelle que soit l'étendue de nos bonnes volontés, nous ne pourrons pas intervenir individuellement pour résoudre tel ou tel conflit à l'autre bout du monde. Que savons-nous des contentieux territoriaux dans les îles indonésiennes ? Des sensibilités ethniques entre les populations d'origine nilotique ou bantoue en Afrique de l'Est ? La plupart du temps, pas grand-chose. Et, à moins de tout quitter ici pour un engagement humanitaire là-bas, nous avons le sentiment de ne rien pouvoir faire. Mais, consommer, ça, nous savons faire. Au niveau mondial, nous sommes probablement des experts.

Fondamentalement, c'est là que réside une grande part de la magie du commerce équitable. En choisissant dans le rayon du supermarché, le produit qui affiche un label "commerce équitable", nous faisons quelque chose de très concret pour aider les populations les plus en difficulté. Nous savons qu'une par- tie du prix que nous payons va non seulement rémunérer des petits pro- ducteurs à un niveau plus élevé que si nous prenons le produit standard juste à côté, mais nous savons aussi qu'une partie de ce que nous payons va être réinvestie dans des projets sociaux ou de développement. En choisissant ces fruits ou ce café, nous finançons la construction d'une école, l'installation de sanitaires, un programme d'alphabéti- sation pour des veuves de guerre.

Ca, c'est notre responsabilité, nos choix. Crédit : Just Coffee Cooperative Crédit : Just Coffee «Où va votre argent - Mesuré en dollars par livre»

SOUTENIR (ECRIRE)

Comme toutes les organisations publiques ou parapubliques, les institutions internationales sont sensibles aux manifestations de l’opinion publique et aux engagements médiatisés.

En tant que citoyens-consommateurs, notre pouvoir s’exprime par nos actes d’achat mais aussi par notre expression démocratique. Cette dernière peut prendre plusieurs formes. Notre vote, tout d’abord, pour lequel des générations entières se sont battues. En soutenant les candidats les plus sensibles aux questions de déve- loppement et ceux qui défendent une adaptation des règles du commerce international au bénéfice des petits producteurs des pays les plus fragiles, nous contribuons à cette nécessaire évolution. Mais, reconnaissons-le, ils sont rares, les candidats qui défendent de telles positions, ou alors ils sont trop peu visibles ou bien encore ils estiment que ces questions échappent au pouvoir des élus nationaux. Mais là encore, ce n’est qu’une question de stimulus / réponse. Si nous pouvons exercer une pression collective suffisamment importante sur ces décideurs, cela provoquera une réponse, sous forme de prise de conscience d’abord, de débats ensuite puis, espérons-le, de décisions.

Alors, oui, nous pouvons agir aussi en tant que citoyens actifs en interpellant nos élus et candidats, en leur écrivant, en manifestant, en utilisant les nouveaux médias. En nous engageant. Ensemble.

73 74 CONCLUSION

Tous les conflits ne se ressemblent pas. Les mesures à adopter pour contribuer à leur apaisement dépendent d’une multi- tude de paramètres géostratégiques, militaires, culturels, sociaux, religieux, etc. Les organisations internationales et les gouvernements qui ont cette responsabilité jouissent de moyens importants et variés pour intervenir et, in fine, protéger de nombreuses vies humaines et permettre à des populations entières de profiter des bienfaits réels de la mondialisation.

Pour toutes les raisons que nous avons évoquées, le commerce équitable doit être intégré aux programmes de pacification et de développement des territoires que la guerre a ravagés. Incontestablement, il s’agit d’un outil efficace que la commu- nauté internationale doit apprendre à utiliser (avec d’autres) pour que les program- mes d’aide aux pays en guerre bénéficient prioritairement aux populations civiles meurtries.

Historiquement, la Belgique est un acteur important de l’aide au développement des pays les plus fragiles. Le Trade for Développement Centre, mis en place en 2005 par la CTB, met ses ressources, ses moyens et ses réseaux au service de tous ceux qui souhaitent investir dans la paix et le développement en soutenant le commerce équitable.

Nous sommes à votre disposition.

Crédit : Fairtrade Foundation

www.befair.be Le portail du Trade for Development Centre de la CTB.

75 SOURCES ET RÉFERÉNCES

1 Source : Smith D., The atlas of War and Peace, London, Earthscan, 2003 2 WFTO, Ecocert (via son référentiel ESR), Fair For Life et FairWild sont également des systèmes de garantie en matière de commerce équitable 3 Source : Interview de Olivier De Schutter, Rapporteur spécial des Nations-Unies sur le droit à l’alimentation, dans «Switchez vers l’équitable - Semaine du Commerce Equitable 29 septembre - 9 octobre 2010» Edité par Max Havelaar Belgique 4 Source : Extrait de : «Entreprise Locale, Paix Locale : Le potentiel du secteur privé national pour la construction de la paix» International Alert / Diane Nkurunziza, 2006 5 Source : Cité dans « Coffee from Congo and raisins from Afghanistan. UK announces new Fairtrade products from conflict  Countries», 23 February 2010 - www.dfid.gov.uk/Media-Room/Press-releases/2010/Coffee-from-Congo-and-raisins-from- Afghanistan 6 Source : idem 7 Source : Ted Weihe, «Cooperative : The U.S. Experience «, U.S. Overseas Cooperative Development Council, Presentation to COPAC Conference on Fair Trade Coffee, January 21, 2005, Berlin, Germany 8 Source : Oxfam-Magasins du Monde (www.oxfammagasinsdumonde.be/general/mobilisation-en-marche-pour-la-palestine.html) 9 Extrait de : «Entreprise Locale, Paix Locale : Le potentiel du secteur privé national pour la construction de la paix» International Alert / Diane Nkurunziza, 2006 10 Cité dans : Maria Lewytzkyj, «Israeli-Palestinian conflict-import/export & human security: Part 2 on economic peace & justice», The Examiner - wwww.examiner.com/x-5249-SF-Foreign-Policy-Examiner~y2010m3d1-IsraeliPalestinian-conflictimpor- texport--human-security-Part-2-on-economic-peace--justice 11 Source : Cité dans le Guardian du 24 avril 2009 : Mark Tran, Palestinian olive oil bucks UK recession - Sales expected to double this year after Gaza conflict - Product gets for first time - .guardian.co.uk/world/2009/www feb/24/palestinian-olive-oil 12 Source : www.palestinefairtrade.org 13 Source : Land of a Thousand Hills Coffe - www.drinkcoffeedogood.com 14 Témoignage cité dans : « Drinking Coffee - Doing Good» - www.cor13.com/blog/category/coffee 15 Source : www.fairtradejudaica.org 16 Extrait de : «Commerces équitable et durable : tant de label et de systèmes de garantie. Que choisir pour ma production?», une brochure du Trade for Development Centre - Téléchargeable gratuitement sur : www.befair.be/fr/articles/www-befair- be/2-ressources/ressources.cfm 17 Source : www.tibetcollection.com 18 Source : Altermonde «Un rameau d’olivier pour le Proche Orient», n°11, Septembre 2007 - http://altermondes.org/spip.php? article516 19 Extrait de : Sarah IRVING, « Trying To Be Fair» - www.developments.org.uk/articles/trying-to-be-fair 20 Fondateur de Canaan Fair Trade et de l’Association Palestinienne du Commerce Equitable (Palestinian Fair Trade Association). 21 Cité dans : Maria Lewytzkyj, «Israeli-Palestinian conflict-import/export & human security: Part 2 on economic peace & justice», The Examiner - wwww.examiner.com/x-5249-SF-Foreign-Policy-Examiner~y2010m3d1-IsraeliPalestinian-conflic- timportexport--human-security-Part-2-on-economic-peace--justice22 Témoignage cité dans : « Drinking Coffee - Doing Good» www.cor13.com/blog/category/coffee 22 Source : « Un rameau d’olivier pour le Proche Orient», FAIR TRADE LEBANON-COMMERCE EQUITABLE LIBAN, lundi 9 novembre 2009 - www.facebook.com/notes/fair-trade-lebanon-commerce-equitable-liban/un-rameau-dolivier-pour- le-proche-orient/171325999422 23 Extraits de : «Commerces équitable et durable : tant de label et de systèmes de garantie. Que choisir pour ma production ?», une brochure du Trade for Development Centre - Téléchargeable gratuitement sur : www.befair.be/fr/articles/www-befair- be/2-ressources/ressources.cfm 24 Extrait de www.tropicalwholefoods.blogspot.com 25 Source : Sarah Irving, « Trying To Be Fair» - www.developments.org.uk/articles/trying-to-be-fair 26 Source : Interview de Michel Verwilghen - Commerce Equitable Grands Lacs (COMEQUI ASBL) - www.comequi.org 27 Jan Van Criekinge, «Le Congo RDC et les profiteurs de guerre», Jan 2007 - wri-irg.org/pubs/warprof-0612.htm 28 Source : Sarah IRVING, « Trying To Be Fair» - www.developments.org.uk/articles/trying-to-be-fair 29 COMEQUI asbl - www.comequi.org 30 Source : Sarah IRVING, « Trying To Be Fair» - www.developments.org.uk/articles/trying-to-be-fair 31 Interview de Michel VERWILGHEN - Commerce Equitable Grands Lacs (COMEQUI ASBL) - www.comequi.org 32 Cassandra Nelson, «In Congo, saving trees and lives», 23 avril 2010 - The Mercy Corps Blog - www.mercycorps.org.uk/ cassandranelson/blog/20782 33 Source : «Le commerce équitable au Rwanda «, une brochure du Trade for Development Centre Téléchargeable gratuitement sur : www.befair.be/fr/articles/www-befair-be/2-ressources/ressources.cfm 34 Idem 35 Chiffres extraits de « Le café et les caféiculteurs au Rwanda : cas du district de Maraba, (Butare) dans la province du Sud », par Déogratias Harorimana, Mathias Harebamungu, Jean-Pierre Bizimana, EPU, Éditions Publibook, Université, 2007 36 Extrait de www.infoSud-belgique.info/article.php3?id_article=278 37 Le partenariat de PEARL dépasse ces deux organismes et associe l’Université nationale du Rwanda – UNR, l’Institut des Sciences agronomiques du Rwanda – ISAR, l’Agricultural Cooperative Development International / Volunteers in Overseas Cooperative Assistance – ACDI/VOCA, l’Office des Cultures industrielles du Rwanda - OCIR, le Kigali Institute of Sciences and Technology – KIST et le centre IWACU.

76 38 Source : « Le café et les caféiculteurs au Rwanda », op. cit., p.15 39 Chiffres cités par Samuel GOFF, auteur de plusieurs thèses sur le sujet, dans son texte « International partnerships for the development of the speciality coffee sector un Rwanda » présenté à la « 22nd Annual Conference Proceedings » de l’AIAEE en Floride en 2006. 40 Ibidem 41 Benoît VOCHELET, in « Afriques », édition internationale mars-avril 2006 42 Source : Dee Axelrod , « Muslim, Jewish, and Christian coffee farmers make mirembe kawomera—delicious peace », in Yes Magazine, 8 novembre 2005 - www.yesmagazine.org/issues/spiritual-uprising/java-justice 43 Interview réalisée par l’agence Piezo le 25 novembre 2009 44 Source : « Connected by a string of beads through the BeadforLife Program », in The Seattle Times, 7 décembre 2008. A lire sur http://seattletimes.nwsource.com/html/travel/2008470060_trbeadforlife07.html 45 Source : Wikipedia - http://fr.wikipedia.org/wiki/Somalie 46 Source : ELOY, «Somalie : La fin du chaos ?» - Altermondes - Décembre 2005 - http://altermondes.org/spip.php?article41 47 Idem 48 Source : Edgar C. MBANZA, « Le cri des mères de Somalie» - Chemk’Africa - 5 juillet 2010 - www.youphil.com/fr/ article/02222-le-cri-des-meres-de-somalie?ypcli=ano 49 Idem 50 Extrait de : «Somali Refugees Succeed with Dean’s Beans!» - www.deansbeans.com 51 Idem 52 Source : Wikipedia - www.wikipedia.org 53 Source : www.divinechocolate.com 54 Source : «Le commerce équitable des cosmétiques «, une brochure du Trade for Development Centre Téléchargeable gratuitement sur : www.befair.be/fr/articles/www-befair-be/2-ressources/ressources.cfm 55 Cité dans dans : « Why the First Fair Trade Cocoa from Sierra Leone is Divine» - Chicago Fair Trade - www.chicagofairtrade.org 56 Idem 57 Source : Wikipedia - www.wikipedia.org 58 Source : Le Réseau Européen Euclid est le premier réseau européen de responsables du troisième secteur, qui met en lien et soutient ces acteurs dans le monde entier. Il a été lancé en 2007 sous la forme d’une joint-venture entre l’Association des Directeurs des Organisations Volontaires (Association of Chief Executives of Voluntary Organisations) en Grande-Bretagne, le Centre des Jeunes Dirigeants de l’Economie Sociale en France et Ideell Arena en Suède.www.EuclidNetwork.eu 59 Source : Filippo ADDARII, « NGOs join forces with bankers for innovative fair trade project in Sudan», 22 avril 2010 Capacity4Dev - European Commission External Cooperation Programmes - http://capacity4dev.ec.europa.eu/ngos-join-for- ces-bankers-innovative-fair-trade-project-Sudan 60 Idem 61 Idem 62 Idem 63 Source : Laurent ZECCHINI, «En dépit des restrictions d’Israël, l’économie de la Cisjordanie résiste», Le Monde, 13 avril 2010 64 Propos de Fathi HAMMAD, un responsable du Hamas, cité dans : Khaled ASMAR, «Une bonne nouvelle pour le Hamas à Gaza : «l’industrie de la mort» est rentable», MediArabe.info, 7 janvier 2009 - www.mediarabe.info 65 Extrait de : «Quand l’agriculture est porteuse d’espoir en Cisjordanie», GoodPlanet.info, 4 Juin 2010 - www.goodplanet.info/ Contenu/Initiatives/Farming-For-Hope-in-the-West-Bank 66 Idem 67 Idem 68 Cité dans : James Meikle, «First Fairtrade olive oil gives hope to Palestinian farmers», The Guardian, 23 février 2009 69 Cité dans : Nick Mathiason, « Palestinians to sell first fair trade product», The Observer, 28 décembre 2008 - www.guardian.co.uk 70 Extrait de : «Quand l’agriculture est porteuse d’espoir en Cisjordanie», GoodPlanet.info, 4 Juin 2010 - www.goodplanet.info/ Contenu/Initiatives/Farming-For-Hope-in-the-West-Bank 71 Source : Astrid Bouchedor, «Mobilisation en marche pour la Palestine «, 22 Mai 2009, Oxfam - Magasins du Monde www.oxfammagasinsdumonde.be/general/mobilisation-en-marche-pour-la-palestine.html 72 Source : www.wac-maan.org.il 73 Source : «Sindyanna, un engagement politique et économique», 9 janvier 2009, Oxfam - Magasins du Monde www.oxfammagasinsdumonde.be/general/sindyanna-un-engagement-politique.html 74 Source : Astrid Bouchedor, «Mobilisation en marche pour la Palestine «, 22 Mai 2009, Oxfam - Magasins du Monde www.oxfammagasinsdumonde.be/general/mobilisation-en-marche-pour-la-palestine.html 75 Source : «Sindyanna, un engagement politique et économique», 9 janvier 2009, Oxfam - Magasins du Monde www.oxfammagasinsdumonde.be/general/sindyanna-un-engagement-politique.html 76 Source : www.peaceoil.net 77 Source : Wikipedia - www.wikipedia.org 78 Source : Géographie sociale et politique - www.geographie-sociale.org 79 Source : « Un rameau d’olivier pour le Proche Orient», FAIR TRADE LEBANON-COMMERCE EQUITABLE LIBAN, 9 novembre 2009 - www.facebook.com/notes/fair-trade-lebanon-commerce-equitable-liban/un-rameau-dolivier-pour-le- proche-orient/171325999422 80 Source : www.fairtradelebanon.org 81 Source : www.artisanatsel.com 82 Source : www.fairtradelebanon.org

77 83 Source : www.fairtradelebanon.org 84 Source : Rana Andraos, « Fair Trade Lebanon, ou l’itinéraire d’une success story à la saveur équitable», L’Orient Le Jour, mai 2010 85 Source : idem 86 Source : Wikipedia - www.wikipedia.org 87 Pour en savoir plus : «Le commerce équitable et durable en Ouganda «, une brochure du Trade for Development Centre Téléchargeable gratuitement sur : www.befair.be/fr/articles/www-befair-be/2-ressources/ressources.cfm 88 Cité dans : Sarah IRVING, « Fair Trade’s New Frontiers» - www.ethicalconsumer.org/CommentAnalysis/Features/ FairTradesNewFrontiers.aspx 89 Source : idem 90 Source : Sarah Irving, « Trying To Be Fair» - www.developments.org.uk/articles/trying-to-be-fair 91 Source : Sarah Irving, « Fair Trade’s New Frontiers» - www.ethicalconsumer.org/CommentAnalysis/Features/ FairTradesNewFrontiers.aspx 92 Source : Sarah Irving, « Trying To Be Fair» - www.developments.org.uk/articles/trying-to-be-fair 93 Source : Wikipédia - www.wikipedia.org 94 Source : « Pakistan - La crise liée aux inondations pire que le tsunami de 2004, d’après l’ONU», Le Point, 09/08/2010 - www.lepoint.fr 95 Source : «Mountain Fruits and Role of Fairtrade», Hunzatimes, 30 octobre 2008 http://hunzatimes.wordpress.com/2008/10/30/mountain-fruits-and-role-of-fairtrade 96 Source : Tropical Wholefoods - www.tropicalwholefoods.co.uk 97 Source : «Mountain Fruits and Role of Fairtrade», Hunzatimes, 30 octobre 2008 http://hunzatimes.wordpress.com/2008/10/30/mountain-fruits-and-role-of-fairtrade 98 Source : idem 99 Source : www.tibetcollection.com 100 Source : Wikipedia - www.wikipedia.org 101 Source :www.aidtoartisans.org 102 Source : www.marketplaceindia.org 103 Source : www.tibetcollection.com 104 Source : Wikipedia - www.wikipedia.org 105 Source : “Starbucks Gives Big Boost to East Timor Coffee Cooperative.” Cooperative Business Journal, Novembre 2004 106 Source : Ted Weihe, «Cooperative Fair Trade Coffee: The U.S. Experience «, U.S. Overseas Cooperative Development Council, Presentation to COPAC Conference on Fair Trade Coffee, January 21, 2005, Berlin, Germany 107 Source : : «Transfair USA and Fair Trade : Empowering People Around the World» - www.transfairusa.org 108 Source : idem 109 Cité dans : «Transfair USA and Fair Trade : Empowering People Around the World» - www.transfairusa.org 110 Source : Wikipedia - www.wikipedia.org 111 Source : idem 112 Source : idem 113 Source : « Fair Trade in Colombia : Justice in a time of war» - Lutheran World Relief - www. lwr.org/fairtrade 114 Source : Béatrice Louis et Guillaume Mouton « Le café équitable et biologique aide à nettoyer le conflit colombien» Projet EcoAmerica – Février 2009 - www.nature-propre.org 115 Source : www.imo.ch 116 Source : Béatrice Louis et Guillaume Mouton « Le café équitable et biologique aide à nettoyer le conflit colombien» Projet EcoAmerica – Février 2009 - www.nature-propre.org 117 Source : « Fair Trade in Colombia : Justice in a time of war» - Lutheran World Relief - www. lwr.org/fairtrade 118 Interview de Olivier De Schutter, Rapporteur spécial des Nations-Unies sur le droit à l’alimentation, dans «Switchez vers l’équitable - Semaine du Commerce Equitable 29 septembre - 9 octobre 2010» Edité par Max Havelaar Belgique 119 Source : idem 120 Quelques contacts : www.maxhavelaar.be, www.oxfammagasinsdumonde.be. Une liste plus complète est disponible sur le site du Trade for Development Centre (www.befair.be)

78 79 CTB - agence belge de développement TRADE FOR DEVELOPMENT centre rue haute 147 1000 Bruxelles T +32 (0)2 505 19 35 www.btcctb.org www.befair.be80