Initiative Développement Programme Filière ylang -ylang – Distillation à Foyer Économe

Analyse de la filière ylang -ylang à pour le NRSC

Rapport final

Étude réalisée et rédigée par : Adrien Brandon, Responsable du programme Filière Ylang & Distillation à Foyer Économe Christophe Barron, Responsable du Pôle Énergies Renouvelable d’ID à Poitiers François Griffon, Chargé d’étude la filière ylang -ylang à Anjouan en 2013 -2014

Contact : Christophe BARRON, Responsable du Pôle Énergies Renouvelables c.barron@id -ong.org Initiative Développement, 29 rue Ladmirault, 86000 Poitiers www.id-ong.org - 00 33 5 49 60 89 66 ﷒

Initiative Développement – Étude Filière ylang -ylang – Comores 2014 - 1

Introduction : La filière ylang-ylang à Anjouan : une filière menacée

La filière ylang-ylang, primordiale pour l’économie rurale anjouanaise, est aujourd’hui menacée. Les huiles essentielles d’ylang-ylang représentent la principale source de revenus régulière en zone rurale pour de nombreuses personnes cueilleuses de fleurs, producteurs de fleurs, distillateurs et manœuvre de distillation. Au total ce sont près de 10 000 foyers qui dépendent de cette filière.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer la perte de vitesse de la filière. En premier lieu, les crises chroniques, qui affectent la filière tous les 10 ans et font chuter les prix à des niveaux dérisoires, décourageant les producteurs et les distillateurs qui se tournent progressivement vers d’autres cultures de rentes plus rémunératrices ou vers les cultures vivrières. Par ailleurs, la croissance démographique et le morcellement du parcellaire agricole qui l’accompagne, les stratégies de diversifications des productions agricoles mise en place par les paysans dans une logique de limitation des risques, sont autant de facteurs qui concourent à l’atomisation de la production de fleurs d’ylang-ylang. L’approvisionnement en fleurs par les distillateurs s’en trouve grandement complexifié, ce qui impacte directement la qualité des huiles produites. Enfin, la raréfaction des ressources naturelles nécessaires pour la distillation (bois et eau), liée à disparition progressive du couvert arboré et à la déforestation, font augmenter progressivement les coûts de productions, limite grandement la distillation dans certaines régions et menace directement la filière ainsi que le développement de l’île d’Anjouan.

Le manque de structuration verticale et horizontale de la filière sont à l’origine de phénomènes de concurrence importants pour l’approvisionnement en fleurs, ainsi que de la difficulté à établir un système de traçabilité fiable au sein de cette filière. La concurrence sur les fleurs a pour conséquence de faire monter le prix des fleurs jusqu’à la marge minimale acceptable pour les distillateurs. Ainsi, quel que soit le prix des huiles, les distillateurs ne tirent pas plus de 4500 KMF (9 euros) de marge sur l’activité de distillation. C’est l’équivalent du salaire qu’il verse aux manœuvres. L’absence de traçabilité sur les huiles produites est à l’origine de pratiques de frelatage des huiles qui ont engendré les dernières crises de la filière. La chronicité de ces crises a conduit certains industriels du secteur à intégrer la filière jusqu’à la distillation dans des sites industriels à Anjouan. Cette tendance si elle se poursuit met en péril les distillateurs artisanaux

Enfin, la filière ylang-ylang est tenue par un petit nombre d’exportateurs (2 à 3) qui se partagent 85% du marché. L’aval de la filière étant caractérisé par une certaine opacité, les risques de pratiques spéculatives, nuisibles au bon fonctionnement et à la durabilité de la filière, sont importants.

La présente étude, commandé par le NRSC (Natural Ressources Stewardship Circle) à Initiative Développement, vise à éclaircir l’organisation et le fonctionnement de la filière. Fondée sur un travail d’enquêtes minutieux et sur des données chiffrées, nous espérons qu’elle permettra au lecteur d’avoir une vision claire et juste de l’état et des enjeux de la filière à Anjouan.

Étude réalisée et rédigée par : Adrien Brandon , Responsable du programme Filière Ylang & Distillation à Foyer Économe Christophe Barron , Responsable du Pôle Énergies Renouvelable d’ID à Poitiers François Griffon , Chargé d’étude la filière ylang-ylang à Anjouan en 2013-2014

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1 Place de la filière ylang -ylang dans l’économie comorienne ...... 4 1.1 Histoire de la filière aux Comores ...... 4 1.2 L’organisation de la filière dans le monde ...... 4 1.3 La destination des huiles essentielles d’Ylang-ylang ...... 5 1.4 Importance de la filière ylang-ylang dans l’économie comorienne ...... 7 1.5 Une filière soumise à des crises chroniques ...... 10 2 L’organisation de la filière à Anjouan : de l’amont à l’aval ...... 14 2.1 Vision globale de l’organisation de la filière ...... 14 2.2 Les producteurs de fleurs ...... 16 2.3 Les collecteurs de fleurs ...... 17 2.4 Les cueilleuses ...... 18 2.5 Les distillateurs ...... 19 2.6 Les manœuvres pour la distillation ...... 23 2.7 Les collecteurs d’huiles ...... 24 2.8 Les exportateurs ...... 24 2.9 Coordination entre distillateurs, collecteurs et exportateurs ...... 26 2.10 Les relations entre les importateurs et les exportateurs ...... 26 3 Analyse technique de la filière et gestion de la qualité ...... 28 3.1 Production de fleurs ...... 28 3.2 Qualité des fleurs et impacts sur les rendements en huiles essentielles ...... 30 3.3 La distillation ...... 33 3.4 Qualité et organisation de la filière ...... 39 4 Énergie pour la distillation et impacts environnementaux ...... 42 4.1 Les différentes énergies utilisables ...... 42 4.2 Le bois pour la distillation ...... 43 4.3 Focus sur la filière bois-énergie à Anjouan ...... 46 4.4 L’eau pour la distillation ...... 48 4.5 Autres Impacts environnementaux de la filière Ylang-ylang à Anjouan ...... 48 5 Analyse économique de la filière ...... 50 5.1 Revenus par acteurs ...... 50 5.2 Gestion des coûts de production et de la marge d’une distillation ...... 54 5.3 Prix des fleurs ...... 57 5.4 Instabilité des prix : un phénomène nocif pour la durabilité de la filière qui met en péril les distillateurs artisanaux ...... 58 6 Vision de ID ou comment pérenniser la distillation artisanale des huiles de qualité répondant à la demande ...... 59 6.1 Le bois une énergie renouvelable et durable ...... 59 6.2 Formations et renforcement de compétence : un appui rapproché sur la durée ...... 59 6.3 Qualité et traçabilité des huiles ...... 59 6.4 Stabilité et transparence sur les prix et les volumes ...... 60 6.5 Besoin de financement de la filière ...... 60 6.6 Organisation et structuration ...... 61

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1 Place de la filière ylang-ylang dans l’économie comorienne 1.1 Histoire de la filière aux Comores L'ylang-ylang a été introduit aux Comores lors de la colonisation. Les fleurs étaient alors cultivées et distillées par les grands domaines coloniaux occupant l'île (domaines de Bambao et du Niumakélé). En 1950, un cyclone décima une grande partie des arbres de l'île mettant à mal la production agricole, aussi bien du côté des domaines que chez les villageois. Une aide financière fut octroyée aux Territoires des Comores pour la reconstruction de l'île. Une partie de cette aide fut accordée aux paysans anjouanais à condition que celle-ci soit allouée aux cultures de rente (poivre et ylang-ylang en premier lieu) et aux cultures vivrières. Cette stratégie visait à rétablir au plus vite l'économie des domaines en leur apportant des sources extérieures d’approvisionnement en fleurs. Ces conditions ont favorisé l’émergence de producteurs d’ylang-ylang aux environs des grands domaines. En 1959, lorsque les nouvelles plantations des sociétés coloniales ont commencé à être suffisamment productives, les paysans comoriens se sont retrouvés sans acheteurs. Face à la quantité de fleurs disponibles et au prix de vente des huiles essentielles, des commerçants des grands centres urbains de l'île ont commencé à investir dans la filière ylang-ylang auprès des anjouanais en parallèle des sociétés coloniales. Les premiers investissements se sont faits sous la forme de vente à crédit du matériel de distillation et d'un suivi technique en échange de la vente exclusive des huiles. Ces premières démarches ont ensuite été suivies par un plus grand nombre de commerçants se lançant dans l'exportation des huiles essentielles d'ylang-ylang. Face à la concurrence, le modèle de vente à crédit du matériel /suivi technique des premiers exportateurs non coloniaux a été abandonné pour se recentrer sur les seuls aspects de collecte et d'exportation des huiles essentielles. Ce modèle d’organisation perdure jusqu’à aujourd’hui. Après l'indépendance, la filière ylang-ylang à Anjouan a continué à évoluer sur le schéma des "petits distillateurs artisanaux/collecteurs/exportateurs". Le nombre de producteurs de fleurs et de distillateurs villageois est devenu croissant au fil des années. En parallèle, la distillerie de l'ancienne société coloniale de Bambao a d'abord été étatisée puis privatisée restant jusqu'à récemment l'unique distillerie industrielle de l'île – sa concurrente, la distillerie de HEC ayant été construite en 2007. 1.2 L’organisation de la filière dans le monde

Le schéma 1 en page 6 représente la chaîne d'acteurs impliqués dans la filière des huiles essentielles d'ylang-ylang et de ses produits dérivés. Il existe deux marchés : un marché pour les huiles essentielles de qualités hautes et intermédiaires (ES, E, I et II) fonctionnant en flux tendu et un marché pour les huiles essentielles de qualités basses (III) basé sur des gros volumes sujet à des variations interannuelles de la demande ( source : enquêtes ).

Les industriels produisant savons, détergents et cosmétiques de masse utilisent les huiles essentielles d'ylang-ylang de faible qualité (III). Ce sont eux qui absorbent les plus grands volumes d’achat. Le prix de ces huiles essentielles est un critère important car l'essence de Cananga ou les produits de synthèse peuvent être des substituts possibles, moins chers pour un usage équivalent. Les qualités intermédiaires (I et II) sont utilisées pour la parfumerie industrielle et les cosmétiques haut de gamme (cosmétiques naturels). Enfin les qualités hautes (ES et E) sont plutôt adressées aux grandes maisons de parfumerie (Guerlain, Jean Patou, Chanel, etc.).

Les exportateurs vendent les huiles essentielles aux importateurs et aux producteurs d'ingrédients. Ces deux dernières catégories d'acteurs se distinguent par leur investissement dans les équipements de laboratoire, éléments qui conditionnent leur capacité à créer des lots d'huiles essentielles commerciales.

Les producteurs d'ingrédients ont des laboratoires équipés permettant de retravailler les huiles essentielles en fonction des demandes des clients. Ils assemblent les essences des différentes provenances ou bien différentes fractions afin de travailler la qualité des huiles ou encore de jouer sur son prix. Les lots peuvent être coupés par des produits de synthèse pour rectifier ou améliorer la qualité des huiles, être

Initiative Développement – Étude Filière ylang-ylang – Comores 2014 - 4 refractionnés, à l'aide de colonnes sous vide, ou encore retraitées pou r retirer certains é léments (déterpénation, par exemple , pour enlever certains allergènes). Les producteurs d'ingrédients vendent leurs huiles de qualité commerciale à l'industrie F&F (Flavor and Fragrance) qui composent les "jus" (compositions aromatiques) serva nt aux indus triels pour la création des produits finaux (cosmétiques, savon, détergents). L'industrie F&F crée les parfums industriels qui sont ensuite commercialisés par les parfumeries visant le marché de masse (maison de prêt -à-porter par exemple).

Les importateu rs sont équipés de laboratoire s d'analyses pour déterminer le profil chromatographique des huiles essentielles achetées . Leur capacité d’intervention sur les huiles essentielles se limite au réajustement par l’ assemblage de différentes origines . Il est cep endant difficile de connaître les opérations menées par les importateurs sur les huiles essentielles car tout dépend de la demande du client (i.e. , traçabilité/origine des huiles, qualité homogène dans le temps). Les parfumeries haut de gamme, devenues mi noritaires en termes de marché face à l'industrie F&F, font elles-mêmes leurs compositions et s'approvisionnent auprès des importateurs pour avoir des huiles essentielles authentiques (Valade 2010, JLA Consulting 2014 ). Les importateurs et les producteurs d'ingrédients ont un rôl e important d’intermédiaire s entre producteurs de matière première et acheteurs. En effet, la demande de ceux-ci ne correspond pas forcément au prorata de distillation. Ces acteurs adaptent les fractions et les quantités pour répondre aux attentes de leurs divers clients. La création de lots commerciaux a un rôle de stabilisation du marché en proposant des produits homogènes et sur des périodes longue s (création de stocks).

1.3 La destination des huiles essentielles d’Ylang -ylang

Depuis 2003, 95,7% des huiles comoriennes ont été exportées vers la France, les autres destinations étant principalement les États-Unis et l’Allemagne avec chacun 1,4% des quantités exportées depuis 2003.

Les exportations vers les États -Unis sont très irrégulières pouvant varier de quelques dizai nes Graphique 1 : destination des huiles essentielles exportées depuis les Comores depuis 2003 (exprimé en kg) de kilos à 2,5 tonnes par an.

Par contre, les exportations vers l’Allemagne semblent croître plus régulièrement depuis 2009, comme l’ indique le graphique ci - contre.

Graphique 2 : Évolution des exportations d'huiles essentielles d'Ylang-ylang vers l'Allemagne depuis 2005 (exprimé en kg)

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Figure 1 Chaîne des acteurs des producteurs de fleurs aux consommateurs (sources : JLA consulting 2014, Valade 2010 et enquêtes)

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1.4 Importance de la filière ylang-ylang dans l’économie comorienne 1.4.1 Anjouan : 1 er producteur mondial d’huile essentielle d’Ylang-ylang L'essentiel de la production mondiale des huiles essentielles d'ylang-ylang est actuellement confinée dans une petite zone de l'Océan Indien entre l'Archipel des Comores et le nord-est de Madagascar (Nosy Be et Ambanja). L’Ylang-ylang est aussi cultivé à la Réunion, à l'Île Maurice, en Colombie, au Costa Rica et au Ghana. Des plantations d'ylang-ylang ont été mises en place, avec l'appui d'organismes internationaux, en Ouganda, Côte d'Ivoire ou encore Haïti (Benini 2010, HEC 2012 ). La production d’huiles essentielles d'ylang- ylang de ces pays reste marginale. La Chine, l'Indonésie et les Philippines produisent également des huiles essentielles d'ylang-ylang avec fractionnement, mais les produits sont pour l'instant destinés au marché asiatique ( Valade 2010 ) et ne sont donc pas pris en compte dans les graphiques suivants.

La production de l'Océan Indien est évaluée entre 74 et 83t/an (graphique 1). La production malgache atteint 20,5 à 23,5t/an avec respectivement 17 à 20t pour Nosy Be et 3,5t pour Ambanja. En 2013, la production comorienne a été estimée entre 50,5 et 55,5t, avec 44 à 47t pour Anjouan (source : enquêtes ), 3,5t pour et 3 à 5t pour Mohéli. La production de Mayotte est estimée entre 3 et 4t ( JLA Consulting 2011 ). Anjouan est le premier producteur des huiles essentielles d'ylang-ylang avec 56 à 59% de la production de l'Océan Indien 1. La culture et la distillation de l'ylang-ylang prennent actuellement leur essor à Mohéli, contrairement à Mayotte où l'augmentation du niveau de vie et du coût de la main-d’œuvre, induisent une diminution inexorable de la production locale qui peine à rester compétitive.

Graphique 3 : Répartition des quantités d'huiles essentielles produit es dans l'Océan Indien, hors Ile Maurice, pour 2013 (sources : enquêtes, JLA consulting 2011 et Valade 2010)

1 La production de l’île Maurice étant négligeable, on la considère comme nulle. 7

1.4.2 L’ylang-ylang par rapport aux autres produits de rente aux Comores Millions d’Euros

24

20

16

12

8

4

0

Graphique 4 Répartition de la valeur FOB des principaux produits d'exportation aux Comores de 2003 à 2012 (source : Données de la BCC – Banque centrale des Comores)

Le secteur primaire (agriculture et pêche) représente 32 à 40% du PIB de l'Union des Comores et fournit 80% des emplois du pays ( CIDR 2011, ABDG 2011 ). L'essentiel des montants d'exportation est lié au secteur primaire. Ces recettes sont générées par les cultures de rente et leurs produits transformés : girofle, vanille préparée et huiles essentielles d'ylang-ylang ( ADBG 2011 ).

La part de ces trois produits dans la valeur des exportations totales a grandement évolué sur les dix dernières années (graphique 2). La vanille, produit phare en 2003, a été détrônée par le girofle dont les quantités produites et le prix à l'exportation ont augmenté de manière significative au cours des dernières années (annexe 3). Les huiles essentielles d'ylang-ylang ne représentent plus que 10% de la valeur totale des exportations.

Graphique 5 : Évolution des quantités d'huiles essentielles exportées de 2003 à 2013, toutes qualités confondues (Sources : COMTRADE et Douane)

Les exportations d’huiles essentielles Tonnes 80 d’ylang-ylang sont très variables, autant en termes de quantité que de qualité. Par ailleurs, les 70 données fournies par les douanes sont

60 systématiquement inférieures et pas toujours corrélées aux données tirées de la base de 50 données COMTRADE.

40 Les quantités d’huiles peuvent varier de 10 tonnes, soit 25% d’une année sur l’autre. Il est 30 00 difficile de connaître les facteurs qui influencent 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 ces variations : fluctuation dans la demande, ou Données Comtrade Données douane de la production, phénomène de stock chez les exportateurs ou les importateurs. 8

% 100 Les types d’huiles exportés varient également d’une année sur l’autre. La 90 tendance ces dernières années semble 80 montrer une diminution de l’exportation de 3ème au profit des qualités supérieure, 70 notamment l’Extra. 60 Pour rappel, les proportions de chaque 50 catégorie exportées ces dernières années 40 ne correspondent ni aux proportions contenues dans les fleurs, ni à celles 30 généralement observées au cours des suivis 20 de distillation réalisés par ID depuis avril 2013. 10

0 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 Ylang 3 ème Ylang 2 ème Ylang 1 ère Ylang Extra Graphique 6 : Évolution de la répartition des qualités d'huiles essentielles exportées de 2006 à 2013 (source : BCC) En tenant compte du fait que ces données ne sont pas consolidées et que les sources ne peuvent être considérées comme complètement fiables, l’incohérence entre le ratio des différentes qualités d’huiles exportées par rapport à celui de l’extraction observée interroge. Certaines quantités d’huiles de 3 ème qualité restent-elles invendues ? Y a-t-il des pratiques d’assemblage des huiles des différentes qualités ? Le frelatage consistant à faire chauffer et évaporer la 3 ème pour la vendre au degré en tant que qualité haute participe-t-il à ces écarts ? Certains exportateurs affirment acheter quand même les huiles frelatées et les exporter mais probablement pas sous la dénomination de 3 ème . Ces huiles frelatées exportées auraient donc tendance à faire augmenter artificiellement les volumes de qualités hautes par rapport aux volumes de 3 ème exportés.

Les acheteurs en France et donc les exportateurs sont de fait beaucoup plus intéressés par l’achat d’huiles de qualités hautes que par la 3 ème . Certains exportateurs n’achètent donc leurs huiles qu’en proportion d’un volume de qualité haute pour un volume de 3 ème , aussi appelé format 1/1. Ils argumentent généralement que cela a un impact positif sur l’environnement en diminuant le temps d’extraction et donc les quantités de bois nécessaires pour la distillation. Dans les faits, ID a pu observer que face à cette demande des acheteurs, les distillateurs continuent à extraire le deuxième volume de 3 ème (format ½) et le vendent ailleurs. La poursuite des modalités d’achat des huiles au format 1/1 pose donc question, n’est-ce pas au final incitatif au phénomène de frelatage ? Les distillateurs et collecteurs cherchent à tout prix à écouler le volume de 3 ème qui leur reste sur les bras.

1.4.3 L’ylang-ylang une source de revenus très importante dans la trésorerie des ménages Les deux principales productions de rente, à savoir le girofle et l’Ylang-ylang, ne jouent pas le même rôle dans l’économie des ménages comoriens. Contrairement au girofle, qui produit pendant quelques mois seulement et rapporte des montants très importants ces dernières années, l’Ylang-ylang présente la particularité de produire plus ou moins toute l’année, assurant ainsi des revenus plus modestes mais réguliers aux producteurs. Par ailleurs, la production d’huile essentielle d’Ylang-ylang nécessite beaucoup de main d’œuvre, à la fois pour la cueillette et la distillation. Il s’agit donc d’une filière qui pourvoit de l’emploi quasiment toute l’année en zone rurale.

Ces particularités confirment que cette filière est indispensable à l’économie rurale anjouanaise et à la lutte contre la précarité.

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1.5 Une filière soumise à des crises chroniques 1.5.1 Descriptifs des crises La filière a connu plusieurs "crises" : en 1978, en 2002 et en 2009. La première crise est liée à la chute des prix des huiles essentielles face au surplus de production. La réponse du gouvernement d'Ali Soilhi a été la destruction des stocks existants aux Comores Les deux dernières crises semblent, quant à elles, liées aux problèmes de frelatage des huiles essentielles. En effet, en 2007 2008, la concurrence entre exportateurs et les pratiques opportunistes de certains d'entre eux, ont fait monter les prix d'achat des huiles essentielles au plus haut (graphique 4). Dans un contexte de prix du degré élevé et en l'absence d'un contrôle systématique (pas plus que de volonté de contrôle, puisque les exportateurs en achètent et payent en pleine conscience) et efficace de la qualité des huiles essentielles achetées, les pratiques de fraude se sont multipliées afin de pouvoir vendre aux exportateurs des huiles essentielles de qualités hautes au meilleur prix.

Qualité hautes 3ème Euros/°/kg

KMF/degré/kg KMF/kg Euros/kg

40 3 1500 20000

2 ,8 1400 18000 36 2,6 1300

2,4 1200 16000 32

2,2 1100 14000 28 2 1000

1,8 900 12000 24

1,6 800 10000 20 1,4 700

1,2 600 8000 16

1 500 6000 12 0,8 400

8 0,6 300 4000

0,4 200 4 2000 0,2 100

0 0 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 Prix min qualité hautes Prix max qualité hautes Prix min III Prix max III

Graphique 7 : Évolution du prix d'achat aux distillateurs d’huiles essentielles de qualités hautes (E, I et II) et qualité basse (III) de 2006 à 2013 aux Comores (sources : BCC et enquêtes)

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Encadré 1 : Comment les huiles sont -elles payées ? La pratique la plus courante consiste à payer les huiles de qualités hautes en fonction de leurs points de densité, aussi appelé degré, mesuré à l’aide d’un densimètre. Un prix d’achat est fixé par degré, par kilo. Ainsi, une huile avec une densité de 0,950 est dite être de 50 degrés, une huile de densité 0,960 est de 60 degrés. Le classement des huiles en degrés est le suivant : Extra superieure, ES : 65° et plus Extra, E : de 50 à 65° Première, I ; de 35 à 50° Deuxième, II de 20 à 35° Troisième, III : inférieure à 20°

Ainsi, si le prix d’achat est fixé à 1000 KMF (2 Euros) par degré par kilo, une huile de qualité Extra affichant une densité de 0,950, sera payée 50 000 KMF (100 euros) pour 1 kilo d’huile. Au cours de l’année écoulée, le prix du degré est passé de 1050 KMF à 1500 KMF (3 euros). Fulera Djema a développé une nouvelle modalité de rémunération pour lutter contre les phénomènes de frelatage suite à la crise de 2008. Elle consiste à demander aux distillateurs des lots d’huiles de différentes fractions affichant un degré minimum. Ces huiles leurs seront payées indépendamment du degré pour peu qu’elles affichent le degré minimum demandé. Par exemple, les huiles de plus de 65° (Extra Sup) sont payées à 75 000 KMF/kg ; le reste des huiles, qui doit être livré au format 1/1 (1 volume de qualité haute, pour 1 volume de 3 ème ) est payé à 35 000 KMF (70 euros) par kilo, et ce quel que soit le degré affiché par les qualités hautes. Les prix et le fractionnement demandés peuvent évoluer en fonction des commandes reçues par Fulera Djema.

Le frelatage massif des huiles essentielles a entraîné une baisse de la disponibilité des huiles essentielles de qualités basses (III), comme l'indiquent les exportations des huiles essentielles à cette période (graphique 6). Cette situation a entraîné le désintérêt de certains industriels qui face à la pénurie de produits ont cherché un substitut à la III.

Face à l'ampleur du problème de frelatage, et à la baisse de la demande suite à la crise mondiale, les acheteurs étrangers ont quasiment arrêté les achats fin 2007-début 2008 et les quantités exportées ont chuté en 2008 et 2009 (graphique 5). Ce ralentissement net des flux de produits de la filière a entraîné une chute importante des prix d'achat aux distillateurs entre 2008 et 2009: passant de 1300 KMF/°/kg à 500 KMF/°/kg pour les qualités hautes et de 1800 KMF/kg à 900 KMF/kg pour la III (graphique 6).

De 2011 à 2013, la situation s’est assainie et e frelatage des huiles essentielles a considérablement diminué. Depuis avril 2013, le rachat de HEC par Biolandes a conduit à la restauration d’une situation de forte concurrence entre exportateurs et à une flambée des prix au degré, passés en quelques mois de 1050 KMF/°/kg à 1450 KMF/°/kg

1.5.2 Un climat incitatif à la fraude ?

Un format d’achat différent du format d’extraction La 3 ème n’étant pas très prisée par les acheteurs en France, qui lui préfère l’huile de Cananga aux propriétés équivalentes et moins chère, les exportateurs ont eu tendance à ne pas acheter le deuxième kilo de troisième et favoriser le format 1/1, qui ne correspond pas au format d’extraction de 2 volumes de 3 ème pour 1 volume de qualités hautes. Les distillateurs ont’un manque à gagner s’ils n’extraient pas le deuxième volume de 3 ème . Ils ont donc tendance à l’extraire malgré tout puis à essayer de le vendre à un autre opérateur. 11

Des analyses et tests qualité seulement pratiqués en bout de chaîne Aux Comores, aucun laboratoire d’analyse des huiles d’ylang-ylang n’est fonctionnel. Ce sont les importateurs qui analysent des échantillons par chromatographie en phase gazeuse avant de valider une commande. Si la chromatographie révèle que les huiles sont frelatées, l’exportateur se retrouve avec un lot d’huiles invendables mais il ne sera pas en mesure d’en identifier la provenance. Certaines techniques (test à la bougie, refractomètre portable) permettent cependant de détecter des risques de frelatage, mais ne sont pas appliquées systématiquement à chaque étape de transaction.

Aucune traçabilité dans la filière Il est courant de pointer les distillateurs ou les collecteurs d’huiles du doigt lorsque l’on cherche à identifier les fraudeurs. Pourtant il est quasiment impossible de savoir qui est responsable dans la chaîne : des distillateurs à l’importateur, les huiles sont achetées et revendues une, deux ou trois fois à des opérateurs qui les mélangent en lots de densité spécifique pour satisfaire la commande qu’ils ont reçue de leur client. Ces opérateurs ne disposent pas tous des outils ou des méthodes nécessaires pour détecter des huiles frelatées, ou bien ne les appliquent pas systématiquement. Si bien que, s’ils achètent un kilo d’huile frelatée à un opérateur donné, cette huile va venir polluer le lot dans lequel elle sera mélangée (effet boule de neige) sans qu’il soit possible de tracer le responsable.

Des huiles frelatées qui sont achetées malgré tout Par ailleurs, certains exportateurs acceptent les huiles frelatées à un prix plus faible que les huiles de qualité haute non frelatées. Personne ne semble avoir la volonté de lutter contre cette pratique, notamment les acheteurs à tous les niveaux qui pourraient faire des contrôles simples et rejeter les huiles défectueuses. En réalité, le frelatage dans une certaine mesure reste avantageux pour les exportateurs, les collecteurs et les distillateurs. L’ensemble de ces facteurs ne créent pas un climat susceptible de dissuader les fraudeurs : le peu de traçabilité des huiles entraine un risque minime d’être pris, et quand cela arrive aucune sanction n’est appliquée. On peut même dire que le fonctionnement actuel est plutôt incitatif à la fraude.

Encadré 2 : Petites histoires de frelatage et de prix des huiles - Monsieur S., collecteur intermédiaire d’huile, aurait été incité par son acheteur, un collecteur grossiste, à frelater des huiles pour se partager la marge. Monsieur S. a refusé dans un souci éthique et de déontologie. Le collecteur grossiste dit pour sa part avoir arrêté de travailler avec Monsieur S. qui lui fournissait des huiles frelatées. - Récemment au Niumakélé, zone particulièrement éloignée des sites d’implantation des exportateurs, un distillateur a vendu ses huiles à un collecteur à 1150 KMF/°/kg alors que le prix de revente aux exportateurs était de 1450 KMF/°/kg. Le collecteur a donc fait une bonne affaire sur le dos du distillateur mal informé sur l’évolution récente des prix. - En 2011, les exportateurs invoquaient un prix très faible du marché international pour justifier un prix d’achat faible aux distillateurs. Aucune donnée officielle ne peut confirmer ou infirmer cela.

1.5.3 Les pratiques opportunistes et l’effet bulle : un risque pour 2015 ?

En 2014, la société Huiles Essentielles des Comores (HEC), le plus gros exportateur d’huile d’Ylang- ylang des Comores a été rachetée par Biolandes. Bernardi, qui achetait principalement ses huiles à HEC a donc dû développer d’autres réseaux d’approvisionnement à Anjouan, Mohéli et Grande Comore. De deux exportateurs qui se partageaient 85% du marché anjouanais, nous sommes passés à trois. Les prix ont rapidement flambé. Ce phénomène s’apparente au scénario de la crise de 2008. Étant donné le climat incitatif à la fraude, on peut craindre que les pratiques de frelatage reprennent de plus belle, ce qui semble se confirmer.

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Par ailleurs, cette capacité à augmenter soudainement le prix d’achat des huiles pose la question de la répartition de la valeur ajoutée entre les différents opérateurs de la filière aux Comores. Le prix d’achat des huiles a-t-il augmenté en France et en Europe, ou les exportateurs ont-ils réduit leurs marges pour préserver leurs parts de marché sur la filière ? Dans l’hypothèse où les prix des huiles n’ont pas sensiblement varié en France, cela suppose que les exportateurs réalisaient une marge de 40% au moins, ce qui semble bien rémunérateur. Le fait que 2 exportateurs se partagent 85% du marché – situation d’oligopsone – rend possible un accord tacite entre ces opérateurs sur les prix.

Les membres de NRSC, en tant qu’acheteurs d’huiles essentielles sur le marché occidental, pourront très certainement apporter un éclairage intéressant sur cette problématique.

1.5.4 À qui profite le crime ? Les conséquences de la répétition des crises

La dernière crise en date a eu pour effet de diviser par deux le nombre de distillateurs traditionnels et d’inciter les importateurs à investir dans des modèles de distilleries industrielles ou semi-industrielles dans lesquelles ils contrôlent le procédé de distillation (stratégie de sourcing) : Bernardi à Grande Comore, Biolandes à Anjouan, Givaudan à Mohéli… Les distilleries industrielles, pour assurer leur approvisionnement en fleurs, n’hésitent pas à surenchérir sur le prix des fleurs. Puisqu’elles intègrent les fonctions de distillation, d’export et pour certaines de revente en France, elles cumulent les marges et travaillent sur des volumes très importants. Elles peuvent donc se permettre de payer les fleurs bien au-dessus de ce que peuvent se permettre les petits distillateurs. On notera par ailleurs que ce sont également elles qui fixent les prix d’achat des huiles aux distillateurs. Sans préjuger des intentions de ces opérateurs, on peut envisager que les crises ne leur soient pas nuisibles puisqu’ils développent un schéma plus intéressant commercialement en intégrant plus de valeur ajoutée et en sécurisant leur capacité d’approvisionnement en huiles. Comme évoqué plus haut, la filière Ylang-ylang fournit de nombreux emplois ainsi que des revenus réguliers en zone rurale. La disparition des distilleries artisanales au profit des distilleries industrielles pénaliserait donc le développement de l’économie rurale à Anjouan.

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2 L’organisation de la filière à Anjouan : de l’amont à l’aval 2.1 Vision globale de l’organisation de la filière 2.1.1 Catégories d’acteurs aux Comores La filière ylang-ylang comorienne est structurée autour des exportateurs, des collecteurs, des distillateurs et des producteurs de fleurs. Les distillateurs et les producteurs de fleurs emploient respectivement des manœuvres pour la distillation et des cueilleuses pour la récolte des fleurs. Chaque acteur exerce des fonctions différentes sur les produits (schéma 1). Néanmoins cette catégorisation stricte des fonctions par acteur est plus souple dans la réalité. Certains acteurs de la filière ont tendance à intégrer des fonctions en aval ou en amont de leur activité d'origine : ainsi nombreux distillateurs propriétaires d'alambics cultivent l'ylang-ylang, une part des producteurs de fleurs louent des alambics de manière saisonnière afin de distiller leurs fleurs et les collecteurs sont souvent aussi distillateurs et producteurs de fleurs. Par ailleurs, les exportateurs (Bambao (Elixens), HEC (Biolandes) et AGK) ont tous des distilleries semi-industrielles dans lesquelles ils distillent leurs propres huiles.

Figure 2 : Acteurs, fonctions et produits de la filière ylang-ylang (source : enquêtes)

2.1.2 Organisation, flux et volumes Comme mentionné ci-dessus, la majorité des distillateurs sont également producteurs de fleurs. ID estime que les distillateurs produisent en moyenne 15% des fleurs dont ils ont besoin pour distiller ; le reste des fleurs est acheté directement à des producteurs. On notera que quelques distillateurs peuvent assumer la fonction de collecteurs de fleurs pour d’autres. Une fois les huiles produites, elles sont vendues à des collecteurs. Le réseau de collecte a deux niveaux. Le premier niveau, que nous appellerons collecteurs intermédiaires, est constitué par des distillateurs qui achètent les huiles de leurs collègues dans une zone de production donnée, en générale à l’échelle du village. Ils revendent leurs huiles à des collecteurs « grossistes » situés dans les zones urbaines ( et ). Les collecteurs grossistes vendent ensuite les huiles aux exportateurs.

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Cette organisation de la filière implique que la majorité des huiles essentielles produites par les distillateurs anjouanais transitent par les collecteurs : seulement 10% des huiles essentielles sont vendues en direct aux exportateurs (schéma 2). L'association Fulera Ndjema et la société Mamadaly sont majoritairement responsables de ces achats en direct.

dans les distilleries industrielles

Figure 3 : Estimation de la répartition des flux physiques au sein de la filière ylang-ylang à Anjouan en 2013 ;

En vert : flux de fleurs En orange : flux d'huiles essentielles

2.1.3 Zones de production et évolution de la production de fleurs (y a-t-il augmentation ou diminution de la production de fleurs ces 10 dernières années

La production de fleurs à Anjouan est concentrée dans 6 bassins de production : • La zone de Domoni sur la côte Est ; • La zone allant de Bambao à Ajoho sur la côte Est ; • La zone de la cuvette au centre de l’île ; • La zone allant de à Moya sur la côte Ouest ; • La zone de la péninsule de Jimilimé ; • La zone de Niumakélé ;indiquer sur la carte

Chacune de ces zones de production présente des problématiques et des dynamiques différentes. On peut cependant faire le constat que la production de fleurs d’ylang-ylang a progressivement diminué au cours des 20 dernières années et semble s’être stabilisée ces 5 dernières années. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette diminution : • Le morcellement du parcellaire lié à la croissance démographique et la diversification progressive des parcelles en monoculture d’ylang-ylang vers de la polyculture de type agroforestière intégrant

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des productions vivrières ; on notera que l’ylang-ylang est très sensible à la compétition pour la lumière. • Le vieillissement des arbres lié à un faible taux de replantation de l’ylang-ylang qui a pour conséquence la diminution de la production par arbre ; • Le manque d’entretien des plantations ; • Arrachage des pieds d’ylang-ylang à la suite de chaque crise liée à la faible rémunération des fleurs • Les attaques des plantations à haute densité par un aleurode appelé localement « mouche blanche ». • Le tout dans un contexte où la rémunération du girofle a explosé

De manière plus spécifique, la côte Ouest de Vouani à Moya sur la carte ci-dessous, a été clairement identifiée comme très impliquée dans les problèmes de frelatage des huiles lors de la crise de 2007. On peut donc supposer que, dans un contexte où aucun contrôle qualité n’était possible, les exportateurs ont cessé de s’approvisionner dans cette zone pour limiter les risques. Ainsi, la crise aurait d’avantage impacté la côte ouest. Les distillateurs dans l’impossibilité de vendre leurs huiles, ou alors à très bas prix, ne payaient plus les fleurs que 100 KMF/kg, soit 20 centimes d’euros. A ce prix beaucoup de producteurs de fleurs ont délaissé l’ylang-ylang pour se tourner vers le girofle.

Au Niumakélé, péninsule au sud de l’île, c’est le manque d’eau qui limite les activités de distillation. La demande en fleurs s’est donc progressivement réduite au fil des années. Dans certains villages, des producteurs de fleurs disent actuellement ne pas arriver à vendre leur production.

Nombre d’arbres et superficies N plantées en Ylang-ylang Jimilime 2 000 tonnes de fleurs donnent 45 tonnes d’huiles Mutsamudu A raison de 5 kilos de fleurs par arbre et par an Sima Cuvette Bambao M’Tsanga Bungweni = Tsembehu 400 000 Ylang-ylang à Anjouan

Vouani Soit environ 1 000 Ha de Domoni monoculture d’Ylang Pomoni ou Niumakélé 2 000 Ha de systèmes Légendes : Moya agroforestiers intégrant l’ylang- Lieux d’implantation des exportateurs Dagi Nyamambro ylang Zones de production florale et de distillation

Figure 4 : Ile d’Anjouan, principaux bassins de production des huiles essentielles d'ylang-ylang et localisation des exportateurs (source : enquêtes)

2.2 Les producteurs de fleurs 2.2.1 Typologie des producteurs de fleurs Le nombre de producteurs de fleurs d'ylang-ylang est estimé entre 3000 et 4000 à Anjouan. Les quantités de fleurs récoltées par producteur sont extrêmement variables. En période de forte production florale, elles varient de 20 kg à 3 tonnes par mois. L'absence de données fiables sur la production de fleurs d'ylang-ylang à Anjouan rend l'estimation de la répartition des volumes difficile. Néanmoins, d'après les observations et les enquêtes, il est possible d'affirmer que la majorité des producteurs produisent moins de 200 kg de fleurs par mois de forte production, soit 100 kg pour une récolte tous les 15 jours. C'est-à-dire qu’il possède moins de 240 arbres (soit ½ ha en monoculture ou 1 à 2 ha en association avec d’autres cultures).

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Les producteurs de fleurs regroupent une grande diversité de profils, nous les avons catégorisés selon leur système d’activité. Les plus gros producteurs de fleurs sont massivement tournés vers les cultures de rente, ou associent plusieurs activités extra-agricoles intégrées dans la filière ylang-ylang comme la distillation ou la collecte. Les plus petits producteurs de fleurs sont tournés vers l'agriculture de subsistance, les cultures de rente leur permettent en partie de subvenir à leurs besoins monétaires. Entre ces deux extrêmes se trouvent des ménages dont la vente des productions vivrières est associée à celle des produits de rente ou bien des ménages dont les revenus reposent avant tout sur le fonctionnariat ou le salariat ( i.e. , instituteur, gérant de Sanduk, pour les cas rencontrés).

La majorité des producteurs de fleurs appartient au profil de ménages tournés vers l’agriculture vivrière de subsistance et ceux vendant leur production vivrière. Ce sont néanmoins les producteurs spécialisés dans les cultures de rente, bien que minoritaires, qui produisent la majorité des volumes annuels.

Par ailleurs au sein de chaque foyer, les revenus de la production de fleurs semblent être destinés à la personne ayant apporté la parcelle d’ylang-ylang au patrimoine familial. Si la parcelle appartient à la femme, l’ensemble des revenus liés à l’ylang-ylang lui sera réservé et vice-versa si la parcelle appartient au mari. Les revenus sont partagés dans le cas où les pieds d’ylang-ylang ont été plantés par le couple après leur mariage.

2.2.2 Organisation et coordination En ce qui concerne la production de fleurs, il n’y a pas d’organisation horizontale de la filière. Les producteurs de fleurs ne se regroupent pas pour former des groupements et encore moins des coopératives.

Même les distillateurs de Fulera Ndjema (seule association qui regroupe verticalement les acteurs de filière depuis la production de fleurs jusqu’à l’export) sont contraints de s’approvisionner chez des producteurs qui n’appartiennent pas à l’association.

On peut supposer que l’absence de structuration entre les producteurs de fleurs est liée aux liens sociaux et familiaux très forts qui les unissent aux distillateurs. Habitués à fournir leurs fleurs à un distillateur au prix du marché (du jour), ils ne ressentent pas le besoin de s’unir pour disposer d’une meilleure capacité de négociation. Par ailleurs, l’histoire et la culture comorienne ne sont pas imprégnées de l’esprit coopératif. Les nombreux échecs de mises en place de telles structures depuis la décolonisation ont même suscité une certaine méfiance de la part des producteurs envers ce type de structures. 2.2.3 Relations avec les autres acteurs de la filière Pour la plupart, les producteurs de fleurs entretiennent des relations de fidélité avec un distillateur ou un petit groupe de distillateurs. Ils amènent leurs fleurs ou font amener leurs fleurs par les cueilleuses, directement à l’alambic où on leur paye les fleurs au kilo. Les distilleries industrielles tentent de sécuriser leur approvisionnement en contractualisant avec des producteurs de fleurs (voir la partie sur les distilleries industrielles pour plus de détails).

2.3 Les collecteurs de fleurs Les collecteurs de fleurs sont peu nombreux. Ce sont souvent des distillateurs que le manque de moyens financiers empêche de distiller les fleurs achetées à des producteurs qui leur sont fidélisés. Ils répondent alors aux commandes des distillateurs en s'approvisionnant en fleurs dans leur village. Les achats sont ensuite regroupés et le transport est à la charge du distillateur. Les distillateurs anjouanais ont recours à des collecteurs de fleurs de manière occasionnelle et en saison de faible production. Dans les zones de collecte d’HEC, la concurrence avec la distillerie industrielle 17

pousse les distillateurs artisanaux à adapter leur stratégie d'approvisionnement en élargissant les zones d'achat. Cela nécessite le recours à des intermédiaires originaire des villages voisins assurant la bonne conduite de l'approvisionnement. Bambao Tropikal S.A. passe par des collecteurs de fleurs pour s'assurer l'approvisionnement en fleurs non bio alors que la société HEC assure elle-même son approvisionnement auprès de ses producteurs de fleurs certifiées. On notera au passage que de nombreux producteurs certifiés vendent des fleurs qui ne leur appartiennent pas, et ne sont donc pas produites sur les parcelles certifiées bio. Cependant, toutes les parcelles d’ylang-ylang à Anjouan sont traditionnellement conduites selon des itinéraires techniques qui correspondent au cahier des charges de « l’agriculture biologique ».

2.4 Les cueilleuses La cueillette est majoritairement une activité féminine. Rares sont les hommes effectuant cette tâche, hormis les producteurs travaillant sur leur propre parcelle. 2.4.1 Typologie des cueilleuses La main-d'œuvre pour la cueillette peut être distinguée en 3 catégories : • la main-d'œuvre issue du foyer (vivant sous le toit du producteur de fleurs), • la main-d'œuvre issue de la famille élargie (filles mariées, sœurs, cousines, etc.) • la main-d'œuvre extérieure à la famille généralement issue du village.

Ces catégories ont leur importance car elles ne sont pas soumises au même régime de rémunération du fait de l'importance du lignage 2 à Anjouan (et aux Comores de manière générale). La main-d'œuvre du foyer n'est pas rémunérée sauf rares exceptions, celle issue de la famille élargie touche les plus hautes rémunérations, selon une grille propre à chaque producteur.

En général, les cueilleuses perçoivent 1/3 de la valeur d’achat des fleurs au producteur.

La cueillette hors cercle familial est une activité transitoire. Ces femmes arrêtent l’activité de cueillette à partir du moment où le ménage a pu accéder au foncier (mariage, héritage) et peut développer ses propres activités agricoles (cultures vivrières, maraîchage ou cultures de rente). Les personnes rencontrées cueillant depuis longtemps pour d’autres producteurs, pour lesquelles la cueillette est une source de revenu régulière et importante, se trouvent dans des situations de grande précarité : accès au foncier restreint (immigration, prêt de parcelle) et/ou situations familiales compliquées (maladie, foyer monoparental). Les autres activités exercées dans ces foyers sont la culture vivrière pour la subsistance (banane, taro), la récolte de bois de chauffe, la confection de hamba 3 ou encore l’extraction de sable.

2.4.2 La cueillette une source de revenus occasionnelle pour les femmes en situation précaire Les producteurs et productrices se reposent en premier lieu sur la main d‘œuvre familiale, rémunérée ou non, pour récolter leurs fleurs. Si cette main d’œuvre est insuffisante pour cueillir toutes les fleurs, les producteurs (-trices) embauchent de la main d’œuvre rémunérée à la tâche. C’est le cas pour les gros producteurs de fleurs ou pour les plus petits en période de pic de production.

La capacité de cueillette a été estimée par les cueilleuses à 20 kg en une récolte à raison de 5 à 6 h de récolte effective, soit une demi-journée de travail. Elle peut atteindre 30 kg lorsque la cueilleuse est accompagnée de ses enfants. Nous considérerons un rendement moyen de 4 kg de fleurs cueillis par heure de travail. À Anjouan, on peut estimer entre 5000 et 6000 le nombre de cueilleuses, dont environ 4000 en tireraient des revenus occasionnels.

2 Lignage : lien de structuration de la parenté fondé sur la référence à un ancêtre commun 3 Corde traditionnelle faite en fibre de coco. 18

2.5 Les distillateurs 2.5.1 Typologie des distillateurs 2.5.1.1 Distillateurs artisanaux Les distillateurs artisanaux ont été catégorisés en fonction de leur accès à un alambic (propriété ou location) et de l'intégration de la production de fleurs à leurs activités : • Les distillateurs propriétaires d'alambic et producteurs de fleurs • Les distillateurs propriétaires d'alambic sans production de fleurs • Les producteurs de fleurs locataires d'alambic • Les locataires d'alambic sans production de fleurs.

La majorité des huiles essentielles artisanales sont produites par les distillateurs propriétaires d'alambic et producteurs des fleurs. Ils ont été estimés entre 120 et 160 en activité en 2013 (annexe 3). Cette catégorie comprend les plus gros producteurs artisanaux d'huiles essentielles de la filière. Le rythme de distillation est élevé en période de forte production avec 3 à 5 distillations/semaine, selon la capacité de charge en fleurs de l'unité de distillation. Pour cette catégorie de distillateurs, la quantité d'huiles essentielles produites annuellement se situe en moyenne autour de 250 kg/an, cependant il existe de grandes variations selon les profils, allant de 100 kg/an à 1000 kg/an. Le nombre de distillations annuelles est aussi variable selon la taille de l'unité de distillation et les capacités d'approvisionnement. Il a été évalué entre 60 et 120 distillations/an, avec une moyenne de 90 distillations/an.

Les distillateurs propriétaires d'alambic ne produisant pas de fleurs sont peu nombreux et présentent des profils particuliers. L'accès à l'alambic se fait par la propriété familiale (cas minoritaire dans la filière). L'absence de production de fleurs indique un accès limité au foncier. Cette caractéristique montre une insertion relative dans le monde rural anjouanais. Les personnes rencontrées faisant partie de cette catégorie étaient par exemple un migrant régulier vers Mayotte ou une personne retournant au village après une carrière dans la fonction publique. La production moyenne d'huiles essentielles en période de forte production est évaluée à 19 kg/mois, soit 4 à 8 distillations/mois.

La majorité des distillateurs sont locataires d'alambic et producteurs de fleurs. La plupart distillent de manière occasionnelle environ 3 fois par an, en période de forte production. Le reste de l’année ils se contentent de vendre leurs fleurs. Ce sont majoritairement de petits producteurs de fleurs avec une récolte inférieure à la capacité d'une cuve. Le maximum de distillation pour un distillateur locataire de fleurs rencontré lors des enquêtes est 24 distillations à l'année, concentrées sur les 4 mois de forte production florale. Les producteurs de fleurs louant un alambic ont été estimés entre 600 et 700 au cours de l'année 2013, soit 17 à 28 % des producteurs de fleurs de l'île .

Les distillateurs locataires d'alambic sans production de fleurs semblent être localisés dans certaines zones de l'île, par exemple, Mromaji et … Leur accès à un alambic étant limité, leur production en huiles essentielles est faible. Lors des périodes de forte production en fleurs, ces locataires distillaient 2 à 4 fois par mois. Ce sont des profils en transition, c'est-à-dire de jeunes ménages n'ayant pas encore hérités de terrain. L'évolution possible de cette catégorie est l'intégration vers la catégorie des distillateurs propriétaires d'alambic une fois que leur situation et leur capacité financière leur permettront de mettre en place des cultures d'ylang-ylang et d'investir dans un alambic.

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2.5.1.2 Distilleries industrielles : quel impact sur l’économie comorienne ? Trois des cinq exportateurs d’huiles essentielles, préfèrent sécuriser et gérer la qualité des essences en distillant eux-mêmes des fleurs d’ylang-ylang. En 2013, HEC a distillé 3t d'huiles essentielles à partir de fleurs certifiées bio et Bambao Tropikal S.A. 3,2t d'essences dont 2t de conventionnel, 500 kg de complète et concrète et 700 kg en bio. Ces volumes correspondent à la distillation de 11 % des fleurs produites à Anjouan en 2013. Nous ne connaissons pas les chiffres ni les modalités de distillation pour AGK car leur distillerie est situées à Grande-Comore et n’a pas fait l’objet d’une enquête.

La distillerie d’HEC s'approvisionne grâce à la contractualisation avec des producteurs de fleurs certifiées bio. La certification et la contractualisation sont renouvelées chaque année lors de la visite d'EcoCert. La collecte des fleurs est réalisée par HEC avec l'organisation de tournées et la mise en place de points de collecte dans l’Est de l’île où se trouvent les producteurs de fleurs (Domoni, Ongoni, Bambao, Jeje). Les prix d'achat de HEC sont supérieurs aux prix locaux (+50 KMF/kg) avec l'octroi de primes en fin d'année (+50 KMF/kg). Le label bio sert avant tout à garantir la traçabilité puisque les huiles essentielles d'ylang-ylang produites par HEC ne sont pas vendues sous ce label La distillerie de Bambao Tropikal S.A. s'appuie sur un circuit d'approvisionnement en fleurs conventionnelles et un circuit d'approvisionnement en fleurs bio. Le circuit fleurs conventionnelles passe par des collecteurs de fleurs situés dans différentes zones de production florale de l'île (Domoni, Pomoni et Niumakélé). Ces collecteurs de fleurs sont souvent d'anciens collecteurs d'huiles essentielles de la société. Cette dernière leur passe des commandes avec un prix d'achat fixé (350 KMF/kg en avril 2013), des avances financières et un délai (collecte chaque lundi). Le circuit des fleurs bio s'appuie sur des producteurs de fleurs certifiées par EcoCert dont la société fait elle-même la collecte. La Bambao Tropikal travaille sur commande de la maison-mère (Elixens) sans création de stock. Cette stratégie de production entre en conflit avec la stratégie de contractualisation des producteurs de fleurs bio car la société n'achète les fleurs que par période et la reprise des distillations peut être en décalage avec la production florale. Le maintien de l'engagement des producteurs dans les termes du contrat tient grâce à l'investissement de la direction de la société qui privilégie les contacts directs voire les aides financières (i.e. , avances). Une nouvelle distillerie semi-industrielle, la distillerie de Saloi, est en cours d’installation à Moya. Elle s’appuie sur un nouveau modèle d’organisation économique de l’approvisionnement bio et équitable, tourné vers la production d’huiles essentielles de très haute qualité en fleurs. Sa capacité de distillation devrait être de l’ordre de 1 tonne par an.

Encadré 3 : Stratégies de sourcing, d ynamique d’intégration de la filière par les industriel s et impacts sur l’économie comorienne

Face aux problèmes rencontrés en termes de qualité et de disponibilité des huiles, certains industriels développent des modèles qui leur permettent de s’assurer un approvisionnement régulier en huiles de qualité et traçables. Le modèle de distillerie industrielle telle que HEC est une solution qui présente l’avantage de garantir un approvisionnement d’un certain tonnage d’huiles par an tout en contrôlant le procédé de distillation et donc la qualité du produit final. Les fleurs sont achetées aux producteurs anjouanais. Dans un contexte de baisse de la production florale, cette concurrence sur les fleurs est problématique pour les petits distillateurs de la zone qui ont du mal à trouver des fleurs et qui ne peuvent pas s’aligner sur les prix proposés par la distillerie. La valeur ajoutée liée à la distillation est alors captée par l’industriel au détriment des artisans. Cette valeur ajoutée n’alimente donc plus l’économie rurale anjouanaise. Le modèle qui consiste à aider financièrement les distillateurs à investir dans du matériel de qualité (acier inoxydable) tout en travaillant à la mise en place de mesures de traçabilité des huiles, est beaucoup plus favorable au développement de l’économie locale anjouanaise.

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2.5.2 Groupements de distillateurs et groupes d’entraide Les relations entre distillateurs reposent d'abord sur les réseaux d'entraide pour le prêt des fleurs afin de remplir les alambics. Le prêt de fleurs est réalisé lors des périodes de faible distillation, à contrario les périodes de forte distillation, augmente la trésorerie des distillateurs, leur permettant d'acheter les fleurs.

2.5.2.1 Groupe d'entraide/réseau de prêt de fleurs Les systèmes de prêt de fleurs entre groupes de distillateurs semblent très fréquents en période de faible production. D'après les observations, ils s'appuient sur des petits réseaux de distillateurs proches (inférieur à 6 distillateurs, selon les enquêtes). Cette proximité est d'abord spatiale (même village) puis relationnelle (liens familiaux, connaissances de longue durée). Ces prêts fonctionnent sur le même modèle que les tontines. Les distillateurs mettent en commun leur production de fleurs, une fois la quantité requise pour une distillation atteinte, elle est donnée à celui ayant la plus grande capacité de distillation. Chacun obtient à tour de rôle la matière pour réaliser son activité. Il existe en parallèle de ce type d'organisation des arrangements occasionnels entre deux ou plusieurs membres du groupe sans que tous soient impliqués. Ces pratiques interviennent en saison de faible production lorsque les distillateurs ont une trésorerie limitée, le reste de l’année l’acquisition de fleurs se fait selon des pratiques marchandes. L'association des distillateurs autour des autres activités de la filière – production et commercialisation des huiles essentielles - est peu fréquente. Lorsqu'elle existe, elle s'appuie sur la proximité (i.e., liens familiaux ou amicaux de longue durée). Cet élément constitutif des groupes de distillateurs est important. Les programmes de développement antérieurs n'ont pas tenu compte de cette dimension, rassemblant alors les distillateurs des villages sans affinités. Les groupements formels ainsi créés n'ont pas duré : soit ils ont arrêté de fonctionner soit ils se sont recentrés sur un petit groupe d'individus partageant cette proximité, provoquant la mainmise de la structure par un nombre restreint de personnes au sein du groupement.

2.5.2.2 Groupements formels Les enquêtes de terrain ont permis de rencontrer trois associations actives de distillateurs à Mromvovo (Tsembehu) et à Jimilimé ainsi qu’une association de distillateurs non fonctionnelle à Dagi. Le groupement de distillateurs de Mromvovo est issu des activités du GIE Maison des Épices (financement Stabex 96/97) et a un statut formel d’association. Sur les 12 membres officiels du groupement, 6 personnes distillent vraiment. Ces 6 personnes présentent d'ailleurs des liens dépassant le cadre professionnel, ce qui peut expliquer la cohésion de ce groupe autour de l'association alors que les autres membres ont délaissé cette activité. Les activités de l’association des distillateurs de Mromvovo se font actuellement autour du matériel de distillation et, dans une moindre mesure, autour de la main-d'œuvre avec le partage des manœuvres à l'alambic. Il y a 6 manœuvres qui travaillent pour l'association et les distillateurs ont recours à l'un ou l'autre en fonction de leur lien et affinité avec le manœuvre. Les activités d’approvisionnement en fleurs et en bois, de distillation et de commercialisation sont menées individuellement. Cette association s'apparente davantage à un partage et à une gestion commune du matériel qu'à une association autour de l'activité de distillation. Les membres du groupement paient un droit à chaque distillation (1000 KMF) afin de créer un fond qui doit servir pour payer les réparations. D'après le trésorier, ce droit n'est pas réellement payé à chaque distillation mais selon les saisons et les capacités financières des distillateurs. En cas de pannes, le groupement se réunit et la contribution se fait entre ceux qui peuvent avancer l'argent et ceux qui fourniront la main-d'œuvre pour les travaux, faute de moyens financiers. Bien qu'un système de gestion des frais d'entretien des alambics existe, un seul des 4 alambics fonctionne. Il s’agit de celui dont le four a été rénové pour mettre en place un prototype du programme FY-DAFE. Parmi les membres restants, quelques-uns partagent parfois les avances données par les collecteurs et vendent ainsi collectivement les huiles essentielles au pourvoyeur de l'avance financière.

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Les deux autres associations de distillateurs actives ont été rencontrées à Jimilimé . Ces associations informelles se basent sur le regroupement de deux à trois distillateurs autour de leurs unités de distillation qui sont composées de deux cuves chacune. L'association s'est faite sur les liens de longue durée entretenus par les distillateurs, qu'ils soient familiaux ou autres. A la différence du groupement de Mromvovo, la mise en commun des activités se fait aussi sur l'approvisionnement en fleurs et en bois, la production des huiles essentielles et la commercialisation de ces essences. L'investissement ainsi que l’entretien des alambics est aussi réalisé en commun. Les points qui différencient ces deux associations informelles sont la mise en commun du réseau d’approvisionnement en fleurs et la modalité de rémunération des membres du groupement. Dans un cas, le réseau de producteurs fidélisés est commun et les bénéfices sont partagés. Dans l’autre cas, les 3 membres de l'association ont chacun leur réseau de producteurs fidèles et la rémunération se fait au prorata des quantités de fleurs apportées par chacun (annexe 4).

2.5.2.3 Coopératives A l'heure actuelle il existe deux structures de type coopératif spécialisées dans l’Ylang-ylang à Anjouan : la coopérative Lang-Lang Ya Kweli Ndzuani, et l’association Fulera Djema.

La coopérative Lang-Lang Ya Kweli Ndzuani a pour objectifs de "doter la filière de distilleries communautaires" et de "valoriser la commercialisation des essences à l'échelle nationale et internationale pour optimiser les bénéfices des paysans producteurs-distillateurs de l'île". Les enquêtes de terrain n'ont pas permis de montrer que cette coopérative fonctionne réellement. Certains distillateurs concernés nous ont dit vendre leurs huiles essentielles au leader de ce projet sans toutefois qu’aucune autre activité coopérative ne soit mise en place. Le travail réalisé par ce leader ressemble davantage à une activité de collecte qu’à de la structuration de la filière par la mise en place d'une coopérative. L’ensemble des membres du bureau de la dite coopérative ont des profils de technocrates pour qui la « coopérative » serait plutôt un outil pour mobiliser des subventions publiques.

L'association Fulera Djema constitue un cas particulier d'association de distillateurs. Fulera Djema exporte environ 5 tonnes d’huiles annuellement vers la France. Cette association est gérée par un bureau de 4 personnes dont 3 sont distillateurs et 1 est le collecteur. Le bureau anime la structure qui regroupe une trentaine de distillateurs et une soixantaine de producteurs de fleurs. Les membres du bureau font l'interface entre les distillateurs et les partenaires commerciaux ou de services, négocient pour eux et actent les décisions prises. D'après les enquêtes terrains, il n'y a peu ou pas de réunions entre tous les membres distillateurs et le bureau, mais plutôt un système de consultation des distillateurs à travers le travail du collecteur. Dans ces conditions il est difficile de définir précisément qui sont les membres de l'association et de savoir si l'activité de collecte se limite à ses membres ou bien est plus ou moins élastique selon les affinités et les connaissances du distillateur et des membres du bureau. Fulera Djema a mis en place ces dernières années une modalité de rémunération innovante qui assure un meilleure revenu aux distillateurs tout en limitant les risques de frelatage . Voir encadré 1 page 11 pour plus de détails.

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2.6 Les manœuvres pour la distillation

Le travail pendant la distillation est pénible et les distillateurs ont de manière générale tendance à le sous-traiter en embauchant des manœuvres. D'après nos observations, les distillateurs emploient généralement 2 manœuvres : un pour débiter le bois et le second pour gérer la chauffe. Dans ce cas, le distillateur supervise et contrôle le travail. L'emploi de main-d'œuvre est moins généralisé chez les producteurs de fleurs locataires occasionnels d'alambic pour qui la stratégie de distillation est orientée vers l'internalisation et la minimisation des coûts. Néanmoins, embaucher des manœuvres et avoir un rôle de superviseur ou de "patron" est socialement mieux perçu que de faire le travail soi-même. L’activité de manœuvre est souvent temporaire et manque donc d’ouvriers expérimentés. Ceci a un impact négatif certain sur la conduite de la distillation. Les manœuvres sont uniquement des hommes. Les plus jeunes commencent cette activité vers 15 ans, âge auquel les jeunes hommes anjouanais quittent le foyer parental. De cet âge jusqu'au mariage (entre 23 et 27 ans pour la plupart), ils cherchent une activité au sein du village qui puisse leur permettre d'acheter des produits de première nécessité ou encore des vêtements. L'activité de manœuvre est l'une des plus accessibles et régulières 4 pour les jeunes hommes au village. Cette activité sera effectuée jusqu'à ce qu'ils trouvent une autre activité rémunératrice. Les options pour délaisser le travail de manœuvre sont le mariage et l'héritage qui leur permettront d'accéder au foncier ; la formation vers une autre activité (mécanique, plomberie) ; l'orientation vers l'armée ou bien le départ pour Mayotte. Cette activité de manœuvre est en effet un moyen d'accumuler le capital nécessaire pour entreprendre la traversée clandestine vers l’île française (un tiers des personnes enquêtées). Bien que le travail de manœuvre soit généralement réalisé par deux employés à la fois, il est considéré comme pénible et faiblement rémunéré. En 2014, les manœuvres sont payés 10 € chacun pour 20 heures de travail. La pérennisation de cette activité vient essentiellement du manque d'alternatives présentes au sein du village (source : Enquêtes ). Les manœuvres plus expérimentés mènent souvent cette activité à la tâche, c'est-à-dire en fonction de leur besoin du moment et s'arrête pour prioriser une autre activité. Par exemple, certains sont agriculteurs avec un peu d'élevage sans que cela suffise pour subvenir aux besoins du ménage. Les manœuvres plus âgés ne travaillent pas uniquement aux alambics et peuvent être aussi manœuvres pour le gros œuvre (maçonnerie).

4 Autres activités : récolte du girofle, extraction de sable, manœuvre en bâtiment 23

2.7 Les collecteurs d’huiles 2.7.1 Profils des collecteurs d'huiles essentielles Les exportateurs travaillent avec un nombre restreint de collecteurs. Ces collecteurs travaillent à leur tour avec des intermédiaires. Afin de les distinguer, on parlera de collecteurs grossistes pour ceux qui sont en lien direct avec les exportateurs et de collecteurs intermédiaires pour ceux qui vendent les essences aux collecteurs grossistes. Les deux catégories de collecteurs assument la même fonction, c’est-à- dire l'achat de petits volumes d'huiles essentielles pour les revendre en gros. Les collecteurs grossistes achètent les essences à la fois aux distillateurs et aux collecteurs intermédiaires. Les collecteurs intermédiaires s'approvisionnent directement auprès des distillateurs et, dans de rares cas, peuvent aussi avoir recours à des intermédiaires. Le nombre de collecteurs grossistes est estimé entre 8 et 10 et celui des collecteurs intermédiaires entre 25 et 45. Ces deux catégories de collecteurs se distinguent par la destination des huiles achetées et les volumes d'achat. Les collecteurs intermédiaires achètent entre 450 et 850 kg/an alors que les quantités achetées par les collecteurs grossistes ont été estimées entre 3 et 4t/an. Ces volumes varient de manière importante en fonction de la saison : entre 20 et 150 kg/mois pour les collecteurs intermédiaires et entre 200 et 500 kg/mois pour les collecteurs grossistes dont un tiers provient directement des distillateurs. De par le recours à des intermédiaires, la zone de collecte des collecteurs grossistes s'étend sur toutes les zones de distillation de l'île, alors que les collecteurs intermédiaires collectent dans des zones plus restreintes en fonction des contacts créés localement. Les collecteurs intermédiaires sont majoritairement implantés en milieu rural et impliqués dans les activités de production de fleurs et de distillation. Seuls quelques collecteurs grossistes vivent en milieu urbain et n'ont jamais été impliqués dans les activités de production. Les stratégies d'approvisionnement des collecteurs intermédiaires sont diverses. La plus commune est l'approvisionnement auprès des distillateurs et la vente de leur propre production. Certains collecteurs intermédiaires louent leur alambic et vendent leurs fleurs en échange de l'exclusivité de l'achat des huiles essentielles. Les distillateurs deviennent collecteurs intermédiaires souvent à partir de leurs fonds propres mais aussi sur proposition des autres collecteurs grossistes leur avançant des fonds pour pouvoir collecter. Il y a en grande partie cooptation des collecteurs entre eux.

2.8 Les exportateurs 2.8.1 Profils des exportateurs et volumes exportés Il y a cinq exportateurs travaillant dans la filière ylang-ylang à Anjouan : les sociétés Huiles Essentielles des Comores (HEC), AGK, Bambao Tropikal S.A., S.C.C. Mamadaly et Fils et l'association Fulera Ndjema.

Bambao Tropikal S.A. est la propriété de la société Elixens et exporte à l'heure actuelle de la vanille, du girofle, des huiles essentielles de néroli et d'ylang-ylang.

HEC est spécialisée dans l'exportation d'huiles essentielles d'ylang-ylang et distille aussi le girofle. A l'origine indépendante, elle vient d'être rachetée par l’importateur Biolandes.

Les sociétés AGK et S.C.C Mamadaly et fils, détenues par des comoriens d'origine indienne, sont des généralistes en import-export : elles travaillent autant sur l'exportation des produits de rente que sur l'importation de produits de première nécessité ou de matériaux de construction.

L'association Fulera Ndjema s’est construite avec l’appui des programmes de développement DECVAS et PREDIVAC financés par l’AFD, l’Union Européenne et la région de la Réunion (de 2000 à 2010). Cette association fut dans un premier temps affiliée au Syndicat National des Agriculteurs Comoriens (SNAC) et est, depuis fin 2013, indépendante. Son unique activité est l'exportation des huiles essentielles d'ylang-ylang distillées par ses membres.

24

Deux des exportateurs se situent autour de Mutsamudu, à M'Paje et . AGK, basé à Moroni, travaille dans l'ylang-ylang sur les 3 îles de l'Union des Comores et a une agence de collecte à Mutsamudu. HEC et Bambao Tropikal S.A. se trouvent proches des zones de production de fleurs, la première étant à Domoni, la seconde à Bambao M'Tsanga sur le site historique de l'ancien domaine colonial de Bambao.

2.8.2 Approvisionnement en huiles essentielles et volumes exportés 2.8.2.1 Volumes exportés Les volumes d'huiles essentielles d'ylang-ylang produits à Anjouan ont été estimés entre 44 et 47t pour 2013 (annexe 3). Outre les réseaux classiques via les importateurs d’huiles essentielles d’ylang-ylang, une partie alimente directement des magasins en Europe via la diaspora et une autre partie s'écoule clandestinement à Mayotte ( Valade 2010 ) et probablement vers l'île Maurice par l’intermédiaire de courtiers venant collecter sur de courtes périodes (source : enquêtes ). Le manque d'informations ne permet pas de quantifier l'importance de ces deux flux. HEC domine le marché avec 50% des exportations totales. AGK achète et expédie 33% des huiles essentielles anjouanaises. Bambao Tropikal S.A., Fulera Ndejma et S.C.C. Mamadaly et Fils se partagent les 17% restants. Il est à noter que les activités de ces trois derniers exportateurs ont régressé ces dernières années : la société Mamadaly est passée de 3t exportées en 2012 à 1,6t en 2013, Fulera Ndjema de 5t en 2012 à 3t en 2013. La Bambao Tropikal S.A. quant à elle est passée de 22t/an en 2008-2009 à 3,2t en 2013. Cette dernière diminution est liée à l'arrêt de l’activité de collecte des huiles artisanales par la Bambao Tropikal S.A. qui n’exporte plus que des huiles essentielles produites dans sa propre distillerie.

Distillerie industrielle

Graphique 8 : Répartition des volumes expédiés par exportateur - AGK pour Anjouan uniquement, en 2013 (source : enquêtes)

2.8.2.2 Gestion de l'approvisionnement en huiles essentielles par les exportateurs Les deux stratégies d'approvisionnement en huiles essentielles des exportateurs sont la collecte des huiles essentielles et la distillation des fleurs. La collecte domine l'approvisionnement puisque 86% des huiles essentielles exportées sont produites de manière artisanale par des distillateurs anjouanais (graphique 8). Il y a actuellement deux distilleries industrielles à Anjouan : Bambao Tropikal S.A. et HEC. La première n'exporte que ses propres productions d'huiles essentielles alors que les volumes expédiés par la seconde proviennent majoritairement de la collecte des essences artisanales. 25

Les huiles essentielles artisanales sont achetées par les exportateurs à travers deux circuits (figure 2) : l’achat direct à des distillateurs et l’achat à des collecteurs. L'achat en direct aux distillateurs a été estimé à 20% du volume d'huiles essentielles artisanales en 2013. Le reste passe par les commandes faites aux collecteurs. Les achats de Fulera Ndjema et S.C.C. Mamadaly et fils constituent la majorité des achats en direct aux distillateurs. S.C.C. Mamadaly et fils avait auparavant recours à des collecteurs mais, comme Bambao Tropikal S.A., les problèmes de frelatage dans la filière ont amené la société à reconsidérer sa stratégie d'approvisionnement et à opter pour des achats sans intermédiaires. Les achats de Fulera Ndjema sont considérés comme des achats directs à partir du moment où la structure associative possède son propre collecteur, seul salarié de la structure. AGK et HEC travaillent chacun avec plusieurs collecteurs leur permettant de s'assurer un approvisionnement en huiles essentielles sur tout le territoire.

2.9 Coordination entre distillateurs, collecteurs et exportateurs

Les collecteurs grossistes ne travaillent qu'avec un seul exportateur à la fois. Leur activité de collecte dépend majoritairement des avances faites par cet exportateur. Ces avances fonctionnent comme la mise à disposition de fonds de roulement. Les collecteurs disposent aussi d’une certaine autonomie financière, à travers leurs fonds propres, ce qui leur permet d'absorber de plus grands volumes que les commandes effectuées. Les exportateurs, prêts à acheter le surplus d’huiles essentielles, seront incités à augmenter le volume de leur prochaine commande et ainsi que l’avance faite à ce collecteur. La configuration globale de la relation entre exportateurs et collecteurs grossistes montre les rapports hiérarchiques qui s'installent entre les deux parties. En effet, bien qu'indépendants des exportateurs, les conditions de commandes et d'avances ne permettent pas aux collecteurs grossistes de choisir la nature et la destination des biens achetés : les huiles essentielles doivent correspondre aux critères fixés par l'exportateur et ce dernier devient l'unique destinataire des huiles. De plus certains exportateurs fixent un prix d'achat des essences aux distillateurs. Les collecteurs grossistes répondent aux commandes des exportateurs en répartissant l'avance reçue à leurs collecteurs intermédiaires. Les collecteurs grossistes tendent à reproduire le modèle d'achat des exportateurs mais leur capacité financière plus limitée implique que les collecteurs intermédiaires aient aussi une certaine autonomie financière pour réaliser la collecte. La coordination entre collecteurs grossistes et collecteurs intermédiaires se fait sous forme de contrats ponctuels lors desquels le collecteur grossiste avance l'argent et fixe ainsi la quantité d'huiles essentielles à fournir. La répétition des transactions crée une fidélisation entre les deux parties, ce qui est recherché car elle permet de diminuer les risques pour le collecteur grossiste et d’assurer au collecteur intermédiaire le maintien d'un capital financier (sous forme d’avance) pour l'achat des huiles.

2.10 Les relations entre les importateurs et les exportateurs La demande en huiles essentielles d'ylang-ylang provient majoritairement de l'industrie. Cette caractéristique implique une forte organisation logistique et des demandes standardisées, ou du moins, s'inscrivant dans des normes précises. Ces demandes sont gérées par les importateurs et les producteurs d'ingrédients, eux-mêmes importateurs. Les liens entretenus entre importateurs et exportateurs sont déterminants dans la chaine d’approvisionnement en huiles essentielles car ces derniers assurent la disponibilité d'un produit correspondant aux normes et attentes des acheteurs. Les liens entre importateurs et exportateurs sont basés sur des relations de confiance. Les trajectoires professionnelles de certains de ces acteurs, ayant travaillé dans l'exportation, la gestion des plantations dans l’Océan Indien ou l'importation en France, ont beaucoup contribué à créer ce climat. Les exportateurs ont historiquement un nombre restreint de clients ( Valade 2010 ). L'arrivée d'HEC en 2007 et l'augmentation rapide de son activité ont cependant modifié quelque peu ce schéma. En effet, avant son rachat en 2013, HEC travaillait avec plusieurs importateurs d'huiles essentielles d'ylang-ylang 26

tandis que les autres exportateurs ne travaillent qu’avec un seul. Par exemple, la société Bambao Tropikal S.A. ne vend qu'à la maison-mère d'Elixens en France et aux États-Unis qui s'occupe par la suite de répartir les commandes.

En parallèle du travail avec les exportateurs, l'aval de la filière hors Comores développe des stratégies pour assurer au mieux son approvisionnement face à la concurrence et aux enjeux de qualité. Ces deux stratégies sont le sourcing de la matière première - les fleurs - et l'achat direct aux distillateurs. Parmi les stratégies de sourcing de la matière première, le partenariat entre Givaudan (industrie F&F) et AGK pour la mise en place d'alambics communautaires gérés par des techniciens, associée à un programme de reboisement est un bon exemple. Les producteurs de fleurs peuvent venir distiller leurs fleurs à ces alambics et vendre les huiles produites à AGK. Ce système a été mis en place d’abord à Mohéli il y a 5 ans et il permet à AGK/Givaudan d'y acheter l'équivalent de 3t d'huiles essentielles. Il a été récemment développé à Grande Comore. Le rachat de l'usine d'HEC par Biolandes s'inscrit dans cette même logique de sourcing 5 qui lui permet de contrôler la transformation de la matière première sur une partie des huiles essentielles importées. L'achat direct aux distillateurs par les importateurs est actuellement seulement développé par Bernardi via un partenariat avec Fulera Ndjema. Ce partenariat commercial s'articule autour d'un appui technique et matériel à l'association et d'une négociation des prix d'achat des huiles essentielles ( source : enquêtes ). L'achat direct aux distillateurs est pour l'instant limité du fait du manque de structuration de l'amont de la filière.

5 "La société possède ses propres usines de transformation dans sept pays ; de même que 100 ha de rosiers en production en Bulgarie (Biolandes a notamment investi dans le redéploiement de la rose damascena dans ce pays à partir du milieu des années 1990). Cette intégration de la partie agricole est cependant beaucoup moins répandue que l'intégration de la première extraction par la construction d'usines sur place où les cueilleurs apportent la matière à transformer." (Trébuchet-Breitweiller 2011 ).

27

3 Analyse technique de la filière et gestion de la qualité 3.1 Production de fleurs 3.1.1 Place de l’ylang-ylang au sein des systèmes de production à Anjouan Les régions de plantations actuelles de l'ylang-ylang correspondent aux zones où la culture a été introduite par les colons. Les plantations coloniales se trouvaient sur la côte est et dans la cuvette (domaines de Bambao et Hajoho), à l'extrême nord (domaine de McLuckie), dans la péninsule du Niumakélé (domaine du Niumakélé) et sur la côte sud-ouest (domaine de la Bambao). Les domaines coloniaux privilégiaient les plantations en monoculture. Le cyclone de 1950 a fortement touché les domaines coloniaux, afin que ceux-ci puissent retrouver leur régime d'activité, des fonds pour la reconstruction de l'île ont été alloués à l'implantation des cultures de rente hors domaine. A l'indépendance, les anjouanais ont pu se réapproprier les terres des domaines et le nouvel État comorien a incité le maintien et l’investissement dans ces plantations afin de poursuivre le modèle économique de développement fondé sur l'exportation des produits de rente (girofle, ylang-ylang, vanille) (Felix 2009 ).

La filière ylang-ylang a traversé plusieurs crises (1978, 2005 et 2008) et les fluctuations des cours internationaux et des prix d'achats locaux ont poussé les agriculteurs à diversifier leurs activités agricoles. Les monocultures mises en place par les colons ont été peu à peu remplacées par des cultures de rente en associations avec les cultures vivrières permettant la subsistance des agriculteurs anjouanais. Ces associations comprennent les cultures arboricoles de base - vivrières surtout - cocotier, bananier, manguier, jacquier et arbre à pain-, les arbres de rentes - ylang-ylang et giroflier – et les espèces de reboisement – sandragon, gliciridia, filao, acacia, cassia, etc. Le développement d'autres types de cultures vivrières associés à l’ylang-ylang comme le manioc semble être un phénomène plus récent. La diminution de la production florale induite par la diversification au sein des parcelles (diminution du nombre de pieds plantés et compétition entre les espèces pour le soleil) et le fractionnement du foncier (croissance démographique et héritage) tend à être compensée par une augmentation du nombre de producteurs d'ylang-ylang. La dernière crise de la filière a modifié les stratégies de certains producteurs. La diminution du prix d'achat des fleurs a fait diminuer les investissements des producteurs. Certains ont ainsi renoncé à payer de la main-d'œuvre pour l’entretien et beaucoup ont délaissé les pieds d'ylang-ylang sur les parcelles les plus éloignées (en zone forestière), voire les ont arrachés. Sans entretien, les arbres prennent de la hauteur et les branches les plus basses cessent de produire des fleurs et se cassent. Les fleurs produites deviennent rapidement inatteignables. Cet abandon peut aussi être une stratégie à court terme en allouant le temps de l'entretien à d'autres tâches tout en conservant les pieds. Lorsque les prix de vente redeviennent intéressants pour le producteur celui-ci peut recéper 6 ces pieds d'ylang-ylang et recommencer à produire des fleurs à la bonne hauteur la saison suivante. Laisser les ylangs-ylangs sur la parcelle correspond aussi à une stratégie de valorisation de la parcelle . En effet, l'ylang-ylang est reconnu comme un bon précédent cultural, avec des qualités antiérosives (enracinement profond et étalé) et de génération d'humus (Félix 2009 ). Par ailleurs, une parcelle plantée d’ylang-ylang se vendra à un meilleur prix qu’une parcelle plantée d’espèces vivrières. L'entretien dépend aussi du statut de la parcelle. En cas de parcelle gérée par les enfants d'un producteur âgé (parcelle en attente de division pour l'héritage), les futurs héritiers ont tendance à délaisser le terrain en attendant d’en être pleinement propriétaires. Dans certains cas, beaucoup plus rares, ils investissent prévision du futur. Ces derniers cas correspondent à des situations où les personnes ont connaissance de ce qu’ils hériteront. Il est difficile d'évaluer l'âge des plantations d'ylang-ylang à Anjouan. Les producteurs remplacent au fur et à mesure les pieds morts ou arrachés. D'après les enquêtes, certaines parcelles ont des ylang- ylang nouvellement plantés côtoyant des pieds plantés par les colons. Ces pratiques, en plus des systèmes

6 Recépage : coupe du tronc à 1m 50 du sol ce qui favorise la pousse de nouvelles branches au niveau du tronc et permet d'obtenir un pied qui pourra être ensuite retaillé en parasol. Le recépage est possible quand l'arbre est encore jeune et que son écorce n'est pas encore trop épaisse. 28

agroforestiers, rendent l'optimisation de la production de fleurs sur des critères agronomiques occidentaux productivistes difficile.

3.1.2 Entretien des parcelles Les méthodes de gestion des plantations proviennent probablement des conseils techniques dispensés suite aux financements post-cyclone de 1950 puis transmis de génération en génération. Le désherbage des parcelles et la taille des arbres en parasol, pour maintenir les branches productrices de fleurs proches du sol, constituent l'essentiel du travail sur parcelles d'ylang-ylang ( Benini 2010 ). La production des fleurs d'ylang-ylang se fait sans apport d'intrants, comme la majorité des cultures agroforestières à Anjouan. Le désherbage est réalisé pendant la saison des pluies ou avant la période de forte production. La taille des pieds est réalisée plus ou moins toute l'année avec un pic lors des pluies. Les pratiques d'entretien dépendent aussi des capacités financières des producteurs. Les producteurs les plus aisés emploient de la main-d'œuvre extérieure pour réaliser le désherbage. Les plus petits producteurs s'appuient sur la main-d'œuvre familiale et réalise l'entretien selon leur disponibilité en fonction des autres activités, ce qui peut conduire à un étalement dans le temps de ces tâches. Les producteurs ayant des systèmes d'activités tournés vers les cultures de rente réalisent eux-mêmes ces tâches. La taille est majoritairement réalisée par les producteurs, hormis certains ménages avec des revenus extra-agricoles importants ayant recours au métayage.

3.1.3 Variabilité saisonnière, annuelle, pluriannuelle de la production

Zones – villages J F M A M J J A S O N D Extrême nord - Jimilimé Est et centre – Domoni – Bambao Cuvette Niumakélé Sud -ouest Lingoni – pomoni - Moya Saisons Anjouan saison des pluies saison sèche Saison sud -ouest saison des pluies saison sèche

Faible production Production moyenne Forte production Tableau 1 : Répartition des périodes de forte production florale en fonction des zones de l'île ( sources : enquêtes et JLA Consulting 2011, De Bontin 2006)

La production de fleurs d'ylang-ylang à Anjouan se concentre autour de deux pics saisonniers (tableau 1) : le plus important autour d'avril, mai, juin, à la sortie de la saison des pluies, et le second autour de novembre et décembre, avant la saison des pluies. D'après ces observations, la période de forte production florale d'une zone donnée varie entre 3 et 4 mois dans l'année. La production de fleurs connait entre ces deux pics un net ralentissement entre fin août et début novembre, voir un arrêt de celle-ci. Ces pics saisonniers varient en fonction des zones de production. La période de forte production florale de la zone sud-ouest se distingue des trois autres. En effet, cette zone est protégée des pluies et des vents du kashkasi mais reçoit les pluies et vents du kusi à partir de mars ce qui fait diminuer la production florale alors que le pic de production saisonnier débute dans les autres zones. De même, la période florale de la zone nord est décalée dans le temps, se prolongeant en juillet et août, probablement du fait que la zone est moins exposée aux alizés. Il est difficile de définir clairement l'évolution annuelle de la production florale à Anjouan car la configuration de l'île (relief montagneux induisant de nombreux microclimats), des plantations (altitude 7,

7 Les zones de cultures se trouvent entre 0 et 500m d'altitude, la majorité étant en dessous de 300 m d'altitude 29

âge des pieds, pratiques lors de la récolte) et la grande sensibilité de la floraison aux conditions climatiques induisent une grande variabilité d'une année à l'autre. Le graphique 9 montre le décalage dans le temps du pic de production pour une même parcelle entre 2012 et 2013. A l'échelle du producteur de fleurs, le phénomène du pic de production dépend de la configuration de ses cultures d'ylang-ylang. Au niveau de la parcelle (pour une parcelle de taille modérée, soit <1ha), le pic de production est assez restreint dans le temps et correspond à 1 ou 2 récoltes (graphique 9). Les producteurs cultivant l'ylang-ylang sur des parcelles dispersées, situées à différentes altitudes ou expositions au soleil, auront un plus grand étalement du pic. Ainsi les plus gros producteurs ont une production de fleurs plus étendue dans l'année que les plus petits producteurs de fleurs.

kg

250

200

150

100

50

0 15/03 30/03 15/04 30/04 15/05 30/05 15/06 30/06 15/07 30/07 15/08 30/08 15/09 30/08

2012 2013

Graphique 9 : Évolution de la quantité de fleurs cueillies sur une même parcelle entre 2012 et 2013, zone nord (en pointillé, projection selon les dires de la personne enquêtée) ( source : enquêtes )

La tendance actuelle de morcellement progressif du parcellaire et de diversification des cultures au sein des systèmes de production impactera certainement la capacité d’auto-approvisionnement en fleurs des distillateurs. On peut supposer que les 15% de fleurs provenant des parcelles des distillateurs diminueront progressivement, augmentant la dépendance des distillateurs vis-à-vis du réseau de producteurs fidélisés

3.2 Qualité des fleurs et impacts sur les rendements en huiles essentielles

Le premier facteur qui influence la qualité des huiles produites, en termes de rendements et en termes de degré est la qualité des fleurs distillées. Cueillies à pleine maturité, gonflées, jaune à cœur rouge, les fleurs sont gorgées de molécules aromatiques. Distillées fraiches, elles permettent d’extraire d’importantes quantité d’huiles (jusqu’à 3%) dont les hautes fractions peuvent afficher jusqu’à 90 degré de densité.

A titre d’exemple, le graphique ci-dessous illustre le chiffre d’affaire et les coûts de deux distillations en fonction de la qualité des fleurs distillées. En orange, une distillation avec des fleurs de bonne qualité en vert une distillation avec des fleurs de mauvaise qualité.

(Félix 2009, Garambois 2006, et estimations propres ). La culture de l'ylang-ylang se trouve ainsi entre les zones de plaine côtière et les zones forestières de culture, vers l'intérieur des terres sur de fortes pentes. 30

Euros KMF 240

200

160

120

80

40

0 Temps en minutes 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 Temps en heures

Graphique 10 : C hiffre d’affaires et cout d’une distillation en fonction de la qualité des fleurs (sources : expérience FY -DAFE)

Cette partie détaille l’ensemble des facteurs susceptibles de jouer sur la qualité des fleurs.

3.2.1 La saison Les fleurs sont de bien meilleure qualité en saison sèche. En saison des pluies, elle s sont gorgées d’eau et contiennent moins de molécules aromatiques. Elles ne permettent pas d'obtenir le même rendement en qualité que celles produites en saison sèche. Les distillateurs indiquent une variation de 10° (soit 30 € par litre en 2014) entre les qualités hautes produites , suivant la saison . Le premier litre obtenu après distillation est généralement équivalent à de la I (40 à 49°) en saison des pluies . De plus l’humidité rend la distillation des fleurs plus difficile en augmentant le temps de chauffe et la quantité de bois nécessaire.

3.2.2 L’ effet terroir Par effet terro ir, nous entendons ici l’ensemble des facteurs qui sont susceptibles d’influencer la qualité des huiles essentielles. Ces facteurs sont de différentes natures et regroupent par exemple, la génétique des arbres, le sol, la pente, l’exposition et l’altitude des parcelles, le climat et les microclimats , mais aussi les traditions culturales et culturelles de production et de distill ation, etc.

Il est reconnu par tous les acteurs internationaux de l’ylang-ylang que les huiles en provenance des Comores sont cel le possédant les degrés les plus élevés . Aucune étude scientifique rigoureuse ne valide cet effet terroir pour corréler la qualité des huiles produites à l’un ou l’autre de ces facteurs .

Les acteurs de la filière reconnaissent cependant qu’ il y a une incidence du terroir sur la qualité des fleurs produites et la qualité des essences distillées . Les fleurs produites à Domoni et Ongoni sont, par exemple, citées comme étant de grande qualité permettant d'obtenir des densités d'essence s plus élevé es. Ceci est un facteur qui peut expliquer pourquoi toutes les distilleries industrielles se sont implantées dans la zone de Domoni et Bambao.

3.2.3 Récolte : stratégie s individuelles et collectives Les récoltes de fleurs tendent à être synchronisées au sein d'un même bassin de production. Ceci s'explique par le rôle central des distillateurs dans l'organisation des cueillettes pour l'approvisionnement de leur alambic. En effet, lorsque les distillate urs ont l'argent nécessaire pour la mise en place d'une 31

distillation, ils se renseignent auprès de leurs producteurs fidèles de la disponibilité des fleurs et en fonction de leur réponse, ils programment un jour de récolte pour que les fleurs arrivent en même temps à l'alambic. L'ensemble des distillateurs d'une même zone réalisent souvent leur distillation au même moment, notamment en période de faible production, ceci dans le but d'organiser les échanges de fleurs entre eux si nécessaire (achat de complément/prêt). La fréquence des récoltes varie selon la saison. Le cas le plus fréquemment rencontré a été 10 jours d'intervalle entre les récoltes en saison sèche contre 15 jours en saison des pluies. Ce laps de temps correspond au temps de maturation des fleurs.

La fréquence des cueillettes est importante. En effet, si l’on attend trop longtemps entre deux cueillettes, certaines fleurs passent le stade de maturation idéal et commence à noircir et se flétrir. Dans le cas contraire, si l’on n’attend pas assez entre deux récoltes, les fleurs n’ont pas le temps de murir et l’on récolte beaucoup de fleurs vertes et peu de fleurs jaunes.

3.2.4 Cueillette : stratégie des cueilleuses rémunérées à la tâche

Les stratégies de récolte des producteurs varient en fonction de leur parcellaire (dispersé et fragmenté versus localisé et uni), des quantités produites et des demandes du distillateur. Ainsi certains récoltent toutes leurs fleurs en une journée alors que d'autres étalent la récolte sur plusieurs jours consécutifs de la semaine. Il y a une hiérarchisation dans l'emploi de la main-d'œuvre pour la cueillette. Les producteurs de fleurs vont d'abord avoir recours à la main-d'œuvre issue du ménage. Si la production est plus importante ils font appel aux cueilleuses issues de la famille élargie et aux filles mariées, puis vient le tour de la main- d'œuvre hors cercle familial si celle-ci est insuffisante. L'emploi de main-d'œuvre extérieure se retrouve surtout chez les gros producteurs de fleurs et ceux ayant des revenus extra-agricoles formels importants. De manière plus générale, l'emploi de main d'œuvre rémunérée (quelle que soit la modalité de paiement) s'inscrit dans les réseaux de solidarité villageoise. L'emploi de main-d'œuvre familiale élargie ou extérieure rémunérée implique souvent une diminution de la qualité des fleurs. Rémunérées au kg, les cueilleuses extérieures au cercle familial ont tendance à cueillir le tout-venant pour maximiser les revenus qu’elles tireront de leur journée de travail. Elles peuvent également venir avec leurs enfants pour augmenter leur capacité de cueillette. Or les enfants n'ont pas forcément la connaissance nécessaire et cueillent parfois des fleurs vertes ou des kolea 8. Les cueilleuses ont par ailleurs tendance à cueillir toutes les fleurs sans discrimination de qualité lors des périodes de fort besoin en trésorerie (Ramadan notamment).

3.2.5 Refus des fleurs impossible pour les distillateurs

Les distillateurs, achètent les fleurs au prix du jour dans leur zone sans distinction de prix en fonction de la qualité. Ils sont également dans l’impossibilité de refuser des fleurs qu’on leur a apportées sous peine que le producteur ainsi sanctionné se tourne vers la concurrence. On peut également expliquer ce phénomène par les liens familiaux et sociaux étroit qui unissent les distillateurs et les producteurs. Ces derniers comptant sur leur récolte pour nourrir leur famille, les distillateurs « ne peuvent pas » refuser leurs fleurs.

8 ShiNdzuani pour désigner les fleurs pas du tout matures. Par ailleurs, les producteurs et distillateurs anjouanais différencient les fleurs matures, fulera ladzinya , (fleurs qui sont devenues jaunes récemment) des fleurs mûres, fulera lahiva - (fleurs complètements jaunes). 32

3.2.6 Transport et stockage de fleurs

Les fleurs sont transportées de différentes manières selon les zones de production. Le plus courant est le sac de riz de 50kg et les étoffes. En période de forte production, les sacs de riz contribuent à la dégradation par fermentation (écrasement, manque d'aération et frottements). L'utilisation de corbeilles en feuilles de cocotier tressées est le meilleur moyen de transport pour les fleurs, à la fois rigide et aéré, mais elle est peu fréquente à Anjouan. Cette pratique a été observée du côté de Jimilimé. Dans les autres zones, certaines cueilleuses disent avoir perdu le savoir-faire pour confectionner ces paniers. Une fois livrées à l’alambic les fleurs sont stockées, bien souvent à même le sol, jusqu’à ce la quantité minimale requise pour la distillation soit atteinte. En saison de faible production, cela peut prendre plusieurs jours. Les fleurs noircissent et sèchent, les molécules aromatiques s’évaporent. On notera que les molécules aromatiques les mieux rémunérées sont également les plus volatiles.

3.3 La distillation 3.3.1 Le parc d’alambic à Anjouan

Le recensement publié en 2007 par la Maison des Épices, détaille l’ensemble des cuves, leur capacité de charge en fleurs, le nombre de distillation par mois en moyenne (estimée par les distillateurs) et les rendements en huiles sur ces cuves. Selon ce recensement réalisé sur la période 2006-2007, il y avait 449 alambics en fonctionnement sur l’île d’Anjouan, pour une production totale estimée à près de 80 tonnes par an. Cela représente 15 tonnes de plus que les huiles officiellement exportées à cette période par les Comores, soit une surestimation de l’ordre de 23%. On peut expliquer cet écart par :

• une surestimation de leur activité par les distillateurs ; • une surestimation des rendements en huile par distillation ; • les huiles produites mais pas été exportées (lots frelatés et refusés ou exportés l’année suivante) ; • des huiles ayant été exportées par des circuits parallèles et non comptabilisées (exportées clandestinement vers Mayotte ou Maurice).

A Anjouan, en 2006-2007, on comptait 449 cuves en fonctionnement d’une capacité distillation totale de 65,6 tonnes de fleurs, soit une capacité moyenne de 146 kg de fleurs par cuve. 75% des cuves étaient en galva, 12% en aluminium et 13% en cuivre. On ne comptait que 3 cuves en inox sur l’île.

Le district de Sima (Lingoni, Pomoni, Nindri, Moya) comptait le plus grand nombre de cuve 161 et la plus grande capacité de distillation : 25 tonnes de fleurs en 1 jour. Venait ensuite le district de Domoni, avec 128 cuves, d’une capacité de 20 tonnes. Le district de Niumakélé comptait quant à lui autant de cuves que Domoni, mais d’une plus faible capacité (16 tonnes). Enfin, le district d’Ouani ne comptait que 31 cuves, d’une capacité de 4,5 tonnes.

Dans l’ensemble on peut constater que le parc d’alambic était largement surdimensionné. Si chaque alambic fonctionnait 100 fois par an, (ce qui est une fréquence de fonctionnement acceptable), le parc d’alambic aurait permis de produire 145 tonnes d’huile, soit 2,5 fois la production réelle.

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Parc d'alambics Nombre Capacité en kg Source recensement 2006- 2007 Total % Total Moyenne Anjouan 449 65 648 146 Alambic en cuivre 60 13% 9 230 154 Alambic galva 333 74% 46 868 141 Alambic Alu 53 12% 9 090 172 Alambic Inox 3 1% 460 153 Figure 5 : Nombre d'alambics et matériaux à Anjouan en 2007

3.3.1.1 Évolution du parc d’alambic entre 2006 et 2014. Les tableaux et graphiques en page 36 illustrent cette partie.

La dernière crise de la filière a conduit un certain nombre de distillateurs à abandonner leur activité. Grâce aux enquêtes réalisées dans 20 villages à Anjouan (échantillonnage aléatoire statistiquement représentatif), ID a réalisé des extrapolations pour chaque district et pour l’ensemble de l’île qui permettent relever les grandes tendances.

Sur l’ensemble de l’île, on ne compte plus aujourd’hui qu’environ 190 alambics en fonctionnement , soit 43% du parc de 2006. Par contre, les alambics fonctionnent plus fréquemment (+22%). Les districts de Sima et de Niumakélé sont ceux ou la baisse de la production et la réduction du nombre d’alambics sont les plus marquées, avec respectivement -70% et -50%. On notera que la région de Sima est également celle qui avait la plus mauvaise réputation en termes de frelatage des huiles. Au Niumakélé, en plus de l’effet de la dernière crise, il faut ajouter la faible disponibilité en eau. L’activité de distillation était principalement située dans les villages du bas Niumakélé qui sont actuellement ravitaillés en eau par des camions citernes. Le réseau d’eau ne fonctionne que quelques heures tous les deux ou trois jours… dans ces conditions, impossible de distiller.

Le district de Domoni semble avoir été moins touché par la crise. Sa production actuelle est estimée à 92% de celle de 2006. Par contre, la tendance de réduction du nombre de cuves ( - 33%) et d’augmentation de leur fréquence d’utilisation (+38%) est la même que dans le reste de l’île.

La région d’Ouani semble suivre plus ou moins la même dynamique que celle de Domoni. Il se pourrait même que la filière soit en croissance dans cette région, notamment grâce à la présence de Fulera Ndjema qui, en proposant des prix attractifs, a créé une dynamique de plantation et d’installation d’alambics dans la zone, notamment dans le village d’Ongoni.

De manière générale, la production artisanale se maintient principalement dans les régions où les exportateurs maintiennent une activité de collecte et surtout de distillation. La tendance à la concentration de la production chez les plus « gros » distillateurs, se vérifie partout sur l’île. Seuls les plus compétitifs d’entre eux peuvent résister à la compétition agressive de ces structures industrielles sur l’achat des fleurs.

3.3.1.2 Matériaux, investissement, amortissement et qualité des huiles

Les matériaux dans lesquels sont construits les alambics ont un impact important sur la qualité des huiles. L’acier galvanisé, le matériau le moins coûteux et le plus répandu à Anjouan – plus de 70% des cuves d’Anjouan - rouille rapidement. Les particules de rouille colorent les huiles en rouge. Par ailleurs,

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l’acier galvanisé résiste très mal au temps, il nécessite de fréquentes réparations et les cuves doivent être remplacées tous les deux ans. L’acier inoxydable, coûte deux fois plus cher à l’achat, mais permet de produire des huiles de meilleure qualité. Il est également beaucoup plus résistant puisque certaines cuves fonctionnent toujours après vingt ans d’utilisation.

Enfin, les cuves en cuivre permettent à la fois une bonne efficacité énergétique et une extraction de bonne qualité. Très présentes juste après la colonisation leur nombre a progressivement diminué. Le prix actuel du cuivre est devenu prohibitif pour les distillateurs. Givaudan a cependant diffusé des alambics en cuivre à ses groupements partenaires dans le cadre de son projet de développement durable de la filière à Mohéli.

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Tableau 2: Répartition des cuves en fonction des zones de l'île, évolution entre 2007 et 2014 (sources : GIE Maison des épices et enquêtes)

Comparaison du parc d'alambic et 2006 -2007 2013-2014 2014/2007 de la production à Anjouan entre Prod Prod Prod Prod HE kg / Prod HE kg / Prod HE 2006 et 20014 Nb cuves moyenne / Nb cuves moyenne / Nb cuves moyenne / an an kg / an cuve cuve cuve

Domoni 42 8 290 197 28 7 623 272 67% 92% 138%

Nioumakélé 23 2 682 117 9 1 382 154 39% 52% 132%

Ouani 26 6 851 263 17 5 553 327 65% 81% 124%

Sima 94 23 348 248 25 6 972 279 27% 30% 112% Total Echantillon 185 41 171 223 79 21 530 273 43% 52% 122% Total Anjouan (projection) 449 80 000 178 192 41 836 218

Graphique 11 : Evolution du nombre de cuve s par zone de distillation entre 2007 et 2014

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3.3.2 Qualité et gestion de la distillation

3.3.3 Procédé d’extraction

Retour de l'eau du distillat

Figure 6: Unité de distillation artisanale (source : SNAC 2011)

La distillation des fleurs d'ylang-ylang est réalisée avec un alambic comme décrit dans la figure 6. Elle se fait en deux temps. La première étape est une phase de vapodistillation. Les fleurs sont séparées de l'eau par une grille. Les composés les plus volatils des fleurs sont entrainés vers le col de cygne puis se condensent dans le système de refroidissement. Cette première étape permet d'extraire les notes de tête présentes dans le parfum de la fleur, ce qui correspond à l’extraction d’huiles de qualités hautes. Elle dure environ 5 heures. La distillation est ensuite interrompue pour ajouter de l'eau dans la cuve afin que les fleurs soient submergées. La reprise de la chauffe permet de commencer la seconde étape de distillation. Elle correspond alors à une hydrodistillation qui permettra d'extraire le reste de l'essence présente dans les fleurs. Cette étape permet d'obtenir les qualités basses d'huiles essentielles. Elle dure de 8 à 10 heures. L'alimentation en bois pour la distillation suit ces deux phases avec une chauffe plus intense lors de la première phase et plus douce lors de la seconde.

La distillation est la méthode la plus répandue pour extraire les huiles essentielles d'ylang-ylang. Il existe cependant d'autres méthodes, comme l'extraction à l'aide d'un solvant. Ce procédé permet d'obtenir de la concrète d'ylang-ylang. A Anjouan, seule la Bambao tropical produit de la concrète à la commande.

3.3.3.1 Quantité de fleurs distillées

La quantité de fleurs à distiller doit correspondre à environ 10% du volume de la cuve afin d'obtenir le meilleur rendement qualité en huile (source enquêtes, SNAC 2011). D'après les enquêtes, les distillateurs artisanaux mettent entre 15 et 18% de quantité de fleurs dans leurs cuves. Ils remplissent les cuves ainsi afin de maximiser leur volume de production. Économiser le bois et la main d’œuvre ne sont pas des arguments mobilisés. 37

La quantité d e fleurs distillée dépend aussi de la saison car certains distillateurs ont indiqué compenser les faibles qualités en saison des pluies avec une plus grande quantité de fleurs distillée. Un des distillateurs rencontrés ajoute ainsi 20 kg de fleurs afin d'o btenir le même volume d'essences pendant les deux saisons. Un autre distille 140 kg de fleurs lorsqu'on lui demande un format 1/2 car cette quantité réduit le temps de cuisson . Il distille 120kg de fleurs lorsqu'on lui demande un format 1/1 (voir 3.3.3.4 pour les formats).

3.3.3.2 L’hydro-distillation au lieu de la vapo-distillation des qualités hautes

En théorie, l’extraction des qualités hautes doit se faire par vapo-distillation (les fle urs ne sont pas immergées – seule la vapeur les traverse), alors que la 3 ème est extraite par hydrodistillation (fleurs immergées). Dans la pratique, on constate que les grilles ont progressivement disparues des alambics traditionnels. Du fait de l’absence de grille séparant les fleurs de l’eau lors de la première phase de la distillation, un e partie des fleurs est immergée (~40%) . Elle subit de ce fait une hydrolyse qui libère les composés aromatiques caractéristiques de la 3ème. Seulement 60% des fleurs sont distillées par vapodistillation, procédé permettant l’extraction des composés caractéristiques des meilleures fractions. Les huiles ainsi produites perdent donc en qualité, une partie des fractions basses étant extraites en même temps et mélangées aux fractions hautes.

3.3.3.3 Gestion de la chauffe La gestion de la chauffe par les manœuvres peut avoir une incidence sur la qualité des huiles produites. En effet un chargement trop important de bois peut induire une surchauffe et brûler les fleurs, ce qui confèrera aux huiles extraites une odeur de brûl é. A contrario, si le manœuvre oublie de charger du bois ou s’il s’endort pendant l’extraction de la troisième, la distillation peut prendre du retard, et les rendements en huiles s’avérer plus faibles. mg d’huile KMF et t °C

Graphique 12 : Quantit é d’huiles température et chiffres d’affaire par minute en fonction du temps.

Le premier constat que l’on peut tirer du graphique ci-dessus est que l’extraction des huiles essentielles est beaucoup plus rapide pendant la première heure de chauffe . El le décroit ensuite progressivement jusqu’à atteindre moins de 1 mg/ minute en fin de chauffe, c'est-à-dire qu’il faut plus d’une heure et demi pour tirer 100 mg supplémentaire d’huiles.

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On constate que l’extraction des huiles essentielle est relativement bien corrélée avec la température à l’intérieur du foyer. Étant donné que ce sont les huiles de haute densité, les mieux rémunérées, qui sont extraire au début de la distillation, la courbe du chiffre d’affaire en violet ci-dessus est encore plus accentuée. La distillation permet de gagner environ 600 KMF par minute pendant les 90 première minutes, puis 350 KMF / minute pendant les 90 minutes suivantes, et ainsi de suite ; jusqu’à gagner moins de 50 KMF par minute à partir de la 6 ème heure.

3.3.3.4 Format de sortie des huiles Le format de sortie des huiles essentielles le plus courant est le format 1/2 : pour 1kg d'huiles essentielles de qualités hautes (E, I et II) le distillateur produit ~2 kg de qualité basse (III) (plus proche de 1,7 kg). Le premier volume extrait correspond aux qualités hautes dans une même fraction et le reste aux essences de qualité basse. Ce format est le plus pratiqué par les distillateurs : ils préfèrent en général sortir la plus grande quantité d'essences possible, en extrayant le plus grand volume de III malgré le coût du bois. Cette stratégie de maximisation de la production correspond à une stratégie de maximisation de la marge du distillateur (voir raisonnement ci-dessus) Les qualités basses étant payées au kg, la densité de ces volumes importe peu pour les distillateurs. Ces pratiques de maximisation du rendement en quantité ont un effet négatif sur la qualité de la III dans la filière.

Suite au problème de surplus de III, les importateurs ont demandé un format 1/1 pour la vente des huiles essentielles (soit 1kg de qualité basse pour 1 kg de qualités hautes) par l'aval. Cette demande influence peu les pratiques des distillateurs. Dans la plupart des cas, seules les modalités de vente changent : les distillateurs stockent le 2 ème kg de III pour le revendre plus tard ou trouvent un autre acheteur. Les mêmes stratégies ont été exposées par les collecteurs, quelle que soit leur position. On peut également supposer que pour écouler ce deuxième kilo de 3 ème , ces opérateurs le font chauffer pour augmenter sa densité puis le dilue dans des huiles de qualité haute pour l’écouler.

3.3.3.5 Fractionnement et qualité des huiles artisanales

En s'appuyant sur les données de l'étude baseline carbone, il est possible de distinguer différentes pratiques de fractionnement des essences à la sortie de l'alambic. Seuls les propriétaires de grandes cuves fractionnent les essences de qualité haute à la sortie de l'alambic en deux volumes alors que les distillateurs des petits alambics extraient un seul volume de qualité haute. Ce fractionnement a une incidence sur la qualité des essences car, contre une densité moyenne de 0,946 (équivalent à de la I) pour l'ensemble des volumes de qualité haute, la densité moyenne des premières fractions des volumes de qualité haute est de 0,953 (équivalent à de l'E). La densité moyenne du second volume de qualité haute est de 0,929 (équivalent à de la II).

Ce phénomène s’explique par les pratiques d’achat des huiles par les collecteurs qui n’achètent pas en dessous d’un kilo d’huile. Les distillateurs en manque de trésorerie veulent vendre leurs huiles le plus rapidement possible après la distillation. Ils ne peuvent donc pas se permettre de stocker ¼ de kilo de ES à chaque distillation, le temps de disposer du kilo nécessaire pour vendre ses huiles. Cette contrainte est imposée par les collecteurs mais nous n’avons pas eu l’explication de la raison pour laquelle il impose cela. On peut supposer qu’ils exigent au minimum un litre afin de limiter le nombre d’opération qu’ils ont à faire pour collecter la quantité qu’on leur a commandé. 3.4 Qualité et organisation de la filière 3.4.1 L’approvisionnement en fleurs

Bien que conscients que des fleurs de qualité (matures et non fanées) sont essentielles pour obtenir des densités élevées, les distillateurs ont avant tout une stratégie d'approvisionnement basée sur la quantité, en ayant la contrainte de pouvoir remplir leur cuve. Ainsi les distillateurs ne refusent pas les fleurs 39

apportées par les producteurs et ne les leur font pas trier. Ils se contentent de le faire remarquer aux producteurs ou aux cueilleuses. De plus, faire trier ou refuser des fleurs reviendrait à remettre en cause le contrat tacite entre le distillateur et son fournisseur de fleurs, dans lequel, celui-ci s'engage à acheter la totalité de la production en échange de l'exclusivité sur les fleurs. Ces liens contractuels basés sur la fidélité s'inscrivent aussi dans les réseaux de solidarité. Pour les petits producteurs et notamment ceux massivement tournés vers l'autosubsistance, l'argent issu de la vente des fleurs est la principale source de revenu et le refus des fleurs, dans sa totalité ou en partie, peut être interprété comme un refus d'aide du distillateur et une remise en cause du contrat.

L'approvisionnement en fleurs nécessite également de la part du distillateur la capacité de prévoir les quantités de fleurs disponibles et de coordonner les différentes sources d’approvisionnement - producteurs fidélisé, achat de complément, etc. Cette gestion impacte le temps de stockage des fleurs à l'alambic. Plus celui-ci sera long, plus les fleurs se dégraderont avant la distillation. Dans le meilleur des cas, la quantité de fleurs nécessaire arrive entre 12h et 15h (fin de la cueillette dans la plupart des zones). Si les fleurs sont en quantité insuffisante, le distillateur doit trouver un complément pour la distillation du jour, ce qui augmente le temps de stockage des premières fleurs arrivées à l’alambic. Les cas les plus extrêmes observés sont le stockage de fleurs sur 4 à 6 jours en saison de faible production. Dans le cas du groupement de Mromvovo n'a pas de gestion de l'approvisionnement en fleurs. En effet, il est parmi les plus gros distillateurs de la zone et a peu de concurrents ; ses membres se contentent d'acheter les fleurs qui viennent au fur et à mesure pour les distiller le lendemain. De manière générale la rareté des fleurs en saison de faible production provoque l’étalement du temps d’approvisionnement. 3.4.2 Demande de l’aval de la filière

Le fractionnement des huiles essentielles suivant les différentes qualités correspond aux attentes de l'aval et, d'après les données de l'étude baseline, les distillateurs de grandes cuves sont les plus susceptibles de répondre à ces exigences. Cette différence dans les pratiques de fractionnement vient des modalités de rémunération des huiles essentielles. En effet, pour pouvoir vendre leurs huiles, les distillateurs doivent fournir au moins un kg d’huiles essentielles de chaque fraction au collecteur. Les distillateurs disposant de grandes cuves (200kg et plus) peuvent se permettre de fractionner leurs qualités hautes en deux volumes d’au moins un kg sans que cela n’affecte leur possibilité de vente. Dans le cas, des petites cuves (d'une capacité de 120kg de fleurs), 1 kg d'huiles essentielles correspond à l’ensemble des huiles essentielles de qualités hautes. Le fractionnement de ce premier kg d'huiles essentielles de qualité haute en trois volumes (1 volume d'E, un volume d'I et un volume de II par exemple) les obligerait à réaliser plusieurs distillations pour pourvoir fournir un kg de chaque fraction au collecteur. La plupart ne disposent pas de la trésorerie nécessaire pour pouvoir stocker les huiles essentielles, la vente des huiles essentielles produites permettant souvent le financement d'une partie de la distillation suivante. Par ailleurs, le mécanisme de paiement au degré n'est pas incitatif aux fractionnements des huiles essentielles de qualités hautes car le degré d'ES est payé au même prix que le degré d’E ou de 1 ère . Ainsi 2 volumes séparés de degré différents et 1 volume rassemblant les deux volumes précédents dont le degré sera la moyenne pondérée des deux premiers volumes auront la même valeur d'achat.

L'achat de quantités minimums pratiqué par la majorité des collecteurs, les capacités financières restreintes de la majorité des distillateurs et le prix d'achat au degré, induit le faible fractionnement des huiles essentielles dans la filière. Un fractionnement plus fin des huiles se fait à la demande expresse des exportateurs, ce qui oblige les collecteurs à passer commande en amont à de nombreux distillateurs, qui extrairont de plus petits volumes de chaque fraction.

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Dans l’ensemble, le problème réside dans le fait que les collecteurs n’achètent pas en dessous d’un kilo d’huiles, ce qui semble une aberration relativement facile à corriger. Il suffirait que les collecteurs soient équipés de balances plus précises pour régler le problème. 3.4.3 Gestion de la qualité par les collecteurs

Les collecteurs intermédiaires et grossistes sont les principaux acheteurs des huiles essentielles artisanales. Par leurs pratiques (regroupement des huiles essentielles, filtrage, vidange des eaux de distillation), les collecteurs participent à la gestion de la qualité des huiles essentielles artisanales qui seront vendues aux importateurs et producteurs d'ingrédients en aval. Les collecteurs stockent les essences dans un nombre limité de bidons. La différenciation de la qualité des huiles essentielles évolue avec les quantités achetées : les collecteurs grossistes tendent à stocker les essences en sept qualités, séparant deux qualités d'extra et de première (respectivement de 55 à 59°, 50 à 54°, 45 à 49° et 40 à 44°) voir à regrouper par le degré le plus proche (cas de l'agence de collecte d'AGK à Mutsamudu) alors que les collecteurs intermédiaires stockent les huiles en 5 voire 3 qualités. Le processus de différenciation plus fin lors du regroupement des essences par les collecteurs grossistes correspond davantage aux demandes des exportateurs. Les pratiques des collecteurs diffèrent aussi lors de l'achat des essences. Les collecteurs grossistes utilisent des thermomètres lors de la mesure de la densité. La densité des huiles variant en fonction de la température, l’utilisation de thermomètre est indispensable pour estimer la valeur d’un échantillon. On notera au passage qu’aux Comores, la température moyenne des huiles au moment de la mesure de densité est souvent supérieure aux 27°C (étalon local pour les huiles d’ylang), la densité est donc souvent sous-évaluée au détriment du distillateur. A titre d’information, un kilo d’huile dont la densité est faite à 29°C au lieu de 27°C représente 6 euros de perte pour le distillateur. Les collecteurs grossistes ont tendance à filtrer les huiles essentielles avant la remise à leur acheteur. L'utilisation du thermomètre est beaucoup moins fréquente chez les collecteurs intermédiaires et le filtrage s'apparente davantage à une vidange de l'eau après décantation. Les regroupements effectués par les collecteurs intermédiaires sont ainsi moins bien contrôlés.

3.4.4 Gestion de la qualité par les exportateurs, importateurs et producteurs d’ingrédients : contrôle de qualité, communelle et traçabilité, filtrage

Les exportateurs font le premier vrai suivi qualité des huiles essentielles dans la filière à Anjouan ( source : enquêtes et Valade 2010 ).La demande en qualité des exportateurs aux distillateurs se fait d'abord sur les critères de pureté et d'authenticité des essences, c'est-à-dire non frelatée et sans corps étrangers. Les exportateurs garantissent par la suite la qualité des huiles (caractéristiques organoleptiques, couleur) en contrôlant les essences et en les regroupant par lots de densité s'approchant le plus possible de la commande de l'acheteur.

Dans le cas des distilleries industrielles, les qualités hautes produites sont vendues aux clients avant leur extraction. Le reste de la production et les huiles essentielles collectées sont réparties selon les commandes des clients. Ceci donne une indication sur la place des huiles essentielles artisanales dans les commandes de l'aval. Les qualités hautes produites par les distilleries industrielles sont très probablement orientées vers le circuit alimentant les parfumeries haut de gamme alors que le reste de la production et la collecte sert à alimenter le second circuit pour l'industrie de la parfumerie, cosmétique, savon et détergent. Cette organisation permet à l'aval de la filière de minimiser les risques quant à la qualité des huiles achetées en fonction de leur destination et usage. Les récentes actions d’un importateur auprès de l'association Fulera Ndjema vont dans ce sens avec une demande d'un nouveau fractionnement des essences à la sortie de l'alambic : sur une distillation les qualités hautes sont fractionnées en trois volumes, afin d'obtenir un volume d'ES, un volume d'E et un volume de I, et la qualité basse réunit en un seul volume.

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Les exportateurs ne distillant pas les fleurs ont un contrôle plus restreint sur la qualité des huiles essentielles car ils ne peuvent pas directement contrôler le fractionnement. L'investissement d'AGK/Givaudan dans des alambics communautaires avec des techniciens de distillation à Mohéli constitue en ce sens une démarche vers un meilleur contrôle de la qualité des huiles essentielles achetées aux Comores. Il semble que la demande des exportateurs en huiles de qualité ES soit supérieure à l’offre proposée par les distillateurs, ce qui pousse l’aval à les acheter au-delà du prix du marché (+50 KMF/°/kg)

Les importateurs et les producteurs d'ingrédients sont deux catégories d'acteurs contrôlant également la qualité en aval des exportateurs. La distinction entre ces deux acteurs se fait par leurs investissements dans les équipements de laboratoire, éléments qui conditionnent leur capacité à créer des lots d'huiles essentielles commerciales.

Les producteurs d'ingrédients ont des laboratoires équipés permettant de retravailler les huiles essentielles en fonction des demandes des clients. Ils assemblent les essences des différentes provenances ou bien des différentes fractions afin de travailler la qualité des huiles ou encore de jouer sur son prix. Les lots peuvent être coupés par des produits de synthèse pour rectifier ou améliorer la qualité des huiles, être refractionnés à l'aide de colonnes sous vide, ou encore retraitées pour retirer certains éléments (déterpénation, par exemple, pour enlever certains allergènes).

Les importateurs sont équipés de laboratoires d'analyses pour déterminer le profil chromatographique des huiles essentielles achetées. Leur capacité d’intervention se limite au réajustement par l’assemblage de différentes origines. Il est cependant difficile de connaître les opérations menées par les importateurs sur les huiles essentielles car tout dépend de la demande du client ( i.e. , traçabilité/origine des huiles, qualité homogène dans le temps). Les importateurs et les producteurs d'ingrédients ont un rôle important d’intermédiaire entre les producteurs de matière première et les acheteurs. En effet, la demande de ceux-ci ne correspond pas forcément au prorata de distillation. Ces acteurs adaptent les fractions et les quantités pour répondre aux attentes de leurs divers clients. La création de lots commerciaux permet la stabilisation du marché en proposant des produits homogènes et sur des périodes longues – (création de stocks). Les normes AFNOR aident à définir les différentes qualités et caractéristiques des huiles essentielles d'ylang-ylang. Elles doivent respecter un certain rapport valeur olfactive/prix, une pureté, une stabilité et une disponibilité suffisante ( Valade 2010 ). Certains importateurs exigent, en plus, la traçabilité des huiles essentielles (cas des huiles essentielles bio) et une teneur minimum en acétate de benzyle 9 pour les volumes de qualité haute ( source : enquêtes ). Les commandes se font sur la spécification de quantités par qualité dans un délai fixé.

4 Énergie pour la distillation et impacts environnementaux 4.1 Les différentes énergies utilisables

Différentes sources d’énergie sont envisageables pour la distillation : • le bois utilisé dans les distilleries artisanales, • le pétrole utilisé dans les distilleries industrielles, • le gaz qui n’est actuellement pas utilisé en raison de son coût • l’électricité qui est beaucoup trop chère à Anjouan ce qui rend son utilisation inenvisageable.

Les énergies renouvelables autres que le bois (solaire, éolien, biogaz, hydroélectricité), ne permettent pas de développer la puissance nécessaire pour la distillation à des coûts abordables.

9 L'acétate de benzyle fait partie des molécules caractérisant les qualités hautes (annexe 2). 42

4.1.1 Comparaison entre le bois et le pétrole

Le bois représente entre 24% et 30% des coûts de distillation, les fleurs représentant le principal (60% à 63%) (Tableau 3). Un coût du bois inférieur de 21% à Ongoni par rapport à Pomoni permet au distillateur de réaliser une marge de 32% supérieure à celle d'un distillateur de Pomoni.

Le remplacement du bois par le pétrole, dans l’hypothèse où 120 litres de pétrole seraient nécessaires pour distiller 200 kg de fleurs, n’est pas une alternative économiquement viable pour les distillateurs dans les conditions actuelles du marché de l’ylang-ylang à Anjouan.

Tableau 3: Comparaison des coûts, chiffres d’affaire et bénéfices pour une distillation de 200 kg de fleurs, 15% d’autoproduction de fleurs, rendement en huiles de 2,03%, 1,5 kg de HQ à 44° à 1050 KMF/°/kg, 2,9 kg de IIIème à 11000 KMF/kg (sources : enquêtes)

Bois Pomoni Bois Dagi Pétrole Distillation KMF % KMF % KMF % Co ûts fleurs 51000 60 51000 63 51000 46,7 Coûts Energie 24000 28 19000 24,5 48000 44 Co ût Mo 9000 10,6 9000 11 9000 8,2 Amortissement 1200 1,4 1200 1,5 1200 1,1 Total coûts 85200 - 80200 - 109200 CA HQ 69050 69050 69050 CA III 31850 31850 31850 Total CA 100900 100900 100900 Bénéfices / revenu à 1000 15700 20700 -8300 KMF/°/kg

Par ailleurs, l’utilisation du pétrole suppose de disposer de bruleurs qui nécessitent de l’électricité pour fonctionner. L’électricité n’est pas forcément disponible sur les sites de distillation artisanal et les fréquentes coupures rendent impossible son utilisation. Il faudrait alors investir dans un groupe électrogène ce qui augmenterait encore les coûts de l’utilisation du pétrole (amortissement de l’investissement + gasoil pour faire tourner le groupe).

4.2 Le bois pour la distillation

4.2.1 Méthodologie

Pour faire certifier par le Gold Standard les économies de bois réalisées par le programme FY-DAFE, ID a réalisé une série de 48 enquêtes et 24 suivis de distillation dans 12 villages , sélectionnés de manière aléatoire. À chaque suivi de distillation, le bois est pesé par espèce puis son humidité est mesurée par déshydratation. Cette série d’enquête, statistiquement représentative, permet à ID de pouvoir quantifier le bois utilisé pour la distillation à Anjouan et d’évaluer l’impact de la diffusion de foyers améliorés (UDAFE) en termes d’économies de bois.

4.2.2 Quantités de bois brûlées pour la distillation d’huile d’Ylang-ylang à Anjouan

On peut estimer que la production d’huiles essentielles d’ylang-ylang a consommé environ 10 000 tonnes de bois en 2013 10 , à raison de 250 kg de bois par kilo d’huile produit, ou de 949 kilo de bois par distillation (tableau 3). À titre indicatif, 10 000 tonnes de bois représentent environ 6 600 manguiers d’une trentaine d’années.

10 Cette estimation est faite sur la base de bois à 25% d’humidité 43

Tableau 4: Besoins en bois pour la distillation (source : données de suivi de distillation)

Quantité de bois nécessaire (valeur pour une Kg de bois Nombre de manguiers de 30 humidité moyenne de 25%) ans Pour distiller 1 kg de fleurs 5,42 - Pour produire 1 kg d’huile 250 0,16 Pour une distillation 949 0,62 Pour produire 40 tonnes d’huiles 9 983 728 6 557

On peut estimer qu’en 2013, la distillation a représenté entre 12% et 15% de la consommation totale de bois énergie de l’île et entre 22 et 25% des arbres coupés pour la filière bois énergie (en considérant que 50% du bois des ménages est du bois mort ramassé). Ces chiffres sont des estimations. Des enquêtes plus poussées sur la consommation en bois seront réalisées par ID dans le cadre de la mise en œuvre de son programme de cuiseurs à bois économe en 2015 et permettront d’avoir pour la première fois une vision précise des postes de consommation de bois énergie à Anjouan. Pour information, selon le dernier rapport publié par la FAO – Forest en 2010, les Comores sont le pays qui connait le taux de déforestation le plus rapide au monde (8%), ce qui suppose que les ressources forestières comoriennes auront disparues d’ici 15 à 20 ans. 4.2.3 Les espèces d’arbre utilisées pour la distillation

D’après les suivis de distillations, 96 % du bois utilisé provient d’espèces agroforestières, dont environ 60% de manguiers ou d’espèces à croissance rapide plantées dans le cadre de programme de reboisement (acacias et cassia principalement prélevés dans la zone de la péninsule de Sima pour les distillations de la côte Ouest) (tableau 6). En tout état de cause, la distillation n’impacte pas ou peu les ressources en bois endémiques des zones forestières de l’île. Situées dans des zones en altitude difficilement accessibles, ces espèces sont exploitées pour le bois d’œuvre qu’il est plus aisé de transporter en planche jusqu’à la route et dont la vente sous cette forme permet une meilleure rémunération du travail. On notera également que le bois pour la distillation provient plus souvent de coupes entières d'arbres que de la taille des branches.

Tableau 5 : Espèces de bois utilisées pour la distillation (source : enquêtes)

Espèces de bois utilisées pour la distillation en % Espèces agroforestières : manguiers, cocotier, ylang -ylang, arbre à 82% pain, moringa, tamarinier, goyavier, jacquier

dont manguier 61 % Espèces à croissance rapide utilisées pour le reboisement 14% monospécifique ou l'embocagement (acacia, gliricidia, sandragon, cassia) Espèces forestières 4%

4.2.4 Consommation de bois au cours d’une distillation Dans le graphique 4 ci-dessous, nous pouvons constater que la consommation de bois est beaucoup plus importante pour l’extraction des qualités hautes. Le bois est chargé plus régulièrement pour maintenir une chauffe importante et permettre un débit de distillat compris entre 60 et 90 litre par heure.

44

Pour la troisième un débit de distillat plus faible entre 35 et 50 litre heure est nécessaire, ce qui se traduit par des chargements en bois plus espacés. Les données ci -dessous sont issues d’une expérimentation sur une unité de distillation à foyer économe deux fois plus efficace énergétiquement que les foyers traditionnels, avec du bois à 15% d’humidité. On peut donc conclure que , sur un foyer traditionnel pour un cuve de 120 kg, la consommation de bois pour les qualités hautes est de l’ordre de 75 kg de bois par heure pour l’extraction des qualités hautes et de 45 kg de bois par heure pour l’extraction de la 3ème .

Huiles extraites temps Kg de bois Qualités hautes - 1 kg 4 heures 300 Troisième – 1er kg 4 heures 180 Troisième – 2ème kg 12 heures 540 Distillation complète 20 heures 1020

On peut donc considérer qu’il faut autant de bois pour extraire le dernier kilo de troisième que pour extraire les deux premiers kilos d’huiles. Le fait d’extraire le dernier kilo de troisième reste néanmoins rentable. En effet, à 15 KMF par kilo de bois ( moyenne de prix dans les différ entes zones de l’île), l’extract ion coute environ 8000 KMF (16 euros) au distillateur qui gagnera 12500 KMF (25 euros) en vendant 1 kg de troisième.

Bois brulé en kg Huile extraites en kg

Graphique 13 : Consommation de bois pour l’extraction des huiles essentielles d’ ylang -ylang en fonction du temps (sources : expérience ID – programme FY-DAFE) 4.2.5 Performance énergétique , bonnes pratiques et économie s de bois grâce aux UDAFE

4.2.5.1 La performance énergétique des foyers D’après les suivis de distillat ion réalisés par ID, suivant un protoc ole très précis développé par le cabinet d’expertise français ENEA Consulting, les foyers traditionnels ont une efficacité énergétique de l’ordre de 15 à 20%. Les foyers améliorés mis au point par ID en p artenariat av ec ENEA consulting, dits Unités de Distillation à Foyer Économe , ou UDAFE) affichent une efficacité énergétique comprise entre 35% à 42 % pour les foyers en matériaux classique s, et comprise entre 40% et 60% pour les f oyers en matériaux réfractaires. 45

Dans des conditions optimales d’utilisation, les foyers améliorés diffusés par ID permettraient donc de réduire par 2 à 3 les quantités de bois nécessaire pour la distillation .

4.2.5.2 Les pratiques de chauffe pour la distillation Les pratiques de distillation jouent également un rôle important dans la consommation de bois. Ainsi, certains distillateurs ont l’habitude de lancer le feu bien avant l’arrivée des fleurs à l’alambic de manière à pouvoir commencer la distillation très rapidement dès que les fleurs sont disponibles. Malheureusement, les fleurs peuvent mettre un certain temps à arriver à l’alambic, et les distillateurs se trouvent alors à chauffer une cuve vide pendant 2 à 3 heures. La fréquence des chargements, ainsi que les habitudes de gestion de la chauffe et du débit de distillat, sont également différentes d’un distillateur à l’autre. Ainsi, les distillateurs ont souvent tendance à surchauffer pour s’assurer une extraction rapide des huiles. Par ailleurs, il arrive que les distillateurs chauffe pendant très longtemps pour extraire le plus de troisième possible de manière à atteindre le nombre de kilos d’huiles qu’ils souhaitent vendre. Comme nous l’avons vu plus haut, les derniers millilitres de troisième sont les plus coûteux en termes d’énergie mais encore rentables, si bien que le distillateur à intérêt à le faire

4.2.5.3 L’impact du programme FY-DAFE sur la ressource en bois à Anjouan

En se basant sur les performances énergétiques actuelles des UDAFE, les 30 UDAFE diffusée dans le cadre du programme FY-DAFE devrait permettre de diminuer la pression sur la ressource en bois d’environ 10% d’ici avril 2016.

A partir de janvier 2015, ID diffusera également des UDAFE en dehors du programme FY-DAFE. Combinées avec celles diffusées dans le cadre d’un potentiel FY-DAFE 2 et les améliorations énergétiques que nous parviendrons à mettre en place d’ici là, ID espère diminuer de plus de 40% la pression sur la ressource en bois d’ici 2020, s’il est possible d’équiper les 120 lambics opérationnels. 4.3 Focus sur la filière bois-énergie à Anjouan 4.3.1 Les acteurs de la filière

La filière bois à Anjouan est constituée des producteurs de bois, des bûcherons et des transporteurs de marchandises. Certains bûcherons peuvent aussi transporter le bois (schéma 4). L'approvisionnement en bois prend le plus souvent la forme de contrats ponctuels et informels entre le distillateur et un transporteur. La commande sera payée à la réception ou par avance. Ces fournisseurs achètent rarement le bois avant la commande du distillateur. Les contrats se reposent sur un réseau de connaissances. Ainsi il sera plus facile pour les distillateurs de s'approvisionner dans leur village ou les villages environnants que hors de la zone.

46

Figure 7 : Acteurs de la sous-filière bois à Anjouan ( source : enquêtes )

4.3.1.1 Transporteurs

Les transporteurs ne sont pas spécialisés dans le transport du bois. Les matériaux de construction (sable, ciment, pierre) sont, d'après les enquêtes, la part la plus importante de leur activité. Les transporteurs travaillent soit sur commande des distillateurs, soit en achetant des stocks de bois et en démarchant des distillateurs. La première option est la plus fréquente. Dans ce cas, ils s'approvisionnent auprès d'un propriétaire de bois en négociant le prix d'achat en présence du bûcheron engagé pour l'occasion. Dans des cas moins fréquents, le transporteur achète le bois à un bûcheron (le prix de la coupe et du bois est déjà négocié entre le propriétaire du bois et le bûcheron, sans le transporteur). La ressource vient majoritairement d'une tierce personne mais le bûcheron peut aussi être le propriétaire du bois.

4.3.1.2 Bûcherons Les bucherons offrent leurs services de manière ponctuelle aux propriétaires d’arbres, ainsi qu’aux transporteurs. Tous les bûcherons ne sont pas équipés de la même manière : les coupecoupes et haches font partie des outils de base mais un bon nombre des bûcherons rencontrés sont aussi munis d'une tronçonneuse assurant une meilleure capacité de débit. Les bûcherons équipés d’une tronçonneuse sont aussi sollicités par les distillateurs pour débiter le bois acheté une fois acheminé sur le site de distillation. Les bucherons peuvent eux-mêmes avoir recours à de la main d’œuvre pour transporter le bois depuis la parcelle jusqu’à la route.

Les bûcherons rencontrés considèrent leur activité comme une activité complémentaire et occasionnelle à leurs autres activités, comme l'agriculture, l'élevage ou la pêche. Néanmoins, elle peut aussi être la principale source de revenu. C’est le cas pour les jeunes personnes récemment mariées ou sur le point de l'être et qui n'ont pour l'instant qu'un accès limité au foncier. Dans le cas des bûcherons- transporteurs, l'activité de bûcheronnage est une source majeure régulière de revenus. Les bûcherons- 47

transporteurs rencontrés travaillent avec des Peugeot 404 bâchées et convoient les plus petits volumes de bois de la filière.

4.3.1.3 Producteurs de bois

Il n'y a pas à proprement parler des personnes spécialisées dans la production de bois pour la vente à Anjouan. Les coupes d'arbres sont réalisées de manière occasionnelle et se font lors d'un besoin de trésorerie ou bien selon les activités culturales prévues à court terme par le propriétaire de la parcelle. Les systèmes de production agricole sont massivement tournés vers l'agroforesterie à Anjouan. Ainsi tout propriétaire d’une parcelle agricole est un vendeur de bois potentiel. Le paiement est réalisé une fois le chargement effectué. La moitié de la valeur de l'arbre revient au propriétaire, l'autre moitié sert à rémunérer le bûcheron. 4.3.2 Flux de bois à Anjouan

La situation des distillateurs vis-à-vis de la ressource en bois varie énormément en fonction des zones de production. Ainsi sur la côte Ouest (Vouani-Lingoni-Nidri-Moya), le bois n’est quasiment plus disponible localement, les distillateurs s’approvisionnent dans la péninsule de Sima et la partie la plus occidentale de la côte ouest (de à la péninsule de Sima). Sur la côte Est, dans la cuvette et au Niumakélé, les distillateurs s’approvisionnent en bois dans des zones relativement peu éloignées de leurs alambics. Enfin à Jimilimé, le bois provient des zones agroforestières du village. La disponibilité en bois engendre des différences dans l’organisation et impactent les coûts de production. Plus le distillateur est éloigné de la zone d’extraction du bois, plus le transporteur augmente sa marge et donc plus le bois revient cher au distillateur. L’augmentation de la marge est plus que proportionnelle à la distance. L’absence de bois pour la distillation dans une zone pénalise donc doublement les distillateurs qui ont plus de difficultés à se procurer du bois, ils doivent y consacrer plus de temps ou doivent payer le prix des transporteurs.

4.4 L’eau pour la distillation

La distillation est très utilisatrice d’eau. A raison d’un débit mesuré de l’ordre de 20 litres par minute (mesure faite par ID), on estime que 10 et 20 m3 sont nécessaires pour une distillation. Ce facteur n’est pourtant peu pris en compte dans la filière car le coût de l’eau dans la distillation est infime. Dans beaucoup de zones, les producteurs d’huiles essentielles s’arrangent pour avoir un accès gratuit à l’eau (puits, mares, rivières…). En cas de rareté de l’eau, les distillateurs se raccordent au réseau institutionnel, moyennant une faible redevance aux comités de l’eau. On notera que l’eau peut devenir un facteur limitant dans certaines zones en saison sèche et toute l’année à Niumakélé. Il s’agit d’ailleurs de la principale raison expliquant la chute de l’activité de distillation dans cette région.

4.5 Autres Impacts environnementaux de la filière Ylang-ylang à Anjouan 4.5.1 Pollution thermique et organique des cours d’eau

Sur la plupart des sites de distillation les effluents sont directement rejeter dans le cours d’eau, ou dans le lit asséché des rivières. Les fleurs et les jus de distillation s’accumulent et créent des marres. Bien qu’aucune étude ne se soit jamais penchée sur la question, on peut supposer que cette pollution organique est nuisible à la faune et à la flore des rivières comoriennes. Les eaux chaudes (entre 60 et 80 °C) qui sortent du système de condensation et de refroidissement des huiles sont également rejetées directement dans l’environnement et peuvent engendrer une pollution thermique nuisible à la faune des cours d’eau.

48

4.5.2 Impacts positifs de la culture d’ylang-ylang sur les sols

Les paysans anjouanais signalent que la culture d’Ylang ylang est bonne pour les sols ( Felix 20009 ). Ainsi, selon eux, la culture d’Ylang-ylang est un bon précédent cultural. Si le prix des fleurs n’est plus intéressant, ils peuvent décider d’étêter leurs pieds d’ylang-ylang pour planter des cultures vivrières comme le manioc ou la banane, qui leur donneront de bon rendement pendant les deux ans nécessaires à la reprise de la production florale. La plantation de pieds d’ylang-ylang peut régénérer des sols devenus infertiles en 4 à 5 ans.

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5 Analyse économique de la filière 5.1 Revenus par acteurs Pour rappel et information, le graphique ci-dessous indique le nombre d’acteurs nécessaires par catégorie pour produire 1 tonne d’huile essentielle d’ylang-ylang.

Graphique 14 : Répartition du nombre d'actifs nécessaire pour la production, la collecte et l'exportation d'une tonne d'huiles essentielles produites à Anjouan en une année (par rapport au volume moyen d'activité estimé)

5.1.1 Le revenu des travailleurs de la filière : cueilleuses et manœuvres

Le graphique suivant montre que les travailleurs de la filière ylang-ylang sont relativement moins bien payés que d’autres travailleurs non qualifiés. En effet, on remarque sur le graphique suivant, qu’un manœuvre rémunéré à 4500 KMF par distillation et une cueilleuses payée à 150 KMK/kg gagnent mois à la journée qu’un manœuvre sur chantier occasionnel. Hors on peut considérer qu’ils devraient être alignés sur cette rémunération car leur travail est saisonnier, ils ne peuvent donc pas compter sur cette activité à plein temps toute l’année.

On constate également qu’une cueilleuses rémunérée à 75 ou 100 KMF par kilo de fleur, ou un manœuvre de distillation rémunéré 3500 KMF par distillation sont moins bien payés que tous les autres travailleurs de la filière.

Il conviendrait donc de les payer a minima respectivement, 150 KMF par kilo de fleurs cueilli (ce qui n’est pas systématiquement le cas même quand le cours des fleurs atteint 450 KMF/kg) et 4500 KMF par distillation.

50

Graphique 15 : Revenus journaliers de différents travailleurs non qualifiés à Anjouan, en KMF/jour ; source : enquêtes

5.1.1.1 Le revenu des cueilleuses

Le salaire versé aux cueilleuses pendant la récolte dépend du prix de vente des fleurs par le distillateur. Il correspond en théorie à environ un tiers de ce prix de vente, soit 75 -100 KMF/kg pour des fleurs achetées aux producteurs à 300 KMF/kg, ou 150 KMF/kg en 2014 pour des fleurs achetées entre 400 et 500 KMF/kg . Les cueilleuses familiales r émunérées ne sont pas souvent alignées sur cette grille de salaires . Les modalités de paiement varient grandement (cueillette pour soi, partage du montant de la récolte en deux, etc.) mais elles sont souvent plus avantageuses pour ces cueilleuses. Le prix du kg de fleurs payé aux cueilleuses familiales rémunérées a été estimé entre 40 et 50% de la valeur de vente des huiles aux distillateurs . Une cueilleuse hors cercle familial gagne entre 1500 et 3000 KMF pour une journée de récolte pendant laquelle elle cueille 15 à 20 kg de fleurs, en fonction de la saison et du prix qu’on la paye au kilo . La cueillette hors cercle familial est une activité transitoire, le travail salarié étant une solution d’appoint pour les femmes en cas de situa tion difficile. Ces cueilleuses s’arrêtent à partir du moment où le ménage a pu accéder au foncier (mariage, héritage) et peut développer ses propres activités agricoles (cultures vivrières, maraîchage ou cultures de rente). Les personnes rencontrées pour lesquelles la cueillette est la source de revenus principale ou régulière se trouvent dans des situations de grande précarité , car il y a peu de jours de travail dans le mois . Les autres activités exercées dans ces foyers sont la culture vivrière pour la s ubsistance (banane, taro), la récolte de bois de chauffe, la confection de hamba 11 ou encore l’extraction de sable.

On notera que les femmes en situations précaires ne sont pas les mieux placées pour négocier leurs conditions de travail , ce qui permet à c ertains producteurs de fleurs d’imposer leur prix. Ainsi, l’équipe d’ID a rencontré des cueilleuses qui disent n’être payé es que 100 à 125 KMF/kg alors que les fleurs sont achetées 500 KMF/kg au producteur. On constate que la répartition du revenu de la ve nte des fleurs entre les cueilleuses et les producteurs est souvent plus équitable dans les zones les plus défavorisées comme Jimilimé et le Niumakélé, que dan s les villages moins pauvres, où les producteurs ont tendance à ne pas adapter la rémunération de s cueilleuses à l’augmentation du prix de vente des fleurs.

11 Corde traditionnelle faite en fibre de coco. 51

5.1.1.2 Le revenu des manœuvres de distillation Les manœuvres de distillation sont rémunérés au forfait entre 3 500 KMF (7 euros) et 4 500 KMF (9euros) pour une distillation. Compte tenu du fait qu’une distillation représente au minimum 16 heures de travail (1 heure pour préparer l’alambic et le bois et 15h de distillation, cela revient à un revenu journalier compris 1750 et 2250 KMF. La pénibilité du travail de nuit et du chargement du bois dans le foyer en fait une activité relativement mal rémunérée par rapport à un travail de manœuvre sur un chantier de maçonnerie. Ceci dit, l’enchainement des distillations en période de forte production (24 distillation par mois), bien qu’extrêmement éprouvante leur permet de gagner jusqu’à 100 000 KMF par mois (200 euros). 5.1.2 Revenus des producteurs de fleurs Bien que les stratégies de gestion des coûts influent sur la marge dégagée par le producteur de fleurs, les différences de quantités de fleurs produites par récolte en période de forte production sont le principal facteur influençant le revenu de chaque profil de producteurs (graphique 15).

Les variations saisonnières de production florale influencent grandement les revenus mensuels liés à cette activité. Pour un petit producteur de fleurs, massivement tourné vers l’agriculture vivrière de subsistance, récoltant 40 kg de fleurs en famille, le revenu sera de 24 000 KMF/mois (50 euros) en saison de forte production, et de 7 800 KMF/mois (16 euros) en saison de faible production. En comparaison, un producteur possédant des cultures vivrières et des cultures de rentes, obtiendra 220 kg de fleurs par récolte aura un revenu de 80 000 KMF/mois (160 euros) en saison de forte production et de 28 000 KMF/mois (56 euros) en saison de faible production. Les stratégies d'internalisation des coûts (cueillette en famille) permettent de limiter la diminution de revenu lors des mois de faible production. Ainsi, pour une production de fleurs moindre (graphique 12) les revenus générés par la production de fleurs pour les producteurs vivant de l’agriculture vivrière et de rente, sont équivalents à ceux des producteurs dont la principale activité est extra-agricole.

Euros 160

1 40 P1 : Petits producteurs de fleurs, manquant Salaire brut moyen d’accès au foncier, massivement tourné vers les cultures vivrières de subsistance 1 20 d’un militaire non

gradé 100 P2 : Producteurs de fleurs, produisant des cultures vivrières et des cultures de rente

80 pour la vente

60 P3 : Gros producteurs de fleurs, propriétaires d’un patrimoine foncier 40 conséquent , massivement tournés vers les cultures de rente 20 P4 : Producteurs de fleurs dont la

principale activité est extra-agricole (commerce ou fonctionnariat)

Graphique 16 : Revenus mensuels par catégorie de producteur de fleurs pour 2 récoltes par mois, en 2013 à raison de 300 KMF/kg de fleurs (source : enquêtes)

5.1.3 Revenus mensuels des distillateurs

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Les quantités d'huiles essentielles produites annuellement sont très variables d'un distillateur à l'autre. Ceci implique une grande disparité dans les revenus des distillateurs. La moyenne, établie autour de 300 kg/an d'huiles essentielles produites, génère des revenus mensuels compris entre 67 000 KMF (130 euros) les mois de faible production et 228 000 KMF (460 euros) les mois de forte production. Les revenus mensuels sont limités par le nombre de distillation possible par mois ( i.e. , 24-25 par mois) et surtout la capacité du distillateur à s'approvisionner en fleurs. Les distillateurs capables de produire plus de 450 kg/an sont rares dans la filière. De même, les très petits distillateurs propriétaires d'alambic sont peu fréquents. Ces derniers compensent généralement les faibles revenus mensuels dégagés par l'activité de distillation avec la location de leur alambic. 5.1.4 Revenu mensuel des collecteurs d’huile

Les collecteurs peuvent être : • des distillateurs propriétaires de leur alambic qui collectent les huiles de leurs collègues, • des propriétaires d’alambic qui louent leur alambics et vendent leurs huiles à d’autres, • de simple collecteurs d’huiles qui ne possèdent pas d’alambic.

On peut voir dans le graphique suivant que pendant la forte production, un propriétaire d’alambic qui collecte des huiles gagnera un peu plus en distillant lui-même ses huiles qu’en louant son alambic à d’autres et en leur vendant ses fleurs et en leur achetant les huiles. Par contre, le propriétaire qui distille lui-même devra y consacrer tout son temps, au contraire du propriétaire qui loue son alambic qui pourra exercer d’autres activités pendant ce mois. Il s’agit de deux stratégies différentes, l’une centrée sur une démarche artisanale, l’autre plutôt orientée vers un démarche entrepreneuriale axée sur la rente.

Le graphique 16, ci-dessous, donne un exemple des revenus mensuels pour les trois types de collecteurs, d'après les quantités annuelles moyennes vendues par ces acteurs.

53

5.2 Gestion des coûts de production et de la marge d’une distillation

Graphique 17 : Couts e t marges d’une distillation de 200 kg de fleurs, produisant 1,4 kg d’huile de qualité haute à 46° et 2,6 kg huile 3; C omparaison 2013 et 2014 ° (sources : valeurs moyenne des rendements obtenus par sur 50 suivis de distillation)

2013 2014

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L’achat des fleurs est le principal poste de dépense pour une distillation : il représentait 63% des coûts de production 2013 et 66% en novembre 2014. Avec un coût moyen de 23 000 KMF, soit 24% en 2013 et 19% en 2014, le bois constitue de second poste de dépense pour les distillateurs.

On constate que dans le cas représenté dans le graphique 17, malgré la hausse importante du prix de vente des huiles, la marge des distillateurs reste stable à environ 4500 KMF (9 euros) par distillation. Ceci s’explique par la concurrence sur les fleurs. Pour sécuriser leur approvisionnement les distillateurs augmentent le prix d’achat des fleurs au détriment de leur marge. On peut donc dire que la marge tirée par le distillateur de l’activité de distillation est faible (équivalente à la rémunération d’un manœuvre), ce qui n’est pas incitatif à la poursuite de l’activité et limite fortement la capacité d’investissement des distillateurs.

On constate également que, selon le fonctionnement actuel de la filière, les variations de prix des huiles se répercutent en cascade jusqu’aux producteurs, qui captent l’essentiel de la valeur ajoutée.

Enfin il est important de noter que le cours actuel des fleurs est incitatif à la replantation d’ylang- ylang , ce qui n’était pas clairement le cas en 2013. De nombreux producteurs nous ont affirmé qu’au prix actuel (450 KMF/kg de fleur - novembre 2014), ils sont intéressés pour replanter des pieds d’ylang-ylang.

5.2.1 Stratégies des distillateurs pour améliorer leur marge

Face au coût de revient d'une distillation, l'intégration de la production florale par les distillateurs propriétaires d'alambic est la stratégie la plus commune pour diminuer les coûts. Ils produisent ainsi en moyenne 15% des fleurs qu'ils distillent. En considérant qu’ils rémunèrent les cueilleuses à 1/3 de la valeur marchande des fleurs (on considère qu’ils cumulent la marge de production de fleurs et celle de distillation), cela représentaient une économie de 6 000 KMF (12 euros) sur leurs coûts de production en 2013, leur permettant d’obtenir environ 10 500 KMF de marge, soit 21 euro par distillation. En 2014 l’économie représente 9 000 KMF (18 euros), pour une marge totale d’environ 13 500 KMF (27 euros).

L'auto-approvisionnement en bois est nettement plus rare car il nécessite un accès important à la ressource et a un impact moins important sur la marge. Seuls les distillateurs de la zone de Jimilimé ont recours de manière extensive à la collecte du bois mort pour la distillation. Ailleurs dans l'île, seuls les plus gros propriétaires terriens se trouvent dans la capacité de s'approvisionner seul pour une part importante des distillations réalisées au cours de l'année.

Les fleurs constituant la part la plus importante du coût de revient d'une distillation, l'intégration de la production florale s'avère une stratégie ayant un impact plus important sur la marge que l'auto- approvisionnement en bois (tableau 4).

Tableau 6 : Impact de la variation de quelques paramètres sur la variation de marge (chaque paramètre pris indépendamment) (source : enquêtes)

Variation de la Variation de la Impact des paramètres influençant la marge en fonction de marge du marge du différents contextes de prix distillateur 2013 distillateur 2014 +10% de fleurs produites par le distillateur, soit 25% des fleurs distillées + 38% + 76% Économie de 40% de bois lors de la distillation grâce aux UDAFE ID + 89% +69% + 1° par litre d'essences de qualités hautes, soit +3€/litre + 10% +11%

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5.2.2 Stratégie de distillation : location versus investissement dans un alambic Les producteurs de fleurs locataires d'un alambic sont les distillateurs les plus nombreux. La majorité de ces producteurs distillent leurs fleurs de manière occasionnelle, c'est-à-dire 2 à 4 fois dans l'année. Le producteur de fleurs s'accorde avec un distillateur propriétaire d'alambic en lui vendant ses fleurs à crédit. Une fois que ce volume requis pour une distillation atteint, le propriétaire de l’alambic s’engage à trouver en une fois la même quantité fleurs pour permettre au producteur de fleur de réaliser une distillation en louant son alambic. Ce système permet aux producteurs de fleurs de distiller lors de la saison de forte production florale. Les plus gros producteurs de fleurs peuvent s'affranchir de ce système à cette période en achetant un complément de fleurs pour réaliser une distillation à chaque récolte. Ces producteurs de fleurs, moins nombreux, réalisent un nombre plus important de distillation dans l'année.

La stratégie de location d'un alambic par les producteurs de fleurs permet d'obtenir un meilleur revenu. Les producteurs de fleurs locataire d'alambic minimisent les coûts liés à la distillation : les fleurs et le bois proviennent des parcelles du producteur de fleurs et la distillation est réalisée par lui et un membre de son ménage ou bien par un seul manœuvre. Cette tendance à minimiser les coûts dépend aussi du statut du producteur de fleurs : les plus gros producteurs de fleurs locataires, employant de la main d'œuvre pour la récolte, auront davantage tendance à externaliser certains coûts. De même, la marge tend à diminuer avec une plus grande régularité de distillation car dans ce cas les producteurs de fleurs vont avoir recours à de la main-d'œuvre et ils vont aussi devoir acheter le bois. Le lancement d'une distillation par un producteur de fleurs locataire nécessite donc la mobilisation d'une importante main d'œuvre familiale si celui-ci cherche à internaliser tous les coûts : ceci induit une rentabilité du travail proche de celle des producteurs de fleurs: 6177 KMF/hj pour le locataire et 6000 KMF/hj pour celui qui vend ses fleurs. Cette constatation fait écho à la manière dont la plupart des locataires d’alambics rencontrés envisagent la distillation de leurs fleurs : elle permet de faire face à d'importantes dépenses à venir, comme celles liées à une naissance.

Pour les gros producteurs de fleurs locataires, les coûts d'investissement et d'entretien de celui-ci constituent une barrière importante pour devenir propriétaire d’un alambic. De plus, entrer dans une logique de distillation fréquente en tant que propriétaire demande la capacité de mobiliser un capital financier important à chaque distillation. Ces raisons expliquent le développement des collecteurs de fleurs n'ayant pas les fonds nécessaires pour faire une distillation et vendant les fleurs de leurs producteurs fidélisés aux autres distillateurs.

Les distillateurs propriétaires d'alambic, du fait de leur plus faible marge, ont une rentabilité de travail inférieure à celle des producteurs de fleurs locataires. Associé à l'importance des investissements et des capitaux financiers à mobiliser pour chaque distillation, cette observation explique dans le contexte actuel le nombre limité de distillateurs voire le repli du nombre de distillateurs propriétaires depuis quelques années.

56

5.3 Prix des fleurs

KMF/kg 550

500

450

400

350

300

250

200

150

100

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0 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 Graphique 18 : Evolution du prix du kg de fleurs acheté au producteur de 2005 à 2014 (sources : BCC et enquêtes)

5.3.1 Comment est-il fixé ? Le prix d'achat des fleurs est fixé par les distillateurs en fonction du prix d'achat de leurs huiles essentielles et sur la saison car, durant les pluies, les distillateurs ont des marges plus réduites du fait de l'augmentation de la consommation de bois et à la diminution du nombre de degré des huiles. En 2013, le prix des fleurs a ainsi évolué entre 250 et 300 KMF/kg. Il y a aussi une variation du prix d'achat des fleurs en fonction des zones de production. Entre octobre et février 2013, les distillateurs locaux ont acheté les fleurs 300 KMF/kg aux producteurs sauf dans les zones de Jimilimé, Tsembehu et Limbi (pour les zones observées) où les fleurs se sont vendues à 250 KMF/kg. Ces trois zones sont assez isolées des autres zones de production, réduisant de ce fait les échanges de fleurs inter-zones et la concurrence des distilleries industrielles. Le différentiel de prix d'achat des fleurs est actuellement un levier pour certains distillateurs de Jimilimé, essayant d’agrandir le nombre de producteurs fidélisés dans leur village et du fait de la concurrence, augmenter le prix de vente.

5.3.2 Phénomènes de concurrence La concurrence sur les fleurs est forte entre distillateurs artisanaux. Pour fidéliser leurs producteurs de fleurs, certains distillateurs maintiennent leur activité de distillation en saison des pluies. Pendant cette saison, les couts du bois augmentent (car il est humide et qu’il faut distiller plus longtemps) et les rendements diminuent, si bien qu’il est courant qu’un distillateur distille à perte. Par contre, la vente des fleurs étant cruciale pour les producteurs, les distillateurs leur rendent service pendant la saison en échange de la garantie de leur livrer les fleurs en période de forte concurrence.

Par ailleurs, les distilleries industrielles achètent les fleurs à un prix plus élevé que celui des distillateurs artisanaux. Ce prix d'achat est supérieur de +50 KMF/kg (10 centimes d’euros) plus une prime en fin d'année de +50 KMF/kg pour les producteurs de fleurs certifiés bio. Les distillateurs artisanaux, étant donné leur faible marge ne peuvent pas s’aligner et perdent des producteurs de fleurs. Ils sont alors contraints d’aller chercher leur fleurs dans d’autre village, ce qui leur coute du temps et le transport (environ 10 KMF par kilo), mais leur revient moins cher au final.

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5.4 Instabilité des prix : un phénomène nocif pour la durabilité de la filière qui met en péril les distillateurs artisanaux

L’instabilité des prix et la répétition des crises provoquent la disparition progressive des distillateurs artisanaux pour qui la distillation est la principale source de revenu. Découragés ils finissent par se tourner vers d’autres activités génératrices de revenus (commerce notamment) quand ils en ont les moyens, ou partent tenter la traverser vers Mayotte dans l’espoir d’une vie meilleure.

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6 Vision de ID ou comment pérenniser la distillation artisanale des huiles de qualité répondant à la demande

6.1 Le bois une énergie renouvelable et durable Dans le souci de limiter la pression de la distillation sur la ressource en bois tous en pérennisant la disponibilité de cette ressource pour les distillateurs, ID mise sur le bois, une énergie renouvelable et durable si elle est bien gérée. D’ici avril 2016, ID diffusera donc 30 foyers économes (UDAFE) permettant d’économiser 50% de bois dans le cadre du programme FY-DAFE. ID développe également une stratégie partenariale avec divers acteurs de la filière, de manière à diffuser des UDAFE hors programme. Enfin, une deuxième phase du programme lancée à partir d’avril 2016 permettra de multiplier le nombre d’UDAFE diffusées. Nous espérons que les activités d’ID permettront de distiller plus de 75% des huiles anjouanaises sur des foyers améliorés d’ici 2018. Les économies de bois réalisés par les distillateurs et l’augmentation de leurs revenus qui en découlent, serviront de levier pour travailler avec les distillateurs sur les autres maillons défaillant de la filière. En outre, en 2015, ID effectuera une étude en vue d’un projet forestier afin de jouer sur l’offre de bois-énergie.

6.2 Formations et renforcement de compétence : un appui rapproché sur la durée Pour obtenir des résultats, le programme FY-DAFE mise sur un appui rapproché des distillateurs sur une longue durée. Ainsi, chaque distillateur bénéficiaire de l’appui du programme recevra la visite d’un animateur-technicien du programme au moins une demi-journée par semaine. Cette demi-journée sera l’occasion d’organiser des formations, des ateliers de réflexion participatifs, ainsi que de réaliser un suivi de la production

Les distillateurs qui recevront l’appui du programme FY-DAFE se verront formés, renforcés et suivi dans les domaines suivant : • Manipulation et entretien des UDADFE ; • Optimisation des quantités de fleurs distillées ; • Techniques de distillation (débit de distillat) et utilisation de la grille ; • Gestion entrepreneuriale et financière de leur activité.

6.3 Qualité et traçabilité des huiles Concernant les problèmes de frelatage qui minent la filière, les collecteurs jouent un rôle certain, les distillateurs un rôle potentiel, mais au final ce sont les acheteurs qui en sont responsables en achetant et écoulant des lots frelatés en toute conscience. Dans le contexte actuel de guerre pour les huiles entre les exportateurs et de flambée irrationnelle des prix, le risque de crise est important !

Pour lutter contre le frelatage et améliorer la qualité, il faudrait mettre en place un système de contrôle et de traçabilité, ainsi que des politiques d’achat dissuasives : • Format d’achat correspondant au format d’extraction pour éviter que des lots de 3 ème restent invendus et soient frauduleusement écoulés ; • Achat au gramme et non au kilo pour permettre au distillateur de fractionner et disposer de lots plus finement fractionnés sans nécessiter d’immobilisation de trésorerie; • Contrôle systématique à chaque transaction (bougie + réfractomètre + densimètre + thermomètre) ; • Traçabilité des huiles (étiquetage et conditionnement séparé par petit groupe de distillateurs) ; • Refus systématique et catégorique des huiles douteuses ;

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6.4 Stabilité et transparence sur les prix et les volumes Le contexte d’oligopole et d’oligopsone, (petit nombre d’exportateurs), ainsi que l’opacité totale sur les prix de vente des huiles à l’export, rendent possible une entente (plus ou moins tacite) sur les prix entre exportateurs. À titre d’exemple quand HEC et AGK tenaient 85% du marché, les huiles se vendaient à 1050 KMF/kg. L’arrivée d’un troisième exportateur a provoqué une augmentation 50% du prix des huiles en quelques mois seulement.

Comme cela a été expliqué plus haut, la forte instabilité des prix, et notamment les périodes ou les prix sont très bas, pénalisent grandement les distillateurs artisanaux. Chacune de ces périodes a pour conséquences l’arrachage de pieds d’ylang-ylang par les producteurs et l’arrêt de l’activité de distillation par les distillateurs les moins compétitifs. On peut craindre qu’à terme, l’enchainement de ces crises ne fasse disparaître la distillation artisanale de l’île d’Anjouan.

À moyen terme, il est nécessaire de stabiliser des prix justes et équitables pour tous les acteurs la filière afin d’établir un climat de sécurité qui incitent les producteurs de fleurs à planter et les distillateurs à investir dans la filière.

Pour ce faire, il serait intéressant de tester l’instauration d’un prix minimum calculé en fonction des coûts de production réels des différents acteurs. Il s’agit là de la stratégie mise en place par Fairtrade pour la création de marché équitable. ID se propose d’utiliser une méthodologie de calcul du prix minimum inspiré de celle de Fairtrade.

Enfin, un système de transparence sur les prix devrait être mis en place par les acteurs de l’aval de la filière pour permettre l’ajustement des prix à Anjouan sur une base équitable.

6.5 Besoin de financement de la filière

Pour tendre vers une amélioration globale de la qualité des huiles essentielles comoriennes, il semble nécessaire de progressivement remplacer les cuves en acier galvanisé par des cuves en acier inoxydable. Au-delà de l’aspect qualité, l’investissement dans des cuves inox, bien que beaucoup plus couteux au départ est plus rentable financièrement sur le long terme. À titre d’exemple, un investissement pour une cuve et un chapiteau représente 1 200 000 KMF (2400 euros) pour du matériel inox et 600 000 KMF (1200 euros) pour du galva. Le matériel inox peut durer 15 ans alors que celui en galva devra être changé au bout de 3 ans. A raison d’une centaine de distillation par an, l’amortissement du matériel représente : • 800 KMF (1,6 euros) par distillation, soit 160 euros par an de l’inox ; • 2000 KMF (4 euros) par distillation, soit 400 euros par an pour une cuve en galva.

Il serait intéressant de permettre aux distillateurs de se passer des avances financières qu’ils contractent auprès des collecteurs, pour augmenter leur pouvoir de négociation de leurs huiles.

À ce titre, ID travaille avec les Sanduk (organisme de microfinance implanté en zone rurale à Anjouan) et PlaNet Finance pour mettre au point des produits financiers adaptés à l’investissement et au fonctionnement du fonds de roulement pour les distillateurs.

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Enfin, à la suite des formations à la gestion entrepreneuriale et financière dispensées par le programme FYDAFE, les distillateurs seront appuyés pour créer un plan d’investissement dans leur atelier de distillation : • Foyer amélioré ; • Cuves inox ; • Petit matériel de distillation et de contrôle de la qualité ; • Bassin de stockage de l’eau ; • Séchoir à bois ; • Bassin de décantation des eaux usées et plateforme de compostage ; • Toiture et protection de l’alambic ; • Plateforme ombragés de stockage des fleurs ; • Etc…

Chaque investissement sera dimensionné et chiffré en fonction de l’outil de production du distillateur, puis hiérarchisé en fonction de ses priorités.

6.6 Organisation et structuration

L’appui à l’émergence et le renforcement de structures locales est la principale mission d’ID. Dans le contexte de la filière ylang-ylang anjouanaise, il parait risqué et difficile de s’appuyer sur les structures existantes pour renforcer la structuration de la filière. C’est pourquoi le programme FY-DAFE repartira de la base productive pour structurer progressivement la filière. Il s’agit dans un premier temps de travailler de manière participative avec l’ensemble des acteurs de la filière pour mettre en place une organisation plus fonctionnelle et efficace des activités. C’est à cette unique condition que l’on pourra envisager une structuration sur des modèles socio-économiques adaptés au schéma organisationnel développé par les acteurs eux-mêmes.

Appui organisationnel : • Amélioration de la logistique d’approvisionnement en fleurs grâce à une meilleure organisation collective ; • Mise en place d’un système de paiement incitatif à la qualité pour les fleurs, paiement incitatif à la qualité notamment pour les cueilleuses. • Regroupement des distillateurs autour de la fonction de commercialisation de leurs huiles.

Appui à la structuration de la filière : • Formations aux avantages des structures collectives de types coopératives ; • Travail de réflexion participatif avec les distillateurs et les producteurs sur les intérêts fonctionnels de la démarche collective (approvisionnement en fleurs et vente des huiles) • Mettre en place de petites structures (type groupement informel) fonctionnelles et bien organisées avant de passer à l’échelle coopérative formelle ; • Ne travailler qu’avec des acteurs volontaires pour s’engager dans une démarche collective sans en faire une condition nécessaire pour l’appui du projet.

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