GAVRAY-

Bernard BECK Agrégé de l'Université

GAVRAY - HAMBYE

Histoire et Monuments d'un canton bas-normand

Préface de Lucien MUSSET Professeur à la Faculté des Lettres de Caen

1975 © Editions OCEP - 50200 - 1975 A LA MÉMOIRE DE MON PÈRE, LE DOCTEUR AUGUSTE BECK (1916-1969), CONSEILLER GÉNÉRAL DU CANTON DE GAVRAY, QUI, POUR AVOIR, PENDANT TRENTE ANS, SOULAGÉ LES SOUFFRANCES DE SES CONCITOYENS ET DÉFENDU LEURS INTÉRÊTS, N'EUT PAS LE TEMPS D'ÉCRIRE CETTE HISTOIRE.

le remercie Monsieur Nédélec, Conservateur des Archives Départementales de la , qui m'a aidé, par ses précieux conseils, à rassembler une partie de ces documents.

Je remercie également Monsieur l'abbé Dutot, curé de , qui a bien voulu corriger le manuscrit et m'aider à améliorer la présentation de l'ouvrage.

PRÉFACE

Défense du cadre de vie, sauvegarde de l'environnement, régionalisation : chacun reconnaîtra dans cette liste quelques-uns des maîtres-mots que la mode, en ces années, répand à tous vents. Qu'ils aient leurs vertus, nous en sommes bien convaincus. Mais combien l'action qu'ils inspirent prendrait plus de force et d'efficacité si elle s'appuyait toujours sur une bonne information, et avant tout sur une bonne connaissance du passé qui nous a faits — nous, nos mentalités et le paysage qui nous entoure — tels que nous sommes au plus profond de notre être. On n'agit efficacement sur le présent qu'à condition de connaître l'histoire dont ce présent résulte. A ce titre, le volume de M. Bernard Beck répond donc à un besoin. Né à Gavray, élevé à l'ombre des ruines de l'abbatiale de Hambye, mais également, par profession, historien et historien de l'art, il réunit toutes les conditions qui, en histoire locale, permettent de faire une œuvre attachante. Il joint à l'intime connaissance des lieux et des hommes l'amour nécessaire pour bien les comprendre et la science qui permet de tirer des documents tout ce qu'ils apportent aux curieux du passé. Sans jamais tomber dans l'érudition gratuite, il a su apporter beaucoup de nouveau, notamment sur l'ancien château qui fit longtemps de Gavray la clef du Cotentin, ou sur sa vaste forêt qui s'est comme évanouie au cours du XIX siècle sans que personne ait su au juste comment. Bien sûr, l'anéantissement en 1944 des Archives de la Manche interdit à jamais d'éclaircir quelques points importants de ce passé. Mais M. Beck a su s'adresser aux sources qui permettaient, dans une certaine mesure, de contourner cet obstacle. Le canton de Gavray n'a certes jamais tenu dans l'histoire de la Normandie une place centrale. Sans façade maritime, longtemps couvert de bois, tardivement peuplé et dépourvu de villes, comme la majeure partie des bocages normands il n'a guère subi ni l'empreinte romaine, ni les influences franques, ni la colonisation scandinave. Il a attendu l'ère ducale pour faire son entrée dans l'histoire écrite, et, comme partout, cette histoire écrite laisse à peu près de côté l'événement essentiel de son évolution : l'immense effort de mise en valeur qui a permis à partir du XIII siècle à cet austère terroir gagné sur les arbres de vivre à peu près à l'unisson du reste de la province. Entre cet épisode majeur du moyen âge et les révolutions économiques du XIX siècle, le canton de Gavray a mené une existence discrète, exemplaire et instructive pour qui s'attache aux réalités profondes plus qu'aux accidents spectaculaires. Mais il est un domaine où ce petit pays a su s'arracher aux ornières d'une médiocrité paisible. M. Beck en a fait à juste titre le chapitre central de sa monographie. Nous voulons parler, on l'aura compris, de cette prestigieuse ruine de l'abbaye de Hambye, sauvée à grand peine du vandalisme utilitaire au XIX siècle et remise en valeur avec dilection au XXe siècle par tout un mouvement d'opinion auquel la famille Beck a participé plus que quiconque. Il y a là un monument vraiment exceptionnel, entouré de splendides paysages encore trop peu connus, qui n'est pas indigne de figurer aux côtés du Mont Saint-Michel et de la cathédrale de Coutances, parmi les plus belles réalisations du génie architectural des Normands.

Lucien MUSSET.

Le canton de Gavray situé entre Coutances et Villedieu, dans le sud du Cotentin, fut formé à la Révolution française de vingt paroisses dont voici les noms : Saint-André-du-Valjouais (commune de Gavray) Saint-Denis-le-Gast Dragueville (commune du Mesnil-Villeman) Gavray Hambye La Haye-Comtesse (commune de -les-Bois) Le Mesnil-Amand Le Mesnil-Bonant Le Mesnil-Garnier Le Mesnil-Hue Le Mesnil-Rogues Le Mesnil-Villeman Lengronne L'Orbehaye (commune de Montaigu-les-Bois) Montaigu-les-Bois Pont-Flambart (commune de Lengronne) Sourdeval-les-Bois Ver Il comprenait également à la Révolution une communauté taillable, érigée en municipalité en 1787, Gavray-Village. Ces vingt paroisses et la communauté de Gavray- Village devinrent des communes en 1790. L'an III de la République (1796) Pont-Flambart fut rattaché à Lengronne, L'Orbehaye à Montaigu-les-Bois, La Haye-Comtesse à Sourdeval-les-Bois, Dragueville au Mesnil-Villeman, Saint-André-du-Valjouais et Gavray- Village à Gavray.

INTRODUCTION

Situé dans la partie méridionale du Cotentin, à une vingtaine de kilomètres de Coutances et de la mer, le canton de Gavray pourrait paraître, au voyageur pressé, en tous points identique à ses voisins : même topographie morcelée de collines et de vallons, même aspect bocager, même économie rurale. Il constitue pourtant une région originale et offre un ensemble de sites touristiques intéressants pour qui veut bien se perdre dans les détours de ses petites routes. Le canton de Gavray est en effet assis sur la frontière du Cotentin géologique. Sa partie septentrionale, composée de schistes briovériens, appartient à la vaste zone au relief indécis s'étalant des basses terres de et de Carentan à la première des deux bandes de hauteurs ouest-est qui s'étirent de la Manche aux plaines de Falaise et d'Argentan. Sa partie méridionale constituée de poudingues et de grès primaires appartient à cette ligne de hauteurs qui vient mourir à Granville et à Chausey et dont font partie le Mont-Robin (276 m) à l'est de Hambye et le Mont-Pinçon (365 m) au sud-ouest de Caen. Le contact de ces deux zones géologiques est bien visible à Gavray, quand, venant de Coutances, le voyageur voit soudain se dresser devant lui une ligne sombre de collines barrant l'horizon. Comme l'Orne, dans la Suisse Normande, la Vire entre Pontfarcy et Tessy, mais il est vrai avec des abrupts moins grandioses, la Sienne traverse dans le canton de Gavray cette ligne de crêts et de roches dures et donne à la région une certaine originalité géographique et un certain attrait touristique. Tantôt la rivière s'encaisse entre des éperons rocheux, comme ceux de l'Orbehaye, de Mauny (à Hambye) ou du Châtel-Ogi (à Gavray), tantôt elle étale ses méandres au milieu de prairies humides. Si elle est trop capricieuse pour avoir servi à la navigation, elle a fourni cependant entre le douzième et le dix-neuvième siècles la force de son courant à une multitude de moulins établis sur les nombreuses ruptures de pente de son lit. Mais surtout la Sienne est l'axe de ce canton et le lien entre ses différentes parties. Le second aspect original de la géographie tenait à l'existence d'une vaste forêt appelée tout simplement forêt de Gavray. Au XI siècle, elle était inentamée. Malgré les défrichements successifs, elle restait encore, vers 1830, l'une des plus importantes forêts du département de la Manche. S'il n'en reste plus guère aujourd'hui que des lambeaux, localisés sur les pentes trop abruptes de la vallée de la Sienne et le long de ses petits affluents, la Doquette, la Hambiotte, la Bérence, l'Airou, du moins ces taches forestières donnent-elles au paysage, en maint endroit, un aspect sauvage inhabituel qui n'est pas l'un des moindres charmes de ce pays. Pour caractériser encore le canton de Gavray, nous pourrions dire qu'il constitua de tout temps, sans doute en raison de sa forêt, une sorte de zone frontière méridionale du Cotentin. C'est là un trait permanent de la géographie politique de cette région de la Manche de l'antiquité celtique à nos jours. La forêt de Gavray séparait en effet les tribus gauloises des Unelles, au nord, et des Abrincates, au sud. Quand la Gaule fut devenue romaine et que la Normandie, ou deuxième Lyonnaise sous le Haut-Empire, eut été divisée en huit Civitates, la Civitas Unellorum garda les mêmes limites. Sa capitale fut d'abord Crociatonum (Carentan ?) puis Constantia (Coutances) aux environs de 400 (1). L'évêché de Coutances et le Cotentin furent à leur tour limités au sud par la forêt de Gavray et celle de Saint-Sever (commune rattachée en 1790 au département du Calvados). L'arrondissement de Coutances créé sous la Révolution respecta une fois de plus ce découpage. Frontière politique, la région de Gavray est aussi une frontière linguistique. Fernand Lechanteur a donné à celle-ci le nom de « Ligne Joret » (Joret étant l'auteur des premières études sur les langages normands réalisées à la fin du XIX siècle). Nous n'avons pas ici l'intention de reprendre les explications très techniques et très détaillées qu'a données F. Lechanteur, mais nous rappellerons l'observation d'un de ses interlocuteurs, originaire de Villedieu : « le Cotentin (linguistique) commence au chevet de l'église de l'Orbehaye (commune de Montaigu- les-Bois) parce que c'est là que l'on commence à parler patois ». La Ligne Joret, établie par F. Lechanteur avec beaucoup de précision, passe par Ver, Catte-sur-Cat (Gavray), Sourdeval-les-Bois, Percy, laissant au sud le Mesnil-Amand, le Mesnil-Bonant et Montaigu-les-Bois (2).

(1) Jean Mathière : « La Deuxième Lyonnaise et la Normandie », revue de l'Avranchin, tome XXXIX, 1961, pages 177 sq. (2) Fernand Lechanteur : « Quelques traits essentiels des parlers de la Basse- Normandie, et plus particulièrement du département de la Manche ». Studies in Modem Philology, 1967, page 185 sq. Les travaux de Fernand Lechanteur sont actuellement en cours de publication par les Editions OCEP, à Coutances. Pendant plusieurs années F. Lechanteur, chargé d'un cours de dialectologie normande à l'Université de Caen, a donné à ses étudiants un enseignement riche de savoit, d'expérience et d'humanité. Puisse cet enseignement être un jour distribué plus largement à tous ceux qui restent attachés à la langue, aux coutumes, à l'histoire de la Normandie. Enfin les constructions les plus remarquables de ce canton, symbole de la puissance temporelle et de la puissance spirituelle, sont le château féodal de Gavray et l'abbaye bénédictine de Hambye. L'un et l'autre ont subi les inévitables ravages du temps et les dépradations non moins évitables des hommes, mais, plus fragile pourtant, l'abbaye a mieux survécu. Monuments oubliés, ensevelis peu à peu sous les ronces, l'un et l'autre méritent d'être tirés de l'oubli. Pour l'abbaye de Hambye, c'est déjà chose faite. Pour le château de Gavray, tout est encore à faire. Si les ruines de cette forteresse médiévale sont actuellement à peine discernables sous le manteau de verdure qui les recouvre, n'oublions pas qu'il en était de même il y a quelques années pour le donjon du château de Caen. C'est principalement l'histoire de ces deux monuments que nous allons entreprendre dans les pages suivantes, et à travers eux celle des vicissitudes politiques et des événements religieux dont le canton de Gavray fut le théâtre au long des siècles. Mais nous essaierons aussi de décrire la forêt aujourd'hui presque disparue mais à laquelle Gavray doit son nom et quelques-uns des traits les plus intéressants de son passé. Et nous tenterons enfin de saisir quelques- unes des occupations et des préoccupations de la société gavrayenne à l'aube de l'ère industrielle.

« Il avait été édifié (dit l'auteur de la revue Héraldique, voir note 184) avec les pierres provenant des fouilles des douves et avec des blocs de granit amenées de carrières éloignées. « Autour d'une cour intérieure s'étendait un cloître en granit avec une voûte plein-cintre qui supportait le premier étage. « La Révolution détruisit une partie de ce couvent, le surplus existait encore il y a trente-cinq ans (le texte a été écrit en 1906), en bon état. Mais son dernier propriétaire, par une bizarre idée, avait ordonné dans son testament de tout raser, et cette condition insensée a malheureusement été trop fidèlement exécutée. Dans ce couvent avaient été enterrés plusieurs membres de la maison des Morant, notamment Thomas II. « A gauche du couvent se trouvait l'église, abattue lors de la Révolution. La tour seule avait été respectée, mais en 1868, elle a aussi été démolie. Un caveau creusé sous cette tour servait à la sépulture des moines dont les tombes furent bouleversées en 1793 ». On demeure confondu à l'évocation de cette richesse monumentale et des circonstances de sa disparition. c) L'église. C'est le seul monument qui soit conservé dans son intégralité, grâce aux soins du chanoine Pinel, et il faut dire que ce monument est heureusement digne d'intérêt. Du premier édifice il ne reste plus, sur le côté droit du chœur, qu'une très belle porte en plein cintre, à quatre voussures supportées de part et d'autre par deux colonnettes dont les chapiteaux sont ornés de têtes grossières. Les trois voussures inférieures sont constituées d'un simple tore cylindrique, la quatrième est décorée d'une rangée de dents de scie. Malgré le style archaïsant du décor, il est vraisemblable que cette porte date du XIII siècle. L'édifice se compose d'une nef sans collatéraux, coiffée d'une belle charpente de bois en berceau, d'un transept aux croisillons semi- polygonaux, voûtés sur croisées d'ogives reposant sur des chapiteaux décorés de feuillages dans le style du XIV siècle, mais d'une facture archaïque et d'une exécution maladroite ; d'un chevet polygonal enfin, aveugle, et épaulé extérieurement par des contreforts plats. Sur le côté gauche du chœur une très belle porte du XIV siècle donne accès à la sacristie ; celle de droite, qui lui fait pendant, est par contre moderne bien que du même style. L'église possède un clocher- porche assez ambitieux, dont l'entrée est encadrée de colonnes doriques à fût monolithe de granit. Le clocher est séparé en trois étages par des bandeaux horizontaux, mais les deux étages inférieurs sont aveugles, ce qui alourdit l'ensemble, et le troisième seul est percé sur chaque face d'une fenêtre géminée. Une flèche octogonale courte, cantonnée de pinacles coniques assez massifs surmonte l'ensemble. Elle n'est pas sans rappeler, quoique avec plus de lourdeur, celle de l'église de Quettreville-sur-Sienne. L'essentiel de la construction appartient au XIV siècle, sauf le clocher (XVI siècle). 6°) Le Mesnil-Villeman

Ce petit village groupé autour de son église est assez pittoresque. A l'écart des routes, il a conservé son allure ancienne et semble tout droit sortir du passé. De l'église, seuls le chœur (moins son adjonction polygonale du XIX siècle) et le transept sont anciens. Le transept est couvert d'une voûte sur croisée d'ogives à triple tore retombant sur des culots en forme de têtes. Les chapiteaux des arcs doubleaux de la croisée sont décorés de la même façon. La tour, au toit en bâtière, est assez trapue, comme celles de , dans le nord du département. Sa souche porte un seul étage, légèrement en retrait, court et percé d'une seule ouverture sur chaque face (peut-être cet étage est-il une restau- ration postérieure ?). L'église date probablement du XIV siècle. Sur le côté droit de la nef, dans le mur extérieur on a réemployé lors de la construction de celui-ci un magnifique linteau de cheminée dont le décor est divisé en trois parties et comprend de gauche à droite deux dragons se chevauchant, une licorne, deux lions face à face, enfin une licorne et un dragon ailé se faisant face. Il est possible que ce fragment de cheminée provienne de l'ancien château des Thieuville, au Mesnil-Garnier, château qui n'était pas fort éloigné de cette commune. Il est en tout cas d'une richesse exceptionnelle. Plus exceptionnel encore est le petit vitrail de saint Pierre, logé dans une étroite fenêtre du côté nord du chœur. « La verrière, écrit le chanoine Léon Blouet, qui fut curé de cette petite paroisse, repré- sente un prêtre vêtu d'une ample chasuble bleue et d'un long manipule assis aux pieds de saint Pierre, patron de la paroisse ; celui-ci coiffé d'une mitre rouge, tient d'une main une longue clef d'or et bénit de l'autre. Au-dessus de la tête du prêtre court une inscription de quatre lignes. La scène est surmontée d'un dais à deux gâbles. Le tiers supérieur et le tiers inférieur du vitrail sont occupés par deux grisailles comportant une rosace de couleur qui se détache sur des losanges décorés de rinceaux de feuillage d'or. Le pourtour est souligné par une bordure rouge qui sertit vingt délicieuses figurines d'or, des prêtres, des rois, des dames, etc... l'ensemble mesure 1,20 m sur 0,43 m» (186). L'inscription porte le texte suivant : « Mestre Guillaume (?) a donné cette verrine l'an de grâce MCCCXIII » (1313). Ce petit vitrail est le plus ancien exemple daté connu en de personnages exécutés sur verre blanc en grisaille et au JAUNE D'ARGENT, teinte dont le XIV siècle a fait en France un abondant usage.

(186) Chanoine Léon Biouet. Le petit vitrail de Saint-Pierre en l'église du Mesnil- Villeman. Art de Basse-Normandie. N° 21, 1961, page 29. « On peut se demander comment une telle œuvre a trouvé place dans une très petite église de campagne. La réponse nous semble être donnée par les rapports de l'église avec l'abbaye de Belle-Etoile (près de Flers). Le docteur Fournée a fait remarquer que le fondateur de l'abbaye, Henri de Belfago — ou de Beaufou — avait donné l'église au monastère dès cette époque, que dans la suite cette abbaye de Prémontrés s'intéressa à la vie de la paroisse et que, malgré la distance, « elle y envoya plusieurs fois ses propres religieux, lui donnant ainsi épisodiquement le caractère d'un prieuré-cure ». L'abbaye de Belle-Etoile aurait donc été l'intermédiaire par lequel une formule d'art très évolué se serait introduite dans cette petite paroisse du diocèse de Coutances ».

7°) Montaigu-les-Bois

L'église primitive était de plan rectangulaire, fort simple, sans transept ni abside. Elle se terminait à l'extrémité de la nef actuelle, ainsi qu'en témoignent les deux petites piscines logées dans les murs de chaque côté et l'emplacement de la crypte. Elle était certainement couverte à l'origine d'un plafond de bois en berceau, comme actuel- lement, et avait dû être construite dans la seconde moitié du XIIIe siècle. La nef actuelle, les piscines qui se trouvent à son extrémité ainsi sans doute que la crypte seigneuriale (élément de construction unique dans ce canton et fort rare dans le Cotentin), sont les vestiges de cette première église. Au XIV siècle, on édifia, sur le côté gauche de la nef, un clocher, dont l'emplacement est lui aussi inhabituel, les tours s'élevant plutôt soit au-dessus de l'entrée (clocher-porche), soit sur la croisée du transept. Ce clocher fut réparé au XV siècle et agrandi. Le transept et le chœur furent ajoutés au milieu du XVII siècle. Enfin postérieurement encore on refit les fenêtres de la nef, on ajouta les fenêtres à meneau et quadrilobe de sa troisième travée et le grand arc fortement saillant et un peu lourd qui orne la façade. L'église renferme trois belles statues : un saint Martin (patron de l'église) en habit d'évêque et non à cheval comme on le représente le plus souvent en Normandie ; la statue, de petites dimensions, est en calcaire de Caen. Elle date du XIV siècle ; elle est malheureuse- ment assez mutilée ; et deux jolies petites statuettes du XVII siècle : sainte Agathe, que l'on invoque contre les incendies et qui, comme sainte Barbe, s'appuie à une tour et tient une palme de martyre dans la main droite, et saint Eleuthère (?) diacre, compagnon de saint Denis et l'un des premiers évangélisateurs de la Gaule. Le saint est représenté en habits ecclésiastiques et foule aux pieds un petit dragon, symbole du paganisme. Cet édifice ne manque pas d'intérêt, soit en raison de ses différents agrandissements, soit en raison de ses dispositions exceptionnelles (la crypte dont l'accès est aisé, mais l'obscurité inquiétante, et le clocher très élancé et d'une bonne construction), soit en raison de sa statuaire. La paroisse est maintenant rattachée à Gavray, mais l'église est ouverte au public et bien entretenue. Elle mérite beaucoup plus qu'un simple coup d'œil en passant.

8°) L'Orbehaye

L'église est actuellement fermée en raison de son état de vétusté. L'agglomération dépend de la commune de Montaigu-les-Bois et n'a jamais constitué qu'une paroisse, sans conseil municipal. Aussi en 1905, lors de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, l'édifice a-t-il été donné aux paroissiens des environs, qui en sont désormais proprié- taires. Or cette petite église sans prétention qu'on laisse se dégrader lentement est l'une des plus anciennes de la région. La nef, dont les murs laissent apparaître de multiples traces d'appareil en arêtes de poisson, remonte à la fin du XII siècle ou au début du XIII Elle a conservé la plupart de ses ouvertures primitives, portail et portes en plein cintre et petites fenêtres en lancette, très étroites. Le clocher est plus récent (XV siècle) et le chœur a été restauré au XVIIIe, en même temps que l'on y peignait, intérieurement, une fresque naïve représentant l'Ascension. L'église possède enfin quatre magnifiques statues des XV et XVI siècles ; une Vierge à l'enfant, un saint Georges terrassant le dragon, un saint Gilles et un saint Jacques. Nous ne saurions trop insister sur la nécessité de préserver cette église vouée à une ruine certaine. Ses propriétaires actuels n'ont peut-être pas le goût ou la possibilité financière de le faire. Mais la commune de Montaigu, ou pourquoi pas le canton de Gavray, ne pourraient-ils pas distraire une petite partie de leurs ressources budgétaires pour parer au plus pressé ? Quel mécène sauvera cette église ?

9°) Saint-Denis-le-Gast

L'agglomération est l'une des plus originales du département de la Manche, par la disposition de ses maisons, accolées les unes aux autres, de chaque côté de la rue principale, par l'homogénéité des constructions (avec la lucarne triangulaire, caractéristique de cette région), par l'ancienneté de la plupart des habitations (XVIII et XIX siècles). De l'ancien château de Saint-Evremond par contre il ne reste plus grand chose. Le manoir est une belle demeure du XVIII siècle, mais sans originalité. Les écuries seules sortent un peu de l'ordinaire, grâce au bel appareillage classique de leurs arcades (XVII siècle). Les anciens fossés, antérieurs aux bâtiments, sont asséchés mais se lais- sent facilement deviner. Ils durent protéger jadis le château féodal dont il ne reste nulle trace. La Vallée de la Sienne fut pourtant jalonnée aux XIV et XV siècles de petits donjons, à Montaigu, Mauny, Saint-Denis, Ver, un peu comme les bords du Rhin furent parsemés de burgs. Mais on en chercherait aujourd'hui difficilement les traces ailleurs que dans l'histoire. L'église est assez agréable et relativement homogène, malgré ses restaurations successives. La nef à collatéraux et le croisillon sud du transept ont été refaits dans le style gothique au XIX siècle, vers 1870. La pierre très colorée, l'appareil fort régulier des murs, l'harmonie de la façade percée de trois lancettes très hautes suscitent l'admiration, même si l'œuvre est tardive. Le clocher et les deux premières travées du chœur remontent au XV siècle. L'abside enfin est du XVIII Intérieurement l'église est couverte de beaux berceaux de bois sur la nef, le transept et le chœur, et de demi-berceaux sur les bas-côtés, ce qui est peu fréquent. Elle possède enfin un beau mobilier Louis XV, comprenant la chaire, les stalles, le rétable. Sur la place du Poids-Public, en face de l'église, un monument assez original a été édifié à la gloire de Saint-Evremond : une pompe, surmontée du buste de l'écrivain.

10°) Ver

On ne sait si le château féodal des seigneurs de Ver s'élevait près de la rivière de Sienne, à l'emplacement du château actuel. Ce dernier, situé à quelques centaines de mètres au nord du bourg, fut édifié aux XVII et XVIII siècles. La partie de droite, composée d'une tour massive, remonte à la première moitié du XVII siècle et eut sans doute Louis de Gascoing pour bâtisseur. Le bâtiment principal, simple mais bien ordonné et assez imposant, est du siècle suivant. La seigneurie de Ver était alors passée par mariage aux Leforestier de Mobecq qui la conservèrent jusqu'à la fin du XIX siècle. Du manoir de Valencay, situé plus en aval sans doute (mais il existe à Ver deux hameaux de ce nom, tous deux à la limite occiden- tale de la commune), il ne subsiste plus rien aujourd'hui. Heureusement l'église mérite une visite attentive. Si la nef est moderne (XIX siècle), les autres parties de l'édifice ont été construites entre le XIII et le XV siècles. Le chœur est la partie la plus ancienne et la plus pure (2e moitié du XIIIe siècle). Il ne possède qu'une seule travée, éclairée par quatre fenêtres gothiques hautes et étroites, en calcaire de Caen, à double archivolte. L'archi- volte extérieure retombe sur de minces colonnettes surmontées de chapiteaux à haute corbeille décorée de crochets simples. Le chœur est voûté sur croisées d'ogives. Ces ogives ont un profil simple, identique à celui des arcs de la salle capitulaire de Hambye et la clef de voûte y est également composée d'un bouquet de feuillages. Les arcs de la voûte reposent sur de fines colonnes dont les chapiteaux semblent avoir été remis au goût du jour, postérieurement, au début du XIV siècle. Sans aucun doute l'abbaye voisine de Hambye a influencé les architectes du chœur de Ver : même matériau (le calcaire de Caen), même profil des chapiteaux, même décor, même élégance du style. La parenté est indéniable et l'on peut se demander si les ouvriers eux aussi ne furent pas les mêmes à Hambye et à Ver. Le transept comprend deux travées et deux arcades de commu- nication successives avec les croisillons. Ces derniers sont modernes, mais ont succédé à des constructions plus anciennes et l'existence exceptionnelle, pour une petite église, de ce double transept remonte à la période gothique. La travée orientale pourvue d'une voûte simple fait transition. Les colonnettes orientales qui supportent les arcs diagonaux sont du même type et de la même époque que celles du chœur. Les colonnettes occidentales, incluses dans les piles du carré du transept, sont au contraire de même nature et de la même époque que les grands arcs doubleaux de la croisée. La deuxième travée, occidentale, qui supporte la tour a une structure plus complexe. Les quatre grosses piles du carré du transept et les sommiers des arcs de la voûte ont été construits au XIV siècle. Les colonnes qui les composent s'achèvent par des chapiteaux annelés, décorés de petites feuilles trilobées. Mais la voûte à oculus, divisée en huit parties, a été refaite postérieurement (fin XV ainsi que les grands arcs doubleaux du transept et les arcades de communication avec les croisillons. Les ogives de la voûte sont ici plus lourdes. La réparation est visible au niveau des sommiers (départ des arcs). L'emploi du granit, les voussures multiples, l'épaisseur des piles donnent à ce double transept une impression de solidité. Si la construction y est moins élégante et moins légère que dans le chœur elle ne manque cependant pas d'habileté et de savoir-faire. Le mobilier de l'église comprend une magnifique Vierge à l'enfant, du XIV siècle, ainsi qu'un très beau bas-relief de la même époque : douze personnes debout représentant deux abbés (à chaque extrémité), quatre évêques et six laïcs : deux femmes et quatre hommes (les deux personnages centraux étant peut-être les seigneurs de Ver). Six d'entre eux tiennent une pierre dans leur main et semblent symboliser les bâtisseurs de l'église. Ces deux œuvres d'art mériteraient à elles seules la visite de l'église.

11°) Lengronne

a) Le patronage de la paroisse Saint-Ouen de Lengronne appartenait sous l'Ancien Régime, partie à l'Evêque de Coutances, partie à la famille Paynel... Au XIV siècle, on relève le nom d'un sieur Robert de Lengronne. Au XV siècle, François Hue, de Lengronne était anobli par Louis XI. Au XVII siècle, est encore fait mention d'un Louis Georges Hue, écuyer, seigneur du lieu. b) - L'église. Elle offre un plan qu'il est difficile de comparer avec celui des églises voisines. Il résulte, en effet, de remaniements effectués à diverses reprises, notamment au cours du XIX siècle. Le plan actuel, très simple, peut se décomposer en deux parties : une large nef rectangulaire, dépourvue de collatéraux, plafonnée, et un chœur de deux travées, voûté sur croisées d'ogives et terminé par un chevet plat. Au nord s'élève un clocher de plan carré construit en 1820, au sommet duquel fut placé, au XIX siècle, un télégraphe optique. Le chœur est sans aucun doute la partie la plus intéressante. On peut situer sa construction au début du XIII siècle, comme tendent à le prouver le profil de ses grandes arcades, les tailloirs carrés, la décoration des chapiteaux ornés de crochets dont le bourgeon terminal forme boule. Ce chœur ne comportait primitivement qu'une seule travée. Il était éclairé à l'est par une grande baie, recoupée par un meneau central, surmontée d'un oculus. Cette baie a été murée au début du XIX siècle lorsque le rétable a été assemblé. La première travée (occidentale) du chœur actuel correspondait à l'ancienne croisée du transept. Quatre piliers, encore visibles aujourd'hui, mais tronqués, supportaient le premier clocher, abattu au début du XIX siècle, et remplacé par le clocher actuel, situé en façade. L'église possède encore quelques éléments architecturaux intéres- sants : — une piscine gothique (mur méridional du chœur, deuxième travée). Elle s'ouvre par deux arcades géminées dont la retombée s'effectue sur un chapiteau à tailloir carré, orné de crochets qui rappellent par leur facture ceux du choeur ; — une porte à arc brisé (mur oriental du chœur) ; — une corniche à modillons (dernière travée du chœur). Le mur de la nef, côté sud, date du XII siècle. Sa maçonnerie est en arête de poisson (opus spicatum). Reste une porte (maintenant murée) surmontée d'un arc en plein-cintre dont l'archivolte est décorée de plusieurs rangs de bâtons brisés, au-dessus desquels figure un grotesque.

Le mobilier comprend : — un rétable (daté du XIX siècle par Le Conte « Curiosités Normandes Comparées »), qui se caractérise par ses lignes sobres empreintes d'un grand souci de symétrie. Deux pilastres cannelés encadrent un tableau représentant une Adoration des bergers ; — de part et d'autre de l'autel deux statues de saint Ouen et de saint Barthélémy ; — dans le chœur, deux statuettes polychromes du XV siècle représentant l'une un diacre, l'autre un moine ; — un Christ, du XVIII siècle, provenant d'une poutre de gloire ; — un lutrin du XVIII siècle. c) - La ferme de La Vachoterie. (Entre Lengronne et Le Mesnil-Aubert). La maison d'habitation de cette ferme n'offre aucun intérêt en elle- même. Mais sa façade est décorée de magnifiques bandeaux de terre cuite, visiblement remployés. Le principal de ceux-ci, situé au-dessus des fenêtres du rez-de- chaussée et de la porte d'entrée, à 2,50 m du sol, mesure 12 m de longueur et 0,20 m de hauteur. Il est constitué de plaques de dimensions extrêmement variables (allant de 0,50 à 1 m) et de couleur marron foncé. Le bandeau est abîmé par endroits, mais les décors sont assez visibles. Certains sont fortement saillants (l'allégorie de l'hiver, les anges), d'autres assez plats (les feuillages). Ce grand bandeau peut être divisé en trois parties, correspondant à trois types de décors.

La partie A occupe environ 4,75 m. Elle est ornée de grosses grappes de raisin et de feuilles de vigne formant une guirlande continue. La partie C occupe environ 3,50 m. Elle est constituée par une inscription incisée dans le bandeau à l'aide de deux traits parallèles : FAIT PARR RENE BARBOV LE TROIS [I] ME AOUS 1743. Au bout de l'inscription deux petites plaques représentent un cœur entouré de feuillages et d'épis de blé, La partie B, intermédiaire, d'une longueur de 3,75 m, comprend sept plaques organisées symétriquement de part et d'autre d'un décor central : a, a', représentent un lion, assez reconnaissable à sa crinière abondante. b, b', un coq dans un petit médaillon. c, c', un ange (?) mais seules les ailes subsistent en bon état. d, le centre, juste au-dessus de la porte d'entrée, est orné d'un soleil (cercle entouré de denticules) et de feuillages qui semblent symboliser des épis de blé. Ce décor est assez voisin des celui des poteries de Vindefontaine où ces plaques ont pu être fabriquées. Au-dessus de ce grand bandeau, le mur présente encore quatre carreaux, liés deux à deux, et figurant les saisons.

D : l'hiver. Un personnage est assis sur une chaise à haut dossier, devant un feu. E : le printemps. Un personnage, représenté de face, tient une gerbe de fleur dans chaque main. F : l'été. Scène de moisson. A droite, une gerbe de blé. A gauche, un paysan moissonnant à la faucille. G : l'automne. Un personnage, de profil, tient une coupe dans la main et s'appuie sur un tonneau. Ces carreaux de terre cuite sont les seuls ornements de cette ferme. Nous n'avons pu connaître l'endroit auquel ils avaient été primitivement destinés.

(La notice sur Lengronne a été rédigée par Catherine Beck).

Sans avoir la richesse de certains cantons normands, celui de Gavray n'est donc pas dépourvu de monuments. Il offre en tout cas des possi- bilités d'excursion, de promenade, de détente. Les sites y sont variés et agréables, les routes et les chemins pittoresques. Si la fréquentation touristique est faible, c'est sans doute que les monuments, les sites, les sentiers sont trop méconnus. Nous espérons que la description que nous en avons faite en facilitera la découverte. Canton de Gavray (partie nord) Canton de Gavray (partie sud-est)

CONCLUSION

L'histoire de Gavray est, à plus d'un titre, un reflet de l'histoire de la Basse-Normandie. Les populations successives y ont laissé les cinq types de toponymes que l'on rencontre dans notre province : celtique (Gavray, Ver, Sienne), romain (Equilly), germanique (Ham- bye ?), ou scandinave (Hambye ?) et roman (Les Mesnil). Chacun des grands événements de l'histoire normande y a laissé sa trace : les succès politiques des premiers souverains normands, la conquête de l'Angleterre, le renouveau du monachisme et les guerres de succession du XII siècle, l'annexion au royaume de France en 1204, le déclin des Capétiens et la guerre de Cent Ans, les révoltes populaires du XVII siècle, l'assujettissement de la province par le pouvoir royal, et ses grands commis aux XVII et XVIII siècles, la Révolution et la contre-Révolution, l'artisanat pré-industriel, son expansion et sa déchéance. Il faut dire cependant que la vocation historique de la région était certaine. Située sur une frontière naturelle, à la croisée de voies transversales fréquentées et, pendant un temps, stratégiques, à la lisière d'une forêt pleine de ressources et de dangers, elle posséda de plus un monastère dont le rayonnement dépassa pendant un siècle, grâce à quelques abbés remarquables, les limites du diocèse de Coutances, et une forteresse royale aux défenses maintes fois perfectionnées et qui commandait en fait toute la partie méridionale du Cotentin. Les Thieuville, les Painel, les Mauny, les d'Estouteville, puis les Morant manifestèrent une ambition, un courage ou une intelligence qui les portèrent aux plus hautes charges civiles, militaires ou religieuses de la province et parfois de la nation, et le roi Charles de Navarre montra une activité aussi fébrile que fertile en rebondisse- ments. Enfin, les robins du XVIII siècle, les marchands, les artisans et les artistes locaux (tels les Jourdan, les Grente de Hambye) ont par leur travail, leur imagination ou leur talent contribué à l'enrichissement de notre patrimoine. Les plus humbles nous sont moins bien connus, sauf exception. Ce sont eux qui ont subi le plus souvent les conséquences des bouleversements politiques, des catastrophes naturelles, des crises économiques. Mais peut-on dire que leur rôle fut négligeable ? Ils furent les défricheurs de la terre, les créateurs de la richesse. Les forêts et les landes ont reculé peu à peu devant leur patience, la terre a été amendée, les chemins tracés, les maisons, les églises, les villages construits, réparés, agrandis. Mais l'acharnement de généra- tions, l'accumulation de jours et de vies ne laissent qu'une trace éphémère dans la mémoire. On préfère oublier les mauvais souvenirs, les maigres récoltes, les épidémies, les faillites et il se trouve rarement quelqu'un pour en faire la matière d'un récit. Les comptes, les lettres, les chroniques, les registres paroissiaux, nous ont permis d'évoquer quelques-unes des peines, des souffrances, des espérances d'un quotidien qui n'a jamais trouvé de chantre pour le sublimer. A l'échelon d'un canton, l'histoire sociale est quasi impossible à écrire et nous nous excusons auprès du lecteur si cet ouvrage lui a paru incomplet. Nous avons délibérément laissé de côté les épisodes de l'histoire de notre région qui sont désormais bien connus, ainsi le destin des Estouteville et de leur château, étudié très en détail par le chanoine Niobey, ou le déclin de l'abbaye de Hambye à l'époque moderne, déclin sur lequel on pourra consulter l'ouvrage de M. Lecomte (187). Nous n'avons pas abordé l'œuvre et la carrière du poète gavrayen, Armand Lebailly, qui appartient à la littérature plus qu'à l'histoire. A son sujet d'ailleurs, le chanoine Blouet nous a laissé une étude magistrale à laquelle nous ne pourrions rien ajouter (188). Enfin nous avons laissé de côté les événements du XX siècle, de l'apparition éphémère du chemin de fer (1906-1935) au triomphe de l'automobile, les deux guerres mondiales, la crise économique, les bouleversements sociaùx. A chacun, pour l'instant, de faire appel à sa mémoire. Il se peut aussi que nous ayons omis tel détail, passé sous silence tel événement. Le lecteur voudra bien nous le pardonner. Nous n'avons jamais eu l'intention d'écrire un ouvrage exhaustif. Quant aux monuments, le canton de Gavray n'est ni plus pauvre ni plus riche qu'un autre. Nous nous sommes attaché à présenter les plus importants d'entre eux : L'abbaye de Hambye dont le nombre des visiteurs ne cesse de croître. Des expositions, des concerts, y constituent déjà une animation culturelle qui ne peut aller qu'en s'enrichissant. Mais la paix et le silence, l'ordre et la beauté sont encore ses atouts majeurs. Le château de Gavray, tout aussi silencieux, et où l'herbe étouffe jusqu'aux pas, domine un bourg plus agité que jadis et plus dispersé. L'immobilité domine ici le mouvement et incite à la réflexion et à l'analyse.

(187) Lecomte. « Curiositez normandes comparées ». Bernay, 1892. (188) Léon Blouet. «Un combat romantique, Armand Lebailly». Editions OCEP, Coutances, 1972. Partout, le paysage a du charme, un charme qu'il faut découvrir à pied, patiemment, en longeant un coude de la rivière, en gravissant un coteau, en parcourant un chemin forestier. La nature est sans doute le capital le plus précieux et le plus irremplaçable dans la société industrielle d'aujourd'hui et les monuments sont les témoins et les survivants fragiles de notre passé et de notre histoire. Ne sont-ils pas la vraie richesse qu'il faut jalousement protéger ? Car, « c'est de la beauté préservée des murs et des paysages, et de leur harmonie, a écrit Stendhal, que dépend une grande part du bonheur de l'homme ».

Aux lecteurs

• Nous conseillons aux lecteurs désireux de visiter les monuments du canton de Gavray et de faire des promenades en forêt ou le long de la vallée de la Sienne, de se procurer la carte d'état major de cette région : carte de France au 50.000 à hachures, feuille Villedieu, XIII-14, de l'Institut Géographique National (il est possible de la trouver dans les librairies de Coutances et de Saint-Lô).

Qu'il nous soit permis, à la fin de cet ouvrage, de formuler quelques souhaits auprès des élus municipaux et des responsables départementaux du tourisme. Les églises de Ver, Hambye, Saint- Denis-le-Gast, les villages de La Planche, à Gavray, de Saint- Denis, de La Baleine, mériteraient d'être signalés. Les sentiers de la vallée de la Sienne et de la forêt de Gavray pourraient être fléchés. Enfin et surtout il importe de réparer la petite église de L'Orbehaye, de préserver les richesses qu'elle renferme, de l'ouvrir à nouveau aux visiteurs. Nous en remercions à l'avance Messieurs les Maires, Monsieur le Conseiller Général du canton de Gavray et Monsieur le Directeur de l'Office du Tourisme de la Manche.