Francia­Recensio 2017/1 19.‒‒ 21. Jahrhundert Époque contemporaine

Heinrich Küppers, Franz Josef Röder (1909–1979). Baumeister des Bundeslandes , St. Ingbert (Conte Verlag) 2016, 154 S. (Malstatter Beiträge aus Gesellschaft, Wissenschaft, Politik und Kultur), ISBN 978­3­95602­ 031­5, EUR 14,90. rezensiert von/compte rendu rédigé par Jean­Paul Cahn,

La seule longévité de Franz Josef Röder dans ses fonctions de Ministerpräsident de la Sarre redevenue allemande pour la deuxième fois au XXe siècle ne suffit pas à expliquer l’empreinte qu’il a laissée. Les vingt années pendant lesquelles il a présidé aux destinées du territoire ont été d’une grande importance pour cette région industrielle de près d’un million d’habitants alors en pleine mutation. Cependant la recherche historiographique sarroise, riche par ailleurs, ne s’est encore guère préoccupée de ce personnage que la vie a placé à un moment clé de l’évolution de celui qui fut le onzième Land de la République fédérale d’Allemagne.

Röder y prit la direction de l’exécutif à l’issue d’une période mouvementée. Quand Johannes Hoffmann1 démissionna en 1955 il fut remplacé par un gouvernement dit »de techniciens« qui n’échappa que partiellement au climat passionné ambiant. Le 18 décembre les dernières élections avant la réintégration de la Sarre à l’Allemagne portèrent au pouvoir les hommes qui avaient milité pour la fin de l’union économique avec la et l’intégration du territoire à la République fédérale, (CDU) à la tête du gouvernement, Kurt Conrad (SPD) au Travail, Heinrich Schneider (FDP) à la présidence du parlement, etc. Egon Reinert succéda à Ney à la tête d’une équipe de même facture. À sa mort, en 1959, Franz Josef Röder devint Ministerpräsident.

Aucune biographie portant sur l’après­1945 ne peut faire l’économie des douze années précédentes, surtout lorsque ce passé a donné lieu à débat, y compris public. Küppers l’aborde avec honnêteté. Il prévient que notamment l’accès encore partiel aux documents des Spruchkammern2 ne permet des investigations qu’incomplètes.

En 1933, âgé de 24 ans, enseignant diplômé et docteur, Röder adhéra au NSDAP, à la fédération des enseignants (NS­Lehrerverband) ainsi qu’en 1935 au corps NSKK, formation de la SA à cette époque qui s’autonomisa au sein du parti et à laquelle Röder appartint jusqu’en 1937. Au moment de la dénazification il justifia ces adhésions par les pressions qui s’exerçaient alors sur la jeunesse dans une Sarre encore indépendante du Reich (statut SDN) mais sous la coupe de la France, ainsi que par la signature du Concordat avec le Reich par Rome. Küppers prend position avec circonspection. Il

1 Voir Heinrich Küppers, Johannes Hoffmann (1890–1967). Biographie eines Deutschen, Düsseldorf 2008 (Forschungen und Quellen zur Zeitgeschichte, 54). 2 Id., Franz Josef Röder (1909–1979). Baumeister des Bundeslandes Saarland, St. Ingbert 2016, p. 32.

Lizenzhinweis: Dieser Beitrag unterliegt der Creative­Commons­Lizenz Namensnennung­Keine kommerzielle Nutzung­Keine Bearbeitung (CC­BY­NC­ND), darf also unter diesen Bedingungen elektronisch benutzt, übermittelt, ausgedruckt und zum Download bereitgestellt werden. Den Text der Lizenz erreichen Sie hier: https://creativecommons.org/licenses/by­nc­nd/4.0/ évoque notamment l’influence de la religiosité catholique conservatrice familiale sur Röder qu’il estime convaincu par les positions nationales du vice­chancelier Franz von Papen et de l’évêque de Trèves Rudolf Bornewasser. Il recourt à la thèse soutenue en 1932 et dans laquelle le futur Ministerpräsident adhérait à l’organisation sociale qui découlait de De civitate Dei de saint Augustin, mais se distanciait de Machiavel, destructeur de la conception moyenâgeuse d’un Etat fondé sur un enracinement métaphysique – conception encore largement répandue parmi les catholiques des années 19303. Que le régime ne favorisât guère la carrière professionnelle de Röder est présenté à décharge. Küppers s’appuie assez largement sur l’analyse équilibrée de Peter Wettmann­Jungblut4. Et il retient la présomption d’innocence – qui ne semble pas très éloignée de sa conviction, comme l’indique le titre de la page 35, »Ce n’était pas de la résistance, mais pas de la culpabilité non plus«.

Après la guerre, Röder poursuivit sa carrière comme enseignant, puis directeur des études dans un établissement secondaire. Il resta à l’écart de la politique parce qu’il n’adhérait pas au statut d’autonomie, bien qu’il approuvât certaines décisions de Johannes Hoffmann, notamment en matière sociale. Il ne fut proche ni de Schneider, ni de Ney. S’il fit sienne la position de la CDU sarroise au moment de son entrée en politique, dans la perspective du référendum du 23 octobre 1955, il prit bientôt et garda ses distances par rapport au Heimatbund.

1957 vit se préciser l’avenir de l’Europe – en suspens depuis l’échec de la CED. Ney, écarté des responsabilités à la suite de la difficile adoption de la loi sur l’intégration à la République fédérale (13 décembre 1956), fut remplacé par Egon Reinert qui engagea ce que souhait Röder, un début d’intégration d’anciens du CVP dans la CDU. En 1959, à la mort de Reinert dont il avait été ministre, il lui succéda à la tête du gouvernement et de la CDU sarroise. Son projet pour la Sarre impliquait e. a. un dépassement des clivages de la veille et la fin de l’appréhension völkisch des problèmes du territoire afin d’intégrer pleinement celui­ci dans la République fédérale.

En politique intérieure, Röder, qualifié de »fédéraliste convaincu et passionné«5, s’est attaché à désamorcer les passions national[ist]es qu’avait engendrées cette campagne qui avait conduit les deux tiers de l’électorat à rejeter le statut »européen«. Eu égard aux tensions qui avaient marqué le référendum de 1955 cette tâche était nécessaire autant que difficile. Dans le même temps il œuvra à faire du territoire un Land capable de s’affirmer dans la concurrence avec les autres Länder. Si le rattachement politique, bien encadré par les accords de de 1956, avait été indolore, l’adaptation économique, financière et budgétaire n’était pas acquise et le gouvernement fut confronté à d’importants problèmes6. L’étude évoque à titre d’exemple l’inconnue que constituait la date de 3 Ibid., p. 21 sq. 4 Surtout Peter Wettmann­Jungblut, Im Schatten der Geschichte. Fakten und Überlegungen zu Franz Josef Röders Vergangenheit vor 1945, dans: Saargeschichten. Magazin zur regionalen Kultur und Geschichte 4 (2013), p. 4–13. 5 Küppers, Franz Josef Röder (voir n. 2), p. 13. 6 Ibid., p. 61 sq.

Lizenzhinweis: Dieser Beitrag unterliegt der Creative­Commons­Lizenz Namensnennung­Keine kommerzielle Nutzung­Keine Bearbeitung (CC­BY­NC­ND), darf also unter diesen Bedingungen elektronisch benutzt, übermittelt, ausgedruckt und zum Download bereitgestellt werden. Den Text der Lizenz erreichen Sie hier: https://creativecommons.org/licenses/by­nc­nd/4.0/ l’ancrage économique: pour nécessaire qu’il fût, le mystère autour du Tag X constitua une hypothèque non négligeable pour qui avait en charge le devenir du territoire. Röder eut à cette intégration gérer le 6 juillet 1959, deux mois seulement après sa prise de fonction à la tête du gouvernement.

Plus généralement, le passage de la zone franc à la zone mark fut un changement de planète dont les effets dépassaient largement le plan monétaire – ne serait­ce que parce que les équipements de la Sarre accusaient un retard dramatique de modernisation. De surcroît vint se greffer sur la difficile adaptation à la RFA la grave crise qui frappa le marché du charbon. En dépit d’aides conséquentes de Bonn, et Röder est présenté comme un chasseur de subventions efficace, la décennie 1960 fut placée sous le signe de ces difficultés. Il fallut à la fois des mesures techniques et une habile gestion des inquiétudes de la population quant à son niveau de vie. La crise du charbon se doublant bientôt de celle de la sidérurgie, Sarrebruck s’engagea dans la voie d’une politique audacieuse de création d’emplois (dont le point d’orgue fut l’établissement des usines Ford à Sarrelouis) – ce qui eut pour effet de modifier la configuration de l’activité. La part des sidérurgistes passa par exemple de 55% en 1960 à 35% en 19787. Préoccupé par l’avantage que la canalisation de la Moselle (accords de Luxembourg) pouvait apporter à la Lorraine voisine dans sa concurrence avec la Sarre, Sarrebruck parvint à réaliser un développement conséquent des infrastructures routières afin de sortir son territoire de l’isolement, mais pas les travaux de canalisation jugés pourtant indispensables.

Certains progrès se firent en dépit de Röder. Ce conservateur qui voyait dans la transmission des valeurs chrétiennes une fonction majeure de l’enseignement dut se rallier à ceux qui, autour de son ministre Werner Scherer, voulaient une réforme de l’école et de la formation des maîtres dans une direction plus académique. Les relations culturelles entre la Sarre et la France restèrent très bonnes. Y contribuèrent en particulier le lycée franco­allemand et l’université, mais aussi les partenariats entre villes françaises et sarroises ou encore les échanges de jeunes8. Ce domaine était plus favorable que celui de l’économie. Les problèmes étaient réels et la région Sarre­Lor­Lux encore balbutiante.

Plus inattendues sont les pages consacrées à l’Ostpolitik. En Allemagne la politique étrangère est une affaire fédérale, les Länder n’interviennent au Bundesrat que lorsque leurs intérêts sont en jeu. »Pourtant, en une occasion, ce petit État fédéral a joué un rôle­clé dans la politique étrangère classique«, écrit Küppers – tout en concédant immédiatement qu’on en a par le passé exagéré le côté spectaculaire9. Les accords germano­polonais signés par et que la chambre des Länder eut à ratifier en mars 1976 mettaient en cause les intérêts régionaux par les assurances sociales qu’ils englobaient. Dans la perspective des élections fédérales prévues pour octobre le leader de la CSU tenta de mobiliser les capitales régionales aux mains des chrétiens­démocrates contre ces accords – ce qui en menaçait l’adoption. Jusqu’en 1969 Röder avait soutenu la ligne

7 Ibid., p. 78. 8 Ibid., p. 106. 9 Ibid., p. 110.

Lizenzhinweis: Dieser Beitrag unterliegt der Creative­Commons­Lizenz Namensnennung­Keine kommerzielle Nutzung­Keine Bearbeitung (CC­BY­NC­ND), darf also unter diesen Bedingungen elektronisch benutzt, übermittelt, ausgedruckt und zum Download bereitgestellt werden. Den Text der Lizenz erreichen Sie hier: https://creativecommons.org/licenses/by­nc­nd/4.0/ nationale de son parti. Avec son collègue de Basse­Saxe Ernst Albrecht il s’engagea avec succès en faveur d’une adoption. Les considérations régionales n’étaient pas absentes de cette démarche: à l’issue des élections (Landtag) il avait constitué un gouvernement sans majorité (il ne réalisa son souhait de coalition avec les libéraux du FDP qu’en 1977). Mais l’auteur, qui évoque ses convictions européennes, impute surtout son engagement aux accords (et à l’esprit) d’Helsinki.

Röder hérita d’une Sarre encore malade des conflits et de la démagogie qu’avait suscités le référendum. Il apporta un certain apaisement – ce qui n’était pas chose facile, car les plaies étaient profondes. Ses prédécesseurs avaient montré deux années durant à quel point le nationalisme exacerbé affaiblissait le territoire. Il fut l’»homme qui réconcilie«10. Il sut prendre en compte l’histoire et l’héritage de la Sarre depuis 1947 et en faire un Bundesland viable et durable11, en réalisant une transition structurelle »à visage humain«12. C’est pourquoi l’étude qualifie ce chef de gouvernement volontiers autoritaire qui sut se rendre populaire (»Wir Saarländer«) de »bâtisseur du Land Sarre«. En fait, il présente une personnalité aux facettes multiples.

Par­delà les différences fondamentales qui séparaient les deux hommes, l’un autonomiste, l’autre intégré à une République fédérale souveraine, Küppers montre de manière convaincante la part des convictions religieuses, du christianisme social, du patriotisme et de l’attachement au fédéralisme en tant qu’inspirateurs de l’action de Röder. Tout comme Adenauer, il eut pour successeur un homme qu’il n’aurait pas souhaité, Werner Zeyer13.

Après le livre du journaliste Erich Voltmer14, dont la parution a suivi de peu la mort de Franz Josef Röder, cette étude, que Heinrich Küppers qualifie modestement de »plus qu’un article mais moins qu’un livre«15, devrait constituer un premier pas (solide) vers des travaux approfondis. Les trois pages dans lesquelles il compare Röder et Johannes Hoffmann16 sont fines et riches, de même que les passages dans lesquels l’auteur souligne la parenté entre les conceptions chrétiennes­sociales de Hoffmann et de Röder – bien que celui­ci ne disposât plus de la même latitude pour concrétiser ses conceptions.

Travail sérieux de défrichage, cette étude offre une base solide et des pistes qui méritent d’être creusées car l’enjeu en est la période d’adaptation dans le cadre de ce que l’on a appelé »la petite

10 Ibid., p. 136. 11 Ibid., p. 34. 12 Dietmar Hüser, Wahlen, Parteien und politische Kultur im Saarland der 70er und 80er Jahre – Aspekte eines Umbruchs mit Konstanten, dans: Edwin Dillmann, Richard van Dülmen (dir.), Lebenserfahrungen an der Saar. Studien zur Alltagskultur 1945–1995, St. Ingbert 1996 (SaarlandBibliothek, 12), p. 134. 13 Küppers, Franz Josef Röder (voir n. 2), p. 133. 14 Erich Voltmer, Franz Josef Röder. Ein Leben für die Saar. Mit einem Beitrag von Wilfried Loth, Dillingen 1979. 15 Küppers, Franz Josef Röder (voir n. 2), p. 14. 16 Ibid., p. 58 sq.

Lizenzhinweis: Dieser Beitrag unterliegt der Creative­Commons­Lizenz Namensnennung­Keine kommerzielle Nutzung­Keine Bearbeitung (CC­BY­NC­ND), darf also unter diesen Bedingungen elektronisch benutzt, übermittelt, ausgedruckt und zum Download bereitgestellt werden. Den Text der Lizenz erreichen Sie hier: https://creativecommons.org/licenses/by­nc­nd/4.0/ réunification«.

Lizenzhinweis: Dieser Beitrag unterliegt der Creative­Commons­Lizenz Namensnennung­Keine kommerzielle Nutzung­Keine Bearbeitung (CC­BY­NC­ND), darf also unter diesen Bedingungen elektronisch benutzt, übermittelt, ausgedruckt und zum Download bereitgestellt werden. Den Text der Lizenz erreichen Sie hier: https://creativecommons.org/licenses/by­nc­nd/4.0/