Liste alphabétique des projets de communication pour le colloque Les ministres et les arts, les ministres des arts sous le règne de Louis XV.

Cécilie CHAMPY Conservateur du patrimoine (Paris, musée du Petit Palais) et doctorante en histoire de l’art, université Paris IV-Sorbonne. Les ministres des arts et les portraits royaux sous le règne de Louis XV : l’exemple de Jean-Baptiste Lemoyne (1704-1778) Sous l’Ancien Régime, le portrait sculpté du roi est un relai majeur de l’autorité monarchique et sa diffusion un exemple significatif de l’instrumentation politique des arts. A l’instar de « Louis le Grand », Louis XV se montre soucieux de diffuser son image dans l’ensemble du royaume : le portrait du souverain équestre ou pédestre se dresse au centre des places royales, nouvellement édifiées à Bordeaux, Rennes, Reims et Paris. Les statues de Louis XV incarnent l’autorité monarchique, même si le discours absolutiste hérité du siècle de Louis XIV évolue au cours du siècle. La Direction des bâtiments du roi est chargée de commander les effigies du souverain destinées aux cadeaux diplomatiques, aux membres de la famille royale et aux relais du pouvoir royal en province (parlements, académies, universités). En tant que « ministre des arts », le Directeur des bâtiments du roi sous Louis XV joue un rôle majeur dans l’attribution des commandes. Le ministre organise les séances de pose, surveille l’exécution des commandes, la présentation des projets au roi et le paiement des artistes. L’implication du Directeur des bâtiments dans l’élaboration du programme iconographique varie selon la personnalité du ministre. A côté de son rôle officiel, le Directeur des Bâtiments n’hésite pas à démontrer en privé son attachement au souverain : le marquis de Marigny, célèbre amateur et collectionneur, possède ainsi plusieurs portraits de Louis XV dans sa propre collection, dont le magnifique buste en marbre réalisé par Jean-Baptiste Lemoyne en 1749, actuellement conservé au château de Versailles, et la maquette pour le monument de Rouen du même artiste, jamais achevé (Musée du Louvre). Pour comprendre le rôle joué par les ministres des arts dans la construction de l’image monarchique, le cas du sculpteur Jean-Baptiste Lemoyne (1704-1778) est particulièrement pertinent. Héritier d’une dynastie qui s’est illustrée sous Louis XIV, Lemoyne « le fils » devient le portraitiste attitré de Louis XV très jeune, alors qu’il termine avec succès la statue équestre du souverain pour la place royale de Bordeaux, commencée en 1731 et inaugurée en 1743. Dès lors, Lemoyne réalise chaque année, selon son biographe Dezallier d’Argenville, trois ou quatre bustes de Louis XV. L’essentiel de cette production a malheureusement disparu, mais les témoignages des contemporains nous restent, qui vantent de façon quasi unanime l’extraordinaire « ressemblance » des effigies royales réalisées par Lemoyne. Comme en témoignent les comptes des Bâtiments du roi, Lemoyne entre en contact, au cours de sa longue carrière, avec les différents « ministres des arts », du duc d’Antin au marquis de Marigny. La communication sera l’occasion d’examiner les relations entretenues par le sculpteur et les différents ministres, à l’occasion des commandes de portraits royaux. L’exemple de Lemoyne permettra ainsi d’aborder la question du portrait officiel et celle du rôle joué par les « ministres des arts » dans son élaboration et sa diffusion.

Michaël DECROSSAS Docteur en histoire de l’art EPHE. Philippe II d’Orléans à Saint-Cloud : une étape du développement des arts au début du règne de Louis XV L’histoire a retenu que le Régent n’aimait pas Saint-Cloud et qu’avec lui s’ouvrait une époque de « lent oubli », que le château n’était plus qu’une sorte de « belle endormie » se réveillant épisodiquement à l’occasion de quelques cérémonies, et qu’il servait principalement de refuge à sa mère, la Princesse Palatine. Ce dernier point est exact, mais il apparaît que la vision doit être fortement révisée en ce qui concerne Philippe II d’Orléans. De nombreuses sources montrent, en effet, que ce prince s’est intéressé au château, surtout à la fin de sa vie. Ainsi, alors que la Régence touchait à sa fin et que Louis XV ramenait la Cour à Versailles (1722), Philippe d’Orléans, devenant premier ministre du jeune roi, comprit que le château allait retrouver la place de « satellite de Versailles » qu’il avait eue sous le règne de Louis XIV. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le nouveau programme élaboré par l’architecte Oppenord pour le château. Celui-ci était très avancé lorsque le prince mourut en 1723. Certains travaux étaient alors en cours d’exécution comme le réaménagement de l’appartement du prince : un cabinet de curiosités avait déjà reçu ses nouveaux lambris, de même que le grand cabinet où Philippe avait fait disposer une partie de sa célèbre collection de petits bronzes. La chambre était alors en chantier, mais du mobilier avait déjà était livré, notamment une belle commode en bois d’amarante ornée de bronzes dorés commandée à Cressent. Dans le parc, on avait jeté les bases d’un nouveau pavillon d’été, pour lequel l’architecte avait plusieurs fois revu le plan et l’élévation. D’autres aménagements n’étaient alors qu’à l’état de projet, comme ceux de la nouvelle salle qui devait joindre les Grands Appartements à l’orangerie, ou de l’ancien salon pour lequel Charles-Antoine Coypel avait imaginé un grand décor peint sur le thème du Triomphe d’Hercule, connu par une gravure et dont l’esquisse fut présentée au Salon en 1725. Même s’il ne fut pas mené à son terme, le chantier de Saint-Cloud apparaît donc comme une étape importante de l’évolution des arts au début du règne de Louis XV : la tentative de renouer avec les grands décors peints du siècle précédent, qui aboutira à la réalisation du Salon d’Hercule à Versailles (1732-1736), la multiplication des pavillons de jardin, ou encore la recherche de confort par l’utilisation de lambris de bois sur toute la hauteur des pièces, couplée à celle des miroirs. C’est ce chantier voulu par le Régent, devenu premier ministre de Louis XV, et ses implications sur le goût et les arts au début du règne du jeune roi, ainsi que le choix des artistes y ayant collaboré, que nous nous proposons d’étudier et de présenter dans le cadre de ce colloque.

Alden GORDON Professeur, Trinity College (USA). Marigny et les arts

Christophe HENRY Docteur en histoire de l’art université Paris 1. « Peindre l’Éros politique : le « cabinet de nudités » d’Abel-François Poisson de Vandières » Le 19 février 1753, Abel-François Poisson de Vandières, directeur des Bâtiments du roi, écrivait à Charles Joseph Natoire, alors directeur de l'Académie de à Rome : « J'ay un cabinet particulier que j'ay voulu enrichir de quatre morceaux des quatre plus habiles peintres de notre Ecole. J'ay déjà en place un Vanloo, un Boucher et un Pierre ; vous jugez bien qu'il m'y manque un Natoire [...]. Je dois vous ajouter encore que, comme ce cabinet est fort petit et fort chaud, je n'y ay point voulu que des nudités : le tableau de Carle représente Antiope endormie ; celuy de Boucher, une jeune femme couchée sur le ventre, et celuy de Pierre, une Io. Choisissés le sujet que vous voudrés, pourvu qu'il n'y ait aucune ressemblance avec ceux cy-dessus nommés et qu'il n'y ait pas ou, au moins, presque pas de draperie. » (Corr. Dir., Vandières à Natoire, le 19 février 1753, éd. Furcy-Raynaud, 1904, I, p. 438-439). Les quatre peintures avait probablement pour destination le château de Bellevue, comme semble l'indiquer une lettre de Lépicié à Vandières datée du 17 octobre 1752 : « Monsieur n'aura point sans doute oublié, que M. Vanloo à promis de finir pendant le voyage de Fontainebleau tous les tableaux qui doivent décorer la salle de compagnie du château de Bellevüe ; il y travaille actuellement et ne les quitte pas, ce qui jusqu'à présent l'a empêché de commencer la Ste Clotilde. A l'égard de la petite nudité, elle est composée sur la toile, et il s'y mettra d'abord qu'il aura fini les tableaux cy-dessus. » (Corresp. Marigny, Lépicié à Vandières, le 17 oct 1752). Pourtant, les restitutions actuelles des intérieurs du château de Bellevue ne tiennent pas compte du « cabinet de nudité » de Vandières, dont Bellevue n'est pas à proprement parler la possession en 1753 mais celle de sa sœur la marquise de Pompadour. Dans le cadre du colloque Les « ministres des arts », les ministres et les arts sous Louis XV, cette contribution se propose d'établir l'état de la question relatif à cette commande hors normes et entièrement dévolue à l'érotisme, mais aussi de tenter de répondre aux différentes questions d'ordre artistique et politique qu'elle soulève : quelle est la fonction institutionnelle des commandes collectives du directorat de Vandières-Marigny et notamment de celles qui sont empreintes d’érotisme ? Quel est le sens politique de l’érotisme pictural au XVIIIe siècle, lorsqu’il caractérise des commandes revendiquées par un ministre des arts de Louis XV ? Ne doit-on pas renverser la perspective historiographique qui associe l’érotisme pictural au domaine privé – voire dissimulé – du siècle des Lumières, quand il est omniprésent dans la commande de la direction des Bâtiments ? Précédemment au chantier de Bellevue qui voit de nombreuses autres commandes à Boucher, Pierre et Vanloo, la rivalité des mêmes artistes a en effet été organisée ou mise en scène à cinq reprises entre 1732 et 1753 : autour du thème éminemment érotique de Vénus dans la forge de Vulcain (versions de Boucher, Natoire et Vanloo peintes entre 1732 et 1735) ; à l'hôtel de Soubise vers 1737 ; au Cabinet des Médailles en 1745 ; lors du concours de 1747 où les principaux officiers de l'Académie s'affrontent pour l'honneur ; et enfin au Cabinet du Conseil de Fontainebleau en 1753. Au-delà de la finalité institutionnelle de ces jeux d'émulation, on remarquera que les chantiers à connotation érotique font toujours intervenir les mêmes artistes, à savoir ceux que sélectionne Vandières en 1753 : Carle Vanloo, Boucher, Natoire et Pierre. Relevant de ces deux générations de 1700 et 1710 dont Pierre Rosenberg a souligné la cohérence, les quatre peintres partagent, au moins jusque vers 1755, sinon des caractères stylistiques communs, du moins une conception très proche de la peinture de cabinet : la nudité y est bien souvent omniprésente et grâce à l'exposition du Salon du Louvre, elle donne lieu à une surenchère bisannuelle dont la critique développe le champ lexical. Plus que des avis de goût, ces productions de texte semblent reliées à l'intention de la direction des Bâtiments, et notamment à celle de Vandières, successeur en cela de Tournehem : utiliser la science des peintres d'histoire et leur réputation de maîtrise de toutes les parties de l'art pour rendre légitimes la sensibilité érotique du roi et du règne. L'association à trois sujets jupitériens d'une « jeune femme couchée sur le ventre », cette « odalisque blonde » qui fut longtemps prise pour Marie-Louise O'Murphy (1752, huile sur toile, Alte Pinakothek, Munich), n'est finalement énigmatique que dans la mesure où l'on omet la dimension participative de cette composition : l'entrée en scène de l'amant jupitérien ne saurait tarder, étant donné la situation et la pose de la jeune femme, qui n'est d'ailleurs pas une inconnue pour les rapports de police. L'étude de la peinture de Carle Vanloo destinée à ce cabinet, Jupiter et Anthiope (Saint-Pétersbourg, Ermitage), nous permettra d'étayer l'hypothèse et d'analyser en détail la politique érotique que tente de mettre en place Vandières, dans le désir d'anéantir la critique morale par la paradoxale reconnaissance publique de l'identité et de la sensibilité dionysiaque de Louis XV.

Alexia LEBEURRE Maître de conférences, université Bordeaux III. Un décor intérieur inédit pour Pierre-Étienne Bourgeois de Boynes, secrétaire d’État à la marine.

Chaoling LEE Professeur associé de l’université nationale de Dong Hwa (Taïwan). Les relations franco-chinoises au XVIIIe siècle. Henri Bertin et les arts. La correspondance du ministre Henri Bertin avec les missionnaires de Pékin donne naissance aux seize volumes des Mémoires concernant les Chinois, ouvrage qui inaugure les rapports importants qui s’établissent entre la France et le Céleste Empire au XVIIIe siècle. La correspondance accompagne les envois d’objets chinois et concerne deux catégories : la collection des naturalia, plantes chinoises et agriculture , et les artificialia, objets à l’antique et science naturelle qu’elle présente d’une manière scientifique et authentique et explique la politique de la Chine hostile aux Encyclopédistes. Les tapisseries françaises et la proposition d’exécuter en France les gravures des batailles de Kien- long constituent deux sources d’échange fondamentales dans la politique artistique de Bertin. Les tapisseries françaises sont offertes à l’Empereur, par l’intermédiaire des missionnaires, dans le but de développer un goût chinois éventuel pour les fabrications françaises et d’apporter, grâce à de futurs échanges commerciaux, un bénéfice aux manufactures . Parallèlement, l’Empereur Kien-long fait graver 16 planches de victoires, exécutées par Cochin et le Bas. Les peintures à la gouache, dont les originaux sont venus de Chine, montrent un grand raffinement, éloigné des préjugés à l’égard de la peinture chinoise. Bertin fait la distinction entre le goût impérial pour le dessin de qualité et le goût populaire pour les objets de style chinois : porcelaines, paravents. Il désire aussi montrer à l’Empereur l’habileté de la gravure française. Pour que les gravures soient parfaites, Bertin exige une narration précise des événements afin que les tableaux historiques soient représentés correctement ; il s’interroge par exemple sur la position incorrecte des canons et veille de près, avec le Marquis de Marigny, à l’exécution des gravures. En fait, dans ces relations franco-chinoises, tous les aspects sont mêlés, religion, politique, commerce, technologie, diplomatie. Grâce à ces gravures et aux tapisseries offertes à l’Empereur, Bertin compte élargir les échanges artistiques entre les deux pays qui jouent peut-être aussi un rôle important dans la politique des arts au XVIIIe siècle ?

Pauline LEMAIGRE-GAFFIER Docteur en histoire ; associée au laboratoire IDHE/Paris 1. Des pratiques d’amateur à l’administration royale des arts, les intendants des Menus Plaisirs sous Louis XV C’est un portrait collectif, déployé autour du cas du célèbre Papillon de La Ferté, qu’on propose de présenter dans le cadre de ce colloque. Au XVIIIe siècle, les intendants des Menus Plaisirs voient évoluer leur charge en synergie avec la transformation de leur institution – qui devient une organisation complexe au double service de la glorification du prince et d’une politique royale du théâtre. Chargés de mettre en scène les spectacles de cour et de superviser les théâtres privilégiés, ces administrateurs se trouvent en contact permanent avec des artistes – dessinateurs chargés de créer décors et costumes intégrés au personnel – et des hommes de lettres – certains dramaturges sont même pensionnés sur la caisse des Menus. Entre service du roi et service du public, ces officiers de finance – placés au tournant des XVIe et XVIIe siècles sous les ordres des Premiers Gentilshommes de la Chambre pour les assister dans la gestion des fêtes de cour – deviennent donc, à l’instar des directeurs des Bâtiments, des figures ministérielles et des acteurs essentiels de procédures de choix artistique. Financiers et amateurs d’art, ils mettent la construction de leur réputation sociale et mondaine à l’appui du renforcement d’une gestion royale des arts fondée sur l’association de la cour et de la ville. Mais face à l’émergence de conceptions nouvelles du goût et de la compétence, la critique socio-politique à laquelle ils sont intensément soumis devient justement le moyen de délégitimer la métamorphose de cette administration royale en politique publique.

Alessandro MALINVERNI Professeur, université de Milan. Les commandes d’art publiques et privées de Guillaume Du Tillot un ministre français en Italie1749-1774 Entre 1749 et 1771, Guillaume Du Tillot, intendant de la Maison des ducs de Parme, coordonne les renouvellements des résidences princières de Plaisance, Parme, Colorno et Sala Baganza, et les fournit de peintures, sculptures, meubles et objets d’art. Pendant la première décennie bourbonienne, il suit les directives de la duchesse Louise Elisabeth, Madame Infante, en essayant de concilier la nécessité de faste et magnificence – essentielle pour véhiculer une digne image de la nouvelle dynastie à l’intérieur comme à l’extérieur des duchés – avec la disponibilité économique des ses maîtres. Il s’occupe personnellement des achats et il dirige le goût officiel vers un classicisme tempéré : jusqu’à la morte de la duchesse il choisit un compromis entre le nouveau style et la rocaille, goût très appréciée par la fille de Louis XV. Dans le renouvellement des arts à Parme, il est soutenu par Petitot et Boudard, avec lesquels il fonds aussi l’Académie des Beaux Arts, mise sur pied en 1757. Après la mort de Louise Elisabeth en 1759, il peut diriger tout seul ce qui concerne les arts à Parme, puisque le duc dom Philippe, qui mourra cinq ans après en le laissant presque régent pour le fils, dom Ferdinand, ne s’intéresse que de théâtre, de musique et de chasse. Le soutien de Du Tillot au classicisme devient plus significatif dans la deuxième décennie : grâce à la feu duchesse, il est désormais premier ministre et, comme le feu Philibert Orry en France, il ne contrôle seulement les arts, mais la vie politique et économique. L’intervention vise à traiter le rôle de Du Tillot dans le domaine de la peinture, de la sculpture et de la décoration, suivant deux lignes de recherche, les résultats desquelles seront comparés : d’un coté les achats et les commandes pour la cour et l’état ; de l’autre ce qu’on arrive aujourd’hui à savoir de ses propres collections et de ses résidences en Emilie et, pendant ses derniers années d’exile politique, à Paris.

Carlo MAMBRIANI Professeur, université de Parme. Intendant des Bâtiments et Premier ministre : la toute puissance de Guillaume Du Tillot à la cour de Parme (1749-71) Installé à Parme le lendemain de la paix d’Aix-la-Chapelle, en 1748, à la suite de son maître l’infant d’Espagne Philippe de Bourbon, Léon Guillaume du Tillot (1711-1774) est nommé intendente della Casa en 1749; grâce à son habileté et à la confiance de la duchesse Louise- Elisabeth, fille aînée de Louis XV, il devient premier ministre en 1759. C’est quand la ligne cadette des Bourbons, malgré ses espoir d’obtenir un domaine plus prestigieux, comprend que restera attachée au petit état émilien. Le ministre décide ainsi de entreprendre une véritable reforme urbaine de la capitale, pour valoriser au moins l’image des duchés. Son metteur en scène est l’architecte lyonnais Ennemond-Alexandre Petitot, ancien élève de Soufflot, pensionnaire à Rome (1746-1750) et protégé du comte de Caylus, arrivé à Parme au service des ducs en 1753. Préposé jusque là exclusivement aux résidences, jardins et fêtes de ses maîtres, Petitot se voit d’un coup transformé dès 1758-60 en réformateur de la ville et du goût. Avec son aide, le ministre invente la Congregazione degli Edili, où il concentre la gestion des plans, du cadastres et de permis de bâtisse à fin de rénover la structure urbaine, et l’Académie des Beaux-Arts, d’ou sortiront aussi les jeunes architectes nécessaires au service de l’état et les jeunes artisans destinés à répandre dans les ateliers le meilleur goût. Le défi des lumières est lancé et Du Tillot pourra, pour ainsi dire, régner en toute puissance durant la minorité du jeune duc Ferdinand, succédé en 1765 à son père, mort inopinément de la petit vérole. C’est la période des réformes les plus audacieuses, dans le domain des rapports avec l’église et des politiques économiques, sociales et urbaines. Mais la réaction des ennemis, coagulés par le parti autrichien établi à la cour depuis le mariage de Ferdinand à l’archiduchesse Marie Amélie (1769), bouleverse vite les dessins du ministre : en septembre 1771 il se voit obligé à fuir, pour terminer ses jour trois ans après en exile à Paris.

François MARANDET Docteur en histoire de l’art EPHE. « Tableaux flamands et hollandais qui ont été choisis » : un projet d’acquisition inédit par Philibert Orry On sait combien les acquisitions royales en matière de tableaux furent ralenties à la fin du règne de Louis XIV. Les rares peintures qui entrèrent chez le roi au début du 18ème siècle procédaient de dons ou de cadeaux diplomatiques. Un tournant s’observe en avril 1742, lorsque trente-trois « tableaux anciens » des différentes écoles furent achetés par le directeur des Bâtiments du roi Philibert Orry auprès du marchand Noël Araignon. L’importance de cet achat ne tient pas seulement au coût des œuvres ainsi acquises, mais également à leur nouveauté. Pour la première fois, des œuvres de petits maîtres nordiques comme Metsu, Berchem ou encore Netscher entrèrent dans les collections royales, anticipant ainsi l’esprit des achats conduits sous Louis XVI. Cette curiosité à l’égard de la peinture nordique de la part d’Orry serait confirmée par un document découvert aux Archives nationales : en 1746, le directeur des Bâtiments du roi eut en effet pour dessein d’acquérir un groupe d’œuvres flamandes et hollandaises ainsi que plusieurs tableaux italiens. En élucidant l’origine des tableaux ainsi mentionnés et le contexte d’un tel projet, l’intervention restituera le rôle mal connu et sous-estimé de Philibert Orry en matière artistique.

Christophe MORIN Maître de conférences université de Tours. La vie animée d’un ministre sous Louis XV l’exemple du directeur général des bâtiments

Claire OLLAGNIER Doctorante université Paris 1-Centre Ledoux. Soufflot au service des ministres : Les demeures de Marigny au Roule et de Bertin à Chatou Entre 1731 et 1751, Jacques-Germain Soufflot effectue deux séjours en Italie qui lui offrent l’occasion de découvrir les ruines de l’Empire romain mais également l’architecture et les jardins du XVe et du XVIe siècle. Cette expérience influence directement ses créations, notamment dans le domaine de l’architecture privée. En 1768, le marquis de Marigny – que Soufflot avait accompagné à l’occasion de son second voyage en Italie – le prie notamment de concevoir une extension des bâtiments et de renouveler le décor intérieur de sa petite maison du Roule, acquise quelques années auparavant. Les travaux commencent rapidement pour s’achever en 1771. L’architecte choisit d’utiliser, en accord avec le ministre, le motif de la serlienne, introduisant ainsi à Paris ce que les contemporains nommeront le « genre vénitien »1. Proposant en outre une distribution inédite des bâtiments, Soufflot facilite la circulation des piétons autant que celle des voitures, et répond ainsi aux besoins d’une élite en quête d’une commodité accrue.

1 Cf. L.-V. Thiéry, Guide des amateurs, t. I, p. 64. Alors que l’architecte ne cesse de satisfaire le goût de Marigny dans sa nouvelle propriété de Ménars, Henri-Léonard Bertin, « petit ministre », sinophile et physiocrate – que Soufflot avait rencontré à Lyon en 1755 dans un contexte officiel – le charge de concevoir pour sa propriété de Chatou un édifice capable de recueillir les eaux qui irriguent ses plantations dans un réservoir aussi utile qu’ornemental, avant qu’elles ne se jettent dans la Seine. Ainsi naît le célèbre Nymphée, encore en place aujourd’hui. La collaboration entre les deux hommes ne devait pas s’arrêter là, et quelques années plus tard, Soufflot concevait le nouveau château à la demande de Bertin ; décédant en 1780, l’architecte ne verra pas l’aboutissement de ce projet. Si l’étude de ces commandes – certes bien différentes, mais toutes deux représentatives des nouvelles aspirations de l’élite des Lumières – témoigne de l’influence très nette d’une culture classique que Soufflot s’approprie par le prisme de la Renaissance italienne, elle trahit également la perméabilité entre réseaux officiels et privés. En outre, à travers leurs choix personnels, ces deux ministres agissent pour une politique des arts régénérée : dans le domaine de l’architecture ou dans celui des jardins, dans la mise en scène des usages et dans celle d’une pensée progressiste, la petite maison de Marigny au Roule et la propriété de Bertin à Chatou sont toutes deux porteuses d’un message fort, que Soufflot a su exprimer avec tout son génie créateur.

Miki OTA Doctorante université Paris 1. Philibert Orry, ministre des arts et mécène à La Chapelle-Godefroy On considère que Philibert Orry néglige la politique des arts, accordant plus d’importance aux finances. Cependant, le décor peint de la galerie de son château de La Chapelle-Godefroy manifeste aussi bien sa volonté de favoriser les cycles narratifs que ses commandes officielles de tapisseries. Notre communication vise à montrer que le commanditaire Orry et le peintre Natoire réalisent précisément le programme iconographique. Le thème de Clovis, qui glorifie la légitimité de l’autorité royale, se situe dans le développement iconographique de l’histoire nationale qui, en passant par l’église Sainte-Geneviève, aboutit à l’encouragement de ce genre par le comte d’Angiviller. En revanche, le thème des Aventures de Télémaque, destiné à l’éducation du duc de Bourbon, s’oppose à la tyrannie. Ce cycle de Natoire représente une question morale du prince, le conflit entre l’amour et l’honneur. Ainsi, ce décor peint présente un choix de thèmes équilibré. Les intentions d’Orry se voient bien dans le choix des scènes. Le cycle de Clovis renouvelle la tradition du sujet, lié à la religion. Il est exceptionnel que ce cycle ne représente pas le baptême du premier Roi très chrétien, mais Le Siège de Bordeaux, peu connu. Cela met en valeur sa gloire militaire qui fonde la monarchie française. Le tableau, jusqu’ici considéré comme représentant la soumission de Reims, illustre l’épisode du vase de Soissons et glorifie la clémence princière. Les dessus de porte résument ces deux qualités du prince : gloire et clémence. Contrairement au cycle de Clovis exaltant les vertus publiques du prince, le cycle de Télémaque présente une question morale privée. On souligne qu’il transforme l’histoire instructive en scènes simplement aimables. Mais l’interprétation libre de la source et la composition particulière permettent au peintre de montrer habilement la lutte entre l’amour privé et l’honneur public. Les dessus de porte illustrent cette allégorie de façon contrastée. Grâce au peintre choisi par Orry, le programme iconographique est clair. Natoire est apprécié par son talent pour l’histoire et ce décor manifeste son ingéniosité de la narration. Le but de cette communication est de mettre en lumière un chef-d’œuvre de la peinture d’histoire qui pourrait renverser les idées reçues, qui sous-estiment Orry en tant que Directeur des Bâtiments du Roi.

Amalia PAPAIANOU Doctorant université Paris 1. « M. le Directeur général a disposé de la place ». Marigny et la suppression de l'envoi des architectes à l'Académie de France à Rome : voyage et séjour italien des lauréats des Grands Prix de 1767 à 1772 De 1767 à 1772 inclus, du fait du conflit l'opposant à l’Académie royale d’Architecture à propos de l’attribution du projet du nouveau théâtre de la Comédie-Française, le marquis de Marigny, Directeur général des Bâtiments du roi, supprima l’envoi des architectes à l’Académie de France à Rome, privant ainsi du pensionnat les lauréats des concours du Grand Prix pendant cette période. De jeunes architectes concernés, Jean-Philippe Lemoine de Couzon, Jacob Guerne, Jean-Jacques Huvé, Claude-Thomas de Lussault et Jean-Auguste Marquis sont pourtant parvenus à voyager à Rome, certains même séjournant au palais Mancini. Jean-Augustin-Baptiste Renard (Grand Prix de 1773) fut le premier à disposer de nouveau d’un brevet officiel d’élève pensionnaire. La présente étude a l’intention de suivre les voies du patronage officiel et privé, à travers lesquelles les lauréats de la période 1767-1772 ont pu poursuivre leurs études en Italie (mettant l’accent sur le rôle de l’abbé Terray et du cardinal de Bernis), ainsi que l’intérêt que le pouvoir ministériel porta à leur activité sur les lieux.

Anne PERIN-KHELISSA Collaboratrice scientifique au Centre allemand d’histoire de l’art. L’intendant des Finances Louis Fagon et ses amis académiciens. Argent et goût au service des manufactures avant le ministère de Marigny Le rôle de Louis Fagon dans la promotion des carrières de quelques artistes, dont Jean-Baptiste Oudry, est connu (N. H. Oppermann, 1977 ; M.-C. Sahut, 2003) ; sa place dans l’administration des Finances sous Louis XV également (M. Antoine, 1978). Ma communication souhaiterait mettre en lumière un aspect moins étudié de ses activités : son action dans le développement des manufactures de tapisserie de Beauvais, des Gobelins et surtout dans la formation de la nouvelle manufacture de porcelaine de Vincennes. Je m’attacherais à présenter les premiers résultats d’une recherche en cours, en posant deux questions essentielles : celle des modalités de la formation d’un réseau de collaborateurs, qui voit associer Fagon au milieu des artistes et des amateurs de l’Académie royale de peinture et de sculpture, en particulier à l’historiographe hollandais Henri Van Hulst ; celle des connivences de la finance avec la production manufacturière de l’époque, dans la mesure où Fagon, au côté notamment d’Orry de Fulvy, investit dans l’entreprise de porcelaine. L’intendant favorise par ailleurs la nomination d’Henri Van Hulst au poste de directeur artistique de l’établissement, après avoir mené avec lui plusieurs affaires financières. Les documents d’archives inédits déjà mis au jour permettront d’enrichir l’histoire des premières équipes de Vincennes-Sèvres, une des manufactures emblématiques de la politique artistique de Louis XV, qui la met finalement sous contrôle de la Couronne en 1759. Ils amèneront à réévaluer l’influence du clan Pompadour-Marigny, considérée jusqu’alors comme décisive, aux origines de cette manufacture.

Magalie QUINTARD-LENOIR Docteur en histoire de l’art EPHE. abbé de cour et ministre fastueux Joseph Marie Terray (1715-1778) a été un ministre controversé, peut-être le plus détesté du règne de Louis XV. Mais à sa mort, il laisse de nombreux chefs-d’œuvre artistiques qui invitent à reconsidérer le mécénat de cet homme d’Etat. Sa fortune financière, héritée d’un oncle, est confortée par sa fortune politique. D’abord conseiller-clerc au Parlement de Paris, Terray joue habilement sa carte dans le conflit qui oppose le souverain au Parlement et se rapproche de la marquise de Pompadour. En 1769, il est nommé contrôleur général des finances du royaume, mais sa carrière est brutalement brisée par la mort de Louis XV en 1774. L’abbé Terray manifeste son penchant pour le luxe et les fastes à travers les bâtiments et les œuvres d’art. Pourtant, il est très difficile d’établir dans quelles circonstances il forme son goût. La construction du château de La Motte-Tilly en 1754 par l’architecte Lancret marque un premier moment important, suivi, en 1769, par le début des travaux de son hôtel parisien sous la conduite de l’architecte Le Carpentier. Il faut attendre 1774 pour l’abbé voir se préoccuper activement des questions artistiques, sans discontinuer jusqu’à sa mort en 1778. Si l’art apparaît comme une ambition tardive, les commandes par Terray, conservées dans les musées européens ou américains, témoignent d’un goût très sûr et audacieux pour la modernité, et plus particulièrement pour la sculpture. L’homme exprime dans ces années 1770 d’un goût très personnel dont on se demande s’il a trouvé un écho dans la commande publique. L’abbé Terray succède au marquis de Marigny en 1773 comme directeur des bâtiments du roi, mais quitte ses fonctions lors de son éviction du gouvernement en 1774. La brièveté de son passage à la tête de cette administration soulève la question de sa volonté et de sa capacité à infléchir la politique artistique de Louis XV. L’abbé Terray n’a fait l’objet d’aucune biographie détaillée. Il convient donc d’analyser comment l’art accompagne son évolution politique et sociale, comment sa conception du pouvoir marque la commande publique, et enfin les priorités esthétiques qui se dégagent de l’ensemble de sa politique et de son mécénat. Il faut partir à la rencontre de ce ministre fastueux, même déchu, qui voulut résolument s’inscrire dans la modernité.

Anne-Cécile TIZON-GERME Directrice des archives départementales de Loir-et-Cher. Présentation du fonds de Saizieu des archives départementales