N° 857 ______ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 mai 2003. RAPPORT D’INFORMATION

déposé en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA MISSION D’INFORMATION COMMUNE SUR LA CREATION D’UNE TELEVISION FRANÇAISE D’INFORMATION A VOCATION INTERNATIONALE (1)

PRESIDENT M. François ROCHEBLOINE,

RAPPORTEUR M. Christian KERT,

Députés.

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TOME I

(2ème partie) RAPPORT D’ÉTAPE

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

Audiovisuel — 2 —

La mission d’information commune sur la création d’une télévision française d’information à vocation internationale est composée de : M. François ROCHEBLOINE, Président ; MM. Michel HERBILLON, Didier MATHUS, Vice-Présidents ; MM. Patrice MARTIN-LALANDE, Frédéric de SAINT-SERNIN, Secrétaires ; M. Christian KERT, Rapporteur ; Mme Martine AURILLAC, MM. Pierre-Christophe BAGUET, Jean-Louis BIANCO, Patrick BLOCHE, Bernard BROCHAND, Michel FRANÇAIX, Jean-Claude GUIBAL, Georges HAGE, Emmanuel HAMELIN, Pierre LELLOUCHE, François LONCLE, Éric RAOULT, Dominique RICHARD, Éric WOERTH. 1ERE PARTIE DU RAPPORT

INTRODUCTION

I. UN PROJET COMPLEXE MAIS NECESSAIRE

II. UTILISER LES ATOUTS ET SURMONTER LES HANDICAPS DU PAYSAGE AUDIOVISUEL FRANÇAIS

III. PRECONISATIONS

CONCLUSION

EXAMEN DU RAPPORT

EXPLICATIONS DE VOTE

AUDITIONS Audition de MM. Etienne MOUGEOTTE, Vice-Président de TF1 et Jean-Claude DASSIER, Directeur général de LCI Audition de M. Philippe BAUDILLON, Conseiller des affaires étrangères hors classe, chargé par le ministre des affaires étrangères d’une mission d’étude sur la création éventuelle d’une chaîne d’information internationale pour la FranceAudition de MM. David LOWEN, Directeur général d’EuroNews et Michael PETERS, Directeur financier Audition commune de MM. Ghislain ACHARD, directeur général délégué de Télévisions, Serge ADDA, président-directeur général de TV5 et Canal France International, Jean-Paul CLUZEL, président-directeur général de Radio France internationale et Jean MINOT, directeur général de CFI 2ème PARTIE DU RAPPORT Audition de M. Marc TESSIER, président de France Télévisions accompagné de M. Ghislain Achard, directeur général délégué...... 5 Audition de M. Jérôme CLÉMENT, président d’ARTE France...... 16 Audition de M. Bertrand EVENO, président de l’Agence France Presse, accompagné de Mme Christine Buhagiar, responsable du service AFP vidéo et de M. Pascal Bourdon, journaliste ...... 23 Audition de M. André-Michel BESSE, président de RFO...... 34 Audition de M. Dominique FAGOT, Président de Media Overseas, accompagné de Mme Sophie Barluet, directrice générale adjointe du groupe Canal +, chargée des affaires extérieures...... 40 Audition de M. Jean-Claude PARIS, Directeur général de i

Audition de M. Hervé BOURGES, président de l’Association internationale de la Presse francophone ...... 66 Audition de M. Jean ROUILLY, président-directeur général de Lagardère Networks International...... 80 Audition de M. Jean-Jacques AILLAGON, ministre de la culture et de la communication ...... 90 Audition de M. Dominique de VILLEPIN, ministre des affaires étrangères..99

ANNEXES...... 107 1. Compte rendu du déplacement à Berlin...... 107 2. Compte rendu du déplacement à Londres...... 109 1ère partie du rapport

Audition de M. Marc TESSIER, président de France Télévisions accompagné de M. Ghislain Achard, directeur général délégué

Présidence de M. François ROCHEBLOINE, Président

(Extrait du procès verbal de la séance du mercredi 5 mars 2003)

M. le président : Monsieur le président, Monsieur le directeur général, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation.

Nous avons appris lors de notre audition conjointe des différents opérateurs que des rencontres avaient eu lieu et que s’était manifestée une volonté de faire une proposition commune. Peut-être pourrez- vous nous apporter aujourd’hui des éléments d’information sur cette réflexion et sur les budgets nécessaires. Nous sommes allés rencontrer, la semaine dernière, des responsables de la Deutsche Welle, et certains chiffres nous ont été communiqués. Comme nous avions entendu en France des chiffres relativement différents, peut-être pourrez-vous nous apporter des précisions à ce sujet.

M. Marc Tessier : Monsieur le président, messieurs les députés, je vous remercie d’avoir accepté de me recevoir aujourd’hui, faute d’avoir être pu être présent lors de la précédente audition, d’autant que l’idée d’une chaîne d’information internationale me tient particulièrement à cœur. Depuis de nombreuses années, avant même de prendre des fonctions à France Télévisions, je m’interrogeais sur les formes de la présence des produits audiovisuels français et de la télévision française à l’étranger. A présent que j’occupe ce poste de responsabilité, cette question revient.

Je ne reviendrai pas sur tout ce qui est parfaitement connu de votre mission. A la lumière de mon expérience, une des raisons majeures pour lesquelles une chaîne d’information à vocation internationale de langue française est nécessaire dans un certain nombre de pays du monde est la suivante : toutes les enquêtes sur le public des grandes chaînes d’information nationales et internationales montrent que la cible de leurs téléspectateurs, qui sont plutôt des personnes éduquées, en particulier pour des chaînes d’information internationales, est maintenant très largement influencée par la culture et la langue anglaise. Aujourd’hui le risque est grand que, dans des zones où la francophonie est encore fortement présente, des francophones ne s’orientent pour l’information presque exclusivement vers cette forme et cette source-là. Ce risque existe autant en Afrique francophone qu’au Maghreb et en Europe.

L’absence d’une chaîne de langue française risque d’être très mal comprise, surtout quand on sait, en suivant les projets des uns et des autres, que d’ici quelques années, il existera dans la plupart des systèmes câblés numériques et satellitaires numériques européens, et très probablement aussi sur l’ensemble du bassin méditerranéen, des chaînes dans la plupart des langues majeures du monde. C’est déjà le cas en anglais et en allemand. La RTVE prépare la version internationale de sa chaîne de langue espagnole. Les Italiens projettent, à partir de leur chaîne nationale d’information continue, RAI Info, de créer une chaîne en langue italienne destinée à l’Europe et au bassin méditerranéen. En langue chinoise, c’est quasiment fait, de même qu’en langue arabe, avec peut-être plusieurs modèles de chaînes. Il y aurait vraiment une incompréhension non seulement de la part des opérateurs de câble et de satellite, mais aussi de la part des téléspectateurs cibles de ces chaînes, si l’on ne pouvait pas leur proposer le pendant en langue française. Il y a là un véritable problème de statut, indépendamment même de l’attente des téléspectateurs francophones.

Dans les quelques années qui viennent, même au niveau national, en dehors des grands journaux qui resteront des moments forts de l’information – je pense notamment au « 20 heures » français et aux grands journaux de la BBC ou des chaînes allemandes, à heures données, qui restent des moments privilégiés tous publics et très grand public – l’usage de regarder l’information sur des chaînes d’information continue se développera pour toute une catégorie de la population. L’habitude étant prise, on ne pourra pas la corriger en proposant soit des versions internationales de chaînes nationales qui, par — 6 —

définition, insistent sur les sujets les plus locaux possibles afin d’attirer les téléspectateurs, soit des chaînes qui ne proposent que deux ou trois rendez-vous journaliers, même de qualité. J’ai coutume de dire qu’il s’agit presque d’un problème de « standing » de la langue française par rapport à ses grandes consœurs internationales. C’est vrai pour l’Europe où, tôt ou tard, il y aura une politique de diffusion simultanée des grandes langues européennes sur l’ensemble des réseaux numériques, mais aussi dans le grand bassin méditerranéen et, bien entendu, pour l’Afrique, où il est fondamental que nous offrions une alternative aux chaînes en langue anglaise, puisque nous jouons la carte du bilinguisme anglais-français dominant sur l’ensemble de l’Afrique et pas uniquement sur l’Afrique francophone.

France Télévisions y est bien entendu intéressée en tant que groupe de chaînes publiques, mais ce n’est pas seulement une question de statut. Nous considérons dans missions de maintenir, voire de développer nos points d’implantation à l’étranger. Aujourd’hui, France Télévisions a dix bureaux à l’étranger. La BBC en a trente-huit, nos consœurs allemandes, une vingtaine. Il est certain qu’avec dix bureaux à l’étranger nous sommes un peu en dessous du seuil nécessaire pour assurer la priorité que nous voulons donner à l’information internationale dans les journaux français. En outre, la mobilisation, lors d’événements majeurs comme le 11 septembre, la guerre d’Afghanistan et peut-être bientôt l’Irak, d’équipes de soixante à quatre-vingts personnes, qui se justifie par une diffusion nationale assortie d’une modification de nos grilles de programmes afin d’assurer une diffusion quasi continue tout au long de la journée en jouant de la complémentarité de nos différentes chaînes, est encore plus fortement justifiée par l’alimentation d’une chaîne internationale. Il y a enfin tout bêtement une question de statut. Lorsqu’il s’agit, pour les grandes chaînes et les grands groupes publics, de discuter de leur positionnement auprès des services de relations publiques ou de presse des grands pays tiers, notamment les Etats-Unis, vous êtes en catégorie 1, en catégorie 2 ou en catégorie 3. Fort heureusement pour la langue française, l’AFP est en catégorie 1, mais les télévisions françaises sont en catégorie 2 vis-à-vis de Washington. Serons- nous traités au même niveau que les groupes qui disposent d’une grande chaîne d’information internationale visible par les opérateurs, même s’ils ne la regardent pas longuement, de l’ensemble des pays du monde ? Cette raison est fondamentale. C’est la raison pour laquelle notre groupe s’est mobilisé.

Je vous confirme que nous avons décidé avec le président de Radio France internationale de bâtir un projet que nous présenterons conjointement le moment venu et selon le cahier des charges qui nous sera fixé. Nous ne prétendons pas fixer nous-mêmes les règles du jeu. L’objectif visé est de constituer une société commune dont le statut sera défini en accord avec l’Etat. Il ne s’agit pas d’en prévoir le détail aujourd’hui car ce serait prématuré, Parlons plutôt du fond que de la structure. Nous envisageons une société commune dans laquelle les deux entités participeront dans des proportions tenant compte de leur capacité d’apporter des moyens et des financements.

M. le président : C’est-à-dire, entre vous-même, RFI et TV5 ?

M. Marc Tessier : Nos discussions avec TV5 ne sont pas aussi avancées qu’avec RFI. En effet, TV5 étant une chaîne multilatérale, elle ne peut signer un accord, même sur un dossier avec France Télévisions, que sous réserve de l’accord de l’ensemble de ses partenaires. Ce sera un exercice un peu difficile, puisque ses partenaires peuvent être intéressés à participer aussi, le moment venu, à la chaîne d’information internationale, même si nous n’avons ouvert aucune discussion, ni avec les Canadiens ni avec les Belges, ni avec les Suisses. En revanche, nous sommes convenus avec TV5 que, quoi qu’il arrive et quelles que soient les formes de la coopération, lesquelles ne sont pas encore définies, nous créerons une structure commune de distribution du programme. Il n’est pas raisonnable d’imaginer que la distribution du programme, c’est-à-dire les rapports avec les opérateurs de satellite, de réseau câblé, de réseau MMDS, voire les hôtels et les systèmes d’antenne collective, se fasse en concurrence, y compris en Europe, entre TV5 et une chaîne internationale. Nous avons donc décidé d’une distribution conjointe, à charge pour les opérateurs de choisir entre nous s’ils préfèrent une chaîne d’information ou une chaîne à vocation plus large. Nous avons entamé et avancé nos négociations avec l’AFP. Notre idée est d’avoir un partenariat global, c’est-à-dire allant au-delà de la simple fourniture de prestations par l’AFP. Il s’agit d’examiner si nous pouvons faire appel aussi à la structure des bureaux de l’AFP, en particulier des bureaux centraux, à partir desquels rayonnent des bureaux secondaires, afin que ceux-ci puissent être équipés de moyens permettant d’organiser des interviews, voire des débats, dans certaines parties du monde où ni France Télévisions ni RFI ne sont aujourd’hui solidement présentes. Nous en sommes à notre troisième session de négociation mais le principe d’un accord de partenariat de cette nature est accepté par les deux parties. — 7 —

Il restera aussi à définir nos rapports avec Euronews. Ils sont un peu plus complexes dans la mesure où nous n’avons pas la complète maîtrise d’Euronews, même si la France et, en particulier, France Télévisions, a une influence importante dans ses choix. L’idée est de reprendre certains programmes d’Euronews. En fonction du budget dont nous disposerons, en particulier pour les heures de nuit, nous pourrions reprendre sur nos antennes certains magazines européens d’Euronews, moyennant un apport financier. Cela permettrait d’ailleurs incidemment de conforter la situation financière d’Euronews, ce qui serait de l’intérêt des deux parties. Nous n’avons pas encore engagé de discussions avec RFO.

M. Ghislain Achard : Nous en sommes aux préliminaires.

M. Marc Tessier : Le centre, c’est le partenariat avec RFI, puisque nos deux vocations se complètent. Nous apportons le savoir-faire télévisuel, nos bureaux et nos capacités de projeter des équipes pour collecter des informations. RFI apporte son expérience des pays, sa capacité d’analyse des situations, la possibilité de faire des papiers, d’animer des débats. Les deux savoir-faire peuvent utilement se compléter. En ce qui concerne le modèle de chaîne sur lequel nous travaillons, il faut être clair. Il dépendra à la fois des initiatives de l’opérateur et du cahier des charges. Lorsque les choix seront opérés, il y aura à l’évidence une phase de dialogue entre l’opérateur et l’Etat. Au stade actuel, qui est celui des réflexions et des propositions, nous avons retenu un certain nombre de principes que je voudrais souligner. S’agissant d’une chaîne d’information, la règle absolue qui ne souffre aucune dérogation, ce sont les rendez-vous d’information à heures fixes avec, en tout cas, un journal par heure, d’une durée qui ne saurait être inférieure à un quart d’heure. Quand vous regardez toutes les chaînes d’information internationales, il est impensable de n’avoir que des flashes ou des titres. Il faut des formules de journaux plus longs. La longueur possible est entre un quart d’heure et une demi-heure. Je suis plutôt pour les journaux module Soir 3 de l’ordre de vingt minutes. Ce standard me paraît bon. Mes équipes penchent plutôt pour vingt-cinq minutes. Il reste matière à ajustement, mais c’est le cœur.

M. le président : Dans quelle langue ?

M. Marc Tessier : Jusqu’à présent, je parlais du français. Si vous le souhaitez, monsieur le président, je peux intervenir tout de suite sur le problème de la langue, mais il découle du choix éditorial. L’information au sens du journal d’information, du flash d’actualité ou du rappel des titres représentera, grosso modo, la moitié du temps d’antenne d’une chaîne d’information, la partie débats/magazines représentant l’autre moitié.

Les débats et les magazines peuvent faire l’objet de rediffusions. Ils peuvent être en direct. Il y aura certains débats en direct sur une chaîne d’info internationale, mais la contrainte du direct dépend de la zone de couverture, du nombre de fuseaux horaires. Ces débats seront donc, de toute façon rediffusés à un moment ou à un autre. Il est donc toujours possible, pour la partie débat ou magazine, de présenter soit une version sous-titrée, soit même, pour certains d’entre eux, doublée, bien que j’aie des doutes sur la faisabilité d’un doublage de qualité. Ou bien le débat doit avoir lieu dans une autre langue, ce qui impose la présence de deux équipes rédactionnelles travaillant en parallèle pour organiser un débat, l’une en langue française, l’autre dans l’autre langue, en l’occurrence l’anglais, avec tous les coûts engendrés et surtout la difficulté d’avoir la même qualité de débat et d’invités. A Paris, il est plus facile d’organiser des débats en langue française qu’en langue anglaise. Si nos bureaux ne sont qu’à Paris, nous serons moins performants en langue anglaise, sans parler des animateurs, des présentateurs, des journalistes qui devront être recrutés en fonction de caractéristiques rares sur le marché, donc à un prix relativement élevé. Je précise que la version d’Euronews en langue anglaise est de très loin la plus chère, tout simplement parce que parmi toutes les nationalités, le salaire des journalistes de langue anglaise d’Euronews est le plus élevé et leur turn-over le plus rapide.

Pour le journal, des procédés techniques permettent de réaliser un sous-titrage quasi instantané, mais là, nous jouons dans la cour des grands. Qui regardera un journal sous-titré hâtivement ? Ne risque-t- on pas de juger que la chaîne francophone n’a pas, y compris dans son sous-titrage, la qualité requise ? Je considère qu’il ne faut pas se hasarder à faire trop d’acrobaties pour aboutir à un résultat qui ne serait pas au standard des principaux concurrents internationaux alors que la France a, manifestement, une contrainte et un objectif dans ce domaine. La formule qui me paraît la plus adaptée à l’objectif de diffusion partielle en langue anglaise, c’est tout simplement de faire un certain nombre de nos journaux, à heures données, en langue anglaise, dans une salle de rédaction proche, répondant aux mêmes principes éditoriaux et ayant la même structure que le journal de langue française. Nous pourrions également diffuser des images principales de journal à l’attention des desks des principaux médias du monde entier, — 8 —

un peu comme un fil AFP mais en vidéo, un best of où les moments forts du journal de la chaîne d’information française seraient présentés dans une version anglaise. En revanche, un sous-titrage continu me paraît extrêmement difficile à envisager.

De plus, pour ce qui est du référencement lui-même, les opérateurs de cette chaîne auront à discuter non seulement avec des opérateurs de satellites, ce qui ne sera pas le plus difficile, mais aussi avec des opérateurs de réseaux câblés, d’antennes collectives et d’hôtels en mode numérique. Ils seront confrontés à des responsables qui chercheront - on le constate déjà - à faire une “ offre internationale ” dans laquelle ils prendront des chaînes en langue anglaise, en langue arabe et une chaîne de langue française, en particulier dans les grandes zones dont je vais parler. Je pense que nous avons un créneau car un bouquet raisonnable de chaînes d’information qui n’aurait pas la langue française serait fort heureusement considéré dans beaucoup de zones comme déséquilibré. Cela est d’ailleurs aussi vrai en Amérique latine que dans les grandes zones francophones. Il sera plus difficile pour nous de placer dans les systèmes une chaîne en langue anglaise car elles sont déjà nombreuses et il faudrait prendre une place de plus, qu’une chaîne en langue française. Toutefois, le nombre de téléspectateurs capables de la suivre sera limité à ceux qui comprennent et parlent notre langue.

S’agissant du contenu, il est très important que nous mettions l’accent, sous la forme de magazines, sur certaines régions du monde où la francophonie reste importante. Nous avons prévu le magazine de l’Europe, le magazine de l’Afrique, le magazine du Proche-Orient, avec des reprises de l’actualité de ces pays et des débats avec des personnalités de ces pays, sur des problèmes qu’ils se posent eux-mêmes. Nous devons aussi développer les grands thèmes qui fondent la position générale des francophones dans le monde, en particulier les grands sujets multilatéraux qui nous concernent aujourd’hui, dans les domaines politique, économique, social et culturel. Je pense également qu’une partie des débats doivent avoir lieu à partir de Paris et être organisés avec des personnalités françaises ou étrangères. La francophonie doit tirer avantage du pôle que représente la capitale française. Enfin, nous proposerons des magazines dits d’investigation spécifiques, soit repris de nos propres magazines d’investigation, soit repris de ceux d’autres partenaires francophones, en particulier canadiens, qui ont la capacité de faire des magazines d’investigation extrêmement nourris et pas uniquement sur des questions proprement canadiennes. Nous devrions présenter, plus que nos concurrents, la caractéristique d’une chaîne qui va plus loin sur un certain nombre de sujets d’intérêt collectif. Ceci est possible en utilisant les ressources de l’ensemble des chaînes francophones. Cela me conduit à dire que cette chaîne devra, après que le Gouvernement aura pris sa décision, associer les grands groupes francophones, notamment canadiens, belges et suisses. Il sera difficile de ne pas conclure certains accords de partenariat avec les grandes télévisions d’Afrique ou du Maghreb.

J’en viens au budget et aux moyens, question bien entendu centrale. Je n’ai pas regardé les chiffres de la Deutsche Welle, car je pense que les Allemands ont une habitude de fonctionnement à coûts très élevés.

M. le président : A notre avis, non.

M. Marc Tessier : Alors, c’est un bon exemple, nous allons nous précipiter pour l’observer.

M. Michel Herbillon : En tout cas, pour la partie télévision.

M. le rapporteur : 200 millions d’euros pour la radio et 83 millions d’euros pour la télévision.

M. Marc Tessier : Ils sont tout de même plus élevés que nos objectifs financiers. Vous le savez, nous ne désespérons pas de faire entrer la Deutsche Welle dans Euronews. J’ai encore des réunions ce soir avec des dirigeants de la ZDF et de Deutsche Welle en vue de faire en sorte qu’ils deviennent partenaires dans ce collectif européen. Je vais donc m’empresser de leur demander leurs chiffres. S’ils sont à 83 millions d’euros, cela signifie que les Français doivent être nécessairement à la moitié. Nous sommes généralement dans un rapport de un à deux avec les Allemands.

M. Michel Herbillon : Nous avons essayé de recouper ces chiffres. Apparemment, ils sont véridiques.

M. Marc Tessier : Les Anglais, là aussi avec une marge d’approximation considérable compte tenu de règles d’imputation des coûts que je ne connais pas, énoncent que le coût net pour la BBC de — 9 —

BBC World est de 60 millions d’euros, ce qui veut probablement dire que le coût brut est de l’ordre de 80 millions d’euros, c’est-à-dire un coût qui n’a rien à voir avec ceux des chaînes américaines Fox News et CNN.

M. le président : Quand vous parlez de 80 millions d’euros, est-ce pour une, deux ou trois langues ?

M. Marc Tessier : Pour les Anglais, c’est une seule langue. Nous ne nous situons pas là. Nous avons essayé de travailler sur une sorte de schéma libre. Comme par hasard, nos équipes ont abouti au coût de 60 à 70 millions d’euros. Nous leur avons alors demandé : si nous fixons la barre à 40, où vous situez-vous ? En matière d’information, qu’elle soit nationale ou internationale, si l’on écoute les journalistes, on peut raisonner à budget infini. Il faut donc, à un moment ou à un autre, raisonner en fonction de nos capacités et leur demander si, avec tant d’argent, on peut faire une information de qualité. Cela est valable pour la presse écrite comme pour la télévision.

Nous sommes ainsi parvenus à un équilibre autour de 40 millions d’euros, dans le contexte suivant : nous considérons que cette chaîne n’a pas de moyens propres en dehors des moyens de fabrication de ses journaux sur place, à son siège ; elle a des journalistes qui font les sessions de journaux et qui animent les différents magazines et débats, mais elle n’a aucun moyen de projection extérieure propre, ce qui me paraît tout à fait possible. Pour trouver ses images, elle s’appuie entièrement sur ses partenariats avec les bureaux de France Télévisions, RFI, l’AFP. Elle a accès aux images de l’UER que son statut public lui permet d’obtenir. Je puis indiquer à la mission que nous sommes parvenus à l’idée que 60 % environ des images diffusées par cette chaîne seraient des images qui auraient pu faire l’objet d’une diffusion sur une des chaînes françaises mais qui sont propres à la chaîne d’information internationale. Par conséquent, 60 % des images seraient propres à la chaîne en question et 40 % seraient des images achetées à l’extérieur ou auxquelles elle a accès soit par des accords, par exemple, avec CNN, soit par le système des EVN, soit tout simplement par des achats d’agence.

Nous avons retenu un premier module fonctionnant sur quatre fuseaux horaires. Cette hypothèse de travail permet de couvrir l’Europe, l’ensemble du bassin méditerranéen, le Proche-Orient et l’Afrique, c’est-à-dire notamment l’Irak, l’ensemble de la péninsule arabique et Madagascar. La partie d’information de nuit de cette chaîne pourrait fait l’économie d’une équipe complète et pourrait donc s’approvisionner pour l’essentiel en images en provenance d’Euronews. Bien entendu, cette hypothèse de travail peut être modifiée tout au long de l’avancement du projet.

C’est ainsi que nous parvenons à fonctionner, dans nos estimations de travail, avec un budget légèrement inférieur à 40 millions d’euros. Nous avons considéré que ces 40 millions d’euros étaient le budget de fonctionnement annuel complet en langue française. Celui-ci comprend l’éventuel paiement aux partenaires, en particulier à France Télévisions et à RFI. Bien entendu, le financement de cette chaîne peut tout à fait reposer sur le fait que ces paiements n’aient pas lieu. Selon les mêmes règles que nous avions utilisées pour notre projet de chaîne d’information nationale, nous avons valorisé l’apport et considéré que dans le financement nous apporterions gratuitement les prestations correspondantes. Idem pour RFI.

Quelles sont les autres ressources possibles de la chaîne ? L’évaluation du potentiel publicitaire est assez difficile, même si nous ciblons 90 % des francophones. Nous sommes la régie publicitaire de TV5 : nous vendons, par conséquent, la publicité pour TV5. Il sera difficile d’obtenir un potentiel publicitaire comparable à celui de TV5, les audiences d’une chaîne d’information continue étant inférieures. En se situant entre 3 et 4 millions d’euros, l’objectif me paraît non seulement atteignable, mais être le minimum que nous devrions obtenir par des accords de partenariat avec de grandes entreprises françaises implantées à l’étranger et qui ont intérêt à avoir une présence française d’information continue dans l’ensemble de la zone, en particulier celles ayant un fort potentiel d’expatriés. Cette évaluation est encore assez grossière. La chaîne Euronews réalise 8 à 9 millions d’euros sur l’Europe, stricto sensu. En raisonnant uniquement en langue française, ce chiffre est divisé de manière significative, puisque la couverture maximale est la version allemande d’Euronews en langue allemande. En étendant le bassin à l’ensemble du continent africain et du Maghreb, on aboutit peut-être à des chiffres supérieurs. Il est très difficile de faire une évaluation. En tout cas, on a certainement un potentiel.

En ce qui concerne les recettes d’abonnements, il convient d’être très pessimiste. Il n’y a qu’en France que les chaînes d’information sont payées. C’est une tradition des deux opérateurs du satellite de — 10 —

se payer leurs propres chaînes. Pourquoi pas ? Partout ailleurs, les chaînes d’information continue sont gratuites ou touchent quelques centimes par abonné. Aujourd’hui, dans le contexte international de développement des chaînes numériques, la possibilité de ne pas payer sa diffusion et d’être payé par le diffuseur, à mon avis, va disparaître, et pas seulement pour les chaînes d’information. On est plutôt maintenant dans la logique de payer pour être transporté que l’inverse. Nous avons l’expérience de la diffusion de France 2 et de ses journaux dans un certain nombre de pays. Auparavant, nous n’avions rien à payer pour la diffusion, maintenant, nous payons. Je ne crois donc pas que nous puissions tabler sur des recettes d’abonnement.

In fine, pour un budget de cette nature, je le dis clairement, nous pensons que les partenaires que sont les chaînes publiques, si elles veulent participer à ce projet, doivent procéder à une partie des arbitrages et ne pas se contenter de les laisser à l’Etat. Certains pensent qu’il suffit de dire qu’il y a 40 millions d’euros et de laisser ensuite l’Etat arbitrer. Je pense qu’il convient que chacun des groupes désireux d’être actionnaire, à la mesure de ses moyens, fasse des choix qui lui permettent de participer au financement s’il veut que l’opération se réalise. La question sera l’objet de débats assez vifs. Est-ce que ce sera 50/50, 60/40 ? Tout est possible. De notre point de vue, cela dépendra de la volonté des parties de trouver une solution.

En conclusion, pour le groupe France Télévisions, c’est un enjeu majeur de positionnement international, au même titre que pour la langue française. C’est aussi un enjeu de modernisation puisque la règle de fonctionnement d’une chaîne d’information continue ne saurait être identique à celle des rédactions actuelles. Nous avons élaboré, pour notre projet national, une charte de fonctionnement, donc des règles, y compris au niveau des métiers, différentes de celles qui s’appliquent pour les rédactions nationales, avec l’espoir que celles-ci puissent évoluer dans ce sens, et non l’inverse. C’est pour nous un facteur de modernisation que de pouvoir montrer que nous sommes capables de travailler selon des règles différentes. En dépit des difficultés que rencontrent nos confrères de la radio, on fait fonctionner une radio d’information continue avec un effectif égal à la moitié ou au tiers de celui résultant de l’application des autres règles. La numérisation des plates-formes est un critère de base. Nous avons gardé les capacités techniques que nous avions prévues pour le projet précédent pour, le cas échéant, un projet de cette nature.

M. le président : Les responsables de Deutsche Welle que nous avons rencontrés nous ont indiqué que leur chaîne d’information continue n’émet qu’à l’extérieur de l’Allemagne. Avez-vous prévu que la chaîne d’information puisse être reçue en France ? Vous avez évoqué un budget de 40 millions d’euros, ce qui me paraît relativement modeste. Quel serait le coût supplémentaire pour une autre langue ? Avez-vous envisagé de faire appel à des partenaires privés ?

M. Marc Tessier : Il est clair que le projet n’est pas conçu principalement pour le public français. Je ne vois pas d’inconvénient à ce que le public français intéressé par des informations de caractère majoritairement international ait à sa disposition une chaîne en langue française et ne soit pas obligé de se contenter de regarder des chaînes diffusées en langue étrangère.

M. le président : La chaîne d’information de Deutsche Welle n’est pas reçue en Allemagne.

M. Marc Tessier : Vous le savez, les Allemands se heurtent à des problèmes qui remontent à la fin de la guerre et à la définition des statuts des différentes télévisions. La Deutsche Welle existe avec comme seul impératif, compte tenu de son statut, de ne pas diffuser en Allemagne. A l’inverse, la ZDF n’est pas autorisée à diffuser une chaîne internationale d’information en dehors de l’Allemagne. Ce sont des équilibres devenus aujourd’hui un peu désuets, dont l’origine est historique.

M. Michel Herbillon : Sauf dans le cadre des accords de German TV.

M. Marc Tessier : En effet. C’est pourquoi ils ont un accord spécial 50/50 avec la Deutsche Welle, assorti d’un statut spécial. Je ne sais d’ailleurs pas comment est financée la Deutsche Welle.

M. le président : Par l’Etat. Elle est financée à hauteur de 95 % par le ministère de la culture.

M. Marc Tessier : En ce qui concerne les différentes formes d’une version anglaise de la chaîne d’information continue, Monsieur Achard, vous aviez demandé à nos équipes d’en calculer les coûts. — 11 —

M. Ghislain Achard : Nous avons étudié trois scénarios possibles. Le premier, consistant en des modules de rendez-vous réguliers quotidiens d’environ quatre heures par jour dans une langue différente, coûterait de 9 à 10 millions d’euros par an.

M. le président : Pour une langue ?

M. Ghislain Achard : Pour une langue de plus pendant trois à quatre heures par jour.

M. Marc Tessier : Pour quatre heures, mais on n’est pas obligé de prévoir quatre heures.

M. le président : D’informations actualisées ou répétitives ?

M. Ghislain Achard : Pour une session d’information spécialisée.

M. Marc Tessier : Un journal de dix minutes quatre fois pas jour plus quelques magazines.

M. Ghislain Achard : La deuxième hypothèse porte sur un système plus sophistiqué consistant à réaliser toutes les sessions d’information dans une autre langue. Le surcoût par langue est alors estimé entre 13 et 15 millions d’euros. La troisième hypothèse est celle d’une autre chaîne diffusée en parallèle en totalité dans une autre langue. Le surcoût est de 25 à 30 millions d’euros.

M. Marc Tessier : On double le prix puisque l’on crée deux chaînes avec deux rédactions complètes. Je précise que ces données ne sont pas très affinées. Autant le travail sur une chaîne de langue française résulte d’un processus d’itération à l’intérieur des équipes qui ont travaillé sur des hypothèses budgétaires différentes de celles auxquelles elles avaient abouti en première analyse, autant là, les calculs effectué restent trop approximatifs. Nous devrons les affiner pour vous apporter les éclairages nécessaires.

M. le président : Pouvez-vous créer cette chaîne sans embaucher du personnel ?

M. Marc Tessier : Non, cela est impossible. Si vous me disiez que le seul développement nouveau du groupe France Télévisions porte sur les effectifs de cette chaîne, compte tenu des objectifs à cinq ans figurant dans notre contrat, je vous répondrais “ oui ”.

M. le président : Je crains qu’il n’y ait du redéploiement dans l’air.

M. Marc Tessier : Si nous devons procéder simultanément à une plus grande régionalisation des programmes de France 3, ce sera très difficile. Dans notre réflexion actuelle avec la direction du développement des médias, nous prévoyons d’affecter les progrès de productivité en matière d’emplois au financement de notre développement régional.

Concernant les partenaires privés, la question est à deux niveaux. Rien n’interdit de faire une société à capitaux mixtes publics et privés et de prévoir un accord d’actionnaires. Toutefois, cette société devra avoir pour sa rédaction un patron autonome, non pas libre mais assurant une unité. Il n’est pas question que le journal de 8 heures soit fait par un opérateur, celui de 9 heures par un autre, celui de 10 heures, par un autre encore. Une telle solution ne serait gère intéressante. Les partenaires doivent se mettre d’accord sur les règles de désignation de celui ayant la responsabilité éditoriale de cette chaîne. Après quoi, la chaîne recrute des collaborateurs pour faire ses journaux et peut faire appel aux équipes de l’ensemble des partenaires. Je vous le dis franchement, c’est compliqué. Aujourd’hui, pour traiter de l’Irak, les équipes de TF1, de LCI, de France 2 et de France 3 ne coopèrent pas en dehors de la sympathie existant entre francophones. En réalité, ils s’épaulent plus sur le terrain qu’on ne le croit, ce qui ne les empêche pas de se tailler des croupières pour obtenir un scoop pour leur journal. C’est d’ailleurs une saine émulation. Il sera donc compliqué de choisir les images, de déterminer avec quelles équipes on va participer au financement. Ce sera un quotidien un peu difficile à vivre par le patron de la rédaction unique. Objectivement, on pourrait plaider que l’excès vaut mieux que la pénurie d’informations.

La troisième formule possible est d’avoir des accords de partenariat avec des opérateurs privés, en particulier LCI et TF 1, et de racheter des modules ou des émissions diffusés par ces chaînes pour les reprendre dans la chaîne internationale. S’agissant d’une mission internationale, il est tout à fait plausible de bâtir un système de cette nature qui peut être forfaitisé par un accord annuel de partenariat. — 12 —

M. Michel Herbillon : Monsieur le président, nous avons le sentiment que vous ne croyez pas trop à ce partenariat, et vous avez raison de le dire assez clairement. La dernière hypothèse que vous évoquez consiste en des achats d’images.

M. Marc Tessier : D’images ou de magazines. Une règle du jeu peut l’imposer. Cela est tout à fait possible. D’ailleurs TV5 fonctionne selon un principe similaire. TF 1 n’est plus obligée de fournir gratuitement ses images à TV5. Cette obligation ne s’applique qu’aux télévisions publiques. Mais rien n’interdit à TV5 d’acheter des programmes de TF 1. C’est ce que TV5 fait. On peut tout à fait imaginer un système dans lequel cela est non seulement possible mais, en outre, convenu au départ. Il y a donc deux niveaux possibles : la société mixte ou ce second niveau.

M. le rapporteur : N’y a-t-il pas une cinquième solution qui serait la réactualisation d’une vieille idée, à savoir la création, à côté de la chaîne, d’une banque française de l’image, un GIE, rassemblant tous vos documents illustrés ? Cela permettrait de mettre un peu d’ordre dans toutes ces rédactions que l’on voit fleurir. ARTE, TV5, Euronews ont leurs propres rédactions. On pourrait alors dire clairement qu’il s’agit d’une chaîne publique dont le fournisseur principal est ce GIE de banque d’images. Elle présenterait en outre l’avantage de dégager quelques ressources par la vente de programmes à d’autres chaînes, dans un second temps bien entendu et après accord de la chaîne premium, notre chaîne internationale.

Cela touche à la nature juridique de la chaîne puisque, au point où nous en sommes des travaux de notre mission, il apparaît qu’au-delà des questions matérielles d’horaires et de fuseaux horaires, se poseront deux grands problèmes : la nature juridique de la chaîne et sa ligne éditoriale. Quel que soit le gouvernement en place, qu’il soit de droite ou de gauche, voire du centre, Monsieur le président, il verrait mal, et c’est légitime, que sa chaîne internationale ne serve pas sa diplomatie. D’autant que, si le rôle de la France à travers le monde doit continuer de s’accroître, on aura besoin d’un autre instrument que les chaînes anglo-saxonnes pour porter le témoignage de la France. Cela ne signifie pas être la voix inébranlable de la France, mais offrir à travers le monde une vision de l’actualité française. Selon vous, en tant que patron de l’audiovisuel public, comment une chaîne de cette nature et de cette ampleur peut-elle servir la diplomatie française, l’idée que l’on se fait de l’actualité et des événements, en évitant, bien entendu, de revenir aux errements de l’ORTF ?

M. Dominique Richard : Pouvez-vous me confirmer une impression que j’ai ressentie à l’écoute de votre exposé liminaire et qui n’a pas été sans me troubler. J’ai le sentiment que France Télévision a pris le parti d’une chaîne francophone d’information alors que, au stade actuellement des réflexions de cette mission, l’objectif est la création d’une télévision française à vocation internationale, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Cela me surprend d’autant plus que j’avais retenu de l’audition des responsables de TV5 et plus encore des responsables de RFI, qu’une des conditions de réussite, dès le départ, était que cette chaîne soit diffusée en plusieurs langues – anglais et arabe en plus de la langue française – avec pour ambition d’en faire une chaîne d’influence et non pas une chaîne destinée aux expatriés, à la francophonie ou à une élite. L’actualité nous montre que vis-à-vis du monde islamique, il n’est peut-être pas inintéressant pour notre pays d’être présent en langue arabe, à côté d’Al-Jazira. Est-ce uniquement en fonction de l’idée que vous vous faites du budget qui sera alloué que vous limitez votre ambition à une chaîne francophone - mais il y a des effets de seuil et il vaut parfois mieux ne rien faire que de ne pas aller où c’est nécessaire - ou bien s’agit-il d’un choix délibéré ?

M. Michel Herbillon : Monsieur le président, comment voyez-vous cette nouvelle chaîne d’information francophone d’information s’insérer dans l’actuel paysage de l’audiovisuel extérieur et quelles en sont, selon vous, les conséquences ? Je voudrais aussi vous interroger sur la langue, car vous êtes, parmi tous ceux que nous avons entendus jusqu’à présent, un des seuls à n’évoquer que le français. Vous avez, sur le sous-titrage, une position différente de la plupart des personnes que nous avons auditionnées. Vous défendez l’idée, pour nous singulière, de la possibilité de sous-titrage non seulement des magazines mais aussi des journaux d’information, alors que jusqu’à présent, beaucoup des personnes que nous avons interrogées, aussi bien à l’étranger qu’en France, ont exclu totalement cette hypothèse. Pouvez-vous développer votre point de vue à ce sujet ?

M. François Loncle : Contrairement à mes deux précédents collègues, l’idée de faire prévaloir la francophonie dans ce projet me semble essentielle.

M. Michel Herbillon : Je n’ai pas dit l’inverse, j’ai posé la question. — 13 —

M. François Loncle : Je ne pense pas que la mission ait déjà tranché sur ce point.

M. Dominique Richard : Non.

M. François Loncle : Le rapporteur a eu raison d’évoquer les problèmes majeurs qui nous préoccupent : la ligne éditoriale et la nature juridique. J’ajouterai les moyens, mais cela va de soi. Je trouve que l’idée d’un partenariat, en particulier avec RFI et l’AFP, est bonne. Cela dit, deux points me préoccupent dans votre projet que je trouve, dans l’ensemble, intéressant. D’une part, quel sera le degré d’autonomie d’une société que l’on créerait par rapport à France Télévisions elle-même ou des chaînes qui sont actuellement les vôtres ? S’agira-t-il vraiment d’une chaîne particulière ou d’une succursale des chaînes existantes ? Je plaide pour une autonomie véritable de cette société. D’autre part, concernant la ligne éditoriale, je n’ai pas apprécié l’expression “ défense de la diplomatie française ” employée par le rapporteur. Il faut trouver l’équilibre entre une ligne qui ne soit pas la voix de la France, de sinistre mémoire, et l’anti-France. Il faut tout simplement un journalisme de liberté et de responsabilité. Mais si l’on part de l’idée de défendre une télévision Quai d’Orsay, à mon avis, on fait fausse route.

M. Michel Herbillon : Ce n’est pas ce qu’a dit M. Kert.

M. François Loncle : Je prends mes précautions !

M. Michel Herbillon : Il s’agit de donner une vision française de l’actualité internationale, ce qui est différent. Ce ne doit pas être le Quai d’Orsay en direct.

M. François Loncle : M. Kert a parlé de la diplomatie française.

M. Patrick Bloche : Monsieur le président, nous avons un débat au sein de notre mission d’information. Comme je fais partie de ceux qui pensent que cette chaîne française à vocation internationale devra inévitablement s’appuyer sur une double dimension francophone et européenne pour ne pas donner l’impression que nous sommes un village gaulois, je suis très sensible à la présentation de votre projet fondé sur des opérateurs publics.

Je ne poserai qu’une question à cette heure tardive. Vous évoquez un partenariat privilégié avec RFI. Le président Cluzel, lorsque nous l’avions auditionné, avait soutenu un projet plus ambitieux. Il avait dit que le projet n’avait d’intérêt que s’il reposait sur trois langues : le français, l’anglais et l’arabe. Le fait que vous ayez calibré votre projet sur une zone de diffusion de quatre fuseaux horaires et sur l’utilisation principale du français, ne vise-t-il pas avant tout à lui donner une crédibilité budgétaire ?

M. Marc Tessier : Je répondrai immédiatement à la dernière question. J’ai dit que les 40 millions correspondaient à ce faisceau. Je n’ai pas à faire le choix entre une dimension un peu plus régionale et une dimension mondiale. Le chiffrage est différent selon que l’on veut couvrir l’ensemble du monde ou cette seule zone mais le groupe France Télévisions ne fait pas ce choix. Je rappelle que notre logique est d’attendre le cahier de consultation ou le cahier des charges fixé par le gouvernement et ensuite d’y répondre. Nous ne considérons pas que nous ayons à prendre la décision de couvrir telle zone plutôt que telle autre et de créer une chaîne ayant tel module plutôt que tel autre. Nous allons nous adapter. Nous faisons une première proposition. Si le gouvernement considère qu’un autre axe est prioritaire, France Télévisions répondra à l’axe prioritaire du gouvernement. Nous ne prétendons pas avoir sur ce dossier une seule approche.

Je suis partisan que l’on essaie de remettre de l’ordre, y compris accessoirement chez nous. Adopter le modèle de la BBC avec une banque de reportages et des éditions différentes selon les supports suppose tout de même plus qu’un GIE. C’est ma théorie depuis toujours. Il faut quand même un patron à l’arrivée. Si vous n’avez pas, en matière de fonctionnement des structures d’information, quelqu’un qui puisse arrêter des dérives, fixer des règles du jeu, imposer des points de vue à la rédaction, les gens vous diront : je me suis adressé à la banque pour obtenir un reportage sur tel sujet, elle n’a pas voulu me le fournir parce qu’elle devait faire face aux demande de trois autres utilisateurs. On pourrait déjà beaucoup progresser, me semble-t-il, en faisant travailler les télévisions en facteur commun.

M. le rapporteur : N’est-ce pas plus difficile que de créer la banque ? — 14 —

M. Marc Tessier : Non, pas pour aboutir à une banque ! D’ailleurs, en pratique, ce que nous vous proposons suppose qu’il y ait une banque, car, comme vous le disiez justement, il y aura bien une société ad hoc. Le principe de responsabilité éditoriale exclut que ce soit une vague structure. Nous avons une responsabilité éditoriale. Je ne veux pas anticiper sur les souhaits de l’Etat mais à l’évidence, nous aurons un président et un directeur en charge de la rédaction – peut-être le même – qui devront travailler avec les équipes rédactionnelles de France Télévision et de RFI. Il faudra donc bien créer des pools, en particulier pour l’information internationale. C’est d’ailleurs un des défis.

Je n’ai pas vraiment fait le choix de la langue française. Quand on est président d’un groupe dans lequel l’ensemble des équipes est francophone, dire que l’on va créer une structure anglophone est tout de même un peu fort de café. Tout le monde peut vouloir créer une équipe pour faire une télévision anglophone. Sauf que le nombre des journalistes de France Télévisions capables d’intervenir en première ligne en anglais de standard international est relativement limité. Christine Ockrent est une exception. Contrairement à la radio, n’en déplaise à mon confrère, vous ne faites pas fonctionner une session d’information du matin avec quatre personnes. Il faut recruter davantage de journalistes parlant la langue. Nous avons considéré qu’il était impossible à la France de ne se présenter que par rapport à une chaîne en langue anglaise. Il faut donc bien faire un projet en langue française. La question est de savoir si l’on fait un projet en langue anglaise avec une nouvelle équipe travaillant avec des moyens propres. J’ai des doutes sur la capacité de monter à Paris un projet de cette nature, sachant que ce n’est pas la voix de la France, mais la voix des francophones. C’est une chaîne dans laquelle les personnalités de la majorité, de l’opposition, du monde culturel français et francophone seront beaucoup plus présentes dans les débats. Aujourd’hui, sur BBC World, vous voyez rarement une personnalité française ou francophone. On interviewe parfois un ministre africain parce qu’il s’est passé quelque chose dans son pays, mais faire participer un Africain à un débat, jamais.

M. Dominique Richard : On ne peut pas réduire la spécificité française à la seule langue.

M. Marc Tessier : Je suis d’accord avec vous. J’ai d’ailleurs indiqué à mes équipes que nous devons nous préparer à proposer ce qui est nécessaire pour que des anglophones puissent s’intéresser à nos programmes : diffuser en anglais ce qui s’est passé de principal sur notre chaîne, éventuellement fixer des rendez-vous à heures fixes. Nous n’avons pas de solution idéale mais nous devons y travailler. En tout état de cause, cette chaîne devra proposer un mode de diffusion du meilleur de ses programmes ou d’un résumé de ses programmes en langue anglaise, quoi qu’il arrive. Mais ce n’est peut-être pas suffisant. Peut-être faut-il aller jusqu’au journal en langue anglaise. Nous avons commencé à le chiffrer, mais c’est effectivement très cher. La présence de personnalités francophones et de personnalités françaises sur notre antenne sera tout de même perçue comme une des singularités de cette chaîne. Elle nous ciblera un peu. Les autorités françaises seront beaucoup plus présentes physiquement. Par exemple, cette chaîne consacrera un temps d’antenne aux voyages du Président de la République en Algérie sans rapport avec ce que font CNN et BBC World.

M. Patrick Bloche : Davantage que France Télévisions ?

M. Marc Tessier : Beaucoup plus en terme de volume horaire !

M. Patrick Bloche : Ce n’est pas possible (Sourires).

M. Marc Tessier : Monsieur le député, 2003 est l’année de l’Algérie et je me suis engagé à faire une couverture exceptionnelle de l’Algérie. Là-dessus, France Télévisions est inattaquable.

Concernant la zone de diffusion, je crois avoir répondu que c’était uniquement une modalité d’appréciation et que l’on peut tout à fait envisager une diffusion beaucoup plus large. Sur le degré d’autonomie, je crois vous avoir répondu. Je considère que cette société doit avoir un statut, ce qui nécessitera d’ailleurs peut-être une création législative. J’indique à M. Kert que si l’on doit aboutir à des rapprochements des systèmes de rédactions, il existe un niveau purement technique dans lequel on peut le faire sans aucune disposition législative. Mais, à un certain niveau, il convient de s’interroger sur le concept de responsabilité éditoriale. Nous pouvons mettre beaucoup de choses en commun mais si l’on voulait aller jusqu’au bout, une disposition législative serait nécessaire, compte tenu de la place de l’information dans les statuts de la société. — 15 —

Sur le paysage de l’audiovisuel extérieur, je suis extrêmement discret. On a trop tendance à dire que le président de France Télévisions veut remodeler l’audiovisuel extérieur à sa façon, celle-ci étant facile à deviner dans l’esprit de tout le monde : on regroupe tout cela dans France Télévisions, et je vous arrange le tout. C’est un reproche que l’on m’a fait les années précédentes et je ne voudrais pas tomber dans ce reproche. Je pense que cela relève de la responsabilité du gouvernement. Il est évident que le gouvernement doit s’assurer, d’une part, de l’existence d’une forte complémentarité entre TV5 et cette chaîne, que l’on ne doublonne pas, et, d’autre part, que l’on mette en commun nos moyens d’information. Pour reprendre ce que disait M. Kert, on ne va pas multiplier les rédactions internationales. Il faudra malheureusement en discuter d’abord avec nos partenaires européens et francophones, puisqu’ils sont très attachés à cette partie de l’autonomie de TV5. Il y a aussi le problème de l’avenir de CFI-TV dont nous sommes maintenant le principal actionnaire, qui diffuse sur un canal vers l’Afrique. Faut-il utiliser ce canal pour être le canal de diffusion de cette chaîne ? Je pose la question parce que la réponse vient naturellement à l’esprit. Quant à RFO, du fait des modalités de transmission satellitaire, elle a aujourd’hui une diffusion beaucoup plus large que les départements et territoires d’outre-mer. Il faut aussi que RFO reprenne, dans sa version internationale, une partie des journaux de cette chaîne pour les mettre dans RFO Sat, car c’est une information particulièrement adaptée aux populations de l’outre-mer.

M. Michel Herbillon : Monsieur le président, vous ne m’avez pas répondu sur le point de savoir si le sous-titrage était un pis-aller justifié par des raisons budgétaires ou si vous croyez qu’il existe un vrai potentiel de journaux ou de magazines sous-titrés.

M. Marc Tessier : Nous devons déjà étudier toutes les formes de sous-titrage en langue française. C’est une colle, mais elle est facile à résoudre. On s’aperçoit que beaucoup de francophones ont besoin d’un support. Quant au sous-titrage en langue anglaise, j’ai tendance à penser aussi que c’est un pis-aller. En diffusion générale, il est vrai que cela n’apporte pas grand chose. Les personnes non francophones ne regarderont pas un journal en langue française, sauf événement exceptionnel. Je rejoins ainsi beaucoup de points de vue de professionnels.

M. le président : Monsieur le président, monsieur le directeur, je vous remercie des précisions que vous avez bien voulu nous apporter et d’avoir répondu aux questions qui vous ont été posées.

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Audition de M. Jérôme CLÉMENT, président d’ARTE France

Présidence de M. François ROCHEBLOINE, Président

(Extrait du procès verbal de la séance du mardi 18 mars 2003)

M. le président : Monsieur le président, je vous remercie d’avoir accepté cette rencontre qui fait partie des nombreuses auditions que nous menons dans le cadre de la création d’une chaîne de télévision française d’information à vocation internationale, souhaitée par le Président de la République. Nous désirons également la création de cette chaîne, sachant qu’il existe un certain nombre de contraintes, de difficultés et un problème de coût. Nous sommes heureux de vous entendre pour nous faire part tout d’abord de votre sentiment sur ARTE, ensuite de vos remarques sur la création de cette chaîne.

M. Jérôme Clément : Monsieur le président, messieurs les députés, je vais tenter de vous éclairer sur ce sujet, en tenant compte de mon expérience. Une chaîne d’information me paraît nécessaire, la faiblesse de la France sur les écrans nationaux étant manifeste. Je rentre de Vienne et j’ai effectivement pu constater dans les hôtels, que peu de chaînes françaises sont présentes. Parmi elles, notamment, en Europe, l’on trouve TV5 et ARTE ; ARTE, dans sa version française ou allemande – voire les deux – ayant une présence de plus en plus importante.

Je ferai trois remarques que je développerai : tout d’abord, il s’agit d’une opération complexe, ensuite, d’une opération coûteuse, et enfin une d’opération de longue durée.

D’abord, une opération complexe. Premièrement, dans la définition de la ligne éditoriale. Qu’est-ce que serait une chaîne d’information : une CNN à la française, une chaîne nationale, européenne ? Souhaitez-vous prendre un point de vue strictement français ou souhaitez-vous d’emblée l’élargir à un ou plusieurs pays ? S’il s’agit d’une chaîne nationale – ou francophone – nous nous heurtons à TV5, même si celle-ci ne diffuse pas uniquement des informations. Si vous souhaitez une chaîne européenne, avec plusieurs partenaires, la question est de savoir lesquels, et surtout de définir les orientations de fond qui sont données. Je prends un exemple : si l’on souhaite traiter d’un sujet délicat tel que la Tchétchénie, comment devons-nous agir à l’égard des Russes ? Même chose pour l’Irak, compte tenu des divisions européennes. Le point de vue à adopter, en fonction des choix qui sont faits, sera donc différent.

J’en parle car il s’agit là d’un problème que j’ai rencontré : nous nous demandons, à ARTE, comment traiter l’information. Nous avons choisi le point de vue franco-allemand, afin de diffuser sur la scène internationale, européenne en particulier, les regards croisés, à savoir non ethnocentriques. Mais cela a des conséquences : cela revient à éliminer, par exemple, tous les sujets strictement hexagonaux ou trop liés à l’Allemagne. Les inondations, les faits divers, même si nous en parlons lorsqu’ils ont une ampleur importante, nous ne les traitons pas comme sur France 2 ou France 3. Ceci nous conduit à traiter soit les sujets d’importance nationale ayant une résonance internationale, soit les sujets internationaux. C’est nécessaire pour la crédibilité qui est d’ailleurs compliquée et longue à obtenir sur le plan de l’information. Il convient – et je reviens à ma première question : chaîne nationale ou internationale – de ne pas donner le sentiment que « point de vue national » soit égal à « point de vue gouvernemental », ce qui retirerait beaucoup de crédibilité à l’opération. Et s’il n’est pas gouvernemental, il convient de se poser la question suivante : quel point de vue apporte-t-on, qui parle, d’où et à qui ? Le problème de la ligne éditoriale est donc important et il convient d’y prêter une grande attention. Je vous ai apporté la réponse qui est la nôtre, mais qui nous pose régulièrement un certain nombre de difficultés, même à deux pays.

Lorsque nous avons commencé à acquérir une crédibilité, nous avons obtenu des résultats. Notre audience en matière d’information a augmenté régulièrement en France et ailleurs. J’ai même eu le plaisir de constater que nous étions, selon les sondages, parmi les chaînes européennes qui croissaient le plus en termes de crédibilité d’information : d’après le dernier sondage SOFRES/Le Point, ARTE a progressé de 1 % avec 10 % de taux de confiance ; sans doute parce que le point de vue binational apporte — 17 —

un plus à la crédibilité que l’on peut avoir à l’extérieur. Et pour ARTE, qui est diffusée dans 71 millions de foyers, en français et en allemand, c’est important.

Deuxième point, le contenu : la chaîne doit-elle être tout information ou non ? Il me paraît difficile pour une chaîne d’être uniquement consacrée à l’information. On atteint parfois le résultat souhaité de façon plus efficace quand on l’accompagne de magazines, de documentaires, etc. : cette chaîne sera plus riche qu’avec de simples bulletins d’information et attirera plus de téléspectateurs. Sur ARTE, nous nous rendons compte que nous avons beaucoup plus d’impact lorsque nous débattons d’un thème – l’Irak, l’Afghanistan, etc. – s’il est accompagné de documents. Nous pouvons multiplier l’audience par trois ou quatre. Nous diffusons en ce moment une émission sur les Etats-Unis consacrée au premier cercle des conseillers de Bush : notre audience a été multipliée par trois. Tout cela pour vous dire que l’information ne doit pas être uniquement l’actualité du jour.

Troisièmement, les questions techniques. Il ne s’agit pas seulement de trouver sa place sur le câble, sur le satellite ou résoudre la question des droits, mais également de faire un travail extrêmement difficile pour trouver sa place sur les plans de diffusion. Il faut arriver à conquérir une bonne place, non seulement chez les particuliers, mais également chez les distributeurs ayant parfois des réseaux très limités. Cela suppose un travail de marketing, de démarchage qui lui-même ne peut aboutir que lorsqu’on a une audience suffisante : c’est un cercle vicieux, puisque pour acquérir de l’audience il convient d’avoir une bonne place sur le réseau. Ce travail de démarchage est un travail de chien ! Je le vis encore aujourd’hui, croyez-moi ce n’est pas simple. Je reviens de Vienne, où nous sommes enfin diffusés toute la journée : nous avons tenu une conférence de presse, fait de la promotion dans les journaux, écrit à tous les réseaux des chaînes d’hôtels pour arriver à trouver une place entre les Anglais, les Allemands, les Italiens, les Américains, etc. Il ne s’agit pas seulement d’un problème de bonne volonté, mais un vrai problème de marché, de rétribution, d’offensive. Il convient de trouver, dans chaque pays où l’on va, le bon commanditaire qui va développer les moyens non seulement financiers mais également d’influence nous permettant peu à peu de conquérir notre place.

Quatrièmement, la langue. Il m’apparaît évident que la création d’une chaîne uniquement diffusée en français n’aurait pas de sens. Nous sommes diffusés en français et en allemand, je vous l’ai dit, dans 71 millions de foyers – nous allons au-delà de la Syrie – et l’impact est différent selon la langue. Les téléspectateurs choisissent la langue qui leur convient : les Tchèques et les Slovaques nous reçoivent en allemand, et nous faisons des points d’audience que nous ne ferions pas s’ils nous recevaient en français. Créer une chaîne uniquement en langue française, c’est se condamner non seulement à la confidentialité en termes de public, mais à ne pas avoir sa place dans les réseaux dont je parlais tout à l’heure. La compétition sur le plan audiovisuel est telle, qu’il sera difficile de pénétrer un certain nombre de marchés – Asie, Amérique latine –, en dehors des marchés traditionnels.

Ensuite, il s’agit d’une opération coûteuse. Il ne s’agit pas pour moi d’être dissuasif, mais il convient de mesurer les difficultés auxquelles on doit faire face au départ. Tout d’abord, le multilingue est compliqué et coûte cher. ARTE dépense, pour deux langues, douze millions d’euros par an, simplement pour traduire les programmes et avoir des services corrects – sous-titrage, doublage, voice over. Nous avons besoin de personnels qui parlent plusieurs langues, des systèmes de traduction multiples, des interprètes, etc. Une des raisons du coût d’ARTE est donc le problème du bilinguisme. Il y a ensuite la question des achats de droits. Les journalistes, notamment avec les conventions collectives, ne sont pas ce qui nous coûte le plus cher. Les technologies de transmissions, les systèmes modernes de saisies de l’information et de traitement en temps réel sont parfaitement maîtrisés mais ont un coût. Ainsi, alors que l’information n’est pas la raison d’être d’ARTE, une quarantaine de journalistes, souvent binationaux, nous coûtent environ 15 millions d’euros par an, pour un journal de 15 minutes, un reportage et un flash à 19 heures. Je souhaite d’ailleurs, dès l’année prochaine, ajouter un journal en fin de journée, ce qui rentabilisera cet investissement.

Enfin, c’est une opération de longue durée. Je me permettrais d’insister sur ce dernier point, car je l’ai vécu au moment de la création d’ARTE, voilà une douzaine d’années. Quand on commence, on ne peut plus s’arrêter : à partir du moment où l’on appuie sur le bouton et que les images défilent, le coût financier et le coût politique d’un arrêt est catastrophique. Nous l’avons vu avec La 5 version Berlusconi/Lagardère. Cela suppose donc de résoudre un certain nombre de problèmes qui ne sont pas simples. Tout d’abord, les aléas politiques. J’ai vécu le démarrage d’ARTE, quand la chaîne était incertaine tout le monde s’interrogeait, dans cette maison, au ministère des finances, pour savoir si elle devait continuer ; et cette question se repose à chaque alternance politique. J’ai vécu ce type de situation — 18 —

trois ou quatre fois, et heureusement que nous avions un caractère international – c’est une protection – et que nous avions pris des engagements, cela nous a permis de gagner du temps.

Ces opérations sont difficiles parce que très longues à installer. Il a fallu plusieurs années à ARTE pour s’installer, et les premières années, la contestation était très forte (à chaque problème budgétaire, chaque émission qui ne plaisait pas, etc.). En fait, on laisse rarement du temps à une équipe, quelle qu’elle soit, de s’installer, de corriger ses erreurs, de voir comment améliorer les choses, de lui permettre d’avoir un budget stable sur plusieurs années. Or, sans tout cela, on ne peut rien faire. Il serait donc dangereux de se lancer dans cette opération sans en mesurer toute la problématique, et surtout en la laissant dans l’incertitude par rapport au lendemain. Non seulement pour les équipes, qui ont besoin de se roder, de s’installer, mais également pour le public. ARTE, au bout de 12 ans, continue de ramer dans certains pays comme au premier jour. Et ce n’est jamais acquis, on peut du jour au lendemain être évacué par une autre chaîne, sans compter les sabotages compte tenu des enjeux politiques, des influences économiques... Nous avons été, par exemple, évacués des marchés d’Europe centrale, alors que nous avions pris la place des Soviétiques, au profit des chaînes américaines, il y a six ou sept ans, pour des raisons commerciales, financières et d’influence politique. Le temps est donc vraiment indispensable.

Je conclurai sur une question qui a fait l’objet de discussions internes un peu vives : quelle sera la position d’ARTE par rapport à cette chaîne ? Les Allemands, actionnaires à 50 %, sont très réservés et m’ont mis en garde de façon sévère en me disant qu’ils ne souhaitaient pas participer à une CNN à la française. Ils n’y croient pas, n’ont pas d’argent pour ce type de projet et considèrent que cela ne fait pas partie de la mission d’ARTE. Je leur ai répondu que la question ne se posait pas en ces termes et que l’on ne connaissait pas encore le projet. Nous verrons, une fois le projet défini, si nous pouvons participer. Nous avons en effet une expérience multilingue et du traitement international de l’information qui peut être très utile, et ce serait dommage de ne pas en faire profiter un projet européen. Mais leur position de principe est négative. ARTE France pourra y participer si elle le souhaite.

M. le président : Monsieur Clément, je vous remercie. Vous avez évoqué le coût de l'information sur ARTE pour un journal : 40 personnes, 15 millions d'euros.

M. Jérôme Clément : Nous avons un journal d'un quart d'heure, à 19 h 45, puis un reportage, également fourni par ARTE Info, de 20 h 15 à 20 h 45. Ces journalistes participent à d'autres émissions, d'autres magazines et à des soirées thématiques. Nous faisons donc appel à eux pour d'autres types de services.

M. le président : Quel est le budget d'ARTE ?

M. Jérôme Clément : 350 millions d'euros.

M. le président : Quelle est l'attitude d'ARTE Allemagne à l'égard de Deutsche Welle ?

M. Jérôme Clément : La Deutsche Welle est une chaîne publique financée sur des crédits d'Etat. Les chaînes publiques allemandes ARD et ZDF, qui sont les deux actionnaires d'ARTE Allemagne, fonctionnent sur la redevance et sont dans un système d'indépendance. Ces chaînes ont de bonnes relations avec Deutsche Welle, mais elles considèrent que ce n’est pas leur affaire.

M. le président : Convient-il, selon vous, de partir d'une chaîne existante ou d’en créer une nouvelle ?

M. Jérôme Clément : Tout dépend de ce que l'on veut faire. Si vous voulez partir d'une chaîne existante, il n'y a que deux solutions : Euronews et TV5. Elles ont le mérite d'exister, d’être déjà installées sur le réseau. Partir des chaînes existantes me paraît donc moins difficile et moins hasardeux. Mais si on a les moyens financiers, mieux vaut créer une chaîne entièrement nouvelle adaptée à sa nouvelle mission.

M. Michel Herbillon : Monsieur le président, en fonction de votre expérience, je souhaiterais que vous nous indiquiez les principaux écueils à éviter pour s'assurer, à la fois au démarrage et, sur le moyen terme, du succès de cette nouvelle chaîne. Vous avez évoqué le problème de la langue, mais j'aimerais que vous y reveniez, compte tenu de votre expérience binationale. Vous disiez qu'un projet qui n'utiliserait que le français serait un projet mort-né. Selon vous, pour le succès de cette chaîne internationale d'information, combien de langues sont nécessaires ? De ce point dépend le problème de la — 19 —

zone géographique de couverture et du coût de la future chaîne. A votre avis, cette nouvelle chaîne doit- elle s'adosser au système audiovisuel public et de quelle façon ? Par ailleurs, comment envisagez-vous d'éventuels partenariats entre les système audiovisuels, public et privé, dans le cadre de cette nouvelle chaîne d'information ?

M. Jérôme Clément : Vos questions sont très vastes et demanderaient de longs développements. Je tenterai donc d'être bref et synthétique. S'agissant des écueils à éviter, il faut à tout prix garantir une certaine stabilité, une durée et un financement. Quoique l'on fasse, il convient d'offrir ces garanties par rapport à l'objectif poursuivi. Ensuite, la montée en puissance doit être progressive : il ne faut pas vouloir tout faire d'un coup. Le résultat ne sera ni spectaculaire ni immédiat et ce, pour les raisons que je vous ai expliquées tout à l'heure. Créer une chaîne prend du temps, c'est compliqué, long et ça coûte beaucoup d'argent. Sauf à partir d'une chaîne existante en transformant l'instrument actuel pour en faire autre chose. Je sais, par exemple, qu'il existe des projets, tels que TV5 Orient, qui ont été évoqués et qui ne sont pas inintéressants.

M. Michel Herbillon : Lorsque vous parlez de temps, vous estimez qu'il faut au moins dix ans ?

M. Jérôme Clément : Peut-être pas, mais bien plusieurs années. Et cela dépend de la conjoncture internationale. Etant donné l'actualité internationale actuelle, il y aurait pu avoir une appétence plus grande pour diffuser ce qui peut être dit ici. Il s'agissait là d'une bonne opportunité.

Lorsque nous faisons une soirée qui marque – un film, un événement, etc. – l'impact est immédiat. D'abord les journaux en parlent, et on en recueille des bénéfices qui restent. Mais il convient de répéter ce genre de soirée souvent pour conquérir durablement les téléspectateurs. Si l'actualité est suffisamment forte et qu'il y a quelques coups d'éclat, la chaîne fait de l'audience. La chaîne Al Jazira a été lancée par les attentats du 11 septembre. Ce qui aurait pu lancer la chaîne d'information française à vocation internationale, c'est la position de la France dans le conflit irakien. Mais il y aura malheureusement d'autres graves opportunités dans les prochaines années. Cependant, il est vrai que si l'actualité est calme, il est très difficile de remuer les téléspectateurs. Changer les habitudes est difficile et prend beaucoup de temps.

En ce qui concerne le problème des langues, il est certain qu'une chaîne uniquement en français ne sera regardée que par des personnes qui comprennent le français. Mais tout dépend de l'objectif recherché. Si l'on souhaite faire une chaîne pour les expatriés et les francophones, très bien. Mais si l'on cherche à toucher des populations qui sont par définition non familiarisées avec les thèses, les idées, la façon de voir française ou européenne, il faut parler leur langue. De ce point de vue, l'expérience de RFI a été très utile. Je pense que Jean-Paul Cluzel a dû vous en parler. RFI a réalisé un très bon boulot, car ils ont peu à peu multiplié les langues. Il n'y a pas un pays – même les Américains lancent des chaînes en arabe – qui n'utilise pas plusieurs langues. Combien de langues faut-il : l'anglais, l'espagnol, l'arabe, c'est le minimum. Après l'on peut se poser la question du chinois, du russe... Il faut au moins 4 ou 5 langues, sinon on condamne l'accès à une grande partie du monde. Ce serait une erreur de n'utiliser que le français et l'anglais.

Ce qui pose le problème du budget ... et des équipes. Je puis vous assurer qu'il n'est pas simple de trouver des journalistes compétents et multilingues. Et il s'agit là d'un problème d'autant plus compliqué que les Français ne sont pas habitués à parler plusieurs langues et à se déplacer facilement.

Combien coûte une telle chaîne ? Le coût n'est pas facile à évaluer compte tenu des paramètres que je viens d'évoquer, mais je dirais qu'il faut tabler sur un minimum allant de 80 à 100 millions d'euros.

M. le président : 100 millions d'euros avec autant de langues ?

M. Jérôme Clément : Oui, mais il convient de monter progressivement en puissance. Mais je n'ai pas fait d'études suffisamment précises pour ne pas vous dire de bêtises. Mais à moins de 100 millions d'euros, ce sera difficile.

M. Pierre Lellouche : Monsieur Clément, ARTE existe depuis combien de temps ?

M. Jérôme Clément : Nous avons commencé à diffuser depuis 1992. — 20 —

M. Pierre Lellouche : Du point de vue de ce qui nous intéresse ici, à savoir le rayonnement de la langue française, de notre façon de voir le monde, que pensez-vous que votre chaîne a apporté ?

M. Jérôme Clément : Je pense sincèrement que l'opération a été réussie par rapport à l'objectif fixé. ARTE est diffusée dans 71 millions de foyers. Bien entendu, pour mesurer son impact, il convient de faire des études pays par pays, mais nous savons qu'elle jouit d'une réputation internationale très grande et on en parle beaucoup. Beaucoup plus qu'on ne la regarde d'ailleurs ! Les résultats sont plutôt bons.

ARTE a contribué à deux choses. Premièrement, au rayonnement de la culture et de la création française. Ce n'est pas une recette miracle, mais elle a atteint son objectif, non seulement en Europe, mais également autour du bassin méditerranéen, à savoir à faire entendre un point de vue, faire connaître des films, des réalisateurs, des spectacles, etc. Deuxièmement, elle a contribué à crédibiliser la relation franco-allemande d'une façon très forte. Je suis très frappé de constater, lorsque je voyage, qu'un grand nombre de personnes – journalistes, hommes politiques, etc. – sont très surpris que les Français et les Allemands aient monté cette chaîne ensemble. De ce point de vue, il s'agit d'un objectif politique intéressant.

M. Pierre Lellouche : Combien de foyers, en dehors de la France, regardent votre chaîne ?

M. Jérôme Clément : 71 millions en Europe, dont 43 millions en France et en Allemagne.

M. Pierre Lellouche : Si j'ai bien compris, vous conseilleriez au gouvernement français de garder ARTE en l'état et si tant est que quelqu'un souhaite créer une CNN à la française, cette chaîne devra être diffusée dans au moins 5 langues avec une diffusion planétaire.

M. Jérôme Clément : Ce sont des choses différentes. ARTE répond à un objectif qui n'est pas de faire de l’information internationale. ARTE est un projet de chaîne culturelle européenne. Et pour ma part, je ne conseille rien, je réponds à vos questions. Faire une chaîne d’information nouvelle à vocation internationale est une bonne idée qui coûtera cher.

M. Pierre Lellouche : S'agissant du rayonnement culturel de la France à l'étranger – qui est tout de même le sujet de notre commission – vous pensez donc qu'il y a une place pour une chaîne franco- allemande culturelle à vocation européenne à laquelle s'ajouterait une chaîne d'information ?

M. Jérôme Clément : Je vous ai indiqué les problèmes que peut poser la création d'une chaîne d'information à vocation internationale. S'i l'on veut créer une chaîne d'information – et non pas culturelle – à destination mondiale, il est évident qu'elle doit être diffusée dans la langue parlée par ceux à qui l’on s'adresse.

M. Pierre Lellouche : Vous ne pensez pas qu'elle serait redondante par rapport aux chaînes existantes, telles que BBC World, CNN, Al Jazira ?

M. Jérôme Clément : Il s'agit là d'un autre sujet. La BBC ou CNN sont des chaînes anglaise et américaine. Si l'on veut faire une chaîne française, faisons-là. C’est un objectif politique. C’est un objectif politique. Si on estime qu'il y en a assez sur le marché, ce qui est économiquement vrai, ne la faisons pas. Quelle est précisément votre question, monsieur Lellouche ?

M. Pierre Lellouche : Ma question est très simple. L'argent public est limité, le paysage audiovisuel éclaté – en dehors de l'expérience LCI en France – avec EuroNews, TV5, ARTE, trois chaînes transnationales qui fonctionnent bien – CNN, BBC, une chaîne arabe. Ma question est donc de savoir si les moyens consacrés par la puissance publique sont bien dépensés aujourd'hui ou s'il faut repenser le système. Si vous me dites que la chaîne culturelle franco-allemande remplit un rôle fondamental dans l'expansion de la culture et de l'influence françaises en Europe, je vous écoute. Et il faudrait savoir si dans le contexte d'une Europe à 28 cette expérience mérite d'être maintenue, modifiée ou transformée. Par ailleurs, si l'on a besoin d'avoir une chaîne d'information française – qui par définition serait en langue française –, nous ne devons pas faire du sous CNN ou du sous BBC en anglais, car nous serons de toute façon écartés par le téléspectateur qui voyage. En effet, par réflexe, il regardera une chaîne diffusée dans sa langue. Nous avons la chance aujourd’hui de recevoir un président de chaîne, je vous demande donc quel conseil vous pouvez nous donner ? — 21 —

M. Jérôme Clément : On change là de nature de questions. Il me semble que cette opération présente un intérêt politique, elle coûtera extrêmement cher, est très hasardeuse sur le plan de la réussite et demande un engagement très lourd. Maintenant, comment va-t-elle être financée, je n'en sais rien ! Si des moyens nouveaux sont dégagés, allons-y. C’est un projet utile à la défense des intérêts européens. Si c'est en prélevant sur la redevance et donc en réduisant d'autant les budgets des autres chaînes, cela posera un certain nombre de problèmes.

M. le président : Vous n'apprécieriez pas !

M. Jérôme Clément : ARTE joue un rôle, et chacun peut avoir son avis sur la question, mais je pense, malgré les propos du rapporteur, M. Christian Kert, lors du dernier débat budgétaire, que nous avons rempli notre contrat et que nous avons ajouté quelque chose sur le plan de la culture européenne. Le projet d'une chaîne d'information, c'est quelque chose de complètement différent. Mon inquiétude, si ce projet venait à voir le jour – ce que je peux parfaitement comprendre pour des raisons politiques – c'est comment cette chaîne sera financée. Si c'est au détriment des autres, cela me paraît extrêmement dangereux car l'on va appauvrir le tout. Mais si l'on est décidé à le faire, il faut mettre de l'argent sur la table. Le marché est étroit ! S'agissant de la langue, le faire uniquement en français, pour une chaîne d'information, ce n'est pas viable. TV5 diffuse déjà de l'information, ce n'est donc pas la peine de faire la même chose. Et ce n'est pas parce qu'on parle une autre langue qu'on n'exprime pas un point de vue français.

Je préfère que certaines fictions françaises et des œuvres de création française – qui n'existeraient pas sans ARTE – soient vues sous-titrées ou doublées en allemand que pas vues du tout. Car malgré tout il y a un plus. Et il s'agit de marchés sur lesquels nous ne pénétrerions pas si nous n’étions pas associés avec les Allemands. Nous aurions été chassés de la Hongrie si nous n'étions pas diffusés en allemand : de ce fait, les Hongrois ne connaîtraient pas les films de Klapisch, les mises en scène de Mnouchkine ou la compagnie de danse Prejlocaj.

M. Michel Herbillon : Quels sont les critères qui vous font choisir le doublage plutôt que le sous-titrage ?

M. Jérôme Clément : On combine plusieurs critères. Le respect des œuvres et des auteurs nous oblige à garder le sous-titrage dans certains cas. Mais l'on sait très bien qu'en sous-titrant, on perd la moitié des téléspectateurs, c'est arithmétique. Selon les heures, nous diffusons les films doublés ou sous- titrés : cela change tout et l’on peut doubler l'audience. Malgré tout, si l'on diffuse un film de Woody Allen en français, on se fait insulter par toute la presse et les téléspectateurs : on le diffuse donc en anglais sous-titré. Et à d'autres heures on le diffuse en français. On combine donc le respect de l’auteur et le confort du téléspectateur. Mais si l’on veut avoir le maximum de téléspectateurs, il vaut mieux doubler. En Allemagne, où les épidermes sont moins sensibles qu’en France, on double beaucoup plus.

M. Dominique Richard : Vous nous avez fait part de votre réserve quant aux capacités de succès d’une chaîne exclusivement d’information. Quelle serait la grille idéale pour à la fois répondre au cahier des charges – la voix de la France dans les médias internationaux – et gagner une audience nouvelle ? Quel est le bon équilibre ?

M. Jérôme Clément : Je ne pense pas qu’il faille créer une chaîne uniquement d’information : elle doit également diffuser des magazines, des reportages et d’autres programmes plus ouverts. Elle attirera ainsi plus de téléspectateurs. Dans quelle proportion ? Je ne sais pas. Mais il faut des flashes d’information régulièrement.

M. Michel Herbillon : Monsieur le président, ma collègue Mme Aurillac ayant dû partir, je me permets de vous poser une question de sa part. Elle souhaitait revenir sur la question d’un partenariat éventuel avec une chaîne publique ou privée.

M. Jérôme Clément : Adosser cette chaîne sur le secteur audiovisuel public serait plus facile, puisqu’il compte un grand nombre de journalistes de talent et d’expérience. Il serait donc dommage de négliger ce paramètre. Par ailleurs, on raccourcirait ainsi les délais de mise en place et diminuerait les coûts. Il s’agirait donc d’une bonne opération. France 2 et France 3 possèdent de nombreux journalistes et nous pouvons même envisager de leur prêter main forte si besoin est. — 22 —

En ce qui concerne un partenariat avec une chaîne privée, c’est également possible en France comme à l’étranger. Des partenariats existent déjà, avec des systèmes d’échange d’informations, de sujets. Nous le faisons avec la Pologne, la Belgique, la Suisse et l’Autriche et cela fonctionne très bien. Prenons l’exemple de l’ORF qui nous fournit un certain nombre de programmes : une soirée thématique sur l’orthodoxie, une sur la Vienne impériale.

Il est tout à fait possible de faire la même chose en matière d’information. ARTE utilise beaucoup les réseaux de l’ARD et la ZDF pour la couverture de certaines informations, ce qui nous évite des coûts supplémentaires. Quant à marier TF1 et France Télévisions, c’est une autre question …

M. le président : Monsieur Clément, je vous remercie.

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Audition de M. Bertrand EVENO, président de l’Agence France Presse, accompagné de Mme Christine Buhagiar, responsable du service AFP vidéo et de M. Pascal Bourdon, journaliste

Présidence de M. François Rochebloine, Président

(Extrait du procès-verbal de la séance du 19 mars 2003)

M. le président : Je vous remercie ainsi que les journalistes qui vous accompagnent d’avoir répondu à notre invitation pour aborder cette question d’une chaîne d’information continue à vocation internationale à laquelle, vous le savez, le Président de la République et nous-mêmes sommes très attachés.

Dans le cadre des auditions auxquelles nous nous livrons, il était naturel de vous rencontrer. Nous connaissons l’importance de votre société, l’AFP, dans le monde de l’information puisque, peut-être encore plus aujourd’hui qu’hier, les journalistes y puisent leurs informations d’origine. Quels que soient les médias, nous constatons souvent que les informations proviennent de l’AFP ou sont commentées à partir de dépêches diffusées par l’AFP.

Nous souhaiterions que vous nous donniez quelques informations sur la situation de l’AFP aujourd’hui, le nombre de ses journalistes, son fonctionnement, sa présence dans le monde, sur les différents continents. Nous souhaiterions également connaître vos réflexions sur ce que pourrait être cette chaîne éventuelle, ou souhaitée, et, sachant les difficultés qu’il y aura à la mettre en place, que vous nous fassiez part de votre sentiment à cet égard. Nous aimerions enfin savoir si vous seriez prêt à être l’un des partenaires de cette chaîne, puisque cela a été évoqué par certains de mes collègues lors de précédentes auditions.

Je vous cède la parole puis, mes collègues et moi-même vous poserons quelques questions.

M. Bertrand Eveno : Permettez-moi tout d’abord de vous présenter les deux journalistes présents à mes côtés : Mme Christine Buhagiar dirige le service AFP vidéo, seule unité à produire des images vidéo et non pas des dépêches ou des photographies ; M. Pascal Bourdon, journaliste à l’AFP, a exercé les fonctions de conseiller pour les médias au nom du Gouvernement de la République française en Amérique du Nord, et connaît bien ces questions puisqu’il suit ce dossier au sein de l’AFP. Ce sont deux experts en ce qui concerne l’AFP.

Pour en venir à l’exposé que j’ai préparé, je tiens à vous remercier de m’accueillir au titre des auditions auxquelles vous procédez. J’ai pris connaissance de la liste des personnalités que vous avez entendues ou allez entendre et qui sont au cœur de la création du dossier d’une chaîne française d’information internationale.

Il est important que cette réflexion voit le jour et que, prochainement, les pouvoirs publics prennent les décisions nécessaires. En effet, l’information est toujours « chaude » mais, en un moment où elle est particulièrement active, il est nécessaire que notre pays affiche une stratégie télévisuelle claire, et si possible efficace, à l’international.

Quels que soient les autres supports – la presse se diffuse assez peu à l’étranger et la radio existe mais n’est écoutée que marginalement – et seule la télévision permet, notamment par les relais câblés, de toucher beaucoup de monde sur la planète. Elle est le vecteur de communication essentiel, tout le monde s’accorde sur ce point. Dès cette nuit, si les opérations commencent en Irak ou dès demain, si c’est dans quelques jours, l’information s’appuiera sur le couple radio pour l’alerte et télévision quand on est chez soi. Il y a aussi l’Internet mais, bien souvent, celui-ci ne donne qu’une deuxième vie à une information d’abord diffusée par la télévision.

La France, j’en suis frappé, connaît un retard conceptuel sur ce sujet par rapport à d’autres pays. Les deux grands acteurs que sont CNN International et BBC World ont été délibérément conçus — 24 —

comme des vecteurs de diffusion d’informations pour le monde en langue anglaise – c’était facile pour eux – et ont su préserver un monopole pendant longtemps de l’information en temps réel, minute par minute, quart de seconde par quart de seconde. Aujourd’hui, ce monopole n’existe plus car de nouveaux acteurs anglo-saxons apparaissent comme CNBC, News. CNN lui-même s’est décliné en d’autres langues, en espagnol notamment. Puis, nous avons eu Al-Jazira, une imitation de CNN en langue arabe pour le monde arabe.

L’idée à retenir est que ce qui vient du monde arabe, du Proche et Moyen-Orient en général, ou ce qui est à destination des populations et des sensibilités du monde arabe constitue un enjeu essentiel pour de nombreuses raisons que je ne développerai pas.

Autre sujet d’interrogation : le statut de la langue française. Une langue mondiale ou de rayonnement mondial peut-elle ne pas disposer d’un mécanisme de porte-voix, qu’il soit indépendant ou dans la main d’institutions à définir ? Comment une langue comme la langue française peut-elle être à ce point en décalage par rapport à ce qui se passe évidemment en langue anglaise compte tenu des rapports de forces, mais aussi par rapport à ce qui se passe en allemand, en espagnol, en arabe, ce qui se passera un jour en turc, bengali, mandarin ou autre ? Se pose là un problème de rang, de statut, j’emploie ce terme délibérément. La France peut-elle, compte tenu du rayonnement de la francophonie – quantitativement limité, mais culturellement puissant – ne pas avoir ce mécanisme de porte-voix extérieur ?

Il existe, bien sûr, déjà quelques embryons. C’est tout l’enjeu du dossier. Ainsi, la France est partenaire de télévisions multilatérales comme EuroNews ou TV5, mais elle n’a pas de présence directe, spécifique, identifiée comme telle. Il est remarquable de voir que d’autres pays comparables à la France par la taille ont des vecteurs de rayonnement. Je pense, bien sûr, à la BBC World mais c’est la langue anglaise. Aussi, la question fondamentale est de savoir quelle est la voix qui se fait entendre soit en français pour les francophones, soit en français pour le reste du monde, soit venant de la France dans toutes les langues possibles.

Pour répondre à cette question, l’AFP n’est qu’un élément du dossier, qu’un acteur parmi d’autres mais son éclairage est sans doute utile car son histoire dans son métier, qui est celui d’une agence de presse, est celle d’une internationalisation forcée, délibérée, consciente, au-delà même de la mission initiale, qui était une mission francophone pure. L’histoire de l’AFP a consisté à internationaliser ses productions et ses clients. L’AFP a pour mission essentielle de travailler pour la presse française et francophone en Belgique, en Suisse, au , en Afrique, au Moyen-Orient et partout ailleurs. Mais depuis vingt-cinq ans, l’AFP se construit délibérément un « fonds de commerce » ou plutôt, puisqu’il s’agit d’un fonds de commerce de journalisme, je dirai un « fonds d’activité » en cherchant à exister comme fournisseur d’informations pour reste du monde. Nous sommes conscients que le succès de l’AFP tient à cela et que son avenir repose sur cette ambition de parler au monde, aux médias du monde entier et de les fournir en information. Cela est son cœur de métier et de cible aujourd’hui.

Souvent, je cite cette formule en exemple : en France, l’AFP remplit sa mission à 99,9 %. En revanche, pour les médias étrangers, l’AFP ne remplit sa mission qu’à 15 ou 20 %. Nous avons donc la possibilité de tripler ou de quadrupler notre activité. C’est essentiel et cette maison a eu le courage, tout au long de son histoire, de faire face à deux grandes agences que sont Associated Press (AP), c’est-à-dire l’Amérique et la puissance des médias américains, six fois l’AFP simplement parce que les marchés américains sont six fois ceux des pays francophones, et Reuters, autre entreprise anglo-saxone d’origine britannique, qui a choisi le marché de la finance et a bâti un véritable empire, aujourd’hui fragile. L’AFP a toujours su rester dans la course, demeurer dans le rang des trois grandes, ne pas être distancée. L’écart entre l’AFP et les autres agences de langue nationale comme l’espagnole, l’allemande ou l’italienne est bien supérieur à celui qui existe entre l’AFP et les deux grandes agences mondiales que sont AP et Reuters. Cela montre que c’est possible. Cela l’a été avec des effectifs relativement limités puisque l’AFP compte 2 400 personnes, dont 1 400 journalistes (dont 500 n’ont pas de passeport français).

Parfois à l’AFP, nous disons que nous sommes, bien sûr, une agence française, fiers que le mot « France » figure dans le nom de la maison, mais que nous sommes aussi une agence totalement internationale pour les médias internationaux. Pour vous donner un exemple symbolique…

M. le président : Vous fonctionnez toujours par abonnement ?

M. Bertrand Eveno : Toujours par abonnement. — 25 —

Je poursuis mon exemple. Il y a quelques jours à la Une de USA Today était publiée une photographie de garde-frontières Nord-Coréens, prise par l’AFP et vendue par abonnement à USA Today. La photo est un élément visuel mais, dans d’autres cas, il s’agit de textes ; ce sont les dépêches. Nous estimons que, sur l’Asie, dans les médias asiatiques comme le South China Morning Post ainsi que les grands journaux de Singapour ou de Séoul, l’AFP représente entre 30 et 40 % de la fourniture des dépêches qui permettent à ces journaux de vivre. Elle le leur fournit évidemment en anglais, avec des traductions de son français et de son espagnol. L’AFP est donc un opérateur international au service des journaux, puisque notre service s’adresse, bien sûr, principalement à la presse écrite.

J’en reviens à la question centrale. Ce projet de chaîne française d’information internationale, lancé par le Président de la République, est entre les mains des administrations compétentes et le Parlement lui-même s’en saisit – c’est l’objet de votre commission. Si ce projet voit le jour, et quelle que soit la forme adoptée parce que je pense qu’il y a deux facettes possibles, l’AFP veut et peut être un partenaire important de cette opération. Nous ne souhaitons pas, je le dis tout de suite, être opérateur de la chaîne en question. Notre mission n’est pas de devenir opérateur de presse télévisuelle – éditeur, si vous voulez ; notre métier est toujours d’être un grossiste au service des éditeurs de presse. C’est ce que nous faisons pour les journaux, les radios et les télévisions ; nous fournissons de la matière première brute d’information pour les autres rédactions. Notre métier est de faire un journalisme qui est utilisé par d’autres journalistes.

Si une chaîne de télévision d’information est créée, il faudra qu’elle ait une ligne éditoriale propre, qui ne pourra pas être confondue avec celle de l’AFP. En revanche, je voudrais développer ce que devrait être, à mon sens, le rôle de partenaire associé de l’AFP, grossiste et fournisseur en amont.

La décision n’est certes pas de mon ressort, mais la question fondamentale depuis le lancement de ce dossier est de savoir si nous parlons d’une chaîne de télévision qui s’entendra uniquement en français et, donc, dirigée vers un public qui entend le français, ou s’il s’agira d’une chaîne de télévision qui s’exprimera en français mais qui osera aussi s’attaquer à d’autres langues, notamment et assurément l’arabe et l’anglais, les deux langues cibles évidentes. Cet élément est très important car il déterminera le format économique de la chaîne en question : on peut envisager une chaîne à 40 ou 50 millions d’euros par an uniquement en français, mais si l’on veut aussi l’arabe et l’anglais, ce ne sera certainement à cette somme.

Il faut également trouver des journalistes qui s’expriment en français. De ce point de vue, nous possédons une capacité énorme, l’AFP comme d’autres, à en trouver. Par contre, si l’on recherche des journalistes s’exprimant en anglais ou en arabe, nous sommes face à des phénomènes de concurrence pour l’accès aux talents très importants. Nous le constatons partout dans notre service arabe et dans notre service anglais. Il y a là une question clé. J’en parle en tant que président de l’AFP mais aussi en raison de mon expérience d’éditeur, notamment dans une maison comme Larousse.

Il est clair que faire de l’information en français est un métier ; l’exercer en anglais et en arabe en est un autre. Il faut donc savoir si l’on travaille sur les deux aspects ou l’un des deux. Cette question essentielle me semble relever du Gouvernement et des pouvoirs publics.

M. le président : Les informations que vous communiquez au nom de l’AFP aujourd’hui sont toutes en français ? Uniquement ?

M. Bertrand Eveno : Je comptais justement parler de ce que fait l’AFP. Le volume d’information traité par le service français, pour ce qui est des dépêches textes, représente au sein de l’AFP 55 % de sa production. Ce qui signifie que déjà 45 à 50 % de notre production aujourd’hui n’est pas en français. Elle se fait en anglais, en allemand, en arabe, en espagnol et portugais. Nous estimons que dans la zone de l’Asie, nous représentons le deuxième fournisseur d’information en anglais, derrière AP mais devant Reuters. En Afrique, où nous avons une très bonne couverture parce que les autres agences s’en désintéressent au prétexte que l’Afrique est le continent de la misère et du malheur, nous disposons d’un double service, en français et en anglais, de volume égal. Donc, nous sommes déjà deux AFP : une AFP franco-française qui a nourri en son sein une AFP en d’autres langues. Nous connaissons déjà cela.

Quelques mots sur le service arabe de l’AFP, qui est essentiellement une traduction du français mais pas seulement. A Nicosie et dans les pays de la zone, nous avons une activité de traduction énorme à partir du français mais aussi une activité de production en arabe et ce service AFP en arabe rencontre — 26 —

beaucoup de succès. Les médias arabes, les grands journaux arabes, que ce soit de la façade méditerranéenne, dans le Golfe persique ou dans d’autres zones, souhaitent bénéficier des services de l’AFP parce que n’avoir que les Américains ou les Anglais en arabe ne les satisfait pas. Cette pénétration de marché est forte et en croissance rapide. Le service arabe de l’AFP a augmenté de près de 10 % par an son chiffre d’affaires depuis dix ans.

M. le président : Peut-on connaître la répartition du chiffre d’affaires de l’Agence entre les différentes langues, français, anglais, arabe et autres ?

M. Bertrand Eveno : Il faut distinguer l’activité de l’AFP sur le marché français, pour lequel nous ne délivrons que du français et qui représente environ 40 % de nos recettes, de celle sur le marché international, pour lequel nous avons un petit marché en français et un gros marché dans les autres langues.

M. le président : Arabe ou anglais en premier ?

M. Bertrand Eveno : Anglais, en premier. Allemand, ensuite. Puis à égalité, espagnol et portugais, qui sont chez nous combinés. Enfin, arabe.

Je souhaite ardemment que le projet de chaîne dont nous parlons voit le jour parce que je pense que la France peut et doit se payer sur les richesses de la Nation une chaîne de ce genre, même si cela reste à bien définir. Dans le domaine culturel, en général, et de l’information et de la communication en particulier, la France a quelque chose à dire. Il n’y a aucune raison que la voix de la France soit éteinte ou faible alors que les autres veulent parler haut et fort.

Si la création d’une telle chaîne est décidée, nous sommes prêts à jouer pleinement notre rôle. Nous disposons déjà d’une colonne vertébrale et d’un maillage extrêmement forts. Notre réseau est riche, ce qui m’amène à votre première question. Dans les notes que nous avons remises, une vingtaine de pages vous exposent ce qu’est le réseau AFP dans le monde. Je vous recommande de vous reporter aux cartes par région – Europe, Afrique…

En Europe, nous avons dix-huit bureaux principaux, ce qui représente un très bon maillage et dix-huit secondaires, y compris dans des villes comme Bakou, Alma Ati, Sarajevo, Istambul, Helsinki. En Afrique, nous couvrons cinquante pays grâce à onze bureaux principaux, qui ne sont pas tous francophones, et cinq secondaires. Au Moyen-Orient, nous disposons de neuf gros bureaux, d’une direction régionale à Nicosie et d’un certain nombre de pigistes placés à différents endroits sur la région. En Amérique latine, nous avons un réseau très dense de vingt-deux bureaux principaux et de nombreux bureaux secondaires, un desk portugais à Rio de Janeiro, un desk hispanophone à Montevideo – il en existe également un second à Paris. En Amérique du Nord, nous avons sept bureaux – trois aux Etats- Unis, trois au Canada et un dans la Caraïbe. En Asie-Pacifique, nous comptons quinze bureaux principaux et onze secondaires avec une tête de région basée à Hong Kong.

Tout ceci témoigne d’une richesse énorme et représente de très nombreux journalistes, une capacité de réaction de tous instants. Ces bureaux sont ouverts et fonctionnent, si nécessaire, jour et nuit. C’est en tout cas le cas pour les têtes de réseau. Nous disposons d’un réseau satellitaire qui permet de relier tous ces bureaux instantanément et de fournir une liaison entre eux que ce soit pour du texte, de la photo ou, éventuellement, de la vidéo à basse définition, puisque nous avons aussi des capacités de ce genre.

Ce réseau est unique. Il ne peut être comparé qu’aux réseaux de AP et de Reuters. Même CNN ou la BBC n’en ont pas un de cette sorte. Il fait partie des trois réseaux importants d’information dans le monde. Aucun autre acteur français n’en a un pareil, sauf Radio France Internationale, qui dispose d’un vrai réseau. Quant aux grands médias français, publics ou privés, s’ils ont quelques correspondants, aucun ne dispose d’un réseau identique à celui de l’AFP. C’est d’ailleurs la mission même de l’agence : avoir un réseau pour les autres. Ce réseau fonctionne donc au service de tous les médias, du Figaro à l’Humanité et de TF1 à France Culture. C’est le principe.

Nous possédons également une forte capacité de réaction. En effet, ce réseau a une double mission : assurer une couverture permanente des événements économiques, politiques et autres et constituer un réseau d’alerte et de mobilisation lorsqu’un événement se produit n’importe où dans le — 27 —

monde. Ainsi, cela peut être très calme à Caracas pendant cinq ans mais quand cela devient chaud, comme en ce moment, nous avons la capacité de passer d’un système d’alerte en petit format à un système plus lourd d’envoyés spéciaux bénéficiant d’un accueil sur place.

M. le président : Qu’en est-il en Irak, aujourd’hui ?

M. Bertrand Eveno : En Irak, le dispositif en place est de l’ordre de soixante-quinze journalistes et photographes – ces derniers étant bien entendu considérés comme des journalistes – répartis sur plusieurs zones géographiques, sur toutes les bases supposées d’une pénétration éventuelle américaine, de Doha vers le Koweït. Certains journalistes sont accrédités auprès de l’armée et des services officiels américains. Nous avons des personnes côté jordanien, car l’Irak peut aussi être investie sur le plan terrestre par la Jordanie, et nous avons aussi des éléments côté turc, voire une mobilisation de la frontière iranienne. Notre dispositif est extrêmement complet avec un coordonnateur, qui est un journaliste expérimenté qui a déjà fait la première guerre du Golfe il y a dix ans. C’est un dispositif assez lourd, essentiellement en français, avec une très forte participation de journalistes anglophones, quelques journalistes arabophones et hispanophones et un important réseau de photographes. Ce dispositif est prêt à se modifier, se déplacer ou s’amplifier en fonction des événements.

Que pourrions-nous offrir à une chaîne d’information internationale ? Nous avons eu des conversations avec M. Philippe Baudillon et M. Marc Tessier. Nous sommes prêts à les avoir avec TF1 si nécessaire ou avec LCI. Nous pouvons offrir toute une gamme de prestations, des fonctions d’alerte, des fonctions d’accueil logistique, etc.

La télévision est un dispositif lourd. Nous travaillons plutôt avec des éléments légers qui sont le clavier d’ordinateur et l’appareil photo. Pour la télévision, il faut des camions, des assistants, des dollars pour payer ceci ou cela. Il faut toute une logistique. Nous sommes capables par notre présence sur le terrain, dans nos bureaux, que ce soit à Asunción ou Hanoi, d’avoir brusquement une équipe qui résoudra les problèmes. Nous sommes donc capables d’assurer un véritable soutien logistique.

Nous sommes capables aussi d’avoir un accès aux sources : sources officielles, ministères, officiels, mais aussi sources journalistiques locales ou les sources parallèles et privées locales. Les bureaux de l’AFP, ce sont des réseaux, des enracinements, des contacts. Beaucoup de correspondants d’un journal français ou étranger vont d’abord voir les gens de l’AFP pour avoir des sources.

Nous avons également la capacité de produire nous-mêmes des chroniques sonores ou de mini- chroniques vidéo, dans une moindre mesure, en utilisant nos journalistes – et ce, dans les différentes langues qui sont nos langues de travail.

Nous avons enfin une capacité à fournir d’autres types de prestations, comme organiser des contacts, des voyages, recruter des personnels, trouver des partenaires locaux, etc.

Si une chaîne voit le jour, elle essaiera de travailler avec un budget raisonnable. Il faudra, bien sûr, qu’elle ait une tête de réseau, mais pour ce qui concerne la partie capillaire de son intervention, je pense que l’AFP est un partenaire absolument incontournable. Notre position consiste donc à dire que nous voulons être un fournisseur, prestataire et partenaire privilégié, avec un accord cadre le plus large possible. Un partenaire qui puisse fournir une liste de prestations, des mécanismes de communication, de coopération et qui, dans certains cas, pourra assurer une participation journalistique, c’est-à-dire participer à des journaux télévisés avec ses propres journalistes.

Nous avons pris contact avec tout le monde en ce sens. Par contre, nous ne souhaitons pas, je vous le dis très franchement, être opérateur. Je ne pense pas que l’AFP ait vocation à désigner le directeur général ou le rédacteur en chef de cette chaîne ni à être forcément actionnaire. Si nous devions être actionnaire, les finances de l’AFP devraient être confortées avant de pouvoir envisager un actionnariat sérieux et crédible.

En ce qui concerne nos productions, ce sont les papiers AFP ; éventuellement, cela peut être des papiers télévisés avec des caméras fixe car un bureau AFP se compose de plusieurs pièces de la moitié de la taille de celle-ci ; c’est donc une capacité électrique, électronique, informatique et on peut très bien imaginer une caméra dans un coin permettant de réaliser des papiers rapides, des chroniques — 28 —

audio ou une base arrière pour faire des projections vidéo. Souvent, nous sommes installés dans des media centers, comme on dit, et des studios peuvent nous être fournis à la demande.

Nous avons nos productions de base, photos et le « fil » AFP – les dépêches qui tombent en permanence et sont nécessaires au travail des journalistes. Une chaîne comme France Info donne des nouvelles toutes les cinq minutes, mais France Info, c’est de l’AFP mis en langue. Il y a bien sûr un travail journalistique réalisé par nos confrères de France Info mais, grosso modo, sans nous, ils ne feraient pas autant.

Nous avons depuis septembre 2001 à Nice un mini-service vidéo. Christine Buhagiar en est le patron. Ce service vidéo travaille avec la chaîne parlementaire, avec Bloomberg Télévision et réalise de petits formats, des sujets centrés aujourd’hui sur la France et qui, de ce fait, sont peu projetés à l’étranger. Notre modèle, au fond, est celui de Business today ou de BBC World, c’est-à-dire de petits sujets centrés sur l’actualité économique et non sur l’actualité politique générale. C’est un embryon qui peut permettre un développement futur.

Voilà donc l’AFP disponible, l’AFP partenaire, l’AFP soucieuse de voir le plus vite possible les décisions budgétaires prises par le législateur et les décisions de fond par le Gouvernement et le Président de la République afin de pouvoir participer à ce projet.

M. le président : Je vous remercie de ces précisions. J’aurais quelques questions avant de donner la parole à mes collègues.

Tout d’abord, CNN et BBC sont-ils des clients à vous ? Ont-ils des abonnements ?

Ensuite, question à laquelle il vous sera peut-être plus difficile de répondre, quel budget envisagez-vous nécessaire pour que cette chaîne puisse vivre ? Beaucoup de chiffres ont été énoncés. Aujourd’hui, cela semble tourner autour de la centaine de millions d’euros. J’ai bien noté que vous souhaitez être partenaire fournisseur sans pour autant entrer dans le capital de cette future chaîne.

Enfin, pensez-vous que l’on puisse partir de l’existant ou faut-il créer quelque chose de toute pièce ?

M. Bertrand Eveno : BBC et CNN sont nos clients, bien entendu. La BBC est un très gros client de l’AFP, tant pour la BBC domestique anglaise, pour la radio que pour la télévision. Elle est cliente de tous nos services, y compris ceux en langue arabe qui intéressent beaucoup. CNN est aussi client de l’AFP.

Le métier de l’agence et de l’information en temps réel, c’est d’être ultra-rapide, et nous sommes parfois les premiers sur le lieu. Je peux vous citer deux exemples anecdotiques qui montrent combien le métier est difficile. Lors du massacre de la famille royale népalaise par le Prince héritier, l’AFP a donné la nouvelle cinquante minutes avant tout le monde dans le monde, avant même la télévision indienne, parce que nous avions le bon pigiste qui était proche de cette famille. Dès qu’il a disposé de l’information, il a passé un coup de fil au bureau de Hong Kong qui l’a lancée immédiatement. Nous sommes parfois les premiers, ce qui explique la collaboration avec BBC et CNN. Mais, parfois aussi, nous sommes très mauvais : quand un cargo a débarqué 250 Kurdes sur la plage de Saint-Raphaël, nous avons été très lents à réagir car nous avions le contact avec le préfet et Reuters l’avait avec le rédacteur en chef de Nice Matin. Ce jour-là, Nice Matin a été plus rapide que nous !

C’est le jeu, la bataille pour la vitesse est essentielle. Toute chaîne d’information, BBC, CNN ou autre, a besoin de l’AFP comme elle a besoin des autres. Nous sommes dans le jeu des grands, nous poursuivons donc, comme eux, un objectif de qualité et de rapidité.

Nous en sommes fiers et nous sommes obligés d’accepter cette multi-clientèle : à aucun moment, nous ne pouvons réserver nos nouvelles à l’un plutôt qu’à l’autre. C’est la tradition des agences : nous fournissons des nouvelles au Figaro et à l’Humanité, et chacun met ensuite la tonalité qu’il estime devoir mettre sur ce qu’ils ont à dire. Nous proposons le factuel, avec le plus d’objectivité, d’honnêteté et de « vérifié » possibles, avec les guillemets placés au bon endroit. — 29 —

Deuxième question : celle du coût. Je pourrais vous demander s’il s’agira de fonctionner sous la convention collective x ou y ! C’est un avis personnel, mais je pense qu’il y a des conventions collectives plus chères que d’autres. La différence doit être de 20 % à service égal entre une convention collective et l’autre. Bref, je pense que 50 millions d’euros représentent vraiment le minimum pour faire un travail sérieux de jour et de nuit, en une seule langue ; 100 millions sans doute pour faire beaucoup mieux dans une langue et en commencer à en attaquer une seconde. Au-delà, ce sera plus cher, mais ce ne sont pas non plus des sommes extravagantes.

Ma réflexion par rapport à cela rejoint votre troisième question, à savoir faut-il partir de sociétés existantes ? J’ai assisté l’été dernier à un déjeuner auquel M. de Villepin, ministre des affaires étrangères, avait convié toutes les personnes des services compétents et les présidents des sociétés de télévision concernées. J’étais moi-même aimablement convié mais je n’étais pas dans l’intelligentsia. J’ai constaté avec inquiétude que ces personnes n’ont pas l’habitude de travailler ensemble et ne se parlent pas beaucoup. Chacun se demande qui sera le PDG de la chaîne, où se trouvera le siège social et qui nommera le rédacteur en chef. Je ne jette la pierre à personne, les hommes sont les hommes, mais il faudra faire des choix institutionnels clairs.

Aujourd’hui, beaucoup de moyens sont sur le tapis – beaucoup d’argent, d’hommes, d’effectifs, de services – qui, mis ensemble, créent la masse critique. La solution adoptée par les Allemands est d’avoir deux chaînes très distinctes : l’une « les Allemands parlent aux Allemands » et la seconde, « les Allemands parlent au reste du monde ». Ces deux chaînes ne disposent pas de moyens supérieurs à ce que représente l’ensemble des éléments disparates des chaînes que vous auditionnez. Si le Gouvernement en a la volonté, il peut très bien prendre les décisions qui s’imposent. Ce n’est pas facile et cela crée certains problèmes, mais une fois que c’est fait, c’est fait.

M. le président : Donc, vous pensez que l’on peut redéployer ?

M. Bertrand Eveno : C’est ma philosophie personnelle, je trouve que redéployer est indispensable dans le monde où l’on vit. Maintenant, si l’on ne veut pas redéployer, il faut créer une structure en plus. C’est un choix… Pour aller au fond des choses, il y a des métiers très protégés. Prenez, par exemple, EDF, que j’ai vérifiée quand j’étais à la fin de mes travaux à l’inspection des finances : tous comptes faits, je ne pense pas qu’il y ait de raisons de bousculer ou d’éclater EDF. C’est une magnifique machine et la France devrait jouer à fond avec EDF. Air France, en revanche, devait être placée dans le jeu de la concurrence et il faut qu’elle s’y adapte.

Le secteur de l’information est très concurrentiel, très mobile. Il n’existe pas de situation protégée, excepté quand on est franco-français jouant à un jeu français pour un public français. Mais, dès lors que nous sommes, comme l’est l’AFP et comme devra l’être cette chaîne, en concurrence avec des gens absolument sans pitié et qui disposent de moyens financiers, c’est autre chose. Al-Jazira, par exemple, veut lancer une chaîne en anglais. Nous avons été contactés. Nous avons étudié le dossier et notre responsable sur place a rencontré l’émir responsable, un homme de trente-sept ans sorti de Harvard, à la fois ministre de l’information et vice-premier ministre et qui annonce qu’il va mettre 500 millions de dollars sur cette chaîne en anglais. Si lui peut mettre 500 millions de dollars, la France peut-elle mettre 100 millions d’euros ? C’est toute la question.

M. le rapporteur : Votre expérience du travail avec des chaînes tant publiques que privées vous donne-t-elle le sentiment que l’on puisse préconiser une solution entièrement publique ou entièrement privée ? Ou, comme on commence à le penser ici, une solution mixte entre du public et du privé peut-elle être acceptable, voire souhaitable ? Une solution de cette nature vous paraîtrait-elle susceptible de nous aider à y voir plus clair dans le paysage audiovisuel français, qui commence à compter un nombre assez élevé de chaînes, notamment dans le secteur public, avec les incidences financières que cela représente ?

Sur les produits, vous nous avez dit que vous n’apporteriez pas seulement de l’information mais aussi des produits vidéo un peu préparés. Pensez-vous qu’il serait utile d’envisager, en dehors de la chaîne diffuseur, la création d’une banque de reportages et d’images entre toutes les chaînes françaises, à laquelle vous pourriez participer, qui apporterait un tronc commun dans lequel la chaîne internationale et, peut-être, des chaînes nationales pourraient puiser ? — 30 —

M. Bertrand Eveno : Je ne suis pas très compétent, sauf en tant que citoyen, et ce n’est pas en cette qualité que vous m’entendez aujourd’hui, pour savoir si la chaîne doit être publique ou privée. Avant de répondre à cette question, se pose un choix essentiel : savoir si l’on désire réellement que cette chaîne d’information ait une déontologie de journalisme indépendant. L’AFP vit sur ce principe mais nous avons parfois du mal à le défendre parce que les journalistes anglo-saxons, pour ne pas les citer directement, mais d’autres aussi, sont toujours à l’affût pour savoir si un organisme français, c’est la voix de la France, sous l’influence du gouvernement ou du parti au gouvernement, ou s’il s’agit de journalisme indépendant. C’est un point essentiel.

L’allure générale d’une chaîne, en fait, ne se traduit pas tant par les choix capitalistiques que par la nomination du rédacteur en chef, par la façon de prendre la parole, la façon de citer ou de ne pas citer le quai d’Orsay, etc. L’AFP a livré des batailles toujours feutrées et discrètes mais homériques à ce sujet. Par exemple, quand les essais nucléaires avaient repris dans le Pacifique, c’était affreux. Certains nous disaient que nous étions présents pour défendre la position française, et l’AFP de l’époque a répondu qu’elle était là pour faire du journalisme et que si elle avait une déclaration d’un ministre japonais ou australien, elle la diffuserait, qu’elle n’était pas là pour la cacher.

Il est donc important de savoir si l’on veut créer un organe de presse avec une ligne éditoriale ou un organe d’information qui prétend à l’œcuménisme et qui se défendra sur la ligne de l’œcuménisme. C’est l’arbitrage à rendre en premier.

J’ai senti dans la question sur le privé ou le public que vous posiez celle de savoir s’il faut utiliser cette affaire de chaîne d’information vers l’étranger pour réformer l’audiovisuel intérieur français. Tout d’abord, je ne suis pas compétent en ce domaine et je ne voudrais pas prendre position à ce sujet mais, en plus, c’est vraiment compliquer le dossier. Si c’est pour faire levier sur les arcanes de l’audiovisuel français, c’est sûrement votre rôle en tant que législateur mais je n’ai quant à moi pas grand chose à dire sur ce sujet important.

J’ai incidemment discuté de ce projet avec Martin Bouygues. J’ai compris qu’en ce qui concerne le groupe TF1, il y avait une logique de retour sur investissement qui ne se prête pas à des solutions compliquées. Il attend plutôt des schémas simples et explicites. C’est ce que j’ai ressenti, sans vouloir le dire à sa place ou à celle de ses porte-parole. Il n’est pas facile, me semble-t-il, sur un sujet pareil, de faire travailler le public et le privé ensemble. Si vous y parvenez, bravo, mais il y a déjà beaucoup à coordonner du côté du public.

Sur les produits, il me semble que le concept de banque de reportages et d’images est celui, fécond et naturel, de ce métier. Il existe déjà, comme vous le savez, avec l’UER, des pools d’images – d’images brutes pas non mises en forme. Nous sommes prêts à participer, vraiment de bon cœur, à toute opération de ce genre. Nous serions prêts avec nos capacités à faire des reportages nous-mêmes, à les produire et à les proposer au prix coûtant car nous ne sommes pas chargés de faire des bénéfices sur des éléments de ce genre. Nous sommes plutôt soucieux de faire du journalisme opérationnel. Tout ce qui irait dans ce sens nous paraîtrait très intéressant. Mais l’information est aussi un produit de concurrence vis-à-vis de l’audience. Je ne peux donc pas reprocher aux chaînes de vouloir être exclusives dans certains cas, si elles le souhaitent.

M. Dominique Richard : Ma question est dans l’exact prolongement de celle de Christian Kert. Chacun voit très clairement ce que l’AFP peut apporter dans un tel projet, et notamment son réseau. En revanche, je ressens – je pense, pour des raisons financières – une réserve à passer au métier de producteur d’images, comme vous êtes producteur de son actuellement, c’est-à-dire hors plateau.

Or à ma connaissance, une agence comme Reuters produit beaucoup d’images et si une chaîne française s’engageait sans pouvoir bénéficier d’autres images que celles produites déjà par d’autres chaînes françaises, il y a un risque de fidélisation ailleurs qu’à l’AFP, en allant chercher des images là où elles sont. Est-ce une volonté délibérée de l’AFP, pour des raisons techniques, par exemple, ou est-ce uniquement une réserve d’ordre financier puisque, comme ce n’est pas exactement votre métier actuel, cela suppose des coûts ?

M. Bertrand Eveno : Votre question est centrale. C’est tout d’abord et avant tout une question financière. Reuters a créé un département télévision, Associated Press aux Etats-Unis a également un département télévision. Dans les deux cas, ces départements sont lourdement déficitaires. — 31 —

Nous le savons, nous connaissons les comptes. Ça l’est moins aux Etats-Unis car les marchés représentés par les radios et les télévisions sont énormes mais pour Reuters, il s’agit d’une activité déficitaire. C’est aussi le cas d’une petite agence EuropaPress en Espagne, qui fait aussi de la télévision.

En fait, dans tous les pays où cela existe, cela se fait avec l’accord des télévisions nationales, c’est-à-dire que ce sont ces dernières qui, s’étant concertées, ont convenu qu’une agence ferait mieux le métier au nom de toutes, dans une logique de coopérative de presse, plutôt que chacune le fasse dans son coin. Or les télévisions françaises n’ont jamais adopté cette position, que ce soit du temps de l’ORTF ou après son éclatement, les télévisions n’ont jamais pris le parti de dire cela à l’AFP.

M. Dominique Richard : C’est une question de statut également ?

M. Bertrand Eveno : C’est l’histoire de ces maisons. Il est vrai que cela nous poserait un problème de statut : si nous devions avoir des équipes télévision, notamment sur le territoire français, seraient-elles sous le statut AFP, qui est celui de la presse parisienne, ou sous le statut de la convention collective de l’audiovisuel public, voire de l’audiovisuel privé ? Je n’ose savoir ce que le Conseil d’Etat en dirait, mais les juristes pourraient en discuter longtemps.

Je dirais qu’il y a deux conditions, et une condition financière avant tout. Je suis prêt à monter un service AFP télévision demain. Simplement, cela me coûtera entre 20 et 25 millions de déficit par an, en plus de la situation actuelle de l’AFP. L’AFP telle qu’elle est enregistre un déficit de 20 à 25 millions d’euros par an. On ne peut pas faire les choses à moitié. Si on met des équipes télévision à Jérusalem, elles seront au même plan que les équipes photo ou texte à Jérusalem, à Gaza, etc. On a donc un problème de seuil. On ne peut pas faire le travail à la petite semaine dès l’instant où l’on décide d’offrir un service télé complet. Le problème est là, mais je suis prêt à discuter de ces éléments à condition que ce soit vu sous l’angle financier. L’AFP connaît des malheurs financiers, on essaie de les régler, le Gouvernement a fait des efforts et l’AFP en fera. Seulement, ce n’est pas le moment de creuser le déficit uniquement au nom de la télévision.

M. Emmanuel Hamelin : J’ai bien noté votre volonté de ne pas être opérateur d’un tel projet, mais plutôt un partenaire associé ou un fournisseur partenaire, comme vous le dites. J’aurais aimé que vous précisiez cette notion de partenariat puisque, au vu de la note que vous nous avez remise, vous avez un certain nombre de compétences, techniques et rédactionnelles, qui sont les ingrédients nécessaires à la constitution d’une chaîne d’information. Quel est le périmètre dans lequel vous envisagez d’intervenir dans un tel projet si ce n’est pas en tant qu’opérateur ? En tant que partenaire, comment identifiez-vous votre domaine d’action ?

Ma deuxième question est de savoir, dans le cas où vous seriez partenaire de ce projet, sur quel opérateur vous vous appuieriez, sans identifier le nom de cet opérateur. Mais pouvez-vous déjà identifier, en termes de compétences qui vous semblent nécessaires, un opérateur ?

Troisième point très court, auquel vous avez peut-être déjà répondu, je souhaiterais connaître le budget avec lequel vous fonctionnez aujourd’hui.

M. le président : Dans le prolongement de cette question, on sait aujourd’hui par le groupe de travail de Matignon qu’un appel à projet va être lancé prochainement. Répondrez-vous à une seule équipe ou, éventuellement, à plusieurs ?

M. Bertrand Eveno : Nous sommes prêts à discuter avec toutes les équipes possibles. S’il y a un projet France Télévisions-RFI et un projet LCI–« je ne sais qui », nous serons capables de fournir, dans les deux cas, une discussion préalable, un accompagnement, une offre.

Cela rejoint la réponse à votre interrogation sur le type de partenariat. Au fond, nous avons une spécialité : c’est le lointain, l’outremer, le grand international, les grands événements lointains.

Prenons l’exemple de la crise argentine qui est maintenant en train de vivre une petite convalescence mais, quand la crise a éclaté, les banques en cessation de paiement, les personnes dans la rue, les pillages de supermarchés, l’AFP était là tout de suite, avant les autres. Notre bureau de Buenos Aires a commencé son travail dès le premier soir, la première nuit, le premier matin, bien avant qu’aucune équipe de télévision venant de Paris ne puisse débarquer – il y a toujours deux ou trois jours de — 32 —

latence – et, deuxièmement, nous avons un suivi long – nous connaissons l’histoire, les causes, les sources. Quand les équipes veulent réaliser un sujet sur un événement chaud comme la crise en Argentine, elles vont envoyer une équipe pendant deux, trois jours, voire une semaine. Après quoi, elles repartent.

Nous, nous sommes capables de faire les choses avant le point chaud de l’événement et après, sur la durée de son explication. On peut donc très bien imaginer que, pour couvrir un événement de cette sorte, il y ait des micro-papiers AFP durant la première phase, la phase immédiate de déclenchement ; qu’il y ait, ensuite, une phase durant laquelle une équipe de télévision vient faire son travail sur le terrain, et fournit sa copie, ses sujets, ce soit en liaison avec l’AFP car nous sommes toujours là. Vous savez, ces bandeaux passants que nous voyons au ras de la table de CNN ; nous avons une capacité à fournir par de l’informatique directe, sans intervention humaine, les titres de l’information courante. Enfin, une fois que l’équipe est repartie, il faudra au moins une fois par semaine maintenir des informations sur l’Argentine, assurer un suivi.

Je conçois donc notre partenariat comme une espèce de relais, modulable selon les temps, forts ou faibles, de l’information. Je le conçois aussi comme une capacité de nos journalistes, eux-mêmes, d’enrichir leur tâche en fournissant des chroniques face à une caméra et autres choses de ce type. Je vois donc un partenariat étroit entre la rédaction en chef de la nouvelle chaîne et les rédactions en chef de chacun des bureaux de l’AFP. Selon le mouvement de l’information qui est celui d’un flux et d’un reflux – c’est pareil au plan local – il faut se déplacer et nous avons la chance de disposer d’un réseau toujours prêt à être présent sur l’échiquier au moment où il se passera un événement.

Je vois ce partenariat comme une espèce d’accord-cadre où, avec la rédaction en chef et sa direction générale, nous serions d’accord sur un barème de prestations types : un papier AFP de trente secondes et une photo fixe égale tant et, une fois qu’on a mis le prix, on n’y pense plus et l’on fait du journalisme ; un papier avec une caméra fixe de trente secondes, c’est tant ; une intervention lourde d’une équipe télévisée à Buenos Aires… On se met d’accord sur des barèmes types et, ensuite, on oublie l’argent pour ne réaliser que de l’information.

Ce système peut être mis en place de manière assez astucieuse. Il peut être rôdé et remis à jour tous les ans. Il permettrait de créer un climat de confiance et d’effectuer un travail de passage de relais entre les différents acteurs, relais qui me paraît être essentiel. Je ne sais si vous souhaitez avoir sur ce sujet des points de vue d’homme de terrain. M. Pascal Bourdon a dirigé lui-même dirigé des bureaux.

M. le Président : Très rapidement, car nous sommes tenus par l’horaire.

M. Pascal Bourdon : Christine Buhagiar et moi-même avons déjà pris contact avec la rédaction de France Télévisions, par exemple, par l’intermédiaire d’un des journalistes chargés d’étudier ce projet. J’ai pris également des contacts récents avec la rédaction en chef de LCI. La semaine dernière, nous avons été sollicités par TF1 dans le cadre de la préparation de leur projet de candidature. Bien évidemment, nous avons répondu à leurs demandes positivement dans la mesure où, comme le disait Bertrand Eveno, l’AFP a vocation à servir tout le monde et tous ses clients.

Pour répondre à votre question de savoir quelle est la société qui serait la mieux armée à gérer une chaîne internationale, aujourd’hui, ni TF1 ni France Télévisions ne fabriquent des journaux à destination des pays étrangers. On ne peut pas dire pour autant qu’il s’agisse de rédactions qui soient incompétentes pour faire des chaînes de télévision d’information ou des journaux d’information. LCI a un signal tout à fait bien conçu pour la France. Le projet de TF1 prévoit d’amender ce signal d’un certain nombre de nouvelles productions qui l’internationaliserait et le rendrait moins franco-français. Je ne sais pas exactement quelles sont leurs productions, mais on peut supposer que leur projet est cohérent. A mon avis, France Télévisions a également un projet qui finira par être cohérent. Et, si les deux rédactions parviennent à travailler ensemble, le résultat aussi sera cohérent.

Je n’ai pas tellement peur que les opérateurs auxquels on pense aujourd’hui soient incapables de fabriquer sur le plan rédactionnel le contenu de la future chaîne. Si jamais ils veulent faire appel à des compétences de personnes qui diffusent déjà des journaux pour l’étranger, ils peuvent également s’adresser à RFI et à TV5. En France, le savoir-faire existe et nous possédons nous aussi un savoir-faire pour fabriquer de l’information pour les étrangers, dans leur langue. Je ne suis pas inquiet sur ces problèmes d’un point de vue purement journalistique. — 33 —

Sur le plan du schéma capitalistique, comme vous le disiez, ce n’est pas à l’AFP d’en juger. C’est au Gouvernement et à la représentation nationale d’en décider. Les compétences me paraissent être présentes. Simplement, il faut être bien conscient de ce qu’est une chaîne pour les pays étrangers – de mon expérience d’attaché audiovisuel aux Etats-Unis pendant cinq ans – avec des contenus pour les étrangers. Il faut savoir ce que l’on veut : ou une chaîne en français pour les Français qui vous coûtera cent millions d’euros par an…

M. le président : Non, cinquante.

M. Pascal Bourdon : …mettons cinquante, ou une chaîne pour tout le monde. Quand des opérateurs vous diront qu’il n’est pas utile de faire une chaîne en langue étrangère puisque les élites auxquelles on veut s’adresser parlent français, aux Etats-Unis, j’ai bien vu que les élites auxquelles nous voulions nous adresser quand nous étions à l’ambassade de France comprenaient parfois le français, mais qu’elles ne le parlaient pas forcément et que, sans un minimum de sous-titrage, elles ne comprenaient rien au programme en français qu’on leur diffusait.

Cela a été une des difficultés du développement de TV5 à l’étranger. Elle existe toujours et TV5 gagne des auditeurs grâce au sous-titrage. C’est donc un concept initial très important, qui définira votre public. En conséquence, les personnes qui vous disent qu’on peut très bien fabriquer un contenu parce que l’on va s’adresser aux Français ou aux quelques personnes qui comprennent le français, vous entraînent vers une impasse…

M. Bertrand Eveno : Je reviens sur l’opérateur. Je suis très soucieux de sa crédibilité professionnelle car je sais combien elle est importante dans le monde de l’information. Les journalistes sont impitoyables entre eux ; les papiers du New York Times sur les erreurs de la presse anglaise ou de la presse italienne sont ravageurs. Vous me parlez de l’opérateur. Moi, je pense au rédacteur en chef. Il ne faut pas que l’on nomme un rédacteur en chef qui ne soit pas crédible à l’international. Certains journalistes français sont très crédibles à l’international. Quand Charles Enderlin écrit un papier sur le Moyen-Orient, croyez-moi : les journalistes étrangers le lisent et l’étudient attentivement. Il ne faut pas que ce soit un inconnu ou quelqu’un sans crédibilité internationale qui soit à la tête de cette chaîne. C’est essentiel. La France peut vraiment faire une grave erreur si au lieu de nommer quelqu’un qui joue dans la cour des grands, elle nomme quelqu’un de division nationale.

M. Patrice Martin-Lalande : Le pluralisme mondial de l’information passe par l’AFP, c’est évident. L’AFP a été confiée à l’Etat et à la presse française, qui ne pouvait financer le développement international de l’AFP. Il faut donc trouver du chiffre d’affaires. Ce projet, en plus de l’intérêt qu’il porte en soi, peut-il avoir aussi un effet salvateur pour l’AFP et ses problèmes d’effectifs – un redéploiement d’une partie des effectifs internes vers l’extérieur est-il envisageable ? La seconde question que je me pose mais que je n’ose vous poser est de savoir, compte tenu du fait que l’argent public est limité, si le choix stratégique ne devrait pas être de le mettre sur le devenir de l’AFP plutôt que une chaîne d’information internationale ?

M. Bertrand Eveno : Je vous remercie de cette dernière question attentive. Je sais qu’en tant que rapporteur spécial du budget de la communication, vous avez joué un rôle important dans ce domaine. Je crois que, en soi, l’AFP a besoin du soutien de l’argent public.

Je répondrais à la question de M. le Président sur le budget de l’AFP. Les abonnements de l’Etat représentent aujourd’hui 38 ou 39 % de ce budget. Ce sont donc à plus de 60 % des médias solvables qui acceptent de payer nos factures, qui se divisent en une petite moitié française et une grosse moitié internationale. Ils paient nos factures. Ils pourraient ne pas le faire et nous abandonner, ils ont le choix. Cela signifie que l’AFP est déjà une maison très largement privatisée et très largement internationalisée. Il faut qu’elle trouve son point d’équilibre.

L’Etat aujourd’hui nous soutient et le Parlement nous a soutenu fortement en 2003. Je l’en remercie. Mais l’AFP a vocation de continuer à augmenter son chiffre d’affaires marchand, commercial à l’international et, effectivement, une chaîne de la sorte peut permettre d’obtenir, par des phénomènes d’économie d’échelle et de partage des coûts, un effet marginal mais très intéressant sur nos finances. Cela dit, nous avons aussi besoin de recevoir l’argent public en direct.

M. le président : M. le Président, nous vous remercions. Audition de M. André-Michel BESSE, président de RFO

Présidence de M. François ROCHEBLOINE, Président

(Extrait du procès verbal de la séance du mardi 25 mars 2003)

M. le président : Monsieur le président, je vous remercie d'avoir bien voulu répondre à notre invitation. Je souhaiterais, tout d'abord, que vous nous présentiez RFO, son budget, son audience, les zones couvertes, ses perspectives. Ensuite, nous aimerions savoir si, dans le cadre de cette future chaîne qui doit voir le jour assez rapidement, vous seriez prêt à y participer avec d’autres opérateurs.

M. André-Michel Besse : Monsieur le président, je vous remercie de me recevoir. RFO est une chaîne de radio et de télévision que l'on ne regarde pas facilement en France métropolitaine, sauf à être abonné à RFO Sat – avec TPS et Canal Satellite – ou à nous regarder sur Internet, puisque nos journaux sont tous les jours diffusés sur notre site. RFO est la chaîne publique de l'Outre-mer, c'est une chaîne de radio et de télévision présente à Paris et dans les neuf territoires et départements d'outre-mer. Nous fabriquons intégralement un programme de radio, et nous diffusons en direct France Inter, je ne suis d'ailleurs pas certain qu'il s'agisse de la solution idéale et donc définitive. Pour ce qui est de la télévision, nous diffusons trois programmes, dont deux hertziens, dans chacune des régions où nous sommes implantés, Télé Réunion, Télé Martinique, Télé Guadeloupe, etc. et Tempo, celui-ci reprenant le meilleur des chaînes publiques de France Télévisions, notamment France 3 et France 5, les programmes de France 2 étant repris sur nos chaînes locales. Enfin, nous diffusons également un programme satellite, RFO Sat, non seulement en Europe mais également dans les trois bassins océaniques où nous sommes implantés, dans les Caraïbes, l'Atlantique Nord – de Miami jusqu'à Belém – l'Océan indien – des Seychelles à l'Afrique du Sud – et dans le Pacifique Sud, pour l'instant sur un seul satellite à partir de la Nouvelle-Calédonie, qui couvre les îles Fidji, Vanuatu et la côte Est de l'Australie. Enfin, j'espère signer dans une semaine un accord pour un satellite polynésien.

Le public de RFO se trouve non seulement dans les départements et territoires d'outre-mer, mais également dans les régions que nous couvrons à travers ces satellites. J'ajouterai que nos chaînes locales sont quasiment toutes – et elles le seront toutes au plus tard l'année prochaine – sur des satellites en bande KU, c'est-à-dire sur des satellites qui peuvent être reçus par des particuliers sur des petites paraboles. C'est le cas actuellement de Télé Réunion, ce qui veut dire qu'elle est reçue à Madagascar, à l'île Maurice, sur une grande partie de la côte Est de l'Afrique jusqu'en Afrique du Sud. Et ce sera très bientôt le cas de Télé Martinique et de Télé Guadeloupe. Tout cela pour vous dire que nous arrosons les zones dans lesquelles nous sommes implantés de nos trois programmes : les deux programmes hertziens qui sont reçus outre-mer et RFO Sat.

De ce fait, nous jouons non seulement un rôle de diffuseur, mais également de partenaire avec les télévisions des pays que nous couvrons. RFO Sat est, d'une certaine manière, à la fois un programme diffusé à destination de publics et une banque de programmes pour des télévisions partenaires auxquelles nous donnons le droit de reprendre ces programmes sur leur propre réseau. Je reviendrai sur ce point qui me paraît important pour la pénétration d'une chaîne internationale. Une telle chaîne arrive par satellite, il convient donc d'aller la chercher parmi les centaines de programmes diffusés par ce moyen. Alors que lorsque nous sommes repris sur une chaîne nationale étrangère dans le cadre d'accords divers – Euronews est repris en hertzien dans un certain nombre de pays – l'audience est différente puisqu'on ne touche pas uniquement une fraction de la population, mais tout le monde.

Tel est notre réseau de diffusion. Un réseau de satellites à la fois pour faire remonter des programmes à Paris et pour rediffuser dans l'autre sens, en bandes C et KU (bande C : réseau professionnel que l'on ne peut capter qu'avec de très grosses antennes utilisées pour la transmission ; bande KU pour une diffusion directe). [Plusieurs de nos chaînes sont ainsi diffusées depuis Paris, avec des décrochages locaux, voire des reconstitutions totales du programme à Paris, où l'on ne fait remonter que le programme local.] Il s'agit forcément d'un système compliqué, puisque nous sommes sur sept fuseaux horaires différents, avec une habitude de jongler avec la rotondité de la terre et le fait que l'on ne sait pas remonter le temps, ce qui rend d'ailleurs la compréhension du budget et des effectifs de RFO pas toujours évidente. — 35 —

RFO dispose d'un budget de 220 millions d'euros, d'un effectif de 1 500 permanents, dont 400 journalistes répartis dans les neuf établissements d'outre-mer et l'établissement parisien, implanté à Malakoff. Ce dernier regroupe une soixantaine de journalistes répartis sur trois rédactions : radio, télévision pour l'Outre-mer et une rédaction d'agence internationale, AITV, qui travaille pour l'essentiel sur l'Afrique.

M. le président : Le budget de la radio est-il séparé de celui de la télévision ?

M. André-Michel Besse : Non, pas du tout, mais les rédactions sont séparées. D'ailleurs, l'expérience montre – et cela peut vous être utile pour la création de la chaîne d'information – qu'il est difficile de faire travailler des journalistes radio et des journalistes télévision ensemble. Leur métier est différent : le journaliste radio fait tout lui même, alors que le journaliste télé est dépendant d'une équipe, d'une logistique lourde ; on le voit actuellement pour la couverture de la guerre en Irak, pour laquelle on fait de plus en plus de la radio. En revanche, toute la logistique technique et administrative est commune : cela n'aurait d'ailleurs aucun sens de les séparer et ce serait contre-performant.

Telles sont les informations que je puis vous livrer sur l'appareil de diffusion de RFO, j'aborderai maintenant son appareil de production, et notamment de production d'images d'information. Il convient de distinguer, d'une part l'agence d'images, l'AITV, basée à Malakoff depuis 1986, qui fabrique la seule information africaine quotidienne qui existe en langue française et qui est également disponible en anglais. Cette production d'information est fabriquée à base de correspondants, de fournitures d'agence, et notamment d'images – Reuters est mieux implantée en Afrique que l'AFP – et, enfin, d'émissions propres aux équipes de la rédaction de l'AITV.

Un journal est fait avec des sujets, un présentateur, des off, plusieurs modules de déclinaison de ces mêmes sujets. Avec dix minutes de monitorings, on fabrique un journal d'une demie heure. Nous fabriquons donc des monitorings – sujets proprement dits, le plus difficile car le plus coûteux – pour CFI, qui constituent l'essentiel de l'actualité des journaux des chaînes publiques africaines francophones. Cela est repris sur TV5 et sur les chaînes métropolitaines, mais épisodiquement, compte tenu du peu d'intérêt qu'elles ont pour l'actualité internationale, notamment africaine en dehors des crises graves –. Enfin, nous avons un accord d’échange avec i

D'autre part, nous disposons de rédactions dans l'ensemble de nos stations. Il est évident que l'actualité internationale de chaque région est de plus en plus pertinente pour l'Outre-mer, puisque un grand nombre de responsables prennent conscience du fait que leur avenir économique, culturel, se trouve dans les régions d'implantation. Certaines d’entre elles sont importantes, je pense à l'Océan indien avec Madagascar, les Comores ou l'île Maurice. Maurice est de plus en plus francophone, en partie parce que les Mauriciens consomment des images et des sons en provenance de la Réunion. Il y a également des régions qui vont évoluer, telles que les Caraïbes, avec l'avenir de Cuba, qui a une importance directe pour la politique française dans la région.

En ce qui concerne le point de vue international, je dirai que ce qui caractérise la production de RFO c’est qu'il s'agit d'une production de fond. Si une chaîne internationale française souhaite être crédible, il convient qu'elle ne soit pas redondante par rapport à ce que font toutes les autres chaînes dans les périodes de crise. Actuellement, nous avons du mal à voir d'autres images que celles concernant l'Irak, on le comprend, mais le monde continue de vivre. Nous l'avons récemment vu avec la crise en Côte d'Ivoire, où nous allons en mission environ tous les quinze jours, la Côte d'Ivoire étant l'une des bases pour toucher l'Afrique francophone. Bien entendu, au moment le plus aigu de la crise, des journalistes français des chaînes de télévision et de radio ont débarqué, mais aujourd'hui il n'y a plus personne, mis à part un correspondant de France 2.

Autre idée importante : nous sommes habitués, de par notre fonctionnement, à un international de coopération. Or il convient d'être attentif à cela. Je vais peut-être caricaturer un peu, mais l'on peut opposer l'international de souveraineté – celui qui arrive pas satellite quelle que soit la censure – à l'international de coopération, qui ne fonctionne que lorsque les relations sont bonnes. Si je reprends l'exemple de la Côte d'Ivoire, il est vrai qu'elle n'a plus repris nos monitorings à partir du moment où la crise s'est aggravée avec la France. Cependant, les mêmes images étaient reprises par les pays voisins, qui pèsent aussi sur les décisions des responsables de Côte d'Ivoire. Cet international de coopération, qui peut connaître des interruptions en période de crise, réalise un travail de fond et en profondeur, puisque hors — 36 —

crise, il pénètre sur les chaînes nationales. La future chaîne d'information française ne doit d'ailleurs pas se priver de cela, de l'image que cela représente : si nous voulons qu'ils nous écoutent, nous devons également les écouter. Or nous avons, pour notre part, l'habitude de cet échange dans les deux sens.

Enfin, RFO apporte l'image d'une autre France, de la France diverse, de la France ouverte. Si l'angle essentiel de cette chaîne est l'Afrique et le monde arabe, je dirais que sur ce dernier nous n'avons pas de raison directe de nous manifester. Mais la France a une image positive à travers ce qu'elle fait outre-mer, et a fortiori dans les pays d'Afrique. Il me paraît important de ne pas arriver comme CNN, qui n'est pas conforme à ce que nous pouvons faire et à ce qui sera accepté, regardé. Nous sommes le témoignage non pas de la surpuissance mais d'une autre approche des relations internationales, fondées sur la force, bien entendu, mais surtout sur le partage de l'information.

M. le président : Monsieur le président, merci. Combien de foyers reçoivent RFO ? Quelle est sa part d'audience ? Enfin, êtes-vous prêt à coopérer avec cette future chaîne internationale ?

M. André-Michel Besse : S'agissant de l'audimat dans les régions où nous diffusons, il est mesuré deux fois par an – et à partir de maintenant trois fois par an – dans les quatre départements d'outre-mer, une fois par an en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. Selon Médiamétrie, nous avons une part de marché qui oscille entre 45 % et 80 %, ce dernier chiffre s’appliquant là où nous sommes la seule chaîne locale, comme en Nouvelle-Calédonie, nous sommes à 75 % en Polynésie, où il existe une chaîne publique polynésienne et à 45 % là où la concurrence est la plus professionnelle, c'est-à-dire à la Réunion. Ces chiffres, sérieux, doivent être comparés à ce que représentent les grandes chaînes en France métropolitaine, ce qui ferait rêver même M. Le Lay.

En ce qui concerne le public potentiel, il est bien entendu beaucoup plus important. Mais si les programmes arrivent globalement, c'est le cas de RFO Sat ou progressivement depuis nos télévisions locales ou de Tempo, les chiffres n'ont pas grande signification : je pourrais en effet dire que RFO touche plusieurs centaines de millions de personnes, comme l’affirmait, à une époque, TV5. En revanche, ce qui est certain, c'est que les Mauriciens regardent le journal de la Réunion, c'est que toute les semaines, à Madagascar, à Haïti, à Saint-Domingue, ils regardent des programmes d'information français, non pas sur la télévision publique, et ce depuis deux ans pour des raisons que vous connaissez, mais sur une chaîne privée. Je suis incapable de vous donner des chiffres sérieux, je puis simplement vous dire quelle est la population couverte par nos satellites, mais cela n'a pas grand sens.

En ce qui concerne la contribution que RFO peut apporter à cette future chaîne française d'information à vocation internationale, nous avons des discussions avec France Télévisions. Nous sommes les seuls à fabriquer de l'information africaine, en étant estimés par nos partenaires. TV5 reprend d'ailleurs RFI et TV5, sans l’accord des journalistes concernés, qui l’acceptent pour le rayonnement de la France. Comment pourrait-on collaborer ? Nous pourrions fonctionner à deux niveaux. Premièrement, comme une agence de presse, à savoir comme un fournisseur, avec un contrat d'une durée suffisamment longue, qui l'engage à une obligation de résultat. Cela ne nous poserait aucun problème. Il est vrai que nous souhaiterions pouvoir faire partie du tour de table, même si notre situation financière est difficile. Elle l’est comme tout le monde, mais objectivement davantage que pour France Télévisions, car nos capacités de redéploiement sont plus faibles. Deuxièmement, comme un vecteur de pénétration de la chaîne internationale, à partir du moment où elle doit avoir une conception suffisamment modulaire pour pouvoir exister en tant que chaîne et avoir des modules qui pourraient être repris en tant que tels sur des télévisions qui sont toutes très friandes de programmes d'information. Tout notre réseau de partenariats avec des télévisions publiques et privées dans l'ensemble de nos zones, et particulièrement en Afrique francophone, est la porte ouverte à des programmes de la chaîne française à vocation internationale. Les personnes qui échangent tous les jours avec nous ont fait spontanément confiance dans ce que nous pourrions leur proposer.

M. le Rapporteur : Nous avons à travailler sur plusieurs problématiques. Quelle est la nature souhaitable de cette future chaîne, quel est son mode de fonctionnement, son coût et quelle devra être, éventuellement, sa ligne éditoriale ? Certains professionnels franco-français doutent qu'il existe une attente d'une chaîne française d'information à vocation internationale dans certaines zones du monde. Dans les régions que vous couvrez, pensez-vous que cette attente existe ? L'exemple de votre agence AIVT peut-elle être reproduite pour cette chaîne internationale ? Nous envisageons une solution dans laquelle il y aurait un montage juridique à deux étages : une banque de programme d'images qui rassemblerait, à la fois le secteur public et le secteur privé de l'audiovisuel français, et qui alimenterait la — 37 —

chaîne, ce qui correspond un peu à AITV. Ma troisième question est une question de fond. Qui, entre RFO et la chaîne internationale, en tirera le plus de bénéfices : vous ou la future chaîne qui bénéficiera de votre savoir-faire ?

Enfin, en ce qui concerne la ligne éditoriale - et là votre réflexion peut nous être très précieuse - on a le sentiment qu'il convient de se garder de créer une chaîne internationale qui soit la voix de la France, car nous y perdrions en crédit. Néanmoins, parallèlement, nous avons le sentiment qu'il y a un caractère homogène entre la réflexion diplomatique française et ce que nous allons diffuser. Vous qui avez l'habitude d'intervenir dans plusieurs régions du monde, comment voyez-vous ce problème ? Pensez- vous, là encore, que l'exemple que vous nous avez cité peut être reproduit pour cette future chaîne ?

M. André-Michel Besse : Première question : y a-t-il une attente ? Il est difficile d'y répondre directement, je vais donc répondre indirectement. Il existe probablement une attente pour des images d'information provenant de France. Si vous pensez à l'Afrique Noire, qui reçoit beaucoup d'images de France, et notamment celles des journaux fabriqués pour le public métropolitain, ces images évoquent plus souvent les problèmes de sans-papiers, de l'immigration, que les problèmes du développement en Afrique. Notre pays doit avoir un discours qui s'adresse aux pays en voie de développement et notamment aux anciennes colonies françaises. Je connais assez bien la façon dont les télévisions, et donc les opinions africaines, reçoivent les interventions françaises. Elles ont très mal supporté la création de CFI-TV qu’elles ont pris comme un concurrent, tandis que l'arrivée de chaînes telles que France 2 et TV 5 est considérée comme un plus, sauf en ce qui concerne l'information. Il me paraît donc assez clair que si nous mettons à leur disposition ce que nous faisons au travers de l'AITV – 80 % des journaux des télévisions publiques africaines francophones sont fabriqués par nous – ce sera repris. Je ne suis pas certain que les gens regarderont cette nouvelle chaîne de manière continue, mais pour avoir de l'information rapidement comme on le fait sur LCI. Ce qui est important, c'est de ne pas détruire l'esprit de coopération qui existe. Toutes ces télévisions qui bénéficient d'images, soit gratuites, soit à moindre coût, de la France, doivent continuer à en bénéficier, sinon c'est l'image elle-même de la France qui en sera perturbée.

M. Michel Herbillon : Permettez-moi de vous interrompre, je souhaiterais rebondir sur vos propos. N'existe-t-il pas un risque de redondance, y a-t-il de la place pour tout cela, dans les pays que vous connaissez, notamment en Afrique ?

M. André-Michel Besse : Toutes les études montrent que les gens se focalisent sur un petit nombre de chaînes, même s'ils sont heureux d'en recevoir beaucoup. Nous connaissons bien ce problème outre-mer : suivant les endroits, nous avons un ou deux bouquets satellites qui proposent entre 20 et 40 chaînes. Dans un premier temps, tout le monde veut ces chaînes, mais 18 mois ou 2 ans après, nous remontons. Les téléspectateurs préfèrent regarder les chaînes qui sont les plus proches d'eux. Quand le journal de France 2 diffusera des images qui leur déplairont, ils passeront sur une autre chaîne, mais à condition qu'autre chose existe. Or actuellement, pour avoir une information fiable, il vaut mieux pour un Africain regarder un média européen plutôt qu'une chaîne locale, pour des raisons de censure que l'on peut comprendre. Je pense donc que si l'image existe, elle sera regardée. Et elle sera d'autant plus regardée que ce que nous proposons actuellement n'est pas toujours facilement supportable. Nous avons une expérience très précise de cela, puisque nous travaillons à la fois pour l'Outre-mer et les pays africains dans le cadre des accords de Lomé, ce qui est tout à fait autre chose. Il est évident que les journalistes adressent spontanément un discours différent suivant leur interlocuteur. Un journaliste est un médiateur, il essaie de faire comprendre des dossiers difficiles. En revanche, est-il la voix de la France ? Non, jamais. Ceux qui essaient, ici ou là, de contrôler une ligne éditoriale sont toujours déçus. Et permettez-moi de prendre un exemple, n'y voyez pas malice : le président du gouvernement de Polynésie française, qui a créé une chaîne publique pour, j'imagine, qu'elle ait une position différente de la chaîne publique nationale RFO, est toujours content de venir sur cette chaîne nationale, car aucune rédaction dans notre pays ne peut être considérée comme la voix de cela ou de ceci. Mais est-ce vraiment important ? Ce qui est important c'est de se rendre compréhensible et intelligible pour les publics visés. Or nos journaux métropolitains ne le font pas. Je peux le dire d'une autre manière : tant qu'il y aura aussi peu de place pour de l'information internationale, hors crise, dans nos journaux quotidiens, il y a très peu de chance que nous soyons dans la bonne logique pour être écouté.

L'expérience de l'AITV est-elle reproductible ? Je le pense très sincèrement, et le schéma que vous avez esquissé est un bon schéma. A l'ère du numérique, des liaisons optiques, les centres de production et de distribution n'ont pas besoin d'être au même endroit. Mais il me paraît important qu'il y ait quelque part un centre de commandes éditoriales. Là encore ce n'est pas l'AITV, mais nos rédactions à — 38 —

Paris – où nous n'avons pas téléspectateurs – qui passent commande, la veille ou une semaine avant, d'interviews, de reportages, en radio ou en télévision. Une chaîne peut tout à fait fonctionner de la sorte et faire ainsi des économies.

Il est vrai que les journalistes, notamment de télévision et de radio, n'aiment pas beaucoup fonctionner en agence, car qui dit fonctionner en agence, dit pas de signatures et pas de visibilité. Or cette chaîne a besoin de signatures ainsi que d'un très gros travail de desk, c'est-à-dire de rebrassage d'informations et de fabrication d'informations qui n'existe pas. Je situe RFO à ce niveau de la fabrication. Cela peut-être aussi au niveau du desk. Enfin, il y a le niveau de l'assemblage de tout cela, le niveau d'édition qui, lui, doit posséder une structure centralisée.

Question perverse : cela vous intéresse pour la chaîne internationale, est-ce que cela vous intéresse pour RFO ? J'ai envie de vous répondre : les deux. Il y a peu de choses à gagner dans cette opération, et sans doute beaucoup de difficultés. Peu de choses à gagner car l'argent sera rare, on va beaucoup parler de redéploiement interne. Par là même, il y aura certainement un conflit dans chacune des entreprises qui va se lancer dans ce projet si elle n'est pas spécialisée entre les besoins domestiques et les besoins internationaux : je le vis constamment entre l'AITV et le reste des rédactions de la maison. Cela étant dit, c'est quelque chose d'enthousiasmant pour tout Français et pour tout journaliste. Il existe une raison supplémentaire à l'égard de l'Outre-mer : notre pays ne sait pas utiliser ses minorités, qu’elles soient ethniques, religieuses, culturelles, pour toucher d’autres sociétés qui leur sont semblables. Cela m'intéresse d'y participer activement, car cela donne aux originaires d'Outre-mer, qui ont toujours l'impression d'être des Français de seconde zone, le sentiment qu'ils sont, au contraire, les avant-postes d'une France, non pas conquérante, mais ouverte et accueillante.

M. le Rapporteur : Vous avez parlé de la programmation de RFO, or je n'ai pas tout saisi de son montage dans une journée. Pouvez-vous nous donner l’exemple sur la Guadeloupe ?

M. André-Michel Besse : Sur Télé Guadeloupe ? Car je vous rappelle qu'il y a, par ailleurs, Tempo, qui est identique partout, et RFO Sat qui va être spécifiée avec un tronc commun et des déclinaisons par zone (Caraïbes, Océan indien…). Télé Guadeloupe diffuse donc des programmes de TF1, de France 2 et de France 3, nos propres productions, journaux, magazines, un jeu, des émissions de plateau et un certain nombre d'acquisitions de programmes.

Nous diffusons actuellement dans la région des Télé Novelas mexicaines, qui font un tabac non seulement en Guadeloupe, mais aussi en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie. La France a effectivement abandonné ce créneau de la fiction populaire réalisée avec des moyens importants, qu’on ne trouve plus qu’au Brésil, au Mexique, au Venezuela.

M. Michel Herbillon : Quelle est la part, dans les images que vous diffusez, des images fabriquées par RFO ?

M. André-Michel Besse : Notre offre propre est actuellement de l’ordre de 4 heures sur 18 heures de diffusion, soit environ 20 %.

M. Dominique Richard : Tous programmes confondus : plateau, information ?

M. André-Michel Besse : Je pense qu’à notre époque, la question de savoir qui produit n’a pas grande d’importance. Le schéma de France 2, qui produit très peu de programmes – et dont 40 % sont d’origine américaine – n’est pas un exemple. Le schéma d’une télévision, à l’heure actuelle, c’est d’être un éditeur de programmes qui se fournit où il veut, et quand elle n’arrive pas à se fournir, fabrique. D’ailleurs, je me demande souvent, en tant que responsable de RFO, pour quelle raison trouve-t-on qu’à RFO la situation est anormale, alors que l’idéal d’une chaîne est de ne rien produire : en effet, dès que l’on produit, on va au-devant des ennuis.

Mme Martine Aurillac : Lors de nos différentes auditions, nous avons évoqué le problème des langues. Nous souhaitons bien sûr introduire l’arabe, et l’on a discuté de la nécessité de l’anglais. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

M. André-Michel Besse : Il est évident, et cela est de plus en plus supporté par les téléspectateurs en général, que cette chaîne ne peut pas, compte tenu de la place du français dans le — 39 —

monde, être diffusée uniquement en français. A l’AITV, nous fabriquons les programmes en français et en anglais : nous avons des journalistes anglophones, américains ou britanniques. Quant à l’arabe, cela me paraît indispensable. Nous avons, de l’intérieur, une expérience un peu semblable, puisqu’on trouve à RFO plusieurs langues : le créole, le tahitien, le futunien, etc. Le français n’étant pas une langue dominante, il convient en effet d’accepter cela, mais le sous-titrage existe et cela vaut la peine de faire un effort.

Mme Martine Aurillac : Mais financièrement, ce n’est pas la même chose.

M. André-Michel Besse : Le sous-titrage n’est pas le plus difficile ; la plupart des journalistes, aujourd’hui, tapent leur propre lancement et leurs interventions qui défilent sur un prompteur, ils sont donc récupérables en tant que tels. Bien entendu, il faut effectivement un commentaire off des images. S’il y a de l’argent, on peut aussi avoir plusieurs signaux en plusieurs langues. Mais qu’une chaîne diffuse certains programmes sous-titrés dans la langue des pays que l’on cherche à toucher me paraît pour l’instant la meilleure formule.

M. Dominique Richard : Vous croyez vraiment à la performance du sous-titrage ? N’est-ce pas une formidable machine à zapper ? Les différentes personnes que nous avons auditionnées nous ont laissé entendre que le sous-titrage passe mal pour de l’information.

M. André-Michel Besse : Je parle du sous-titrage en français lorsqu’on diffuse dans une langue étrangère, afin de maintenir une continuité pour les locuteurs français.

M. le président : Quelle est la part de votre budget consacrée aux personnels ?

M. André-Michel Besse : 60 % du budget. Il s’agit d’une part importante pour deux raisons. D’une part, nous fabriquons : en effet, dans les zones où nous sommes implantés, nous trouvons rarement d’autres intervenants possibles, sauf à la Réunion et un peu aux Antilles. D’autre part, l’outre-mer connaît un drame qui se nomme l’indexation : les salaires sont affectés d’un coefficient majorateur qui va de 1,34 à 1,99, ce qui augmente le coût. RFO n’en est absolument pas responsable, il s’agit d’un problème qui est assez lointain, qui se perd dans les souvenirs de l’ORTF ou de la fonction publique française.

M. le président : Monsieur le président, je vous remercie d’avoir répondu avec beaucoup de franchise à nos questions.

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Audition de M. Dominique FAGOT, Président de Media Overseas, accompagné de Mme Sophie Barluet, directrice générale adjointe du groupe Canal +, chargée des affaires extérieures

Présidence de M. François Rochebloine, Président

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 27 mars 2003)

M. le président : Monsieur Fagot, merci d’avoir répondu à notre invitation. Nous avons d’ores déjà procédé à plusieurs auditions qui nous ont notamment conduits à nous déplacer en Angleterre et en Allemagne où nous avons rencontré les principaux opérateurs nationaux de ces pays. Je vous demanderai d’abord de nous présenter la société Média Overseas, puis de nous donner votre opinion sur la création d’une chaîne d’information française à vocation internationale.

M. Dominique Fagot : Mon entreprise est bien répartie sur l’ensemble de la planète, même si elle n’est pas forcément connue en France où je n’ai pas de marchés. Comme entrepreneur, je n’ai pas d’ambition dans la création de la future chaîne d’information, si ce n’est vous apporter des informations et vous présenter les services que mon entreprise peut rendre.

M. Pierre Dauzier m’a confié en 1990 une société, Havas DOM-TOM, qui vendait de la régie publicitaire et du tourisme dans l’Outre-mer français. Treize ans après, cette société est devenue Média Overseas qui distribue des programmes de télévision sur une grande partie de la planète. Média Overseas a réalisé en 2002 un chiffre d’affaires d’environ 200 millions d’euros et un résultat net consolidé de 14,2 millions d’euros, pour près de 550 000 abonnements, dont 155 000 à l’étranger. Elle a également cette particularité, sans doute unique au monde, d’être la seule entreprise à disposer de plateformes satellites en retour sur investissements. De nombreux journaux affirment qu’il n’y en a aucune. C’est faux, puisque nous en avons au moins trois qui, de surcroît, ont amorti leurs charges.

M. le président : Ces trois satellites couvrent quelles zones ?

M. Dominique Fagot : Les Caraïbes, l’Océan Pacifique et l’Océan Indien. Nous avons directement en exploitation quatre bouquets de programmes. Sur le Pacifique Sud, ils couvrent l’Australie, la Nouvelle Calédonie, le Vanuatu, les Fidji, Wallis et Futuna. Sur les Caraïbes, ils couvrent Haïti, Saint-Domingue, les Antilles, le Venezuela, la Barbade, le Surinam et la Guyane. Sur l’Afrique subsaharienne de l’Ouest, ils couvrent la Mauritanie, le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso, le Liberia, la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo, le Bénin, le Nigeria, le Cameroun et le Gabon. Sur l’Océan Indien, enfin, ils couvrent l’Ile Maurice, la Réunion, Mayotte, Madagascar, les Seychelles, le Mozambique et l’Afrique du Sud. Nous détenons des entreprises ou des représentations à Sidney, Nouméa, Port Villa, Pointe-À-Pitre, Fort-de-France, Caracas, Miami, Cayenne, Dakar, Abidjan, Conakry, Yaoundé, Saint Denis de la Réunion et Antanarivo. Pour le compte de Canal +, nous gérons la plateforme satellite polonaise Cyfra qui compte 900 000 abonnements. En Afrique, enfin, Média Overseas va reprendre un programme en bande C qui couvre l’ensemble du continent africain, l’Europe et le Moyen Orient.

Média Overseas assure l’intégralité du transport des émissions françaises sur l’Afrique. Je vous ai d’ailleurs remis un document qui fait état de l’ensemble des chaînes que nous transportons par plateformes satellites et à l’export – export caraïbes, LBF, CanalSat, Mada, MC Vision et CanalSat Horizons – étant entendu que le bouquet africain est sans doute le plus beau puisque nous y transportons France 2, France 3, TF1, Arte, TV5, Canal Horizon, sans compter les chaînes thématiques, en particulier de cinéma, de sport et d’enfants.

M. le président : Vous facturez pour ces transports, n’est-ce pas ? Vous assurez le transport…

M. Dominique Fagot : …et je vends. J’achète, et je vends. J’achète ou je transporte les programmes lorsqu’il s’agit de chaînes du service public et je les revends comme le fait TPS ou Canal Sat sur l’hexagone. — 41 —

Les Caraïbes représentent 90 millions d’habitants, l’Océan Indien, 100 millions, le Pacifique Sud, 15 millions et nous couvrons 350 millions d’habitants en Afrique. Au total, Média Overseas représente un potentiel de couverture de 550 millions d’habitants à travers le monde. Sur les 191 Etats membres de l’Organisation des Nations Unies, 63 d’entre eux sont arrosés, en totalité ou en partie, par les satellites de Média Overseas, soit 33 %. Sur les 43 Etats membres de la Francophonie dans le monde, 31 d’entre eux sont arrosés, en totalité ou en partie, par les satellites de Média Overseas, soit 63 %. Même s’ils ne sont pas faciles à mettre en œuvre, nous avons des projets sur la péninsule Indochinoise. Pour conclure, nous pourrons mettre gratuitement l’ensemble de ce dispositif à la disposition de la future chaîne d’information française.

M. le président : Quel est votre sentiment sur cette future chaîne ?

M. Dominique Fagot : Etant un grand voyageur qui continue de parcourir de nombreux pays, je peux vous assurer qu’une telle chaîne est un besoin ressenti depuis des années dans tous les pays émergents ou en développement avancé. Lorsque je circule en Amérique du Sud, je constate que les nationaux souffrent beaucoup de la soupe américaine qui leur est constamment versée. Ils attendent autre chose, un autre habillage, un autre discours et une autre réflexion. La demande est réelle. La situation est très intéressante pour un opérateur privé comme moi, mais difficilement réalisable. J’aurais pourtant toujours voulu créer un tel produit, et j’avais d’ailleurs l’idée, lorsque j’ai démarré mon activité, de me servir des départements d’Outre-mer pour arroser les pays étrangers. Mais être obligé de gagner à l’étranger un abonné, puis un autre, puis encore un autre, est un investissement extrêmement lourd. Par contre, à partir du moment où nous avons pu nous appuyer sur les Antilles, la Nouvelle Calédonie et la Réunion, nous avons pu aborder les pays voisins, étant entendu que les spots des satellites couvrent des zones importantes.

Par ailleurs, nous croyons beaucoup au KU plutôt qu’à la bande C. Car le KU, autrement dit, la petite parabole, est pratique, facile d’utilisation et pas cher. Le système peut se développer partout, alors que la bande C, si elle est effectivement excellente du point de vue de la qualité, coûte très cher, sans compter que le dispositif est difficile à manier et qu’il peut s’envoler dès qu’il y a trop de vent.

M. François Herbillon : Y a-t-il une différence de qualité entre les deux procédés ?

M. Dominique Fagot : Aucune ! Nous utilisons également des systèmes de compression extrêmes. Pour mon entreprise, ce sont les coûts des satellites qui constituent les charges les plus importantes. La qualité est la même, sans compter qu’ils nous permettent de faire des économies. Sur Canal Satellite, nous transportons ainsi pour notre propre compte 70 % de programmes de plus que Canal Satellite France.

La chaîne française d’information à vocation internationale a donc sa nécessité et elle répond à un besoin. Pour autant, il ne faut pas qu’elle soit seule, au risque de se perdre dans un magma, et de ne plus intéresser les populations. Ce qu’il faut mettre en place, c’est un ensemble de chaînes francophones, avec un habillage et un rythme propre à la France. Voilà comment nous serons attrayants ! Vous me rétorquerez immédiatement que l’on bute sur le problème des droits. Mais depuis que Média Overseas s’est développée à l’étranger, je peux vous assurer qu’on constitue pour les chaînes thématiques en France une source de revenus extrêmement importante, à tel enseigne qu’elles ont commencé à négocier des droits pour l’étranger. Et si nous couvrons autant de pays, c’est que nous avons négocié des droits avec nos partenaires. Ainsi, nous avons des droits sur un bouquet français en Australie, comme dans toutes les chaînes distribuées en Afrique. Bref, vous pourrez associer d’autres chaînes à votre projet.

M. le président : Quel genre de chaînes ?

M. Dominique Fagot : Des chaînes de cinéma, même si elles diffusent beaucoup de films américains, des chaînes musicales et des chaînes pour enfants. Un produit comme RFO Sat, un peu en déshérence actuellement, pourrait y être associé très facilement. Par contre, les chaînes de sport sont difficilement envisageables, car les droits de retransmission sont très lourds.

Mme Martine Aurillac : Quelle est la part d’information dans vos programmes ?

M. Dominique Fagot : Je ne suis pas un professionnel du contenu, je suis un distributeur. Cela dit, je pense qu’envoyer des émissions franco-françaises comme i

personne. En la matière, EuroNews est meilleure. Média Overseas est une entreprise de distribution. Son métier ne consiste pas en l’élaboration de contenus, mais elle a cependant un avis sur l’offre que pourrait proposer une chaîne d’information française internationale. On constate, au vu des événements internationaux actuels, que le message universaliste et pondéré de la France constitue une offre alternative répondant à l’attente d’un grand nombre d’habitants de la planète. L’information ne doit pas être le seul critère et la réflexion doit prendre toute sa part. Le débat sur les grands sujets devrait rencontrer une écoute. Notre mode de vie latin devrait être représenté, notamment par des reportages sur nos réalisations, notre terroir. Cette chaîne devrait être le maître à penser de la planète, un défaut bien français pour les Anglo-Saxons. Mais il convient de l’assumer ouvertement.

M. le président : La Chaîne d’information doit-elle diffuser ses programmes uniquement en langue française ? Faut-il donner la priorité à la langue française, au détriment de l’Anglais et de l’Arabe ?

M. Dominique Fagot : Cette chaîne doit diffuser en priorité en langue française. Cela dit, les moyens techniques et numériques actuels permettent l’expression d’autres langues. Tout dépend comment vous travaillez. Utiliser les bandes KU plutôt que la bande C vous permettra de couvrir des zones plus petites, donc d’imposer la langue véhiculaire du sol, de l’Arabe au Levant, du Portugais et de l’Espagnol en Amérique du Sud, en plus du Français, bien sûr. Au demeurant, n’oubliez pas que de plus en plus de chaînes utilisent le passage d’une langue à l’autre. Le dispositif n’est pas si compliqué à mettre en place.

M. Dominique Richard : Vous avez déclaré que vous étiez prêt à mettre gratuitement à disposition vos infrastructures au profit de la future chaîne d’information ? Seriez-vous alors prestataire ou partenaire ?

M. Dominique Fagot : Partenaire et si vous le souhaitez prestataire.

M. Dominique Richard : Vous n’avez donc pas de religion arrêtée.

M. Dominique Fagot : Non ! Le réseau que nous détenons existe déjà, en particulier en Afrique qui constitue une région importante pour la future chaîne et il suffit d’un quart d’heure pour que la future chaîne soit distribuée dans tous les pays que j’ai cités. Cela dit, je suis un commerçant et je vends des bouquets de programmes. Mes 150 000 abonnés à l’étranger payent un abonnement et sont donc concernés. Parallèlement, vous pouvez introduire la chaîne d’information dans le dispositif gracieusement. Elle peut être reprise par le câble ou des MMDS, bref, par n’importe quelle personne qui la veut seule, gratuitement, à condition d’avoir un terminal numérique. Cela dit, que ce soit sur le câble ou sur le satellite en bande C ou en KU, un terminal est toujours nécessaire pour repasser en analogique. Pour ma part, j’offre un moyen de transport et de distribution.

M. Dominique Richard : C’est un échange de marchandises.

M. Dominique Fagot : Qu’entendez-vous par là ?

M. Dominique Richard : Vous mettez à disposition le transport, charge à la chaîne de se mettre gratuitement à votre disposition.

M. Dominique Fagot : Voilà !

M. Michel Herbillon : Vous avez rappelé que Pierre Dauzier vous avait chargé de transformer une régie publicitaire et de tourisme spécialisée sur les DOM-TOM en société de télévision.

M. Dominique Fagot : Il m’a confié l’entreprise et j’en ai fait ce qu’elle est devenue.

M. Michel Herbillon : Imaginons que vous soyez chargé demain de mettre en place la chaîne d’information internationale francophone. Comment procéderiez-vous ? Quels sont les facteurs clés du succès, les handicaps à surmonter, en particulier en termes de distribution ?

M. Dominique Fagot : Il me paraît d’abord essentiel que la chaîne soit gérée par une entreprise privée. RFI, ne l’oubliez pas, a été coupée lors des événements de Côte d’Ivoire, sauf chez nous. Pourquoi ? Parce que je transporte aussi des radios. RFI a été coupée, en même temps que les — 43 —

journaux de TF1, de France 2, de France 3 et de TV5, sauf chez nous. Car même si j’ai reçu quelques coups de fil du gouvernement de Côte d’Ivoire sur le traitement de l’information qui ne leur plaisait pas, personne n’a trouvé de levier d’influence sur une entreprise privée. D’ailleurs, pas plus tard qu’hier, on m’a dit que le Quai d’Orsay passait deux heures par jour à régler les problèmes de TV5. Moi, je n’ai jamais eu un problème dans toutes les régions que nous que nous couvrons, à telle enseigne que nous transportons XXL même en Afrique, avec double cryptage, cependant. Le privé permet donc d’éviter tous les rapports d’influence. Cette chaîne, je l’ai déjà dit, ne devrait pas être seule. Il faudrait y associer le service public et des entreprises privées comme Canal + ou TF1 qui ont des sociétés d’information.

M. le président : Etes-vous favorable à une société mixte, publique-privée ?

M. Dominique Fagot : Il y a un autre problème qui est strictement d’ordre juridique : quelle forme juridique retenir ? Comment amener l’argent ? Je crois aussi au privé pour une autre raison : dans le privé, on ne construit pas d’usines à gaz et on s’efforce de créer des entreprises gérées au plus simple et au plus court.

M. Michel Herbillon : Il faut qu’elles soient rentables.

M. Dominique Fagot : Oui. Sinon, ce n’est pas la peine d’être entrepreneur. Le principe d’une entreprise, c’est de rémunérer son actionnaire et de gagner de l’argent. Par ailleurs, si vous distribuez cette chaîne en France, vous risquez de faire beaucoup de mal à LCI ou à I

Mme Sophie Barluet : Dominique Fagot vient d’exprimer sa conviction en matière de distribution. Nous la partageons à Canal +. D’ailleurs, nous avons une expérience de groupe européen en développant des chaînes sur la plupart des douze pays européens que Média Overseas gère. Nous pensons, nous aussi, que la chaîne d’information ne pourra être écoutée, entendue et acceptée qu’à la condition qu’il y ait un ensemble de chaînes aux thématiques plus larges qui représentent la France et qui constituent un mini bouquet significatif de la voix de la France. Nous sommes vraiment persuadés que la chaîne n’aura pas, à elle seule, l’audience qu’on est en droit d’attendre. Elle a donc tout intérêt à accompagner d’autres chaînes, telles TV5 ou RFO.

Canal +, je vous le signale, a développé une chaîne à l’international consacrée au cinéma européen récent, Eurochannel, qui est aujourd’hui reçue dans tous les pays d’Amérique latine, d’Amérique centrale et d’Amérique du sud. Elle rencontre un grand succès, grâce à ces 5 millions d’abonnés et pourrait très bien constituer cette chaîne de complément sur le cinéma. Nous considérons qu’elle aurait vraiment un sens dans ce mini bouquet pour porter, au-delà de l’information, un autre aspect de la culture française, une forme d’expression culturelle européenne et plus particulièrement française. Or, nous pensons qu’elle sera liquidée l’année prochaine. Pourquoi ne pas la reprendre dans le cadre d’un mini bouquet ? Compte tenu des difficultés financières que rencontre Canal, nous aurons du mal à passer ce cap. Par contre, nous espérons que les pouvoirs publics, à qui nous en avons parlé, pourront nous aider à le passer. Au moment où la chaîne d’information est lancée, on aurait tout intérêt à réfléchir sur la manière d’organiser ce mini bouquet, avec des chaînes existantes, mais également avec ce type de chaîne.

M. Michel Herbillon : Cette chaîne est-elle présente dans tous les bouquets diffusés dans les pays que vous nous avez indiqués ?

Mme Sophie Barluet : Elle a démarré au Brésil où on peut la recevoir en Français, en Espagnol et en Portugais. Depuis deux ans, elle est présente dans l’ensemble des pays d’Amérique latine. Sa croissance est tout à fait exceptionnelle, puisque nous avons atteint 5 millions d’abonnés et que nous devrions en avoir 7 millions l’an prochain. Ce genre de chaînes a donc un réel potentiel. Pour l’heure, bien évidemment, nous n’avons les droits que pour l’Amérique latine ; ils devront donc être renégociés — 44 —

pour une diffusion plus large. Mais je voulais attirer votre attention sur le fait qu’il existe des chaînes de complément qui pourraient favoriser le succès de la chaîne internationale d’information.

M. le rapporteur : Combien faut-il de chaînes pour constituer un bouquet ?

M. Dominique Fagot : Pour qu’un bouquet soit attractif, il faut au minium six chaînes. Mme Barluet a eu raison d’insister sur l’attrait d’une chaîne dédiée au cinéma. J’ai pu me rendre compte que les Japonais ou les Australiens demandaient énormément de films français. De nombreux pays sont particulièrement intéressés, mais n’ont aucun moyen de recevoir ce genre de programmes.

S’agissant de la distribution, je vends mes abonnements et j’ai, dans un grand nombre de pays, des représentations ou des entreprises qui coordonnent la vente de mes produits par des distributeurs locaux. Nous avons des antennistes et des magasins de télévision animés par des représentants pour vendre les produits. Par contre, vous pouvez avoir une autre démarche, en abordant les câbleurs et les grands distributeurs. Au Fidji, d’ailleurs, nous distribuons les produits de nos bouquets sur du câble. A Haïti, Canal + est distribué sur le câble, car le système existe. Nous commercialisons et nous vendons les chaînes, mais on peut très bien aussi donner la future chaîne d’information gratuitement. Cela dit, je crois fermement que l’acte d’achat est un acte d’intérêt. S’il y a une prise d’abonnement, c’est qu’il y a bel et bien une volonté de voir. Je ne le dis pas parce que je suis un Phénicien commerçant, mais parce que je crois qu’on ne s’intéresse qu’à ce qu’on veut. Et lorsqu’on me parle du milliard d’abonnés de TV5, je ne suis pas persuadé que l’audience soit facilement contrôlable. Par contre, mes 155 000 abonnés, eux, le sont, et je ne compte pas les pirates, en particulier en Afrique, où on recâble de village en village. Je dois avoir des millions d’abonnés en Afrique que je ne connais pas !

M. Michel Herbillon : Quels sont vos clients ? Les antennistes ou les personnes qui vendent des paraboles ?

M. Dominique Fagot : Non, ce sont les particuliers, comme en France, d’ailleurs. Lorsque vous voulez vous abonner à TPS, vous vous rendez dans un magasin de télévision qui vous délivrera un abonnement. Un antenniste vous installera ensuite la parabole. Nous procédons de la même manière au Vanuatu, à l’île Maurice ou à Madagascar.

M. Michel Herbillon : Quels contacts avez-vous avec les câblo-opérateurs ?

M. Dominique Fagot : La plupart du temps, ce sont nos concurrents, sauf si nous passons des accords avec eux pour des reprises payantes de nos produits. Si nous avions à défendre la Chaîne française, il est bien évident qu’on ne la vendra pas. Mais on peut la redistribuer sur le câble. Je transporte par exemple la télévision du Sénégal, du Mali et du Cameroun, car je considère que lorsqu’on est en Afrique, il faut pouvoir rendre des services. Je ne le fais pas encore avec la Côte d’Ivoire, parce que j’aurai des problèmes avec le Burkina Faso. Ces télévisions sont gratuites. Simplement, j’offre la possibilité de les transporter au Cameroun pour un Sénégalais qui habite au Cameroun, bref de lui offrir des plateformes satellites qu’il n’aurait jamais pu s’offrir. Que cette télévision soit reprise gratuitement sur un câble au Cameroun ne me regarde pas.

M. Dominique Richard : Vous ne distribuez pas la télévision de Côte d’Ivoire au motif que vous avez des problèmes avec le Burkina. Or, vous nous avez indiqué qu’une entreprise privée était en dehors de ce genre de difficultés.

M. Dominique Fagot : En effet, mais cela ne nous empêche pas pour autant de faire bien attention. Je me méfie de ce que peut dire Karl Zéro sur Canal Horizon lorsqu’il s’en prend à un chef d’Etat africain et le Quai d’Orsay nous y a invités. Pour autant, l’accord avec la télévision de Côte d’Ivoire est pris et je compte bien finaliser le projet.

M. le président : Si je vous ai bien compris, la réussite de la chaîne d’information internationale passe par un bouquet, car vous pensez que la chaîne seule n’aurait pas l’audience nécessaire pour vivre et coûterait sans doute très cher. Nous n’avons pas encore évoqué le coût, mais sans doute en avez-vous une idée.

M. Dominique Fagot : Il faut également s’interroger sur le dispositif de distribution. Moi, je crois fermement à un dispositif de distribution en bande KU, et pas en bande C, sur les zones qui — 45 —

intéressent les responsables de cette chaîne. Il ne s’agit donc pas d’une couverture globale et totale, comme le fait, par exemple, le satellite en bande C qui couvre l’Europe, le Moyen Orient et l’Afrique. Ce n’est pas pour autant que les gens regardent ce qui est distribué en bande C, sauf à trouver des dispositifs propres à chaque pays. Par contre, un spot en bande KU, même s’il ne dessert pas beaucoup de pays, permet de mettre en place un système commercial ou de distribution. Nous avons été les seuls à lancer cinq plateformes satellites et nous avons donc une bonne expérience. Canal a lancé une plateforme ; nous, cinq, et dans des pays différents. Lorsque vous décidez de lancer une plateforme KU, vous devez organiser votre système de distribution, choisir des associés locaux et réaliser les installations sur place. Je crois donc fermement que le système de distribution doit être le KU. J’en offre une grande part, même s’il manque l’Amérique du Sud, l’Asie et le Moyen Orient. Mais une plateforme satellite, avec le multiplex, ne revient qu’à 18 millions de francs par an et elle vous permet de disposer de dix-sept chaînes, sans compter que les prix baissent, car les vendeurs de satellites, qu’il s’agisse d’Eutelsat ou d’Intelsat connaissent une crise. Aujourd’hui, une plateforme KU bien négociée revient donc à pas grand-chose. Comment pourrais-je en effet rentabiliser mes installations en Nouvelle Calédonie quand vous savez que l’archipel compte 240 000 habitants et que j’ai 22 000 abonnés au satellite et à Canal + ? Je m’en sors pourtant très bien. Pourquoi ? Parce que je négocie les coûts satellites. Tout cela, c’est un métier. Et ce métier, nous savons le faire. Des gros satellites vous reviendront plus chers. Tout cela est assez facile et assez simple. Il faut six mois pour lancer une plateforme, comme celle que nous avons lancée en Afrique en avril dernier où j’ai désormais 31 000 abonnés, avec 100 à 150 abonnés jours. C’est possible à faire partout, mais si vous me demandez de faire une plateforme au Moyen-Orient, qui est un endroit intéressant, je devrais demander de l’aide, car en dehors des Libanais, qui sont francophones, je rencontrerais plus de difficultés. Sans compter que j’aurais besoin d’une aide diplomatique, compte tenu des rapports de force existant dans le système de distribution de la télévision qui est très compliqué et très opaque.

M. le président : Sous quelle forme auriez-vous besoin d’une aide ?

M. Dominique Fagot : Une aide financière serait indispensable, bien sûr. Mais elle ne serait pas considérable. Je veux surtout parler du système de distribution. Car de toute manière, faire le contenu exige de distribuer. Donc, vous aurez besoin d’acheter des satellites et de les négocier avec Direct TV qui, avant de vous accordez un canal, vous demandera une fortune. Il est donc parfois préférable d’être propriétaire de sa distribution. Aux Etats-Unis, on ne distribue rien, il n’y a aucun produit français. Trouvez-vous ça normal ? Alors que vous trouvez les chaînes allemandes, anglaises, italiennes, et même iraniennes, il y a tout ce qu’on veut, sauf nous. Pourquoi ?

Mme Sophie Barluet : Dominique Fagot a insisté sur la nécessité d’avoir des partenariats locaux. Car si nous voulons être efficaces sur tous les territoires, on ne peut pas décréter être repris sans négocier avec les autorités locales. C’est pourquoi M. Fagot a fait état de l’aide diplomatique éventuelle dont il pourrait avoir besoin dans certains pays. Mais cela doit se faire en relation et en bonne intelligence avec les pays et les partenaires locaux. On ne peut pas arriver contre le gré des gens.

M. Dominique Fagot : J’ai par exemple l’intention de proposer de remonter les télévisions du Vietnam, du Cambodge et du Laos qui, dans cette région, ne sont pas encore sur satellite. Faire une offre pareille vous ouvre des portes. C’est important, car encore faut-il qu’on puisse distribuer des images dans ces pays. Il ne suffit pas de créer un produit, encore faut-il l’amener et que les gens veuillent bien le prendre. Voilà pourquoi il vaut mieux être maître de sa distribution.

M. Michel Herbillon : Vous préconisez le système de distribution KU pour des raisons de coût et de souplesse d’utilisation, n’est-ce pas ? Vous avez indiqué qu’une plateforme satellite en KU revenait à 18 millions de francs. Si l’on passe à l’autre système, elle s’élèverait à combien ? En bref, pourquoi préconisez-vous le KU ?

M. Dominique Fagot : Parce que la télévision domestique par satellite est très pratique à installer chez les particuliers. La bande C, elle, est un système d’excellente qualité qui permet de diffuser des émissions au bout du monde, mais il n’est pas pratique. Le système est lourd et vous coûtera plus cher, même s’il a l’avantage de couvrir des surfaces larges. Mieux vaut avoir des zones de couverture plus étroites. D’ailleurs, le système KU couvre tous les pays d’Afrique que j’ai déjà cités et permet d’organiser la distribution et surtout de cibler. Vous pouvez négocier avec des pays moins nombreux. Le système est donc beaucoup plus simple et plus pratique à utiliser, sans compter que vous ne pouvez pas mettre autant de chaînes en bande C, sauf à payer beaucoup plus cher. — 46 —

M. le président : Avez-vous une idée du coût pour réaliser la chaîne d’information internationale ?

M. Dominique Fagot : Absolument pas !

M. le président : Je vous pose cette question, parce que nous avons entendu des propositions qui sont très éloignées les unes des autres.

M. Dominique Fagot : Je ne m’avancerai pas sur un terrain qui n’est pas le mien. Une chaîne comme CNN vous reviendra extrêmement cher. Mais regardez la guerre en Irak : je trouve qu’elle est mal traitée. D’ailleurs, elle ne pourrait pas être mieux traitée, puisque les journalistes ne savent rien. C’est pourquoi on vous propose une information en boucle, sans intérêt, où on vous répète constamment la même chose. Si tel est l’objectif de votre chaîne, il est certain qu’elle n’intéressera personne. Il serait beaucoup plus intéressant de faire une analyse de la guerre, de la situation et un vrai débat. En plus, cela coûte moins cher. Car envoyer des équipes sur tous les drames de la planète vous coûtera une fortune. Il faut donc, dès le départ, avoir une bonne conception du produit. Et pour ma part, je considère que vous avez intérêt à faire au départ un produit d’analyse avec quelques journaux télévisés. Des réalisations sur le charme de notre beau pays ne sont pas très onéreuses. Trouvez-vous vraiment que l’information sur CNN est captivante ?

M. le président : C’est une information, tout de même… Pensez-vous que la chaîne telle que vous la préconisez sera plus regardée ? Il me semble que la volonté du Président de la République est avant tout d’avoir une vue de la France sur la situation internationale.

M. Dominique Fagot : C’est bien ce que je dis.

Mme Sophie Barluet : Avoir des informations brutes en permanence ne renvoie pas à la volonté de donner un regard spécifique, celui de la France et de notre diplomatie, sur les événements internationaux. Plutôt que de diffuser des images répétitives, mieux vaudrait avoir, à côté d’informations de cette nature, des débats et des analyses qui présentent ce regard spécifique.

M. Dominique Fagot : Ce ne sont pas les problèmes où l’avis de la France gêne tout le monde qui manquent : comment traiter le sida en Afrique, la question de l’eau ou de l’environnement ?

M. le président : Madame, Monsieur, nous vous remercions.

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Audition de M. Jean-Claude PARIS, Directeur général de i

Présidence de M. François Rochebloine, Président

(Extrait du procès-verbal de la séance du jeudi 27 mars 2003)

M. le président : Monsieur Paris, merci d’avoir répondu à notre invitation. La création d’une chaîne d’information française à vocation internationale est aujourd’hui sur les rails et nous nous attendons à des annonces au début du deuxième semestre. Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd’hui pour nous faire part de votre sentiment sur ce projet. Cette chaîne vous paraît-elle réalisable ? A combien estimez-vous son coût ? Mais d’abord, pourriez-vous nous présenter votre chaîne ?

M. Jean-Claude Paris : i

Nous comptons également 100 000 abonnés pour les autres opérateurs de câble. En dehors de Numéri-Câble, en effet, nous ne sommes jamais présents sur le câble, dans les basiques, qu’ils soient analogiques ou numériques, mais seulement en option. C’est un problème réel, car un abonnement suppose un geste volontaire, preuve de l’intérêt qu’on porte à l’information. Or, si être abonné au câble permet de disposer d’un bouquet de chaînes, le fait d’y trouver de l’information n’est pas le moteur de la décision de l’abonnement. Le problème est encore plus grave sur Noos, le câblo-opérateur de Paris, puisque nous ne sommes pas du tout visibles par les milieux de la publicité de Paris. Etre une chaîne référencée dans une liste de chaînes est une chose ; que les responsables qui prennent les décisions d’investir puissent la voir, en est une autre. C’est une situation assez incompréhensible, dans la mesure où nous proposons à Noos d’être présent chez les particuliers, en numérique, étant entendu que nous prenons tous les frais à notre charge. Malgré cela, nous n’arrivons pas à aboutir, et je n’ai aucune explication. Mais il est vrai que le câble est un monopole de fait, même s’il existe d’autres moyens d’être distribué. Noos compte un million d’abonnés, 600 000 en analogique et 400 000 en numérique, et nous sommes probablement prêts à passer de 20 000 à 70 000. Vous pourrez donc bientôt pouvoir voir i

Nous sommes également présents dans les départements et territoire d’Outre-mer grâce au système de Média Overseas qui nous permet d’être également présents en Afrique et dans tous les pays limitrophes des DOM et des TOM. En pratique, nous sommes distribués en Afrique subsaharienne depuis un an, nous sommes présents en Europe sur la plate-forme de Canal + Espagne en clair pour un million d’abonnés espagnols. Sans oublier tout un système présent dans le Maghreb qui fait que de nombreuses personnes s’abonnent à Paris et partent avec le décodeur, des paraboles, voire certains systèmes encore moins onéreux.

En termes de contenu de programmes, nous avons un rythme du quart d’heure ou de la demi- heure selon les moments de la journée. Nous diffusons de courts journaux sur le quart d’heure du matin, plus longs à des heures où les gens ont plus de temps, à partir de 18 heures le soir. Les journaux occupent également une tranche d’une heure complète à l’heure du déjeuner. Nous diffusons également des magazines qui traitent, sous forme d’interviews, de plateaux ou de reportages, de politique, d’économie, de littérature, de science, de cinéma et de relations internationales.

M. le président : Vos journalistes dépendent-ils d’i

M. Jean-Claude Paris : Juridiquement, tout le personnel d’i

fabrique donc le signal et le livre à i

M. Michel Herbillon : Autrement dit, les journalistes travaillent pour les deux chaînes.

M. Jean-Claude Paris : Voilà.

M. le président : Et la ligne éditoriale ?

M. Jean-Claude Paris : La ligne éditoriale de la chaîne est orientée sur le direct et le reportage, mais nous diffusons également des magazines de réflexion. Lors de sa création, la chaîne avait une vocation franco-française et était bâtie sur un réseau de correspondants en province, chacun équipés de trente véhicules satellites qui ont fait la joie des Guignols. Depuis que la chaîne a été reformatée, l’utilisation de ces véhicules a été réduite : nous n’en utilisons plus que vingt, qu’on utilise en majorité en province et dans une moindre mesure à Paris et à l’étranger. Comme ces véhicules fonctionnent sous l’empreinte d’un satellite, on pourrait même en utiliser un à New York, le satellite étant positionné au- dessus de l’Atlantique.

M. le président : Votre concurrent est LCI, n’est-ce pas ?

M. Jean-Claude Paris : Oui.

M. Michel Herbillon : Pourquoi être passé de trente à vingt véhicules ?

M. Jean-Claude Paris : Parce que le dispositif coûtait trop cher et qu’il fallait faire des économies. Nous fonctionnons convenablement avec les vingt.

M. Michel Herbillon : A combien revient, frais de fonctionnement inclus, un camion équipé d’un satellite ?

M. Jean-Claude Paris : C’est le journaliste qui le fait fonctionner, car de tels camions sont entièrement automatisés. Il suffit d’appuyer sur un bouton pour sortir les vérins qui le stabilisent, sur un deuxième bouton pour mettre en route le groupe électrogène, et sur un troisième pour que l’antenne se pointe toute seule. Il fonctionne donc avec une seule personne.

Mme Sophie Barluet : Une organisation difficile à imaginer dans le service public !

M. Jean-Claude Paris : Au total, un tel camion revient entre 1 et 1,5 million.

Au même moment où nous avons diminué le nombre de véhicules satellites, nous avons reformaté la chaîne qui est désormais ouverte non seulement sur la France, mais aussi sur l’étranger. Nous disposons également à l’étranger d’un réseau de correspondants qui sont pour la plupart des pigistes.

M. Dominique Richard : Lorsqu’ils travaillent à l’étranger, s’agit-il de nationaux ?

M. Jean-Claude Paris : Non, ce sont plutôt des Français. C’est assez délicat de faire appel à des étrangers en matière de journalisme. On peut faire appel à eux pour avoir un éclairage, mais la clé d’explication et de lecture doit être faite par un Français.

Au total, i

M. le président : Etant entendu que votre rédaction travaille également pour Canal +.

M. Jean-Claude Paris : Oui, mais encore une fois, il est très difficile de distinguer les deux. Même en interne, il est très difficile de comprendre ce que coûte chacun. Le prix des satellites pour diffuser i

Sur ces 200 personnes, 120 sont journalistes, du rédacteur en chef au stagiaire, en passant par les chefs d’édition et les reporters. Trois de nos équipes, par exemple, sont en Irak et travaillent avec des moyens qui leur permettent de faire du bon travail, même s’ils n’ont rien à voir avec ceux de CNN.

M. le président : Je viens de la région Rhône Alpes, la deuxième région de France. Or, je ne connais pas vos correspondants.

M. Jean-Claude Paris : Pourtant, nous avons deux correspondants à Lyon et à Chambéry.

Quant au budget de la chaîne, il s’élève à 35 millions d’euros, étant entendu que nous évoluons dans une économie très étroite, mais qui fonctionne, même si nous ne disposons pas des moyens de CNN.

M. le président : Revenons à la chaîne française d’information internationale. Si nous voulons avoir une vision de la France sur l’actualité internationale, en particulier pour couvrir les événements que nous connaissons aujourd’hui, il faudrait disposer de plus de moyens que les vôtres.

M. Jean-Claude Paris : Un peu plus seulement.

M. le président : Or, nos différents interlocuteurs ont fait état de chiffres très différents, de 5 à 500 millions d’euros. Quel est votre sentiment ? Seriez-vous prêt à vous engager et répondrez-vous à l’appel à projet ?

M. Jean-Claude Paris : Nous y répondrons.

M. le président : Seul ?

M. Jean-Claude Paris : Nous discutons avec différents partenaires, tout en sachant qu’il y a un souhait de marier public et privé. Pourquoi pas ? Ce n’est pas un souci pour nous. Canal + a été fondé par des personnes qui viennent du service public et la nature de la programmation de Canal, le service qu’on rend à l’abonné font que la mentalité du groupe n’est pas caractérisée par une agressivité commerciale qui cherche à faire de l’audience à tout prix.

M. le président : Le montant de 35 millions d’euros est à comparer à celui de LCI, n’est-ce pas ?

M. Jean-Claude Paris : Oui.

M. le président : A combien évaluez-vous le budget de la future chaîne ?

M. Jean-Claude Paris : Nous sommes en train de travailler sur le projet et il existe plusieurs possibilités. Cela dit, il ne serait pas raisonnable d’être complètement indépendant de tout et de disposer d’équipes comparables à celles de CNN, Fox news ou BBC world lorsqu’elles couvrent le conflit irakien. Il suffirait d’un peu plus que 35 millions, somme qui nous permet de couvrir assez bien l’international.

M. le président : La chaîne devra diffuser en quelle langue, selon vous ?

M. Jean-Claude Paris : Elle doit bien évidemment diffuser en français, y compris dans des pays où on le parle peu. Pour autant, il me paraît difficile qu’elle ne diffuse que dans cette langue. Mais n’oubliez pas que les techniques numériques permettent de diffuser en plusieurs langues. Pour avoir beaucoup travaillé dans les pays du Nord, je peux vous assurer qu’il existe un noyau de francophiles qui seront très contents d’avoir une chaîne d’information qui diffuse en Français. En revanche, il faudra également de l’anglais, car cette langue est très bien acceptée dans toute l’Europe du Nord, de la Flandre jusqu’à la Scandinavie. C’est moins vrai pour l’Allemagne.

M. le président : M. Fagot nous rappelait lors de son audition que, pour réussir, il fallait que la chaîne soit intégrée à un bouquet. Quel est votre sentiment ?

M. Jean-Claude Paris : Je suis d’accord. Il n’y a aucune chance qu’elle soit diffusée en hertzien. A partir de là, il y a plusieurs cas de figure. Il existe certains pays où le câble est extrêmement développé, comme les Etats-Unis, mais surtout le Benelux où la chaîne, seule, pourrait avoir une certaine — 50 —

existence. En revanche, dans certaines zones géographiques comme l’Afrique du nord, l’Afrique subsaharienne ou le Proche-Orient, le câble ne représente rien, et la chaîne devra forcément être diffusée par satellite. Voilà pourquoi l’offre ne doit pas se limiter à la chaîne internationale, parce que même si elle est distribuée gratuitement, celui qui voudra la recevoir devra acheter une parabole et un décodeur numérique. Ceux qui ont une ouverture d’esprit et qui veulent pouvoir accéder à cette chaîne internationale seront confortés dans leur choix lorsqu’ils sauront qu’ils pourront avoir accès à d’autres chaînes. Un bouquet de chaînes confortera donc la présence de la chaîne internationale.

M. le président : De toutes les auditions que nous avons eues, c’est la première fois qu’on nous le dit.

M. Dominique Richard : Vous avez un savoir faire évident en matière de chaîne d’information française. Or, notre projet ne vise pas à diffuser plus largement des journaux français. Dans le cadre de la création d’un groupement d’intérêt économique alliant plusieurs opérateurs, notamment publics et privés, qu’est-ce qu’i

M. Jean-Claude Paris : Notre première compétence, c’est de savoir faire une chaîne d’information. Nous disposons de l’outil technique et humain et nous savons comment fonctionne une chaîne d’info, alliant journaux et magazines.

M. le président : Quel est le rythme de vos journaux ?

M. Jean-Claude Paris : Le rythme va du quart d’heure à la demi-heure, selon les moments de la journée. Le matin, de 6 à 9 heures, on reste au quart d’heure. Ensuite, nous avons des journaux complets d’une demi-heure, ou un mélange de journaux, de reportages et de plateaux.

Le groupe Canal + a toujours eu une mentalité très internationale. Pour ma part, je me passionne autant pour les problèmes franco-français que ceux des pays où la France est encore présente. Quel format devra avoir la chaîne internationale ? Il sera bien sûr nécessaire de renforcer le réseau de correspondants à l’étranger, de façon à avoir un regard français sur ce qui s’y passe. Il faudra également renforcer le traitement de l’actualité internationale qui concerne la France. C’est donc plus de correspondants et plus de magazines et plus de temps dans les journaux pour couvrir l’étranger et l’activité internationale de la France.

M. Dominique Richard : Dans votre esprit, la chaîne d’information internationale ne saurait donc être une chaîne news du type CNN.

M. Jean-Claude Paris : Non! Il faut du hot news et de la réflexion.

M. le rapporteur : Il y a cependant des plateaux sur CNN. Nous avons même découvert hier qu’il existait dix-sept CNN !

Vous illustrez, me semble-t-il, l’ensemble des difficultés d’une chaîne d’info. D’abord, on sait qu’une telle chaîne ne fait pas beaucoup d’audimat. Ce sera d’ailleurs une difficulté pour faire passer le message de l’utilité d’une telle chaîne. De ce côté-là, j’ai le sentiment que la vie ne vous est pas facile, dans la mesure où vous êtes partis après LCI sur un créneau particulièrement étroit. Quel pourcentage d’audimat occupez-vous sur ce créneau ?

M. Jean-Claude Paris : En France, 0,3 % contre 1,2 % pour LCI, sachant qu’on est pénalisé par le fait que nous ne sommes pas encore suffisamment présents sur le câble.

M. le rapporteur : Qu’est-ce qui pourrait vous aider à gravir des échelons ? Y a-t-il une façon éditoriale de se battre pour occuper d’autres créneaux ? Y a-t-il une manière de passer l’info ? Faut-il aller vers une chaîne qui, tout en faisant beaucoup d’info, ne fasse pas que de l’info, sachant qu’il n’est pas très facile de servir autre chose que de l’info à l’international ? Qui attend une chaîne d’info en France ? Une chaîne d’info rend-elle service à votre groupe ?

M. Jean-Claude Paris : Bien sûr ! Imaginez la situation dans laquelle serait Canal Satellite si elle ne disposait que de LCI. — 51 —

M. le rapporteur : Est-ce qu’on ne peut pas imaginer que Canal + fasse un effort sur l’info et qu’il s’en satisfasse, puisque vous répondez à une demande correspondant à 0,3 % d’audimat. Votre effort vaut-il le coup ?

M. Jean-Claude Paris : Il n’est pas remis en cause au sein du groupe, même si la chaîne a démarré difficilement et qu’il y a eu des doutes à une époque. Mais aujourd’hui, ce n’est plus du tout le cas.

Mme Sophie Barluet : Lorsque i

Par ailleurs, n’oubliez pas que le bouquet satellite ne comprend pas seulement i

Quant aux chaînes thématiques, la satisfaction de l’abonné de se quantifie pas uniquement à travers l’audimat. Il faut prendre en compte une logique d’abonnement, donc de choix, même si l’abonné les regarde moins que les chaînes hertziennes. L’univers des chaînes thématiques ne répond pas à la même logique que celle des chaînes hertziennes où le seul élément d’appréciation est l’audimat. Encore faut-il prendre en compte la satisfaction de l’abonné. Ainsi, pour une chaîne comme Canal, l’audience est beaucoup moins importante que la satisfaction que nous donnons à nos abonnés de pouvoir savoir qu’à tout moment ils pourront avoir accès à du cinéma et du sport de qualité. L’audimat est important, mais ce n’est pas le seul indice.

M. Jean-Claude Paris : Je veux vous rassurer sur l’avenir de l’information à Canal. Les recettes de i

M. le président : Je ne voudrais pas vous faire de la peine, mais avant d’assurer la présidence de cette mission, je ne connaissais pas i

M. Jean-Claude Paris : Vous n’avez pas le satellite chez vous ?

M. le président : Si.

M. Jean-Claude Paris : Et vous ne regardez que LCI…

M. le président : Oui ! (Rires)

M. Jean-Claude Paris : Nous ne sommes pourtant pas loin. Il faut suffit de zapper deux fois et vous tomber sur le canal 20 d’i

M. le rapporteur : En matière de ligne éditoriale, il est nécessaire de se singulariser dès lors qu’on n’est pas les seuls sur un créneau de surcroît étroit. Nous avons le sentiment que le créneau de la chaîne française d’information n’est pas formidablement étendu, étant donné qu’il est occupé par d’autres. Dès lors, quelle pourrait-être sa ligne éditoriale, sachant que cette chaîne devra avoir une cohérence avec la diplomatie française ? Il faut donc qu’elle soit attractive, qu’elle soit un peu agressive — 52 —

en termes commercial, qu’elle aille chercher les téléspectateurs, qu’elle soit enfin la vitrine ou le regard de la France portée sur l’actualité mondiale et une façon de présenter l’actualité française au monde.

M. Jean-Claude Paris : Il faut distinguer deux types de pays. D’abord, les pays francophones et relativement proches de nous, qu’il s’agisse du Maghreb ou de l’Afrique francophone. La ligne éditoriale est alors relativement simple : elle devra surtout s’efforcer d’insister sur la dimension internationale et sur les événements qui concernent un peu plus ces pays. En revanche, à imaginer que cette chaîne soit distribuée aux Etats-Unis, il faudra insister, en plus de la politique et de l’information internationale, sur des plages consacrées à l’art de vivre, la culture et le tourisme, autrement dit sur le côté attractif de notre pays à l’étranger. Il faut un package qui permette d’attirer les téléspectateurs à la fois sur des sujets distrayants et des sujets plus pointus.

M. Michel Herbillon : Il faut trouver le bon équilibre entre une chaîne uniquement hot news et celle qui ne diffuserait que des magazines consacrés à la France, à la vision qu’on en a à l’étranger. Jusqu’où faut-il s’arrêter ? Aux paysages, aux produits français, à la gastronomie, au vin, au patrimoine ? C’est au professionnel de l’information que je m’adresse. Il faut trouver un bon dosage – fine tuning – sauf à basculer vers une chaîne de nature différente, pour faire court, TV5. D’après vous, quel est le bon équilibre ?

M. Jean-Claude Paris : La priorité doit être donnée à l’information, même s’il faut intégrer une partie magazine. Une grille d’une demi-heure pourrait très bien débuter par l’actualité internationale, puis, lorsque l’actualité le permet, et comme le font d’ailleurs tous les journaux télévisés français, aller vers des sujets de magazines, en prenant garde qu’ils concernent bien les auditeurs à qui ils s’adressent, sachant qu’ils ne sont pas tous Français.

M. Michel Herbillon : Vous excluez donc une chaîne uniquement d’information.

M. Jean-Claude Paris : Oui, il faut aller au-delà.

M. Michel Herbillon : Et il faut attirer un public moins familier de la France.

M. le président : Quoi qu’il en soit, il ressort des auditions d’aujourd’hui que nous aurions intérêt à intégrer cette chaîne dans un bouquet. Il s’agirait d’une chaîne d’information, pour les Français de l’étranger, avec également une information nationale, des plateaux, des débats et des magazines propres à l’information.

M. Jean-Claude Paris : L’aspect documentaire et longs magazines doit être limité. Il peut parfois y avoir de temps en temps, sur un problème précis, quelque chose qui soit lié au sujet du jour.

M. Michel Herbillon : Il y a une limite.

M. Jean-Claude Paris : Absolument. Il faut aller au-delà du hot news, avec des aspects magazine, comme le font les journaux français. Le rythme de la demi-heure me paraît le bon.

Mme Sophie Barluet : La dimension débat est importante pour une telle chaîne, car il permet de donner des points de vue et des analyses. Mais bien évidemment, ces débats doivent s’inscrire dans une actualité.

M. Jean-Claude Paris : Avec toutes les possibilités de faire jouer l’interactivité.

Mme Sophie Barluet : Le champ de l’information est très large, culturel, touristique ou culinaire, et ne se limite pas à l’économique, au politique et au social. Les sujets de la chaîne sont donc très divers, mais doivent être traités sous forme informative avec des fréquences rapides (toutes les demi-heures).

M. Jean-Claude Paris : Le rythme de la demi-heure doit être le rythme régulier et naturel. Si la chaîne dispose de beaucoup d’argent, ce rythme pourra être ajusté selon les pays.

M. le président : Y a-t-il d’autres observations ?

M. Jean-Claude Paris : Je voudrais, pour conclure, tirer une petite sonnette d’alarme. Je n’ai pas l’ombre d’un doute que cette chaîne existera. En tant que citoyen, je trouve que c’est très bien. Pour — 53 —

avoir vécu de nombreuses années à l’étranger, je peux témoigner qu’une telle chaîne sera appréciée. Cela dit, il ne faudrait pas que sa création entraîne un déséquilibre du marché. Il faut prendre la mesure de l’impact qu’aura une nouvelle chaîne, qui disposera d’un budget, dans nos économies tendues à 0,3 % ou 1,2 %, sur des chaînes qui font peu appel à la publicité. Une chaîne de plus risque donc de nous faire entrer dans des zones dangereuses et nécessitera sans doute la mise en place d’un système de péréquation.

M. le président : L’inquiétude est réelle, en effet. Monsieur Paris, nous vous remercions.

——BFBF—— Audition conjointe de MM. Paul NAHON, Bernard BENYAMIN et Bruno ALBIN, journalistes à France Télévisions, accompagnés de MM. Francis Massé (RFI), Jérôme Cathala (France 3) et Jean-Baptiste Prédalie (France 2)

Présidence de M. Michel Herbillon, Vice-président

(Extrait du procès-verbal de la séance du 10 avril 2003)

M. le président : Merci beaucoup d'avoir répondu à notre invitation. Nous vous attendions à trois, vous voilà le double, abondance ne nuit pas. Vous connaissez l'objet de notre mission, nous sommes là pour vous entendre. Je vous donne la parole.

M. Paul Nahon : Merci de nous recevoir. Je voudrais vous présenter l'équipe qui m’entoure : Alain Massé, de RFI, Jérôme Cathala, de France 3, Jean-Baptiste Prédalie de France 2, Bruno Albin de France 2, Bernard Benyamin de France 2.

Avant de répondre à vos questions, laissez-nous vous expliquer ce projet de chaîne d’information internationale qui nous tient particulièrement à cœur. Coïncidence étrange, nous vous présentons le projet au moment où nous avons tous pu mesurer l'absence cruelle d’une chaîne internationale française pendant toute la durée du conflit en Irak. Avant de vous détailler l’ambition éditoriale, je voudrais vous rappeler que nous travaillons sur ce projet commun aux services publics, notamment avec RFI, depuis près de deux ans, en parallèle avec celui de la chaîne d'information nationale sur la télévision numérique terrestre. Malheureusement, ce projet a été abandonné, mais tous les travaux que nous avons accomplis à France 2, France 3 et La 5 vont nous servir pour monter cette chaîne internationale. En quelques minutes, Bernard Benyamin va vous détailler l'ambition éditoriale.

M. Bernard Benyamin : L’ambition éditoriale est triple. D’abord, c’est une chaîne française et non francophone, c'est très important. Elle doit offrir aux téléspectateurs la vision française de l’actualité. Actuellement, par manque de moyens et de volonté politique, ce sont les chaînes et les agences anglo-saxonnes qui couvrent l’essentiel de l'actualité dans le monde. Si vous voulez traiter de l'actualité internationale aujourd'hui, vous avez toutes les chances, ou tous les dangers, d'utiliser des images provenant de sources qui offrent une vision anglo-saxonne de l'actualité. Ce sera donc le premier défi de cette chaîne : briser ce monopole et offrir une alternative à la couverture de l’actualité internationale. Disant cela, je pense plus à une vision française du monde qu'il faudra mettre en avant, expliquer, exposer plutôt que de diffuser une voix de la France, ce qui nous renverrait pour le coup vingt ou trente ans en arrière. Il s'agit de donner le point de vue de la France, parfois aussi jouer de l'effet miroir, montrer aux autres comment nous les voyons.

Deuxième ambition : cette chaîne sera moderne et devra l'être sur trois plans. L'image qu'elle devra véhiculer sera celle de la France. Il faudra que, sur la forme, elle réponde à la réputation intellectuelle de la France dans les domaines de la créativité, de l'intelligence. De la même façon, elle devra présenter les réalisations françaises dans tous les domaines, qu’ils soient économiques, socioculturels. Elle devra être une fenêtre de la France ouverte sur le monde. Deuxième plan de cette modernité : la technologie. Nous sommes aujourd’hui à France Télévisions parfaitement opérationnels sur le plan numérique afin de faire fonctionner les synergies entre les rédactions de France 2 et France 3 d’une part, et la rédaction de cette future chaîne d’autre part. Nous pourrons, si vous le souhaitez, y revenir. Troisième plan de la modernité : les méthodes de travail. Tout le travail effectué en son temps pour la chaîne d'information nationale en numérique hertzien, qui n'a pas vu le jour, nous a beaucoup servi, en particulier sur la redéfinition des postes de travail, l’efficacité des équipes en reportage, le contrôle accru du journaliste sur l’image traitée. Par ricochet, cette chaîne aura une influence directe sur la modernisation du service public.

Troisième ambition éditoriale : les zones de diffusion et les langues étrangères. Il nous a semblé, dès les premiers travaux sur cette chaîne menés il y a pratiquement deux ans, que l'Europe, — 55 —

l'Afrique, le Proche et le Moyen-Orient devaient être les premières zones couvertes pour des raisons de coût et d'efficacité. La commission ad hoc mise sur pied à Matignon est parvenue à la même conclusion. Cela ne nous empêche pas de voir plus loin et de prévoir dans les années à venir une extension de la couverture à l’Asie ou aux Amériques. Sur ce registre, l'aide apportée par TV5 est fondamentale. Un calendrier a été établi, il pourra être revu, corrigé, en fonction de l’expérience acquise au cours des deux premières années de diffusion.

Concernant les langues, nous étudions toutes les possibilités offertes par le sous-titrage en temps réel, pour les journaux en particulier, en arabe et en anglais, mais aussi parfois en français. Quelques expériences de TV5 et de RFI nous montrent que parfois, il faut accompagner le discours d'un sous-titrage, y compris en français, pour accroître considérablement la part de marché ici ou là. Il nous semble aussi judicieux de se positionner dès le départ comme une chaîne internationale à part entière en prévoyant chaque jour deux décrochages linguistiques de deux heures chacun, le premier en langue anglaise pour l'Europe, le Proche-Orient et l'Afrique anglophone, le second en langue arabe pour tout le Maghreb et le Proche-Orient.

Nous avons un problème par rapport au sous-titrage, car de malheureux sténos auront à prendre et à traduire le journal en temps réel. Nous étudions actuellement toutes les possibilités offertes par un sous-titrage en temps réel. Au moment particulier du journal, quand il y a une actualité chaude et au moment où le journaliste va donner les informations, il conviendrait, en même temps, d’avoir un sous-titrage en anglais ou en arabe ou les deux en fonction des zones de diffusion. Le sous-titrage des magazines, d’une actualité plus tiède, que nous pouvons avoir avec une à cinq heures d'avance, peut être fait en toute sécurité.

J'en arrive à ma conclusion. Voilà très rapidement exposé l'ensemble du projet éditorial sur lequel nous pourrons revenir au gré de vos questions.

M. le président : J’ai une question à vous poser avant de passer la parole à mes collègues. Concernant les langues, la zone de diffusion est un sujet tout à fait crucial par rapport à la vocation que l'on entend donner à cette chaîne. Avez-vous évalué le coût des différentes formules que vous préconisez ? Si je vous ai bien compris, le journal serait sous-titré en temps réel…

M. Bernard Benyamin : Si c’est possible. Nous sommes en train de l’étudier.

M. le président : Vous n’avez pas encore la réponse.

M. Bernard Benyamin : Non, les logiciels existent. Jusqu'à présent, aucun n'arrive vraiment à sous-titrer en temps réel.

M. le président : Pour l’instant, il n'y a pas d'expérience dans ce domaine.

M. Jean-Baptiste Prédalie : Si. La rédaction de France 2 dispose d’un service dit de télétexte intervenant justement pour le sous-titrage des journaux. La rédaction de France 2 intervient également sur une édition pour les Etats-Unis avec un sous-titrage en anglais.

M. Bernard Benyamin : Mais qui n’est pas en temps réel.

M. le président : Vous indiquiez, si l’on a bien compris, d’une part pour le journal, un sous- titrage en temps réel en arabe ou en anglais, et d’autre part pour les magazines un sous-titrage décalé dans le temps.

M. Bernard Benyamin : Celui-là ne pose pas problème.

M. le président : Le premier en temps réel n’est expérimenté nulle part encore dans le monde ?

M. Bernard Benyamin : Si, il est expérimenté dans certains pays. J’en ai vu un au Brésil, il existe aussi au Québec. Il n'est pas parfaitement au point. Il offre un avantage considérable évidemment : par essence, le journal, c'est de l'actualité chaude qui se déroule au fur et à mesure que le journaliste donne les informations, parfois même pendant le journal. L'avantage est qu'il donne directement, en temps réel, la possibilité à des gens qui ne parleraient pas français l’accès à cette information et à cette — 56 —

vision française de l'actualité internationale. Simplement, il y a un laps de temps qui fait que, lorsque le journaliste termine son information, le sous-titrage continue quelques secondes avant qu’il puisse reprendre la parole. Le logiciel n'existe pas en tant que tel. D'ici à ce que cette chaîne voie le jour, il est possible que nous ayons cet instrument.

M. le président : Cette formule que vous préconisez pour le journal et qui n'est pas encore vraiment expérimentée dans le monde, la préconisez-vous pour des raisons de coût, car cela coûte moins cher que d'avoir un journal en langue anglaise ? Ce qui nous intéresse, c'est votre expérience en tant que journaliste. Pour une chaîne d’information, pensez-vous qu'il y ait un marché, une audience possible avec un journal hot news sous-titré ?

M. Bernard Benyamin : En tout cas beaucoup plus que s'il était uniquement en français, c’est clair.

M. Paul Nahon : La réponse à votre question est évidente.

La deuxième réponse que je voudrais ajouter est que dans la montée en charge de cette chaîne d’information internationale, il faudrait arriver dans les cinq ans à avoir, comme BBC World ou CNN International, des décrochages régionaux dans les pays en question. CNN International et BBC World, qui sont nos deux grands exemples depuis une dizaine d'années, ont ouvert des bureaux régionaux dans les pays et dans la langue qu’ils veulent toucher. C'est ceci la force considérable de BBC World et de CNN International. Cette dernière est positionnée à Hong Kong avec 20 à 30 personnes selon l’actualité et fait chaque jour des décrochages régionaux en anglais. Idem en Amérique latine avec l'espagnol. Vous avez vu le projet de CNN International en France dont on parle un peu comme un serpent de mer, mais qui peut exister. Si CNN International avait un décrochage en France, ce serait en français.

M. Bernard Benyamin : Je pense qu’il ne faut pas dissocier le sous-titrage du journal – si nous arrivons à le faire – et ce que j'ai appelé les deux décrochages en deux langues. Ce sont vraiment deux armes pour la même finalité. Une simple traduction littérale d'un journal ou d'un commentaire par rapport à un reportage, d'une langue à une autre, se fait vite et à moindre coût, mais cela ne répond pas au besoin de tel ou tel pays ou public. La culture, les modes de pensée ne sont pas les mêmes. Il ne peut donc s'agir de simples traductions si l'on veut vraiment s'adresser à ces gens-là. Il faut faire une adaptation et donc, forcément passer par ces deux décrochages linguistiques dont je parlais. C'est pourquoi nous avons d'un côté le sous-titrage pour le journal et de l'autre côté les deux décrochages concernant l'anglais et l'arabe. Ce sont deux choses parallèles qui visent le même objectif.

M. Jérôme Cathala : Le sous-titrage peut permettre également à ceux dont le français n'est pas la langue maternelle de mieux le comprendre. C'est, de notre point de vue, une façon de soutenir la diffusion de la langue française. Ce ne sera pas un sous-titrage complet, ce sera une synthèse des propos du journaliste. D’une certaine façon, cela soutient l'entendement d'une langue qui n'est pas toujours la langue d’origine d’une grande partie de notre public potentiel.

M. Christian Kert : La langue est la question essentielle que nous essayons de résoudre. Vous prenez l'exemple de CNN, vous savez comme nous qu'il y a plusieurs CNN. On ne s’oriente quand même pas vers la création de plusieurs chaînes de télévision françaises. On aura déjà suffisamment de difficultés à en créer une. Pour être précis : il y a un problème de traduction simultanée ou légèrement différée. Mais y a-t-il, dans votre idée, des rédactions régionales ou un bureau central suffit-il à tout redistribuer ?

M. Paul Nahon : Non. Votre question est liée à des problèmes de coût. Notre but ultime, après une montée en charge de cinq ou six ans, est d'avoir des décrochages régionaux. Dans un premier temps, pendant cinq ans au moins, je pense qu’une seule rédaction suffit. Si l'on décidait de faire deux ou trois heures avec une montée en charge très claire et précise sur le temps en cinq ans, avec des acteurs et des journalistes espagnols ou anglais, le surcoût serait immense. Nous avons calculé que deux à trois heures par jour nécessitent une vingtaine de journalistes et de techniciens en plus par langue.

Deuxième point important, il ne faut pas se cacher cette réalité : trouver vingt journalistes parlant parfaitement l'anglais ou l'arabe en France est un problème assez pointu. C'est cela le problème. Bien entendu, l'idéal, pour répondre à votre question, est d'avoir une rédaction qui soit le pivot, le socle de cette affaire, avec environ trois rédactions, une en français, une en anglais, une en arabe, qui émet sur des canaux différents pour faire passer cette chaîne internationale. — 57 —

M. le président : Dans votre esprit, le format que vous avez décrit, avec les deux décrochages linguistiques de deux heures chacun, l'un en langue anglaise, l'autre en langue arabe, vous l'imaginez à partir d'une rédaction unique implantée en France. Vous dites que c’est dans une seconde étape, quand il y aura une montée en charge, qu’il faudra mettre en place des bureaux régionaux. Cela veut dire que pour cette première période et ces deux décrochages linguistiques, il vous faut aussi recruter des journalistes arabes et anglais.

M. Bernard Benyamin : Une vingtaine pour chaque langue.

M. le président : Avez-vous chiffré le coût ?

M. Bernard Benyamin : Nous sommes en train de le chiffrer. Il faut prendre en compte les journalistes, mais aussi les techniciens et l'utilisation d'un studio Nous y arrivons. Pour être sincère, il est clair que pour des raisons d'économie, il aurait mieux valu commencer uniquement en français, ensuite avec une montée en charge sur un ou trois ans, commencer à émettre dans une autre langue avec des décrochages en anglais ou en arabe. Il nous a semblé que pour exister en tant que chaîne française internationale, il fallait dès le départ se positionner en français, mais aussi avec des décrochages en anglais et en arabe, quitte à rogner le surcoût à droite et à gauche par rapport à l'enveloppe budgétaire qui nous sera allouée pour faire exister cette chaîne dès son démarrage.

M. Paul Nahon : Et pour donner un plus à cette chaîne évidemment.

M. Dominique Richard : C'est la réflexion de la Société des journalistes de France Télévisions. Quel est le débat au sein de France Télévisions ? J'ai perçu des auditions précédentes, notamment de la direction générale de France Télévisions, que l'on s'orientait plus dans un premier temps vers une chaîne francophone. Le débat est-il abouti en interne ou est-ce quelque chose qui vous est propre ? Je trouve que vous êtes plus ambitieux. D'ailleurs, cela me convient mieux.

M. Bernard Benyamin : Je réponds très précisément à votre question : le débat est abouti à France Télévisions. Ce que nous proposons aujourd'hui avec enthousiasme et passion est le fruit du travail accompli depuis deux ans entre France 2 et France 3 et depuis six mois avec RFI et TV5. Il nous semble que c’est la meilleure des choses. Il n'y a pas de débat là-dessus à France Télévisions.

Le problème fondamental qui nous est posé par rapport à cette chaîne est qu'elle n'est pas hertzienne. Elle est par câble et satellite. Cela veut dire – ce que l’on oublie trop souvent – que le projet doit être suffisamment attractif, important, stratégique et avoir suffisamment de contenu pour que des équipes de commerciaux aillent le vendre en Afrique, en Europe et au Moyen-Orient. Si je suis câblo- opérateur en Afrique ou au Moyen-Orient, je me demande ce que cette chaîne m’apporte de supplémentaire. Il s’agit là de faire du business. Nous, les journalistes, ne sommes pas habitués à en faire en France ; nous avons commencé à l’apprendre, mais là il faudra vendre cette chaîne. Je suppose que le patron des hôtels Hilton à Abu-Dhabi me dira qu'il a déjà TV5, CNN, BBC World et me demandera ce que je lui apporte de plus et le surcoût pour lui par rapport à une chaîne qui ne lui apporte rien. Il faudra donc être très ambitieux, réalistes au niveau du budget, mais très pointus sur ce que nous apportons.

Pour résumer, c'est une chaîne francophone au départ, sous-titrée, avec quatre heures par jour au moins (deux heures en arabe et deux heures en anglais) de décrochages régionaux avec sous-titrage. Il n'y a pas de débat à France Télévisions et à RFI qui nous a beaucoup aidé dans cette affaire. Un point de détail nous a fait sourire quand nos collègues de RFI nous l’ont dit, mais il est frappé au coin du bon sens. Eux, qui ont l'habitude de s’adresser en Afrique, au Moyen-Orient et dans le monde entier, nous disent par exemple qu’il faut parler très lentement. C’est une chaîne internationale. Particulièrement en français, il faut parler excessivement lentement.

M. Paul Nahon : A RFI, ils ont un journal du français facile.

J'évoquais tout à l'heure le sous-titrage en français. L’expérience de TV5 en la matière montre que, selon les zones de diffusion, la chaîne a doublé sa part de marché uniquement en sous-titrant en français ses émissions, elles-mêmes françaises. Ce sont des choses qui doivent nous interpeller. C'est pourquoi je parlais de sous-titrage en anglais et arabe dans la mesure du possible, mais aussi parfois en français. Cela aide beaucoup. — 58 —

M. Pierre-Christophe Baguet : Justement, je voulais aborder cet aspect marketing. Ce n'est peut-être pas votre équipe qui a abordé ce sujet, mais j’imagine qu’à côté de vous sur ce sujet, il y a peut- être eu des réflexions, des démarches engagées parce que ce n’est pas simple. On sait que BBC World, ce sont 900 accords internationaux de diffusion, et même 1 500 pour TV5. Allez-vous travailler en synergie avec TV5 ?

M. Bernard Benyamin : Avec TV5, c'est déjà fait.

M. Paul Nahon : Je laisse la parole à Jean-Baptiste Prédalie, pour répondre à votre question sur les acteurs avec lesquels nous avons travaillé pour cibler la stratégie, l'éditorial, mais aussi la distribution et le problème extrêmement complexe des satellites. Sur quels satellites allons-nous par rapport à notre zone de diffusion ? Chaque fois que l'on prend une décision stratégique de prendre tel ou tel satellite, c'est un surcoût énorme.

M. Pierre-Christophe Baguet : Pourriez-vous nous présenter une grille quotidienne et hebdomadaire ? Je suppose que cela a un lien direct avec la commercialisation.

M. Paul Nahon : Tout est prévu. Mais nous nous sommes arrêtés après l'éditorial.

M. Pierre-Christophe Baguet : C'est une question de moyens pour la grille aussi.

M. le président : Je vous propose, avant de parler de la grille, que vous nous parliez aussi des synergies entre les différents acteurs et de la manière d'envisager ces synergies avec d'éventuels redéploiements. Vous avez évoqué TV5. Quel est son rôle dans ce dispositif ? Quel est celui de RFI, de CFI, etc. ? Il est important de vous entendre à ce sujet.

M. Jean-Baptiste Prédalie : Pour approfondir votre information, je dois vous dire que depuis que nous travaillons sur ce projet, notre maître-mot est celui de synergie.

Deuxième point, il faut préciser que le projet émane d'un travail réalisé en commun par les équipes de France Télévisions et de Radio France Internationale. Cela répondait à une volonté commune des présidents des deux sociétés, Marc Tessier et Jean-Paul Cluzel. Ce travail procède aussi de nombreux contacts avec tous les acteurs de l'audiovisuel susceptibles de participer au projet sous une forme ou sous une autre.

A titre de rappel – pardon pour M. Kert qui a déjà dû l’entendre lors du conseil d’administration de France Télévisions – sont intervenus France Télévisions, Radio France Internationale, mais aussi l'Agence France Presse, TV5, CFI, Euronews et le Réseau France Outre-Mer. Si l'on reprend cette liste en la détaillant, les rédactions de France 2 et France 3 apportent leurs ressources rédactionnelles et techniques – Jérôme Cathala précisera aussi notre propos – leur savoir-faire en matière de traitement de l'information et aussi leurs magazines. Nous disposerions de ressources déjà importantes.

Radio France Internationale – Alain Massé vous le précisera – dispose d'un réseau de correspondants à l'étranger et apporte une expertise des spécialistes de ses rédactions parisiennes. RFI, par nature, a tissé des liens qui peuvent se révéler précieux pour ce projet avec les représentations diplomatiques françaises dans le monde. C'est un terrain connu.

Troisième partenaire : l'AFP. Sans vous accabler de chiffres, je vous rappelle sa présence dans 165 pays, 116 bureaux locaux, 5 grandes directions régionales. Pour ce qui nous occupe, il convient de souligner l'importance du réseau journalistique, technique, commercial mais aussi logistique et immobilier de l’AFP. Je parle à dessein du réseau logistique et immobilier pour des raisons de synergie, de regroupement éventuel. Dans le cadre de la création de bureaux partout dans le monde, cela peut être très utile.

Avec TV5, on entre dans le côté distribution que vous évoquiez. C’est la distribution internationale.

Canal France International vaut également pour son réseau de distribution, particulièrement en Afrique. — 59 —

L'expérience d'Euronews nous est utile en matière de multilinguisme et du traitement de l'actualité européenne, dimension importante pouvant être utilisée.

Enfin, RFO nous apporte sa présence dans les départements et territoires d’Outre-mer. Cela permet d'envisager un apport d'images et de reportages. Je pense à des zones telles que les Caraïbes, l’Océan Indien, l'Afrique Australe. Quand on pense par exemple à la situation de RFO à La Réunion, il y a un champ d’action qu’ils utilisent déjà, mais qui peut être un apport pour cette chaîne d'information internationale.

Je parlais de synergie en commençant. A l'évidence, le simple exposé des partenaires possibles démontre que tout est là pour réaliser cette synergie. Mais il faut insister sur un point : cette synergie dot être envisagée de façon souple. Les partenaires du service public s'engageraient dans le projet de chaîne internationale davantage avec l'idée d'un réseau à fédérer que de structures accumulées. Il faut penser la faire de manière souple avec des points de contact. A mon avis, on a une bonne idée de ce que peut être la chaîne d’information internationale. Utiliser les synergies d’un réseau souple rejoint les recommandations de votre rapport spécial sur l'audiovisuel pour la loi de Finances, particulièrement les recommandations sur la politique audiovisuelle extérieure de la France. A la dispersion, à la sous-utilisation des ressources techniques et en personnel maintes fois soulignées par vous, par la Cour des Comptes notamment, le projet de tous les partenaires répond avec une stratégie d'ensemble qui nous paraît cohérente et par l'élaboration d’une structure simple, rationnelle et efficace.

M. Francis Massé : Comme l’ont répété mes collègues, les équipes de France Télévisions ont travaillé depuis quelques années déjà sur ce projet.

S'agissant de RFI, le Président Cluzel a déposé un dossier Télé-RFI il y a sept ans. Depuis, c’est une préoccupation si ce n’est quotidienne, du moins récurrente. Depuis un an, je suis chef du projet de chaîne d'information internationale. Il y a six semaines, quand nous avons commencé cette collaboration à l’initiative des présidents Tessier et Cluzel, nous avons regroupé les personnels concernés de France Télévisions et de RFI en cinq groupes de travail. Chacun d'eux s’est réuni à six reprises. Les réunions ont été longues et laborieuses parfois. Aujourd’hui, elles permettent de faire un premier constat : on a l'impression que le fait de rassembler les opérateurs publics se heurterait au problème insurmontable des synergies. On traîne depuis quelques années une image d’opérateurs publics ayant du mal à travailler ensemble. Certains évoquent même le principe de chasse gardée. On s’est rendu compte au fur et à mesure des réunions qu'il y avait des cultures de l'international, de la télévision qui étaient complémentaires entre les équipes de France Télévisions et de RFI.

Pour être franc avec vous, tout ce qui a été dit par mes collègues de France Télévisions peut être repris pour le compte de l’ensemble de mes collègues de RFI. Je serais tenté de dire que la mayonnaise a pris avant même que la tutelle ne décide de confier le dossier aux opérateurs publics. Cette synergie s’étendra encore à différents opérateurs publics. Mais permettez-moi de revenir sur la culture de l’international de RFI en deux mots et peut-être quatre volets.

Le plus apparent est l'apport de la rédaction qui possède une véritable culture de l'international, s'agissant de la mise en perspective de l’information, de la simplicité du ton. Il y a un ton RFI qui fait qu'en Afrique particulièrement, on ne considère pas les journalistes de RFI comme des vedettes du show- biz, mais comme des et des professionnels. C’est une vraie vision que vous pouvez remarquer notamment en Afrique de l'Ouest des journalistes de RFI.

Cette rédaction est composée de 350 correspondants à travers le monde, friands de participer à ce projet de chaîne de télévision internationale et également de vingt rédactions en langues étrangères permettant en interne au niveau de RFI d'assurer cette synergie des rédactions.

Deuxième volet de la culture de l’international à RFI : l’aspect développement. Mes collègues ont souligné qu'au niveau des affaires internationales, RFI a effectivement une relation quotidienne avec l’ensemble du réseau diplomatique…

M. le président : Je vous rappelle que nous avons auditionné M. Cluzel. L'objet de la réunion de ce matin est d'aller au-delà.

M. Christian Kert : Qu’est-ce que RFI va apporter à ce projet ? — 60 —

M. le président : On sait ce qu’est RFI. En quoi y a-t-il une synergie possible et qu’apportera RFI à ce projet ? Très rapidement, parce qu’après, je veux passer la parole à M. Mathus.

M. Christian Kert : C'est l'idée de mutualisation de vos moyens.

M. Paul Nahon : Je vais répondre. Nous, France Télévisions, avons commencé à travailler avec RFI de façon claire et précise parce qu'au niveau de la structure de la grille, ils vont nous apporter la connaissance des fuseaux horaires, de l'Afrique, du Moyen-Orient et une certaine connaissance sur l'international.

Il faut parler clairement : ils sont intéressants pour leurs correspondants à l'étranger. M. Alain Massé a cité leur nombre. Vous imaginez le réseau, la toile tissée à travers le monde pour réagir, à chaque moment de la journée. Notre grille comporte des journaux d'une demi-heure à heure fixe. Toutes les demi-heures, s’il se passe quelque chose dans la seconde, on peut avoir quelqu'un de RFI d'abord au téléphone, ensuite en télévision, en live devant une caméra de télévision. C'est un apport formidable de RFI.

Il ne faut pas oublier non plus que ce sont aussi des spécialistes extrêmement pointus dans les langues. RFI émet en dix-neuf langues. Ce sont aussi des spécialistes de politique étrangère de l'ouest du Kenya à l'Afrique du Sud, à l’est du Bangladesh. Ce sont des gens extrêmement pertinents.

Nous pensons que l'ambition de cette chaîne d’information – nous y tenons beaucoup avec Bernard et Bruno – est d'être extrêmement pointue sur ce qui sera dit. Nous avons malheureusement des exemples qui nous ont précédés, à savoir CNN et BBC World. Si c’est pour lancer une petite chaîne qui va tripatouiller et faire quelque chose de pas très bon pour exister au départ, à notre avis, ce n'est pas la peine de le faire. Il nous faut être modernes, puissants et pour la rigueur journalistique, être au niveau de nos confrères de BBC et CNN qui sont extrêmement forts. Dans notre esprit, on se rapprocherait plus des gens de BBC World.

On ne parle pas d'idéologie, ce n'est pas le problème. Au niveau de la BBC, nous avons adopté leur rythme, nous y avons pensé sans les voir ni les consulter. Nous sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait respecter les rythmes de la BBC, à savoir un journal d'une demi-heure, 26 minutes exactement à partir de l'heure (de 10 h à 10 h 30, de 11 h à 11 h 30), ensuite une partie de 10 h 30 à 11 h de magazine ou de talk-show. Cela permet pendant une demi-heure de faire toute l’actualité chaude en faisant appel à des spécialistes, avec des chroniqueurs et des images. Alors, votre question sur les synergies est capitale pour nous : dans le journal, toutes les demi-heures – c’est un rythme effréné – on se resservira des images tournées par France 2 ou France 3. On n'a plus de problème. C'est un point capital qu'il faut que vous compreniez, certains d’entre vous le savent déjà. Avec le système que nous avions monté sur la chaîne nationale, la TNT, nous pouvions avoir en même temps que nos confrères de France 2 et France 3, la chaîne d’information internationale ou les stations régionales, la même image au même moment et l'utiliser à la seconde. Tout est mutualisé en réseau informatique et ces images peuvent aller tout de suite à l'antenne.

Il y a donc un bassin d'images inexploitées, à France 2 et France 3, qui ne sont jamais diffusées à l'international. Actuellement, une fois diffusées, elles ne servent plus à rien. Cette chaîne, en synergie, avec des économies, va redistribuer, redéployer ces images en plus de celles des équipes propres de la chaîne d’information internationale qui serviront à faire les reportages sur lesquels ne seront pas France 2 et France 3.

M. le président : Cette mutualisation de l’image, vous l'imaginez avec France 2 et France 3 ?

M. Bernard Benyamin : Éventuellement avec TV5.

M. Paul Nahon : Pourquoi et comment travaille-t-on avec TV5 ? Avec les responsables de la rédaction et M. Serge Adda, nous n'avons rien finalisé. Mais cela se passe dans un esprit tellement constructif que tout est imaginable.

Pour la distribution, ils sont beaucoup plus forts que nous. Nous essayons de faire avec eux une sorte de GIE pour vendre à l'international non pas une chaîne TV5, mais deux chaînes complémentaires, la chaîne internationale et TV5, une chaîne généraliste qui diffuse de l'information par la reprise des — 61 —

journaux de France 2 et France 3, du Québec, etc. Ils ont une expérience en distribution colossale. Faire deux chaînes pour le prix d'une, si j’ose dire, est un atout formidable.

Deuxième point important avec TV5 : ils ont aussi, mais moindre que la nôtre, une expérience au niveau de l'information. Ils ont une petite rédaction de 30 personnes. Nous avons proposé à Serge Adda de mutualiser toutes nos images et toutes nos équipes. Si cela peut les décharger pendant une période de l’année ou pendant un temps très précis d'arrêter de faire de l'information et de reprendre le signal de la chaîne internationale, c’est avec grand plaisir. Leurs journalistes qui sont aussi pointus sur l'international viendront travailler dans notre rédaction.

M. Bernard Benyamin : Je précise que M. Serge Adda tient absolument à continuer sa chaîne généraliste telle qu'elle existe. Il faut le préciser parce que s’il nous entend, il va dire : attendez… Simplement, il était entièrement d'accord de mettre à notre disposition tout son réseau de distribution. De la même manière, à partir du moment où sa rédaction produit des mini-magazines, il est prêt à nous les donner, à nous les offrir. En contrepartie, si demain il se passe un deuxième 11 septembre ou une deuxième guerre en Irak, nous sommes prêts de notre côté à lui offrir notre signal, afin que sans passer par des chaînes généralistes, France 2 ou France 3, une chaîne canadienne, belge ou suisse, il puisse se brancher sur notre signal et retransmette en direct sur TV5 tous les événements qui se passent dans le monde.

M. Jérôme Cathala : Je voudrais revenir sur la synergie France 2 et France 3. Quelquefois, des questions peuvent se poser. Pour préciser ce que vient de dire M. Nahon, France Télévisions est le premier producteur d'images à l’échelle française avec les deux rédactions France 2 et France 3, et les bureaux régionaux dont une partie des images peuvent être intéressantes pour diffuser à l'étranger ce qui se passe en France dans tous les domaines de l’actualité. Il y a aussi tous les onze bureaux à l'étranger dont l'un est déjà mutualisé, celui de Bruxelles. C’est déjà un bureau France 2-France 3. Cette mutualisation a déjà débuté.

Il est dans l'esprit de leurs présidents et de la direction de France Télévisions, d'aller de plus en plus loin de façon progressive, de mutualiser de plus en plus de services. Cela existe dans le domaine du sport. D'autres services qui paraissent moins intéressants, mais qui sont très importants au jour le jour comme celui de la documentation et de l’archivage par exemple sont déjà mutualisés. Les dirigeants veulent aller vers une mutualisation progressive, pour ne pas heurter, mais la volonté est là.

Les bureaux de France 2 et France 3 à l'étranger produisent de temps en temps pour les journaux de 20 heures ou de 13 heures de leurs chaînes, mais ils aimeraient et souhaiteraient produire beaucoup plus. Ils ont la capacité de production d'images nouvelles pour cette chaîne internationale liée à leur expertise dans la région. Ces bureaux deviendraient des bureaux régionaux qui pourraient aller plus loin que la simple capitale dans laquelle ils sont installés et en même temps, produire de longues minutes de produits nouveaux uniquement pour cette chaîne internationale. Outre l’expertise, le responsable du bureau régional pourrait intervenir en direct sur la chaîne internationale, si l’actualité le justifie.

Il faut bien entendu des règles précises pour savoir à quel moment les images vont de préférence vers une chaîne France 2 – France 3 ou la chaîne internationale. Ces règles sont établies entre nous, et dans un groupe unique, c'est plus facile.

M. Didier Mathus : Je serai dans le droit fil de ce débat. On a parlé des synergies entre France Télévisions, TV5, RFI. On n'a pas parlé de RFO. Je souhaiterais que vous nous en disiez un mot.

Deuxièmement, ce projet ne serait-il pas l'occasion de remettre de la cohérence dans tout le dispositif public d'information, y compris au sein de France Télévisions, entre les deux rédactions de France 2 et France 3 afin que chacun ait un rôle clair et net ?

Au fond, troisième élément de la question, les deux grands précédents, CNN et BBC, s'appuient sur des chaînes toute information domestique. N'y a-t-il pas absurdité économique d’envisager en France une chaîne internationale qui ne soit pas adossée à une chaîne d’information continue domestique ?

M. Bernard Benyamin : Pourquoi vous acharnez-vous sur une blessure pas encore refermée ? — 62 —

M. Jean-Baptiste Prédalie : RFO a ses stations dans des endroits pouvant, à notre avis, servir de point de départ à un rayonnement. Je prenais l’exemple concret de la station de La Réunion qui réalise des reportages au-delà de l’île même de La Réunion. Les premières, et rares, images de Madagascar ont été tournées par les gens de RFO de La Réunion. Il semble dans ce cadre qu'il puisse être envisageable, possible et même souhaitable qu'il y ait cette mise à disposition de ce que fait RFO pour la chaîne d’information internationale. C’est vrai aussi pour la zone Caraïbes. Il y a là, même pour RFO, une manière d'utiliser encore mieux leurs implantations et leurs ressources.

M. Jérôme Cathala : Il est même prévu d'utiliser et de mutualiser les images de l'AITV, l’agence internationale de RFO. Ce sont des accords en cours, c'est prévu et en discussion avec RFO.

M. Bernard Benyamin : Sur la modernisation du service public, je vois à quoi vous pensez. Beaucoup de gens ont cette image à l'esprit qui est celle des rédactions de la BBC. Elle opère avec une rédaction unique servant un certain nombre de chaînes.

M. le président : Pour toutes les chaînes domestiques et BBC World.

M. Bernard Benyamin : Y compris la radio. Dès qu'un reportage est fait, la première qui doit diffuser prend le reportage et chacun fait son marché parmi tous les reportages et les reporters présents sur la chaîne. Ce n'est pas le cas à France Télévisions. Ça le sera peut-être dans quelques années. Il est vrai que cette modernisation du service public, pour le moment, est faite essentiellement au niveau de la communication entre les rédactions. On vous en a parlé aussi à propos du numérique. Un reportage arrivant sur France 2 pourra être demain utilisé immédiatement sur cette chaîne d’information ; de la même manière pour un reportage de France 3.

La question s'adresse à nos présidents. C'est une volonté politique qui serait mise en œuvre, mais qui dépend uniquement d'une volonté et qui s'adresse aux présidents. Nous ne pouvons pas vous dire grand-chose là-dessus. Y aura-t-il demain un rapprochement des rédactions de France 2 et de France 3 ? On entend parler régulièrement de cette rumeur, mais ce n'est pas tangible pour le moment.

M. Jérôme Cathala : Notre rôle n'est pas d'aller trop loin parce que c'est une décision des présidents. Mais il y a vraiment cette volonté. Je suis à France 3, on en entend parler tous les jours. C'est une discussion entre journalistes. L'exemple de la BBC est dans la tête de chacun. Il y a un problème d'efficacité. Cela n'empêchera pas que chaque journal de chaîne ait sa propre identité. Cette discussion est de plus en plus présente à l'esprit des journalistes à l’intérieur des rédactions. Elle est également à l'esprit de notre PDG, mais je ne peux pas aller plus loin. Quand je parlais tout à l’heure de rapprochement progressif à moyen terme d'un certain nombre de moyens, il était sous-entendu que l’exemple de la BBC est derrière tout cela.

Au plan technique, il faut préciser que la numérisation des deux rédactions France 2 et France 3 est en cours avec le même système, avec un branchement prévu pour que toutes les images soient à disposition. Même si ce n'est pas fait sur le papier, ce sera fait dans la réalité.

M. Jean-Baptiste Prédalie : Un projet nouveau induit des façons différentes et parfois nouvelles de travailler. Je pense à des réflexions en cours et même à l’œuvre dans nos sociétés sur la polycompétence. Il s'agit d’une manière de faire évoluer les métiers techniques, mais aussi, au niveau de l’activité journalistique, de travailler différemment. Il nous semble que ce projet est une opportunité pour cette évolution.

M. Pierre-Christophe Baguet : Sur la synergie, Paul Nahon a cité l'AFP. Mais l’AFP n'a pas la culture de l'image. Comment allez-vous travailler avec eux ? C’est vrai qu’ils ont un réseau mondial très étendu. J’aimerais aussi que vous reveniez sur la grille quotidienne et hebdomadaire.

M. Bernard Benyamin : Sur la troisième question, nous sommes d'accord avec vous : on aurait dû s'appuyer sur une chaîne nationale d'information.

M. le président : Il connaissait déjà la réponse. — 63 —

M. Bernard Benyamin : Du reste, nous avions déjà fait toutes les études nécessaires lorsque nous étions en train de travailler sur la chaîne d’information hertzienne, 24h/24h en France, pour nous permettre d'adosser à cette chaîne une chaîne internationale.

M. Didier Mathus : Imaginons que cette chaîne internationale voie le jour. N'en viendra-t-on pas à conclure que tout ce matériel peut se décliner sur une chaîne d'information nationale et que c'est une absurdité économique d'imaginer simplement cela ?

M. Bruno Albin : Il y a le caractère émotionnel de votre question pour nous trois car nous avons travaillé très dur sur ce projet, mais il y a aussi le côté pratique de la chose.

Ce projet de chaîne internationale qui nous occupe vraiment aujourd'hui très sérieusement, de même que l'ancien projet sur lequel nous avons travaillé, sont des projets qui ont été conceptuellement possibles et qui le sont, parce que nous vivons dans un temps où il y a une véritable révolution du partage de l'image qui est en train de s’organiser. On peut imaginer des partages structurels comme celui de la BBC. Il faut savoir que, depuis deux ans, France Télévisions – je m’excuse, nous sommes dans un dossier franchement très France Télévisions – a travaillé sur l'évolution de la colonne vertébrale informatique de sa maison pour mettre en commun tous les matériels images possibles et imaginables au service d’une chaîne d'information d'abord nationale et peut-être internationale.

M. le président : N'était-ce pas aussi très lié à l'arrivée de la TNT ?

M. Bruno Albin : Absolument ! Il y a deux choses différentes : la structure de production et tout le réseau de diffusion. La TNT, c'est la diffusion. La chaîne à laquelle nous avons pensé aurait pu être diffusée sur un satellite ou sur le câble ou d’une manière hertzienne classique.

Aujourd’hui, nous avons affaire à des réseaux de serveurs qui génèrent des flux circulant très simplement à l'intérieur de l'entreprise, entre France 2, France 3, une chaîne internationale. Il faut savoir que nous avons choisi des matériels, à l'époque où il était encore question de la chaîne TNT, fournis par la même maison, la société AVID. Au lieu d'équiper trois chaînes, seules deux l’ont été, mais si la chaîne internationale voit le jour à France Télévisions, naturellement, on n’aura plus qu'à connecter un équipement AVID au réseau actuellement en place.

On parle de modernisation du travail à France Télévisions. A France Télévisions, nous avons deux grandes rédactions, celle de France 2 et celle de France 3. Elles sont un peu concurrentes, même si elles échangent énormément de choses. Elles ont chacune un système d'acquisition d'images. Nous pensons, nous l'avions proposé et c’était acté pour la chaîne hertzienne d'information, qu'il faut travailler en commun. Le travail d'acquisition des images ne doit pas être multiplié par trois. Au contraire, on peut gagner énormément en efficacité en concentrant ce travail.

Il y a ainsi toutes sortes de choses permettant de faire évoluer les modes et les process de fabrication qui peuvent profiter à la chaîne d'information internationale.

M. Bernard Benyamin : Je veux ajouter une chose par rapport à une chaîne d'information nationale. En dehors de ce que nous avons dit, ce serait une erreur de penser que le résultat à l'antenne d'une chaîne nationale puisse être transposé littéralement à l'international. Cela n'a strictement rien à voir. La façon que nous aurons de nous adresser à un public en dehors des frontières françaises ne sera pas du tout la même par rapport à une chaîne s'adressant uniquement à des Français. C'est capital. Si l'on pense qu'une chaîne d’information nationale peut aider une chaîne internationale à prendre son envol, c'est peut- être vrai au début. Très vite, on s’aperçoit de ses limites et l’on est obligé de remettre sur pied une rédaction entière avec des moyens propres pour produire cette chaîne d’information internationale.

M. Bruno Albin : Avant de répondre sur l’AFP, je voulais dire la manière dont nous avons conçu la rédaction de la chaîne internationale entre les rédactions de RFI et de France Télévisions. On a évoqué l'apport en images des rédactions de France Télévisions. Cela représente 70 reportages par jour produits par les rédactions nationales de France 3, auxquels il faut ajouter 300 reportages d'intérêt régional produits par les stations de France 3 en région, où souvent il y a un regard régional sur l'actualité nationale et parfois même sur certains aspects de traitement de l'actualité économique internationale. — 64 —

Nous pensons qu'il n'est pas nécessaire – ce n'est pas contradictoire avec les propos de Bernard – de créer au départ une rédaction numériquement énorme supplémentaire au sein du service public d'information. Au contraire, il est très important d'organiser le dialogue entre la rédaction de la future chaîne internationale et celles des chaînes existantes. Il y aura une structure de coordination qui nous permettra de savoir d’une part, au jour le jour, quelles sont les images entrant dans le système de collecte du service public et d'autre part, qui permettra – on pourra le développer si vous le souhaitez – d'organiser l'intervention des experts journalistes de Radio France Internationale et des spécialistes de France Télévisions sur cette chaîne.

L’AFP n'a pas d'expérience du traitement de l'image, elle dispose d'un service vidéo, jeune, qui travaille pour un certain nombre de clients de l'Agence France Presse, notamment Bloomberg. C’est un service très nettement orienté sur le traitement de l'actualité économique, mais ce n'est pas vraiment un service de reportage. A l'époque de nos premiers contacts avec RFI, et la question est identique, on avait évoqué la possibilité d'équiper plusieurs bureaux de l’AFP à l'étranger avec des caméras. Le problème est qu'il s'agit de deux métiers complètement différents. L’Agence France Presse est la première à en convenir. Les contacts que nous avons eus avec la rédaction de RFI aboutissent également à cette même constatation. Dans un certain nombre de cas – cela a été fait sur RFI, l’AFP envisage de le faire – il y a eu des formations de certaines personnes sur place. Mais ce personnel doit être dédié, ce qui est très coûteux pour RFI et l’AFP. On va peut-être aller ici et là dans cette direction, mais pour l'instant, ce n'est pas vraiment quelque chose sur quoi on peut compter pour assurer une collecte globale d'images au bénéfice de la chaîne internationale.

M. le président : Comment voyez-vous cette synergie avec l’AFP ?

M. Bruno Albin : L’AFP a une compétence à Paris pour traiter de l'actualité internationale. Comme nous n'envisageons pas de créer un énorme service économique à l’intérieur de cette chaîne internationale, nous pensons que ce bureau d’AFP Vidéo peut, en accord éditorial avec la chaîne internationale, produire un certain nombre des émissions que la chaîne mettra à l'antenne pour la couverture de l'actualité économique.

Nous avons interrogé l’AFP sur deux points :

- le suivi de l'évolution des marchés boursiers et financiers. Un service de l’AFP couplé à un système de mise en image des chiffres qui évoluent au fur et à mesure peut permettre d'introduire l’AFP dans notre structure de production ;

- un magazine économique que nous souhaitons faire nous permettra de recueillir l'opinion des grands acteurs de la vie économique et de diffuser des reportages pointus sur différents sujets de l’actualité économique.

M. Bernard Benyamin : Plus tous les correspondants.

M. Bruno Albin : Ensuite, il y a naturellement un gros réseau de correspondants de l’AFP. Nous sommes arrivés à l’idée que l'on pourrait envisager de passer un contrat de client privilégié entre la chaîne internationale et l'agence. Ce contrat nous permettrait de bénéficier d'un accès logistique à l’AFP, des chroniques AFP audio – même CNN a recours à des chroniques audio, car il n'y a pas toujours des satellites disponibles à tout instant pour transmettre de l'image – d'avoir recours à leur connaissance du terrain et à des invités qu'ils peuvent nous indiquer pour mettre soit au bout d’un téléphone, soit au bout d’un satellite. Ce sont toutes sortes de choses que l’AFP sait déjà faire et auxquelles elle nous permettrait d'accéder d’une façon privilégiée parce que nous aurions, aux termes de ce contrat, une sorte de droit de tirage privilégié sur l'activité des bureaux, déjà très chargés en activités à l’AFP.

M. Dominique Richard : Jérôme Clément, et c'est bien son rôle, nous a dit que l'information ne se résume pas à l'actualité. En ce sens, ARTE et France 5 sont-elles associées à votre réflexion ?

M. Paul Nahon : Pour l’instant, ARTE n'est pas associée à notre réflexion. France 5 fait partie de France Télévisions. Mais quand Jérôme Clément dit que l'actualité ne se résume pas aux news, il a parfaitement raison. — 65 —

On en revient à la grille. La deuxième demi-heure, c’est l’exposition soit par des hommes, soit par des images de ce que la chaîne d'information internationale veut montrer de la France à l'extérieur. Pour nous et pour une chaîne internationale, les news, c'est aussi la culture, la mode, la cuisine, les produits, la science, les intellectuels, les livres, le cinéma. C’est l’objet de cette deuxième partie.

Pour terminer, puisque nous sommes sur la fin de l'audition, ce qui nous paraît important, ce sur quoi on a beaucoup travaillé et dont bénéficie déjà France Télévisions, c'est la qualité des hommes. A savoir, de l'expérience, notamment pour cette chaîne internationale. Bernard, Bruno, moi-même, c’est moins vrai pour Jérôme et Jean-Baptiste, nous sommes depuis trente ans dans la maison. C'est le service public qui a permis à des journalistes depuis trente ans de partir en Afghanistan, en Égypte, en Amérique Latine, pendant trois semaines, un mois. Le capital accumulé par ces journalistes sur le terrain est phénoménal par rapport à cette chaîne internationale.

Vous avez peut-être constaté que, sans pointer personne du doigt, on remarque dans les chaînes nationales françaises comme LCI, i

M. Jérôme Cathala : Nous produisons beaucoup d'images à l’étranger par nos bureaux quand une autre chaîne privée concurrente réduit ses bureaux à l'étranger. Il y a là un phénomène paradoxal.

M. le président : Nous vous remercions.

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Audition de M. Hervé BOURGES, président de l’Association internationale de la Presse francophone

Présidence de M. Michel Herbillon, Vice-président

(Extrait du procès-verbal de la séance du 10 avril 2003)

M. Le président : Nous sommes très heureux de vous accueillir. Cette mission est commune à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales qui traite en particulier des sujets de communication et à la commission des affaires étrangères.

Je dois excuser M. François Rochebloine, Président de la mission, qui ne pouvait être présent. Nous sommes très heureux de vous entendre. Ensuite, nous nous permettrons de vous poser des questions. Soyez le bienvenu.

M. Hervé Bourges : Je vous remercie beaucoup, monsieur le président. Je suis très heureux de me trouver ici, face aux membres de la représentation nationale. Je suis venu très souvent, dans mes différentes fonctions, aussi bien à RFI, TF1, France 2, France 3, Sofirad, ou même le CSA.

M. Le président : Vous êtes presque la chaîne internationale à vous tout seul !

M. Hervé Bourges : C’est vrai que je suis la seule personne à avoir eu toutes ces responsabilités en vingt ans. Je suis heureux de pouvoir respirer maintenant, de souffler, de ne plus avoir de fonction officielle et de n’aspirer à aucune autre fonction officielle, ce qui me permet une grande liberté de ton, comme vous pouvez l’imaginer. Bien que je sois très jeune, puisque je n’ai que six mois de moins que le Président de la République, qui est un jeune homme comme chacun a pu s’en apercevoir.

M. Le président : Vous ne le dites pas, mais vous êtes aussi président de l’Année de l’Algérie en France.

M. Hervé Bourges : Je n’ai plus que des fonctions bénévoles. Je suis président de l’Union internationale de la Presse francophone qui appartient au système associatif, et j’ai été nommé par les deux présidents de la République, M. Chirac et M. Bouteflika, président de l’Année de l’Algérie pour 2003, qui n’est pas une mince affaire, mais qui marche bien. Malgré les circonstances actuelles et la situation en Algérie, les relations franco-algériennes du passé, je trouve que nous sommes sur une très bonne pente. Je préside aussi le conseil d’administration de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille, la plus ancienne école d’Europe. J’en ai été l’élève, j’en ai été le directeur, j’en suis le président du conseil d’administration. Je suis très heureux de retrouver ici des personnes avec lesquelles j’ai beaucoup travaillé en tant que président de chaîne, notamment M. Kert.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, messieurs les députés, la question dont vous êtes saisis et sur laquelle vous avez souhaité m’entendre me tient particulièrement à cœur. En effet, les conséquences qui découlent de la maîtrise des canaux d’information internationaux sont majeures, et c’est à ces conséquences que je me suis intéressé depuis mes premiers engagements de journaliste, puis de patron de médias.

Première question : faut-il une chaîne d’information internationale française ?

la réponse est : oui. Ce n’est pas un « oui » opportuniste, parce que cela fait trente ans que je le dis et que je suis heureux de voir qu’aujourd’hui, les plus hauts responsables de l’Etat estiment que c’est devenu une nécessité.

Je voudrais faire un tout petit retour en arrière. Au milieu des années soixante-dix, alors que le mouvement de décolonisation était achevé, il est apparu que les pays du Sud ne seraient réellement émancipés que lorsqu’ils disposeraient de médias indépendants, capables de faire entendre leur voix de manière autonome. — 67 —

C’est aux côtés du directeur général de l’UNESCO, Amadou Mahtar M’Bow, en tant que porte-parole de l’UNESCO et directeur des services d’information de cet organisme, où je me suis retrouvé vingt ans après comme ambassadeur de France, que j’ai alors agi pour développer au Sud des circuits d’information indépendants.

Je dirai, en faisant cette constatation personnelle, ce que j’ai déjà dit à plusieurs reprises au cours de ces trente dernières années – je peux donc la reprendre encore une fois sans avoir l’air d’être opportuniste – : la France a longtemps été aveuglée elle-même sur ses propres besoins. Grave péché d’orgueil !

Je voudrais quand même rappeler ici, parce que l’on oublie souvent le passé, qu’au début des années 80, alors que j’étais nommé à la direction de Radio France Internationale, à quel point cet outil formidable au niveau de la radio avait été laissé à l’abandon. C’était d’autant plus étonnant que quelqu’un comme le général de Gaulle, avec l’aura qui était la sienne et la conception qu’il avait de la France, aurait dû s’intéresser de près, comme ses successeurs, au fonctionnement de Radio France Internationale.

En 1982, au moment où j’ai été nommé à la tête de cette radio, elle était au 24ème rang des radios internationales, très loin derrière la Voix de l’Amérique, qui – je voudrais le rappeler au passage mais ce n’est pas à des experts comme vous que je l’apprendrai, est une radio de propagande faite uniquement pour défendre les intérêts du Pentagone –, la BBC qui est une autre conception de l’information et la Deutsche Welle. Mais la voix de la France, Radio France Internationale, était à cette époque derrière Radio Tirana, derrière Radio Le Caire, derrière Radio Lagos en termes d’influence et de nombre d’auditeurs.

Il fallut transformer le statut de RFI de simple service international de Radio France en une société de programme indépendante, dotée de sa rédaction propre et de ses perspectives de développement. Cela nous permit de clarifier ses objectifs et de faire engager la réalisation d’un plan stratégique qui, en quelques années, permit à la radio de rejoindre le peloton de tête des radios internationales. Aujourd’hui, RFI est en troisième ou quatrième position au niveau international, ce qui est quand même beaucoup mieux qu’il y a vingt ans.

C’est cette expérience directe de l’information internationale qui me conduisit dix ans plus tard d’attirer l’attention du chef de l’Etat, François Mitterrand, sur l’urgence de constituer parallèlement à l’offre radiophonique une offre audiovisuelle internationale forte à partir de la France. J’ai écrit une lettre qui doit être dans les archives de l’Élysée au Président de la République avec un plan concernant une chaîne internationale. La situation de cohabitation qui suivit, en 1993, ne se prêta guère à une action d’envergure dans un domaine aussi sensible. Le dossier s’endormit dans les archives de l’Élysée.

Le traumatisme médiatique provoqué par la première guerre du Golfe eut une conséquence positive – je ne sais pas si l’on a beaucoup insisté sur cette chaîne-là et si vous l’avez beaucoup étudiée, mais je pense que oui – la création d’EuroNews par une coalition de dix chaînes publiques européennes qui visait, il y a exactement dix ans, à faire de l’Europe un partenaire à part entière des échanges d’informations mondiaux. Le concept d’EuroNews, qui fait sa force, c’est le plurilinguisme. Sept langues, c’est la capacité d’être présent sur de nombreux marchés dans leur langue maternelle ou dans une de leurs langues usuelles.

EuroNews fut indéniablement un succès : pour un coût modique (30 millions d'euros de budget annuel, mais seulement 2,6 millions d'euros de redevance annuelle pour France Télévisions, et les deux tiers de ses besoins couverts par ses recettes commerciales et de distribution), EuroNews assure à l’Europe un prolongement de ces télévisions publiques sur tous les continents, en même temps qu’elle lui donne un média unitaire, de plus en plus utile dans un contexte de recomposition européenne.

Je peux vous dire, moi qui voyage beaucoup, qu’EuroNews est très appréciée dans beaucoup de pays grâce à son information en continu et peut-être grâce au fait qu’il n’y ait pas de présentateur et que les gens puissent forger leur propre sentiment et leur propre jugement à partir des images et des commentaires « off » qui en sont faits.

C’est ainsi que l’Est européen constitue un marché en pleine explosion pour EuroNews qui est souvent la seule chaîne d’information en continu disponible soit en russe, soit en allemand. En Russie — 68 —

seule, le bassin – je ne dis pas l’audience – de téléspectateurs d’EuroNews s’élève à 27 millions d’individus.

Dans les salles de presse installées au Qatar pour les journalistes internationaux qui suivent l’offensive en cours en Irak auprès de l’état-major des forces américano-britanniques, on retransmet EuroNews aux côtés de CNN et d’Al Jazira. Cela témoigne de l’implantation de cette chaîne en termes de diffusion et de distribution sur les marchés internationaux.

D’où la décision prise par France Télévisions il y a deux ou trois jours, en accord avec les 19 télévisions publiques actionnaires d’EuroNews, de racheter au groupe privé anglais ITN les 49 % du capital de la chaîne qu’il détenait. Désormais, la société sera purement publique. Le choix avait été de se retirer complètement ou de tout prendre. C’est cette solution qui a été arrêtée. Elle va pouvoir conforter son identité de « service public européen », au service du rayonnement partout dans le monde, et en sept langues, de nos images d’information.

Il faut pourtant aussi souligner – alors que je mets en avant EuroNews parce que cela a été rarement fait – les limites du succès de cette chaîne et les conséquences qui peuvent en être tirées.

Le fait est que dix ans exactement après la création d’EuroNews, nous nous retrouvons confrontés à un même constat : une nouvelle guerre du Golfe révèle notre incapacité à exister dans la guerre des images, notre incapacité à déployer les « armes de conviction massive » que sont CNN d’un côté ou Al Jazira de l’autre. Nos images d’information – je parle des images françaises – ne sont pas reprises dans le monde. Et nous restons, à l’inverse, dépendants des images d’autrui, en particulier des images américaines.

A cela, l’existence d’EuroNews n’a rien pu changer car EuroNews est une chaîne qui se nourrit des images des télévisions partenaires ainsi que de celles des agences internationales.

Le format « tout image » de l’antenne est certes une chance pour le plurilinguisme. Mais ce format est surtout la réponse à une situation de fait : EuroNews n’a pas les moyens de créer d’images nouvelles, elle s’interdit le débat ou le magazine d’approfondissement, elle n’a pas de reporters à dépêcher à l’étranger pour suivre des crises qui secouent l’actualité internationale, elle ne peut pas faire d’investigation, ses scoops sont nécessairement la reprise des scoops des autres télévisions. Elle n’est donc pas à proprement parler à l’origine d’une information qu’elle se borne à retraiter, en lui donnant – c’est sa force – le ton sobre et net qui lui est propre et en se servant des images de tous ses partenaires européens.

Dans cet esprit, j’avais engagé en 1993, peu avant mon départ de France Télévisions, une réflexion sur la création d’un service EuroNews spécifique à la France qui se serait appuyé sur un partenariat étendu avec France Télévisions et Europe 1 pour élargir le champ éditorial d’EuroNews, en y associant quelques signatures prestigieuses, des décrochages réalisés à Paris et des magazines réalisés en région, avec des présentateurs afin d’humaniser l’antenne et de lui donner plus de souplesse.

Ce projet aurait pu prendre les devants sur le projet de LCI, alors préparé par le groupe TF1. Il s’agissait de réaliser, par des décrochages sur la structure d’antenne fournie par la chaîne européenne, une nouvelle chaîne destinée à une diffusion purement française et en français, de nature à constituer une chaîne d’information en continu nationale. Le coût additionnel de ce projet était limité : il était moins onéreux que LCI, mais il reposait sur un financement public, et mon successeur, Jean-Pierre Elkabbach, ne parvint pas à convaincre la tutelle d’accepter les investissements nécessaires.

Toutefois, il ne s’agissait pas là d’une chaîne d’information internationale, mais bien d’une chaîne pour le territoire français. Les deux démarches éditoriales sont fondamentalement différentes, et l’abandon du projet EuroNews-France laissa la voie libre à LCI – je suis très heureux que LCI existe – sans défricher le terrain de l’audiovisuel international.

En 1996, un an après l’élection de Jacques Chirac, j’étais alors président du CSA, j’eus encore l’occasion d’abord de lui en parler en tête-à-tête puis de lui adresser une étude sur la situation d’infériorité médiatique où nous nous trouvions par rapport à quelques autres pays occidentaux. L’urgence du développement d’une chaîne d’information internationale à partir de la France était en effet de plus en plus sensible. J’ai reçu une réponse polie, mais l’on m’a dit que ce n’était pas le moment. — 69 —

Le début du XXIème siècle confirme de manière éclatante que l’image constitue le meilleur contrepoids à la force : l’affrontement qui se joue sous nos yeux en Irak, après celui que les chaînes d’information internationales nous ont permis de suivre en direct au sein de l’Organisation des Nations unies entre les diplomates du monde entier, montre l’émergence d’une véritable mondialisation de l’information, avec ce qui en découle immédiatement : la constitution d’émotions mondiales, de partis-pris mondiaux, de débats idéologiques à l’échelle du globe.

Dans cette politisation de la planète, il est évident que la détention de la force militaire ou industrielle est un atout décisif, de même que la puissance monétaire ou la détention de ressources naturelles et énergétiques. Mais les armes de l’information et de la culture ne peuvent plus être négligées. Elles sont au contraire de plus en plus décisives. Comme on le voit, là où le sort des combats ne faisait pas réellement débat, la guerre des images a été plus balancée cette fois-ci, et c’est heureux, du fait de l’existence de chaînes arabes d’information de grande qualité et agissant avec un grand professionnalisme, au premier rang desquelles Al Jazira, mais aussi du fait de l’implication directe, sur le terrain, de nombreuses équipes de journalistes des chaînes occidentales, venant de pays engagés ou non dans cette guerre.

Jamais autant d’images n’avaient été diffusées sur un conflit en cours, jamais les destructions des armes utilisées n’avaient été aussi médiatisées dans leur brutalité la plus concrète. La scène militaire a eu un prolongement journalistique permanent, avec tout ce que cela implique de désinformation, d’instrumentalisation des télévisions, de mise en scène idéologique des réalités du conflit.

Dès lors, il apparaît que la qualité de l’information distribuée sur cette guerre tenait avant tout à la capacité pour les grands médias d’être sur place, et d’en offrir une relation directe, qui ne soit pas de seconde main, afin de produire aux yeux de l’opinion internationale une interprétation du conflit répondant à des critères d’impartialité.

Pour ce qui concerne les médias français – qui, hélas, agissaient uniquement au niveau domestique car les images venaient en France et n’allaient pas ailleurs – il faut saluer la qualité du travail réalisé à la fois par la presse écrite et par la télévision qui ont été des spectateurs utiles des différentes phases du conflit, qui ont tiré les leçons de 1991 et sont parvenus à en restituer la complexité. Dans l’environnement des chaînes d’information internationales en revanche, à la notable exception d’EuroNews, le traitement du conflit a été extrêmement partial, chacun prenant fait et cause pour l’un des camps.

Difficile de ne pas entendre, malgré leur professionnalisme, les appels à la solidarité avec les Irakiens exprimés depuis les premiers jours du conflit par Al Jazira, largement repris par Al Arabiya voire par la télévision d’Abu-Dhabi. Même si, depuis hier, en changeant de registre éditorial à la suite des événements ayant eu lieu à Bagdad, Al Jazira montre la liesse populaire irakienne renversant les symboles du régime. Difficile de ne pas être frappé également par les prises de position violemment bellicistes de Fox News, et même de CNN, toutes deux engagées aux côtés des soldats américains et britanniques et mettant à mal la grande conception libérale de l’audiovisuel anglo-saxon dont ont plein la bouche certaines de nos plumes et grandes voix de l’audiovisuel ici en France.

Il est donc bien nécessaire que, pour l’avenir, la France se dote d’un outil de rayonnement médiatique capable de faire circuler ses propres images d’information dans le monde, afin de pouvoir influer directement, par sa vision des événements, sur la constitution et l’orientation de l’opinion publique mondiale qui est en train de devenir une réalité sous nos yeux. Ce phénomène ne fera que s’accentuer dans les années à venir. Nous le savons bien puisque nous sommes passés aujourd’hui dans un autre monde et dans une autre période.

Je vais parler maintenant de la chaîne qui vous importe, après avoir dressé le tableau dans lequel s’exerce le fonctionnement des médias en période de crise. Ce doit être une chaîne nouvelle, mais surtout pas une chaîne de plus.

Pour donner un véritable élan à l’information française dans le monde, cet outil médiatique doit avoir trois caractéristiques. Il doit d'abord doit disposer de ses propres images et ne pas se contenter de donner des images des autres comme le fait EuroNews. Il doit ensuite, – je sais que cela fait problème et que certains peuvent avoir des idées différentes, mais je m’en expliquerai – être diffusé prioritairement en français, tout en profitant du numérique pour offrir, sur certaines zones, des versions linguistiques — 70 —

différentes. Attention de ne pas tomber dans l’écueil de « faisons beaucoup de choses en anglais ». Nous avons dans ce domaine des maîtres que nous n’arriverons pas à suivre. Nos émissions en anglais risquent de tomber dans le néant. Il doit enfin fonctionner comme une agence d’images et pouvoir être largement pillé et repris par un grand nombre de télévisions partenaires, tout autour du monde.

Il est malheureux que les images françaises ne soient pas reprises à l’extérieur puisque nous n’avons pas la capacité de le faire, alors que aujourd’hui, la nouvelle chaîne Al Jazira a des images reprises presque au même titre que CNN dans le monde entier. Il ne se passe pas un soir sur France 2, France 3, TF1 ou autres, sans que ses images ne soient montrées.

Premièrement, la chaîne internationale doit donc disposer de ses propres images. C’est la première des conditions, qui fonde le succès de cette chaîne d’information : qu’elle puisse produire de l’information à un niveau international et non se contenter d’en reprendre.

La force de BBC World, de même que la force de CNN ou de Fox News, c’est de couvrir l’information par leurs propres moyens, avec leurs propres équipes, en affichant leurs propres images. Cela signifie que la chaîne que la France serait amenée à créer devrait entretenir une rédaction propre, avec un bon nombre de journalistes reporters d’images (JRI) capables de se mobiliser pour se projeter sur un théâtre d’opérations sur n’importe quel continent.

Une telle capacité entretenue en permanence se traduit par un budget. Là aussi, il ne faut pas donner des chiffres irréels ou entendus ici et là. Je sais que vous avez été à bonne source. Le budget de BBC World Services est de 296 millions d'euros par an, soit un peu moins de 2 milliards de francs. Si l’on évoque maintenant le niveau de financement des chaînes d’information américaines, on passe encore un nouveau seuil, et ce n’est même pas la peine de l’évoquer s’agissant d’une chaîne d’information française financée par l’Etat.

La situation de la chaîne d’information internationale britannique reste cependant une référence intéressante : elle hérite d’une histoire déjà relativement ancienne, autant dire que ses coûts pourraient être inférieurs si elle était plus jeune, si elle n’avait pas derrière elle un passé qui, fatalement, pèse d’un point de vue budgétaire. De plus, même si le Foreign Office finance la majorité de son fonctionnement, elle dispose d’un financement publicitaire important lié également à son implantation ancienne sur le marché.

Il est donc possible de réfléchir sérieusement à une chaîne d’information internationale autonome à l’intérieur d’un budget, que j’ai évalué en faisant des études comparatives, grosso modo à la moitié du budget dépensé par BBC World, soit environ 150 millions d'euros, un peu moins de 1 milliard de francs. A ce prix, un groupe peut financer à la fois la gestion de la chaîne, sa diffusion, son activité de distribution, et surtout sa rédaction (80 journalistes au bas mot) ainsi que la mobilité de cette rédaction.

Je sais bien que beaucoup avanceront des chiffres misérabilistes pour dire que c’est le seul moyen dont dispose l’Etat français et que donc, il faut se mettre au diapason de cela. J’ai une autre position que je vais développer.

A titre d’exemple, il faut noter que la seule couverture du conflit en Irak a coûté jusqu’à présent à CNN un budget spécifique de près de 40 millions d'euros en supplément de leur budget normal, CNN étant déjà déficitaire. Cet investissement est indispensable si une chaîne d’information veut tenir son rang en tant que chaîne d’information diffusée vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans le monde. Comme on le voit, le budget évoqué ici pour la chaîne française d’information internationale serait avalé pour un tiers par la seule couverture de ce conflit.

Parce que cet investissement est un investissement lourd, il est logique d’envisager que cette chaîne s’appuie sur un capital d’équipes et d’images déjà constitué, tel qu’il peut exister au sein de groupes comme France Télévisions ou TF1.

Au passage, j’ai été très heureux de voir que la mission d’information a auditionné MM. Paul Nahon et Bernard Benyamin, qui sont mes anciens collaborateurs pour une belle émission. En 1981, on leur avait proposé de créer une chaîne d’information et ils étaient venus me voir en me demandant conseil. Je leur ai dit de garder Envoyé Spécial parce que cette chaîne d’information ne serait pas créée. — 71 —

Ils m’ont répondu que ce serait fait six mois plus tard. C’était au début de 1981. Je viens de les croiser et ils m’ont dit qu'ils regrettaient. Je leur ai dit qu'ils auraient peut-être leur chance à un autre moment.

Pour atteindre le niveau de financement qui doit lui être alloué, cette chaîne ne peut pas se concevoir autrement qu’en profitant de synergies avec un grand groupe audiovisuel. Selon le groupe choisi, l’ampleur des économies réalisées sera évidemment à moduler. Dans le cas du groupe TF1, les synergies sont avec la rédaction de TF1 et de LCI. Dans le cas du groupe France Télévisions, les synergies les plus évidentes fonctionneront avec les chaînes France 2 et France 3, mais aussi avec toutes les autres entités du pôle audiovisuel public.

Radio France Internationale en premier lieu, dispose d’un réseau de journalistes aguerris, accoutumés à traiter, avec toutes les prudences qui s’imposent, l’actualité internationale. Il est facile d’obtenir en quelques minutes, dès lors qu’ils pourront collaborer à la chaîne internationale, leur commentaire à chaud sur des événements présentés à travers des images reprises du flux des échanges internationaux. Ainsi, la réactivité de la chaîne sera immédiate et sa crédibilité accentuée, alors même qu’elle ne disposerait pas elle-même de correspondant permanent dans le pays traité.

Ne pas oublier non plus une grande chaîne que l’on néglige souvent, Réseau France Outremer (RFO), qui constitue également, bassin par bassin, un atout majeur pour nourrir l’antenne de la chaîne internationale avec des images qu’aucun autre média international ne songe à reprendre. Il ne faut pas négliger l’apport que peut représenter RFO, en particulier à travers son agence internationale d’images de télévision, l’AITV, pour renforcer la ligne éditoriale de la chaîne sur telle ou telle région du monde. Pour ce qui concerne l’Afrique, c’est l’AITV qui fournit les éléments du « 12 minutes » quotidien de TV5 et de CFI, qui constitue le seul journal télévisé panafricain quotidien dans le monde.

A l’évidence, ce même module pourrait être intégré sans coût significatif pour fabriquer un « Journal d’Afrique » – compte tenu des relations que nous avons avec le continent africain et de notre histoire, ainsi que de la francophonie – inséré dans la grille de la chaîne internationale d’information à certains moments de la journée, en harmonisation avec les horaires choisis par Radio France Internationale pour ses propres tranches d’information africaines. Évoquer ce « Journal d’Afrique », c’est souligner la grande faiblesse des chaînes d’information mondiales actuelles, qui ne traitent qu’exceptionnellement la plupart des pays dans lesquels la France détient historiquement des intérêts et une influence. Or, une chaîne d’information est d’abord regardée dans le monde par ceux dont elle parle. Si un pays, voire une région, ne sont jamais traités, leurs habitants ne ressentent pas d’intérêt véritable pour l’information qui leur est présentée.

Sur les zones de diffusion prioritairement définies par la consultation publiée par le Gouvernement, l’Afrique noire, le Maghreb, le Moyen-Orient, il est important que la chaîne internationale française se dote de partenaires capables de nourrir sa puissance éditoriale par des images qui ne sont pas reprises jusque-là sur les grands réseaux internationaux. Il est essentiel que cette chaîne se dépouille de ce qui sera sa tendance naturelle, centrer sa vision du monde sur Paris seulement, pour regarder l’ensemble de la zone de diffusion avec des yeux plus attentifs aux singularités nationales, régionales, ethniques. Dans le contexte de forte concurrence où elle sera d’emblée plongée, c’est avant tout cette originalité éditoriale qui lui permettra de définir une identité et de creuser un écart avec les autres chaînes.

Disposer de ses propres images, cela ne signifie donc pas nécessairement ne diffuser que des images produites par ses propres équipes. Cela peut aussi se traduire par l’acquisition ou la reprise d’images jusque-là délaissées par la concurrence, mais qui accéléreront la diffusion du nouveau canal dans les bassins d’audience concernés, en favorisant le traitement de l’actualité propre de ces régions. C’est dans ce cadre que les synergies avec le pôle public peuvent être, on le voit, à la fois sources d’économies et d’originalité éditoriale.

Une chaîne d’information française doit être exemplaire sur l’un des thèmes qui fondent les positions actuelles de la diplomatie française : le respect de la diversité culturelle. Ce principe signifie le respect des identités. Et la chaîne internationale française doit mettre en exergue cette attention aux différences, avoir des égards pour la multiplicité des sensibilités de ceux auxquels elle sera destinée.

Il faut pour cela une direction éditoriale compétente et forte – le problème des hommes est important – capable de discerner et d’imposer, d’expliquer et de corriger. La question de l’équipe à — 72 —

constituer ne peut donc pas être considérée comme une question annexe ; ce n’est pas un endroit pour caser des amis, ni un endroit pour permettre à des gens voulant faire carrière d’y passer. L'équipe est essentielle à la réussite de l’ambition internationale fixée à cette chaîne nouvelle.

Il est nécessaire que la chaîne possède une forte structure éditoriale, une rédaction solide, encadrée par des journalistes expérimentés en matière d’information internationale. Dans ce domaine, nous avons encore de gros efforts à faire. L’international n’a pas été pendant longtemps sur les chaînes de télévision françaises une nécessité absolue. Je me souviens très bien qu'en tant que président de chaîne, chaque fois que je voulais parler de l'international, on me répondait que cela n’intéressait pas les téléspectateurs et qu'il fallait parler de leur quartier, de leur ville et surtout pas de ce qui se passe dans le monde. On mesurera aussi dans ce domaine l’inculture de beaucoup de nos journalistes en matière internationale.

S’agissant d’un service offert à des populations ou à des communautés différentes, qui ne partagent pas les valeurs ou les références idéologiques de la plupart des Français, une exacte connaissance de leurs attentes et de leurs réactions est requise. Un média se doit d’être d’abord à l’écoute de ceux auxquels il s’adresse, afin de ne pas les heurter.

Deuxièmement, cette chaîne internationale doit être diffusée d’abord en français.

La francophonie constitue le premier capital de la diplomatie française dans le monde. Même si elle se réduit aujourd’hui comme une peau de chagrin, elle constitue un vivier de talents et d’audience potentielle et ne fait pas l’objet de toute l’attention qui devrait lui être apportée, en particulier au sein des médias français. Dans ce domaine, j’ai toujours lutté pour tenter d’expliquer qu’au lieu de créer des comités Théodule de la francophonie, des « hauts conseils » de ceci ou de cela qui ne servent strictement à rien, il fallait porter l’effort sur les médias en français et sur l’influence que la France peut avoir dans le monde au travers de la télévision et de la radio.

En octobre dernier, le sommet de Beyrouth a constitué un événement politique et diplomatique d’une portée internationale, et le Président Chirac a pu une nouvelle fois mesurer que l’atout que constituent les institutions de la Francophonie peut être encore mieux utilisé. L’année 2003 est l’Année de l’Algérie en France : depuis le début de l’année, on constate la force de partage et d’intégration que constitue notre langue entre les deux rives de la Méditerranée.

La zone de diffusion envisagée dans un premier temps par la consultation ouverte par le gouvernement recouvre largement des pays où le français est une langue usuelle et dans lesquels notre langue régresse parfois, du fait du développement de la couverture médiatique anglophone sur l’ensemble de cette zone. Ceci est valable au Moyen-Orient, au Maghreb et même en Afrique francophone.

En juin 1989, Alain Decaux, alors ministre de la francophonie, rédigea un rapport sur l’audiovisuel extérieur – qui reste aujourd’hui valable – qui concluait à l’urgence de la création d’une société qu’il appelait « Télé France Mondiale », que j’ai repris quand j’étais président de la Sofirad sous ce même titre, sur le modèle de ce que nous avions réalisé avec Radio France Internationale. Il est amusant ou pénible de constater que les observations critiques qui étaient les siennes sont toujours les mêmes aujourd’hui : « dispersion administrative considérable », « secteur public faible et désorganisé », « compétences mal exploitées ». Elles reprennent d’ailleurs les jugements du rapport du député Michel Péricard qui avait eu aussi une mission sur l’audiovisuel extérieur et que j’avais rencontré à cette époque. On les retrouve exprimées dans les mêmes termes quinze ans plus tard…

Cette chaîne d’information doit donc être envisagée comme un outil de rayonnement au service de la francophonie. Ce n’est pas parce que cette chaîne sera en français qu’elle ne sera pas ouverte aux autres cultures et aux autres sensibilités. Au contraire, elle peut, avec le français d’abord, s’imposer comme une chaîne ouverte et tolérante, accueillant en son sein la diversité des expressions francophones.

C’est le média dont la francophonie a besoin, en direction des pays francophones du Sud, afin de faire la preuve de notre capacité d’écoute et d’accueil, là où TV5 apparaît essentiellement comme le média des pays francophones du Nord, mais non pas comme une chaîne française ni comme une chaîne internationale. Il suffit de voyager pour se rendre compte que les gens ne s’y retrouvent plus. Avec le journal suisse, le journal belge, le journal canadien, le journal québécois, le journal de TV 5, le journal de France 2, le journal de TF 1, le journal de France 3, on ne sait plus très bien où l'on en est. — 73 —

Pour autant, une fois que la charpente de la chaîne sera constituée comme celle d’une chaîne française, il est important que selon les zones la chaîne puisse aussi trouver des relais linguistiques différents. Une version arabe serait ainsi la bienvenue, en particulier sur un satellite couvrant le Maghreb et le Moyen-Orient. C’est même une nécessité absolue.

Pour ce qui concerne le plurilinguisme, deux expériences doivent être rappelées : celle d’EuroNews dont j’ai parlé et, à nouveau, celle de RFI. L’une des recettes mises en œuvre pour relancer RFI en 1982 quand j’en étais le responsable, fut l’ouverture de nouvelles éditions en langues étrangères qui purent ainsi être reprises sur des réseaux nouveaux et parfois intégrées par des radios étrangères. Ce combat a été poursuivi efficacement par mes successeurs. Je me souviens très bien qu’à l’époque, j’ai reçu Simone Signoret et Yves Montand qui venaient me supplier de faire des émissions en polonais au moment de Solidarité, ce que j’ai fait.

A l’évidence, au-delà des restructurations éditoriales et de la nouvelle ambition affichée, l’ouverture de l’éventail des langues disponibles est de nature à améliorer sensiblement la couverture réelle des populations desservies. Il faut donc réfléchir au plurilinguisme comme à un complément indispensable de la diffusion principale. Il faut noter que les journaux en langue étrangère sont émis sur l’antenne de RFI en fonction des publics visés à des heures déterminées.

Toutefois, à la facilité technologique – le transport de plusieurs versions linguistiques simultanées avec un même bande vidéo ne pose aucun problème –, il faut ajouter une difficulté éditoriale plus lourde. En effet, les versions linguistiques enregistrées en parallèle passent plus difficilement sur les lèvres d’un présentateur unique ou rendent compliquée l’organisation de débats en direct. Elles doivent donc être réservées à certaines plages de programmation. Mais cette contrainte n’est pas insurmontable, elle doit être intégrée en amont dans le travail de réflexion éditoriale réalisé.

Il est aussi possible d’envisager une autre solution, réalisable aujourd’hui, qui consiste à doubler en temps réel les sujets et les journaux par un sous-titrage en français ou en langue étrangère, réalisé par les journalistes en même temps que le texte du prompteur ou le commentaire des reportages. C’est une extension de la technique mise en place à EuroNews en direction d’un doublage écrit et non plus seulement oral. Cela représente une innovation sensible et une réponse intéressante aux difficultés de compréhension des populations faiblement francophones.

Troisièmement, la chaîne internationale doit être une agence d’images.

Ce point est peut-être le plus important, même s’il vient logiquement en dernier : une chaîne internationale, c’est bien sûr une identité éditoriale propre, une ligne reconnue qui fonde sa crédibilité et son rayonnement. Mais sa réception est alors forcément limitée à des téléspectateurs qui souhaitent connaître ce message particulier ou qui ont pris l’habitude de s’y référer.

Sur l’ensemble des zones que la chaîne couvrira par satellite, un certain nombre de téléspectateurs choisiront de la recevoir, de régler leurs téléviseurs afin qu’elle soit facilement accessible, de suivre régulièrement telle ou telle session d’information. Ce public constituera le public direct de la chaîne, sur lequel elle pourra atteindre une influence immédiate. Pour autant, ce public n’excèdera jamais la fraction des téléspectateurs qui s’intéressent aux chaînes internationales d’information. Lorsque l’on observe des taux d’audience sur l’ensemble de la population de 5 à 10% – ce qui est déjà beaucoup – pour EuroNews à Moscou, la chaîne profite avant tout de sa diffusion en russe ou de l’absence d’offre internationale concurrente. On peut dire que les taux d’audience qu’elle réalise là constituent un maximum pour une chaîne d’information internationale en continu.

Il est absolument nécessaire de démultiplier cette diffusion par des reprises sur d’autres chaînes. Cela signifie que la chaîne internationale ne doit pas se contenter d’offrir un programme intelligemment organisé, fortement structuré, mais qu’elle doit aussi se comporter comme une agence d’images mettant ses émissions, ses journaux, ses sujets, à disposition des autres télévisions du monde afin qu’elles y puisent du contenu d’information pour leurs propres programmes.

C’est ainsi qu’en modèle réduit est conçu Canal France International, CFI, qui constitue une banque de programmes libres de droits sur les territoires sur lesquels elle émet – c’est-à-dire le continent africain – dont les chaînes de télévision peuvent s’alimenter afin d’en insérer les émissions dans leurs propres programmes. De même, la chaîne devrait rapidement se doter d’un réseau de télévisions — 74 —

partenaires dans le plus grand nombre de pays possible qui reprendraient en fonction de leurs besoins propres des éléments de programmes, voire des tranches de programmation.

S’agissant d’une chaîne d’information internationale, elle a vocation à être aussi le pivot d’une agence d’images. C’est sans doute sur ce point que, outre la collaboration avec RFI, la coopération avec l’Agence France Presse est nécessaire pour permettre des synergies très importantes. En effet, imaginons que cette chaîne soit constituée et qu’elle crée ainsi jour après jour une quantité d’images nouvelles et d’informations de première main sur lesquelles elle détiendra les droits : au moment même où elle constitue cette réserve, elle peut mettre ces images, sujets, reportages à disposition d’une filiale de distribution d’images audiovisuelles développée avec l’AFP.

Ainsi se constituerait, parallèlement à la chaîne de télévision internationale française, une agence AFP Vidéo qui pourrait commencer à concurrencer les grandes agences vidéo que sont aujourd’hui Reuters TV, EPTN ou ITN. Je voulais vous dire à ce sujet que la plupart des images internationales reprises par EuroNews sont des images de Reuters.

Dès lors que cette filiale sera constituée et que les installations techniques existeront pour distribuer ainsi commercialement les images de la chaîne internationale, on pourra envisager une meilleure exploitation internationale des images d’information de toutes les télévisions publiques françaises, de France 2 à RFO, en passant par les stations régionales ou locales de France 3. Bien entendu, les images internationales sont les plus intéressantes du point de vue de leur valorisation commerciale en direction du reste du monde, mais il ne faut pas exclure non plus qu’un grand nombre de sujets culturels ou sociaux puissent revêtir un intérêt au-delà de nos frontières.

L’occasion de la création de la chaîne internationale française ne doit pas être manquée, car elle peut nous permettre de donner un nouveau souffle à l’AFP – qui a beaucoup de difficultés aujourd’hui du fait de son statut, du fait que l’Etat est pingre et du fait que ses premiers utilisateurs sont aussi ses actionnaires, la presse quotidienne qui n’a pas du tout envie de voir l’augmentation de ses cotisations – en enrichissant son offre d’agence d’information d’une offre d’images d’information, comme le fait Reuters depuis longtemps. De même que l’AFP Photo joue aujourd’hui pleinement son rôle - il faut l’en féliciter - nous aurons ainsi les moyens de créer en parallèle une filiale de distribution audiovisuelle qui sera une manière indirecte de nourrir les grands réseaux d’information du monde, et pas seulement les télévisions francophones du monde entier, pour leur propre usage.

Car la force d’une image est d’autant plus grande qu’elle s’insère dans le journal télévisé quotidien d’une chaîne nationale très suivie, publique ou privée. C’est le moyen de faire parvenir l’information avec le plus d’efficacité à un nombre de téléspectateurs infiniment supérieur à celui des abonnés ou des habitués des chaînes d’information internationales. En outre, les images ainsi reprises sont dotées d’un commentaire adapté, par chaque chaîne, à son propre public : elles ont donc une capacité de conviction renforcée.

Tel est donc, pour moi, le modèle idéal de la chaîne d’information internationale française qui devrait être constituée : une société indépendante, filiale d’un groupe audiovisuel puissant, public ou privé. Dans le cas où le groupe public France Télévisions serait choisi, l’expérience éditoriale de RFI devrait également lui réserver une place importante.

Cette société devra avoir les moyens de développer ses propres ressources éditoriales, pas seulement pour ce qui concerne le commentaire et l’analyse des images, mais aussi pour ce qui concerne la constitution de l’information : cela implique, comme je vous l’indiquais tout à l’heure, un budget minimal de 150 millions d'euros, permettant la constitution d’équipes de journalistes-reporters d’images capables de se projeter partout où l’actualité du monde le réclamerait.

Cette société devra en outre optimiser les ressources éditoriales françaises, en nouant des accords de reprise privilégiée de l’ensemble des images réalisées et produites par nos télévisions. Ce sera à elle à donner une cohérence à l’offre trop disparate de toutes les rédactions des chaînes, en métropole et outre-mer. Elle devrait également nouer des accords privilégiés avec la chaîne européenne EuroNews, ou avec LCI, pour la fourniture d’un certain nombre d’éléments de programmes.

Enfin, dans un schéma idéal, cette société mettrait à la disposition d’une filiale de distribution développée avec l’AFP l’ensemble des informations audiovisuelles produites, qu’elles soient diffusées ou — 75 —

non, afin de constituer le fonds d’une offre d’agence d’information audiovisuelle internationale qui assurerait aux images produites un rayonnement dépassant largement la seule diffusion de la chaîne d’information française. On peut penser qu’à terme, la montée en puissance de cette activité de distribution d’images permettra un complément de financement sensible pour la chaîne internationale, qui lui permettra de développer son offre éditoriale.

Sans doute, cette ambition globale peut-elle être également confiée au secteur privé. Toutefois, il est indéniable que l’investissement à réaliser sera moins important s’il permet de fédérer l’ensemble des atouts et des savoir-faire qui existent déjà, de manière dispersée, dans nos sociétés publiques. Ce projet est ambitieux, mais réaliste, économe par rapport à ceux qu’ont déjà développés nos voisins, le Royaume- Uni et l’Allemagne en particulier.

Concernant le privé, LCI est une très grande chaîne, mais c'est une chaîne domestique. Et TF1 n’a jamais eu une vocation internationale et, à mon avis, ne l’aura pas, surtout si cela coûte de l’argent. Si cela rapporte, il n’y a aucun problème. J’en ai discuté avec M. Le Lay, qui est un très bon patron de chaîne qui joue tout à fait son rôle de chaîne privée. Il me disait qu'il n’allait pas créer une chaîne internationale qui coûterait de l’argent et qu'il allait faire passer cela par Internet. C’est insuffisant, bien évidemment. Alors, sans doute, cette ambition globale peut être également confiée aux service privé, mais je viens de vous dire que cela pose quelques problèmes.

Alors, pourquoi ne pas songer à un projet mixte, conçu à mi-chemin entre le public et le privé ? Je vais vous répondre que je n’y crois pas, alors que pour un parlementaire, ce serait formidable parce que l’on y associe tout le monde, c’est consensuel et c'est sur le papier, quelque chose d'idéal. Cela ne peut pas marcher, à mon avis. Pourquoi ? Parce que cet objet audiovisuel mal identifié se heurterait à divers barrages inutiles : l’opposition de Bruxelles, qui y verrait une entrave au droit de la concurrence, sur un marché où existent des chaînes d’information privées qui ne verraient pas cela d’un bon œil et qui attaqueraient, alors que cette nouvelle chaîne bénéficierait de financements publics. Également parce qu’un projet mixte public/privé ne pourrait pas bénéficier juridiquement de l’attribution d’un canal TNT gratuit par préemption de l’Etat, comme cela a été annoncé par le gouvernement. Enfin, parce qu’une alliance de ce type serait assise sur des sociétés par ailleurs antagonistes et dont les intérêts sont trop divergents.

Je sais que d’autres projets existent, qui se fondent avant tout sur le réemploi des images réalisées par d’autres télévisions, ainsi que sur les échanges internationaux, voire sur la simple déclinaison de programmes d’information nationaux déjà constitués, je pense par exemple à l’excellente chaîne LCI.

Quel sera l’intérêt de la diffusion de ces programmes conçus pour un public national, lorsqu’ils seront distribués hors de nos frontières ? Pourquoi ajouter alors au travail réalisé par TV5 une concurrence en termes de distribution qui n’apporterait pas de réelle nouveauté en termes éditoriaux ?

Si les crédits disponibles n’excédaient pas 30 millions d'euros, il me semble qu’il vaudrait mieux les utiliser pour renforcer économiquement les outils de rayonnement dont nous sommes déjà dotés, EuroNews, TV5 et RFI ! Cette somme leur permettrait un réel développement éditorial, plutôt que de leur inventer une concurrence qui risque de n’être qu’une répétition faute de moyens suffisants, c’est- à-dire une nouvelle dispersion inutile de l’effort public !

Je pourrait me demander en conclusion si la France a-t-elle les moyens de cette chaîne internationale. Mais la question est plutôt : la France a-t-elle les moyens de s’en passer ? La France a-t- elle les moyens de ne pas accomplir ce pas décisif qui lui permettrait de renouer avec son rayonnement linguistique, intellectuel et culturel, toutes choses qui passent aujourd’hui par la mise en place de ce pôle audiovisuel international, capable de prendre part à la mondialisation des canaux d’information et du marché des images ?

Face à un besoin aussi essentiel en termes de communication internationale, au moment où nous entrons dans un univers médiatique mondial où la France n’est pas suffisamment présente – elle en est même absente – la chaîne d’information internationale française est aujourd’hui une nécessité.

C’est un devoir et, dans le même temps, c’est un choix politique. Lorsque l’on fait un choix politique, on trouve les moyens afférents pour le réaliser en faisant des économies ailleurs. — 76 —

Monsieur le Président, monsieur le rapporteur, messieurs les députés, la conclusion de cette réflexion est simple : face aux enjeux auxquels nous devons répondre, et dont le Président de la République est à juste titre conscient, c’est-à-dire face à l’apparition d’une opinion publique mondiale à la constitution de laquelle la France doit prendre part, l’occasion ne se représentera sans doute pas de créer cette chaîne internationale et de la doter de tous les moyens nécessaires à sa réussite.

Je ne doute pas que, grâce aux travaux de votre mission et aux auditions auxquelles elle a procédé, vous pourrez faire des propositions à la fois ambitieuses et répondant à la nécessité du moment.

M. Le président : Merci infiniment. Vous nous avez fait un exposé extrêmement complet, avec des propositions et des propos vigoureux. Nous vous en remercions.

Du fait de l’aspect très exhaustif de votre exposé, vous avez répondu à la plupart des questions que nous nous posions.

Un mot avant de passer la parole à mes collègues. Je voudrais revenir sur un point important : la langue. En fait, de la langue dépendent les zones de diffusion et l’audience plus ou moins grande que peut avoir cette chaîne. Vous avez rappelé qu’il faut que cette chaîne ait une vocation internationale. C’est bien notre propos. Vous avez insisté sur le fait que cela devait d’abord être en français et essentiellement en français, même si l’on peut utiliser les techniques numériques pour avoir l’approche d’autres langues.

Je voudrais vous demander des précisions. Cela ne va-t-il pas réduire l’audience si l’on utilise d’abord le français par rapport aux zones, y compris d’influence de la France, où le français, langue que nous avons avec eux en partage, recule ? On le sait et l’on peut s’en alarmer, le regretter. J’aimerais avoir votre sentiment.

Compte tenu de votre expérience – on entend des choses très diverses sur ce point – que pensez-vous de la possibilité et de l’impact du sous-titrage, notamment de journaux d’information ? Nous avons des réponses très divergentes sur ce point et nous aimerions vous entendre sur ce sujet.

Voilà, pour ma part, les questions que je voulais vous poser. Je vais passer la parole à mes collègues.

M. le rapporteur : Le tableau dressé est complet. Vous répondez aux questions avant qu’on vous les pose. C’est parfait, et philosophiquement, et en termes d'emploi du temps !

Vous évacuez la possibilité d’un partenariat public - privé. Mais pensez-vous que nous pouvons le chasser aussi catégoriquement ? Doit-on réellement fermer la porte à cette possibilité, sachant que l’on pourrait s’orienter vers une solution d’une société majoritairement publique, mais pas forcément fermée à des participations de sociétés privées qui accepteraient de faire le pari de cette chaîne, même en n’y gagnant pas forcément beaucoup d’argent ?

Vous avez aussi parlé de la puissance éditoriale française. Pourriez-vous nous aider à réfléchir sur cette sorte de charte éthique éditoriale ? Comment concevoir que cette chaîne soit tout à fait indépendante en terme éditorial mais qu’elle respecte néanmoins une cohérence avec la diplomatie française ? Ce serait une charte éthique diplomatique. Je n’ai pas dit une cohérence avec la politique gouvernementale intérieure, mais au moins avec la diplomatie. Certains se demandent si un journaliste ne pourrait pas un jour, par excès de zèle ou une bavure quelconque, mettre à mal une opération de diplomatie française sur cette chaîne. Autrement dit, comment faire en sorte que les journalistes se sentent à la fois indépendants et en cohérence avec la diplomatie française ?

M. Dominique Richard : Nous avons eu, en effet, parmi les auditions, l’exemple du fait que le statut public de RFI faisait qu’en Côte d’Ivoire, cette radio a été interdite d’émettre parce qu’elle était considérée comme la voix de la France. N’est-ce pas un talon d’Achille dans certains événements ?

M. Hervé Bourges : Je vois, au travers de ces questions, quels sont vos soucis et vos interrogations. Ce sont aussi les miens. Je sais que vous avez beaucoup travaillé et voyagé, vous avez entendu beaucoup de gens venus vous parler de cette chaîne. Je suis persuadé que votre rapport sera tout à fait original et concret. Vous touchez là les quelques points sur lesquels je m’interroge moi-même. — 77 —

Le français ? Parce que ce sera une chaîne française, faut-il que tout soit en français ? Non. Je dis que cela doit être majoritaire. Je suis pour le sous-titrage, je vous l’ai dit tout à l’heure. Pour des raisons techniques, on peut penser que ce n’est pas une bonne chose. A mon avis, c’est possible. Néanmoins, ce n’est pas la peine de balancer la langue française dans les zones où l'on ne parle pas du tout français.

Par contre, je ne suis pas persuadé qu’il faille avoir l'ambition démesurée dans un premier temps consistant à dire que cette chaîne internationale, comme les grandes chaînes internationales américaines, doit être diffusée pratiquement dans le monde entier et notamment dans les zones où l’on parle majoritairement l’anglais. Derrière les chaînes américaines et la BBC, nous ne pouvons que courir en anglais. Il faudra donc faire très attention. Ce n’est pas parce qu’un pays sera majoritairement de langue anglaise que notre chaîne française devra émettre en anglais pour ne pas laisser les seuls Américains et Anglais s'exprimer. Je suis persuadé du désastre. Les gens ne nous attendent pas en anglais quand ils parlent anglais, même si c’est pour écouter un point de vue français ou une sensibilité française par rapport à une sensibilité anglo-saxonne.

M. Le président : Pour bien comprendre votre pensée, dans ces zones où pratiquement seul l’anglais est perçu, connu et compris, vous préconisez que cette chaîne soit présente, mais en français, donc avec une audience par définition…

M. Hervé Bourges : …faible, oui, mais qui serait tout aussi faible en anglais. J’en suis persuadé.

Par contre, il faudrait que nous adaptions notre diffusion à notre rayonnement diplomatique et culturel. Il est évident que le bassin méditerranéen, le Moyen-Orient, le Maghreb sont des zones privilégiées où la chaîne internationale française devra être présente. Comme nous sommes certains que le Moyen-Orient demeurera une zone d’actualité pendant très longtemps encore, c’est ce qu’il faut viser avec la création de cette chaîne internationale. Ceci étant, il y a d’autres zones où l’on ne nous attend pas ; ce sont les zones qui débordent le Moyen-Orient, zones où les problèmes se posant au Moyen-Orient se posent de la même manière, parce que s'y trouvent des Arabes, des Persans ou d’autres. Je pense à l’Iran, à l’Indonésie, à la Malaisie, à de grands pays musulmans où la France n’a qu’un rayonnement audiovisuel confidentiel. Là aussi, faut-il que nous ayons une ambition démesurée qui voudrait que nous soyons présents partout quitte à ne pas être entendus ou à commencer à essayer d’être entendus là où notre influence doit s’exercer ?

Sur le sous-titrage, je suis d’accord. Quant à l’anglais, ne disons pas que nous faisons notre chaîne en français et en anglais partout. Faisons-la en français partout où cela nous paraît nécessaire, même dans les zones où le français est peu parlé et essayons d’exister autrement dans ces zones.

M. Le président : Le budget de 150 millions d'euros dont vous parlez, c’est uniquement avec le français et avec sous-titrages anglais dans certains pays ?

M. Hervé Bourges : Et avec d’autres langues, l’arabe notamment, dans certaines zones.

M. Le président : En sous-titrage ?

M. Hervé Bourges : Non, en direct. Je suis tout à fait pour le plurilinguisme dans certaines zones. L’arabe me paraît indispensable au Moyen-Orient. L’influence moyenne qu’a aujourd’hui RFI sur le Moyen-Orient, c’est grâce à RMC Moyen-Orient, qui est très présente en arabe.

M. Pierre-Christophe Baguet : Sur l’Iran, la Malaisie, l’Indonésie, dans quelle langue proposez-vous de diffuser ?

M. Hervé Bourges : Je n’en sais rien. Faut-il le faire en français, en anglais, dans les langues nationales ? Je n’en sais rien, mais je constate simplement que nous ne sommes pas présents. Je suis allé dans ces pays. Nous sommes totalement absents. De même sur l’Amérique Latine en télévision, c’est effroyable. Pas en radio, grâce à RFI. Au Mexique et au Brésil, il n’y a rien. Peut-être faut-il diffuser en espagnol au Mexique et en portugais au Brésil. Je n’en sais rien. Mais se pose le problème des langues. Commençons en français et en arabe, qui sont d’une nécessité absolue. — 78 —

Sur le partenariat public et privé, je dirais qu’au niveau idéal, c’est ce qu’il faudrait faire. Mais j’ai essayé de vous dire les contraintes auxquelles on va se heurter, d’ordre juridique, j’en suis persuadé, d’ordre éditorial aussi. Le pôle public n’a pas du tout les mêmes ambitions que le pôle privé. Ce dernier ne sera présent que s’il y trouve son bénéfice et non pas pour le rayonnement de la France. Je ne dis pas que M. Le Lay se moque du rayonnement de la France, je suis persuadé du contraire, mais quand il gère sa chaîne, il regarde les comptes.

Ensuite, je ne suis pas du tout contre la création d’une chaîne qui aurait un statut public auquel le privé pourrait être associé. LCI pourrait très bien être associée. Mais si vous demandez à M. Le Lay de faire de LCI une chaîne internationale, il ne le fera pas parce que ce n’est pas rentable. Que l’on puisse utiliser les images de LCI d’une manière ou d’une autre, c’est tout à fait possible. Comment ? Je n’en sais rien.

Sur le problème de la charte éthique éditoriale, de l’indépendance de la chaîne etc., vous posez un vrai problème qui est celui de toutes les radios et des télévisions internationales publiques qui ne sont cependant pas des chaînes de propagande. Par exemple, la Voix de l’Amérique est une chaîne de propagande, qui est là non pas pour donner de l’information, mais pour expliquer la position américaine internationale. C’est dit sans aucune hypocrisie, les choses sont claires.

RFI n’est pas une chaîne de propagande, ni même une radio gouvernementale. C’est une chaîne de souveraineté. C’est-à-dire que c’est une chaîne publique qui reflète une approche et une image française de l’information au travers de nos sensibilités, qui essaie le plus possible de montrer ce qu’est la France au travers de son système démocratique et qui donne donc la parole sur ses antennes à la représentation nationale, au gouvernement, à la majorité, à l’opposition, ce qui est tout à fait normal, et qui ensuite donne le plus d’informations possible avec les commentaires.

En tant que président de RFI, je me suis trouvé souvent en porte-à-faux, d’abord obligé de résister. L’actuel président le sait bien, qui ne cesse de recevoir des coups de téléphone de chefs d’Etat africains ou d’ambassadeurs de France en Afrique disant que tel ou tel journaliste a dit telle chose qui a provoqué un émoi considérable. Petit à petit, on a réussi à tenir une ligne. RFI est une radio de souveraineté qui exprime une sensibilité française en matière d’information, qui reflète le plus possible la vie démocratique politique de notre pays, qui essaie de montrer au travers des manifestations qui ont lieu en France ce qu’est la culture française.

Je ne vous cache pas que, personnellement, écoutant beaucoup la radio comme vous sans doute, j’écoute souvent RFI le matin et le soir pour avoir des informations sur le plan international que je ne trouve pas sur France Inter, même si cette dernière fait de gros efforts. Je ne les trouve pas non plus sur France-Info dont l’effet répétitif ne permet pas d’ouvrir largement sur autre chose que ce qui est censé intéresser les auditeurs. Je ne les trouve pas davantage sur les radios privées qui sont prises entre la publicité qu’il faut amasser et qui fait vivre et les centres d’intérêt supposés des auditeurs. Il y a bien des secteurs dont on ne parle jamais.

Par exemple, durant tout ce conflit actuel, on nous parle sans cesse de la sensibilité des Musulmans, des Arabes – je ne parle pas de l’Iran, même si ce pays est évoqué car il fait partie des « pays du mal » dénoncés par les Etats-Unis –. Mais qui nous parle de l’Indonésie, cet immense pays où ces événements sont suivis de façon extraordinairement sensible ? On ne trouve l'information ni sur nos radios, ni sur nos télévisions. C’est un autre monde où, demain, il peut se passer des choses aussi importantes que celles se passant aujourd’hui en Irak et auquel il faut s’intéresser. Il y a donc ce problème.

J’ai pris RFI en janvier 1982. C’était une radio qui n’existait pas. C’était une direction de Radio-France. Mon prédécesseur - ce n’est pas une critique que de le dire - se prenait plus pour un fonctionnaire du Quai d’Orsay que pour un patron de radio. Son souci était d’accompagner le ministre des affaires étrangères ou le Président de la République dans les voyages officiels. Le développement de la radio n’existait pas. On décrochait France Inter très souvent.

On en a fait autre chose, mais dans le même temps, je me suis battu pour qu’il y ait une certaine éthique, une certaine charte des journalistes. Je n'ai pas repris les mots du Président Pompidou disant que les journalistes du service public n’étaient pas des journalistes comme les autres. Je leur ai dit — 79 —

qu’ils étaient des journalistes comme les autres, mais qu’ils avaient une responsabilité particulière. C’est évident.

Quand vous me dites que c’est l’inconvénient d’une chaîne publique, je vous réponds que c’est la même chose pour tous les médias privés. Nostalgie, qui est une radio privée, a ainsi vu son autorisation de diffusion en FM lui être retirée, comme d’autres radios privées qui émettaient en Côte d’Ivoire. Le but était de ne plus faire entendre qu’une voix, celle de la voix officielle de la radio et de la télévision de Côte d’Ivoire, et dans les termes xénophobes que vous connaissez.

Je ne crois pas que le fait que la chaîne d'information internationale ait un statut public puisse avoir un inconvénient pour notre diplomatie, pour notre influence et pour le rayonnement de cette radio et de cette télévision. Si, comme CNN, on pouvait créer une télévision privée, avoir les moyens de M. Ted Turner ou d’autres, ce serait idéal. Mais cela ne pourra pas se faire, à mon avis.

La Grande-Bretagne a financé sa radio et sa télévision qui ont un rayonnement international bien que ce soient des fonds publics qui soient donnés. La BBC est l'image idéale d’une télévision et d’une radio indépendantes, même si cette image a été mise à mal, cette fois-ci, moins par les propos, les informations et les images qui y circulaient, que par l’engagement de la Grande-Bretagne dans le conflit. De ce fait, notamment auprès des pays arabes, la BBC qui était une source d’information et une référence, a été abandonnée au profit des chaînes arabes nouvellement installées comme Al Jazira.

M. Le président : Monsieur le président, il nous reste à vous remercier.

M. Hervé Bourges : C’est moi qui vous remercie. J’étais très heureux de vous rencontrer. Merci de votre attention.

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Audition de M. Jean ROUILLY, président-directeur général de Lagardère Networks International

Présidence de M. Christian KERT, rapporteur

(Extrait du procès-verbal de la séance du 10 avril 2003)

M. Le président : Monsieur le président, notre mission d’information est constituée d’une vingtaine de membres issus à parité de la commission des affaires sociales, familiales et culturelles, et de la commission des affaires étrangères. Elle est présidée par M. François Rochebloine, qui exceptionnellement, n’est pas là, et j’en suis le rapporteur. Les présidents de ces deux commissions nous ont demandé de réfléchir à ce que pourrait être cette chaîne internationale française voulue par le Président de la République. Nous auditionnons un certain nombre de personnalités françaises du monde de l’audiovisuel. Nous avons également entrepris des rencontres avec des chaînes étrangères. Nous sommes ainsi allés voir fonctionner CNN à Londres, BBC World, Deutsche Welle à Berlin.

Nous essayons de couvrir tous les domaines d’intervention de cette chaîne. Votre témoignage nous sera précieux en ce qui concerne la commercialisation, la diffusion de cette chaîne, puisque c’est bien là le sens de votre mission. Pouvez-vous nous dire comment vous sentez les choses, quelle part vous pourriez prendre dans cette chaîne ? Y êtes-vous d'ailleurs intéressés ?

C’est à ces questions que nous aimerions que vous répondiez.

M. Jean Rouilly : Je parlerai en mon nom et non pas au nom du groupe Lagardère auquel j’appartiens. Je ne vous livrerai pas la position du groupe Lagardère, mais plutôt celle du professionnel, fruit de mon expérience à la fois dans le public et le privé. J’ai été pendant quinze ans à Antenne 2. J’ai participé aussi au lancement de TV5, dont j’ai été secrétaire général. Je suis maintenant dans le groupe Lagardère depuis une douzaine d’années et je suis chargé de gérer une société de distribution de programmes de télévision, Europe Images International et, depuis deux ans, une société de distribution de chaînes à l’étranger, Lagardère Networks International (LNI).

Comme la distribution internationale d’une nouvelle chaîne repose sur des accords avec des opérateurs de bouquets satellites et de bouquets de câble, pour éclairer votre rapport, je propose de voir les obstacles à la distribution – une nouvelle chaîne n’est pas évidente à distribuer – et ensuite les opportunités, car de vraies opportunités vont se présenter. Enfin, je donnerai les différentes options pour les modalités de distribution.

Les obstacles sont de trois ordres :

- D’ordre technique d’abord : tout le monde a dû vous dire qu’il y a une sorte d’encombrement des réseaux en technologie analogique. La plupart des réseaux sont saturés et les opérateurs sont plutôt en train de supprimer des chaînes que d’en ajouter. La fusion d’un certain nombre de bouquets aussi bien sur le satellite que sur le câble qui se multiplient, comme en Pologne, en Grèce, en Italie, en Espagne, ne fait qu’accroître les problèmes de saturation. Quand il y a fusion des bouquets, il y a beaucoup moins de place pour les chaînes existantes et encore moins pour des chaînes nouvelles. Ce phénomène est en train de se répéter dans de nombreux pays pour des raisons économiques que je développerai dans le deuxième point.

Deuxième obstacle d’ordre technique : le manque de nouvelles capacités vierges, même en numérique. En effet, la diffusion numérique, qui offre des solutions pour démultiplier les possibilités d’accueil de nouvelles chaînes, prend du retard dans beaucoup de pays parce que les investissements sont très lourds et que les opérateurs ne sont pas dans une situation financière favorable pour les faire.

Troisième obstacle d’ordre technique et réglementaire : la règle du must-carry, qui existe dans la plupart des pays, limite beaucoup l’accueil de nouvelles chaînes car les chaînes existantes du pays sont prioritaires. Comme dans beaucoup de pays, il y a encore un développement de chaînes thématiques qui — 81 —

sont prioritaires à leur arrivée, cela amène parfois à supprimer des chaînes existantes et à empêcher l’accueil de nouvelles chaînes.

- Sur le plan économique, les obstacles sont plus évidents et plus d’actualité. On assiste mondialement à une révision drastique à la baisse des rémunérations des chaînes par les opérateurs. Je ne sais pas si ce sera le problème de cette future chaîne, qui sera peut-être distribuée à titre gratuit. Mais il faut bien voir que sur le plan des revenus potentiels, on tombe dans une période où, dans l’ensemble du secteur, aussi bien chez les câblo-opérateurs que pour les bouquets satellites, la tendance lourde est de réduire les rémunérations de 30 %, 40 % ou 50 %. Nous sommes en négociation pour le renouvellement des rémunérations sur UPC en Europe. Ils nous ont proposé 60 % de diminution par rapport au contrat précédent. Certaines chaînes françaises ont vu leur rémunération par abonné auprès de Canal Satellite, TPS et les cablo-opérateurs diminuer de 50 %.

Cette tendance lourde est due aux phénomènes que l’on a évoqués, mais surtout à la situation économique extrêmement fragile du secteur. Les opérateurs du câble et du satellite, dans l’ensemble des pays du monde, sont dans des situations économiques très fragiles parce qu'ils ont fait des investissements très lourds en équipements et que le marché n’a pas forcément suivi les prévisions. La crise publicitaire, sévissant dans le monde depuis plusieurs années, ralentit les retours sur investissement. Dans beaucoup de cas, il y a menace : soit vous réduisez de façon drastique vos prétentions financières pour le transport de votre chaîne, soit on éjecte votre chaîne pour une chaîne moins chère. C’est la situation qui existe actuellement et qui fait que la seule opportunité pour une nouvelle chaîne est d’accepter des tarifs extrêmement bas, voire la gratuité, pour être diffusée.

Deuxième obstacle d’ordre économique : les opérateurs qui étaient auparavant dispersés et qui n’étaient pas très équipés pour négocier se regroupent. On se trouve maintenant face à d’énormes entreprises. Même si elles sont dans des situations très difficiles, et je dirais même a fortiori, elles ont un pouvoir de négociation très fort puisqu’elles couvrent souvent un continent entier. C'est le cas d'UPC pour l’Europe. Si vous n’avez pas un accord avec UPC, vous êtes exclu de tous leurs réseaux câblés sur l’ensemble de l’Europe. Cette centralisation entraîne des négociations groupées et des décisions centralisées facilitent la négociation, mais la rendent encore plus dure parce qu’ils parlent au nom d’un ensemble. Si vous ne vous trouvez pas un accord avec eux, vous n’entrez dans aucun des pays concernés, alors qu’avant, les accords se négociaient pays par pays.

Troisième obstacle d’ordre économique : les seuls opérateurs émergents qui arrivent sur le marché sont très fragiles, voire à hauts risques. Il en existe en Russie qui commencent à apparaître. Ce sont des clients potentiels pour distribuer de nouvelles chaînes, mais ils sont peu fiables. Savoir s’ils diffusent ou non et dans quelles conditions est tout à fait difficile.

Quatrième obstacle d’ordre économique : les frais de transports par satellite. Pour qu’une chaîne existe, il faut qu’elle soit transportée pour arriver aux câblo-distributeurs et aux bouquets satellite. Le transport est un domaine pesant encore très lourd dans un budget.

- Troisième type d’obstacles : ceux liés aux contenus et à la concurrence des offres.

Le premier point est l’accroissement généralisé de l’offre de contenus, la multiplication de la concurrence. Comme les frais de diffusion diminuent et que la numérisation réduit les coûts, des chaînes qui n’avaient qu’une vocation locale commencent à essayer de s’exporter. Il y a donc une multiplication d’offres. L’apparition de nouveaux acteurs sur le marché des chaînes thématiques fait qu’une nouvelle chaîne n’est jamais seule. Elle arrive généralement dans un bouquet qui a déjà reçu quatre, cinq ou six offres de nouvelles chaînes dans des conditions souvent très économiques.

Deuxième type de concurrence au niveau des contenus, qui est une évidence lourde dans tous les pays : l’existence d’une préférence pour les offres domestiques ou localisées. C’est très important pour la chaîne dont on parle. Une chaîne qui apparaît comme étrangère, dans une langue étrangère, a très peu de chance d’être prise, même dans de bonnes conditions économiques, voire même gratuitement.

Nous distribuons des chaînes en français. Paris Première version internationale est distribuée en Europe de l’Est en français. On n’arrive que très difficilement à la placer, même à des conditions économiques extrêmement basses parce qu’elle est diffusée en français. Il faut être conscient que le public ne paie un abonnement au satellite ou au câble que pour avoir des chaînes qu’il comprend. On voit — 82 —

bien en France que toutes les chaînes progressivement éjectées sont les chaînes étrangères. Dès qu’il y a une chaîne en français, elle prend la place d’une chaîne étrangère. C’est une notion très importante. Les chaînes d’origine étrangère ont du mal à pénétrer les marchés, d’autant plus quand une chaîne locale est déjà dans la même thématique. On voit bien qu’en France, CNN est moins implantée et connaît moins de réussite parce qu’il y a déjà LCI et i

Quand on arrive avec une chaîne française d’information, il est recommandé de la mettre en langue locale ou au moins en anglais. C’est le minimum. Pour MTV, même l’anglais ne suffit pas, ils font des déclinaisons en langue locale. Il faut être conscient que pour pénétrer un marché, il faut faire une adaptation locale, une régionalisation.

Pour le lancement de la future chaîne d’information, cela supposera une analyse très précise des marchés et des conditions : faut-il être en français, en anglais ou en langue locale ?

L’opinion générale est que le français est un handicap lourd. On a réussi à ce que Mezzo, que l’on distribue, soit très efficace en Europe d’une part parce qu’il n’y a pas de concurrence, ni locale ni internationale du même type (opéra, musique classique, etc.), et d’autre part parce que l’on a obtenu de l’éditeur de mettre des séquences en anglais et en espagnol. L’agenda culturel de Mezzo est par exemple diffusé en trois versions à des heures différentes. Quand on la propose aux câblo-distributeurs et aux opérateurs satellite, on peut dire que cette chaîne est vraiment internationale. De même, que le MCM diffusé à l’international n’est pas le MCM France. C’est une version internationale où les interventions en français sont supprimées et où il n’y a pratiquement que de la musique. Le côté « version adaptée » est très important.

Troisième type d’obstacle en matière des contenus : l’atout des chaînes thématiques pionnières. Les services déjà implantés dans ce marché saturé ont un atout évident. La marque existe. Elle est implantée et très difficile à déloger. Quand, dans le domaine de la musique, vous avez déjà MTV ou dans le domaine de la jeunesse, Fox Kids, vous avez du mal à placer une nouvelle chaîne, sauf s’il s’agit d’une chaîne en langue locale.

Dans les pays où CNN, BBC et Deutsche Welle sont implantées, il y aura un vrai problème de saturation parce que l’offre dans la thématique est déjà couverte soit par une chaîne locale, soit par une chaîne internationale. Les chaînes pionnières ont une préférence très forte.

Dernier aspect lié à cela, les chaînes pionnières ont progressé non seulement en régionalisant leur chaîne, mais aussi en lançant des déclinaisons (spin-off). Discovery a ainsi créé Discovery Kids, Eurosport a fait Eurosport News, MTV a fait MTV Base, etc. Dès qu’une chaîne est connue, les groupes audiovisuels font des déclinaisons de cette marque et progressivement, excluent les autres chaînes. En effet, la marque est très importante pour le marketing des câblo-opérateurs : pouvoir annoncer aux gens qu'ils vont disposer d'une nouvelle chaîne Discovery est très avantageux car les gens savent à quoi le programme va correspondre.

Sans un bon marketing, une forte thématique et un caractère de complémentarité, la commercialisation d’une nouvelle chaîne est un vrai problème.

J’en viens maintenant aux opportunités.

Tout n’est pas noir. D’ailleurs, j’ai choisi d’en parler en deuxième partie de mon exposé pour montrer qu’il y a bien des possibilités de développement. Il faut néanmoins être conscient des réalités du marché. Pour être sur le terrain depuis deux ans, dire qu’une chaîne existe et que tout le monde sera content de la reprendre est une utopie. Même si elle est gratuite. C’est le genre de choses que l’on véhicule, mais qui n’est pas vrai. Le marché n’est pas celui-là.

Il y a deux types d’opportunités : les évolutions favorables du marché et les conditions pour que ces opportunités soient saisies. — 83 —

- Pour ce qui concerne les évolutions favorables, on constate d’abord une croissance naturelle du parc d’abonnés câble et satellite déjà existants. Mathématiquement, il y a croissance du nombre de gens qui reçoivent les programmes. Même si les capacités pour les distribuer sont saturées, en bout de ligne, il y a toujours plus de gens qui sont abonnés au câble et au satellite dans le monde entier. La progression existe toujours malgré la crise économique.

La deuxième évolution est l’apparition de nouvelles plates-formes, même si elles sont fragiles, en technologie traditionnelle, en Ukraine, en Russie etc. On pense qu’il y en aura d’autres puisque ce secteur attire toujours des investisseurs malgré les déconvenues de certains. Tout le monde pense qu’il y aura un avenir et donc, il y a encore des nouveautés.

Troisième aspect beaucoup plus important : la numérisation. Même si elle est progressive, ralentie et retardée, cette numérisation qui va se faire – tout le monde sait que c'est l'avenir – va développer des capacités techniques, ce qui permettra d’accueillir de nouvelles chaînes. Le problème est de savoir à quel horizon et dans quelles conditions.

Quatrième type d'évolution favorable du marché : les nouvelles formes de diffusion en large bande ou en ADSL. Les techniciens sont mieux placés que moi pour vous en parler. Ces perspectives existent et résoudront en partie les obstacles techniques décrits en première partie. Là encore, qui peut dire quand et comment cela sera résolu ? On voit que cela commence à bouger. On a des offres de réseau large bande pour reprendre des chaînes comme MCM ou Mezzo. Cela pose cependant des problèmes de droits, car les droits d’auteur en France ne le permettent pas. Des gens commencent à nous contacter pour diffuser par l’ADSL. Mais ce sera un marché émergeant très progressif et très aléatoire. De plus, les questions technologiques supposent des spécialistes, car ce n’est pas évident.

Cinquième type d'opportunités : le regroupement des opérateurs, bouquets câble ou bouquets satellite, font qu’ils deviennent des partenaires plus sérieux. Ils sont mieux habilités à négocier qu’auparavant, ils deviennent plus sérieux. On a de véritables interlocuteurs et on peut passer des accords pour des zones géographiques plus grandes. La distribution est plus efficace et mieux contrôlée.

Sixième type d'opportunités très important au niveau des contenus : lorsqu’il y a des places disponibles, les opérateurs sont très demandeurs de nouvelles chaînes car c’est la seule façon de se développer. Avec une nouvelle chaîne, ils font du marketing en essayant de susciter de nouveaux abonnements. On voit bien en France que TPS et Canal Satellite sont sans cesse en train d'inventer quelque chose pour susciter de nouveaux abonnés. Là encore, il faut le faire autant que possible dans une thématique qui n’est pas déjà surreprésentée dans le bouquet.

Dans ce cadre, une chaîne non anglo-saxonne a un véritable atout culturel. On le sent partout, dans la musique, la jeunesse et l'information. Les événements actuels ne font que renforcer cette idée. Quand il y aura la place techniquement, il y aura une vraie demande pour une chaîne d’information dont le contenu ne sera pas d’origine anglo-saxonne. C’est un atout assez déterminant. On sent dans tous les domaines que l’impérialisme culturel anglo-saxon au niveau des câbles et des satellites est très fort. Dès qu’il y a une possibilité de faire quelque chose d’origine différente, cela intéresse le public, et donc les câblo-distributeurs.

M. Le président : Tout à l'heure, vous disiez que le français était un handicap…

M. Jean Rouilly : Je parle d’une chaîne d’origine française, je n’ai pas dit en français. C’est très important. Quand je dis « anglo-saxon », ce n’est pas le fait qu’elle soit en anglais qui agace les gens. La plupart du temps, elles sont adaptées à la langue locale. C’est le fait qu’elles soient dans la culture anglo-saxonne. MTV est adaptée, elle est en français en France, mais on sent que la culture, le fond est anglo-saxon.

Je différencie surtout la langue. Je suis un fervent partisan de diffuser cette chaîne en langues étrangères. Dire que l’on diffuse la culture par la langue est complètement dépassé. Une des solutions – beaucoup de gens ont dû vous le dire – est qu’il y ait une offre multilingue et que les gens voulant écouter la chaîne en français puissent le faire. Les réseaux numérisés permettent cela et c’est la solution idéale. Ceux qui veulent apprendre le français et avoir les informations en langue originale pourront l’avoir et les autres pourront la recevoir dans la langue locale. — 84 —

Cela suppose cependant que le réseau soit numérisé. Quand la chaîne sera créée, c’est-à-dire dans un an ou un an et demi, la numérisation aura fait des progrès. Il doit y avoir une préconisation forte pour une chaîne à deux canaux son au moins. Cela suppose une sous-porteuse audio de plus, des capacités satellitaires, des capacités de réception etc. Mais c’est l’une des conditions de la réussite.

A mon sens, une chaîne purement en français est regardée par des élites. C'est le cas de TV5. Mais même TV5 a fait des efforts de sous-titrages et de doublages. Le potentiel de foyers qui la reçoivent est une chose, mais ceux qui la regardent vraiment en est une autre.

Dernier point, les opérateurs sont aussi demandeurs de nouvelles offres pour ne plus être entre les mains des pionniers qui les tiennent quelque peu. Les MTV, BBC, CNN sont installées depuis des années et arguant du fait qu’elles ne peuvent pas être retirées, demandent à être rémunérées très cher. Les opérateurs ont envie d’avoir une position meilleure pour négocier avec eux. On sent par exemple qu'ils nous prennent MCM à des tarifs très bas pour embêter MTV. S'ils ne sont pas d’accord avec les nouveaux tarifs, ils sont menacés de voir MCM prendre leur place. La chaîne française d’information pourrait avoir cette position si elle est bien « marketée » et si son contenu est intéressant.

- Quelles sont maintenant les conditions pour saisir ces opportunités ?

Ce que je vais vous dire là est un peu subjectif, mais néanmoins lié à mon expérience professionnelle. Les nouvelles offres doivent proposer une vraie valeur ajoutée. Il faut faire attention à ce que cette chaîne soit un complément par rapport aux chaînes thématiques locales. Vouloir affronter des pays où il y a des LCI et i

Il sera d’autre part très difficile de concurrencer des chaînes internationales de même thématique comme BBC World, CNN et Deutsche Welle-TV, dans les zones où elles sont déjà très bien implantées.

Deuxième type de conditions : il faut – j’insiste à nouveau – que les nouvelles offres aient une vocation vraiment internationale. La première condition est qu’elles soient au moins dans la langue internationale qu'est l’anglais, et si possible pour être vraiment efficace dans certaines régions, il faut pouvoir avoir une déclinaison au fur et à mesure dans la langue locale. En Amérique Latine, une chaîne d’information qui n’est pas diffusée en espagnol ou en portugais serait une hérésie. Ce sera un investissement lourd mais il y a une vraie possibilité de toucher les décideurs si l’on fait une version doublée en langue locale, ou au moins sous-titrée.

Troisième type de conditions : la marque doit être clairement internationale. Il faut que cela apparaisse comme une chaîne française, mais que le nom soit compris au niveau international. C’est idiot, mais cela compte. Chez les câblo-distributeurs du fin fond de la Slovénie, il faut que le nom de la chaîne dise quelque chose, à la rigueur en anglais. Si vous dites que c’est une chaîne de « nouvelles » en français, ils ne comprendront pas. Il faut que le nom générique informe les gens qu’il s'agit d'une chaîne de news. Même si le mot « news » est anglais, il vaut peut-être mieux l’utiliser qu’un mot français qui ne sera pas compris.

M. Le président : Je ne le sens pas bien.

M. Pierre-Christophe Baguet : Pour le nom international, c'est un peu risqué. La Compagnie Générale des Eaux était devenue Vivendi. On nous avait expliqué que le logo et le nom international étaient la garantie d’un succès mondial.

M. Jean Rouilly : Ce n’est pas une garantie. Je n’ai jamais dit cela. C’est une condition nécessaire et pas suffisante. Ce n’est pas parce que vous avez un beau nom que cela marche. Mais si vous avez un nom qui ne désigne pas bien le contenu, à coup sûr, cela ne marchera pas.

Quatrième condition : non seulement cette chaîne doit être internationale, mais elle doit également disposer d’une implantation locale et de relais sur le terrain. Elle doit bénéficier de campagnes de marketing locales. On l’oublie souvent. Il faut que la chaîne sponsorise des événements pour faire connaître sa marque, qu’elle ait des correspondants locaux, des partenariats avec la presse locale. C’est — 85 —

peut-être secondaire, mais c’est la condition du succès. Les câblo-opérateurs et les bouquets satellites locaux reprennent la chaîne s’ils ont des échos de manifestations où son nom est présent.

Cinquième point : des conditions de distribution adaptées au marché. Il faut des conditions tarifaires conformes aux nouvelles donnes du marché. Les tarifs ont drastiquement diminué ; la diffusion peut même être gratuite.

Il faut savoir aussi – c’est très important de le savoir pour juger des plans de développement que l’on pourrait vous proposer – qu’il y a une période de gratuité de toute façon très importante, parce qu’il faut une période de test. Pour lancer une chaîne, même si c’est un fabuleux succès, il faut l’offrir gratuitement pendant trois, six, voire douze mois, donc sans aucune ressource possible. Il est utopique de penser qu’il y aura des ressources en dehors des ressources publicitaires qui, elles aussi, sont très aléatoires.

Mon troisième point porte sur les modalités de distribution de cette chaîne.

Quelles sont les options pour la distribuer ? Elles sont de deux types. Soit elle dispose d’un service intégré de distribution, option prise par EuroNews et TV5 et par quelques autres chaînes, comme Fashion TV. EuroNews, du fait de son caractère international, prétend être reçue par beaucoup de foyers. Je pense que vous avez dû avoir des chiffres de leur part. Ils considèrent qu’ils arrivent très bien à se distribuer. Mais quelle est la proportion entre les foyers potentiels et ceux qui regardent vraiment EuroNews ? Je n’en sais rien. Mais leur distribution intégrée est assez efficace dès lors qu’ils se proposent gratuitement et que c’est vraiment une chaîne internationale dans le sens où il y a plusieurs langues. Ils n’ont pas les obstacles que j’évoquais tout à l’heure. Dans les pays où la langue est parlée, ils sont très bien implantés et bien repris ; je n’ai pas dit « regardés » car je n’en sais rien.

J’ai participé à la création de TV5 dont je suis devenu secrétaire général. On visait avant tout les francophones expatriés. Ce but a été atteint et le nombre de foyers potentiels affiché est fabuleux. Je ne sais pas qu’elle est la reprise réelle de TV5 à cause de la langue. Il y a maintenant des efforts de doublage et de sous-titrage qui font que TV5 est certainement plus vue.

La deuxième option est de considérer que pour lancer une chaîne nouvelle dans un marché encombré – puisqu’il y a déjà des chaînes internationales d’information très performantes et pionnières –, il vaut mieux s’en remettre à un réseau déjà existant. Je ne plaide pas ici uniquement pour LNI – même si nous serions intéressés à distribuer la chaîne –, mais les avantages sont multiples : le réseau existant connaît les câblo-opérateurs et participe à toutes les conventions ; il a des accords avec tous les grands opérateurs et peut mieux promouvoir la chaîne ; il dispose d’une implantation locale avec des agents locaux ; il a déjà tissé des contacts pour les opérations de marketing.

Par ailleurs, pour la négociation et la prospection, la nouvelle chaîne bénéficie de l’effet dit de portefeuille. Arriver sur un marché avec un choix de chaînes permet de vendre Mezzo en même temps que la chaîne d'information française, cela a un vrai sens, c’est la négociation de package à l’américaine. Quand on n'a qu'une seule chaîne à vendre, on n’est pas en très bonne position. De même, pour le suivi, avoir quelqu’un en permanence sur le terrain pour d’autres chaînes permet d'assurer la présence de la chaîne localement.

La distribution par un distributeur à vocation internationale déjà présent sur le marché est donc la solution que je préconiserais, spécialement pour une nouvelle chaîne. La preuve est qu’il y a deux acteurs actuellement en Europe, Zonevision et LNI. Ce n’est pas la même taille. Zonevision représente 150 personnes au minimum et un chiffre d'affaires de 26 millions de dollars. Elle est mieux implantée que LNI qui n’a que deux ans d’ancienneté. Comme par hasard, CNN, MTV, Discovery et Cartoon Network sont distribuées par eux. Ils n’ont pas, sur certaines zones, de distribution autonome ; ils passent par Zonevision en Europe de l’Est parce que tous ces grands réseaux ont bien vu que, dans certains territoires comme l’Europe de l’Est, il fallait passer par un réseau existant.

LNI, avec une toute petite équipe de cinq personnes, est toute récente puisqu’elle a hérité de ce qui était auparavant MCM International. Nous faisons un chiffre d’affaires non négligeable de 6 millions d'euros. Outre les chaînes du groupe Lagardère, c’est-à-dire MCM, Mezzo, Trace, Canal J, TIJI, Match TV et la chaîne Météo, nous distribuons toutes les chaînes du groupe AB (Moteurs, Chasse et Pêche, Animaux, Escales, Encyclopedia, Mangas et XXL), Paris Première pour l’Europe centrale, Cuisine TV — 86 —

pour le monde, ainsi que Game One et Santé Vie. Nous avons également passé un accord avec TV5 pour être distributeur non exclusif, car cette chaîne a compris qu’il y avait intérêt à la fois à faire sa distribution toute seule et à être proposée en portefeuille.

Nous sommes la preuve même qu’un groupe, Lagardère, implanté dans ce domaine parce qu’il avait des chaînes à exporter, a réussi à convaincre tout à fait récemment – tous les contrats sont d’un an – des groupes qui avaient eux-mêmes des chaînes de ne pas avoir un service intégré de distribution. Pourtant, le groupe AB a beaucoup de chaînes. Il a tout à fait compris qu’il était très efficace en France et dans les pays limitrophes, mais que dans le reste du monde, il avait intérêt à confier la distribution de ses chaînes à des distributeurs déjà implantés. Il en va de même pour Paris Première. Des groupes différents comme AB, Paris Première ou Pathé ont compris qu’ils avaient intérêt à le faire.

Cela représente un vrai atout parce que les frais de distribution sont très lourds. Dans une société intégrée, il faut créer de toutes pièces un service, faire beaucoup de voyages, beaucoup d’investissements marketing qui pèseront directement sur le budget de la chaîne.

M. Le président: Merci, c’est un éclairage très original par rapport à ce que nous avons entendu jusqu’à présent. Vous ne nous avez pas dit si cela vous intéressait de distribuer cette chaîne.

M. Jean Rouilly : Oui, naturellement, mais j’ai essayé de parler ici en tant qu’expert.

M. Le président : Quelles seraient les conditions ? Combien pourrait coûter la distribution de la chaîne par LNI ?

M. Jean Rouilly : Pour nous, tous les accords que nous avons passés avec les groupes cités reposent sur une commission sur le chiffre d’affaires généré. Elle est généralement de l’ordre de 25 %. c’est tout. Si la chaîne d’information internationale française veut être distribuée par LNI, il n’y aura aucun investissement. Tous les frais de prospection sont pris en charge par LNI. Chaque contrat signé est payé. Nous sommes chargés de faire les négociations, la prospection, l’établissement des contrats, le relevé d’abonnés, la facturation. Nous prenons notre commission sur le chiffre d’affaires encaissé.

M. Le président : Et si la chaîne est distribuée gratuitement ?

M. Jean Rouilly : C’est tout le problème, que l'on a d'ailleurs avec TV5. On a donc mis dans la convention que l’on allait étudier au coup par coup les modalités de rémunération. C’est un peu compliqué, mais l’on peut trouver des solutions. Pour le cas particulier de la distribution gratuite, il faut trouver une sorte de forfait ou un success fee en fonction du nombre d’abonnés raccordés. C’est possible, ce n’est pas cela le plus compliqué. Nous sommes très intéressés et nous sommes bien placés pour le faire.

Ce serait un peu bizarre que cette nouvelle chaîne soit distribuée par Zonevision, comme CNN. Quant à l’hypothèse EuroNews, quel sens cela aurait-il de proposer une chaîne d’information supplémentaire en français alors que EuroNews diffuse déjà en français et en anglais ? Je pense que c’est un peu contradictoire. Quant à le faire tout seul, je pense que cela impliquerait de créer un service de distribution intégré, donc un investissement inutile.

J’ai défendu l'idée de la constitution d’ une offre « ethnique » auprès de divers présidents de TV5 car on obtient un vrai « effet portefeuille » dans beaucoup de pays quand on propose une option payante de chaînes ethniques. On y mettrait TV5 et les chaînes françaises venant d’ailleurs puisque nous représentons de nombreuses chaînes différentes. Je sais que Multi-thématique, Planète etc. seraient d’accord, s’ils avaient les droits, pour figurer dans un même bouquet. C’est intéressant d’avoir un distributeur qui propose un portefeuille de chaînes de la même ethnie, même si ce n’est pas dans la même langue. Je pense que cela donne un vrai plus. Un jour, on arrivera à ce que TV5 vienne … On l’a proposé aussi à EuroNews.

EuroNews a voulu faire sa propre distribution. Ils connaissent des difficultés financières parce qu’il faut investir beaucoup pour y parvenir. Quand quelqu’un investit et demande de l’argent uniquement s’il y a des recettes, c’est mieux. Je pense que c’est une vraie solution. — 87 —

M. Le président : La distribution, cela comprend-il pour vous la commercialisation, c’est-à- dire la promotion, ou y a-t-il des fonctions différentes ?

M. Jean Rouilly : Prospection, négociations, marketing en liaison avec la chaîne, conclusion des contrats, facturation, encaissement et reversement : LNI fait absolument toutes les phases.

Certains préféraient s’arrêter à la prospection et assurer eux-mêmes les contrats, les encaissements, etc. Mais tous ceux qui ont pris cette option ont abandonné. Pour récupérer de l’argent dans les pays de l’Est, en Amérique Latine ou en Asie, il faut une vraie spécialisation et des services qui font cela en permanence. Mutualiser les frais et la compétence est quand même une bonne formule.

M. Dominique Richard : Juste un petit clin d’œil par rapport aux précédentes auditions. Vous nous avez rappelé un petit détail : il est quand même mieux qu’au bout du compte, il y ait un téléspectateur !

M. Jean Rouilly : C’est très important. Le fait de dire qu’il y a tant de foyers potentiels, ce n’est pas très intéressant, surtout dans la période actuelle. Quand il faut faire des choix, les câblo- opérateurs éliminent les chaînes qui n’ont pas un potentiel réel de pénétration. Ils ne prennent pas en compte le nombre potentiel d’abonnés. De plus, il faut savoir qu’une chaîne en français figurera automatiquement sur une option payante. Les câblo-opérateurs et les bouquets satellite n’acceptent les chaînes ethniques qu’à cette condition. Or seulement, 5 à 10 % de gens prennent l’option payante… Mais au moins, on sait qu'ils regardent !

Mezzo est souvent sur une option payante. C’est une chaîne de niche, mais les distributeurs ne l’éjectent pas parce que ce sont des passionnés d’opéra, de musique classique et de ballet qui sont abonnés à Mezzo en Europe. Il y en a énormément… Pour vous donner quelques résultats, la chaîne MCM en Europe, hors zones francophones, représente plus de 3 millions d'abonnés. Ce n’est pas les 50 millions affichés par TV5. C’est vrai, mais ce sont des gens qui payent. Les câblo-distributeurs payent pour 3,8 millions d'abonnés à MCM et près de 6 millions à Mezzo.

LNI a prouvé qu’elle peut vendre des chaînes françaises à l’international, principalement en Europe. Il ne faut pas se leurrer : l’Amérique latine est un marché très difficile, l’Asie aussi. Nous avons arrêté la distribution en Asie et en Amérique Latine. On se faisait plaisir. Tout le monde disait que MCM était reçue partout, mais il n’y avait pas un centime de revenus. Le satellite coûtait quand même 3 millions de francs. Alors, 3 millions de francs de satellite pour avoir des contrats signés et non payés… Il faut être réaliste : le marché, c’est cela.

Pour être reprise, une chaîne, même gratuite, doit être soit dans la langue locale, soit « marketée » sur place ; il faut un vrai suivi par un distributeur, avec un agent local qui la propose à tous les opérateurs. En plus des câblo-distributeurs, il y a tous les sous-câblo-distributeurs. C’est un monde particulier. Assister à une réunion de câblo-distributeurs dans les pays de l’Est, c’est… étonnant ! Ce sont des petits potentats qui décident ou non de proposer la chaîne.

M. Pierre-Christophe Baguet : TV5 nous a dit qu’elle s’appuie sur 1 300 accords mondiaux de diffusion. Pensez-vous qu’il n’y aurait pas une synergie possible à développer sur ces 1 300 accords ? Ou, au contraire, ce n’est pas parce que qu’il y a ces 1 300 accords avec TV5 qu’il ne faut pas reprendre dans certains pays et régions les négociations à la base ?

M. Jean Rouilly : Mon idée est que cette chaîne doit avoir un management autonome et beaucoup de partenariats. Le mangement doit être autonome, car la mettre dans un autre organisme reviendrait à la noyer. En revanche, elle doit avoir des partenaires. Ce serait stupide de recréer un circuit de distribution là où il y en a déjà. Soit on opte pour TV5, soit pour LNI, soit pour EuroNews.

M. Pierre-Christophe Baguet : Mais l’on peut opter pour les deux ensemble ?

M. Jean Rouilly : Oui, parce qu’il y a des accords non exclusifs. Cela dépend de la complémentarité réelle par rapport à TV5. Si TV5 continue à avoir beaucoup d’informations sur sa chaîne, ce qui est le cas actuellement, – même si c’est un peu franco-canado-belgo-suisse, il y a quand même beaucoup d’informations –, elle ferait doublon avec une nouvelle chaîne d’information française chez un même distributeur. Si – ce que j’espère – TV5 revenait au concept d’origine, c'est-à-dire une — 88 —

chaîne vitrine des programmes français, on pourrait offrir en même temps une chaîne où il y a très peu d’information et une chaîne d’information. On proposerait alors quelque chose de cohérent. Pour obtenir l’effet portefeuille, il ne faut pas proposer des services concurrents. Par exemple, LNI refuse de distribuer les chaînes musicales du groupe AB car il distribue déjà MCM, MCM2, MEZZO et TRACE. Nous ne distribuons pas leurs chaînes musicales pour ne pas se faire concurrence. De même que nous n'allons pas prendre d’autres chaînes jeunesse, alors que nous distribuons déjà Canal J et TIJI.

Je suis très favorable à une distribution commune avec TV5 à condition qu’elle se recentre principalement vers le « non-info », ce qui n’est pas le cas actuellement. C’est un axe stratégique important que d'affirmer que si l’on crée une chaîne d’information, il faut recentrer TV5.

M. Le président : Nous en sommes conscients, mais nous sommes aussi conscients de la difficulté.

M. Jean Rouilly : Pour avoir été dans le petit groupe qui a créé et géré TV5, je sais qu’il y a une vraie demande pour une chaîne vitrine. Qu’il y ait un ou deux journaux d’information, soit ! Mais s’il y a une chaîne d’information, il n’y a pas besoin de faire de doublons…

M. Pierre-Christophe Baguet : C’est un débat que nous avons et que nous percevons auprès des personnes auditionnées. Rajoute-t-on une chaîne supplémentaire en laissant en l’état les chaînes existantes ou bien réorganise-t-on le paysage audiovisuel du service public ?

M. Jean Rouilly : C’est une question qui se pose notamment pour la distribution. Ce n’est pas gênant en théorie, mais la chaîne dont nous parlons sera faite pour être vue à l’étranger et non en France. Si vous proposez à la fois un journal toutes les heures sur TV5 et un journal toutes les demi-heures sur une chaîne d’information, quelle est la différence ?

M. Le président: Nous sommes d’accord.

M. Jean Rouilly : Pour rejoindre votre question, faut-il TV5 ou non ? De par mon expérience professionnelle, j’ai fait vingt ans dans le public et douze ans dans le privé, je suis partisan de partenariat privé-public, surtout pour l’audiovisuel extérieur. Dans ce domaine, il faut que les deux joignent leurs forces tant le marché est petit et risqué. Lagardère Networks International travaille avec TV5 pour la distribution. On peut très bien prendre des options mixtes. Je pense que c’est l’avenir : les compétences et les financements peuvent être mixtes.

M. Pierre-Christophe Baguet : C’est votre position. On nous a expliqué parfois le contraire.

M. Jean Rouilly : C’est ma vision personnelle. Ma double expérience m’a donné cette optique. De plus, il faut que les organismes gérant un nouveau projet ait un management autonome, avec des obligations de contrats cadres pluriannuels avec chacun des prestataires. Il faut un contrat cadre avec France Télévisions avec l’AFP, avec TV5. Mais il doit y avoir quelqu’un qui gère la chaîne, qui a le budget, qui sait exactement ce qui se passe. Elle peut sous-traiter, mais il n’est pas question de doublonner. Il y a une rédaction à France Télévisions et on peut imaginer qu’il y ait un accord pour la fourniture des images. Mais le management doit être autonome.

Si vous faites un management commun, l’international sera toujours secondaire vis-à-vis des crédits donnés par la puissance publique. Les crédits que vous donnerez iront au renforcement du 20 heures de France 2, car c'est là qu'ils sont en concurrence avec TF1. La preuve de l'efficacité, c’est en France. La dérive de TV5 vient de ce que cette chaîne est faite pour le public français. Les présidents successifs ont fait cela parce que la chaîne est vue en France par les Français, les décideurs français. Elle n’est plus faite pour l’étranger, mais pour la France.

Il ne faut surtout pas que la chaîne d’information retombe dans ce travers. Et pour cela, il faut quelqu’un qui ait uniquement en vue une préoccupation internationale, quelqu’un qui rende des comptes, avec un budget, une organisation autonomes. Les secteurs internationaux ne peuvent être rattachés au management global, sinon ils sont noyés. C’est la cinquième roue du carrosse.

M. Le président : Merci et félicitations pour votre apport qui était très original. — 89 —

M. Jean Rouilly : Un peu subjectif et passionné.

M. Pierre-Christophe Baguet : Il était très complémentaire de ce que l’on a entendu.

——BBBFBFFFBBBBFFFF—— Audition de M. Jean-Jacques AILLAGON, ministre de la culture et de la communication

Présidence de M. François ROCHEBLOINE, Président

(Extrait du procès verbal de la séance du mercredi 30 avril 2003)

M. le président : Mes chers collègues, nous accueillons aujourd’hui M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication.

Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir accepté notre invitation, sachant que votre emploi du temps est particulièrement chargé. Le Président de la République, lors de la campagne présidentielle, a émis le souhait de créer une chaîne française d’information continue à vocation internationale. Un groupe de travail a été constitué à Matignon, un rapport a été remis par M. Philippe Baudillon au ministre des affaires étrangères et l’Assemblée nationale a constitué une mission d’information sur le sujet, composée de membres de la commission des affaires étrangères et de celle des affaires culturelles, familiales et sociales.

Nous avons auditionné un certain nombre de personnalités du monde de l’audiovisuel, nous nous sommes rendus en Allemagne, chez Deutsche Welle, à Londres chez BBC et CNN, et nous projetons de remettre un rapport d’étape le 14 mai.

Monsieur le ministre, pardonnez-moi de mon impertinence, mais le gouvernement a-t-il bien mesuré les enjeux d’un tel projet en termes financiers ? Par ailleurs, comment voyez-vous ce projet : uniquement francophone ou d’autres langues sont-elles prévues, telles que l’anglais, l’arabe, l’espagnol, sachant que les chiffres qui nous sont soumis pour la diffusion en langues étrangères sont importants, soit 10 à 15 millions d’euros supplémentaires par langue ? Enfin, quelles zones géographiques seront couvertes ?

J’aimerais également connaître votre sentiment sur le statut de la chaîne : doit-elle être privée, publique ou mixte ? Faut-il créer une nouvelle chaîne ou pensez-vous vous appuyer sur une chaîne existante ? Ne pensez-vous pas que l’appel à projets qui a été lancé par le gouvernement et qui a reçu trois propositions était trop réducteur et manquauit d’un véritable cahier des charges ?

Je me demande enfin si les difficultés liées à la création d’une telle chaîne ont bien été mesurées, sachant qu’il existe déjà sur le marché de grandes concurrentes ?

Monsieur le ministre, telles sont les différentes questions que je souhaitais vous poser. Je vous laisse tout de suite la parole.

M. Jean-Jacques Aillagon : Monsieur le président, il ne faut pas avoir d’état d’âme sur ce que serait l’utilité d’une chaîne de ce type. L’existence d’une chaîne d’information continue d’origine française présenterait le grand avantage de contribuer à l’amélioration de la diversité de l’information sur la scène internationale. Et nous serions très heureux qu’à côté de chaînes américaines, anglaises et arabes, la France, grande nation culturelle, pays entendant jouer sur la scène internationale un rôle politique et diplomatique important, puisse également fonder son action, son influence sur l’existence d’une chaîne d’information internationale.

Je tiens à dissiper une ambiguïté : on a parfois parlé de créer une « voix de la France ». Il est évident que cette posture est totalement désuète : on ne peut pas imaginer, aujourd’hui, qu’une chaîne d’information soit l’organe d’expression d’un gouvernement. Ce n’est plus le cas sur la scène intérieure, comment pourrait-on imaginer qu’à l’étranger, une chaîne d’information soit réputée être l’expression de la pensée d’un gouvernement ou d’un ministère tel que les affaires étrangères ? Quelle serait d’ailleurs son autorité rédactionnelle ? Elle serait obligée de se censurer de mille façons et sur mille sujets pour ne pas nous attirer, quotidiennement, des problèmes avec tel ou tel pays, telle ou telle partie du monde. — 91 —

Le principe de diversité de l’information doit être promu sur la scène internationale. Par ailleurs, une chaîne de ce type peut également être porteuse d’une meilleure diffusion de l’image de la France à l’étranger. Une chaîne d’information internationale d’origine française est également une formidable occasion d‘ouvrir une fenêtre sur notre pays – sur sa vie politique, sociale, culturelle, sur ses richesses, sur sa capacité à produire des idées, des biens, etc. Et à travers la France, c’est une fenêtre sur l’Europe qui s’ouvrirait.

Par ailleurs, un projet de ce type confirmerait le statut de la langue française comme grande langue de culture et de civilisation. On a beaucoup débattu la question de savoir en quelle langue émettrait cette chaîne et si elle émettrait de façon identique sur toutes les aires de diffusion. Radio France Internationale, dans le monde entier, diffuse conjointement en langue française et dans les langues en usage dans ses aires de diffusion ; ainsi, en Roumanie, une partie des programmes est diffusée en roumain. Ces programmes deviennent alors des véhicules accessibles de notre pensée, de notre langue, de notre actualité, de notre création. Quel que soit le pragmatisme qui conduirait à faire le choix d’utiliser également l’espagnol ou le portuguais sur le continent sud-américain, l’arabe dans le monde arabe, et d’autres langues dans d’autres partie du monde, le français devrait tout de même constituer la langue pivot de l’activité de cette chaîne. A ce titre, la chaîne d’information internationale de langue française serait aussi un outil d’affirmation de la place du français, de la place du moins à laquelle nous prétendons et à laquelle nous pouvons prétendre.

Vous me demandez, monsieur le président, si nous allons utiliser les chaînes existantes. Dès que le Président de la République a lancé le débat sur la création d’une chaîne d’information d’origine française, d’aucuns ont réagi affirmant qu’il existait déjà des chaînes d’information – i

LCI comme i

D’autres personnes ont mis en avant TV5. Il s’agit d’une chaîne francophone très largement et très bien diffusée dans le monde, mais elle fonctionne sur un autre modèle : il s’agit d’une chaîne qui vise avant tout à diffuser, dans une configuration de plus en plus individualisée, des programmes émanant d’un certain nombre de chaînes francophones associées au sein de la société TV5. L’information est très largement la reprise des informations nationales des différents partenaires, ce qui permet à un étranger en voyage au Japon d’apprendre qu’un camion s’est renversé entre Liège et Bastogne et que quinze bestiaux ont péri dans l’accident ! Nous sommes là dans un autre exercice que celui qui implique l’existence et la création d’une chaîne d’information internationale.

Une chaîne d’information doit prendre en charge le destin du monde entier et tenter de donner un point de vue sur cette actualité internationale destinée à un public plus large que celui constitué par l’ensemble des citoyens d’un pays ou l’addition des téléspectateurs d’un certain nombre de pays associés. Il s’agit donc d’un exercice très spécifique, et aujourd’hui je considère qu’aucune chaîne éditée en France – sauf EuroNews – ne constitue à proprement parler une chaîne d’information internationale.

Le cas d’EuroNews est complexe dans la mesure où cette chaîne procède encore très largement par addition de programmes d’origines diverses, sans qu’une autorité rédactionnelle forte n’en assure le lissage et la personnalité éditoriale. On est frappé, quand on passe de LCI à i

J’estime donc qu’il faut envisager, si l’on veut satisfaire la demande qui nous est faite, la création d’une nouvelle chaîne. Ce qui, à mes yeux, ne veut pas dire qu’il n’y a pas lieu de réfléchir à l’utilisation de l’existant. S’agissant de l’audiovisuel extérieur, en tout cas d’activités d’information internationales, notre pays est finalement riche en initiatives, en sociétés éditrices, en programmes, tant — 92 —

dans le domaine de la radio que dans celui de la télévision ; je pense à TV5, CFI, RFI, RFO, à l’AFP, à Euronews, à l’AITV, sans compter les activités internationales de France Télévisions ou d’ARTE. J’aurais donc tendance à penser que s’il fallait faire quelque chose, il conviendrait également de s’interroger sur la meilleure coordination de l’existant, sur l’usage plus rationnel que l’on pourrait en faire.

L’ensemble de cette réflexion sur la création d’une chaîne d’information internationale m’a souvent conduit à me dire qu’elle devrait aussi nous inviter à réfléchir de façon plus globale à une meilleure coordination de l’audiovisuel extérieur, et peut-être d’ailleurs à une meilleure coordination de l’audiovisuel public de façon générale. Il m’est arrivé de penser qu’il y avait peut-être trop d’opérateurs, que la question de la dualité des tutelles, selon que l’on se situe en audiovisuel intérieur – ministère de la communication – ou en audiovisuel extérieur – ministère des affaires étrangères –, était peut-être la trace, le témoin de situations ou de partis pris d’un autre temps, que l’on devrait réfléchir à une meilleure coordination de ces réalités, y compris s’agissant des choix de financement. En effet, l’audiovisuel extérieur est financé en partie par la redevance et, comme pour marquer qu’il entretiendrait une relation particulière avec ce ministère, subventionné par le ministère des affaires étrangères.

Une fois que sera accompli le travail de réflexion sur la création d’une chaîne d’information internationale, il conviendra de déterminer de quelle façon cette chaîne s’inscrit dans le paysage audiovisuel national actuel et dans le paysage audiovisuel extérieur. Pour ma part, je serais en faveur de tout ce qui conduira vers plus de lisibilité, vers une simplification. En tout état de cause, il ne faut absolument pas, à cette occasion, que l’on complique un jeu déjà extrêmement complexe, mais que l’on essaie, au contraire, de simplifier ce paysage.

Finalement, vous posez la question de savoir qui sera opérateur et qui paiera. Quatre propositions ont été remises à la Direction du développement des médias : celle de France Télévisions associée à Radio France Internationale, celle de TF1 et de sa chaîne d’information LCI, celle de Canal +, et enfin une proposition émanant d’Alliance TV, qui est une association de diverses organisations internationales non gouvernementales.

Ces quatre propositions sont aujourd’hui à l’étude, elles ont été déposées à la Direction du développement des médias et nous souhaitons les faire entrer dans ce dispositif de réflexion caractérisé également par les travaux de votre mission, par la démarche du Premier ministre, par le ministère de la communication et enrichi par l’initiative du ministre des affaires étrangères de confier une mission particulière à une personnalité, M. Philippe Baudillon. J’ai pris connaissance de son rapport en début de semaine.

Il n’est pas inintéressant de noter – je n’évoque là que les trois premières propositions – que toutes les analyses qui soutiennent ces propositions constatent que l’exercice d’édition d’une chaîne d’information internationale ne peut pas se faire sans moyens. Cela coûte cher et rapporte peu. Les grands opérateurs, dans le monde, accusent en effet plutôt des déficits que des gains. L’idée selon laquelle cette chaîne pourrait fonctionner dans une logique purement commerciale et bénéficier d’un équilibre financier spontané et rapide est extrêmement périlleuse. J’observe d’ailleurs que les opérateurs privés envisagent d’emblée des formules d’association avec le service public et la mise en œuvre de subventionnement de cette activité par l’Etat.

Voilà où nous en sommes. Nous n’avons rien voulu fermer. Ouvrir la possibilité, c’est le sens de la proposition France Télévisions/RFI, d’une initiative qui s’inscrirait dans le cadre du service public, qui valoriserait très largement l’existant – par exemple, le réseau de correspondants internationaux de Radio France internationale – mais supposerait naturellement que l’Etat mette en place des moyens budgétaires suffisants pour permettre l’épanouissement de cette activité.

Lorsqu’on examine les différentes propositions qui nous ont été remises, il convient de tenter de les valider selon quelques critères. Le premier est la compétence professionnelle de ceux qui sont les porteurs du projet, la compétence éditoriale, la compétence journalistique. Faire de l’information est un métier, cela ne s’improvise pas, il convient donc de veiller à ce que la capacité professionnelle soit au rendez-vous.

Deuxième critère : la capacité des opérateurs de mobiliser des réseaux de diffusion, de distribution et de commercialisation, continent par continent, pays par pays, sur toutes les plates-formes — 93 —

satellitaires, les réseaux câblés, et pourquoi pas, dans certains cas, les réseaux hertziens ou l’ADSL. En effet, à terme, il convient de viser la diffusion la plus large possible sans perdre de vue qu’il y a sans doute plus d’intérêts stratégiques, politiques, culturels à pouvoir s’affirmer fortement dans certaines régions plutôt que dans d’autres.

L’Europe constitue à mes yeux une zone essentielle, l’Amérique du Nord également ; on a beaucoup parlé du bassin de la Méditerranée, je crois en effet que cela est nécessaire, tout comme l’Afrique. Encore qu’il faille se garder d’avoir une vision instrumentalisée de l’information. Même si l’on souhaite sa diversité, même si l’on souhaite que la France y trouve sa voie, on ne peut pas imaginer que l’information soit un simple outil de combat politique, une sorte d’objet de propagande. Ce serait vraiment indigne de ce qu’a été toute l’évolution de l’éthique, de la déontologie de l’information au cours des deux derniers siècles.

Je sais bien que s’il ne faut pas faire la bête, il ne faut pas non plus faire l’ange ; il faut être pragmatique. En tout cas, si l’on vise ce bassin important, il convient de le faire en sachant bien que l’information est là pour servir dans un esprit de probité et de respect de la vérité, du discernement, de l’entendement et de l’esprit critique de ceux auxquels elle est destinée. Il ne serait pas convenable que nous souhaitions pour nos concitoyens une information à l’égard de laquelle la distance critique est possible, que nous incitions le ministère de l’éducation à s’engager avec le ministère de la culture dans des programmes d’éducation à l’image et de lecture de l’information et que par ailleurs, dans d’autres parties du monde, on considère que l’information est un objet d’apologétique ou de propagande.

Il convient donc de viser des zones de diffusion larges en prenant en compte, en tout premier lieu, les zones avec lesquelles nous avons des relations culturelles profondes – des zones de la francophonie par exemple, comme l’Afrique que nous négligeons trop et où nous sommes en train de perdre de l’influence, y compris linguistique – et des régions du monde où des opinions publiques se font et participent à l’aventure de l’émergence d’un monde partagé.

Dernier critère, celui de la faisabilité financière, et dans certains cas budgétaire, de ces projets. Je serais très attentif à toutes les propositions qui viseront, non pas tant à susciter ex nihilo l’émergence d’une nouvelle entité, mais qui se livreraient à une analyse raisonnée de l’existant et tenteraient de l’utiliser, de le mobiliser. Entre l’Agence France Presse, Radio France Internationale, les activités internationales des chaînes de radio et de télévision du service public, nous disposons d’un formidable réseau de correspondants, de journalistes, de rédacteurs ; nous sommes déjà, sur cette base, en mesure de produire une réelle information sur la réalité du monde.

Monsieur le président, j'ai pris parti de répondre à vos questions, mais je me rends compte que cela peut conduire à un peu de désordre et que j'aurais peut-être dû m'en tenir aux propos que j'avais préparés. Nous pourrons y revenir, mais j'ai préféré cette spontanéité.

M. le président : Monsieur le ministre, je vous remercie.

M. le rapporteur : Monsieur le ministre, un certain nombre de préoccupations ont émergé au cours des réunions de cadrage entre les membres de la mission.

Premièrement, le destin de TV5. Il nous semble qu'il devrait y avoir, entre la chaîne internationale d'information et TV5, une vraie complémentarité culturelle. Nous proposons pour cela de repositionner TV5 sur sa mission initiale de promotion de la francophonie, alors que l'objectif de la nouvelle chaîne devra dépasser cette simple défense de la langue française. Que pensez-vous de cette analyse, sachant qu'un certain nombre de nos collègues se sont émus du destin de TV5 ?

Deuxièmement, la ligne éditoriale. Vous avez parlé de votre préoccupation d'indépendance de la chaîne ; le dire, c'est bien, mais nous souhaiterions que cela soit formalisé. Comment peut-on affirmer qu'une chaîne sera indépendante, sachant qu'elle ne doit pas non plus devenir hostile à la diplomatie française ? Il y a donc peut-être là un exercice périlleux pour définir la ligne éditoriale française, compte tenu du fait que cette question n'est pas neutre et qu'il convient de la faire respecter.

Troisièmement, pouvez-vous nous faire part du calendrier ? Quelle sera l'évolution du projet ? Les événements n’ont cessé de s’accélérer depuis le début de l’année. Notre mission, qui devait travailler jusqu'à cet automne, a dû, devant la précipitation de certaines équipes, réduire le nombre de ses auditions — 94 —

afin d'établir un rapport d'étape pour le 14 mai et ne pas être déconnectée de la réalité de ce dossier. Nous avons l'impression que le gouvernement envisage d'inscrire des crédits dans le prochain budget pour un lancement de la chaîne en 2005 ; avez-vous également ce sentiment, Monsieur le ministre ?

Quatrièmement, chacun a bien conscience que cette chaîne devra bénéficier de l'aide, peut-être exclusive, de l'Etat. Pensez-vous qu'il convient de passer par le système de la redevance ou qu'il est préférable d'accroître les subventions budgétaires à l’audiovisuel afin d’en faire bénéficier cette chaîne ?

M. Jean-Jacques Aillagon : S'agissant de TV5, la création d'une chaîne internationale ne met pas fin à sa légitimité et son utilité. Bien au contraire, TV5 doit, dans ce contexte, se définir encore plus fortement comme une chaîne de diffusion de programmes, ce qui ne veut pas dire qu'elle ne développera aucun programme d'information. J'observe d'ailleurs que les équipes de TV5 ont, au cours des dernières années, accompli un travail d'émergence progressive d'une information propre à la chaîne, dépassant le simple reconditionnement, la simple diffusion de programmes d'information issus des chaînes.

Cependant, il est vrai, lorsque la chaîne d'information sera créée, qu'il conviendra de mieux rationaliser l'engagement de ces deux chaînes. Nous ne pouvons pas imaginer que se poursuive, par exemple, le développement d'une rédaction complète à TV5, alors qu’un travail rédactionnel et éditorial complet sera fait par ailleurs. C'est là que s'illustre mon souci de rationalisation de l'ensemble des activités de l'audiovisuel extérieur français. Cela étant dit, TV5 a vocation à durer. Je sais à quel point nos partenaires, Canadiens, Québécois, Suisses et Belges y sont attachés.

En ce qui concerne l'indépendance, vous l'avez dit, aucun d'entre nous ne veut d'une chaîne servile – ce serait ridicule, elle n'aurait aucune autorité rédactionnelle –, mais on ne peut pas imaginer non plus qu'elle soit hostile. Si l'on ne peut pas se payer le ridicule d'avoir une chaîne qui soit tous les matins le porte-parole du gouvernement français, qui ne le souhaite d’ailleurs pas, on ne peut pas imaginer non plus que cette chaîne contredise systématiquement tous les partis pris de la politique internationale de la France, ce qui ne manquerait pas de plonger nos interlocuteurs dans une certaine perplexité. Donc, ni hostile, ni servile.

La seule façon de s'en sortir est de faire confiance à ceux qui seront chargés de diriger cette chaîne. C'est sans doute dans la constitution de l'équipe de direction et de l'équipe rédactionnelle que réside l'intelligence qui est l'issue de cet exercice si difficile qui doit associer totale autonomie, totale indépendance de la pensée éditoriale et prise en compte du fait que cette chaîne est un élément de notre dispositif d'influence international. Il est donc important de nommer à la tête de cette chaîne un ou une professionnel(le) de qualité incontestable, sachant s'entourer des compétences nécessaires et de journalistes suffisamment éprouvés pour justement garder cette équilibre entre la non-servilité et la non-hostilité.

En ce qui concerne le calendrier, j'aurais tendance à penser aujourd'hui qu'il convient, d'abord, de savoir ce que l'on veut faire, puis d'aller vite. Nous n'avons aucun intérêt à tergiverser indéfiniment sinon cette chaîne ne se montera jamais.

Nous disposons d'instruments d'évaluation, d'appréciation, de mesure. Le rapport de M. Philippe Baudillon a été remis, la Direction du développement des médias a reçu les quatre propositions que nous avons évoquées, vous-mêmes avez très judicieusement décidé d'accélérer votre travail afin de remettre un rapport d'étape le 14 mai. Le gouvernement disposera donc de très nombreux outils d'appréciation à partir desquels il pourra définir comment il souhaite procéder pour d'une part analyser les différentes propositions et d'autre part instruire et induire un choix. Le bon sens voudrait que l'on sache, avant l'été, si l’on y va ou non, puis que l'on se donne le temps de l'été pour savoir comment le faire. Mais il est vrai que dès que l'on décidera d'y aller, on saura dans quelles conditions, notamment financières et budgétaires, on se lancera dans cette initiative.

M. Michel Herbillon : Monsieur le ministre, je souhaiterais revenir sur un certain nombre de sujets que vous avez abordés.

Quelle vision avez-vous de cette future chaîne d'information internationale ? Vous avez évoqué les zones de diffusion, avec des zones d'influence prioritaires de notre pays, vous avez évoqué aussi d'autres zones géographiques, telles que l'Amérique du Nord, l'Amérique du Sud, l'Asie, etc. Selon vous, une fois mise en œuvre, cette chaîne devra-t-elle immédiatement couvrir des zones géographiques — 95 —

extrêmement larges ou envisagez-vous, d'abord, des zones de diffusion prioritaires pour ensuite aller vers une montée en puissance ? Et si la réponse est : oui, avec quel calendrier et à quel coût ?

Par ailleurs, avez-vous une idée, à ce stade de la réflexion, du statut de cette chaîne ? Autrement dit, sera-t-elle publique, privée ou mixte ?

Ensuite, lorsqu'on évoque la diffusion et les différentes formules, se pose la question du coût : avez-vous déjà un certain nombre de données vous permettant de déterminer le coût de la mise en place de cette chaîne ?

Enfin, vous l'avez très justement évoqué et nous en sommes tous conscients, il existe une forte volonté politique et la création de cette chaîne doit se faire assez rapidement. Tout le monde s'accorde à reconnaître qu'elle aura des conséquences sur la situation actuelle de l’audiovisuel extérieur. Le paysage audiovisuel de la France a le mérite d'exister, d'avoir une audience, mais nous ne devons pas négliger les critiques, comme celles du rapport de la Cour des comptes, quant à son coût et à son absence de lisibilité. Quelles conséquences la création de cette chaîne d'information aurait sur le paysage audiovisuel actuel – nous avons déjà évoqué le cas de TV5 ?

M. Michel Francaix : Monsieur le ministre, les choses sont bien claires, il est tout à fait indispensable de créer cette chaîne. Et elle ne pourra se faire que si la volonté du Président de la République ne varie pas – il a parlé d'une ardente obligation – car le dossier est tellement complexe que si on le prend uniquement d'un point de vue comptable, elle ne verra jamais le jour. En outre, les ministères concernés sont nombreux, TV5 se sentira amputée d'un certain nombre de ses missions et quelle que soit votre volonté de rationaliser l'audiovisuel extérieur, ce dont on ne peut que vous en féliciter, les difficultés ne manqueront pas.

Je vous poserais deux questions. La première concerne le financement. Pensez-vous que le financement de cette chaîne doit ressembler à celui de RFI, dont le budget est alimenté par de la redevance et des subventions du ministère des affaires étrangères ? Nous connaissons tous la polémique qui existe autour de la redevance ; si vous décidez qu'une partie de la redevance financera cette chaîne, cela voudra dire que les Français la recevront. RFI bénéficie d'une partie de la redevance, parce qu'elle est entendue par les Français.

Par ailleurs, pensez-vous que le CSA a un rôle à jouer ou doit-il être totalement exclu de la réflexion générale ? Bien entendu, je ne vous demande pas s’il appartient au CSA de trouver le président de la chaîne !

M. Pierre Lellouche : Monsieur le ministre, en tant qu'ancien éditorialiste, je ne sais pas ce qu'est un équilibre entre la non-servilité et la non-hostilité ! mais je sais ce que sont une presse et une télévision libres, et je sais ce qu'est un organe contrôlé.

Nous allons avoir en face de nous deux télévisions anglo-saxonnes extrêmement professionnelles, BBC et CNN, que je regarde tous les soirs ; notamment BBC dont la qualité est incontestée, et qui dit des choses souvent désagréables sur le gouvernement britannique – ce qui a encore été le cas hier à propos la rencontre de MM. Blair et Poutine. Editorialiste, journalistes, ils disent les faits.

Je suis favorable, depuis longtemps, à une télévision francophone, car je voudrais voir rayonner notre langue et notre pays à l'échelle du monde. Mais pour qu'elle soit crédible, cette chaîne doit être libre, absolument libre. Et nous devons nous interdire par avance d’en faire un outil diplomatique. Or, dans ce que vous avez dit Monsieur le ministre, il y a cet élément. Si l'on part comme cela, on n’ira nulle part. Nous avons déjà un handicap linguistique et de crédibilité, je crois donc que nous serons écoutés et respectés à travers le monde que si l'information française est libre, au moins aussi libre que les autres.

En outre, elle aura l'avantage d'être en langue française, avec un éclairage différent. Mais un éclairage différent ne veut pas dire que c'est la voix de son maître ; ce n'est pas une bonne idée de rechercher un équilibre avec notre intérêt diplomatique, qui est variable selon les politiques. Je préférerais donc un discours très clair sur ce sujet.

Ma deuxième remarque concerne – tout comme celle de M. Michel Herbillon – l'audiovisuel extérieur : je ne vois pas comment on peut créer cette chaîne sans remettre de l'ordre dans le dispositif — 96 —

existant. Le contribuable est déjà extrêmement sollicité, il sera donc difficile de lui demander de payer pour une telle ambition, même si cela contrarie nos amis Québécois, Wallons ou Suisses. Je ne comprends pas comment tout cela se marie, quel est l'intérêt et quelle est la lisibilité extérieure. La France doit posséder un véhicule de communication sur l'information ; or plus les choses sont simples, mieux on se porte. Il convient donc de mettre de l'ordre dans notre paysage audiovisuel extérieur.

Troisième remarque : cette chaîne aura également une influence sur l'audiovisuel national. Par exemple, combien de chaînes publiques faudra-t-il conserver ? Ajouter une nouvelle chaîne publique, alors qu’il y en a déjà une de trop, serait charger le baudet ! Car il ne fait aucun doute, il s’agira d’une chaîne publique ; je ne vois pas comment un opérateur privé pourrait gagner de l’argent avec une telle chaîne, sauf à s’adosser sur un très grand groupe, tel que celui de Ted Turner.

M. Didier Mathus : Monsieur le ministre, je partage tout à fait le sentiment de Pierre Lellouche : il est difficile d’envisager autre chose qu’une chaîne publique. Mais pouvons-nous imaginer que la perspective de cette chaîne soit un élément restructurant pour les rédactions publiques ? Si oui, et après réflexion, la question d’une chaîne tout info publique domestique ne se reposera-t-elle pas ?

M. Jean-Jacques Aillagon : Je commencerai par répondre à la question de M. Lellouche, car elle me conduira ensuite, spontanément, à répondre aux autres questions.

Monsieur Lellouche, nous disons la même chose ! Je ne comprends pas pourquoi vous pensez, en tout cas sur les deux premiers points que vous avez évoqués, que nous avons un sentiment contraire. Cela tient peut-être à la maladresse des mots employés, mais quand je parle d’une chaîne non servile et non hostile, je parle en fait d’une chaîne libre. Je tiens à dire très fortement que l’on ne peut pas imaginer aujourd’hui, au début XXIème siècle, qu’une chaîne d’information puisse être un organe d’influence politique ou diplomatique directe. Ce serait ridicule, nuisible et cela compromettrait définitivement notre discours sur la liberté. Où serait l’autorité de notre discours sur la liberté si nous étions un pays producteur d’informations d’Etat, exprimant le point de vue de l’Etat, quel que soit l’excellence de ce point de vue sur les affaires du monde ? Le processus de libéralisation et de conquête de la liberté d’expression dans la presse fait que c’est aujourd’hui inenvisageable.

Une chaîne d’information de langue française ou d’origine française est incontestablement un outil d’influence politique, culturelle, diplomatique, mais elle ne peut pas être un instrument d’action diplomatique directe. C’est la raison pour laquelle j’ai toujours pensé qu’il faudrait peut-être un jour reconsidérer l’organisation de l’audiovisuel extérieur et sa relation avec le ministère des affaires étrangères, qui témoigne d’une époque où l’on s’imaginait qu’il s’agissait d’un instrument d’influence directe. Or ce n’est pas le cas, et ça ne peut pas être le cas, et le Quai d’Orsay l’a bien compris.

En ce qui concerne le possible conflit entre TV5 et une chaîne d’information, je ne suis pas d’accord avec vous, Monsieur le député. En effet, une chaîne d’information internationale d’origine française et TV5 relèvent de deux processus différents. L’existence de TV5 est la traduction de la solidarité d’un certain nombre de pays francophones et de leurs télévisions publiques dans un projet culturel partagé, visant à la promotion des productions nationales dans les domaines de la cinématographie, de la fiction, de la variété, et dans le domaine de l’information. Mais TV5 est avant tout une chaîne de programmes, et à ce titre je crois qu’elle rend service à l’idée de la francophonie.

Cependant, il est vrai que quand cette chaîne d’information internationale sera créée, il y aura lieu de reconsidérer la part de l’information prise en charge par TV5. Il serait en effet disproportionné que deux projets parallèles se déploient, que TV5 ne tienne pas compte de l’existence d’une chaîne qui prendrait en charge l’information internationale de façon résolue.

M. Pierre Lellouche : Si l’on additionne le coût de toutes ces chaînes, à combien de milliards dépensés arrivons-nous, déjà, par an ? Milliards auxquels nous devrons ajouter le budget nécessaire à cette chaîne d’information continue en langue française. Tel est le sujet : il s’agit d’une question d’allocation de ressources. Car on ne pourra pas empiler les chaînes les unes sur les autres. ARTE coûte également énormément d’argent. Prenons les chaînes de télévision destinées aux DOM-TOM ; elles s’ajouteront à la chaîne d’information continue. Or nous pourrions imaginer un autre système dont le coût pour la collectivité serait moindre. Vous n’êtes pas d’accord, Monsieur le ministre ? — 97 —

M. Jean-Jacques Aillagon : Je suis tout à fait d’accord sur ce point. Il me semble indispensable, à cette occasion, de repenser, de reconfigurer, de rationaliser l’ensemble du paysage audiovisuel extérieur et national qui est trop complexe, qui compte trop d’opérateurs. Ce qui est important, c’est non pas le nombre de programmes émis, mais la prolifération du nombre des opérateurs. Nous avons donc tout à fait intérêt à rationaliser ce paysage. J’ai déjà eu l’occasion de le dire devant la commission des affaires culturelles, je pense qu’il serait préférable qu’il n’y ait qu’un seul opérateur en matière de radio, et que RFI, de ce fait, rejoigne Radio France, dont elle serait l’antenne internationale. De même, RFO pourrait rejoindre France Télévisions. La première version de la loi du 1er août 2000 sur l’audiovisuel avait prévu d’intégrer ARTE au giron de l’audiovisuel public. Nous ne l’avons pas fait et aujourd’hui le nombre de sociétés opératrices est trop élevé – Radio France, Radio France Internationale, RFO, France Télévisions, ARTE, etc. Nous avons donc le devoir de nous interroger sur la rationalisation de cet ensemble, car elle sera source d’économies.

J’en viens ainsi à la question de M. Mathus relative à la rationalisation des rédactions. Est-il utile que dans toutes ces sociétés fonctionnent ou se développent des rédactions distinctes ? Nous pourrions tirer une économie tout à fait significative d’une rationalisation du travail des rédactions, une même grande rédaction pouvant fournir de l’information à des programmes divers. Il s’agit d’une recommandation dont je souligne la pertinence et l’utilité. Mais peut-être faudrait-il aussi, dans notre société nationale de télévision, réfléchir à une meilleure synergie entre les rédactions de France 2 et de France 3.

Je le répète, l’émergence d’un nouveau projet doit nous conduire à repenser l’ensemble du dispositif, sinon nous ne ferons qu’ajouter une pierre supplémentaire à un édifice déjà très complexe.

En ce qui concerne le financement, j’aurais tendance à penser qu’à partir du moment où nous sommes dans une activité qui relève du service public, il conviendrait d’unifier le financement, en l’occurrence à travers la redevance. Le fait que certaines sociétés soient bénéficiaires à la fois d’une partie de la redevance et de crédits budgétaires complexifie les choses, complique l’exercice de la tutelle ; la même entreprise allant un jour chez le ministre de la communication pour sa partie redevance, le lendemain chez le ministre des affaires étrangères pour sa subvention, l’un étant toujours meilleur prince que l’autre… Je suis favorable à une unique source de financement, à savoir la redevance – ou quelque chose qui s’en rapproche –, qui couvrirait les besoins de l’ensemble du secteur audiovisuel public : radios, télévisions, Institut national de l’audiovisuel. Il s’agirait là de la formule la plus simple, la plus lisible, celle qui assure également à ces sociétés les ressources les plus constantes.

M. le président : Pour pouvoir bénéficier de la redevance, cette chaîne doit pouvoir être regardée en France…

M. Jean-Jacques Aillagon : BBC World n’est pas diffusée en Grande-Bretagne ! Les orchestres de Radio France sont subventionnés par la redevance et tous nos concitoyens n’y ont pas accès quotidiennement ! L’INA est également financé par la redevance… Le produit de la redevance n’est pas uniquement destiné à la télévision, mais aussi à de nombreuses autres activités du service public de l’audiovisuel.

De plus, la diffusion en France de cette chaîne d’information internationale poserait la question de sa compétition, de la concurrence avec les opérateurs privés dans le domaine de l’information permanente, c’est à dire LCI et i

S’est posée récemment la question de l’utilisation des trois canaux de la TNT qui sont réservés pour le secteur public ; j’avais à ce moment-là indiqué que je ne souhaitais pas la création d’une nouvelle chaîne publique, mais que j’étais favorable à ce que des émanations du service public bénéficient d’une diffusion plus large. Nous avons réfléchi à ce que pourrait être la montée de TV5 en diffusion hertzienne nationale sur le numérique, ce qui suppose des acquisitions de droits supplémentaires. Nous pouvons également nous demander, si cette chaîne d’information internationale est créée, pourquoi elle ne serait pas diffusée en France. Il me semble que nos concitoyens seraient frustrés si elle ne l’était pas, en tout cas sur le réseau hertzien. — 98 —

M. Michel Francaix : Il me semble tout de même que si les Français ne peuvent accéder à ce type de chaîne, au moins sur le numérique hertzien, et que la redevance augmente, il y aura un problème. Je ne suis pas certain que nous soyons majoritaires, au sein de cette Assemblée, pour défendre la redevance, mais dans un tel cas, nous deviendrons très vite minoritaires !

M. Jean-Jacques Aillagon : Je prends bonne note du message, Monsieur le député. Vous connaissez ma position en ce qui concerne la redevance. Je dis simplement que nous aurions tous intérêt à ce que l’audiovisuel public, dans son ensemble, s’alimente à la même source budgétaire, que l’on mette fin à ces disparités de financement qui sont incompréhensibles et qui perturbent le jeu de la tutelle.

Monsieur Herbillon, vous m’avez interrogé sur la mixité éventuelle du statut de cette chaîne. Parmi les propositions que nous avons reçues, il y a des propositions d’association d’opérateurs privés, de sociétés éditrices privées et du service public. Nous devons veiller à la solidité des analyses qui seront faites de ces propositions, déterminer leur viabilité du point de vue opérationnel et si, en fin de compte, elles ne coûtent pas aussi cher à la collectivité publique que si elles devenaient éditrices seules. Cela pourrait être l'occasion d’établir des relations originales entre des opérateurs privés et des opérateurs publics.

S’agissant de la montée en puissance, il est trop tôt pour vous répondre sur ce point. La détermination d’un calendrier raisonnable est naturellement assujettie à la date de prise de décision et à la nature de la décision.

M. Michel Herbillon : je souhaitait également savoir si vous pensez qu’il existe une sorte de masse critique et que cette chaîne d’information devra immédiatement couvrir des zones géographiques assez larges ou plutôt des zones prioritaires – l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient ? Derrière cette question relative aux zones de diffusion se pose celle de la langue : français uniquement, français, anglais, arabe, espagnol, etc. ?

M. Jean-Jacques Aillagon : Je souhaite que le champ de diffusion soit d’emblée assez significatif. Il me semble en effet qu’une diffusion dans une aire trop caractérisée culturellement, linguistiquement, risquerait de donner de cette chaîne une vision très instrumentalisée et risquerait de la faire percevoir comme une chaîne de promotion. Il serait donc souhaitable que cette chaîne soit diffusée dans des aires géographiques, culturelles, linguistiques très différentes afin qu’aucune ambiguïté ne soit possible sur son objet.

M. le président : Monsieur le ministre, je vous remercie.

——BBBFBFFFBBBBFFFF—— Audition de M. Dominique de VILLEPIN, ministre des affaires étrangères

Présidence de M. François ROCHEBLOINE, Président

(Extrait du procès verbal de la séance du mercredi 30 avril 2003)

M. le président : Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation, malgré votre emploi du temps particulièrement chargé. Nous avons commencé, il y a trois mois maintenant, à auditionner de nombreuses personnalités de l’audiovisuel, nous nous sommes rendus en Allemagne (Deutsche Welle), en Angleterre (CNN et BBC), et aujourd’hui, avec vous, nous terminons notre première série d’auditions puisque nous allons remettre un rapport d’étape le 14 mai.

Je sais que vous êtes favorable à la création de cette chaîne, et en particulier pour qu’elle ait une influence sur le monde arabe. Le Président de la République, au moment de la présidentielle, avait manifesté sa volonté de créer une telle chaîne. Mais celle-ci a un coût, notamment parce qu’elle part avec beaucoup de retard par rapport à CNN qui existe depuis 23 ans – et est restée 10 ans sans concurrence – et à BBC, qui a également une présence importante dans le monde. Le défi est donc de taille.

Nous sommes donc heureux de vous entendre sur ce sujet. Comment voyez-vous cette chaîne : doit-elle être une chaîne publique, privée ou mixte ? Dans quelle langue doit-elle être diffusée ? Quelles doivent être les zones de diffusion ? Comment sera-t-elle financée ? Doit-on remettre à plat l’ensemble de l’audiovisuel extérieur, voire français ?

Je vous laisse immédiatement la parole monsieur le ministre, puis nous vous poserons un certain nombre de questions.

M. Dominique de Villepin : Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, vous dites que je suis favorable à la création d’une chaîne d’information française à vocation internationale. Monsieur le président, elle est totalement indispensable à notre pays ! Et je suis heureux de pouvoir procéder avec vous à un échange de vues sur ce projet.

J’ai suivi avec intérêt vos travaux. Vous savez aussi que les pouvoirs publics, à commencer par mon département, ont entrepris une intense réflexion sur ce projet. Les opérateurs français, consultés par les pouvoirs publics à la demande du Premier ministre, viennent de remettre des propositions. De mon côté, j’ai demandé à un professionnel de l’audiovisuel, M. Philippe Baudillon, de me faire un rapport sur le même sujet. Son étude vient de m’être remise et je vous l’ai aussitôt transmise. Il s’agit pour la France d’un grand sujet mobilisateur. Il s’agit pour le ministre des affaires étrangères et pour la diplomatie française que je conduis, sous l’autorité du Président de la République, d’un enjeu fondamental, comme je vais vous l’exposer.

C’est le Président de la République lui-même qui nous a donné cette feuille de route dès février 2002, anticipant cette nécessité que nous avons tous ressentie et que l’actualité récente est venue rendre encore plus impérieuse. La question n’est plus de savoir s’il faut le faire, mais comment le faire. Pourquoi la France doit-elle lancer une chaîne d’information internationale ? Dans les rapports de force internationaux, la bataille des images et de l’information prend une place déterminante.

C’est ce que l’on appelle aujourd’hui « la diplomatie d’influence » : les grandes batailles, avant de se gagner sur le terrain ou autour du tapis vert, se gagnent d’abord dans les opinions et donc dans l’arène des moyens de communication de masse. Sur la scène internationale, la télévision est désormais partie prenante de l’événement. Elle interagit avec lui et a même acquis le pouvoir de le créer ou de le nier selon ce qu’elle montre ou non. La crise irakienne nous en offre une illustration exemplaire : les caméras de télévision sont entrées au Conseil de sécurité, mettant la diplomatie en interaction directe et instantanée avec l’opinion mondiale ; le renversement de la statue de Saddam Hussein a marqué les opinions mieux que tout communiqué officiel. — 100 —

Pour être un acteur majeur de la scène internationale, un pays doit disposer de sa propre capacité de projection d’images dans le monde. Nous voulons organiser un monde multipolaire, l’offre audiovisuelle doit en être un reflet. La disparition des blocs a rendu le monde plus complexe et plus mouvant. Nous ne pouvons déconnecter l’organisation d’un monde que nous voulons multipolaire de son reflet dans les images et la société de l’information. Il convient donc, de la même façon que nous travaillons à l’émergence d’équilibres nouveaux qui prennent en compte la diversité du monde, de faire en sorte que le paysage audiovisuel international soit riche d’une offre plurielle et diversifiée.

Or nous constatons que ce nécessaire pluralisme est menacé par un double phénomène : l’émergence de géants de l’information qui disposent de réseaux à l’échelle planétaire avec des moyens humains et financiers considérables ; l’émergence de concurrents nouveaux, notamment dans le monde arabe, fondés sur une exacerbation des valeurs identitaires nationales ou religieuses. Entre ces deux tendances, mondialisation à l’anglo-saxonne ou repli identitaire, doit s’ouvrir un espace pour l’expression de notre vision du monde. Elle est fondée sur notre position internationale unique : membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, moteur du développement européen, centre de gravité naturel de la francophonie, interlocuteur privilégié du continent africain et des pays arabes. La France est aujourd’hui porteuse d’un message de diversité dans un monde qu’elle n’accepte pas de voir voué à l’uniformisation ou au choc des cultures.

Notre vision s’articule autour de trois piliers : une projection de l’Europe dans le monde, la francophonie et les valeurs universelles auxquelles nous croyons – l’héritage des Lumières et de la Raison, l’universalisme, la démarche scientifique et le doute méthodique, le dialogue des cultures. Dans un monde à la recherche de sens, s’offre à nous un champ immense, dans lequel le vecteur audiovisuel est une arme centrale, encore plus déterminante que l’imprimerie ne le fut pour l’Encyclopédie. C’est ce raisonnement qui a conduit le Président de la République à proposer, en février 2002, que la France se dote d’une grande chaîne internationale d’information.

Quel est le contexte actuel du marché international de l’information télévisée ? Il présente les caractéristiques suivantes : le poids déterminant d’un petit nombre de géants anglo-saxons (CNN, Fox News, BBC World, etc.) ; l’émergence de concurrents régionaux (Al-Jazira, Al-Arabia, etc.). Par ailleurs l’absence de recettes publicitaires oblige soit à des investissements publics à fonds perdus, soit à un rattachement à des groupes pouvant se financer sur un marché national suffisamment rentable (CNN, Fox). L’évolution technologique ultra rapide modifie constamment la donne économique et les coûts de diffusion baissent grâce au numérique tout en augmentant par ailleurs en raison du facteur humain. La surabondance de l’offre est notable dans certaines zones (150 chaînes satellitaires sur le seul monde arabe dont plus d’une dizaine consacrées à l’information continue). Enfin, une exigence croissante des publics conduit à rechercher à la fois une information de proximité, une information crédible et non manipulée, une couverture immédiate de l’actualité. Malgré la disparition des frontières nationales, les marchés se fragmentent, en fonction des critères thématiques (finances, sport, tourisme, art de vivre…) et de critères linguistiques et culturels (ainsi CNN décline son produit en éditions locales).

Quelle est la situation française, et tout d’abord nos atouts ? Nous ne partons pas de rien. TV5 connaît un grand succès, puisque 137 millions de foyers sont touchés dans le monde – contre 143 millions pour CNN international – et les chiffres d’audience sont en hausse – 38 millions de téléspectateurs en audience cumulée hebdomadaire. Par ailleurs, TV5 a su, lors des événements intervenus en Irak, se transformer en chaîne d’information continue. Je souhaite rendre hommage aux équipes de la chaîne ainsi mobilisées.

La présence d’Euronews est également un atout. Malgré ses difficultés financières actuelles, cette chaîne européenne basée à Lyon est devenue un média de référence : 100 millions de foyers connectés, une part d’audience en Europe supérieure à CNN, sept éditions dans sept langues européennes.

RFI est devenue, quant à elle, l’une des radios qui comptent dans le monde : 45 millions d’auditeurs au moins une fois par semaine pour RFI/RMC Moyen-Orient.

Nous pouvons aussi louer l’excellente crédibilité de l’information à la française. Les compétences journalistiques françaises rassemblées dans les différents pôles publics (AFP, Radio France, RFI, France Télévisions, ARTE) et chez les opérateurs privés (TF1, LCI, Canal +, i

en matière de documentaire est reconnu et régulièrement primé. Nous avons développé un réseau mondial (dans nos ambassades et services culturels) d’appui à la présence internationale de nos produits audiovisuels qui pallie en partie la faiblesse des budgets de développement de nos opérateurs. De nombreux partenaires étrangers veulent travailler avec nous, du Liban (Canal 9) au Maroc (Projet Medi1).

Mais nous avons également des faiblesses. Tout d’abord, le financement de notre audiovisuel extérieur public. Notre effort pour couvrir le monde entier en radio et télévision (200 millions d’euros environ) représente 9 % de la dotation publique attribuée aux opérateurs nationaux, effort aujourd’hui sensiblement équivalent à ce que nous faisons pour couvrir les DOM-TOM avec RFO (195 millions d’euros) ou pour la chaîne culturelle franco-allemande ARTE (178 millions d’euros pour la seule part française).

Ensuite, la faible production d’images d’actualité à vocation internationale. D’une façon générale, les chaînes de télévision françaises, publiques comme privées, ne font pas de la couverture de l’actualité étrangère une priorité, tout simplement parce que cela leur coûte plus cher à produire que l’information de proximité et que cela rapporte moins en termes d’audience. La majorité des Français, comme d’ailleurs des téléspectateurs du monde entier, s’intéresse avant tout à ce qui lui paraît les concerner directement. Pour l’information internationale, nos chaînes sont donc en réalité fortement dépendantes des sources d’images extérieures, souvent anglo-saxonnes. Puis, la faible internationalisation des opérateurs français. Je prendrai un seul exemple : les difficultés rencontrées par le groupe Canal + dans ses louables efforts d’internationalisation.

Par ailleurs, le choix multilatéral que nous avons fait pour notre projection audiovisuelle internationale est un atout mais aussi une faiblesse : par contrecoup, il y a une absence de moyens pour une projection purement française. Enfin, la langue : à partir du moment où nous émettons en français, nos bassins d’audience sont limités à la zone francophone, soit 200 millions de personnes, en incluant la France.

Les défis que nous devons relever pour mener à bien un tel projet sont nombreux et de multiples natures. Premièrement, aucun opérateur français ne s’impose comme pouvant répondre seul à la demande, soit par manque de réseau de diffusion, soit par manque de capacité propre de production d’images internationales. Deuxièmement, l’absence de perspectives de rentabilité propre ne permet pas de dégager un auto-financement suffisant, ce qui suppose une forte implication – récurrente au fil des ans – des pouvoirs publics. Troisièmement, les coûts très élevés que représente un réseau international de production et de diffusion d’images d’information : le groupe CNN a dépensé 30 millions de dollars pour couvrir les trente premiers jours du conflit irakien. Quatrièmement, comment lancer un nouveau produit sans mettre en péril, sur le plan du financement comme de la diffusion chez le client final, les produits déjà existants comme TV5 et Euronews ? En d’autres termes, comment ne pas lâcher la proie pour l’ombre ? Cinquièmement, la contrainte linguistique : si nous voulons élargir notre audience au-delà du bassin francophone, il faudra recourir à l’usage d’autres langues – anglais, arabe, espagnol – ce qui, si l’on veut aller au-delà du simple sous-titrage, augmente considérablement les coûts du projet, de 10 à 30 % par langue. Sixièmement, comment exprimer une vision française du monde sans être la voix officielle de la France ? Mais en même temps, la mission des autorités publiques n’est-elle pas de favoriser le pluralisme de l’information et la diversité culturelle à l’intérieur comme à l’extérieur de notre pays ?

Pour répondre à cette impérieuse nécessité et tenir compte des contraintes énoncées, je propose une démarche responsable, porteuse de plusieurs dimensions.

- Une démarche ambitieuse dans ses objectifs et ses moyens :

Le projet de chaîne française d’information continue ne doit pas être traité au rabais. Il faut apporter une vraie valeur ajoutée par rapport à l’offre existante. Cela vaut pour la capacité propre de production d’images couvrant l’actualité internationale, pour la diffusion, pour le choix des langues. Cette ambition implique l’engagement des pouvoirs publics à y consacrer des moyens importants, durables et prévisibles, nous permettant d’espérer faire à cette chaîne une place significative dans le paysage mondial, au moins sur les marchés prioritaires, Europe, bassin méditerranéen et Afrique.

Je note que les ordres de grandeur des offres déposées dépassent tous les 40 millions d’euros annuels. Cela excède de très loin les possibilités de financement par redéploiement des budgets affectés — 102 —

actuellement à l’audiovisuel extérieur – par exemple, moins de 2,5 millions d’euros de marge si on arrête CFI TV sur l’Afrique.

- Une démarche pragmatique dans son approche :

Le projet devra tenir compte des facteurs suivants. D’une part, il faut partir de la demande du public. Cela exigera une analyse fine de cette demande sur les différents bassins d’audience. Il ne s’agira pas de « se faire plaisir » mais de réellement faire de l’audience à l’étranger, de répondre aux attentes du marché international. D’autre part, il faudra combiner intelligemment ce que les uns ou les autres peuvent apporter, soit en terme de diffusion-distribution, soit en terme de production d’images. Le projet devra donc être fédérateur des ressources que chaque opérateur peut apporter sur chacun de ces deux métiers. Dans ce contexte, on peut même envisager un partenariat entre nos opérateurs publics et privés pour constituer la structure qui portera le projet. Je n’en méconnais pas les difficultés.

- Une démarche cohérente dans la prise en compte de ce qui existe déjà dans le paysage audiovisuel français, national et extérieur :

L’Etat ne créera pas un opérateur supplémentaire sans rénover les modalités de son intervention dans l’audiovisuel extérieur. Nous ne ferons pas, dans ce contexte, l’économie d’une rationalisation fondamentale du rôle et des moyens de chacun des opérateurs français. A cet égard, je pense, comme le suggère M. Baudillon, à la création d’une instance stratégique permanente, chargée auprès du ministre des affaires étrangères de définir les axes d’intervention de l’Etat en matière d’audiovisuel extérieur. A l’instar du Conseil audiovisuel existant aux Etats-Unis, il s’agirait d’établir une structure légère, rassemblant des professionnels du secteur, des juristes et des représentants des administrations concernées. Cette instance serait compétente pour rationaliser le travail de l’ensemble de nos opérateurs à l’étranger.

- Une démarche graduelle dans la montée en puissance du projet :

Compte tenu des contraintes et des enjeux, nous n’avons pas droit à l’échec. Pour minimiser les risques, il convient de procéder par étapes. La première étape vient d’être franchie avec la remise au cabinet du Premier ministre des propositions émanant de nos opérateurs publics et privés. A partir de là, il nous faut dérouler un calendrier qui doit nous conduire, d’abord à l’analyse des propositions, puis, avec le choix du gouvernement, à la mise en place d’une structure de préfiguration qui devra, entre autres, évaluer avec précision les coûts et les ressources aux différentes étapes, lancer les études de marché et les analyses juridiques nécessaires et élaborer un projet pilote.

La structure de préfiguration, après un dialogue permanent avec les pouvoirs publics et le Parlement, soumettra le projet aux autorités politiques pour décision finale. Cette phase ne doit pas excéder 12 mois. La chaîne, à partir de son lancement, devra monter progressivement en puissance en fonction des priorités géographiques déjà retenues, des langues choisies et des ressources financières qui pourront être dégagées selon un calendrier préétabli.

- Enfin, une démarche rigoureuse dans son calendrier :

Il ne s’agit pas de gagner du temps pour reporter une échéance mais de suivre un cheminement opérationnel qui donne toutes les garanties de succès. Ni précipitation, ni tergiversations. L’objectif est le lancement de la chaîne à l’automne 2004 dans sa version française.

En conclusion, et avant d’ouvrir le débat, je voudrais vous redire le prix que j’attache à vos travaux, réflexions et recommandations. Un projet d’une telle ambition ne peut réussir qu’avec le soutien massif et résolu de la représentation nationale. Je ne m’y lancerai jamais sans celui-ci. Je ne vous ai rien caché des difficultés de l’entreprise. Soyez sûrs de ma détermination tant j’ai conscience qu’il s’agit d’un puissant levier pour l’action de la France dans le monde. Ma volonté de le mener à bien se nourrira de la vôtre. Je vous remercie.

M. le président : Monsieur le ministre, je vous remercie.

M. le rapporteur : Monsieur le ministre, je vous remercie pour la teneur de votre propos. Vous avez évoqué le rapport Baudillon que vous avez bien voulu nous communiquer ; or nous avons été — 103 —

surpris par l'une de ses propositions qui présente une structure de cette chaîne partagée entre la chaîne internationale à proprement parler et une seconde chaîne, appelée TV Orient ou Moyen-Orient. Je ne sais pas si c'est à votre demande que cette réflexion a été conduite, mais nous trouvons surprenant, qu'au moment où l'on cherche à créer une chaîne – avec la complexité particulière qui s’y attache – on envisage d'ores et déjà d'en créer une seconde.

Vous avez très bien évoqué le problème de la ligne éditoriale, de la puissance éditoriale de cette future chaîne. Juste avant vous, avec M. Aillagon, nous évoquions la nécessité d'avoir une chaîne qui ne soit « ni hostile, ni servile ». Nous pensons effectivement que cette chaîne peut constituer un véritable levier pour la politique de la France, ainsi que pour la francophonie, alors même qu'au XXIe siècle, la communication est devenue un vecteur central de toute politique. Néanmoins, il nous apparaît indispensable que cette chaîne présente les qualités et les critères de l'indépendance : si tel n'était pas le cas, elle perdrait de sa crédibilité. La question se pose donc de la définition de cette indépendance, avec malgré tout un respect de la diplomatie française, qui ne doit pas être desservie. Nous tentons donc de formaliser cette idée dans nos propositions, élément majeur de notre réflexion, avec, bien entendu, le problème du financement. Ce problème, nous l'avons également évoqué avec M. Aillagon, en nous demandant s'il fallait ou non recourir à la redevance ou s'il fallait créer une ligne budgétaire supplémentaire pour que l'aide de l'Etat se porte directement sur cette chaîne.

M. Dominique de Villepin : S'agissant de l'organisation de la structure qui pourrait prendre la responsabilité de cette chaîne, Philippe Baudillon avance une piste avec une éventuelle chaîne au Moyen- Orient. Pour assurer l'articulation entre une chaîne mère, qui pourrait constituer la base de la chaîne d'information internationale, et éventuellement des sous-chaînes ou des filiales qui pourraient décliner les différents produits, il pourrait effectivement y avoir une personnalité juridique permettant cette combinaison. Dans le cadre d'une chaîne qui couvrirait le monde arabe, je pense à la possibilité d'avoir des partenariats avec d'autres pays, d'autres organisations, par exemple, avec Medi 1 au Maroc. Le but est bien de rechercher la souplesse maximale.

Le fait de posséder des sous-ensembles déclinant la capacité de cette chaîne internationale pour des zones géographiques particulières nous permettrait de passer des accords avec d'autres chaînes existantes, d'avoir accès à davantage d'images, à des coordinations, de réaliser des opérations conjointement, etc. Cette possibilité de travailler, avec souplesse, avec d'autres partenaires, serait une richesse, un atout. Une chaîne d'information à vocation internationale implique d'avoir des journalistes. Or dès lors que l'on souhaite travailler dans le monde arabe, avoir des journalistes de qualité parlant arabe implique non seulement une capacité concurrentielle, mais également un vivier de journalistes qui nous permette de travailler en sécurité et en conscience professionnelle. Le fait de passer des accords avec telle ou telle chaîne existante peut donc être un atout.

En ce qui concerne l'équilibre éditorial de la chaîne, il est important que cette chaîne soit ambitieuse. Le but n'est pas d'être la voix de la France, mais d'exprimer une vision de la France, de la diversité, de l'exigence française, de nos principes, nos valeurs. Il convient donc d'être attentif à un certain nombre de critères et de principes : indépendance, pluralisme, débats contradictoires, déontologie du journaliste, etc. Pour cela, nous devrons être très exigeants dans le cahier des charges et prêter une attention très grande à cet esprit d'indépendance et donc à la crédibilité de cette chaîne.

Dans de nombreux pays, l'origine financière du produit conditionne la crédibilité de l’information. Si nous voulons faire passer des informations provenant d'une chaîne à dominante publique, la chance d'être reprise est moins grande que si elles proviennent d'un outil ayant la crédibilité d'un partenariat ouvert et d'une complète indépendance. Nous avons intérêt à trouver sur la scène internationale le bon équilibre qui confère la crédibilité maximale à notre chaîne internationale, sachant que, par ailleurs, la pluralité est un élément extrêmement stimulant.

M. Michel Herbillon : Monsieur le ministre, vous avez très justement évoqué la nécessité de rationaliser l'audiovisuel extérieur, et la création de cette chaîne peut constituer cette opportunité. Je trouve pour ma part extrêmement intéressante l'idée de cette structure stratégique auprès du ministère des affaires étrangères que vous avez évoquée. Je souhaiterais connaître votre vision, à ce stade, des conséquences de l'arrivée de cette nouvelle chaîne internationale d'information sur le paysage audiovisuel extérieur actuel, avec ses différents opérateurs. — 104 —

Ma seconde question concerne les zones de diffusion, et, de fait, le problème de la langue. Avez-vous le sentiment qu'il existe une sorte de masse critique dès le démarrage de cette chaîne, en termes de zones de diffusion géographiques et de langues utilisées ? Si oui, quelle est selon vous cette masse critique ?

M. Dominique de Villepin : Le paysage extérieur audiovisuel est complexe. C'est la raison pour laquelle le lancement de cette chaîne suppose un double travail. D'abord un travail de définition très précis de ce que doit être cette chaîne, ensuite la prise en compte de l'indispensable rationalisation. L'idée d'ajouter – ce qui a souvent été la tentation – des structures nouvelles n'est plus envisageable. Nous devons entreprendre un travail de rationalisation. Mais il existe une difficulté : s'agissant de l'audiovisuel extérieur, nous avons fait un choix, celui de la pluralité d'approches avec un certain nombre de partenaires francophones : c'est le cas de TV5, d'ARTE. En conséquence, notre souplesse est limitée, même si, bien entendu, ces partenariats nous procurent des avantages en terme de crédibilité et de pénétration des marchés.

L'audiovisuel extérieur doit être capable d'anticiper les nouveaux objectifs.

Nous ne pouvons pas, du jour au lendemain, couper dans tel ou tel budget pour décider de réorienter complètement ce qui avait été décidé la veille. C'est la raison pour laquelle il convient de trouver un système qui valorise la contribution de chacun – de TV5, de RFI, etc. – afin que la chaîne que nous allons créer permette une définition stratégique prenant en compte la réorientation nécessaire de cet audiovisuel extérieur.

Il est très difficile aujourd'hui de dire comment va se faire cette combinaison, d'autant que ce n'est pas seulement à travers la prise en compte des différents acteurs de l'audiovisuel public que nous allons travailler, mais également avec l'audiovisuel privé. Le but est d'obtenir la meilleure combinaison possible. Ce qui est certain, c'est que la décision qui sera prise devra tirer les conséquences pour le paysage audiovisuel extérieur. Nous devons donc prendre nos décisions en connaissance de cause. Cette chaîne doit être « le meilleur » et nous devons nous concentrer sur cet objectif en en tirant parallèlement les conséquences. C'est la raison pour laquelle j'estime que le ministère des affaires étrangères doit être pleinement associé : il est le chef de file s'agissant de la rationalisation de l'audiovisuel extérieur.

M. Pierre-Christophe Baguet : Monsieur le ministre, la définition et le respect de la ligne éditoriale sont fondamentaux et je partage votre vision d'une chaîne qui ne soit pas « la voix de la France », mais une vision de la France sur l'actualité mondiale, sans d'ailleurs être trop modeste, car rien ne nous empêche de vendre les mérites de la France sur la planète. Le choix du tuteur est très important. Il s'agira d'un engagement qui, sans être définitif, sera fortement interprété. Or aujourd'hui, nous avons un sentiment de confusion entre Matignon, le Quai d'Orsay, la rue de Valois et même Bercy. Ne pensez-vous pas que l'on pourrait créer une structure interministérielle qui pourrait accompagner, aider cette structure légère que vous avez proposée tout à l'heure, et qui me paraît une bonne idée ?

M. Dominique de Villepin : Il s'agit d'un choix à la fois difficile et très important, effectivement. Il convient de choisir soit un chef de file, soit une structure pilote. Mon expérience me conduit à penser que s'il n'y a pas un responsable clairement désigné, les choses ne se font pas ou s’enlisent. La création d'une telle chaîne suppose à la fois une volonté politique très forte, un financement et une capacité à suivre ce projet au jour le jour. Il s'agit d'une lourde tâche. Les différents ministères que vous avez cités ont chacun une vocation propre et une raison de se trouver impliqués dans ce projet. Le Quai d'Orsay a une raison supplémentaire puisque nous gérons, pour le moment, l'audiovisuel extérieur public ; nous sommes donc comptables de l'efficacité et de la rationalité de ce secteur.

Il convient de créer, à l'image de ce qui existe aux Etats-Unis, un conseil audiovisuel qui permettra d'accompagner le développement de cette chaîne. Il convient également de déterminer qui devra, à terme, piloter la chaîne. Mais cela est encore difficile à ce stade, car nous ne savons pas comment se combineront les financements : chaîne publique, privée ou mixte. Il faudra donc partir des opérateurs et pouvoir identifier en tout état de cause une structure de gestion ayant une pleine crédibilité.

M. Pierre-Christophe Baguet : S'il n'y a pas de pilote dans l'avion, l'avion ne décollera jamais. Je suis d'accord avec vous, il faut partir des opérateurs, connaître le financement, mais il ne faut pas reléguer trop loin ce choix du tuteur. Il faut une énergie considérable pour mettre sur pied un tel projet et si quelqu'un ne se l'approprie pas pour le mener à terme, il ne sortira pas. — 105 —

M. Dominique de Villepin : Mon ministère s’est proposé pour jouer un rôle déterminant dans le lancement de cette chaîne qui demandera beaucoup d'énergie, de convictions, de travail. Nous devons déterminer maintenant quelle est la meilleure combinaison possible pour la définition de la chaîne et son organisation en termes de structure, outre le fait qu'elle doit avoir une crédibilité, donc une capacité à se porter elle-même.

M. Edouard Balladur, président de la commission des affaires étrangères : Monsieur le ministre, je souhaitais vous donner mon sentiment sur le choix du responsable. Il convient en effet qu'il y ait un responsable, et la question qui se pose est de savoir qui est en mesure de s'assurer que cet organisme donne une bonne vision de la France. A l'évidence, c'est le ministère des affaires étrangères. Il ne s'agit pas de porter la voix de la France, nous sommes bien d'accord, mais nous traversons une crise internationale au cours de laquelle il n'aurait pas été inutile que la position de notre pays fût connue dans le monde. Or il est évident que c'est sous l'égide du ministère chargé de l'action extérieure de la France que cela doit se faire. Je ne verrais donc que des avantages à ce que cette mission, monsieur le président, monsieur le rapporteur, conclue en ce sens.

Il me semble que lorsque j'étais Premier ministre, nous avions, sur proposition du ministre des affaires étrangères, dont vous dirigiez le cabinet, monsieur le ministre, créé un organisme, un comité de coordination de l'action extérieure de la France. Je ne sais pas s'il a finalement fonctionné, mais il était théoriquement rattaché à Matignon, et j'imagine qu'il se réunissait une ou deux fois par an. Nous pourrions donc parfaitement concilier des objectifs qui n'ont rien de contradictoires. Ce qui est essentiel, c'est de confier la responsabilité de cet organisme à l'administration dont c'est la vocation principale. Je conclus pour ma part très nettement en faveur du ministère des affaires étrangères.

M. Dominique de Villepin : Monsieur le Premier ministre, vous le rappelez très justement, il existe une vocation toute particulière du ministère des affaires étrangères en matière de coordination. Il s'agit d'un ministère dont la vocation est interministérielle ; il représente moins de la moitié du budget de l'action extérieure de l'Etat et il est soucieux que l'ensemble des moyens qui sont conférés à l'action extérieure aillent tous dans le même sens : défendre les intérêts de la France à l'étranger. Vous avez parfaitement raison, un comité de l’audiovisuel extérieur de la France a été créé : il avait le souci de vérifier que chaque franc dépensé l'était en bonne connaissance de cause et de s’assurer de l’utilisation rationnelle de ces moyens dans le cadre de cette action extérieure. Cette instance a cependant perdu de son élan et n’a plus guère été convoquée. Il faut donc aujourd’hui réfléchir à nouveau à la meilleure manière pour pouvoir réagir vite sur le plan stratégique, intégrer les contraintes nouvelles qui peuvent peser et offrir le meilleur cadre à ce qui doit être la défense des intérêts français en matière audiovisuel.

Reste bien évidemment à mobiliser l'ensemble de nos participants et à trouver les structures idoines pour associer au mieux l'ensemble des ministères et des opérateurs qui pourraient participer à ce projet.

Mme Martine Aurillac : Monsieur le ministre, nous sommes particulièrement heureux de vous entendre, parce que finalement les travaux de notre mission rejoignent très largement vos préoccupations. Lors de ces travaux, nous avons évoqué, en ce qui concerne le problème de l'indépendance, un rôle éventuel donné au CSA ou à une structure de ce type. Dans l'idée que vous avancez – et qui me paraît, comme pour mon collègue Herbillon, tout à fait judicieuse – d'instance stratégique supérieure, voyez-vous une place pour le CSA ?

M. Dominique de Villepin : Cette question se posera en fonction du choix qui sera fait de la diffusion de cette chaîne. Dès lors que cette chaîne internationale est diffusée en France – et je n’en vois que des avantages – il est évidemment important qu'elle soit soumise à l'autorisation du CSA.

Compte tenu des coûts très importants de nos chaînes – privées ou publiques – il conviendra d'avancer de façon prudente dans la dépense concernant la chaîne internationale. Notre souhait serait qu’un groupe, à la fois privé et public, mette plus de moyens sur l’action internationale et effectue un travail en synergie avec une chaîne internationale française susceptible d’alimenter l’offre en France même. Nous avons intérêt à mobiliser les Français sur les grands problèmes internationaux, la compréhension des problèmes mondiaux, économiques et sociaux, les complémentarités entre la politique intérieure et la politique étrangère. Cette chaîne devra avoir une vocation hautement citoyenne. — 106 —

M. Emmanuel Hamelin : Je voudrais rebondir sur vos propos, monsieur le ministre, concernant le CSA. Cela veut-il dire que la chaîne pourrait être, en partie, financée par la redevance en cas de diffusion nationale ?

M. Dominique de Villepin : Il s’agit d’une question qui dépasse les compétences du ministère des affaires étrangères. Vous pourrez nous la poser à nouveau lorsque nous aurons avancé dans la définition de cette chaîne et choisi les opérateurs qui y participeront.

M. le président : Vous avez parlé de chaîne ambitieuse, qui ne soit pas traitée au rabais, avec des moyens importants, durables, prévisibles et vous avez précisé que nous n’avions pas le droit à l’échec. Nous ne pouvons que partager cette opinion, mais en ce qui concerne les propositions qui ont été faites à ce jour, ne pensez-vous pas que les montants qui y sont annoncés sont quelque peu minimisés ? Pour avoir auditionné un certain nombre d’opérateurs – et nous nous sommes rendus en Allemagne et en Angleterre – les chiffres qui nous ont été annoncés sont bien supérieurs ! Vous trouvez les propositions qui vous ont été faites élevées, alors que l’on nous parle de 100 millions d’euros, voire 150 millions – chiffre donné par M. Bourges – et que la part française pour ARTE est de 178 millions d’euros. Ne craignez-vous pas que la proposition qui risque de nous être faite soit minimisée et ne réponde pas à l’ambition que vous souhaitez pour cette chaîne ? Un échec serait lourd de conséquences.

M. Dominique de Villepin : La contrainte financière pèse effectivement très lourd. Mais il s’agit d’un projet d’ambition nationale. Pour l’image de la France dans le monde, pour la défense des intérêts français, pour la capacité de la France à peser sur les affaires du monde – avec tout ce que cela implique en termes de retombées culturelles, économiques, sociales – ce projet est essentiel. Il s’agit donc d’un instrument de puissance. L’interaction entre nos intérêts mondiaux et notre volonté de les défendre partout où c’est indispensable, la capacité que nous avons à faire des Français un peuple porté vers les affaires du monde, tout cela est fondamental. Evidemment, il convient de faire des choix, d’établir de priorités. Je suis convaincu que l’enjeu en vaut la peine. Quant aux moyens, nous comptons sur la représentation nationale !

M. le président : Monsieur le ministre, je vous remercie pour cette conclusion !

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ANNEXES

1. Compte rendu du déplacement à Berlin

Une délégation de la mission d’information commune, composée de son président, M. François Rochebloine, de son rapporteur, M. Christian Kert et d’un vice président, M. Michel Herbillon, s’est rendue à Berlin le 26 février 2003 afin de rencontrer les responsables de la Deutsche Welle-TV, ainsi que deux parlementaires, spécialistes des questions audiovisuelles.

• L’opérateur

Deutsche Welle-TV est une chaîne publique créée en 1992, adossée à la radio extérieure Deutsche Welle, créée en 1953. Elle est rattachée au ministère de la Culture. D’après la rédactrice en chef de la chaîne, ce rattachement constitue une garantie d’indépendance. Pour M. Neumann, responsable de l’audiovisuel pour le groupe CDU du Bundestag, un rattachement au ministère des Affaires étrangères serait préférable, car il donnerait à Deutsche Welle une meilleure assise. Le rattachement au ministère de la Culture s’explique avant tout par le caractère récent de ce département ministériel, créé en 1998, et par la nécessité de lui conférer des attributions, alors même que 90 % des crédits de l’action culturelle sont détenus par les Länder et les communes. Deutsche Welle représente ainsi un tiers des crédits du ministère de la culture. M. Neumann a, cependant, insisté sur l’importance d’éviter les doubles tutelles (culture et affaires étrangères), sources de dilution de la responsabilité.

• Le Champ de diffusion et la cible

La chaîne est diffusée par satellite dans le monde entier. L’objectif de la chaîne est double : diffuser la vision allemande de l’actualité dans le monde et, dans une moindre mesure, promouvoir la langue allemande. Le public visé n’est pas prioritairement le public expatrié, mais plutôt le grand public et les décideurs étrangers.

Les programmes de Deutsche Welle sont organisés comme suit (24 heures sur 24) : un journal toutes les heures d’une durée de 30 minutes suivi de 30 minutes de magazine ou d’émission de plateau. Ces émissions sont reprises plusieurs fois dans la grille ; la durée des programmes nouveaux produits chaque jour est d’une heure trente minutes. L’audience est estimée à 20 millions de personnes dans le monde qui regardent la chaîne au moins une fois par semaine.

Une télévision payante spécifique pour les expatriés résidant sur le continent nord américain a été mise en place en 2002. Dénommée German TV, elle reprend 20 % des programmes de Deutsche Welle TV et 80 % des programmes des chaînes allemandes généralistes (ARD et ZDF). Elle dispose à l’heure actuelle de 5 000 abonnés.

• La langue

La grille de programme de Deutsche Welle TV est partagée alternativement entre émissions en allemand et en anglais. La langue change chaque heure. Sur le continent américain la chaîne diffuse également deux heures de programme en espagnol. Enfin, la chaîne est diffusée pendant trois heures avec un sous-titrage ou un voice over en arabe. La chaîne produit également vingt minutes de journaux télévisés en dari et en pachtou mis à disposition de la télévision publique afghane.

La rédactrice en chef a estimé que le sous-titrage ne pouvait pas être utilisé de manière systématique et qu’il était plus ou moins bien accepté par les publics selon les zones. Il est totalement inadapté en Amérique du Nord, où il faut impérativement diffuser en anglais si l’on veut toucher un public. Elle a estimé que le français n’était pas une langue aussi minoritaire que l’allemand, mais qu’une chaîne d’information continue française à vocation internationale serait confrontée aux mêmes questions que la chaîne allemande : si l’on diffuse uniquement dans sa langue, on n’atteint que des publics acquis, — 108 —

car ils partagent la culture du pays émetteur. Dans le contexte actuel, un programme français diffusé en anglais aux Etats-Unis aurait très certainement une bonne audience et un impact fort sur le public américain. L’idéal serait bien évidemment de disposer de plusieurs canaux et de consacrer chacun à une langue spécifique.

• Les moyens

Deutsche Welle TV disposait en 2002 d’un budget propre de 83 millions d’euros, dont 10 millions d’euros consacrés à la technique. Le groupe Deutsche Welle disposait pour sa part de 284,4 millions d’euros en 2002. Si l’on intègre les prestations assurées par le groupe pour le compte de la télévision, le budget s’élève en fait à 121,5 millions d’euros contre 162,9 millions d’euros pour la radio en 2002. Pour 2003, le budget total de l’opérateur est de 267,6 millions d’euros répartis comme suit : 153,2 millions pour la radio et 114,4 millions d’euros pour la télévision.

La chaîne dispose de 400 personnes sous statut et de 800 pigistes.

Le coût d’émission dans une langue supplémentaire est estimé par la rédactrice en chef aux alentours de 11 millions d’euros. A titre d’exemple, les programmes fournis à la télévision afghane coûtent 1,2 millions d’euros par an pour vingt minutes de production quotidienne. Elle a estimé que pour fonctionner avec 50 millions d’euros par an, il était indispensable que les images soient fournies gratuitement par un autre opérateur, faute de quoi le budget nécessaire était plus proche de 100 millions d’euros (en émettant en une seule langue).

S’agissant des synergies avec les autres opérateurs, il ne faut pas les surestimer. La radio et la télévision sont deux métiers distincts et, en cas de couverture en direct d’un événement, il n’est pas possible que les journalistes se dédoublent. Les échanges de connaissance sont très certainement utiles (connaissance des publics étrangers, utilisation de plusieurs langues, recrutement) ; la fourniture d’images et de programmes sont également très utiles.

——BBBFBFFFBBBBFFFF—— 2. Compte rendu du déplacement à Londres

Une délégation de la mission d’information commune, composée de son président, M. François Rochebloine, de son rapporteur, M. Christian Kert et de ses deux vices présidents, MM. Didier Mathus et Michel Herbillon, s’est rendue à Londres les 25 et 26 mars 2003 afin de rencontrer les responsables de BBC World et de CNN International, ainsi que plusieurs parlementaires britanniques et des journalistes français en poste à Londres.

1/ CNN International

 Le Groupe CNN

Première chaîne d’information en continu dans le monde et pionnier du genre depuis son lancement le 1er juin 1980 par Ted Turner, CNN est la figure de proue du CNN News Group, filiale de Turner Broadcasting System (Groupe AOL Time Warner).

CNN emploie au total 4 700 personnes de 50 nationalités différentes, dont environ 1 000 pour CNN International. le groupe possède 42 bureaux dans le monde et huit centres de production et s’est associé avec 900 télévisions partenaires. Ses programmes sont reçus par un milliard de téléspectateurs dans le monde et sont disponibles en neuf langues.

CNN offre toute une gamme de services, certains en partenariat avec des médias locaux :

- 15 chaînes de télévision, - 2 stations de radio : CNN Radio et CNN Radio Noticias, - des sites d’informations en ligne, - un service d’information accessible sur téléphone portable (CNN Mobile).

 Le réseau CNN International

Créé en 1985, CNN International est le premier réseau mondial d’information en continu, visible dans plus de 161 millions de foyers, dont 109 sur la seule zone Europe / Moyen-Orient / Afrique.

Depuis septembre 1997, afin de mieux répondre aux réalités du terrain, CNN International a engagé la régionalisation de son organisation. Cela a permis la mise en place de six chaînes programmées et diffusées séparément, chacune sur leur zone de couverture, avec un contenu adapté aux publics visés :

- CNN International Europe / Moyen-Orient / Afrique, - CNN International Asie Pacifique, - CNN International Asie du sud-est, - CNN International Amérique Latine, - CNN International USA, - CNNfn (chaîne financière).

En plus de ces six réseaux en langue anglaise, CNN International diffuse également des programmes en espagnol (CNN+), en turc (CNN Turk) et en allemand (CNN Deutschland). CNN possède également une participation dans la chaîne allemande tout info N-TV. Ces installations ont été possibles grâce à des accords de coopération avec des opérateurs déjà implantés localement. Le fait que ces chaînes « parlent » la langue du pays est très important car elles ne sont d’ailleurs plus considérées comme des — 110 —

chaînes américaines. CNN souhaiterait s’installer en France pour une diffusion en français, mais n’a pas réussi jusqu’à présent à trouver un partenaire.

Les chaînes internationales du groupe CNN sont bien évidemment uniquement financées par les abonnements et la publicité, le marché de cette dernière étant très voisin de celui des la presse internationale.

Près de 90 % des programmes diffusés par CNN International sont d’origine internationale. Seulement 10 % proviennent de CNN-USA.

Le bureau de CNN à Londres est le plus important en dehors des Etats-Unis après celui de Hong Kong. Il réunit 150 journalistes et s’appuie sur les 70 journalistes des bureaux de CNN en Europe. Il produit environ 60 heures d’émissions par semaine et dispose de nouveaux studios, entièrement numérisés, depuis décembre 2001. La chaîne diffuse principalement de l’actualité, mais également des magazines sur des sujets très variés, qui sont produits en interne puis parfois repris sur les autres chaînes du groupe (comme, par exemple, un magazine mensuel sur le design, très apprécié aux Etats-Unis et en Extrême-orient).

Le modèle traditionnel de fabrication de l’information télévisée ne fonctionne pas pour une chaîne d’information en continu. Les téléspectateurs s’attendent à recevoir des informations « chaudes », qui évoluent en même temps que les évènements. Le mode de fonctionnement de la chaîne doit donc être totalement spécifique si l’on souhaite pouvoir répondre à cette exigence de « live » avec un coût acceptable.

L’organisation des différentes chaînes de CNN International est basée sur la division des tâches, un peu comme dans une grande surface : d’une part la « fabrication » de l’information et d’autre part son « emballage » et sa diffusion. Les correspondants sur le terrain sont chargés d’identifier les évènements intéressants puis, en fonction des « commandes » qui leurs sont passées, de collecter les informations pour les envoyer au siège de la chaîne, sous forme d’images et de sons bruts. Deux fois par jour en effet, les responsables éditoriaux de chaque chaîne examinent les évènements et les priorités signalés par les correspondants et décident des sujets, des reportages, des interviews, des images à préparer. Les rédactions se chargent ensuite de récupérer ce « matériel » et de l’utiliser, sous forme brute ou reformatée, pour fabriquer ses propres programmes. Les informations collectées sont donc exploitées au maximum.

Une coordination éditoriale existe avec Atlanta (et plus particulièrement avec le directeur des chaînes internationales et le directeur du service chargé de la collecte des informations), mais, au quotidien, les décisions sont prises directement à Londres. La chaîne ne se considère pas comme le porte voix de l’opinion américaine mais cherche à refléter le plus fidèlement possible les différents points de vues coexistants. D’ailleurs, M. Tony Maddox, directeur de CNN international Europe/Afrique/Moyen Orient, n’est pas américain mais britannique (il vient de la BBC) et la chaîne ne réalise pas son chiffre d’affaires aux Etats-Unis, ce qui semble justifier, à ses yeux, une différence de ton.

Autre exemple de cette « ouverture d’esprit » : toutes les chaînes internationales diffusent une émission quotidienne qui s’appelle « world report » et qui reprend, sans contrôle ni filtrage, des reportages envoyés par les télévisions du monde entier.

Selon une étude publiée en juillet 2002, CNN maintient sa position de leader parmi les chaînes d’information continue en Europe, avec un taux de pénétration mensuel de 42,8 % dans les classes supérieures et chez les décideurs, contre 23,4 % pour Euronews, 22,5 % pour BBC World, 16,9 % pour CNBC et 9,4 % pour Bloomberg.

2/ BBC World

BBC World est la chaîne d’information internationale en continu du groupe BBC. lancée dans son format actuel en 1995, elle couvre aujourd’hui 254 millions de foyers dans le monde (dont 100 millions pour une réception 24 h/24) dans 200 pays et territoires différents et près de 900 000 chambres d’hôtels. Elle est essentiellement diffusée en anglais mais peut parfois faire l’objet d’une — 111 —

traduction, comme au Japon, aux heures de grande écoute, ou encore en Amérique latine. Les expériences de traduction en mandarin et en grec ont été abandonnées car elles n’étaient pas commercialement intéressantes. Certaines traductions sont également assurées directement par les distributeurs du service.

BBC World est une chaîne commerciale, filiale de la société BBC World Limited, qui appartient elle-même au groupe des sociétés commerciales de la BBC.

BBC World Limited est chargée d’assurer le financement de la chaîne BBC World (par la collecte de recettes publicitaires et d’abonnement) ainsi que sa diffusion sur les différents réseaux câblés et satellites. Son objectif est que la chaîne soit la plus distribuée possible car c’est ce qui permet d’accroître les recettes et d’attirer les annonceurs. La démarche est donc strictement commerciale : il ne s’agit pas, comme le fait par exemple TV5, de fournir le programme gratuitement. BBC World Limited assume également la rémunération du personnel de la chaîne et le coût de ses équipements propres et reverse à BBC News le coût des programmes qui sont spécifiquement préparés pour BBC World.

BBC World propose essentiellement des informations sur l’actualité et le monde des affaires, y compris quatorze bulletins sportifs quotidiens, mais elle programme également une sélection des meilleurs documentaires et reportages produits par les chaînes du groupe BBC. En semaine, la grille est bâtie autour de rendez-vous réguliers d’information internationale (un bulletin complet d’une demi-heure toute les heures) ; durant le week-end, la grille mélange des bulletins d’information internationale et une sélection de programmes de la BBC. Les évènements les plus importants sont couverts le plus rapidement possible, la grille pouvant être bouleversée en fonction des besoins.

BBC World puise sa matière première dans les ressources de « BBC News », autre société du groupe, qui possède le plus grand réseau mondial de collecte d’information avec 58 bureaux répartis dans le monde et 250 correspondants. Les nouvelles et les informations collectées dans le monde entier sont rassemblées et traitées dans une salle de rédaction unique, commune à l’ensemble du groupe BBC, qui fonctionne 24 h/24 et est entièrement numérisée. Cette organisation rationalisée de la collecte et de l’exploitation de l’information permet aux différentes chaînes de la BBC d’avoir une vision globale des évènements au fur et à mesure qu’ils se produisent. Toutes les informations destinées à la BBC dans son ensemble sont gratuites ; seuls sont payants les sujets spécifiquement préparés pour BBC World.

Mme Rachel Attwell, directrice adjointe de l’information à la BBC et responsable notamment de BBC News 24 (la chaîne domestique d’information en continu) et de BBC World, a souligné le coût d’une chaîne internationale d’information en continu, qui nécessite une logique de fabrication complètement différente de celle d’une chaîne traditionnelle. A titre indicatif, BBC News 24 a un coût marginal de 50 millions de livres par an, en sus de tout ce qui est déjà fourni par l’infrastructure de la BBC et par BBC News.

Les programmes de BBC World sont identiques pour le monde entier (sous réserve d’une adaptation en Inde et en Asie du sud-est), et la chaîne n’a qu’un seul rédacteur en chef. La politique éditoriale est définie quotidiennement pour l’ensemble des chaînes du groupe BBC (radio et télévision) grâce à une conférence des directeurs de l’information et, dans leur travail, les journalistes doivent toujours se conformer au « BBC editorial guide line », un code de déontologie journalistique très précis et très pointu.

N° 857 – Rapport d’information Télévision française d’information à vocation internationale (M. Christian Kert, rapporteur)