JEAN-CHARLES VARENNES

LES TRÈS RICHES HEURES DU BOURBONNAIS DU MÊME AUTEUR

LES TROIS NIECES DE TANTE AGATHE. Editeurs: , Crépin Leblond ; Belgique, La Centaine ; Cana- da, Jovette. LES FIANCES DU CREUX CHAUD (Ed. du Beffroi Mou- lins). LE SECRET DU MOINE (Ed. Crépin-Leblond). (Ces deux ouvrages, traduits en espagnol, ont paru en république Argentine dans le journal La Nacion.) LES TROUVERES DE LA LIBERTE (Ed. du Beffroi). MONTLUÇON (Ed. S.A.E.P., Colmar). VOYAGE A TRAVERS LE BOURBONNAIS (Ed. S.A.E.P., Colmar). MONTLUÇON A LA BELLE EPOQUE (Ed. Libro-sciences, Bruxelles). MONTLUÇON EN CARTES POSTALES ANCIENNES (Ed. Bibliothèque européenne, Pays-Bas). AU CŒUR DE LA VALLEE DU HAUT CHER: MONT- LUÇON (Ed. des Volcans, Clermont-Ferrand). En collaboration avec MM. Henry Gourin et René Bour- gougnon : LE PAYS BOURBONNAIS (Presses du Massif central, Guéret). LE BOURBONNAIS ET SES ECRIVAINS (Presses du Massif central, Guéret). JEAN-CHARLES VARENNES

LES

TRES RICHES HEURES

DU BOURBONNAIS

« Le plus beau climat de France, un pays superbe et fort sain, d'excellentes routes, du vin, du gibier et du poisson... » Arthur Young.

LIBRAIRIE ACADÉMIQUE PERRIN PARIS La Loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réser- vées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, c toute représentation ou reproduction inté- grale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal.

@ Librairie Académique Perrin, 1975. A Marie et Jean Varennes mes grands-parents paternels qui vécurent au cœur du Bourbonnais.

PRÉFACE

Préfacer un livre sur le Bourbonnais m'intimide un peu. Il est vrai que l'auteur est un ami de longue date dont je connais l'indulgence et la générosité. Le Bourbonnais, c'est le pays de ma famille, de mes vacances d'enfant à , c'est aussi le pays de Valery Larbaud, si féru de son « duché » et un de mes maîtres en prose française. Le Bourbonnais est une province modeste, en dépit de son histoire. Certaines provinces (je ne les citerai pas) ont une élégance un peu tapageuse, d'autres (je ne les citerai pas non plus) se sont fait une réputation outran- cière. La nôtre aurait plutôt tendance à se laisser oublier. Elle est, à l'image de Moulins, sa capitale, discrète, à la limite de l'effacement. De là vient peut-être son charme qu'il n'est pas aisé de saisir dès la première rencontre. Il faut vivre en Bourbon- nais pour apprécier la magie de ses paysages mesurés, qui en savent plus long qu'ils ne veulent en dire, de ses couleurs souvent un peu passées comme les vieilles étoffes. Tout cela respire la tenue, la raison, l'équilibre. Il ne faut pas s'y fier. Les passions des habitants sont vives et les fées n'ont pas déserté haies et guérets. Ce beau livre le montre assez. Parmi toutes les provinces françaises, le Bourbonnais est peut-être celle qui résume le mieux les qualités diverses de notre race et la devise du duché : Espérance serait sans doute une assez bonne devise pour notre patrie. Jacques de Bourbon Busset. ÉCHOS DES GRANDES HEURES DE LA PREHISTOIRE

« C'est en effet sur son territoire qu'ap- paraissent les témoins, parmi les plus an- ciens, de notre humanité, principalement entre Loire et . Les découvertes faites au siècle dernier à Chatelperron attestent la . présence de l'homme sur notre sol, il y a près de 40 000 ans. Elles ont été jugées tel- lement inédites et exceptionnelles que les préhistoriens les ont retenues comme point de repère dans la chronologie de l'ère paléo- lithique. » Bernard de Fournoux La Revue géographique et industrielle de France (1969)

ETTE terre s'appellera le Bourbonnais. Elle est diverse dans son relief, sa géologie, son réseau c hydrographique, ses microclimats, son peuplement. Elle est au centre d'un pays qui s'appellera la France. La nuit, son horizon sud s'éclaire de lueurs rougeoyantes, signe de l'activité des proches volcans d'Auvergne dont les éruptions se poursuivent. Au début du paléolithique supérieur, l'homme est déjà là. Sur ce sol, non loin de cette « montagne Bourbon- naise » riche en uranium, il invente, il crée le couteau. La première des « grandes heures du Bourbonnais », c'est la fabrication d'un outillage lithique qui s'inspire des caractères du moustérien évolué, mais dont l'objet carac- téristique est une lame à dos courbe obtenue par retou- ches, le couteau de Chatelperron. N'avons-nous pas, là aussi, une des grandes heures de l'humanité ? Les préhistoriens permettent d'imaginer la vie quoti- dienne entre Besbre et Loire, où se développe un outil- lage osseux : sagaie biconique en ivoire, tubes en os d'oi- seau, bois de renne, débités par ramures longitudinales au burin. L'homme de Chatelperron façonnait des bijoux à partir d'os sculptés ou de dents qui, une fois percées, devaient être enfilées en bracelets ou en colliers. Il vivait dans des cabanes circulaires voici de trente-cinq à trente mille ans. Comment se présentaient ces premiers « Bour- bonnais » qui laissèrent des traces ? Le squelette d'un de ces contemporains — il y en avait entre Loire et Yonne et dans les Pyrénées — fut découvert en 1909 à la Combe- Capelle en Dordogne, par un Suisse nommé Hauser qui vendit sa trouvaille au musée de Berlin ; les bombes de la guerre mondiale le firent disparaître, ce que n'avaient pu faire des dizaines de milliers d'années. Le mérite de la découverte de la grotte à Chatelperron revient à un médecin de Pierrefitte-sur-Loire qui mena d'activés recherches archéologiques entre Loire et Allier, entre Moulins et sa résidence. Le docteur Bailleau fouilla comme on fouillait à cette époque, sans souci de strati- graphie. Il fit consciencieusement son travail et recueillit un matériel d'une importance capitale. Il trouva des silex taillés, associés aux débris de l'hyène, du rhinocéros thy- corinus, de l'ours des cavernes, de l'auroch (est-ce dans cette région, que traverse la Besbre et où il vient souvent pêcher en compagnie de son ami René Fallet, que Bras- sens composa sa fameuse chanson : « Corne d'Auroch » ?), du renne, du chamois, du lion et enfin du mammouth... La transition entre paléolithique moyen et paléolithi- que supérieur est précisément représentée à Chatelperron qui marque l'une des étapes les plus importantes de l'humanité au même titre que la révolution néolithique ou l'invention des métaux. C'est pourquoi l'horizon indus- triel de Chatelperron a donné son nom à cette époque, le chatelperronnien, phase du périgordien, au début du paléolithique supérieur. Pour voir les objets découverts dans la grotte des fées de Chatelperron, il faut aller au British Museum qui en possède la moitié, à Philadelphie, où se trouvent quelques ossements et à Moulins où une institution privée et les héritiers du docteur Bailleau gardent le reste. Cet homme de Chatelperron apparaît lors du refroidis- sement à la fin d'un interstade tempéré de la glaciation würmienne, quand les bords de l'Allier où viennent boire les rennes préfigurent, peut-être, la toundra. Il avait suc- cédé, sur notre sol, à d'autres nappes humaines. Il y a quelques centaines de milliers d'années, les archanthro- piens étaient des êtres frustes, au niveau cérébral peu développé, mais ils savaient déjà utiliser le feu. On retrouve la trace de leurs industries à , , sur de nombreux sites disséminés en Bourbonnais et dans les alluvions du Cher. Puis était venu l'Homme de Néan- derthal, créateur des belles industries moustériennes. C'est ce dernier qu'allait supplanter l'auteur, encore mal connu, des industries chatelperroniennes. Pour la période allant de 500 000 à 100 000 ans avant notre ère, les chercheurs ont retrouvé et identifié une série d'industries du paléolithique inférieur, outillage grossier provenant du débitage de nuclei de silex ou de chailles bien souvent préalablement préparés suivant une technique dite Levallois. Ces industries se rencontrent sur le territoire de Nassigny, Prémilhat, Meillers, sporadi- quement dans la vallée du Cher, au sud de Montluçon et dans le centre du département vers . Elles sont archaïques et peu spectaculaires : racloirs grossiers, éclats utilisés, outils typiques. « Il est à souligner que sur ces ateliers de taille, où ils venaient se ravitailler en matière première, on ne trouve surtout que des outils rejetés, considérés sans intérêt par les préhistoriques, sans doute des archanthropiens. Ceux-ci conservaient pro- bablement les outils les mieux façonnés qu'ils emportaient dans leurs déplacements (1) *. » — Sur le vieux fond archaïque acheuléen à bifaces en quartz, près de Montmarault, existe une industrie leval- loise-moustérienne, datée de 50 000 ans environ, celle de l'Homme de Néanderthal : avec des racloirs variés et des pointes moustériennes typiques. — Au paléolithique supérieur (Périgordien, Aurigna- cien) l'homme était largement implanté dans la région. « Des grattoirs épais et des burins busqués se rencon- trent à , au Vilhain. Des industries magdalénien- nes à burins, grattoirs peu affinés, à lamelles à dos et armatures microlithiques existent sur les sites suivants : * Les numéros renvoient à la bibliographie en fin de volume. Montluçon, Durdat-Larequille, Cérilly, Le Vilhain, Saint- Angel, , Meaulne, etc. A Durdat-Larequille, au cours d'une fouille effectuée de 1969 à 1970, a été mis en évidence « un emplacement de cabane magdalénienne, compris entre des structures de grosses pierres accolées à un foyer. Le graphique cumulatif et les indices des outillages, portant sur 182 outils découverts parmi 3 220 éclats, 197 chutes de fabrication de burins, 22 nucléus et établis selon la liste typologique de D. de Sonneville Bordes, ont permis d'établir que cette industrie était un magdalénien inférieur typique. A proximité de la struc- ture d'habitation, une trouvaille importante a été faite : celle d'une poche de 220 éclats, lamelles et déchets de taille qui ont permis de reconstituer en partie le nucléus d'où avaient été détachés ces déchets (1). » Ces recherches permettent d'imaginer nos ancêtres mag- daléniens, assis autour d'un foyer et frappant sur des blocs de silex afin de préparer les lamelles, les grattoirs, les burins et des armatures de flèches, de harpons ou de javelots. Ces armatures dont les hampes de bois ont disparu, mais dont les éléments en silex, en silicifications jaspées ou en chalcédoine rouge (un filon se trouvait à la Brande des Guérands), ont été découvertes par milliers. La dernière glaciation du Wiirm avait débuté voici quel- que 75 000 ans. Elle prend fin environ 10 000 ans avant notre ère. Avec la récession de ce grand glacier s'achève le paléolithique supérieur, période qui a laissé tant de tra- ces dans la région montluçonnaise surtout. Diverses phases post-glaciaires vont se succéder, mar- quant l'installation progressive des conditions climati- ques que nous connaissons, avec un climat toutefois légè- rement plus froid et plus sec. La végétation et la faune se modifient, entraînant de nouvelles façons de se nour- rir, créant un art de vivre différent. La forêt de hêtres, de chênes, les taillis de noisetiers se développent. C'est la forêt primitive qui recouvrait la totalité du pays, dont l'actuelle forêt de Tronçais, pareille à un beau parc, ne peut donner qu'une idée fausse. Le renne, base de la nourriture carnée de l'homme du paléolithique, remonte vers le nord, tandis qu'entre Loire et Cher s'installe une faune de climat tempéré qui fait aujourd'hui encore le bonheur de la vénerie bourbonnaise : cerfs, chevreuils, sangliers. Dans la région, l'épipaléolithique est la période où des hommes se maintiennent au stade de prédateurs, tandis qu'une partie de la population se néolithise (défri- chement de la forêt, début de la domestication animale, fabrication des poteries, agriculture, etc.). Cette époque a laissé de nombreuses stations sur les communes de Néris, Durdat-Larequille, , , Arpheuilles, , , , Quinssaines, Vallon, Louroux-Bourbonnais, Le Vilhain, Thiel-sur-Acolin. « Seules sont soignées les armatures de flèches minuscules et de formes géométriques (trapèzes, triangles, segments...) les lamelles à dos et les lamelles tronquées, ce qui indique une économie encore largement axée sur la chasse. Le néolithique est une véritable révolution décisive pour le devenir humain. L'homme passe progressivement de la vie de chasseur nomade à celle d'agriculteur sédentaire. En Bourbonnais, ce temps semble difficile à cerner. On rencontre bien souvent des outillages néolithiques associés à des éléments typiquement épipaléolithiques, signe d'éco- nomie mixte, encore basée sur la chasse, mais déjà orientée vers l'agriculture. C'est ainsi qu'à Villebret où domine le fond épipaléolithique avec des armatures microlithiques, se trouvent aussi des armatures néolithiques, haches po- lies, meules à broyer, fragments de poteries. Mais les auteurs de ces industries ont-ils été contemporains ? Ont- ils vécu sur le même site avec quelques millénaires d'écart ? Les peuplades de chasseurs culturellement attardées de l'épipaléolithique ont-elles été en rapport avec les tribus agricoles plus évoluées ? Toutes ces questions ne peuvent être résolues par de simples ramassages de surface, et il serait souhaitable que des fouilles futures leur donnent une réponse. Ainsi cette situation se rencontre à Néris, à Villebret, à Durdat-Larequille, à Vallon, à Quinssaines... Nous sommes réduits aux questions : Comment diffé- rencier en Bourbonnais, avec certitude, ce qui revient aux industries néolithiques (marquées par l'exploitation de quelques espèces végétales et animales) et mésolithiques (passage d'une économie de prédateurs à une économie de producteurs) ? « Sur les stations précédemment signalées, on ren- contre, assez rarement, mais toujours présents, des vesti- ges éminemment néolithiques : haches polies et pointes de flèches de types divers, parfois moules, broyeurs, pics... Que peut signifier cette association ? Ces industries sont- elles contemporaines ? Des tribus néolithisées sont-elles venues réoccuper les habitats des peuplades de chasseurs mésolithiques ? Ces mésolithiques en voie de néolithisa- tion ont-ils commercé avec des tribus néolithiques voisi- nes plus évoluées, installées sur des sols plus riches que les âpres terres de cette marche de Combrailles (1) ? » Dans l'état actuel des recherches ces questions ne sont pas résolues. Dans la région ont été découverts un certain nombre de grands poignards de pierre attribués aux ateliers de Pressigny, un de 27 cm trouvé au Brethon et un second de 33 cm, actuellement au musée de Néris, a été trouvé, lui aussi, dans la région. Les industriels de Pressigny commerçaient jusqu'en Bourbonnais, fournissant les ar- mes de luxe ou les instruments rituels. Etait-ce déjà une conception moderne de la réalisation et de la répartition industrielle ? Un outillage néolithique a été découvert à La Celle, sur la commune de Châtel-de-Neuvre, à la station des Ber- nard, à Chemilly, commune où le site de la Jolivette a fourni, non seulement un outillage de la même époque, mais de nombreux tessons qui semblent se rattacher à la civilisation des champs d'urnes. Des fonds de vases chasséens et une urne hallstatienne à décor ont été dégagés. Concluons avec le docteur Allain : « Les découvertes des chercheurs bourbonnais montrent une occupation intense de ce territoire tout au long de la préhistoire. Toutes les nappes humaines depuis le paléolithique inférieur y ont évolué, laissant sur place des traces importantes de leurs industries, soit sous forme d'ateliers, d'habitat, ou bien par de nombreux objets isolés. Dans l'immensité du paléolithique avec ses phases glaciaires, tempérées ou chaudes, les diverses humanités (archanthropiens, néan- thropiens, sapiens) s'occupent surtout de survivre dans un monde hostile. Soumis aux lois implacables de la nature, l'homme finira par s'en libérer, puis par la diriger. » C'est cette aventure que retracent les Très Riches Heures du Bourbonnais. Faut-il considérer Glozel comme une des grandes heures du Bourbonnais ? L'histoire enseigne que le premier alphabet véritable fut mis au point par les Phéniciens pro- bablement à partir des écritures hiéroglyphiques et cunéi- formes. Or, si les tablettes découvertes à Glozel sont authentiques, elles prouveraient que six mille ans avant les Phéniciens, des hommes occupant le sol bourbonnais savaient écrire. La majorité des spécialistes s'en tiennent à la thèse du faux. Pierre Minvielle dans Sur les chemins de la préhistoire, ouvrage paru en 1972, prononce une condamnation catégorique, mais Larousse, plus prudent, écrit dans son Dictionnaire de la préhistoire : « De vio- lentes polémiques s'engagèrent à propos de ces trouvailles, et, loin de se limiter aux milieux spécialisés, gagnèrent la grande presse et l'opinion publique. Pour les uns l'ensem- ble des découvertes appartenait réellement aux temps pré- historiques. Pour d'autres les fosses n'étaient que des fours de verriers et le matériel et les inscriptions qualifiés de néolithiques résultaient de grossières falsifications. » Les découvertes de Glozel constituent-elles un document majeur de l'Histoire ou le chef-d'œuvre de faussaires ? Même si en tant que Bourbonnais, gens glorieux qu'un malintentionné définit : « Habits de velours, ventre de son », nous souhaitons que notre province soit reconnue comme le berceau de l'écriture, nous nous bornerons aux faits laissant le lecteur libre de choisir sa conclusion. Nous sommes le 1er mars 1924, à Ferrières-sur-Sichon. Le vieux Claude Fradin, aidé de son petit-fils, Emile, seize ans, laboure un pacage au bord du Vareille, affluent mineur du Sichon qui dévale de la montagne bourbon- naise. Soudain la vache, qui tirait la charrue, s'enfonça dans la terre jusqu'aux mamelles ; le sol cédant sous son poids découvrait une étrange cavité. Mlle Picandet, ins- titutrice de la localité, mise au courant de l'aventure et à qui les Fradin avaient montré deux briques à cupules, mises à jour sur le terrain, incita le jeune Emile à entreprendre des fouilles : « Ma suggestion devait être féconde. A un mètre de profondeur nous mîmes à nu un dallage de briques semblables, posées deux à deux à plat sur le fond et sur une longueur d'environ deux mè- tres cinquante, sous les dalles, une couche de pierres, puis du ciment, puis une terre rouge. Plus profondément, nous découvrîmes des parcelles d'ossements et de nom- breux débris de poteries, reliefs probables d'urnes funé- raires. A l'extrémité du dallage, se trouvait une énorme dalle, placée, celle-ci, verticalement et qui devait émerger du sol de l'époque, simple signe de repère pour la sépul- ture sans doute. Nous avons trouvé de même quelques petites briques percées de trous en nombres variables, et d'autres portant à leur surface des aspérités demi-sphé- riques destinées à l'emboîtement dans les premières (3). » Le 2 mars, Emile Fradin met à jour la première brique avec inscriptions, il n'y fait pas attention. Il faut attendre près d'un an pour qu'en janvier 1925 soit décelés des signes d'écriture. Entre-temps une curieuse collection d'objets était sortie de terre : haches de pierre, poteries étranges, briques ornées de signes et d'empreintes de mains, galets gravés, etc. Le « champ des morts » déjà connu jusqu'à , allait connaître la célébrité internationale, en devenant d'abord le lieu de rencontre, ensuite le cirque d'affrontements des préhistoriens ou des soi-disant tels. Pour le docteur Morlet, « Glozel » était sans aucun doute une station néolithique. Le docteur Capitan, professeur d'anthropologie préhistorique à l'Ecole d'anthropologie puis au Collège de France, faisant une cure à Vichy, s'en- thousiasma pour Glozel : « Vous avez là un gisement merveilleux ! » dit-il au docteur Morlet, et il se proposa pour exploiter la décou- verte, ce que refusa le médecin vichyssois. Dès lors, ce fut la méfiance et des savants comme MM. Boule, Julian, Reinach, se montrèrent plus que réticents. Pourquoi une telle attitude ? « L'écriture et le verre découverts dans le champ de Glozel gênaient considérablement le monde scientifique. Il était en effet admis, que ces deux « pro- duits » avaient été apportés en Gaule par les Phéniciens, au cours des mille ans précédant notre ère. Fallait-il en admettre que des hommes de l'époque néolithique de Glozel connaissaient le verre et l'écriture sept mille ans plus tôt ? Au lieu de prendre le temps de la réflexion, de critiquer et d'analyser, le monde scientifique se passionna pour l'affaire. Déjà au début de la bataille, la science avait perdu la sienne. » (4) Le docteur Morlet appliquant les techniques de l'époque, dépensant son temps et son argent, entreprit de poursuivre les fouilles, rassemblant près de 2 000 objets, nombre stu- péfiant si l'on tient compte de l'exiguïté du terrain remué. Les « glozélophobes » avancèrent leurs arguments. Pour le professeur Julian, « aucun doute n'est possible, Glozel n'est pas néolithique. Glozel est réellement un lieu de sorcellerie de l'époque romaine » (5). René Dussaud, mem- bre de l'Institut, publie une brochure (6), mais sa thèse, déduite de données inexactes, est radicalement fausse. Sa référence à une statuette de femme néolithique, qui n'a jamais existé, est sans valeur. L'abbé Breuil, préhistorien de réputation mondiale, déconseillait le voyage de Glozel. M. le comte Prorock, préhistorien américain, ne l'écouta pas. Il fut bien heureux de visiter le « champ des morts ». Sur le livre d'or d'Emile Fradin, on peut lire cette phrase : « L'abbé Jean-Baptiste Martin, docteur ès sciences, pro- fesseur de géographie à la faculté catholique de Lyon, est heureux d'avoir visité le musée de Glozel en compagnie de M. E. Fradin et d'avoir été convaincu de l'extrême importance des découvertes qu'il a faites et de leur par- faite authencitié. Glozel, le 13 avril 1928. » L'affaire de Glozel prit un désagréable côté passionnel et même Miss Dorothy Garrod, membre de la commision internationale, fut surprise en train de « trafiquer » sur le front de taille des fouilles. Les polémiques soulevées hors du domaine de la science aboutirent à une regretta- ble confusion et firent que des hommes de science comme l'abbé Breuil demeurèrent hors de la mêlée. En 1974, Bernard Teyssier (4) a rencontré Jean-Louis Baudet, professeur à l'Ecole d'anthropologie, assistant de l'abbé Breuil de 1946 à 1961, qui lui a rapporté un propos du grand savant, auquel il apparaissait impossible que Fradin ait été le créateur des trois mille pièces décou- vertes : « Si c'est un faussaire, c'est un génie ! » Durant ces dernières années, Jean-Louis Baudet a fouillé les grottes de l'Ile-de-France. Plus de 1 800 ont été dénom- brées, toutes habitées à l'époque où Glozel aurait dû exister. Le professeur a remarqué « une certaine analogie entre les signes découverts dans ces grottes et ceux de la fameuse écriture glozélienne ». Ces signes ont été gravés sept mille ans avant notre ère, mais sont-ils « écriture » au sens moderne du terme ou simplement schématisation des peintures rupestres ? Mal- heureusement la découverte et l'exploitation du gisement de Glozel sont marqués par le manque de rigueur scien- tifique et les rivalités personnelles. E. Fradin, sur plainte de la Société préhistorique, fut inculpé d'escroquerie et M. Antonin Besson (aujourd'hui procureur général hono- raire) récemment nommé procureur de la République à , fut chargé de l'affaire : « Je me suis demandé comment des esprits, dont la bonne foi est entière par définition, peuvent se laisser gagner par des courants d'opinion qui entraînent leur esprit critique à la dérive. Pour en arriver là, il suffit de se faire porteur d'une idée fixe, de s'y tenir et de l'entretenir comme une fleur véné- neuse en vase clos. « Conformément à mes conclusions, le juge d'instruction rendit justice à Emile Fradin, en prononçant un non-lieu par ordonnance du 25 juin 1931, ordonnance qui, sur appel de la partie civile, fut confirmée par arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d'appel de Riom du 31 juillet 1931. » En mai 1973, le professeur Meydal et son équipe de savants atomistes de l'Université de Ri, au Danemark, ont daté les poteries du « champ des morts » par la méthode récente de la thermoluminescence. Les analyses se sont prononcées pour l'authenticité du site, le datant de plusieurs milliers d'années : plus ou moins cinq mille ans avant J.-C. La culture glozelienne paraît nettement préhistorique et ses débuts sont vraisemblablement contemporains du paléolithique final que l'on situe aux environs du dixième millénaire avant notre ère. Nous serions donc en pré- sence d'une culture préhistorique originale, s'étalant sur au moins cinq millénaires, c'est-à-dire de dix mille à cinq mille ans avant J.-C. Souhaitons que les tablettes d'argile de Glozel à l'énigmatique message, trouvent leur Cham- pollion, même si la thèse de Dussaud sur l'écriture phéni- cienne est remise en cause. Les découvertes de Tartaria et de Karanwo, reposent de nouveau le problème, l'écriture portée par ces tablettes est plus vieille d'un millénaire au moins que celle des premières tablettes sumériennes et elle apparaît en plein monde barbare sans justifier ni réclamer d'aucune influence orientale. Les caractères se retrouvent dans l'écriture contestée de Glozel. « Tenu pour authentique en 1930, Glozel aurait boule- versé la science et constitué un événement dans la culture européenne. Ecarté comme faux, il laisse la place libre à d'autres découvertes qui battent aujourd'hui en brèche tant l'invention de l'écriture par Sumer que la priorité égéenne dans la naissance de la civilisation occidentale (2). » Quoi qu'il en soit de Glozel, l'âge néolithique ou de la pierre polie, période qui commence sept à huit mille ans avant notre siècle et se termine vers l'an 2500 avant J.-C., a laissé de nombreux témoignages sur l'ensemble du ter- toire appelé aujourd'hui Bourbonnais et que les hommes occupèrent en nombre à cette lointaine époque. Il ne se passe pas d'année sans qu'un nouveau souter- rain-refuge ne soit découvert et plus d'une centaine ont été recensés tant en montagne bourbonnaise que dans la région de Montluçon. A l'imitation des animaux, là où les grottes naturelles n'existaient pas, les hommes du néolithique avaient appris à creuser des tanières, à l'aide d'outils ou de pierres, afin de se donner une demeure à l'abri des intempéries et protégée des animaux sauva- ges. Parmi les plus anciens de ces refuges, on peut mention- ner ceux du Chaillat et des Martels à Arpheuilles, de Terre- noire à et des Simons à Hérisson. A cette époque les menhirs apparaissent, premiers jalons, au début d'une recherche solaire et cosmique, suivis par les dolmens, à la fin du néolithique vers les troisième et second millénaires, servant sans doute à usage de temple ou de sépulture. Les menhirs sont à l'origine du culte des pierres qui se perpétua longtemps en Bour- bonnais. Certains sont fort bien conservés comme à Givar- lais, Louroux-Hodement, , , la Croix- Bonzo et la Grenouillère à Estivareilles, la pierre qui danse entre Courçais et Saint-Désiré, la pierre Chevau au Vilhain (un menhir dont l'érosion a causé la chute) sans compter les nombreuses pierres levées de la partie bour- bonnaise des gorges de la Sioule et de la montagne bour- bonnaise dont quelques-unes sont certainement d'authen- tiques menhirs. Les dolmens sont moins nombreux. A Besson, la pierre folle a sa légende. La nuit, elle ferait entendre des gémis- sements et au clair de lune des passants attardés auraient vu des fantômes mener la sarabande autour d'elle. Nous sommes là au cœur des légendes dont la source est une réalité que nous aimerions bien connaître. Le progrès des connaissances découle souvent du rêve et de l'imagi- nation et c'est toujours avec une curiosité attentive qu'on lit des interprétations faisant appel à des réalités locales. « Avec les sites archéologiques de Old Sarum et de Grovely, Stonehenge forme un parfait triangle équilatéral. Il nous rappelle celui de Néris-les-Bains (Allier) avec ses trois dolmens du Créchou, de Perrelinte et de Méneveau protégeant les eaux radio-actives et guérisseuses provenant du bois de Tigoulet (Trois-Goulets). Cette région avec le plateau de Durdat-Larequille fut un des grands centres druidiques avoisinant l'Auvergne. Dur est l'inversion de Dru, DRW, le druide. De nombreux mégalithes subsistent encore. « Le collège enseignant était à Menat, Puy-de-Dôme, à environ vingt kilomètres. Sur son emplacement subsiste une très belle église romane classée (8). » Comme nous aimerions découvrir la signification exacte des légendes qui entourent certaines de nos pierres « sa- crées » ! Peut-être n'y a-t-il là que l'homme conscient de sa faiblesse devant les dangers qui le menacent, réagissant par l'imagination et cherchant protection dans le rêve ? Mythologie et christianisme s'y mêlent, curieux témoigna- ges sur l'évolution et la constance de l'imagination des hommes au cours de la traversée des siècles : les pierres à bassins de Courtine, au Mayet de Montagne, passent pour avoir connu des sacrifices sanglants. L'une d'elle présente une dépression en forme de pied humain : c'est le pied du Juif errant. A , la pierre des Fées porte la trace de leurs pas et un entablement passe pour être le siège de la grande Fade. La toponymie avec le nombre de vil- lages appelés les Fayes, les Fades, la Fayolle, etc., montre l'importance du souvenir des fées en Bourbonnais. Voici encore la pierre qui danse à . Cette pierre tour- nante ou « pierre du jour » était visitée par les Fades qui, la nuit, entraînaient dans des rondes endiablées l'âme des filles de mauvaise vie tandis qu'en une autre localité une belle fille obligeait à une danse satanique les hom- mes en quête de bonne fortune. Dans la même région existe, au sud de la forêt de l'As- sise, un rocher à cuvette dit « Pierre druidique ». La cuvette la plus profonde conserve toujours un peu d'eau. Il suffit à une jeune femme d'y tremper le doigt pour être assurée d'enfanter dans l'année. Près de la Malen- trée, commune de Durdat-Larequille, se dressent les ro- chers du Diable et de la Baleine. Ce dernier donnait lieu à de curieuse pratiques. La nuit du 1er mai les filles nubi- les, en mal d'époux, montaient sur la pierre et se lais- saient descendre en glissant. Elles auguraient que leur mariage était proche, si elles arrivaient à terre sans inci- dent ni écorchure, surtout lorsqu'elles avaient pris aupa- ravant la précaution d'uriner dans le bassin creusé au sommet du roc. Le matin du 1er mai ou de la Saint-Jean, celles qui projetaient de se marier grimpaient aussi sur la Baleine, s'asseyaient sur de légers fagots de bois et glissaient. Selon les circonstances de la glissade, les fian- cés tiraient des pronostics sur l'union qu'ils envisageaient. Si la fille cassait son sabot, c'est qu'elle avait déjà connu l'amour. Toutes ces pierres sont à l'origine d'un folklore né de croyances ancestrales contre lesquelles le christianisme lutta et souvent, faute de pouvoir les détruire, adopta. A Chambérat une roche est dite : « Le pas de l'âne de saint Martin ». Le saint monté sur son âne se sauvait devant les païens. Sa monture laissa une trace indélébile dans la pierre. Saint Martin a bien dû remplacer un géant de la mythologie celte, comme à la pierre à cupule de Mazirat appelée « Le siège de M. Martin ». Toutes ces légendes, dont le fonds est commun à l'humanité, découvrent un peu de l'âme de nos lointains ancêtres. L'âge de bronze commence vers 2 500 ans avant J.-C. Il ne faut pas croire que l'évolution se soit accomplie d'une façon générale. Elle a été sporadique, les hommes du néolithique modifièrent lentement leur genre de vie, conti- nuant d'utiliser la pierre parallèlement au bronze. A Buxières-les-Mines, Montcombroux et Bert, parce que le sol fournit abondamment la matière, les hommes fabri- quent encore des bracelets et des colliers en schiste. En revanche, à Rongères furent découverts un petit vase, un bracelet, deux spirales et un anneau en or, tandis qu'une roue de cuivre était trouvée à et une roue solaire à Charroux. Cette fameuse roue, comme le sphéroïde de bronze de la Ferté-Hauterive sont certainement des témoi- gnages sur le culte solaire dans une région où les Belen, Baleine et, plus tard, les Saint-Bonnet, abondent. Peu à peu des étrangers venus du Danube atteignent le Bourbonnais. Ce ne sont pas des conquérants prédateurs, mais des commerçants : ils proposent d'excellentes haches de bronze (1/10 d'étain + 9/10 de cuivre) qui remplacent les outils de pierre ou d'or moins efficaces. Peu à peu ces haches se perfectionnent : hache de bronze à l'image de la hache de silex, hache à bords droits, hache à aile- rons, hache à douille semblable à celle que nos bûcherons utilisèrent jusqu'à la tronçonneuse. Des haches de ces divers modèles ont été trouvées sur toute l'étendue du ter- ritoire bourbonnais, à , à Saint-Bonnet-de-Roche- fort (près de la vallée mystique de la Sioule des temps néolithiques), à Saligny, à Saint-Plaisir, à Billy, à Vichy, à Cordes (antique cité aujourd'hui disparue, proche de Héris- son), dans la région montluçonnaise et à Montluçon même. Si de nombreuses haches ont été découvertes isolément, celles trouvées groupées dans des cachettes représentent le plus grand nombre. « Ces dépôts sont ainsi dissimulés pour éviter les vols. Le Bourbonnais en compte une quinzaine d'importants dans la région de Moulins, Lapa- lisse et Gannat. Dans la région de Montluçon, on a trouvé quatre-vingts haches à bords droits à Argenty, dix hachet- tes à talons aux Trillers et à Estivareilles une hachette à ailerons (9). » La civilisation a évolué : la découverte, à Gannat, de restes de harnais en bronze, montre que le cheval jouait déjà un rôle important. L'abbé Moret a fouillé, près de Saint-Menoux, le tumulus de Joux, qui livra de remar- quables poignards de bronze, des bijoux en bronze et en schiste et des poteries intéressantes. Nos ancêtres abor- dèrent l'âge de fer en extrayant le minerai à Isserpent et en le travaillant dans diverses localités dont le nom rappelle ce passé « industriel », comme Ferrières-sur- Sichon, et aux abords de la forêt de Munet, dont le bois était un combustible précieux, se sont installées des forges. Comment vivait-on en Bourbonnais à cette époque dont le début se situe environ mille ans avant notre ère ? Les monuments mégalithiques témoignent que nos loin- tains ancêtres croyaient déjà en une force supérieure. Si l'esprit du culte a disparu, si l'imagination réfléchie permet seule de reconstituer les cérémonies, les autels, dolmens et menhirs demeurent et continuent de témoi- gner même lorsque comme à Venas, Givarlais, Bize- neuille, les chrétiens les ont convertis en les surmontant d'une croix. L'examen de leurs sépultures, les traces de leurs habi- tats, des vestiges divers, tout permet de penser qu'ils savaient utiliser et conserver le feu, qu'ils cultivaient certaines plantes, qu'ils avaient domestiqué certains ani- maux, entre autres le chien et le cheval ; peut-être même ayant découvert le moyen de tisser, n'étaient-ils pas sim- plement vêtus de peaux de bêtes ? Ces hommes avaient une intelligence déjà bien développée « Le fond est constitué par le type alpin à crâne rond, à face large et à cheveux châtains. Mais les Celtes vont surgir, blonds et grands ; ils se mêlent aux occupants antérieurs (7)... »

DES HEURES GAULOISES AUX HEURES ROMAINES

« Mettant à profit cette rivalité, César, maître de l'Italie, résolut d'aller attaquer chez eux les Arvernes en suivant le cours de l'Allier. Il trouva en face de lui, en la personne de Vercingétorix un adversaire résolu, quoique ne disposant pas de troupes aussi entraînées et organisées que lui. Les deux armées s'épièrent de chaque côté de la rivière. Le chef gaulois faisait sauter les ponts, les uns après les autres. Sa vigilance, pourtant, finit par être trompée et César franchit l'Allier, en un point non défini, que les historiens croient pouvoir situer dans la région de Moulins. Cela se passait cin- quante-deux ans avant J.-C. » Bernard de Fournoux (Le Département de l'Allier) La Revue géographique et industrielle de France (1969)

os ancêtres les Gaulois », proclame l'histoire de France. L'aventure de ces hommes, grands, blonds aux yeux bleus — même si certains furent«N petits et bruns — mêle la légende à la vérité his- torique. Les Romains les désignaient par le terme de Galates ou Galli. De là vient le nom de Gaulois qui leur fut donné, d'où aussi le nom de Gaule aux territoires qu'ils occupaient. Ces Gaulois assuraient que leur grand ancêtre était le dieu des Enfers. Ils comptaient, non les jours mais les nuits. En 1974, où le patois bourbonnais subsiste, le mot « anneu », la nuit, est employé pour « aujour- d'hui ». Dès ce moment, la région de et celle où s'élèvera Moulins apparaissent capitales dans l'histoire de notre région comme le seront les bords de la Seine à Lutèce dans l'histoire nationale. Déjà son caractère de lieu de passage et de rencontre se révèle. Trois puissants peuples gaulois se répartissent en un triangle dont les sommets se rejoignent au cœur du Bourbonnais. Du sud montent les Arvernes — (futurs Auvergnats) tandis que les Bituriges (Berrichons en puissance), viennent de l'ouest à la rencontre des Eduens, qui deviendront les Autunois. Les diocèses religieux de Clermont, Bourges et Autun, suivront assez bien les limites de ces peuples jusqu'en 1823, date où sera créé le relativement récent évêché de Moulins. Le calme ne devait pas souvent régner prés des zones frontières. Arvernes, Bituriges et Eduens étaient des guer- riers farouches et les limites d'influence variaient à chaque conflit, chaque peuple essayant d'assurer son hégémonie. Au vie siècle avant notre ère, Ambigat, roi des Bituriges, domine un immense empire celtique qui s'étendait de la Gaule aux plaines du Danube. Au cours des siècles sui- vants, le pouvoir semble avoir changé de camp. Le fait qu'à la fin du deuxième siècle avant notre ère les Eduens aient demandé l'appui de Rome contre les Arvernes, annonce la fin de l'indépendance gauloise, une « indé- pendance » qui laisse sur notre sol de nombreuses traces de luttes. A Diou a été découverte une épée gauloise, une arme utilisée quatre siècles avant J.-C. et un glaive du temps de l'empereur Auguste. Le long de la Loire à la limite est du Bourbonnais, se voit encore une ligne de mottes défensives à Gannay-le-Vivier, dite « le turail bour- bonnais ». De nombreuses sépultures gauloises ont été découvertes sur le territoire du . A Bègues, près de Gannat, se voit une enceinte vitrifiée. Sans doute y avait-il là, dès le début de l'âge de fer, une enceinte défen- sive construite à l'aide de madriers de bois. Ils durent être incendiés lors des assauts successifs opposant Eduens et Arvernes. Sous l'action du feu se produisit une sorte de vitrification qui témoigne de l'acharnement des combats successifs. Près de Hérisson, où se dresse aujourd'hui le village de Chateloy, les Gaulois avaient construit la ville de Cor- des ; la légende de Viljo, fontaine coulant sur l'emplace- ment d'une cité gauloise engloutie dans le sol, évoque un peuplement ancien. L'actuelle forêt de Tronçais, où aurait été située cette cité, donne assez bien une idée de ce que pouvait être le Bourbonnais à cette époque où les hom- mes vivaient de la chasse et de la pêche ainsi que des ressources naturelles du sol. Ils avaient à lutter continuellement contre les éléments et les animaux, ce qui entretenait leur musculature et leur courage. Aussi étaient-ils des guerriers de premier ordre. En nombre, 390 ans avant J.-C., ils durent participer à la conquête de l'Italie du Nord et du Centre ; leur chef Bren- nus, dit Brenn — qui entra victorieusement dans Rome, aurait eu des origines bourbonnaises. Ce serait donc un de nos ancêtres qui, au moment où les vaincus pesaient l'or de la rançon, aurait déposé sa lourde épée sur le plateau des poids en criant : Vae Victis ! (Malheur aux vaincus !) Mais l'Histoire a ses retournements et, quelques siècles plus tard, Jules César pénètre en vainqueur en Gaule. Sur les rives de l'Allier moyen et de la Besbre jusqu'à la Loire, il rencontre un peuple et le nomme les Ambivares. Ceux-ci avaient pour pour cités principales, le bourg de Besbre qui deviendra Lubié puis , Vouroux près de Varennes, enfin Toulon-sur-Allier. Sur un territoire appelé à être essentiellement bourbonnais, les habitants jouissaient déjà d'une civilisation très avancée et se rat- tachaient à la confédération éduenne. La partie nord-est du futur Bourbonnais du nord de l'Allier à la Loire, en particulier l'infertile Sologne bourbonnaise, si l'on s'en rapporte à une tradition successivement combattue ou admise par les érudits les plus éminents mais qu'il nous plaît de tenir pour valable, était occupée par les Boïens. Ces peuplades venues des rives du Danube s'étaient fixées sur les frontières éduennes à la suite de la défaite que Jules César infligea aux Helvètes au secours desquels elles étaient venues. « Les Boïens auraient eu leur ville non loin de notre Souvigny, à un endroit qui reste à découvrir et qu'un texte de 915 ou 920 nomme « Le vieux Souvigny ». L'aimable région de Souvigny, berceau du Bourbonnais féodal, servit-elle d'abord de refuge aux Boïens ? (7) » L'immémoriale tradition bourbonnaise veut que ceux-ci aient occupé tout le triangle entre Loire et Allier — ce qui concorde absolument avec les textes — jusqu'à la frontière arverne passant par Neuvy et Toulon-sur-Allier, la frontière biturige, la rive gauche de l'Allier, puis la Loire jusqu'à Briare, selon M. Gourd Capelin. Nous n'entamerons pas une discussion au sujet de l'em- placement de Gorgobina, capitale des Boïens. Rappelons seulement, parce qu'une importante partie de l'action aura le Bourbonnais pour théâtre, qu'au moment où Jules César croyait dominer la Gaule un soulèvement éclata à Senabum (Orléans). La nouvelle, connue grâce à des feux, le soir même chez les Arvernes, provoqua une révolte générale dont Vercingétorix — le roi des guerriers — fils du roi Celtil, prit la tête. Eduens, Boïens, Bituriges sont les alliés de Rome. Vercingétorix attaque les Bituriges et les convainc de se joindre à lui, mais les Boïens s'op- posent à son avance. Pour affamer les Romains le chef gaulois fait table rase et c'est peut-être à cette occasion que furent détruites, une fois de plus et certaines pour tou- jours, des cités comme Cordes, Bègues, Néris, Bourbon. Les troupes de César et de Vercingétorix se tenaient de part et d'autre de l'Allier. Le Romain décide de porter la lutte au cœur même du pays du Gaulois qui, se dou- tant de cette stratégie, détruisit tous les ponts de l'Allier. Par une ruse qu'il conte en ses Commentaires de la guerre des Gaules, César réussit à franchir l'Allier, rétablissant un pont sur ses anciens pilotis demeurés intacts. Ce franchissement eut-il lieu à Châtel-de-Neuvre ou vers Mou- lins-Neuvy ? Les érudits en discutent encore ; une chose est certaine : s'appuyant sur Gergovie, Vercingétorix infli- gea une rude défaite à César et devint notre premier héros national. Hélas ! cette victoire fut sans lendemain, la chute d'Alésia consacra la conquête romaine facilitée par la division des Gaulois. « Deux légions romaines, en 52-51 avant J.-C., prirent leurs quartiers d'hiver sur le territoire même de notre Bourbonnais. L'une, la treizième, campait à gauche de l'Allier, l'autre, la onzième, à droite, chez les Ambiva- res (7). » La Gaule semble avoir accepté facilement l'occupation romaine d'autant que le pays avait été déclaré libre et autonome. La paix et l'ordre romains régnaient et les Boïens, anciens alliés de César, vivaient protégés par la Ponticiacensis Sylva. Sous les règnes de Tibère et de Caligula, la domination romaine se fit plus brutale. Au début le culte druidique avait été respecté bien que déclaré incompatible avec la dignité de citoyen romain. L'empereur Claude voulut « romaniser » complètement l'aristocratie gauloise. Pour cela, il lui fallait anéantir l'ordre druidique ; il tenta de le faire en interdisant l'exer- cice de ce culte. Des résistances naquirent, des soulè- vements se produisirent, tandis qu'à Rome même, après l'assassinat de Néron, les généraux se disputaient le pou- voir. Le druidisme était en pleine renaissance au moment où le Capitole romain flamba, funeste présage pour l'Em- pire. Druides et bardes qui avaient survécu aux persé- cutions, commencèrent d'appeler à la résistance, exaltant Maricus, « l'homme prédestiné marqué par les Dieux, descendu du cercle céleste pour délivrer la Gaule du joug étranger ». « En réalité, Maricus était bien autre chose : suivant la vieille tradition encore conservée dans le pays, il était né aux environs de Néris. Un endroit, en souvenir de lui, porte encore le nom de Marcoin, simple corruption de Maricus. « Aujourd'hui encore, en notre Bourbonnais, on désigne sous le nom de Marcoin le septième des fils nés d'une même femme sans interposition de fille. De par sa nais- sance, le « marcoin » est un être mystérieux, un sorcier capable des choses les plus extraordinaires. Or, Maricus était justement un « marcoin » et, par cela même, un homme doué d'un pouvoir surnaturel, marqué par la destinée pour accomplir de grandes choses (10).» Les druides s'appuyant sur cette croyance populaire pré- parent le soulèvement du peuple vers 70, groupant de huit à dix mille hommes autour de Maricus qui, pour assurer son recrutement, promettait l'affranchissement des esclaves et la liberté de vivre à l'abri des exactions romaines. Bientôt il contrôla une partie des terres et surtout des forêts, occupant la moitié sud de notre département actuel. Pour que la rébellion s'étende et s'af- firme irrévocablement efficace, il eût fallu que les Eduens se joignent à Maricus, mais au cours d'un siècle l'influence romaine avait déjà profondément modifié leur compor- tement. Des intérêts les rattachaient à Rome. Aussi, soit par combat, soit par traîtrise, Maricus tomba en leurs mains. Ils le remirent à Vitellius, empereur gourmand et cruel, qui le condamna à être livré aux bêtes. Au milieu de l'arène, Maricus, le Boïen, regarda les fau- ves affamés bondir vers lui, puis s'arrêter, lever la tête, flairer l'air, enfin reculer puis venir se coucher à ses pieds. Cet homme de l'inextricable Ponticiacensis Sylva, au regard fascinant, était-il un dompteur ? Sur les gradins le peuple s'apprêtait à applaudir, étonné et heureux de voir Maricus démontrer que son invulnérabilité n'était pas une légende. L'empereur Vitellius comprit le danger et donna l'ordre à ses soldats d'égorger l'illustre enfant de Néris qui, frappé à mort, s'écroula dans l'arène où son sang se répandit. Cette exécution était plus que la mort d'un homme : la fin d'un idéal. Les Eduens et les troupes de Vitellius dispersèrent les Boïens et rayèrent de l'His- toire leur cité, la Gergovia Boïorum, la Gergovie des Boïens dont l'emplacement mystérieux reste au domaine de la conjecture, même si M. Camille Jullian la place entre Loire et Allier, probablement à la Guerche. Il en va de même des villes comme des hommes, elles naissent, vivent et meurent, ne laissant qu'un vague souvenir. L'échec de ce soulèvement populaire préfigurait cepen- dant l'esprit public de cette région où à toutes les époques l'homme se fera le champion de la liberté et dont la plu- part des grandes heures sont marquées par le souci de l'indépendance. La Gaule momentanément soumise sur la totalité de son territoire va être organisée par l'administration romaine, une administration efficace et précise. En ce temps-là les régions se nomment des « civitates », non pas des cités au sens médiéval du terme, mais plutôt des provinces partagées en plusieurs « pagi » — un « pa- gus » recouvrant généralement un groupement ethnique d'avant la conquête, l'occupant respectant les limites, l'in- dividualité, le caractère propre des anciens groupements gaulois, donnant ce que nous appellerions aujourd'hui l'exemple d'une régionalisation réussie. Ces « pagi » avaient un chef-lieu, le « vicus ». Comme le territoire du Bourbonnais fut occupé depuis la plus haute antiquité, comme à l'époque gauloise l'im- plantation humaine se retrouve en de nombreuses loca- lités, les Romains vont occuper nos principales cités essai- mant des « villas » dans nos campagnes. Les labours profonds des tracteurs, les pelles des bulldozers, ouvrant les routes, facilitant le remembrement de nos campagnes, remettent à jour en maints lieux de notre sol des tuiles et des briques romaines, parfois des fragments de mosaïques, une statue mutilée ou des pièces de monnaie, ce qui prouve une forte densité de population jouissant d'un niveau de vie intéressant, surtout dans les localités pos- sédant des sources thermales. Les limites des « civitates » romaines respectèrent les groupements des populations gauloises et le Bourbonnais futur fut partagé entre trois grandes « cités » (déjà ce caractère ternaire qui marque aujourd'hui le départe- ment de l'Allier aux trois grands cours d'eau, aux trois stations thermales, aux trois villes importantes...) : notre région comprit la cité des Arvernes, la cité des Bituriges, la cité des Eduens, les Ambivares se fondant dans les Arver- nes, et les fameux Boïens dans les Eduens. Néris, Bourbon et Vichy que tout bonnement les occupants nommèrent Aquae Calidae, c'est-à-dire « eaux chaudes » devinrent d'im- portants « vici ». Les deux premières localités avec Cordes et Chantelle relevaient de la « cité » des Bituriges, tandis que la troisième avec Deneuvre, et peut-être Vouroux, Tré- zelles et Besbre de celle des Arvernes, dépendant de la « cité » éduenne. L'époque gallo-romaine — et les vestiges importants qu'elle laisse le confirment — fut vraiment une des grandes heures — heure d'art et de civilisation — du futur Bour- bonnais. Les Gaulois, qui à Néris en particulier ont laissé quel- ques statues, préféraient se baigner dans les eaux froi- des du Cher ou de l'Allier. Les Romains, animés par la nostalgie du soleil de leur terre d'origine, surent utiliser les sources thermales, créant des thermes somptueux sur les terrains vagues et marécageux de jadis. La légende fait remonter la création des sources de Néris à Neptune. Ce dieu des mers voulait que la plus jeune des Néréides — des filles de Nérée et de Doris, ACHEVE D'IMPRIMER LE II FfiVRIER 197! SUR LES PRESSES DE L'IMPRIMERIE CARLO DESCAMPS CO N DÉ-SU R-L'ESC AUT

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