LE DELTA INTÉRIEUR DU NIGER

Jean GALLAIS

LE DELTA INTÉRIEUR DU NIGER ÉTUDE DE GÉOGRAPHIE RÉGIONALE

TOME Il par Jean GALLAIS

Thèse principale pour le doctorat d'Etat, présentée à Paris 1968

SOMMAIRE

Pages AVANT-PROPOS 1

INTRODUCTION PAYSAGE ET RÉGION GÉOGRAPHIQUE DANS LE DELTA INTÉRIEUR A. Le paysage naturel, ses éléments 8 1. Le règne de l'eau et de l'herbe 8 2. La plaine 9 3. La transfiguration saisonnière 10 B. La région naturelle 11 1. Un delta ? 11 2. Les limites 13 C. L'homme dans le paysage 16 1. Infimité, précarité, mobilité 16 2. Dénombrements des populations et densité 18 3. Identification ethnique des habitants 21 D. Le delta intérieur, région géographique ? 24

PREMIÈRE PARTIE LES BASES DE L'ORGANISATION RÉGIONALE Chapitre I. — PLATITUDE SANS MONOTONIE 29 LA MORPHOLOGIE D'UN DELTA INTÉRIEUR ...... 29 A. Les conditions structurales 29 B. Le relief alluvial, les deltas 32 C. Les plaines dunaires de l'Ouest 38 D. Les aspects morphologiques du piémont oriental ...... 39 E. Bilan régional et sous-régions morphologiques ...... 41 Chapitre II. — LES RYTHMES SAISONNIERS ...... 45 A. Les faits climatiques 45 1. Les températures ...... 46 2. Les vents 47 3. L'humidité relative 50 4. Les pluies 51 B. La crue 55 1. Les fleuves adducteurs 55 2. L'hydrologie du Delta 56 3. Le mouvement des eaux à travers les deltas 60 C. Le paysage végétal 66 1. Le Delta et la végétation soudano-sahélienne 66 2. La végétation des bordures exondées 68 3. La savane inondée 71 D. Les saisons du Delta 73 1. La saison des pluies 73 2. La saison des eaux 74 3. La saison froide 75 4. La décrue 75 5. La saison chaude 76 Chapitre III. — L'ÉTABLISSEMENT DES PEUPLES ET LEUR ORGANISATION POLITIQUE 77 A. L'époque pré-islamique Bozo, Nono 78 B. L'organisation du Delta par le 82 C. La prospérité djennenké 84 D. Les « Barbares » dans le Delta 86 E. Du « Peul rouge » au « Peul noir » 91 F. La Dina, 1818-1862 93 G. Les ravages de l'ère toucouleur, 1862-1893 96 Conclusion. — Pouvoir d'attraction et inorganisation paysanne du Delta 99

DEUXIÈME PARTIE LES INTERPRÉTATIONS HUMAINES Chapitre I. — ETHNIE ET MILIEU NATUREL SPÉCIFIQUE 105 A. Les Bozo, pêcheurs palustres et riverains 106 B. Les Somono, bateliers du fleuve 108 C. Marka et Nono 109 D. Les Bambara et les sols sableux 111 E. Les Peul et le bourgou 112 F. L'importance du lien, ethnie, milieu spécifique 114 Chapitre II. — LES PEUL ET L'ORGANISATION DE L'ESPACE 119 A. La vie sociale peul 120 1. Clans, tribus et groupes historiques ...... 121 2. Le Peul dans sa famille 123 3. Les catégories sociales 127 4. La vache dans la société peul ...... 131 B. L'unité territoriale peul, le leydi 134 1. Le village, ouro et saré 134 2. Le bourgou 138 3. Nature du leydi 140 C. Leydi et groupes peul 141 1. Identification des leydè 141 2. La trilogie socio-économique caractéristique du leydi 143 3. Classification des leydè et des groupes peul 151 D. Leydi Macina et Delta intérieur 154 1. Articulation du Leydi Macina 155 2. Inachèvement du Leydi Macina 158 Chapitre III. — LA DÉMOGRAPHIE RÉGIONALE 163 A. L'évolution démographique > 163 1. Les faits de fécondité, natalité 166 2. Les faits de mortalité 167 3. Le bilan démographique régional 169 B. La répartition des hommes 174 1. Inventaire statistique, les types de densité 176 2. Densité et types de milieux 177 3. Les clefs de la distribution des densités 182 C. Les noyaux de fort peuplement dans le Delta 185 1. Les noyaux peul 185 2. Les dougou bambara d'Entre Bani-Niger, le Sarro 192 3. Concentration et diffusion 194

TROISIÈME PARTIE LES PAYSANS DU DELTA Chapitre I. — LES RIZICULTEURS DU DELTA 199 A. Les travaux et les jours de illama Traoré, riziculteur du Macina 201 1. Le village de Daga 201 2. La vie quotidienne chez Mama Traoré en 1958 203 B. Caractères économiques de l'activité de Mama Traoré 212 1. L'emploi 212 2. Le budget familial (1958) 214 C. Une riziculture archaïque 217 1. Des riz à demi-sauvages 218 2. Des façons peu intensives 218 3. Impuissance devant les déprédateurs 219 4. Adaptation insuffisante à l'irrégularité des conditions naturelles ...... 220 5. Bilan, une riziculture mal assurée et itinérante 224 Chapitre II. - L'AMÉLIORATION DE LA RIZICULTURE DELTAIQUE 229 A. Des améliorations élémentaires 230 1. Sélection variétale ...... 230 2. Conditionnement à des fins commerciales ... 230 3. Le problème du labour 231 B. La complexité des faits, l'exemple de Séveri 233 1. Une riziculture errante dans un finage imprécis 233 2. Une riziculture de variétés tardives 235 3. Restriction des rizières et culture attelée 236 4. Conséquences économiques et sociales de la culture attelée 237 5. Les enseignements de Séveri 240 C. Les aménagements hydro-agricoles 242 D. Bilan et perspectives 247 1. Insuffisance dans la vue à long terme 248 2. Défaut de préoccupation géographique 249 3. Ignorance de la paysannerie 250 4. Quoi faire ? 252 Chapitre III. — CAMPAGNES ET PAYSANS SOUDANIENS DES BORDURES ...... 255 A. La vie quotidienne d'un cultivateur de mil 256 B. Les paysages agraires, la campagne du nord- 267 1. Un village à parc limité, 271 2. Un village à parc distendu, Niacongo 273 C. Les paysages agraires, la campagne bwa 277 1. Les terroirs auréolaires des Bwa 277 2. Le développement des jardins d'oignons 279 3. Localisation des arbres utiles dans le terroir 281 D. Les paysages agraires, entre Bani-Niger 282 E. Le sens de la diversité des paysages agraires 284 Chapitre IV. — LA VIE VILLAGEOISE DES PAYSANS BAMBARA 287 A. Un schéma d'organisation villageoise traditionnelle, Souleï 287 1. Le noyau socio-villageois 288 2. L'anneau extérieur socio-villageois 290 3. L'unité familiale fonctionnelle 291 4. Régime foncier et modes d'exploitation 292 B. Des pionniers bambara, Somadougou 296 1. Le village 297 2. Les villageois 297 3. Le finage 299 4. Régime d'exploitation des terres 303 5. Le terroir 304 6. Bilan économique 310 7. Répartition des ressources 312 C. Des Bambara bloqués dans le Delta, Soala 317 1. Les données humaines 318 2. Les difficultés de l'agriculture traditionnelle des mils 320 3. Les annexions culturales ...... 322 4. Bilan du système de production 324 5. Répartition des ressources agricoles 325 D. La dualité interne du village bambara 328 Chapitre V. — LA VIE AGRICOLE SUR LA BORDURE SUD-SAHÉLIENNE 331 A. Originalités sud-sahéliennes 331 1. La combinaison agricole sud-sahélienne, les trois systèmes de culture 332 2. Les cultures pluvio-fluviales 334 3. Adaptation et instabilité 337 B. Un paysan, Mamani Katilé 341 C. Les terroirs 352 1. Sobé, un terroir bien organisé 352 2. Ngorodian, les déficiences d'un terroir 1 355

QUATRIÈME PARTIE LES RYTHMES HUMAINS PASTEURS ET PÊCHEURS DANS LE DELTA Chapitre I. — LES RYTHMES PASTORAUX 361 A. La révolution pastorale de Cheikou-Ahmadou 362 1. Les types de troupeaux 362 2. Pistes et groupes de transhumance 364 B. La transhumance extérieure 365 1. Vers le nord-ouest, Sahel et Méma 365 2. Vers le nord-est, Gourma 370 3. Les flux pastoraux mineurs 371 4. Tradition et évolution 372 C. Transhumance et nomadisme dans le Delta 375 1. La rencontre des Ouronké et de leurs animaux 375 2. La dispersion organisée du diyélol 377 3. L'étalement de mars 380 4. Les confluences de saison chaude 385 D. Rythmes pastoraux et géographie régionale du Delta 389 Chapitre II. — L'ÉCONOMIE PASTORALE 391 A. Les troupeaux du Delta 391 1. Effectifs 391 2. Evolution 395 3. Le troupeau de moutons 396 B. Equilibre pastoral du Delta 398 C. L'économie familiale des éleveurs 401 1. L'économie « évoluée » d'une petite famille Peul 401 2. Une grande famille Peul traditionnelle ...... 404 D. De la boomanie au capital-cheptel 408 1. Origine technique de la boomanie 408 2. La « révolution pastorale » contemporaine 408 Chapitre III. — PÊCHEURS ET RYTHMES DE PÊCHE 413- A. Les rythmes biologiques et l'organisation spatiale des eaux . 413 B. Caractères des techniques de pêche ...... 416 C. Le système de pêche, les Sorogo du Djenné 419 D. Le système de pêche, les FuiJno-Sorogo du Kotia 423 E. Le système de pêche, les Tié de Nouh 428 1. L'histoire du Nouh 429 2. Les pêcheries de Nouh 433 3. Les pêches traditionnelles des Tié 433 4. Migrations anciennes et rythmes actuels 436 F. Le système de pêche, les Somono d'Omboloré 438 G. Techniques, nomadisme et vie villageoise chez les pêcheurs Bozo et Somono 439 Chapitre IV. — LE DELTA, RÉGION DE PÊCHE 445 A. L'animation saisonnière des pêcheries 445 1. La pêche au tineni des Tié de Dia 445 2. Les pêches yaya 447 3. Les pêcheries des lacs 449 4. Migration des pêcheurs et géographie régionale 454 5. Le daga, nature, évolution 455 B. L'économie régionale de la pêche 457 1. La production des eaux du Delta 457 2. L'économie des pêcheurs 457 3. L'augmentation du nombre des pêcheurs dans le Delta 461 4. Equilibre actuel et avenir de la pêche deltaïque 463

CINQUIÈME PARTIE LA VIE COMMERCIALE ET URBAINE DANS LE DELTA INTÉRIEUR Chapitre I. — LA TRADITION COMMERCIALE DU DELTA 469 A. Dia et ses colporteurs 469 B. Djenné, d'une métropole soudanienne à un centre régional ...... 470 1. Enrichissement des fonctions commerciales 470 2. Le développement d'un artisanat de luxe 472 3. Structures spatiales de l'organisation des Dioula 474 4. Le réseau géographique du commerce djennenké 475 C. L'ère commerciale des marchés de bordure 482 1. Le démantellement du grand commerce djennenké ...... 482 2. Les ports du 484 3. Les marchés du Guimbala 486 4. Les marchés du centre 487 D. et le commerce de traite, 1900-1950 488 1. Mopti, village du fleuve 488 2. Valorisation de la situation de Mopti 489 3. Les débuts du commerce européen 491 4. La crise et la reprise de la deuxième guerre mondiale 493 5. Le réseau de traite de Mopti dans le Delta 494 Chapitre II. — MOPTI, MÉTROPOLE COMMERCIALE DU MOYEN-NIGER 497 A. Les conditions nouvelles, 1950-1960 497 1. Du commerce de traite au commerce de clientèle 497 2. La multiplication et l'animation des marchés de brousse 499 B. La rupture de charge fleuve-route à Mopti 505 1. Le port fluvial 505 la navigation lourde 506 la navigation légère 507 2. Le trafic routier 510 C. La trilogie commerciale, boutiques et entrepôts, le quartier du « commerce » 512 1. Situation avant l'indépendance 512 2. Bouleversements de l'organisation commerciale 516 3. Marchands et marchandises 518 D. La trilogie commerciale, le commerce du poisson 520 1. L'arrivée du poisson 521 2. Les commerçants en poisson 522 3. Les faiblesses locales de l'économie du poisson 524 4. L'écoulement commercial 525 E. La trilogie commerciale, le marché hebdomadaire 528 1. Les deux flux d'arrivée 528 2. Les marchés 531 3. Caractères géographiques de ce marché 534 4. Conclusion 535 F. Les relais commerciaux de Mopti dans le cadre régional 537 1. Les divers types de marchés 537 2. La distribution régionale des foires hebdomadaires 539 Les marchés du Macina 539 Les marchés de la bordure orientale 540 Les marchés du Haut-Delta 543 Le marché du Bas-Delta, Omboloré 544 3. Le partage commercial du Delta 546 Les aires commerciales des marchés 546 Delta et région commerciale de Mopti 548 Chapitre III. — L'ORGANISATION URBAINE DU DELTA 551 A. Les prototypes urbains, Dia et Djenné ...... 552 1. Dia ...... 553 2. Djenné 555 Le paysage urbain djennenké 555 La composition professionnelle de la population urbaine 558 3. Les petits centres urbains 559 B. Mopti, la construction d'un site urbain 561 C. Mopti, les populations urbaines 567 1. Structures professionnelles 567 2. Les ethnies 569 3. La société urbaine 573 Le milieu commerçant: 573 Le milieu artisanal 574 Les cultivateurs urbains 575 Les pêcheurs 576 Les fonctionnaires 577 4. La population flottante 579 Les colonies marchandes saisonnières 580 Le séjour des nomades 580 Les imigrants ruraux : « occasionnels » et « saisonniers » 580 Les nouveaux citadins 582 5. Une démographie urbaine 585 6. Conclusion, l'ordre urbain 591 D. Les quartiers de Mopti 592 1. Le « Commerce » 592 2. Komoguel et Gangal 594 3. Les quartiers récents 596 4. Les citadins dans leur ville 597 — Les densités d'occupation 597 — L'insertion des nouveaux citadins dans les divers quartiers ...... 598 — Quartiers et société urbaine, les deux « côtés » de la ville 599 CONCLUSION GÉNÉRALE 601 BIBLIOGRAPHIE 613 INDEX DES TERMES VERNACULAIRES ...... 619 QUATRIÈME PARTIE

LES RYTHMES HUMAINS

PASTEURS ET PÊCHEURS DANS LE DELTA

CHAPITRE I

LES RYTHMES PASTORAUX

Du Delta intérieur du Niger, le Peul fut le maître incontesté au 19e siècle, et dans le Leydi-Macina il demeure le premier personnage. D'une plaine inondée qu'une civilisation asiatique aurait transformée en immense et prospère casier agricole, il a fait la région de four- rage et d'abreuvement saisonniers la plus importante de l'Afrique de l'ouest. Si les éleveurs Peul furent sédentarisés par Cheikou-Ahmadou, ils le sont encore incomplètement, et leurs animaux ne le sont pas. D'autres éleveurs, restés nomades, Maures et Touareg, utilisent égale- ment les plaines inondées. Aussi des rythmes pastoraux d'une grande ampleur et d'une par- faite régularité chronologique, sont accordés aux saisons du Delta. Les animaux s'éloignent en saison des pluies par un mouvement centripète pour se rapprocher en novembre et pénétrer dans le Bourgou au fur et à mesure de la décrue. Dans ce dernier mouvement les itinéraires de plus en plus rapprochés concourent vers les pâturages qui se contractent autour des lacs. Dans ces conditions régionales l'esprit dirigiste et minutieux de Cheikou-Ahmadou a mis au point l'organisation pastorale la plus stricte et la plus compliquée qu'on puisse trouver de l'Atlantique au Tchad. Nous avons essayé de faire une étude aussi précise que possible des rythmes transhumants des éleveurs, en dehors comme à l'intérieur du Delta (carte hors-texte 5) Les difficultés d'une telle étude sont grandes. Il y a d'abord la méfiance du Peul à l'en- contre de toute curiosité étrangère qu'il soupçonne d'être inspirée par des motifs fiscaux ou administratifs. Prudent, le Peul sait répondre par des formules polies et vagues. Cependant le caractère imprécis des renseignements obtenus n'est pas toujours dissimulation, mais souvent ignorance. L'élevage est affaire du Poulo bodêdyo. S'entretenir des animaux, de leur mouvement, des divers bourgou avec un ouronké permit souvent de constater une ignorance sincère et profonde. Seuls les bergers peuvent renseigner avec précision et il faut les saisir dans leur vie errante. Les moissons les plus fructueuses de renseignements ont été réussies lors des grandes concentrations pastorales de saison sèche, autour du lac Débo. C'est bien au plus profond du Delta, au milieu du bourgou, qu'il faut atteindre les interlocuteurs com- pétents. Lorsqu'on a saisi un berger, son admirable connaissance des lieux, tout au long de plusieurs centaines de kilomètres de brousse, est difficilement traduisible dans notre espace géographique. Le berger Peul a une toponymie d'éleveurs, dont les points d'eau et les pâtu- rages sont les clefs. Le point d'eau est précis, mare, puits, mais il n'est pas reporté le plus souvent sur les cartes. Quant aux pâturages, c'est une certaine surface correspondant à une cuvette, un plateau, un ensemble de dunes et, sauf exception, ils ne sont pas mentionnés. En ce qui concerne les toponymes peul du Delta, nous avons pu en faire une ample moisson au cours de trois années de vie errante à travers la région. La difficulté fut souvent de rappro- cher les noms donnés au même lieu par les divers peuples. Un marigot possède toujours au moins deux noms, l'un bozo, l'autre peul. Si les pêcheurs connaissent généralement le nom peul, l'inverse n'est pas vrai. Il fut moins aisé encore de localiser les toponymes extérieurs au Delta, ils échappaient à nos itinéraires personnels. Nous avons essayé de les localiser par rapport aux villages, mais ceux-ci sont rares, et s'il ne s'agit pas d'un village peul, les bergers les connaissent mal. En face de ces difficultés il faut reconnaître que notre travail fut aidé par certaines informations précieuses obtenues du Service de l'Elevage (1). Et, si les meilleurs de nos interlocuteurs, bergers et notables Peul, ont accepté de nous parler de leurs trans- humances, c'est bien parce que leur méfiance naturelle cède progressivement devant les soins compétents et désintéressés que les fonctionnaires de ce service leur rendent (1).

A. — LA RÉVOLUTION PASTORALE DE CHEIKOU-AHMADOU Articulation des troupeaux, itinéraires et calendriers fixés lors de la Dina, réglementent encore pour une large part la vie pastorale du Delta. 1. Les types de troupeaux La conciliation parfaite entre l'exploitation d'un cheptel nomade et la sédentarisation des éleveurs est impossible. Les Peul du Delta tentent un compromis en distribuant leurs bovins en troupeaux de type différent. Le dounti Le dounti est le troupeau des vaches laitières qui demeure au village pendant la saison des pluies, doulbé et pendant les hautes eaux. Les ouronké, isolés dans les plaines que recouvrent progressivement la crue, ont besoin de quelques vaches laitières pour leur subsistance. La difficulté d'entretenir ces dounti est double. Il faut les nourrir alors que la prairie est submergée. Il faut les protéger des mouches piqueuses qui en cette saison pullulent. Ces mouches piqueu- ses, piti, énervent les animaux et provoquent une trypanosomiase encore mal définie appelée par les Peul boubal. Les taons et les tiques s'y ajoutent pour rendre l'existence des animaux impossible en plein-air. Ils sont enfermés dans des cases sombres pendant toute la journée, ceci à partir d'une date très précise du calendrier stellaire : le 8e jour d'Al Lourou. Pendant

(1) Rapports dactylographiés consultés à la circonscription du Service de l'Elevage de Ségou : — Administrateur FROGER, Rapport de tournée sur la transhumance dans le cercle de Macina, 1925. — DIOP Birago, Sur les Peul du Delta et sur la transhumance dans la subdivision du Macina, 1940. — Docteur-vétérinaire MENNERAT, Transhumance et projet d'aménagement du Delta Central nigérien, 1950. (2) Il faut rendre un particulier hommage à M. DRAHON, chef de la circonscription d'élevage de Ké-Macina qui, de 1938 à 1961, a consacré sa vie et ses compétences, à l'élevage du Delta. La profonde connaissance qu'il a des Peul, de leur langue, de leur troupeau, a été mise à notre service et nous lui en sommes très reconnaissant. la journée on leur apporte quelques bottes de bourgou coupé. Le soir, elles sortent, vont boire et pâturer. A partir de la mi-hivernage les dounti sortent dans la journée et vont au bourgou harrima, si celui-ci est encore découvert. A cette époque « les mouches ont perdu leurs dents » disent les Peul. Les vaches dounti sont considérées comme des bêtes sacrifiées. La médiocre alimentation, l'humidité atmosphérique du Delta pendant la saison des pluies, la privation de lumière pendant deux mois, les affaiblissent. Beaucoup deviennent stériles ou meurent aux premiers froids, en décembre (1). La difficulté d'entretenir les dounti varie du sud au nord. Dans le Delta-amont, les dounti sont réduits au strict minimum. Dans le Delta-aval, l'humidité atmosphérique est moins forte et les pâturages ne sont pas inondés en saison des pluies. Aussi les Peul des environs du lac Débo conservent des dounti beaucoup plus nombreux que ceux de Djenné. Mais lorsque la crue submerge les plaines à partir d'octobre, une partie des dounti est évacuée et les Peul de la région ne conservent autour des villages que les,dabiti (2). Les benti Le benti est constitué de la majorité des vaches laitières flanquées des jeunes animaux et accompagnées d'un certain nombre de taureaux pour assurer la reproduction, les Peul laissant les saillies se faire au hasard, sans intervenir dans les époques. Les benti stationnent le plus longtemps possible près des villages. Ils effectuent des mouvements de transhumance de faible ampleur, ne s'éloignant de l'ouro que pour trois ou quatre mois, revenant dès la fin des pluies. Pendant la journée, les vaches errent sur les chaumes des rizières ou pâturent sur le harrima villageois. Le soir elles remontent en une longue file vers le village et se dirigent d'elles-mêmes vers leur hoggo habituel où les jeunes veaux, confiés dans la journée à quelques enfants qui les ont escortés à proximité immédiate, les accueillent de bêlements affamés. Attachés avant l'arrivée des mères, ils doivent attendre la fin de la traite que les Peul effectuent calebasse en main. L'opération est faite sans aucune hygiène, le récipient est sale et pour lubrifier les pis l'homme graisse ses doigts à l'anus de l'animal. La traite achevée, les veaux sont libérés et se précipitent goulûment, mais il reste bien peu de lait. Après la nuit passée sur le sable chaud du hoggo, les Peul viennent au matin effectuer une seconde traite. Tardi- vement, lorsque le soleil a pris de la force, le benti retourne vers le pâturage. Au fur et à mesure de l'avancement de la saison sèche, il devient difficile de garder les benti. C'est moins une question de fourrage, il demeure toujours des pailles, qu'une question d'abreuvement. Si le village ne dispose que d'une mare limitée, il n'est plus possible de faire boire quelques dizaines ou une centaine d'animaux. Le benti s'éloigne alors de l'ouro accom- pagné d'une partie des villageois. Le déplacement est limité au plus près. A quelques kilo- mètres, dix ou vingt au maximum, un bras permanent, le rivage d'un lac permettent l'instal- lation du benti et des ouronké jusqu'aux premières pluies. A cette époque quelques vaches du benti sont séparées pour constituer le dounti.

(1) A cette époque on leur fait passer la nuit dans les paillottes, si cela est possible. (2) De dabbudé, saison froide. Les garli Le garti groupe le plus gros du cheptel, les bœufs de réserve, un grand nombre de tau- reaux, tous les taurillons, génisses, vaches stériles ou sèches et quelques vaches laitières pour la nourriture du berger. Le garti est constitué de plusieurs troupeaux séfré (pl. céfé). Chaque séfré porte un nom et est confié à un Poulo bodêdyo qui peut être aidé de bergers parents ou amis. Le séfré groupe en général de 100 à 300 animaux portant les marques de plusieurs propriétaires. On a décrit précédemment le système de prêt et d'échanges qui dispersent les animaux d'un Peul en un grand nombre de céfé. Les garti effectuent les déplacements les plus importants et les plus prolongés. Dès les premières pluies le départ, égol, s'accomplit soit de façon dispersée, par séfré, soit groupé par rassemblement de plusieurs milliers de bovins, dit egguirgol. Les garti traversent la bordure sèche du Delta et s'éloignent à 100, 200, 300 km. C'est le balol, pendant lequel les bergers recherchent les mares au milieu des savanes graminéennes qui s'épaississent. Ils vont demeurer dans ces régions lointaines jusqu'à la fin des pluies. Dès octobre, la plupart des animaux du Delta se rapprochent et lorsque la décrue le permet les garti pénètrent dans le bourgou, c'est le diyélol. Si l'itinéraire du diyélol passe à proximité de l'ouro, les Peul pourront admirer leurs animaux au passage. Sinon, ils vont à leur rencontre pour vivre quelques jours avec les garti. 2. Pistes et groupes de transhumance La voie pastorale peul est le système artériel du Leydi Macina, (1). Bourtol à travers les marches sèches périphériques, gumpel à l'intérieur du Bourgou, sont parcourus par les garti rassemblés en egguirgol, groupe de transhumance. Chaque egguirgol utilise un bourtol et lui donne son nom. La localisation très précise des mouvements de transhumance et leur organisation en grandes unités, ont été fixées par Cheikou-Ahmadou et sont la conséquence logique de la sédentarisation peul, au même titre que la distinction entre dounti, benti et garti. La fixation des Peul éleveurs priva les troupeaux d'une grande partie de leur escorte. Seuls les jeunes hommes des familles Fulbé-wodêbé accompagnaient les bovins dans leur longue marche en dehors du Delta. Le résultat ne se fit pas attendre. Les Bambara de Ségou, en difficulté avec Cheikou-Ahmadou, frappèrent le peuple peul en son point faible. Ils razzièrent les animaux de la suudu-baaba Diafarabé. Plus au nord, les relations avec les Maures étaient difficiles, les querelles et les rixes entre pasteurs continues. Cheikou-Ahmadou ordonna une organisation nouvelle des déplacements afin de garantir la sécurité du cheptel (2). Les animaux partant en transhumance à l'ouest du Diaka, furent groupés sur un axe précis et facile à surveiller. Cet axe, suivi actuellement par les troupeaux du Diafarabé, remonte du confluent Diaka-Niger vers le nord-ouest à travers le Monimpé. Les Bambara de ce pays conclurent une alliance avec les Peul, assuraient la sécurité des trou-

(1) Voir deuxième partie, chapitre II, D. (2) DAGET, J., et BA, A.-H., 1955, p. 92 et suivantes. peaux. En échange les Peul du Delta recevaient les animaux des Bambara dans le bourgou en saison sèche. Du Monimpé la piste remontait dans le Kounari, dans la région de Sokolo. Au retour, les troupeaux des Peul fixés au nord de Dia laissaient ceux de Diafarabé reprendre la piste de l'aller et utilisaient une piste parallèle, 30 km plus au nord, aboutissant au Diaka à la hauteur de Mayataké. Dans ses grandes lignes l'organisation de la Dina demeure mais l'insécurité a changé de nature. Les querelles entre vachers peul et pasteurs maures ou paysans bambara, sont toujours possibles et fort fréquentes, mais depuis la fin du 19e siècle, le rezzou tel qu'il fut pratiqué par les Bambara de Ségou, n'est plus possible. Actuellement le cheptel des Peul du Macina ne suit plus l'unique piste tracé par Cheikou-Ahmadou et n'est plus rassemblé en une seule légion. Il se subdivise en un certain nombre & egguirgol, parcourant chacun un bourtol. L'eg- guirgol créé pour assurer la sécurité dans les Sérapé, marches sèches du Leydi Macina, a perdu là une partie de sa raison d'être. Mais il est devenu indiscuté, et scrupuleusement observé, au moment du diyélol, à l'entrée dans le Bourgou dont les règles d'utilisation sont devenues très précises. Vers la bordure orientale l'organisation de Cheikou-Ahmadou fut moins minutieuse : le danger était moindre et les troupeaux peul moins nombreux. Cependant des lacs du Gourma au nord, jusqu'à la plaine du Séno, aux confins de la Haute-Volta, les troupeaux, qu'ils appar- tiennent aux Peul du Delta ou aux étrangers, suivent les burti traditionnels évitant les villages ou traversant les cultures entre les haies, respectent un calendrier et débouchent au Bourgou en des endroits précis (1).

B. — LA TRANSHUMANCE EXTÉRIEURE (fig. 39)

L'égol, la transhumance déclenchée par les premières pluies, se dessine comme un vaste mouvement de dispersion centrifuge auquel n'échappe qu'un étroit angle mort, au sud, sud- ouest. Sur le reste du cadran, les animaux s'ébranlent, garti d'abord, benti ensuite, et s'éloi- gnent à des distances toujours importantes, au minimum une centaine de kilomètres, quel- quefois considérables, 200 à 300 km. Leur destination finale se situe dans des régions peu peuplées où les graminées s'étendent infiniment, où les mares permettent l'abreuvement, où le sol s'irise de remontées salines. L'éclosion progressive du pâturage sous les pas des troupeaux, le nombre des points d'eau, permettent un éloignement en petites étapes, chaque troupeau gardant une certaine autonomie.

1. Vers le nord-ouest, Sahel et Méma

Ce secteur est parcouru par les flux pastoraux les plus importants et les plus concentrés. On a pu distinguer sur le tableau ci-dessous dix-sept egguirgol, réunissant chacun de cinq à dix mille têtes. A l'origine Y egguirgol correspond à un groupe peul. La majorité des bêtes relève encore d'un ouro, mais les échanges d'animaux introduisent beaucoup d'hétérogénéité

(1) Les burti des Sérapé orientaux du Leydi Macina ont été décrits deuxième partie, chapitre II, D. même au niveau du troupeau élémentaire, le séfré (1). Plusieurs egguirgol possèdent une traîne, un cheptel commensal appartenant aux groupes peul sédentarisés plus à l'est. Le long du bourtol ces animaux suivent l'egguirgoi avec un certain délai traditionnel.

ORGANISATION PASTORALE VERS LE NORD-OUEST

Egguirgol Groupe peul correspondant Traîne

Diafarabé-Sahel Diafarabé Ouro-Ali, Koffogou, Harinti, Songodé Séoukoïnkodji Sogonari Ouro-Modi Tioubikodji Ouro-Tioubi < Ouro-Bodi, Salsalbé Kotia (ou Tianedji) Ouro-Ardo-Mayo Tioujadji Ouro-Ardo-Toggué Koumbékodji Ouro-Koumbé Komongallou Komongallou et Ouro-Boubou Tiokikodji (ou Tioki-Niasso) Ouro-Koumbé et Ouro- Dialloubé-Bourgou, Salsalbé Bouli Yallalbé Débi — Naï-Fowrou — Naï-Bou Samba — Oré-Naï-Ardo Ouro-N'dia Tiorri — Tioufoudji — Poulli — i Dia-Mali Ouro-Dioba Les itinéraires du égol Le départ en transhumance est précédé d'un regroupement préalable aux lieux suivants : — Diafarabé pour l'egguirgol Diafarabé — Sodio — — Séoukoinkodji — Al Loungal — — Tioubi — Bolel — — Kotia — Bonghel — — Tioujadji — Lati Mayel — — Koumbékodji — Diougol — — Komongallou — Keswal — — Tiokikodji — Kekeye — — Oré-Nay-Hadji (partie du Kotia) — Tyogol — — Oré-Nay-Galo (partie du Koumbékodji). Ces bases de départ sont situées dans les bourgou de chacun des groupes, à courte distance de la bordure sèche. L'egguirgol constitué s'ébranle en ordre serré, remontant vers le nord- ouest pendant 10 à 15 jours, franchissant une centaine de kilomètres.

(1) Ainsi les 800 bovins du séfré Naï-Bani, de l'egguirgol Koumbékodji appartiennent à des proprié- taires dispersés dans dix-sept villages relevant de onze leydè. Les egguirgol du sud, Diafarabé et Séoukoïnkodji, suivent deux burti parallèles, à 10 km l'un de l'autre. Le premier traverse le Monimpé aux nombreux villages et points d'abreuve- ment puis, après la traversée d'une brousse déserte, atteint les défluents de la rive droite du Fala de Molodo, autour des mares de Sabéré, Mbaba et Dianbé. Le second, le rejoint par la région moins peuplée de Kerké, Nénébougou, Tougou. Les burti situés plus au nord, sont séparés des deux précédents par le Karéri occidental, dépourvu de tout point d'eau. Le dicton peul dit « Ne va jamais au soleil couchant de ». Les Kotia, Tioujadji et Komongallou traversent selon le même itinéraire le Kéréri oriental jusqu'au Méma. Le Tiokikodji, depuis la mare de Kanou, remonte jusqu'au Farimaké occi- dental. Les troupeaux des Peul du Delta lacustre partent plus tardivement. Les bourgou de la rive sud des lacs restant exondés jusqu'en septembre, certains troupeaux y demeurent ; c'est le setto. Les départs sont aussi plus dispersés vers deux régions d'égal éloignement et offrant des ressources différentes, le Méma et le Farimaké. Les troupeaux, comme les Yallalbé, qui désirent revenir tardivement au Delta vont au Farimaké dont les pâturages sont utilisables jusqu'en décembre. Les Dialloubé quittent la rive sud du lac Débo, et par le bourtol Kotia gagnent le Méma. Les garti de l'Ouro-N'Dia demeurent sur les dunes de leur région jusqu'en août puis, par Dougoura et Sananga, rejoignent les Dialloubé. Les benti de la région du Diaka ne quittent le bourgou qu'en août. A cette époque, ceux dont les garti sont au Sahel empruntent le même bourtol, mais s'arrêtent au nord de Sokolo, autour de la mare d'Ouroumbété. Ceux dont les garti sont au Méma ou au Farimaké les y rejoignent. La vie pastorale pendant la saison des pluies, le balol. Les troupeaux peul du Delta disposent à 100-150 km du Bourgou d'une annexe saison- nière, le Delta mort qui en saison des pluies semble revivre. Dans les lits des anciens défluents les eaux ont repris leur place et les mares se multiplient tandis que les savanes herbeuses couvrent les sables. Les défluences dont la principale est le Fala de Molodo aménagé par l'Office du Niger, débouchent en une vaste gouttière sud-ouest, nord-est, limitée au nord par les plateaux gréseux de Bassikounou. Dans cette plaine, Sahel et Méma sont respectivement au nord-ouest et nord- est. Les Diafarabé, Séoukoïnkodji, Tioubikodji traversent le Fala de Molodo et atteignent le Sahel (1), région de brousse épineuse dense qui s'étend de Nara à Bassikounou. Vers le nord-est l'hydrographie ancienne du Niger contourne les buttes de grès cuirassé de Boulel pour se perdre dans un pays de sable parsemé d'immenses mares, allongées paral- lèlement les unes aux autres dans les anciens creux interdunaires. C'est le Méma de Nampala, vaste plaine de 80 km d'ouest en est, de 60 km du nord au sud. Les animaux trouvent sur les sables des fourrés de cram-cram (Cenchrus), des tapis d'Aristida ou de Pennisetum. La qualité fourragère est moyenne, mais les pâturages sont infinis. Lorsque les graminées sont desséchées en septembre les acacias fournissent leurs gousses et leurs feuilles.

(1) Le terme sahel est d'origine arabe et signifie rivage. En Afrique de l'Ouest il désigne la région de bordure méridionale du Sahara, mais pour les Peul il signifie la direction du nord. Les egguirgol du Macina stationnent autour des grandes mares et les bergers édifient quelques paillottes légères sur les buttes sableuses. Les Komongallou sont autour de la mare de Lodda, les Tioujadji et Kotia à Karoudji, les Tiokikodji sont à Nia. Dans la journée, les animaux se dispersent dans les fourrés. Le soir, ils se regroupent autour des feux, de nombreux fauves rôdent tout autour. Les bergers du même egguirgol envoient ceux des leurs qui connais- sent le mieux le pays à la recherche des meilleurs pâturages. Ces éclaireurs, les horrobé, décou- vrent les prairies qui ont été vivifiées par des pluies locales. Ainsi les troupeaux se déplacent continuellement dans un rayon de 20 à 25 km autour des mares permanentes. Le retour vers le Bourgou, le diyélol. Dès la fin des pluies on pense au retour. On y est contraint, tant au Sahel qu'au Méma, non par des difficultés soudaines d'abreuvement, mais par l'immédiat dessèchement de la végétation. Toutes les graminées sont pailleuses dès octobre et beaucoup se sont émiettées dès leur fructification, courant septembre. Pour chaque egguirgol une date de rassemblement est fixée en fin octobre, début novembre. La marche vers le Bourgou doit être rapide sur les burti du Sahel qui traversent une région desséchée dès la fin des pluies. Les animaux les moins résistants jalonnent de cadavres les longues étapes journalières de 30 à 40 km. Les egguirgol, ayant utilisé les mêmes burti qu'à l'aller, se présentent entre le 10 et le 30 novembre en quelques points précis du rivage du Delta. L'egguirgol Diafarabé et sa traîne, quelque 20 000 animaux, se hâtent de Sokolo à Monimpé. Pressé par la soif il rejoint au plus vite le Niger à Miélou (1). De là jusqu'à Diafarabé, les troupeaux s'attardent et se refont. Le Séoukoïnkodji, qui avec sa traîne réunit 25 000 têtes, arrive aux confins du Diagana. La région des Toggué est atteinte par les 25 000 têtes du Kotia, Tioujadji, et Koumbékodji. En année sèche ils descendent du Méma en trois étapes forcées. En année humide ils marchent à plus petites journées pendant une semaine. De toute façon ces egguirgol ont un retour harassant et meurtrier, et ils se refont dans la région des Toggué pendant deux à trois semaines Plus au nord, le voyage Méma-Bourgou est moins périlleux. Les Komongallou ayant quitté Lodda, font halte cinq jours à la mare de Fakouma, puis en deux étapes, ils franchissent les 40 km qui les séparent du Delta. Renforcés des deux tiers des Dialloubé, ils présentent 16 000 têtes autour du village de Doundawel. Les Tioki après avoir stationné trois jours autour des mares de Fakouma et de Takou, atteignent le Bourgou à Guéledjé. Pour les Yallalbé et Ouro-N'Dia qui sont, dès octobre, dispersés dans les dunes du Farimaké occidental, les regrou- pements sont progressifs. Deux egguirgol Yallalbé se réunissent sur la dune de Toulal, à la limite du bourgou. Ils rejoignent 60 km vers le sud, aux environs de la mare de Kanou, un troisième egguirgol, avec lequel ils suivent le bourtol Tiokikodji. Le regroupement des Ouro- N'Dia se fait auprès du gros marché de Gâtié-Loumo. Descendant par Toulal, ils se mettent à la suite des Yallalbé jusqu'à Doungoura où s'écartent les 6 000 bêtes de Oré-Naï-Ardo et Poulli qui entrent dans le Leydi Ouro-N'Dia. Deux autres, egguirgol, Tiorri et Tioufoudji, soit 4 000 bêtes, continuent jusqu'à Kanou où ils abordent alors franchement le bourgou (photo 22). A cette transhumance des bovins vers le nord-ouest il faut ajouter celle qu'effectuent les troupeaux de moutons à laine, très nombreux chez les Peul du Macina, en particulier chez (1) En 1949, il a marché trois jours sans boire et a perdu 170 bêtes mortes de soif. les Sosobé-Togoro, Salsalbé, Ouro-Alfaka, Dialloubé et Yallalbé. La transhumance ovine se fait par troupeaux appartenant au même propriétaire ; il n'est pas de tradition de disperser ses moutons, comme on le fait pour les vaches selon des raisons sociales. Ils suivent les mêmes burti que les egguirgol mais leur entrée dans le bourgou est beaucoup plus tardive. Les moutons sont très sensibles au froid, à l'humidité, aux parasites des herbes mouillées. Ils restent deux mois sur le rivage du Delta et les bergers effectuent la tonte d'hiver qui attire dans la région les acheteurs de laine. Les points de tonte traditionnels sont Boki-wéré pour les Diafarabé, les Toggué pour les Peul du Macina, entre Koubitéra et Kamaka pour les moutons Dialloubé et Ouro-Alfaka, les dunes de Dogo pour les Yallalbé, les environs de Tomora, Dangoura pour les Ouro-N'Dia. 2. Vers le nord-est, Gourma Les Peul de la bordure orientale du Delta, Férobé du Kounari, Ouroubé de Sindégué, certains groupes installés à l'intérieur du Bourgou, tels ceux du Sébéra, les Dialloubé-Djennéri, font transhumer leurs animaux vers le Gourma. Les egguirgol sont ici beaucoup moins bien organisés que sur la bordure occidentale et ne se concentrent qu'en certaines occasions précises. Un ordre lâche règne sur la plus grande partie des itinéraires. C'est particulièrement net pour le départ en transhumance. Les garti du Sébéra se rassemblent auprès de chaque ouro, dès les premières pluies. Après avoir traversé le Bani ils marchent dans les plaines inondées du Kounari en descendant les rives du Niger. Ils abordent la terre ferme au-delà des champs de mil vers Ouro-Néma et suivent le rebord du plateau jusqu'à la trouée de Boré. L'immense cuvette désertique de Batouma fournit aux troupeaux un premier pâturage reverdi par les pluies. La brousse arbustive et épineuse y est extrêmement dense et les points d'eau nombreux. Les animaux du Sébéra y rencontrent ceux des Férobé sorti du Bourgou à , ceux des Dialloubé-Djennéri qui ont franchi le Niger de Konna à Sindégué, les Ouroubé qui ont suivi la rive sud du lac Korientzé jusqu'à Gou- loumbo et franchi les Monts du Goundourou par la brousse de Togoni. Tous les troupeaux dispersés dans la cuvette de Boré descendent vers le lac à demi-desséché à cette époque. Sur les laisses de décrue le lam-lam, Sporobulus spicatus, riche en sel, attire les animaux. La cure de sel faite les divers groupes se remettent en marche vers des destinations diffé- rentes. Les Sébéra restent dans les brousses entre le Korarou et le massif du . Les Dialloubé-Djennéri se tiennent, plus au sud, au piémont du plateau de . Dans toute cette région les halliers arbustifs alternent avec des prairies de cram-cram. Pour les Ouroubé et les Férobé la transhumance ne fait que commencer. Leurs animaux suivent la bordure nord du Massif du Gandamia. Cette gigantesque butte-témoin domine la plaine de 400 à 500 m. Elle s'étire sur 60 km d'ouest en est, entourée d'une ceinture de villages. Les cultivateurs Sonray ou Rimaïbé sont installés dans les éboulis à mi-hauteur. Sur le piémont nord, les Peul de possèdent des villages de saison sèche, mais à cette époque ils noma- disent à travers les dunes du Gourma. En septembre Ouroubé et Férobé ont dépassé le Ganda- mia et atteignent l'immense plateau que dominent les buttes vertigineuses de Boni et de . Ils s'attardent auprès des mares du Boni pour une nouvelle cure de sel. Le Gourma en septembre est nimbé de brumes, adouci d'ondulantes savanes, le paggiri (1) est abondant, (1) Brachiaria ramosa, Brachiaria mutica, Stapf. les mares innombrables. Contraste étonnant avec l'âpreté envoûtante de son paysage, trois mois après. A la fin des pluies les Férobé reviennent par l'itinéraire d'aller, sans séjour intermédiaire. Les Peul du Sébéra et les Dialloubé-Djennéri s'accrochent à leur suite et l'impressionnant ensemble se présente, dès la fin d'octobre, dans le Milgnari-Kounari où il attend la fin de la récolte des mils. Au signal d'admission du chef traditionnel des Férobé, les bœufs entrent dans les chaumes, lorsque les Acacia albida reverdissent (photo 21). Chaque séfré Férobé rejoint le village de son propriétaire et y demeure en décembre. Les bêtes du Sébéra franchis- sent encore 50 km avant de se regrouper pour la traversée du Bani à Kabio, et l'entrée dans leur bourgou. Les Dialloubé-Djennéri attendent au nord du Kounari le franchissement du Niger. Ils atteignent le fleuve à Kona où leurs 24 céfé se groupent en cinq egguirgol. Seuls les Ouroubé, empêchés de pénétrer dans leur bourgou au début de la décrue, pour- suivent un balol tardif. De Boni ils rejoignent les lacs de la rive droite par une interminable marche, quelque 150 km à travers les dunes. Autour du lac Aoungoundou ils se fragmentent en petits groupes qui se répandent à travers les chaumes des dunes et les cuvettes inondées jusqu'au lac Nyangaye. Ils demeurent dans cette région jusqu'au début décembre. Alors ils se concentrent au lieu-dit Séno-Diégo, près de Ngorodian, et s'approchent lentement du Leydi- Ouroubé qu'ils n'atteignent qu'en janvier.

3. Les flux pastoraux mineurs Au sud du V dessiné par les deux flux précédents, des rythmes pastoraux moins puissants unissent le Bourgou à ses bordures, déplacements plus courts en ordre beaucoup plus dispersé. Les Peul du Fakala montrent l'extrême confusion de ces transhumances. Les éleveurs de l'ouro de Diaba-Allaye portent leurs neuf troupeaux à travers le Pays Dogon pendant la saison des pluies. Par Wo, Bandiagara, Toupéré ils atteignent l'escarpement nord et des- cendent dans la plaine de Boré, chaque troupeau séparé des autres par des journées de marche. Pour le retour, ils suivent les Férobé en ordre dispersé. Ils se ressoudent en décembre à la hauteur de pour la traversée du Bani. Les Peul du Fakala-Toupé, éleveurs de Dédougou et de Diengo, ceux du Fakala-Kébé, éleveurs de Dia, Komboka, Darkéléna, envoient leurs 61 troupeaux dans les gorges et sur les plateaux du -Makou, à 20 ou 30 km au nord de chez eux. Ils sont accompagnés de deux troupeaux peul de Diablo et des quatre troupeaux des Ouro-Yéro. Plus au sud, le Pays Bwa attire un ensemble hétérogène, cheptel des Peul du Fakala méridional (Poromani, Bankassi, Nérékoro, Toumadiama, Bougoula, Mansaba), trois trou- peaux de Sirabougou (Niansannari), deux troupeaux des Diawambé de Djenné. Sortant du bourgou à Tien, ils gagnent les environs déserts de Parassilamé. Puis à Silo ils se divisent selon deux itinéraires. Une partie gagne Sounlé-Bambara, Tiéparandougou, Yéhéré et se disperse dans le dédale des derniers bastions du plateau gréseux. Le second groupe gagne vers le sud, atteint Koula, Po, Kolokan, Maouréma, Wanian, Doumbara. La transhumance la plus méridionale est effectuée par le cheptel des éleveurs de Mansara (1). Traversant en cinq

(1) HEYTE, G., 1960. ou six itinéraires le Pays Bwa, de Tominian à Bénéna, ils rejoignent à l'extrémité est du plateau gréseux ceux du Fakala. D'autres s'arrêtent dans la région de Tiou-Tiou. Les plus hardis coupent le Bani-Fing et atteignent, à l'est de Yorosso, les vallées à fond plat et maré- cageux de la région de Koutiala. Le retour s'effectue selon les mêmes pistes et le cheptel séjourne jusqu'à la fin de décembre auprès des guré. La bordure sud-ouest, entre le Bani et le Niger, n'est pénétrée que par l'egguirgol Diafa- rabé-Sanari, constitué par les animaux de Mamba, Goumba, auxquels s'ajoutent ceux des Marka ou des Peul dispersés dans le , quelques troupeaux des villageois du Niansan- nari et du Derrari. Le départ s'effectue par la piste est-ouest qui s'appuie sur les hautes plaines sableuses tendues de Saï à Djenné. Par Mounia, Matomou, Kerta, Sarro, Kana ils atteignent les sables du Karadougou. Profitant de la décrue précoce du Niger prédeltaïque les animaux reviennent dans la plaine d'inondation sur la rive droite du Niger dès octobre. Ils atteignent le fleuve à Sogoli et descendent progressivement sa rive droite. 4. Tradition et évolution Expulsés du Delta par l'humidité favorable aux parasites puis par l'inondation, les animaux recherchent en hivernage les pâturages étendus et les lieux salés. La longueur totale des itinéraires parcourus en dehors du Bourgou est la suivante : pour le Méma 200 à 250 km, pour le Sahel 500 km, pour le Farimaké-Méma entre 130 et 230 km selon les egguirgol, pour le Sanari 140 km, pour le Boni (Férobé) 550 km, pour le Boni et lac Nyangaye (Ouroubé) 480 km, pour le lac Korarou 230 km (Sébéra) et 180 km (Dialloubé-Djennéri), pour le Pignari 130 km, pour le Bobori septentrional de 150 à 220 km selon les cas, pour le Bobori méridional (Peul du Mansarah) 250 km. Ainsi les Peul du Delta parcourent entre 150 et 550 km selon les cas en quatre ou cinq mois. Ces parcours sont beaucoup plus inégaux, et en général plus importants, que ceux relevés de part et d'autre du Fouta-Toro (1). Entre les Peul transhumant vers l'ouest et ceux qui partent vers l'est il existe une espèce de ligne de partage de transhumance. Ce partage se fait de façon dissymétrique, le secteur occidental attire la plus grande partie des rythmes pastoraux. Ainsi les Ouro-Dialloubé, Ouro- Modi, Ouro-Alfaka, sédentarisés à mi-chemin des deux bordures transhument vers l'ouest. Beaucoup plus net encore est le choix des Ouro-Ali dont les villages sont à 20 km de la bordure sèche de l'est et qui se dirigent vers la bordure occidentale située à 80 km. Cette dissymétrie pastorale du Delta reflète l'inégale force de l'organisation peul, de part et d'autre du Niger. Les éleveurs du Delta, venus de l'ouest, considérant le Macina comme le centre de leur diaspora et leur noyau historique le plus ancien, continuent à déplacer leurs troupeaux sur les burli séculaires tendus entre le Bourgou et le Méma ou le Sahel. Ce partage dissymétrique des flux, la constance des itinéraires, la précision de la plupart des burti, le maintien des egguirgol, soulignent la force de la tradition pastorale peul codifiée par Cheikou-Ahmadou. Cependant une certaine évolution, observable à une époque toute récente, a introduit quelques modifications de détail. On peut regrouper ces nouveautés en deux catégories, des modifications d'organisation et des modifications d'itinéraires. (1) Si on en juge d'après les cartes de BoxxET-DupEYRON, M.-F., 1951. Par exemple les Peul qui dese déplacent200 km. de Kaédi, Bogué vers le Ferlo parcourent 140 km, ceux qui partent vers le nord guère plus a) Modifications d'organisation Depuis quinze ans les troupeaux se multiplient à l'intérieur des egguirgol, le tableau suivant le montre :

(1) FROGER, Rapport cité. (2) Diop, B., Rapport cité. (3) DRAHON, M., Rapport annuel de la circonscription d'élevage de Ké-Macina, 1957. Cette multiplication peut résulter d'un accroissement numérique du cheptel à condition que la signification peul du troupeau évolue. En bonne tradition le chiffre de celui-ci n'est pas limité par certaines commodités de surveillance ou de déplacement. Le troupeau est l'assise sociale d'un chef de famille. La multiplication des troupeaux est une atteinte aux traditions socio-pastorales, d'autant qu'elle s'accompagne ici d'une diminution de l'effectif moyen. C'est bien l'interprétation qu'en donne les gens compétents. De nouveaux troupeaux sont constitués par de gros éleveurs, plus particulièrement par de riches marchands de bétail, Diawambé pour la plupart. Ils groupent leur cheptel et le confient à un berger responsable. Cela rend la surveillance plus efficace. Il est plus facile de dénombrer les animaux groupés que dispersés, et le berger est plus dépendant de son unique patron que le gardien d'un trou- peau hétérogène. Le propriétaire accompagne éventuellement son troupeau pendant une partie de la transhumance, celle où les bergers sont tentés par de nombreux acheteurs, ou fait suivre la totalité de l'itinéraire par quelqu'un de sa famille ou de sa clientèle, en qui il a toute confiance. Cette multiplication des troupeaux affaiblit la cohésion de l'egguirgol. Les nouveaux célé, placés en queue pour l'entrée dans le bourgou, recherchent un autre itinéraire si les conditions naturelles le permettent. b) Modifications dans les itinéraires Un premier fait a été remarqué. Depuis 1950 deux troupeaux peul de Diablo et quatre des Ouro-Yéro, transhumant habituellement vers le Sanari à l'ouest, vont désormais vers le Pignari à l'est. La ligne de partage des transhumants, dissymétrique actuellement, est-elle en train de glisser vers l'ouest ? Ces « captures » de flux pastoral sont de portée trop modeste encore pour le soutenir. Un second fait, l'abandon par un certain nombre de troupeaux du Sahel pour le Méma. Il s'agit d'animaux de l'egguirgol Séoukoïnkodji qui, dorénavant se déplacent avec le Tioubi- kodji. La raison en serait la suivante. Les ventes frauduleuses par les bergers se sont multipliées depuis la création de l'Office du Niger traversé par les burti du Sahel. Les bouchers proposent aux bergers l'achat des animaux. Des propriétaires avisés ont réagi en envoyant leurs animaux vers le Méma. Un troisième glissement spatial répond au désir d'une entrée plus précoce dans le bourgou et reflète la psychologie nouvelle des jeunes bergers. Après les mois de vie solitaire et ascétique du Sahel ou du Méma, les bergers aspirent au retour vers les villages : retrouver le riz, les plaisirs de la vie sociale, les villageoises attirantes. L'ardeur de l'attente demeurait disciplinée et encadrée par les traditions et par la cohésion des egguirgol. Depuis la deuxième guerre mondiale, les jeunes bergers s'insurgent contre l'autorité des chefs d'egguirgol, les Amirou-naï. Ils pressent le retour et le rythme devient fébrile. L'attente aux portes du bourgou apparaît intolérable, les jeunes gens confient leurs animaux aux bergers âgés et vont passer quelques jours dans les villages. Quelquefois, ils poussent les troupeaux dont ils ont la charge en éclai- reur, jusqu'à proximité d'un endroit habité. Les vieux bergers entraînés par leurs jeunes camarades, talonnés par la marche des troupeaux étrangers accélérée par les mêmes motifs, bousculent les étapes. Ainsi les egguirgol font des arrivées de plus en plus précoces à la limite du Delta. Mais la pénétration, même hâtée avec imprudence, doit correspondre à une certaine décrue et le piétinement aux portes du bourgou, s'il est plaisant aux jeunes gens, s'accom- pagne de désordres : dérangements dans l'ordre traditionnel de pénétration, véritables batailles entre les bergers des troupeaux de tête et ceux des traînes qui surgissent indûment, alors qu'on les suppose à deux ou trois étapes en arrière. Pour éviter ce piétinement, des bergers particulièrement audacieux remontent la limite d'inondation afin de pouvoir pénétrer dans le bourgou plus tôt. En 1956, cinq troupeaux de l'Ouro-N'Dia, qui attendent habituellement jusqu'en février sur les dunes de leur leydi, se présentèrent sur le bourtol Diafarabé, 100 km plus au sud et entrèrent dans le bourgou le long de cette piste, au mois de décembre, à l'étonne- ment scandalisé, mais impuissant, de toutes les autorités pastorales traditionnelles.

C. — TRANSHUMANCE ET NOMADISME DANS LE DELTA (carte hors-texte 5) Les troupeaux stationnent quelques jours, quelques semaines sur le rivage du Delta, le Kodordé des éleveurs, avant le diyélol, la descente dans le Bourgou. Le diyélol permet d'abord la rencontre des propriétaires ouronké et de leurs animaux. 1. La rencontre des Ouronké et de leurs troupeaux La halte des troupeaux au Kodordé répond aux nécessités suivantes : — regrouper 1'egguirgol si la marche vers le Bourgou a été faite de façon dispersée ou par échelons, les animaux fatigués ayant marché plus lentement. — attendre l'autorisation éventuelle des autorités pastorales traditionnelles qui donne- ront le « feu vert » lorsque les récoltes seront achevées sur le tracé du goumpel. — surveiller la décrue pour que la traversée d'une cuvette ou d'un bras soit possible. Dans la région du Diaka les egguirgol sont groupés autour de quatre « portes » pastorales. 1 ° Les rives du Niger, entre Miélou et Diafarabé, où vont défiler 20 000 têtes (egguirgol Diafarabé-Sahel) 2° La forêt de palmiers-doum des confins du Diagana, entre Diakouri et Kassa, pour les 25 000 animaux des Séoukoïnkodji et Tioubikodji 3° La région des Toggué. Entre Gniminiama et Tiehel-Paké, 22 000 animaux patientent sur les dunes 4° Le togguéré de Guélédié et les dunes voisines, accueillent 25 000 bovins. Plus au nord 6 000 animaux de l'Ouro-N'Dia fréquentent les dunes de Doungoura et Togué Karam de un à deux mois en attendant une décrue tardive. Sur la bordure orientale la même attente a lieu sur les bords du Tiofoul-Kampagou. Bœufs des Férobé, des Dialloubé-Djennéri, du Sébéra, d'une partie du Fakala qui patientent pour permettre aux Rimaïbé du Kounari de terminer leurs récoltes de mil. Les ouronké qui savent leurs animaux à proximité des villages les rejoignent. Les proprié- taires vont au milieu des immenses rassemblements à la recherche du séfré qui porte leur marque et apprendre ce qui lui est advenu pendant les quatre mois de transhumance. Si les vaches sont en bon état, flancs rebondis, pis gonflés, si les naissances ont été nombreuses, le propriétaire congratule le berger et lui marque sa satisfaction par un don d'animal, ou un prêt supplémentaire de vaches laitières. Si le compte n'y est pas, la discussion est serrée. Le berger a de bons arguments, une épidémie, la soif sur les burti, les fauves au Sahel. Le proprié- taire peut se renseigner, les bergers voisins approuvent. D'ailleurs le berger incriminé n'a-t-il pas les meilleures preuves, la peau de l'animal portant la marque ou la queue ? Les comptes étant faits, le propriétaire prend ses dispositions et donne ses ordres. Il discute avec le berger de la répartition des animaux pour l'année, garti, benti. Il vend quelques bêtes aux maquignons qui fréquentent assidûment ces régions. Il prête quelques animaux à un parent ou ami dont le troupeau a été décimé au cours de la transhumance. Après cette première prise de contact les troupeaux sont les héros des grandes fêtes de retour de transhumance, les dégal, lorsqu'ils arrivent à proximité des villages. Ces fêtes en l'honneur du bœuf apparaissent comme une forme relictuelle de l'ancienne boolâtrie et Cheikou-Ahmadou, qui ne s'y trompait pas, les interdit. Mais la joie s'explique assez pour des raisons banales, le retour du gros des vaches laitières à une époque où les dounti sont stérilisés par leur long séjour dans l'humidité estivale. Lorsque l'ouro est situé sur un des neuves la fête se corse d'une traversée, le yinordé (pl. dinordé), compétition d'endurance entre les troupeaux. La plus importante de ces fêtes pastorales sportives se place à Diafarabé où l'egguirgol Diafarabé-Sahel traverse le Diaka. Les jeunes bergers, la tête surmontée de leurs vêtements enroulés, le bâton brandi, poussent en hurlant les ore-naï, les vaches de tête, bous- culent la suite hésitante et effrayée jusqu'à ce qu'un long ruban de cornes et de museaux haletants se déroule d'un bord à l'autre. Sur l'autre rive les animaux harassés restent frappés de stupeur au milieu des herbes. Le séfré vainqueur illustre ses bergers et son propriétaire. Ensuite la totalité de l'egguirgol est rassemblée au nord de l'ouro au milieu des Peul enthou- siastes. L'ordre étant établi, la horde s'ébranle de nouveau, court en trombe à travers le village en un défilé ininterrompu de plusieurs heures. Chaque séfré qui passe est accueilli par les cris des jeunes filles parées, par les chants des jeunes ouronké qui s'accompagnent de la viole, par les traits éloquents et déclamatoires des griots. La poudre est bourrée dans les vieux fusils et stimule l'ambiance. Les notables de l'ouro classent les troupeaux d'après leur embonpoint et décernent le titre du meilleur berger. Le lendemain les fêtes se prolongent. Les hommes et les animaux semblent goûter cette promiscuité retrouvée. Le lait remplit les gourdes et les calebasses et attire le riz des Rimaïbé. Les propriétaires décident des castra- tions des taurillons âgés de quatre à cinq ans, opération qui va être menée rondement et avec émulation par les jeunes bergers en équipe. Si le dégal de Diafarabé est particulièrement grandiose, d'autres fêtes ont lieu, soit en avant du Diaka, pour le Kotiakodji accueilli à Kora, soit accompagné de dinordé à Mayataké (Séoukoïnkodji), à Sili (Tioubikodji), à Kolé-Saba (Oré-Naï-Galo), à (Komongallou), à Niasso (Tiokikodji). Sur la bordure orientale du Delta, la rencontre des Fittobé du Kounari et de leurs trou- peaux donne lieu aux manifestations sociales traditionnelles les plus remarquables. Au signal d'admission, les garti des Fittobé qui attendaient au nord dans le Milgnari-Kounari rejoignent leurs villages respectifs. De grandes fêtes, appelées localement danourou, ont lieu autour d'un certain nombre de guré. Elles sont les manifestations de la vie collective des Fittobé que la vie villageoise du Kounari a assoupie. Le danourou de Manako réunit les Ouro- PLANCHE XXIV : Mopti. Les quartiers.

Photo 39. — Le Commerce

Photo 40. - L'entassement à Komoguel. Clichés J. Gallais.

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