LES ORIGINES ET LES TRANSFORMATIONS INSTITUTIONNELLES DU ROYAUME DE SHU (907-965)

Par

Sébastien Rivest Département d‟études est-asiatiques Université McGill, Montréal

Mémoire présenté à l‟Université McGill en vue de l‟obtention du grade de Maîtrise ès arts (M.A.)

Septembre 2010

© Sébastien Rivest, 2010 Library and Archives Bibliothèque et Canada Archives Canada Published Heritage Direction du Branch Patrimoine de l'édition

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TABLE DES MATIÈRES :

Abstract/Résumé ii

Remerciements iii

Conventions iv

Abréviations v

Introduction 0.1 La transition Tang-Song 1 0.2 Les rapports État-société 4 0.3 Les enjeux historiographiques 9

I Le contexte historique 16 1.1 L‟érosion de l‟aristocratie (763-875) 16 1.2 Le temps des rébellions et la destruction de l‟aristocratie (860-907) 29 1.3 Les Cinq dynasties et le nouvel ordre politique (907-960) 36

II Le Royaume de Shu antérieur (907-925) 49 2.1 Les loyalistes en exil à 56 2.2 Le loyalisme de l‟armée Zhongwu 65 2.3 La morphologie d‟un État loyaliste 79 a) Les Trois départements 81 b) Le Secrétariat impérial 83 c) La Chancellerie impériale 92 d) Le Département des affaires d‟État 98 e) La dichotomie entre lettrés de cour et militaires 102

III Le Royaume de Shu postérieur (934-965) 108 3.1 Les associés de Meng Zhixiang et les régents de son successeur 113 3.2 Le développement des préfectures 129 3.3 Une bureaucratie renouvelée, un État transformé 136

Conclusion 143

Bibliographie sélective 151

i ABSTRACT : This thesis is a regional case study on the metamorphosis of state institutions at a time when China went through an important period of political division. This period was known as the Five Dynasties and Ten Kingdoms (907-979), which followed the downfall of the Tang Empire (618-907). At this time, the Kingdom of Shu, which was located approximately in the present-day province of Sichuan in Southwest China, was in the process of forming an independent political entity successively governed by two different regimes. In search of a better understanding of the evolution of this kingdom, I am analyzing the process by which a change of regime ushered in new elites to state control, which affected not only the state structure, but also the nature of the interactions between society and various levels of political power.

RÉSUMÉ : Ce mémoire ce veut être une étude de cas régional sur la métamorphose des institutions étatiques à une époque où la Chine traverse une importante période de division politique. Il s‟agit de la période qui suit la chute de l‟empire Tang (618-907), laquelle est connue sous le nom de Cinq dynasties et Dix royaumes (907-979). À cette époque, le Royaume de Shu, lequel correspondait à l‟actuelle province du Sichuan dans le Sud-ouest de la Chine, formait alors une entité politique indépendante successivement gouvernée par deux régimes différents. En quête d‟une meilleure compréhension de l‟évolution de ce royaume, j‟y analyse le processus par lequel un changement de régime amène de nouvelles élites au contrôle de l‟État, ce qui non seulement affecte la structure de l‟État, mais également la nature des interactions entre la société et les divers échelons du pouvoir politique.

ii REMERCIEMENTS : Pour la plupart des étudiants à la maîtrise, la rédaction d‟un mémoire est un défi considérable. Pour cause, rares sont ceux qui eurent au préalable le loisir d‟écrire des essais excédant la trentaine de pages. Bien que largement compensées par les délices de l‟engagement intellectuel, ce serait mentir que de dire que cette aventure ne fit à aucun moment l‟objet d‟angoisses liées au désir de bien faire. Ainsi, si aujourd‟hui je peux me féliciter d‟avoir accompli une tâche significative, en revanche je ne peux taire les tapes sur l‟épaule qui m‟ont prémuni contre la tentation de baisser les bras.

Naturellement, je dois rendre une fière chandelle à ceux sans qui moi et mon mémoire ne vaudraient même pas la défaite des Plaines. Notamment, j‟ai la chance d‟avoir une perle rare pour épouse, Xing Qin 邢琴, laquelle est admirable en tous points, elle qui me couvre inlassablement d‟amour et qui me réitère constamment sa confiance en mes capacités. La nature a également voulu que j‟aie de bons parents, André Rivest et Odette Moreau, eux qui ont fait en sorte que je ne manque de rien et qui m‟ont inculqué de bonnes valeurs, sans lesquelles je ne serais pas où j‟en suis. Une pensée serait également suggérée pour ma marraine Francine Moreau et mon parrain Pierre Moreau, lequel m‟a le premier encouragé à étudier l‟histoire. À leur façon, mes amis m‟ont eux aussi apporté un soutient dont je n‟aurais pu me dispenser. Je tiens tout particulièrement à exprimer ma reconnaissance envers le professeur Robin D. S. Yates. D‟une part, je tiens à le remercier pour ses bons conseils et tout ce qu‟il fit et continu de faire pour moi. Il est incontestablement un chic professeur, un gentleman, qui fait constamment preuve d‟ouverture et d‟un incroyable respect d‟autrui. D‟autre part, j‟aimerais rendre hommage à ses efforts soutenus pour constamment enrichir notre collection de sources chinoises, lui qui ne cesse d‟offrir à ses frais des ouvrages de qualité à la bibliothèque. J‟aimerais également témoigner ma gratitude à l‟endroit des professeurs Kenneth Dean et Griet Vankeerberghen, lesquels ont eux aussi contribué à ma formation à McGill, ainsi qu‟au professeur Christian Lamouroux de l‟École des Hautes Études en Sciences Sociales, lequel me fit l‟honneur d‟accepter de lire et commenter le présent mémoire. Enfin, mille fois merci au C. R. S. H. pour la précieuse bourse qui me fut octroyée au cours de l‟année scolaire 2008-2009.

iii CONVENTIONS : Le système de romanisation communément appelé pinyin a été employé pour l‟orthographe des noms propres d‟origine chinoise. Pour ce qui est des termes techniques chinois que nous avons traduit en français, le lecteur pourra les trouver entre parenthèse à la suite des traductions. Dans de tels cas, nous avons inséré aussi bien les caractères originaux que leur transcription phonétique. Par contre, lorsque nous avons traduit des passages plus longs tirés des sources primaires, faute d‟espace, la traduction n‟est généralement suivie que des caractères chinois. Enfin, la plupart des sources primaires mentionnées en notes sont sous forme abrégée. Le lecteur trouvera une liste des abréviations utilisées à la page suivante et devra se reporter à la bibliographie des ouvrages cités en fin de mémoire pour consulter les références bibliographiques complètes.

iv ABRÉVIATIONS :

CFYG : Cefu yuangui 冊府元龜 DDSL : Dongdu shilue 東都事略 JGZ : Jiuguo zhi 九國志 JJL : Jianjie lu 鋻誡錄 JTS : Jiu Tang shu 舊唐書 JWDS : Jiu Wudai shi 舊五代史 SGCQ : Shiguo chunqiu 十國春秋 SS : Song shi 宋史 STW : Shu taowu 蜀檮杌 THY : Tang huiyao 唐會要 WDHY : Wudai huiyao 五代會要 WDSB : Wudai shibu 五代史補 WGGS : Wuguo gushi 五國故事 XTS : Xin Tang shu 新唐書 XWDS : Xin Wudai shi 新五代史 ZZTJ : Zizhi tongjian 資治通鑑

v INTRODUCTION

0. 1 La transition Tang-Song En 1922, le sinologue japonais Naitō Konan 内藤湖南 (1866-1934) publia un article influent dans lequel il exposa son théorème de la « transition Tang-Song »1. En l‟occurrence, il y avançait l‟hypothèse que durant les dynasties Tang 唐 (618-907) et Song 宋 (960-1279), la Chine vécut de profondes transformations marquant une rupture entre les périodes « médiévale » et « moderne ». Bien qu‟ardemment insufflée par l‟expérience européenne2, une telle périodisation historique avait néanmoins la légitimité de reposer sur deux prémisses largement corroborées. D‟une part, la dissolution d‟une élite de type aristocratique comme groupe organisé dominant le théâtre politique3 et sa substitution par des bureaucrates en théorie sélectionnés grâce à un système d‟examens4. D‟autre part, l‟abandon d‟une vision physiocratique de l‟économie et de la société, une vive intensification des échanges commerciaux, une forte hausse démographique ainsi qu‟un formidable essor de l‟urbanisation5.

1 Naitō Konan, « Gaikatsuteki Tō-Sō jidai kan 概括的唐宋時代觀 », Rekishi to chiri 歷史と地理 9. 5 (1922), pp. 1-12. L‟article intégral fut traduit en anglais par Joshua A. Fogel sous le titre « A Comprehensive Look at the T‟ang-Sung Period », Chinese Studies in History 17. 1 (1983), pp. 88-99. Voir également Joshua A. Fogel, Politics and Sinology: The Case of Naitō Konan (1866-1934) (Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 1984), pp. 163-210; Miyakawa Hisayuki, « An Outline of the Naitō Hypothesis and Its Effects on Japanese Studies of China », Far Eastern Quarterly 14. 4 (1955), pp. 533-553. 2 Luo Yinan, « A Study of the Changes in the Tang-Song Transition Model », Journal of Song-Yuan Studies 35 (2005), pp. 101-102; Richard von Glahn, « Imagining Pre-modern China », dans Paul Jakov Smith et Richard von Glahn, éds., The Song-Yuan-Ming Transition in Chinese History (Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 2003), pp. 37-39. 3 Le terme « aristocratie » pour désigner les quelques familles dominant les institutions politiques sous la dynastie Tang tiendrait surtout à leurs conditions de reproduction sociale. Ainsi, ces familles auraient monopolisé les postes à la cour sur plusieurs générations grâce à des privilèges héréditaires et des pratiques endogames clairement circonscrites par des généalogies. Sur ces questions, voir Patricia B. Ebrey, The Aristocratic Families of Early Imperial China : A Case Study of the Po-ling Ts’ui Family (Cambridge : Cambridge University Press, 1978); David G. Johnson, The Medieval Chinese Oligarchy (Boulder : Westview Press, 1977); James L. Watson, « Chinese Kinship Reconsidered : Anthropological Perspectives on Historical Research », China Quarterly 1982. 92, pp. 589-622. 4 John W. Chaffee, The Thorny Gates of Learning in Sung China : A Social History of Examinations (Cambridge : Cambridge University Press, 1985); Thomas H. C. Lee, Government Education and Examinations in Sung China (New York : St Martin‟s Press; Hong Kong : The Chinese University Press, 1985). 5 Denis C. Twitchett, « The T‟ang Market System », Asia Major, new series, 12. 2 (1966), pp. 202-248; « Merchant, Trade and Government in Late T‟ang », Asia Major, new series, 14. 1 (1968), pp. 63-95; Shiba Yoshinobu, Commerce and Society in Sung China, trad. Mark Elvin (Ann Arbor : The University of Michigan Press, 1970); Heng Chye Kiang, Cities of Aristocrats and Bureaucrats : The Development of Medieval Chinese Cityscapes (Honolulu : University of Hawai‟i Press, 1999); Christian Lamouroux, « Commerce et bureaucratie dans la Chine des Song (Xe-XIIe siècle) », Études rurales 161-162 (2002), 1 Inspirés des travaux de Naitō, de nombreux sinologues cherchèrent à approfondir la nature des transformations socioéconomiques de cette période pour mieux en saisir les conséquences globales sur les périodes subséquentes. Notamment, s‟appuyant sur lesdites prémisses de la « transition », Robert M. Hartwell entreprit d‟en documenter les axiomes afin de mieux comprendre comment les changements socioéconomiques affectèrent les institutions politiques de l‟empire et vice-versa6. Ainsi fit-il remonter les origines du processus de transformation aux crises politiques de la dynastie Tang, notamment la rébellion d‟An Lushan 安祿山 (755-763)7, dont le contrecoup décisif aurait été d‟avoir durablement secoué le traditionnel cœur économique et politique de l‟empire, la plaine septentrionale, et entraîné une modification de l‟ordre géopolitique en faveur des régions méridionales. Du coup, les exodes migratoires, la mise en valeur du Sud, et l‟explosion démographique qui l‟accompagna, ainsi que le déclin de l‟autorité impériale entre les VIIIe et Xe siècles auraient conduit à l‟émergence de nouvelles élites dites « professionnelles », lesquelles dominèrent l‟État sous la dynastie Song. Selon Hartwell, en dépit de leur ampleur, les bouleversements socioéconomiques eurent, semble-t-il, une incidence politique plutôt restreinte, se limitant pour ainsi dire à une restructuration spatiale du pouvoir politique. C‟est-à-dire, le développement d‟entités administratives régionales et locales répondant aux nouvelles structures démographiques et une progressive relocalisation des centres d‟autorité politique vers le Sud. Toutefois, en ce qui a trait à la signification historique de la venue de nouvelles élites, Hartwell se posa en termes résolument révisionnistes. Ainsi, auteur d‟une critique polémiste des thèses d‟Edward A. Kracke, lequel inférait que le système des examens de la dynastie Song fut un grand vecteur de mobilité sociale8, il argumenta en pp. 183-213; Valerie Hansen, Changing Gods in Medieval China, 1127-1276 (Princeton : Princeton University Press, 1989). 6 Robert M. Hartwell, « Demographic, Political, and Social Transformations of China, 750-1550 », Harvard Journal of Asiatic Studies 42.2 (1982), pp. 365-442. Pour une analyse récente de la contribution d‟Hartwell, voir Luo Yinan (2005 : 101-113). 7 Sur la rébellion d‟An Lushan, voir Robert des Rotours, trad., Histoire de Ngan Lou-chan (Paris : Presses Universitaires de France, 1962); Edwin G. Pulleyblank, The Background of the Rebellion of An Lu-shan (London : Oxford University Press, 1955); Jonathan Karam Skaff, « Barbarians at the Gates? The Tang Frontier Military and the An Lushan Rebellion », War & Society 18. 2 (2000), pp. 23-35. 8 Edward A. Kracke, « Family vs. Merit in Chinese Civil Service Examinations under the Empire », Harvard Journal of Asiatic Studies 10. 2 (1947), pp. 103-123; Civil Service in Early Sung China, 2 faveur du fait que les élites se maintenaient au sommet de la hiérarchie sociopolitique grâce à un accès quasi héréditaire aux fonctions bureaucratiques9. D‟après le raisonnement d‟Hartwell, les bureaucrates de la dynastie Song ne se distinguaient fondamentalement pas de l‟ancienne clientèle impériale de la dynastie Tang. En ce sens qu‟eux et leurs progénitures se seraient également perpétués au pouvoir grâce au népotisme et à l‟endogamie, tandis que les examens n‟auraient été qu‟un « non-facteur virtuel de mobilité sociale »10. En fait, selon lui, l‟avènement de nouvelles élites n‟apparaît que comme le reflet d‟un changement de fortune, d‟un basculement spatial de la suprématie économique et sociopolitique. Autrement dit, ailleurs émerge un nouveau groupe de familles maintenant une même attitude face au pouvoir que leurs prédécesseurs ayant perdu la prééminence en raison d‟un simple déclin régional. Il ne s‟agirait donc que d‟une substitution traditionaliste ne faisant l‟objet d‟aucune remise en question de l‟ordre ancien. Rétrospectivement, il nous semble clair que la transformation des élites entre les VIIIe et Xe siècles ne saurait s‟expliquer uniquement du fait de causes économiques, ou de changements géopolitiques, sans tenir compte de facteurs culturels. Car, après tout, les différences entre les valeurs défendues par les membres de la clientèle impériale de la dynastie Tang et lesdites élites « professionnelles » de la dynastie Song sont plutôt significatives. Ainsi, s‟appuyant sur une comparaison des épitaphes dédiées aux hommes d‟État influents des dynasties Tang et Song, Beverly J. Bossler confirme l‟idée voulant qu‟une transformation des normes culturelles régissant le prestige des élites ait survenu entre les deux dynasties11. Selon son analyse, les épitaphes Tang

960-1067 (Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 1953). 9 Durant les années 1980-1990, le recrutement bureaucratique attira particulièrement l‟attention. Alors, le principal débat consistait à savoir dans quelle mesure les examens furent une voie de mobilité sociale sous la dynastie Song. Il fut entre autres établi que la seule réussite aux examens ne garantissait en rien l‟obtention d‟un poste bureaucratique et que les affinités politiques demeuraient cruciales. Cependant, il semble que les prestigieux réseaux sociaux n‟étaient pas aussi clos qu‟on aurait pu le croire, la réussite aux examens pouvant parfois y donner accès. Pour une synthèse du débat et ses enjeux, voir entre autres Patricia B. Ebrey, « The Dynamics of Elite Domination in Sung China », Harvard Journal of Asiatic Studies 48. 2 (1988), pp. 493-519; Beverly J. Bossler, Powerful Relations : Kinship, Status, and the State in Sung China (960-1279) (Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 1998). 10 L‟expression vient de John W. Chaffee (1985 : 11). Voir également Peter K. Bol, « The Sung Examination System and the Shih », Asia Major, 3rd series, 3. 2 (1990), pp. 149-171. 11 Beverly J. Bossler (1998 : 12-24). Pour un autre argument allant dans le même sens, voir Peter K. Bol, “This Culture of Ours” : Intellectual Transitions in T’ang and Sung China (Stanford : Stanford University Press, 1992), pp. 32-75. 3 insisteraient sur l‟appartenance à un illustre lignage conférant un irréprochable pedigree prédéterminant les relations sociales et agissant telle une garantie de moralité. À l‟opposé, les épitaphes Song cesseraient quant à elles d‟insister sur les ancêtres lointains pour se focaliser sur les descendants dont le statut social ne garantit plus la moralité. À l‟inverse, le degré de moralité conditionne désormais le statut social, faisant ainsi en sorte que les prestigieux réseaux sociaux s‟ouvrent dans une certaine mesure aux plus doués.

0. 2 Les rapports État-société À l‟avènement de la dynastie Song en 960, la culture aristocratique serait donc devenue obsolète. Ce qui ne veut en rien dire que le système de recrutement étatique devint totalement objectif, impersonnel et méritocratique. Après tout, les luttes de pouvoir sont inhérentes à toute forme organisationnelle et il est fatal que les acteurs engagés développent constamment de nouvelles stratégies adaptées aux conditions du temps pour se maintenir dans une position dominante. Seulement, pour être à même d‟exercer une autorité, celle-ci doit avant tout être légitime, donc être reconnue et fondée sur un ensemble de valeurs diffusées dans la société. Or, depuis la fin du VIIIe siècle, comme nous le verrons plus en détail au premier chapitre, les changements socioéconomiques et politiques qui affectèrent l‟empire furent accompagnés de nouvelles valeurs et attitudes remettant en cause la légitimité de l‟aristocratie. Pierre Bourdieu a certainement raison de soutenir que le pouvoir politique ne représente toujours qu‟un « champ » parmi d‟autres et que ses discours ne sauraient émaner d‟eux-mêmes12. En fait, ceux-ci devraient plutôt être compris dans leurs relations avec les autres « champs », ainsi qu‟avec l‟univers social qui les motive. Autrement dit, il y aurait une homologie entre l‟espace politique et l‟espace social, de sorte que toute action étatique doit être accompagnée « d‟une disposition à la reconnaissance » permettant d‟obtenir la collaboration des gouvernés « grâce à l‟assistance des mécanismes sociaux capables de produire [une] complicité »13. Or,

12 Pierre Bourdieu, Langage et pouvoir symbolique (Paris : Éditions du Seuil, 2001), pp. 155-279. 13 Pierre Bourdieu (2001: 167). 4 cette complicité, affirme Bourdieu, ne saurait être obtenue durablement moyennant la force physique. Ainsi développe-t-il la notion de « pouvoir symbolique » pour expliquer qu‟à l‟intérieur de hiérarchies établies, dans lesquelles existent certaines valeurs communes, le pouvoir s‟exerce généralement à l‟intérieur même de la vie sociale par des gestes symboliques rendant le pouvoir non seulement invisible et méconnu, mais surtout reconnu donc légitime. Du coup, pour pouvoir transformer la société, il faut d‟abord être en mesure d‟y transformer la compréhension du monde social, ce de manière à inverser le rapport des forces menant à la domination et à l‟imposition du pouvoir symbolique, une entreprise qui ne va pas de soi. Depuis fort longtemps, nous sommes accoutumés à une littérature nous disposant à percevoir l‟État et ses institutions comme des superstructures d‟autorité imposant de constantes contraintes aux individus, lesquels revêtent des allures de fantoches désemparés sous la main du pouvoir politique tirant les ficelles. Pensons par exemple à Max Weber, pour qui la bureaucratie incarnait une machine indestructible de contrôle, la quintessence du pouvoir politique, le fer de lance du despotisme, la marque distinctive de l‟État moderne rationnel14. Ou encore, Étienne Balazs qui semblait tellement croire en la sociologie wébérienne, approchée tel un ensemble de lois historiques, qu‟il chercha les leçons à tirer de la bureaucratie en Chine impériale pour mieux anticiper le futur totalitaire de l‟Occident15. En fait, l‟empreinte de la cybernétique est telle que nous cherchons rarement à savoir en quoi les individus contraignent eux aussi les institutions. Michel Crozier et Erhard Friedberg, notamment, nous avisaient du danger de concevoir les organisations telles des objets autarciques investis d‟une rationalité intrinsèque leur permettant invariablement de réaliser leurs finalités, lesquelles s‟imposeraient à des acteurs déjà conditionnés par la rationalité organisationnelle16. Car, selon eux, les organisations ne seraient guère plus que des construits sociaux à l‟intérieur desquels s‟organisent les actions collectives. Ainsi, ce serait avant tout les

14 Max Weber, « Bureaucracy », dans H. H. Gerth et C. Wright Mills, trad.-éd., From Max Weber : Essays in Sociology (New York : Oxford University Press, 1974), pp. 196-239. 15 Étienne Balazs, La bureaucratie céleste. Recherches sur l’économie et la société de la Chine traditionnelle (Paris : Éditions Gallimard, 1968), pp. 41-43. 16 Michel Crozier, Erhard Friedberg, L’acteur et le système (Paris : Éditions du Seuil, 1977), pp. 15-37. 5 acteurs qui donnent corps aux organisations. Et comme ceux-ci poursuivent en tout temps leurs propres objectifs, lesquels sont tantôt conciliables tantôt contradictoires, il ne peut jamais y avoir une parfaite homogénéité des vues. Pour cette raison, au sein des organisations se déroule un perpétuel jeu stratégique dont les enjeux sont toujours redéfinis. C‟est-à-dire que tous les acteurs entendent constamment voir triompher leurs intérêts, ce qu‟ils ne parviennent jamais à réaliser pleinement, aussi puissants soient-ils, car sans cesse forcés de négocier avec une part d‟incertitude quant aux choix des autres, lesquels vont inévitablement chercher à adapter leurs propres stratégies. Ainsi, chaque organisation est astreinte à une contingence structurelle liée aux complexes relations de pouvoir inhérentes à toutes formes organisationnelles. Il serait donc inapproprié de chercher à présenter un idéal-type de la bureaucratie ou de ne pas chercher à comprendre comment la société pouvait transformer l‟État. En ce sens, Marie-Ève Ouellet nous fit prendre conscience de l‟urgence de concilier deux approches pour parvenir à une meilleure intelligence de l‟histoire étatique17. D‟une part, l‟approche « institutionnelle », laquelle tend à privilégier les structures gouvernementales. D‟autre part, l‟approche « sociale » qui préfère étudier l‟État à travers ses relations avec la société plutôt que par le biais de ses institutions. Ainsi, en analysant l‟évolution des institutions étatiques en parallèle avec le contexte social, autrement dit en joignant des perspectives structurelles et pratiques, il sera possible de gagner une nouvelle vision corrélative, donc productive, des rapports État-société. Du coup, nous pourrons également nous sensibiliser aux limites du pouvoir politique et à l‟importance des réseaux sociaux dans l‟exercice du pouvoir. En nous inspirant de ces quelques fondements théoriques, notre objectif sera donc de parvenir à une meilleure compréhension de la transformation des élites et des institutions étatiques durant ladite « transition Tang-Song ». D‟emblée, disons que, par transformation des élites, nous n‟entendons pas un simple processus par lequel un groupe donné dominant le pouvoir politique se transforme spontanément de par sa propre nature en assurant sa perpétuité. En fait, nous l‟entendons plutôt comme l‟issue

17 Marie-Ève Ouellet, « Structures et pratiques dans l‟historiographie de l‟État en Nouvelle-France », Bulletin d’histoire politique 18. 1 (2009), pp. 37-50. 6 de luttes nées d‟une contestation de la légitimité d‟un groupe dominant par d‟autres groupes sociaux aptes à se substituer au précédent ou à le forcer à se conformer à de nouvelles normes. Ainsi, de « élites » pouvons-nous donner la définition suivante : « Un syntagme permettant d‟embrasser […] les divers types de groupes dirigeants ou dominants qui se sont succédé […] et dont les appellations datées ont changé au fil des régimes. [Surtout, il rappelle] la forme plurielle des groupes en lutte dans le champ du pouvoir et leur légitimité en permanence contestée »18. Selon nous, un principe fondamental est donc celui de la pluralité des élites que compte une société, lesquelles peuvent se distinguer de plusieurs manières, à débuter par la nature de leurs activités, la source et l‟étendue de leur autorité. Naturellement, les élites auxquelles il nous est le plus facile de faire allusion en contexte impérial sont celles qui se rattachent à l‟État, c‟est-à-dire aux multiples institutions qui incarnent la puissance politique de l‟empereur et sa cour. Toutefois, ne considérant que de telles élites et faisant abstraction de la pluralité, il devient trop aisé d‟associer les sujets de l‟empire à un vaste « groupement [dont] le maintien de l‟ordre est garanti par le comportement de personnes déterminées, instituées spécialement pour en assurer l‟exécution » et de définir l‟État comme « une entreprise politique de caractère institutionnel lorsque et tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans l‟application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime »19. Certes, nous ne répudions pas l‟intégralité de ce postulat wébérien, à savoir que l‟État correspond à une forme d‟organisation politique supérieure qui se situe au-dessus de la société grâce à un appareil administratif et juridique sophistiqué. Seulement, nous nous opposons à l‟idée voulant que les sphères étatiques soient autonomes vis-à-vis de la société et détentrices d‟un monopole politique20. Car, en effet, admettre que l‟État

18 Christophe Charle, « Légitimité en péril. Éléments pour une histoire comparée des élites et de l‟État en France et en Europe occidentale (XIXe-XXe siècles) », Actes de la recherche en sciences sociales 116-117 (1997), p. 39. 19 Max Weber, Économie et société. Tome 1 : Les catégories de la sociologie (Paris : Pocket, 1995), pp. 88, 97. 20 John Gledhill, « Introduction : The Comparative Analysis of Social and Political Transitions », dans John Gledhill, Barbara Bender et Mogens Trolle Larsen, éds., State and Society : The Emergence and Development of Social Hierarchy and Political Centralization (London : Unwin Hyman, 1988), pp. 4-11; Theda Skocpol, « Bringing the State Back In : Strategies of Analysis in Current Research », dans Peter B. Evans, Dietrich Rueschemeyer et Theda Skocpol, éds., Bringing the State Back In (Cambridge : Cambridge University Press, 1985), pp. 7-8. 7 exerce la violence légitime et l‟autorité légale revient à sous-entendre que coexistent simultanément une violence illégitime et une autorité illégale. Or, nous devons bien reconnaître que la légitimité et la légalité ne répondent que très rarement à des critères objectifs. En fait, il s‟agirait davantage d‟attributs relatifs variant selon un rapport de forces. Du vivant même de Max Weber, en 1884, Friedrich Engels écrivit : « ce pouvoir issu de la société, mais qui se place au-dessus d‟elle et lui devient de plus en plus étranger, c‟est l‟État »21. Malgré la subtilité de cet énoncé, s‟y révèle tout de même une évocation du célèbre précepte marxiste servant à l‟explication de la succession des régimes politiques : la lutte des classes. Certes, chez Weber comme chez Engels et Karl Marx, l‟État est perçu comme une forme de pouvoir répressive. Toutefois, contrairement à Weber qui semble faire des individus dominés par l‟État des êtres passifs conditionnés à la soumission, Engels et Marx insistent davantage sur la dynamique conflictuelle des rapports État-société en introduisant des notions telles que résistance et prise de conscience. Voici donc comment nous pourrions interpréter le sens de la phrase citée ci-dessus. D‟une part, l‟opposition entre l‟État et la société s‟inscrit dans le cadre d‟une lutte de classes. C‟est-à-dire que l‟État est l‟outil par lequel la classe dirigeante assoit sa domination économique sur les classes dominées, lesquelles dans leurs luttes pour l‟inversion dudit rapport de domination prennent conscience de leur statut, ce qui les conduit à renverser l‟État ennemi pour en instaurer un nouveau répondant à leurs intérêts. D‟autre part, à l‟instar de la lutte des classes à laquelle ils sont associés, les affrontements entre l‟État et la société ne prennent jamais durablement fin. En ce sens que si chaque État se met en place à la suite d‟une révolution, donc avec le soutien de la société, la volonté de la nouvelle classe dirigeante de consolider sa domination économique fera en sorte de la distancer toujours plus de la société et d‟éveiller une nouvelle prise de conscience économique chez les classes dominées et aliénées. Il est clair qu‟en abordant la conception marxiste de l‟État, notre objectif n‟est pas

21 Friedrich Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État (Paris : Éditions Sociales, 1964), p. 156. Cité par Marc Abélès, Anthropologie de l’État (Paris : Armand Colin, 1990), p. 74. 8 de nous faire les avocats de la théorie de la lutte des classes. Le fait étant que celle-ci tend à faire de la domination économique l‟enjeu de toutes les luttes politiques et le fondement à l‟origine des groupements sociaux. Non pas que l‟économie n‟est pas un facteur important, bien au contraire, seulement d‟autres éléments sont à prendre en considération, notamment la culture. Il est ainsi tout à fait probable que les réseaux sociaux et les alliances politiques transcendent les statuts économiques. D‟autant plus que le pouvoir peut non seulement s‟exercer autrement que par la seule domination économique, mais peut également présenter des formes rétributives autres qu‟économiques. Toutefois, outre le dogme économique face auquel nous devons être circonspects, le modèle marxiste a au moins le mérite d‟opérer une distinction entre l‟État, au sens de gouvernement, et la société, sans pour autant considérer le premier comme une entité autonome à l‟égard de la seconde.

0. 3 Les enjeux historiographiques Ayant choisi de privilégier la genèse de ladite transformation des élites et de l‟État, nous n‟entendons pas analyser l‟évolution des nouvelles élites et institutions après la fondation de la dynastie Song. Un tel choix s‟explique par le fait que si de nombreux prédécesseurs démontrèrent qu‟une telle transformation eut effectivement lieu, en revanche à peu près personne ne démontra éloquemment comment elle se produisit. D‟une part, nous chercherons à retracer les conditions d‟émergence de ces nouvelles élites alors que l‟aristocratie dominait toujours l‟État, ce tout en étant sensibles aux enjeux et aux luttes qui opposaient les divers groupes. Ainsi, une première portion de notre analyse portera sur les années allant de 763 à 907, date après laquelle l‟aristocratie cesse d‟être un groupe dominant dans la plaine septentrionale, le traditionnel cœur politique de l‟empire. Par la suite, nous serons ainsi amenés à voir dans quelle mesure l‟éviction de l‟aristocratie du paysage politique du Nord et sa substitution par de nouvelles élites transformèrent la nature de l‟État sous les Cinq dynasties (907-960). Néanmoins, pour bien nous mettre dans le contexte des VIIIe, IXe et Xe siècles tel que nous proposons de le faire au premier chapitre, il est fondamental de remédier à

9 certaines idées trompeuses pourtant prédominantes dans l‟historiographie. Ainsi, comme nous le constaterons, l‟empire Tang vécut une importante phase de décentralisation du pouvoir avant de s‟effondrer pour faire place à une période de division politique qui dura jusqu‟à la réunification impériale de la dynastie Song. Pour cette raison, cette période tend à être exclusivement associée à une militarisation de la société ainsi qu‟à une dramatisation des autonomies régionales. D‟An Lushan aux Song, on tend ainsi à nous brosser le portrait chaotique de l‟éboulement d‟un ordre social dont les seuls éléments positifs sont en gestation et doivent patienter plus de deux cent ans pour s‟épanouir grâce à la nouvelle bureaucratie centralisée de la dynastie Song. Autrement dit, il s‟agit d‟une vision antagonique où la centralisation impériale s‟associe à la stabilisation de la société civile, tandis que l‟indépendance de régimes régionaux s‟associe à l‟annihilation civique22. Pourtant, très tôt au début des années 1960, Wang Gungwu nous invitait à concevoir différemment la période des Cinq dynasties23. Non pas comme un paroxysme du morcellement de l‟autorité politique, mais bien comme le point de départ d‟un nouveau processus de centralisation et d‟innovations institutionnelles jetant les fondations de la future dynastie Song. Certes, le Nord de la Chine vécut sous les Cinq dynasties une période d‟instabilité politique. Ce qui ne veut pas dire que les luttes de pouvoir se traduisaient toujours par un climat de guerre totale. Ainsi, comme le démontre Naomi Standen, la grande caractéristique de cette instabilité n‟était pas tant la violence que la fréquence des changements d‟allégeances, lesquels peuvent survenir sans coup férir24. D‟un autre côté, nous trouvons également les divers royaumes indépendants du Sud, lesquels semblaient jouir d‟une plus grande stabilité politique, économique et sociale que le Nord.

22 Par exemple, voir Edwin G. Pulleyblank, « The An Lu-shan Rebellion and the Origins of Chronic Militarism in Late T‟ang China », dans John Curtis Perry et Bardwell L. Smith, éds., Essays on Tang Society (Leiden : Brill, 1976), pp. 59-60. Pour mesurer la persistance de ce genre d‟idées, voir Hugh R. Clark, « The Southern Kingdoms between the T‟ang and the Sung, 907-979 », dans Denis C. Twitchett et Paul J. Smith, éds., The Cambridge History of China. Volume 5, part 1 : The Sung Dynasty and Its Precursors, 907-1279 (Cambridge : Cambridge University Press, 2009), pp. 133-205. 23 Wang Gungwu, Divided China : Preparing for Reunification 883-947 – édition révisée de The Structure of Power in North China during the Five Dynasties (1963) – (Singapore : World Scientific Publishing, 2007). 24 Naomi Standen, Unbounded Loyalty : Frontier Crossings in Liao China (Honolulu : University of Hawai‟i Press, 2007). 10 En fait, en étudiant l‟histoire de cette période, il faut se garder de se méprendre sur la rhétorique impériale qui se déploie avec force sous la dynastie Song. Il en va ainsi des jugements de certains historiens comme Ouyang Xiu 歐陽修 (1007-1072), auteur de la Nouvelle histoire des Cinq dynasties (Xin Wudai shi 新五代史), lequel percevait les Cinq dynasties et Dix royaumes telle une sombre période dominée par des potentats immoraux et des renégats dépravés25. Toutefois, les dernières études comparant les diverses perceptions qu‟avaient Ouyang Xiu et Xue Juzheng 薛居正 (912-981), auteur de l‟Ancienne histoire des Cinq dynasties (Jiu Wudai shi 舊五代史), tendent à indiquer que les points de vue exprimés par certains historiens Song sont partiaux. Ainsi, Xue Juzheng, lequel vécu aussi bien sous les Cinq dynasties qu‟au début des Song, ne perçoit pas en termes tout à fait négatifs son époque, laquelle n‟apparaît guère comme une ère de déchéance26. Un des objectifs de ce mémoire est donc de remédier à cette vision obscurantiste pour parvenir à une meilleure compréhension des institutions politiques sous les Cinq dynasties et Dix royaumes. Néanmoins, comme il s‟agit d‟une complexe période où cohabitent de nombreux États, plutôt que d‟en proposer une histoire globale, il nous apparaît plus réaliste d‟analyser en détail une seule région pour laquelle nous disposons d‟une documentation plus ou moins abondante. Ainsi, après un premier chapitre où nous étudierons de manière générale l‟évolution des rapports État-société entre les VIIIe et Xe siècles, nous consacrerons deux chapitres à l‟évolution des institutions étatiques du royaume de Shu 蜀國, c‟est-à-dire l‟actuelle province du

25 Richard L. Davis, « Images of the South in Ouyang Xiu‟s Historical Records of the Five Dynasties », dans Dongwu daxue lishixue xi 東吳大學歷史學系, éd., Shixue yu wenxian 史學與文獻 (Taipei : Xuesheng shuju yinhang, 1998), pp. 97-162; « Martial Men and Military Might in the Historical Writings of Ouyang Xiu », dans Kim Hua Paksa Cengnyen Kinyem Sahak Nonchong 金燁博士停年紀 念 (Chungbuk : Chungbuk Historical Society, 1998), pp. 753-784. Voir également Wang Gungwu, « Feng Tao : An Essay on Confucian Loyalty », dans Arthur F. Wright et Denis C. Twitchett, éds., Confucian Personalities (Stanford : Stanford University Press, 1962), pp. 123-145; Naomi Standen (2007 : 59-63). 26 Billy K. L. So, « Negotiating Chinese Identity in Five Dynasties Narratives : From the Old History to the New History », dans Billy K. L. So et al., éds., Power and Identity in the Chinese World Order : Festschrift in Honour of Professor Wang Gungwu (Hong Kong : Hong Kong University Press, 2003), pp. 223-238; Hon Tze-ki, « Military Governance versus Civil Governance : A Comparison of the Old History and the New History of the Five Dynasties », dans Chow Kai-wing, Ng On-cho, John B. Henderson, éds., Imagining Boundaries : Changing Confucian Doctrines, Texts, and Hermeneutics (Albany : State University of New York Press, 1999), pp. 85-105. 11 Sichuan, entre 907 et 96527. Une des raisons à l‟origine d‟un tel choix est qu‟une étude vouée au royaume de Shu permet d‟observer un peu plus aisément comment la composition et la nature des élites affectaient la nature même des institutions étatiques. Ainsi, dans un premier temps, sous les Shu antérieurs 前蜀 (908-925), le gouvernement central du royaume fut dominé par des réfugiés loyalistes pro-Tang issus de grands clans aristocratiques. Fuyant les purges antiaristocratiques frappant alors le Nord, ceux-ci s‟exilèrent à Shu avec l‟idée d‟y prolonger l‟existence des institutions Tang en attendant une éventuelle restauration. Or, après que la dynastie restaurationiste des Tang postérieurs 後唐 (923-937) eut temporairement réintégré Shu à l‟empire, la plupart des réfugiés loyalistes retournèrent vers la plaine centrale pour y servir la nouvelle dynastie Tang, tandis que d‟autres agents formés dans les diverses commanderies du Nord furent envoyés à Shu pour remplacer les précédents. Autour de ceux-ci allait ainsi se constituer l‟État d‟un second royaume de Shu indépendant, celui des Shu postérieurs 後蜀 (934-965). Comme nous en ferons la démonstration, ces derniers provenaient en général de cette nouvelle classe de bureaucrates professionnels qui se substituèrent aux descendants de grands clans aristocratiques dans la plaine septentrionale. Ainsi chercherons-nous à savoir en quoi les institutions étatiques des Shu postérieurs se distinguaient de celles des Shu antérieurs. En nous appuyant sur les renseignements biographiques que contiennent les diverses sources incunables ainsi que les quelques épitaphes à notre disposition, nous procéderons donc à l‟analyse prosopographique d‟un échantillon de ministres et lieutenants ayant été à l‟emploi de l‟un des deux États de Shu. Pour chacun des individus sélectionnés, nous chercherons d‟une part à comprendre leurs origines et orientations socioculturelles, de même que leurs expériences et allégeances passées. D‟autre part, nous analyserons les titres octroyés à ceux-ci, les responsabilités dont ils étaient investis, les lieux où ils étaient affectés ainsi que les critères de leur embauche.

27 Pour une étude similaire à celle que nous proposons, mais portant sur une autre région à la même époque, voir Ng Pak-sheung, « The Continuity of Chinese Cultural Heritage in the T‟ang-Sung Era : The Socio-political Significance and Cultural Impact of the Civil Administration of the Southern T‟ang (937-975) », thèse doctorale, University of Arizona, 1997. 12 De la sorte, nous croyons ainsi être en mesure de mieux saisir comment évoluèrent les pratiques bureaucratiques, les structures du pouvoir politique à travers le royaume, les rapports État-société ainsi que les critères de légitimité des fonctionnaires et officiers militaires délégués par la cour. Ce mémoire sera ainsi l‟occasion de revenir sur les thèses proposées par quelques auteurs ayant étudié le Sichuan durant la « transition Tang-Song ». Au premier chef, mentionnons Winston W. Lo, lequel concevait le Sichuan durant l‟intérim comme un monde sans structures étatiques développées et constamment aux prises avec des guerres et des rébellions. Ainsi, cherchait-il à démontrer à quel point fut bénéfique pour le Sichuan l‟unification impériale de la dynastie Song, laquelle vint rétablir la paix et la prospérité par la mise en place d‟un État bureaucratique sophistiqué28. En second lieu, Richard von Glahn formula un argument pour nous convaincre qu‟en l‟absence de structures étatiques élaborées, l‟ordre social du Sichuan fut dominé par des « magnats locaux » réfractaires à tout processus de bureaucratisation, lesquels auraient assis leur domination grâce à un contrôle total des ressources économiques et des organisations de défense villageoise29. Selon lui, un tel ordre social aurait ainsi trouvé sa raison d‟être dans la récurrence des guerres et l‟éloignement géographique du Sichuan empêchant l‟État d‟y maintenir l‟ordre, une conjoncture qui n‟aurait pris fin qu‟avec l‟intégration de la région à l‟empire Song. Ainsi, la dynastie Song aurait favorisé la destruction de la « société de magnats » en modernisant la société sichuanaise grâce à l‟imposition d‟un appareil bureaucratique jusqu‟alors inexistant dans la région. À notre avis, les jugements que posent ces historiens sur le royaume de Shu sont tout au plus hypothétiques, car exclusivement fondés sur la rhétorique apologétique de la dynastie Song. Nous démontrerons d‟une part qu‟un processus de bureaucratisation et de pénétration institutionnelle avait été amorcé de plein fouet bien avant que la

28 Winston W. Lo, Szechwan in Sung China : A Case in the Political Integration of the Chinese Empire (Taipei : The University of Chinese Culture Press, 1982). 29 Richard von Glahn, The Country of Streams and Grottoes : Expansion, Settlement, and the Civilizing of the Sichuan Frontier in Song Times (Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 1987), pp. 39-67. Voir également Paul J. Smith, Taxing Heaven’s Storehouse : Horses, Bureaucrats, and the Destruction of the Sichuan Tea Industry, 1074-1224 (Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 1991), pp. 77-108, lequel s‟appuie considérablement sur von Glahn et son concept de « magnats locaux ». 13 dynastie Song s‟impose sur le Sichuan. D‟autre part, nous verrons que l‟État fut suffisamment fort et organisé pour ne pas laisser le contrôle de ses armées et de l‟ensemble des ressources économiques à des magnats agissant tels des seigneurs de la guerre. Récemment, Wang Hongjie produisit une dissertation doctorale entièrement consacrée aux Shu antérieurs30. Dans celle-ci, Wang cherchait notamment à analyser l‟histoire de ce régime régional en le situant dans le système pluri étatique de l‟époque. Ainsi invoquait-il la thèse du pragmatisme politique selon laquelle les actions des divers régimes étaient avant tout décidées en fonction de la préservation de leur souveraineté et du maintien de l‟équilibre des puissances. Pour en venir à cette réflexion, Wang prenait donc pour acquis que chacun des régimes se valaient, en ce sens que leurs souverains partageaient tous une même conception de l‟ordre politique et qu‟ils se percevaient mutuellement comme des rivaux plus ou moins égaux. Ce qui le conduit, à juste titre, à accorder une place aussi significative aux échanges diplomatiques qu‟aux confrontations armées. Néanmoins, bien que la thèse soit séduisante dans sa forme, sur le fond du récit nous sommes en désaccord avec de nombreux points de vue exprimés par l‟auteur. D‟abord, Wang semble interpréter de façon beaucoup trop rationaliste et fataliste les décisions et les actions des souverains de cette époque, lesquels apparaissent tous comme des sécessionnistes qui anticipaient de très longue date de devenir empereur. Ainsi, les sujets de ceux-ci figurent tous de manière purement instrumentale, les militaires ne servant qu‟à asseoir leur autorité par la force tandis que les bureaucrates ne tiennent qu‟un rôle ostentatoire permettant d‟exhiber leur légitimité. Ensuite, en cataloguant les Cinq dynasties et Dix royaumes sous la seule rubrique du militarisme, il ne parvient pas à rendre compte de ce qui distinguait les Shu antérieurs des autres régimes contemporains, que ce soit sur le plan institutionnel, socioculturel voire même idéologique. Car, en effet, nous ne croyons pas que le militarisme corresponde à une idéologie en soi, pas plus que nous pensons que les militaires puissent être considérés

30 Wang Hongjie, « Sharing the Mandate : The Former Shu Regime of in the Late Tang and Early Five Dynasties, 891-925 », thèse doctorale, Brown University, 2008. 14 comme une catégorie sociologique homogène investie d‟un seul système de valeurs. Ainsi souhaitons-nous procéder à une nouvelle analyse qui responsabiliserait davantage les clients des divers souverains de cette époque. C‟est-à-dire que ces clients n‟étaient pas des sujets passifs, mais bien des individus ayant des aspirations et des valeurs en vertu desquelles ils faisaient un choix en s‟alliant à un parti plutôt qu‟à un autre. Dans cette optique, ce n‟était pas tant le souverain qui faisait les ministres que les ministres qui faisaient le souverain, lequel n‟était légitime à leurs yeux que parce qu‟il épousait leur cause. En ce sens, les luttes politiques interétatiques du début du Xe siècle ne sauraient être pleinement comprises en étant dissociées des conflits sociaux qui leur donnèrent naissance en plongeant l‟empire dans une ère de rébellion. D‟où l‟importance de ne pas négliger la contrepartie des ex-rebelles, c‟est-à-dire les loyalistes pro-Tang, et de s‟interroger sur les origines profondes de leurs différends.

15 I. Le contexte historique Les Cinq dynasties et Dix royaumes furent une époque empreinte de profondes transformations. En vertu de l‟influence inextinguible de ses mutations, nous pouvons donc la révérer comme un temps fort à la charnière de la plus longue transition Tang-Song. Le fait étant qu‟elle entérina la fin de la dynastie Tang et les valeurs « médiévales » dont elle portait encore les vestiges, ce de manière à orienter la société vers de nouveaux horizons qui trouveront une consécration sous la dynastie Song. Dans ce chapitre, nous verrons qu‟en dépit des changements socioéconomiques qui affectèrent la société dès la fin du VIIIe siècle, la communauté politique fut alors peu réceptive à ces changements dont elle cherchait résolument à se prémunir. Ainsi, pendant que fleurissaient de nouvelles élites provinciales sans antécédent bureaucratique, les membres de l‟ancienne clientèle impériale furent souvent motivés par un désir de préserver leur primauté politique et s‟efforcèrent de leur fermer l‟accès aux charges étatiques. Toutefois, nous constaterons comment au début du Xe siècle, après une période troublée de révoltes populaires, de nouvelles valeurs déjà largement diffusées dans la société gagneront rapidement le monde politique, tandis que l‟aristocratie se fera simultanément évincer du pouvoir.

1. 1 L‟érosion de l‟aristocratie (763-875) L‟un des développements les plus éloquents des IXe et Xe siècles fut le retrait progressif et irréversible de l‟aristocratie comme groupe organisé dominant la vie politique au profit d‟individus aux origines plus hétérogènes31. Bien que déjà au début de la dynastie Tang, nous aurions tort de croire que l‟ensemble de la société fut exclusivement gouvernée par une aristocratie monolithique32, n‟en demeure pas moins qu‟une aristocratie dominait l‟État et assoyait son autorité sur de nombreux

31 Sur l‟éviction de l‟aristocratie, voir notamment David G. Johnson, « The Last Years of a Great Clan : The Li Family of Chao-chün in Late T‟ang and Early Sung », Harvard Journal of Asiatic Studies 37.1 (1977), pp. 40-75. Sur les groupes qui vont prendre leur place à l‟avant-scène de la vie politique dans la plaine septentrionale, voir Wang Gungwu (2007 : 83-176). 32 Denis C. Twitchett, « The Composition of the T‟ang Ruling Class : New Evidence from Tunhuang », dans Arthur F. Wright et Denis C. Twitchett, éds., Perspectives on the T’ang (New Haven – London : Yale University Press, 1973), pp. 47-85. 16 privilèges33. Toutefois, suivant la rébellion d‟An Lushan qui sapa les fondements de l‟État en manquant de détrôner la dynastie, la société se mit à évoluer très rapidement. Au point où l‟aristocratie perdit beaucoup de son influence dans la société, à défaut de conserver une place privilégiée au sein de l‟État. Ainsi, tandis que l‟aristocratie était déjà sujette à un important processus de bureaucratisation34, sa prééminence au sommet de la hiérarchie sociale dépendait désormais davantage du maintien du pouvoir impérial en place que de son aptitude à orienter la société. Suite à la défaite d‟An Lushan, un monde foncièrement différent commença donc à se dessiner, tandis que de nouvelles élites provinciales émergèrent parallèlement en marge de la bureaucratie impériale. Notamment, nous trouvions des propriétaires terriens, des marchands et des artisans ayant bénéficié de l‟affaiblissement du contrôle impérial. Ainsi, pendant que la dynastie se remettait lentement d‟une dure épreuve, que les fondements de son autorité devaient être reconstruits et que les provinces passèrent temporairement aux mains de gouverneurs militaires dont la dynastie dépendait pour assurer sa survie, il semble que la cour n‟était plus à même d‟imposer une gestion étroite des activités économiques menant à un système universel de taxation directe. Dans ce contexte, elle dut souvent se contenter de négocier des quotas fiscaux avec des gouverneurs plus ou moins autonomes tout en instaurant un système de taxation indirecte sur le commerce par l‟entremise de commissions mercantiles, dont la célèbre Commission d‟exploitation du sel et de l‟acier (jue yantie 榷鹽鐵)35. Sans entrer dans les détails du système fiscal de l‟époque, contentons-nous d‟insister sur le fait que l‟administration des finances subit alors une importante régionalisation, que l‟économie connut une intense monétarisation et surtout que le nouveau système marqua l‟abandon d‟une vision physiocratique en confirmant le rôle

33 Patricia Buckley Ebrey (1978); David G. Johnson (1977 a). 34 Voir notamment Josephine Chiu-Duke, « The Wu chün Lu Clan as an Example of Bureaucratization in the T‟ang », B. C. Asian Review 3-4 (1990), pp. 106-152. 35 Sur l‟histoire économique de la dynastie Tang, la référence anglaise de prédilection demeure Denis C. Twitchett, lequel s‟appuie énormément sur les sinologues japonais de l‟Après-guerre qui donnèrent une profonde impulsion aux études socioéconomiques dans l‟historiographie de la Chine médiévale. Voir Financial Administration under the T’ang Dynasty (Cambridge : Cambridge University Press, 2ème edition, 1970). Du même auteur, voir également « The Salt Commissioners after An Lushan‟s Rebellion », Asia Major, new series, 4.1 (1959), pp. 60-89; « Provincial Autonomy and Central Finance in Late T‟ang », Asia Major, new series, 11.2 (1965), pp. 211-232. 17 central du commerce dans l‟assainissement des finances impériales36. À maints égards, s‟annonçait donc une période d‟ouverture et de mobilité durant laquelle plusieurs marchands profitèrent de la conjoncture pour s‟enrichir, tandis que des agriculteurs laissèrent leurs champs pour se tourner vers le commerce37. En fait, on trouve même des fils de fonctionnaires qui firent leur entrée dans le monde du négoce38. À cette époque, non seulement les lois somptuaires cessèrent souvent d‟êtres respectées39, mais aussi la conception voulant que la réussite sociale soit l‟apanage exclusif d‟une carrière bureaucratique n‟était plus aussi ancrée dans les mœurs40. Pourtant, en dépit de toutes les avancées socioéconomiques du temps et de la relative mobilité qui en découla, de manière générale il semble que le pedigree aristocratique demeura le principal critère d‟adhésion à la bureaucratie impériale. Un net clivage semblait donc s‟installer entre un monde en pleine évolution et un État continuant de s‟attacher à des principes qui ne correspondaient plus tout à fait aux valeurs objectives de la société. Du moins, à ce stade, il ne semble pas y avoir eu une moins grande disparité entre les origines socioprofessionnelles des élites de la capitale et celles des

36 Denis C. Twitchett (1966; 1968). 37 À notre connaissance, aucune étude sérieuse en Occident n‟a été vouée au devenir des agriculteurs suivant la fin, à tout le moins théorique, du partage égalitaire des terres (juntian 均田). Si certains devinrent des tenanciers dans des domaines agricoles, d‟autres devinrent plausiblement de petits propriétaires terriens, tandis que d‟autres cessèrent d‟être rivés à la glèbe. L‟une des questions qui obséda constamment l‟État fut celle des paysans en fuite. Serait-il possible qu‟ils changèrent tous de vocation, car surexploités, pour devenir des rebelles? Certainement pas dans tous les cas. En revanche, nous savons qu‟à cette époque les économies rurales se commercialisaient. Ce qui est attesté par le développement considérable des marchés ruraux et la transformation d‟anciennes garnisons de province en bourgades commerciales. De plus, nous avons à l‟époque un phénomène d‟accroissement des villes gonflées par des populations marchandes de plus en plus nombreuses. Dès lors, il est peu probable que l‟expansion des villes n‟ait tenu qu‟à une hausse du taux de natalité urbain, il y eu certainement un phénomène d‟exode rural en cause. Denis C. Twitchett (1966 : 233-243); (1970 : 9-23); Heng Chye Kiang (1999 : 73-90). 38 Denis C. Twitchett (1968 : 93-95). Nicolas Tackett mentionne quant à lui une épitaphe appartenant à Lu Gongbi 盧公弼 (788-866) dont les proches occupèrent d‟importantes charges étatiques. Celui-ci, plutôt que de tenter sa chance dans la bureaucratie, quitta la capitale pour s‟établir dans la région de où il se mit à la tête d‟un commerce lucratif. Quelques épitaphes mentionnent également des fils de fonctionnaires quittant la capitale pour acquérir des domaines agricoles. Voir l‟article de Tackett intitulé « Great Clansmen, Bureaucrats, and Local Magnates : The Structure and Circulation of the Elite in Late-Tang China », Asia Major, 3rd series, 21. 2 (2008), pp. 130-133. 39 Twitchett (1968, pp. 85-86) traduit un intéressant poème de Bo Juyi 白居易 (772-846) faisant état de l‟ostentation de richesses chez les marchands de son temps. Une telle ostentation tranche avec l‟attitude des marchands plus tôt dans l‟histoire de la dynastie, alors qu‟ils étaient soumis à de rigides règles somptuaires. Tackett (2008 : 109) fait également état d‟un changement au niveau des pratiques mortuaires des marchands, lesquelles étaient également sujettes à des règles somptuaires leur empêchant d‟avoir une épitaphe, ce qui n‟était manifestement plus le cas au début du IXe siècle. 40 C‟est l‟une des principales conclusions de Nicolas Tackett (2008 : 139). 18 élites provinciales. Grâce à un considérable corpus d‟épitaphes, Nicolas Tackett démontre cette contradiction en analysant la nature et la distribution géographique des élites vers la fin de la dynastie Tang41. Il en ressort qu‟à peu près toutes les épitaphes provenant de Chang‟an et étaient celles d‟individus issus de lignages ayant une longue tradition bureaucratique. Inversement, la plupart des épitaphes exhumées en province étaient celles d‟élites marchandes et de propriétaires terriens dépourvus de liens significatifs avec la bureaucratie impériale et ses agents. D‟après Tackett, s‟il arrive de découvrir en province quelques épitaphes d‟élites originaires de la capitale, cela ne ferait qu‟attester de la mobilité géographique de ces élites désignées pour occuper des fonctions partout à travers l‟empire. Mais de telles épitaphes sont plutôt rares car les élites de la capitale affectées à des postes provinciaux avaient pour habitude à leur mort de se faire rapatrier à la capitale pour y être inhumées. À l‟opposé cependant, sans doute privées de liens familiaux ou socioprofessionnels à la capitale ou dans des provinces autres que celles où elles vivaient, les élites non-bureaucratiques semblent avoir été de nature strictement locale ou provinciale. L‟étude de Tackett suggère ainsi qu‟il était difficile d‟appartenir aux élites de la capitale sans au préalable jouir de relations politiques permettant d‟entrer dans la bureaucratie. Mais il démontre également que les réalités provinciales différaient largement de celles qui prévalaient à la capitale. Ainsi, en province se trouvaient des familles sans aucun antécédent bureaucratique dont les fortunes permettaient parfois d‟y rivaliser les bureaucrates. Sous la dynastie Tang, il serait donc inapproprié d‟affirmer que lesdites nouvelles élites formaient une quelconque gentry qui prit son envol grâce au recrutement bureaucratique provincial. Du moins, le phénomène ne fut pas aussi généralisé qu‟on pourrait le croire. Il ne faudrait d‟ailleurs pas exagérer l‟attitude belliqueuse des gouverneurs et interpréter le système provincial comme anti-Tang ou antiaristocratique, du moins pas

41 La légitimité de sa démarche réside dans le fait que les épitaphes sont la marque d‟obsèques plus élaborées dont les coûts ne peuvent être défrayés que par des gens relativement fortunés. Alors que les règles somptuaires s‟estompent, les épitaphes renvoient à un niveau de richesse sans être le propre d‟une occupation déterminée. Ainsi, les épitaphes se rapportent à des élites variées, lesquelles peuvent aussi bien être bureaucratiques que marchandes. Nicolas Tackett (2008 : 101-152). De Nicolas Tackett, voir également « The Transformation of Medieval Chinese Elites (850-1000 C.E.) », thèse doctorale, Columbia University, 2006. 19 avant la rébellion de Wang Xianzhi 王仙芝 et 黃巢 (875-884). Car, bien qu‟au prix d‟une décentralisation, la dynastie parvint tout de même à restaurer son autorité en province suite aux quelques troubles qui suivirent la rébellion d‟An Lushan. Ainsi, à quelques exceptions près, la plupart des gouverneurs militaires furent remplacés par des gouverneurs civils nommés par la cour, laquelle regagna également la prérogative de nommer les préfets qui allaient jouer un rôle crucial dans le processus de restauration42. Récemment, Watanabe Takashi démontra comment le système de recrutement provincial était dans l‟ensemble aligné sur la politique de la cour, tandis que les postes bureaucratiques provinciaux d‟importance continuaient d‟être monopolisés par des individus issus de lignages jouissant de relations familiales et politiques au plus haut niveau. En fait, il se pourrait qu‟alors les affectations provinciales furent une première étape incontournable pour les jeunes fils de bureaucrates désireux eux-mêmes de poursuivre une carrière bureaucratique à la cour. D‟autre part, semble-t-il, le mieux que des natifs provinciaux sans relation politique à la capitale pouvaient espérer n‟étaient que de menus postes sans avantage réel, aussi bien du point de vue du prestige, du salaire que des chances de promotion43. Certes, la restauration impériale s‟explique en parti par une confiscation des pouvoirs accaparés par les gouverneurs militaires durant la rébellion au profit de bureaucrates civils ayant repris la direction des affaires provinciales. Toutefois, paradoxalement, il est également vrai que la restauration se fit au détriment de ces mêmes bureaucrates dont la cour cherchait dans une certaine mesure à limiter l‟autorité. Par exemple, nul ne saurait sous-estimer le rôle des eunuques dans le processus de restauration et l‟influence croissante que ceux-ci exercèrent sur les affaires politiques et militaires de l‟empire durant la seconde moitié de la dynastie Tang. Ainsi, à titre de serviteurs personnels de l‟empereur, ceux-ci furent fréquemment désignés pour superviser les affaires provinciales et assurer la transmission des

42 Wang Gungwu (2007 : 7-19); Charles A. Peterson, « The Restoration Completed : Emperor Hsien-tsung and the Provinces », dans Arthur F. Wright et Denis C. Twitchett, éds., Perspectives on the T’ang (New Haven – London : Yale University Press, 1973), pp. 151-191. 43 Watanabe Takashi, « A Re-examination of the Recruiting System in “Military Provinces” in the Late Tang – Focusing on the Composition of the Ancillary Personnel in Huainan and Zhexi », trad. Jessey J.C. Choo, The Tōyōshi-Kenkyū 64.1 (2005), pp. 1-73. 20 directives impériales aux gouverneurs et préfets. Rappelons notamment que ceux-ci étaient désormais à la tête du Bureau des affaires militaires (shumi yuan 樞密院), vraisemblablement la plus puissante agence impériale du moment, en ce sens qu‟il s‟ingérait intensément dans de nombreuses sphères d‟activité, y compris celles relevant traditionnellement de la bureaucratie44. Dans la tradition historiographique de la dynastie Tang, outre les militaires, les eunuques sont certainement ceux qui furent l‟objet des attaques les plus virulentes. Entre autres, c‟est sur eux et les militaires que la plupart des historiens confucianistes fit reposer la responsabilité des déboires de la dynastie Tang et de sa chute en 907. Notamment, ceux-ci sont accusés d‟avoir usurpé l‟autorité de la bureaucratie et d‟avoir sacrifié le bien de l‟État pour satisfaire leur soif de pouvoir et leurs intérêts personnels. Toutefois, il n‟est pas sans intérêt d‟insister sur le fait que ces discours qui cherchent constamment à dissocier les bureaucrates et les eunuques sont tous postérieurs à la dynastie Tang. Ainsi, nous apparaît-il prudent de ne pas formuler de conclusions hâtives en nous appuyant sur ce type d‟argument. Car, en fait, les bureaucrates aristocratiques de la fin de la dynastie Tang ne nous apparaissent pas toujours comme les victimes des eunuques. Bien au contraire, il nous semble plutôt qu‟eunuques et bureaucrates partageaient certains intérêts et qu‟ils étaient amenés à collaborer plus souvent que nous pourrions le croire. En tous les cas cependant, il est clair que les eunuques ne se substituèrent jamais pleinement aux bureaucrates aristocratiques, lesquels continuèrent malgré tout à se perpétuer au sommet de la hiérarchie politique grâce à leur mainmise sur les offices. Par conséquent, l‟élévation socioéconomique de nouvelles élites provinciales dans la deuxième moitié de la dynastie Tang tiendrait à des causes plus profondes qu‟une quelconque volonté des gouverneurs de s‟appuyer sur une toute nouvelle classe de

44 Sur le rôle des eunuques sous la dynastie Tang, voir notamment J. K. Rideout, « The Rise of the Eunuchs during the T‟ang Dynasty », Asia Major, new series, 1. 1 (1949), pp. 53-72; 3. 1 (1953), pp. 42-58; Michael T. Dalby, « Court Politics in Late T‟ang Times », dans Denis C. Twitchett, éd., The Cambridge History of China. Volume 3, part 1 : Sui and T’ang China, 589-906 (Cambridge : Cambridge University Press, 1979), pp. 633-636; Dai Xianqun 戴顯群, Tang Wudai zhengzhi zhongshu yanjiu 唐五代政治中樞研究 (Xiamen : Xiamen daxue chuban she, 2001), pp. 123-139. Sur le Bureau des affaires militaires plus précisément, Wang Gungwu (2007) en discute de part en part dans son ouvrage sur les structures du pouvoir. 21 bureaucrates locaux pour consolider leur pouvoir. Certes, il y eu les grands changements économiques stimulés par la nouvelle politique fiscale déployée pour soutenir financièrement la cour dans son effort de restauration. Mais, pourquoi cette politique fiscale ne fut pas seulement temporaire et que l‟État ne fut pas en mesure de réinstaurer la structure économique qui prévalait avant 755? Ce n‟était certainement pas parce que là n‟était pas son intérêt ou qu‟il ne pouvait espérer avoir la collaboration de ses bureaucrates et eunuques délégués en province, lesquels étaient dans l‟ensemble les grands bénéficiaires et défendeurs de l‟ancien système. À notre avis, la réponse résiderait davantage dans un certain nombre de changements socioculturels. Notamment, il faut se rendre compte que la génération née après les années 750 et 760 vécut dans un monde qui n‟avait sans doute rien à voir avec celui de leurs aïeux. Entre le début de la rébellion d‟An Lushan et l‟achèvement de la restauration, alors qu‟un relâchement de l‟autorité se fit sentir, il semble ainsi qu‟une partie de la population fit l‟expérience d‟une période de fréquentes transgressions des normes établies par les codes, surtout en ce qui a trait aux déplacements, aux rassemblements et aux activités économiques. D‟abord, il semble que l‟État perdit le contrôle sur les mouvements d‟une portion de la population dont on perd la trace dans les registres45. Ensuite, tandis que l‟État reconnut tacitement le bien-fondé du commerce en cherchant à le taxer, plusieurs durent y voir la possibilité de s‟enrichir tout en apprenant à respecter les marchands pouvant contribuer autant que les lettrés au développement de la société. Du coup, il y eu possiblement une prise de conscience portant à concevoir une alternative au monde physiocratique idéalisé par plusieurs confucianistes46. Si auparavant l‟État parvenait tant bien que mal à faire respecter ses lois, par la suite il fut aux prises avec un intempestif problème de dissidence auquel les décrets

45 Denis C. Twitchett (1970 : 17). 46 Sur l‟idéal physiocratique dont les confucianistes de la cour se faisaient les avocats, voir Denis C. Twitchett, « A Confucian‟s View of the Taxation of Commerce : Ts‟ui Jung‟s Memorial of 703 », Bulletin of the School of Oriental & African Studies 32.2 (1973) : 429-445. 22 réitérés ne changeaient rien47. Un excellent moyen de constater ce fait est en analysant comment évolua la gestion étatique des villes et des activités commerciales. Ainsi, durant la première moitié de la dynastie Tang, les villes étaient à peu près toutes aménagées selon le même modèle que la capitale, c‟est-à-dire des villes intra-muros compartimentées de manière très symétrique en de multiples cloisonnements muraux abritant les habitations, les marchés, les temples et les bureaux administratifs. L‟intérieur des villes était alors sous constante surveillance policière, les allées et venues contrôlées, des couvre-feux strictement imposés et des marchés tenus sous la supervision vigilante de fonctionnaires spécialement affectés. Ainsi, dans les marchés, le prix des marchandises était déterminé par l‟État, nous avions un regroupement forcé des marchands en guildes et individuellement identifiés dans des registres, il y avait une interdiction d‟étaler ses marchandises sur la voie publique et les marchés devaient fermer à la tombée du soir48. À l‟opposé, après la rébellion d‟An Lushan, l‟État ne parvenait plus à imposer sa gestion territoriale des villes et à y faire régner l‟ordre désiré. Par exemple, des citadins se mirent à percer les murs de leurs habitations, s‟improvisant ainsi des portes donnant un accès direct à la rue, et cessèrent de respecter les couvre-feux. Quant à eux, les marchands commencèrent à opérer de nuit, à empiéter sur les voies publiques tandis qu‟on vit proliférer des tavernes et des bordels aux abords des marchés49. Bien

47 Denis C. Twitchett (1966 : 230-233). 48 Denis C. Twitchett (1966 : 207-230); Heng Chye Kiang (1999 : 1-66); Charles Benn, Daily Life in Traditional China : The Tang Dynasty (Westport – London : Greenwood Press, 2002), pp. 45-58; Victor Cunrui Xiong, Sui-Tang Chang’an : A Study in the Urban History of Medieval China (Ann Arbor: The University of Michigan, 2000), pp. 165-194; Katō Shigeshi, « On the Hang or the Associations of Merchants in China, with Especial Reference to the Institution in the T‟ang and Sung Periods », Memoirs of the Research Department of the Tōyō Bunko 9 (1936), pp. 45-83. 49 Sur les nombreuses dérogations aux lois et à l‟impuissance des forces de l‟ordre, voir les mémoires et décrets cités dans THY 86. 1576. Voir également Denis C. Twitchett (1966 : 231-232); Heng Chye Kiang (1999 : 69-73). Pour ce qui est des tavernes et bordels achalandés la nuit, ils étaient aussi bien adressés à la classe mondaine, c‟est-à-dire les lettrés, qu‟aux marchands et voyageurs. Ce qui tend à démontrer que tous participaient à la transformation de la culture et du paysage urbain. Bien qu‟étant semble-t-il propre au monde des lettrés et des aristocrates, la courtisanerie était une autre pratique culturelle liée aux bordels, laquelle doit être dissociée de la prostitution contemporaine. Une excellente source traitant de ce phénomène à Chang‟an est le Beili zhi 北里志 rédigé par Sun Ji 孫棨 vers la fin du IXe siècle. Voir la traduction de Robert des Rotours sous le titre de Courtisanes chinoises à la fin des T’ang, entre circa 789 et le 8 janvier 881 (Paris : Presses Universitaires de France, 1968). Le phénomène est également relativement bien décrit par Yao Ping, « The Status of Pleasure : Courtesan and Literati Connections in T‟ang China (618-907) », Journal of Women’s History 14. 2 (2002), pp. 26-53. Toutefois, nous sommes en désaccord avec l‟une des thèses de l‟auteure, à savoir que la courtisanerie fut une pratique développée par une nouvelle élite, soi-disant entrée dans la bureaucratie 23 qu‟à Chang‟an les forces de l‟ordre furent débordées, l‟État semble tout de même être parvenu à y tempérer les excès et à contenir les débordements à l‟intérieur des murs de la ville. En province, ce fut une toute autre affaire. Notamment, on trouve à cette époque des villes comme Chengdu et Yangzhou dont la prospérité était effrénée, dont la progression démographique était phénoménale et où les activités citadines tendaient à se transposer hors des murs en périphérie de la ville50. C‟était notamment dans ces nouveaux quartiers extra-muros que désormais le commerce urbain provincial s‟épanouissait, y entraînant de plus en plus de gens vers la profession du négoce. Dans un même temps, on vit également de nombreuses garnisons militaires se muter en bourgs commerciaux florissants tandis que les marchés prenaient une nouvelle amplitude en milieu rural51. Dans ce contexte d‟urbanisation, de commercialisation agricole, d‟intensification des échanges et de renouveau socioculturel, comme le démontre l‟étude de Tackett, un certain nombre d‟individus et de familles émergentes réussirent à tirer leur épingle du jeu en consolidant d‟importantes ressources productives. De leurs richesses, ceux-ci gagnèrent sans doute un prestige considérable dans leur communauté et virent les opportunités se décupler. Notamment avaient-ils les moyens de soudoyer les largesses des petits et moyens agents impériaux, d‟acheter des titres dans l‟armée afin de bénéficier d‟exemptions fiscales, de déroger aux règles somptuaires et d‟investir dans l‟éducation de leur progéniture. De nouvelles élites prospérant en marge de l‟État étaient donc aptes à concurrencer un groupe d‟aristocrates endogames qui pour s‟adonner à la société de cour sacrifièrent leurs soubassements économiques pouvant

grâce aux examens suite à la rébellion d‟An Lushan, dont les membres s‟entourèrent de courtisanes pour démontrer leur statut socioculturel égal à celui de l‟ancienne clientèle impériale. Ainsi, nous l‟avons dit et nous y reviendrons, lesdites nouvelles élites ne prirent généralement pas leur envol grâce à la bureaucratie, ils étaient surtout des marchands qui ne vivaient généralement pas à la capitale et qui ne partageaient pas les mêmes réseaux sociaux que les hauts fonctionnaires impériaux. 50 Heng Chye Kiang (1999 : 73-83); Denis C. Twitchett (1966 : 239-240); Xie Yuanlu 謝元魯, « Chengdu : Tang Song chengshi gonggong kongjian de bianqian » 成都 : 唐宋城市公共空間的變遷, dans Chan Yaozhong 產耀中, éd., Tang dai guojia yu diyu shehui yanjiu. Zhongguo Tang shi xuehui di shi jie nianhui lunwen ji 唐代國家與地域社會研究 : 中國唐史學會第十屆年會論文集 (Shanghai : Shanghai guji chuban she, 2008), pp. 121-136; Li Tingxian 李廷先, Tang dai Yangzhou shikao 唐代揚 州史考 (Suzhou : Suzhou guji chuban she, 1992). 51 Denis C. Twitchett (1966 : 233-243); (1968 : 76-77); Li Jingxun 李敬洵, Tang dai Sichuan jingji 唐 代四川經濟 (Chengdu : Sichuan shehui kexueyuan chuban she, 1988).

24 contribuer à une certaine indépendance. Autrement dit, ces nouvelles élites risquaient de renverser la domination de l‟échiquier politique, une mauvaise tangente à laquelle ne pouvaient passivement se résoudre les actuels récipiendaires du pouvoir en place. Nous trouvons ainsi une situation potentiellement conflictuelle appelée à se résoudre par l‟exclusion et la diffamation. Ainsi, Bo Juyi 白居易 (772-846) dut certainement faire figure d‟hérétique devant ses pairs lorsqu‟il se prononça dans un jugement (pan 判) sur le non-sens d‟écarter des charges des individus talentueux sous prétexte de leurs origines sociales : Si les proches d‟un tel sont engagés dans une profession artisanale, le Bureau de sélection considérera qu‟il est inéligible pour devenir fonctionnaire. [L‟intéressé] rétorque donc qu‟il a changé d‟occupation. Ce à quoi le Bureau de sélection réplique : « bien qu‟ayant changé, il ne pourra être considéré pour un poste avant trois ans. Car nous ne savons pas encore s‟il est qualifié ». […] Si quelqu‟un vit parmi les marchands, il ne peut entrer dans la bureaucratie. Parmi les proches de [l‟intéressé], il y en a qui se disent artisans. […] Mais parmi eux s‟en trouve un qui souhaite joindre la bureaucratie et qui est passionné par les neufs genres littéraires. Même s‟il désira changer de profession, le ban de trois ans ne fut pas encore levé que déjà on demanda « comment pourrait-il être possible que celui-ci puisse être promu parmi les grands ducs ». 得甲之周親, 執工伎之業, 吏曹以甲不合仕. 甲云 : 今見修改. 吏曹又云 : 雖改, 仍限三年後聽仕. 未知 合否.[…] 如或居肆, 則不及仕門. 甲爰有周親, 是稱工 者.[…] 且思祿在其中. 有慕九流. 雖欲自其業, 未經三載, 安可同升諸公52. Nous ne sommes certes pas à même de déterminer si ce genre d‟exclusion était le fruit d‟une volonté politique délibérée, ou si elle était simplement imputable à la force des préjugés. En revanche, une forme d‟ostracisme politique devait indéniablement être ressentie chez des gens de plus en plus influents et sujets à une certaine frustration53. Dans une étude vouée au Recueil d’énonciations de la dynastie Tang (Tang zhiyan

52 Bo Juyi, Bo Juyi ji 白居易集 (Beijing: Zhonghua shuju, 1979), chapitre 67, p. 1412. Voir également les autres exemples cités par Denis C. Twitchett (1968 : 89-93). 53 Nous attendons toujours l‟éventuelle publication d‟un article de Jan A. M. De Meyer, « Eastbound and Frustrated : Regional Identity in Southern China during the Late Tang and Early Five Dynasties Period », dans Jörn Rüssen, Achim Mittag et Helwig Schmidt-Glintzer, éds., Collective Identity, Experience of Crisis and Traumata in History. La référence se trouve dans l‟ouvrage d‟Oliver Moore, Rituals of Recruitment in Tang China: Reading an Annual Programme in the Collected Statements by Wang Dingbao (870-940) (Leiden – Boston: Brill, 2004), p. 76, note 14. 25 唐摭言) de Wang Dingbao 王定保 (870-940), lequel compila de nombreux textes sur le recrutement bureaucratique, Oliver Moore confirme l‟ambivalence du système des examens durant les VIIIe et IXe siècles. Il démontre notamment que si le nombre de candidats provinciaux recommandés aux examens impériaux augmenta, en revanche leurs chances de réussite étaient plutôt minces. Du moins, les candidats reçus venaient presque tous des préfectures contiguës à la capitale et disposaient préalablement d‟affinités politiques décisives54. Par conséquent, si Moore atteste de l‟existence d‟une culture des examens à cette époque, celle-ci était encore loin d‟être aussi diffuse et unificatrice qu‟elle le sera plus tard sous la dynastie Song55. Ainsi, la tenue d‟examens était selon Moore une activité ritualisée qui visait non seulement à inclure en amenant les candidats à témoigner de leur loyauté, mais surtout à exclure le plus grand nombre en marquant la différence entre les candidats reçues et le reste de la société56. Si le pouvoir impérial se revendiquait d‟une autorité indivisible et du privilège exclusif de déterminer quelles étaient les élites habilitées à jouer un rôle de leadership dans la société, plus que jamais une telle prétention devint chimérique. Que quelques factions politiques de la capitale se ferment et monopolisent les charges étatiques n‟allait certainement pas freiner la progression de nouvelles élites en province. Le fait étant que le pouvoir et le prestige de plusieurs d‟entre elles ne reposaient pas sur un emploi dans la bureaucratie, mais bien souvent sur des activités commerciales, lesquelles devaient fréquemment échapper au contrôle étatique, ce malgré un désir de les contrôler indirectement par l‟octroi de monopoles à des commissions impériales dirigées par des bureaucrates issus de grands clans. Notamment, insistons sur le fait que la contrebande était alors un fléau grandissant que l‟État ne parvint à aucun moment à enrayer.

54 Oliver Moore (2004 : 67-102). Voir également Pak-sheung Ng (1997 : 17-28). 55 Sur la culture des examens sous la dynastie Song, voir John W. Chaffee (1985 : 157-181). 56 L‟aspect rituel des examens sous la dynastie Tang forme le propos central de l‟ouvrage d‟Oliver Moore. En ce qui concerne l‟idée voulant que les rituels soient davantage un vecteur d‟exclusion que d‟inclusion, voir la critique que fait Pierre Bourdieu de la théorie des rites de passage développée par Arnold Van Gennep et Victor W. Turner. « On peut en effet se demander si, en mettant l‟accent sur le passage temporel, cette théorie ne masque pas un des effets essentiels du rite, à savoir de séparer ceux qui l‟ont subi non de ceux qui ne l‟ont pas encore subi, mais de ceux qui ne le subiront en aucune façon et d‟instituer ainsi une différence durable entre ceux que ce rite concerne et ceux qu‟il ne concerne pas ». Pierre Bourdieu (2001 : 175). 26 Ainsi, à défaut de servir dans la bureaucratie, de leurs fortunes certaines familles acquirent une influence notoire qui leur permit d‟assumer un nouveau rôle dans la société. Or, parallèlement, le statut des grands clans dominant l‟État ne semblait plus reposer sur un système légal clairement défini ou sur des propriétés communes, mais uniquement sur l‟importance que la dynastie accordait aux généalogies. C‟est donc avec raison que David G. Johnson fait remarquer : Yet the clan – the clan as an idea rather than a biological entity – was vulnerable just because in the end it was no more than an idea. It was an idea without strong institutions to embody it. […] The social and political systems which had once sustained the great clans had begun to change as early as Sui times, and by late T‟ang had virtually disappeared. The prestige of the great clans remained high because social prejudices changed very slowly57. Enfin, voilà, les valeurs de plusieurs communautés avaient déjà changé, de telle sorte qu‟il n‟était plus nécessaire d‟appartenir à un grand clan ou de servir la bureaucratie pour jouir d‟un statut social élevé. À l‟opposé, ceux qui semblaient toujours justifier leur statut social par leur appartenance à un grand clan étaient les fonctionnaires impériaux liés aux élites de la capitale. Toutefois, la capitale elle-même n‟était apparemment déjà plus ce centre de rayonnement d‟antan sur lequel tous les regards se focalisaient. Car, en effet, elle se faisait peu à peu éclipser par de nouveaux centres économiques et politiques dont le dynamisme pouvait parfois l‟égaler. Ainsi, en sommes-nous aux dernières heures de Chang‟an comme capitale impériale, ce qu‟elle ne sera jamais plus58. Il faut certainement faire attention à notre façon d‟interpréter l‟histoire de cette période. Certes, la capacité de la cour et de sa clientèle à centraliser tous les pouvoirs s‟était estompée, ce qui ne voulait pas dire que l‟anarchie régnait et que la dynastie était condamnée d‟avance à disparaître. De la même manière, lorsque nous lisons que la cour avait des difficultés financières, la réalité n‟était pas que tout l‟empire en souffrait. Seulement, après An Lushan, la restauration se fit au prix d‟une profonde altération des structures d‟autorité tandis que la dynastie fut forcée d‟abandonner de

57 David G. Johnson (1977 b : 48). 58 Edward H. Schafer, « The Last Years of Chang‟an », Oriens Extremus 10 (1963), pp. 133-179. 27 nombreuses prérogatives. Aussi bien les règles du jeu politique entre les provinces et la capitale que les conditions socioéconomiques ayant changées, la cour devait donc accepter les faits accomplis et s‟y faire puisqu‟aucun retour en arrière n‟était possible. Toutefois, il ne semble pas que les bureaucrates aient vu les choses ainsi, eux qui cherchaient non seulement à restaurer la dynastie, mais également à restaurer un ordre social qui n‟existait plus. Ainsi, de maladresse en maladresse, plus la bureaucratie et la cour allaient s‟enliser dans cette voie passéiste, plus elles allaient s‟attiser le mécontentement. D‟une part, si les grands clans avaient perdu la prééminence socioéconomique en de nombreux lieux, en revanche ils dominaient toujours l‟État dont ils contrôlaient les leviers de recrutement. De la sorte, ils pouvaient ainsi freiner la progression des candidats provinciaux aux examens, lesquels accouraient toujours plus nombreux et incarnaient bien l‟enrichissement de certaines provinces59. D‟autres parts, la main mise sur les institutions impériales leur conférait un avantage net sur les nouvelles élites provinciales en leur donnant les moyens légaux de s‟attaquer aux assises de ces dernières. Ce qui pouvait très bien se justifier par le fait que si l‟État s‟affaiblit tandis que certaines communautés prospèrent, il est normal de tirer parti de celles-ci pour renforcer l‟État. Ainsi au nom de l‟État était-il possible de réitérer les sur-taxations irrégulières et les confiscations. Par exemple, la cour aurait à plusieurs reprises tenté de contraindre les détenteurs d‟importantes sources monétaires à céder leurs monnaies moyennant un rachat en nature60. Twitchett cite également le cas de marchands floués par des bureaucrates impériaux qui refusent d‟honorer leurs dettes après avoir contracté des prêts61. Certes, les confiscations ne devaient pas toujours être le fait d‟intérêts personnels ou de politiques dirigées directement contre les marchands. Après tout, l‟État était effectivement aux prises avec une crise monétaire et métallique62. Toutefois, les politiques de confiscation devaient avoir un impact

59 Oliver Moore (2004 : 93-100) discute également du problème des factions dans le processus de recrutement bureaucratique. Il démontre notamment que s‟il y eut des tentatives de réformes au IXe siècle, elles avortèrent toutes en raison de l‟influence des factions aristocratiques à la capitale. 60 THY 89. 1629-1633; Denis C. Twitchett (1970 : 80-81). 61 Denis C. Twitchett (1970 : 297, note 56). 62 Denis C. Twitchett (1970 : 74-83). 28 immédiat sur la vie de nombreux marchands. Ce fut possiblement le cas lorsque la cour ordonna de confisquer les institutions bouddhistes pour résoudre la crise financière dans les années 842-84563. Notamment en raison du fait que les institutions bouddhistes étaient alors activement engagées dans diverses affaires commerciales, entre autres en prêtant de l‟argent aux marchands et aux agriculteurs64. Enfin, les conséquences de la politique fiscale de la cour ne se firent pas uniquement sentir chez les marchands, mais également chez les agriculteurs ne parvenant pas à s‟acquitter de leurs impôts et à joindre la soudure. D‟autant plus que les agriculteurs devaient représenter une part non négligeable de la clientèle des marchands, du moins dans les marchés ruraux. À cela, nous devons ajouter la frustration ressentie par de nombreux candidats aux examens systématiquement exclus de la bureaucratie et bon nombre de militaires constamment victimes de la suspicion des bureaucrates. Bref, plus le temps avançait, plus la dynastie Tang perdait sa légitimité et plus les conditions menant à une vaste rébellion étaient réunies.

1.2 Le temps des rébellions et la destruction de l‟aristocratie (860-907) Si l‟empire Tang parvint jusqu‟ici à préserver un semblant de cohésion, malgré la précarité de l‟équilibre des forces entre les provinces et la capitale, un souffle de mécontentement transformé en un vent d‟agitation séditieuse rendra rapidement patente la volatilité de l‟autorité impériale. Ainsi, en quelques années à peine, de vastes mouvements insurrectionnels populaires s‟abattront sur l‟édifice impérial qui s‟écroulera tel un château de cartes. Au nombre de ceux-ci, mentionnons notamment la révolte de Qiu Fu 裘甫 (859-860), la mutinerie de Pang Xun 龐勛 (868-869) ainsi que la rébellion de Wang Xianzhi et Huang Chao65.

63 Sur les causes économiques des répressions antibouddhistes, voir Jacques Gernet, Buddhism in Chinese Society : An Economic History from the Fifth to the Tenth Centuries, trad. Franciscus Verellen (New York : Columbia University Press, 1995), pp. 14-62; Kenneth Chen, « The Economic Background of the Hui-ch‟ang Suppression of Buddhism », Harvard Journal of Asiatic Studies 19. 1-2 (1956), pp. 67-105. 64 Sur cette question, voir notamment Éric Trombert, Le crédit à Dunhuang. Vie matérielle et société en Chine médiévale (Paris : Collège de France – Institut des Hautes Études Chinoises, 1995). 65 Sur ces insurrections, voir entre autres Wang Yongxing 王永興, Tang dai houqi junshi shilue lungao

29 Parmi ces insurrections, la plus impressionnante et lourde de conséquences fut à n‟en point douter celle de Wang Xianzhi et son successeur Huang Chao, lequel hérita du commandement de nombreuses troupes rebelles unifiées et aguerries. Ayant débuté ici et là par des manœuvres embusquées et des raids isolés, ceux qui alors ne formaient que quelques groupuscules de maquisards disséminés en vinrent à former une armée redoutable capable de mener des opérations d‟envergure sur de très longues distances, tout en procédant à des frappes contre les plus solides bastions impériaux. Ainsi, après avoir combattu sur plusieurs fronts les ayant mené aussi loin que Guangzhou (879), les forces de Huang Chao parvinrent à s‟emparer de Luoyang et Chang‟an qu‟elles occupèrent de 880 à 883, forçant ainsi l‟empereur Tang Xizong 唐 僖宗 (873-888) à s‟exiler avec sa cour à Chengdu (881-885)66. Décidément, pour les uns la capitale impériale n‟était plus que le symbole d‟un régime périmé à abattre, pour les autres un emblème évoquant la mémoire des martyrs loyalistes. Ainsi, l‟entrée en trombe des armées de Huang Chao aurait été suivie d‟un sac témoignant d‟un rare déploiement de haine contre la cité impériale et sa clientèle aristocratique. Du moins, telle est l‟impression qui se dégage de certaines sources, dont les « Lamentations de la Dame de Qin » (Qin fu yin 秦婦吟) de Wei Zhuang 韋 莊 (834?-910)67, lequel décrit avec animosité les massacres et les destructions qui y eurent lieu. Bien que sans doute fondées sur une part de vérité, ces sources doivent cependant être interprétées avec circonspection. Le fait étant qu‟elles furent l‟œuvre de loyalistes exaltés participant à une polémique contre les insurgés, lesquels sont tout simplement taxés de « bandits » sans aucun effort visant à comprendre leurs motivations. Il en allait ainsi du taoïste de cour Du Guangting 杜光庭 (850-933),

唐代後期史略論稿 (Beijing : Beijing daxue chuban she, 2006), pp. 109-178; Robert M. Somers, « The End of the T‟ang », dans Denis C. Twitchett, éd., The Cambridge History of China. Volume 3, part 1 : Sui and T’ang China, 589-906 (Cambridge : Cambridge University Press, 1979), pp. 682-692, 695-700, 720-755; Howard S. Levy, trad., Biography of Huang Ch’ao (Berkeley : University of California Press, 1955). 66 Sur la conquête de Chang‟an et l‟exil impérial, voir Franciscus Verellen, Du Guangting (850-933). Taoïste de cour à la fin de la Chine médiévale (Paris : Collège de France – Institut des Hautes Études Chinoises, 1989), pp. 58-100; Robert M. Somers (1979 : 745-755). 67 Lionel Giles, « The Lament of the Lady of Ch‟in », T’oung Pao 24.4-5 (1925-1926), pp. 305-380; Robin D. S. Yates, Washing Silk : The Life and Selected Poetry of Wei Chuang (834?-910) (Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 1988), pp. 108-122; David Johnson (1977 b : 61-64); Edward H. Schafer (1963). 30 lequel annonçait non seulement à répétition l‟imminence de la restauration Tang assistée de Laozi, mais qui faisait aussi l‟apothéose des loyalistes morts aux mains de Huang Chao, dépeint tel un sanguinaire usurpateur68. Ainsi nous-opposons nous à Robert M. Somers qui adhère beaucoup trop facilement à la rhétorique impériale lorsqu‟il affirme : Whatever the social background of the individual gang member, by joining a bandit gang he became a bandit, and we distort the nature of the challenge to the T‟ang if we insist on labelling the dynasty‟s adversaries as „peasant rebels‟. […] Wang, Huang and their allies were at the head of an interlocking confederation of bandit gangs, not a peasant army; they terrorized the countryside, taking by force whatever could be had and they must indeed have posed an ever-present and terrifying threat to the ordinary peasant. They never sought to advance the interests of the peasantry, and proved only too eager to accept positions from the dynasty, once the terms were right69. Certes, la révolte conduite par Huang Chao ne fut pas à proprement parler une rébellion paysanne, la composition de son armée étant beaucoup plus complexe et les intérêts poursuivis n‟étant pas limités à la paysannerie. Toutefois, ce n‟est pas pour autant qu‟il faut impérativement opposer cette rébellion aux intérêts de la paysannerie et croire que les rebelles ne défendaient aucune cause sociale et économique. À coup sûr, il serait vain de chercher à identifier une cause unique pour expliquer la vague de rébellions qui anéantit la dynastie Tang. Toutefois, ajoutant foi à l‟analyse de la section précédente, il semblerait que la frustration ressentie chez certaines élites provinciales fut un facteur pouvant en expliquer au moins partiellement les origines. D‟une part, grâce à leurs richesses, plusieurs d‟entre elles se trouvaient en compétition avec les familles dominant la cour, lesquelles cherchèrent à se fermer, tandis que la cour en difficulté financière cherchait fréquemment à se sortir de l‟embarras au moyen de perceptions irrégulières à leur insu. D‟autre part, nous avons également vu que

68 Franciscus Verellen (1989 a : 80-84); « A Forgotten T‟ang Restoration : The Taoist Dispensation after Huang Ch‟ao », Asia Major, 3rd series, 7. 1 (1994), pp. 107-153. 69 Robert M. Somers (1979 : 723). Insistons ici sur le fait que Somers répondait surtout aux historiens chinois contemporains de la Révolution culturelle, lesquels soutenaient que la rébellion de Huang Chao était une rébellion paysanne. Notamment, il n‟est pas sans importance de souligner que ces derniers historiens suivaient l‟agenda historiographique de Mao Zidong sur les forces à l‟origine du changement dans l‟histoire chinoise. 31 celles-ci pouvaient disposer de moyens financiers importants, leur permettant croyons-nous de gagner en prestige et d‟assumer un certain leadership. Du moins, si tel était le cas, alors sans doute les nouvelles élites provinciales avaient le pouvoir de rallier à leur cause les autres mécontents de l‟époque. Par exemple, Sima Guang nous informe qu‟un détenteur du degré jinshi du nom de Wang Lu 王輅 fut un influent conseiller de Qiu Fu, l‟instigateur d‟une révolte qui secoua la province du Zhedong 浙東 en 859-86070. Certes, nous ne savons à peu près rien de Wang Lu, lequel n‟est mentionné dans aucune autre source. Toutefois, nous pouvons au moins extrapoler sur deux points. D‟abord, nous pouvons assumer qu‟en dépit de sa réussite aux examens de sélection bureaucratique, possiblement faute de relations politiques, il ne parvint pas à obtenir de poste. Ensuite, nous pouvons conclure qu‟il était un homme éduqué, donc que sa famille était plutôt bien nantie. S‟il en était ainsi, il est donc vraisemblable que Wang Lu développa une frustration contre la cour et sa clientèle qui non seulement cherchèrent à le priver de ses ambitions professionnelles, mais qui étaient également tentées de s‟en prendre à ses ressources économiques pour résoudre la crise financière. De plus, nous pouvons également évoquer le cas de Huang Chao, dont la famille aurait été dans le commerce du sel71 et qui aurait lui-même été un lettré frustré n‟ayant point réussi à intégrer la bureaucratie72. Quant à sa biographie de L’ancienne histoire des Tang, elle nous informe que Huang Chao aurait reçu l‟appui d‟autres lettrés indignés, apparemment eux aussi victimes des factions dominant la cour et la bureaucratie. Ainsi, pouvons-nous lire qu‟au moment où Xizong devint empereur, [la cour] comptait plusieurs factions n‟embauchant que de vils calomniateurs. Tandis que les seigneurs étaient dans un état de perdition morale, les sages et les braves étaient exaspérés et refoulés parmi la multitude au premier soubresaut de la cour, laquelle se distançait toujours plus du monde. Au moment où Chao se souleva, de tels individus se rangèrent à ses côtés. Ainsi, les appels à la mobilisation de Chao qui se propagèrent dans les quatre

70 ZZTJ 250. 8083; Robert M. Somers (1979 : 691). 71 JTS 200. 5391; XTS 225. 6451. 72 ZZTJ 252. 8188. 32 directions trouvèrent un écho dans les mémoires qu‟ils formulèrent, lesquels dénonçaient tous les malversations politiques de la cour. 時多朋黨,小人讒勝,君子道消,賢豪忌憤,退之草澤, 既一 朝有變,天下離心.巢之起也,人士從而附之.或巢馳檄四方, 章奏論列,皆指目朝政之弊73. Ce passage nous laisse donc croire que Huang Chao et plusieurs de ses supporters en avaient fondamentalement après les institutions dynastiques, lesquelles seraient devenues dysfonctionnelles. Compte tenu du contexte, ce que la source citée nomme des « factions » (pengdang 朋黨) pourrait à notre avis être interprété comme les quelques familles aristocratiques se maintenant au pouvoir moyennant des stratégies de népotisme et de clientélisme. Sans nous embourber dans une analyse psychanalytique de Huang Chao, qui se serait mit à détester les bureaucrates de la dynastie Tang, nous croyons qu‟il tira une profonde rancœur des suites de sa désillusion quant à l‟éventualité de devenir un fonctionnaire impérial. Une ambition à laquelle il dut, comme de nombreux autres confrontés à la même réalité, consacrer de longues années d‟études74. Certes, les intérêts que poursuivaient Huang Chao et les autres lettrés frustrés semblaient bien différents de ceux des paysans. Cependant, l‟ambition d‟abattre la domination aristocratique sur les institutions étatiques ne devait pas être sans lien avec les conditions paysannes, voire même avec celles des mutins. Le fait étant que les factions alors en place à la cour étaient non seulement à l‟origine d‟un système de recrutement discriminatoire, mais étaient également perçues comme la source d‟un régime corrompu responsable de la misère des plus démunis victimes d‟impositions fiscales démesurées et d‟une attitude répressive à l‟égard des soldats de l‟empire. D‟une part, comme le souligne Somers, la pression fiscale toujours plus lourde, conjuguée aux calamités environnementales, eut pour effet en certains endroits d‟engendrer des famines et d‟inciter les agriculteurs à abandonner leurs terres. Assez significativement, il semble que les premiers foyers insurrectionnels correspondent aux ères les plus affectées par la crise75. Bien que l‟État ne la provoqua certainement

73 JTS 200. 5392; Miyakawa Hisayuki, « Legate Kao P‟ien and a Taoist Magician Lü Yung-chih in the Time of Huang Ch‟ao‟s Rebellion », Acta Asiatica 27 (1974), p. 76. 74 Pak-sheung Ng (1997 : 38-41). 75 Robert M. Somers (1979 : 682-686). 33 pas volontairement, la maladresse y étant pour beaucoup, il devait être plutôt facile pour des individus comme Huang Chao ou d‟autres tribuns d‟en imputer la faute à la dynastie régnante et de coordonner une sédition. Ainsi, Shang Rang 尚讓, un associé de Huang Chao, aurait rassemblé des habitants de Chang‟an pour les rassurer en leur disant : « Le prince Huang est là pour le peuple, pas comme la famille Li (la dynastie Tang) qui ne se préoccupe pas de vous » 黃王爲生靈,不似李家不恤汝輩76. D‟autre part, nous ne devons pas négliger la crise militaire qui alors envenimait considérablement les rapports entre l‟État et la société. Certes, mise à part quelques provinces du Nord-est, nous ne croyons pas que les gouverneurs provinciaux représentaient une véritable menace à l‟autorité impériale avant 875. Le fait étant que, sous le règne de Tang Xianzong 唐憲宗 (806-821), la cour parvint à soumettre la plupart des gouverneurs séditieux encore en activité et à remplacer plusieurs d‟entre eux par des bureaucrates civils nommés par la cour, lesquels devaient partager leur autorité avec les préfets également nommés par la cour77. Toutefois, cela n‟empêche pas de déceler d‟importantes tensions entre la bureaucratie et certaines armées avant 875, lesquelles se soldèrent par de violentes mutineries annonciatrices des événements à venir. À ce jour, les causes des mutineries qui eurent lieu avant 875 demeurent difficiles à identifier et devront faire l‟objet de recherches plus poussées dans les années à venir. Quant à Somers, il n‟est pas trop clair sur les origines de ces mutineries et semble les associer à la misère des paysans provoquée par les politiques fiscales78. Toutefois, à notre avis, le lien entre les agriculteurs déficitaires et les mutins demeure à démontrer. Certes, il est vraisemblable que l‟État eut parfois voulut écarter la menace de troubles en intégrant certains paysans à des forces expéditionnaires de l‟armée, résolvant ainsi une partie de leurs problèmes liés à l‟alimentation tout en les écartant de leurs foyers. Comme Somers le démontre, ce fut semble-t-il le cas de plusieurs mutins ayant suivi Pang Xun en 868-869. Pour la plupart originaires des campagnes de l‟actuelle province du , ceux-ci auraient été envoyés combattre aux franges du Sud-ouest

76 JTS 200. 5393; Miyakawa Hisayuki (1974 : 76). 77 Wang Gungwu (2007 : 7-19); Charles A. Peterson (1973). 78 Robert M. Somers (1979 : 682-692). 34 de manière à être tenus à l‟écart du centre de l‟empire. Cependant, tandis que la cour s‟obstinait à les garder aux fronts après environ six ans de service, malgré la promesse de les démobiliser, ceux-ci se seraient mis de leur propre chef en marche vers le Nord, sur le chemin du retour à domicile. Bravant les autorités impériales, ils entreprirent ainsi une marche épique de plus de 2000 kilomètres, laquelle prit fin par une campagne punitive de l‟armée impériale aux abords du Grand canal, la région natale des mutins que la cour entendait coûte que coûte sécuriser79. Toutefois, la récurrence des mutineries entre 850 et 870 incite à rechercher des origines plus symptomatiques intrinsèquement liées aux armées professionnelles et à leurs relations avec l‟État. Sur ce point, les hypothèses formulées par Fang Cheng-hua peuvent nous guider vers quelques pistes de réflexion80. Notamment, Fang se pencha sur les origines socioculturelles de la dégradation des rapports entre militaires et bureaucrates suite à la rébellion d‟An Lushan. Ainsi postule-t-il que, contrairement à l‟esprit de symbiose qui prévalait au début de la dynastie, une forme de « ségrégation » s‟installa entre militaires et bureaucrates. Selon lui, tandis que les bureaucrates se mirent à percevoir les militaires comme des êtres sans scrupule représentant une menace permanente au bon fonctionnement de l‟État et de la société, les premiers auraient entrepris de constamment affirmer leur supériorité sur les seconds qu‟ils cherchèrent à domestiquer en les maintenant dans un état de dépendance et de subordination. Une mise sous tutelle aurait ainsi eu pour but d‟empêcher les militaires de prendre part à la vie politique. D‟après Fang, une telle attitude aurait ainsi été à l‟origine de l‟hostilité que certains militaires nourrirent à l‟endroit des bureaucrates de la cour à l‟approche de la rébellion de Huang Chao81. Sans aucun doute, cette animosité et ce mépris dont étaient l‟objet les militaires fut à l‟origine de dérapages considérables ayant nuit au prestige de la dynastie parmi ses troupes. D‟une part, nous rencontrons fréquemment des arguments émanant de la

79 Voir l‟article que Robert des Rotours consacre à cette mutinerie, « La révolte de P‟ang Hiun 龐勛 (868-869) », T’oung Pao 56. 4-5 (1970), pp. 229-240. 80 Fang Cheng-hua, « Power Structures and Cultural Identities in Imperial China : Civil and Military Power from Late Tang to Early Song Dynasties (A.D. 875-1063) », thèse doctorale, Brown University, 2001. 81 Fang Cheng-hua (2001 : 26-44). 35 bureaucratie en faveur d‟une démobilisation des troupes, ce qui pour plusieurs soldats professionnels devait vouloir dire la perte d‟un gagne-pain. Du moins, une question de subsistance ne devait pas être totalement étrangère au refus de certaines armées de se voir démantelées, tandis que la cour continuait de faire appel à des mercenaires étrangers pour défendre les frontières de son empire. D‟autre part, il est possible que le fait de confier le commandement de certaines armées à des bureaucrates sans expérience militaire, peu au fait des réalités de la guerre et porteur d‟une vision négative des soldats, fut à l‟origine d‟erreur stratégique et logistique, voir de mauvais traitements, mettant en péril la vie des soldats. Ainsi est-il courant de rencontrer des mutineries donnant suite à des tentatives de la cour cherchant à limoger certains commandants pour les remplacer par des bureaucrates de la capitale. Certes, nous sommes encore mal renseignés sur les causes des mutineries qui parsemèrent le IXe siècle. Toutefois, il est permit de croire que de l‟armée provenaient de nombreux mécontents enclins à joindre les hordes de révoltés. Ce fut certainement ce flot de soldats professionnels mis au ban de l‟État qui contribua à rendre les troupes rebelles à la disposition de Huang Chao si redoutables. Devant l‟hétérogénéité des forces rebelles, aussi bien composées d‟agriculteurs, de soldats que de marchands, lesquels semblent souvent associés à des contrebandiers, il y eut probablement des intérêts fort divergents en leur sein. Mais une telle variété de profils en dit également long sur la perte de légitimité de la dynastie Tang, laquelle perdit l‟appui de larges segments de la société.

1. 3 Les Cinq dynasties et le nouvel ordre politique (907-960) Certes, après la victoire impériale sur les forces rebelles en 884, la dynastie Tang subsista pour encore une vingtaine d‟années, tandis que sa cour continua d‟être dominée par les mêmes factions que jadis, bien que lourdement affligées. Toutefois, cette fois-ci aucune restauration digne de ce nom n‟eut lieu. Dès lors, le destin de la dynastie ne se jouait ni à la cour ni à la capitale, mais bien au niveau des diverses

36 commanderies partagées entre généraux loyalistes et ex-rebelles82. Malheureusement pour la dynastie, à moyen terme ce fut ces derniers qui remportèrent la lutte en prenant non seulement le contrôle de toute la plaine septentrionale, mais également en subjuguant littéralement la cour. Dans ce contexte, de 903 à 905, un ex-rebelle du nom de 朱溫 (852-912) et ses hommes vont exécuter l‟empereur Tang Zhaozong

83 唐昭宗 (889-904) et purger la cour de son ancienne clientèle . Dès le régicide de 904, à toute fin pratique la dynastie Tang était déjà destituée, tandis que les bureaucrates aristocratiques ayant survécu aux purges prirent la fuite pour aller se mettre sous la protection de généraux loyalistes dominant essentiellement les provinces de l‟Ouest et du Sud de l‟empire. Ainsi, en 907, une nouvelle page d‟histoire s‟ouvrit avec la proclamation de la dynastie Liang 梁 (907-923) par Zhu Wen, lequel contribua à instaurer un nouvel ordre sociopolitique dans la plaine septentrionale après environ six siècles de domination aristocratique. Au même moment, mettant en doute la légitimité de la dynastie Liang, plusieurs des généraux dominant les régions qui servirent d‟exutoire aux réfugiés loyalistes vont se dissocier et se proclamer empereurs de dynasties régionales. Nous voilà donc plongés dans la période des Cinq dynasties et Dix royaumes, au nombre desquels se situent les Royaumes de Shu antérieur et postérieur au cœur de notre étude. Mais avant d‟en arriver là, parcourons d‟abord les transformations qui se produisirent dans le Nord sous les Cinq dynasties, ce qui nous aidera à mieux situer l‟évolution de Shu au cours de cette période. À ce jour, peu d‟études ont été conduites sur l‟histoire des Cinq dynasties. En fait, l‟engouement pour cette période dont on admet aujourd‟hui l‟importance commence à peine à se faire sentir parmi les historiens occidentaux. Ainsi pouvons-nous souligner les récents efforts de Naomi Standen, Peter Lorge et Richard L. Davis dont les travaux contribueront à donner un souffle nouveau aux études de cette période84. Pourtant,

82 Wang Gungwu (2007 : 19-37); Robert M. Somers (1979 : 762-789); Naomi Standen, « The Five Dynasties », dans Denis C. Twitchett et Paul J. Smith, éds., The Cambridge History of China. Volume 5, part 1 : The Sung Dynasty and Its Precursors, 907-1279 (Cambridge : Cambridge University Press, 2009), pp. 39-62. 83 ZZTJ 265. 8635-8636, 8643; Wang Gungwu (2007 : 72-73, 83). 84 Outre quelques articles de critique historiographique sur La nouvelle histoire des Cinq dynasties, 37 plus de 45 ans auparavant, Wang Gungwu publia un ouvrage mémorable intitulé The Structure of Power in North China during the Five Dynasties (1963), lequel à notre avis ne reçut pas la notoriété qu‟il aurait dû. Espérons que la réédition de ce classique, publiée sous le titre Divided China : Preparing for Reunification, 883-947 (2007), renversera la vapeur et attirera davantage l‟attention sur la réingénierie des institutions étatiques entre les règnes de Liang Taizu 梁太祖 (907 et 912) et Zhou Shizong 周世 宗 (954-959)85. Notamment, en s‟inspirant des thèses d‟Hino Kaisaburō 日野開三郎, un pionnier de l‟historiographie des Cinq dynasties, Wang avance que, contrairement aux idées reçues, les Cinq dynasties étaient davantage une période de centralisation politique qu‟une période de décentralisation et d‟exacerbation du militarisme86. C‟est-à-dire que, selon lui, le véritable paroxysme du morcellement de l‟autorité politique et militaire se situerait durant les trente dernières années de la dynastie Tang, suite à quoi s‟amorça une nouvelle marche vers la consolidation du pouvoir impérial et la mise en place de nouvelles structures étatiques. Ainsi démontre-il comment à cette époque prit place dans le Nord un important processus de bureaucratisation dans lequel la mentalité aristocratique perdit sa raison d‟être et dut faire place au principe de la spécialisation. Dans cette perspective, non seulement les Cinq dynasties représentent une profonde rupture par rapport à la dynastie Tang, mais surtout

Richard L. Davis (1997; 1998 a; 1998 b; 2000) a notamment procédé à une première traduction complète de cet ouvrage publiée sous le titre Historical Records of the Five Dynasties (New York : Columbia University Press, 2004). Peter Lorge a tout récemment édité un ouvrage intitulé Five Dynasties and Ten Kingdoms (Hong Kong : Chinese University Press, 2010). Malheureusement cependant, nous n‟avons pas eu accès à cet ouvrage au moment de la rédaction du présent mémoire. Enfin n‟oublions pas l‟étude monumentale de Naomi Standen sur la dynamique des changements d‟allégeances durant les Cinq dynasties (2007) et sa synthèse parue dans la Cambridge History of China (2009). De Standen, voir également l‟article « Raiding and Frontier Society in the Five Dynasties », dans Nicola Di Cosmo, Don J. Wyatt, éds., Political Frontiers, Ethnic Boundaries, and Human Geographies in Chinese History (New York : Routledge Curzon, 2003), pp. 160-191. 85 Liang Taizu réfère à Zhu Wen. À propos de ce dernier, outre l‟ouvrage de Wang Gungwu, voir Li Bingquan 李炳泉, Zhu Wen 朱溫 (Taibei shi : Wenlü chuban she youxian gongsi, 1994). Quant à Zhou Shizong, également connu sous le nom de Chai Rong 柴榮, il fut le second et dernier empereur des Zhou postérieurs 後周 (951-960), la dernière des Cinq dynasties. Sur ce dernier, voir notamment Han Guopan 韓國磐, Chai Rong 柴榮 (Shanghai : Shanghai renmin chuban she, 1956); Richard L. Davis, « The Heroism of Chou Shih-tsung in the Eleventh Century : Perspectives from the Historical Records of the Five Dynasties », dans Song Xuxuan jiaoshou bashi rongshou lunwen ji 宋旭軒教授八 十榮壽論文集 (Taipei : Huatai yinshua chang youxian gongsi, 2000), pp. 1148-1134. 86 Les travaux d‟Hino furent réédités en 20 volumes, voir Hino Kaisaburō Tōyōshigaku ronshū 日野開 三郎東洋史學論集 (Tokyo : San‟ichi shobō, 1984-1987-1995). Pour un résumé des principales thèses d‟Hino, voir Yamazaki Satoshi, « Topics and Results of the Studies of the Five Dynasties and Ten Kingdoms Period during the Past 25 Years », Journal of Song-Yuan Studies 36 (2006), pp. 145-146. 38 marquent-elles le point de départ des institutions de la dynastie Song. Selon Wang Gungwu, la prise de pouvoir de Zhu Wen fut donc un point tournant majeur dans l‟histoire impériale. Ainsi, avant d‟en venir aux réformes introduites par celui-ci, tâchons de comprendre comment cet ex-rebelle devint le « fils du ciel ». Pour ce faire, il faut donc remonter à l‟armée de la commanderie Xuanwu 宣武 (Henan) dont il était le gouverneur depuis 88387. Car, effectivement, c‟était en s‟appuyant sur celle-ci qu‟il parvint à étendre graduellement son autorité aux commanderies voisines tout en augmentant constamment son armée par l‟intégration de soldats venus des commanderies conquises. Toutefois, il importe de noter que l‟expansion territoriale de Zhu Wen était sournoise et allait à petit train. De sorte que, jusque vers la fin du IXe siècle, ce n‟était qu‟officieusement qu‟il contrôlait d‟autres commanderies par l‟intermédiaire de gouverneurs et préfets lui étant attachés. Ce ne fut qu‟à partir de 897, alors qu‟il maîtrisait déjà huit commanderies, que les intentions de Zhu Wen devinrent plus apparentes. Ainsi, en 898 il devint officiellement gouverneur de trois commanderies, tandis qu‟en 901 il parvint à soumettre le Guanzhong 關中, c‟est-à-dire la région incluant Chang‟an, et à s‟immiscer plus énergiquement dans les affaires de la cour88. Ce fut donc au moyen d‟une judicieuse stratégie déployée sur deux décennies que Zhu Wen vint à bout de consolider durablement ses bases politiques provinciales. Pour y parvenir, sa tactique fut de constamment s‟entourer de dépendants issus de sa cohorte et de ne nommer que ceux-ci aux postes clefs de son organisation. D‟une part, lorsque vint le temps d‟asseoir son autorité sur l‟armée Xuanwu, il prit grand soin d‟affecter aux postes de commande ses propres hommes de confiance tout en retenant les services des hauts-gradés déjà en fonction. D‟autre part, au fur et à mesure qu‟il parvenait à soumettre d‟autres commanderies, aussitôt remplaçait-il les gouverneurs en place par des hommes de son choix. Et comme la loyauté des gouverneurs pouvait

87 Également connue sous le nom de province de Bian 汴, cette commanderie comprenait la ville de 開封, pour la première fois promue au rang de capitale impériale sous la dynastie Liang. En raison de la position vitale de cette province par son accès au Grand canal et les greniers dont elle disposait, elle fut dotée par le pouvoir impérial de la plus importante armée professionnelle de l‟empire, c‟est-à-dire l‟armée Xuanwu. Voir Wang Gungwu (2007 : 47). 88 Cette lente marche vers le pouvoir de Zhu Wen est décrite plus en détail par Wang Gungwu (2007 : 46-74); Naomi Standen (2009 : 39-52). 39 s‟avérer aléatoire, de manière à confiner l‟autorité de ceux-ci à leur capitale provinciale, il augmenta le pouvoir des préfets sous les ordres directs desquels il plaça des troupes. De telle sorte que les gouverneurs ne détenaient pas plus d‟autorité que les préfets89. L‟originalité et la force de la dynastie Liang étaient que sa cour et son système provincial reposaient sur la même organisation que celle qui prévalait avant que Zhu Wen ne devienne Liang Taizu. Ainsi, lorsque ce dernier fit purger la cour Tang et procéda à un réaménagement complet de l‟État à partir de 903, il remplaça un à un tous les eunuques et bureaucrates indésirables par des dépendants issus de son gouvernement provincial90. Notamment, c‟était en s‟appuyant sur ceux-ci que Zhu Wen instaura un système de commissions impériales – au nombre de 26 selon Wang Gungwu – sur lequel reposait l‟ensemble de l‟appareil politico-administratif de la dynastie Liang91. De la sorte, il concentra le pouvoir entre les mains d‟officiers de palais dont le statut hiérarchique était déterminé par les titres dont ils étaient investis dans la garde impériale. Par l‟entremise des commissaires, dont ceux de la Commission des affaires militaires et de la Commission de surveillance des officiers de palais (xuanhui yuan 宣徽院), Zhu Wen parvint ainsi à soumettre la bureaucratie et les provinces à une étroite supervision. D‟autre part, tout en continuant à affaiblir les gouverneurs dont il réduisit toujours plus la taille des commanderies, Zhu Wen parvint à donner le ton aux relations provinciales en s‟assurant que l‟armée la plus puissante fut l‟armée de palais (jinjun 禁軍) dominée par lui et ses dépendants92.

89 Selon Wang Gungwu (2007 : 67-69), Zhu Wen aurait donc eu recours à la même stratégie que la dynastie Tang au moment où elle cherchait à rétablir son autorité en province après la rébellion d‟An Lushan. 90 Au moment de s‟immiscer à la cour vers 903, une des premières entreprises de Zhu Wen fut de prendre le contrôle de l‟armée impériale (Shence jun 神策軍) en exécutant les eunuques qui la dirigeaient et en abolissant le Bureau des affaires militaires (shumi yuan), lequel ne sera rétabli qu‟en 907 sous un nouveau nom (Chongzheng yuan 崇政院). À propos de ces institutions centrales sous la dynastie Liang, voir notamment Mu Jing 穆靜, « Wudai bingzhi kao » 五代兵制考, dans Ren Shuang 任爽, éd., Wudai dianzhi kao 五代典制考 (Beijing : Zhonghua shuju, 2007), pp. 200-209; Du Wenyu 杜文玉, Wudai Shiguo zhidu yanjiu 五代十國制度研究 (Beijing : Renmin chuban she, 2006), pp. 117-136, 372-389; Dai Xianqun (2001 : 140-152, 178-192). 91 Wang Gungwu (2007 : 85-93). 92 Comme le fait le remarquer Wang Gungwu (2007 : 121), entre 907 et 910, de nouvelles commanderies étaient fondées par Zhu Wen alors que le territoire qu‟il dominait ne s‟était pas agrandi d‟un seul pouce. Quant aux armées palatines durant les Cinq dynasties, voir Zhang Qifan 張其凡, Wudai jinjun chutan 五代禁軍初探 (Guangzhou : Jinan daxue chuban she, 1993).

40 Considérant la prééminence d‟individus issus de l‟armée de Zhu Wen à la cour de Kaifeng, plusieurs ont cru y déceler la preuve du militarisme de la dynastie Liang. Ainsi, une insistance particulière est généralement mise sur l‟argument voulant que les militaires aient alors dominé l‟ensemble des institutions étatiques, tandis que les bureaucrates furent relégués au second plan. Toutefois, Wang Gungwu a certainement raison de nous faire comprendre que la réalité n‟était pas aussi simple. It has often been pointed out that the Wu-tai was a period of „military men‟s politics‟. A strong indication of this seems to have been present in the Liang palace service […]. But the duties these officers were allowed to perform and the power they wielded did not depend on their military power. Although they continued to hold military titles which connected them with the Sixteen Imperial Guards, these titles were only sinecures with little military or political influence. […] Their „politics‟ was not that of „military men‟ but merely that of „inner officials‟. This kind of „politics‟ has to be distinguished from what generals and commanders of the imperial armies were able to do93. À cet énoncé clairvoyant, nous pourrions ajouter que non seulement lesdits militaires n‟occupaient pas leurs fonctions à la cour en raison de leurs aptitudes guerrières, mais surtout qu‟ils n‟étaient apparemment pas des soldats de vocation voués à une carrière militaire, mais bien d‟ex-rebelles devenus soldats par accident dans le contexte de la rébellion de Huang Chao. Prenons, par exemple, les présidents de la Commission des affaires militaires Li Zhen 李振 (mort en 923) et Jing Xiang 敬翔 (mort en 923). Tous les deux étaient des lettrés frustrés ayant été plusieurs fois recalés aux examens jinshi avant de se joindre à Huang Chao94. Bien que Li Zhen ait été célèbre pour son rôle dans le massacre de bureaucrates à la cour en 905, en revanche nous présumons que celui-ci n‟ait pas été contre les valeurs bureaucratiques, seulement il détestait les bureaucrates corrompus de la dynastie Tang95. Un autre cas illustrant le risque de se prononcer trop hâtivement en ne se référant qu‟aux titres dans l‟armée est celui de Duan Ning 段凝 (mort en 927), lequel entra également à la cour de Kaifeng, d‟où il était originaire, en tant qu‟officier de palais

93 Wang Gungwu (2007 : 96). 94 JWDS 18. 246-254 (les biographies de Jing Xiang et Li Zhen se suivent). 95 ZZTJ 265. 8643; Pak-sheung Ng (1997 : 39-41); Wang Gungwu (2007 : 83-84). 41 avant de devenir haut-gradé de l‟armée. Or, avant de se mettre au service de Zhu Wen, Duan Ning n‟était pas soldat, mais bien préposé aux registres (bu 簿) d‟un hameau non loin de Luoyang96. À notre avis, le simple fait qu‟un individu fut un militaire ou un rebelle ne nous dit rien à propos de ses compétences professionnelles. Cela dit, il n‟est pas exclu qu‟un militaire puisse avoir développé d‟autres aptitudes que celles strictement liées à la guerre. Nous pouvons ainsi penser à Zhang Quanyi 張全義 (850-926), lequel représenta notamment la dynastie Liang à Luoyang en plus d‟être un gouverneur expérimenté que Zhu Wen employa à la tête de diverses commanderies selon les besoins. Nous ne savons pas si Zhang Quanyi prit part aux examens jinshi sous la dynastie Tang. En revanche, nous savons qu‟il joint le camp de Huang Chao peu après la chute de Chang‟an en qualité de président du Ministère des fonctionnaires (libu shangshu 吏部尚書) et de commissaire du transport fluvial (shuiyun shi 水運 使)97. Sous la dynastie Liang, la composition sociale de la cour était fort différente et beaucoup plus hétérogène que celle qui prévalait sous la dynastie Tang. Ainsi, suite aux purges des années 903-905, les éléments aristocratiques eurent tendance à s‟effacer de la bureaucratie centrale au profit de nouvelles élites aux profils sociaux divers. Par là, nous n‟affirmons pas que la dynastie Liang n‟eût compté aucun descendant de grands clans ou de hauts-fonctionnaires dans sa bureaucratie, ce qui serait faut puisqu‟il y en avait. Ce fut notamment le cas de Jing Xiang, lequel, en dépit de ses origines, échoua aux examens jinshi et joignit Zhu Wen alors qu‟il était dans le camp de Huang Chao98. Cependant, de tels individus ne se comptaient certainement en grand nombre, et il ne semble pas non plus que leur statut se justifiait par celui de leurs ancêtres. En fait, la dynastie Liang était apparemment plus en quête de loyauté, d‟expertise et de support populaire que de pedigrees pompeux dans la construction de son État. Pour ce faire, la cour était donc prête à ouvrir les portes de sa bureaucratie à des

96 JWDS 73. 962-963. 97 JWDS 63. 837-844. 98 JWDS 18. 246-247. Wang Gungwu (2007 : 91) mentionne le cas d‟un autre officier de palais du nom Li Yu 李郁 (mort en 940), lequel provenait de la famille impériale de la dynastie Tang. Voir JWDS 96. 1280. 42 individus qui n‟auraient jamais pu espérer être appelés à jouer un rôle de premier plan dans la bureaucratie centrale sous la dynastie Tang. De telle sorte que la dynastie Liang comptait au sommet de ses institutions des individus relevant de toutes sortes de catégories difficiles à démarquer : des ex-rebelles, des lettrés frustrés, des soldats professionnels, des fils de petits fonctionnaires locaux et des fils de marchands. Mentionnons par exemple le cas de Zhang Yun 張筠 dont le père – Zhang Chuangu 張傳古 – était un grand marchand (dashang 大商) de la région de Haizhou 海州 (région limitrophe entre le Shandong et le ). Avant d‟être au service de Zhu Wen à partir de 893 et de se voir nommé commissaire de la Commission de surveillance des officiers de palais en 907, Zhang Yun eut une longue carrière dans la commanderie (jun 軍)99 Wuning 武寧 sous la direction du gouverneur loyaliste 時溥, à la solde de qui il débuta comme lieutenant-général (pianjiang 偏將) pour finalement occuper le poste de préfet de Suzhou (宿州刺史) durant une dizaine d‟années. Nous avons donc de bonnes raisons de croire que Zhu Wen le recruta en raison de son expérience en milieu préfectoral, ce qui incitera d‟ailleurs Zhu Wen à fréquemment l‟envoyer dans diverses préfectures alors même qu‟il était officier de palais100. Enfin, nous ne croyons pas que Zhu Wen était contre la bureaucratie, mais plutôt qu‟il était en quête d‟efficience bureaucratique, ce qui tend à se confirmer par les fréquents examens de recrutement tenus sous la dynastie Liang101. Effectivement, la dynastie Liang ne parvint pas à régner sur un empire aux frontières aussi colossales qu‟elles étaient sous la dynastie Tang à son apothéose. Pour cause, les territoires du Sud, de l‟Ouest et du Hedong n‟en faisaient pas partie. Cependant, les réformes introduites en territoire Liang allaient survivre à sa chute en 923 et servir de modèle pour les dynasties nordistes subséquentes. Certes, lorsque le

99 Plus tôt sous la dynastie Tang, le caractère jun 郡 était employé pour désigner une commanderie. Néanmoins, durant la période qui nous intéresse, ce caractère cesse généralement d‟être utilisé au profit du caractère jun 軍, lequel en l‟occurrence semble aussi bien faire référence à l‟armée d‟une commanderie qu‟à la commanderie elle-même. 100 Pour la biographie de Zhang Yun, voir JWDS 90. 1181-1182. Quant à Shi Pu, il se fit défaire par les armées de Zhu Wen en 893. C‟est à ce moment que Zhang Yun aurait joint l‟organisation de Zhu Wen. 101 Voir le juan 30 du Wenxian tongkao 文獻通考 de Ma Duanlin 馬端臨(1254-1323), la principale source sur laquelle se base Wang Gungwu (2007 : 94, 112, note 28). Voir également Zhang Yongmei 張 詠梅, « Wudai keju zhidu kao » 五代科舉制度考, dans Ren Shuang 任爽, éd., Wudai dianzhi kao 五 代典制考 (Beijing : Zhonghua shuju, 2007), pp. 116-164; Du Wenyu (2006 : 48-98).

43 prince de Jin 金王, Li Cunxu 李存勗 (885-926), vint fonder les Tang postérieurs 後 唐 (923-936), celui-ci se fit le chantre de la restauration Tang et chercha à réinstaurer un gouvernement aristocratique102. Toutefois, après que Zhu Wen eut résolu un des problèmes internes ayant le plus miné l‟effort de reconstruction de la dynastie Tang avant 907, c‟est-à-dire celui des favoris et des factions aristocratiques, la politique de restauration fut un échec lamentable. D‟une part, parce que Li Cunxu dut réemployer le personnel de la dynastie Liang, ses bureaucrates, ses préfets, ses gouverneurs et ses soldats. D‟autre part, car il devait également composer avec ses anciens effectifs provinciaux qu‟il dut intégrer au nouvel État. Dans ces conditions, s‟ensuivit donc des intrigues et des révoltes au bout desquelles les éléments provinciaux l‟emportèrent, mettant ainsi un terme à la restauration aristocratique. De telle sorte qu‟après la mort de Li Cunxu en 926, son successeur, Li Siyuan 李嗣源 (867-933), dit Tang Mingzong 唐明宗, ne fera aucun effort en vue de la poursuivre. En dépit des plus ou moins rapides changements dynastiques, jusqu‟à l‟avènement de la dynastie Song, une base politique toujours plus centralisée semblait se diffuser dans l‟espace territorial du Nord, d‟où allait éclore le projet de reconquête impériale après 960. Ainsi, malgré l‟alternance de dynasties éphémères, la dynamique des changements d‟allégeance fit en sorte que les officiers de palais, les bureaucrates, les gouverneurs et les préfets assumèrent une continuité institutionnelle, laquelle fut au fil des années un facteur de stabilisation. Certes, durant les premières années du Xe siècle, les gouverneurs et préfets des marches frontalières jouissaient d‟une plus grande lassitude quant au choix de leurs allégeances. Toutefois, avec l‟annexion du Hebei et du Hedong à l‟ancien territoire des Liang suite à la fondation des Tang postérieurs, les options pouvant s‟offrir à d‟éventuels transfuges se réduisirent considérablement. De plus, si nous excluons la fondation des Tang postérieurs, laquelle était le résultat de plusieurs décennies de guerre remontant à la confrontation

102 Li Cunxu était le fils de Li Keyong 李克用 (856-908), général turque adopté par la famille impériale Li et farouche adversaire de Zhu Wen qui dominait les provinces du Hedong et du Hebei, dont le centre politique était . Sur la restauration et les causes de sa faillite, voir Wang Gungwu (2007 : 98-108). À propos de Li Cunxu, que nous connaissons également sous le nom de Tang Zhuangzong 唐莊宗, Richard L. Davis s‟apprête à publier une biographie sous le titre de Emperor and Bard : A Biography of Zhuangzong. 44 entre Zhu Wen et le père de Li Cunxu, Li Keyong, les successions dynastiques de la plaine centrale furent toutes le fait de petits coups d‟État internes orchestrés par des généraux en poste à la cour103. N‟étant pas à proprement parler l‟issue de guerres entre différents régimes, les changements de dynasties ne semblaient donc pas se traduire par un chamboulement des structures d‟autorité régionales, ou par des remaniements ministériels radicaux. Ce qui explique que la grande majorité des protagonistes servirent successivement plusieurs dynasties104. Sans aucun doute, le processus de centralisation et de consolidation territoriale du Nord sous les Cinq dynasties est un élément fondamental pour comprendre l‟avènement de l‟empire Song. Toutefois, un autre aspect interdépendant tout aussi important fut l‟intense bureaucratisation de l‟État sous les Cinq dynasties. Nous avons déjà observé que sous la dynastie Liang, les institutions étatiques passèrent sous le contrôle de professionnels provinciaux ayant cumulé diverses expériences, aussi bien dans le domaine des armes que de l‟administration. Or, dès la fin des Tang postérieurs, et plus particulièrement après la fondation de la dynastie Jin, il semble que les plus hautes fonctions de cour commencèrent à êtres accaparées par des lettrés jadis recrutés par la voie des examens. Prenons par exemple le cas de trois grands ministres à la cour de Shi Jingtang : Sang Weihan 桑維翰 (899-947), He Ning 和凝 (898-955) et Cui Zhuo 崔梲 (?-?). Sang Weihan, lequel obtint son degré jinshi entre 923 et 926, est particulièrement intéressant en ce sens qu‟il fut un des premiers fonctionnaires civils sans expérience militaire significative à occuper le poste de commissaire des affaires militaires (shumi shi) à partir de 936105. Quant à He Ning et Cui Zhuo, l‟un comme l‟autre débutèrent leur carrière sous la dynastie Liang après avoir obtenu leur degré

103 Shi Jingtang 石敬瑭 (892-942) était l‟un des généraux les plus influents à la cour des Tang postérieurs avant de la destituer pour fonder la dynastie des Jin postérieurs 後晉 (936-947); Liu Zhiyuan 劉知遠 (895-948) était lui aussi un ancien général influent des Tang postérieurs, lequel assista Shi Jingtang au moment de fonder les Jin postérieurs, à la cour desquels il occupait une position prédominante lorsqu‟il proclama la très éphémère dynastie des Han postérieurs 後漢 (947-951); Guo Wei 郭威 (904-954) était un ancien collaborateur de Shi Jingtang qui devint président de la Commission des affaires militaires sous les Han postérieurs avant d‟instaurer la dynastie des Zhou postérieurs. 104 Naomi Standen (2007). 105 JWDS 89. 1161-1169; XWDS 29. 319-321; Wang Gungwu (2007 : 154). 45 jinshi entre 915 et 921106. À juste titre, il serait donc déconseillé de négliger l‟importance des fonctionnaires détenteurs du degré jinshi, et encore moins de les passer sous silence comme il est coutume de le faire. D‟autant plus que, comme le fait remarquer Wang Gungwu, plus nous approchons de 960, plus l‟influence de ceux-ci devient prépondérante107. Ainsi, parmi les grands ministres et plus proches collaborateurs de Zhou Shizong, nous trouvons essentiellement des lettrés, des bureaucrates en bonne et due forme, lesquels feront partie de la première génération de fonctionnaires à l‟emploi de la dynastie Song. Pensons entre autres à Wang Pu 王溥 (922-982), le compilateur du Tang huiyao et du Wudai huiyao, lequel obtint son degré jinshi entre 948 et 950 sous les Han postérieurs108. De la même façon, nous pouvons également nous référer à Fan Zhi 范質 (911-964), lequel réussit à intégrer les hautes sphères de l‟État après sa réussite aux examens jinshi entre 930 et 933109. En insistant sur la présence marquée de lettrés civils à la cour des Jin, des Han et des Zhou, il est évident que nous ne cherchons pas à dire que les militaires de carrière cessèrent de jouer un rôle dans la vie politique. Seulement, il semblait se produire une situation de retour à la normale par laquelle le partage des responsabilités entre militaires et bureaucrates redevint plus ou moins clairement délimité. Certes, il va sans dire que les forces armées demeurèrent au centre des préoccupations de chacun des souverains. Sans elles, nous pouvons affirmer sans grand risque de nous tromper qu‟il n‟y aurait point eu de reconquête impériale. Toutefois, suite aux efforts soutenus des diverses dynasties pour maintenir les gouverneurs et les préfets en position de dépendance, ces derniers étaient de moins en moins en mesure de menacer l‟autorité de la cour sur son propre territoire. Ce qui permit à cette dernière de toujours plus accentuer la centralisation du commandement militaire, lequel demeurait plus ou moins intact malgré les changements dynastiques qui n‟avaient généralement pas été l‟objet de guerres coûteuses. Dans ce contexte, le ratio des forces devant être affectées

106 JWDS 93. 1231-1232, 127. 1671-1673; XWDS 56. 639-640; Wang Gungwu (2007 : 94). 107 Wang Gungwu (2007 : 165-169). 108 SS 249. 8799-8802; DDSL 18. 2-3. 109 SS 249. 8793-8799; DDSL 18. 1-2. 46 au maintien de la paix intérieure eut considérablement réduit, tandis que des effectifs de plus en plus percutants pouvaient êtres dirigés vers l‟extérieur dans le but d‟entreprendre la reconquête impériale. Il serait donc une grande injustice d‟affirmer que l‟entreprise d‟unification ne débuta qu‟avec la dynastie Song, car déjà sous les Zhou postérieurs la cour s‟était engagée dans cette voie en dirigeant ses troupes vers les royaumes du Sud110. Comme nous avons souhaité le démontrer dans cette section, il est donc possible d‟étudier les Cinq dynasties autrement qu‟en se référant à l‟étiquette du militarisme. Le fait étant que d‟importantes transformations institutionnelles caractérisées par un processus de centralisation et de bureaucratisation étaient en branle. Avant de clore cette portion d‟analyse, nous aimerions revenir rapidement sur la question du commerce, de l‟urbanisation et de l‟attitude de ces régimes face à de tels phénomènes. Ce sera ainsi une autre opportunité de mettre un bémol aux discours affirmant que sous les Cinq dynasties se proliféraient la destruction économique et l‟oppression fiscale pour répondre aux besoins incessants de la guerre continuelle. Car, en réalité, il semble plutôt que les échanges commerciaux continuaient de s‟intensifier tandis que l‟urbanisation demeurait en hausse, ce qui est loin d‟être habituel en temps de chaos. D‟autre part, contrairement à la dynastie Tang, l‟État semble non seulement avoir cessé de percevoir les marchands comme une menace, mais surtout semble-t-il se soucier d‟améliorer les infrastructures urbaines afin de faciliter leurs activités. Ainsi, quarante-huit ans après que Liang Taizu prit la décision d‟établir sa capitale à Kaifeng, voici comment Zhou Shizong, lui-même un ancien marchand de thé111, s‟exprimait à propos de cette même ville dans un édit. Indigènes et étrangers accourent tous vers la capitale de l‟Est, où ils arrivent par voies fluviales et terrestres. En raison de la paix qui se poursuit, la prospérité continue d‟augmenter à tous les jours. Toutefois, comme la ville est vieille, les infrastructures ne sont plus adaptées. Les casernes de la garde sont trop étroites et il n‟y a pas d‟emplacement pour relocaliser les divers bureaux administratifs. À cela s‟ajoute le fait qu‟il n‟y a pas suffisamment de magasins

110 Edmund H. Worthy, Jr., « The Founding of Sung China, 950-1000 : Integrative Changes in Military and Political Institutions », thèse doctorale, Princeton University, 1976. 111 WDSB 5. 4; Han Guopan (1956 : 12-15). 47 dans les marchés et les enclos. Pourtant, les marchands et les artisans qui arrivent de l‟extérieur ne cessent d‟affluer. […] Pour le bien de tous, il est donc impératif d‟agrandir la cité. 東京華夷輻 輳, 水陸會通, 時向隆平, 日增繁盛. 而都城因舊, 制度未恢, 諸衛軍營, 或多窄狭, 百司公署, 無處興修. 加以坊市之中, 邸 店有限, 工商外至, 絡繹無窮. […] 將便公私, 須廣都邑112. Il serait difficile d‟imaginer qu‟une telle pression démographique ne débuta qu‟au moment où les Zhou postérieurs furent fondés, un tel essor commercial dut débuter bien avant. Ainsi, deux conclusions s‟imposent quant au dynamisme de Kaifeng. Premièrement, cette ville était déjà prospère bien avant l‟arrivée de la dynastie Song. Deuxièmement, il n‟y avait pas que les royaumes du Sud qui connaissaient la prospérité à cette époque.

112 WDHY 26. 417; Heng Chye Kiang (1999 : 87). 48 II. Le Royaume de Shu antérieur (907-925) Tandis que s‟écroulait l‟empire Tang, un épisode qui s‟échelonna sur environ trente ans de luttes entre forces rebelles et loyalistes, il s‟ensuivit une segmentation de l‟autorité et une redéfinition de l‟échiquier politique. Ainsi, à la dynastie Tang se substituèrent de nombreux régimes régionaux emportés par les chefs d‟armées ayant dominé le théâtre des opérations durant les dernières années de guerre civile. Toutefois, en dépit de leurs oppositions, tous se disaient êtres les légitimes successeurs de la dynastie Tang et aspiraient à reconquérir son empire. À cet égard, il nous semble donc inapproprié d‟appréhender la scission de l‟empire comme la simple expression de régionalismes séparatistes113, ce qui nous semble aussi anachronique que de recourir à la notion de nation. Certes, à l‟intérieur de leurs bases territoriales respectives, les régimes en place développèrent tous leurs propres stratégies d‟action en instituant certaines institutions et en cherchant par divers moyens à convaincre de leur légitimité les habitants avec lesquels ils interagissaient. D‟un tel scénario, il était donc normal de voir s‟accentuer les différences régionales. Néanmoins, prenons garde de ne pas confondre diversité régionale et régionalisme. Manifestement, nul ne saurait objecter que la dynastie Liang fondée par Zhu Wen se distinguait de l‟État de Shu, dont Wang Jian 王建 (847-918) était le souverain au même moment. Toutefois, leurs oppositions et leurs différences ne sauraient être comprises en termes strictement géographiques, voire géopolitiques, puisque l‟un comme l‟autre entendaient occuper le même espace, c‟est-à-dire rien de moins que l‟empire. De ce fait, à notre avis, les différences entre les deux régimes doivent davantage être recherchées dans la façon

113 C‟est l‟une des rares critiques que nous trouvons à adresser à Franciscus Verellen pour son article « Shu as a Hallowed Land : Du Guangting‟s Record of Marvels », Cahiers d’Extrême-Asie 10 (1998), pp. 213-254. Dans cet article, Verellen semble concevoir que le fondateur des Shu antérieurs, Wang Jian, par l‟intermédiaire de Du Guangting, parvint à légitimer son régime en faisant l‟apologie du régionalisme de Shu. Ainsi, en relatant la longue histoire de Shu et ses particularismes régionaux, le Livre des merveilles (Luyi ji 錄異記) aurait été un outil démagogique venant attester aux habitants de Shu que l‟indépendance politique du royaume était inscrite dans l‟ordre naturel des choses. Toutefois, il est fondamental de souligner que l‟autorité de Wang Jian reposait d‟abord et avant tout sur l‟idéologie confucianiste du mandat céleste (tianming 天命), ce que ne doit pas occulter le fait que Wang Jian fut un dévot taoïste proche de Du Guangting. Or, il est bien difficile de trouver une notion plus opposée à l‟idéologie du mandat céleste que celles de régionalisme ou de souveraineté territoriale. Ceci dit, nous sommes prêts à accepter l‟idée qu‟il puisse y avoir eu une corrélation entre l‟ouvrage de Du Guangting et la reconnaissance de la légitimité politique de Wang Jian, mais encore faut-il nous donner une idée plus ou moins précise de la diffusion du Livre des merveilles au début du Xe siècle. 49 qu‟ils avaient de concevoir l‟ordre sociopolitique. Tant s‟en faut, il serait fallacieux d‟affirmer que Wang Jian planifia de longue date son couronnement impérial et de ne voir en lui qu‟un conspirateur sécessionniste. Car, en fait, jusqu‟à la toute fin de la dynastie Tang, il s‟avéra être un champion de la restauration, raison pour laquelle il bénéficia du support, certes avantageux mais combien conditionnel, de l‟ancienne clientèle impériale. Par exemple, au moment où Zhu Wen fut accusé de régicide et commit son coup d‟État en 904, véritable date de la destitution dynastique, Wang Jian ne répondit pas immédiatement par la proclamation d‟un nouveau régime dont il serait l‟ultime dépositaire. Au contraire, il se ligua sur-le-champ avec d‟autres gouverneurs pour abattre le régime de Zhu Wen114. Ainsi, selon Sima Guang, Wang Jian se serait non seulement allié avec son vieil ennemi Li Maozhen 李茂貞 (856-924)115, mais aussi aurait-il échangé de multiples lettres ayant pour objet la restauration avec Yang Chongben 楊崇本 (?-?)116, Li Keyong, Liu Rengong 劉仁恭 (?-?)117, Yang Xingmi 楊行密 (851-905)118 et Zhao Kuangning 趙匡凝 (?-?)119.

114 Sur cette alliance impliquant de nombreux gouverneurs, voir ZZTJ 265. 8634-8635; Wang Hongjie, (2008 : 148-160). Il nous semble cependant que ce dernier porte des propos gratuits en mettant en cause la sincérité de Wang Jian, lequel n‟aurait fait usage du loyalisme Tang que dans le seul but de légitimer son propre pouvoir. Nous ne voulons pas dire que cette idée ne renferme pas une part de vérité, toutefois un peu de nuance serait le bienvenu. 115 Li Maozhen était le gouverneur de Fengxiang 鳳翔 ( 陝西). Son véritable nom était Song Wentong 宋文通, nom qu‟il échangea contre le nom de la famille impériale Tang, Li, que lui conféra Xizong en récompense de ses états de service. Pour sa biographie, voir JWDS 132. 1737-1740. Son mausolée, contenant deux épitaphes, à lui et à son épouse, a également été exhumé en 2003. Voir Baoji shi kaogu yanjiu suo 寶鷄市考古研究所, éd., Wudai Li Maozhen fufu mu 五代李茂貞夫婦墓 (Beijing : Kexue chuban she, 2008). 116 Yang Chongben était alors gouverneur de Jingnan 靜難 (Shaanxi). Sa participation à la coalition semble confirmer par La nouvelle histoire des Tang (XTS 10. 302). 117 Liu Rengong était gouverneur de la commanderie Lulong 盧龍 (Hebei) lorsqu‟il passa au service de Li Keyong avant 895. Néanmoins, en 896 il transféra son allégeance à Zhu Wen. Sa biographie dans La nouvelle histoire des Tang ne permet pas de confirmer qu‟en 904 il se rangea dans la coalition contre Zhu Wen. Certes, il retourna au service de Li Keyong, mais sa biographie semble nous dire que ce ne fut qu‟en 906 (XTS 137. 5985-5987). Néanmoins, la biographie de Yang Xingmi semble indiquée qu‟il fit bel et bien parti de l‟alliance (voir la note suivante pour la référence). 118 Originaire de Luzhou 盧州 (Anhui), Yang Xingmi fut nommé préfet militaire de cette préfecture par le général loyaliste Gao Pian 高駢 (822-887) alors que ce dernier était gouverneur du Huainan 淮 南 et général en chef des armées du Sud durant la rébellion de Huang Chao. Suite à la mort de Gao Pian, lorsque Zhu Wen fut nommé gouverneur du Huainan et que ce dernier tenta de prendre le contrôle de la région, Yang Xingmi prit la tête d‟un mouvement de résistance armée contre Zhu Wen. Sa biographie dans La nouvelle histoire des Tang confirme qu‟il entra en relation avec Wang Jian, Zhao Kuangning, Liu Rengong et Li Keyong suite à l‟usurpation de Zhu Wen (XTS 188. 5451-5460). Plus tard, lorsque sera proclamée la dynastie Liang, Yang Xingmi sera proclamé empereur du Royaume de Wu 吳. 119 Sous Tang Zhaozong, Zhao Kuangning fut nommé gouverneur du Shannan oriental 山南東道

50 Certes, Robin D. S. Yates constate qu‟en 903 Wang Jian était sur un pied de guerre avec Li Maozhen, à qui nous pouvons ajouter Zhao Kuangning120, tandis qu‟il entretenait des rapports diplomatiques avec Zhu Wen121. Toutefois, cette situation ne prévalait qu‟avant la mort de Tang Zhaozong, suite à quoi se produisit un indéniable revirement d‟alliances. D‟une part, il semble que Wang Jian cessa définitivement de chercher un compromis avec Zhu Wen, tandis que tous les efforts de ce dernier pour rétablir de bonnes relations avec Shu se soldèrent par un échec122. D‟autre part, en 904 Wang Jian offrit sa fille, la princesse Puci 普慈公主 (?-?), en mariage à Li Jichong

(), également désigné par le nom de commanderie Zhongyi 忠義. Avant même le coup d‟État de Zhu Wen en 904, nous dit sa biographie, il fut déjà un allié militaire de Yang Xingmi et Li Keyong. En 904, probablement après le régicide, Zhu Wen lança une attaque contre Kuangning. Ainsi, suivant le conseil de son frère Kuangming 匡明, alors gouverneur de Jingnan 荊南 (Hubei), il s‟allia à Wang Jian. En dépit de cette alliance cependant, Kuangning et Kuangming furent défaits et se réfugièrent à Yangzhou auprès de Yang Xingmi. Tandis que Kuangning mourut peu après, Kuangming prit la route de Shu où il fut nommé par Wang Jian gouverneur de la commanderie Wuxin 武信. Voir XTS 186. 5427-5428; ZZTJ 265. 8651. 120 ZZTJ 265. 8633. 121 Robin D. S. Yates (1988 : 32-33); Wang Hongjie (2008 : 164-165). 122 Sima Guang mentionne deux missions diplomatiques envoyées par Zhu Wen à Shu après 904. La première, conduite par un dénommé Sima Qing 司馬卿, que nous ne connaissons pas autrement, aurait eu lieu en 905 et aurait eu pour motif de disculper Zhu Wen de la mort de Zhaozong. Wei Zhuang 韋莊 (834?-910), alors chargé de l‟affaire, aurait dépêché Wang Zongwan 王宗綰, un lieutenant de Wang Jian, à la réception de l‟ambassade Liang qui reçut une fin de non-recevoir (ZZTJ 265. 8652). L‟usage de soldats plutôt que de diplomates dans un échange diplomatique illustre bien un refus total de négociation. Selon Sima Guang, la seconde mission aurait eu lieu en 912 et aurait été dirigée par Lu Pin 盧玭 (?-?), lequel aurait voulu profiter de la reprise des hostilités entre Wang Jian et Li Maozhen pour renouer l‟amitié entre Wang Jian et Zhu Wen (ZZTJ 268. 8751). Ouyang Xiu nous dit quant à lui que la mission de Lu Pin fut en 914 (XWDS 2. 20), tandis que le Jinli qijiu zhuan 錦里耆舊傳 de Gou Yanqing 勾延慶 (Xe siècle) nous donne l‟année 910 (JLQJZ 2. 1-2). Ce dernier prétend citer intégralement la missive diplomatique que transporta Lu Pin, ce qui est plausible puisque Gou Yanqing, un bureaucrate des Shu postérieurs, rédigea son ouvrage sur place avant 970 où il pourrait avoir eu accès aux archives du royaume. Sur le Jinli qijiu zhuan et son auteur, voir Chen Zhensun 陳振孫 (1186-1262), Zhizhai shulu jieti 直齋書錄解題 7. 10. D‟après le Shiguo chunqiu 十國春秋, qui ne date pas l‟événement, ce fut Zhang Ge 張格 (mort vers 925) qui fut chargé de recevoir l‟ambassade de Lu Pin, lequel faillit se faire mettre à mort par Wang Jian (SGCQ 41. 4). Mais admettons que Lu Pin arriva à Shu en 910, il est possible que ce fut Wei Zhuang qui rencontra Lu Pin, ou bien que Wei Zhuang travailla de concert avec Zhang Ge. Ainsi, mentionnant ni la date ni le nom des ambassadeurs Liang, Zhang Tangying 張唐英(1029-1071), auteur du Shu taowu 蜀檮杌, parle d‟une seconde mission diplomatique par laquelle Wei Zhuang reçu froidement un ambassadeur Liang muni d‟une missive dont la description correspond à celle citée par Gou Yanqing (STW 45. 23). Si Zhang Tangying dit vrai, alors cette seconde mission ne peut avoir eu lieu après 910, l‟année du décès de Wei Zhuang. À notre connaissance, le seul effort de Wang Jian visant à normaliser les relations entre les cours de Shu et Liang survint après la mort de Zhu Wen en 913, suite à quoi il envoya une ambassade à Kaifeng (JLQJZ 2. 5-6). Wang Hongjie (2008 : 165-180) discute également de ces échanges diplomatiques tout en offrant quelques traductions de missives. Toutefois, en s‟appuyant sur les sources auxquelles nous venons de référer, Wang mentionnent plusieurs échanges diplomatiques dans le temps, lesquels en fait ne correspondent souvent qu‟à un seul et même échange dont les sources donnent des dates différentes. Avant de pouvoir prononcer des conclusions sur la signification historique de tels échanges, il faudra définitivement procéder à des recherches plus poussées. 51 李繼崇 (?-?), un fils adoptif de Li Maozhen, instaurant ainsi une alliance qui ne sera rompue qu‟en 911123. Selon Sima Guang et He Guangyuan, ce fut suite aux exhortations de son assistant administratif (panguan 判官) Feng Juan 馮涓 (jinshi 850)124 que Wang Jian chercha à contracter une alliance maritale avec la famille de Li Maozhen. Ainsi, tandis que Zhu Wen attaquait Li Maozhen, des généraux de Wang Jian lui auraient conseillé de profiter de la situation pour s‟emparer de Fengxiang, ce à quoi Feng Juan aurait rétorqué de se méfier de Zhu Wen et de sceller la paix avec Li Maozhen par une alliance nuptiale125. Évidemment, nous pourrions en déduire que Feng Juan laissait déjà entrevoir un pragmatisme politique fonction de l‟intégrité territoriale de Shu,

123 À propos de ce mariage, voir l‟anecdote livré par le Jianjie lu 鑒誡錄 de He Guangyuan 何光遠 (Xe siècle) (JJL 4. 6-7). Néanmoins, tout comme l‟alliance entre Wang Jian et Li Maozhen, ce mariage fut rompu en 911 avec le retour de la princesse à Chengdu. Les motifs de ce divorce nous apparaissent plutôt incertains. Sont-ils de nature strictement conjugale, politique ou un peu des deux? Sima Guang nous dit que la princesse retourna vers son père en raison des mauvais traitements de son époux, ce qui mit Li Maozhen hors de lui, ne lui laissant d‟autres choix que de rompre ses relations avec Shu (ZZTJ 267. 8737). Cependant, comment savoir si, contrairement à ce que Sima Guang semble croire, la princesse Puci ne retourna pas vers la cour de son père après la reprise des hostilités entre ce dernier et Li Maozhen. Quant à Li Jichong, il demeura au service de Li Maozhen jusqu‟en 915, après quoi il transféra son allégeance à Wang Jian dont les armées eurent le dessus sur Li Maozhen qui perdit la préfecture de Qinzhou 秦州 à la tête de laquelle était Jichong (ZZTJ 269. 8798-8799). Après cet événement, il ne semble pas que Jichong reprit avec la princesse, laquelle semblait vivre à Chengdu tandis que Jichong fut envoyé à Qianzhou 黔州, à la tête de la commanderie Wutai 武泰 près de l‟actuel Chongqing (ZZTJ 269. 8800). La véracité de ces informations semble corroborée par la découverte à Chengdu de la tombe de la fille de Li Jichong nommée Dame Li (898-917), laquelle n‟aurait pas été la fille biologique de la princesse Puci, à défaut de la considérer comme sa mère adoptive. Ainsi, au moment où la princesse arrive dans la vie de Jichong en 904, Dame Li est déjà âgée d‟environ six ans, ce que nous pouvons déduire du fait qu‟elle succombe à une maladie en 917 dans sa 19ème année. Son épitaphe mentionne bien le nom de la princesse, toutefois un caractère est désormais illisible devant le nom de cette dernière précédé du caractère « mère » (mu 母). Selon Ma Wenbin, le caractère manquant serait di 嫡 pour dimu, dont le sens est « mère adoptive ». Selon toute vraisemblance, Dame Li serait arrivé à Chengdu accompagnée de la princesse Puci en 911, suite à quoi elle fut mariée au fils d‟un des fils adoptifs de Wang Jian dont ne connaissons pas le nom. Pour une étude de cette épitaphe, voir Ma Wenbin 馬文彬, « Wudai Qian-Shu Li shi muzhiming kaoshi » 五代 前蜀李氏墓誌銘考釋, Sichuan wenwu 四川文物, 2003. 3, pp. 87-90. Compte tenu du déshonneur essuyé par Li Maozhen dans cette affaire, il n‟est guère surprenant de constater que son épitaphe ne mentionne pas le mariage entre son fils adoptif et la princesse Puci. Voir Baoji shi kaogu yanjiu suo (2008 : 159-177). 124 Au moment où Wang Jian parvint à conquérir Chengdu en 891 (ZZTJ 258. 8417-8418), Feng Juan se trouvait à l‟intérieur de la ville. Immédiatement après le siège victorieux de la ville, Juan serait entré au service de Wang Jian en tant qu‟assistant administratif (SGCQ 40. 2). Dans le Quan Tang wen 全唐 文, la notice biographique de Feng Juan précédant trois des mémoires qu‟il rédigea mentionne également le poste d‟assistant-administratif (QTW 89. 2). Toutefois, la notice qui lui est accordée dans le Quan Tang shi 全唐詩 nous dit qu‟il fut nommé académicien de Hanlin sans mentionner le poste d‟assistant-administratif (QTS 760. 8631). 125 ZZTJ 265. 8634; JJL 4. 6-7. Voir également le Quan Tang wen où se trouve le prétendu mémoire que Feng Juan aurait adressé à Wang Jian à cette occasion (QTW 889. 2-3). 52 laissant ainsi présager la fondation d‟un État régional. Néanmoins, détrompons-nous, car en 904 comme en 907, Feng Juan se serait opposé à l‟idée d‟instituer une nouvelle dynastie au détriment de la lutte pour la restauration. Ainsi, selon Sima Guang, lorsque les généraux et conseillers de Wang Jian le pressèrent de se proclamer empereur en 907, Feng Juan fut le seul à se manifester pour inviter le prince de Shu à se retenir, arguant que « la restauration impériale ne dépend que de la sujétion de ceux qui se disent sujet [de la dynastie Tang], tandis que le statut des bandits qui s‟en délient est odieux ». 馮涓獨獻議 請以蜀王稱制, 曰 : 朝興則未爽稱臣, 賊在則不同爲惡126. Ainsi, poursuit Sima Guang, incapable de faire triompher son point de vue et refusant de servir une autre dynastie que les Tang, « Juan se retira chez lui pour ne plus en sortir 涓杜門不出 »127. Selon le Shiguo chunqiu, sa retraite aurait duré jusqu‟en 911, soit jusqu‟à la reprise des hostilités avec Li Maozhen. Alors il serait revenu à la cour pour mettre en garde Wang Jian contre les méfaits de la guerre et pour lui rappeler les obligations qui incombent à un empereur128. Cependant, pouvons-nous nous appuyer sur Sima Guang et Wu Renchen pour assumer que Feng Juan coupa les liens avec Wang Jian et son entourage. Car même s‟il choisit de s‟effacer pour un temps de la scène politique, cela ne veut en rien dire qu‟il cessa de fréquenter à titre non-officiel la cour et les lettrés de Chengdu. Le fait que Du Guangting affirme que Feng Juan rapporta des miracles à la cour de Shu et qu‟il commissionna des rituels taoïstes patronnés par l‟État devrait nous amener à reconsidérer cette proposition129. Franciscus Verellen, lequel étudia longuement le rôle dudit prêtre taoïste à la cour de Wang Jian, démontre ainsi comment les présages divins étaient alors interprétés

126 ZZTJ 266. 8685. 127 ZZTJ 266. 8685. 128 SGCQ 40. 3. Le discours que rapporte Wu Renchen correspond à un des mémoires de Feng Juan que prétend rapporter le Quan Tang wen (QTW 889. 3). Cette image de confucianiste pacifiste constamment apposée à Feng Juan se dégage également des anecdotes le concernant dans le Jianjie lu (JJL 4. 4-5). 129 À propos d‟un miracle observé par Feng Juan, voir Du Guangting, Shenxian ganyu zhuan 神仙感 遇傳 3. 9-10. Par ailleurs, Du Guangting cite une pétition (ci 詞) formulé par Feng Juan demandant de procéder à un rituel taoïste zhai 齋. Ce texte est particulièrement intéressant en ce sens que ladite pétition donne suite au décès d‟une certaine Dame Li décédée pour cause de maladie. Voir Du Guangting, Guangcheng ji 廣成集 4. 15. La coïncidence serait trop grande pour ne pas assumer qu‟il s‟agit de la fille de Li Jichong. Que Feng Juan rédigea cette pétition indique décidément qu‟il était très proche de la cour et de la famille impériale. 53 comme des preuves de légitimité, tandis que les rituels taoïstes étaient inséparables du culte impérial130. N‟excluons donc pas la possibilité que Feng Juan ait pu prendre part au sacrifice au ciel sanctifiant le couronnement de Wang Jian131. Selon nous, il importe à présent de retenir que la fondation du Royaume de Shu résultait d‟une désillusion quant à l‟éventualité d‟une restauration. Ainsi, après même que la faillite fut consommée en 907, un espoir de voir triompher les forces loyalistes se faisait toujours sentir132, tandis que la proclamation d‟une nouvelle dynastie à Chengdu dut soulever des passions, desquelles le sens des réalités eut raison. Enfin, le sacre impérial de Wang Jian comme empereur de Shu ne doit pas être interprété comme le fruit d‟une décision unilatérale à sa seule initiative. Car, en fait, il semblait surtout répondre à une demande venant des réfugiés loyalistes suite aux incidents dramatiques qui conduisirent à l‟extinction de la dynastie Tang. Comme nous l‟affirmâmes au chapitre précédent, au cours des années 880 les rapports entre l‟État et la société s‟exaspérèrent sous la montée de mouvements populaires dirigés contre la dynastie Tang et sa clientèle. Or, après 904, alors que Zhu Wen consolidait son emprise au Nord, l‟État tendit de plus en plus à être gagné par des éléments populaires, contribuant en un sens à institutionnaliser les persécutions antiaristocratiques. De la sorte, les enjeux ne se limitaient pas à la seule succession dynastique, mais consistaient surtout en la transposition d‟un nouvel ordre social à la sphère étatique au détriment d‟éléments conservateurs appréhendant non seulement la fin de leur domination sociale, mais surtout la fin de leur emprise sur les institutions impériales. Dans un tel contexte, tandis que le loyalisme pro-Tang était devenu l‟expression par excellence d‟un attachement à l‟ordre ancien, dès lors que les chances de restauration devenaient nulles naissait le besoin d‟une alternative que pouvait incarner Wang Jian. Comme nous le verrons, parmi ceux qui, contrairement au vœu initial de Feng

130 Franciscus Verellen, « Liturgy and Sovereignty : The Role of Taoist Ritual in the Foundation of the Shu Kingdom (907-925) », Asia Major, 3rd series, 2. 1 (1989), pp. 59-78. 131 Ce sacrifice aurait eu lieu au début de l‟année 908, voir ZZTJ 266. 8688; JLQJZ 1. 7. 132 Sima Guang soutient qu‟en 907, après la proclamation de la dynastie Liang, Wang Jian cherchait toujours à organiser une ultime offensive visant à détrôner Zhu Wen et à restaurer la dynastie Tang. Voir ZZTJ 266. 8675. 54 Juan, pressèrent Wang Jian d‟accéder au trône, se trouvaient plusieurs individus issus des prestigieuses familles formant l‟épine dorsale de l‟ancienne clientèle impériale. En d‟autres termes, ils appartenaient à la classe jusqu‟alors privilégiée qui avait le plus à perdre advenant la chute de la dynastie Tang et le bouleversement de l‟ordre sociopolitique. De ce fait, ils furent à peu près tous des loyalistes engagés dans la lutte pour la restauration, tandis qu‟ils furent simultanément des cibles de prédilection pour les rebelles. Un passage tiré du prétendu texte de l‟amnistie qui précéda le sacrifice au ciel entérinant la fondation du royaume dit ainsi : Suite au changement de fortune de la dynastie Tang, les vertueux gentilshommes ont cessé de s‟y compter en grand nombre. Elle a même commencé à faire appel à des bandits pour importuner ses propres soldats. Pour résultat, on en vint à déplacer la capitale et à mettre fin au royaume [dynastique]. Dès lors, les hommes éminents et vertueux se trouvèrent dans des difficultés extrêmes. 自唐朝運改, 士德數終, 初乃召寇以纏兵. 竟至遷都而滅國, 賢良塗炭133. Dans la proclamation de cette amnistie, laquelle constituait un acte indispensable à la légitimation du nouveau régime, nous y trouvons une source de motivation ayant conduit des membres de l‟ancienne clientèle impériale à supporter le couronnement de Wang Jian. C‟est-à-dire la menace d‟être socialement et physiquement éradiqué suite à l‟échec de la restauration et le désir d‟y échapper par la création d‟un nouvel État fondé sur les mêmes principes que la défunte dynastie Tang. Dans les paragraphes qui suivront, nous approfondirons cet argument en étudiant d‟abord les origines sociales des lettrés qui formèrent la cour de Wang Jian, ce de manière à identifier les caractéristiques communes qui les unissaient. D‟autres parts, afin de comprendre ce qui amena Wang Jian à entrer en relation avec ces gens, et même à devenir leur souverain, nous chercherons à mieux comprendre de quel contexte sociopolitique lui et ses compères émergeaient. Pour ce faire, nous nous attarderons donc à l‟évolution de l‟armée Zhongwu 忠武軍, d‟où provenait Wang Jian, à savoir les liens qui unissaient cette dernière à la dynastie Tang. Dans un troisième temps, nous nous intéresserons également aux fonctions occupées par les

133 JLQJZ 1. 7. 55 réfugiés loyalistes à la cour de Shu. Ainsi, nous parviendrons à mieux comprendre le fonctionnement de la bureaucratie de Shu et à mieux déterminer dans quelle mesure l‟organisation de l‟État central y était fondée sur les institutions de la dynastie Tang. Par la même occasion, nous entamerons également une analyse préliminaire de la configuration de l‟autorité dans les diverses commanderies du royaume. De la sorte, nous espérons ainsi parvenir à mieux comprendre la nature des relations entre la bureaucratie et l‟armée sous les Shu antérieurs.

2.1 Les loyalistes en exil à Chengdu Pour bien comprendre les origines du régime et la nature de ses institutions, il nous apparaît fondamental de nous attarder au contexte familial et à l‟expérience de ceux qui firent de Wang Jian un empereur en lui procurant une sanction idéologique. C‟est-à-dire les réfugiés loyalistes qui entourèrent et conseillèrent Wang Jian. De notre analyse, apparaîtra ainsi une communauté politique élitiste formée des descendants des plus puissantes familles de l‟ancienne clientèle impériale, ce qui nous permettra de mieux comprendre certaines des orientations du royaume. Débutons ainsi par Feng Juan, lequel apparut plus tôt comme un parangon du loyalisme, dont le Shiguo chunqiu nous informe que le grand-père fut le lettré Feng Su 馮宿 (mort en 836)134. Ce dernier, nous dit L’ancienne histoire des Tang, fut titulaire du degré jinshi et eut une longue et brillante carrière bureaucratique. Notamment, entre 820 et 822, il fut nommé superviseur du Directoire d‟évaluation du personnel (pan kaogong 判考功)135, l‟une des plus prestigieuses fonctions de la cour. Bien que nous ne savons pas exactement qui était le père de Juan, en revanche nous savons que Su eut trois fils (Tu 圖, Tao 陶 et Tao 韜), lesquels eurent tous leur degré jinshi. Compte tenu des relations politiques de Su à la capitale, il est donc plausible que le père de Juan fut un fonctionnaire impérial. Toujours selon le Shiguo chunqiu, Juan serait originaire de Wuzhou 婺州 (Zhejiang), tandis que L’ancienne histoire des Tang nous dit que Su était originaire de

134 SGCQ 40. 1. 135 JTS 168. 4389-4390. Le Shiguo chunqiu dit plutôt qu‟il était président du Ministère des fonctionnaires (libu shangshu 吏部尚書). Toutefois, nous ne trouvons aucune mention de ce titre dans les biographies de Feng Su.

56 Dongyang 東陽, un autre nom pour désigner Wuzhou. Or, comme tout au long de sa carrière Su semble n‟y avoir jamais mit les pieds, il apparaît improbable que le père de Juan y naquit. Nous croyons plutôt que Dongyang ne fut que le berceau du clan Feng, tandis que Su et ses descendants étaient domiciliés de la capitale, ce qui expliquerait leur facilité à se maintenir dans la bureaucratie impériale. Quant à Juan, il aurait obtenu son degré jinshi en 850, après quoi il serait devenu intendant de la préfecture supérieure de la capitale (jingzhao fu canjun 京兆府參軍). À l‟avènement de Tang Zhaozong (889), il aurait d‟abord été secrétaire du Ministère des sacrifices (cibu langzhong 祠部郎中), suite à quoi il aurait été envoyé à Shu pour y occuper le poste de préfet de Meizhou 眉州. Toutefois, en raison du puissant eunuque Tian Lingzi 田令孜 (mort en 893) et de son frère, le natif gouverneur du Xichuan, Chen Jingxuan 陳敬瑄 (mort en 893), qui alors refusaient d‟obéir à la cour, Juan fut contraint de demeurer à Chengdu sans jamais atteindre Meizhou. Il fut ainsi tenu en otage jusqu‟en 891, soit jusqu‟à ce que Wang Jian soumette Chengdu.136 C‟est à ce moment que Feng Juan entra en relation avec Wang Jian, en qui il semblait voir un ami de la restauration pour lequel il accepta de devenir l‟assistant. Ainsi, lorsque deux ans plus tard (893), Jian fit exécuter Chen Jingxuan et Tian Lingzi, Juan fit parvenir à la cour impériale un communiqué dans lequel « ces événements [étaient] salués comme une extermination de la vermine et une œuvre de salut public »137.

136 Tian Lingzi était le commandant en chef de l‟Armée impériale de la divine stratégie (Shence jun), à laquelle appartenait alors Wang Jian, que Lingzi aurait prit pour fils adoptif. Durant le règne de Xizong, le véritable maître de la cour aurait été cet eunuque impopulaire que Zhaozong entendait limoger une fois monté sur le trône. À ce moment, lui et son frère étaient solidement installés au Xichuan, province qu‟ils dominaient d‟une main de fer depuis l‟exil impérial à Chengdu en 881 (voir les biographies de Tian Lingzi dans JTS 184. 4771-4772; XTS 208. 5884-5889). Dans ce contexte, la cour mandata Wang Jian, assisté de Wei Zhaodu 韋昭度 (mort en 894) à la tête d‟un corps expéditionnaire, pour reconquérir le Xichuan. Ainsi, au début de l‟année 889, Wang Jian parvint à reconquérir plusieurs préfectures dont Meizhou, laquelle était d‟une grande valeur stratégique, en ce sens qu‟elle ouvrait la voie vers Chengdu, la capitale provinciale (ZZTJ 257. 8382-8383; Franciscus Verellen (1989 a : 142-143). L‟affectation de Feng Juan à Meizhou (QTW 889. 1; SGCQ 40. 2) répondait sans doute à une stratégie par laquelle la cour entendait restaurer son autorité en nommant des fonctionnaires civils à la tête des préfectures clefs. Ainsi, pour éviter de se voir limoger, Tian Lingzi et Chen Jingxuan auraient refusé le passage à Feng Juan. La bataille pour le contrôle du Xichuan n‟aurait prit fin qu‟en 891 lorsque Wang Jian parvint à s‟emparer de Chengdu après un long siège victorieux qui lui valut les éloges de ses pairs (ZZTJ 258. 8417-8418; SGCQ 40. 2). 137 Franciscus Verellen, 1989 a, p. 145. Un extrait dudit communiqué se trouve entre autres dans QTW 889. 2. 57 Comme Feng Juan, Zhou Xiang 周詳 (mort en 920)138 fut un lettré très tôt à la solde de Wang Jian. Bien que nous ne disposions pas d‟information précise concernant ses origines sociales, sa biographie dans le Jiuguo zhi révèle malgré tout quelques indices permettant d‟extrapoler. Celle-ci nous dit bien qu‟il était originaire de Yingchuan 潁川, c‟est-à-dire 許州 (actuel Henan), l‟endroit d‟où venait Wang Jian et la plupart de ses compagnons d‟armes. Toutefois, la mention de Yingchuan comme lieu d‟origine semblant être anachronique, nous ne saurions prendre pour acquis que Zhou Xiang provenait de Xuzhou. Ainsi, le nom de Yingchuan fut remplacé par celui de Xuzhou en 621, pour ne revenir en usage que provisoirement entre 742 et 758139. Il est donc possible que Yingchuan ne fut que le foyer des ancêtres de Zhou Xiang, lequel pourrait en réalité provenir de la capitale. Bien que nous ne savons pas si Xiang fut détenteur d‟un degré jinshi, il devait cependant être éduqué et disposer de réseaux sociaux stratégiques pour obtenir son poste d‟intendant de grenier (sicang canjun 司倉參軍) à Longzhou 龍州 (Sichuan) durant l‟exil de Xizong et sa cour (881-885). Si nous ne connaissons pas exactement la date à laquelle Xiang entra en fonction à Longzhou, nous savons en revanche qu‟il y demeura jusque vers 885, après quoi, « sa période de tenure étant terminée, il s‟apprêtait à retourner à la capitale » 考滿將歸闕140. Nous avons donc un indice laissant croire que Xiang vivait à la capitale avant de se rendre à Shu, possiblement au sein du cortège accompagnant l‟empereur en exil. Au moment de s‟en retourner cependant, les routes étant par trop troublées, Xiang ne parvint pas à quitter la région et fut coincé à Miangu 緜谷, d‟où il obtint un entretien avec Wang Jian141, alors en poste dans la ville voisine de Lizhou 利州 (886)142. Si nous en croyons un dialogue cité par le Jiuguo zhi, Zhou Xiang aurait dès ce moment fondé de grands espoirs sur Wang Jian :

138 Plus tard connu sous le nom de Zhou Boya 周博雅. Selon sa biographie dans le Jiuguo zhi 九國志, la raison fut que le nom de Xiang se prononçait comme le caractère xiang que dans le nom de Meng Zhixiang 孟知祥 (874-934), le fondateur des Shu postérieurs, ce qui constituait un tabou. Lorsque les sources continuent de l‟appeler Xiang, il est courant de voir le caractère Xiang 庠. Voir JGZ 6. 12-13. 139 XTS 28. 987-988. La seule source nous disant que Wang Jian provenait de Yingchuan est le Shu taowu, lequel semble le faire à tort. 140 JGZ 6. 12. 141 JGZ 6. 12. 142 ZZTJ 256. 8335; Franciscus Verellen (1989 a : 141). 58 La félicité Tang va toucher à sa fin. […] Cependant, le duc éclairé (Wang Jian) a la capacité de protéger le peuple et peut s‟avérer déterminant à l‟approche des événements. Alors que j‟étais à Longzhou, j‟ai donc préparé un plan pour le duc éclairé. Depuis que la cour est recouverte de poussière, le duc éclairé a lui-même prit les rênes et conduit le dragon en escaladant les ponts au bord des falaises pour protéger le joyau impérial (l‟empereur) qu‟il escorta. […] Bien que vous soyez très diligent, pour seule récompense que vous ayez reçu, après qu‟on eu raconté vos exploits, fut un poste de préfet. Aujourd‟hui, vous demeurez en poste dans ce coin reculé (Lizhou) à attendre dans les plus grandes difficultés. […] Toutefois, ce ne sera pas un lieu où vous resterez longtemps. 唐祚將終. […] 明公御眾有術, 臨 事能斷. 僕昨在龍州, 已為明公籌之矣. 自主上蒙塵, 明公親 鞚乘龍, 匍匐棧道, 懷國璽以從. […] 勤亦至矣, 及論功受賞, 不過刺史. 今端守一隅, 坐待窘迫. […] 非久安之地143. Zhou Xiang semblait donc anxieux, conscient des périls menaçant la dynastie Tang et en quête d‟une alternative qui saurait préserver un certain ordre. Toutefois, comme l‟indique la fin du passage cité, Xiang ne semblait pas à ce moment anticiper la fondation d‟un royaume indépendant et nous ne croyons pas non plus qu‟il incitait Wang Jian à se faire empereur. En fait, Xiang semblait seulement croire que Wang Jian était le dernier rempart de la restauration, que par conséquent la cour avait tort de ne pas l‟utiliser à bon escient. Selon le Jiuguo zhi, il entendait ainsi convaincre Wang Jian d‟accepter un plan de pacification de Shu censé garantir l‟ascension du général dans la hiérarchie impériale. D‟après cette source, ce fut Zhou Xiang qui non seulement planifia la campagne contre Chen Jingxuan et Tian Lingzi, mais surtout qui proposa à la cour de nommer Wang Jian à la tête de l‟opération. Si l‟information s‟avère fondée, c‟est donc que Xiang jouissait d‟une notoriété politique, raison pour laquelle Wang Jian le prit au sérieux et s‟empressa de retenir ses services. Non pas en prévision de son futur couronnement impérial, lequel aura seulement lieu vingt ans plus tard, mais bien dans l‟espoir d‟une promotion à Chang‟an. Quant à Zhang Ge 張格 (mort vers 925), qui arriva à Shu entre 903 et 904, il

143 JGZ 6. 12. 59 était issu d‟un des plus illustres lignages de l‟empire Tang144. Son arrière-grand-père, Zhang Zhongsu 仲素 (769?-819) fut sous l‟empereur Xianzong 憲宗 (806-820) académicien de Hanlin et secrétaire au Secrétariat impérial (zhongshu sheren 中書舍 人)145. Bien que d‟un statut inférieur à Zhongsu, son grand-père, Zhang Liao 鐐 (?-?), servit lui aussi dans la bureaucratie146, tandis que son père, Zhang Jun 濬 (mort en 903) fut non seulement un lettré très actif à la cour, mais surtout l‟un des chefs de file du mouvement loyaliste. De 885 à 895, il occupa notamment les postes de vice-président du Ministère des finances (hubu shilang 戶部侍郎), premier ministre chargé d‟examiner et régler les affaires (pingzhang shi 平章事) et président du Ministère de la guerre (bingbu shangshu 兵部尚書)147. Il semble donc que Zhang Ge provenait d‟une famille dont la préservation du statut dépendait de l‟issue de la lutte pour la restauration. Ainsi, jusqu‟au moment de son exil, il fut par l‟entremise de son père aux premières lignes du mouvement loyaliste. Notamment, Jun aurait été favorable à une solution militaire radicale pour rétablir l‟autorité impériale et prit lui-même la tête de troupes dirigées contre des gouverneurs séditieux. Toutefois, devant l‟impuissance alarmante de la cour à donner le ton aux événements, Jun aurait démissionné du gouvernement impérial en 896 afin de se réfugier avec sa famille dans sa villa de Changshui 長水 (Henan), d‟où il entendait organiser une armée en prévision d‟un sauvetage de la dynastie. Hélas, plus les années se succédaient plus le sauvetage envisagé devenait hors de portée. Ainsi, en 903, Zhu Wen envoya une armée attaquer Changshui148. C‟est alors que Ge prit le chemin de l‟exil, emportant avec lui le traumatisme de l‟exécution de son père, tandis que son frère, Bo 播, demeura à Yangzhou sous les auspices de Yang Xingmi. À son arrivée à Shu, il fut aussitôt traité avec déférence et affecté à un certain nombre de responsabilités pour finalement devenir une figure clef du royaume. Néanmoins, notre impression est qu‟il n‟arriva pas à Shu avec une riche expérience professionnelle

144 Les biographies de Zhang Ge se trouvent dans SGCQ 41. 3-5; JWDS 71. 944. Il est également mentionné dans les biographies de son père, voir JTS 179. 4661; XTS 185. 5414. 145 JTS 179. 4656; XTS 59. 1564. 146 JTS 179. 4656. 147 JTS 179. 4656-4660; XTS 185. 5411-5414. 148 L‟évènement est également décrit par Sima Guang, ZZTJ 264. 8622-8623. 60 derrière lui. En fait, nous croyons plutôt que sa réputation était fondée sur le prestige qui jaillissait sur ses aïeux et l‟association qui existait entre eux et la cause loyaliste. Selon le Shiguo chunqiu, Zhang Ge serait arrivé à Shu en compagnie d‟un certain Yang Bin 楊玢 (?-?)149. Advenant que ce fut effectivement le cas, cela pourrait indiquer que Bin et Ge partagèrent ensemble l‟expérience de Changshui, bien que nous ne puissions pas sérieusement considérer ce lieu tel un bastion de loyalistes. Certes, Zhu Wen aurait décidé d‟y déployer des effectifs parce qu‟il craignait que Zhang Jun lève une armée. Toutefois, il ne semble pas avoir eu besoin d‟envoyer des forces considérables pour piller la villa et tuer Zhang Jun150. De plus, en quittant Changshui, Zhang Ge n‟aurait été flanqué que d‟une escorte de trente hommes151. Cependant, il ne fait pas de doute que Zhang Jun n‟y était pas seul avec sa famille, laquelle était possiblement accompagnée par celle de Yang Bin. Nous pouvons donc émettre l‟hypothèse que le père de Bin fut un allié de Jun, tandis que Bin et Ge étaient des intimes partageant une même condition sociale. Si le Shiguo chunqiu ne nous renseigne pas sur les origines sociales de Yang Bin, en revanche une courte notice précédant trois de ses poèmes apparus dans le Quan Tang shi nous dit qu‟il était un arrière-petit-fils de l‟illustre lettré Yang Yuqing 楊虞 卿 (mort en 835)152. Or nous savons que Yuqing eut cinq fils (Zhitui 知退, Zhijin 知 進, Kan 堪, Tan 壇 et Hangong 漢公), lesquels détenaient tous leur degré jinshi et étaient tous à l‟emploi de la bureaucratie impériale. Parmi ceux-ci, le plus notoire fut Hangong, le seul dont nous connaissons les fils, Fan 範 et Chou 籌, lesquels furent tous des lettrés munis du degré jinshi en poste à la cour153. Est-ce que l‟un de ces deux individus était le père de Bin? Il est impossible pour nous de le savoir. Cependant, pour nous avancer avec certitude, nous pouvons affirmer que le grand-père de Bin était un fonctionnaire au rang élevé et possiblement son père aussi. Ainsi, lorsque Bin arriva à Shu, en raison de son appartenance à une prestigieuse famille au service de la

149 SGCQ 41. 14. 150 ZZTJ 264. 8623. 151 JTS 179. 4661. 152 QTS 760. 8632. Pour les biographies de Yang Yuqing, voir JTS 176. 4561-4563; XTS 175. 5247-5249. 153 Voir JTS 176. 4564; XTS 175. 5249-5250. 61 cour depuis fort longtemps, il eut droit aux mêmes égards que Zhang Ge. Niu Qiao 牛嶠 (?-?) était un autre réfugié loyaliste au service de Wang Jian qui provenait d‟une des familles les plus en vue de l‟ancienne clientèle impériale. Toujours selon le Shiguo chunqiu, Qiao aurait été un descendant du grand ministre Niu Sengru 牛僧孺 (780-848)154, lequel demeura célèbre pour son rôle dans les luttes factionnelles qui l‟opposèrent à Li Deyu 李德裕 (787-850) sous le règne de Wenzong 文宗 (826-841)155. Comme nous le constaterons, les fils et petit-fils de Niu Sengru étaient l‟exemple par excellence d‟individus privilégiés parvenant à maintenir un statut social élevé grâce à une quasi mainmise sur les emplois bureaucratiques les plus significatifs. D‟après L’ancienne et La nouvelle histoire des Tang, Niu Sengru eut deux fils, lesquels suivirent tous les deux la voie tracée par leur père. D‟une part, Niu Wei 牛蔚, l‟oncle de Qiao, reçut son degré jinshi en 835 et obtint aussitôt un poste de censeur d‟investigation (jiancha yushi 監察御史) à la cour. Durant les règnes de Xuanzong 宣宗 (847-860) et Yizong 懿宗 (860-874), il occupa entre autres les postes de secrétaire du Bureau des fonctionnaires (libu langzhong 吏部郎中), vice-président du Ministère des finances (hubu shilang 戶部侍郎), président du Ministère de la guerre (bingbu shangshu 兵部尚書) et gouverneur de la province du Shannan occidental 山 南西道 au début des années 870156. Les deux fils de Wei, Hui 徽 et Xun 循, furent eux aussi destinés à une grande carrière au service de la dynastie Tang. Hui décrocha son degré jinshi en 867 et fut aussitôt nommé secrétaire-auxiliaire du Bureau des fonctionnaires (libu yuanwai lang 吏部員外郎), suite à quoi il devint notamment conseiller-censeur de l‟empereur (jianyi daifu 諫議大夫). Ce dernier se serait également rendu à Shu, probablement avec la suite de Xizong, toutefois il n‟y demeura que brièvement et revint vers la capitale où il sembla prendre une part active à la lutte restaurationniste. Ainsi, à un certain moment il fut l‟assistant-administratif (panguan) de Zhang Jun, alors engagé dans une véritable croisade contre les

154 SGCQ 44. 6. 155 Voir les biographies de Niu Sengru dans JTS 172. 4469-4473; XTS 174. 5229-5232. Voir également Michael T. Dalby (1979 : 639-655). 156 JTS 172. 4473-4474; XTS 174. 5232. 62 rebelles157. Quant à Xun, que nous connaissons moins bien, il occupa notamment les postes de secrétaire de la Chancellerie impériale (jishizhong 給事中) et du Secrétariat impérial (zhongshu sheren)158. Niu Qiao ne fut certainement pas moins choyé que ses cousins, en ce sens que son père, Niu Cong 藂, était lui aussi une grande figure politique159. Deux ans après son frère cadet en 837, Cong eut son degré jinshi, ce qui lui valut à un jeune âge le poste de secrétaire-auxiliaire du Bureau des titres honorifiques (sixun yuanwai lang 司勳員 外郎) pour ensuite devenir préfet de Muzhou 睦州 (Zhejiang). Au début des années 870, Cong fut envoyé en fonction au Xichuan, c‟est-à-dire au cœur du futur Royaume de Shu160. Il semblerait bien que Cong habita la région jusque vers 885, date à laquelle il retourna vers la capitale. Ainsi, durant l‟exil de Xizong à Chengdu, Cong aurait fréquenté la cour en qualité de grand ministre de la Cour des sacrifices impériaux (taichang qing 太常卿)161. Si les histoires dynastiques peuvent nous renseigner à elles seules sur les parents de Niu Qiao, en contrepartie elles ne nous apprennent pas grand-chose sur ce dernier. Seul L’ancienne histoire des Tang nous apprend évasivement qu‟il était gentilhomme au service de la cour (shangshu lang 尚書郎)162. Pour en savoir un peu plus, nous dépendons donc du Shiguo chunqiu et du Tang caizi zhuan 唐才子傳 sur lequel le précédent semble s‟appuyer163. Selon ces sources, Qiao aurait ainsi mit la main sur

157 JTS 172. 4474-4476; XTS 174. 5232-5234. 158 XTS 174. 5233. 159 Voir les biographies de Niu Cong dans JTS 172. 4476; XTS 174. 5234. Dans ces deux sources, le lecteur rencontre des corruptions de caractère. D‟une part, Ouyang Xiu utilise un autre caractère Cong 叢 pour désigner une seule et même personne. D‟autre part, Liu Xu 劉昫 (887-946), auteur de L’ancienne histoire des Tang, semble avoir commit une erreur dans la graphie du nom de Qiao en substituant au radical « montagne » (shan 山) le radical « insecte » (chong 虫), indiquant ainsi le nom de Qi 蟜 plutôt que de Qiao 嶠. 160 Ces biographies disent qu‟il fut envoyé au Xichuan en tant que gouverneur (JTS 172. 4476; XTS 174. 5234). Cette information est corroborée par le Zizhi tongjian (ZZTJ 252. 8172). Toutefois il n‟y aurait été gouverneur que pour quelques semaines, après quoi il fut remplacé par le général Gao Pian 高駢 (ZZTJ 252. 8175) venu combattre les Nanzhao 南詔. Sur ce dernier point, voir notamment Charles Backus, The Nan-chao Kingdom and T’ang Southwestern China’s Frontier (Cambridge : Cambridge University Press, 1981), pp. 145-158. 161 JTS 172. 4476. 162 JTS 172. 4476. 163 Le Tang caizi zhuan de Xin Wenfang 辛文房 (XIIIe-XIVe siècle) est un ouvrage datant de la dynastie Yuan 元 (1271-1368) qui compile de brèves entrées biographiques se rapportant surtout à des écrivains de la dynastie Tang. Dans le juan 9, nous retrouvons une notice à propos de Niu Qiao, laquelle fournit de manière laconique les mêmes détails que le Shiguo chunqiu (44. 6). Voir l‟édition annotée de 63 son degré jinshi en 878, suite à quoi il eut rapidement des affectations officielles auprès de l‟empereur Xizong. Il aurait ainsi débuté sa carrière comme chargé de reprendre les oublis et les omissions de l‟empereur (shiyi buque 拾遺補闕), fonction qui lui mérita le titre de gentilhomme au service de la cour. Prenant en considération que le père de Qiao fut en poste à Shu d‟environ 870 à 885 et que la cour impériale fut en exil à Chengdu de 881 à 885, il nous semble raisonnable d‟assumer que Qiao débuta sa carrière à Chengdu bien avant que Wang Jian ne soit devenu l‟homme fort de la région. Ainsi, dans les premières années qui suivirent la reconquête du Xichuan, Niu Qiao fut, comme Feng Juan et Zhou Xiang, nommé assistant-administratif de Wang Jian. Nous ne pouvons évidemment pas procéder ici à une analyse exhaustive des origines sociales de tous les réfugiés loyalistes qui appuyèrent Wang Jian. Nous pourrions bien sûr nous intéresser davantage à des individus comme Wei Zhuang, lequel, en dépit du fait qu‟il obtint son degré jinshi à un âge avancé (894), venait également d‟une famille distinguée de la région de Chang‟an164. D‟autant plus que, comme plusieurs avec qui il partageait une même condition sociale, Wei Zhuang percevait d‟un œil négatif les mouvements subversifs de son temps et ne cachait pas son loyalisme pro-Tang165. Enfin, nous aurions également pu approfondir les origines des frères Mao Wenxi 毛文錫 et Mao Wenyan 毛文晏 dont le père, Mao Guifan 毛 龜範, aurait été grand chambellan (taipu qing 太僕卿) à la cour de la dynastie Tang166, ou encore aborder la question de Zhang Pin 張蠙, lequel descendrait du très illustre clan Zhang de Qinghe 清河167. Néanmoins, notre objet consistait simplement

Fu Xuancong 傅璇琮, Tang caizi zhuan jiaojian 唐才子傳校箋 (Beijing : Zhonghua shuju, 1987), vol. 4, pp. 450-451. 164 Selon le Shu taowu, Wei Zhuang serait notamment un descendant du lettré Wei Jiansu 韋見素 (687-762), lequel fut une personnalité influente à la cour de Tang Xuanzong 唐玄宗 dont les quatre fils réussirent à se positionner dans la bureaucratie impériale (STW 45. 23; JTS 108. 3275-3279; XTS 118. 4267-4269). Pour en apprendre davantage à propos de Wei Zhuang, se référer à Robin D. S. Yates (1988 : 7-35). 165 Rappelons que Wei Zhuang est l‟auteur des « Lamentations de la Dame de Qin », texte dans lequel il dépeint avec animosité les forfaits commis par les rebelles après la prise de Chang‟an en 881. Voir Robin D. S. Yates (1988 : 16, 108-122). 166 SGCQ 41. 11-12. 167 SGCQ 44. 6. Sur l‟importance du clan Zhang de Qinghe, voir Guo Feng 郭鋒, « Jin-Tang shizu de junwang yu shizu dengji de panding biaozhun : yi Wujun Qinghe Fanyang Dunhuang Zhang shi junwang zhi xingcheng wei li » 晉唐氏族的郡望與氏族等級的判定標準 : 以吳郡清河范陽敦煌張

64 à vérifier s‟il est effectivement possible de déceler une tendance aristocratique parmi les supporters de Wang Jian. Par là cependant, nous ne cherchons nullement à dire que seuls les descendants de grandes familles luttant pour le maintien de leurs privilèges étaient loyalistes et enclines à soutenir la fondation du Royaume de Shu. D‟une part, nous demeurons aux prises avec certains individus ayant joué un grand rôle à la cour de Wang Jian et dont nous ne pouvons déterminer les antécédents familiaux et sociaux. C‟est entre autres le cas du lettré Xu Ji 許寂 (mort en 936)168. Deuxièmement, il se trouvait à la cour de Chengdu de nombreux ritualistes religieux comme Du Guangting qui n‟étaient certainement pas aussi préoccupés par les privilèges aristocratiques que par le patronage religieux permettant le maintien des rituels devant assurer la communion entre les dieux et les humains169. Or, le loyalisme exalté de Du Guangting pouvait très facilement s‟expliquer par le fait que les empereurs Tang, lesquels se disaient descendre de Laozi, n‟avaient jamais manqué d‟être prodigues envers les prêtres taoïstes170. Finalement, les marchands, les agriculteurs et les militaires n‟étaient certainement pas tous des rebelles radicalement opposés à l‟ordre ancien.

2. 2 Le loyalisme de l‟armée Zhongwu Comment expliquer que des individus issus des plus prestigieuses familles de la

氏郡望之形成為例, Tang yanjiu 唐研究 2 (1996), pp. 245-264. 168 Dans L’ancienne histoire des Cinq dynasties il est certes écrit que son grand-père se nommait Xu Mi 許祕 (JWDS 71. 944), mais il est impossible de retracer ce dernier. En revanche, contrairement à la plupart des autres individus que nous venons de discuter, nous ne croyons pas que Xu Ji naquit pas à Chang‟an. Ainsi, toujours selon la même source, nous apprenons qu‟il serait originaire de Kuaiji 會稽 (Zhejiang). Le Beimeng suoyan 北夢瑣言 (yiwen 逸文 2. 2) tend à valider cette information en nous apprenant qu‟il reçut son éducation au Mont Siming 四明山 dans la même région sous les auspices d‟un dénommé Jin Zhengjun 晉徵君 dont nous ne savons rien. Nous ne savons pas si Xu Ji, un spécialiste du Livre des changements (Yi jing 易經), prit part à un moment à un autre aux examens organisés par la cour. Néanmoins, il aurait été convoqué par Tang Zhaozong qui en fit un fonctionnaire du palais intérieur (JWDS 71. 944). Nous ne savons pas sur quels critères il fut sélectionné, mais compte tenu des conditions d‟embauche qui semblent encore prévaloir dans les années 890 à la cour, il est permit de croire que Xu Ji disposait de certaines relations politiques. Cependant, en raison d‟une dégradation du climat à la cour, Xu Ji quitta rapidement la capitale pour se réfugier à Jiangling 江陵 (Jingnan 荊南), d‟où il joindra l‟organisation provinciale de Zhao Kuangning (JWDS 71. 945), avant de se diriger vers Shu. 169 Franciscus Verellen, « Société et religion dans la Chine médiévale. Le regard de Du Guangting (850-933) sur son époque », Bulletin de l’École Française d’Extrême-Orient 87. 1 (2000), pp. 267-282. 170 Franciscus Verellen (1994); T. H. Barrett, Taoism under the T’ang : Religion and Empire during the Golden Age of Chinese History (London : Wellsweep Press, 1996). 65 bureaucratie Tang se tournèrent vers un militaire comme Wang Jian pour les aider à préserver un ordre sur le point de disparaître? En un sens, il fallait que Wang Jian soit différent de Zhu Wen. Ainsi, malgré le fait qu‟ils furent tous les deux engagés dans la profession de soldat, ils devaient malgré tout incarner des valeurs divergentes. Ce qui nous conduit à reconsidérer l‟un des points faibles de l‟historiographie de la fin de la dynastie Tang, c‟est-à-dire celui des relations entre pouvoirs civils et militaires171. Ainsi avons-nous tendance à percevoir les bureaucrates et les militaires comme deux catégories et groupes d‟intérêts antagoniques. Toutefois, comment passer sous silence les difficultés auxquelles sont confrontés les historiens lorsqu‟il s‟agit de définir ces deux catégories en identifiant leurs intérêts respectifs. Qu‟est-ce que des intérêts typiquement bureaucratiques et des intérêts propres aux militaires? Serions-nous en mesure de cerner une mentalité militaire universelle et une mentalité bureaucratique caractéristique? En scrutant la réponse à de telles questions sans démordre du dualisme, n‟est-il pas facile de basculer vers des propositions subjectives du genre : les bureaucrates fondent la paix sociale par leurs vertus civiles, tandis que les militaires la menacent par leur appétit guerrier. Ce qui nous place au niveau du discours manichéen réduisant les catégories au bien et au mal. Mais est-il besoin de dire que le bien et le mal ne sont pas des intérêts au sens sociologique du terme, ce sont des appréciations, des jugements de valeur. De la même manière, « bureaucrates » et « militaires » sont des concepts qui ne peuvent avoir de sens s‟ils sont utilisés afin de désigner des catégories sociales exclusives. Afin de comprendre ce qui conduisit Wang Jian à devenir empereur de Shu, il convient donc de remonter à l‟organisation militaire à partir de laquelle il entreprit son ascension. C‟est-à-dire l‟armée Zhongwu basée dans la commanderie du même nom, d‟où était originaire Wang Jian, laquelle englobait les préfectures de Xuzhou, Chenzhou 陳州 et Caizhou 蔡州 dans l‟actuel Henan172. Malheureusement, nous

171 Sur ce sujet, voir notamment David A. Graff, « The Sword and the Brush : Military Specialisation and Career Patterns in Tang China », War and Society 18. 2 (2000), pp. 9-21; Fang Cheng-hua (2001). 172 Selon Ouyang Xiu et Lu Zhen, Wang Jian était originaire de Wuyang 舞陽 dans la préfecture de Xuzhou (XWDS 63. 783; JGZ 6. 1). Zhang Tangying nous dit également qu‟il venait de la préfecture de Xuzhou, qu‟il désigne par son ancien nom (Yingchuan), cependant il ajoute que sa famille venait de Yancheng 郾城 avant de déménager à Xiangcheng 項城 (STW 45. 19). Quant à Xue Juzheng, il nous

66 détenons peu d‟informations concernant les origines sociales de Wang Jian, tandis que le peu d‟informations que nous détenons sur ses prétendues activités avant de joindre l‟armée Zhongwu sont suspectes. Le Cefu yuangui 冊府元龜 mentionne certes le nom de son père, Wang Qing 王慶, et ajoute sans précision qu‟il appartenait à l‟élite locale (li zhi haoyou 里之豪右) de Chenzhou173. Toutefois, Ouyang Xiu semble démentir cette affirmation en écrivant que Wang Jian était « un jeune nécessiteux tuant des bœufs, volant des ânes et trafiquant du sel de contrebande pour vivre 少無賴, 以屠牛, 盜驢, 販私鹽爲事 »174. Quant à Zhang Tangying, il nous dit qu‟il « vivait de rapines avec la bande de Jin Hui, ce jusqu‟au moment où il se fit condamné [et emprisonné] à pour ses crimes » 與晉暉輩以剽盜爲事, 被重罪繫許昌175. Plusieurs historiens ont jusqu‟ici accordé beaucoup de crédit à Ouyang Xiu et Zhang Tangying pour affirmer que Wang Jian était un jeune bandit associé à des bandes similaires à celles qu‟unifièrent Wang Xianzhi et Huang Chao176. Toutefois, il se pourrait que les propos d‟Ouyang Xiu correspondent davantage à des jugements de valeur qu‟à la vérité historique, lui qui n‟avait apparemment aucune estime pour les militaires, et plus particulièrement pour ceux de cette époque177. Du moins, dans ce passage que nous venons de traduire, il semble surtout faire de Wang Jian une caricature burlesque de l‟ignoble soldat-bandit. De plus, rappelons que La nouvelle histoire des Cinq dynasties est un ouvrage révisionniste de L’ancienne histoire des Cinq dynasties, laquelle était considérée comme déviante à l‟époque d‟Ouyang Xiu. Or, la mention du Cefu yuangui à laquelle nous nous sommes référés proviendrait de L’ancienne histoire des Cinq dynasties, un ouvrage perdu qui fut reconstitué avec quelques imperfections sous la dynastie Qing 清 (1644-1911)178. Pour ce qui est de Zhang Tangying, bien que nous ne connaissions pas ses sources d‟informations, il se pourrait qu‟il extrapole sur les faits. Considérons par exemple la façon dont est relaté dit que Wang Jian provenait de la préfecture de Chenzhou 陳州 (JWDS 136. 1815). 173 CFYG 219. 17. 174 XWDS 63. 783. 175 STW 45. 19. 176 Voir notamment Hugh R. Clark (2009 : 156-157); Wang Hongjie (2008 : 62-68). 177 Sur l‟attitude d‟Ouyang Xiu à l‟égard des militaires, voir Richard L. Davis (1998 b). 178 À propos de la reconstitution de L’ancienne histoire des Cinq dynasties et les sources employées, voir Wang Gungwu, « The Chiu Wu-tai shih and History-writing during the Five Dynasties », Asia major, new series, 6. 1 (1957), pp. 1-22. 67 le passage de Wang Jian en prison dans le Jiuguo zhi, une source antérieure à Zhang Tangying. Ainsi, nous dit Lu Zhen : [Meng] Yanhui était responsable de la prison de Xuzhou lorsque Wang Jian des Shu antérieurs, alors attaché à l‟armée Zhongwu, fut condamné. Jian dit ainsi à Yanhui : « si vous pouvez me libérer, un autre jour je vous récompenserai généreusement ». Yanhui le laissa donc s‟en aller. Ainsi, une fois à la tête de Shu, [Jian] envoya un messager l‟accueillir et le nomma préfet de Jianzhou. [孟]彥暉嘗 爲許州獄吏, 前蜀王建隷忠武軍, 坐事被繫. 謂彥暉曰 : 卿能 免我, 他日將厚報. 彥暉遂縱之, 令亡去. 及建霸蜀, 遣使迎之, 授簡州刺史179. Prime abord, notons que Lu Zhen ne mentionne pas la raison pour laquelle Wang Jian fut arrêté. Cela dit, pouvons-nous envisager un autre motif que le banditisme pour expliquer son arrestation? Notamment, comme il était apparemment déjà soldat à ce moment, est-il possible qu‟il fut simplement accusé d‟insubordination à l‟endroit d‟un supérieur? De plus, une telle anecdote peut nous laisser croire que Wang Jian n‟était pas un simple voyou, mais bien un individu dont le statut était suffisamment élevé pour corrompre un fonctionnaire local, qu‟il connaissait peut-être déjà. Dans le passage précédemment cité de Zhang Tangying, ce qui nous semble le plus invraisemblable est l‟association faite entre Jin Hui 晉暉 (844-919) et une prétendue bande criminalisée à laquelle participait Wang Jian. Non pas que Jin Hui et Wang Jian ne se fréquentaient pas, ce qui est tout à fait possible puisqu‟ils avaient à peu près le même âge et provenaient des mêmes environs. Seulement, si nous ne pouvons nous prononcer avec certitude sur les origines sociales de Wang Jian, en revanche nous sommes mieux renseignés sur Jin Hui et sa famille, laquelle semblait appartenir aux élites locales. Ainsi, le tombeau de Jin Hui fut fortuitement découvert en banlieue de Chengdu en 1974. Pour notre plus grande satisfaction, une longue et détaillée épitaphe fut remontée à la surface, permettant ainsi aux historiens de cette période de réévaluer le contenu des sources incunables se rapportant à Jin Hui et Wang Jian180.

179 Ce passage est tiré de la biographie du fils de Meng Yanhui, Meng Sigong 孟思恭, lequel servit aussi bien les Shu antérieurs que les Shu postérieurs. Voir JGZ 7. 22. 180 Un court rapport d‟excavation du tombeau de Jin Hui, accompagné d‟une estampille de l‟épitaphe, fut publié par Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui 四川省文物管理委員會, « Qian-Shu Jin Hui

68 Dans les paragraphes qui suivront, une attention particulière sera donc accordée à l‟épitaphe de Jin Hui, laquelle renferme de très intéressantes informations inédites sur ses ancêtres immédiats. À partir de celles-ci, nous serons d‟une part en mesure de mieux mesurer l‟importance de l‟armée Zhongwu pour la dynastie Tang. D‟autre part, nous serons aptes à obtenir quelques renseignements sur le statut social ainsi que sur les réseaux sociaux auxquels participaient Jin Hui, et possiblement Wang Jian par extension. Ainsi croyons-nous mettre le doigt sur certaines pistes permettant d‟émettre des hypothèses sur l‟attitude de Jin Hui et Wang Jian à l‟égard des rebelles anti-Tang. Assez significativement, selon l‟auteur de son épitaphe, Yan Juzhen 嚴居貞, Jin Hui n‟était pas un jeune parvenu de basse extraction. En fait, il serait le descendant d‟une ancienne et honorable famille engagée dans le métier des armes que l‟on semble de manière inaccoutumée associer à un grand clan immémorial. Ainsi, après avoir identifié le défunt, le panégyrique s‟ouvre dans les termes suivants : Jusqu‟au moment où son honorable père le mit au monde, s‟écoulèrent cinq cent ans de bonnes fortunes symbolisant des milliards d‟années de filiations ancestrales dont les sources jaillirent très loin et dont les branches se disséminèrent dans une pureté infinie. Toutefois, en raison de nombreuses tragédies, la généalogie de son clan ne subsiste maintenant qu‟à moitié. [Heureusement], en quête de la plus sincère dévotion, celle-ci se transmet désormais oralement. 及甫以生焉, 間五百年禎祥, 狀 億萬嵗宗社, 源流甚遠, 枝流素繁. 族譜半遺, 爰因多難, 徵尋 誠素, 聊以敍陳181. Certes, il nous est impossible de déterminer si effectivement Jin Hui provenait d‟un grand clan aristocratique. En fait, il se pourrait très bien que cet extrait ne fasse que refléter les valeurs de son auteur, lequel était vraisemblablement un grand dignitaire à la cour de Shu. Ainsi, l‟épitaphe de Jin Hui nous apprend que Yan Juzhen était qingli jianbao » 前蜀晉暉清理簡報, Kaogu 考古 1983. 10 : pp. 915-918. Pour une brève analyse du contenu de l‟épitaphe, voir Yuan Shuguang 袁曙光, « Qian-Shu Jin Hui muzhi kaoshi » 前蜀晉暉墓 誌考釋, Sichuan wenwu 四川文物 1989. 6 : pp. 17-21. Mentionnons que le tombeau de Wang Jian fut également découvert à Chengdu en 1942. Toutefois, aucune épitaphe n‟y fut découverte, les seuls écrits qui s‟y trouvaient consistent en une eulogie funéraire gravée sur des lattes de bambous, laquelle est rédigée dans un style beaucoup trop formaliste qui ne nous apprend strictement rien sur les origines et la vie de Wang Jian. Cependant, ce tombeau demeure un monument funéraire d‟une exceptionnelle richesse, surtout en ce qui a trait aux sculptures qu‟il renferme et aux ornements du cercueil. Voir le rapport d‟excavation de Feng Hanji 馮漢驥, Qian-Shu Wang Jian mu fajue baogao 前蜀王建墓發掘 報告 (Beijing : Wenwu chuban she, 2ème édition, 2002). 181 Voir à la ligne #5 de l‟épitaphe, Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 918). 69 secrétaire impérial et grand maître du Conseil de la cour (chaoyi daifu jianjiao shangshu 朝議大夫檢校尚書), secrétaire supérieur du Bureau des finances en charge du district de Chengdu (hubu langzhong xing Chengdu xianling 戶部郎中行成都縣 令) et vice-président du Tribunal des censeurs (yushi zhongcheng 御史中丞)182. En dépit du fait que Yan Juzhen nous est inconnu autrement que par cette épitaphe, il nous est donc permit de croire que celui-ci partageait un même univers que les réfugiés loyalistes dont nous avons discuté plus tôt. Or, en nous appuyant sur le passage cité, nous pouvons légitimement inférer que les fonctionnaires civils de la cour de Chengdu considéraient toujours le pedigree comme le principal déterminant des vertus conditionnant le statut183. Par conséquent, en admettant l‟ancienneté de la généalogie de Jin Hui, on célébrait pour ainsi dire la noblesse et la légitimité de son statut d‟homme supérieur. Pourtant, Jin Hui provenait d‟un environnement complètement différent de celui d‟où émergeaient la plupart des loyalistes accaparant les fonctions bureaucratiques à la cour de Shu. Rappelons que ceux-ci provenaient souvent des plus prestigieuses familles de la capitale sous la dynastie Tang, lesquelles fournirent plusieurs grands ministres et dont la réputation reposait en grande partie sur leur pedigree et leur culture littéraire. Or, Jin Hui venait d‟une famille provinciale dont les membres servaient la dynastie Tang en qualité de soldats professionnels, au nombre desquels nous ne pouvons repérer aucun individu ayant occupé de hautes fonctions bureaucratiques, ni même aucun individu ayant tenté les examens jinshi. D‟ailleurs, il s‟agit d‟un fait que ne cherche absolument pas à démentir Yan Juzhen en écrivant qu‟« en s‟établissant dans le métier des armes, la bonne réputation [de cette famille] se transmit de génération en génération » 樹戟一門, 傳芳累世184. Avec pareille affirmation venant d‟un lettré, que pouvons-nous donc trouver à répondre à l‟opinion voulant que les militaires de cette période étaient tous perçus comme une menace à

182 Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 918, ligne #3). 183 Plusieurs de ceux qui ont abordé la question de l‟aristocratie vers la toute fin de la dynastie Tang et durant le Xe siècle ont assumé que les élites cessèrent de définir leur statut en fonction de leur généalogie, le pedigree étant pour ainsi dire une valeur déjà consumée. Voir Beverly J. Bossler (1998 : 12-24); Peter K. Bol (1992 : 36-48); David Johnson (1977 a : 48). Néanmoins, ce n‟était possiblement pas le cas à la cour du Royaume de Shu antérieur. 184 Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 918, ligne #6). 70 l‟ordre social? En fait, un examen du cheminement des ancêtres de Jin Hui et une reconstitution des réseaux sociaux auxquels prenaient part les individus gravitant autour de l‟armée Zhongwu nous inciteraient davantage à conclure que celle-ci servait de rempart loyaliste contre la déflagration de l‟autorité impériale. Selon l‟épitaphe de Jin Hui, « son arrière-grand-père était [Jin] Zhang, lequel était officier de la Garde militaire de gauche, une fonction qui le conduisit à établir sa famille à Xuzhou dans le district de Xuchang » 曾祖璋, 左武衛長史, 因家於許州 之許昌縣185. Jin Zhang aurait donc été le premier de la famille à s‟établir dans la région. Compte tenu de l‟année de naissance de Jin Hui (844)186, il est tout à fait vraisemblable que Zhang migra vers Xuzhou suite à la rébellion d‟An Lushan, possiblement vers la fin du VIIIe siècle alors que les commanderies Chengde 成德 et Wei-Bo 魏博 (Hebei) étaient ouvertement insurgées contre la cour187. Ainsi, l‟envoi de la Garde militaire à Xuzhou aurait eu pour motif le renforcement de la sécurité des zones traversées par le canal Bian 汴河. La raison étant que sur celui-ci devaient être transportées les ressources envoyées vers Luoyang et Chang‟an depuis la prospère région du Bas-Yangzi dont dépendait la cour désormais privée des ressources du Hebei et du Shandong188. Quant au grand-père de Jin Hui, Hongzuo 弘祚, l‟épitaphe nous apprend qu‟il était « administrateur militaire de la préfecture Tang de Qingzhou, poste auquel était adjoint le titre de cavalier de gauche à la disposition de l‟empereur » 唐青州司馬檢 校左散騎常侍189. Ainsi, le grand-père de Jin Hui fut envoyé occupé un poste militaire

185 Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 918, ligne #6). 186 Selon la ligne #23 de son épitaphe, il trépassa en 923 (qiande wu nian 乾德五年). Quant à sa biographie dans le Jiuguo zhi, elle nous informe qu‟il était alors dans sa soixante-dix-neuvième année (JGZ 6. 14). 187 Sur les commanderies du Hebei à cette époque, voir Mao Hanguang 毛漢光, « Tang mo Wudai zhengzhi shehui zhi yanjiu : Wei-Bo erbai nian shilun » 唐末五代政治社會之研究 : 魏博二百年史 論, Zhongyang yanjiuyuan lishi yuyan yanjiusuo jikan 中央研究院歷史語言研究所集刊 50. 2 (1979), pp. 301-360; Jonathan Mirsky, « Rebellion in Ho-pei : The Successful Rising of the T‟ang Provincial Governors », thèse doctorale, University of Pennsylvania, 1967; David A. Graff, « Provincial Autonomy and Frontier Defense in Late Tang : The Case of the Lulong Army », dans Don J. Wyatt, éd., Battlefronts Real and Imagined : War, Border, and Identity in the Chinese Middle Period (New York : Palgrave Macmillan, 2008), pp. 43-58. 188 Voir notamment Quan Hansheng 全漢昇, Tang-Song diguo yu yunhe 唐宋帝國與運河 (Shanghai : Shangwu yinshu guan, 1946), pp. 42-76; Denis Twitchett (1970 : 94-96). 189 Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 918, ligne #7). 71 dans la préfecture de Qingzhou, c‟est-à-dire dans la commanderie Pinglu 平盧軍 (Shandong). Il est donc fort possible que Jin Hongzuo y fut affecté par la cour pendant ou peu après la campagne de 818-819 que Tang Xianzong ordonna contre le gouverneur dissident Li Shidao 李師道 (mort en 819)190. Ce qui est d‟autant plus vraisemblable que plusieurs troupes envoyées dans la commanderie Pinglu provenaient entre autres de la commanderie Zhongwu191. Ainsi le grand-père de Jin Hui pourrait avoir prit part à l‟un des points tournants de la restauration Tang que parvint dans une certaine mesure à réaliser Tang Xianzong. En ce sens que la vaste et populeuse commanderie Pinglu était sous le contrôle d‟un gouverneur militaire qui refusait toute ingérence extérieure, qui refusait de livrer les impôts à la cour et qui se liguait couramment avec les autres gouverneurs du Hebei que la cour cherchait en vain à soumettre. Vu l‟importance économique et militaire de cette commanderie, il était donc intolérable pour la cour de la voir échapper à son autorité. Grâce au succès de la campagne de 818-819, elle demeura ainsi sous l‟étroite supervision de la cour jusqu‟à la rébellion de Huang Chao, privant par là les commanderies autonomistes du Hebei d‟un puissant allié. Ainsi, il est fascinant de constater que Yan Juzhen prend grand soin de souligner deux points : d‟une part, que Qingzhou est une préfecture Tang, d‟autres parts, que Jin Hongzuo relevait de l‟autorité de la cour192. Enfin, selon Yan Juzhen, le père de Jin Hui était un notable provincial d‟un certain acabit. Ainsi pouvons-nous lire que « son défunt père, [Jin] He, était un vice-gouverneur de la commanderie Zhongwu ainsi qu‟un président du Ministère des travaux » 考和, 忠武軍節度副使檢校工部尚書193. Dans ce passage, nous trouvons donc un complément au Jiuguo zhi qui ne fait que nous dire laconiquement qu‟il était un officier (liexiao 列校) dans l‟armée Zhongwu194. Il est certes difficile d‟affirmer

190 Charles A. Peterson, « Court and Province in Mid and Late T‟ang », dans Denis Twitchett, éd., The Cambridge History of China. Volume 3, part 1 : Sui and T’ang China, 589-906 (Cambridge : Cambridge University Press, 1979), pp. 525, 533-534. Voir également la biographie de Li Shidao dans XTS 213. 5992-5995. 191 ZZTJ 240. 7751. 192 C‟est l‟idée à laquelle semble renvoyer la mention du titre « cavalier de gauche à la disposition de l‟empereur ». Normalement, ce titre renvoi à un poste de conseiller impérial au gouvernement central, mais il est très difficile de concevoir que Jin Hongzuo remplit les responsabilités associées à un tel titre à la cour. Ainsi sommes-nous amenés à conclure que la mention de ce titre dans l‟épitaphe ne vise qu‟à renforcir l‟idée qu‟il relevait de la cour et non d‟un gouverneur rebelle. 193 Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui, (1983 : 918, ligne #7). 194 JGZ 6. 13. 72 qui de Yan Juzhen ou Lu Zhen dit vrai. En revanche, le Jiuguo zhi ajoute que Jin Hui reçut son premier poste de commandement de Du Shenquan 杜審權 (mort en 875) lui-même195. Ce qui eut probablement lieu en 874-875, au moment où Shenquan fut envoyé dans la commanderie Zhongwu à titre de gouverneur196. En fait, selon le Shu taowu, non seulement Jin Hui mais également Wang Jian aurait été promu par Du Shenquan, alors que ce dernier organisait une expédition punitive contre l‟armée rebelle de Wang Xianzhi197. Bien que nous ne trouvions aucune mention de Du Shenquan dans l‟épitaphe de Jin Hui, son apparition dans d‟autres sources se rapportant à Jin Hui et Wang Jian contribue néanmoins à nous mettre sur une piste permettant de conjecturer sur les réseaux sociaux de ces derniers et les intérêts qu‟ils défendaient. À cet égard, il est significatif de constater que Du Shenquan fut grand ministre à la cour de 861 à 868, un poste qu‟il abandonna pour s‟impliquer dans la lutte contre les mutins dirigés par Pang Xun en 868-869198. Il s‟agissait donc d‟un individu qui non seulement jouissait de relations politiques au plus haut niveau de l‟État, mais qui était aussi préoccupé par les rébellions et qui collaborait avec les cercles militaires loyalistes. Ainsi, est-ce que Jin He fut vice-gouverneur sous Du Shenquan? Si tel était le cas, sommes-nous en droit de croire que Jin Hui, qui amorça sa carrière à la tête d‟un régiment (huang tou 黃頭) d‟environ 500 soldats199, eut droit à un traitement de faveur dut à la relation qui existait entre son père et Du Shenquan? Enfin, est-ce que le fait de naître dans une commanderie traditionnellement loyaliste de parents concernés par le maintien de l‟ordre ne peut pas être un facteur disposant le jeune adulte vivant en temps de crises à s‟engager dans la lutte contre la subversion et à adopter des positions exaltées comme le loyalisme? Du moins, si tel ne fut pas le cas, ce fut néanmoins une des principales raisons pour laquelle les lettrés du Royaume de Shu après 907 semblaient louanger les militaires issus de l‟armée Zhongwu, et plus particulièrement ceux depuis longtemps sous les ordres de Wang Jian. Cet aspect se laisse notamment percevoir à la lecture de l‟épitaphe de Wang Zongkan 王宗侃 (mort en 923), un lieutenant et fils adoptif de

195 JGZ 6. 13. 196 JTS 177. 4610-4611; Wu Tingxie 吳廷燮, Tang fangzhen nianbiao 唐方鎮年表 (Beijing : Zhonghua shuju, 2003), pp. 258-259. 197 STW 45. 19. 198 JTS 177. 4610-4611. 199 Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983, p. 918, ligne #11). Huang tou était le nom donné aux régiments de l‟armée Zhongwu, voir Du Wenyu (2006 : 470-471); ZZTJ 253. 8213. 73 Wang Jian dont le nom d‟origine était Tian Deyi 田德怡, lequel aurait appartenu à une « famille de l‟élite villageoise » 世為鄉豪 de Xuchang, d‟où « il aurait connu [Wang Jian] de longue date » 以公鄉里故舊200. Voici donc en quels termes le lettré Duan Rong 段融, l‟auteur de l‟épitaphe, fait l‟éloge de Wang Zongkan et Wang Jian : En raison de son dévouement au grand empereur [Wang Jian], de son ardeur et sa conviction à endiguer les troubles, […] lui fut donc conférer le nom de famille dynastique [Wang]. […] [Vers la fin des années 880 à Shu] les affaires militaires battaient leur plein, tandis que de près et de loin on se rendait [à Wang Jian] pour améliorer les équipements, accumuler les rations et se promettre mutuellement d‟extirper les pécheurs maudits. 因效誠與 高帝, 立戡難之忠勤 […] 爰賜國姓. […] 軍事振振, 遠邇歸投, 繕甲聚糧, 誓除妖孽201.

Certes, ce passage que nous venons de rapporter est considérablement abrégé. Toutefois, le type de vocabulaire que nous y retrouvons est tout à fait représentatif des termes employés pour désigner les ennemis de Wang Jian à travers le long narratif que livre l‟épitaphe de la croisade anti-rebelle conduite par l‟armée Zhongwu. Que Wang Jian et Jin Hui partagèrent une même condition sociale est difficile à attester. En revanche, leur cheminement à l‟intérieur de l‟armée Zhongwu fut très similaire. Ainsi, alors qu‟il avait moins de trente ans, nous dit le Wuguo gushi 五國故 事, Wang Jian « fut nommé à la tête d‟une division de l‟armée Zhongwu et envoyé combattre Shang Junzhang au Shandong » 爲忠武軍部將, 討尚君長於山東 202. Voici ce que nous dit Sima Guang à propos de cette opération datée de 875 : [Au sixième mois], Wang Xianzhi et son allié Shang Junzhang attaquèrent Puzhou et Caozhou avec un groupe qui se chiffrait en milliers [d‟individus]. […] Originaire de Yuanqu (Shandong), Huang Chao rassembla des milliers de personnes pour accueillir Xianzhi. […] Du côté de Chao on était moins nombreux que du côté de Xianzhi et on ne comptait que des contrebandiers (marchands?) de sel. Mais plusieurs individus ayant échoué aux examens jinshi suivirent les bandits pour joindre Xianzhi et saccager le Shandong, en y pillant préfectures et districts. Les paysans qui vivaient dans une misère exécrable les joignirent également, de telle sorte qu‟en quelques mois ils se chiffraient par

200 À propos de l‟excavation du tombeau de Zongkan à Chengdu en 1997 et de l‟épitaphe qu‟il renfermait, voir Xue Deng 薛登, « Wudai Qian-Shu Wei wang mu » 五代前蜀魏王墓, Chengdu wenwu 成都文物 2000. 2, pp. 8-19; 2000. 3, pp. 32-40. Pour une transcription complète de l‟épitaphe, voir aux pages 11-13 dudit rapport d‟excavation. De plus, le lecteur peut se référer à la biographie de Zongkan dans le Jiuguo zhi dont la plupart des informations sont corroborées par l‟épitaphe (JGZ 6. 7). 201 Xue Deng (2000 : 12). 202 WGGS 1. 9. 74 dizaines de milliers. […] [Au onzième mois], les bandes de brigands progressaient peu à peu, elles avaient déjà mis à sac plus de dix préfectures et atteignaient désormais le Huainan. […] Ainsi, on fit appel aux gouverneurs des cinq commanderies du Huainan, de Zhongwu, de Xuanwu, de Yicheng et de Tianping. 王仙芝及其 黨尚君長攻陷濮州, 曹州, 眾至數萬. […] 冤句人黃巢亦聚衆 數千人應仙芝. […] 巢少與仙芝皆以販私鹽爲事, […] 屢擧進 士不第, 遂爲盜, 與仙芝攻剽州縣, 橫行山東. 民之困於重斂 者爭歸之, 數月之間, 眾至數萬. […] 羣盜侵淫, 剽掠十餘州, 至于淮南. 詔淮南, 忠武, 宣武, 義成, 天平五軍節度使203.

Dans un tel climat, il est difficile d‟imaginer qu‟un homme d‟État de la trempe de Du Shenquan ait confié le commandement d‟une division à un homme ne partageant pas ses convictions, surtout à un jeune bandit, et risquer que celui-ci fasse défection au camp adverse204. Si dans la commanderie Zhongwu se trouvait effectivement de jeunes révoltés enclins à la rébellion, en revanche nous pouvons raisonnablement présumer que ceux-ci ne figuraient pas parmi les officiers de l‟armée Zhongwu. Par exemple, Li Hanzhi 李罕之 – originaire de Chenzhou, un des présumés lieux de naissance de Wang Jian – était un lettré révolté qui échoua aux examens et qui se tourna vers la sédition, ce qui le conduisit également au Shandong dans les événements que décrit Sima Guang. À la différence bien sûr qu‟il n‟était pas du côté de l‟armée Zhongwu, mais bien du côté de Huang Chao et Wang Xianzhi205. Il semblerait donc que Wang Jian fut dévoué à une cause, raison pour laquelle il mit beaucoup d‟ardeur à combattre la rébellion sur plusieurs fronts. Notamment, le Jiuguo zhi nous apprend que « Jian combattit Xu Tangju dans le Jiangxi » 建討徐堂 擧於江西 206. Ainsi, Wang Jian pourrait avoir prit part à la plus grande bataille de l‟heure, c‟est-à-dire la bataille du Jiangxi de 878, au court de laquelle Wang Xianzhi et Shang Junzhang furent capturés et exécutés207. Quant à Xu Tangju, celui-ci était l‟allié de Wang Xianzhi qui occupait la préfecture de Hongzhou 洪州, contre laquelle intervint l‟eunuque et superviseur des troupes anti-rebelles Yang Fuguang 楊復光

203 ZZTJ 252. 8180, 8182. 204 Pour répondre à l‟interrogation de Hugh R. Clark (2009 : 156) qui se demande si Wang Jian forma une alliance avec Huang Chao, nous lui répondons catégoriquement que non! Wang Jian fut dès le début de la rébellion dans le camp loyaliste et à aucun moment il ne fit défection. 205 JWDS 15. 206. Ouyang Xiu discute également de Li Hanzhi dans La nouvelle histoire des Tang, toutefois il est décidément antipathique à son endroit et passe sous silence que celui-ci fut un lettré frustré ayant reçu une éducation confucianiste (XTS 187. 5442). 206 JGZ 6. 4. Cependant, Lu Zhen semble commettre une erreur dans la transcription du nom de Xu Tangju, le caractère ju n‟étant pas 擧, mais bien 莒. Voir JTS 184. 4772; ZZTJ 253. 8203. 207 JTS 19. 701. 75 (842-883)208, sous les ordres de qui était semble-t-il Wang Jian à ce moment. Tandis que la rébellion prenait des proportions alarmantes et que les foyers insurrectionnels se multipliaient, l‟armée Zhongwu semble avoir été d‟un intérêt particulier pour la dynastie Tang dans sa stratégie d‟endiguement des troubles. Par conséquent, la cour impériale entendait contrôler la nomination des gouverneurs de la commanderie et maintenir sous étroite supervision les diverses divisions de son armée. D‟une part, même après le décès de Du Shenquan en 875 et la prolongation des luttes armées, la cour semble avoir gardé l‟habitude de nommer des gouverneurs civils à la tête de la commanderie. Ainsi, en 875 la cour passa le relais à Cui Anqian 崔安潛 (jinshi 849), lequel était non seulement déjà familier avec la commanderie pour y être arrivé quelques années plus tôt en qualité de préfet de Xuzhou 許州刺史209, mais qui également provenait d‟une famille solidement établie dans la bureaucratie impériale210. Toutefois, en dépit de son loyalisme et de sa détermination à vaincre les « bandits », celui-ci demeurait un bureaucrate dont l‟expérience du soldat de métier semblait faire défaut211. Ainsi, après quelques démêlés avec d‟autres gouverneurs loyalistes vers la fin de l‟année 877212, il fut rappelé par la cour qui projetait désormais de l‟envoyer au Xichuan prendre la place du gouverneur et général Gao Pian213, auquel la cour entendait faire appel pour commander les troupes anti-rebelles. Entre temps, un dénommé Xue Neng 薛能 (jinshi 846) fut nommé gouverneur de la commanderie à la place de Cui Anqian, un emploi qu‟il occupa jusqu‟en 880214. Bien que Xue Neng fut un poète prolifique en son temps215, malheureusement il ne subsiste que peu d‟informations à son sujet. Néanmoins, la notice biographique qui précède ses poèmes dans le Quan Tang shi nous apprend qu‟il fut affecté à des postes

208 JTS 184. 4772. 209 JTS 177. 4580. À noter qu‟Ouyang Xiu se trompe en écrivant qu‟il était gouverneur avant 875 (XTS 114. 4199). Voir également Wu Tingxie (2003 : 259). 210 Mentionnons que le grand frère de Cui Anqian, Cui Shentian 崔慎田 (jinshi 828), fut grand ministre vers la fin des années 850, tandis que leur père, Cui Cong 崔從 (jinshi 786) fut un haut fonctionnaire de la cour durant les règnes de Xianzong et Muzong 穆宗 (821-824). Voir JTS 177. 4577-4580; XTS 114. 4196-4199. 211 XTS 114. 4199. 212 Une querelle éclata entre Cui Anqian et Song Wei 宋威 – gouverneur de la commanderie Pinglu – qui devait prendre le contrôle des armées devant être envoyées au Jiangxi et auquel Anqian refusait de céder des troupes. (ZZTJ 253. 8193). Le compromis semble avoir été de rappeler Anqian et de confier le commandement des troupes de l‟armée Zhongwu destinées au Jiangxi à Yang Fuguang (JTS 184. 4772). 213 Selon Sima Guang, Cui Anqian reçoit la proposition de se rendre au Xichuan comme gouverneur vers la fin de l‟année 878 (ZZTJ 253. 8209; XTS 114. 4199). On entendait vraisemblablement envoyer Cui Anqian au Xichuan sous prétexte que la guerre avec les Nanzhao avait prit fin. 214 Wu Tingxie (2003 : 260). 215 Pour apprécier ses nombreux poèmes, voir QTS du juan 558 au juan 561. 76 au Ministère de la justice (xingbu 刑部) ainsi qu‟au Tribunal des censeurs (yushi tai 御史臺) vers la fin des années 850216. Enfin, L’Ancienne histoire de la dynastie Tang nous dit qu‟en 870, alors qu‟il était secrétaire à la Chancellerie impériale (jishizhong), il fut promu au poste d‟administrateur supérieur de la capitale (jingzhao yin 京兆 尹)217. Toutefois, bien qu‟étant un bureaucrate loyaliste très expérimenté, Xue Neng n‟était guère plus un soldat professionnel que ne l‟était Cui Anqian. À partir de 878 les affaires allaient de mal en pis, de telle sorte qu‟en 880-881 les événements se précipitèrent au point de prendre une tournure dramatique. Au premier chef, l‟empereur se fit chassé de sa capitale par les forces de Huang Chao. En second lieu, Gao Pian n‟ayant pas été en mesure de contenir l‟avancée ennemie, les forces rebelles prirent le contrôle de nombreuses régions méridionales prospères et stratégiques. Enfin, la loyauté d‟une des commanderies jusqu‟alors des plus fidèles à la cour devint incertaine. C‟est-à-dire qu‟en 880, Xue Neng aurait été assassiné par un obscur soldat du nom de Zhou Ji 周岌, lequel usurpa la position de gouverneur de la commanderie Zhongwu218. Par chance pour la cour cependant, Zhou Ji n‟usurpa que la position d‟un gouverneur civil qui n‟avait semble-t-il pas de troupes significatives sous la main. En fait, le véritable chef des armées de la commanderie Zhongwu était Yang Fuguang, cet eunuque député par la cour pour superviser les armées de la commanderie et coordonner la lutte. Selon toute vraisemblance, à aucun moment Wang Jian et Jin Hui ne furent sous l‟autorité de Zhou Ji. Ainsi, au moment où Zhou Ji monta son putsch, ceux-ci auraient accompagné un autre général du nom de Qin Zongquan 秦宗權 vers la préfecture de Caizhou dans le Sud de la commanderie219. Si nous en croyons les sources, la raison de ce départ inusité fut un refus catégorique de servir un traître comme Zhou Ji, une réaction sans équivoque qui fut aussi bien celle Qin Zongquan que de Yang Fuguang. Certes, les sources ne nous disent pas ce qu‟en pensaient Wang Jian et Jin Hui plus précisément, néanmoins leur opinion à l‟égard de Zhou Ji ne devait pas être tellement différente de celle de leurs patrons. Ainsi, peu après le coup de force qui scinda la commanderie Zhongwu, Yang Fuguang réquisitionna au près de Qin Zongquan le

216 QTS 558. 6467. 217 JTS 19. 676. 218 JTS 19. 708; ZZTJ 254. 8237; QTS 558. 6467. 219 ZZTJ 254. 8237; JTS 114. 4773, 200. 5398. 77 transfert sous son autorité de trois à huit mille soldats220 qu‟il divisa en huit divisions dont il confia le commandement à Lu Yanhong 鹿晏弘, Jin Hui, Li Shitai 李師泰, Wang Jian, Han Jian 韓建, Zhang Zao 張造, et possiblement Li Jian 李簡221. À partir de Caizhou, ces huit brigades entreprirent ainsi une marche forcée vers l‟Ouest, où se dirigeait alors la cour sur le chemin de l‟exil. À travers cette très longue expédition, l‟armée de Yang Fuguang passa d‟abord par la commanderie voisine du Shannan oriental où elle livra bataille aux troupes rebelles dirigées par Zhu Wen dans les environs de Nanyang 南陽 et Dengzhou 鄧州222. Suite à quoi, l‟armée continua sa marche en direction de Xingyuan 興元, dans la province du Shannan occidental, où les troupes se stationnèrent à la frontière du Xichuan, lieu d‟exil impérial223. Un problème qui peut ici attirer l‟attention est de comprendre pourquoi les troupes récupérées par Yang Fuguang firent marche vers l‟Ouest plutôt que d‟attaquer Zhou Ji et ainsi reprendre le contrôle de la commanderie Zhongwu. Une partie de la réponse réside notamment dans le fait que la stratégie et les enjeux de la lutte avaient considérablement changé. Ainsi, la priorité était désormais d‟assurer la survie de la dynastie et de reconquérir la capitale. Pour ce faire, il était donc fondamental de commencer par renflouer l‟armée impériale, renforcer la sécurité de la cour et consolider une base territoriale devant servir de point de départ à la reconquête. C‟est donc pour ces raisons, semble-t-il, que la cour fit appel à Yang Fuguang pour détacher les divisions de choc de l‟armée Zhongwu, les transférer à l‟Ouest et les intégrer à l‟armée personnelle de l‟empereur, la célèbre Armée de la divine stratégie224.

220 Selon JTS 184. 4773 et STW 45. 19, il s‟agissait de trois mille soldats. Toutefois, selon XWDS 63. 783, huit mille soldats furent conduits à Yang Fuguang. 221 L’ancienne histoire des Tang ne donne que cinq noms sur huit : Lu Yanhong, Jin Hui, Li Shitai, Wang Jian et Han Jian (JTS 184. 4773). Ce qui est déjà mieux que L’ancienne histoire des Cinq dynasties et La nouvelle histoire des Cinq dynasties qui ne nous donnent que les noms de Lu Yanhong et Wang Jian (JWDS 136. 1815; XWDS 63. 783). Le Shu taowu va un peu dans le même sens que L’ancienne histoire des Tang en nous donnant les noms de Wang Jian, Jin Hui, Han Jian et Li Shitai, à la différence qu‟il ajoute celui de Zhang Zao (STW 45. 19), une information qui semble également corroborée par la biographie de Zhang Zao dans le Jiuguo zhi (JGZ 6. 14). Grâce au Jiuguo zhi, nous pouvons possiblement ajouter le nom de Li Jian, dont la biographie nous dit qu‟il accompagna Lu Yanhong dans ladite expédition (JGZ 6. 15). Toutefois, il nous manque toujours le huitième nom. Nous pourrions avancer l‟hypothèse que Yang Fuguang prit lui-même la tête d‟une des huit divisions. En plus de Jin Hui, Li Shitai, Zhang Zao et Li Jian sont tous des personnages d‟un intérêt particulier pour nous en ce sens qu‟ils contribuèrent directement à la fondation du Royaume de Shu antérieur. Pour ce qui est de Lu Yanhong, en 884 il retourna prendre le contrôle de la commanderie Zhongwu dont il devint le gouverneur (ZZTJ 256. 8315-8316). 222 JTS 184. 4773; ZZTJ 255. 8300. 223 Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 918, ligne #13); ZZTJ 255. 8300; JWDS 136. 1815. 224 Dès l‟arrivée de Wang Jian et Jin Hui à Xingyuan, ceux-ci ne relevaient définitivement plus de l‟armée Zhongwu, mais bien de l‟autorité directe de Tian Lingzi, lequel était chargé du commandement 78 Ce n‟était donc pas un hasard si les divisions commandées par Wang Jian et Jin Hui firent parti des principales forces devant escorter l‟empereur à son retour vers la capitale impériale en 885225. Non seulement car l‟armée de la commanderie Zhongwu était traditionnellement loyaliste et comptait parmi les plus fidèles à la cour, mais aussi en raison du fait que des individus influents gravitant dans l‟entourage immédiat de la cour au moment de l‟exil avaient des liens personnels avec la commanderie. Entre autres, Cui Anqian, lequel passa quelques années de sa vie à Xuzhou, était du nombre. Rappelons que celui-ci fut envoyé assumer la responsabilité de gouverneur du Xichuan en 878. Certes, en 880 il fut remplacé à ce poste par Chen Jingxuan, le frère de l‟eunuque en chef de la cour Tian Lingzi, toutefois il demeura à Chengdu au près de l‟empereur tout au long de l‟exil226. En fait, selon Sima Guang, dès 879 Anqian aurait exprimé l‟idée de transférer des troupes de la commanderie Zhongwu vers Shu227. De plus, mentionnons qu‟un des trois fils de Du Shenquan, Du Rangneng 杜讓能 (jinshi 873), fut investi de très hautes fonctions bureaucratiques à la cour de Tang Xizong, que par ailleurs il accompagna en exil à Chengdu avant de devenir lui-même grand ministre228. Enfin, il va s‟en dire que la participation de Wang Jian au haut-commandement de l‟Armée de la divine stratégie lui permit d‟étendre ses relations tout en gagnant les sympathies de nombreux lettrés loyalistes.

2. 3 La morphologie d‟un État loyaliste Dans ses almanachs intitulés Miroir exhaustif pour l’illustration du gouvernement (Zizhi tongjian), Sima Guang pose les premiers jalons d‟une hypothèse concernant les

suprême de l‟armée impériale. Comme l‟explique Franciscus Verellen (1989 a : 65-71), durant l‟exil impérial, Lingzi saisit l‟importance capitale de cette région dans le processus de reconquête et s‟assura d‟en avoir un contrôle total. D‟une part, celle-ci était le point de passage obligé pour se rendre à Chengdu à partir du Nord-est, d‟autre part, en direction opposée, elle menait directement à Chang‟an. Ainsi, en participant au renforcement militaire de Xingyuan, Wang Jian et Jin Hui aurait été intégré à l‟Armée de la Divine stratégie, un point sur lequel l‟épitaphe de Jin Hui ne laisse planer aucune ambigüité. Voir Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 918, lignes #14-15). C‟est également dans ce contexte que Wang Jian, et possiblement Jin Hui bien que son épitaphe n‟en dise rien, aurait été adopté Tian Lingzi. Voir STW 45. 20; JWDS 136. 1816; XWDS 63. 783; ZZTJ 256. 8314. 225 Comme le fait remarquer Yuan Shuguang (1989 : 18), les sources les plus courantes insistent à outrance sur l‟importance de Wang Jian au sein de l‟escorte devant accompagner l‟empereur sur le retour de son exil. Selon son épitaphe, Jin Hui aurait joué un rôle tout aussi important, lui qui ne tenait semble-t-il pas son autorité de Wang Jian, de qui il était alors l‟égal. En fait, cinq divisions (suijia wudu 隨駕五都), dont une commandée par Jin Hui, auraient escortées la suite impériale. Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 918, ligne # 14-15); STW 45. 20; ZZTJ 256. 8314. 226 JTS 177. 4580; XTS 114. 4200. 227 ZZTJ 253. 8213. 228 JTS 177. 4612. 79 institutions bureaucratiques mises en place sous Wang Jian après 907. Ainsi écrit-il : Bien que le souverain de Shu fût illettré, il aimait discuter avec les hommes de lettres dont il apprit grossièrement les principes. À ce moment, [lors de la chute de la dynastie Tang], des clans de bureaucrates de la dynastie Tang se réfugièrent à Shu afin d‟éviter le désastre. Ainsi, le souverain de Shu les considéra avec déférence et les employa afin qu‟ils firent la promotion des anciens modèles, de sorte que les institutions civiles y revêtirent les allures de la dynastie Tang. 蜀主雖目不知書, 好與書生談 論, 粗曉其理. 是時唐衣冠之族多避亂在蜀, 蜀主禮而用之, 使脩擧故事, 故其典章文物有唐之遺風229. Que des lettrés réputés se réfugièrent à Shu est un fait déjà largement corroboré, reste cependant à déterminer dans quelle mesure ils établirent une structure bureaucratique analogue à celle de la défunte dynastie Tang. Afin d‟apprécier la véracité de cet énoncé, nous ausculterons donc le dispositif bureaucratique de la cour des Shu antérieurs par analogie à la structure étatique dite des Trois départements (san sheng 三省), laquelle était en théorie à la base du vaste appareil politico-administratif de la dynastie Tang230. À propos de ce système, nous pouvons nous référer à deux sources capitales qui en présentent les rouages. D‟une part, nous disposons du Da Tang liudian 大唐六典, un ouvrage qui aurait été compilé par le grand ministre Li Linfu 李林甫 (mort en 752) à la demande de l‟empereur Tang Xuanzong 玄宗 (712-756). D‟autre part, nous pouvons compter sur le Tong dian 通典, une somme encyclopédique des institutions impériales réalisée par Du You 杜佑 (735-812). Dans un cas comme dans l‟autre, ces ouvrages parcourent

229 ZZTJ 266. 8685. Voir également la traduction anglaise d‟Anna M. Shields, Crafting a Collection : The Cultural Contexts and Poetic Practice of the Huajian ji 花間集 (Collection from among the Flowers) (Cambridge, Mass. : Harvard University Press, 2006), p. 83. 230 Les traductions de Robert des Rotours sont la référence française de prédilection pour étudier l‟histoire institutionnelle des Tang, voir Traité des fonctionnaires et Traité de l’armée : traduits de la Nouvelle histoire des T‟ang, chap. 46-50 (Leyden : E. J. Brill, 1947-1948), 2 volumes. À part des Rotours, très peu d‟historiens occidentaux ont à ce jour étudié les structures et les rouages de la bureaucratie Tang. Le titre de l‟ouvrage de David McMullen, State and Scholars in T’ang China (Cambridge : Cambridge University Press, 1988), semble certes suggérer un tel sujet. Toutefois, de manière générale, cet ouvrage n‟aborde que des questions liées aux rituels d‟État, à l‟éducation confucianiste et aux activités littéraires dans le cadre de la cour impériale. Sur l‟histoire politique et institutionnelle de la bureaucratie Tang, nous sommes forcés de nous référer à des historiens chinois, lesquels ont été beaucoup plus sensibles aux complexes structures d‟État. Voir notamment Dai Xianqun (2001); Luo Yongsheng 羅永生, Sansheng zhi xintan : yi Sui he Tang qianqi menxia sheng zhizhang yu diwei wei zhongxin 三省制新探 : 以隋和唐前期門下省職掌與地位為中心 (Beijing : Zhonghua shuju, 2005). 80 l‟évolution des institutions impériales de leurs origines à la dynastie Tang et décrivent le rôle des diverses institutions et fonctionnaires leur étant rattachés. Cependant, aussi importantes soient-elles, il va de soi que la prudence doit être de rigueur en mettant à contribution ces deux sources. Premièrement, elles nous procurent un point de vue par trop théorique des institutions telles qu‟elles devaient exister sous une forme idéale. Deuxièmement, elles ne peuvent logiquement pas rendre pleinement compte des institutions impériales après la rébellion d‟An Lushan. Néanmoins, c‟est l‟un de nos objectifs que d‟apprendre dans quelle mesure cette structure des Trois départements continuait d‟exister après la dynastie Tang au Royaume de Shu entre 907 et 925. De manière à mieux comprendre l‟organisation de la bureaucratie centrale à Shu, nous nous attarderons principalement aux titres dont étaient porteurs les individus en fonction à la cour. Dans la mesure où il y aura concordance, ceux-ci seront ainsi répartis en trois catégories correspondant aux Trois départements. C‟est-à-dire le Secrétariat impérial (zhongshu sheng 中書省), la Chancellerie impériale (menxia sheng 門下省) et le Département des affaires d‟État (shangshu sheng 尚書省). Toutefois, nous allons simultanément devoir tenir compte d‟autres institutions ayant connu un essor considérable depuis la fin du VIIIe siècle et ayant irrécusablement affecté les Trois départements. Il est ici question du Tribunal des censeurs, du Bureau des affaires militaires et de l‟Académie Hanlin 翰林院. À travers cette analyse, nous souhaiterions donc parvenir à une meilleure compréhension des hiérarchies et du partage des responsabilités à la cour, ce aussi bien du point de vue de l‟intérieur des institutions qu‟entre elles.

a) Les Trois départements Avant d‟en arriver aux considérations d‟ordre pratiques telles que proposées, tâchons d‟abord de définir brièvement les institutions sur lesquelles s‟appui notre reconstitution. Ainsi, débutons par le Secrétariat impérial dont la principale fonction aurait été de renseigner l‟empereur sur les questions d‟actualités tout en formulant les chartes et décrets devant faire office de réponses impériales aux problèmes. En principe, à la tête du Secrétariat se trouvait un président (zhongshu ling 中書令)

81 investi du titre de grand ministre au près de l‟empereur, lequel était assisté de deux vice-présidents (zhongshu shilang 中書侍郎), six secrétaires (zhongshu sheren 中書 舍人) ainsi que plusieurs conseillers, scribes et archivistes231. Étroitement lié au Secrétariat se trouvait la Chancellerie impériale dont le mandat était de débattre et vérifier le bien-fondé légal des actes rédigés par le Secrétariat, suite à quoi il pouvait soit les abroger et les retourner au Secrétariat, soit les promulguer et les acheminer vers le Département des affaires d‟État chargé de faire appliquer les décisions impériales. Comme pour le Secrétariat, à la tête de la Chancellerie se trouvait un président (shizhong 侍中) également investi du statut de grand ministre, lequel était secondé par deux vice-présidents (menxia shilang 門下侍郎), quatre secrétaires (jishizhong 給事中) ainsi que divers conseillers d‟admonestation (jianguan 諫官)232. Le Département des affaires d‟État devait en théorie être la plus vaste et puissante agence bureaucratique de l‟empire. En principe, il devait également avoir à sa tête un président (shangshu ling 尚書令). Toutefois, il était rare sous la dynastie Tang de voir ce titre octroyé, les fonctions associées à ce poste étant d‟ordinaire assumées par les deux vice-présidents (shangshu puye 尚書僕射). Non seulement ce département était-il responsable de l‟application des décisions impériales, mais aussi devait-il se charger de filtrer les informations de l‟extérieur sur la base desquelles le Secrétariat et la Chancellerie devaient fonder leurs jugements. Enfin, cette institution était particulièrement importante en ce sens qu‟elle était à la tête des Six ministères et Vingt-quatre bureaux (liu bu ershisi si 六部二十四司). C‟est-à-dire le Ministère des fonctionnaires (libu 吏部), le Ministère des finances (hubu 戶部), le Ministère des rituels (libu 禮部), le Ministère de la guerre (bingbu 兵部), le Ministère de la justice (xingbu 刑部), le Ministère des travaux (gongbu 工部) et les vingt-quatre bureaux rattachés à ces ministères233. À mains égards, une telle structure étatique semblait fondée sur un judicieux partage des compétences empêchant toute concentration abusive des pouvoirs. D‟autre

231 DTLD 9; TD 21. 560-568; Dai Xianqun (2001 : 29-36). 232 DTLD 8; TD 21. 544-559; Dai Xianqun (2001 : 36-45). 233 DTLD 1-7; TD 22-23; Dai Xianqun (2001 : 45-57). 82 part, elle semblait également impliquer une gouvernance collégiale limitant la capacité de l‟empereur à gouverner de façon autocratique. Dans les faits cependant, le système politique de la dynastie Tang ne fut pas toujours aussi contraignant et il était parfois possible pour l‟empereur de se délier des Trois départements. Il pouvait notamment contourner le Secrétariat et la Chancellerie pour faire rédiger et approuver des décrets en faisant appel aux académiciens de Hanlin et Hongwen 弘文, lesquels étaient des lettrés à la disposition de l‟empereur qui échappaient au contrôle des organes bureaucratiques réguliers234. Il pouvait aussi contourner le Département des affaires d‟État et se tourner vers le Tribunal des censeurs pour superviser les divers ministères, acheminer les informations venant de l‟extérieur ou faire condamner certains fonctionnaires235. Ou encore, l‟empereur pouvait employer les eunuques dominant le Bureau des affaires militaires pour transmettre certains décrets impériaux et contrôler les relations entre la cour et les provinces236. Ainsi, si les Trois départements semblaient relativement fonctionnels durant la première moitié de la dynastie, en retour l‟influence croissante des commissaires aux affaires militaires (shumi shi 樞密 使), des académiciens et des censeurs vint considérablement saper leur autorité après la rébellion d‟An Lushan.

b) Le Secrétariat impérial Cherchons à présent à savoir dans quelle mesure les institutions de la dynastie Tang servirent de précédent dans l‟établissement de la bureaucratie à Shu. Débutons donc notre anatomie des institutions par le Secrétariat, à propos duquel nos sources sont unanimes pour dire que Wang Zongji 王宗佶 (mort en 908) en fut nommé président au moment de la fondation du régime237. En théorie, les responsabilités de

234 Une source incontournable pour l‟étude de l‟Académie Hanlin est le Hanlin zhi 翰林志 rédigé par Li Zhao 李肇 au début du IXe siècle. Sur cette source voir F. A. Bischoff, La forêt des pinceaux. Études sur l’Académie du Han-lin sous la Dynastie des T’ang et traduction du Han lin tche (Paris : Presses Universitaires de France – Institut des Hautes Études Chinoises, 1963). Voir également le chapitre consacré à l‟Académie Hanlin dans l‟ouvrage de Dai Xianqun (2001 : 103-122). 235 Sur le Tribunal des censeurs, voir notamment Eugène Feifel, Po Chü-i as a Censor : His Memorials Presented to Emperor Hsien-tsung during the Years 808-810 (Hague : Mouton, 1961). 236 J. K. Rideout, (1949, 1953); Wang Gungwu (2007); Dai Xianqun (2001 : 123-139). 237 ZZTJ 266. 8685; XWDS 63. 787; STW 45. 21; JGZ 6. 4. Selon sa biographie du Jiuguo zhi, Wang Zongji, dont le nom d‟origine était Gan Yingli 甘穎利, aurait été fait prisonnier par Wang Jian suite à

83 Zongji auraient donc été de prendre connaissance des conjonctures du royaume, de conseiller l‟empereur sur les positions à adopter et de superviser la rédaction des ordonnances238. Ainsi, devant se fonder sur des documents écrits pour se tenir au fait de l‟actualité et diriger la formulation des actes appropriés, lesquels devaient être conformes à certains préceptes pour être approuvés par la Chancellerie, celui-ci devait en principe être versé en lettres et maîtriser la tradition. Or, selon nos sources, Zongji était un militaire qui n‟aurait jamais pu espérer une telle assignation au temps de la dynastie Tang. D‟autre part, devant demeurer à la disposition de l‟empereur, sa fonction de président du Secrétariat impérial aurait normalement dû faire en sorte qu‟il fut en poste à la cour sur une base permanente. Ce qui, à l‟heure actuelle, peut être ni attesté ni infirmé, bien que nous ne connaissions aucune commanderie dont il aurait été le gouverneur au même moment239. Nous ne saurions dire quelles étaient au juste les limites du mandat de Zongji à titre de président du Secrétariat, toutefois le pouvoir dont il fut investi semble avoir été dangereusement considérable. Ainsi, de connivence avec un vice-président du Tribunal des censeurs (yushi zhongcheng 御史中丞) du nom de Zheng Qian 鄭騫 (mort en 908)240, il serait parvenu à obtenir le titre de grand généralissime (da sima 大司馬) lui conférant le contrôle des armées palatines et des greniers impériaux241. Redoutant un coup d‟État, le Bureau des affaires militaires, alors sous l‟autorité de Tang Xi 唐襲, condamna véhément une telle concentration de pouvoir, ce qui valut

l‟offensive au Jiangxi contre Xu Tangju en 878. Ainsi, il s‟agirait d‟un ex-rebelle et nous aimerions savoir pourquoi. Était-il un jeune lettré frustré comme tant d‟autres? Jusqu‟à la fondation du royaume, nous dit le même texte, il aurait notamment été préfet de Jiazhou 嘉州, député d‟armée (bingma liuhou 兵馬留後) et superviseur des affaires de commanderie (zhi jiedu shi 知節度事) à Mianzhou. Quant à Sima Guang (ZZTJ 266. 8685), il nous dit qu‟avant d‟être affecté au Secrétariat, Zongji était gouverneur du Dongchuan 東川 et président de la Chancellerie. 238 DTLD 9. 7; TD 21. 562. 239 Comme nous l‟avons dit à la note # 232, selon Sima Guang, Zongji aurait jusqu‟alors été gouverneur du Dongchuan. Toutefois, selon le Jiuguo zhi, au moment de la proclamation du royaume, ce n‟était pas Zongji qui occupait ce poste, mais bien Wang Zongyu 王宗裕 (JGZ 6. 1). 240 À l‟exception de la biographie de Wang Zongji dans le Jiuguo zhi, la seule autre source à mentionner Zheng Qian est La nouvelle histoire des Cinq dynasties, laquelle nous dit seulement qu‟il fut nommé vice-président du Tribunal des censeurs lors de la fondation du régime (XWDS 63. 787). 241 JGZ 6. 4-5; XWDS 63. 787. Voir également le Quan Tang wen qui prétend rapporter intégralement la pétition de Wang Zongji par laquelle il se vit confier une telle concentration de pouvoir (QTW 889. 1). Néanmoins, nous avons des raisons de suspecter que ladite pétition est une contrefaçon. 84 l‟exécution des deux complices242. Néanmoins, nous devons éviter de fonder des conclusions hâtives sur cette anecdote sans d‟abord nous demander si Tang Xi n‟avait pas un motif l‟ayant incité à forger une accusation contre Zheng Qian et Wang Zongji. Selon l‟épitaphe de Wang Zongkan que nous avons eu l‟occasion de mentionner plus tôt, ce dernier aurait été désigné comme président du Secrétariat suivant la mort de Wang Zongji243. Cependant, bien que possiblement instruit, rien ne laisse à penser qu‟il avait les connaissances et l‟expérience requises pour assumer les fonctions liées à un tel titre. En fait, le long narratif de son épitaphe met une emphase presqu‟exclusive sur ses faits d‟armes et son héroïsme, laissant ainsi sous-entendre qu‟il était un authentique soldat professionnel. Certes, tandis que Wang Zongji portait le titre de président du Secrétariat, Zongkan aurait été président de la Chancellerie244. Toutefois, les responsabilités auxquelles il était alors affecté ne semblait pas d‟ordre bureaucratique, lui qui était surtout affecté au commandement des troupes de la capitale (jun cheng nei-wai du shihui shi 軍城内外都指揮使). D‟autant plus que, peu de temps après, probablement suite à la prétendue usurpation de Zongji, il aurait été transféré à la tête de la commanderie Tianzhen 天貞245. Ainsi, lorsqu‟il fut nommé président du Secrétariat, il fallut l‟appelé pour qu‟il « abandonne sa garnison et rentre à la cour » 罷鎮歸朝246. Mais encore là, son retour à la cour ne fut que de courte durée, puisqu‟il fut rapidement transféré aux commandes des armées de campagne de

242 L‟événement est notamment relaté dans SGCQ 46. 1-2; ZZTJ 266. 8689; XWDS 63. 787-788. Toutefois, le Shiguo chunqiu comme le Zizhi tongjian semblent faire erreur en désignant le responsable du Bureau des affaires militaires par le nom de Tang Daoxi 唐道襲. En fait, selon le Beimeng suoyan 北夢瑣言 rédigé par Sun Guangxian 孫光憲 (mort en 968), Dao 道 et Xi 襲 étaient deux frères ayant pour père Tang Feng 唐峯, lequel était originaire de Langzhou 閬州 au Sichuan (BMSY 12. 9-10). Compte tenu de cette évidence textuelle antérieure à Wu Renchen et Sima Guang, nous sommes forcés de donner crédit à Ouyang Xiu, lequel nous dit que celui qui dominait le Bureau des affaires militaires se nommait Tang Xi (XWDS 63. 787). 243 En nous apprenant que Zongkan fut nommé président du Secrétariat en 908 (Xue Deng, 2000 : 12), l‟épitaphe vient confirmer les dires du Jiuguo zhi qui divulgue également ce renseignement, sans toutefois donner de date (JGZ 6. 7). 244 Xue Deng (2000 : 12). 245 Xue Deng (2000 : 12). Le chef-lieu de la commanderie Tianzhen était Zizhou 梓州, l‟ancienne capitale provinciale du Dongchuan. Toutefois, l‟auteur de l‟épitaphe semble commettre une légère erreur en indiquant que Zongkan fut nommé gouverneur de la commanderie Wude 武德. Le fait étant que la commanderie dominée par Zizhou fut baptisée Tianzhen en 907. Ce ne fut qu‟en 912 qu‟elle fut rebaptisée Wude. Voir Zhu Yulong 朱玉龍, Wudai shiguo fangzhen nianbiao 五代十國方鎮年表 (Beijing : Zhonghua shuju, 1997), p. 548; ZZTJ 268. 8763. 246 Xue Deng (2000 : 12). 85 la route du Nord (beilu xingying dutong 北路行營都統)247. Ayant été absent de la cour jusqu‟au moment de sa retraite vers 920, Zongkan ne remplit apparemment jamais les fonctions traditionnellement associées au titre de président du Secrétariat. Le fait étant qu‟il était en poste dans la périphérie nord-est du royaume. D‟abord en tant que général de troupes combattant les armées de Li Maozhen, ensuite en tant que gouverneur de la commanderie Xingyuan 興元軍248. D‟ailleurs, il est d‟autant plus anormal que plusieurs individus portaient au même moment le titre de président du Secrétariat, lesquels étaient tous des militaires assignés à des postes de gouverneur de commanderie. Nous pouvons notamment penser à Jin Hui, lequel fut nommé président du Secrétariat tout en occupant le poste de gouverneur de la commanderie Wutai 武泰 (907-911)249. Ce fut également le cas de Wang Zonghui 王宗鐬 (mort en 923) alors qu‟il était gouverneur du Shannan occidental (913-916)250, ainsi que de Wang Zongbo 王宗播 (854-922) lorsqu‟il était gouverneur de la commanderie Wuxin 武信 (912-916)251. De ce scénario, nous sommes donc portés à conclure que le titre de président du Secrétariat n‟était devenu qu‟un titre honorifique octroyé à une élite militaire en vertu de son rôle dans la préservation de l‟État. Par exemple, on octroya ce titre à Wang Zongshou 王宗壽 (?-?) pour être parvenu à repousser la marine de guerre de Gao Jichang 高季昌 (858-928), le souverain de l‟État de Jingnan 荊南 (Hubei), lorsque celui-ci tenta d‟envahir Shu en passant par les Trois gorges en 913252. Néanmoins, que des militaires furent investis du titre de président du Secrétariat ne doit pas nous amener à croire que la bureaucratie centrale était alors sous autorité martiale et que les

247 Xue Deng (2000 : 12); JGZ 6. 7. 248 Xue Deng (2000 : 12); JGZ 6. 7. 249 Le chef-lieu de la commanderie Wutai était Qianzhou 黔州, non loin de l‟actuel Chongqing. Nous savons qu‟il reçut le titre de président du Secrétariat peu après la fondation du régime grâce à son épitaphe, ce qui n‟est pas confirmé par sa biographie du Jiuguo zhi. Voir Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 918, ligne # 24). 250 JGZ 6. 4; Zhu Yulong (1997 : 599). 251 JGZ 6. 9; Zhu Yulong (1997 : 557); ZZTJ 269. 8785. La commanderie Wuxin était la plus importante en superficie du royaume, elle s‟étendait de Suizhou 遂州 à l‟actuel Chongqing qui à l‟époque se nommait Yuzhou 渝州. Wang Zongkan aurait été gouverneur de cette commanderie avant la fondation du royaume. Voir Xue Deng (2000 : 12); JGZ 6. 7. 252 JGZ 6. 3. Gao Jichang, également connu sous le nom de Gao Jixing 高季興 était un vieil allié de Zhu Wen. Voir ses biographies dans JWDS 123. 1751-1752; XWDS 69. 855-858. Selon Sima Guang, l‟attaque de Jichang en question eut lieu en 913, voir ZZTJ 268. 8776-8777; 269. 8782-8783. 86 lettrés de la cour étaient maintenus en dépendance à l‟égard des généraux du royaume. En fait, nous croyons plutôt que la direction du Secrétariat impérial n‟était non plus assumée par un « président », mais bien par les vice-présidents en permanence à la cour de Chengdu. Nous pouvons notamment en nommer quatre, soit Zhou Xiang253, Zhang Ge254, Wang Kai 王鍇255 et Yu Chuansu 庾傳素256. D‟abord, notons que les quatre vice-présidents mentionnés ci-dessus étaient également investis du titre de chargé d‟examiner et régler les affaires avec le Secrétariat et la Chancellerie impériale. Insistons sur le fait que ce dernier titre était à l‟époque synonyme de grand ministre et que c‟était entre les individus portant ce titre que les grandes questions étaient débattues à la cour257. Deuxièmement, deux d‟entre eux (Wang Kai et Zhang Ge) auraient au même moment été académicien de Hanlin, ce qui pourrait indiquer qu‟une seule et même agence était chargée de la rédaction des actes impériaux, rompant ainsi avec le dualisme opposant jadis les deux institutions.

253 Le Jiuguo zhi écrit évasivement que Zhou Xiang fut nommé administrateur en chef de Chengdu (Chengdu yin 成都尹) en 908, suite à quoi il fut nommé vice-président du Tribunal des censeurs, vice-président du Secrétariat impérial et chargé d‟examiner et régler les affaires (pingzhang shi 平章事) (JGZ 6. 13). Il est à noter que Lu Zhen ne date pas les dernières affectations de Zhou Xiang. En revanche, le Shiguo chunqiu donne la date de 910 (SGCQ 40. 5). 254 Selon Ouyang Xiu, Zhang Ge fut nommé académicien de Hanlin au moment de la proclamation du Royaume (XWDS 63. 787). Cependant, le Shiguo chunqiu nous dit qu‟il fut académicien dès son arrivée à Shu en 904, tandis qu‟au moment de l‟investiture de Wang Jian il fut nommé vice-président du Secrétariat impérial, vice-président du Département des affaires d‟État (puye 僕射) et chargé d‟examiner et régler les affaires avec le Secrétariat et la Chancellerie impériale (tong [zhongshu menxia] pingzhang shi 同[中書門下]平章事) (SGCQ 41. 4). Quant à Sima Guang, qui organisa son ouvrage de manière chronologique, il semble indiquer que Zhang Ge obtint le titre de vice-président du Secrétariat quelques mois après la fondation du régime, soit après la destitution de Wang Zongji. Toutefois, Sima Guang ne dit pas que Zhang Ge fut simultanément vice-président du Département des affaires d‟État, mais bien vice-président du Ministère des finances (hubu shilang 戶部侍郎) (ZZTJ 266. 8689). 255 Le Shiguo chunqiu soutient que Wang Kai, un académicien de Hanlin sous la dynastie Tang, fut affecté aux fonctions de vice-président du Secrétariat impérial et chargé d‟examiner et régler les affaires avec le Secrétariat et la Chancellerie impériale en 909. Selon cette même source, comme Zheng Qian et Zhou Xiang, il aurait également été affecté au poste de vice-président du Tribunal des censeurs peu après la fondation du Royaume (SGCQ 41. 6). Contrairement à Wu Renchen cependant, Sima Guang écrit qu‟il fut nommé vice-président du Secrétariat en 913, avant quoi il aurait été président du Ministère de la guerre (bingbu shangshu 兵部尚書) et vice-président de la Chancellerie (ZZTJ 268. 8758, 8772). Enfin, Ouyang Xiu nous dit qu‟il fut, comme Zhang Ge, nommé académicien de Hanlin au tout début des Shu antérieurs (XWDS 63. 787). 256 La seule source par laquelle nous connaissons Yu Chuansu est le Shiguo chunqiu. Selon cette source, il aurait débuté au service de Wang Jian alors qu‟il était préfet de Shuzhou 蜀州, suite à quoi il aurait été promu aux postes de vice-président du Département des affaires d‟État, vice-président du Secrétariat impérial et chargé d‟examiner et régler les affaires avec le Secrétariat et la Chancellerie impériale (SGCQ 41. 10). 257 Dai Xianqun (2001 : 58-80, 153-177); Wen Yunjuan 溫運娟, « Shiguo zaixiang zhidu kao » 十國 宰相制度考, dans Ren Shuang 任爽, éd., Shiguo dianzhi kao 十國典制考 (Beijing : Zhonghua shuju, 2004), pp. 209-211. 87 Enfin, soulignons que deux des vice-présidents que nous connaissons (Wang Kai et Zhou Xiang) auraient également été vice-président du Tribunal des censeurs, tandis que deux autres (Zhang Ge et Yu Chuansu) auraient été vice-président du Département des affaires d‟État. Quels liens existaient donc entre le Secrétariat, le Département des affaires d‟État et le Tribunal des censeurs sous les Shu antérieurs? Rappelons que sous les Tang, le Département des affaires d‟État et le Tribunal des censeurs étaient les deux grandes agences impériales de surveillance de la conduite des affaires de l‟empire. À la différence que la première relevait de la bureaucratie régulière, tandis que la seconde opérait directement pour le compte de l‟empereur. En principe, les pouvoirs des censeurs étaient donc relativement élargis, eux qui avaient entre autres la responsabilité de s‟enquérir des agissements des Six ministères relevant de l‟autorité du Département des affaires d‟État258. Ce qui devait forcément les mettre en étroite collaboration avec le Secrétariat et la Chancellerie, sans doute intéressés à vérifier la véracité des informations reçues de la part du Département des affaires d‟État et à s‟assurer que celui-ci transmette de manière appropriée les décrets impériaux. Or, au Royaume de Shu, se pourrait-il que le Tribunal des censeurs et le Département des affaires d‟État furent intégrés au Secrétariat afin de lui permettre d‟avoir directement prise sur la circulation des informations entre la cour et les commanderies? Bien que tentante, cette dernière hypothèse repose sur des bases fragiles. D‟une part, une telle fusion aurait du faire du Secrétariat la plus puissante agence du royaume en lui permettant d‟investiguer de son propre chef dans les commanderies. Or, si le Secrétariat impérial était dominé par les vice-présidents, ceux-ci ne devaient pas avoir la force de s‟imposer sur les commanderies dont les gouverneurs étaient investis du titre de président, donc en théorie jouissant d‟un statut hiérarchique supérieur. De plus, rien ne laisse supposer que le Tribunal des censeurs et le Département des affaires d‟État aient eu préséance sur le Bureau des affaires militaires, sans doute la principale institution de la cour habilitée à intervenir dans les affaires des

258 Eugène Feifel (1961); Du Wenyu (2006 : 149-166). 88 commanderies et à transmettre les directives de la cour aux gouverneurs259. Cependant, les commissaires du Bureau des affaires militaires ne devaient pas agir en toute immunité. Il est ainsi possible que le Tribunal des censeurs fut à la disposition des gouverneurs en cas de litige avec le Bureau des affaires militaires. De cet angle, le Tribunal des censeurs et le Bureau des affaires militaires auraient été deux institutions rivales, ce qui pourrait en partie expliquer les accusations que Tang Xi porta contre Zheng Qian et Wang Zongji. C‟est également ce qui pourrait expliquer les relations qui unissaient Jin Hui à Yan Juzhen, le vice-président du Tribunal des censeurs qui rédigea son épitaphe. En revanche, pour ce qui est du Département des affaires d‟État, la situation semble un peu plus confuse, de telle sorte que nous devrons procéder à une analyse du personnel des Six ministères avant de pouvoir nous prononcer. Ce qui sera fait un peu plus loin dans notre exposé. À mains égards, les vice-présidents du Tribunal des censeurs semblaient donc liés au Secrétariat impérial ainsi qu‟aux intérêts de certains gouverneurs de commanderie. Mais qu‟en était-il du président du Tribunal des censeurs (yushi daifu 御史大夫)? Le principal individu que nous connaissons pour avoir reçu un tel titre est Feng Juan, lequel aurait été investi de cette fonction après son soi-disant retour à la cour en 911260. Or, autant que nous puissions le savoir, Feng Juan ne semble avoir été employé à aucun autre département simultanément. Il pourrait donc avoir été un censeur du style de ceux de la dynastie Tang, c‟est-à-dire opérant dans le secret pour le seul compte de l‟empereur. Ce qui tendrait à infirmer l‟hypothèse voulant que le Tribunal des censeurs fut intégré au Secrétariat impérial. Du moins d‟un point de vue technique. Par contre, d‟une perspective disons structurelle, le président du Tribunal des censeurs ne semblait pas moins lié au Secrétariat, surtout aux gouverneurs portant le titre de président du Secrétariat. Prenons par exemple le cas de Li Jichong, lequel devint gouverneur de la commanderie Wutai et président du Secrétariat en 916261.

259 Du Wenyu (2006 : 132-134); Dai Xianqun (2001 : 178-192); Jia Daquan 賈大泉, Zhou Yuansun 周原孫, « Qian-Hou Shu de shumi shi » 前後蜀的樞密使, dans Chengdu Wang Jian mu bowuguan 成 都王建墓博物館, éd., Qian-Hou Shu de lishi yu wenhua 前後蜀的歷史與文化 (Chengdu : Ba-Shu shushe, 1993), pp. 33-39. 260 SGCQ 40. 3. 261 ZZTJ 269. 8800. 89 Rappelons que ce dernier était le fils adoptif de Li Maozhen qui reçut la main de la princesse Puci en 904 grâce à l‟intercession de Feng Juan auprès de Wang Jian. Si nous nous référons à Du Guangting, il se pourrait également que Feng Juan rédigea la pétition rituelle des funérailles de la princesse Li en 917, laquelle était certes la fille biologique de Li Jichong, mais seulement la fille adoptive de la princesse Puci262. De toute évidence, Feng Juan et Li Jichong n‟étaient donc pas l‟un et l‟autre étrangers. Par conséquent, nous ne devons exclure la possibilité que ce fut encore une fois grâce au concours de Feng Juan que Li Jichong reçut ses titres et fonctions en 916. Néanmoins, se pourrait-il que Wu Renchen nous induise en erreur en affirmant que Feng Juan était président du Tribunal des censeurs? Est-il possible que, comme dans le cas du Secrétariat, les fonctions de président furent désormais remplies par les vice-présidents, tandis que le titre de président du Tribunal des censeurs devint un titre honorifique octroyé à des généraux prometteurs? Ainsi, Feng Juan pourrait comme ses confrères avoir été vice-président du Tribunal des censeurs remplissant les fonctions liées à la présidence. Ce qui nous autorise à penser ainsi est la mention dans l‟épitaphe de Jin Hui de deux autres individus portant le titre de président du Tribunal des censeurs, lesquels furent des militaires mariés à deux des quatorze filles de Jin Hui. D‟une part, nous trouvons un dénommé Jie Yanming 解延明, lequel aurait été commandant de la quatrième division de l‟armée Xiongsheng (Xiongsheng di si jun shi 雄勝第四軍使)263. D‟autre part, nous trouvons le fils d‟un des fils adoptifs de Wang Jian dont le nom était Wang Chengyin 王承胤, lequel aurait été commandant de la troisième division de l‟armée Shenwu (Shenwu di san jun shi 神武第三軍使)264. Si nous accordons foi à ces deux exemples, l‟octroi du titre de président du Tribunal des censeurs n‟aurait pas signifié la délégation d‟un pouvoir considérable. Du moins, il est évident que le statut hiérarchique de ces deux gendres de Jin Hui était largement inférieur à celui d‟un gouverneur et président du Secrétariat, ou d‟un vice-président du Secrétariat et du Tribunal des censeurs en poste à la cour. Pour revenir au Secrétariat impérial siégeant à la capitale, en plus des

262 Voir note # 118. 263 Sichuan wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 917, ligne # 8). 264 Sichuan wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 917, ligne # 11). 90 vice-présidents nous devrions également retrouver les secrétaires qui, tout en prenant part aux débats à la cour, étaient délégués à la rédaction proprement dite des documents et à la supervision du personnel de soutient265. Bien qu‟ils fussent sans doute plus nombreux que les vice-présidents, probablement en raison de leur statut hiérarchique moins élevé, nous ne pouvons en nommer que quelques-uns qui nous sont connus pour des raisons spécifiques. Notamment, nous trouvons Duan Rong, le compositeur de l‟épitaphe dédiée à Wang Zongkan266. Vient ensuite le nom de Wang Renyu 王仁裕 (880-956), un ancien protégé de Li Jichong du temps où ce dernier était à la solde de Li Maozhen267. Nous trouvons également Yu Chuanchang 庾傳昌 (mort en 916), lequel était apparemment le frère du vice-président du Secrétariat Yu Chuansu268. Finalement, pour la simple raison qu‟ils entamèrent leur carrière à ce poste avant de devenir deux grandes personnalités sous les Shu postérieurs, nous trouvons Li Hao 李昊 (891-965)269 et Ouyang Jiong 歐陽迥 (896-971)270. Avant de poursuivre avec la Chancellerie, quelques remarques s‟imposent à

265 DTLD 9. 15-16; TD 21. 564; Dai Xianqun (2001 : 33-35). 266 Xue Deng (2000 : 11). Cette information ne tient cependant qu‟à ce que nous dit l‟épitaphe, donc l‟auteur lui-même, ce qui n‟est pas corroboré par sa courte notice biographique du Shiguo chunqiu. En fait, selon celle-ci (SGCQ 43. 5), Duan Rong n‟aurait jamais été en fonction à la cour, il aurait plutôt été un magistrat de comté (xianling 縣令) en poste dans la préfecture de Hanzhou 漢州 après la mort de Wang Jian. Est-il possible qu‟en réalité Duan Rong fit partie du staff de commanderie de Wang Zongkan, lequel, en vertu de son statut de président, lui conféra le titre de secrétaire du Secrétariat? Hélas, même si tel fut le cas, il est impossible de se concilier aux propos de Wu Renchen, lequel est d‟une manière ou d‟une autre dans l‟erreur. D‟abord, si Wang Zongkan se lia à Duan Rong alors que ce dernier était à Hanzhou, cela ne peut avoir eu lieu qu‟en 907-908 alors que Zongkan était gouverneur de la commanderie Tianzhen, à laquelle appartenait Hanzhou. Ensuite, si Duan Rong suivit Zongkan au fil des années, après la mort de Wang Jian il n‟aurait pas été en poste à Hanzhou, mais bien quelque part aux environs de Xingyuan. Enfin, il est tout à fait possible que Duan Rong fut tout simplement en poste à la cour, où il fit la connaissance de Zongkan après 919, lorsque ce dernier se retira à la capitale. 267 SGCQ 44. 4; Glen Dudbridge, « The Rhetoric of Loyalty and Disloyalty in Five Dynasties China », dans Institute of Chinese Studies : Visiting Professor Lecture Series (II) (Hong Kong : The Chinese University of Hong Kong, 2009), p. 161. Grâce à ses qualités littéraires, Renyu aurait joint la cour de Wang Yan en occupant simultanément les postes de secrétaire du Secrétariat impérial et d‟académicien de Hanlin. 268 Selon SGCQ 44. 3, Yu Chuanchang, qui aurait été fort doué pour les compositions littéraires, fut secrétaire du Secrétariat impérial et académicien de Hanlin. Voir également STW 45. 25. 269 Selon SGCQ 52. 4, Li Hao naquit d‟une famille de bureaucrates de Chang‟an. Vers la fin des Tang, son père (Li Gao 李羔) se réfugia à Fengtian 奉天, à l‟Ouest de Chang‟an. Quelques années après que sa famille fut décimée, Li Hao devint un protégé de Liu Zhijun 劉知俊 (mort en 917), un général qui servit successivement sous les bannières de Zhu Wen et Li Maozhen avant de faire défection dans le camp de Wang Jian, lequel le nomma gouverneur de la commanderie Wuxin (JWDS 13. 178-180; XWDS 44. 479-480). Li Hao serait demeuré au service de Liu Zhijun jusqu‟en 917, après quoi il fut nommé secrétaire au Secrétariat impérial et académicien de Hanlin. 270 Selon SGCQ 52. 14, d‟une part Ouyang Jiong serait originaire de Chengdu, d‟autre part il serait le fils d‟un magistrat de comté établit à Tongquan 通泉 dans la même région. Sa biographie nous dit laconiquement qu‟il débuta au service de Wang Yan qui le nomma secrétaire au Secrétariat impérial. 91 propos des secrétaires du Secrétariat impérial. D‟abord, trois des cinq secrétaires que nous connaissons, soit Wang Renyu, Yu Chuanchang et Li Hao, étaient également académicien de Hanlin. Ce qui tendrait à confirmer une hypothèse émise plus tôt, à savoir que l‟Académie Hanlin était intégrée au Secrétariat. Ensuite, Ouyang Jiong et Li Hao étaient alors plutôt jeunes. Ainsi pouvons-nous en déduire que ce poste pouvait être accessible à de jeunes recrues venant y acquérir leur expérience sous la supervision de fonctionnaires séniors. Toutefois, il semblerait que ce poste n‟était pas pour autant une porte d‟entrée accessible à tous les jeunes gens éduqués. Du moins, ne trouvant pas de référence explicite à la tenue d‟examens de recrutement sous les Shu antérieurs271, sommes-nous en droit de croire que les relations politiques, voire le statut des ancêtres, demeuraient le pré requis d‟adhésion à la bureaucratie, laquelle recruterait ses membres au moyen d‟un système de recommandation? Après tout, Yu Chuanchang était le frère d‟un des vice-présidents du Secrétariat, Ouyang Jiong était le fils d‟un magistrat de la région de Chengdu, Li Hao était le descendant d‟un grand clan de Chang‟an protégé par un puissant gouverneur272 tandis que Duan Rong et Wang Zongyu étaient probablement des dépendants de gouverneurs investis du titre de président du Secrétariat. Cependant, si le clientélisme demeurait la norme, les aptitudes littéraires n‟en étaient pas moins importantes. En rédigeant l‟épitaphe de son présumé patron, Duan Rong fit amplement la preuve qu‟il était un bon écrivain. Yu Chuanchang est également vanté comme tel par Wu Renchen, tandis qu‟Ouyang Jiong, Li Hao et Wang Renyu étaient de fins poètes prisés par les souverains273.

c) La Chancellerie impériale En théorie, à côté du Secrétariat impérial investi des pouvoirs législatifs, la Chancellerie était cet autre département sur lequel devaient reposer les pouvoirs exécutifs. Ainsi, rappelons que sous la dynastie Tang elle avait le devoir d‟examiner les documents et décrets émanant du Secrétariat en vue de statuer sur leur applicabilité.

271 Chen Xiuhong 陳秀宏, « Shiguo keju zhidu kao » 十國科舉制度考, dans Ren Shuang 任爽, éd., Shiguo dianzhi kao 十國典制考 (Beijing : Zhonghua shuju, 2004), pp. 182-185. 272 Sur les origines aristocratiques de Li Hao, voir notamment David G. Johnson (1977 b : 72). 273 Sur l‟importance de la création littéraire dans le contexte de la vie de cour à Chengdu, voir Anna M. Shields (2006 : 66-118). 92 Il s‟agissait donc d‟une institution essentielle assurant un contrepoids au Secrétariat, dont la cour devait se prémunir des abus que pouvait permettre le fait de rédiger les lois. Pour cette raison, il aurait été fort déraisonnable de permettre à un individu de cumuler simultanément les fonctions de président du Secrétariat et de la Chancellerie. Le fait étant que, dans l‟éventualité où se serait le cas, le Secrétariat ne connaitrait plus aucun frein et toute la raison d‟être de la Chancellerie s‟évanouirait. Ainsi, si Wang Zongji, Wang Zongkan et Jin Hui furent tous porteurs du titre de président de la Chancellerie avant de recevoir celui de président du Secrétariat274, en acceptant ce dernier titre ils furent certainement contraints de renoncer à leur titre précédent. Néanmoins, au risque de nous contredire, nous devons admettre que nous ne sommes pas tout à fait certains de la pertinence de cette dernière observation, puisque nous ne pouvons prendre pour acquis que ces derniers remplirent réellement les fonctions de président de la Chancellerie, bien qu‟investis du titre. Prenons par exemple le cas de Jin Hui, lequel était déjà gouverneur de la commanderie Wutai au moment de recevoir ce titre en 907. Or, si moins d‟un an plus tard Jin Hui reçut le titre de président du Secrétariat, en revanche ses responsabilités ne semblent avoir subi aucune modification puisqu‟il continua d‟occuper le poste de gouverneur de la commanderie Wutai. Quant à Wang Zongkan, nous avons déjà dit qu‟au moment où il fut président de la Chancellerie au tout début du régime, celui-ci n‟était pas affecté à des responsabilités bureaucratiques, mais bien militaires. Selon son épitaphe, en 920 il aurait de nouveau reçu ce titre, ainsi que ceux de préposé à l‟entretien du temple impérial (xiufeng taimiao shi 修奉太廟使), d‟académicien de l‟Académie Hongwen et de superviseur de la Commission des finances (pan duzhi 判度支)275. Toutefois, il semblait ici s‟agir de sinécures octroyées à Zongkan qui se retira à la capitale après de longues années en fonction au niveau des commanderies. Outre ceux que nous venons de mentionner, en nous appuyant sur Sima Guang, nous pouvons également référer à un certain Pan Kang 潘炕, un commissaire du Bureau des affaires militaires qui, quelques temps après le départ de Jin Hui en 911,

274 ZZTJ 266. 8685; Xue Deng (2000 : 12); Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 918, lignes # 23-24). 275 Xue Deng (2000 : 12). 93 aurait été affecté à la direction de la commanderie Wutai tout en étant nommé président de la Chancellerie276. Après avoir postulé plutôt que le Tribunal des censeurs, associé au Secrétariat impérial, se livrait à une lutte d‟influence avec le Bureau des affaires militaires, il devient particulièrement significatif de constater qu‟au même moment, le frère de Pan Kang, Pan Qiao 潘峭, était lui aussi commissaire au Bureau des affaires militaires277. Par ailleurs, il n‟est pas vain d‟insister sur le fait qu‟environ deux ans plus tard, en 913, Pan Kang aurait à nouveau été nommé commissaire du Bureau des affaires militaires278, tandis qu‟en 914 Pan Qiao aurait à son tour été nommé gouverneur de la commanderie Wutai avec possiblement le titre de président de la Chancellerie279. Pourrions-nous envisager le fait que les gouverneurs portent tantôt le titre de président de la Chancellerie, tantôt celui de président du Secrétariat, n‟impliquerait pas de différence au niveau du statut ou des responsabilités, la dissociation marquant simplement l‟allégeance à un parti plutôt qu‟à un autre? Ce qui ne voudrais bien sûr pas dire que les allégeances étaient inamovibles ou que les oppositions entre le Secrétariat et la Chancellerie se traduisaient forcément par de l‟aversion personnelle. Peut-être serait-il plus juste de penser à des réseaux de patronage et d‟influence qu‟à des ligues de factions? Ainsi, que Jin Hui fut officiellement rattaché au Secrétariat à titre de président ne l‟aurait pas empêché de contracter un mariage pour un de ses fils, Jin Kuangyu 晉匡遇, avec la fille d‟un certain Chen Ning 陳凝, anciennement président de la Chancellerie à Qiannan 黔南280. Si nous nous référons au Jiuguo zhi, Qiannan ne ferait en l‟occurrence pas

276 ZZTJ 268. 8750, 8773; SGCQ 41. 12. Sima Guang semble sans équivoque lorsqu‟il affirme que Pan Kang prit la place de Jin Hui. Mais, malheureusement, l‟épitaphe de Jin Hui n‟est pas explicite sur la date à laquelle ce dernier quitta la commanderie Wutai. Tout ce qui nous est révélé est qu‟en 911 Jin Hui fut inféodé prince de la commanderie Hongnong 弘農郡王. Voir Sichuan wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 918, ligne # 23). Comme l‟épitaphe ne fait référence à aucune autre activité officielle de la part de Jin Hui après cette date, nous croyons possible qu‟il se retira de la vie politique à la capitale. Toutefois, basé sur le silence de l‟épitaphe, nous ne pouvons qu‟en formuler une hypothèse qui, au stade actuel, ne peut avoir valeur de conclusion. 277 ZZTJ 268. 8750; SGCQ 41. 13. 278 ZZTJ 268. 8773. 279 ZZTJ 269. 8784. Certes, nous ne pouvons pas être certains que Pan Qiao hérita simultanément du titre de président de la Chancellerie. Toutefois, à cette occasion, il aurait reçu le titre de grand ministre (tong ping zhangshi), ce qui normalement implique qu‟il porte un titre adjoint de président ou vice-président d‟un des trois départements. 280 Sichuan wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 917, ligne # 4); JGZ 6. 13-14. 94 référence à la commanderie Wutai comme c‟est souvent le cas281. Il s‟agirait plutôt d‟une portion du territoire faisant géographiquement partie de cette commanderie, mais dont le contrôle échappait à l‟autorité de Jin Hui. Ainsi aurait-elle été dominée par Chen Ning, un secrétaire-auxiliaire du Bureau de contrôle judiciaire (bibu yuanwailang 比部員外郎) en poste dans une préfecture contigüe à la commanderie Wutai du nom de Fuzhou 涪州, lequel refusait de se soumettre à Jin Hui282. Une explication des origines du litige entre les deux individus pourrait être une tentative de la Chancellerie et du Bureau des affaires militaires pour contrer l‟influence du Secrétariat et du Tribunal des censeurs sur les affaires de la commanderie en investissant Chen Ning d‟un statut hiérarchique égal à celui de Jin Hui. Mais encore, ce n‟était pas une fatalité que ce type de conflit institutionnel doive se solder par des purges, la négociation devant davantage servir les intérêts de tous que l‟agressivité. Ainsi les familles Chen et Jin auraient négocié une alliance maritale. En tentant d‟illustrer les aléas de la vie politique dans les commanderies, deux hypothèses se sont imposées. D‟une part, les présidents de la Chancellerie étaient liés au Bureau des affaires militaires, d‟autre part, ils étaient des agents impériaux opérant hors de la capitale. Toutefois, contrairement aux présidents du Secrétariat, le titre de président de la Chancellerie n‟était sans doute pas octroyé uniquement à des militaires ou des gouverneurs de commanderie. Bien que le seul fait qu‟un gouverneur ait porté le titre de président de la Chancellerie plutôt que celui de président du Secrétariat n‟ait pas comporté de différences majeures au niveau des responsabilités. Néanmoins, faisant abstraction de ces quelques questions, le fait que nous préférons pour l‟instant mettre en exergue est que les individus investis du titre de président de la Chancellerie ne remplissaient plus les fonctions de cour traditionnellement associées à ce titre. Ainsi pouvons-nous référer à un autre exemple, celui de Wang Zongyou 王宗祐, lequel, en qualité de président de la Chancellerie, aurait partagé en 911 le commandement d‟une armée avec Tang Xi, alors conjointement commissaire du

281 La commanderie Wutai est parfois nommée commanderie Qiannan. Voir par exemple JWDS 90. 1188. 282 JGZ 6. 13-14. 95 Bureau des affaires militaires et gouverneur du Shannan283. Dans les faits, à l‟instar du Secrétariat, nous croyons donc que la direction de la Chancellerie à la cour était désormais assumée par les vice-présidents. Malheureusement, nos sources renvoient rarement aux vice-présidents de la Chancellerie à Shu. D‟une part, selon le Zizhi tongjian, Wang Kai aurait occupé ce poste en 911284. Toutefois, il est impossible de confirmer les dires de Sima Guang à propos de Wang Kai, lequel est d‟ordinaire identifié comme un académicien de Hanlin, un vice-président du Secrétariat et un vice-président du Tribunal des censeurs285. D‟autre part, nous trouverions Wei Zhuang sur lequel toutes nos sources s‟accordent, toutefois nous ne saurions dire s‟il y fut affecté immédiatement après la fondation du royaume. Le fait étant qu‟il fut d‟abord nommé cavalier de gauche à la disposition de l‟empereur et superviseur des affaires du Secrétariat et de la Chancellerie (zuo sanji changshi pan zhongshu menxia shi 左散騎常侍判中書門下事)286. Si nous nous en tenons à cette dernière formulation telle qu‟elle apparait dans les textes, au départ Wei Zhuang ne semblait pas affecté à un département particulier. Il aurait plutôt été un conseiller relevant directement de l‟empereur pour lequel il aurait supervisé lesdits départements. Toutefois, selon la tradition, la bureaucratie centrale comptait deux cavaliers à la disposition de l‟empereur, celui de droite œuvrant au Secrétariat et celui de gauche en poste à la Chancellerie287. Ainsi, il pourrait y avoir incongruité en l‟occurrence, de telle sorte qu‟à titre de cavalier de gauche à la disposition de l‟empereur, Zhuang n‟aurait alors été qu‟un conseiller impérial soumit à l‟autorité du président ou des vice-présidents de la Chancellerie. Son statut n‟aurait donc pas été beaucoup plus élevé que celui de Xu Ji, lequel aurait au même moment été conseiller d‟admonestation (jianyi daifu 諫議大夫) et superviseur au département de la Chancellerie (pan menxia sheng 判門下省)288. Selon Sima Guang, ce ne fut qu‟environ un an après la proclamation du régime

283 ZZTJ 268. 8740. 284 ZZTJ 268. 8758. 285 XWDS 63. 787; SGCQ 41. 6. 286 ZZTJ 266. 8685; XWDS 63. 787; STW 45. 21. 287 DTLD 8. 16-19, 9. 18; TD 21. 551-554. 288 SGCQ 41. 5. 96 que Wei Zhuang fut promu au poste de vice-président de la Chancellerie, faisant enfin de lui un autre grand ministre289. Néanmoins, il n‟est pas dit que ce nouveau titre impliquait un changement fondamental au niveau de ses tâches, lesquelles devaient être de prendre part aux débats à la cour et d‟évaluer les propositions du Secrétariat. Certes, à titre de vice-président de la Chancellerie, ses recommandations devaient faire l‟objet d‟une plus grande considération. Toutefois, bien que détenteur légitime des pouvoirs exécutifs, son autorité ne devait possiblement pas excéder celle d‟un conseiller impérial. Ainsi avons-nous du mal à saisir ce qui autorisait Zhang Tangying à écrire que « les châtiments, les politiques, les rituels et la musique étaient tous décidés par Zhuang » 刑政禮樂, 皆由莊所定290. À moins que cet énoncé ne fasse que renvoyer à la responsabilité de révoquer, d‟amender ou de promulguer les diverses dispositions prises par le Secrétariat. De la sorte, il serait plus approprié de parler d‟un droit de remontrance, non du pouvoir de tout décider, du moins pas sans en référer à l‟empereur à qui devait revenir la décision finale de supporter ou désavouer le Secrétariat. Ainsi, la Chancellerie se présenterait plutôt comme un conseil exécutif auquel l‟empereur pouvait se référer pour avoir une seconde opinion n‟émanant pas du Secrétariat, lequel formerait en quelque sorte un conseil législatif. Par conséquent, une part non négligeable du personnel de la Chancellerie devait être composée de moralistes comme ledit érudit confucianiste Xu Ji et le prêtre taoïste Du Guangting, lesquels étaient tous les deux des conseillers d‟admonestation (jianyi daifu) « que le souverain de Shu affectionnait et avec qui il discutait fréquemment de politique » 蜀主重之, 頗與議政291. Nous ne doutons point de la proximité qui devait exister entre le prêtre taoïste et Wang Jian, bien que cette idée ne tienne le plus souvent qu‟à ce que Du Guangting lui-même nous dit. Toutefois, dans la hiérarchie de la Chancellerie, les conseillers d‟admonestation servaient en théorie d‟employés de soutient aux vice-présidents et aux secrétaires (jishizhong), dont ils étaient les subordonnés292. Certes les conseils

289 ZZTJ 266. 8688. 290 STW 45. 23; SGCQ 40. 6-7. 291 ZZTJ 268. 8773; Franciscus Verellen (1989 a : 163-165). 292 DTLD 8. 19-20; TD 21. 554-555. 97 éthiques et politiques devaient êtres d‟une grande importance, toutefois l‟appréciation des divers édits rédigés par le Secrétariat devait également s‟appuyer sur un travail de critique diplomatique, un domaine plus pratique qui devait exiger une expertise de chartiste. Ainsi Niu Qiao aurait simultanément occupé les postes de secrétaire de la Chancellerie et de directeur de la Bibliothèque impériale (mishu jian 祕書監)293, lieu où étaient vraisemblablement conservés et étudiés les documents impériaux. De plus, notons que Niu Qiao n‟était certainement pas un charlatan dans le métier d‟amendement des chartes, lui qui aurait au préalable entamé sa carrière dans la Chancellerie de la dynastie Tang au poste de chargé de reprendre les oublis et les omissions (shiyi buque). Enfin, soulignons que Du Guangting ne devait pas plus être un béotien en matière de chartes, puisque ce fut possiblement dans le cadre de ses fonctions à la Chancellerie qu‟il eut l‟occasion de procéder à la collection des nombreux édits impériaux qu‟il édita dans sa collection intitulée Guangcheng ji.

d) Le Département des affaires d‟État S‟il nous apparut commode d‟opérer une distinction entre la Chancellerie et le Secrétariat pour tenter de donner un sens aux titres dont étaient investis les agents de la cour impériale, en revanche nous devons nous abstenir de conclure trop promptement qu‟une distinction aussi nette était opératoire, ou que les bureaucrates la percevaient réellement et s‟opposaient selon celle-ci. Disons que nous avons plutôt poursuivi une méthode heuristique pour débroussailler un terrain d‟enquête peu exploré et encore bien loin d‟être élucidé. Ainsi, en poursuivant notre analyse avec le Département des affaires d‟État, nous chercherons à savoir davantage dans quelle mesure était rigide la division entre le Secrétariat et la Chancellerie. En fait, pour être franc, durant la majeure partie de l‟histoire du Royaume de Shu antérieur nous ne sommes pas convaincus qu‟il y ait effectivement eu un Département des affaires d‟État. Du moins, dans le cas contraire, celui-ci n‟était probablement plus ce vaste et puissant département autonome qui comme jadis supervisait les divers ministères tout en servant de pont entre la cour et l‟extérieur. D‟une part, comme nous

293 Tang caizi zhuan 9. 450-451; SGCQ 44. 6; JJL 6. 6. 98 avons eu l‟occasion d‟en prendre conscience, les échanges entre la cour et les gouverneurs de commanderie semblaient désormais s‟effectuer par l‟entremise du Bureau des affaires militaires et du Tribunal des censeurs. D‟autre part, le contrôle des Six ministères impériaux semblait à toute fin pratique confiée au Secrétariat et à la Chancellerie. Toutefois, à cet égard nous aimerions savoir si la Chancellerie et le Secrétariat s‟en partageaient désormais la responsabilité, ou si la première était à cette occasion subordonnée au second. À la lecture des sources, il est saisissant de constater à quel point sont rares les références à un prétendu Département des affaires d‟État. En fait, les seules allusions que nous trouvons renvoient à des individus investis du titre de vice-président du Département des affaires d‟État. Premièrement, selon le Shiguo chunqiu, Zhang Ge et Yu Chuansu auraient reçu ce titre dans les premières années du royaume, alors même qu‟ils étaient vice-président du Secrétariat294. Toutefois, les dires de Wu Renchen sur ce point ne sont corroborés par aucune autre source. Deuxièmement, selon sa biographie du Jiuguo zhi, Zhou Xiang, anciennement vice-président du Tribunal des censeurs et du Secrétariat, aurait également été investi du titre de vice-président du Département des affaires d‟État après la mort de Wang Jian, sous prétexte de son âge avancé295. Certes, il se pourrait que ces dernières informations soient fondées, néanmoins rien ne nous dit qu‟il ne s‟agissait pas de titres honorifiques, ou que le Département des affaires d‟État incarnait à nouveau une agence bureaucratique en soi, après avoir été considérablement affaiblie depuis la rébellion d‟An Lushan sous la dynastie Tang. Par contre, il est plutôt suggestif que deux desdits vice-présidents du Département des affaires d‟État auraient simultanément été vice-président du Secrétariat. Ce qui, à notre avis, attesterait non pas de la vigueur du Département des affaires d‟État, mais bien de l‟importance accrue du Secrétariat impérial dans les diverses sphères de l‟État. Néanmoins, avant de conclure en ce sens, il reste à déterminer la nature des relations entre le Secrétariat et la Chancellerie en ce qui a trait à la gestion des ministères

294 SGCQ 41. 3, 10. 295 JGZ 6. 13. 99 impériaux. De cette manière, nous serons en mesure de mieux cerner le poids relatif de l‟autorité respective de chacun de ces deux départements. Ainsi, parmi les membres de la Chancellerie occupant des fonctions ministérielles, nous pouvons notamment penser à Wei Zhuang qui aurait été vice-président du Ministère des fonctionnaires (libu shilang 吏部侍郎)296, à Du Guangting qui fut à un moment vice-président du Ministère des finances (hubu shilang 戶部侍郎)297, ou encore à un secrétaire de la Chancellerie du nom de Lu Yanrang 盧延讓, lequel aurait occupé les postes de secrétaire-auxiliaire du Bureau des réseaux hydrauliques (shuibu yuanwailang 水部 員外郎), de vice-président du Ministère des travaux (gongbu shilang 工部侍郎) et du Ministère de la justice (xingbu shilang 刑部侍郎)298. À l‟opposé, du côté du Secrétariat, nous pouvons surtout penser à Wang Kai, lequel aurait été président du Ministère de la guerre (bingbu shangshu 兵部尚書)299, ou à Yu Chuansu qui aurait entre autres été président du Ministère des travaux (gongbu shangshu 工部尚書)300. Le fait que des vice-présidents du Secrétariat occupaient conjointement des fonctions de président de ministère, tandis qu‟aucun représentant de la Chancellerie ne détenait un titre supérieur à celui de vice-président, pourrait indiquer que le Secrétariat se situait au-dessus de la Chancellerie dans la hiérarchie ministérielle. Une indication supplémentaire qui tendrait à confirmer cette hypothèse est que la plupart des autres présidents de ministère semblaient souvent être des alliés politiques de dirigeants du Secrétariat. Par exemple, nous pouvons penser à Yang Bin, lequel aurait été président du Ministère des rituels (libu shangshu 禮部尚書). Or, comme nous l‟avons déjà mentionné, Bin aurait été un intime de Zhang Ge, avec qui il aurait par ailleurs formé une faction301. Un autre cas suggestif pourrait également s‟avérer être celui de Yu Ningji 庾凝績, un fils ou un neveu de Yu Chuansu qui aurait occupé le poste de président du Ministère des fonctionnaires (libu shangshu 吏部尚書)302. L‟organisation des ministères impériaux semble donc encore une fois faire état

296 STW 45. 22. 297 STW 45. 25. 298 SGCQ 44. 2-3. 299 ZZTJ 268. 8758, 8772. 300 SGCQ 41. 10. 301 SGCQ 41. 14. 302 SGCQ 41. 13-14. 100 d‟un clivage entre la Chancellerie et le Secrétariat. Mais est-ce que ce clivage fut la source de tensions entre les bureaucrates de la cour? Se pourrait-il que le contrôle des ministères fut l‟objet de luttes factionnelles opposant la Chancellerie au Secrétariat? Si la réponse est affirmative, cela pourrait donc signifier que la constitution des factions coïncidait précisément à ce clivage, donc que les luttes résultaient autant d‟intérêts institutionnels que personnels. Or ce n‟est pas exactement ce que laisse entendre l‟allure des luttes de factions ayant bouleversé la cour. Du moins, la composition des factions tendrait plutôt à démontrer que les allégeances en jeu transcendaient les institutions de la cour et ne correspondaient pas audit clivage. Prenons par exemple les oppositions et les associations qui suivirent la crise de succession de 913, par laquelle l‟héritier au trône Wang Zongyi 王宗懿 (mort en 913), dit Yuanying 元膺, fut remplacé par Wang Yan303. En l‟occurrence, il est non pas curieux que Wang Yan devint héritier grâce à des intrigues, mais surtout que les grands responsables de sa nomination fussent Zhang Ge ainsi que l‟eunuque et commissaire du Bureau des affaires militaires Tang Wenyi 唐文扆, lesquels se seraient associés à la suite d‟un pot de vin venant de l‟impératrice Shunsheng 順聖太 后, également connue sous le nom de concubine Xu Xian 徐賢妃, qui voulait faire de son fils le nouvel héritier304. Or, le complot aurait été dénoncé par un certain Mao Wenxi 毛文錫, lequel aurait provoqué l‟exécution de Wenyi ainsi que la destitution temporaire de Ge et ses associés, au nombre desquels se seraient notamment trouvés Yang Bin, Xu Ji et Pan Qiao305. Le cas de Xu Ji est ici assez révélateur, en ce sens qu‟il aurait alors été vice-président du Ministère des fonctionnaires à l‟emploi de la Chancellerie, suite à quoi il passa au service du Secrétariat. Ainsi fut-il plus tard nommé président du Ministère des rituels avant de devenir à son tour vice-président

303 À l‟origine de cette crise qui mit en péril la stabilité du royaume se trouvait une rivalité entre l‟héritier Yuanying et le commissaire du Bureau des affaires militaires, Tang Xi. Ainsi, cherchant en vain à destituer Tang Xi de ses fonctions, l‟héritier Yuanying aurait cherché à planifier l‟assassinat de ce dernier. Ce qui provoqua la colère de Wang Jian qui trancha la situation en privant Wang Zongyi de son titre d‟héritier. Toutefois, loin d‟être résigné à accepter son désaveu, Zongyi aurait cherché à orchestrer un coup d‟État qui échoua et qui fut cause de son exécution. À propos de ces événements, voir notamment ZZTJ 268. 8773-8775; XWDS 63. 789-790; WGGS 1. 10; STW 45. 24. 304 ZZTJ 268. 8777; XWDS 63. 971. 305 SGCQ 41. 4. 101 du Secrétariat306. Quant à Mao Wenxi, celui-ci aurait jusqu‟alors été un académicien de Hanlin qui, à la faveur des accusations contre Zhang Ge et Tang Wenyi, serait devenu président du Ministère des rituels et commissaire du Bureau des affaires militaires307. Or, ce qu‟il y a de plus saisissant au sujet de cet ennemi juré de Zhang Ge est qu‟il aurait aussi été un allié de Yu Chuansu, au fils duquel il aurait marié sa fille308.

e) La dichotomie entre lettrés de cour et militaires À coup sûr, la cour de Chengdu devait être le site d‟intrigues, ce qui est loin d‟être anormal. Ainsi, en dépit de certaines rivalités dont nous ne connaissons pas tous les tenants et aboutissants, cette société de cour semblait malgré tout former un monde cohérent relativement homogène. En fait, une des divisions encore plus fondamentale sous les Shu antérieurs n‟était pas tant celle qui affectait la cour que celle qui opposait la cour au monde des commanderies. Ainsi, nous avons cru observer une dichotomie entre un univers dominé essentiellement par des lettrés issus des plus prestigieuses familles de la dynastie Tang et un autre où figurent majoritairement des militaires aux origines plus ou moins obscures. Sans aller jusqu‟à user de la métaphore des deux montagnes dont les sommets ne se rencontrent jamais, il nous semble malgré tout s‟agir de deux milieux distincts dans lesquels les acteurs tendaient à suivre des voies différentes et à développer leurs propres stratégies de reproduction sociale. Une des premières manifestations de cette différenciation est la tendance des bureaucrates à se concentrer à la capitale, tandis que la grande majorité des militaires évoluaient dans les commanderies. D‟une part, bien que souvent investis des titres bureaucratiques les plus élevés, la plupart des lieutenants de Wang Jian ne semblaient pourtant pas affecté à des fonctions de cour, mais bien à des postes de gouverneur. Ainsi, avons-nous observé, il s‟agissait davantage de titres honorifiques octroyés par la cour pour services rendus et pour rétribuer la loyauté envers l‟État et son souverain. En fait, les rares moments où les gouverneurs semblent se rendre à la cour sont lors de

306 SGCQ 41. 5. 307 ZZTJ 269. 8784; SGCQ 41. 11-12. 308 SGCQ 41. 12. 102 grands événements politiques et rituels comme le couronnement impérial de Wang Jian et son décès, la succession impériale de Wang Yan ou la célébration de triomphes militaires. Il est donc plausible que la raison de ces visites fut de participer à des processions par lesquelles les officiers militaires venaient prêter allégeance à la dynastie en échange de nouveaux titres. En d‟autres cas, leur présence à la capitale semble s‟expliquer soit par un rappel pour cause d‟insubordination ou pour y recevoir une nouvelle affectation dans une autre commanderie, soit pour y occuper une sinécure en fin de carrière ou encore pour y être inhumé. En sens inverse, nous trouvons très peu de références renvoyant à des hauts fonctionnaires civils affectés à des fonctions hors de la capitale. Ainsi, à notre connaissance, Zhou Xiang fut un des seuls bureaucrates de la cour à occuper un poste de gouverneur de commanderie. Toutefois, pour des raisons que nous ignorons, il n‟aurait assumé la direction de la commanderie Yongping 永平軍 que pour une très brève période de temps vers 920309. Par ailleurs, certains individus comme Zhang Ge et ses acolytes auraient également occupé des fonctions au niveau préfectoral. Notamment, après 913, Zhang Ge aurait temporairement occupé le poste de préfet de Maozhou310. Cependant, de telles affectations semblaient surtout donner suite à des accusations de factionnalisme par lesquelles des bureaucrates furent limogés et bannis de la cour. Gardons ainsi à l‟esprit que la présence de ces bureaucrates dans les préfectures ne s‟expliquait pas par un effort d‟implanter une structure administrative préfectorale qui neutraliserait les gouverneurs de commanderie. Le fait étant que leurs fonctions préfectorales ne furent pas permanentes et qu‟ils furent à peu près tous réhabilités par la cour peu après. Autrement dit, contrairement aux Tang, et même aux Liang, la cour de Chengdu ne semblait pas systématiquement nommer de préfets civils. Non pas que les commanderies étaient dépourvus d‟institutions bureaucratiques, seulement les bureaucrates en poste dans les commanderies ne semblaient pas nommés par la cour, mais plutôt sélectionnés par les gouverneurs eux-mêmes. Il en allait possiblement de

309 ZZTJ 271. 8855; JGZ 6. 13. 310 SGCQ 41. 4. 103 même des préfets, lesquels provenaient en général des armées du royaume et qui pourraient avoir été des officiers subordonnés aux gouverneurs. Du moins, si les préfets sous les Shu antérieurs sont peu représentés dans les sources, cela était sans doute lié au fait que l‟unité administrative de base à travers le royaume était la commanderie, tandis l‟autorité y reposait surtout en la personne du gouverneur. Mais, encore là, ne commettons pas l‟erreur d‟associer les gouverneurs du royaume à des seigneurs de la guerre qui ne répondaient que d‟eux-mêmes. Car, en fait, non seulement la cour semblait contrôler leur nomination, mais surtout semblait-elle en mesure de leur imposer son autorité. C‟est du moins ce que tend à indiquer le fait que la plupart des gouverneurs furent fréquemment transférés d‟une commanderie à une autre, tandis que la cour aurait également eu la force d‟intervenir contre ceux qui outrepassaient les limites de leurs pouvoirs. Il en aurait ainsi été du successeur immédiat de Jin Hui à la tête de la commanderie Wutai, Wang Zongxun 王宗訓, lequel, en quelques mois à peine, fut rappelé à Chengdu où il fut condamné pour malversations311. Finalement, se pourrait-il qu‟une distinction entre gouverneurs de commanderie et lettrés de cour se laisse percevoir à la comparaison des mariages des deux groupes et du devenir de leurs descendants? Ainsi serait-il vraisemblable que les gouverneurs eurent tendance à privilégier les mariages pour leurs progénitures avec d‟autres familles de militaires, tandis que leurs fils aspiraient à se faire eux aussi officiers d‟armée? Cette idée semble du moins se concrétiser à la lecture de l‟épitaphe de Jin Hui, laquelle présente vaguement ses sept fils et quatorze filles. Parmi celles-ci, si de sept d‟entre elles nous ne pouvons rien apprendre, en revanche nous savons qu‟au moins cinq furent mariées à des officiers militaires, dont trois étaient les fils d‟anciens lieutenants et fils adoptif de Wang Jian. Quant à ses sept fils, nous savons que les deux plus vieux devinrent eux-mêmes officiers d‟armées, que deux autres se marièrent à des filles d‟agents subalternes de commanderie, tandis qu‟un autre, bien qu‟étant aussi bien doué pour les lettres que pour les armes, devint un ritualiste312. Enfin, de

311 ZZTJ 269. 8784. 312 Sichuan sheng wenwu guanli weiyuan hui (1983 : 917, lignes # 1-12). 104 l‟épitaphe de Wang Zongkan semble se dégager une même réalité. C‟est-à-dire que les trois fils de Zongkan devinrent tous des officiers militaires, tandis que sa fille unique fut mariée à un capitaine de milice (tuanlian shi 團練使) de Jiazhou 嘉州. Ainsi, parmi ces fils, celui qui parvint au statut le plus élevé est Wang Chengzhao 王承肇, lequel fit d‟abord parti de la garde impériale avant de devenir capitaine de milice à Pengzhou 彭州 et gouverneur de la commanderie Wuding 武定軍313. Malheureusement, contrairement aux lieutenants de Wang Jian, les descendants des bureaucrates en poste à la cour de Chengdu nous sont souvent inconnus. Il est donc difficile d‟avoir la certitude que ceux-ci continuèrent de se perpétuer dans la bureaucratie grâce à des stratégies de népotisme. Néanmoins, certaines indications permettent à tout le moins de soutenir l‟hypothèse voulant que les lettrés de cour formassent un cercle exclusif, à l‟intérieur duquel leurs fils et leurs filles ne se mariaient qu‟entre eux. À titre d‟exemple, nous pouvons nous référer à l‟alliance maritale que conclurent Yu Chuansu et Mao Wenxi, laquelle fut mentionnée précédemment. Certes, s‟agissant d‟un rare exemple à notre disposition, certains seraient en droit d‟avancer que ce cas demeure difficile à généraliser. Mais nous pouvons également soutenir que nous ne trouvons aucune allusion à de quelconques relations nuptiales entre bureaucrates de la capitale et gouverneurs de commanderie. D‟autre part, tandis que nous ne connaissons aucun fils de militaire devenu lettré à la cour, les rares fils de hauts fonctionnaires en poste à la capitale que nous nous croyons en mesure d‟identifier sont ceux qui suivirent les traces de leur père. Entre autres, au cours de nos analyses, nous avons eu l‟occasion de rencontrer un certain Yu Ningji, lequel pourrait avoir obtenu le poste de président du Ministère des fonctionnaires grâce au concours de Yu Chuansu, son oncle ou son père. De plus, nous pouvons également penser à Niu Xiji 牛希濟, un présumé fils de Niu Qiao qui aurait particulièrement été actif à la cour de Wang Yan314. Les données étant incomplètes, nous ne pouvons pas prouver que le népotisme était la règle dans le recrutement de la seconde génération de hauts bureaucrates à la

313 Xue Deng (2000 : 14). Suite à la biographie de Wang Zongkan, avec justesse, Wu Renchen présente également Wang Chengzhao, SGCQ 39. 4. 314 SGCQ 44. 7. 105 cour de Wang Yan. Néanmoins, dans un État où la mentalité aristocratique semblait prédominante, et où la sélection bureaucratique semblait fondée sur un système de recommandation, nous ne saurions remettre en cause que les relations familiales furent une assise non négligeable. Ainsi, en dépit de ce que prescrivait le texte d‟amnistie ayant marqué la proclamation du royaume en 907, nous ne trouvons aucune trace d‟examens de sélection bureaucratique, ni même d‟un réseau d‟écoles supportées par l‟État en dehors de la capitale. Par contre, il semble que Chengdu disposait alors d‟établissements d‟enseignement étatiques dont l‟accès était réservé aux fils de bureaucrates servant à la cour315. Ainsi, tandis que ces derniers jouissaient d‟un accès privilégié aux ressources permettant d‟intégrer la bureaucratie, nous trouvions donc un contexte systémique propice au népotisme. Contrairement à son homologue Zhu Wen de la dynastie Liang, Wang Jian ne chercha donc pas à rompre avec le modèle hérité de la dynastie Tang en confiant les postes clefs de sa cour aux dépendants issus de son organisation militaire. Car, en effet, en épousant la cause loyaliste et en s‟érigeant en défenseur de l‟ancien système, Wang Jian s‟entoura expressément de descendants de l‟ancienne clientèle aristocratique. Toutefois, en dépit d‟un désir apparent de maintenir les institutions de la dynastie Tang et de préserver un modèle étatique où la palme reviendrait aux lettrés descendants de grands clans, les structures gouvernementales ainsi établies furent à mains égards différentes de ce qu‟elles devaient êtres au moment de la compilation du Tong dian et du Da Tang liu dian. En fait, elles auraient plutôt été en continuité avec l‟évolution suivie par les institutions impériales après la rébellion d‟An Lushan, ce qui se laisse notamment percevoir à l‟influence croissante du Bureau des affaires militaires et du Tribunal des censeurs dans les relations entre la cour et les commanderies. Par contre, la simplification administrative et l‟allègement du personnel de la cour qui semblaient en œuvre ne prenaient probablement pas appui sur un quelconque précédent remontant à la dynastie Tang.

315 À propos des prescriptions en la matière que contiendrait ledit texte d‟amnistie, voir JLQJZ 1. 14. Voir également Li Quande 李全德, « Shiguo xuexiao zhidu kao » 十國學校制度考, dans Ren Shuang 任爽, éd., Shiguo dianzhi kao 十國典制考 (Beijing : Zhonghua shuju, 2004), pp. 137, 145; Chen Xiuhong (2004 : 182-185). 106 Ainsi, avons-nous constaté, une poignée d‟individus aurait simultanément cumulé divers offices clefs, ce qui non seulement permettait de rompre avec le dualisme entre la bureaucratie régulière et les serviteurs personnels de l‟empereur, mais qui aussi allait à l‟encontre de l‟esprit des institutions Tang, lesquelles étaient pensées en fonction d‟empêcher que survienne une trop grande concentration des pouvoirs. En revanche, ce dilemme ne semblait pas trop affecté l‟autorité politique du royaume, puisque lesdits lettrés loyalistes ne jouissaient plus de l‟autorité étendue que jadis détenaient leurs ancêtres sous la dynastie Tang. C‟est-à-dire qu‟ils ne semblaient actifs qu‟à la cour, où ils servaient de conseillers impériaux, tandis que les institutions militaires disséminées à travers le royaume échappaient à leur autorité. Ainsi, en 908, un administrateur supérieur (yin 尹) de Chengdu du nom de Cui Yin 崔隱 aurait cherché à imposer son autorité aux hommes sous l‟autorité de Wang Zongyu. Ce qui amena Wang Jian à réprimander Cui, lui rappelant qu‟étant un homme de lettres, il n‟était pas habileté à punir des dépendants de l‟armée316. Comme cet exemple l‟illustre, force nous est de conclure que sous les Shu antérieurs était maintenue une séparation entre les sphères civiles et militaires, lesquelles ne devaient pas interférer. Ce qui allait plutôt dans le sens contraire de ce qui avait cours sous la dynastie Liang, où bureaucrates et militaires se confondaient souvent.

316 JGZ 6. 1-2. 107 III. Le Royaume de Shu postérieur (934-965) L‟année 923 marqua certainement un point tournant dans l‟histoire du Royaume de Shu. Le fait étant qu‟en cette année, après avoir détrôné les Liang, le prince de Jin, Li Cunxu, se proclama empereur de la dynastie Tang avec pour mandat la restauration de l‟empire Tang. Or, un des fondements idéologiques à l‟origine de la fondation des Shu antérieurs avait justement été le loyalisme pro-Tang et la poursuite de la restauration. Nous ne croyons donc pas que Wang Jian, son successeur et leurs partisans défendaient un quelconque régionalisme. Car, en principe, l‟idéologie du mandat céleste dont se revendiquait le régime s‟en trouvait être l‟antithèse, puisque prescrivant une forme de pouvoir universel qui ne tient aucunement compte de notions aussi anachroniques que la souveraineté territoriale. Autrement dit, du point de vue théorique d‟un monarque qui se dit être le fils du ciel, il ne peut y avoir deux empereurs, au pire il peut y avoir un empereur et des usurpateurs. Ainsi, la légitimité du régime de Shu ne posait jusqu‟alors aucun problème puisque, pour les loyalistes réfugiés à Shu, les souverains de la dynastie Liang étaient des usurpateurs en puissance. Cependant, Li Cunxu défendait également cet idéal de la restauration, à la seule différence qu‟il fut le premier en mesure de la tenter, ce qui dut plonger la cour de Chengdu dans la perplexité. Ainsi, est-il possible que certains réfugiés aient conçu Zhuangzong comme le nouvel empereur légitime? Non pas que les empereurs Wang étaient illégitimes, seulement le mandat céleste retournait désormais aux descendants de Li Keyong, lequel fut jadis adopté par le clan impérial Li en dépit de ses origines turques. En tant que restaurateur investi du mandat céleste, un objectif prioritaire du nouvel empereur était la réunification politique de l‟empire. Dans ce but, des relations diplomatiques s‟ouvrirent rapidement entre les cours de Chengdu et Luoyang317. Ainsi, à la mesure des aspirations alors nourries à Luoyang, il ne semble pas que les pourparlers entamés portaient sur l‟établissement de rapports amicaux ou d‟une alliance, mais bien sur les termes de la réintégration de Shu à l‟empire. Du moins, ce

317 Yang Weili 楊偉立, Qian-Shu Hou-Shu shi 前蜀后蜀史 (Chengdu : Sichuan sheng shehui kexue yuan chuban she, 1986), pp. 97-100; ZZTJ 273. 8918; JWDS 70. 929; JJL 1. 1-2; STW 45. 30; JLQJZ 2. 9-10; WGGS 1. 12. 108 fut ainsi que Li Yan 李嚴 (mort en 927), un ambassadeur Tang envoyé à Shu, aurait comprit le but de sa mission. C‟est-à-dire « vanter les mérites de la restauration de Zhuangzong » 述莊宗興復之功 et amener Wang Yan et sa cour à s‟y conformer318. Selon L’ancienne histoire des Cinq dynasties, voici sur quel ton Li Yan aurait exposé la situation : « Notre empereur vient vertueusement afin de vous rallier à sa puissance. Ceux qui s‟y conformeront seront récompensés de son amour infini, alors que ceux qui s‟y désisteront seront punis par les armes » 吾皇以德懷來, 以威款附. 順則涵之 以恩澤, 逆則問之以干戈319. À cet ultimatum, la cour de Shu aurait sur le champ répondu par l‟envoi d‟une délégation à Luoyang dirigée par l‟académicien de Hanlin Ouyang Bin 歐陽彬, preuve du sérieux avec lequel était considérée l‟affaire à Chengdu320. En revanche, si la réunification devait être sans équivoque pour les uns, pour les autres il ne semble pas y avoir eu de consensus quant à l‟attitude à adopter. D‟une part, il ne semble pas que les bureaucrates de Shu furent à priori hostiles à Li Cunxu et ses ambassadeurs. Rappelons qu‟à l‟avènement de la dynastie Liang, de nombreux loyalistes se réfugièrent également dans le territoire alors contrôlé par Li Keyong, le père de Li Cunxu321. Or, comme les affaires diplomatiques étaient sans doute confiées à des maîtres de la rhétorique, c‟est-à-dire des gens instruits provenant d‟une certaine élite et convaincus par la cause colportée, nous pouvons avancer avec une relative assurance que les ambassadeurs d‟un côté comme de l‟autre partageaient des origines communes, une même culture intellectuelle et un même idéal sociopolitique qui ne pouvait être matérialisé que par la restauration. Ainsi, il est fort possible que Li Yan entra en contact avec des individus tels qu‟Ouyang Bin, Zhang Ge, Wang Kai, Xu Ji, Li Hao et Ouyang Jiong, lesquels passèrent tous au service des Tang postérieurs. D‟autre part, cependant, plusieurs haut-gradés de l‟armée de Shu optèrent pour une toute autre attitude, c‟est-à-dire un rejet catégorique des négociations et un ardent désir d‟organiser les défenses en prévision d‟une invasion. Ainsi, Wang Zongchou 王

318 JWDS 70. 929. 319 JWDS 70. 930. 320 ZZTJ 273. 8926-8927; JWDS 32. 438; JJL 1. 1; JLQJZ 2. 9; SGCQ 53. 2. 321 Wang Gungwu (2007 : 99); Ng Pak-sheung (1997 : 45). 109 宗儔 (mort en 924) aurait proposé d‟exécuter Li Yan pour son insolence, tandis que Song Guangbao 宋光葆, alors commissaire au Bureau des affaires militaires, aurait suggéré de préparer la marine de guerre (zhanjian 戰艦)322. Toutefois, même parmi les militaires, il n‟y avait visiblement pas d‟unanimité, de sorte que plusieurs transférèrent leur allégeance dès le début des hostilités sans même croiser le fer. Ce fut notamment le cas de Wang Chengzhao, le fils de Wang Zongkan, lequel livra aux armées Tang les préfectures de Yangzhou 洋州, Bizhou 壁州 et Pengzhou 蓬州 en plein cœur du royaume323.

En fait, il semble que les transfuges furent un des facteurs déterminants dans la conquête de Shu. Ce qui expliquerait partiellement la déroute totale des armées de Shu, dont les troupes et les généraux capitulèrent tour à tour, tandis que Wang Yan fut forcé d‟abdiquer en moins de 70 jours324. Ainsi, une fois l‟acte de reddition transmit aux autorités militaires de la dynastie Tang, Wang Yan, certains membres de la famille impériale et quelques grands généraux furent exécutés325. À l‟opposé cependant, les troupes du royaume se seraient vues intégrées aux forces d‟invasion, tandis que la cour de Luoyang aurait émis un décret ordonnant de réembaucher les bureaucrates ayant servi au Royaume de Shu326. Ainsi, des bureaucrates séniors comme Zhang Ge et Xu Ji furent transférés à Luoyang, où ils remplirent certaines fonctions à la cour327, tandis que d‟autres dans la fleur de l‟âge comme Li Hao, Ouyang Bin et Ouyang Jiong furent réaffectés à Shu328. Comme nous le constaterons plus amplement, suite aux événements de 925, le Royaume de Shu entra dans une nouvelle période caractérisée par de profondes transformations. Ainsi, pendant que plusieurs réfugiés loyalistes s‟en retournèrent vers la plaine centrale pour y servir les Tang postérieurs et que le commandement militaire des Shu antérieurs fut désagrégé, une nouvelle vague de migrants arriva dans la région. Cette fois-ci cependant, il ne s‟agissait plus de réfugiés fuyant les troubles frappant le

322 ZZTJ 273. 8918; JWDS 136. 1820. 323 ZZTJ 273. 8941; JWDS 33. 458-459. 324 Yang Weili (1986 : 101-105); ZZTJ 274. 8946. 325 QTW 129. 13-14; ZZTJ 274. 8945; XWDS 63. 793. 326 Anna M. Shields (2006 : 99); WDHY 17. 281-282; ZZTJ 274. 8951. 327 JWDS 71. 944-945. 328 Anna M. Shields (2006 : 99); SGCQ 52. 5, 52. 14, 53. 2. 110 Nord, mais bien de militaires et de bureaucrates mandatés par la cour de Luoyang pour y prendre la direction des affaires d‟État et y chapeauter les institutions. Ainsi, sous l‟impulsion de ces individus prit naissance en 934 le nouvel État des Shu postérieurs. Dans l‟ensemble, disons que le jugement des historiens à l‟égard de Meng Zhixiang 孟知祥 (874-934), le premier souverain des Shu postérieurs, fut particulièrement sévère. Prenons par exemple la biographie qu‟Ouyang Xiu lui consacre dans la Nouvelle histoire des Cinq dynasties. Il y apparaît comme un militaire cupide qui, pour satisfaire sa convoitise, cherche à s‟assurer un contrôle exclusif de Shu dont les richesses regorgent. De telle sorte que dès son affectation à Chengdu en 926, celui-ci aurait comploté contre la cour de manière à obtenir la sécession de Shu329. D‟ailleurs, chez Ouyang Xiu, comme chez plusieurs de ses contemporains, les caractéristiques de Meng Zhixiang tendent à se confondre de manière stéréotypée avec les étiquettes apposées aux autres individus issus d‟un même milieu. C‟est-à-dire des militaires déloyaux ne cherchant qu‟à satisfaire des intérêts personnels qui menacent le bon fonctionnement de l‟État et de la société. Pourtant, nous ne croyons pas qu‟une telle description soit tout à fait fidèle à qui étaient réellement Meng Zhixiang et ses collaborateurs. À tout le moins, certains indices laissent penser que la fondation des Shu postérieurs n‟était pas un événement prémédité de longue date qui pouvait être anticipé. Entre autres, c‟est ce que tend à démontrer l‟épitaphe de la princesse Fuqing 福慶長公主 décédée à Chengdu en 932, laquelle était non seulement l‟épouse de Meng Zhixiang, mais également la fille de Li Keyong330. En l‟occurrence, le scribe y réaffirme avec force l‟appartenance de la princesse à la famille impériale Li, la fierté qu‟elle en éprouvait et l‟honneur de son époux à défendre les intérêts de la dynastie Tang. C‟est également ce que tendent à

329 XWDS 64. 797-803; Richard L. Davis (1998 a : 128-130). 330 Cette épitaphe provient du mausolée conjoint de Zhixiang et son épouse, lequel fut découvert en 1970 à Chengdu. Pour en consulter l‟estampille et la transcription complète, voir Chengdu shi wenwu guanli chu 成都市文物管理處, « Hou-Shu Meng Zhixiang mu yu Fuqing zhang gongzhu muzhiming » 後蜀孟知祥墓與福慶長公主墓誌銘, Wenwu 文物 1982. 3, pp. 18-20. La plupart des sources ont jusqu‟ici affirmé que l‟épouse de Zhixiang n‟était qu‟une nièce de Li Keyong (XWDS 64. 797; ZZTJ 268. 8755; STW 45. 33), toutefois l‟épitaphe vient confirmer ce que nous apprenait déjà le Wudai huiyao (2. 22), c‟est-à-dire que celle-ci était sa plus vieille fille biologique. 111 indiquer les autres épitaphes de la même période découvertes à Chengdu, notamment celle de Sun Hanshao 孫漢韶 (884-956), lequel se percevait comme un fier et loyal sujet de Tang Mingzong jusqu‟en 934331. Certes, il est possible que de telles épitaphes cherchent à embellir les faits, toutefois elles auraient également pu chercher à discréditer la dynastie Tang de manière à légitimer les actions des intéressés. Or, il en est rien, Mingzong est constamment dépeint tel un souverain vertueux et légitime. À notre avis, nous devons donc rechercher les causes de la sécession de Shu en 934 ailleurs que dans la machiavélique préméditation d‟un douteux gouverneur avide de richesses. Au contraire, par exemple, nous pourrions chercher à savoir dans quelle mesure les luttes factionnelles qui secouaient alors la cour de Luoyang furent un facteur dans la prise de décision de Meng Zhixiang et ses associés. Car si nous ne disposons pas de preuves suffisantes pour affirmer que Zhixiang avait des visées séparatistes dès son arrivée à Chengdu, dans le cas contraire il est presque sûr que des détracteurs cherchèrent à convaincre la cour qu‟il en était ainsi. Ce fut notamment le cas du commissaire du Bureau des affaires militaires, An Chonghui 安重誨 (mort en 931), et de son successeur, l‟eunuque Meng Hanqiong 孟漢瓊, lesquels jouissaient de pouvoirs démesurés à la cour de Luoyang332. Ainsi, sans que nous en connaissions les causes profondes, ces derniers auraient tenté de démettre Zhixiang de ses fonctions au Xichuan en envoyant des troupes y occuper certaines préfectures clefs et en jouant sur la rivalité qui l‟opposait à Dong Zhang 董璋 (mort en 932), lequel était à la tête du Dongchuan, la moitié orientale de Shu333. Les luttes de factions sous les Tang postérieurs furent notamment approchées par Wang Gungwu, lequel les associait à certaines contradictions systémiques de la restauration. C‟est-à-dire que, selon lui, la source de plusieurs conflits se trouvait alors dans le fait de vouloir redonner la préséance bureaucratique à l‟ancienne aristocratie, ce malgré la nécessité d‟intégrer le personnel de l‟ancienne dynastie Liang et le besoin de garder à l‟emploi les anciens officiers de l‟organisation provinciale du Hebei et du

331 Voir Chengdu shi bowuguan kaogu dui 成都市博物館考古隊, « Wudai Hou-Shu Sun Hanshao mu » 五代後蜀孫漢韶墓, Wenwu 文物 1991. 5, pp. 16, 26. 332 Sur An Chonghui et Meng Hanqiong, voir JWDS 66. 873-876, 72. 955-956. 333 Naomi Standen (2009 : 76-83); Wang Gungwu (2007 : 152-158). Quant à la biographie de Dong Zhang, voir JWDS 62. 831-834. 112 Hedong334. Or, comme nous le verrons, Meng Zhixiang et ses acolytes relevaient pour la majorité de ces deux dernières catégories. Ainsi pouvons-nous nous demander si les individus au contrôle de la cour sous Tang Mingzong avaient des raisons quelconques de redouter la vieille garde de Li Keyong et Li Cunxu, ou une quelconque faction régionale du Nord-est, ainsi que les anciens serviteurs de la dynastie Liang. À défaut de pouvoir répondre à de telles questions dans l‟immédiat, nous nous efforcerons pour l‟instant de réévaluer le profil socioprofessionnel des agents venus assister Meng Zhixiang dans la gouvernance de Shu. Notamment, nous chercherons à savoir comment ces individus vinrent y bouleverser la nature des institutions étatiques et ainsi altérer les rapports entre l‟État et la société. À travers les pages qui suivront, nous verrons ainsi comment la cour de Chengdu et les institutions étatiques de Shu passèrent sous le contrôle d‟une nouvelle élite, certes composée d‟individus issus d‟organisations militaires provinciales, mais dont les compétences furent souvent acquises hors des champs de bataille. D‟une part, tandis que l‟expertise prit le pas sur l‟appartenance à une famille de vieille souche, nous constaterons que les valeurs désormais véhiculées dans les hautes sphères de l‟État changèrent. D‟autre part, nous verrons également que les responsabilités endossées par les préfets gagnèrent en importance, eux qui devinrent les principales figures d‟autorité hors de la capitale, tout en étant secondés par des institutions administratives régionales beaucoup plus développées que par le passé. Enfin, nous constaterons qu‟était alors en cours un important processus de bureaucratisation par lequel l‟État parvint à s‟imposer plus profondément dans la vie sociale.

3. 1 Les associés de Meng Zhixiang et les régents de son successeur Suite à la « pacification » de Shu en 925, la cour de Luoyang estimait la région suffisamment importante pour y envoyer un de ses grands dignitaires, Meng Zhixiang, et y maintenir en place une part substantielle des effectifs déployés durant la conquête, auxquels s‟ajouteront de nouveaux éléments. À partir de ce noyau d‟individus, nous chercherons ainsi à identifier les plus influents à qui Zhixiang entendait s‟en remettre

334 Wang Gungwu (2007 : 99-108, 148-151). 113 pour jeter les bases du nouvel État. Ainsi nous attarderons-nous à ceux qui dominèrent la cour de Chengdu après 934 et nous efforcerons-nous de définir la nouvelle élite au pouvoir pour mieux apprécier la nature de l‟État. Par ses origines socioprofessionnelles, Meng Zhixiang semble assez représentatif des valeurs et intérêts du groupe dont il était le meneur, lui qui venait d‟une famille de militaires de la région de Xingzhou 邢州 (Hebei). De son grand-père, Meng Cha 孟 察, tout ce que nous savons est qu‟il aurait été un officier de commanderie (junxiao 郡校) au statut moyen335. Parmi ses parents, ceux que nous connaissons le mieux sont ses oncles Meng Fangli 孟方立 (mort en 889) et Meng Qian 孟遷 (mort en 901). En 883, notamment, Fangli se serait lui-même improvisé gouverneur de la commanderie Zhaoyi 昭義 en s‟emparant par la force de Luzhou 潞州 et en déplaçant le siège de la commanderie vers Xingzhou336. De la sorte, Fangli aurait provoqué la furie de Li Keyong qui lui déclara aussitôt la guerre et qui parvint en quelques mois à reconquérir Luzhou, où il nomma un autre gouverneur de la commanderie Zhaoyi. Ainsi, cette commanderie fut divisée en deux, Luzhou et Xingzhou ayant chacun son gouverneur337. Il en fut ainsi jusqu‟en 889, date à laquelle les troupes de Li Keyong firent leur entrée à Xingzhou, tandis que Meng Fangli se suicida338. Quant à Meng Qian, qui secondait son frère en tant que préfet de Mingzhou 洺州, selon Ouyang Xiu, il n‟aurait eu d‟autres choix que de se livrer aux forces de Li Keyong. Ainsi, il aurait d‟abord été conduit à Taiyuan, suite à quoi on le réaffecta dans les préfectures de Zezhou 澤州 et Luzhou qu‟il finit par offrir à Zhu Wen339. Par contre, Xue Juzheng ne nous dit pas qu‟il se rendit, mais plutôt qu‟il fit aussitôt appel à Zhu Wen, lequel s‟apprêtait alors à prendre le contrôle de Xingzhou340, tandis que Sima Guang nous dit qu‟il passa définitivement au service de Li Keyong à Taiyuan341. Si nous planons dans l‟incertitude à propos de Meng Qian, en revanche il est à peu près certain que le père Zhixiang, Meng Dao 孟道, passa une fois pour toutes au

335 JWDS 136. 1822; CFYG 219. 18. 336 ZZTJ 255. 8299; JWDS 62. 827; XTS 187. 5448. 337 ZZTJ 256. 8313; XTS 187. 5449. 338 ZZTJ 258. 8387; JWDS 62. 827. 339 XTS 187. 5449; XWDS 64. 797. 340 JWDS 62. 827-828. 341 ZZTJ 258. 8387-8388. 114 service de Li Keyong après 889342. Du moins, cette information tend à être confirmée par le fait que Zhixiang lança véritablement sa carrière à Taiyuan, où il reçut en mariage la princesse Fuqing. Il fallait donc que le statut de Dao fut plus ou moins élevé pour que Li Keyong accepte de donner sa fille en mariage à Zhixiang. Toutefois, en dépit de l‟importance de Zhixiang dans l‟histoire, il est frustrant de constater à quel point nous sommes mal renseignés à son sujet avant 926. En général, toutes nos sources s‟accordent pour dire qu‟il fut nommé gouverneur (yin 尹) de Taiyuan après la proclamation de la restauration à Luoyang en 923343. Toutefois, il est bien difficile de connaître les fondements réels de sa nomination à un tel poste et la nature des responsabilités qui lui incombaient. De la même manière, aucun document ne nous dit explicitement pourquoi « au moment où sa majesté dut choisir un dirigeant suivant la pacification du Xichuan, aucun ne valait Zhixiang » 西川平, 陛下擇帥, 無如知祥 344, sinon qu‟il était « un fin stratège de grande confiance » 信厚有謀345. En fait, la plupart des chroniqueurs insiste sur l‟idée que Zhixiang était un soldat et que c‟était en tant quel qu‟il parvint à s‟élever dans la hiérarchie. Notamment, en se livrant à la collusion avec Guo Chongtao 郭崇韜 (mort en 926), le puissant commissaire du Bureau des affaires militaires et présumé instigateur de la conquête de Shu346. Que Meng Zhixiang fut dans la garde personnelle (qinwei jun 親衛軍) de Li Keyong ou qu‟il fut instructeur d‟armée (jiaolian shi 教練使) et conseiller militaire (zhongmen shi 中門使) ne doit pas forcément nous amener à croire qu‟il n‟était bon qu‟à monter un destrier. Nous ne devons également pas tenir pour sûr que seules ses qualités guerrières suffirent à lui mériter un statut enviable dans l‟entourage des princes de Jin. En fait, nous avons du mal à saisir la pertinence de charger un simple guerrier de la gouvernance de centres administratifs et économiques à l‟écart des zones de combat comme Taiyuan et Chengdu. D‟ailleurs, il ne semble pas qu‟en 926 Zhixiang fut nommé « gouverneur-militaire » du Xichuan comme certains modernes

342 XWDS 64. 797. 343 XWDS 64. 797; JWDS 32. 439; ZZTJ 272. 8883; STW 45. 33. 344 STW 45. 33. 345 ZZTJ 273. 8937. 346 XWDS 64. 797; ZZTJ 270. 8843, 272. 8883, 273. 8937; JWDS 57. 763-772. 115 l‟assument347, du moins ce n‟est pas ce que la plupart des sources dit. Ainsi, hormis Sima Guang, dans la plupart des sources il est juste écrit qu‟il fut nommé gouverneur (yin) de Chengdu et vice-gouverneur (jiedu fu da shi 節度副大使) du Xichuan348. Notre impression est plutôt qu‟aucun gouverneur-général ne fut assigné au Xichuan au lendemain de la conquête, la cour ayant simplement décidé d‟y nommer des préfets parmi les officiers des forces d‟invasion, lesquels dominaient vraisemblablement leurs propres troupes et relevaient directement de la cour. D‟autre part, il semble bien que l‟autorité dont était investi Zhixiang n‟excédait pas à proprement parler Chengdu, du moins pas en son nom propre, son mandat hors de la capitale provinciale se limitant à la supervision des préfets au nom de la cour, à laquelle il était tenu de se rapporter. À notre avis, ce ne fut qu‟à force de collaboration avec les préfets qu‟il parvint peu à peu à assumer un rôle de leadership supérieur à un simple rôle de régulateur dans la région, faisant ainsi de lui un gouverneur de plein droit. Non seulement il ne semble pas que Meng Zhixiang fut investi de responsabilités strictement militaires, mais il ne semble également pas que ses expériences préalables furent exclusivement associées au métier des armes. Grâce au Cefu yuangui, nous savons notamment que « depuis son enfance, Meng Zhixiang était raffiné, savait écrire et aimait la musique » 孟知祥自幼溫厚知書樂喜349. Ainsi, selon le Shu taowu, alors qu‟il était à Xingzhou, il aurait occupé un petit emploi dans l‟administration locale (jun yali 郡衙吏), possiblement à titre d‟apprenti compte tenu de son jeune âge350. Enfin, l‟épitaphe de la princesse Fuqing nous laisse savoir qu‟au moment où il était dans la principauté de Jin, il fut successivement préfet de Daizhou 代州, préfet de Xinzhou 忻州 et président du Tribunal des censeurs351. Certes, nous ne connaissons pas l‟ensemble des responsabilités assumées par les préfets au Hedong avant 923. Toutefois, nous pouvons assumer qu‟à titre de préfet, Zhixiang fut amené à interagir sur une base quotidienne avec divers administrateurs et à se familiariser avec

347 Notamment Hugh R. Clark (2009 : 164-165). 348 XWDS 64. 797; ZZTJ 270. 8843, 272. 8883, 273. 8937; JWDS 57. 763-772. D‟ailleurs, selon JWDS 36. 501, 38. 525, il en allait également ainsi de Dong Zhang qui n‟aurait été que vice-gouverneur du Dongchuan. 349 CFYG 220. 21. Voir également STW 45. 35. 350 STW 45. 33. 351 Chengdu shi wenwu guanli chu (1982 : 20). 116 le monde de la bureaucratie. En tout les cas, la préfecture n‟était certainement pas une satrapie militaire libre, mais bien une entité administrative restreinte par laquelle l‟État pouvait rationaliser sa gestion territoriale. De cette optique, il serait donc impensable qu‟un préfet puisse n‟avoir eu aucune autre compétence que militaire, la gestion de l‟armée et de la sécurité n‟étant qu‟une tâche parmi d‟autres. De plus, à moins que ce ne fut qu‟un titre honorifique, il est difficile d‟imaginer un censeur illettré ne connaissant ni les procédures administratives, ni même les enjeux de l‟action étatique. Heureusement, le fait de ne pas connaître à merveille la vie de Meng Zhixiang ne devrait pas trop affecter notre compréhension de l‟État sous les Shu postérieurs. D‟une part, celui-ci était secondé par de nombreux autres individus provenant semble-t-il d‟un univers comparable au sien, et pour lesquels peu de doutes subsistent quant à leurs compétences professionnelles. D‟autre part, Meng Zhixiang ne vécut pas assez longtemps pour que nous puissions lui attribuer à lui seul l‟établissement des institutions du royaume. Ainsi est-il fondamental d‟être conscient qu‟à peine six mois après la proclamation du régime, Zhixiang trépassa en léguant le trône à Meng Chang 孟昶 (919-965), un jeune orphelin de père et de mère qui était non seulement pas en mesure de prendre la direction d‟un État naissant, mais qui était encore incapable de voler de ses propres ailes. Une telle conjoncture aurait pu s‟avérer désastreuse et mener à une révolution de palais, voire à une guerre entre les officiers du royaume. Cependant, rien de tout cela ne se produisit. Pourquoi? Sûrement parce qu‟il y avait une volonté politique consensuelle de poursuivre l‟œuvre déjà entamé et qu‟il existait un collège de ministres suffisamment organisés pour maintenir la cohésion. S‟il y eut une éminence grise de Zhixiang qui devint particulièrement influente au sein d‟une régence collégiale, ce fut sans aucun doute Zhao Jiliang 趙季良 (884-947), lequel était l‟exemple par excellence d‟un nouveau type de bureaucrate devant surtout sa position à son expérience et son expertise. Selon sa biographie dans le Jiuguo zhi,

Jiliang était natif de Jiyin 濟陰 dans la préfecture de Caozhou 曹州 (Henan), tandis que son père aurait été magistrat (ling 令) de Gushu 穀熟 dans la préfecture de

Songzhou 宋州, à une centaine de kilomètres au sud de chez lui. Quant à lui, c‟est

117 dans la commanderie Baoyi 保義 qu‟il aurait débuté sa carrière, entre 908 et 912, à titre d‟officier judiciaire (tuiguan 推官) à la solde du gouverneur Wang Tan 王檀

(mort en 916)352. En fait, cette dernière commanderie correspondait à une portion de l‟ancienne commanderie Zhaoyi et avait pour chef-lieu Xingzhou. Ce fut Zhu Wen qui la rebaptisa en 908 et qui nomma à sa tête Wang Tan353. Jiliang y serait ainsi demeuré en fonction jusqu‟en 912, suite à quoi il fut muté à Ye 鄴 (Weizhou 魏州), dans la commanderie voisine de Tianxiong 天雄, sous les ordres de Yang Shihou 楊師厚 (mort en 915)354. Jiliang aurait alors rempli les fonctions d‟administrateur chargé de consigner les expéditions (silu canjun 司錄參軍) du protectorat-général (dudu fu 都 督府) de Weizhou355, ce jusqu‟en 915, soit jusqu‟au moment où l‟armée de la principauté de Jin fit son entrée à Weizhou356. Comme « Jiliang était aussi bien doué pour les lettres que pour les armes » 以季 良有文武才略, Li Cunxu le nomma enquêteur judiciaire de la cour suprême de justice (dali pingshi 大理評事), commandant de l‟armée Yisheng 義勝軍 et administrateur chargé de consigner les expéditions. De plus, ajoute le Jiuguo zhi, « lorsque des bruits de complots couraient dans l‟armée, c‟était souvent avec lui qu‟il (Li Cunxu) en discutait » 軍中謀議, 多以諮之357. Par la suite, après 923, il fut entre autres promu au poste d‟assistant-gouverneur (xiaoyin 小尹) de la préfecture-supérieure de Xingtang (興唐府)358. Lorsque Tang Mingzong accéda au trône en 926, il fut affecté à la cour où il fit la connaissance du grand ministre et président de la Commission de

352 JGZ 7. 1. 353 WDHY 24. 382; JWDS 22. 302-305; XWDS 2. 18; ZZTJ 267. 8716. 354 Le contrôle du Hebei était alors une importante source de tension entre la dynastie Liang et la principauté de Jin. Ainsi, le très stratégique département de Weizhou était alors ardemment convoité par Li Cunxu, tandis que pour Zhu Wen il s‟agissait d‟un des rares lieux d‟où pouvait s‟organiser une puissante offensive contre les Jin. C‟est dans ce contexte que le grand général Yang Shihou y fut envoyé en 912 afin d‟y consolider les forces. Voir Wang Gungwu (2007 : 117-122); Naomi Standen (2007 : 68-72); JWDS 22. 295-298; XWDS 23. 235-237; ZZTJ 268. 8760. 355 JGZ 7. 1. 356 De 912 et 915, Yang Shihou parvint à établir à Weizhou une solide base de pouvoir effrayant la cour de Kaifeng qui le nomma prince de Ye 鄴王. À la mort de Yang, la cour chercha à rétablir son autorité sur Weizhou en divisant l‟armée de Yang. Il s‟en suivit une importante mutinerie par laquelle les mutins appelèrent Li Cunxu à la rescousse. Dès lors, la dynastie Liang perdit tout espoir de contrôler les provinces du Hebei. Voir Wang Gungwu (2007 : 122); ZZTJ 269. 8786-8787. 357 JGZ 7. 1-2. 358 Il s‟agissait toujours de Weizhou, préfecture rebaptisée en 923 Xingtang, c‟est-à-dire « Restauration Tang ». Voir ZZTJ 272. 8883; JWDS 69. 912; XWDS 60. 738. 118 l‟exploitation du fer et du sel (yantie shi 鹽鐵事) Ren Yuan 任園359, lequel en fit son assistant. Enfin, l‟année suivante, il fut d‟abord nommé président du Ministère des revenus (hubu shangshu 戶部尚書), après quoi il fut envoyé au Xichuan comme délégué du Bureau des nominations (guangao shi 官告使) et commissaire du système de transport des trois provinces de Chuan (san Chuan du zhuanyun zhizhi shi 三川都 轉運制置使)360. La présence de Zhao Jiliang au Xichuan reflétait sans doute un désir de la cour d‟y accroître l‟efficacité de son système de perceptions fiscales. De ce point de vue, il ne semblait pas faillir à sa tâche puisque quelques mois après son arrivée, il aurait acheminé vers Luoyang un lourd convoi chargé de métaux et de tissus361. Il ne reste qu‟à déterminer dans quelle mesure les chargements étaient réguliers. Mais ce qu‟il importe de retenir est qu‟à son arrivée à Chengdu, Jiliang était déjà un homme d‟État versatile et expérimenté. Non seulement dans le domaine de l‟administration financière et la gestion de ressources humaines et matérielles, mais également au niveau des pratiques juridiques, voire même diplomatiques et militaires. Grâce à son expérience de scribe militaire notamment, on comprend bien que celui-ci en apprit énormément sur la logistique et la stratégie. De plus, le fait d‟avoir servit dans une zone frontalière périlleuse caractérisée par d‟incessants revirements d‟alliances, où il fit possiblement l‟expérience d‟une vaste mutinerie en 915, lui donna certainement l‟occasion d‟apprendre à négocier les allégeances. Compte tenu de ses précieux atouts, nous comprenons donc pourquoi Zhixiang s‟empressa de retenir ses services, ce malgré les oppositions réitérées de la cour qui avait d‟autres projets pour lui362. Décidément, Zhao Jiliang était de ceux sur qui Meng Zhixiang fondait de grands espoirs au moment d‟être proclamé empereur. De telle sorte qu‟en 934, Jiliang fut nommé vice-président de la Chancellerie impériale et ministre des travaux (sikong 司 空). De plus, il aurait été affecté à la supervision de l‟une des Trois agences fiscales (pan sansi 判三司), c‟est-à-dire le Ministère du cens, tandis que la supervision de la

359 Pour les biographies de Ren Yuan, voir JWDS 67. 894-896; XWDS 28. 305-307. 360 JGZ 7. 2; ZZTJ 275. 8994. 361 ZZTJ 275. 8997. 362 JGZ 7. 2; XWDS 28. 317. 119 Commission de l‟exploitation du fer et du sel et le Ministère des revenus (pan duzhi 判度支) furent respectivement confiés à Wu Zhaoyi 毋昭裔 et Zhang Zhiye 張知業 (889-946)363, lesquels seront discutés plus loin. Enfin, lorsque la vie de Zhixiang prit fin, six mois après la proclamation du régime, Jiliang devint aussitôt ministre de l‟instruction (situ 司徒) et gouverneur du Shannan occidental364. D‟une part, sa nomination au poste de ministre de l‟instruction semblait directement liée à la conjoncture mettant sur le trône un jeune orphelin, duquel il devint apparemment le précepteur. D‟autre part, une contradiction semble apparaître devant la désignation simultanée de Jiliang à un poste de gouverneur de commanderie. Toutefois, il ne semble pas que Jiliang fut réellement en fonction au Shannan, il ne s‟agissait probablement que de placer cette région frontalière sous l‟autorité immédiate de la cour et de n‟y affecter que des préfets devant se rapporter directement à celle-ci. Malgré son rôle capital, Zhao Jiliang n‟était définitivement pas investi d‟une autorité hégémonique, lui qui devait partager le pouvoir avec les autres collaborateurs de Meng Zhixiang. En fait, toute la stabilité et le futur du royaume dépendaient du bon fonctionnement d‟une gouvernance collégiale à laquelle participaient de nombreux individus. Naturellement, nous pouvons penser aux préfets qui se coalisèrent avec Zhixiang à l‟occasion des crises avec la cour de Luoyang. À l‟instar de Zhixiang et Jiliang, ceux-ci semblaient dans l‟ensemble tous provenir de familles provinciales émergeantes ayant soutenu les régimes septentrionaux, dont la dynastie Liang qui fit table rase sur l‟héritage aristocratique de la dynastie Tang. Appartenant à une nouvelle génération d‟individus souvent nés après la rébellion de Huang Chao, ceux-ci étaient en un sens les produits d‟un contexte de professionnalisation. Ce fut apparemment le cas de gens comme Zhao Tingyin 趙庭隠 (884-950)365 et Zhang Zhiye, lesquels entreprirent tous les deux leur carrière au service de la

363 Zhiye est généralement appelé Ye 業, le caractère zhi 知 étant soustrait car son emploi constituait la violation d‟un tabou liée au fait qu‟il s‟agissait du même caractère zhi que dans le nom de Meng Zhixiang, voir SGCQ 51. 7. Seule L’ancienne histoire des Cinq dynasties (JWDS 44. 603) le désigne par son nom d‟origine. 364 JGZ 7. 2; ZZTJ 279. 9103, 282. 9212-9213; XWDS 64. 802; STW 45. 34-35. 365 Le caractère ting dans le nom de Zhao Tingyin se lit parfois 廷 plutôt que 庭.

120 dynastie Liang. Ce qui n‟est guère surprenant puisque l‟un et l‟autre seraient nés à Kaifeng, à l‟époque où Zhu Wen n‟était encore que le gouverneur de la commanderie Xuanwu366. Grâce au Jiuguo zhi, nous pouvons notamment apprendre que Tingyin provenait d‟une famille de fonctionnaires mineurs possiblement en poste au niveau local367. Toutefois, il est difficile de savoir par quelle voie précise il fut recruté et à quel type de fonctions il fut d‟abord affecté. À l‟opposé, dans le cas de Zhiye, bien qu‟ayant aucune indication sur les origines sociales de sa famille, le Jiuguo zhi nous apprend qu‟il fit son entrée à la cour de Kaifeng en tant qu‟officier de palais (gongfeng guan 供奉官)368. Outre ces menus détails, nous savons également qu‟ils furent tous les deux en poste au Hebei à l‟époque où la guerre pour le contrôle de cette région battait son plein entre les Liang et les Jin. Toujours selon le Jiuguo zhi, Tingyin aurait ainsi été un superviseur impérial (dujian 都監) de la dynastie Liang affecté à Xingzhou369. Ce qui devrait nous placer avant 915, année durant laquelle les Jin prirent le contrôle de la majeure partie du Hebei. Quant à Zhiye, à pareille date, il aurait été chargé par Kaifeng de prendre la direction d‟un protectorat (jianhu 監護) situé sur la frontière entre le Hebei et le Hedong370. Toutefois, contrairement à Zhao Jiliang qui était également en poste au Hebei, Zhiye comme Tingyin s‟en retournèrent à Kaifeng après 915 pour y recevoir de nouvelles affectations de la dynastie Liang, au service de laquelle ils demeurèrent pour encore quelques années. Ce serait certainement mentir que de dire que Li Cunxu embaucha Zhao Tingyin et Zhang Zhiye pour leurs aptitudes administratives comme ce fut le cas avec Zhao Jiliang. Bien au contraire, il semblerait plutôt que ce fut parce qu‟ils étaient des soldats d‟expérience et de fins stratèges. Ainsi, une de leur première mission fut de se mettre à la tête de troupes et de prendre part à la reconquête de Shu, où ils allaient par la suite demeurer. Si nous ne saurions détailler l‟ensemble de leurs tâches au cours des premières années d‟occupation, en revanche il est clair que leur principal mandat était alors le maintien de l‟ordre et de la stabilité politique. Ce qui se perçoit amplement

366 JGZ 7. 3, 5; STW 45. 37; ZZTJ 272. 8895; SGCQ 51. 4. 367 JGZ 7. 3. 368 JGZ 7. 5. 369 JGZ 7. 3. 370 JGZ 7. 6. 121 lorsque nous considérons le rôle critique qu‟ils jouèrent dans la répression de la révolte de Kang Yanxiao 康延孝 (mort en 926), également connu sous le nom de Li Shaochen 李紹琛 que lui conféra Li Cunxu en 923371. Comme Tingyin et Zhiye, Yanxiao était un ancien officier de la dynastie Liang qui passa à l‟emploi de Li Cunxu et qui fut envoyé à Shu au sein du corps expéditionnaire. Or, peu après que Zhixiang entra en fonction à Chengdu, frustré d‟être ignoré par la cour pour une nomination à un poste de gouverneur, Yanxiao aurait tenté de soumettre par la force la région à son propre compte afin de se faire lui-même gouverneur du Xichuan372. En vertu de l‟assistance salutaire qu‟ils apportèrent à Zhixiang et à la cour de Luoyang en reprenant le contrôle de préfectures clefs sur lesquelles Yanxiao s‟abattit, Tingyin et Zhiye se virent l‟un et l‟autre confirmés à un poste de préfet. Le premier en tant que préfet de Hanzhou 漢州, le second en tant que préfet de Jianzhou 簡州373. Étant à la tête de préfectures du Xichuan, ceux-ci devaient certes êtres des alliés de Meng Zhixiang, toutefois, nous ne saurions dire s‟ils étaient à proprement parler ses dépendants. En fait, un peu comme le fit jadis la dynastie Liang pour affermir son autorité en province, il semble que la cour de Luoyang chercha alors à contrôler la nomination des préfets et à augmenter leurs pouvoirs dans le but de réduire l‟autonomie des gouverneurs. Ainsi, en 927 aurait été imposé à Suizhou 遂州 un nouveau préfet du nom de Xia Luqi 夏魯奇 (mort en 931)374, tandis qu‟en 929 à Langzhou 閬州 aurait été imposé Li Renju 李仁矩 (mort en 930)375, deux protégés d‟An Chonghui. Selon toute vraisemblance, en envoyant ses clients occuper certaines préfectures stratégiques de la région, ce commissaire du Bureau des affaires militaires aurait ainsi tenté d‟isoler Meng Zhixiang et Dong Zhang pour mieux les limoger. À tout le moins, c‟est ce que semble expliquer les nominations de Yang Hanbin 楊漢賓 (mort en 936) au poste de préfet de Qianzhou 黔州, de Zhang Wen 張溫 à la tête de

371 ZZTJ 272. 8905. 372 ZZTJ 274. 8960-8966; JWDS 74. 967-970; XWDS 44. 485-487. 373 JGZ 7. 4, 6; SGCQ 51. 4, 7. 374 JWDS 38. 531, 70. 928. 375 JWDS 40. 555; ZZTJ 276. 9034. Officiellement, Renju serait devenu gouverneur de la commanderie Baoning 保寧 établie en cette même année 929. Cependant, cette commanderie correspondait grosso modo à l‟ancienne préfecture de Langzhou, à laquelle fut annexée Guozhou 果州. Ainsi, en dépit de son titre, le statut de Renju semblait davantage correspondre à celui de préfet. 122 Yangzhou 洋州 et de An Chongruan 安崇阮 (mort en 944) envoyé d‟abord à Qianzhou, ensuite à Kuizhou 夔州376. En imposant notamment ce dernier comme préfet, nous pouvons clairement y déceler les intentions de Chonghui à l‟endroit de Zhixiang. Ainsi pouvons-nous apprendre que Chongruan fut l‟un de ceux qui, en 889, planifia l‟offensive contre Meng Fangli, l‟oncle de Zhixiang377. Compte tenu de ce contexte, nous comprenons donc pourquoi Meng Zhixiang se plaignit de se voir imposer des préfets, ce qui à ses yeux constituait une atteinte à ses prérogatives378. Ainsi la guerre fut déclenchée! Dans un premier temps, Zhixiang et ses partisans se seraient alliés au camp de Dong Zhang pour vaincre les protégés d‟An Chonghui, lesquels furent secondés par une puissante armée dirigée par le grand général Shi Jingtang, le futur empereur fondateur des Jin postérieurs. Dans un deuxième temps, une fois l‟offensive du Bureau des affaires militaires mise en échec et son président mort, une nouvelle guerre débuta entre Meng Zhixiang et Dong Zhang qui s‟accusaient mutuellement de vouloir subjuguer l‟autre379. En 932 Zhixiang obtint ainsi une cinglante victoire sur Dong Zhang, grâce à laquelle il unifia de nouveau le Xichuan et le Dongchuan pour finalement se proclamer empereur de Shu en 934. De toutes ces batailles, Zhao Tingyin et Zhang Zhiye furent des généraux de premier plan. À l‟image de cette influence martiale prépondérante, suivant la pacification et l‟unification de Shu en 932, ils échangèrent leur titre de préfet pour celui de gouverneur. Ainsi, de 932 à 935 Tingyin fut gouverneur de la commanderie Baoning, tandis que de 935 à 941 il occupa le poste de gouverneur de la commanderie Wude 武德, dont le centre était Zizhou, l‟ancienne capitale provinciale du Dongchuan380. De la même manière, Zhiye fut gouverneur de la commanderie Ningjiang 寧江 de 932 à 934, suite à quoi il devint gouverneur de la commanderie Wuxin 武信 de 934 à 938381. Mais, en dépit de leurs origines obscures, de leurs expériences passées et de leurs titres militaires, les fonctions dont ils étaient

376 JWDS 40. 550. 377 JWDS 90. 1186. 378 JWDS 40. 547. 379 Sur ces événements, voir JWDS 62. 831-834; XWDS 64. 798-802; ZZTJ juan 276- juan 278. 380 JGZ 7. 5; XWDS 64. 802; JWDS 44. 603; ZZTJ 277. 9072, 282. 9220; Zhu Yulong (1997 : 553, 567). 381 JGZ 7. 6; XWDS 64. 802; JWDS 44. 603; ZZTJ 281. 9185; Zhu Yulong (1997 : 560, 584-585). 123 réellement investis après 934 dépassaient de loin le strict cadre de la commanderie et ne se bornaient nullement aux questions militaires. En fait, non seulement ceux-ci ne semblaient plus être en poste dans les commanderies dont ils étaient les gouverneurs, mais aussi étaient-ils concurremment affectés aux plus hautes fonctions civiles de la cour. D‟une part, Tingyin aurait été président du Secrétariat382. D‟autre part, Zhiye aurait été vice-président du Département des affaires d‟État et vice-président du Secrétariat, ce tout en partageant la supervision des Trois agences fiscales avec Zhao Jiliang et Wu Zhaoyi383. Certes, comme ce fut le cas sous les Shu antérieurs, ces derniers titres octroyés à des gouverneurs de commanderie pourraient s‟avérer être des titres honorifiques n‟impliquant pas de responsabilité à la cour. Toutefois, ce n‟est pas l‟opinion de Sima Guang. En effet, celui-ci soutient que depuis l‟instauration du régime en 934, dans plusieurs cas les gouverneurs étaient en poste à Chengdu, d‟où ils dominaient les armées palatines déléguées dans les commanderies par l‟entremise de subalternes députés sur le terrain384. En l‟occurrence, comme nous le constaterons dans la section suivante, il s‟agissait des préfets qui, chacun à l‟intérieur de leur préfecture respective, se partageaient l‟administration des commanderies en vertu des titres qui les liaient aux armées palatines, donc aux gouverneurs en poste à la cour qui étaient semble-t-il les commandants en chef de ces armées. Ainsi, Zhao Tingyin aurait été commandant en chef des troupes de l‟armée palatine Weisheng (Weisheng mabu du zhihui shi 衛聖 馬步都指揮使)385. Il est difficile de savoir quel type d‟éducation Zhao Tingyin et Zhang Zhiye reçurent et en quoi ils se qualifiaient pour occuper des emplois bureaucratiques à la cour. Cependant, nous présumons qu‟ils étaient minimalement instruits et que le seul fait d‟avoir joué un grand rôle militaire dans la fondation de l‟État ne suffit pas à leur valoir des responsabilités administratives à la capitale. Ainsi pouvons-nous nous reporter au contre-exemple que représentait Li Zhao 李肇 (875-945), lui-même un

382 JGZ 7. 5; ZZTJ 282. 9220. 383 ZZTJ 281. 9185, 282. 9212-9213. 384 ZZTJ 282. 9220. 385 ZZTJ 282. 9220; JGZ 7. 5. À propos des nombreux noms donnés aux diverses armées palatines, voir Du Wenyu (2006 : 479-480). 124 ancien de la commanderie Xuanwu ayant grandement contribué à la fondation du régime grâce à ses exploits militaires. Or, sa biographie dans le Jiuguo zhi nous apprend qu‟il était analphabète et que, par conséquent, il ne parvint à obtenir aucun emploi à la capitale386. À défaut d‟avoir des renseignements explicites, certaines informations tendent néanmoins à indiquer que Tingyin était un homme valorisant la culture. D‟une part, le Shu taowu nous informe qu‟il était très proche d‟un dénommé Sun Yanying 孫延應, lequel aurait été directeur de l‟Institut impérial de musique (jiaofang butou 教坊部頭)387. D‟autre part, il s‟avère que le compilateur de la célèbre compilation Parmi les fleurs (Huajian ji 花間集) était son fils, Zhao Chongzuo 趙崇 祚, et que la préface fut rédigé par Ouyang Jiong 歐陽炯, lequel était alors son assistant-administratif (panguan)388. Aussi pertinent soit-il, le cas de Zhao Tingyin ne devait pas être très exceptionnel pour l‟époque, pas plus à la cour de Chengdu qu‟ailleurs. Ainsi pouvons-nous penser à Zhang Gongduo 張公鐸 (883-945), un ancien lieutenant de Meng Zhixiang devenu grand ministre, gouverneur de la commanderie Baoning de 935 à 941 et commandant en chef de l‟armée palatine Bangsheng-Konghe (Bangsheng Konghe du zhihui shi 棒 聖控鶴都指揮使)389. Selon ce que nous apprend le Jiuguo zhi, Gongduo serait né à Taiyuan d‟un père du nom de Zhang Xiang 張項, lequel était un officier de cavalerie de Yizhou 儀州 au Hedong, à la frontière de Xingzhou. Juste avant de se mettre en route vers Shu, apprenons-nous, Gongduo aurait été embauché dans la garde personnelle de Meng Zhixiang, alors que ce dernier était gouverneur de Taiyuan entre 923 et 926. Néanmoins, en dépit de ce à quoi nous pourrions nous attendre, nous

386 JGZ 7. 7. 387 STW 45. 36. 388 Ledit Ouyang Jiong pourrait être une autre personne que le Ouyang Jiong 歐陽迥 que nous avons rencontré plus tôt. Du moins, le Shiguo chunqiu leur accorde deux biographies différentes. Voir SGCQ 52. 14, 56. 2-3. Pour consulter cette préface qui date de 940, voir l‟édition de la dynastie Song publiée sous le titre Song ben Huajian ji 宋本花間集 (Taibei : Yiwen yinshu guan, 1959), ainsi que Lois Fusek, trad., Among the Flowers : The Hua-chien chi (New York : Columbia University Press, 1982). Pour en apprendre davantage sur le contexte de production de cette compilation, voir Anna M. Shields (2006). Selon SGCQ 56. 2, Ouyang Jiong aurait débuté comme académicien de Hanlin et assistant-administratif du gouverneur de la commanderie Wude, lequel en 940 était nul autre que Zhao Tingyin, dont la biographie du Jiuguo zhi nous communique le nom des fils, incluant Chongzuo. 389 JGZ 7. 9-10; ZZTJ 282. 9221. À l‟origine les armées Bangsheng et Konghe formaient deux armées distinctes, lesquelles furent unifiées par Meng Zhixiang, voir Du Wenyu (2006 : 481-482). 125 apprenons également que Gongduo était passionné d‟histoire et de littérature390. Bien qu‟entré tardivement au service de Meng Zhixiang, Sun Hanshao demeure un cas assez représentatif de cette nouvelle élite au contrôle des institutions étatiques de Shu. Ce qui est d‟autant plus formidable dans son cas, c‟est que la découverte d‟une épitaphe dans son tombeau en 1991 permet d‟établir un dossier fort détaillé à son sujet391. Entre autres, nous pouvons apprendre que son grand-père, Sun Fang 孫 昉, était un notable (shijun situ 使君司徒) de Lanzhou 嵐州 au Hedong392. Toutefois, celui qui attire spécialement notre attention est son père, Sun Chongjin 孫 重進, également connu sous le nom de Li Cunjin 李存進, un fils adoptif de Li Keyong qui finit par devenir le gouverneur de la commanderie Zhenwu 振武 (actuelle Mongolie intérieure) après avoir été préfet de diverses préfectures dont Lanzhou393. Selon toute vraisemblance, c‟est à Taiyuan que Hanshao naquit, grandit et reçut son éducation, laquelle comportait notamment le maniement de l‟arc et de l‟épée. Certes, l‟épitaphe ne précise pas si Hanshao reçut un enseignement littéraire. Toutefois ce silence ne peut être interprété comme une preuve du contraire, car il pouvait également s‟agir d‟une évidence qui ne valait pas la peine d‟être précisée. En 900, alors qu‟il était âgé de 16 ans, Hanshao aurait amorcé sa carrière dans la garde personnelle (suishi junjiang 隨使軍將) de Li Keyong, auprès duquel il demeura jusqu‟en 904. Alors, il aurait été nommé assistant commandant de la cavalerie (fu bingma shi 副兵馬使) de l‟armée Dinghai 定海軍, tandis que trois ans plus tard il fut nommé par décret vice-président du Tribunal des censeurs. Au cours des années à venir, alors que la guerre était au paroxysme entre l‟empereur Liang et le prince de Jin, ce fut effectivement au combat qu‟il laissa sa marque et gagna ses galons. Mais il convient également de noter qu‟au fur et à mesure que le vent tournait en faveur de Li Cunxu, Hanshao se vit promouvoir à des responsabilités d‟un autre ordre. Ainsi, en 917 il fut nommé conseiller politique (sanji changshi) et président du Tribunal des censeurs, en 920 commandant en chef des forces protégeant la capitale (laocheng du

390 JGZ 7. 9; STW 45. 37. 391 Chengdu shi bowuguan kaogu dui (1991 : 16, 26). 392 Dans JWDS 53. 717, il est dit à tort que le grand-père de Hanshao se nommait Quan 佺. Par contre, selon JGZ 7. 14, il se nommait effectivement Fang, lequel aurait en fait été préfet de Lanzhou. 393 Voir sa biographie individuelle dans JWDS 53. 717-719. 126 zhihui shi 牢成都指揮使) et vice-président du Ministère de la guerre (bingbu shangshu), en 926 vice-président du Département des affaires d‟État (shangshu puye) et préfet de Caizhou dans la commanderie Zhongwu. En ce qui nous concerne, le point tournant de la carrière de Hanshao survint en 931 lorsqu‟il fut nommé commandant en chef des troupes d‟infanterie faisant route vers l‟Ouest (ximian xingying bujun du zhihui shi 西面行營步軍都指揮使). Selon toute vraisemblance, Hanshao aurait été désigné par Meng Hanqiong pour conduire un corps expéditionnaire devant permettre d‟endiguer Meng Zhixiang. Ainsi, tout en étant vice-commandant des troupes impériales du front ouest postées dans la province du Shannan, en 932 il fut nommé par la cour gouverneur de la commanderie Zhaowu 昭 武 à Lizhou, tandis qu‟en 933 il fut transféré à la tête de la commanderie Wuding 武 定 à Yuanzhou 源州. Au cours de ces deux années, il aurait été sous la supervision du gouverneur de Fengxiang 鳳翔, Li Congke 李從珂, (885-936), c‟est-à-dire le dernier empereur des Tang postérieurs Tang Modi 唐末帝 (934-936). À propos de ce dernier, l‟épitaphe nous révèle explicitement le motif ultime ayant incité Hanshao à passer dans le camp de Zhixiang, un motif qui pourrait d‟ailleurs être une des causes à l‟origine de la proclamation du Royaume de Shu postérieur. Ainsi, nous dit-on, Hanshao entendait continuer d‟assister la maison impériale en demeurant loyal au successeur de Tang Mingzong, Li Conghou 李從厚 (914-934), que nous connaissons sous le nom de Tang Minzong 唐閔宗. Toutefois, il n‟entendait pas soutenir Li Congke, lequel aurait planifié à partir de Fengxiang l‟exécution de Minzong devant lui permettre d‟usurper le trône pour ce faire empereur. Dans ce contexte, lui et le gouverneur du Shannan, un autre ancien de la garde de Li Keyong du nom de Zhang Qianzhao 張虔釗 (882-948)394, choisirent de prêter allégeance à Meng Zhixiang, lequel fut proclamé empereur de Shu peu après. Il est également à noter que ce fut suite à ce changement d‟allégeance que le Shannan fut annexé au

394 Le tombeau de Qianzhao fut également découvert à Chengdu en 1977. Une épitaphe mutilée fut également exhumée. Bien que dans un état acceptable, la qualité de l‟impression de l‟estampille publiée dans le rapport d‟excavation est de trop piètre qualité pour être utilisée à l‟heure actuelle. Voir Chengdu shi wenwu guanli chu 成都市文物管理處, « Chengdu shi dongjiao Hou-Shu Zhang Qianzhao mu » 成都市東郊後蜀張虔釗墓, Wenwu 文物 1982. 3, pp. 21-27. Voir ses biographies dans JWDS 74. 973-974; JGZ 7. 10-11. 127 Royaume de Shu, une zone frontalière dont la défense incomba à Qianzhao, lequel s‟acquitta avec honneur de sa tâche. À son arrivée à Chengdu, Sun Hanshao se vit aussitôt offrir de nombreux titres, dont ceux de grand ministre et gouverneur de la commanderie Yongping 永平. En fait, de la mort de Zhixiang à sa propre mort en 955, Hanshao fut lui aussi appelé à jouer un grand rôle à la cour et contribua à assurer une stabilité politique au royaume. Mise à part le fait qu‟il fut gouverneur de quatre commanderies différentes, il fut notamment président du Secrétariat et commandant en chef de l‟armée palatine Kuangsheng (Kuangsheng mabu jun du zhihui shi 匡聖馬步軍都指揮使). Ainsi, une analyse prosopographique de la première génération de grands ministres à la cour des Shu postérieurs révèle d‟importants changements par rapport aux Shu antérieurs. Au premier chef, nous avons eu l‟occasion de constater que plusieurs grands ministres en poste à Chengdu étaient simultanément gouverneurs de commanderie. Toutefois, étant le plus souvent absents des commanderies, ces gouverneurs auraient exercé leur autorité en s‟appuyant sur les armées palatines. En second lieu, nous avons également été en mesure d‟observer que la composition sociale de la cour avait été chamboulée. Ainsi était-il désormais difficile de trouver parmi les grands ministres des descendants de grands clans originaires de Chang‟an. En fait, nous avons plutôt découvert que les grands ministres étaient en général soit des provinciaux, soit des natifs de l‟une des deux nouvelles capitales qu‟étaient alors Kaifeng et Taiyuan. De plus, nous avons par la même occasion été amené à constater que les parents de ceux-ci étaient soit des militaires, soit des petits fonctionnaires de province. Ainsi, à notre grande surprise, contrairement à la dynastie Jin qui dominait le Nord au même moment, parmi les grands ministres auxquels nous nous sommes intéressés, aucun n‟aurait été fils de marchand et aucun n‟aurait obtenu un degré jinshi. Du moins, nous n‟en trouvons aucune mention. Parmi ceux que nous avons discutés, tous amorcèrent leur carrière au service de gouverneurs militaires pour lesquels ils assumèrent diverses responsabilités. Mais malgré le fait qu‟ils avaient pour la plupart été soldat à un moment de leur vie, leurs champs de compétence semblaient de loin excéder la seule maîtrise des armes. De telle sorte que si plusieurs grands ministres

128 étaient des hauts-gradés de l‟armée, tous les hauts-gradés de l‟armée n‟étaient évidemment pas en mesure de prétendre à de tels honneurs. Car, en effet, l‟un des préalables incontournable semblait demeurer l‟expertise. Par ailleurs, nous ne voudrions pas induire le lecteur en erreur en disant que seuls des militaires détenaient le pouvoir politique, ce qui serait faux. Par exemple, le grand ministre Wu Zhaoyi, un ancien secrétaire (zhang shuji 掌書記) de Zhixiang originaire de Longmen 龍門 (Luoyang), est dépeint dans le Shiguo chunqiu comme un pur érudit n‟ayant jamais été au combat395.

3. 2 Le développement des préfectures Sous les Shu antérieurs, nous avons constaté une très nette dissociation entre les gouverneurs de commanderie et les ministres en poste à la cour. De la même manière, il était également très commode de discerner les militaires et les bureaucrates, lesquels apparaissaient comme deux catégories distinctes. À l‟opposé, sous les Shu postérieurs une telle différenciation semble surannée, en ce sens que militaires et bureaucrates se confondent trop facilement. Ainsi, non seulement les gouverneurs de commanderie semblaient désormais en poste à la cour, mais ils étaient également parmi ceux qui occupaient les plus hautes fonctions. Dans ce contexte, il apparait également que l‟unité politique et administrative de base dans les relations entre la cour et les régions n‟était plus la commanderie, mais bien la préfecture. De sorte que les véritables représentants de l‟autorité hors de la capitale n‟étaient plus les gouverneurs, mais bien les préfets. Toutefois, bien que titulaires de titres militaires, dans les faits ceux-ci ne semblaient plus à même d‟exercer une trop grande autorité martiale, puisque l‟étendue du territoire sur lequel ils avaient juridiction était considérablement réduite. Enfin, ce fut certainement en augmentant le nombre de subdivisions administratives que la cour parvint à centraliser le contrôle des forces armées régionales en les annexant aux armées palatines. L‟émergence des préfets, la hausse de leurs responsabilités et la valorisation de leur statut se laissent percevoir à la lecture de l‟épitaphe d‟un dénommé Xu Duo 徐鐸

395 SGCQ 52. 3-4. 129 (888-951), lequel nous serait toujours inconnu si son tombeau n‟avait pas été découvert à Chengdu en 1985396. Selon l‟épitaphe, son arrière grand-père, Chengzhao 承肇, aurait été un mandataire du Ministère de la justice (xingbu shangshu 刑部尚書) et un attaché militaire (yaya 押衙) de Zhenzhou 鎮州 (Hebei), tandis que son grand-père, Lingzhao 令釗, aurait été un recteur du Directoire de l‟éducation (guozi jijiu 國子祭酒) et un superviseur des armées indigènes et aborigènes (tuke mabu shi 土客馬步使) de Zhenzhou. Quant à son père, Youde 宥德, il aurait été un mandataire du Ministère des travaux (gongbu shangshu 工部尚書) et un assistant-administratif (biejia 別駕) en poste à Zizhou. Toutefois, si tel était le cas, nous aimerions bien savoir à quel moment précis, ce que l‟épitaphe ne dit pas, tandis qu‟aucune autre source à notre disposition ne mentionne ce dernier. Était-ce sous les Shu antérieurs, ou à l‟époque où Dong Zhang y était en poste? La seconde option apparait certainement être la plus vraisemblable si nous considérons que l‟épitaphe débute son récit de la vie de Xu Duo à partir de 923, alors qu‟il servait dans la garde impériale de Tang Zhuangzong. Il est donc improbable que son père fut en poste à Shu avant 923. Selon son épitaphe, ce fut après la mort de Zhuangzong (926) que Xu Duo fut envoyé au Xichuan à titre de censeur impérial d‟investigation (jiancha yushi 監察御史). Pourtant, en dépit de ses responsabilités initiales, lesquelles ne sont pas explicites, il se trouva rapidement au sein des armées de Meng Zhixiang engagées dans la guerre contre Dong Zhang. Il serait donc invraisemblable que Xu Duo et son père furent à l‟emploi de Dong Zhang. Mais admettons qu‟il en fut ainsi et que le rédacteur de l‟épitaphe ait cherché à dissimuler ce détail pour ne pas souiller la réputation de l‟intéressé, alors pourquoi préciserait-il que Youde était en poste à Zizhou? Il est donc plus sage d‟assumer que Xu Youde fut un allié de Meng Zhixiang affecté à Zizhou après que le Dongchuan fut annexé au Xichuan en 932. Quant à Xu Duo, comme plusieurs lieutenants ayant pris part à la lutte, il se serait vu octroyer un poste de préfet qui le conduisit d‟abord à Puzhou 普州 (932-935) dans la commanderie Wuxin, ensuite à Yuzhou 渝州 (935-938) dans la même commanderie.

396 Voir Mao Qiuxue 毛求學, Wang Liming 王黎明, « Chengdu Wufenggang guanchang faxian Wudai Hou-Shu mu » 成都無縫鋼管厰發現五代後蜀墓, Sichuan wenwu 四川文物 1991. 3, p. 62.

130 En théorie, il aurait donc dû dépendre d‟un gouverneur établi à Suizhou 遂州, le chef-lieu de la commanderie. Or, les deux gouverneurs de la commanderie qu‟il dut connaître étaient vraisemblablement en poste ni à Suizhou, ni ailleurs dans la commanderie. Certes, Li Renhan 李仁罕 (872-934) aurait occupé Suizhou entre 931 et 933, toutefois à ce moment il n‟y était vraisemblablement que député-militaire (bingma liuhou 兵馬留後) et son autorité ne semblait pas excéder la préfecture même de Suizhou397. Et si en 934 il portait effectivement le titre de gouverneur, comme le soutient Sima Guang, en revanche il ne se trouvait probablement plus dans la commanderie puisqu‟il avait été concurremment nommé à la cour superviseur des Six armées impériales (pan liujun shi 判六軍事)398. Enfin, après que Renhan fut accusé de complot et exécuté quelques mois plus tard, Zhang Zhiye devint à son tour gouverneur de la commanderie tout en étant grand ministre à la cour399. En étudiant les autres titres dont Xu Duo était titulaire, nous pouvons en fait comprendre que celui-ci relevait directement de la cour et tenait son autorité en vertu de sa liaison avec les armées palatines. Ainsi, lorsqu‟il entra en fonction à Puzhou, celui-ci le fit non seulement en tant que préfet, mais également en tant que commandant d‟une division de l‟armée Xuanwei 宣威. De plus, il aurait au même moment été mandataire du Ministère des travaux (gongbu shangshu) et du Ministère de la guerre (bingbu shangshu), ce qui en théorie devait faire de lui un employé du Département des affaires d‟État. Ce qui est d‟autant plus vraisemblable qu‟au moment d‟être muté à Yuzhou, il eut une promotion qui fit de lui un vice-président du Département des affaires d‟État. Enfin, ce n‟est qu‟à partir de ce moment que l‟épitaphe précise qu‟à titre de préfet, il avait droit de regard sur toutes les affaires militaires de la préfecture. De 938 à sa mort en 951, il occupa le poste de préfet dans encore deux autres

397 Selon JGZ 7. 8, en 931, Li Renhan aurait été chargé de conduire ses troupes vers Suizhou et de prendre possession des lieux, après quoi il y fut nommé député-militaire. Selon JWDS 44. 603, jusqu‟en 933 il n‟aurait été que député-militaire de Suizhou et superviseur (zhi 知) de la commanderie Wuxin, tandis qu‟en 933 il aurait été promu gouverneur (jiedu shi) de Suizhou. Toutefois, notons que Renhan n‟est toujours pas désigné comme étant gouverneur de commanderie, il apparaît plutôt comme le gouverneur d‟une préfecture, ce qui ne le distingue fondamentalement pas d‟un préfet. 398 ZZTJ 279. 9123; JGZ 7. 8. 399 JGZ 7. 6; ZZTJ 281. 9185. 131 préfectures tout en étant constamment rattaché au Département des affaires d‟État et aux armées palatines. Au terme de son mandat à Yuzhou en 938, il fut d‟abord rappelé à la cour pour y recevoir la confirmation de son titre de vice-président du Département des affaires d‟État, y être nommé au poste de commandant-adjoint (zhihui fushi 指揮 副使) de l‟armée palatine Kuangsheng et y accepter une affectation dans la préfecture de Quzhou 渠州, où il fut préfet de 939 à 943. Xu Duo aurait donc dû être sous l‟autorité du gouverneur de la commanderie Baoning dont le chef-lieu était Langzhou. Or, depuis 935 le gouverneur de cette commanderie était le grand ministre Zhang Gongduo, lequel fut remplacé en 941 par un simple superviseur et conseiller impérial (sanji changshi) du nom de Liu Yingtu 劉英圖400. En fait, Xu Duo ne dépendait pas du tout de Langzhou, mais bien de la cour de Chengdu qui lui confia le plein contrôle des affaires militaires de Quzhou. Il en fut également de même entre 943 et 947 alors qu‟il était préfet de Meizhou dans la commanderie Yongping, dont le gouverneur n‟était qu‟un eunuque et officier de palais du nom de Tian Jingquan 田敬全401. Au cours de ces années durant lesquelles l‟importance des préfectures prit de nouvelles proportions, le prestige des préfets en sortit grandi. Ainsi, en 944, Xu Duo fut l‟objet d‟un anoblissement par la cour qui l‟intronisa Grand maître de l‟ordre du ruban mauve argenté (jinzi guanglu daifu 金紫光祿大夫), Baron fondateur du comté de Gaoping (Gaoping xian kaiguo nan 高平縣開國男) et Fondateur solennel d‟une illustre et noble famille (rongwang zhong shijia yonglong zongzu 榮望重世家永隆宗 祖). Toutefois, sa carrière ne s‟arrêta pas là et il continua de recevoir des affectations de la cour. Notamment, en 950, il fut affecté à la commanderie Ningjiang dans le secteur des Trois gorges en tant que fonctionnaire de l‟intérieur et commandant en chef des armées frontalières. L‟année suivante, il reçut une nouvelle affectation devant l‟envoyer prendre la direction de la préfecture de Pengzhou 彭州, toutefois il décéda à 63 ans sans même avoir le temps de quitter l‟armée Ningjiang. Son décès est une autre occasion de constater l‟étroite association qui unissait ce préfet à la capitale et la notoriété qu‟il y jouissait. Ainsi, sa dépouille fut rapatriée vers Chengdu pour y être

400 JGZ 7. 9; ZZTJ 282. 9221. 401 ZZTJ 283. 9243. 132 inhumée dans un tombeau majestueux selon les rites funéraires appropriés. Malheureusement, l‟état actuel des sources ne permet pas de constituer des dossiers aussi détaillés pour les autres préfets contemporains de Xu Duo. Néanmoins, grâce aux informations que nous avons pu tirer de son épitaphe, il est tout de même possible de reconsidérer quelques détails renfermés dans certaines biographies individuelles et de voir s‟il est possible d‟identifier un nombre de caractéristiques communes aux autres préfets du Royaume de Shu postérieur. Quatre notices biographiques issues du Jiuguo zhi ont particulièrement retenu notre attention en raison du fait qu‟elles se rapportent à des individus ayant été préfet durant la majeure partie de leur carrière. Il s‟agit de dénommés Zhao Jin 趙進 (893-954), Shi Chuwen 石處溫, Meng Sigong 孟思恭 (885-957) et Shen Gui 申貴. Zhao Jin serait un natif de Dingzhou 定州 (Hebei) qui, probablement après que la principauté de Jin ait conquis le Hebei (915), amorça sa carrière comme archiviste (ji 籍) dans la commanderie Tianxiong. En 926, en raison de ses succès au combat, il aurait notamment été nommé préfet de Beizhou 貝州 et commandant de la garnison (yanei zhihui shi 衙内指揮使) de la capitale provinciale de Ye (Weizhou). Toutefois, environ un an plus tard, il fut envoyé au Xichuan par la cour de Luoyang afin d‟y être préfet de Yazhou, ce qui aurait enragé Meng Zhixiang frustré de se voir imposer un préfet. Néanmoins, grâce à la médiation de Zhao Jiliang, qui connaissait peut-être déjà Zhao Jin du temps où lui-même était en poste dans la commanderie Tianxiong, Zhixiang finit par accepter sa nomination. Ce qui ne s‟avéra manifestement pas trop nuisible puisqu‟il demeura loyal à Zhixiang à l‟occasion de tous les conflits et qu‟il servit le royaume jusqu‟à sa mort à l‟âge de 61 ans. Ainsi, suite à l‟avènement de Meng Chang, à titre de commandant de l‟armée palatine Kuangsheng, il aurait été successivement préfet des préfectures de Zhongzhou 忠州(commanderie Ningjiang), Fengzhou 鳳州 (commanderie Xiongwu 雄武), Qiongzhou 邛州 (commanderie Yongping) et Puzhou (commanderie Wuxin)402. Shi Chuwen serait quant à lui né à Shu dans la préfecture de Wanzhou 萬州 (commanderie Ningjiang). Ainsi fut-il d‟abord employé par les Shu antérieurs à un

402 JGZ 7. 20-21. 133 poste d‟administrateur militaire (sima) dans la préfecture de Lizhou, le chef-lieu de la commanderie Zhaowu. Par contre, à l‟arrivée de Meng Zhixiang au Xichuan, il serait retourné dans sa préfecture natale pour y assumer les responsabilités de fonctionnaire de l‟intérieur et y commander les milices, tandis qu‟après l‟ascension de Meng Chang, il fut nommé préfet de Jiangzhou 獎州403. Là-bas, selon le Jiuguo zhi, il aurait été très actif dans la vie sociale et économique, notamment par son implication dans le forage de puits et l‟accumulation de grains, dont il céda une bonne partie devant constituer les réserves alimentaires de l‟armée, sans parler des joyaux envoyés en tribut, ce qui lui mérita le titre de ministre des travaux (sikong). Peu après, il fut de nouveau en poste à Wanzhou, cette fois-ci en tant que préfet, suite à quoi il fut transféré dans la préfecture de Jianzhou 簡州, à une cinquantaine de kilomètres de Chengdu404. Pour sa part, Meng Sigong était originaire de Xuzhou, où son père aurait connu Wang Jian en qualité de gardien de prison dans les années 870. À la chute de la dynastie Tang, il aurait ainsi suivit son père à Shu, lequel fut d‟abord préfet de Jianzhou, ensuite capitaine de milice (tuanlian shi) à Hanzhou. Selon le Jiuguo zhi, apparemment en raison de sa culture littéraire et de ses aptitudes militaires, Sigong aurait été un favori de Wang Jian, lequel lui donna une de ses filles en mariage. Toutefois, pour des raisons qui nous sont inconnues, au moment où Wang Yan hérita du trône, il aurait été muté sur les marches du royaume en tant que commandant de l‟armée de route du Nord (beilu xingying du zhihui shi 北路行營都指揮使). Ainsi, Sigong fit fort possiblement parti des armées engagées dans la défense de Shu contre les forces d‟invasion des Tang postérieurs, avant d‟être vaincu et intégré à celles-ci. Après 926, il fit donc parti des rangs à la disposition de Meng Zhixiang, et comme tel il fut engagé au combat contre Dong Zhang, vraisemblablement en tant qu‟adjudant de Zhao Tingyin. Lorsque Meng Chang succéda à son père, il aurait d‟abord été nommé commandant de l‟armée palatine Xiongyi 雄義 en garnison à Zizhou, chef-lieu de la commanderie Wude dont Tingyin était gouverneur. Par la suite, étant investi du titre

403 Nous ne parvenons pas à identifier une préfecture du nom de Jiangzhou à l‟intérieur des frontières du Royaume de Shu. La seule préfecture de ce nom que nous connaissons à cette époque se trouve au sud de Shu, dans le Royaume de Chu 楚. Il se pourrait donc que le caractère « Jiang » tel qu‟écrit dans le Jiuguo zhi soit corrompu. 404 JGZ 7. 21-22. 134 de commandant de l‟armée palatine Feizhao 飛棹, Sigong fut notamment préfet des préfectures de Jianzhou 劍州 (commanderie Wude) et Zhongzhou405. Enfin, Shen Gui était originaire de Luzhou dans le Sud du Hedong, aux frontières du Hebei. Il aurait débuté sa carrière comme aide de camp de Li Yanke, l‟un des principaux généraux engagés dans la guerre contre la dynastie Liang qu‟il contribua à renverser avant de devenir préfet de Weizhou 衛州 (Hebei), légèrement au sud-est de Luzhou406. Vraisemblablement, il se pourrait que Shen Gui se rendit à Fengxiang en 926 lorsque Yanke y fut nommé gouverneur. Toutefois, à un moment situé entre 926 et 930, Shen Gui aurait choisi de passer au service de Meng Zhixiang qui lui conféra un poste de commandement. Sous le règne de Meng Chang, en plus d‟avoir été commandant de l‟armée palatine Weisheng, il aurait été préfet des préfectures de Changzhou 昌州, Yuzhou 渝州, Wenzhou 文州 (commanderie Tianxiong) et Meizhou. Selon le Jiuguo zhi, dans le cadre de ses fonctions de préfet, il aurait entre autres été accusé de pratiquer l‟extorsion fiscale, d‟infliger des mauvais traitements aux sujets sous son autorité et de libérer des gens de prison contre rançons407. En comparant les données recueillies sur cinq préfets discutés, tâchons de tenter une brève synthèse. Premièrement, nous avons non seulement constaté que parmi lesdits préfets tous émergèrent d‟un contexte provincial, mais également que les natifs du Nord-est semblaient prédominants. Rappelons ainsi qu‟il s‟agissait d‟individus ayant soit fait l‟expérience de la dynastie Liang ou de la principauté de Jin, deux régimes sous lesquels les préfets s‟imposèrent très tôt comme les principales figures d‟autorité. Toutefois, bien que moins bien représentés dans les sources, comme l‟illustre le cas de Shi Chuwen, nous devons certainement reconnaître que le nouvel État ne pouvait se dispenser de recruter des préfets parmi les élites indigènes, lesquelles pouvaient sans doute mobiliser plus efficacement nombre de ressources indispensables. Deuxièmement, tous les préfets analysés avaient préalablement des expériences liées à l‟armée, et tous, à l‟exception de Shi Chuwen, étaient attachés aux armées

405 JGZ 7. 22. 406 JWDS 46. 626. 407 JGZ 7. 22-23. 135 palatines dans le cadre de leurs fonctions. Cependant, il ne semble pas que les compétences dont ils firent l‟acquisition par le passé se limitaient à la conduite de la guerre. Rappelons par exemple que Zhao Jin avait été un archiviste militaire, Xu Duo un censeur d‟investigation et Shi Chuwen un administrateur militaire. De la même manière, à titre de préfets, ceux-ci ne devaient pas avoir que des responsabilités liées à la sécurité locale. Ainsi, les cas de Shen Gui et Shi Chuwen nous ont clairement révélé que les préfets étaient chargés de faire rentrer les impôts, ce tout en jouant un rôle crucial dans la vie économique et en organisant certaines exploitations. Enfin, nous avons également vu qu‟il s‟agissait d‟individus ayant été préfet dans plusieurs préfectures souvent séparées par des distances considérables et appartenant à des commanderies différentes. Ce qui tend à démontrer que la cour contrôlait les nominations. Certes, de manière à remplir leurs diverses obligations, les préfets devaient êtres investis de pouvoirs étendus et ainsi disposer de pouvoirs judiciaires. Ainsi Shen Gui pouvait de son propre chef faire arrêter et libérer des gens. Toutefois, si leurs pouvoirs étaient considérables, ceux-ci n‟étaient pas pour autant illimités et la cour avait les moyens de les surveiller et de les faire condamner pour des abus de pouvoir. Ce qui fut notamment le cas pour Shen Gui, lequel, après avoir été incriminé, paya de sa vie pour ses forfaits.

3. 3 Une bureaucratie renouvelée, un État transformé L‟influence de la première génération de ministres et d‟officiers du Royaume de Shu postérieur fut à n‟en point douter extrêmement profonde. De telle sorte qu‟au moment où les derniers d‟entre eux rendirent l‟âme, les structures étatiques étaient devenues méconnaissables par rapport à ce quelles étaient en 925. Notamment, on assista à l‟émergence d‟un État dominé par une nouvelle classe de bureaucrates professionnels n‟ayant jamais été à l‟emploi de l‟armée, au nombre desquels des natifs de Shu commencèrent à occuper une place considérable. En fait, comme nous le démontrerons, un des corollaires d‟une telle évolution avait été la pénétration accrue de l‟État dans les sociétés locales grâce au développement des préfectures comme unités politico-administratives de base. C‟est-à-dire que, dans son effort de

136 centralisation, la cour dut doter les préfectures d‟une organisation administrative plus vaste et plus complexe, ce qui augmenta les besoins en personnel qualifié. Dans ce contexte, on vit ainsi se mettre en place un système d‟examens de sélection bureaucratique soutenu par un système d‟éducation plus ample que par le passé. La tendance à la professionnalisation bureaucratique se fit davantage sentir lorsqu‟une nouvelle génération de grands ministres prit la direction des affaires d‟État à la cour vers la fin des années 940. Parmi les plus connus, mentionnons notamment Li Hao, lequel comptait déjà plus de trente années d‟expérience bureaucratique quand il devint vice-président de la Chancellerie impériale et président du Ministère des finances en 948408. Deux autres cas tout aussi révélateurs auxquels nous pouvons penser sont Fan Renshu 范仁恕 et Xu Guangpu 徐光溥. Le premier aurait entre autres servi une dizaine d‟années la cour de Meng Chang en tant que vice-président du Tribunal des censeurs avant de devenir vice-président du Secrétariat impérial et président du Ministère des fonctionnaires en 952409. Quant au second, il était un lettré originaire de Shu qui débuta sa carrière sous Meng Zhixiang comme assistant superviseur (guancha panguan), suite à quoi il devint académicien de Hanlin, vice-président du Ministère de la guerre et finalement, en 948, vice-président du Secrétariat impérial et président du Ministère des rites410. Ainsi sommes-nous en présence de trois grands ministres n‟ayant apparemment jamais été au combat et dont les vocations semblaient exclusivement liées aux lettres et aux métiers administratifs. Enfin, notons qu‟au moins l‟un d‟eux était natif de Shu. En fait, il semblait y avoir un effet de causalité entre la présence accrue de l‟État dans des zones de plus en plus reculées et l‟augmentation significative à la cour de fonctionnaires nés dans de tels endroits. Prenons par exemple Xing Yinxun 幸寅遜, lequel aurait débuté sa carrière sous Meng Chang comme intendant de grenier (canjun)

408 ZZTJ 288. 9395; SS 479. 13890-13893; SGCQ 52. 10. Li Hao était apparemment un des rares descendants de grands clans aristocratiques originaires de Chang‟an qui parvint à se maintenir dans la bureaucratie durant toute la période et dont les propres descendants réussirent également à se perpétuer dans la bureaucratie. D‟ailleurs, il fut un des rares à vivre suffisamment longtemps pour connaître de son vivant la dynastie Tang et la dynastie Song. Toutefois, nous ne croyons pas que son statut élevé continuait de justifier par son appartenance à un grand clan. Voir David G. Johnson (1977 b : 71-72). 409 ZZTJ 290. 9463; STW 45. 38; SGCQ 52. 14. 410 ZZTJ 288. 9395; SGCQ 52. 12-13. 137 dans la préfecture de Maozhou, suite à quoi il fut embauché à la cour où il occupa de nombreuses fonctions. Notamment, il aurait été directeur du Bureau de surveillance des portes de la capitale (simen langzhong 司門郎中), secrétaire au Secrétariat impérial chargé de la rédaction des édits impériaux (zhizhigao 知制誥), secrétaire de la Chancellerie et employé du Bureau d‟historiographie (shiguan xiuzhuan 史館修撰) affecté à la compilation de L’histoire des Shu antérieurs (Qian-Shu shu 前蜀書)411. Or, un fait intéressant dans le cas de Yinxun est qu‟il provenait d‟un endroit nommé Yun‟an jian 雲安監 dans la préfecture de Kuizhou, à plus de cinq cent kilomètres à l‟est de Chengdu et Maozhou412. Comme le suffixe jian l‟indique, son foyer natal se serait donc situé dans une zone minière dont les intérêts économiques requéraient une présence étatique et administrative particulière. Or, il semblerait effectivement que Yun‟an était alors sujet à un strict encadrement de la cour. Ainsi savons-nous que cette enclave eut très tôt à sa tête un commissaire à l‟exploitation du sel nommé par la cour dont le nom était Yi Shenzheng 伊審徴 (914-988)413, lequel aurait été succédé en 951 par Wu Shousu 毋守素 (921-973), le fils de Wu Zhaoyi414. Le cas particulier de Xing Yinxun et Yun‟an attesterait donc d‟une importante mobilité géographique chez certaines élites indigènes et d‟un degré d‟intégration de certaines zones frontalières du royaume supérieur à ce que pensait Richard von Glahn415. Outre une plus grande visibilité des préfets et des préfectures dans les sources, l‟expansion spatiotemporelle de la bureaucratie semble également se laisser percevoir dans une diversification des postes et une plus grande répartition des tâches au sein des administrations. Par exemple, l‟épitaphe de Xu Duo nous apprend que cinq de ses fils étaient des employés administratifs subalternes travaillant dans cinq préfectures différentes416. De plus, un autre indicateur de la croissance des infrastructures est le fait que les gouverneurs de commanderie, déjà retenus par leurs responsabilités à la

411 SGCQ 54. 1-3; SS 479. 13889. À titre d‟employé du Bureau d‟historiographie, Xing Yinxun aurait été sous la direction de Li Hao, le responsable du projet de compilation de L’histoire des Shu antérieurs. Voir Anna M. Shields (2006 : 73). 412 SGCQ 54. 1. 413 ZZTJ 290. 9460; SGCQ 55. 5; SS 479. 13884. 414 SS 479. 13893. 415 Richard von Glahn (1987 : 52-53, 66-67). 416 Mao Qiuxue, Wang Liming (1991: 62). 138 cour, durent semble-t-il embaucher des assistants se chargeant spécialement pour eux de superviser les préfectures. Ainsi, l‟épitaphe de Sun Hanshao fut rédigée par un dénommé Wang Yi 王乂, lequel était son commissaire adjoint (zhishi 支使) de l‟administration civile (menli 門吏) agissant comme inspecteur régional (anyu shi 按 御史) des préfectures de Suizhou, Hezhou, Yuzhou, Luzhou et Changzhou, autrement dit les cinq préfectures majeures de la commanderie Wuxin dont Hanshao était le gouverneur au moment de son décès en 955417. Sous les Shu postérieurs, le renforcement des structures bureaucratiques semblait en grande partie reposer sur la mise en place d‟un réseau d‟enseignement plus ouvert et l‟efficience d‟un système de recrutement pluri local fondé sur les examens. Ainsi est-il presque irréfutable que la cour de Chengdu ait cherché à établir à large échelle des écoles à travers le royaume, il ne nous reste qu‟à déterminer dans quelle mesure elle y parvint. Sima Guang nous informe notamment que Wu Zhaoyi apporta son soutien à un projet d‟inscription sur pierre de nombreux textes classiques destinés à être exposés devant des écoles418. Juste sur la base du Zizhi tongjian, il est certes difficile de savoir si oui ou non de telles inscriptions étaient promises uniquement à des écoles de la capitale. En revanche, le Shiguo chunqiu précise explicitement qu‟elles étaient également préparées pour les districts de commanderies (junxian 郡 縣)419. Néanmoins, l‟important est que nous détenons des preuves matérielles permettant de corroborer les dires de ces deux sources. D‟une part, après 965, ces stèles suscitèrent rapidement l‟intérêt de collectionneurs et classicistes de la dynastie Song qui en produisirent des estampilles, dont quelques-unes subsistent toujours. D‟autre part, six fragments des stèles originales sont aujourd‟hui entreposés au Musée provincial du Sichuan420. Bien que ces six fragments furent tous découverts à Chengdu, rien ne nous dit que les stèles n‟étaient pas à l‟origine réparties plus largement à travers le royaume. Le Shiguo chunqiu nous dit notamment que le

417 Chengdu shi bowuguan kaogu dui (1991: 26). 418 ZZTJ 291. 9495. 419 SGCQ 49. 20. 420 Voir Zhou Esheng 周萼生, « Jindai chutu de Shu shijing canshi » 近代出土的蜀石經殘石, Wenwu 文物 1963. 7, pp, 46-50; Xu Senyu 徐森玉, « Shu shijing he Bei-Song er ti shijing » 蜀石經 和北宋二体石經, Wenwu 文物 1962. 1, pp. 9-11.

139 commanditaire d‟une gravure du Er ya 爾雅 du nom de Zhang Dezhao 張德昭 était alors magistrat à Pingquan 平泉 dans la préfecture de Jianzhou 簡州421. Quant à lui, Cao Xuequan 曹學佺 (1574-1647) disait avoir fait la découverte dans un établissement de Hezhou de quelques fragments d‟une inscription du Li ji 禮記 datant du règne de Meng Chang422. De plus, nous devons également garder à l‟esprit que toutes les écoles n‟employaient pas forcément de telles stèles comme support didactique, par conséquent elles ne peuvent à elles seules servir de guide pour calculer le nombre d‟écoles que comptait alors le royaume. Enfin, nous avons de bonnes raisons de croire que, déjà durant cette période, le Royaume de Shu disposait d‟un système d‟examens de sélection bureaucratique. Ainsi savons-nous qu‟un natif de Shu du nom de Yang Jiuling 楊九齡 assembla une compilation d‟essais rédigés par des candidats à l‟occasion d‟examens de recrutement tenus à Shu sous le titre de Shu guitang bianshi 蜀桂堂編事423. Certes, cette anthologie qui nous aurait été salutaire n‟est désormais plus accessible, toutefois elle faisait parti de la bibliothèque impériale de la dynastie Song et était possiblement toujours existante au XVIIe siècle, lorsque Wu Renchen écrivit son ouvrage424. Bien sûr, peu de traces concernant les candidats ayant intégré la bureaucratie de Shu par la voie des examens subsistent encore dans les sources, de sorte qu‟il est difficile de dépasser le niveau des généralités pour apprécier pleinement l‟importance du phénomène. À tout le moins, cependant, le Shiguo chunqiu présente trois individus qui auraient obtenu un degré jinshi sous Meng Chang. D‟abord, nous trouvons un certain Gou Zhongzheng 句中正 originaire de Chengdu, lequel fut admit comme étudiant de l‟Académie Chongwen 崇文舘 entre 934 et 938, d‟où il obtint son degré jinshi425. Toutefois, nous ne connaissons pas très bien les responsabilités auxquelles il fut affecté par la suite. Tout ce qui nous est dit est qu‟il collabora avec Wu Zhaoyi dans la réalisation d‟une compilation littéraire et qu‟après 965 il passa au service de la dynastie Song en acceptant un poste au Hebei, à la frontière de l‟empire Liao. Nous

421 SGCQ 49. 19. 422 Shijing kaoyi 石經考異 2. 10. 423 SGCQ 56. 7. 424 SS 203. 5116; Anna M. Shields (2006 : 86). 425 SGCQ 56. 4-5. 140 trouvons également Wang Zhu 王著, le fils d‟un préfet de Yazhou du nom de Wang Bi 王賁 qui obtint son degré jinshi avant de devenir préposé aux registres (zhubu 主 簿) à Longping 隆平426. Troisièmement, mentionnons un certain Bian Zhen 卞震, également originaire de Chengdu, lequel obtint son de degré jinshi avant de devenir superviseur dans la préfecture de Yuzhou427. Enfin, nous avons noté que le compositeur de l‟épitaphe dédiée à Xu Duo fut rédigée par un certain Zhao Yanling 趙延齡, lequel aurait été un récipiendaire provincial du degré jinshi (xianggong jinshi 鄉貢進士)428. Selon toute vraisemblance, il semble donc que Zhao Yanling était un protégé de Xu Duo recruté à l‟occasion d‟examens tenus au niveau préfectoral alors que ce dernier était préfet. Ce qui viendrait attester que l‟État ne recrutait pas uniquement à la capitale, mais également dans les diverses préfectures du royaume, où il cherchait à identifier des candidats compétents pour les intégrer à son appareil bureaucratique. Du coup, cela pourrait également indiqué que les élites indigènes n‟étaient pas forcément réfractaires au processus de bureaucratisation en marche et que plusieurs d‟entre elles valorisaient l‟éducation et aspiraient à voir leurs progénitures servir l‟État. De plus, les cas de Zhao Yanling et Xu Duo viendraient également confirmer notre hypothèse, selon laquelle, les préfets jouèrent un rôle crucial dans ce processus bureaucratisation et de centralisation politique en liant toujours plus les préfectures à la cour. Une autre question à laquelle nous aimerions nous intéresser est celle de la vie économique au Royaume de Shu. À plus forte raison, nous voudrions savoir si le royaume comptait une importante classe marchande ayant vu son prestige augmenté comme ce fut le cas dans d‟autres régions. Ainsi, non seulement serions-nous en mesure de mieux comprendre les relations entre marchands et bureaucrates, mais aussi pourrions-nous vérifier si les marchands intégraient la bureaucratie et savoir dans quelle mesure ceux-ci furent un moteur de changement dans le développement du nouveau système d‟éducation et de recrutement bureaucratique. Toutefois, en raison des limites des sources employées pour la rédaction de ce mémoire, lesquelles ne

426 SGCQ 53. 9. 427 SGCQ 53. 9. 428 Mao Qiuxue, Wang Liming (1991 : 62). 141 discutent pas des marchands et de leur rôle, nous sommes malheureusement forcés de laisser ces questions en suspens. Néanmoins, il semble en effet que les Shu postérieurs évoluèrent dans un contexte d‟extraordinaire prospérité économique, ce qui ne fut certainement pas un phénomène étranger à l‟expansion spatiale de la bureaucratie. D‟une part, dans différents lieux du royaume furent découvertes de nombreuses pièces de monnaie datant de cette époque. Ce qui tend non seulement à démontrer que les biens circulaient, mais surtout qu‟une dynamique économie commerciale dominée par des marchands était en place429. D‟autre part, les sources historiques s‟entendent pour dire que les armées Song trouvèrent à Chengdu en 965 un trésor impérial d‟une rare richesse, lequel comptait d‟innombrables métaux et produits de luxe locaux430. Ce qui laisse penser que l‟artisanat de Shu était très développé et que le commerce y était suffisamment dynamique pour permettre au royaume de supporter la mise en place d‟un imposant système fiscal. En tous les cas, bien que l‟agriculture continuait certainement d‟être le plus grand fondement de la richesse, les diverses communautés du royaume n‟étaient certainement pas toutes des microsociétés agraires repliées et vivant dans l‟autarcie la plus complète431.

429 Liu Min 劉敏, « Wudai shiqi de Qian-Hou Shu zhubi » 五代時期的前後蜀鑄幣, Sichuan wenwu 四川文物 1994. 1, pp. 42-44; Lin Wenxun 林文勛, « Qian-Shu Hou-Shu shangye de fazhan » 前蜀後 蜀商業的發展, dans Chengdu Wang Jian mu bowuguan 成都王建墓博物館, éd., Qian-Shu Hou-Shu de lishi yu wenhua 前蜀後蜀的歷史與文化 (Chengdu : Ba-Shu shushe, 1994), pp. 40-47. 430 Xie Yuanlu 謝元魯, « Lun Tang Wudai Song Shu zhong de shechi zhi feng » 論唐五代宋蜀中的 奢侈之風, dans Chengdu Wang Jian mu bowuguan 成都王建墓博物館, éd., Qian-Shu Hou-Shu de lishi yu wenhua 前蜀後蜀的歷史與文化 (Chengdu : Ba-Shu shushe, 1994), pp. 48-56. 431 Yang Weili (1986 : 174-210). 142 CONCLUSION Au cours de ce mémoire, nous nous sommes donc intéressés à la question de la transformation des élites en Chine entre les VIIIe et Xe siècles ainsi qu‟à ses conséquences sur les institutions étatiques. Ainsi avons-nous observé que l‟éviction de l‟aristocratie du pouvoir politique et la chute de la dynastie Tang furent précédées d‟une perte de prestige aux yeux de larges segments de la société, à l‟intérieur de laquelle prenaient peu à peu place de nouvelles attitudes et valeurs culturelles nées d‟un nouveau contexte socioéconomique. Pour nous situer dans la perspective de Pierre Bourdieu, nous pourrions ainsi expliquer la crise de l‟État dynastique et de son aristocratie par le fait que les gouvernés ne se reconnaissaient plus dans les valeurs et discours qu‟ils véhiculaient, entraînant ainsi une perte de légitimité et d‟autorité. De la sorte, alors qu‟il n‟y avait plus d‟homologie entre l‟espace politique et l‟espace social, il devenait donc de plus en plus difficile pour l‟État et ses agents d‟obtenir la collaboration des gouvernés, une collaboration pourtant si nécessaire à l‟exercice du pouvoir. Le fait étant qu‟aucun pouvoir politique ne saurait perdurer en ne s‟appuyant que sur la coercition. Entre autres, nous avons vu comment, suite à la rébellion d‟An Lushan qui affaiblit considérablement l‟autorité de la cour, les marchands trouvèrent d‟importantes opportunités de s‟enrichir et de voir leur rôle tacitement reconnu. Le fait étant que la cour fut forcée d‟abandonnée son ancien système de taxation directe et de recourir à un autre système d‟imposition indirecte sur le commerce. Pour la dynastie alors en place, c‟était en quelques sortes la condition de sa survie, puisque sans une augmentation significative de ses revenus, aucune restauration n‟était envisageable. Toutefois, bien qu‟étant parvenue à reprendre le contrôle des nominations de la majorité des gouverneurs et préfets provinciaux, nous avons également observé qu‟il avait été impossible pour la cour et sa clientèle de remodeler une société à l‟image de celle qui prévalait anciennement. Dans ce contexte d‟impossible retour au physiocratisme, vieil adage confucianiste défendu par la clientèle aristocratique de la dynastie Tang, les échanges continuèrent donc de s‟intensifier, les villes de se créer et de se transformer, tandis que les

143 transgressions sociales et juridiques semblaient suivre leur cours. Le paysan voulant se faire citadin, l‟agriculteur entendant s‟improviser marchand et le marchand parfois prêt à se faire fonctionnaire. D‟ailleurs, ces marchands étaient d‟autant plus inquiétants qu‟ils tiraient le plus souvent leur autorité de leurs richesses plutôt que d‟un quelconque emploi dans la bureaucratie. Allez donc expliquer à Confucius que désormais le marchand sera le maître de son village, de l‟armée, de la bureaucratie et qu‟il instruira l‟empereur sur la conduite des affaires politiques. Autant dire que Boniface VIII était gibelin! Et bien on ne pouvait pas en faire accepter davantage aux familles formant la clientèle impériale, elles qui étaient assurées de leur supériorité morale et convaincues du caractère héréditaire du statut de tous et chacun. Pourtant, d‟autres n‟étaient certainement pas aussi convaincus du caractère inné de la condition humaine, et même que certains devaient être la preuve vivante de leurs convictions. Or, nous l‟avons vu, les IXe et Xe siècles furent en Chine une intense période de transformations sociales caractérisée par une assez grande mobilité. De la sorte émergèrent certaines familles provinciales, surtout marchandes, aspirant à faire de leurs fils des bureaucrates impériaux et capables de permettre à ceux-ci de recevoir une éducation à la hauteur de leurs aspirations. Ce qui semblait tout à fait normal puisque non seulement ces familles disposaient d‟importantes ressources, mais surtout qu‟elles incarnaient souvent de nouvelles valeurs culturelles trouvant un terrain favorable dans la société. Néanmoins, ce qui semblait leur faire défaut était de ne pas avoir de liens de parenté avec les élites de la capitale, lesquelles entendaient se maintenir au sommet de la hiérarchie politique moyennant des stratégies de népotisme. En fait, derrière ce phénomène d‟exclusion sournois, se proliférait l‟éveil de la frustration chez de nombreux candidats provinciaux accourant toujours plus nombreux, mais en vain, aux examens de sélection bureaucratique. Ainsi avons-nous démontré que ces derniers furent un des éléments moteurs dans le déclenchement de la rébellion de Huang Chao, en ce sens qu‟ils surent récupérer plusieurs des mécontents de l‟époque, les rallier et en faire une armée redoutable contre laquelle la dynastie et sa clientèle, toujours plus en perte de légitimité, ne pouvaient espérer gagner. Du moins, gardant à l‟esprit que plusieurs des principaux officiers de la dynastie

144 Liang furent d‟anciens rebelles, nous pouvons facilement concevoir que la rébellion fut un succès aux conséquences très lourdes sur l‟histoire institutionnelle subséquente. C‟est-à-dire qu‟ils vinrent contribuer à la mise en place d‟une nouvelle structure étatique dans laquelle la mentalité aristocratique n‟avait plus véritablement de fondement. Ainsi, avons-nous vu comment sous les Cinq dynasties se mit en place un nouveau processus de bureaucratisation beaucoup plus ouvert que par le passé. Toutefois, il nous a également semblé que la transformation bureaucratique ne se fit pas partout au même rythme. Ce particulièrement dans les régimes loyalistes qui alors refusaient catégoriquement de suivre la voie de Zhu Wen et de la dynastie Liang. En comparant les élites au contrôle des institutions étatiques des deux régimes qui se sont succédé à Shu, nous avons constaté qu‟il y avait d‟importantes différences entre elles, ce qui s‟en faisait ressentir sur l‟organisation de l‟État. Ainsi sommes-nous forcés de rejeter la proposition d‟Anna M. Shields, selon qui il y aurait eu une grande continuité institutionnelle d‟un régime à l‟autre432. Certes, il est vrai que certains lettrés comme Li Hao furent en poste à la cour de Chengdu sous les deux régimes. Toutefois, il est important de souligner que ceux-ci ne représentaient qu‟une poignée d‟individus et que ce fut assez tardivement, pas avant le début des années 950, que ceux-ci se trouvèrent parmi les grands ministres en position d‟autorité à la cour. Par contre, nous avons surtout été amené à constater que la plupart de ceux qui étaient à des postes de commande sous les Shu postérieurs n‟avaient jamais été à l‟emploi des Shu antérieurs et que, dans l‟ensemble, les protagonistes des deux régimes se distinguaient profondément par leurs origines socioprofessionnelles. D‟une part, ceux qui dominaient la cour sous les Shu antérieurs étaient pour la grande majorité des réfugiés loyalistes originaires de Chang‟an dont les familles dominaient la bureaucratie Tang depuis plusieurs générations. De plus, nous avons vu que ceux qui dominaient alors les commanderies étaient le plus souvent des généraux issus de l‟armée Zhongwu, laquelle semblait jadis liée à la cour de Chang‟an par des intérêts particuliers. Notamment, nous avons vu que non seulement celle-ci joua un rôle particulier dans la répression de la révolte de Huang Chao, mais également dans

432 Anna M. Shields (2006 : 78-79). 145 l‟entreprise de restauration de la dynastie Tang suite à la défaite d‟An Lushan. Ainsi, bien que les gouverneurs de commanderie sous les Shu antérieurs étaient des militaires aux origines diverses, ceux-ci en n‟étaient pas forcément moins loyalistes. Comme nous avons cherché à le démontrer de parts et d‟autres, il n‟y a pas d‟idéologie ou de mentalité typiquement militaire ou militariste. Il peut y avoir autant d‟armées que de causes à défendre. Dans le cas actuel, nous croyons ainsi que les gouverneurs de commanderie comme les bureaucrates de la cour étaient à la défense d‟un ordre social ancien incarné par la dynastie Tang. D‟autre part, au moins durant les premières années du régime des Shu postérieurs, aussi bien les postes à la cour que dans les commanderies passèrent sous l‟autorité d‟individus aux origines plus hétéroclites composés essentiellement d‟anciens militaires originaires du Nord-est (Hedong, Hebei) et de la région de Kaifeng, lesquels débutèrent leur carrière sous la dynastie Liang ou dans la principauté de Jin. Ainsi, il s‟agissait essentiellement d‟individus ayant fait l‟expérience de régimes obéissant à une nouvelle raison d‟État à l‟origine d‟un contexte de professionnalisation accrue. C‟est-à-dire des régimes où l‟appartenance à une illustre famille traditionnellement engagée dans la bureaucratie ne suffisait plus à justifier l‟octroi de responsabilités étatiques d‟envergure et où l‟expérience et les compétences primaient par-dessus toutes considérations. De ce fait, parmi cette nouvelle élite se trouvait un nombre très restreint de descendants de fonctionnaires de la dynastie Tang, tandis que ceux qui l‟étaient ne justifiaient plus leur statut en fonction de leurs ancêtres. Certes, la plupart des individus ayant directement contribué à la mise en place des institutions du régime des Shu postérieurs avaient par le passé été des militaires. Toutefois, rien ne permet d‟affirmer que ceux-ci étaient jusqu‟alors uniquement des meneurs de charges sans autres fonctions que de guerroyer. Et même si tel aurait été le cas, n‟empêche qu‟après la fondation des Shu postérieurs, ceux-ci étaient surtout affectés à des responsabilités d‟ordre civiles. Autant les élites à la tête de l‟État sous les Shu antérieurs étaient différentes de celles sous les Shu postérieurs, autant l‟étaient les institutions des deux régimes. Sous les Shu antérieurs, nous avons notamment vu que la cour chercha à dupliquer les

146 institutions bureaucratiques de la dynastie Tang. Toutefois, il est plutôt difficile d‟évaluer dans quelle mesure elle y parvint. En tous les cas, en dépit de ce que tend à refléter les titres dont étaient investis les lettrés en poste à la cour, les structures administratives en place ne correspondaient pas exactement à la structure dite des Trois départements (san sheng) telle que décrite dans le Tong dian et le Da Tang liudian. En revanche cependant, le fonctionnement de l‟appareil étatique semblait dans une certaine mesure en continuité avec celui en place durant la seconde moitié de la dynastie Tang. Entre autres avons-nous constaté que le Département des affaires d‟État continuait d‟être éclipsé par le Bureau des affaires militaires et le Tribunal des censeurs en ce qui avait trait aux relations entre la cour et les commanderies. Mais encore plus, nous avons même cru observer que ledit département cessa tout simplement de former une agence administrative indépendante. Ainsi avons-nous observé que le contrôle des divers ministères sembla littéralement échoir au Secrétariat et à la Chancellerie, laquelle aurait en l‟occurrence été subordonnée au premier. En fait, plutôt que d‟assister à une complexification de la bureaucratie, sous les Shu antérieurs se serait plutôt proliféré un phénomène de simplification des institutions héritées de la dynastie Tang. Ainsi, une des grandes difficultés d‟analyse rencontrée sur notre passage fut de donner un sens aux fusions administratives dont semblent témoigner les titres que pouvait simultanément porter un seul individu. Par exemple, nous avons vu qu‟il était courant de rencontrer des académiciens de Hanlin simultanément affectés au Secrétariat, ce qui indiquerait qu‟une seule agence à la cour se chargeait désormais de la rédaction des édits impériaux. Nous avons également vu que certains vice-présidents du Tribunal des censeurs étaient au même moment à la tête du Secrétariat, ce qui pouvait être une mesure visant à réduire le nombre d‟intermédiaires entre la cour et les commanderies, tout en limitant les pouvoirs du Bureau des affaires militaires, lequel semblait relativement proche de la Chancellerie, elle-même en apparence appelée à exercer à la cour un contrepoids au Secrétariat. En vertu de ces jeux d‟associations, nous avons ainsi formulé l‟hypothèse d‟une polarisation de la cour en deux camps, d‟un côté le Secrétariat et le Tribunal des

147 censeurs, de l‟autre la Chancellerie et le Bureau des affaires militaires. Cependant, nous avons également vu que ce postulat résiste difficilement à certains faits historiques, dont les oppositions qui prenaient place à l‟intérieur d‟un même département et les alliances nuptiales qui transcendaient les départements. De telle sorte que nous avons préféré mettre un bémol à cette hypothèse pour nous rabattre sur une autre qui nous semblait davantage correspondre à la réalité. C‟est-à-dire que la polarité qui nous a semblé la plus apparente était celle qui séparait la cour de ses commanderies, lesquelles semblaient former deux mondes fort différents ayant très peu de relations, du moins uniquement de manière interposée. Dans notre analyse, cet axiome a notamment trouvé une part de sa confirmation dans l‟état des réseaux sociaux des deux milieux respectifs et dans les mécanismes de reproduction sociale. Ainsi, étant dans un système de recrutement largement fondé sur le mode de la recommandation, du pistonnage et du népotisme, nous avons remarqué que les familles de bureaucrates en poste à la cour se mariaient entre elles tout en facilitant l‟intégration de leurs enfants à la bureaucratie centrale. À l‟opposé, cependant, il nous a semblé que les familles de militaires évoluant dans les commanderies se mariaient entre elles, tandis que leurs fils étaient également affectés dans les commanderies, munis de titres les associant aux armées du royaume. Certes, sous les Shu antérieurs, il devait y avoir des mécanismes de contrôle des gouverneurs de commanderie plus ou moins opérationnels. Pourtant, nous ne sommes pas pour autant en mesure de parler d‟un système particulièrement centralisé dans lequel la bureaucratie centrale parvenait à s‟imposer de manière effective sur l‟ensemble du royaume. En fait, il se pourrait très bien que la cour ne contrôlait alors que la nomination des gouverneurs en poste dans les chefs-lieux de commanderie, lesquels n‟apparaissaient que comme des avant-postes de commande régionaux. Ainsi, se pourrait-il que la cour n‟ait alors cherché qu‟à tenir en laisse les forces armées du royaume et à s‟assurer de la rentrée régulière des impôts, laissant la résolution des autres questions à la discrétion des gouverneurs, lesquels ne devaient probablement pas chercher à déstabiliser les communautés locales. Par contre, sous les Shu postérieurs, il ne semble pas que la cour ait eu des objectifs aussi limités, elle qui

148 aurait plutôt cherché à accroître son degré de centralisation politique et à pénétrer beaucoup plus profondément l‟ensemble des communautés locales du royaume. Notamment, avons-nous découvert qu‟après 934, la commanderie cessa d‟être l‟unité administrative de base, laquelle était désormais la préfecture. Ainsi est-il à noter qu‟une telle transformation s‟apparentait plus ou moins à celle que la dynastie Liang avait encouragée sur son territoire afin de réduire l‟autonomie des gouverneurs de commanderie. C‟est-à-dire d‟augmenter les pouvoirs des préfets de manière à isoler les gouverneurs en confinant leur autorité au chef-lieu où ils étaient en poste et de faire de tous, gouverneurs et préfets, des dépendants de la cour impuissants individuellement, puisqu‟administrant des entités trop restreintes en superficie433. Il n‟est donc pas surprenant d‟apprendre que plusieurs des grands ministres guidant la cour de Meng Chang avaient par le passé été à l‟emploi de la dynastie Liang, d‟où ils apprirent possiblement à concevoir la mise en place de solides préfectures comme le meilleur moyen d‟assurer la stabilité de l‟État. À tout le moins, il est certain que pour plusieurs d‟entre eux, la préfecture était la principale référence institutionnelle à laquelle ils avaient été accoutumés. Ce qui explique un peu mieux la logique derrière le fait que les grands ministres de la cour de Chengdu sous les Shu postérieurs se réservèrent à eux-seuls les titres de gouverneurs tout en déléguant l‟exercice de l‟autorité dans leur commanderie respective à de nombreux préfets associés aux armées palatines. Grâce au développement des préfectures comme principaux centres d‟autorité, nous avons ainsi remarqué que la cour parvint plus aisément à centraliser le pouvoir politique et à mettre en place un ordre bureaucratique permettant de dominer les communautés locales sans efforts coûteux, sans être constamment obligée de recourir à la force. Comme nous l‟avons vu, le résultat de cette nouvelle logique institutionnelle fut d‟avoir permis à l‟État d‟occuper une place accrue dans la vie sociale, de consolider sa légitimité en amenant une plus grande proportion de sujets à devenir partie intégrale de l‟État et, pour ainsi dire, les amener à participer à leur propre sujétion. Dans ce contexte, il nous a ainsi semblé qu‟un système

433 Wang Gungwu (2007). 149 d‟enseignement relativement élargi se mit peu à peu en place dans les préfectures, tandis que les examens de sélection bureaucratique se popularisèrent en amenant toujours plus de natifs de Shu à jouer un rôle à la cour de Chengdu. Au cours de ce mémoire, nous avons souhaité présenter un autre Xe siècle que celui auquel nous sommes pour la plupart habitués. Pour ce faire cependant, nous devons absolument admettre que cette entreprise aurait été impossible sans les illuminations que nous a procurées l‟ouvrage de Wang Gungwu sur les structures du pouvoir sous les Cinq dynasties. Pour nous, un objectif était ainsi de vérifier si le même processus de centralisation et de bureaucratisation qui affecta le Nord de la Chine à la même époque concernait également le Royaume de Shu. Évidemment, quiconque amorcerait une première initiation à l‟histoire du Royaume de Shu par les ouvrages de Winston W. Lo, Richard von Glahn et Paul J. Smith aurait l‟impression que le Sichuan formait alors un monde fermé dont les structures étatiques étaient archaïques et dans lequel la bureaucratie n‟était encore qu‟un phénomène marginal, voire inexistant, devant le poids écrasant des magnats et des seigneur de la guerre434. Toutefois, le moins que nous puissions dire est qu‟à aucun moment au cours de cette recherche nous avons ressenti que Shu était dans l‟attente de la miséricordieuse conquête de la dynastie Song pour finir par se civiliser. Certes, il vrai que les sources dont nous nous sommes servis mentionnaient surtout les migrants arrivés dans la région par voies successives pour assumer la direction politique du royaume. Ainsi aurions-nous du accorder une place plus importante aux natifs de la région et nous sommes disposé à en accepter la critique. Cependant, pour ce faire nous aurions dû nous tourner vers d‟autres types de sources, auxquelles nous avions difficilement accès et dont le traitement aurait de loin excédé le temps alloué pour la rédaction de ce mémoire. Néanmoins, pour ceux qui seront désireux de poursuivre des recherches plus poussées sur le Royaume de Shu, un examen complet des gazettes locales de la région sera une étape incontournable afin de vérifier la véracité de nos informations.

434 Winston W. Lo (1982); Richard von Glahn (1987 : 39-67); Paul J. Smith (1991: 77-108). 150 Bibliographie sélective

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