Les Moyens Technologiques Qui Sous-Tendent La Mondialisation Et L'expansion Transnationale
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Jeanne Mengal MAG 1
Josselin et Wallace (eds.), Non State Actors in World Politics, Palgrave, 2001
William Wallace et Daphné Josselin, tout deux professeurs de Relations Internationales à la London School of Economics présentent dans cet ouvrage des analyses de différents acteurs transnationaux, des Eglises aux diasporas en passant par les Think Tanks. Ils partent du principe que la prolifération et la plus grande visibilité des acteurs non étatiques conduit à se demander non plus s’ils ont un rôle dans la politique internationale, mais quel est ce rôle. Dans leur introduction, les éditeurs précisent tout d’abord leur définition d’un acteur transnational : acteur en principe indépendant des Etats ( et de leur financement), émanant de la société civile ou de l’économie, opérant dans au moins deux pays, et agissant d’une manière qui affecte les questions politiques. On peut souligner la complexité et la diversité des acteurs non étatiques, qui ne sauraient être réduits aux ONG. Après avoir rappeler que les acteurs transnationaux se sont développés dans des périodes de stabilité internationale : par exemple l’Europe médiévale de la Chrétienté et surtout après la Seconde Guerre mondiale, ils précisent que leur objectif est de montrer l’impact de ces acteurs transnationaux. Ils ont pour cela soumis cinq problématiques aux contributeurs : comment les récentes évolutions technologiques, politique et économiques ont modifiés la façon d’agir des acteurs, quels sont leurs instruments pour influencer la politique mondiale ( accès aux Organisations Internationales, capacité de définir l’agenda…), leur influence dépend elle de la quantité (organisation de masse ) de la qualité ( élite , spécialistes reconnus) ou encore de leur capacité de financement pour être entendus, quelles sont leur activités d’influence (lobbying, financement, campagne sur l’opinion publique), leur but est-il d’influencer les Etats, les Organisations Internationales ou d’autres acteurs transnationaux? L’ouvrage est divisé en plusieurs chapitres qui abordent chacun un acteur transnational et tentent de répondre à ces questions en définissant le rôle de ces acteurs dans les relations internationales actuelles. La contribution de Mark Galeotti, chef du département de criminalité européenne à l’université de Keele (Royaume Uni) traite des organisations criminelles transnationales, qui n’est certes pas un phénomène nouveau, mais dont l’évolution actuelle peut être considéré comme la contrepartie de la mondialisation dans l’«underworld».
L’auteur définit tout d’abord quel sont les facteurs qui ont conduit à une internationalisation du crime organisé durant les dernières décennies. Premièrement, le développement de l’Etat moderne au XXème siècle a été le meilleur allié du crime organisé : plus l’Etat est organisé et interventionniste, plus les possibilités de le corrompre sont élevées. Si les mafias se sont développées dans des Etats autoritaires comme la Russie soviétique, elles peuvent rarement y opérer au-delà des frontières, tandis que les démocraties, et surtout les plus faibles, permettent le développement d’une criminalité organisée et transnationale. Pour compléter cette étude de la relation entre la criminalité et l’Etat, on peut reprendre la vision de Thierry Cretin : « les mafias sont parasitaires, ce qui signifie qu’elles tirent profit de l’Etat (…) elles s’y appuient et s’y enracinent. Elles s’en nourrissent en profitant de ses faiblesses1 ». Le deuxième facteur de cette internationalisation est la révolution du commerce et des transports : les nouveaux moyens de communication permettent la circulation de l’information et de l’argent en quelques secondes, tandis que le développement des transports accroît la mobilité des populations. Cette facilitation des déplacements et du commerce, la mondialisation, a bien sur profité aux criminels, comme le souligne cette déclaration du Secrétaire général de l’ONU Kofi Annan : « Les moyens technologiques qui sous-tendent la mondialisation et l'expansion transnationale de la société civile constituent également l'infrastructure sur laquelle repose la progression des réseaux mondiaux de la société incivile, celle de la criminalité organisée, du trafic des drogues, du blanchiment de l'argent et du terrorisme ».Le résultat d’une telle évolution est donc le fait que le crime organisé n’est plus un problème domestique mais une question globale qui défie le système international et devient donc une question de sécurité nationale, même si , nous le verrons plus loin, la criminalité organisée transnationale n’a pas pour ambition de contrôler le monde. Les principales organisations criminelles transnationales ont une base géographique et sont : les mafias italiennes : Cosa Nostra sicilienne, Camorra napolitaine et Ndrangheta de Calabre, les six grandes triades chinoises et les Yakuzas japonais en Extrême orient, les cartels de narcotrafiquants en Amérique Latine, les mafias italiennes implantées aux Etats-Unis, les groupes russes et plus généralement de l’ancienne URSS ainsi que de Turquie, et des groupes
1Cretin, Thierry, Mafias du monde, organisations criminelles transnationales, Paris, PUF,2002, p. : 200 Africains, principalement au Nigeria. Après cet aperçu, on ne peut que constater leur diversité. On peut ici rappeler que la notion de criminalité organisée transnationale a donné lieu à des définitions qui ne sont pas abordées par Mark Galeotti. La plupart des organisations internationales (comme l’Union Européenne…) et des offices de police(comme Interpol…) proposent des définitions et on peut retenir ici celle du Federal Bureau of Investigation américain : «les groupes de criminalité organisée internationale sont des entreprises criminelles dont les activités illégales et l’influence dépassent les limites nationales ». Cependant, l’auteur insiste sur deux caractéristiques de ces organisations : elles ont une structure spatiale bien particulière, établissant un Etat dans l’Etat ( exemple du Rif marocain dominé par les producteurs de cannabis) ou s’établissant dans plusieurs Etat ( exemple du Croissant d’Or de l’opium en Asie Centrale) ; de même, leur fonctionnement est organisé en réseaux indépendants, comme le système bancaire souterrain de la mafia chinoise. La deuxième partie de la contribution de Mark Galeottti s’attache à distinguer les rôles joués par ces organisations criminelles. Il en distingue quatre : un rôle politique, un rôle de fixeur d’agenda, un rôle économique et une rôle de. Il examine leur rôle politique, économique mais aussi leur capacité à mettre une question au programme (to set the agenda) et leur liens avec d’autres acteurs transnationaux. La première forme d’action des organisations criminelles transnationales est leur capacité à être un acteur politique important dans les Etats affaiblis : ainsi le système politique de la Bolivie des années 1980 était dominé par les narcotrafiquants. Mais le plus souvent, les organisations criminelles tentent d’influencer la politique d’un pays avec l’aide de personnalités corrompues, comme en Amérique Latine où, du fait du poids de la drogue dans l’économie nationale, elles sont souvent entendues. Au-delà du niveau étatique, les activités des mafias transnationales ont des répercussions sur les relations internationales. Le crime organisé a ainsi joué un rôle important dans la prolifération des armes et le déclenchement de certains conflits : en mettant sur le marché des armes peu coûteuses et en encourageant une « course aux armements » entre les différentes factions, elles ont alimenté les conflits de l’Ex Yougoslavie, du Caucase et de l’Afrique de l’Ouest. Ces organisations ont aussi la possibilité de fixer l’agenda politique : en Russie, les actions de la mafia Tchétchène ont légitimé l’intervention de Moscou tandis que les autres pays de la région n’ont pu véritablement protester car ils seraient passer pour des défenseurs de cette criminalité. Selon le même processus, la lutte contre la criminalité transnationale influence également les relations entre Etats : Washington récompense ou réprimande les pays d’Amérique Latine selon qu’ils luttent efficacement ou non contre le trafic de drogue ; tandis que ce même sujet empêche des négociations sur d’autres sujets comme le développement. La face cachée de l’économie mondiale, sa partie criminelle, est difficile a estimer mais s’élèverait à 5% des échanges annuels, tandis que les sommes blanchies atteignent 1000 milliards de $ par an selon le FMI. Quant aux activités des groupes mafieux, elles ont des conséquences considérables sur l’économie, par exemple en ce qui concerne le piratage, la contrefaçon ou par exemple le trafic de cigarettes. Enfin, ce commerce parallèle entraîne une redistribution des revenus, particulièrement pour la drogue, entre les pays développés « consommateurs » et les pays plus pauvres « producteurs ». Mark Galeotti aborde enfin le rôle de multiplicateur de force (« force multiplier ») des organisations criminelles internationales, qui entretiennent des liens étroits avec les organisations terroristes, autre acteur transnational. Ces liens se sont intensifiés ces dernières années à la mesure que les organisations terroristes ont perdus des alliés traditionnels comme l’URSS, la Chine et la Libye. Il est délicat de définir si certains groupes sont avant tout des terroristes ou des organisations criminelles : l’IRA ou le Sentier Lumineux péruvien ont perdus de leur composante politique pour devenir des mafias à la rhétorique politique. Mais l’exemple le plus significatif des ces relations troubles est celui de l’Armée de Libération du Kosovo, lié aux mafias albanaises et dont les fonds proviennent des trafics d’armes et de drogues. De même, le PKK kurde agit sans tenir compte des frontières entre la Turquie et l’Irak et prélève un tribut sur le trafic de drogue en échange d’une route sure. La conclusion du chapitre se veut optimiste en rappelant les récents efforts entrepris par la communauté internationale pour coordonner sa lutte contre le crime organisé transnational, ainsi qu’en soulignant que ces groupes peu unis n’ont pas pour objectifs une prise de pouvoir mais plutôt la recherche du profit1 (réfutant ainsi les craintes de la journaliste Claire Sterling dont l’ouvrage est sous titré : «les multinationales du crime vont-elles s’emparer du pouvoir au niveau mondial?2»)et qu’enfin le crime transnational a acquis une notoriété car apparaît comme un nouveau défi pour des Etats en quête d’ennemi depuis la fin de la Guerre Froide.
Dans un dernier chapitre concluant l’ouvrage, les deux éditeurs reprennent les différents thèmes abordés et tout d’abord le développement des acteurs non étatiques sur la scène
1 « Elles ont du pouvoir –ou plutôt de la puissance- mais rien ne permet d’affirmer qu’elles cherchent à prendre le pouvoir » Cretin, Thierry, « Criminalité organisée : un modèle en voie de mondialisation » in Ramsès 2001, Paris, Ifri, 2 Sterling, Claire, Pax Mafiosa, Paris, Robert Laffont, 1994 international, grâce à la mondialisation et à la fin de la Guerre froide ( qui a permis par exemple l’extension de leurs activités au Sud et dans l’ancien bloc de l’Est). Ils tirent ensuite un bilan en remarquant que si les sources de l’influence des acteurs transnationaux sont multiples, l’autorité morale leur sert le plus souvent de base, comme le montre la profilération des acteurs s’intéressant aux droits de l’homme et à la démocratie. Quant à leur liens avec les Organisations Internationales, ils sont de plus en plus étroits surtout depuis que l’article 71 de la Charte de l’ONU autorise le Conseil Economique et Social à les consulter, et permettent un renforcement mutuel de ces deux acteurs des relations internationales. Pour ce qui est de leurs modes d’action, le lobbying reste prééminent, sauf dans le cas d’organisations terroristes, militaires ou criminelles qui privilégient la violence. Enfin le livre conclut que les Etats demeurent au centre de la politique internationale, qui restent les principaux acteurs des Organisations Internationales et ont la possibilité d’ignorer ou non les activités des acteurs transnationaux. De même, ces acteurs sont encore souvent dépendants des Etats, principalement pour leur financement et fonctionnent dans le cadre de la société internationale, le plus souvent sans la remettre en cause.