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La lettre www.bief.org Spécial Salon du livre de mars 2007 n° 72

La venue de trente et un auteurs indiens invités au Salon du livre de Paris sommaire est précédée d’un grand intérêt des lecteurs français, voire d’une véritable passion pour leurs titres. Et ce, grâce à la place accordée à la littérature indienne au sein pp. 3-6 : Le marché des maisons d’édition françaises, qu’elles aient fait de la traduction des littératures des droits en Inde du monde une de leur vocation, ou qu’elles consacrent telle ou telle collection à la création littéraire du sous-continent ou de la diaspora. pp. 7-9 : La littérature indienne dans l’édition Au-delà de rendre accessibles les grands classiques de l’Inde, elles témoignent française, panorama d’une politique éditoriale originale, reflet de l’extraordinaire richesse et diversité culturelle et linguistique de la création indienne. Les œuvres, traduites le plus souvent de l’anglais mais aussi de langues indiennes, comme l’hindi, le tamoul, le bengali déclinent des styles, des théma- pp. 10-11 : Les auteurs indiens au Salon du livre tiques et des genres différents. L’« idée de l’Inde », bousculée dans ses clichés, s’en trouve enrichie dans son contenu. pp. 12-13 : L’achat et la vente de droits Mais qu’en est-il de l’idée que se font les éditeurs français de l’édition en Inde ? L’éloignement géo- entre l’Inde et la graphique et la prédominance des acteurs anglo-saxons semble les maintenir à distance d’un marché difficile à pénétrer, comme le montre le nombre très peu élevé et irrégulier de cessions de droits de pp. 13-15 : Entretiens avec traduction de titres français vers ce pays. En même temps, le dynamisme du secteur – le commerce du Bipin Shah (Mapin Publishing) livre s’est beaucoup développé ces dernières années en Inde – leur fait souhaiter un accroissement de ces et avec Naveen Kishore échanges et une diversification des domaines concernés. (Seagull Books) Quand des projets de coopération se concrétisent, ils semblent souvent marqués, dans ce sens-là aussi, pp. 16-17 : L’édition pour au sceau de l’originalité. L’on a là probablement l’une des caractéristiques des échanges éditoriaux entre la jeunesse en Inde les deux pays, une « porte d’entrée » sur ce marché indien, si l’on ne met pas systématiquement en avant tirage et prix de vente, mais aussi affinité éditoriale : les intervenants indiens et français de ce dossier nous p. 18 : La réalité du marché le montrent bien. indien pour un éditeur comme Larousse Comment alors passer d’une ouverture réciproque à une stratégie de programmation de traductions des p. 19 : L’édition en Chindia, deux côtés ? Comment, côté français, découvrir la riche tradition de la recherche en sciences une chimère à deux têtes ? humaines en Inde ? Comment, côté indien, installer des collections de titres français dans la durée ? Autant de matières qui seront débattues, notamment lors des rencontres professionnelles franco- indiennes organisées par le BIEF, avec le soutien de l’ambassade de France, les 20 et 21 mars 2007.

À l’intérieur, le portrait des éditeurs indiens présents aux rencontres professionnelles franco-indiennes, organisées par le BIEF NewLettreDef.qxd:Mise en page 1 16/03/07 11:08 Page 3

Le marché des droits en Inde par V. K. Karthika*

L’Inde ou les Indes ? l’enseignement du hindi et de l’anglais titres par an, l’Inde est aujourd’hui le côte à côte avec la langue de l’État dans troisième plus grand marché du livre Alors que les mots « Inde » et « Indien » lequel l’école est située. De ce fait, une anglophone dans le monde. recouvrent de multiples réalités, il n’existe école à Calcutta enseignera l’anglais, le pas de langue unique appelée « l’indien ». hindi et le bengali. La plupart des enfants L’édition anglophone a donc de Et quand nous parlons de vendre ou et adultes sont au moins bilingues, voire bonnes raisons d’être optimiste quant à d’acheter les droits d’auteurs « indiens », trilingues, et la face visible de l’Inde ses perspectives de croissance. D’un côté, la définition territoriale et linguistique urbaine d’aujourd’hui est une nouvelle la demande de matériel et de manuels peut varier en fonction du contexte. génération de diplômés qui sont d’abord éducatifs en anglais entraîne des tirages Avec une population de plus d’un mil- anglophones. importants et, de l’autre, la classe moyenne liard de personnes, dont 27 % vivent en pleine expansion, dont les revenus dans des villes et des agglomérations, Le 3e plus grand ne cessent d’augmenter, commence à en l’Inde a un taux d’alphabétisation qui ne dépenser une partie dans l’achat de cesse de croître et avoisine actuellement marché du livre livres, de même que dans d’autres pro- les 64 % (chiffre qui a doublé en vingt anglophone duits du marché de la consommation : ans). Avec 50 % de moins de 25 ans, les vêtements de marque, la musique, le l’Inde a aussi une population très jeune. Sur le plan statistique, 5 % seulement de la restaurant et, plus récemment, la techno- C’est pourquoi, au cours des dix der- population indienne fait usage de l’anglais logie, aussi bien pour les téléphones por- nières années, les possibilités d’attirer et pour communiquer, mais cela représente tables que pour les voitures. d’encourager de bonne heure les lecteurs plus de 50 millions de gens. Par ailleurs, Le commerce du livre s’est beaucoup potentiels ont transformé les mécanismes l’anglais reste la langue des études supé- développé ces dernières années grâce à du marché du livre. rieures dans la plupart des universités, l’espace grandissant réservé à la vente au Au total, 114 langues et 1 650 dialectes devenant l’instrument incontournable, détail : des chaînes de librairies ont ouvert sont parlés à travers le pays, parmi les- symbole de progrès et d’ambition pour la assez vite de nouveaux débouchés dans quels le gouvernement indien reconnaît classe moyenne durant ces dernières le métro, ainsi que dans les grandes villes dix-huit langues officielles, qui sont utili- décennies. Cela se traduit par le fait que et les métropoles. Ces nouvelles chaînes, sées par le personnel de l’administration 45 % des livres publiés en Inde le sont en telles que Crossword et Landmark, sont et de l’enseignement. La langue nationale, anglais. Avec une production de 31 000 souvent situées dans de grandes galeries le hindi, est parlée par environ 40 % de la commerciales (un phénomène relative- population globale, principalement dans ment récent qui change la façade archi- le centre et le nord de l’Inde, tandis que tecturale de l’Inde urbaine, pas toujours l’anglais jouit d’un statut associé et, tout en mieux). Précisons néanmoins que, comme le hindi, sert de langue de com- aujourd’hui encore, sur les 30 000 points munication dans la majeure partie de de vente du pays, moins de 50 occupent l’Inde. Parmi les autres langues majeures, un espace supérieur à 450 m2. figurent le bengali, le marathi, le tamoul, le telugu et l’urdu, chacune servant de langue véhiculaire à plus de cinquante De l’importation millions d’individus. La formule tri- à l’édition locale lingue, qui existe dans la plupart des établissements scolaires, se concentre sur De nouvelles chaînes L’édition indienne est une activité dyna- mique et prospère depuis plusieurs de librairies comme Texte de l’intervention de V. K. Karthika décennies déjà, tant en anglais que dans à la 20e Réunion internationale des directeurs Crossword, Landmark les diverses langues régionales. La plu- de droits de la foire de Francfort d’octobre 2006, dont le thème était : « Les complexités ou Oxford se sont part des acteurs majeurs de l’édition mon- du marché en langue anglaise ». développées dans diale y ont établi une base. Par exemple, Nous les remercions ainsi que l’auteur cela fait 19 ans que Penguin a installé un pour leur aimable autorisation à le publier les grandes villes en traduction. bureau et commencé de publier pour le

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marché local. HarperCollins, Orient Le rôle des écrivains Longman, Oxford University Press et un dans la dynamique nouveau venu, Random House, sont parmi les principales maisons d’édition de l’édition indienne anglophones qui ont commencé par importer des titres des États-Unis et de Un facteur a amplement contribué à la Grande-Bretagne et fait, progressivement, richesse de l’édition en Inde : l’obstination la transition vers l’édition locale égale- dont les écrivains ont fait preuve, surtout ment. Des éditeurs d’ouvrages de réfé- ceux établis en dehors du pays, pour avoir rence et universitaires, tels que OUP, Tata des éditions locales qui soient accessibles McGraw-Hill, Pearson Education et Sage aux lecteurs à l’intérieur du pays, et plus Publications publient et introduisent des particulièrement aux étudiants et aux titres sur le marché indien depuis plu- bibliothèques. Les universitaires résidant et sieurs années maintenant, et font, simul- travaillant à l’étranger, principalement aux tanément, des incursions sur le marché U.S.A., et qui sont originaires de l’Inde ou du scolaire, qui est traditionnellement du sud de l’Asie expriment à présent le sous la tutelle d’organismes d’État. désir d’être publiés dans le sous-continent. Une vie moins ordinaire, Quelque 80 % du marché du livre sco- Et de ce fait, ils recherchent activement des coédité par Zubaan et laire, par exemple, qui représente environ éditeurs locaux qui peuvent exploiter la moitié de tout le commerce du livre, leurs livres ou ils signent deux contrats Penguin, est l’un des sont contrôlés par le National Council of de cession distincts, un pour les droits titres à avoir connu Educational Research and Training. pour l’Inde et l’Asie du Sud, l’autre pour les plus fortes ventes Comme les écoles et les universités le reste du monde. Très souvent, les écri- en dehors de l’Inde. acquièrent de l’autonomie, la demande vains préfèrent voir leurs livres lancés en Traduit en France chez pour des manuels d’enseignement adaptés Inde avant qu’ils n’arrivent sur les tables Philippe Picquier se confirme et annonce d’autres change- des libraires à l’étranger. ments à venir. Cependant la fixation du Pour compléter le tableau, il faut men- prix joue ici un rôle majeur. tionner la hiérarchie implicite à l’intérieur du marché anglophone international. Les Pankaj Mishra, qui ont pris la stature de Tandis que les multinationales déploient agents et les éditeurs, pour la majeure stars internationales. Cela provoqua à leurs activités, les plus petits éditeurs partie, n’aiment pas séparer l’Inde du son tour un intérêt nouveau pour l’Inde, continuent de survivre en indépendants, Royaume-Uni et du Commonwealth. Par en tant que producteur et consommateur mais avec beaucoup de succès aussi. Les conséquent, il arrive souvent que les de littérature. Les revenus générés par le éditions féministes, telles que Zubaan, droits pour le sous-continent indien secteur étaient suffisants et les médias Women Unlimited et Srishti, ont une soient combinés avec ceux du Royaume- consacraient suffisamment de place aux présence forte sur le marché, de même Uni et que les livres doivent être importés auteurs indiens écrivant en anglais pour que le secteur jeunesse, à travers des en Inde au lieu d’être publiés sur place, que les éditeurs et les agents se mettent éditeurs comme Tara et Tulika Books. Un en dépit du fait qu’il paraît on ne peut sérieusement en quête d’écrivains de talent des livres à avoir connu les plus fortes plus logique d’avoir une édition locale, en Inde. En même temps, on commen- ventes en dehors de l’Inde, cette année, comportant un prix convenable pour le çait à se rendre compte que le marché provenait de Zubaan qui a publié, en marché local offrait des perspectives inattendues et collaboration avec Penguin, Une Vie En ce qui concerne la vente des livres encore inexplorées : après que Le dieu des moins ordinaire, par Baby Halder. Jusqu’à anglophones, il semble que dans les pre- petits riens, d’Arundhati Roy, eut reçu le présent, les droits pour ce titre ont été miers temps, la plupart des détaillants et Booker Prize (en 1997), l’ouvrage a très vendus pour douze langues. Le marché distributeurs étaient d’abord intéressés vite franchi la barre des 100 000 exem- en Inde est intéressant précisément du par l’importation d’exemplaires de livres plaires. Le tirage moyen d’un titre est fait que le petit et le grand continuent de au succès confirmé. L’édition locale n’était encore de 2 000 exemplaires, mais le coexister et souvent partagent les mêmes pas une priorité. Toutefois, au milieu des dernier « Harry Potter » s’est vendu ins- dispositifs en termes d’édition et de dis- années 1990, quand la roupie a commencé tantanément à 150 000 exemplaires en tribution. Cela facilite aussi la pénétra- à chuter face au dollar, le prix des édition reliée. Ce qui illustre l’écart entre tion d’un plus grand nombre de livres en importations s’est mis à grimper et des les capacités de lecture dans ce pays et la termes d’achat de droits – ouvrages uni- débouchés sont apparus pour des éditions réalité – écart dont on constate chaque versitaires, de non-fiction ou titres cor- indiennes à meilleur marché. année qu’il a tendance à se réduire. respondant à des créneaux spécifiques, C’est alors que l’on vit apparaître le L’établissement des prix, bien qu’encore ils peuvent trouver leur place tant que phénomène des auteurs indiens écrivant extrêmement compétitifs et faibles d’après le sujet abordé est pertinent pour le en anglais, avec Salman Rushdie, Vikram les critères occidentaux, a cessé de peser lecteur indien. Seth, Arundhati Roy, Amitav Ghosh et sur les marges bénéficiaires.

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Les spécificités du lectorat De gauche à droite : Par bien des aspects, l’édition en Inde Urvashi Butalia, Cornelia Zetzsche, reflète les tendances de l’édition en Mandira Sen, Occident. Si vous entrez dans une des LES FEMMES et V. K. Karthika principales librairies de Mumbai (Bombay) © Foire de Francfort ou de Delhi, vous trouverez sur les rayon- DANS L’ÉDITION INDIENNE nages un assortiment de J. K. Rowling, L’invitation d’honneur de l’Inde à la dernière Foire du livre de Francfort a donné lieu à John Grisham et Nora Roberts côte à côte de nombreux débats. avec Who Moved My Cheese et Les hommes Le texte qui suit est un compte rendu du débat « Indian women in the book business », organisé par l’association Bücherfrauen de promotion de littérature féminine, qui s’est viennent de Mars, les femmes viennent de tenu au Centre international des droits. Vénus. Ce qui a changé au cours de ces Intervenantes : Urvashi Butalia (directrice de Zubaan, New Delhi*), V. K. Karthika dernières années, c’est le niveau d’intérêt (managing editor chez Penguin Books , New Delhi**), Mandira Sen (directrice pour la non-fiction généraliste. Par exem- de Street Samya, Calcutta). Modératrice : Cornelia Zetzsche (journaliste culturelle au Bayerischer Rundfunk). ple, un des best-sellers de 2006 a été The Argumentative Indian, d’Amartya Sen ÉCRIRE ET PUBLIER : DEUX FORMES D’ÉMANCIPATION (prix Nobel d’économie en 1998, ndlr) ; L’introduction a porté sur l’immensité de l’Inde, « plus un continent qu’un pays », la multiplicité des langues et le contraste entre les régions, la coexistence non loin derrière, se trouve The World is de la tradition et de la modernité, autant d’éléments qui s’accompagnent d’une Flat, de Thomas Friedman. Le lecteur évolution très contrastée de la situation des femmes. indien moyen paraît être vivement Alors que celle-ci reste très difficile – les femmes sont encore l’objet de violences, de maltraitance –, certaines d’entre elles jouent un rôle de plus en plus important désireux de se documenter sur les tran- dans la vie publique. sitions culturelles et économiques qui placent l’Inde comme un centre de Concernant l’écrit, il y a une longue tradition de femmes écrivains et, pour V. K. Karthika, « ce n’est pas difficile d’être une femme qui publie en Inde, il n’y a progrès. On peut voir un prolongement pas de discrimination dans ce domaine ». Plus réservée sur le sujet, Urvashi Butalia de ce désir de mieux comprendre la déclare que «les femmes travaillant dans l’édition dans les années 70 se comptaient nation et le monde dans le nombre de sur les doigts de la main et n’étaient pas dans le haut de la hiérarchie ». Par ailleurs, les écrits de femmes, devenus depuis une tendance intéressante parce titres publiés dans les domaines des bio- que source de profit aussi, ne retenaient pas l’attention des éditeurs d’alors. graphies, de l’actualité et de la politique. « Ce n’était pas une opposition franche, mais du scepticisme. » L’une des dernières Plusieurs de ces livres ont pour auteur tendances de la production indienne en fiction sont les short stories racontées par des femmes qui n’ont pas été à l’école. D’après Urvashi Butalia toujours, des écrivains résidant en dehors de l’Inde il y aurait aussi en Inde une évolution de l’écriture des femmes qui leur permettrait et ont été publiés avec succès à travers le d’atteindre un lectorat international. monde, dans les régions anglophones de Chez Penguin (la plus importante maison anglophone en Inde), V. K. Karthika rappelle que la maison a choisi de ne pas « isoler » une collection féministe, mais même qu’en Europe et en Asie. La plu- de publier des livres en coédition avec Zubaan, comme par exemple A life less part des maisons d’édition en Inde s’inté- ordinary de Baby Holder, devenu un succès. De l’avis de l’éditrice, les deux maisons ressent principalement aux auteurs ont enrichi leur catalogue sans se faire de concurrence, et l’ouvrage a bénéficié à la fois du lectorat de Penguin, issu plutôt de la classe moyenne active, et indiens écrivant sur leur pays, mais elles des lectrices ciblées mais « très fidèles » de Zubaan. Urvashi Butalia précise achètent aussi les droits d’un bon nombre qu’il n’y a pas en Inde de librairies pour femmes, plutôt des rayons spécialisés. de titres, principalement dans le domaine UN MÉTIER QUI RESTE PRIVILÉGIÉ de l’épanouissement personnel et de la D’après Mandira Sen, les femmes créent en général des maisons d’édition gestion des affaires, de sorte que les édi- indépendantes originales ou peuvent avoir des postes de responsabilité teurs sont constamment en quête de nou- dans des grands groupes. Au-delà de l’opposition entre les sexes, on retrouve l’écart entre les classes sociales de la population. Pour l’éditrice, qui a vécu veaux points de vente. Les droits d’auteur et travaillé à Londres et aux États-Unis, « ce n’est pas un métier visible ailleurs et les à-valoir sont conformes aux que dans les grandes villes, il n’y en a pas au Kerala… C’est une position très normes du secteur. Les droits sont géné- privilégiée, il y a de la résistance ». Les femmes sont d’ailleurs plutôt tenues à l’écart de la foire de Calcutta, alors ralement basés sur le prix de vente au même qu’« il y a une tradition des femmes bengalis qui travaillent dans l’édition ». détail pour une moyenne de 7,5 % pour Les ouvrages inscrits au catalogue de Street Samya cherchent à « explorer l’édition de poche et 10 % pour l’édition ce qui arrive aux femmes et ce qui est dit sur elles » à travers des gender studies et des women studies, étudiant la relation entre les femmes et l’économie, la relation reliée en ce qui concerne les ventes dans entre les castes, la société, la famille, le mariage. Elle publie parfois en anglais des le pays. textes anciens traduits de langues indiennes. Pour élargir le lectorat traditionnel Plusieurs éditeurs indiens ont des de sa maison – universités, institutions –, Mandira Sen commence par ailleurs à publier en bengali. réseaux de distribution actifs à travers tout le sous-continent (y compris l’Inde, L’association Women in Publishing, dont font partie les trois éditrices, regroupe le Pakistan, le Sri Lanka, le Bangladesh et une centaine de membres. Venant de différentes villes, ayant eu différents trajets professionnels, elles organisent des rencontres pour partager leur expérience. le Népal) ; les droits à l’exportation sont Comme elles l’ont fait lors de ce débat. généralement calculés sur les bénéfices Catherine Fel nets et sont plus proches de 6 % (en *Elle est aussi l’un des auteurs présents au Salon du livre. Son ouvrage Les Voix de la partition a été publié chez Actes Sud. **Voir son texte sur le marché des droits en Inde pp. 2-6. mars 2007 • Lalettre 5 NewLettreDef.qxd:Mise en page 1 16/03/07 11:08 Page 6

Le marché non anglophone en Inde offre Des auteurs indiens un nouveau écrivant en anglais, centre d’intérêt comme Salman Rushdie, Vikram Seth, Toutefois, le marché non anglophone Arundhati Roy, offre, de mon point de vue, un nouveau Amitav Ghosh centre d’intérêt qui va ouvrir de vastes perspectives, tant pour l’édition que pour et Pankaj Mishra, les droits. La plupart des éditeurs et des ont pris la stature agents à l’extérieur de l’Inde ont conscience de stars internationales de l’existence d’écrivains anglophones de grande envergure, mais le reste de la scène littéraire indienne leur est invisible. Vikram Seth Quand des traductions des autres langues © Camilla Panufnik - Time Warner Books UK indiennes ont lieu, en italien, en espa- gnol ou dans diverses autres langues, l’anglais est le vecteur, et même les tra- poche) et de 8 % (édition reliée). Les sur le marché ou que vous les ayez ducteurs ne retournent pas nécessaire- maisons d’édition travaillant avec de plus importés, vous pouvez trouver une édi- ment à la langue indienne d’origine. De petits tirages et un prix de détail inférieur tion américaine moins chère, qui se vend même, quand les responsables de droits peuvent ne pas être en position de calculer vite et bien et fera chuter vos chiffres de cherchent à faire des cessions en Inde, ils des avances sur plus de 500 exemplaires, façon spectaculaire. La perte est évaluée ont tendance à se concentrer sur les droits mais cela concernera des ouvrages plus à environ 20 % des ventes totales, en raison en anglais, alors qu’il y a nombre d’édi- spécialisés, plutôt que des livres destinés du piratage, et 50 % pour ce qui est de la teurs en hindi et dans d’autres langues au lecteur courant. La durée de la licence contrefaçon. qui traduisent et publient de la fiction d’exploitation demandée peut varier, elle Généralement, les distributeurs en Inde ainsi que de la non-fiction. Les ambas- est accordée en moyenne pour cinq ans, travaillent sur la base d’une remise de 45 sades et les centres culturels de plusieurs alors que certains éditeurs peuvent opter à 50 % du prix de détail, dont ils réper- gouvernements, surtout en France et de préférence pour un nombre d’exem- cutent 35 % au détaillant. La plupart des en Allemagne, apportent une aide active plaires précis. En accordant un droit éditeurs appliquent un plafond sur le à la traduction et à la publication d’édi- d’exploitation à des éditeurs au Pakistan, nombre des retours, pouvant ainsi mieux tions indiennes, en particulier pour les par exemple, nous signons couramment contrôler le tirage et la quantité des œuvres de leurs principaux écrivains et pour une vente de 500 exemplaires stocks. UBS, India Book House et India universitaires. renouvelables, entraînant une nouvelle Book Depot sont trois des plus grands Si on regarde la liste des titres prove- avance en cas de réimpression. distributeurs à travers le sous-continent, nant de l’Inde et publiés dans différentes qui représentent la majorité des maisons régions du monde, ou ce qui est publié Bien que l’Inde soit signataire de d’édition ; Rupa & Co est non seulement en Inde en provenance de l’étranger, la convention de Berne et participe à un distributeur mais aussi un éditeur à l’image qui se dessine est celle d’une l’Organisation Mondiale du Commerce, la succès à part entière. scène littéraire vibrante, avec de vastes violation du droit d’auteur a été et reste Une des particularités, si on compare ressources et un potentiel inexploité, au aujourd’hui encore une zone grise non l’édition indienne à celle des autres moins sur le plan international. Elle par- négligeable. D’un côté, on peut se pro- régions anglophones, est l’absence de ticipe à l’économie indienne dans son curer des exemplaires bon marché de grandes agences littéraires. Quelques ensemble, alors que celle-ci passe à la pratiquement tous les best-sellers sur les petites agences existent, mais la plupart vitesse supérieure et que le gouverne- trottoirs de la plupart des villes et des des éditeurs se voient soumettre directe- ment ouvre de vastes avenues pour favo- cités, et, de l’autre, le problème des édi- ment les manuscrits par les auteurs et les riser une collaboration à tous les niveaux tions illégales en librairie signifie que les acquisitions sont souvent une question du monde des affaires. éditeurs indiens ne cessent de se battre de collaboration entre éditeurs et écri- Ainsi, sous quelque forme que ce soit, pour protéger leurs droits. Par exemple, vains. Les directeurs des droits étrangers c’est le moment pour vous de découvrir acheter les droits indiens pour un titre en désireux de vendre les droits en Inde l’Inde et de travailler avec elle. Grande-Bretagne n’est en aucun cas une peuvent donc adresser directement les garantie d’exclusivité. Avant même que éléments aux éditeurs et savoir qu’ils Traduction : Édith Ochs vous ayez fait parvenir vos exemplaires seront lus sans passer par l’intermé- *Au moment de la rédaction de ce texte, diaire d’un agent. V.K. Karthika était directrice éditoriale chez Penguin. Elle excerce maintenant cette fonction chez HarperCollins Publishers, India. 6 Lalettre • mars 2007 NewLettreDef.qxd:Mise en page 1 16/03/07 11:08 Page 7

La littérature indienne se « déterritorialise » et se décline au imbroglio géographique et culturel où l’Inde était à la fois lieu pluriel, à en juger par la richesse et l’extraordinaire originalité de vie, terre d’exil et « patrie imaginaire », ont reçu de presti- de la production actuelle au sein des maisons d’édition françaises. gieux prix littéraires (prix Nobel, Booker Prize) qui les ont fait Si l’anglais reste sans conteste la langue de médiation pour bon connaître dans leur propre pays et à l’étranger. nombre d’écrivains indiens sur le marché français, cette langue Mais l’Inde, par son histoire présente et passée, reste encore connaît de multiples transformations au contact des cultures peu connue des mentalités françaises, bien que nombre d’édi- indiennes, anglaise et maintenant américaine. Il est d’ailleurs teurs français aient choisi de donner la parole à des sociologues difficile, voire impossible, d’englober la production littéraire et des journalistes pour évoquer les contrastes et les paradoxes d’un seul regard tant les styles, les thématiques et les genres d’un pays en pleine mutation. Le Seuil publie deux essayistes qui divergent d’un auteur à l’autre : avec 19 langues officielles et écrivent en anglais et vivent encore dans leur pays : Shashi 120 dialectes régionaux, les choix en matière d’édition s’avèrent Tharoor (L’Inde, d’un millénaire à l’autre, 1947-2007) ou Sudhir compliqués. Et si l’anglais ne devrait plus avoir la primauté, il Kakar (Les Indiens : portrait d’un peuple) réfléchissent aux choix reste encore la langue de prédilection, comme le remarque politiques, économiques et religieux de leur pays. Pavan K. David Davidar, directeur des éditions Penguin-India, car « (…) Varma, dans Le Défi indien, ou Urvashi Butalia, avec Les Voix de les librairies anglaises sont plus nombreuses et (…) le pouvoir la partition (tous deux chez Actes Sud, « Lettres indiennes », d’achat des lecteurs anglophones tend à être supérieur1 ». L’anglais traduits de l’anglais-Inde), se penchent sur les contradictions de permet aussi à l’éditeur français d’avoir un accès direct au texte la société indienne actuelle et s’interrogent sur les consé- et de se passer du jugement littéraire du traducteur, comme le quences de la partition Inde/Pakistan. Les Belles Lettres propo- constate Jean-Claude Perrier, directeur de « Domaine indien » sent également, dans leur collection « La voix de l’Inde », au Cherche-Midi. Comment donc sélectionner des œuvres quelques titres écrits par des écrivains étrangers pour tenter indiennes pour un public étranger ? Quelles langues privilégier ? d’appréhender l’histoire de ce pays méconnu : L’Inde et l’invasion Les auteurs indiens doivent-il automatiquement passer par de de nulle part de M. Danino ou Pourquoi j’ai tué Gandhi de K. grandes capitales littéraires comme Londres, New York, voire Elst. Enfin, les éditions Noir sur Blanc publient une série d’es- Paris pour exister sur la scène littéraire mondiale ? sais dont le plus original est certainement celui du journaliste LA LITTÉRATURE INDIENNE DANS L’ÉDITION FRANÇAISE, PANORAMA par Éloïse Brezault

L’Inde, cette gigantesque démocratie, compte quelque 16000 Suketu Metha, Bombay Maximum city, qui a fait un remarquable maisons d’édition qui ont publié, à elles seules, plus de 80 000 travail d’investigation sur la ville de son enfance devenue méga- œuvres en 2005, constataient les organisateurs de la Frankfurt pole de la pègre, de la prostitution et de Bollywood… Book Fair, qui avaient fait de l’Inde leur invitée d’honneur en Mais au-delà de ces essayistes, qui donc connaît l’œuvre d’écri- 2006. Le marché potentiel est donc énorme, puisque le pays vains tout aussi prolixes et actuels que Chaudhuri, Vakil, occupe le 3e rang mondial derrière les États-Unis et la Grande- Mukundan, Tyrewala, Halder, Tejpal, Chatterjee, Rau Badami, Bretagne en matière de publications en langue anglaise. Quels Seally, Bajwa,…? Leur écriture tantôt jubilatoire et drôle (Les visages les éditeurs français nous laissent-ils donc apercevoir de après-midi d’un fonctionnaire déjanté de Chatterjee – Laffont), cette production littéraire ? émouvante ou nostalgique (Un bonheur en lambeaux de Verma – Actes Sud), vindicative et engagée (Une vie moins ordinaire de Une production encore méconnue, Halder chez Picquier ou Sangat de Bama à l’Aube), sensuelle et mais exhaustive depuis quelques années déroutante (Loin de Chandigarh de Tejpal – Buchet-Chastel) ne Cette littérature explose dans les années 2000 et vient demande pourtant qu’à transporter le lecteur dans un imaginaire renouveler le paysage des années 1980, où émergeaient des fourmillant qui fait de l’Inde le miroir de toutes les cristallisations : consciences de quelques lecteurs plus assidus des auteurs de

renom comme Rushdie, Desai, Naipaul, Tagore, ou même 1. Propos tirés du Monde des livres du 22 novembre 2002, Gosh. Ces écrivains, qui ont construit leur œuvre dans un consacré aux Belles étrangères – Inde, p. 11.

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de collection qui défrichent le terrain depuis plus de dix ans maintenant. Les éditions Caractères, ouvertes au dialogue des cultures et à la création contemporaine, permettent de redécou- vrir, avec Vaid, un auteur majeur de la langue hindi (Lila), tan- dis que d’autres éditeurs ne se sont ouverts que récemment à la littérature indienne : Philippe Rey donne la parole à deux femmes écrivant depuis le Canada (Vancouver), Badami (Entends-tu l’oiseau de nuit ?) et Irani (Le Chant de la cité sans tristesse). Les Éditions des deux terres offrent à la curiosité du lecteur Le Vendeur de Sari, de Rupa Bajwa (sur la société indienne et ses injustices), et s’apprêtent à publier La Perte en héritage, de Kiran Desai (Booker Prize 2006, fille d’Anita Desai). On pense aussi à Héloïse d’Ormesson avec Babyji, de Dawesar, ou Flammarion avec Tous ces silences entre nous, d’Umrigar… La production littéraire indienne se décline donc en France dans toutes les langues, de l’essai au roman, en passant par le récit de vie, la littérature de jeunesse (Bhajju Shyam chez Syros, Un des titres de la collection Ravi Shankar chez Actes Sud junior, Divakaruni chez Picquier « Lettres Indiennes » jeunesse) et même la bande dessinée (Banerjee avec Calcutta, dirigée par Rajesh Sharma chez Denoël). aux éditions Actes Sud Des passeurs de culture Donc si certaines maisons d’édition parient sur l’assimilation à un champ donné, d’autres misent sur la différence en valori- acculturation et difficulté de concilier l’Inde et l’Occident, condi- sant la découverte d’une culture encore méconnue du grand tions des femmes et des minorités dans un pays en proie au regard public, comme les éditions Picquier, qui offrent une découverte de l’autre, inégalités sociales au sein d’une ville tentaculaire, de l’Asie à travers des récits actuels et tous écrits en anglais, rapports hommes/femmes, histoire d’un pays traversé par la colo- dans le cas des écrivains indiens : Question de temps de nisation et l’indépendance, conflits religieux entre musulmans et Deshpande, Freedom song de Chaudhuri, Mariage arrangé de hindous, etc. Seul peut-être le dernier roman d’Anita Desai, Divakaruni… Et si Baby Halder, femme au destin peu commun, Un parcours en zigzag, oublie complètement l’Inde et revisite a écrit son récit en bengali, c’est par la traduction anglaise qu’on l’histoire du Mexique à travers des destinées individuelles. la connaît en France (Une vie moins ordinaire). L’Asiathèque offre des ouvrages de référence sur les cultures du monde, à La production littéraire indienne se décline partir de traductions ou d’ouvrages bilingues français/bengali en France à partir de toutes les langues comme La Descente du Gange de Bhattacharya, parabole sur le Sur la scène littéraire française, les écrivains indiens s’inscri- devenir de la planète. vent dans des collections généralistes consacrées à la littérature D’autres maisons d’édition ont créé des collections consa- étrangère, où l’anglais (Inde et diaspora) côtoie indifféremment crées à la découverte de l’Inde : Gallimard, avec « Connaissance les langues indiennes. Gallimard, avec « Du Monde entier », de l’Orient », dans la « série Indienne » ou L’Harmattan, avec les publie quelques grands noms indiens actuels comme Arundhaty « Lettres asiatiques », qui propose des récits traduits de l’hindi Roy (Le Dieu des petits riens, anglais : Inde), Saraogi (Kali- et du bengali. « La voix de l’Inde » dirigée par François Gautier Katha, hindi), Raj Kamal Jha (Le couvre-lit bleu, anglais : Inde, chez les Belles Lettres, offre, depuis 2005, un mélange d’essais États-Unis), Bhattacharya (Le Danseur de cour, bengali), entre et de textes classiques (Hanuman ou le chemin du Vent, récit épique autres. Le Mercure de France propose des écrivains indiens sur les dieux hindous adapté du sanskrit ; Devdas, du célèbre écrivant en anglais depuis l’Inde ou les États-Unis, dans sa col- Chandra Chatterjee, traduit du bengali et publié en 1917…) lection « Bibliothèque étrangère » : Jour de pluie à Madras de Ali écrits par des écrivains indiens et étrangers. Actes Sud, avec [anglais : États-Unis], Dans les rues de Bombay de Pastonji « Lettres indiennes », dirigée par Rajesh Sharma*, veut amener [anglais : Inde], etc. ; de même que Fayard propose des pre- le lecteur français à découvrir les grands noms de la littérature miers romans d’Anglo-Indiens, avec Le Dernier Rire du moteur de l’Inde ou de sa diaspora par des romans et des essais traduits d’avion (Joshi Rushir) ou Trotter Nama (Allan Seally)… Vaiju aussi bien de l’anglais que de l’hindi, du bengali, du malayalam, Naravane, éditrice en littérature étrangère chez Fayard, passée etc. Rajesh Sharma compte à son catalogue une mosaïque de depuis chez Albin Michel, a contribué à faire connaître des auteurs textes modernes qui donnent de l’Inde des visions différentes comme Seth ou Jadhav. La topographie du paysage littéraire *Voir entretien dans La Lettre 67, juillet - août 2005 indien en France se modifie donc au gré des choix des directeurs ou voir l’entretien avec Marc Parent dans La Lettre 70, juillet - août 2006

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mais complémentaires : il publie des auteurs engagés comme Mashweta Devi, traduite pour la prmière fois en français en 2001 alors qu’elle écrit en bengali depuis les années 1970 (La Mère du 1084). Il vient d’éditer un premier roman drôle, et d’une construction très originale, d’Altaf Tyrewala, Aucun dieu en vue et il sortira, à la fin de l’année, un essai de Mira Kandar qui vit à New York, Planet India… Rajesh Sharma est un passionné, qui défriche cette littérature depuis longtemps pour le plus grand plaisir des lecteurs français. Le Cherche-Midi, avec son « Domaine indien », dirigé par Jean-Claude Perrier, innove éga- lement, en proposant depuis 2002 des romans publiés en Inde et achetés directement aux éditeurs indiens, sans transiter par des agents littéraires ou des éditeurs anglo-saxons. Il s’agit de « favo- riser le contact direct entre éditeurs français et indiens, afin de découvrir des auteurs indiens vivant en Inde et rendant compte de la réalité de leur pays », nous confie le directeur de collection.

Le rôle de Paris Bien que certains éditeurs misent sur l’actualité littéraire du Salon et proposent quelques auteurs indiens à leur catalogue, la majorité parie, au contraire, sur un travail de longue haleine, avec la publication de jeunes auteurs qu’ils s’attachent à suivre tout au long de leur carrière littéraire : Tejpal chez Buchet-Chastel, Hazra ou Swaminathan au Cherche-Midi, Tyrewala chez Actes Sud, Chaudhuri ou Deshpende chez Picquier… Les éditeurs parisiens sont aidés en cela par les collections de poches, qui travaillent de plus en plus de concert avec eux, comme le constate Jean-Claude Perrier : si les éditions Seuil, collection « Points », ne lui avaient pas signalé qu’elles recherchaient des romans policiers indiens, il lui aurait été plus difficile de publier la nouvelle série de Swaminathan (dont Saveurs assassines est le premier opus). Paris devient donc un passage incontournable ou, du moins, un tremplin pour permettre aux auteurs indiens de se faire connaître en Europe. Quand Rajesh Sharma publie M. Devi

en 2001, les éditeurs italiens et allemands se sont empressés Le succès en France de certains d’en acquérir les droits ; et quand il achète Le Défi indien de auteurs indiens permet leur publication Varma à un agent anglais, « le livre est un tel succès », nous dans une éition de poche confie-t-il, que l’agent vend le texte à sept autres pays euro- péens. La Chambre des parfums de Badhwar (prix du premier roman étranger), nous disait Jean-Claude Perrier, est sorti en France avant même d’arriver en Angleterre ou aux États-Unis. Buchet-Chastel vient d’acquérir les droits mondiaux du deuxième roman de Tejpal, après le succès de Loin de Chandighar. Les éditeurs français reçoivent parfois les manuscrits anglais avant qu’ils ne sortent en Inde : c’est ce qui s’est passé avec Indrajit Hazra (Le Jardin des délices) au Cherche-Midi ou Mira Kandar chez Actes Sud (Planet India). Paris, qui multiplie les manifesta- tions consacrées à l’Inde (festival Étonnants Voyageurs de Saint- Malo, Lille 3000…), participe de plus en plus activement à cette nouvelle topographie de la littérature indienne, bien qu’il reste Les éditeurs français publient encore beaucoup d’auteurs à découvrir. aussi bien des classiques de la littérature indienne Éloïse Brezault, comme le Mahabaharata journaliste, spécialiste de littératures comparées (Seuil) que des auteurs récents comme Upamanyu Chatterjee (Laffont) ou Sashi Deshpande (Picquier)

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LES AUTEURSIND I ous les ans, les ministères de la Culture et de la Communication au Salon du livre Tet des Affaires étrangères s’associent avec leur partenaire à l’honneur pour inviter des écrivains au Salon du livre de Paris. D.R. Cette année, pour les Lettres indiennes, ce sont 31 écrivains qui viendront D.R. à la rencontre du public. Si la plupart vivent en Inde, d’autres résident à l’étranger (Grande-Bretagne, États-Unis ou Canada). Si la majorité d’entre eux écrivent en anglais, près d’un tiers écrivent dans une langue indienne (kannada, malayalam, hindi et ourdou). Avec l’ambassade de France de New Delhi, la Sahitya Akademi et l’Indian Council for Cultural Relations en Inde, le Centre national du livre, accompagné de Dominique Irène Vitalyos (conseiller littéraire pour les Lettres indiennes), coordonne et organise le programme des rencontres avec les écrivains indiens invités. Ainsi, 31 « Une heure avec » permettront de découvrir plus intimement chacun des écrivains présents et son œuvre ; elles seront suivies de signatures- dédicaces dans la librairie du Pavillon d’honneur. D’autre part, une série de tables rondes seront autant d’occasions pour présenter la richesse et la diversité des littératures indiennes. Abha DAWESAR Enfin, d’autres rencontres se dérouleront en dehors du Salon, notamment dans des bibliothèques de la Ville de Paris.

Le programme complet des rencontres, ainsi que les biobibliographies des D.R. auteurs invités, est disponible sur le Salon et sur le site du Centre national du livre : www.centrenationaldulivre.fr D.R.

« l’Idée de l’Inde*» Depuis la vision qu’en eut Jawaharlal Nehru dans La découverte de l’Inde, elle n’a cessé de s’imposer comme celle d’une démocratie viable et intelligente. Pourtant, considérer et gouverner l’Inde comme un tout, réseau irrigué d’in- nombrables capillaires véhiculant un fluide vital commun, est un défi constant à l’esprit de classification et de hiérarchie, que le colonialisme ne fit rien pour tempérer. Sudhir et Katharina Kakar ont beau tracer le portrait d’un peuple et définir les contours de l’ « indianité », donnée psychoculturelle fondée sur Kakar SUDHIR l’héritage de la civilisation hindoue de l’Inde ancienne, la question d’une identité commune établie sur ces bases rebondit au gré des insatisfactions

editions liana Levi Ett profondes. Mais, forte de son histoire, la nation tient bon, même si, vue sous certains angles, elle semble se démultiplier en cellules apparemment D.R. autonomes. Même si le discours sur l’unité semble parfois se fonder sur des apparences ou des abstractions. Entre ces deux berges, garant d’un flux qui s’oppose à toute rupture, coule le fleuve peu tranquille de la diversité et du métissage, transportant l’eau la plus riche qui soit en éléments nutritifs. S’il est un point de vue dynamique de la réalité indienne, c’est là qu’on peut le découvrir. Regarder écrire Amit Chaudhuri, par exemple, et contempler la diversité intégrée d’un auteur profondément bengali par l’esprit et l’héritage, vivant en Inde, qui a choisi la langue anglaise, mais dont l’écriture toute de délicatesse ne cède en rien à Ishrat Syed l’intensité qui caractérise la tendance contemporaine. Voir, à l’inverse, U. R. Ananthamurthy, qui étudia aux États-Unis et fut professeur d’anglais dans diverses universités indiennes, écrire délibérément et, depuis toujours, Deshpande SHASHI Kalpana SWAMINATHAN dans sa langue, le kannada, au plus près de l’héritage culturel dont il met pour- tant en question, sans la moindre indulgence, les aspects traditionnels iniques. Voir de jeunes auteurs tel Maithyl Radhakrishnan, encore trop rares et peu connus, mais assurés de leur cap : écrire le monde entier, actuel, futur, dans leur Les 31 auteurs indiens langue maternelle (ici, le malayalam), afin que lui soit faite, ainsi qu’à ses locuteurs, invités au Salon du livre de Paris D.R. une place qu’ils reconnaissent pour leur. Voir encore Arundathi Roy exprimer pour la première fois en Inde l’individu féminin autonome dans un anglais réinventé, M. U.R. Ananthamurthy Mme Alka Saraogi sculpté, « humorisé » aux sonorités de sa langue maternelle, et nous inviter à Mme Rupa Bajwa M. K. Satchidanandan revenir au dictionnaire pour vérifier qu’« individualisme » peut signifier autre chose M. Sarnath Banerjee M. A.M.K. Shahryar Mme Urvashi Butalia M. Etteth Ravi Shankar que cet isolat d’égoïsme avec lequel on le confond souvent. M. Upamanyu Chatterjee M. I. Allan Sealy Dès lors, anglais ou langue indienne, faut-il vraiment tracer une frontière ? M. Amit Chaudhuri M. Vikram Seth Et où ? Arundathi Roy, à la question : « Êtes-vous gênée d’écrire en anglais ? Mme Abha Dawesar M. Bhajju Shyam (la langue du colonisateur) », répondait : « La langue est en quelque sorte la peau Mme Shashi Deshpande Mme Kalpana Swaminathan de mon cœur et, en tant qu’écrivain, c’est moi qui la gouverne et non l’inverse. » Mme Githa Hariharan M. Tarun Tejpal M. Mushirul Hasan M. Shashi Tharoor Extrait de la présentation des littératures indiennes M. Ruchir Joshi M. Altaf Tyrewala de Dominique Vitalyos pour le C.N.L. M. Sudhir Kakar M. Krishna Baldev Vaid M. Sunil Khilnani M. Udayan Vajpeyi Nous la remercions pour son autorisation à le reproduire. M. Gopi Chand Narang M. Pavan K. Varma *Sinul Khilnani, l’Idée de l’Inde, Mme Anita Rau Badami M. M.T. Vasudevan Nair 104 Lalettre • mars 2007 traduit par Odile Demange, éd Fayard, 2004 Mme Lavanya Sankaran NewLettreDef.qxd:Mise en page 1 16/03/07 11:08 Page 11

Programme des tables rondes organisées par LES ACTIVITÉS DU BUREAU DU LIVRE le Centre national du livre DE L’AMBASSADE DE FRANCE EN INDE avec l’ambassade de France de New Delhi, La fonction du Bureau du livre est de promouvoir la Sahitya Akademi la littérature française en Inde, et d’initier des D IENS INVITÉS et l’Indian Council collaborations dans le domaine littéraire, mais aussi for Cultural Relations en Inde du livre, entre la France et l’Inde. C’est à ce titre qu’il invite, conjointement avec ivre de Paris le BIEF, dix-huit éditeurs indiens à participer aux rencontres professionnelles du 20 et 21 mars.

D.R. Vendredi 23 mars 19h 30 à 21h 30 - Salle René Char Par ailleurs, de nombreux outils ont été développés : Disparus mais vivants – adda (réunion informelle PROGRAMME TAGORE : AIDE À LA PUBLICATION D’OUVRAGES traditionnelle d’intellectuels à Calcutta) FRANÇAIS ET À LA TRADUCTION Nos invités nous parlent de grands auteurs Le Bureau du livre tente de promouvoir la littérature indiens disparus : française en s’associant avec des éditeurs indiens, afin O.V. Vijayan et Vaikom Muhammad Basheer, d’encourager la publication d’œuvres françaises, en anglais avec M.T. Vasudevan Nair et K. Satchidanandan, et en langues indiennes. présentés par Dominique Irène Vitalyos (malayalam) ; Le Bureau du livre privilégie le soutien apporté à la Premchand, Nirmal Verma, Jainendra Kumar et constitution de collections en collaboration avec les éditeurs. Bisham Sahni, avec K.B. Vaid et Alka Saraogi, Le Bureau du Livre s’engage à financer l’achat des droits, Altaf TYREWALA présentés par Annie Montaut (hindi) ; ainsi que l’achat de la traduction anglaise pour les publica- Rabindranath Tagore, Bankim Chandra tions en anglais, ou le paiement du traducteur pour les Chatterji, Sarat Chandra Chatterji traductions en langues indiennes. et Lokenath Bhattacharya, avec Vikram Seth Le Bureau du Livre est chargé de la promotion des ouvrages, et Amit Chaudhuri, présentés par avec les éditeurs. France Bhattacharya (bengali). Githa HARIHARAN Samedi 24 mars Jusqu’alors, quelques collections ont été initiées : En anglais 13h 30 à 15h - Salle Tagore • Rupa France, chez Rupa : littérature française La Ville-Personnage • Penguin France, chez Penguin India : sciences humaines Avec Rupa Bajwa, Sarnath Banerjee, et sociales (en suspens) Upamanyu Chatterjee, Lavanya Sankaran, • French Looking Glass, chez MacMillan : arrêtée Altaf Tyrewala et K.B Vaid • Sans nom encore, chez Zubaan : essais par et sur les femmes Table ronde animée par Gérard Meudal • Seagull : non-fiction 15h 30 à 17h - Salle Tagore • Srishti : classiques libres de droit Les femmes dans la tourmente Avec Urvashi Butalia, Abha Dawesar, En hindi Shashi Deshpande, Sudhir Kakar, • Rajkamal Prakashan : littérature française Anita Rau Badami et Vikram Seth En bengali Table ronde animée par Pascal Jourdana • Purple Peacock Book : littérature française 17h30 à 19h - Salle Tagore À venir Protester • Éssais politiques chez Natraj Publishers Avec U.R. Ananthamurthy, Amit Chaudhuri, • Poésie et nouvelles chez Yatra Books (hindi, ourdou, Githa Hariharan, Indrajit Hazra, Tarun Tejpal

Pradip Krishen bengali). Rupa BAJWA et Altaf Tyrewala Table ronde animée par Tirthankar Chanda Le Bureau du livre en Inde a, depuis sa création (10 ans), Etteth RAVI SHANKAR Dimanche 25 mars aidé à la publication d’environ 200 ouvrages. PLAN TRADUIRE 15h 30 à 17h - Salle Tagore Programme débuté mi 2006, lancé par CulturesFrance et India Today and Tomorrow. le MAE, qui consiste en la traduction d’ouvrages de l’(ex-) L’Inde d’aujourd’hui et de demain : ADPF en anglais, par des traducteurs indiens, dont le but est David Levenson perspectives. de soutenir ces derniers. Avec Gurcharan Das, Mushirul Hasan, Sudhir Kakar, Sunil Khilnani, Shashi Tharoor PROMOTION DE LA LITTÉRATURE ET DE LA PENSÉE FRANÇAISES et Pavan K. Varma. Le Bureau du livre s’engage à favoriser les rencontres entre Table ronde animée par Vaiju Naravane auteurs et professionnels du livre français et indiens. 17h30 à 19h - Salle Tagore Il organise la venue d’une dizaine d’auteurs et professionnels Traduire, publier les langues indiennes du livre français par an, en Inde. Ces missions sont Avec U.R. Ananthamurthy, Urvashi Butalia, prévues dans le cadre de la parution d’un livre, de congrès, Gopi Chand Narang, Udayan Vajpeyi séminaires, ou encore foires du livre. N et M.T. Vasudevan Nair Elles encouragent la rencontre des auteurs français avec Table ronde animée par Rajesh Sharma un public indien potentiel. Ruchir JOSHI Parallèlement, le Bureau du livre invite des professionnels Mardi 27 mars du livre indiens en France, afin qu’ils participent à des événements, des rencontres, des festivals. 15h 30 à 17h - Salle Tagore L’Histoire dans les histoires PARTICIPATION AUX FOIRES ET SALONS

D.R. Avec Githa Hariharan, Mushirul Hasan, Le Bureau du livre est chargé particulièrement d’assurer Ruchir Joshi, Anita Rau Badami, Alka Saraogi, une présence française lors d’événements littéraires indiens I. Allan Sealy (Foire du livre de Calcutta, Foire du livre de Delhi, festivals Table ronde animée par Dominique Irène Vitalyos littéraires de Bombay…). Il y participe donc en y envoyant 17h 30 à 19h - Salle Tagore des auteurs invités, ou en présentant les livres dont il a L’écrivain journaliste : les moyens pour tout dire ? soutenu la publication. Avec Urvashi Butalia, Gurcharan Das, Ruchir Joshi, Parallèlement, il se donne pour mission de faire participer Etteth Ravi Shankar et M.T. Vasudevan Nair les professionnels du livre indiens à des Salons du livre Table ronde animée par Natalie Levisalles français (Paris, Angoulême…), festivals du livre (Saint-Malo), 19h 30 à 21h - Salle Tagore de la traduction (Assises d’Arles), événements ponctuels Formes de l’œuvre, formes à l’œuvre. (Lille 3000), etc. De l’importance du genre : roman graphique ou Par ailleurs, le Bureau du Livre se doit de promouvoir les Sankaran LAVANYA policier, poésie, chronique, voire dictionnaire... événements littéraires français du calendrier tels que Lire Avec Sarnath Banerjee, K. Satchidanandan, en fête, le Printemps des Poètes, ou encore la francophonie… I. Allan Sealy, A.M.K. Shahryar, Kalpana Swaminathan et Udayan Vajpeyi Responsable: Célia Vaudaine Table ronde animée par Alok Nandi mars 2007 • Lalettre 11 NewLettreDef.qxd:Mise en page 1 16/03/07 11:08 Page 12

L’ACHAT Seghers/Julliard, Dargaud, La Martinière, publiés, plus encore en littérature générale. OCDE/OECD, Lavoisier Tec et Doc, QUAE À cet égard, les aides apportées pour (ex-INRA), Belin. soutenir d’une façon générale les traduc- ET LA VENTE Avec 22 titres cédés, la littérature est le tions, en anglais ou en langues indiennes, premier domaine des cessions depuis sont particulièrement appréciées (voir DE DROITS les 5 dernières années, suivie de la BD page 11), ainsi que des initiatives, comme (20 titres dont 19 proviennent de chez par exemple celle de l’Allliance française ENTRE LES Dargaud), du STM (13 titres), du domaine de Madras pour favoriser la traduction vers Actualités, documents et biographies le tamoul (voir encadré ci-dessous). (6 titres). Seulement 2 titres dans le Et si les échanges avec l’Inde restent per- ÉDITEURS domaine du pratique, 1 en sciences çus « à la marge » – « nous ne travaillons pas humaines et sociales, 1 en art/photo. avec ce pays, mis à part quelques titres » –, FRANÇAIS Les éditeurs cessionnaires sont les édi- constate-t-on chez Minuit, la curiosité est teurs dont la notoriété est installée de grande de connaître mieux ce marché du ET INDIENS longue date. De même, les Indiens s’intéres- livre indien dans sa pluralité. « Un déve- sent, dans la littérature, aux « grands loppement serait bienvenu, notamment auteurs », comme le rappelle Maÿlis pour les traductions en hindi », souhaite Des échanges Vauterin (Maalouf et Fernandez pour Fabienne Roussel, responsable des droits Grasset), aux « classiques du fonds », chez Stock, confirmant que le marché non à développer comme le relève Anne-Solange Noble anglophone en Inde offre un nouveau (Ionesco, Breton, Sartre, Giono, Malraux), centre d’intérêt. Beckett, Duras, aux éditions de Minuit, entre Les données chiffrées 2001-2005 autres. Les achats : la passion pour l’Inde Les statistiques extérieures établies par la des lecteurs français Centrale de l’Édition et le SNE indiquent, Contrairement à une affirmation fré- Les éditeurs à avoir acquis les droits de pour les échanges de droits avec l’Inde quente, la répartition par langue – 29 titres traductions de livres publiés en Inde sont sur les 5 dernières années, au total 65 cédés vers l’anglais, 19 vers l’hindi, 11 vers Gallimard, Gallimard jeunesse, Actes sud, titres cédés par 14 éditeurs français et 39 le tamoul, 6 vers le bengali – montre que Stock, Fayard, Seuil, Mercure de France, titres achetés par 11 éditeurs français, l’anglais n’est pas un passage obligé pour Nathan, La Découverte, Les Belles-Lettres, répartis par année de la manière suivante : ces cessions, sauf pour le secteur STM, Citadelles et Mazenod. en 2001, 18 cessions, 2 achats ; en 2002, où la langue anglaise garde son statut D’autres éditeurs, dont l’activité de 2 cessions, 8 achats ; en 2003, 15 cessions, de langue d’accès au savoir. « Dans des découverte et de traduction d’auteurs 13 achats ; en 2004, 11 cessions, 4 achats ; domaines de publication scientifique et indiens est importante, n’apparaissent pas en 2005, 19 cessions, 12 achats. technique souvent de haut niveau, les dans ces statistiques pour la raison évoquée Même en prenant en compte la part cessions se font en anglais », ainsi que le plus haut (on pense par exemple à Picquier, des éditeurs concernés par ces échanges rappelle Christiane Colon des éditions au Cherche Midi, à l’Asiathèque, à Philippe qui n’ont pas répondu, on constate que Quae (ex-INRA). Rey, à Parenthèse,…) ; ils sont mentionnés ceux-ci sont peu développés et irréguliers. Il faut savoir qu’en Inde, même si elle dans le panorama sur la littérature indienne Sur les cinq dernières années, ils ont tou- n’est parfaitement maîtrisée que par moins dans l’édition française (pp. 7-9) tefois connu une augmentation en volume de 5 % de la population, l’anglais demeure De 2001 à 2005, sur les 39 titres dont global de titres (cessions et achats). la principale langue d’édition : 40 % des titres les droits ont été achetés à des éditeurs « Reflet de la situation économique », selon Anne-Solange Noble, responsable des droits chez Gallimard, « difficulté de cellule de traduction vendre les droits aux Indiens pour la langue de l’Alliance Française de Madras anglaise », pour Maÿlis Vauterin, respon- Créée en 1991, la cellule de traduction de l’Alliance Française de Madras est com- sable des cessions pour l’Inde chez Grasset, posée de vingt professeurs de l’Alliance Française, titulaires de diplômes univer- commentaires de quelques éditeurs qui ont sitaires français en français Langue Étrangère, et qui ont tous suivi une formation répondu à notre questionnaire sur les de traducteur. Pour la plupart, l’anglais est leur langue maternelle. La cellule de traduction s’est spécialisée dans la traduction technique et scienti- échanges de droits avec l’Inde. fique et compte parmi ses clients de grandes entreprises françaises et indiennes. En outre, la cellule de traduction collabore régulièrement depuis 2003 avec Les cessions : pas de stratégie l’IRASEC (Institut de Recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine), implanté à Bangkok en Thaïlande : plusieurs ouvrages de recherche et divers articles de leur site précise de part et d’autre web ont été traduits du français vers l’anglais. Les éditeurs français à avoir cédé des droits En marge de cette activité, la cellule de traduction a de traductions de leurs titres vers l’Inde développé un secteur de traduction littéraire du fran- çais vers le tamoul. Parmi les derniers travaux, les sont : Gallimard, Stock, Minuit, Lattès, traductions en tamoul des Nouvelles Orientales de Grasset, Seuil, Plon-Perrin, Laffont/ Marguerite Yourcenar ou encore de Sur la télévision Responsables : Marie-Paule Serre et Hema Parthasarathy Alliance Française de Madras : de Pierre Bourdieu, parues chez Cre-A, et qui participent 24 College RoadChennai 600006, India à la promotion et la diffusion de la littérature et de la Tél : 91-44-2827-9803/2827-1477 - Fax : 91-44-2825-1165 pensée françaises. Courriels : [email protected] - [email protected] 12 Lalettre • mars 2007 [email protected] Site web: www.af-madras.org NewLettreDef.qxd:Mise en page 1 16/03/07 11:08 Page 13

Bipin Shah Mapin Publishing « Les États-Unis I Pourriez-vous nous présenter votre mai- son d’édition ? Quelles sont vos spécialités ? représentent I Notre maison, Mapin Publishing, fondée en 1984 par Mallika Sarabhaj et moi-même, est ins- notre marché tallée à Ahmedabad, Gujarat. Elle est à la pointe le plus important, dans son domaine et publie des livres illustrés de qualité sur l’Inde concernant l’art, la culture, suivis par l’Inde. l’histoire, l’architecture, la photographie, l’artisa- nat et la littérature. Nous collaborons également La Grande-Bretagne avec des éditeurs d’art internationaux et des et l’Europe viennent musées, et fournissons des services d’édition à la demande pour les galeries, les musées et immédiatement les entreprises. 4 titres de la « collection française » éditée derrière. » I Vous publiez des livres d’art. Est-ce un par Rupa, avec le soutien du programme Tagore bon marché en Inde en général ? Quel est votre type de clientèle pour ces livres ? du Bureau du livre I Nous avons un marché international (anglophone). Nous avons cédé des droits à des éditeurs américains (Harry Abrams, Vendome Press, Abbeville Press) de même qu‘à des Presses universi- taires (Oxford, Indiana) et de temps en temps, à des éditeurs européens (Gallimard, Prestel, Nympherberger). Nous projetons également d’étendre nos activités au marché des langues régio- indiens pour une traduction en français, 24 avec entretien nales indiennes, avec notre programme d’édition pour la jeunesse, que nous lançons cet automne. l’ont été en littérature, 6 en jeunesse, 3 en Nous faisons également du packaging pour des catalogues d’exposition de musées américains, Actualités, documents, biographies, 3 en parmi lesquels le Ruben Museum de New York, le Metropolitan Museum of Art de New York, la Sackler Gallery, la Smithsonian Institution, le Santa Fe Museum of International Folk Art. sciences humaines, 2 en religion/ spiritua- On estime la classe moyenne lectrice à 300 millions de personnes au minimum, pour lesquelles lisme, 1 en art/photo. l’anglais est une langue officielle – et elles achètent beaucoup de livres. Nos clients appartiennent La grande majorité a été traduite de l’an- à tous les milieux : profanes, connaisseurs, étudiants, universitaires, et autres. Parmi nos titres les glais (29 titres), quand seulement 9 l’ont été plus vendeurs figurent A Zoroastrian Tapestry, India through the Lens, The Kashmiri Shawl… pour ne citer que ces trois ouvrages. Généralement, le tirage varie entre 1000 et 5000 exemplaires. de l’hindi et 1 du tamoul. Nous participons à quatre salons du livre de dimension internationale : Francfort, Londres, Book Expo Les éditeurs indiens restent bien persuadés America (USA) et Delhi. Il nous arrive également de participer à des manifestations plus spécialisées, eux-mêmes que ce qui est possible pour les comme l’Association of Asian Studies et College Art Association, qui ont lieu toutes les deux aux éditeurs indiens anglophones est plus difficile États-Unis. pour les autres : « Les éditeurs étrangers ont I Quels sont les échanges entre les éditeurs français et Mapin Publishing ? du mal à trouver des traducteurs du hindi », I Nous avons été contactés par les éditions Assouline pour l’édition en anglais de Maharaja’s regrette Ashok Maheshwari, de Rajkamal Jewels. Nous avons vu l’édition française qui nous a plu, et avons assuré l’édition anglaise pour Prakashan (cité dans Livres Hebdo1). le marché asiatique. Le livre a eu beaucoup de succès. Nous avons déjà effectué un nouveau Les auteurs indiens sont bien accueillis en tirage et en envisageons un autre. En ce qui concerne notre collaboration avec Gallimard, l’éditeur est venu à Ahmedabad il y a France, remarque Rajesh Sharma, directeur quelques années et c’est ainsi que nous avons fait sa connaissance. Nous avons continué à nous de la collection « Lettres indiennes » chez voir à l’occasion des divers salons. C’est au Salon du livre de Francfort que les négociations ont Actes Sud, notamment en termes commer- commencé et à celui de Londres que nous avons conclu en ce qui concerne la publication de Thé ciaux : beau succès pour le roman de Nirmal du Cachemire à Kaboul. Comme le marché du tourisme français en Inde prend de l’importance, Mapin a également publié des exemplaires de l’édition française pour distribuer sur le marché indien. Verma, Le bonheur en lambeaux, La Mère du 1084 de Mahasweta Devi (récit traduit du I D’après vous, quel est l’avenir du marché du livre d’art en Inde et sur le plan des bengali), ou pour l’essai, très remarqué, de échanges internationaux ? Pavan Varma, Le Défi indien ou pourquoi le XXIe I L’édition et le le marché du livre en Inde continuent de se développer. Le prix de l’art indien siècle sera le siècle de l’Inde. Ce qu’avait sou- s’est multiplié par vingt ou davantage depuis 2001 et le marché du livre d’art, en particulier, profite de cette explosion. L’Inde a un vaste potentiel inexploité dans le domaine de l’art à tous les ligné aussi Marc Parent (Buchet-Chastel) niveaux : depuis le grand public jusqu’à la recherche universitaire, pour la jeunesse ou pour dans son entretien pour La Lettre du BIEF2, à les étudiants, mais aussi pour les touristes. propos de Loin de Chandigarh de Tarun I Tejpal. Avant donc l’invitation au Salon du Et qu’en est-il de l’imprimerie en Inde ? Peut-elle offrir des conditions intéressantes - pour les éditeurs étrangers ? livre de Paris, la littérature indienne occupe - I Nous sous-traitons notre imprimerie à Singapour. Bien qu’il y ait de bons imprimeurs en Inde, n déjà une bonne place auprès des lecteurs fran- du fait du système des taxes d’importation, les coûts y sont plus élevés en Inde que dans le Sud- çais, à laquelle a dû contribuer l’édition 2002 Est asiatique pour une imprimerie de qualité. Pour les imprimeurs européens, l’Inde pourrait offrir - des Belles Étrangères qui lui était consacrée . des conditions attrayantes car les coûts en Europe sont beaucoup plus élevés que chez nous. c « Les Français sont passionnés par l’Inde, I Comment abordez-vous le marché du livre d’art à c’est ce qui rend intéressant de travailler avec e français ? À votre avis, quels sont ses principaux eux », note Bipin Shah, directeur de Mapin défauts et qualités ? Publishing (voir ci-contre). Les Indiens sont- I C’est principalement au Salon du livre de Francfort il passionnés par la France ? Éléments de que nous approchons les éditeurs français, parfois à réponse au Salon du livre de Paris… Londres ou à Paris. Les Français sont passionnés par l’Inde, de sorte qu’il est intéressant pour nous de tra- Maharaja’s Catherine Fel vailler avec les éditeurs français. L’éventail de livres sur Jewels est 1) N° 660, octobre 2006 l’Inde en France paraît limité par rapport à celui qu’on une coédition 2) La Lettre 70, juillet-août 2006 Mapin Remerciements à Jean-François Albat, trouve en Allemagne. Mais les Français peuvent mani- Publishing- Romuald Boucher “SNE”, fester une plus grande audace ! Éditions Josiane Castelbou “Centrale de l’Édition”. Propos recueillis par Sophie Bertrand Assouline NewLettreDef.qxd:Mise en page 1 16/03/07 11:08 Page 14

Naveen Kishore Seagull Books, Calcutta

« Il n’existe pas de stratégie précise visant une programmation continue d’œuvres étrangères

entretien avec entretien en traduction. » © Alain Willaume

I Myriam Rasiwala : Pourriez-vous nous pas concernés ici ce que nous appelons en Inde Mon sentiment est qu’il n’existe pas de stratégie présenter Seagull Books ? «text book publishing» (publications scolaires ou précise visant une programmation continue I Naveen Kishore : C’est une maison d’édition universitaires). d’œuvres étrangères en traduction, ni de la part dédiée à la publication de livres d’art et sur la Je suppose que nos livres sont lus par des amateurs des quelques éditeurs indiens qui, à l’heure actuelle culture, à l’étude critique de l’histoire culturelle et, éclairés capables d’apprécier des textes bien argu- publient des traductions, ni de celle des éditeurs d’une manière générale, au débat d’idées. Nos mentés, denses mais sans jargon, des étudiants en étrangers qui tentent de nous céder leurs titres. sujets de prédilection sont le cinéma, les arts du sciences sociales et humaines souhaitant élargir L’explication réside sans doute dans le fait que les spectacle en général, les arts visuels, la culture leur horizon académique au-delà des lectures livres en langues régionales ne se vendent pas très populaire, la politique, la philosophie, la photo- imposées, des professionnels du théâtre ou du cher. Pour l’éditeur étranger, il y a peu à gagner à graphie et l’histoire coloniale. cinéma et des spectateurs assidus. faire traduire des œuvres dans nos langues. 2007 marque nos vingt-cinq ans d’activité édito- De notre côté, nous aimons publier des réflexions riale. Nous publions maintenant entre 18 et 22 intéressantes et dérangeantes sur des thèmes allant I M. R. : Dans un pays tel que l’Inde, dont la titres par an, pour un chiffre d’affaires situé entre de la censure de l’image cinématographique à, variété géographique, culturelle et linguis- 80 000 et 90 000 euros. disons…, des essais sur la vieillesse, philosophiques tique est immense, quel type de structure mais tout à fait accessibles à un lecteur sérieux. pourrait aider à développer des programmes I M. R. : Quel est votre propre parcours et de traduction ? comment vous a-t-il mené à Seagull ? I M. R. : Publie-t-on davantage d’auteurs I N. K. : D’instinct, je dirais que de généreuses I N. K. : Je suis au départ concepteur lumière indiens en Inde ? Cela est-il vrai pour toutes subventions seraient nécessaires ! Par exemple, pour le theâtre. Puis les livres ont pris le dessus, et les langues, y compris l’anglais ? très peu d’éditeurs publiant en bengali ou en hindi tout mon temps avec. C’est pour cette raison sans I N. K. : Oui, surtout dans les langues régionales, cherchent à acquérir les droits d’ouvrages français doute que Seagull est l’éditeur de la seule collec- mais également en anglais. Le nombre total de à des prix qui soient également encourageants pour tion de pièces de théâtre en Inde. lecteurs dans toutes les langues régionales réunies les éditeurs français ! Cela, parce qu’ils doivent J’ai commencé Seagull en 1982, avec pour est d’ailleurs largement supérieur au nombre de vendre leurs livres bon marché. Ce qui signifie que ambition de fournir des analyses critiques pour le lecteurs en anglais. Les lecteurs anglophones consti- seuls les éditeurs français qui, pour des raisons de théâtre, les films et l’art contemporain. tuent encore «une minorité», mais une minorité proximité de pensée ou de domaine commun de non négligeable, cela à cause de notre population publication, apprécient tel ou tel éditeur indien et I M. R. : Quelle est la situation des publica- plutôt considérable. Et donc une minorité tout à désirent à tout prix voir leurs livres traduits dans tions en sciences humaines et sociales en fait viable. D’ailleurs, il ne faut pas oublier que une langue indienne seront prêts à collaborer. Les Inde ? Et qui en sont les lecteurs ? l’anglais est une langue indienne à part entière ! autres attendront les subventions. I En gros, cela revient à créer des programmes de N. K. : L’Inde a toujours eu une tradition extrê- I mement riche de recherche universitaire et d’ap- M. R. : Cela entraîne-t-il des difficultés publications entre éditeurs « compatibles » et à prentissage dans le domaine des humanités et pour les éditeurs indiens quand ils cherchent leur offrir suffisamment de fonds pour en assurer des sciences sociales. à publier des livres étrangers en traduction ? le bon fonctionnement. On trouve ici un très grand nombre d’excellentes I N. K. : D’une manière générale, on publie soit maisons d’édition, tant en langue anglaise qu’en « directement » – un éditeur publiant dans une I Vous-même avez plusieurs titres français langues régionales, qui publient des ouvrages de langue indienne négocie directement les droits à votre catalogue, qu’est-ce qui vous incite à qualité en histoire, science politique, sociologie, avec une maison d’édition étrangère –, soit grâce les publier ? « gender studies », anthropologie, psychologie, à des subventions, essentiellement à l’initiative I N. K. : Ici, je crois qu’il faut que j’éclaircisse linguistique, théorie littéraire, géographie, droit, des sections culturelles des ambassades étrangères, certaines particularités liées à Seagull. Nous ne études culturelles… autant de domaines ensei- comme l’illustre le programme d’aide à la traduction pouvons plus être considérés comme un éditeur gnés dans les écoles et les universités. Ne sont de l’Ambassade de France*. uniquement indien. Il y a un an et demi, nous

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TITRES TRADUITS DU FRANÇAIS

avons établi notre présence à Londres comme à I M. R. : Selon vous, à quoi les éditeurs fran- Guillaume Apollinaire, Lettres New York. Pas une grande infrastructure, mais une çais devraient-ils s’attacher dans l’édition À Madeleine : Tendre comme le souvenir simple présence légale et fiscale, en tant qu’éditeur indienne, en général, et parmi vos propres (édition revue et augmentée basé là-bas. Nous bénéficions donc d’une bonne publications, en particulier ? par Laurence Campa), Gallimard distribution, comme tout autre éditeur anglais ou I N. K. : C’est une question très subjective, et très américain. L’idée est d’être capable de sélectionner difficile aussi. Je ne m’attends pas à ce que les édi- Georges Bataille et Michel Leiris, des titres depuis toute langue étrangère pour des teurs français se précipitent sur les livres indiens Échanges et Correspondances, traductions vers l’anglais. Pour le monde. Pas seu- pour en acquérir les droits. C’est un réveil qui se Gallimard lement pour l’Inde, pour le Royaume-Uni ou pour fera tout doucement. Il existe tant d’Indes diffé- les États-Unis… pour le monde. rentes. Tant de langues. Des cultures qui varient Gertrude Stein, Pablo Picasso Trente-deux livres ont déjà vu le jour ainsi. Nous d’un État à l’autre. Et donc une mine d’or pour Correspondance, édition composons, éditons, commandons et imprimons à ceux qui sont prêts à creuser. Mais pour se lancer, de Laurence Madeline, Gallimard Londres, Calcutta, New York, Delhi ou en Italie, il faut beaucoup de passion et le courage et la selon les cas, puis nous envoyons les livres à nos clairvoyance qui permettent d’investir à long Guy Debord, La planète malade, centrales de distribution dans différents pays du terme. Plus vite dit que fait dans le monde édi- Gallimard monde, y compris en Inde. torial d’aujourd’hui. Les livres français relèvent d’un choix délibéré. En ce qui concerne Seagull, nos publications sont Rainer Rochlitz, Subversion J’ai grandi en compagnie de lectures françaises encore plus spécifiques, puisque nous ne vous et Subvention : art contemporain et en traduction. Je ne connais pas votre langue, offrons pas « votre idée » de l’Inde. En d’autres argumentation esthétique, Gallimard mais je connais vos textes. termes, il n’y a rien d’exotique dans notre cata- Gérard Mairet, La Fable du monde : I logue, rien qui corresponde à l’Inde qui jusqu’à M. R. : Avec quels éditeurs travaillez-vous ? présent a été popularisée en Occident. Et pour- enquête philosophique sur la liberté Comment négociez-vous vos contrats ? tant, c’est une Inde qu’il vous faut connaître, de notre temps, Gallimard I N. K. : Lorsque j’ai pris la décision d’acheter les situer, découvrir et goûter. À vous de juger… Jean-Marie Schaeffer, Les célibataires droits pour l’anglais pour le monde à différents Les jeunes romanciers indiens publiés en France de L’art : pour une esthétique sans éditeurs tels Gallimard ou les éditions du Seuil, il écrivent presque tous en anglais. Il faut vous tour- mythes, Gallimard m’a fallu faire comprendre que : a) j’achetais non ner vers la traduction des langues régionales, si vous pour l’Inde, mais pour le monde, Inde comprise ; voulez comprendre la diversité de nos cultures. Et Antonin Artaud, 50 Dessins pour b) que je les payais comme les paierait tout autre noter que les sciences sociales et humaines, ainsi assassiner la magie, Gallimard, éditeur américain ou anglais publiant ce genre que les arts, brillent par leur absence. édition établie et préfacée de titres ; c) que je choisissais des traducteurs de La non-fiction indienne traite de domaines si vastes, par Évelyne Grossman réputation internationale dans leur propre domaine qui portent sur des siècles et des siècles d’écriture. d’expertise. Vous avez déjà de quoi écrire un livre… Tzvetan Todorov ( entretien avec Mon ambition, mon but, mon désir, ma motiva- Propos recueillis par Myriam Rasiwala Catherine Portevin), Devoirs et tion, si vous voulez, est de créer et d’alimenter Délices : Une vie de passeur, Seuil un fonds, comme avec la série consacrée à la cri- tique et aux lettres françaises. Je négocie des Ninar Esber, Conversations avec contrats, tout d’abord en identifiant les ouvrages Naveen Kishore est l’un des participants Adonis, mon père, Seuil sur les catalogues des éditeurs, puis en offrant de des rencontres professionnelles franco-indiennes organisées par le BIEF les 20 et 21 mars 2007. les acheter à un prix raisonnable pour toutes les Jean-Paul Sartre, Situations, parties concernées. Myriam Rasiwala a été responsable du Bureau du livre de New Delhi en 2003 et 2004. 3 tomes, Gallimard I M. R. : Comment ces livres sont-ils accueillis sur le marché indien ? Comment faites-vous la promotion de vos livres ? I N. K. : Maintenant tous ces livres seront importés en Inde en tant que collection française de Seagull, à des prix indiens. Je ne sais pas encore comment ils seront accueillis, mais j’ai bon espoir car il s’agit d’après moi d’un bon premier cru. D’ici la fin de l’année, lorsque les six premiers titres seront parus – tous de la non-fiction –, on saura si des livres français en traduction anglaise, bien produits et vendus à un prix raisonnable, répondent à un réel besoin du lecteur indien, ou non.

I M. R. : Comment abordez-vous le Salon du livre de Paris 2007 ? I N. K. : Je me rends régulièrement à Paris depuis un an et demi ; cette continuité m’aidera à conso- lider des relations déjà ébauchées. Ce Salon est donc très important. Et puis, n’oubliez pas que je suis toujours à la recherche d’acquéreurs français pour certains de nos propres titres… * Voir page 11

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Tara Publishing, l’indépendante L’édition Cette maison, créée par Gita Wolf en 1994 et située à Chennai, a un statut particulier : c’est une association d’auteurs, de designers et de maquettistes, tous très impliqués dans pour la le projet éditorial et dans chacun des livres publiés. Le recours au marketing semble y être peu apprécié : « Ce qui nous donne envie de jeunesse les promouvoir, c’est que nous les aimons ! », déclare Sirish Rao, éditeur de la maison, que nous avons rencontré à Francfort. Créée il y a dix ans autour des livres pour enfants, en Inde puis s’étant diversifiée dans les domaines du beau livre, de la B.D., de la fiction et de la par Manorama Jafa non-fiction, la maison produit 12 à 15 titres par an et en compte une centaine à son catalogue, dont 65 % en anglais. Les autres ouvrages sont publiés en tamoul, Rappelons que l’Inde est un immense pays La tradition orale remonte sur plus vendus alors généralement à un prix moins de 3,28 millions de km2 et de plus d’un de 5 000 ans, et le plus ancien recueil élevé. Toujours la même ligne éditoriale audacieuse reste le fondement de cette maison milliard d’habitants. Fédération d’États du monde d’histoires pour les enfants, indépendante : explorer de nouveaux contenus et de territoires, on y parle vingt-deux le Panchatantra indien, provient de cette et de nouvelles formes, hors des conventions. langues principales et 1 652 dialectes. Il y tradition. Voilà leur atout dans le sous-continent indien a environ 1 100 éditeurs qui publient plus et dans le monde. de 15 000 titres par an, incluant l’édition Les fables du Panchatantra ont été Chaque livre est unique adulte et pour la jeunesse. Dans Creators recueillies par Vishnu Sharma, afin d’en- of Children’s Literature in India (2003), seigner le Niti (« la sage conduite de la Il faut dire qu’environ un tiers des livres sont il est fait état de 1 450 auteurs de seize vie ») aux trois fils d’un ancien roi. En faits à la main (impression et fabrication) ! D’ailleurs, quand on demande à l’éditeur français langues différentes, dont 459 écrivent tout, il y a quatre-vingt-quatre fables, et Jacques Binsztok – l’un de leurs partenaires, uniquement en hindi, 101 illustrateurs, beaucoup plus d’anecdotes imbriquées – d’abord au Seuil Jeunesse puis à Panama – 82 chercheurs en éducation, 307 revues ce qui était la manière de conter tradi- comment ça se passe, il répond : « Eh oui, il faut pour enfants, 153 éditeurs de livres tionnelle des Indiens pour soutenir parfois attendre six mois pour la fabrication de jeunesse (hors manuels scolaires) et 54 l’attention. Avant que le Panchatantra 2 000 à 3 000 exemplaires ! » Chaque ouvrage est comme un livre d’art original accessible institutions qui soutiennent la lecture soit écrit, les histoires avaient déjà été à un large public. pour la jeunesse. disséminées en dehors de l’Inde par des Déjà bien connue en France, Tara Publishing voyageurs, qui les firent connaître en travaille aussi avec Actes Sud, Syros, Alternatives, L’évolution de l’édition pour la jeu- Asie de l’Ouest ainsi que dans les pays Milan, Tourbillon, Bayard, Gallimard et Le Seuil. nesse en Inde est passée par trois phases européens. Ces fables et ces contes ont Après le Salon du livre de jeunesse de Montreuil, s’est tenue, en collaboration avec les éditions distinctes. Pour commencer, les thèmes été traduits et adaptés en plus de deux Les Trois Ourses, une exposition d’illustrations issus de la tradition orale, la mythologie, cents langues à travers le monde. originales de l’ouvrage The Night Life of Trees. la religion, les fables, les contes, les Pendant le Salon du livre de Paris, ce seront légendes et les grands textes classiques Il y a également de nombreux contes, des originaux de London Jungle Book de Bhajju ont été adaptés et réécrits dans les diffé- fables, mythes et légendes, liés à des fêtes, Shyam (Mon voyage inoubliable), publié chez Syros, qui seront exposés. C’est le carnet de rentes langues indiennes. Ensuite, il y a des villes, des rivières et des montagnes. voyage inattendu d’un artiste d’un petit village eu des traductions et des adaptations L’Inde est le lieu de naissance de quatre reculé en Inde, qui a séjourné à Londres pour d’histoires publiées en Angleterre et dans grandes religions : l’hindouisme, le boud- décorer un restaurant indien… d’autres pays européens, mais aussi d’une dhisme, le jaïnisme et le sikhisme, et le Tara Publishing vend des droits également langue autochtone à une autre. Enfin, la foyer de nombreux autres groupes reli- à l’Italie, aux Pays-Bas et au Japon. Côté achat, c’est précisément à un éditeur japonais qu’ont création romanesque originale a en grande gieux. Les récits portant sur la religion été achetés les droits de traduction d’une partie émergé au cours des cinquante sont également myriades. Outre Kathasarit bande dessinée sur Hiroshima – un sujet auquel dernières années. Sagar, Jatak, Puran, les récits épiques du les Indiens sont très sensibilisés. Ramayan et de Mahabharat et d’autres La distribution est assurée par Rupa, en Inde ; classiques ont également été une source en Grande-Bretagne, c’est quelqu’un d’autre À l’origine, les fables qui s’en charge. du Panchatantra importante d’histoires. Leur agent en France est Sidonie Bancquart- L’Inde a un riche héritage de contes et Warren, de Sea of Stories. de légendes populaires, une source 1) Le Panchatranta, compilé au Ve ou VIe siècle, C.Fel a, semble-t-il, inspiré non seulement Ésope, mais importante d’histoires pour les enfants. les Fables de La Fontaine. (N.d.T.)

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La publication de créations conscience grandissante de l’intérêt qu’il originales reste encore discrète y a à encourager la lecture. Les biblio- Le hindi est la langue nationale, elle thèques ont également contribué en grande est parlée par 45 % de la population. On partie à l’achat des livres pour les jeunes. peut faire remonter au XIVe siècle et aux Lors de la 17e World Book Fair, qui s’est charades en vers les débuts de la littéra- tenue à Delhi en 2005, les livres pour la ture pour la jeunesse en hindi. Dans les jeunesse ont représenté la plus grosse autres langues indiennes également, les vente de toutes les catégories. Déjà, plu- histoires adaptées de la littérature tradi- sieurs éditeurs de Grande-Bretagne et des tionnelle ont une longue histoire. USA ont pénétré le marché indien. Cependant, les livres pour les enfants (autres que les manuels scolaires) sont La qualité de l’écriture, de l’illustra- apparus en tant que genre spécifique tion, de la conception artistique et de l’en- après la création par les missionnaires semble de la fabrication des livres en chrétiens de Calcutta, en 1817, de la anglais a atteint un haut niveau, mais les School Book Society (rebaptisée publications dans les autres langues Les originaux du livre de Bhajju Shyam donnent lieu aujourd’hui ). Plusieurs livres indiennes ne sont pas encore à la hauteur. à une exposition au Salon du livre de Paris 2007 célèbres publiés en anglais furent alors Souvent, le texte dans les langues tranduits en langues indiennes et des his- indiennes est riche par son contenu, toires traditionnelles indiennes furent alors que la qualité de la réalisation, en débats et discussions en cours. Depuis réécrites et adaptées pour les enfants. Les général, n’est pas très bonne, même si le 1981, l’AWIC publie aussi Writer and écrivains en langues indiennes ont égale- marché pour les ouvrages en hindi, Illustrator, une revue professionnelle sur ment commencé à publier des histoires langue nationale, et d’autres langues la littérature pour la jeunesse. L’AWIC a pour enfants, tandis que les revues et indiennes est beaucoup plus important créé la section Inde d’IBBY et accueilli, en périodiques dans différents langues que celui des livres anglophones. 1998, le 26e Congrès de cette importante indiennes encourageaient cette évolution. association internationale. L’AWIC orga- C’est en 1930 qu’on a vu apparaître les Un pionnier de l’édition nise des ateliers pour écrivains, des expo- premiers livres illustrés pour enfants ; et pour la jeunesse sitions, des conférences, des séminaires et aujourd’hui un grand nombre d’ouvrages La physionomie actuelle de l’édition a implanté des bibliothèques pour enfants sont publiés en diverses langues, bien doit beaucoup à la création en 1957 du à Delhi, ainsi que dans d’autres villes. Il que la publication de créations originales Children’s Book Trust (CBT) de Delhi. a reçu en 1991, pour son projet de biblio- reste encore discrète. CBT est un éditeur spécialisé dans les thèque, l’IBBY-ASAHI Reading Promotion Le marché de l’édition pour la jeu- livres non scolaires pour les enfants, et il a Award, un prix pour la promotion de nesse grossit rapidement, en partie du longtemps été un précurseur. La majorité la lecture*. fait de l’amélioration du niveau d’al- des titres publiés par CBT est en anglais Les éditeurs d’autres pays ont mani- phabétisation, ainsi que d’une prise de et il existe également des traductions festé de l’intérêt pour la littérature tradi- dans certaines des principales langues tionnelle de l’Inde. Des traductions et des indiennes. CBT a également recherché de adaptations de contes, fables, mythes, nouveaux talents et a créé, en 1976, un textes classiques ont été effectuées dans Manorama Jafa est un auteur connu atelier d’écriture. En 1979, c’est ce pion- de nombreuses langues étrangères. Il y a et reconnu de livres pour la jeunesse. nier de l’édition enfantine qui a organisé aussi une demande en Inde pour des Elle a également écrit de nombreux articles la première International Children’s Book traductions de titres de bonne qualité et études ; ses livres sont publiés au Japon, Fair, offrant par là une vitrine appréciable destinés aux jeunes, notamment des en Italie, à Singapour et aux États-Unis. à l’édition pour la jeunesse en provenance livres illustrés. Cependant, le prix est un Elle a présidé le 26e Congrès de l’IBBY (1998), le jury de l’IBBY-ASAHI Reading de différents pays. facteur important et les livres chers se Promotion Award (2000-2001), Un autre temps fort marque l’évolu- vendent à un nombre d’exemplaires limité. a été membre du jury du Prix UNESCO tion de la littérature moderne pour la jeu- Si l’on tient compte du vaste marché de littérature pour enfants et adolescents nesse. Il s’agit du lancement en 1981 de représenté par les langues locales, il y a au service de la tolérance (1999-2000). l’Association of Writers and Illustrators, un large éventail de possibilités pour les Elle est, depuis 1981, la secrétaire générale de l’Association of Writers and Illustrators l’AWIC (l’Association des écrivains et livres de qualité, si l’on arrive à maintenir for Children. Depuis trente ans, elle illustrateurs pour la jeunesse), qui a le livre dans des limites abordables. encourage les nouveaux talents et se bat immensément contribué à rehausser la *Signalons ici le numéro spécial de La Revue inlassablement en faveur de la qualité des qualité des livres destinés au jeune public livres pour la jeunesse en Inde. des livres pour enfants consacré à l’édition en offrant un forum enthousiaste aux pour la jeunesse en Inde

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Jean-François Richez, responsable des droits chez Larousse La réalité du marché indien pour un éditeur comme Larousse

Dans le département des droits de Larousse, Jean-François Richez est res- L’un des autres facteurs importants dans le partenariat avec les éditeurs ponsable de la langue anglaise, allemande et d’autres langues (arabe, indiens est celui de l’économie d’un livre. À ce jour, sont contractées plutôt néerlandais, finnois) pour l’ensemble des fonds de la maison : les diction- des cessions de « licence avec impression locale » que de coédition ou de naires bilingues, le secteur livres illustrés – pratique, jeunesse – et le secteur co-production. Ce à quoi il faut rajouter aussi « la distinction entre le nord et histoire et sciences humaines. le sud de l’Inde, plus moderne, avec, dans le cas de l’état du Tamil Nadu En dehors des traditionnels marchés anglophones, il s’intéresse à ceux (Madras/Chennai), la présence d’une population francophone à Pondichéry, en train de se développer, mais où les échanges avec la France sont encore à même d’assurer la traduction ». limités, comme le marche sud-africain et indien. Et si on le croise sûrement à Book Expo America, on le voit aussi à la toute nouvelle foire du Cap ou à Calcutta, où, rappelons-le, la France était l’invité d’honneur en 2005. Une coopération exemplaire Il rencontre aussi les éditeurs indiens à Bologne et à Francfort, et bientôt dans le domaine de la jeunesse à Paris, lors notamment des journées professionnelles organisées par le BIEF, La langue anglaise reste le « passage obligé » pour une traduction en où il sera l’un des intervenants. Inde. Ce fut le cas pour l’ouvrage de jeunesse Les animaux du monde, cédé En avant-première pour notre dossier, il nous donne sa perception du par deux contrats séparés à un éditeur en Grande-Bretagne, puis à un éditeur marché indien, à partir de l’offre éditoriale de son catalogue, de ses contacts indien, qui a racheté au premier le droit d’usage de la traduction anglaise. et de ses partenariats avec les éditeurs indiens. Selon Jean-François Richez, « un des partenariats les plus intéressants s’est concrétisé ainsi avec un éditeur scolaire du Tamil Nadu qui cherchait à construire un catalogue jeunesse, en se démarquant de l’existant chez les Une perception précise et affinée éditeurs anglo-saxons dominants ». Á ce jour, 10 titres ont été achetés : parmi du marché indien ceux-ci cinq titres de la collection « Mes Petites Encyclopédies Larousse ». Pour Jean-François Richez, « le catalogue Larousse est à même de répon- Une autre illustration d’un partenariat original est celle de la traduction dre aux attentes de ce marché. En Inde, la demande est forte pour des par un chef français de La cuisine des copains chez un éditeur de Chennai ouvrages liés aux besoins de l’éducation, tant pour (Madras), via l’Alliance française. En écho à un intérêt plus général pour des les parents que pour les jeunes ». ouvrages de cuisine venant de France, y compris à À l’intérieur de son vaste catalogue de titres, destination de futurs professionnels du tourisme. sont donc concernés par la cession des droits à des Il est donc, on le voit, intéressant d’élargir ses éditeurs en Inde les dictionnaires bilingues, les partenaires au-delà des filiales anglo-saxonnes, de ouvrages d’apprentissage des langues, les livres rechercher « une logique de niche », qui ne met ni documentaires pour la jeunesse et – dans une moin- le tirage ni le prix de vente au premier plan, mais dre mesure – les contes populaires. Et si cette l’affinité des vocations. demande s’accroît « avec le développement des classes moyennes et de l’enseignement privé, seuls 5 % de la population indienne sont concernés, ceux Pour Jean- François Richez, si le marché indien qui maîtrisent l’anglais, la langue d’accès au savoir doit être bien identifié et précisé, loin des chiffres et à l’éducation ». hyperboliques parfois avancés, cela ne l’empêche pas d’ouvrir pour l’édition en langue anglaise de larges Les cessions se font donc presque exclusi- perspectives, notamment comme enjeu régional. Il est, vement avec des éditeurs indiens publiant en et sera probablement de plus en plus, le point de anglais. Le marché constitué par la cession vers départ pour une exportation : d’abord vers les pays d’autres langues – comme l’hindi, le malayalam, du sous-continent (Sri-Lanka, Pakistan, Bangladesh, l’ourdou, le marathi, le bengali, le tamoul – reste Népal); puis ceux de l’Asie du Pacifique (Thaïlande, marginal, y compris pour les éditeurs anglo-saxons Malaisie, Philippines, Indonésie, Chine) ; enfin ceux de implantés dans le pays. l’Afrique anglophone et du Moyen-Orient, exportation Les dictionnaires bilingues Larousse représentent relayée par les réseaux de la diaspora indienne. une « carte d’entrée sur ce marché indien ». Au fil des Travailler avec l’Inde est, à son sens, une manière années, un partenariat solide s’est tissé avec Goyal aussi de progresser sur ces marchés. Publishing dans ce domaine (anglais-français, mais Catherine Fel aussi anglais-espagnol) et les droits des séries d’après un entretien avec Jean-François Richez « Dictionnaire illustré » ainsi que « Larousse Junior d’anglais » ont été vendus ; les ouvrages ont été adaptés aux besoins d’un public d’apprenants anglo- phones et commercialisés comme « outils d’appren- tissage du français ou de l’espagnol ». Deux des cinq titres de la collection Mes Petites Encyclopédies Larousse cédés à un éditeur indien du Tamil Nadu 18 Lalettre • mars 2007 NewLettreDef.qxd:Mise en page 1 16/03/07 11:09 Page 19

Économiquement, l’Asie est agitée par l’émergence la population indienne ont la maîtrise parfaite de cette langue. En de deux mastodontes : la Chine et l’Inde. Ces mutations effet, il existe une vingtaine de langues officielles dans ce pays4. Et affectent-elles le milieu éditorial dans ces deux pays ? Y a-t-il une activité du livre en Chindia ou faut-il aborder en fait, l’édition indienne adopte la recette du poulet Masala : elle la question de manière totalement dissociée ? mélange les langues comme on mélange les épices. Au moment où, après la Chine, l’Inde est mise à l’honneur En Chindia, coexistent donc deux structures éditoriales bien successivement par la Foire du livre de Francfort et par différentes : l’une qui modifie peu à peu le moule idéologique le Salon du livre de Paris, une double mise en lumière duquel elle est issue, l’autre qui tente de faire valoir la pluralité aide à mieux percevoir leurs points communs et linguistique de sa production. Toutefois, ces deux marchés se les caractéristiques propres à chacun des deux secteurs. trouvent confrontés à des problèmes similaires. Le premier est celui de la distribution. En Chine, le réseau de distribution est Le tissu éditorial d’un pays apparaît parfois comme un reflet morcelé. Ce sont les productions locales qui circulent dans chaque significatif de son histoire. L’édition indienne est marquée par le province, et non à travers toute la Chine. La mise en place de petits poids de la colonisation britannique, celle de la Chine par la canaux de distribution privés ne suffit pas à fluidifier le circuit du mainmise du parti communiste. Mais cette définition générale se livre. En Inde, il n’existe pas de structure couvrant l’ensemble du révèle vite simpliste et cache deux systèmes plus complexes2. pays. Les distributeurs travaillent pour la plupart sur des zones lin- En Chine, l’édition, c’est l’État. Chaque année, un Bureau guistiques bien définies. Seuls les livres en langue anglaise béné- national (GAPP) délivre à des sociétés d’État des numéros d’ISBN ficient d’une circulation plus large. et veille, par la censure, au respect de l’idéologie du parti. Mais, le Le second écueil est celui du piratage. Bien que la Chine et système présente des failles sous forme d’entreprises lucratives et l’Inde aient signé la Convention de Berne (l’Inde en 1928 et la dynamiques, qui redessinent peu à peu le secteur : les entreprises Chine en 1992), les droits sur la propriété intellectuelle ne sont culturelles3. Ces dernières prennent en charge le travail éditorial, pas assez protégés. À Delhi ou à Pékin, des versions piratées cir- après avoir racheté des numéros d’ISBN aux maisons d’État. Cette culent. Mais, l’Inde et la Chine concentrent toutes les attentions. nouvelle réalité du secteur illustration est une articulation du En matière d’échanges de droits, les éditeurs chinois deviennent politique et de l’économique en Chine. plus accessibles et, en Inde, la démarche s’avère plus compliquée. Ne risque-t-on pas de se tourner préférentiellement vers la Chindia, avec la pensée que ce secteur éditorial offrirait plus d’op- portunités que ceux de la Corée du Sud, du Japon et de Taiwan ? L’édition La Chine dépasse la Corée du Sud en terme d’acquisition de titres français5. Mais, Taiwan fait montre d’une sophistication dans 1 leurs choix que les éditeurs chinois n’atteignent pas encore. Quant en Chindia , au marché japonais, même s’il reste très élitiste, il présente des par- tenaires fidèles qui s’intéressent à des segments éditoriaux précis. L’édition indienne s’apparenterait presque à une exception une chimère culturelle asiatique. Le multiculturalisme inhérent à l’histoire du pays conduit à un marché d’échanges en interne. Le premier enjeu, à deux avant d’acheter ou de vendre aux Occidentaux – exception faite de la greffe anglo-saxonne – est de rendre visible le foisonnement littéraire de têtes ? la production indienne aux Indiens. Mais les tra- ducteurs passant parfaitement d’une langue ver- naculaire à une autre sont peu nombreux. Le L’édition indienne n’est pas potentiel littéraire indien reste difficilement marquée par un quelconque accessible pour les professionnels étrangers. poids d’ordre idéologique, Concernant l’acquisition de droits de mais se définirait plutôt par les trois siècles et demi de coloni- titres français, le Programme d’aide à la sation du pays par le Royaume-Uni. Pour le regard néophyte, la Dessin inédit de publication (PAP Tagore) joue un rôle Christian Cailleaux, partie visible du secteur éditorial en Inde est celle qui réunit les auteur de bandes dessinées essentiel en aidant des éditeurs indiens maisons d’édition publiant en langue anglaise. Aujourd’hui, les invité par l’Ambassade de France à composer des collections de fiction en Inde en 2005 et 2006. plus importantes maisons indiennes sont pour la plupart des Ouvrage à paraître, fruit de française. Mais il reste tant à faire. joint-ventures ou des filiales anglaises ou américaines installées à son expérience indienne : Tchaï La Chindia présente deux natures Masala, monologue hindi, New Delhi. Ce sont elles qui engendrent une grande partie du éditions Treize Étrange, mai 2007. de terrain concernant la prospection chiffre d’affaires de l’édition indienne. Pourtant seuls 3 % à 5 % de pour les échanges de droits étrangers :

1) Chindia est un néologisme créé par l’économiste Jairam Ramesh, contraction une terre poreuse, la Chine, qui a besoin d’acquérir nombre de lexicale des noms de la Chine et l’Inde. titres pour diversifier sa production et un sol fertile, l’Inde, 2) Cf. les deux études du BIEF: Les nouveaux défis de l’édition chinoise (août 2004) et L’édition en Inde, une unité dans la diversité ? (février 2005), réalisées par K. Politis. qu’il reste à découvrir dans ses strates profondes. 3) Cf. l’article de Fabrice Piault « Les Chinois élargissent la sphère privée », Sophie Bertrand Livres Hebdo n° 656. 4) Cf. carte linguistique de l’Inde p.2. 5) Statistiques 2005 SNE / Centrale de l’Édition mars 2007 • Lalettre 19 NewLettreDef.qxd:Mise en page 1 16/03/07 11:09 Page 20

Programme (Intervenants donnés, sous réserve de modification) RENCONTRES Mardi 20 mars 2007 PROFESSIONNELLES 9h30 – 12h30 • Le marché du livre en Inde et en France : présentation générale. Alain Gründ, Président du BIEF, éditions Gründ, Franco Shakti Malik, Président de la Federation of Indian Publishers, éditions Abhinav Publications • Le droit d’auteur en Inde et en France. ndienne Asoke K. Ghosh, Prentice Hall of India, I S Paul Otchakowsky-Laurens, éditions POL 14h00 – 17h À l’occasion du prochain Salon du livre de Paris, • Traduire les auteurs indiens en France dont l’Inde est l’invitée d’honneur, le BIEF organise et les auteurs français en Inde : l’anglais, un séminaire professionnel réunissant des éditeurs un passage obligé ? Dr. Mahesh Dutt, éditions Rajkamal Prakashan, indiens et français, les 20 et 21 mars. Marc Parent, éditions Buchet-Chastel Dix-huit éditeurs indiens sont invités par le BIEF et l’am- PRÉSENTATION DES SECTEURS THÉMATIQUES : • Les échanges entre éditeurs indiens bassade de France en Inde, dont plusieurs sont membres de et français dans le domaine de la fiction : la FIP (Federation of Indian Publishers). Venant pour la Quelle place pour la littérature contemporaine ? plupart de New Delhi, ces éditeurs représentent néanmoins Geeta Dharmarajan, éditions Katha, la diversité éditoriale en Inde, par leurs différentes spécialités Jean Mattern, éditions Gallimard, et langues de publications. Rajesh Sharma, éditions Actes Sud Le séminaire portera principalement sur le droit d’auteur et • Les nouvelles thématiques en sciences humaines dans les échanges entre éditeurs les échanges de droits et offrira également une présentation indiens et français. des secteurs éditoriaux porteurs en Inde. Une occasion pour Naveen Kishore, Seagull Books, les éditeurs français d’approfondir un échange avec leurs François Gèze, éditions La Découverte homologues indiens, à deux jours du Salon du livre. Mercredi 21 mars 2007 9h30 – 12h30 SUITE DE LA PRÉSENTATION DES SECTEURS THÉMATIQUES : Les éditeurs indiens • Le livre illustré, un enjeu majeur dans le développement des échanges entre éditeurs français et indiens (domaines abordés : art / présents au Salon jeunesse / pratique). M. Shakti MALIK, Abhinav Publications (Art, littérature, sciences humaines) Sirish Rao, Tara Publishing, M. Ravi DEE CEE, DC Books (Littérature, management, traduction) Jacques Binsztok, éditions Panama, M. Neeraj Govil, Frank Brothers & Co (Scolaire) Jean-François Richez, éditions Larousse Mme Poonam MALHOTRA, Full Circle Publishing • Les échanges de droits entre l’Inde (Spiritualité, religion, littérature) et la France dans les domaines sciences, M. Ashwani GOYAL, Goyal Publishers (Scolaire, dictionnaires) techniques, médecine et universitaire. M. M. A. GOSAIN, Har-Anand (Scolaire, universitaire) N.K. Mehra, Narosa Publishing House, Éric Doulcet, éditions Ellipses Mme Geeta DHARMARAJAN, Katha (Littérature) M. N. K. MEHRA, Narosa Publishing House (Sciences, techniques, médecine) 14h00 – 16h30 Mme Diya KAR HAZRA, Penguin Books India (Littérature) • Rencontres Électre et Dilicom : présentation M. Anand BHUSHAN AGGARWAL, Pitambar Publishing Company (Jeunesse, et démonstration de la base, informations scolaire, universitaire) sur la transmission des commandes, etc. M. Asoke K. GHOSH, Prentice Hall of India (Sciences, techniques, universitaire) Laurent Dervieu, Électre, Mme Ketaki DUTT-PAUL, Purple Peacock Books (Littérature) Véronique Backert, Dilicom Dr. Ashok GUPTA, Pustak Mahal (Littérature générale) Dr. Mahesh DUTT, Rajkamal Prakashan (Littérature) M. Kapil KAPOOR, Roli Books (Art) Bureau International M. K. G. MEHRA, Rupa & Co (Littérature générale) de l’Édition Française M. Naveen KISHORE, Seagull Books (Jeunesse) 115, boulevard Saint-Germain 75006 Paris. M. Sanjay VARMA, Star Publications (Distribution) Tél. : 01 44 41 13 13 M. S. K. GHAI, Sterling Publishers (Jeunesse, universitaire, livres pratiques) Fax: 01 46 34 63 83 M. Anuj BAHRI MALHOTRA, Tara Press / Red Ink Litteracy agency (Littérature) Mél. : [email protected] M. Sirish RAO, Tara Publishing (Jeunesse) Directeur de publication : Jean-Guy Boin Mme Radhika MENON, Tulika (Jeunesse, livres illustrés) Rédactrice en chef : Catherine Fel Conception graphique : Evelyne Stive Mme Urvashi BUTALIA, Zubaan (Littérature féministe) Ont collaboré à ce numéro : Jean-François Albat (SNE), Pour toute information relative à ces rencontres prendre contact Sophie Bertrand, Pierre Myszkowski, Katja Petrovic avec Pierre Myszkowski ([email protected]) ou Katja Petrovic ([email protected]) et Karen Politis. Cette publication bénéficie de l’appui du ministère 20 Lalettre • mars 2007 de la Culture et de la Communication (Direction du livre et de la lecture). ISSN : 1762-9322 - Imprimé par RAS