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Séquences La revue de cinéma

Bad Lieutenant Louis Goyette

Numéro 166, septembre–octobre 1993

URI : https://id.erudit.org/iderudit/59513ac

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Éditeur(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (imprimé) 1923-5100 (numérique)

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Citer ce compte rendu Goyette, L. (1993). Compte rendu de [Bad Lieutenant]. Séquences, (166), 57–54.

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Il est particulièrement tournée avec une longue focale qui émouvant de voir se développer aplatit la perspective, instaurant une l'admiration et l'amour de Cheng pour atmosphère étouffante et donnant Duan au sein d'un climat de violence l'impression que les flammes lèchent et de privations physiques et déjà les prisonniers agenouillés. affectives. Tout nous porte à croire Fouettés par l'orangé des flammes et que nous assistons à l'ébauche d'une le rouge des bannières, les trois héros grande passion homosexuelle; surtout crient de douleur comme s'ils que les deux enfants se destinent à affrontaient déjà les feux de l'enfer. Ce jouer, sur scène, le roi (Duan) et sa passage s'avère d'autant plus poignant concubine (Cheng dans un rôle de et cauchemardesque que c'est le travesti). Puis le deuxième acte moment que choisit le cinéaste pour débute, et l'on se rend compte que cet nous révéler la lâcheté de Duan: il amour n'est pas réciproque. Qu'à cela renie ses deux amis provoquant le ne tienne, on croit alors que le reste suicide de Juxian et la mort affective du film portera sur le trouble, la de Cheng. Comment ne pas se confusion, le rejet ou l'éveil des surprendre à imaginer ce qu'aurait pu sentiments de Duan pour Cheng. être Adieu ma concubine si Kaige Leslie Cheung et Gong Li Nenni. Chen Kaige, le réalisateur, l'avait tourné en entier avec la même évacue complètement cette duel entre les deux hommes aurait invention ? Cela n'aurait pas été problématique en gardant Duan dans donné lieu à du grand cinéma. Mais impossible. Peu probable mais non l'ignorance complète des sentiments ce sont les deux entités féminines de impossible. C'est ce qui distingue les de son partenaire. Un véritable non- son film que le réalisateur choisit de très grands films de ceux qui nous sens, vu l'abondance de regards non faire s'affronter. Ici, malheureusement, éblouissent le temps d'une projection. équivoques que lui lance Cheng et la le film ne vaut guère mieux que le Johanne Larue violence de ses scènes de jalousie. En plus cliché des mélodrames holly­ fait, outre le principal intéressé, tous woodiens. les personnages savent que Cheng se Fort de sa Palme d'or, Adieu ma ADIEU, MA CONCUBINE - Réal.: Chen Kaige — Scén.: Lilian Lee, Lu Wei, d'après le roman consume d'amour pour lui. On finit concubine devait aussi recevoir des par croire que Yépiphanie de Duan, de Lee — Phot.: Gu Changwei — Mont.: Pei compliments dithyrambiques de la Xiaonan — Mus.: Zhao Jiping — Son: Tao Jing, son moment de révélation, ne se fera critique encensant la mise en scène de Hu He — Dec: Chen Huaikai — Cost.: Chen Chaugmin — Int.: Leslie Cheung (Cheng Dieyi qu'en finale. Mais, lorsque la finale se Chen Kaige. Si l'on peut dire de cette présente et s'accomplit, Duan n'a «Douzi»), Zhang Fengyi (Duan Xiaolou dernière qu'elle est assurée et qu'elle «Shitou»), Gong Li (Juxian) — Prod.: Hsu Feng toujours rien compris. Son meilleur sait tirer profit d'une direction — Hong-Kong/Chine — 1993 — 170 minutes ami se suicide devant ses yeux, mais il artistique digne des budgets les plus — Dist.: C/FP. n'en devine pas la cause. La tragédie fous, on ne peut pas affirmer que ce n'est pas que Cheng ait gaspillé sa chacun des plans de cet opus de 170 vie à s'éprendre d'un hétérosexuel, minutes regorge d'idées. Plus souvent Bad Lieutenant mais que le réalisateur nous refuse qu'autrement, la mise en images Ue ne savais rien d'. toute confrontation entre les deux s'avère plutôt conventionnelle, pour Une affiche de cinéma, on ne peut personnages. ne pas dire convenue. L'ensemble plus intrigante, montrait En lieu de ce duel amoureux, Chen flirte d'ailleurs parfois avec le style nu accompagné de ce slogan choc: Kaige préfère utiliser comme pompier des films à grands «Une oeuvre qui refuse tout antagoniste le personnage de Juxian, déploiements ou celui très léché des compromis.» Il n'en fallait pas plus la maîtresse puis l'épouse de Duan. mini-séries financées à coup de pour susciter ma curiosité... Et je dois Outre ses traits de caractère un peu millions. Adieu ma concubine compte avouer que ce fut tout un baptême ! caricaturaux, qui frôlent d'ailleurs la pourtant une séquence dont la beauté Bad Lieutenant est l'un de ces films misogynie, le personnage ne possède et la puissance nous laissent pantois. Il qui vous promènent constamment du pas de vie propre. Juxian n'existe que s'agit de la scène du procès et de doute à l'approbation. J'ai essayé de pour créer un triangle amoureux et l'humiliation publique de Cheng, comprendre ce qui m'avait plu dans

No 166— Septembre/octobre 1993 53 ce film et paradoxalement, je détails de ce genre qui font l'intérêt aurait souhaité qu'ils soient davantage repensais à certaines scènes qui d'un film comme Bad Lieutenant. mis en évidence plutôt que d'être m'avaient littéralement transi L'originalité du film réside aussi amoindris par le caractère excessif du d'inconfort. J'aime le cinéma lorsqu'il dans l'exposition de son intrigue. Le film. Certes l'atmosphère est fort bien me fait pénétrer dans un univers et récit y est mené de manière linéaire, rendue, mais au prix de combien qu'il me malmène les émotions. Or, cependant Ferrara recourt à quelques d'injections intraveineuses, de sniffs l'univers que dépeint Ferrara est enchevrêtrements narratifs audacieux de cocaïne et de saouleries ! Même tellement laid qu'on refuse tout qui lui permettent de jouer avec les Harvey Keitel semble avoir été atteint simplement de se laisser submerger. par la piqûre de l'excès. Assez On se contente du rôle d'observateur crédible dans la première partie du qui n'a d'autre choix que de se film, cet ancien élève de l'Actors distancier par rapport à ce qui est Studio en fait un peu trop lorsqu'il se montré à l'écran. Faut-il croire qu'il retrouve en état de crise. Ajoutez à s'agisse là d'une erreur de la part de cela une scène gratuite où deux Ferrara? Bien au contraire, on pourrait femmes se frottent langoureusement considérer ce parti-pris comme étant l'une contre l'autre ainsi qu'un rap au la grande force du film puisqu'à texte aussi douteux qu'inutile sur le travers les thèmes qu'il expose, et plus Kashmir de Led Zeppelin et tout y est ! encore dans la façon dont il les Mises à part ces maladresses, Bad exploite, Ferrara renouvelle certains Lieutenant, portrait sans concession clichés depuis longtemps éculés au d'un policier à la dérive, est une cinéma. Le cinéaste nous parle bien Frankie Thorn et oeuvre forte. Si certains y ont reconnu Harvey Keitel sûr de corruption policière, du conflit ambiguïtés temporelles. Ainsi, après des éléments de l'oeuvre de Scorsese entre le bien et le mal, mais il ne le que le lieutenant a consommé une et Coppola, ce film a cependant le fait jamais de manière banale. Il pose drogue que l'on pourrait croire mérite de ne jamais être écrasé par les davantage une éthique complexe qui hallucinogène, Ferrara enchaîne influences qu'il recèle. Ferrara peut force le spectateur à l'analyse. Même immédiatement avec une scène au donc revendiquer à juste titre son si l'on reste plutôt à l'extérieur de cet montage syncopé, où une jeune statut de cinéaste «à part». univers, on ne se questionne pas religieuse se fait violer à l'intérieur moins sur les motifs qui peuvent bien d'une église. Cette scène, que l'on Louis Goyette pousser le lieutenant à agir de la sorte. pourrait d'abord interpréter comme un Le cinéma hollywoodien nous fantasme du lieutenant à la suite de sa bombarde trop souvent de consommation de drogue, est un BAD LIEUTENANT (L'Etrange Lieutenant) — personnages réduits à leur plus simple événement réel se produisant ailleurs. Réal.: Abel Ferrara — Scén.: Abel Ferrara, Zoe expression, où la caractérisation en Lund — Phot.: Ken Kelsh — Mont.: Anthony L'enchaînement narratif qu'on trouve Redman — Mus.: — Son: Michael mal de nuances ne se limite qu'à créer ici est novateur et se démarque des Barosky — Dec: Charlie Lagola — Cost.: David des bons et des méchants. Ferrara se formules narratives plus conven­ Sawaryn — Int.: Harvey Keitel (le lieutenant), garde bien de telles conventions. Le Frankie Thorn (la religieuse), Zoe Lund (Zoe), tionnelles. Robin Burrows (Ariane), Antony Ruggiero (Lite), protagoniste principal est lieutenant Film policier qui curieusement Victoria Bastel (Bowtay), (Jesus) — de police. Fanatique de baseball, il Prod.: Edward R. Pressman, Mary Kane — États- n'en est pas tout à fait un, Bad s'adonne aux pires excès: alcool, Unis -1992 — 98 minutes — Dist.: Cineplex Lieutenant, tout en reprenant certaines Odeon. cocaïne, héroïne. Il gage et fréquente ficelles, procède à une redéfinition du les dealers de drogue. Lorsqu'un soir genre. En effet, les quelques crimes pluvieux il arrête deux jeunes filles qui Tout ça... pour ça! qui nourrissent l'intrigue trouvent une conduisent une voiture sans permis, il résolution qui sème presque toujours Force m'est d'avouer une faiblesse leur propose un marché: en échange l'équivoque. L'enquête que mène le chronique. Même si je m'attends à y d'une petite branlette, il promet de les lieutenant pour découvrir les retrouver les même lacunes, j'ai laisser filer et d'étouffer l'affaire. agresseurs de la religieuse n'est qu'un toujours hâte de voir le Lelouch Présenté ainsi, le lieutenant devient le prétexte qui débouche sur un discours nouveau. A Cannes, en 1966, j'ai eu dernier des ignobles et le champion moral où se confrontent le bien et le un coup de coeur pour Un homme et de la dégueulasserie. Reportez-le mal, tout en remettant en cause le une femme. Et je ne m'en suis pas cependant dans un univers encore pardon rédempteur chrétien. encore remis. Je ne suis pas la seule plus corrompu que lui et votre Les questionnements posés par victime de cette fièvre du Lelouch, perception du personnage changera l'intrigue de Bad Lieutenant sont dernier cru. Au Festival des films du radicalement. Ce sont des petits cependant trop peu fréquents. On monde, j'ai été surpris, un dimanche

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