Haute-Normandie Archéologique, n° 11, fascicule 2, 2006 1 HAUTE-NORMANDIE ARCHÉOLOGIQUE

BULLETIN N° 11 fascicule 2 2006

Centre de Recherches Archéologiques de Haute-Normandie - Société Normande d’Etudes Préhistoriques Hôtel des Sociétés Savantes, 190 rue Beauvoisine, 76000

Haute-Normandie Archéologique, n° 11, fascicule 2, 2006 3

SOMMAIRE

Véronique LE BORGNE, Jean-Noël LE BORGNE, Gilles DUMONDELLE et Renée ROUSSEL : Trente ans de prospection aérienne au sein d’Archéo 27. La genèse d’une recherche, son aboutissement actuel : les cartes de communes informatisées p. 5

Véronique LE BORGNE, Jean-Noël LE BORGNE, Gilles DUMONDELLE : Bilan des activités de l’année 2006 de l’équipe de prospecteurs aériens (Archéo 27) dans le département de l’Eure p. 11

Christophe COLLIOU et François PEYRAT : Proposition et expérimentation d’un four de réduction de minerai de fer en ventilation naturelle p. 15

Dominique CLIQUET, Jean-Pierre LAUTRIDOU, Briagell HUET, Sébastien HEBERT : Le site du Long-Buisson, à Evreux (Eure) : une succession des Paléolithique inférieur et moyen p. 23

Dominique CLIQUET et Bruno AUBRY : Les stratégies de production sur le site paléolithique moyen de Mont-Saint- Aignan (Seine-Maritime) p. 37

Dominique CLIQUET et Jean-Pierre LAUTRIDOU : Une occupation de bord de berge il y a environ 350 000 ans à Saint- Pierre-lès- (Seine-Maritime) p. 49

Jean-Pierre WATTE et Gérard VAUDREL : Un polissoir fixe à Veulettes-sur-Mer (Seine-Maritime) p. 59

Jean-Pierre WATTÉ et Gérard VAUDREL : Une hache bipenne naviforme en Haute-Normandie, à Veulettes-sur-Mer (Seine-Maritime) p. 69

Vicenzo MUTARELLI : Le théâtre romain de à travers l’histoire : mutations d’un édifice de spectacle du Ier au XXIe siècle p. 75

Laurent GUYARD et Sandrine BERTAUDIERE : Le grand sanctuaire central du Vieil-Evreux (Eure) : résultats des fouilles 2005-2006 et perspectives 2007-2009 p. 83

Frédérique JIMENEZ, Florence CARRÉ, Serge LE MAHO : Une sépulture exceptionnelle à Louviers à la charnière des Ve et VIe siècles : réflexion autour de la restitution p. 95

Jean-Yves LANGLOIS : L’église mérovingienne et l’église abbatiale de moniales cisterciennes de Notre-Dame-de- Bondeville (Seine-Maritime, Haute-Normandie) p. 99

Nicolas ROUDIE et NICOLAS WARME : Léry (Eure), rue du 11 novembre et rue de Verdun. Bilan provisoire des fouilles de 2006 p. 109

Aude PAINCHAULT : Le château de la « Butte au Diable » à Maulévrier-Sainte-Gertrude (Seine-Maritime) p. 111

Gilles DESHAYES, Sébastien LEFÈVRE, Jimmy MOUCHARD avec la collaboration d'Erwan LECLERCQ : Le « Fort d’Harcourt » à Corneville-sur-Risle (Eure) p. 115

Bruno LEPEUPLE : Le château de Saint-Clair-sur-Epte à l’époque du duché de Normandie p. 119

Gilles DESHAYES et Bruno LEPEUPLE : La cave à cellules latérales du château de Hacqueville (Eure) p. 125

Jens Christian MOESGAARD : Découvertes de monnaies médiévales et modernes à Notre-Dame-de-Bondeville p.129

David JOUNEAU, Mark GUILLON, Rozenn COLLETER, Noémie ROLLAND, Nicolas KOCH : Le site de Saint-Crespin, à Romilly-sur-Andelle (Eure). Fouilles 2005-2006 p. 131

David JOUNEAU : Le site de Sainte-Radegonde (Eure). Fouilles 2006 p. 133

Patrick SOREL : Essai d’interprétation de vestiges archéologiques de moulins à eau : Saint-Wandrille-Rançon (Seine- Maritime) et Pennedepie (Calvados) p. 137

Bruno DUVERNOIS : (Seine-Maritime), la Porte de Rouen : sondages archéologiques et étude des élévations. Campagne 2006 p. 139

Alain ALEXANDRE : La sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine industriel. L’exemple de la vallée du (Seine- Maritime) p. 141

En couverture : Notre-Dame de Bondeville, fouille de l’église mérovingienne (Jean-Yves Langlois, ce volume)

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UN POLISSOIR FIXE A VEULETTES-SUR-MER (SEINE-MARITIME)

Jean-Pierre WATTE et Gérard VAUDREL

Résumé Description d’un polissoir fixe en grès découvert au Yaume, commune de Veulettes-sur-Mer, en Seine-Maritime. Des objets néolithiques de grande qualité, en particulier un gros aiguisoir ou polissoir à rainures, également en grès, provenant du même secteur, sont aussi décrits. Mots-clés Polissoir fixe. Néolithique. Veulettes-sur-Mer. Normandie.

1. INTRODUCTION

Un polissoir fixe a été découvert par l’un de nous (G. V.), sur la commune de Veulettes-sur-Mer, au Yaume, en Seine-Maritime. Le secteur, au sens très large, a livré à l’exploitant du lieu, M. Luc Marescot, une série d’objets néolithiques de grande qualité, en particulier une hache taillée trouvée au fond du vallon du Yaume, au niveau de la falaise. En outre, un gros aiguisoir ou polissoir à rainures, en grès, a été recueilli par G.V. dans un tas de cailloux provenant de l’épierrage du champ voisin, à quelques mètres du polissoir ; son poids est tel qu’il n’a pas dû être transporté sur une grande distance et donc il se trouvait à l’origine dans l’environnement immédiat de ce polissoir.

2. SITUATION

2.1 Situation géographique Veulettes

Veulettes-sur-Mer se situe à 55 km au nord-est du Havre, à 20 km à l’ouest de , en bordure des côtes de la Manche.

Fig. 1. Veulettes-sur-Mer. Situation géographique.

2.2 Situation topographique

Le Yaume occupe une portion du plateau du , dominant la mer, entre la petite valleuse de Saint- Martin-aux-Buneaux à l’ouest et une puissante vallée sèche au sud et à l’est, reliant les villages de et -Vénesville à la localité de Veulettes-sur-Mer ; à mi-chemin entre les deux, un troisième talweg, très court, sépare la plaine du Val à l’ouest de la plaine des Falaises à l’est. La zone est à peu près plate, à une altitude variant aux alentours de 80 m : les points les plus hauts se situent à 88 m à l’est immédiat de Saint-Martin-aux- Buneaux.

La vallée sèche aboutissant à Veulettes s’encaisse très profondément, d’une trentaine de mètres au sud, d’une soixantaine à l’est et de près de 80 au nord-est puisqu’elle atteint la mer à cet endroit. Le fond du talweg du Yaume, au niveau de la falaise, est situé à 27 m d’altitude : il témoigne dans ce secteur d’un recul net des falaises, absolument verticales ici, recul dû à une érosion particulièrement active aux périodes historiques. En effet, le camp du Catelier, construit à la fin de l’Age du Fer, à la veille de notre ère, juste à l’ouest de Veulettes a presque totalement disparu, rongé par l’avancée de la mer (Wheeler et Richardson, 1957). Le polissoir se trouve

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à l’est de la ferme du Yaume -ou le Haume sur certaines cartes anciennes-, au sud-est du départ d’un petit talweg situé entre cette ferme, la plaine des Falaises à l’est et celle du Yaume au sud.

Fig. 2. Veulettes-sur-Mer. Situation topographique du polissoir fixe.

2.3 Géologie

Le sous-sol, bien visible au niveau de la falaise, est constitué de craie à silex déposée au Coniacien. Ces formations ont été recouvertes au début de l’Eocène, au Sparnacien, de sables et de galets à l’origine de la formation de grès et de poudingue à ciment siliceux. Une érosion intense au milieu du Tertiaire a attaqué aussi bien ces formations détritiques que les niveaux sous-jacents, entraînant la formation de blocs épars et de poches résiduelles de sable et de grès d’une part et, d’argile à silex de décalcification d’autre part. Ainsi, le fond du talweg du Yaume est encombré par un chaos d’énormes blocs de grès et de poudingue. Au Quaternaire, la région a été recouverte par un manteau de loess.

3. CONTEXTE

3.1 Découvertes anciennes

Dans le Pays de Caux, toute la zone côtière témoigne de nombreuses occupations néolithiques. Localement, un certain nombre d’objets ont été signalés anciennement : des haches polies en silex à Vittefleur (Tougard et Bunel, 1876), à Angerville-la-Martel (Bourdet, 1880) « quelques silex ocreux néolithiques » et surtout une flèche à pédoncule et barbelures à Saint-Martin-aux-Buneaux, au lieudit les Petites Dalles, (Loisel, 1901). Il est regrettable qu’aucun dessin n’ait été publié pour cette dernière : la description qui en est donnée peut la faire ranger dans un complexe aussi bien campaniforme que Bronze ancien : « une pointe de flèche à barbelures et pédoncule rectangulaire à la base, d’un fini de taille qui n’a d’égal, en Normandie, que celle du tumulus de Beaumont-Hague près Cherbourg… ». Des séries plus importantes ont été recueillies à Saint-Pierre-en-Port (Gallois et Fortin, 1899) et Elétot (Egloff, 1909). L’habitat chasséen de Theuville-aux-Maillots, dont la fouille a permis la mise au jour de nombreuses structures et d’un matériel lithique et céramique abondant, n’est qu’à dix kilomètres de là (Watté, 1992).

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3.2 Découvertes récentes

A proximité du polissoir, les objets recueillis par Monsieur Luc Marescot et lors des prospections menées depuis dans le secteur confirment l’importance d’une implantation néolithique. En l’absence de fouilles, seuls de rares tessons, petits et très érodés ont été recueillis : ils ne permettent pas de proposer d’attributions chronologiques plus précises. La flèche de Saint-Martin-aux-Buneaux, une autre, en silex noir, à pédoncule et ailerons (coll. Vaudrel), également retrouvée dans un champ proche du polissoir, constituent certes des éléments tardifs mais qui ne peuvent servir à dater l’ensemble du mobilier récolté.

4. LES POLISSOIRS

4.1 Le polissoir fixe

Les zones polies occupent la face supérieure d’un bloc en grès siliceux légèrement rosé. Ce polissoir affecte une forme quadrangulaire. Il mesure 1,90 x 0,90 m, pour une hauteur dépassant du sol de 0,70 m. Une tige de fer enfoncée dans la terre jusqu’à 0,45 m n’a pas permis d’en déceler la base.

La partie supérieure est assez irrégulière. On note en particulier l’existence au sud-est d’une dépression en forme de haricot dont la partie nord est constituée par une curieuse cavité, très régulière, de 20 cm de diamètre pour une profondeur de 12, de forme tronconique -le fond a un diamètre de 13, 5 cm- ; ce trou, naturel à l’origine, semble avoir été régularisé par piquetage. Quoi qu’il en soit, il pouvait constituer une bonne réserve d’eau pour le polissage. La partie opposée à cet accident, au sud, est occupée par un bassin de forme à peu près arrondie, de 18 cm de diamètre pour 5,5 de profondeur ; la surface est usée mais non polie : il peut s’agir aussi bien d’une cuvette de polissage ayant encore peu servie que d’un creux naturel ayant servi de meule dormante. Une autre dépression, à la surface irrégulière, sans trace d’usure, occupe le nord-est du bloc. Tout au sud, la zone centrale montre une surface irrégulière ; elle a pu être dégradée par l’érosion.

Fig. 3. Veulettes-sur-Mer. Polissoir fixe ; au fond à gauche, face à la mer, vallon du Yaume (photo J.-P. Watté)

Les zones polies affectent la presque totalité de la moitié ouest de la face supérieure. On distingue une large plage émoussée de 1,20 x 0,30 à 0,40 m ; la partie nord-ouest, sur une surface de 90 x 35 cm, brille comme un

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4.2 L’aiguisoir à rainures

Il a été découvert à quelques mètres du polissoir fixe, dans un tas de cailloux provenant de l’épierrage des champs déposé le long de la clôture de la parcelle.

Il s’agit d’un bloc de grès jaunâtre, de forme globuleuse, de 320 x 245 x 155 mm, pour un poids de 16 kg. L’un de ses côtés est tronqué par une cassure récente. La face supérieure, légèrement convexe, présente huit sillons à profil en « U » ou en « V » ; les plus marqués atteignent 170 x 25 x 14 et 135 x 12 x3 mm. La face inférieure possède quatre sillons moins marqués, de 1 à 4 mm de profondeur.

Fig. 4. Veulettes-sur-Mer, le Yaume, Polissoir fixe, face supérieure (photo J.-P. Watté)

Fig. 5. Veulettes-sur-Mer, le Yaume. Polissoir, face supérieure (dessin G. Vaudrel)

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Fig. 6. Polissoir fixe. Le Yaume, Veulettes-sur-Mer. Détail de la cuvette et de la cavité (photo J.-P. Watté)

Fig. 7. Veulettes-sur-Mer, le Yaume. Polissoir fixe, rainures, en éclairage rasant (photo G. Vaudrel)

4.3 Eléments de comparaison

En Haute-Normandie, seuls quelques polissoirs portatifs ont été signalés (Watté, 1970, p. 148-155 ; 1992, p. 653 ; 2005) ; tous les exemplaires décrits anciennement n’ont pas forcément servi à polir des haches. De simples appellations « polissoir », « polissoir à main » peuvent correspondre à des meules à grain, à des molettes ou à des aiguisoirs. Les polissoirs fixes apparaissent encore plus rares . On ne peut guère signaler que, dans l’Eure :

- Houlbec-Cocherel, à proximité du dolmen des Hautes-Berges : un polissoir fixe en grès aurait été brisé vers 1845 pour en faire des moellons (Chédeville, 1908, p. 152).

- Marcilly-sur-Eure : au sud-ouest du dolmen « la Pierre des Druides », existe une table de grès de 1,70 x 1,35 m présentant huit rainures et cinq cuvettes (Coutil, 1897, 63).

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Sur les bords de la rive gauche de l’Eure, dans les prés de Fourché, près de château de Brazais, un bloc de grès et poudingue de 2,35 x 3 m, dépassant du sol de 0,60 m, présente une seule cuvette de 35 x 11 cm (Coutil, 1897).

Fig. 8. Veulettes-sur-Mer. Aiguisoir à rainures. Coll. G. Vaudrel (dessins J.-P. Watté)

- Menneval : un bloc de grès présentant une cuvette ovalaire (Dubois, 1900).

- Vernon : un bloc en grès jaunâtre, de 150 kg, avec sur sa face supérieure trois rainures mesurant respectivement 21, 20 et 18 cm de longueur sur un de profondeur, deux petites rainures et une cuvette e, sur

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la face inférieure, trois rainures de 20, 40 et 45 cm de longueur, pour 4 de large en moyenne et 1,5 à 2 cm de profondeur (Amaury, 1909),

et en Seine-Maritime :

- Notre-Dame-de-Gravenchon : « bloc important émergé du sol d’une trentaine de centimètres et qui mesure environ 1 m x 0 m 80. Il présente en surface trois cuvettes bien nettes et son pourtour semble avoir été usé « en gouttière » par le polissage. Bien que ne présentant pas de rainure de polissage, nous le considérons après multiples examens comme un polissoir ». . Il se trouverait à un emplacement nommé la Butte, au lieudit les Bancaux, au sein d’un petit gisement néolithique dont le matériel a été déposé au Musée de Lillebonne (Yvart, 1954, p. 27).

C’est le seul polissoir fixe qui ait été signalé dans ce département et encore, semble-t-il avec réserve. Aucune photo ou plan n’en a été donné et il n’a pas été possible encore de le retrouver, s’il existe toujours, dans la mesure où des pavillons ont été construits dans le secteur ces dernières années. Le polissoir fixe dûment reconnu à Veulettes prend donc une importance toute particulière : c’est vraiment le seul dont on puisse faire état à coup sûr dans le département.

L’aiguisoir à rainures constitue aussi un objet exceptionnel : peu de pièces de ce type ont été signalées (Watté, 1975) et il s’agit manifestement de l’exemplaire le plus volumineux recueilli à ce jour en Haute-Normandie.

5. MATERIEL LITHIQUE DE LA COLLECTION LUC MARESCOT

L’épierrage des champs et la récolte mécanisée des pommes de terre qui nécessite ensuite un tri des produits récoltés a permis à Monsieur Luc Marescot de réunir une collection de silex taillés ; ceux-ci proviennent à la fois du contexte immédiat du polissoir et de terres situées plus loin. Parmi les objets les plus marquants, on note : - herminette taillée (fig. 9, n° 1), en silex blond-gris, de 82 x 45 x 28 mm. Tranchant très dissymétrique, à fil rectiligne. Section lenticulaire asymétrique. - hache à polissage très partiel (fig. 9, n° 2), en silex gris et blanc, de 82 x 36 x 24 mm. Section lenticulaire. Tranchant présentant des écrasements qui l’ont totalement détérioré. Le polissage affecte seulement les côtés, d’une façon partielle, et quelques arêtes des faces. - Hache polie au tranchant retaillé (fig. 9, n° 3), en silex gris blanc, de 109 x 51 x 30 mm. Tranchant retaillé biface. Section ovalaire. - Herminette (fig. 9, n° 4) en grès blanc, de 83 x 39 x 24 mm. Tranchant à fil légèrement courbe. Section ovalaire. L’ébauche a été piquetée avant d’être soigneusement polie : de cette phase, subsistent des traces au talon et, en partie, sur les côtés. Le caractère original de cette pièce réside dans le matériau utilisé : le grès blanc local ; il est évident que cette roche, bien moins dure que le silex, diminuait sensiblement l’efficacité de l’outil. Cet inconvénient, alors que le silex de très bonne qualité abonde partout dans la région, n’a pas empêché son utilisation de temps à autre pour de tels outils. On connaît par exemple un exemplaire de ce type à -Saint- Léonard (coll. des Musées Municipaux de Fécamp) (Watté, 1970, p. 145 ; 1995, p. 42, fig. 12, n° 5) ou, dans l’Eure, à Coudres (id., 1970, p. 145). - Ciseau à polissage partiel (fig. 9, n° 5), en silex blanc, de 114 x 24 x21 mm. Section trapézoïdale dans la partie antérieure, triangulaire vers la base. Retouche directe des côtés, biface sur l’arête centrale de la partie triangulaire. Face inférieure plane. Très léger polissage sur quelques arêtes et sur les faces inférieure et supérieure du tranchant. - Herminette polie (fig. 9, n° 6), brisée, en silex zoné gris blanc, de (100) x 58 x 35 mm. Section ovalaire. Tranchant légèrement asymétrique, à fil convexe. Un enlèvement longitudinal sur la face inférieure, percuté à partir du talon, n’a pas été totalement résorbé par le polissage. - Ciseau (fig. 9, n° 7), en silex gris, de 143 x 35 x 27 mm. Section quadrangulaire. Toutes les faces sont taillées, évoquant les formes de certains ciseaux en grès montmorenciens. Le tranchant et une des arêtes latérales sont écrasés : usage secondaire en percuteur ? - Petit pic, vraisemblablement « retouchoir »-élément de briquet (fig. 9, n°8), en silex blanc, de 95 x 31 x 23 mm. Section losangique. Côtés aménagés par une retouche biface. - Ciseau à tranchant étroit (fig. 9, n° 9), en silex blanc, de 166 x 35 x 30 mm. Section losangique. Côtés aménagés par une retouche biface. Léger polissage des extrémités, sur les deux faces, et de certaines arêtes. - Hache taillée (fig. 9, n° 10), en silex blanc, de 205 x 72 x 33 mm. Taille très soigneuse. Section lenticulaire. Tranchant symétrique, à fil droit. Cet objet a été trouvé à l’extrémité nord du vallon du Yaume, au niveau des falaises. - Ciseau partiellement poli (fig. 10, n° 1), en silex gris et blanc, de 120 x 35 x 17 mm. Section lenticulaire. Tranchant symétrique, à fil droit. Bords aménagés par une retouche biface plate. Vers le talon, subsiste une zone corticale. Celle-ci, de même que le taillant dans sa partie supérieure et quelques arêtes ont été polis. Des objets

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Fig. 9.- Veulettes-sur-Mer, Le Yaume et environs. 1 : herminette taillée ; 2 : hache taillée partiellement polie ; 3 : hache polie au tranchant retaillé ; 4 : herminette polie en grès ; 5-9 : ciseaux à léger polissage ; 6 : hache polie ; 7 : ciseau ; 8 : « retouchoir-élément de briquet ; 10 : hache taillée. Coll. Luc Marescot (dessins J.-P. Watté).

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Fig. 10. 1 : ciseau partiellement poli ; 2 : pic ; 3 : « retouchoir »-élément de briquet ; 4 : lame ; 5 : hache polie cassée et réutilisée ; 6 : oursin percuteur utilisé comme nucléus. (Coll. Luc Marescot) (dessins J.-P. Watté).

similaires ont été signalés épisodiquement dans la région : à Bretteville-du-Grand-Caux (Lechevalier, 1964, p. 119) ? à Tourville-les-Ifs et Saint-Léonard (Watté, 1972 ; 1995, p. 45, n° 9-10).

- Pic (fig. 10, n° 2), en silex gris et noir taché de points blancs, de 108 x 38 x 20 mm. Section losangique sur les ¾ de la longueur, vaguement lenticulaire à la base. Côtés aménagés par une retouche biface. - « Retouchoir »-élément de briquet (fig. 10, n° 3), en silex gris et noir, de 83 x 25 x 13 mm. Sur la partie supérieure, on remarque les restes d’une géode de forme allongée tapissée de petits cristaux de quarts. Lame de section à tendance trapézoïdale, avec une retouche profonde denticulée du côté gauche. Extrémité distale à troncature retouchée, très usée. - Lame (fig. 10, n° 4), en silex noir, de 100 x 27 x 10 mm : indice d’allongement = 4,1. Pièce à quatre pans, très courbe. Le plan de frappe, légèrement abîmé aujourd’hui, était mince. Bulbe lisse non proéminent. Tous ces caractères plaident en faveur de l’utilisation du chasse-lame pour le débitage. - Hache polie (fig. 10, n° 5), en silex gris clair et gris foncé, à petites taches blanches de (60) x 60 x 21 mm. Pièce fracturée, avec amincissement de la nouvelle base, sur les deux faces, pour permettre un nouvel emmanchement. Section à pans légèrement coupés. Tranchant symétrique, à fil droit. - Oursin utilisé comme percuteur et peut-être comme nucléus (fig. 10, n° 6). Dans son état actuel, il mesure 74 x (55) x 62 mm. Il s’agit donc d’une espèce de grande dimension, Echinocorys, peut-être gibbus (Lamarck) ou scutatus (Leske). La partie supérieure manque, littéralement décalottée ; celle-ci cependant n’était pas forcément bien fossilisée : les restes d’une petite géode de 20 x 15 mm se remarquent à sa surface. Le pourtour de la base et de la partie sommitale, le périprocte, sont couverts partiellement d’écrasements caractéristiques. Des enlèvements ont été opérés à partir de la surface de fracture affectant la zone apicale ; il peut s’agir du détachement volontaire d’éclats, mais ces stigmates peuvent aussi résulter de fractures dues à la percussion. D’autres exemples de l’utilisation d’oursins fossiles comme outils sont connus au Néolithique en Haute- Normandie : dans la proche région de Veulettes, au Havre, à Theuville-aux-Maillots et Yport-Saint-Léonard (Watté, à paraître 2007).

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5. CONCLUSION ET PERSPECTIVES

Il est probable que d’autres polissoirs fixes ont existé dans la région. Autour même de Saint-Valéry, au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, un certain nombre de propriétaires ont profité de l’existence d’explosifs dans le secteur pour faire sauter des blocs qui les gênaient. Il convient donc de profiter de l’existence de cet exemplaire exceptionnel par son caractère unique pour en étudier le contexte immédiat : un atelier de taille existait-il à proximité ou venait-on des alentours, à l’occasion, pour polir la hache que l’on venait de tailler et repartir ensuite chez soi ? Des sondages sont envisagés pour répondre à cette question en 2007.

Jean-Pierre Watté Archéologue Honoraire du Muséum du Havre et UMR 6566 Université de Rennes Gérard Vaudrel

Références bibliographiques

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