une histoire à trois temps les sept vaillants

« Vue figurée du terroir de , fait en 1719 », plan à la plume (Archives départementales de l’Hérault, 319 EDT 19)

’histoire des noms de lieux porte le doux on ignore pourquoi, son château fut attaqué nom de toponymie et il en va dans ce par des ennemis venus on ne sait d’où. Mais L domaine comme dans beaucoup d’au- qui donc n’a pas d’ennemis en ce monde ? Ce tres : la légende est généralement plus belle seigneur avait donc les siens ? Il avait aussi, que la réalité. chose beaucoup plus rare, des vassaux qui le Alfred Crouzat, nous révèle celle des sept chérissaient et qui, au nombre de sept, défen- vaillants dans son Histoire de la ville de dirent héroïquement son manoir. De retour Roujan et du prieuré de Cassan, suivie d’une dans ses foyers, le seigneur voulant leur témoi- notice sur les diverses communes du canton gner sa reconnaissance, leur donna en fief des parue en 1859 : « La tradition explique de terres situées dans le fond de la vallée, et les la manière suivante la fondation des sept gratifia de l’épithète flatteuse devaillants . hameaux qui composent la commune de Vail- Telle fut l’origine des sept hameaux qu’on han. Un des anciens seigneurs s’étant absenté, appela les Sept Vaillants et par abréviation mémoires d’une communauté © Les Arts Vailhan  AUS Vailhan 01 1 Vaillant dont on aurait fait improprement Le temps du doute . Quoiqu’il en soit de la légende, les Vailhan Un château, sept hameaux, quid des sept hameaux portent encore les noms de fonda- vaillants ? Alfred Crouzat continuait fort teurs qui tous ont laissé des descendants, les judicieusement : « Cette légende accréditée uns jusqu’au siècle dernier, les autres jusqu’à 1 dans le pays, est assurément fort touchante, et nos jours. » n’a rien d’assez merveilleux pour paraître in- Albert et Paul Fabre, dans L’Hérault histo- vraisemblable. Néanmoins les savants ne l’ac- rique illustré paru vingt ans plus tard, en ceptent pas. M. Sabatier remarque avec raison donnent une version plus concise et teintée que dans un document des archives de Roujan, d’exotisme : « D’après les origines légendai- le village est appelé Vallanus, terme qui n’a de res du pays, un seigneur de Vailhan, de retour commun avec le mot vaillant qu’une simili- d’une croisade en Palestine, n’ayant ramené tude de forme. » avec lui que sept de ses hommes d’armes, leur Dans son Histoire de Vailhan (1879), Albert distribua des terres et des domaines, d’où les Fabre va plus loin : « D’après M. E. Thomas, sept Vaillants.2 » le savant archiviste du département, les mots Les ruines du « manoir » existent toujours, dont les finales sont en an dérivent des termi- perchées sur un rocher calcaire à qui elles naisons latines anum ; Vailhan ne peut donc ont donné leur nom occitan de castelas, dériver de Vallés, Vallis (Vallée), pas plus que « château en ruine », dérivé du latin castel- de Vallum (rempart, retranchement). L’éty- lum, « petite forteresse ». Le château de Vail- mologie de Vallus ou Vallius (nom d’homme) han apparaît dans un texte latin de 1170 donnée par M. Maffre dans sa notice sur les sous le nom de castrum de Vallano3 mais la établissements romains dans les Gaules serait seigneurie est plus ancienne puisque Rai- plus logique si elle était appuyée de preuves mond, seigneur de Vailhan, est mentionné écrites ou matérielles ». dans une charte à la charnière des XIème et XIIème siècles4. Guilhem de Vailhan (Guil- Le temps des linguistes lermus de Vallano) est cité en 1111 comme témoin dans un acte de donation au prieuré Avec Auguste Longnon (1844-1911) puis de Cassan. Raimond a-t-il participé à la pre- Albert Dauzat (1877-1955), la toponymie mière croisade, Guilhem à la seconde ? Les sort du seul domaine de l’histoire pour points d’interrogation auront la peau dure. rentrer dans celui de la linguistique. Et les linguistes reconnaissent bien dans Vallanus Les sept hameaux existent toujours, eux (Valliano6 en 1167) le suffixe latin -anum aussi, en partie reliés par des constructions comme ils le reconnaissent dans Royano/ récentes, du moins les six premiers qui por- Roujan, Gabiano/ et des dizaines tent les noms de Bouscarel5, Cabanon, Fa- d’autres toponymes régionaux se terminant vier, Trignan, Saudadier et Vallet. Des noms par -an. de famille dont il faudrait pouvoir remon- ter le cours de leur histoire vailhanaise. Le Au village de Gabian, septième, à l’écart des autres sur son rocher Entre Saint-Jean et Cassan, de travertin, porte le nom de La Clastre, de Vers le midi de Vailhan, l’occitan claustra dont le sens usuel dans la Dans le canton de Roujan... toponymie est « presbytère ». L’église Sainte Mais si je voulais, vraiment, Marie, contemporaine du château pour sa M’étendre sur tous les an partie la plus ancienne (XIIème siècle), y est De cet arrondissement, en effet encadrée par le presbytère et le ci- J’en aurais bien pour un an. metière dans un ensemble des plus harmo- s’amuse Charles Malo dans L’Anacharsis nieux. français.7

mémoires 2 AUS Vailhan 01  © Les Arts Vailhan d’une communauté -anum : quatre lettres qui nous ramènent à 1918-1922, p. 311-312 (Bibliothèque l’époque de la colonisation romaine. Elle dé- nationale, coll. Doat n° 61, f° 246 r°). bute dans notre région en 121 av. J.-C. avec 4. Crouzat 1859, op. cit., 94-95. l’établissement de la Narbonnaise. L’instal- 5. Les Bucharius mansus et mas Burlarent mention- lation des Romains en Gaule est marquée nés dans le Cartulaire de Gellone (1060-1074, p. 30 et 1115, p. 197 de l’édition de l’Abbé Léon Cassan, par une accélération de la mise en valeur de Paul Alaus et Edmond Meynial, Société archéolo- nouveaux territoires et la multiplication des gique de Montpellier, J. Martel aîné, Montpellier établissements ruraux. C’est alors que se dé- 1905) ne sont pas le Bouscarel de Vailhan comme veloppe l’habitude de donner au domaine l’indique à tort Eugène Thomas dans son Diction- gallo-romain le nom de son propriétaire naire topographique du département de l’Hérault, Im- primerie impériale, Paris 1865, p. 24, repris par A. suivi d’un suffixe d’appartenance : -acum, et P. Fabre, L’Hérault historique illustré, p. 141. -anum ou -anicum dans l’ordre chronolo- 6. Ramundus capellanus de Valliano, 5 mars 1167. gique de leur apparition. Le second semble Bibliothèque nationale, Collection Doat, n° 61, f° avoir servi lorsque la romanisation fut à peu 232 r° ; Abbé Jean-Baptiste Rouquette, Cartulaire près complète et se rattache à 95 % des noms de Béziers (Livre Noir), Picard-Valat, Paris-Montpel- latins. lier 1918-1922, CCXX, p. 301. « Il nous semble, écrit le professeur Hamlin, 6. Charles Malo, L’anarchasis français ou Description que les formations nom romain + suffixe latin historique et géographique de toute la dédié à Louise Jenny par un jeune voyageur, Sud de la France, (-anum) doivent leurs noms à des immigrants, Chez Louis Janet libraire, Paris 1823, p. 321. sans doute venus d’au-delà des Alpes. Parmi 7. Frank R. Hamlin, Les noms de domaine en les anthroponymes latins auxquels nous avons -anum dans le département de l’Hérault, Revue In- affaire, le plus grand nombre sont des genti- ternationale d’Onomastique, XXVI, 1974, pp. 129. lices qui se terminent en -ius ; il est normal 8. Cf. Wilhelm Emil Schulze, Zur Geschichte latei- que cette terminaison se soit fondue au suffixe nischen Eigennamen, Berlin, 1904, 647 p. Ce gen- -anum pour produire un suffixe-i-anum 7. » tilice latin a également donné Vaillac, dans le Lot Ainsi Vailhan est-il, à l’origine, le domaine (suffixe -acum) et Valiergues en Corrèze (suffixe de Vallius8, comme Roujan était celui de -anicum). Cf. Alfred Theophil Holder, Altceltischer Sprachschatz, B. G. Teubner Leipzig, 1896-1913, Roius et Gabian celui de Gavius. La pré- III, p. 95 et Jacques Astor, Dictionnaire des noms de sence sur le territoire de la commune de familles et noms de lieux du midi de la France, Edi- nombreux vestiges de cette époque vient tions du Beffroi, 2003, p. 949.

d’ailleurs conforter les données de la lin- Vailhan au XIXème siècle, dessin et gravure d’Albert Fabre guistique. Qu’un seigneur du Moyen Age (« L’Hérault historique illustré », 1er vol., 1877, pl. XXXVIII) ait, des siècles plus tard, distribué des terres en fiefs à sept vassaux, c’est une autre histoire... Guilhem Beugnon avril 2011 Notes et sources 1. Alfred Crouzat, Histoire de la ville de Roujan et du prieuré de Cassan, suivie d’une notice sur les diverses communes du canton, Veuve Millet, Béziers 1859, p. 259-260. 2. Albert et Paul Fabre, L’Hérault historique illustré, 1er vol., Montpellier 1877, p. 141, repris dans Al- bert Fabre, Histoire de Vailhan, Firmin et Caribou, Montpellier 1879, p. 19. 3. Cartulaire de Béziers (Livre Noir), publié par l’abbé Jean-Baptiste Rouquette, Picard-Valat, Paris- mémoires d’une communauté © Les Arts Vailhan  AUS Vailhan 01 3