Conséquences de la présence de filières fromagères bénéficiant d’une Indication Géographique sur l’activité agricole des zones considérées: l’exemple des Alpes du Nord Agnès Hauwuy, F. Delattre, Daniel Roybin, Jean Baptiste Coulon

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Agnès Hauwuy, F. Delattre, Daniel Roybin, Jean Baptiste Coulon. Conséquences de la présence de fil- ières fromagères bénéficiant d’une Indication Géographique sur l’activité agricole des zones considérées: l’exemple des Alpes du Nord. Productions animales, Institut National de la Recherche Agronomique, 2006, 19 (5), pp.371-380. ￿hal-02658771￿

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A. HAUWUY1, F. DELATTRE1, D. ROYBIN2, J.-B. COULON3 1 SUACI-GIS Alpes du Nord, 40 rue du Terraillet, F-73190 Saint- Baldoph, France 2 INRA, INA Paris-Grignon, UMR1048 Activités, Produits, Territoires, 40 rue du Terraillet, F-73190 Saint- Baldoph, France 3 INRA, UR1213 Herbivores, F-63122 Saint-Genès Champanelle, France Courriel : [email protected]

L’agriculture de Montagne des Alpes du Nord a basé son développement sur la valorisation de la production laitière par des fromages, bénéficiant d’une Indication Géographique. Cette ambition et les orientations politiques et techniques associées, ont permis un meilleur main- tien de l’activité laitière sur l’ensemble des zones concernées, tout en engendrant une forte spécialisation de l’activité agricole.

L’agriculture des Alpes du Nord, et l’agriculture 1999, http : // www.agres- gine Protégée (AOP) (Abondance, plus particulièrement celle des départe- te.maapar.lbn.fr)). Cette production lai- Beaufort, Bleu du Vercors Sassenage, ments savoyards, se caractérise par une tière est essentiellement destinée à la Reblochon, Tome des Bauges) et deux spécialisation laitière importante (res- production fromagère bénéficiant d’une Indication Géographique Pro- pectivement 47 et 29 % de la Pro- d’une Indication Géographique. Ainsi, tégée (IGP) (Tomme de et duction Agricole Totale pour la Haute- actuellement, sur les trois départements Emmental de Savoie), deux demandes Savoie et la Savoie, contre 12 % au en production bovine, cinq fromages d’Appellation étant par ailleurs en niveau national (Agreste, Comptes de bénéficient d’une Appellation d’Ori- cours d’instruction (Gruyère, Saint Marcellin). Si la production laitière des Figure 1. Evolution du volume et du prix de vente des fromages Reblochon et Beaufort. départements savoyards ne représente que 1,5 % des livraisons nationales, la grande majorité de ce lait est transfor- mée en fromage (90 %) et en particulier en fromages sous indication géogra- phique (56 % du total des fromages), de sorte que la production fromagère du massif représente 15 % de la produc- tion française de fromages AOC (Appellation d’Origine Contrôlée).

La réussite commerciale des froma- ges AOP savoyards a entraîné de fortes augmentations des volumes produits (les productions annuelles de Beaufort et Reblochon ont ainsi doublé entre 1980 et 2000) et du prix de vente aux consommateurs (figure 1). Elle s’ac- compagne actuellement : 1/ de la trans- formation en fromages avec AOP de Source : données INAO / SECODIP plus de 95 % de la totalité du lait pro-

1 Ces travaux ont été réalisés dans le cadre du Programme de Recherche Développement du GIS Alpes du Nord. Ils ont bénéficié du soutien financier des membres du Groupement, et de celui de la Région Rhône-Alpes.

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duit sur les zones de production Tableau 1. Résultats comparatifs entre la filière laitière française et les filières froma- (Chatellier et al 2006), 2/ d’une forte gères A.O.C. des Savoie (Coutre-Picart 1999). valorisation économique du lait à la production (prix du lait environ 50 % supérieur à la moyenne française), celle-ci résultant certainement aussi du mode d’organisation des filières et des mécanismes de négociations du prix du lait, et 3/ d’un impact sur l’économie locale (emplois et investissements) (tableau 1). Au total, les filières froma- gères AOP savoyardes (production lai- nibles. La collecte des données, par effets sur le territoire ? La qualification tière, transformation fromagère et affi- enquêtes, observations etc., ne peut de ces effets est-elle la même quel que nage) représentent ainsi 3000 emplois alors être envisagée que sur des nom- soit le type de contexte local ? En directs sur les deux départements. Ces bres restreints de petits territoires, à fonction même de la présence ou non emplois sont stables dans l’année et la l’instar de ce qui a été réalisé dans une d’une filière AOP ? durée, et répartis sur l’ensemble du ter- étude similaire sur la zone de ritoire. La bonne valorisation du lait au lait cru, en Suisse (Paus 2003). Dans D’une étude voulue qualitative et ter- permet, pour les exploitations laitières ritoriale, celle-ci s’est déplacée sur du «professionnelles»2, un revenu moyen les conditions des Alpes du Nord, compte tenu de l’étendue et de l’hétéro- quantitatif, très centré sur l’activité par actif agricole légèrement supérieur agricole. Ce texte a ainsi pour objectif, à la moyenne française (21 200 € con- généité interne des contextes locaux à partir des données du Recensement tre 20 200 €/UTAF3) et à celui d’au- des zones d’Appellation, la collecte des tres zones de montagne françaises données n’a pu être réalisée que partiel- Général de l’Agriculture, d’analyser les (18 000 €/UTAF dans le Massif Central lement. Les résultats obtenus, en parti- conséquences de la présence des filiè- et le Jura) (tableau 2). Les exploitations culier par enquête ou observation, s’ils res fromagères bénéficiant d’une professionnelles de montagne des permettent une prise de conscience et Indication Géographique (IG) sur l’ac- Alpes du Nord se caractérisent par une un débat au sein des filières, ne peuvent tivité agricole des zones considérées. dimension structurelle légèrement plus faire l’objet d’une synthèse. Par En conclusion, nous chercherons à faible que la moyenne française (les ailleurs, la multiplicité des indicateurs identifier les points de rupture possi- quotas laitiers par unité de travail sont pris en compte impose, en terme de bles pour l’agriculture de ces zones, en respectivement de 107 500 kg et synthèse, d’en réaliser une agrégation, fonction de l’évolution du contexte. 133 000 kg) et un montant global d’ai- elle-même nécessitant une pondération des directes par exploitation légère- (Boutaud et Brodhag 2006). En effet, 1 / Matériel et méthode ment inférieur à la moyenne nationale leur addition systématique reviendrait à (20 600 € contre 22 100 €), malgré le donner la même valeur à des indica- versement de soutiens spécifiques en teurs aussi différents que le maintien de Du fait de l’ancienneté actuelle des montagne. races locales et celui de surfaces entre- filières fromagères des Alpes du Nord, tenues en alpage. Au-delà de la lour- une approche synchronique, c'est-à- Au-delà de cette réussite écono- deur des démarches pouvant être mises dire fondée sur une comparaison à un mique, des investigations sur les en œuvre pour réaliser cette pondéra- moment donné sur différentes zones où impacts territoriaux des filières froma- tion (Paus 2003), ceci renvoie directe- le facteur à étudier (filière AOP) est gères ont été réalisées dans le cadre des ment à des réflexions concernant le présent ou absent, a été retenue. travaux du GIS Alpes du Nord, dans développement territorial : qui sont les L’étendue des zones d’appellation (de l’objectif d’identifier les intérêts et les acteurs légitimes pour qualifier les 10 à 23 cantons), l’hétérogénéité intra limites de ces filières vis-à-vis de l’in- sertion de l’agriculture dans le territoi- Tableau 2. Caractéristiques moyennes des exploitations laitières professionnelles de la re. Ces investigations ont couvert une zone montagne des Alpes du Nord* en 2003. large gamme d’objectifs (développe- ment de l’agriculture de montagne, France entretien de l’espace, relations entre les Alpes du Nord Total acteurs de la filière) et ont été conduites avec différentes méthodes (enquêtes auprès d’acteurs, traitement de don- nées, observations de terrain). Notre objectif initial était, à partir d’un pre- mier état des lieux des impacts poten- tiels décrits par les acteurs agricoles (Paus 2001), d’approfondir de façon très qualitative les impacts territoriaux des filières AOP. Pour la majorité des impacts décrits dans la phase explora- Source : RICA France 2003 ; Traitement INRA SAE2 de Nantes. toire, il n’existe pas de données dispo- * : Alpes du Nord : Isère, Haute Savoie, Savoie.

2 Le caractère «professionnel» d’une exploitation agricole est, au sens du Recensement de l’Agriculture, défini selon la dimension économique de l’exploitation (au- delà de 8 Unités de Dimension Economie) et du temps consacré à l’activité agricole (plus de l’équivalent d’un ¾ temps passé sur l’exploitation). Dans le secteur lai- tier, cela correspond à une exploitation possédant plus de 8 à 10 vaches laitières. 3 UTAF : Unité de Travail Agricole Familial

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Figure 2. Distribution spatiale des cantons des Alpes du Nord (Isère, Savoie, Haute Savoie) selon les contextes locaux et les zones IG (Roybin et al 1997).

Le tableau typologique, permettant le classement des cantons, résulte de la combinaison de deux axes, qui décrivent deux phénomènes assez struc- turants d’une logique de croissance urbaine : l’axe horizontal traduit les mouvements permanents ou saisonniers avec leur forme de concentration ou de diffusion sur le territoire. L’axe vertical exprime la croissance économique avec, dans un premier temps, une diversification puis une tertialisa- tion des activités économiques (emplois). Les différentes filières, ainsi décrites, recoupent par ailleurs les contextes géomorphologiques, «touristique spécialisé» et «diversifié montagne», étant exclusivement en montagne.

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Tableau 3. Répartition des cantons des Alpes du Nord (Roybin et al 1997).

zones en terme de type de cantons pré- Les données mobilisées sont celles 2 / Conséquences de la pré- sents et la non existence de zones simi- des deux derniers Recensements laires sans présence d’AOP n’ont pas Généraux de l’Agriculture, datant sence des filières avec IG permis de retenir les zones AOP respectivement de 1979 et 2000. sur l’activité agricole lai- comme échelle de comparaison. Les Concernant l’activité laitière, les analy- comparaisons ont donc été réalisées à ses ont été réalisées au sein des exploi- tière l’échelle cantonale, ce qui a permis par tations avec Vaches laitières (EV), cel- ailleurs d’appréhender la variabilité les-ci pouvant être spécialisées en des conséquences en fonction des Vache laitière (EVS) ou non spéciali- 2.1 / Evolution de l’activité lai- contextes locaux au sein des zones sées (EVnS) et conjointement, en fonc- tière d’appellation. tion de leur dimension économique Professionnelle (EVP) ou non Le cheptel laitier a diminué de 35 % sur les Alpes du Nord entre 1979 et Au niveau des Alpes du Nord, les Professionnelle (EVnP). Concernant 127 cantons des trois départements ont l’activité agricole, elles ont été réali- 2000, soit légèrement moins que la ainsi été répartis en fonction 1/ de leur sées par rapport à l’ensemble des moyenne française (- 42 %). Cette appartenance aux différentes zones Exploitations Agricoles (EA) ou diminution a été très différente selon avec AOP, avec IGP ou sans IG et 2/ Exploitants et co-exploitants (Ex), dont les zones, en fonction du type de filiè- du type de canton, caractérisé grâce à une part est considérée comme profes- res : elle a été de respectivement la typologie de cantons des Alpes du sionnelle (EAP, ExP) ou par rapport - 50 %, - 32 %, - 25 % et + 14 % pour Nord (Roybin et al1997) qui permet aux exploitations sans Vaches laitières les zones sans Appellation, la zone IGP, de définir, pour chaque canton, son (EAnV). la zone Reblochon et la zone Beaufort «contexte local» en terme de système (figure 3). Par ailleurs, l’évolution n’a d’activité territorial intégrant les diffé- Compte tenu de la très forte propor- pas été régulière entre les deux pério- rentes activités présentes (tourisme, tion de lait valorisé par les fromages des, ceci pouvant s’expliquer par l’ins- industrie, agriculture), les logiques bénéficiant d’une Indication Géogra- tauration des quotas laitiers en 1984, et d’urbanisation et de périurbanisation phique sur chacune des zones considé- surtout leur gestion nationale favorable et les grandes situations géogra- rées, l’ensemble de la production laitiè- aux zones de montagne (Chatellier et phiques (piémont, grandes vallées re a été assimilé à celle bénéficiant de Delattre 2003). alpines, hautes vallées) (tableau 3, cette reconnaissance. figure 2). Cette répartition met en évi- dence un fort déséquilibre d’effectif, Figure 3. Evolution du cheptel laitier selon les zones (1979 - 2000). ce qui justifie une certaine prudence dans l’interprétation des résultats. En particulier, compte tenu du faible nombre de cantons concernés, le type «Diversifié Lac» n’a pas été retenu dans la présentation des résultats.

Les résultats présentés portent sur les filières AOP Beaufort et Reblochon, qui sont les plus anciennes et celles dont la zone de production est la plus étendue et sur la zone IGP, c'est-à-dire la zone des IGP Tomme et Emmental de Savoie, non couverte par une AOP. Les filières Tome des Bauges et Bleu du Vercors Sassenage n’ont pas été pri- ses en compte en raison de leur faible ancienneté (respectivement 2002 et 1998). La filière Abondance, elle aussi relativement récente (1991), n’a par ailleurs pas été dissociée de la filière Reblochon, les zones de production étant relativement superposables. Source : données RGA 1979, 1988, 2000.

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Les écarts entre les différentes zones les zones sans IG, IGP, AOP Reblochon (tableau 4b). La comparaison de l’ef- ont été sensiblement les mêmes dans et AOP Beaufort entre 1979 et 2000). fectif moyen pour une population don- les différents contextes (tableau 4a), Le meilleur maintien du cheptel laitier née (exploitation professionnelle spé- illustrant un effet favorable des filières sur la zone AOP Beaufort ne s’est pas cialisée en vaches laitières) met en avec IG sur l’évolution du cheptel lai- accompagné d’un meilleur maintien du évidence que les écarts entre les zones tier, quel que soit le contexte. De façon nombre d’exploitations, du fait de sont relativement faibles (de 30 à générale, et indépendamment de la pré- l’agrandissement plus important de la 35 vaches laitières en moyenne), seule sence ou non d’une filière AOP, les taille des troupeaux entre 1979 et 2000 la zone avec IGP présentant un effectif diminutions ont été beaucoup plus sur cette zone (+ 421 % contre + 276 % moyen légèrement supérieur. Si les importantes dans les contextes en moyenne sur les Alpes du Nord). effectifs par exploitation sont relative- «Industriel» ou «Urbain», illustrant le ment homogènes selon les contextes recul de l’activité laitière, lorsque la 2.2 / Caractéristiques de l’activi- sur les zones sans IGP ou avec IGP pression urbaine devient importante. té laitière (respectivement de 28 à 34 et de 35 à 37 vaches par exploitation), ils le sont Si ces mêmes tendances générales Pour l’ensemble des exploitations beaucoup moins en zone AOP s’observent sur l’évolution du nombre avec vaches laitières, l’effectif moyen Reblochon où des écarts très nets s’ob- d’exploitations avec vaches laitières, de vaches laitières par exploitation est servent entre les contextes de montagne les écarts entre les zones ont été nette- très variable (de 17 à 33 vaches), selon («diversifié» et «touristique»), où ment moins importants (respectivement les zones ou les contextes, sans que des l’effectif moyen est inférieur à - 82 %, - 75 %, - 70 % et - 73 % pour tendances générales ne se dégagent 25 vaches par exploitation, et les autres

Tableau 4. Caractéristiques et évolution de l'activité laitière en fonction des zones et des contes locaux.

Source : RGA 1979 - 2000.

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contextes («Rural», «Industriel» et a sensiblement diminué sur les vingt depuis 1979) sur les zones avec IGP «Urbain»), où l’effectif moyen est dernières années (respectivement - 3 et ou avec AOP Reblochon. Par ailleurs, supérieur à 33 vaches, reflétant une cer- - 4 % sur l’ensemble des Alpes du sur la zone AOP Reblochon, les taine hétérogénéité au sein de la zone. Nord), cette évolution a été très diffé- contextes de montagne contribuent rente selon les zones et les contextes, relativement peu au cheptel total Malgré leur forte diminution sur les aboutissant à une situation actuelle très (26 %) au regard de leur contribution vingt dernières années, la proportion contrastée : en zone Reblochon, les à la surface agricole (40 %). d’exploitations non professionnelles animaux de race Abondance ont été parmi l’ensemble des exploitations remplacés en partie par des vaches avec vaches laitières reste importante Montbéliardes, mais leur proportion 3 / Les conséquences sur (16 %) et supérieure à la moyenne ob- reste nettement supérieure à celle des l’activité agricole globale servée en Rhône-Alpes (10 %). Cette zones sans IGP (de l’ordre de 50 % tendance est confirmée sur les départe- contre moins de 10 %), celle d’animaux ments de la Savoie et de la Haute de race Tarentaise étant comparable sur Savoie où les proportions de références ces zones (de l’ordre de 5 %). En zone 3.1 / Importance de l’activité laitières en 2004/2005 étaient de AOP Beaufort, la proportion d’ani- laitière au sein de l’activité respectivement 58 et 34 % des exploi- maux de race Abondance a, au contrai- agricole tations contre 16 % au niveau français. re, fortement augmentée (+ 22% entre 1979 et 2000), reflétant une substitu- Au niveau des Alpes du Nord, les Cette proportion est surtout importante exploitations avec vaches laitières dans les contextes de montagne tion d’animaux de race Tarentaise par représentent respectivement un quart et («Touristique» ou «Diversifié»), où les des animaux de race Abondance. Il possibilités de pluriactivité liées au tou- existe aussi des différences importantes la moitié des exploitations agricoles risme ou à l’industrie sont les plus selon les contextes : la proportion totales et professionnelles (tableau 5a). développées (tableau 4c). Les écarts d’animaux de race Abondance est ainsi Ces proportions sont beaucoup plus observés au niveau des zones (de 12 à beaucoup plus élevée dans les contex- importantes sur les zones avec AOP, en 29 % entre les zones sans IGP et la zone tes de Montagne (supérieur à 60 %) que particulier 1/ pour les exploitations pro- Beaufort) résultent essentiellement des dans les contextes de plaine de type fessionnelles au sein desquelles 4 différences en terme de contexte entre «Rural» ou «Urbain» (de l’ordre de exploitations sur 5 ont des vaches lai- les zones, peu de différences entre les 25 %), illustrant, comme pour l’effectif tières contre moins de 2 sur 5 en zone zones étant mises en évidence pour un de vaches laitières par exploitation, une sans IG et 2/ dans les contextes les contexte donné, exception fait du certaine dualité entre les zones de moins montagneux où, sur les zones contexte «Montagne Touristique» de la Montagne et les zones d’altitude plus sans IG, d’autres productions sont lar- zone Beaufort où la proportion est plus faible. Ces évolutions entre les races gement présentes. élevée que sur les autres zones. s’expliquent par les niveaux de produc- tion respectifs des trois races, les pro- Cette spécialisation du tissu agricole, Sur les zones bénéficiant d’une ducteurs cherchant à utiliser la plus combinée à celle déjà mentionnée des Indication Géographique, la proportion productive des races autorisées sur cha- exploitations avec vaches laitières, d’exploitations spécialisées vaches lai- cune des zones, mais aussi par des dif- montre que les zones avec AOP, et tières au sein des exploitations avec férences de facilités d’approvisionne- secondairement celles avec IGP, pré- vaches laitières est beaucoup plus éle- ment, en particulier entre l’Abondance sentent une forte spécialisation laitière vée que dans la zone sans IG (de l’or- et la Montbéliarde. des zones considérées, et ceci de façon dre de 90 % contre 50 %). Cette diffé- très marquée par rapport aux zones sans rence est surtout très marquée dans 2.3 / Répartition géographique IG, dans les contextes où d’autres pro- les contextes les moins monta- de l’activité laitière au sein des ductions sont envisageables. gneux (Rural, Industriel et Urbain) zones (tableau 4c). Cette proportion atteint 3.2 / Evolution de l’activité 94 % pour la zone Beaufort et 98 % Actuellement, l’activité laitière est agricole pour la zone Reblochon quand on moins concentrée sur les zones avec considère les exploitations profession- IG, 80 % des vaches laitières se répar- La diminution du nombre total d’ex- nelles traduisant une spécialisation tissant sur la moitié des cantons con- ploitations agricoles a été similaire sur quasi totale de la production laitière. tre le tiers sur la zone sans IG. Les les zones sans IG, avec IG et avec AOP écarts entre la répartition du cheptel Reblochon (- 34 à - 38 % ) et plus éle- Dans les deux AOP considérées, le laitier et celle de la Surface Agricole vée sur la zone avec AOP Beaufort cahier des charges précise les races Utile (SAU) totale communale sont (- 44 %), cette diminution étant assez autorisées (Tarentaise et Abondance en assez faibles (tableau 4e). Cependant, proche d’un contexte à l’autre Beaufort, Tarentaise, Abondance et sur la zone sans IG la contribution du (tableau 5b). Cette inversion de tendan- Montbéliarde en Reblochon). L’analyse contexte «Urbain» au cheptel total ces par rapport à ce qui a été observé de la composition du cheptel laitier et est bien inférieure à sa contribution à sur l’activité laitière s’explique par de son évolution permet d’évaluer l’im- la Surface Agricole Totale (respecti- l’évolution des exploitations sans pact de cette mesure sur l’évolution des vement 9 et 17 %) et tend à diminuer vaches laitières, qui ont plus fortement effectifs des races locales (tableau 4d). (- 4 points depuis 1979) alors qu’elle diminué sur les zones avec IGP ou AOP Si, globalement, la proportion d’ani- est légèrement supérieure (16 contre que sur la zone sans IG4, quel que soit maux de races Abondance et Tarentaise 14 %) et diminue peu (- 2 points le contexte.

4 Il est nécessaire de préciser que sur certaines des zones considérées dans le cadre de cette étude sans Appellations laitières, des Appellations végétales peuvent être présentes (Vins de Savoie, Noix de Grenoble), Appellations qui peuvent elles-mêmes favoriser le maintien des exploitations des filières concernées.

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Tableau 5. Caractéristiques et évolution de l'activité agricole en fonction des zones et des contes locaux.

Source : donnée RGA 1979 - 2000.

3.3 / Agro-tourisme et pluriacti- les évolutions sont difficilement inter- contexte et 2/ à l’établissement d’un vité prétables. Cependant, globalement, lien plus ou moins informel avec l’acti- elles augmentent dans les zones sans vité touristique. L’accueil à la ferme (hébergement, IG, quel que soit le contexte alors restauration ou autres, sans inclure la qu’elles diminuent dans les zones avec 3.4 / Utilisation des surfaces vente directe) est encore peu présent IG. dans les Alpes du Nord (moins d’une agricoles exploitation sur 20). A l’échelle des La pluriactivité des exploitants et co- La proportion de surfaces toujours en zones, cette activité est plus développée exploitants concerne un exploitant ou herbe par rapport à la Surface Agricole sur les zones avec Appellations que sur co-exploitant sur trois pour l’ensemble Utile augmente fortement entre la zone les zones avec IGP ou sans IG des exploitations à l’échelle des Alpes sans IG (34 %), la zone avec IGP (tableau 5c), ceci étant lié à la forte du Nord. Elle est plus répandue dans (57 %) et les zones Reblochon (82 %) proportion des cantons de type les contextes de Montagne, sans diffé- et Beaufort (86 %). Les différences «Touristique» et «Diversifié monta- rences nettes entre les zones sans IG, sont surtout marquées dans les contex- gne» dans les zones avec Appellations, avec IG et avec AOP Reblochon et sur- tes de plaine où d’autres utilisations où l’agro-tourisme est plus développé. tout au sein des exploitations non pro- sont facilement envisageables, mais Effectivement, les proportions sont très fessionnelles (tableau 5d). La zone restent importantes dans les contextes similaires entre les zones pour un avec AOP Beaufort se distingue par une Montagne (tableau 6). Ces différences contexte donné. Les proportions sont proportion relativement forte de la plu- sont la traduction d’une part, de la forte équivalentes pour les exploitations pro- riactivité, en particulier au sein des spécialisation en production laitière des fessionnelles et l’ensemble des exploi- exploitations professionnelles. Ainsi, zones avec IG et, d’autre part, des tations. Cette activité ne semble donc elle concerne 40 % des exploitants et conditions de production fixées par les pas être considérée comme un complé- co-exploitants professionnels du cahiers des charges des Appellations. ment de revenu pour les exploitations contexte «Montagne touristique», ce Cette proportion plus élevée représente de très petite dimension économique. qui participe certainement 1/ au dyna- un atout pour les zones AOP en terme Compte tenu des faibles pourcentages, misme de l’activité laitière sur ce environnemental, dans la mesure où les

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Tableau 6. Proportion (en %) de surface toujours en herbe par rapport à la surface agricole utilisée, en 2000.

Source : donnée RGA 1979, 2000. apports d’intrans non organiques ou les sur l’évolution du nombre d’exploita- entre 2000 et 2010), et de façon plus traitements sont limités sur ces types de tions avec vaches laitières. Ainsi, marquée sur les contextes «Industriel» surfaces (Hirczak et Mollard 2004). actuellement, l’activité laitière de ces et surtout «Urbain» et, d’autre part, du zones se caractérise par une très forte contexte politique, avec la réforme de Si les évolutions des surfaces agrico- spécialisation des exploitations et par la la PAC de juin 2003. Une analyse des les sont difficiles à interpréter (compte cohabitation d’exploitations de petite stratégies d’évolution des exploitations tenu de la précision des déclarations et, dimension économique (en proportion laitières en contexte d’urbanisation, surtout, de l’intégration d’une partie non négligeable) et d’exploitations pro- réalisée dans la moyenne Vallée de des surfaces pastorales communales en fessionnelles de taille tout à fait compa- 2000), des différences sensibles peu- rable aux zones sans IG. La pluriactivi- l’Arve (Castex 2003), illustre claire- vent être décrites entre le contexte té, plus développée, en particulier sur la ment que la restriction du foncier s’ac- «Rural», où la SAU augmente légère- zone Beaufort, est certainement un fac- compagne d’un processus d’intensifi- ment (+ 5% entre 1979 et 2000) et les teur de maintien des exploitations de cation des pratiques agricoles, contextes «Industriel» et «Urbain», où petite dimension, voire de l’ensemble potentiellement contradictoires avec les elle diminue (de l’ordre de - 5%, sur la des exploitations, dans la mesure où cahiers des charges et l’image des pro- même période), quelle que soit la zone elle est mise en œuvre par l’ensemble duits AOP. Par ailleurs, la situation du considérée. d’entre elles. Le succès de ces filières a marché des fromages nationaux et eu un effet important sur le mode d’uti- savoyards, et surtout le contexte de 4 / Discussion et conclusion lisation des surfaces agricoles, en limi- libéralisation de la PAC, font que la tant les terres labourables et les nuisan- rémunération du producteur tend à sta- ces environnementales liées aux gner, voire diminuer, après deux décen- Dans les Alpes du Nord, les produc- cultures en terme de traitements et de nies de croissance quasi continue du tions fromagères savoyardes sous IG, et fertilisation minérale (Hirczak et prix du lait (Chatellier et al 2006). plus particulièrement sous AOP, ont eu Mollard 2004). Par contre, il ne semble pas avoir eu d’effet sur la dynamique Cette situation peut, d’une part, forte- un incontestable succès au regard de la ment fragiliser économiquement une situation économique des exploitations globale de l’activité agricole des zones laitières et de l’évolution du cheptel lai- considérées, si ce n’est sa spécialisation part importante des exploitations à fai- tier observée au cours des vingt derniè- en élevage laitier et un meilleur main- ble dimension économique et, d’autre res années. Ce succès repose à la fois tien de celui-ci dans les contextes part, à terme, inciter certains produc- sur la mise en oeuvre de projets collec- urbains. Le succès interne de la filière teurs à réclamer des degrés de liberté tifs autour d’un produit en construction ne semble pas s’être accompagné d’une supplémentaires au sein de leur exploi- depuis les années 60 et sur un accompa- ouverture particulière de l’agriculture tation afin de mieux affronter indivi- gnement des autorités publiques vis-à-vis des autres activités du territoi- duellement une conjoncture écono- (notamment au niveau de la mise en re (tourisme en particulier), même si la mique plus difficile. Ces éléments sont oeuvre des quotas laitiers), qui ont per- filière a bénéficié largement du touris- certainement à prendre en compte dans mis à l’élevage laitier de résister, tant me de façon indirecte (pluriactivité et le cadre des réflexions des projets agri- en contexte de Montagne (à forts coûts magasins de vente). coles, supports des filières fromagères de production) qu’en contexte de des Alpes du Nord. Ceci semble d’au- Actuellement, deux éléments de Vallées (à contraintes urbaines grandis- tant plus important pour la filière santes). Il est indéniable que l’existen- l’évolution du contexte local et général ce même de ces projets a été un atout peuvent fragiliser la situation, voire les Reblochon, dont la zone présente une majeur pour le maintien de l’agricultu- projets des AOP. Il s’agit d’une part du hétérogénéité forte en terme de contex- re des Alpes du Nord, en particulier en contexte territorial local, caractérisé par te, se traduisant déjà par des différences zone de Montagne. une forte urbanisation, sensible sur au niveau des caractéristiques de l’acti- l’ensemble des Alpes du Nord (l’évolu- vité laitière. Pour autant, le meilleur maintien du tion démographique a été de 9 % entre cheptel laitier a eu peu de conséquences 1990 et 1999 et est estimée à 15 %

INRA Productions Animales, Décembre 2006 Conséquences de la présence de filières fromagères bénéficiant d’une Indication Géographique... / 379

Références

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Résumé

Dans les Alpes du Nord, une proportion importante de la production laitière est valorisée sous forme de fromages bénéficiant d’une Indication Géographique (AOP ou IGP). Le succès de cette valorisation se traduit de façon nette sur la valorisation du lait à la produc- tion, qui est une des plus élevées de France. Au-delà de cet effet net, et dans le cadre de l’évolution du contexte de l’agriculture tant au niveau national (réforme de la Pac) que local (forte urbanisation des Alpes du Nord), nous nous sommes interrogés sur les conséquences directes et indirectes de la présence de ces filières sur les caractéristiques et les évolutions de l’activité laitière et agricole des zones consi- dérées. La présence des filières fromagères, si elle ne semble pas avoir eu d’effets notables sur la dynamique agricole globale, a engendré une très forte spécialisation laitière de l’activité agricole ainsi qu’un meilleur maintien de l’activité laitière dans les contextes à forte urba- nisation. Ces effets sont discutés en fonction des modifications actuelles du contexte tant local que national.

Abstract

Consequences of the establishment of -production chains with a PDO denomination: a case study of the northern Alps.

In the French northern Alps, a large part of dairy production is processed in recognized with a Protected Designation of Origin (PDO, PGI). Even though this recognition leads to a well-established value of the bovine milk paid to the producers (it is one of the highest currently paid in France), questions remain on the direct and indirect consequences of the establishment of such PDO supply chains on the local characteristics of milk-production organisation and on its evolution. These questions are to be answered in order to help these chains to maintain their position since global changes (Common Agricultural Policy reform) and local changes (intense urba- nisation in the northern Alps) are currently occurring. The establishment of cheese-production chains does not lead to notable conse- quences on the dynamics of common agriculture (i.e network of farms). Nevertheless, it has brought about a high specialisation of agri- cultural activity towards milk production as well as a higher preservation of milk farms in highly urbanised areas. These facts concerning the predefined global and local changes are discussed in the subsequent paper.

HAUWUY A., DELATTRE F., ROYBIN D., COULON J.-B., 2006. Conséquences de la présence de filières fromagères béné- ficiant d’une Indication Géographique sur l’activité agricole des zones considérées : l’exemple des Alpes du Nord. INRA Prod. Anim., 19, 371-380.

INRA Productions Animales, Décembre 2006