Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA

Hors-série n° 10 | 2016 L’origine des sites monastiques : confrontation entre la terminologie des sources textuelles et les données archéologiques Actes des 4es journées d’études monastiques, Baume-les-Messieurs, 4-5 septembre 2014

Sébastien Bully et Christian Sapin (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/cem/14463 DOI : 10.4000/cem.14463 ISSN : 1954-3093

Éditeur Centre d'études médiévales Saint-Germain d'Auxerre

Référence électronique Sébastien Bully et Christian Sapin (dir.), Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre | BUCEMA, Hors- série n° 10 | 2016, « L’origine des sites monastiques : confrontation entre la terminologie des sources textuelles et les données archéologiques » [En ligne], mis en ligne le 09 décembre 2016, consulté le 25 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/cem/14463 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ cem.14463

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SOMMAIRE

L’origine des sites monastiques. Confrontation entre la terminologie des sources textuelles et les données archéologiques Sébastien Bully

La polysémie terminologique des communautés monastiques (VIe-Xe siècle) : quelques cas d’étude Noëlle Deflou-Leca

Les établissements religieux dans le diocèse de Besançon jusqu’à l’an Mil : enquête terminologique Aurélia Bully

Cellula et monasteriolum dans les chartes de la Bourgogne médiévale Marie-José Gasse-Grandjean

Monasterium, cella, abbatia… Enquête sur les différents termes désignant les communautés religieuses au haut Moyen Âge (Ve-milieu IXe siècle) et leur signification Michèle Gaillard

Chronologie, diffusion et environnement des villae dans l’Europe médiévale (VIIe-XIIIe siècles) : recherches sur les corpus diplomatiques numérisés Nicolas Perreaux

Oratoires et chapelles, domus et villae. Une origine des monastères Christian Sapin

Locus Novalicii : avant l’abbaye bénédictine de Novalaise Gisella Cantino Wataghin

L’ancien prieuré Saint-Martin de Mesvres (Saône-et-Loire) Sylvie Balcon-Berry

Une fondation multiple, un monastère pluriel. Les contextes topographiques de la genèse du monastère d’Aniane d’après l’archéologie et la Vie de saint Benoît (fin VIIIe-IXe siècle) Laurent Schneider

Les premiers monastères d’Auvergne à la lumière de la documentation textuelle et archéologique (Ve-Xe siècle) : état de la question Damien Martinez

L’abbaye de Saint-André-le-Haut à Vienne. Origine et développement d’un monastère de moniales Anne Baud, Nathanaël Nimmegeers et Anne Flammin

Von der villa Paterniaca zur aecclesiae sanctae Mariae Paternensis. Die Abbatiale von Payerne und ihre Vorgängerbauten im Spiegel der Schriftquellen des ersten Jahrtausend – eine Annäherung Guido Faccani

Les origines de l’abbaye lyonnaise Saint-Martin de Savigny Olivia Puel et Pierre Ganivet

Un riche contexte d’implantation pour l’abbaye Saint-Géraud d’Aurillac (Cantal) : l’apport de l’archéologie préventive Nicolas Clément

En guise de conclusions… Pascale Chevalier

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L’origine des sites monastiques. Confrontation entre la terminologie des sources textuelles et les données archéologiques

Sébastien Bully

En guise d’introduction…

1 Pour ces quatrièmes Journées d’études monastiques1, nous avons souhaité aborder la question de l’origine des sites monastiques à partir d’une confrontation entre la terminologie des sources textuelles et les données archéologiques. À l’instar des rencontres précédentes, il s’agit d’engager une discussion entre archéologues et historiens des sources écrites, afin, ici, de réfléchir ensemble sur les définitions archéologiques, monumentales, architecturales ou topographiques que recouvrent les différents termes utilisés dans la documentation textuelle pour des périodes – entre l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge – et/ou des contextes différents de fondations. Sans bien évidemment prétendre à l’exhaustivité, c’est à partir d’un panel de nouveaux programmes de recherches représentatifs, historiques aussi bien qu’archéologiques, en France comme à l’étranger, que nous avons élaboré cette rencontre.

2 Cette réflexion doit permettre de formaliser de (souvent) longues discussions engagées entre nous sur différents chantiers et de soumettre à la communauté de nouvelles hypothèses ou, parfois, de simples pressentiments attendant encore d’être nourris…

3 La démarche se veut complémentaire de celles engagées, par exemple, par Brigitte Beaujard dans son étude sur le culte des saints en Gaule : selon cette dernière le terme de cella pouvait en effet définir un monument abritant une tombe sainte, et pas seulement un modeste établissement2. Ces aspects sémantiques ont été également déjà bien traités pour l’Italie par Gisella Cantino Wataghin, notamment pour le terme de monasterium, dont elle a démontré toute la polysémie et qui peut indiquer à la fois une communauté ou un établissement d’ermite(s) ou, encore, comme dans les sources ravennates jusqu’au IXe siècle, une simple chapelle ou un oratoire3…

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4 On sait bien toutes les interrogations que suscitent les villae du haut Moyen Âge mentionnées dans les chartes de fondations ou des Vitae précoces, et dans lesquelles s’installèrent un certain nombre de nos monastères, entre domaine foncier et structures résidentielles. On pensera à la fondation de Fulda qui réutilise au milieu du VIIIe siècle les structures d’une villa rustica du VIIe siècle4 . Les dernières recherches menées par Christian Sapin et Anne Baud à Cluny sont d’ores et déjà des plus éclairantes, comme c’est le cas également des travaux de Pascale Chevalier, Arlette Maquet et Sophie Liégard sur la villa de Sylviniacum, qui deviendra le prieuré de Souvigny. C’est malheureusement moins vrai pour la villa de Gigny, domaine de Bernon, dont on ignore encore tout. Et qu’en est-il de ces fondations de l’Antiquité tardive qui s’installent dans des villae antiques, comme à Ligugé où à Vivarium, pour n’en citer que deux parmi les plus célèbres, ou de celles du haut Moyen Âge, comme la fondation primitive de Vézelay dans la villa supposée de Saint-Père ? Loin d’être un « marronnier » de l’historiographie monastique, la question de réutilisation des structures de l’Antiquité par les premiers monastères demeure complexe, riche et surtout peu étudiée pour la Gaule – contrairement à l’Espagne par exemple5 et à l’Italie dans une moindre mesure6. À cet égard, on pensera aux interrogations que suscite l’interprétation de la description de la villa-monastère de Primuliacum de Sulpice Sévère7, qui nous renvoie, finalement, à la question : qu’est-ce qu’un monastère à la fin du IVe-Ve siècle ? À n’en pas douter, pour la région, des travaux sur les conditions de fondation de Condat/Saint-Claude au Ve siècle pourraient nous amener sur ce terrain.

5 Enfin, j’achèverai cette rapide introduction en m’arrêtant au monastère dans lequel nous nous sommes retrouvés, Balma, qui est cité pour la première fois dans un acte de 869 comme une cellula, en opposition ou en complément, dans ce même document, à l’abbatiolia de Château-Chalon. Dans sa confrontation avec les données archéologiques issues des dernières recherches menées sur Baume, la définition de cellula, entendue comme une simple station foncière, doit être fortement nuancée. Tout cela nous ramène à l’interrogation posée par Gérard Moyse il y a quelques années – et à laquelle nous allons essayer de répondre en partie – lorsqu’il écrivait à propos de Baume : « quand saurons-nous exactement le sens d’un mot comme cellula au haut Moyen Âge ?8 ».

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Fig. 1 – Communication dans la « salle de l’ancien dortoir des moines » à Baume-les-Messieurs le 5 septembre 2014

Cl. D. Vuillermoz

NOTES

1. Comme pour les années précédentes, ces journées d’études ont été organisées dans le cadre du Projet collectif de recherche intitulé « Monastères en Europe occidentale (Ve-Xe siècle). Topographie et structures des premiers établissements en Franche-Comté et en Bourgogne », sous la codirection de S. Bully et C. Sapin. 2. B. BEAUJARD, Le culte des saints en Gaule. Les premiers temps. D’Hilaire de Potiers à la fin du VIe siècle, Paris, 2000, p. 337-340. 3. Pour un exposé synthétique de cette question et la bibliographie : E. DESTEFANIS, « La vie quotidienne des moines et des moniales en Italie du Nord jusqu’au Xe siècle : état des sources archéologique », in O. DELOUIS et M. MOSSAKOWSKA-GAUBERT (éd.), La vie quotidienne des moines en Orient et en Occident (IVe-Xe siècle), t. 1, Le Caire, 2015, p. 387, n. 3. 4. Communication de J. Raaijmakers « Le réseau de Fulda et la création d’un paysage sacré (2 e moitié du 9e siècle) » à la table-ronde : Topographie, circulations et hiérarchie au sein des ensembles monastiques dans l’Occident médiéval, sous la direction de Michel Lauwers, Université de Nice, 18-19 avril 2008. 5. A. CHAVARRIA ARNAU, « Monasterios, campesinos y villae en la Hispania visigoda : la tragica historia del abad Nancto », in Mélanges d’Antiquité tardive. Studiola in honorem Noël Duval, Turnhout, 2004, p. 113-125. 6. N. REVEYRON, « Forma monasterii. Essai sur l’organisation de l’espace monastique comme mise en forme de l’identité ecclésiologique », Hortus artium medievalium, 20/2 (2014), p. 439-447.

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7. R. ALCIATI, « And the villa became a monastery : Sulpicius Severus’ community of Primuliacum », in H. DEY et E. FENTRESS (éd.), Western monasticism Ante litteram. The space of monastic and the early middle ages, Turnhout, 2011, p. 85-98. 8. G. MOYSE, Les origines du monachisme dans le diocèse de Besançon (Ve-Xe siècle), Paris, 1973 (extraits de la BEC, t. 131), p. 147.

INDEX

Index géographique : France/Baume-les-Messieurs Mots-clés : villae, cellae, cellula, locus, monasterium, abbatiola

AUTEUR

SÉBASTIEN BULLY Chargé de recherche CNRS, UMR ArTeHiS

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La polysémie terminologique des communautés monastiques (VIe-Xe siècle) : quelques cas d’étude

Noëlle Deflou-Leca

1 La réflexion qui sera mienne dans le cadre de ces journées d’études monastiques sur la complémentarité et l’hétérogénéité des approches documentaires et archéologiques s’appuie sur un type d’outil de travail qui s’est beaucoup développé dans nos disciplines depuis une dizaine d’années et permet de rassembler, de comparer et d’interroger une masse documentaire importante. Je veux parler des bases de données. Lorsqu’elles sont bâties ex nihilo autour de problématiques spécifiques et se posent donc à la fois en travaux historiographiques et en outils de recherche, ces bases obligent les collaborateurs qui les renseignent et les complètent à faire des choix interprétatifs qui les placent parfois devant de véritables casse-tête1. La documentation médiévale comporte, en effet, au moins jusqu’au XIIe siècle, une large diversité terminologique pour désigner les communautés monastiques. Il s’agira donc ici de soulever les problèmes méthodologiques et interprétatifs posés par cette grande variété lexicale.

2 Après une mise au point sur les usages de l’historiographie en matière de sémantique canoniale et monastique et leurs enjeux interprétatifs, j’aborderai quatre cas d’étude, qui reflètent chacun des situations et des usages terminologiques spécifiques : Sainte- Geneviève de Paris et Saint-Bénigne de Dijon, qui permettront de poser le problème de la difficulté à cerner le statut des établissements fondés au très haut Moyen Âge ; Saint- Germain d’Auxerre permettra de suivre les évolutions entre terminologie et institution entre le Ve et le VIIIe siècle et de poser la question du passage au statut monastique ; Flavigny, qui, à travers le testament de son fondateur Widrade, mettra en lumière l’ampleur des usages terminologiques au début du VIIIe siècle et, enfin, Saint-Marcel-lès- Chalon, qui offrira le cas d’un transfert de statut entre communauté régulière et chapitre de clercs séculiers.

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Méthodologie et pratiques historiographiques

3 Un des principes fondamentaux des bases de données dites relationnelles est, en effet, la volonté de caractériser étroitement les objets d’étude, de faire rentrer les informations dans des catégories, des champs bien identifiés, souvent matérialisés par des listes de choix, qui ont été pesés et réfléchis en amont lors de l’élaboration de l’architecture de la base, mais qui sont, par voie de conséquence, assez rigides et contraints. L’intérêt d’établir un tel thésaurus est de baliser de manière précise les critères d’interrogation et donc d’utilisation de ces outils. Dans un travail sur les établissements monastiques, le collaborateur, historien ou archéologue, est alors contraint à faire des choix, de donner la préférence à une interprétation, même si, par ailleurs, il peut avoir la possibilité d’expliciter ses choix par un commentaire libre. Ces contraintes de saisie peuvent aller jusqu’à des champs de type booléen, autrement dit binaire. Ainsi dans le projet d’analyse géomatique diachronique de l’espace urbain parisien (ALPAGE)2, le traitement des établissements religieux a-t-il donné lieu à une grille de saisie, dont un des premiers critères fut de caractériser chaque établissement comme séculier ou régulier. Cette catégorisation, simple, qui semblait parfaitement répondre à nos critères de classification des établissements religieux, s’est heurtée à des débats animés entre les collaborateurs de l’équipe, preuve s’il en est que ces paramètres n’étaient pas sans poser problème pour qui travaillait sur les premiers siècles du Moyen Âge. La difficulté vient de ce que le vocabulaire employé dans les sources pour désigner un établissement n’est ni limpide, ni surtout univoque selon les auteurs, les sources ou les périodes considérées, notamment avant les siècles carolingiens3. La documentation offre une très large diversité terminologique que l’on peut résumer par la liste suivante des termes les plus couramment utilisés pour désigner les structures et lieux monastiques : basilica, ecclesia, capella, oratorium, casa, locus, domus, villa, monasterium, monasteriolum, coenobium, coenobiolum, cella, cellula, abbatia, abbatiola, prioratus, claustrum, congregatio. Cette liste n’est pas exhaustive et l’on pourrait y ajouter des termes moins communs, mais tout aussi pertinents, comme celui de religio employé dans le sens de vie monastique régulière ainsi que l’utilisent par exemple Salvien au Ve siècle ou, encore, à l’orée du XIIe siècle, Hugues de Flavigny en opposition à la secularitas4.

4 La question centrale est bien de savoir comment comprendre ces termes et comment les traduire. Autrement dit, quelles identités juridiques ou fonctionnelles se cachent derrière ces mots pour les périodes considérées, Ve-Xe siècle ? Expriment-ils des nuances, des spécificités ou bien sont-ils purement et simplement synonymes ? Tous les auteurs les utilisent-ils de la même manière ? En tant qu’institution, l’Église dispose d’un droit qui s’exprime, notamment, par un lexique dont les termes ont un sens précis, même s’il peut y avoir des variations ou des inflexions au fil du temps. À titre d’exemple, et pour être volontairement caricatural, peut-on s’autoriser, dans certains cas, à traduire monasteriolum, coenobiolum, cella, cellula, abbatiola voire ecclesia, locus ou casa par prieuré ? De même, suffit-il d’avoir la mention d’un monasterium ou d’un coenobium pour être certain qu’il y ait là des moines, autrement dit une communauté qui suit une règle alors même que rien d’autre que ce mot n’est véritablement attesté ? La question est délicate. En ce domaine, l’historiographie a eu tendance à abuser de la méthode régressive qui présuma un peu trop facilement une présence monastique précoce à toute communauté cénobitique bien attestée à partir des IXe-Xe siècles. D’où

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l’importance de prêter aussi attention à la terminologie des individus qui occupent ces mêmes lieux : abbas, rector, praepositus, conventus, monachi, fratres, canonici, levites, presbyteri, actores, lectores, clerici… Cette terminologie n’échappe pourtant pas, elle aussi, à une certaine fluidité. Un évêque, un prêtre ou un abbé peuvent tout autant être qualifiés de rector. Dans ce travail d’identification et d’interprétation, croiser la terminologie des lieux avec celle des hommes permet, cependant, de dessiner au plus près les caractères précis de nos objets d’étude et de cerner au plus juste ces réalités ecclésiales.

5 La tradition historiographique aborde pourtant différemment ces deux listes d’occurrences. D’un côté, on a traditionnellement tendance à considérer que le vocabulaire utilisé dans la documentation diplomatique pour désigner des lieux – basilica, ecclesia, casa, locus, monasterium, monasteriolum, coenobium, coenobiolum, cella, cellula, abbatia, abbatiola, prioratus, claustrum, capella, oratorium, villa… – est vague, interchangeable et donc difficile à traduire et à interpréter, surtout jusqu’à l’époque carolingienne. Plusieurs de ces termes peuvent, en effet, pour nos époques, tout aussi bien correspondre à de simples églises qu’à des établissements abritant une communauté de clercs, dirigée ou non par un abbas, ou encore une communauté cénobitique suivant une règle et récitant l’office des heures. La distinction entre réguliers et séculiers n’est pas ici un critère sémantique fort. Seule une ample connaissance du contexte documentaire de chaque cas peut permettre de proposer un sens plus tranché. Encore faut-il rappeler que l’historiographie traditionnelle n’a pas toujours eu autant de scrupules avant de traduire certaines occurrences latines par monastère ou par le terme fourre-tout de prieuré, y compris au haut Moyen Âge. Même absence de scrupules pour affirmer sans ambages que tel établissement était régulier, juste parce que la documentation le désignait comme un monasterium. Certains auteurs ont pourtant donné une définition calibrée de quelques termes. Jean Cassien précise ainsi dans ses Collationes que si monasterium peut parfois désigner la demeure d’un seul frère et donc un ermitage, coenobium ne s’emploie lui qu’à propos d’un établissement comportant une véritable communauté puisque, étymologiquement, il se rapporte à la vie en commun5. Isidore s’en inspire encore au VIIe siècle dans ses Étymologies et son De ecclesiasticis officiis6. On remarque que le caractère séculier ou régulier de ces communautés n’est pas un paramètre de la définition. Est-ce à dire que les deux modes de vie n’étaient pas alors particulièrement distingués en un temps, où, en Occident, la rédaction de règles monastiques est en plein essor ? Ces expressions ne traduisent-elles pas aussi le caractère composite de ces communautés, qui peuvent comporter des modes de vie différents, mêlant ermites, cénobites et clercs ? Le cas de Sainte-Marie de Tabladillo en péninsule Ibérique offre un exemple intéressant. Un acte de 946 précise ainsi que s’y côtoient des moines (monachi), des anachorètes (anacoritae) et des clercs (clerici)7. Est-ce à dire aussi que ces définitions cassiniennes reflètent les acceptions communes et surtout qu’elles perdurent ? C’est beaucoup s’avancer. À partir du VIIe siècle, la documentation diplomatique laisse le plus souvent entendre une équivalence entre les deux termes, employés l’un pour l’autre dans les actes. Les exemples sont légion8. Florian Gallon a même repéré en péninsule Ibérique l’utilisation de l’expression fusionnelle étonnante de cenobio monasterio dans un acte daté de 947 9. Le constat est moins vrai pour la documentation narrative. Chez Grégoire de Tours ou chez Frédégaire, notamment, les occurrences ecclesia/basilica/capella/monasterium sont globalement bien distinguées et peu interchangeables10. Lorsque la terminologie semble fixée et bien distincte, il est des cas où l’étude des occurrences permet de mettre en

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évidence des évolutions et des changements de statuts d’un établissement. Pour Saint- Philibert de Tournus, Isabelle Cartron11 a pu montrer que pour être rare, il y avait bien un établissement, Saint-Pourçain en Auvergne, dont la terminologie traduisait une évolution de statut avec, au moment de sa donation à la congregatio de Saint-Philibert (entre 871 et 915)12, une désignation comme abbatia, puis dans la confirmation des possessions de Saint-Philibert par Charles le Simple (915)13, il devient une cella et apparaît enfin comme monasterium au début du XIIe siècle. On retrouve une situation similaire à Saint-Germain d’Auxerre avec la dépendance de Moutiers-en-Puisaye14. L’établissement est connu au moment de sa fondation comme un monasterium dans les Gestes des évêques d’Auxerre, rédigés vers 875. Il s’agit de la notice de l’évêque Quintilien, ancien abbé de Saint-Germain, qui fonde vers 735, sur ses biens propres, le monasterium de Moutiers et le dote d’un xenodochium. Il est toujours désigné comme monasterium dans la Notitia de servitio monasteriorum de Louis le Pieux en 81915. On ignore en revanche quel terme est utilisé pour désigner son responsable. Est-ce un abbas, un rector ou encore un prior, qui exprimerait déjà une hiérarchie inférieure dans la nomenclature traditionnelle ? En revanche, dans la confirmation des biens de Saint-Germain par Charles le Chauve le 20 juin 864, puis par les évêques réunis en synode à Pîtres la même année, Moutiers est alors mentionné comme cella de Saint-Germain. L’établissement réapparaît pourtant comme monasterium et cenobium au XIe siècle dans la notice des Gestes d’Hugues de Chalon à propos de la réfection des bâtiments et de la translation à Moutiers du corps de l’évêque Didier16. Pour Saint-Pourçain comme pour Moutiers, le changement de vocabulaire n’est pas anodin car il correspond à un changement juridique. Il reflète le passage d’un statut d’autonomie à celui de dépendance envers un établissement plus important. La désignation comme un monasterium semble ensuite agir comme une appellation plus générique, qui désigne à la fois une communauté dépendante et une communauté autonome. C’est dire que les usages ne sont pas fixés. Il n’est, en effet, pas rare que des établissements, pourtant dépendants depuis l’origine, restent désignés comme des monasteria. Ainsi en est-il par exemple de Saint-Pierre d’Estoublon désigné dès sa fondation sous la dépendance de Carluc en 1030 comme un monasterium. L’établissement, dirigé par un prior, est toujours mentionné comme un monasterium au XIIIe siècle, alors qu’il est passé sous la dépendance de Montmajour depuis plus d’un siècle17. On sait, pourtant, que certains établissements, sans doute par égard pour leur ancienneté et leur passé glorieux, conservent leur titre d’abbaye après leur entrée sous la dépendance clunisienne, Saint-Germain d’Auxerre en est un exemple à partir de 1100.

6 A contrario et toujours par usage, les historiens considèrent que la terminologie qui désigne des hommes et des individus est plus fiable, plus fixe et donc moins équivoque. Ainsi, le monachus est-il un moine, c’est-à-dire un laïc ou un clerc qui vit en communauté suivant une règle et appartient donc à une communauté régulière18. Le canonicus est un chanoine donc un clerc qui entoure l’évêque ou vit en communauté et suit la liturgie des heures. La distinction entre vita monastica et vita canonica se complique sérieusement au XIe siècle avec la réforme canoniale et l’essor de l’ordo novus, qui rapproche encore les modes de vie des deux communautés, canoniales et monastiques. Après la réforme carolingienne, on a tendance à considérer que seules les mentions de clerici-canonici et de monachi permettent d’attribuer sans équivoque un statut de séculier ou de régulier. Cette assurance ne vaut assurément pas pour toute la terminologie des membres des établissements qui nous intéressent. Certains termes comme abbas, rector, praepositus ou fratres sont plus polysémiques. On minimise

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évidemment les risques d’erreurs en étant attentif au croisement de l’emploi des termes, aux binômes, voire aux trinômes associés : abbas/monachi/monasterium, congregatio monachorum, basilica/monachi, basilica/clerici, mais les choses sont à l’évidence plus confuses avec des binômes comme monasterium/fratres ou monasterium/ canonici.

7 Conscients de ces pratiques historiographiques, l’attention au vocabulaire, aux recoupements et aux comparaisons des usages terminologiques en fonction des auteurs et des périodes considérées est le seul garde-fou qui permet d’éviter le piège de l’interprétation hâtive. Une fois posés ces quelques jalons méthodologiques, arrêtons- nous sur plusieurs cas symptomatiques, qui permettent de pointer du doigt la variété des situations et des usages terminologiques, afin d’évaluer les difficultés qui en résultent pour l’interprétation historique.

Sainte-Geneviève de Paris, Saint-Bénigne de Dijon ou les difficultés de catégorisation religieuse au haut Moyen Âge

8 L’abbaye Sainte-Geneviève est un établissement majeur du Paris médiéval, que l’on peut suivre sur la longue durée entre le Ve et le XVIIIe siècle. Cette longévité laisse entrevoir de nombreuses évolutions, notamment juridiques et topographiques19. Ses origines sont assez bien documentées par la Vita Genovefae, rédigée vers 520, qui rapporte l’inhumation de sainte Geneviève († v. 502) dans une nécropole de la rive gauche, sur la colline qui prend plus tard le nom encore usité de nos jours de montagne sainte Geneviève. À l’emplacement de la tombe, est rapidement bâti un oratoire (oratorium) de bois20. Environ un siècle plus tard, une basilique (basilica) en l’honneur de la sainte est élevée sur sa tombe ou à proximité par les souverains francs Clovis et Clotilde. Celle-ci remplace donc l’oratoire primitif. On sait par Grégoire de Tours que cette basilica n’est alors pas dédiée à Geneviève, mais aux saints Apôtres ou à saint- Pierre, terminologie équivalente à l’époque21. Grégoire précise aussi que la basilique devient la nécropole royale de Clovis, Clotilde et leurs descendants jusque dans les années 580, où la fonction de basilique funéraire royale est transférée à Saint-Vincent. Dans cette première phase de l’établissement, aux VIe-VIIe siècles, on ignore en revanche tout de la communauté qui dessert cette basilique.

9 La situation évolue dans la documentation carolingienne22. Il est fait pour la première fois mention d’un monasterium Saint-Pierre dans un passage de la Translatio sancti Germani episcopi Parisiaci censée se dérouler au milieu du VIIIe siècle23. Comment interpréter cette évolution terminologique alors qu’en parallèle l’établissement est en général mentionné comme une ecclesia24 ? Est-ce à dire que des moines viennent remplacer ou se juxtaposer aux clercs dans un groupe basilical composite ? Des moines étaient-ils déjà implantés alentour de la basilique ? On sait, par ailleurs, que le terme monasterium n’implique pas systématiquement la présence d’une communauté cénobitique, mais peut désigner un groupe aussi bien clérical que monastique. C’est le cas, notamment, à Saint-Martin de Tours, nous allons le voir, à Saint-Marcel-lès- Chalon. Un siècle plus tard, en 856, une lettre est adressée à l’archevêque de Sens, Guenilon, par les clercs de la cathédrale de Paris et les frères des monastères (fratres cenobii) de Saint-Denis, Saint-Germain et Sainte-Geneviève25. L’utilisation du terme

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coenobium et la mise sur le même plan de Sainte-Geneviève avec deux établissements monastiques bien documentés ont fait pencher l’interprétation en faveur d’un statut monastique régulier. Pour autant, ce vocabulaire reste polysémique et chacun y voit un peu ce qu’il a l’habitude d’y voir. En l’absence de mentions plus précises et associées de clerici ou de monachi, la prudence invite à ne pas trop vite trancher sur le statut de la communauté, qui peut être l’un et/ou l’autre avec des évolutions possibles entre les deux moments documentés que sont le milieu du VIIIe et le milieu du IXe siècle. On peut arguer en faveur d’un monastère le précédent déjà évoqué de la Translatio sancti Germani. On peut tout autant pencher pour un chapitre collégial de clercs compte tenu du fait que la desservance nécessite une présence cléricale et que ce sera le statut postérieur (XIe siècle) de la communauté, mais cette argumentation régressive, bien que commune, n’a pas valeur de preuve.

10 Les données ne se simplifient guère jusqu’au XIIe siècle. Après le passage des Normands en 857, il semble que la communauté ait été dispersée et les bâtiments détruits26. Elle resurgit vers 1010 dans un acte de Robert le Pieux, qui confirme la refondation d’une communauté composée de canonici suivant la règle canoniale, c’est-à-dire très probablement celle d’Aix27. L’acte précise que ce statut était celui de la communauté à ses débuts. Comment interpréter le passage ? Renvoie-t-il à une refondation récente que viendrait peu après confirmer le privilège du roi ou à une phase antérieure ? Là encore, impossible de trancher sans doutes, même si la première option semble la plus plausible. À cela s’ajoute une légère incertitude quant à l’interprétation de l’expression secundum regulam canonicalem. C’est au cours du XIe siècle qu’à la faveur des idéaux réformateurs, certaines communautés canoniales optent pour une rigueur plus stricte et, prenant pour modèle la Vita apostolica, se rapprochent ainsi des usages monastiques en optant pour la règle dite de saint Augustin. Dès lors, le rapprochement et la confusion entre vita canonica et vita monastica n’en furent que plus grands. Cette tendance éclôt dans les années 1035-1040 avec Saint-Ruf, mais se développe surtout à partir du dernier tiers du siècle, il est donc exclu qu’en 1010 Sainte-Geneviève comporte déjà des chanoines réguliers. Pour autant, en fonction de la chronologie concernée, on mesure bien ici l’ambiguïté des expressions liées à la vie communautaire.

11 La situation de l’abbaye Sainte-Geneviève s’éclaircit enfin à partir de 1147 lorsque, réformée par la congrégation des Victorins, elle devient alors une abbaye de chanoines réguliers, statut bien balisé par un cadre juridique ecclésial de plus en plus précis qu’elle conserve jusqu’à la Révolution.

12 Le dossier documentaire de Saint-Bénigne offre une comparaison intéressante. La chronologie est tout à fait comparable, puisque l’établissement est fondé peu après 507 par l’évêque de Langres, Grégoire, dans une zone funéraire où était inhumé le martyr Bénigne. Aucun indice fiable ne vient éclairer la nature exacte de cette fondation et son évolution au VIe siècle, car tous les actes supposés de cette époque ne sont connus que par la Chronique de Saint-Bénigne, texte rédigé dans les décennies médianes du XIe siècle. Même si le chroniqueur puise, à n’en pas douter, son récit au chartrier du monastère, il est impossible de mesurer la part de fidélité ou d’interprétation qu’il donne des actes juridiques évoqués et partiellement transcrits et dans lesquels il est fait mention d’un monasterium, d’une abbatia, de monachis, de congregatio monachorum et de monasticus ordo, autrement dit une terminologie plus spécifiquement monastique28. Pour le VIIe et la première moitié du VIIIe siècle, les sources, sans être des actes originaux, sont un peu moins biaisées puisqu’il s’agit de copies transmises par des cartulaires. Les mentions se

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réduisent à six chartes entre 632 et 737. Seules deux d’entre elles évoquent explicitement des monachi, à chaque fois associés à la figure des pauvres – monachi vel pauperes et monachi et matricularii29. Les autres ne désignent Saint-Bénigne qu’à travers les termes génériques d’abbas voire abbas congregationis, fratres, basilica et surtout actores, systématiquement mentionnés, terme qui renvoie aux intendants de la communauté, mais ne dit rien de la nature juridique de celle-ci30. À partir de là, deux interprétations coexistent, certains y voient une communauté de clercs, d’autres une communauté de moines31. Les deux sont en effet possibles, à quoi bon trancher à toute force ? Ne vaut-il pas mieux se contenter alors des faits documentaires ? Les divergences s’estompent à partir de 751, date à laquelle la terminologie laisse moins de prise à l’interprétation et aux incertitudes puisqu’une donation est alors faite aux « frères, prêtres, lévites, lecteurs et tous les clercs de la basilique du seigneur Bénigne32 ». La desservance de la basilique par un chapitre clérical se confirme dans la documentation postérieure jusqu’à ce que l’évêque de Langres, Isaac, décide vers 865/872 de régulariser la communauté en y installant des moines suivant la Règle de saint Benoît33.

13 En synthèse, que nous apprennent ces exemples de Sainte-Geneviève et de Saint- Bénigne ? La classification contrainte du thésaurus de la base de données Alpage a permis de pousser l’analyse jusque dans ces moindres retranchements pour épurer les données et serrer au plus près les apports de la documentation, en réduisant au maximum les interprétations hâtives ou conventionnelles qui font d’un établissement un monastère ou une collégiale, plus par influence des habitudes cognitives et des terrains d’étude de chacun qu’au vue de données objectives34. Le classement booléen, qui, dans l’historiographie, partage les établissements entre réguliers et séculiers n’est pas pleinement opérationnel pour les hautes époques, au moins jusqu’aux temps carolingiens. Ces catégories, cléricale/canoniale et monastique sont plus poreuses qu’il n’y paraît et peuvent être concomitantes au sein des mêmes groupes basilicaux.

Saint-Germain d’Auxerre, de l’oratorium au monasterium

14 Une évolution chronologique comparable se retrouve dans la documentation de Saint- Germain d’Auxerre, mais avec ici des usages terminologiques plus séquentiels35. L’établissement est d’abord fondé hors les murs de sa cité par l’évêque Germain († 448) comme un sanctuaire en l’honneur des saints martyrs d’Agaune. Sur cette phase initiale, les sources sont tardives, carolingiennes. Deux termes sont utilisés pour qualifier la construction de Germain : basilicam dans les Gestes des évêques d’Auxerre et oratorium dans les Miracula sancti Germani du moine Heiric 36. Ce dernier précise que l’oratoire était alors desservi par un prêtre (sacerdos). Il s’agit donc là d’une église basilicale desservie par au moins un clerc, mais il n’est aucun indice dans les Gestes ou chez Heiric qu’il y ait eu une communauté cléricale. On peut par ailleurs exclure qu’il y ait eu une communauté cénobitique, car la notice des gestes mentionne, juste avant le passage sur l’oratoire Saint-Maurice, la fondation par Germain d’un monasterium dans lequel il établit des monachi. Il est raisonnable de supposer que si la situation avait été semblable pour Saint-Maurice, les Gestes l’auraient précisé. À sa mort, Germain est inhumé dans cet oratoire, qui devient une basilique funéraire avec l’emploi systématique du mot basilica dans toutes les sources qui désignent l’établissement37.

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15 La situation est plus confuse lorsqu’on s’interroge sur la chronologie du passage de Saint-Germain au statut de monastère occupé par des moines réguliers. Les Gestes des évêques sont, là encore, notre principale source. Ils précisent qu’au début du VIIe siècle, sous l’épiscopat de Didier (605-623), la basilique était dirigée par l’abbas Pallade, qui n’est plus mentionné en tant que simple prêtre, comme l’étaient ses prédécesseurs, mais comme presbyter et abbas et dont on peut supposer derrière cette évolution terminologique qu’il est alors à la tête d’une véritable communauté. Une communauté certes, mais de quoi : de clercs ou de moines ? Un indice supplémentaire est fourni par la notice de Pallade (623-659), dans laquelle Saint-Germain est désigné pour la première fois comme un monasterium. Il est dit de Pallade qu’il fut abbas monasterii sancti Germani avant d’être élu à l’épiscopat. En revanche, la même notice utilise encore le terme basilica pour désigner Saint-Germain. Le même schéma se retrouve dans la notice suivante de l’évêque Trétice (692-707). Dès lors, le mot monasterium côtoie basilica ou ecclesia dans la documentation pour désigner Saint-Germain. Il y a incontestablement dans les Gestes épiscopaux une rupture sémantique dans la désignation de l’établissement. Est-ce le simple fruit du hasard ou bien est-ce volontaire de la part des rédacteurs carolingiens pour lesquels les communautés cénobitiques sont des réalités quotidiennes ? On peut toujours, par une démarche hyper-critique, émettre des doutes. Mais ce constat d’une réelle évolution terminologique est objectif même si la faiblesse du nombre d’occurrences et de la documentation en général demeure un point faible du dossier.

16 La présomption plus solide de la présence effective de moines apparaît un peu plus tard avec l’utilisation du binôme basilica/monachi, toujours dans les Gestes avec la notice d’Hainmar (720-735), qui donne une villa à la basilica sancti Germani, ad stipendium monachorum. Ici, comme pour le dossier de Sainte-Geneviève, la terminologie évolue. Quelle est la part d’inflexion insensible des usages et celle volontaire des auteurs d’adapter le vocabulaire choisi aux évolutions statutaires et juridiques ? Toute la difficulté de l’interprétation historique est là et la faiblesse des indices documentaires n’est pas le moindre des handicaps.

Flavigny et les apports du testament de Widerade (premier quart du VIIIe siècle)

17 L’abbaye de Flavigny offre une base documentaire fort différente. Je m’arrêterai ici sur un seul texte particulièrement symptomatique de la polysémie terminologique qui nous occupe. Il s’agit du testament de Widerade, fondateur du monastère, dont le texte est daté selon les auteurs les plus récents des années 722/72338. Il est connu en deux versions, toutes deux copiées dans le cartulaire de Flavigny, sans doute rédigé dans le premier tiers du XIe siècle et aujourd’hui perdu, mais connu par plusieurs copies, intégrales et partielles, des XVIIe et XVIIIe siècles39. Comme l’a montré récemment Josiane Barbier, ce qui était considéré depuis les travaux de Jean Marilier comme la seconde expédition de cette première version, aussi appelée grand testament de Widerade, est en fait une seconde version interpolée à l’époque carolingienne pour y insérer un codicille rédigé par Widerade, peu après son testament initial, afin de protéger sa fondation des ambitions épiscopales. Cette version, aussi partiellement connue par les Formulae flaviniacenses transmises par un manuscrit du IXe siècle, est pour parties plus proche de l’original, même si elle en diffère par des interpolations d’abord

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carolingiennes puis introduites dans l’eschatocole lors de la cartularisation de l’acte au XIe siècle40. Le texte s’inscrit en droite ligne des testaments francs « à la romaine » et, en reprenant l’essentiel du formulaire classique, apparaît comme l’un des derniers héritiers des dispositions testamentaires de l’Antiquité tardive41.

18 Dans ces dispositions à cause de mort, Widerade teste en faveur de quatre établissements religieux : Saint-Andoche de Saulieu, Alise-Sainte-Reine, Saint-Ferréol42 et Flavigny, alors dédié à saint Prix. Pour désigner ces établissements, le texte n’utilise pas moins de huit termes différents : basilica, locus, monasterium et monasteriolum, abbadia43, coenobiolum, casa et ecclesia44. Aucun n’est utilisé dans l’eschatocole interpolé au moment de la cartularisation de l’acte, mais plusieurs termes sont mentionnés dans les parties interpolées à l’époque carolingienne : loca sancta, basilica, monachi, casa, abbadia, monasteriolum, coenobiolum. Hormis celui d’abbadia proprement carolingien, les autres termes ne sont pas spécifiques d’une période et sont employés ici à la fois dans la partie du testament rédigé v. 722 et dans celle interpolé au IXe ou au Xe siècle. Quant à l’évocation des hommes qui les occupent, trois mots seulement sont usités : abbas, rectores et monachi, autrement dit les responsables de la communauté et les frères qui la composent. On sait par l’acte de confirmation des biens de Flavigny, rédigé en 719 par le même Widerade, que les frères suivent la Règle de saint Benoît45. Il n’y a donc pas de doute possible sur le caractère cénobitique de Flavigny à la fondation. L’analyse de l’utilisation de ces occurrences met en évidence un usage du vocabulaire apparemment indifférencié (tab. 1).

Tab. 1 – La désignation des établissements religieux dans le testament de Widerade

Saint-Andoche Flavigny Alise-Sainte-Reine Saint-Ferréol de Saulieu

basilica + + + +

locus + + + +

monasterium +

monasteriolum +

abbadia + + + +

coenobiolum +

casa +

ecclesia + + + +

abbas +

monachi +

rectores + + + +

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19 Les termes basilica, locus, abbadia (pour abbatia) et ecclesia semblent être d’un emploi générique et sont utilisés tout au long du texte et à plusieurs reprises pour désigner chacun des quatre établissements, évoqués individuellement ou tous les quatre ensemble. Sous les plumes du notaire Aldofredus et de l’interpolateur carolingien, les mots semblent synonymes. Flavigny qui reçoit le plus de donations est logiquement le plus souvent mentionné : basilica (2 occurrences), casa (3), ecclesia (1), monasteriolum (1), coenobiolum (1), monasterium (5), abbadia (1), locus (3). Certaines inflexions sémantiques sont cependant décelables dans le cours du texte. L’emploi de locus renvoie ainsi davantage à une notion géographique de territoire, y compris le territoire des saints (loca sanctorum), qu’à une entité juridique et monumentale d’établissement dont il ne dit rien. Celui de casa, en revanche, est plutôt utilisé pour désigner l’entité juridique globale réceptionnaire des donations effectuées. On pourrait traduire cette distinction par « la terre » ou « le domaine de Flavigny », d’une part, et « l’établissement », d’autre part. Aucune nuance n’est visible a contrario dans l’usage de monasterium, monasteriolum et coenobiolum, qui sont interchangeables et font figure d’effets de style. Alors que les responsables (rectores) des quatre sanctuaires sont évoqués de manière globale, seuls l’abbé de Flavigny Magoaldus et sa communauté de moines sont personnellement nommés à trois reprises.

Saint-Marcel-lès-Chalon : du monasterium canonicorum au monasterium monachorum

20 Saint-Marcel offre l’exemple d’un établissement qui change de statut, passant d’une desservance par une communauté régulière à un chapitre de clercs séculiers. Il est le reflet du cas typique, mais fort peu étudié, de ces établissements où s’opèrent des transferts de vie canoniale à vie monastique ou vice versa et ce à plusieurs reprises au cours de leur existence46.

21 La première attestation d’une fondation en l’honneur de Marcel, martyr du IIe siècle, se trouve chez Grégoire de Tours. Le Liber in gloria martyrum rapporte l’existence au temps de Grégoire d’une basilique (basilica) en l’honneur du martyr desservie par un abbas dans laquelle se produisirent des miracles47. Grégoire, d’une manière générale, utilise systématiquement les termes de basilica ou d’ ecclesia pour évoquer Saint-Marcel, situation somme toute classique d’une basilique martyriale. Aucune documentation diplomatique ou normative ne permet de préciser, de confirmer ou d’infirmer cette situation48. L’attestation de l’installation d’une communauté de moines vient du chroniqueur bourguignon Frédégaire, qui prête au roi de Bourgogne, Gontran, la construction la vingt-quatrième année de son règne (v. 584-585), sur le site de la basilique Saint-Marcel, d’une église (ecclesia), où « il rassembla des moines (monachi), pour fonder un monastère (monasterium) qu’il enrichit de multiples dons49 ». Là encore, la documentation, squelettique, peine à apporter d’autres indices en faveur de cette fondation et de sa pérennité. Rien d’autre jusqu’en 779, date à laquelle Charlemagne accorde l’immunité à la basilique de saint Marcel, alors dirigée par le rector et grand homme (magnificus vir) Hucbertus50. Nul mot des frères qu’il dirige, mais l’établissement est désigné à quatre reprises dans le diplôme comme un monasterium. Pas d’abbas donc, ni de monachi, mais un rector, qui peut tout autant être un grand laïc à la tête d’une communauté monastique dirigée par un praepositus qu’un véritable moine issu de l’aristocratie. Rien ne dit donc que, depuis la fin du VIe siècle, la communauté

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cénobitique appelée de ses vœux par le roi Gontran ait réellement existé et a fortiori perduré deux siècles durant. Si cette communauté cénobitique a pu exister, ses traces documentaires sont ténues.

22 Un changement terminologique apparaît dans la documentation lorsqu’en juillet 835 Louis le Pieux fait donation de terres au monasterium Saint-Marcel, alors sous la protection et la direction du comte de Mâcon, Garin, et desservi par un collège de canonici51. Le terme, répété à trois reprises dans le diplôme en association avec celui de monasterium, ne fait guère de doute. L’établissement est alors une collégiale de clercs, dont on peut déduire de l’obtention de ce privilège royal qu’ils ont suivi la réforme orchestrée vingt ans plus tôt par le même souverain dans le capitulaire d’Aix-la- Chapelle et donc adopté la règle dite d’Aix. Saint-Marcel reste un « monastère de chanoines », pour reprendre la terminologie des sources contemporaines jamais reprise dans l’historiographie qui préfère l’expression plus tardive de « collégiale séculière », pendant près de deux siècles52. En effet, la dizaine d’actes des IXe et Xe siècles conservée pour Saint-Marcel reprend cette terminologie en mentionnant, tour à tour, un monasterium ou une abbatia, des canonici dirigés par un prévôt et une congregatio canonicorum vel clericorum sancti Marcelli53.

23 Il faut attendre 993, moment où l’établissement passe sous domination clunisienne, pour retrouver dans les textes mention de monachi à Saint-Marcel54. Dès lors, il abrite une communauté cénobitique dépendante de la tutelle de Cluny, en pleine construction de son Ecclesia et la présence monastique subsiste jusqu’à la Révolution.

24 Ce dossier de Saint-Marcel n’est pas anodin. Il met clairement en lumière à la fois la polysémie du terme monasterium et l’importance du couple terminologique lieu/ desservants pour peser dans l’interprétation entre une communauté régulière de moines et un chapitre séculier de chanoines.

25 En conclusion, j’insisterai sur deux points qui me semblent fondamentaux, car ils résument bien la problématique d’identification des établissements ecclésiaux du haut Moyen Âge. Les exemples précédemment évoqués soulignent combien il est délicat d’analyser les établissements religieux avec le même filtre sur toute la période considérée. La terminologie demeure très fluctuante pour le haut Moyen Âge, sans uniformité aucune et avec une polysémie qui n’est pas sans risques pour l’historien. Il convient donc d’examiner ces établissements au cas par cas en fonction des dossiers documentaires, de se garder de toute généralisation en restant très prudent sur les traductions employées pour désigner les communautés qui desservent ces sanctuaires. À partir des XIe et XIIe siècles, le vocabulaire devient moins équivoque. Le développement d’une diversité des modes de vie ecclésiaux avec l’essor des communautés canoniales, régulières et séculières, et des communautés monastiques nouvelles ou réformées entraîne une clarification juridique et terminologique. Lorsque, dans les années 1030, Raoul Glaber évoque, dans la Vita qu’il rédige, l’œuvre monastique de son maître Guillaume de Dijon, il renvoie à « environ quarante établissements – monastères aussi bien qu’abbayes ou petites celles de moines (tam monasteria quam coenobia atque cellule monachorum) qui sous sa protection (patrocinium) possédaient tout en abondance55 ». Cette énumération résume sous sa plume les différents cadres de vie monastique qu’il côtoyait et dans lesquels Guillaume apporta le renouveau de son action réformatrice.

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ANNEXES

La terminologie monastique dans le testament de Widerade (18 janvier 722)

Nous reproduisons ici, partiellement, l’édition donnée par Josiane Barbier (Archives oubliées du haut Moyen Âge : les Gesta municipalia en Gaule franque (VIe-IXe siècle), Paris, Honoré Champion, 2014, p. 478-487) à partir d’une reprise de celle de C. Bouchard en y mettant en gras les termes qui désignent les établissements et les hommes qui les occupent. L’édition de Jean Marilier (« Testament de l’abbé Guiré [éd. et trad.] », in Alesia, textes littéraires antiques et médiévaux, éd. et trad. J. LE GALL, E. DE SAINT-DENIS, R. WEIL et J. MARILIER, Paris, 1973, 2e éd. 1980, p. 98-115) opte pour un mélange entre des emprunts aux formules de Flavigny, plus archaïques, et des copies modernes. La terminologie des établissements, ici étudiés, ne diffère pas entre ces trois éditions. Je remercie Josiane Barbier pour son éclairage sur ce texte composite.

Anno primo regnante Theodorico rege sub die xv kalendarum febroriarum. Ego in Die nomine Vuideradus abba, filius uiri inlustri Corbonis quondam, sana mente integroque consilio, metuens humane fragilitatis casus, testamentum meum condidi, quem Aldofredo notario scribendo commisi, ut quando dies legitimus post transitum meum aduenerit, recognitis sigillis, inciso lino, ut legis decreuit auctoritas, per inluster uir Amalsindo, quem in hac pagina testamenti nostri legatarium institui, gestis reipublice municipalibus titulis, ut ab ipsis eius persecutione muniatur et in carta basilice sancti Preiecti quam ego edificaui conseruandum decreui, ut quicquid unicuique de rebus meis propriis habere decreui singulariter in hoc testamentum meum inserere curaui. In reliquo uero, qualescumque a quocumque epistole aut testamenta uel conscriptiones de nomine meo uel manu mea firmate ostense fuerint, ante hoc testamentum prenotate, quas hic non commemorauero, exceptis ingenuitatibus quas pro anime nostre remedio fecimus aut adhuc facere uolumus, uacue permaneant, et quod unicuique per hunc testamentum dedero dareque iussero, id ut fiat, detur, prestetur, impleatur, te, Omnipotens, testem committo. Quapropter dum non habetur incognitum qualiter, dispensante Deo, ad abendum loca sanctorum, sancti Andochii Sedelocinse et sancte Regine Alsinse et sancti Ferreoli, ubi ipsi pretiosi requiescunt in corpore, in mea cura suscepi, insuper etiam et in loco nuncupante Flauiniaco, in agro Burnacinse in pago Alsinse monasterium in re mea propria meo opere construxi atque Magoaldo abbati cum monachis suis delegaui regulariter in perpetuo ad possidendum. Dono igitur ad basilicam supramemoratam sancti Andochii martiris portiones meas atque loca denominata. Hec sunt in pago… [suit l’énumération et la description des lieux et de leurs occupants] totum et ad integrum ad sancti Andochii basilicam proficiat in augmentum.

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Similiter donamus ad basilicam domne Regine, ubi ipsa pretiosa requiescit in corpore, in pago… [suit l’énumération et la description des lieux et de leurs occupants] Similiter donamus et ad basilicam sancti Ferreoli, ubi ipse domnus requiescit in corpore et nos eam in regimine habemus, in pago Pauliacinse, Aciaco cum omnibus appendiciis suis ad integrum. Sicut et illa alia loca ad sanctum Andochium et ad sanctam Reginam, ita et ad basilicam sancti Ferreoli dedimus, in ea uera ratione ut, dum aduiuimus, supramemoratas abbadias sancti Andochii et sancti Ferreoli uel sancte Regine et omnes res sibi debitas uel ad se pertinentes in integritate seu et iamdicta loca nostra que nos ad ipsas delegauimus, tenere et possidere quieto ordine faciamus. Post nostrum quoque discessum, supramemoratas eclesias et supradictas res unaquaque casa per rectores suos absque ullius contradictione in suam faciat reuocare dominationem, in ea ratione ut monasteriolum nostrum Flauiniacum uel strumenta quod ad ipsum locum in honore sancti Preiecti fecimus, in omnibus studeant conseruare, et si ipsa instrumenta inrumpere aut ipsum coenobiolum inquietare presumpserint aut res eius minuare uoluerint, nec hoc ualeant uindicare, sed res nostras quas ad supramemoratas basilicas sancti Andochii et sancti Ferreoli uel sancte Regine delegauimus amittant, et per protectionem regiam casa sancti Preiecti Flauiniacensis cum omni integritate ipsas recipiat perpetualiter ad possidendum. Quod si pontifex uel aliquis quislibet, dum aduiuimus, de ipsis abbadiis uel de rebus earum nos expoliare uoluerit aut aliquid minuare presumpserit, aut ego ipsas abbadias uiuens dimisero, nos res nostras quas ibidem delegauimus licentiam habeamus ad nostrum dominium reuocare et quicquid exinde facere uoluerimus, liberam in omnibus habeamus potestatem. Preterea quoque donamus donatumque in perpetuo esse uolumus ad iam dictum monasterium sancti Preiecti Flauiniacensis quod in agro… [suit l’énumération et la description des lieux et de leurs occupants] a die presente, in honore Iesu Christi Domini nostri et sancti Preiecti martiris, Magoaldo abbati monachisque suis tradidimus ad possidendum […] totum et ad integrum ad iam dictum monasterium sancti Preiecti Flauiniacum uel rectores eius proficiat in augmentum. Similiter et illas cessiones, quas ad libertos nostros Grisberto et Grinberto clericos, ad eorum ingenuitates confirmandas, Daolonecas in Bornato et in Ceresio fecimus, quando eos pro anime nostre remedio ingenuos dimisimus, ut, dum aduiuunt, hoc teneant et post ipsorum discessum cum omne supraposito ad iam dictam casam sancti Preiecti, ubi eorum patrocinia et deffensionem constituimus, reuertere faciant. […] Et si aliquid comparauero uel adtraxero uel pro quolibet ingenuo ad nos peruenit aut inantea peruenerit quod in isto testamento supra non commemorauimus, post nostrum discessum casa sancti Preiecti per rectores suos recipiat perpetualiter ad possidendum. Per presentem itaque testamentum basilicam sancti Preiecti quam meo opere Flauiniaco construxi heredem meam instituo eique presentem codicellum comitto, per quem ita constituo ut nullus episcopus ullius ciuitatis aut archidiaconus uel quilibet ex clero aut actores eclesie ullomodo de predicto monasterio sancti Preiecti nullum presumant exercere dominatum, non ad mansionaticos aut repastus exigendo, non ad ministeria describendo, non ad abbatem mittendo, nisi cum necesse fuerit chrysma petere, tabulas aut altaria consecrare, sacros ordines benedicere, sicut Losodienses aut

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Lirinenses uel Agaunenses monachi, a quemcumque de sanctis episcopis sibi elegerint qui hoc agere debeat, licentia eis expetere et illi hoc benedicere. […] Te igitur domna et sancta mater mea eclesia sancti Preiecti heredem instituo, quicquid unicuique deputaui fidei tuae committo. […] Et, quod superius memorari debueramus, tam aurum quam argentum uel reliquas fabricaturas seu ministeria eclesie, uel strumenta cartarum, libros uel uestimenta eclesie, uel omne presidium quod michi legibus uiuens possidere uideor et michi redebetur, inspecto illo strumento quod antea ad sanctum Preiectum uel ad abbatem Magoaldum et monachos eius fecimus, post nostrum discessum ad ipsum monasterium sancti Preiecti Flauiniacum reuertantur, et ipse abbas Magoaldus cum monachis suis pro anime nostre salute ea recipiat, et perpetualiter eis proficiat in augmentum, ut quicquid exinde facere uoluerint, liberam in omnibus habeant potestatem faciendi. Theodericus. Vuideradus abba. Gerefredus defensor. Amalsindus. Haldofredus. Actum Sinemuro castro, die kalendarum febroariorum XV et scriptum per manum Haldofredi notarii, suadente et deprecante eodem uenerabili abbate Vuiderado, immo sigillante perinlustri uiro Amalsindone sigillo regio, anno domni uero Theoderici regis primo, adstante nobili et firmante uulgari populo, una cum deffensore Gerefredo clarissimo uiro.

NOTES

1. On peut globalement partager les bases de données historiques en deux catégories. Les unes, purement documentaires, mettent à disposition des chercheurs des fonds anciens, manuscrits ou édités, avec des moteurs de recherche simples ou relationnels qui permettent des interrogations croisées. Citons à titre d’exemple les CBMA Chartae Burgundiae Medii Aevi (http://www.cbma- project.eu/) ou les différentes éditions électroniques proposées sur le portail TELMA (http:// www.cn-telma.fr/). Les autres sont des outils élaborés autour d’une problématique particulière. Les exemples sont aujourd’hui nombreux. Pour rester dans le domaine monastique, évoquons les travaux de la Germania Sacra - Klöster und Stifte des Alten Reiches (https://adw-goe.de/ forschung/forschungsprojekte-akademienprogramm/germania-sacra/klosterdatenbank/) ; le Monasticon des communautés religieuses féminines (400-1600), intitulé Monastic matrix http:// monasticmatrix.osu.edu/monasticon sous la direction d’Alison Beach (Ohio State University) ; la Female Monasticism’s Database dirigée par Hedwig Röckelein (Georg-August-Universität Göttingen) ou le projet MONASTÈRES, en cours de saisie, qui porte sur tous les établissements réguliers de l’actuel espace français au Moyen Âge, à l’exclusion des Mendiants, N. Deflou-Leca (dir.) (https://borne.univ-st-etienne.fr/monasteres/). 2. Projet sous la direction d’Hélène Noizet et de Laurent Costa (http://alpage.huma-num.fr/fr/). 3. Pour une première réflexion sur cette « fluidité du vocabulaire », pour reprendre une expression de Cécile Caby, voir le cas de Saint-Martin de Tours : L. PIETRI, « Bâtiments et sanctuaires annexes de la basilique Saint-Martin de Tours à la fin du VIe siècle », RHEF, 62 (1976), p. 223-234 ; EAD., « Les abbés de basilique dans la Gaule du VIe siècle », RHEF, 69 (1983), p. 5-28 ; H. NOIZET, « Les basiliques martyriales au VIe et au début du VIIe siècle », RHEF, 87 (2001), p. 329-355 ;

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EAD., La fabrique de la ville. Espaces et sociétés à Tours (IXe-XIIIe siècle), Paris, 2007, notamment p. 37-44. Mais aussi : A.-M. BAUTIER, « De prepositus à prior, de cella à prioratus évolution linguistique et genèse d’une institution (jusqu’à 1200) », in J.-L. LEMAÎTRE (éd.), Prieurs et prieurés dans l’Occident médiéval, Genève, 1987, p. 1-22 ; C. CABY, « Pour une histoire des usages monastiques de l’espace urbain de l’Antiquité tardive à la fin du Moyen Âge », in C. CABY (dir.), Espaces monastiques et espaces urbains de l’Antiquité tardive à la fin du Moyen Âge [Mélanges de l’École française de Rome – Moyen Âge, 124/1 (2012)], Rome, p. 7-25, ici p. 12-13 [en ligne : http://mefrm.revues.org/94]. 4. SALVIEN DE MARSEILLE, Ad Ecclesiam, lib. 3, éd. LAGARRIGUE, Œuvres, t. 1, Paris, 1971 (Sources chrétiennes, 176). HUGUES DE FLAVIGNY, Chronique, éd. G. PERTZ, MGH, SS, t. 8, Hanovre, 1848, p. 495. Ita turbata Eduense aecclesia, Norgaudus Flaviniacum ivit […] sicut et de ecclesia sancti Martini religionem exturbavit, et secularitatem introduxit eum ibi ordinans. On trouve aussi cet usage chez certains hagiographes comme Jonas de Bobbio (A.-M. HELVETIUS, « Clercs ou moines, les origines de Saint- Vaast d’Arras et la Vita Vedastis attribuée à Jonas », Revue du Nord, 93, n° 391-392 (juillet-décembre 2011), p. 671-689, ici, p. 677). Voir « Religio » (par C. du Cange, 1678), dans DU CANGE et al., Glossarium mediae et infimae latinitatis, éd. augm. L. FAVRE, Niort, 1883‑1887, t. 7, col. 111b [en ligne : http://ducange.enc.sorbonne.fr/RELIGIO]. 5. JEAN CASSIEN, Conférences, éd. et trad. E. PICHERY, 3 vol., Paris, 1955-1959 (Sources chrétienne, 42, 54 et 64), ici t. 3, XVIII, p. 22. Sur l’acception érémitique du mot monasterium voir A.-M. HELVÉTIUS, « Ermites ou moines. Solitude et cénobitisme du Ve au Xe siècle (principalement en Gaule du nord) », in A. VAUCHEZ (dir.), Ermites de France et d’Italie (XIe-XVe siècle), Rome, 2003, p. 1-27. 6. ISIDORE DE SÉVILLE, Etymologiae, t. 2, XV, 4, 5-6. ID., De ecclesiasticis officiis, éd. C. M. LAWSON, Sancti Isidori episcope hispalensis, De ecclesiasticis officiis, Turnhout, 1989 (CCSL, 113), II, XVI, 2, p. 74. 7. F. GALLON, Moines aux extrémités de la terre. Fonctions et représentations du monachisme dans la péninsule Ibérique du haut Moyen Âge (VIIIe-XIe siècle), thèse de doctorat, P. Henriet (dir.), 2 vol., université Bordeaux-Montaigne, 2014, p. 73-74. Signalons que l’auteur consacre toute la première partie de sa recherche à cette question de définition et d’identité monastique. Voir particulièrement le chapitre 1 « Insaisissables monastères : les mots et les choses », p. 69-103. La problématique de la nature des communautés, séculières ou régulières, n’est en revanche abordée que dans un deuxième temps, quelque peu déconnecté de la première (voir par exemple p. 75 et 76). 8. Voir notamment dans la base des Chartae Galliae (http://www.cn-telma.fr/chartae-galliae/ index/) ou dans celle des chartes antérieures à 1120 (http://www.cn-telma.fr/originaux/index/). 9. F. GALLON, Moines aux extrémités…, ibid., p. 73, n. 173. 10. L. PIETRI, « Bâtiments et sanctuaires annexes… », op. cit. et EAD., « Les abbés de basilique… », op. cit. 11. I. CARTRON, Les pérégrinations de Saint-Philibert. Genèse d’un réseau monastique dans la société carolingienne, Rennes, 2009, p. 133 sqq., p. 207-208. 12. La donation de Charles le Chauve du 30 octobre 871 (Recueil des actes de Charles le Chauve, éd. A. GIRY et M. PROU, Paris, 1955, n° 353, p. 285) est peut-être un faux, mais l’établissement appartient à Saint-Philibert avant la confirmation de 915. 13. Recueil des actes de Charles III le Simple, roi de France (893-923), éd. P. LAUER et P. LOT (dir.), 2 vol., Paris, 1940-1949, n° 82, p. 182. 14. N. DEFLOU-LECA, Saint-Germain d’Auxerre et ses dépendances (Ve-XIIIe siècle). Un monastère bénédictin au haut Moyen Âge, Saint-Étienne, 2010, p. 106-121. 15. Monasterium Melaredum dans la Notitia de servitio monasteriorum de Louis le Pieux (P. BECKER, Corpus Consuetudinum Monasticarum, t. 1, 1963, p. 483-499, ici p. 496). 16. Les gestes des évêques d’Auxerre, éd. et trad. M. SOT (dir.), Paris, t. 1, 2002, p. 252-254 (Les classiques de l’histoire au Moyen Âge, 42).

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17. T. PÉCOUT, « Du monasterium au prieuré : Estoublon et ses marges entre XIe et XIVe siècle », in P. BORGARD (éd.), Estoublon, de la période antique aux temps médiévaux, Valensole, 2012, p. 39-89. 18. Les usages du terme sont très homogènes, même si on rencontre chez de rares auteurs, comme Hériman de Tournai, l’expression monachi saeculares pour désigner des frères qui ne suivent pas scrupuleusement la règle. Voir « Monachi » (par C. DU CANGE, 1678), dans DU CANGE et al., Glossarium mediae et infimae latinitatis, éd. augm. L. FAVRE, Niort, 1883‑1887, t. 5, col. 451b [en ligne : http://ducange.enc.sorbonne.fr/MONACHI]. 19. La réflexion sur cet établissement a été menée dans le cadre du projet ALPAGE sur la topographie historique parisienne, au moment de l’insertion de l’ensemble des établissements religieux entre Antiquité et Révolution dans le SIG. L’équipe était composée d’Isabelle Brian, Noëlle Deflou-Leca, Anne Massoni, Étienne Lallau et Hélène Noizet. Voir l’architecture des notices de saisie en ligne (http://alpage.huma-num.fr/fr/ressources/donnees-sig), rubrique « Topographie historique », « Églises de l’Antiquité tardive à 1790 » (Étienne Lallau et al.), document 108. 20. Vitae Genovefae virginis parisiensis, éd. B. KRUSCH, MGH, SRM, III, Hanovre, 1896, p. 237. Sur Sainte-Geneviève, voir, notamment, R. GIARD, « Étude sur l’histoire de l’abbaye de Sainte- Geneviève de Paris jusqu’à la fin du XIIIe siècle », Mémoires de la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile- de-France, 30 (1903). C. ECHALIER, L’abbaye royale Sainte-Geneviève au Mont de Paris, Paris, 2005. N. ESCHER, Recueil des chartes de l’abbaye Sainte-Geneviève de Paris ([996-1016]-1200), thèse de l’École des chartes, 2009. 21. Liber de gloria beatorum confessorum, 89, éd. B. KRUSCH, MGH, SRM, I, 2, Hanovre, 1885, p. 355 et Dix livres d’histoire, IV, 1. 22. Frédéric Gross aborde cette question pour le règne de Charles le Chauve, sans pour autant se focaliser spécifiquement sur la question sémantique : Abbés, religieux et monastères dans le royaume de Charles le Chauve, doctorat d’histoire, dir. Y. Sassier, 2 vol., université Paris IV, 2006, ici p. 70-117, et pour Saint-Bénigne, p. 218-237. 23. Qui certus de visione, adiutorio fidelium inpositus in sirtacio, comitante sibi puero, equo pervente, Parisius peruenit, atque in monasterio beati Petri hospitio susceptus causam sui adventus exposuit. Translatio sancti Germani, BHL 3472, rédaction fin du VIIIe siècle avec une version interpolée au IXe siècle (éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, MGH, SRM, VII, Hanovre, 1920, p. 422-428, ici p. 425). 24. Notamment dans le Liber historiae francorum rédigé v. 720-750. Signalons toutefois la présence d’un Saint-Pierre dans la liste des seniores ecclesiae, qui adoptent la réforme régulière de Bathilde, ce qui pencherait en faveur d’une régularité de l’établissement, mais le lieu peut être aussi Saint- Pierre (le Vif) de Sens, où une communauté de monachi est bien attestée (N. DUVAL, P. PÉRIN et J.-C. PICARD, Topographie chrétienne des cités de la Gaule, t. 8, Paris, 1992, p. 117). 25. Cartulaire général de Paris, ou Recueil de documents relatifs à l’histoire et à la topographie de Paris, 528-1180, éd. R. DE LASTEYRIE, Paris, 1887, n° 42, p. 58-59. 26. A. FRIEDMANN, Paris, ses rues, ses paroisses du Moyen Âge à la Révolution. Origine et évolution des circonscriptions paroissiales, Paris, 1959. 27. Volumus itaque ut omnium fidelium nostrorum in hoc concordet assensus, ut eundem locum clericalis ordo, sub cujus regimine a primordio fuerat traditus obtineat per omne presentis vitae tempus, secundum regulam canonicalem… Cartulaire général de Paris…, op. cit, n° 79, p. 109-110. 28. Chronique de Saint-Bénigne de Dijon, suivie de la Chronique de Saint-Pierre de Bèze, publiées d’après les textes originaux, éd. L.-É. BOUGAUD et J. GARNIER, Dijon, 1875 (Analecta Divionensia, 5). Voir Chartes et documents de Saint-Bénigne de Dijon, éd. G. CHEVRIER et M. CHAUME, t. 1 (VIe-Xe siècle), Dijon, 1986, n° 1, 2, 5-7, 9 et 11. 29. Chartes et documents de Saint-Bénigne, n° 12 (632) : Sacrosanctę basilicę sub opido Divione constructa, ubi vir beatus Benignus, sacerdos et martir gloriosissimus, requiescit in corpore, ego, illustris vir Ermenbertus ejusque matrona Ermenoara : assumpsit nos voluntas, pro animę nostrę remedio vel

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ęterna retributione, ut aliquid de rebus nostris ad suprascriptam basilicam vel sancto domno Benigno debeamus conferre, ut monachi vel pauperes ibidem consistentes pro nobis Domini misericordiam debeant deprecare ; n° 21 (737) : Domino sacro sanctę basilicę sancti benigni martiris sub opido divionense constructa, quo apostolicus vir Astoricus tenet regimen. Ego Ermenoara, Deo sacrata, pro animę meę remedio trado jam dictę basilicę vel monachis et matriculariis qui ibidem conversari noscuntur. 30. Chartes et documents de Saint-Bénigne, n° 14 (644), 19 (735), 20 (735). J’écarte sciemment l’acte 22, incomplet et mal daté des VIIIe-IXe siècles, qui ne mentionne qu’un monasterium sancti Benigni et dont on ne peut donc tirer grande conclusion et l’acte 18, lui aussi mal daté des VIIe-VIIIe siècles par l’éditeur, et qui fait mention de la souscription d’un l’abbé Bobolenus en tant presbyter. Ce détail aurait pu permettre de préciser les choses, mais cet abbé doit sans doute être rapproché du Dodolenus, serviteur des serviteurs de Dieu, dont la donation marque l’assurance d’une vie canoniale à Saint-Bénigne [n° 23 (751)]. 31. C’est notamment la position de l’abbé J. Marilier [voir notamment « La personnalité et l’œuvre de Guillaume de Dijon », Mémoires de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon, 130 (1989-1990), p. 281-295] contre celle de V. Tabbagh (« Fiche de la collégiale Saint-Bénigne de Dijon », Collégiales – Base des collégiales séculières de France (816-1563) [en ligne : http://lamop- appli.univ-paris1.fr/collegiales/?i=fiche&j=510], version du 14/3/2015, consultée le 11/3/2016). 32. Chartes et documents de Saint-Bénigne, n° 23 (octobre 751) : Dominis et venerabilibus in Christo fratribus, sacerdotes, levitas, lectoribus, vel omnem clerum basilicę domni Benigni, ubi ipse in corpore requiescit, die noctuque reddunt officium, vel ubi venerabilis vir Aridius preesse videtur abba, Dodolenus sive Dodo, filius Arulfi condam, servus servorum Dei, dum in hoc loco adolescens meam dimisi comam, ibidem fui nutritus, modo tempore vitę meę in ipsa stabilitate sum dicendus. 33. Chartes et documents de Saint-Bénigne, n° 81, 82 et 89. 34. Sur les tâtonnements et les hésitations au moment de cartographier les établissements, voir, notamment, avec l’exemple de Sainte-Geneviève, V. SOULAY, B. BOISSAVIT-CAMUS et A. FOVIAUX, « Géolocalisation des établissements religieux (IVe-XIIe siècle) », in H. NOIZET, B. BOVE et L. COSTA (dir.), Paris de parcelles en pixels. Analyse géomatique de l’espace parisien médiéval et moderne, Paris, 2013, p. 247-256, ici p. 251-253. 35. N. DEFLOU-LECA, Saint-Germain d’Auxerre Saint-Germain d’Auxerre et ses dépendances…, op. cit., p. 61-70. 36. Les gestes des évêques d’Auxerre…, op. cit., p. 36-39. Miracula sancti Germani, I, 37, éd. DURU, Bibliothèque historique de l’Yonne ou collection de légendes, chroniques et documents divers pour servir à l’histoire des différentes contrées qui forment aujourd’hui ce département, t. 2, Auxerre, 1863, p. 132-133. 37. Les gestes des évêques et les Miracula d’Heiric, mais aussi chez Grégoire de Tours (Dix livres d’histoire et Liber in gloria confessorum). 38. Sur ce testament, voir, en dernier lieu, l’étude exhaustive de J. BARBIER, Archives oubliées du haut Moyen Âge : les Gesta municipalia en Gaule franque (VIe-IXe siècle), Paris, 2014, p. 411-487. 39. The Cartulary of Flavigny (717-1113), éd. C. B. BOUCHARD, Cambridge, 1991, n° 1, p. 19-28 et n° 57, p. 135-140. En l’absence de manuscrits médiévaux, la datation du cartulaire est mal assurée. Sur les 58 actes qu’il comporte, seuls 5 sont postérieurs à 1037. Il est possible que le recueil ait été composé peu après cette date, puis qu’il ait été continué au début du XIIe siècle à une époque où l’abbaye de Flavigny tente de se positionner face à la concurrence cistercienne. Sur Flavigny, voir, en dernier lieu, C. SAPIN, La Bourgogne préromane, Paris, 1986, p. 81-112. 40. J. BARBIER, Archives oubliées…, op. cit. Formula flaviniacensis VIII et XLIII [PARIS, BnF, lat. 2123, fol. 111-112 et 124-126v°], éd. K. ZEUMER, MGH, Formulae, Hanovre, 1886, p. 476-477 et 480-481. J. MARILIER, « Testament de l’abbé Guiré [éd. et trad.] », in Alésia, textes littéraires antiques et médiévaux, éd. et trad. J. LE GALL, E. DE SAINT-DENIS, R. WEIL et J. MARILIER, Paris, 1973, 2e éd. 1980, p. 98-115, ici p. 98. ID., « Notes sur la tradition textuelle des testaments de Flavigny », Mémoires de la Société pour l’histoire du droit et des institutions des anciens pays bourguignons, 23 (1962), p. 185-199.

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ID., « Testamentum Wideradi coenobii Flaviniacensis abbatis », Mémoires de la Société pour l’histoire du droit et des institutions des anciens pays bourguignons, 30 (1970-1971), p. 57-72. 41. U. Nonn a bien montré qu’il existait des variantes régionales du formulaire-type de testament mérovingien, dont un formulaire bourguignon, notamment représenté par ce testament de Widerade, cf. « Merowingische Testamente : Studien zum Fortleben einer römischer Urkundenform im Frankenreich », Archiv für Diplomatik, 18 (1972), p. 1-129. Sur les pratiques testamentaires, voir, en dernier lieu, J. BARBIER, « Testaments et pratique testamentaire dans le royaume franc (VIe-VIIIe siècle) », in F. BOUGARD, C. LA ROCCA et R. LE JAN (éd.), Sauver son âme et se perpétuer. Transmission du patrimoine et mémoire au haut Moyen Âge, Paris/Rome, 2005, p. 7-79, ici p. 59-61 et J. BARBIER, Archives oubliées…, op. cit. 42. L’identification de ce Saint-Ferréol pose problème. Constance Bouchard, derrière Jean Marilier, a proposé de le rapprocher de Saint-Ferréol de Besançon, sans doute parce que quelques rares domaines donnés par Widerade sont dans le Jura bien qu’affectés à Flavigny. La cohérence géographique des possessions testamentaires et la concentration des trois autres établissements dans un territoire restreint ne milite pas en faveur de cette hypothèse, qui reste néanmoins possible. On sait ainsi qu’une sœur de Widerade a été abbesse de Faverney (Haute-Saône). 43. Abbadia, occurrence rare repérée au VIIIe siècle dans une charte de Pépin pour Saint-Maixent de Poitiers et dans ce testament de Widerade, où il figure dans la partie interpolée à l’époque carolingienne. Voir DU CANGE et al., Glossarium mediae…, op. cit., t. 1, col. 010c [en ligne : http:// ducange.enc.sorbonne.fr/ABBADIA2]. Voir aussi J.-F. NIERMEYER, Mediae latinitatis lexicon minus, p. 2-4. 44. Voir le texte en annexe. 45. The Cartulary of Flavigny, n° 2 (719), p. 28-33, ici p. 33 et n° 58, p. 141-144. Le texte est parfois appelé le petit testament de Widerade ou la charte de fondation-dotation de Flavigny, voir J. MARILIER, « Acte de fondation de l’abbaye de Flavigny », in Alésia, textes littéraires antiques…, op. cit., p. 96-98. 46. Cette transformation de chapitre canonial en abbaye cénobitique et vice versa est notamment évoquée comme un privilège du pontife romain dans les Dictatus papae en 1075 (article 7). 47. Liber in gloria martyrum, 52, éd. B. KRUSCH, MGH, SRM, I, 2, Hanovre, 1885, p. 75. Trad. anglaise R. VAN DAM, Gregory of Tours. Glory of the Martyrs, Liverpool, 1988, p. 77-78. Sur Saint-Marcel, voir M. CHAUNEY, « Les origines du prieuré clunisien de Saint-Marcel-lès-Chalon », in Mélanges d’archéologie et d’histoire offerts au professeur K. J. Conant, Mâcon, 1977, p. 81-96 ; EAD., L’abbaye et le prieuré de Saint-Marcel-lès-Chalon des origines au début du XIIe siècle, mémoire de maîtrise, dir. R. Folz, université de Bourgogne, 1971. 48. Le seul acte contemporain connu par le cartulaire de Saint-Marcel (composé dans la première moitié du XIIe siècle) est une forgerie établie au XIe siècle. The Cartulary of St. Marcel-lès- Chalon (779-1126), n° 7 (584), éd. C. B. BOUCHARD, Cambridge, 1998, p. 31-32. Sur la question des basiliques martyriales voir H. NOIZET, « Les basiliques martyriales au VIe… », op. cit., p. 342-345 (Saint-Marcel-de-Chalon). Elle a montré derrière Léon Levillain que si monastère il y a eu, celui-ci s’est installé en marge de la basilique et ne s’est pas substitué à elle. 49. FRÉDÉGAIRE, Chronique des temps mérovingiens, éd. J. M. WALLACE-HADRILL, trad. O. DEVILLERS et J. MEYERS, Turnhout, 2001, p. 62-63. Rédaction de la chronique vers 660. 50. The Cartulary of St. Marcel-lès-Chalon…, op. cit., n° 3 (779), p. 22-25. 51. […] Proinde notum esse uolumus omnium sancte Dei aecclesie nostrorumque fidelium tam pressentium quam futurorum industrie, quia Garinus comes, sub cuius cura atque regimine monasterium Sancti Marcelli quod constat esse constructum in uico qui dicitur Hubiliacus, commissum habemus, nostram adiens celsitudinem indicauit mansuetudini nostre qualiter canonicis in eodem monasterio Deo deseruientibus quasdem res eiusdem monasterii ipse et antecessores sui ad eorum diversas necessitates

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fulciendas, atque subleuandas, tribuissent uidelicet uillam que dicitur Floriacus, sitam in pago Magnimotense cum omni integritate sua uel cum omnibus ad se pertinentibus. […] Cf. The Cartulary of St. Marcel-lès-Chalon…, ibid., n° 4 (27 juillet 835), p. 25-27. 52. V. TABBAGH, « Fiche de la collégiale Saint-Marcel de Chalon-sur-Saône », Collégiales - Base des collégiales séculières de France (816-1563) [en ligne : http://lamop-appli.univ-paris1.fr/collegiales/? i=fiche&j=378, version du 27/11/2013, consultée le 11/3/2016]. 53. The Cartulary of St. Marcel-lès-Chalon…, op. cit., n° 29 (873), 5 et 8 (878), 18 (920), 28 (924), 95 (953), 106 (954), 107 (960) et 21 (987 ?). 54. The Cartulary of St. Marcel-lès-Chalon…, ibid., n° 17 et 23, p. 41-42 et 48. 55. Guillaume de Volpiano, un réformateur en son temps (962-1031), Vita domni Willelmi de Raoul Glaber, texte, trad. et com. V. GAZEAU et M. GOULLET, Caen, 2008, p. 64-65.

AUTEUR

NOËLLE DEFLOU-LECA Université Grenoble-Alpes, UMR 8485 Lem-Cercor

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Les établissements religieux dans le diocèse de Besançon jusqu’à l’an Mil : enquête terminologique

Aurélia Bully

NOTE DE L'AUTEUR

Cet article est une version légèrement remaniée de notre communication présentée lors des 4e journées d’études monastiques consacrées à « L’origine des sites monastiques : confrontation entre la terminologie des sources textuelles et les données archéologiques », sous la direction de Sébastien Bully et Christian Sapin, Baume-les- Messieurs, 4 et 5 septembre 2014.

Problématique et cadre de l’enquête

1 L’un des versants de notre réflexion sur l’origine des communautés monastiques, que ce soit à l’occasion des recherches documentaires qui accompagnent des fouilles ou dans le cadre du PCR sur les monastères en Europe occidentale, dirigé par Christian Sapin et Sébastien Bully1, s’attache à la manière dont les établissements étudiés sont désignés dans les sources, en particulier celles du haut Moyen Âge. Cette approche, bien que délicate pour diverses raisons que nous allons évoquer, nous semble pouvoir, dans certains cas, apporter des informations dont il faut tenir compte dans l’étude globale des sites. Mettre en perspective ces désignations avec des données archéologiques, lorsque cela est possible, pour venir en contre point des définitions linguistiques et juridiques, est en effet l’un des axes que nous explorons dans le cadre de ces études documentaires.

2 Cette enquête s’intéresse donc aux sites monastiques de l’ancien diocèse de Besançon2 pour lesquels nous disposons de sources écrites, dans l’objectif de voir si celles-ci révèlent, ou non, des pratiques, des systématismes, des différences dans l’emploi du

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vocabulaire selon leur nature, si l’évolution dans la désignation d’un même monastère nous renseigne sur une mutation institutionnelle, sur un éventuel changement de fonction ou sur la topographie du monastère. Les résultats que l’on peut tirer d’une telle enquête sont modestes à maints égards, principalement en raison du peu de situations dans lesquelles la comparaison entre les données des sources écrites et celles de l’archéologie est possible. De plus, la démarche mise en œuvre induit de se départir autant que possible de l’appréciation d’un établissement qui résulterait de sources tardives. Enfin, la documentation pour un même établissement permet trop rarement de constater une évolution sémantique.

3 Les termes utilisés pour qualifier les établissements monastiques du diocèse témoignent bien de la diversité des appellations, qui suggèrent assez naturellement des différences dans l’importance et le statut de ces maisons, à plus forte raison lorsque cette diversité se retrouve dans un même document. La confrontation entre les termes relevés dans les sources et l’histoire particulière de chaque établissement, mais aussi la prise en compte du contexte dans lequel ces différentes appellations sont employées, permettent néanmoins, dans certains cas, de remettre en question des idées reçues au sujet d’établissements de ce diocèse et, parfois, de reconsidérer nos connaissances.

Les données de l’enquête

4 Nous avons essayé de prendre en compte, dans nos réflexions, les variables liées à la géographie des établissements, à leur histoire et à la disparité des sources ; nous avons tout d’abord envisagé qu’il serait possible d’extraire de cette enquête des données concrètes. Le choix du vocabulaire par exemple varie-t-il de manière significative selon le type de source ou la période considérée ? Le contexte de ces mentions peut-il nous donner des indications sur la nature des établissements mentionnés dans la documentation et éventuellement, sur leur aspect ? Il nous a semblé également intéressant d’examiner – dans les quelques cas où les sources sont suffisamment nombreuses et variées – l’évolution du vocabulaire pour désigner un même lieu, toujours dans l’objectif d’approcher au plus près la réalité topographique et institutionnelle des établissements désignés. Enfin, nous nous sommes demandé si les quelques situations pour lesquelles nous disposons de données archéologiques nous permettent de mettre en lien une réalité de terrain avec l’usage de différents vocables.

5 Comme nous allons le voir, cette étude, qui couvre un nombre finalement assez restreint d’établissements sur une période assez longue ne révèle pas, dans sa globalité, de pratiques systématiques dans les choix terminologiques qu’il serait aisé de catégoriser. Pour répondre de façon satisfaisante aux quatre points que je viens d’évoquer, il aurait sans doute fallu pouvoir prendre un compte un plus grand nombre d’établissements, ce qui nous aurait par conséquent permis de disposer d’une documentation plus abondante. Malgré tout, même si les résultats de l’enquête sont minces, ils n’en sont pas moins instructifs : ce qui domine à l’examen des sources francs-comtoises, c’est en effet la variété des situations, variété qu’il n’est pas toujours aisé d’expliquer parce qu’elle est sans doute multifactorielle. Les termes utilisés paraissent souvent, à première vue, interchangeables. Il semble également que cette diversité du vocabulaire relève parfois de simples variations stylistiques. Il est donc nécessaire d’entrer dans le détail et d’examiner la terminologie employée en fonction

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des types de sources, des périodes renseignées, mais aussi en tenant compte de situations particulières.

La situation du diocèse

6 Cette enquête porte principalement sur les établissements pointés par Gérard Moyse dans son étude sur les origines du monachisme dans le diocèse de Besançon3, pour lesquels nous disposons d’au moins une mention du haut Moyen Âge.

7 Parmi les fondations monastiques retenues se distinguent plusieurs groupes aux origines plus ou moins assurées (fig. 1).

Fig. 1 – Localisation et désignation des monastères dans le diocèse de Besançon avant l’an Mil (d’après G. Moyse et A. Bully, DAO D. Vuillermoz)

8 Un premier groupe est constitué des établissements des Pères du Jura ou qui apparaissent liés, dans leur légendaire, au monastère de Condat4 : Condat et Lauconne ont été fondés au Ve siècle par Romain et Lupicin, tout comme la Balme, le monastère de moniales à la tête duquel se trouvait la sœur de Romain et Lupicin. Le premier devint l’abbaye de Saint-Oyend puis de Saint-Claude, le second, qui abritait la sépulture de saint Lupicin, a été réduit au rang de prieuré assurément au moins au XIIe siècle. Quant à la Balme, monastère où a été inhumé saint Romain, il aurait disparu très rapidement5. À cet emplacement reparaît, au moins au XIIIe siècle, un prieuré d’hommes dépendant de Saint-Oyend/Saint-Claude. À ce groupe, on reliera également Saint-Hymetière, dont une tradition tardive attribue la fondation à un ermite venu de Condat, Hymetière, qui aurait fondé un ermitage à l’emplacement de l’actuelle église éponyme. La première et unique mention de cet établissement, pour la période qui nous occupe, remonte au IXe siècle6.

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9 Une deuxième famille est composée par les fondations de Lautenus : Silèze et Maximiacus. Ces deux monastères seraient dus à Lautenus/Lothain, originaire de la région d’Autun, à la fin du Ve-début du VIe siècle7. La localisation de Maximiacus n’est pas connue ; quant à Silèze, le lieu adopta rapidement l’hagiotoponyme après l’inhumation du saint. Saint-Lothain fut relevé par Bernon au début du IXe siècle et entra dans la dépendance de Gigny.

10 Les monastères « colombaniens » ou d’influence colombanienne, assurée ou supposée, forment un troisième ensemble : Luxeuil, Annegray et Fontaine furent fondés dès la fin du VIe siècle par Colomban8. Cusance, établissement de moniales apparu au début du VIIe siècle sous l’impulsion d’Eustaise, d’après la Vita Ermenfredi (récit du VIIIe siècle), devint ensuite un monastère d’hommes dirigé par Ermenfroi9. Après un passage à Luxeuil, ce dernier revint à Cusance et soumit son monastère aux abbés de Luxeuil. Dans ce même groupe, Dorniatacum est connu par un unique diplôme de 658 transmis par une copie du XIIe siècle. D’après celui-ci, Adalsinda, sœur de l’abbé de Bèze Waldelenus, obtint de se retirer à Bèze et donna Dorniatacum, fondé par ses parents, à son frère10. Sa localisation n’est pas connue. Un autre établissement, dont les origines sont bien incertaines, Baume-les-Dames, pourrait remonter au VIIe siècle11. Il apparaît lui aussi au IXe siècle dans la dépendance de Luxeuil12 ; quant à celui de Lure, qu’une Vita Deicoli – Delle étant honoré comme fondateur de Lure – rattache à Colomban, il n’est assuré qu’au IXe siècle 13.

11 Parmi les monastères bisontins, deux pourraient être également reliés au groupe précédant : le premier est le monastère Saint-Paul, fondé par Donat, ancien moine de Luxeuil, devenu évêque de Besançon, dans les années 625-63014. Il a été restauré au XIe siècle par Hugues de Salins. Le second, Jussamoutier, fondé avant 636 par la mère de Donat, devint au XIe siècle un monastère d’hommes dépendant de Baume. Parmi les monastères bisontins pour lesquels existent des sources antérieures à l’an Mil, Saint- Martin de Bregille reste une énigme puisqu’on ignore tout de ses origines. Il est cité pour la première fois au IXe siècle, puis il est repris en main par Hugues de Salins au XIe siècle et son église apparaît comme paroissiale au XIIe siècle15. À ces quatre établissements, nous avons ajouté le cas de Saint-Ferréol et Saint-Ferjeux, cas plus litigieux, que nous avons retenu en raison d’une tradition assez intéressante, quoique tardive, mais aussi parce qu’il nous permet d’établir des comparaisons avec la situation des tombes saintes dans des monastères avérés. Nous disposons de trois sources au sujet de cette basilique : une passio, composée à la fin du Ve siècle, reprise par Grégoire de Tours dans le De Gloria Martyrum, et un récit précarolingien de l’Inventio des deux saints16. Cette inventio, mais dans une recension du XIe siècle, signale la création d’un conventus fratrum pour desservir la basilique. Lors du transfert des deux saints de leur basilique, située dans la banlieue de la cité bisontine, en l’église cathédrale Saint-Jean intra muros, au XIe siècle, un récit de la translation fut composé ; celui-ci indique que l’évêque Anianus, connu au IVe siècle, aurait établi là « la très sainte vie monastique » et qu’il en avait fait rapidement un monastère, dont la ruine, plusieurs siècles plus tard, aurait justement conduit à la translation des deux corps saints dans le but de les mettre à l’abri. Cette tradition tardive d’un monastère lié à la basilique Saint-Ferréol et Saint- Ferjeux n’est guère crédible pour l’époque d’Anianus mais ne serait peut-être pas à rejeter totalement pour l’époque qui précéda la translation17.

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12 Vient ensuite un groupe d’établissements associés en raison des liens connus qui les unissent ou de leur proximité géographique : Baume est mentionné pour la première fois dans la seconde moitié du IXe siècle et entre dans la dépendance de Gigny environ vingt ans plus tard, puis dans celle de Cluny au XIIe siècle. Château-Chalon, monastère de moniales situé à proximité de Baume, pourrait remonter au VIIe siècle, mais apparaît dans les sources pour la première fois en même temps que Baume18. Quant à Gigny, monastère fondé par Bernon et son cousin sur un domaine leur appartenant, il apparaît également au IXe siècle, et lie sa destinée à l’abbaye de Cluny au XIe siècle19.

13 Enfin, certains monastères de l’ancien diocèse de Besançon sont des fondations « isolées » ou dont nous ne connaissons rien ou presque : Enfonvelle, cité aux IXe et Xe siècles, est devenu au XIe siècle un prieuré de Saint-Bénigne de Dijon. On doit a priori l’origine de Faverney, au début du VIIIe siècle, à une sœur de Widerardus, fondateur de Flavigny, pour des moniales. Ce monastère entra au XIIe siècle dans la dépendance de la Chaise-Dieu. Les établissements de Vaucluse et de Mouthier-Hautepierre semblent bien attestés à la fin du IXe siècle, mais on n’en connaît ni la genèse, ni l’importance ou le devenir avant leur prise en mains par les Clunisiens aux XIe et XIIe siècles. Enfin, le monastère de Salicis, dirigé par Carantocus, constitue encore un cas particulier puisqu’il est mentionné uniquement dans la Vita Columbani20 et nous est totalement inconnu par ailleurs.

14 Si tous ces établissements – à l’exception, peut-être, de Saint-Ferréol et Saint-Ferjeux – semblent bien avoir été desservis par des communautés monastiques, on perçoit toutefois, lorsque l’on entre dans le détail, des appellations qui varient en premier lieu en fonction des sites bien entendu, des périodes et peut-être également en fonction du type de sources21.

15 Le vocabulaire pris en compte dans un premier temps pour cette enquête s’est limité aux termes désignant les établissements sur lesquels nous avions été amenés à réfléchir dans le cadre des campagnes de fouilles programmées. À cette liste, nous avons rapidement ajouté d’autres occurrences rencontrées dans la documentation. Notre enquête a donc porté sur les termes suivants : monasterium, cella, cellula, abbatiola, abbatia, coenobium et basilica.

16 Ces différentes appellations auraient pu, à première vue, nous donner des indications fiables sur la nature des établissements désignés, ou au moins sur leur importance. Or, il nous est vite apparu que leur étymologie était de peu de secours pour en cerner la signification précise, que la grande polysémie de ces termes et l’évolution de leur signification rendaient leurs acceptions, pour une période donnée, difficiles à définir. De plus, un même établissement à la même période peut être qualifié différemment selon les documents, mais également par un même rédacteur dans un même texte. Ce constat nous incite à penser que les différentes appellations d’un même établissement peuvent être parfois conditionnées par le seul désir de varier le vocabulaire.

17 Si nous pouvons donc établir, à partir de la liste de nos établissements, une série de statistiques qui montrent la fréquence des occurrences pour une période donnée, il est toutefois nécessaire de procéder au cas par cas pour savoir s’il est possible de retirer des informations de cette approche des établissements par le vocabulaire. Je n’ai donc retenu que les occurrences, qui, d’après leur contexte intra-textuel, renvoient à l’évidence à une réalité topographique et celles qui renvoient à la réalité institutionnelle de l’établissement.

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Quelques résultats

18 Le premier résultat de cette étude est donc une liste, qui constitue une base de travail pour établir des séries statistiques (fig. 2).

Fig. 2 – Les données brutes de l’enquête

Nature du Date de Période Désignation de Établissement document rédaction concernée l’établissement

Cellula Vitae Vers 512-514 430-512 Monasterium Coenobium

Tabernacula Vitae Vers 585-590 430-512 Habitaculum Monasterium

Diplôme XIIe s. ? 774 Coenobium

Diplôme XIe s. 787 Monasterium

Diplôme XIe-XIIe s. ? 790 Monasterium

Coenobium (qui est Condat Acte privé <798-814< <798-814< constructus…)

Notitia 819 819 Monasterium

Diplôme 820 820 Monasterium

Diplôme XIe s. ? 854 Monasterium

Acte privé 858 858 Monasterium

Acte privé 859-875 859-875 Coenobium

Divisio Regni 870 870 Monasterium

Acte privé Xe s. Xe s. Ecclesie

Jugement 906 906 Monasterium

Diplôme 993 993 Monasterium

Diplôme 928 928 Monasterium

Cellula Vitae Vers 512-514 430-513 Monasterium Coenobium

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Vitae Vers 585-590 430-512 Monasterium

Diplôme XIe-XIIe s. ? 790 Cella

Martyrologe (Florus) Avant 837 Avant 837 Monasterium

Martyrologe (Florus Lauconne Vers 850 Vers 850 Monasterium seconde recension)

Diplôme XIe s. ? 854 Sans qualificatif

Martyrologe (Adon) Avant 875 Avant 875 Monasterium

Bulle 1050 1050 Monasterium

Bulle 1100 1100 Cella

Bulle 1100 1100 Cella

XVIe s. Bulle 1187 Prioratum (vidimus)

Bulle 1245 1245 Prioratum

La Balme Vitae Vers 512-514 430-514 Monasterium

Saint-Hymetière Diplôme 861 <840-863< Cellula

Vita Xe-XIe s. ? fin Ve Monasterium (indirect)

Diplôme 903 903 Cellula

Testament 926 926 Cella

Saint-Lothain/ Bulle 1078 1078 Cella Silèze

Bulle 1089 1089 Monasterium

Bulle 1106 1106 Monasterium

Diplôme 1153 1153 Monasterium

Bulle 1162 1162 Ecclesia et villa

Maximiacus Vita Xe-XIe s. ? Fin Ve s. Monasterium

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Diplôme 869 869 Cellula

Diplôme 890 869 Cella

Bulle 894 894 Cellula

Diplôme 903 903 Cella

Baume Testament 926 926 Coenobium/Monasterium

Vita 942-943 début IXe s. Villa/Monasterium

Bulle 1078 1078 Monasterium

Bulles et diplômes 1089-1162 1089-1162 Monasterium

Diplôme 890 890 Monasterium

Monasterium/ Bulle 894 894 Coenobium

Diplôme 903 903 Locum

Gigny Testament 926 926 Coenobium/Monasterium

Bulle 927 927 Monasterium

Acte 936 936 Monasterium

Bulle 1078 1078 Monasterium

Diplôme 869 869 Abbatiola

Château-Chalon Diplôme 870 870 Abbatia (indirect)

Collationes Vers 920 Vers 920 ?

Vita Vers 942 Vers 942 ? Monasterium

Saint-Martin Divisio Regni 870 870 Monasterium

de Bregille Diplôme 871 871 (Abbaye)

Passio fin Ve s. IVe s. Crypta

Saint-Férréol et De Gloria martyrium VIe s. IVe s. Basilica et Crypta Saint-Ferjeux de Grégoire de Tours

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Inventio VIIe ou VIIIe s. IVe s. Basilica, aedes martyrum

Saint-Paul de Vita Vers 640 VIIe s. Monasterium Besançon

Vita Vers 640 VIIe s. Monasterium puellarum

Diviso regni 870 870 Monasterium

Notre-Dame Diplôme 1083 1083 Monasterium

de Jussamoûtier Bulle 1089 1089 Monasterium

Bulle 1106 1106 Monasterium

Diplôme 1153 1153 Monasterium

Bulle 1162 1162 Ecclesia

Monasterium Vita Vers 640 Vers 590 Coenobium

Luxeuil Testament Avant 833 Avant 833 Sans qualificatif

Divisio Regni 870 870 Abbatia (indirect)

Vita (Bathilde) IXe s. IXe s. Monasterium (induit)

Fontaine Vita Vers 640 Vers 590 Monasterium

Testament Avant 833 Avant 833 Cella

Monasterium Vita Vers 640 Vers 590 Locum

Annegray Testament Avant 833 Avant 833 Sans qualificatif

Liber memorialis IXe s. IXe s. Monasterium

XIIe s. (faux Diplôme VIIIe-IXe s. ? Sans qualificatif carolingien)

Testament Avant 833 Avant 833 Sans qualificatif

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Cella Cusance Vita (Ermenfredi) VIIIe s. ? VIIe s. Cellula

Salicis Vita Vers 640 Vers 590 Monasterium

Notitia 819 819 Monasterium

Baume-les- Testament Avant 833 Avant 833 Sans qualificatif

Dames Divisio Regni 870 870 Abbatia (indirect)

Vita (Ermenfredi) VIIIe-IXe s. ? VIIe s. Monasterium

Bulle 1143 1143 Monasterium

Dorniatiacum Chronique XIIe s. 658 Monasterium

Notitia de servitio 819 819 Monasterium monasteriorum

Diplôme 865 865 Loco (dicitur Lutra)

Lure Divisio Regni 870 870 Abbatia (indirect)

Locum…quem Lutheraa Diplôme 959 959 vocatum

Bulle 1051 1051 Monasterium

Notitia 819 819 Monasterium

Divisio Regni 870 870 Abbatia (indirect)

Faverney Diplôme 882 882 Monasterium

Diplôme 940 940 Monasterium/abbatia

Bulle 1078 1078 Cellula

Vaucluse Divisio Regni 870 870 Abbatia (indirect)

Enfonvelle Divisio Regni 870 870 Monasterium ?

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Diplôme 940 940 Monasterium/abbatia

Mouthier- Divisio Regni 870 870 Abbatia (indirect)

Hautepierre Acte privé 934 934 Monasterium

Bulle 1078 1078 Cella

19 L’un des critères retenus a été le critère archéologique : ce tableau indique, en grisé, les établissements qui ont été l’objet de fouilles ou de sondages, même très partiels et parfois assez anciens. Cette approche croisée terminologie/archéologie est en effet l’un des objectifs des études documentaires en marge des chantiers de fouilles : sur les vingt-cinq établissements retenus dans notre enquête, onze ont fait l’objet de fouilles, mais d’ampleurs très variées et avec des résultats très disparates. La fouille de Saint- Paul de Besançon, par exemple, remonte aux années 1950. Le site de Saint-Romain/ La Balme a été l’objet de quelques sondages, anciens également, et de prospections pédestres. Deux autres n’ont bénéficié que de sondages limités : c’est le cas de Baume- les-Dames et de Notre-Dame de Jussamoutier à Besançon. Parmi les monastères, ou supposés tels, restants, six sont mentionnés dans plus de deux sources différentes, condition évidemment indispensable pour permettre de constater une évolution lexicologique : il s’agit de Saint-Claude, Saint-Lupicin, Gigny, Baume-les-Messieurs, Luxeuil et Annegray. Saint-Hymetière, dernier site pour lequel nous disposons d’une petite documentation archéologique, n’est mentionné qu’à une seule occasion dans les sources du haut Moyen Âge. Là encore, les résultats de cette confrontation entre documentation archéologique et dénominations dans les sources du haut Moyen Âge sont assez décevants. Il n’y a peut-être que dans un cas ou deux que l’archéologie pourrait renforcer la signification d’une dénomination des établissements22.

20 Parmi les différents vocables retenus, le monasterium paraît être le moins ambigu. Si, à l’origine, le mot désignait plutôt un ermitage, par opposition au coenobium, dont l’étymologie fait référence à la vie communautaire, il semble bien que dans nos sources, le mot monasterium désigne bien dans tous les cas un établissement conventuel, sans toutefois donner nécessairement une idée de l’importance de l’établissement. Il n’y aurait que dans le Liber vitae Patrum de Grégoire de Tours 23 que le mot pourrait faire référence à l’ermitage, puisqu’il l’utilise une dizaine de fois pour qualifier les établissements fondés par Romain et Lupicin et qu’il situe son récit avant l’instauration de la vie conventuelle par l’abbé Oyend. Néanmoins, cette utilisation pose la question du décalage entre la période évoquée dans la documentation et l’époque de rédaction du document. En effet, lorsque Grégoire de Tours rapporte l’histoire des fondations de Romain et Lupicin, il parle bien d’une époque antérieure à l’instauration de la vie conventuelle, mais à une époque où ces deux monastères ont cessé d’être de simples ermitages. Dans ce cas-là, quelle réalité doit-on prendre en compte, celle de la période évoquée ou celle de la rédaction du document ? Cette question se pose dans de nombreux cas. Plusieurs des chartes carolingiennes dont nous disposons pour cette enquête sont des faux, composés aux XIe-XIIe siècles. Le problème se pose également pour d’autres vies de saints, celle de Colomban écrite cinquante ans environ après certains faits qu’elle rapporte, celle d’Ermenfroi, de saint Delle, les passions, etc. Ce

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décalage, qui va de quelques années à plusieurs siècles, concerne 28 % des mentions considérées, ce qui constitue l’une des limites importantes de cette enquête. Ces sources néanmoins ont été prises en considération pour les informations importantes et parfois uniques qu’elles contiennent.

21 Si nous entrons maintenant dans le détail, un premier sondage réalisé à partir de cette liste fait état de la répartition suivante : sur les vingt-cinq établissements retenus, vingt sont qualifiés au moins une fois de monasterium, sept d’abbatia, sept de cellula, six de cella, cinq de coenobium, un d’abbatiola (fig. 3, 4 et 5).

Fig. 3 – Quantification des différentes appellations rencontrées dans les sources pour qualifier les établissements religieux

Fig. 4 – Les différentes désignations des monastères dans les sources et leur répartition par périodes (entrée par siècles)

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Fig. 5 – Les différentes désignations des monastères dans les sources et leur répartition par périodes (entrée par vocables)

22 Un même établissement peut être qualifié de diverses manières et pas nécessairement selon une progression qui s’accorderait avec ce que l’on connaît de l’évolution de certains de ces établissements ou de ce que l’on suppose justement sur la base de ces différentes appellations : Lauconne/Saint-Lupicin par exemple est d’abord qualifié de monasterium, puis de cella, puis à nouveau de monasterium puis à nouveau de cella. Toutefois, dans la très grande majorité des cas, on assiste à une évolution lexicologique qui semble aller dans le sens d’un développement de l’établissement, qui d’une cella ou cellula devient un monasterium, comme c’est le cas de Baume ou, inversement, qui va dans le sens d’une diminution de l’importance. À Mouthier-Hautepierre ou Fontaine, par exemple, on passe d’un monasterium à une cella ou cellula.

23 Cette réserve étant faite, le terme monasterium qualifie, au moins une fois, vingt des vingt-cinq établissements de notre liste, entre le Ve et le Xe siècle, et dans aucun de ces cas, il ne semble poser de difficultés et se rapporter à un établissement qu’on pourrait qualifier de secondaire.

24 Le mot coenobium est également utilisé à maintes reprises. Si le doute est permis lorsqu’on le rencontre dans des diplômes dans lesquels il pourrait aussi bien désigner la communauté que l’ensemble monumental qui l’abrite, il est utilisé à plusieurs reprises dans la Vita Colombani et la Vita Patrum Jurensium, sans que son usage dans un sens topographique puisse être contesté : dans la VPJ, les moulins et pilons sont par exemple situés sub ipso Condatescensi coenobio24 ; dans la Vita Columbani, il est utilisé également dans ce sens, mais aussi dans une acception institutionnelle25. Il semble donc bien que les termes monasterium et coenobium aient été utilisés indifféremment pour qualifier le lieu de résidence de la communauté monastique, mais également l’institution.

25 Une autre remarque peut être formulée à partir de cette simple liste de répartition des terminologies : le terme abbatia, que l’on a rencontré pour qualifier sept établissements, a peut-être le sens d’abbaye, mais entendu ici comme la jouissance d’une propriété. Le terme est en effet utilisé pour désigner les établissements qui reviennent à la part de Louis le Germanique lors du partage de l’empire par Lothaire II en 87026. Néanmoins, trois établissements de notre liste qui entrent dans la part de Charles le Chauve, Saint-Oyend, Notre-Dame de Jussamoutier et Saint-Martin de

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Bregille, sont qualifiés de monasterium, qui s’entend généralement plutôt comme le lieu d’habitation des moines. Émile Lesne a montré à travers divers exemples que les deux termes tendaient à devenir synonymes, et donc à être interchangeables27. Ainsi, il est difficile de savoir si ces différences dans la désignation des monastères francs-comtois dans notre liste sous-tendent une appréciation différente des établissements ou non. Deux d’entre-eux, qualifiés d’abbatiae en 870, étaient en tout cas dénommés monasterium en 819 dans la Notitia de servitio monasteriorum28. Nous avons un exemple au moins de l’utilisation concomitante de ces deux termes d’abbatia et de monasterium dans un diplôme de 940 dans lequel Louis IV donne à l’un de ses fidèles l’abbatia du monasterium d’Enfonvelle et également de Faverney, ce qui semble montrer ici que l’on établit encore une distinction entre l’institution, le bénéfice et le monastère lui-même qui accueille la communauté29.

26 Mais l’usage, dans un même texte, de l’un ou l’autre de ces termes ne semble pas toujours relever d’une appréciation particulière quant à la nature de l’établissement. En est-il de même du binôme cella/cellula ?

27 À l’origine, le mot cella, selon une définition donnée par Gérard Lavergne30, avait deux acceptions : l’une civile, la cella désignait souvent une petite habitation, l’autre religieuse, le mot pouvant qualifier un sanctuaire ou la dépendance d’un . Les deux sens se sont fondus au Moyen Âge et la cella a alors désigné un établissement cénobitique comprenant généralement un oratoire. Le fait que la cella désigne à la fois le lieu d’habitation et un lieu de culte expliquerait qu’elle ait été parfois synonyme de monasterium, coenobium, ou abbatia et que la cella désigne également de petits édifices de culte, comme le mémorial d’un saint par exemple. Par la suite, comme beaucoup de ces cellae avaient été incorporées au patrimoine des églises, le mot a pris, à l’époque carolingienne, le sens de propriété, d’abbaye ou de dépendance d’un évêché. La cella a ensuite, selon une évolution logique, désigné une petite dépendance soumise à un monastère, un monasteriolum, puis un prieuré, ainsi que l’a montré Anne-Marie Bautier31. La cellula désigne quant à elle, à l’origine, la cellule du moine, mais en tant que diminutif de cella, il s’agit plutôt d’une petite habitation monastique isolée. Plus tard, elle définit un petit monastère dépendant d’un autre établissement plus important.

28 La plus ancienne occurrence du terme cellula dans nos sources se lit dans la Vie des Pères du Jura de l’Anonyme. Si le terme désigne parfois la cellule d’un saint dans ce récit, il semble qualifier également à deux reprises le monastère de Condat32. On peut en déduire, puisque celui-ci est désigné le plus souvent par le terme monasterium, que les deux vocables renvoient à une même réalité dans ce récit. Grégoire de Tours en revanche n’utilise pas ce vocable et il semble également ignoré chez Jonas de Bobbio. On le retrouve ensuite dans les textes des VIIIe et IXe siècles pour qualifier Baume, Saint- Lothain, Cusance et Saint-Hymetière, et plus tardivement Faverney ; mais le mot est alors, dans ce dernier cas, certainement synonyme de prieuré.

29 Le terme cella, utilisé pour désigner un établissement, apparaît un peu plus tardivement dans nos sources, dans un faux daté de la fin du VIIIe siècle concernant Saint-Lupicin33, puis, au IXe siècle, pour qualifier Fontaine, Baume et Saint-Lothain34. Aux XIe-XIIe siècles, il désigne à nouveau Saint-Lupicin, puis Enfonvelle et Mouthier-Hautepierre. Il n’y aurait pas vraiment de difficulté à considérer que ces deux termes aient désigné, au moins dans les textes carolingiens, un petit établissement, qui pouvait dépendre d’une abbaye plus importante. C’était probablement le cas de Saint-Lupicin, qui a pu devenir

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secondaire vis-à-vis de Condat, comme on le devine dès l’abbatiat d’Oyend, le quatrième abbé de ce monastère. C’était sans doute le cas de Saint-Lothain, qui, lorsqu’il est qualifié de cella et de cellula, dépendait alors de Gigny, ou même de Fontaine, qui dépendait de Luxeuil. Baume n’était peut-être également qu’un petit établissement à la fin du IXe siècle au moment où il est qualifié de cella. S’il est donc probable que les termes cella/cellula aient été à peu près synonymes à cette période, il ne faut pas exclure l’idée selon laquelle la cella peut désigner également, comme le soulignait G. Lavergne, et comme l’a montré B. Beaujard35, le monument érigé sur la tombe d’un saint.

30 Le terme cellula renvoie-t-il plus volontiers à l’idée d’une petite communauté monastique, en référence à l’étymologie du terme, et cella à un édifice bien particulier ? B. Beaujard, qui en a relevé de multiples exemples, ne semble pas avoir établi de distinction très nette entre les deux. Cependant, pour elle, et dans les contextes et la période dans lesquels elle a retenu ces appellations, il s’agit de monuments funéraires abritant la tombe d’un saint, dont l’importance et le type de construction sont très variables. Le terme crypta, au contraire de cella et de cellula, n’est pas réservé aux constructions en l’honneur d’un saint et dans la plupart des cas, la crypta se distingue par son caractère souterrain et/ou caché, comme c’est le cas de la crypte des saints Ferréol et Ferjeux à Besançon. Les exemples les plus précoces, pour notre région, de construction abritant la tombe d’un saint nous sont donnés par la Vie des Pères du Jura, le Liber vitae Patrum de Grégoire de Tours et son De gloria martyrum : dans le premier récit, la basilica désigne le monument recouvrant la sépulture de Romain ; chez Grégoire de Tours, la basilique du monastère est l’édifice dans lequel est inhumé Lupicin ; quant aux saints Ferréol et Ferjeux, ils sont ensevelis dans la crypte d’une basilique. Crypta et basilica sont en revanche absentes de nos sources pour l’époque carolingienne ; à l’inverse, lorsque les termes cella et cellula sont employés dans nos sources les plus précoces, ils ne font apparemment pas référence à la tombe d’un saint mais bien au monastère dans son ensemble. Il est donc bien difficile de déterminer, lorsque nous sommes confrontés à ces mentions de cella et de cellula dans les sources carolingiennes, si ces termes désignent un édifice particulier ou l’établissement dans sa globalité : en effet, sur les sept établissements qui sont ainsi définis dans les textes entre le Ve et le XIe siècle36, cinq sont le lieu d’inhumation certain du saint fondateur et la cella/cellula est alors directement mise en relation avec l’inhumation du corps saint dans deux cas : Saint-Lupicin et Saint-Lothain. Concernant le premier, l’établissement est désigné comme suit : cella in qua corpus beati Lupicini humatum jacet37. Ce qui qualifie et distingue l’établissement, dont le nom n’est pas indiqué, est donc le fait que le corps de saint Lupicin y repose. Ce diplôme de 790 fut accordé par Charlemagne à l’abbé de Condat/Saint-Oyend lors d’un conflit qui l’opposait à l’archevêque de Besançon pour la possession de la cella de Lauconne38. Ce document est en réalité un faux du XIe-XIIe siècle. Il pourrait néanmoins avoir été forgé, pour la partie concernant Lauconne, sur un authentique jugement de Charlemagne, peut-être à une époque où des contestations semblables sur la dépendance de cet établissement étaient apparues.

31 Dans le cas de Saint-Lothain, la référence à la sépulture du saint fondateur se trouve dans le diplôme par lequel, en 903, Rodolphe Ier confie à Gigny la cella de Baume et la cellula de Saint-Lothain, in qua sanctus Lautenus confessor preciosus requiescit39.

32 Dans deux autres situations, il est fait référence de façon moins directe à l’inhumation du saint dans l’établissement désigné dans les sources : Cusance et Saint-Hymetière. À

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Cusance, il est précisé qu’Ermenfroi est inhumé dans l’église Saint-Jean-Baptiste. Or, l’établissement est toujours désigné cella ou cellula par l’auteur de la Vita Ermenfredi40. Les deux termes ne semblent pas alors se rapporter à l’édifice qui abritait la sépulture du saint, mais plutôt à l’établissement dans sa globalité. Cette même vita fait d’ailleurs également référence au monasterium de Balma/Baume-les-Dames, situé non loin de Cusance, et au monasterium de Luxeuil, auquel Ermenfroi avait soumis son établissement. Sans doute celui-ci avait-il donc une importance moindre que Luxeuil ou Baume-les-Dames, même si les chiffres de trente moines, donnés à l’époque d’Ermenfroi et de quarante moniales quelques décennies auparavant, permettent de relativiser cette « importance moindre ».

33 Ces différentes appellations reflètent donc bien sans doute des réalités différentes, mais qui sont peut-être plus liées à une situation de dépendance ou à des situations institutionnelles qu’à l’ampleur ou l’importance de l’établissement.

34 Le cas de Saint-Hymetière est intéressant également, puisque le seul document qui nous le fait connaître à l’époque carolingienne est un diplôme de 861 qui fait référence à un titre antérieur de quelques années : l’établissement est alors qualifié de cellula quae vocatur sanctus Imitterius41. L’inhumation de saint Hymetière dans cet établissement mal caractérisé – s’agit-il d’un ermitage qui a évolué en communauté cénobitique ? – est confirmée par la reconnaissance, au début du XVIIe siècle, de son tombeau derrière l’autel de l’église romane ; l’inhumation du saint semble également accréditée par la découverte, lors d’un diagnostic archéologique effectué en 2010, d’un bâtiment antérieur à l’église romane et de sépultures mérovingiennes, qui pourraient être mises en relation avec l’attractivité d’une tombe sainte, peut-être même la tombe sainte en question42. Si ce diplôme de 861 ne fait donc pas référence explicitement à la sépulture de saint Hymetière, on peut tout de même, dans ce cas, supposer que la cellula fait bien référence à un édifice particulier.

35 Nous serions tentés de voir dans la cella de Lauconne/Saint-Lupicin, mentionnée dans la fausse charte carolingienne, non pas l’établissement mais l’édifice qui recouvrait la sépulture de Lupicin et dans la cellula de Saint-Lothain celui qui recouvrait la tombe du saint fondateur. On comprend mieux alors le fait que dans ces chartes figure la précision de la présence des corps saints. Si l’hypothèse est difficile à vérifier pour Saint-Lothain, qui est encore qualifié de cella aux Xe et XIe siècles, il en va peut-être un peu différemment de Lauconne. Dans les martyrologes de Florus de Lyon et d’Adon au IXe siècle, il est précisé que le corps de Lupicin repose et est célébré dans le monasterium de Lauconne. Dans une bulle de Léon IX de 1050, l’établissement est désigné monasterium sancti Lupicini. Il avait alors pris le nom de celui dont on avait probablement relevé le corps à l’occasion de la reconstruction de l’église, dans la première moitié du XIe siècle43. Cette dernière appellation ne prouve évidemment pas que Saint-Lupicin, entre les IXe et XIe siècles, était un monastère, puisque nous avons vu, en effet, que ce terme recouvre des réalités diverses. La situation de dépendance de Lauconne/Saint-Lupicin vis-à-vis de Condat/Saint-Oyend n’est pas remise en question. Elle apparaît encore dans un diplôme de 854, faux également44. En revanche, il faut sans doute se défaire de l’idée que cet établissement n’était plus, à l’époque carolingienne, qu’un simple prieuré. Si, comme cela apparaît dans le faux diplôme de Charlemagne de 790, il y a conflit pour la possession de la cella entre l’archevêque de Besançon et l’abbé de Condat, c’est peut-être aussi, au-delà de la question des limites de diocèse, que la

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situation de cet établissement posait problème, peut-être en raison de la présence de la tombe sainte ?

36 Mais, quand bien même cella et cellula dans ces deux cas, mais aussi dans ceux moins évidents de Cusance et de Saint-Hymetière, auraient été un genre de métonymie, la partie désignant alors le tout – l’édifice en l’honneur du saint désignant alors l’ensemble de l’établissement –, les exemples de Baume, Faverney et Fontaine seraient en revanche des contre-exemples puisqu’ils ne se distinguent pas, a priori, aux périodes où les documents les désignent sous la terminologie de cella ou cellula, par la présence d’une tombe sainte particulière et prestigieuse.

37 Ce qui nous amène à l’examen du terme abbatiola et à la question de la cellula/cella de Baume-les-Messieurs. Le terme abbatiola est un cas très particulier, car il est unique dans nos sources. Il s’applique à Château-Chalon dans la seconde moitié du IXe siècle, et il précède, dans le même texte, la mention de Baume, qui est qualifié de cellula45. L’ abbatiola de Château-Chalon était sans doute une petite abbaye, mais il n’y a bien que ce terme pour fonder une telle opinion, puisqu’on ignore tout de cet établissement de moniales à cette période. Un an après ce diplôme, il est englobé dans la liste des abbatiae au même titre que Lure, Faverney ou Luxeuil, puis il est peut-être qualifié de monasterium dans la Vita Odonis au milieu du Xe siècle46. L’étude d’A.-M. Bautier47 a souligné que l’abbatiola, la cella et son diminutif cellula et le monasteriolum désignent des dépendances, de petits établissements. Dans le cas de Baume et de Château-Chalon, rien ne permet de confirmer cette opinion, puisqu’on ignore tout de leurs origines. De plus, le diplôme de 869 ne donne pas d’indications sur une éventuelle situation de dépendance de ces deux maisons, ni sur leur importance. Les seuls indices qui pourraient nous en donner une idée sont, d’une part, les trois villae échangées contre Baume et Château-Chalon et, d’autre part, la mention dans ce même texte de mancipiis et appenditiis, qui sont attachés à Baume et Château-Chalon. Il semble donc bien s’agir, dans ces cas-là, de centres d’exploitations ou plutôt d’établissements qui ont pour vocation de gérer des biens fonciers grâce à une communauté de moines/moniales et des laïques. Mais ces communautés agissaient-elles pour leur propre compte ou pour le compte d’une autre communauté dont elles auraient dépendu ? La prise en main de Baume par Bernon vingt ans après cette première mention permet de douter sérieusement de cette idée. Quant au devenir de l’abbaye de Château-Chalon, restée indépendante jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, il nous incline encore une fois à écarter cette hypothèse. Concernant Baume plus particulièrement, on pensait, jusqu’à très récemment, que cette appellation de cellula renvoyait à un établissement très modeste48. Le capitulaire monastique de 817 précisait que les abbés pouvaient posséder des cellae à la condition d’y établir au moins six moines49. Si l’établissement de Baume est ainsi désigné en 869, on peut supposer qu’il y existait toujours une vie communautaire, même de moindre importance. Mais ce qui nous permet avant tout de supposer que Baume avait été, dans un passé plus ou moins proche, un établissement un peu plus important qu’il n’y paraît est la découverte, lors de la fouille opérée dans l’abbatiale en 2012, des vestiges de cuisines conventuelles qui révèlent une topographie complexe dès le VIIIe siècle, ainsi qu’un important lot de fragments de vitraux dans une couche de démolition liée à un incendie et datée du dernier quart du VIIIe siècle50. Ces vitraux devaient appartenir à un édifice important qui s’accorde plutôt mal avec l’idée d’établissement secondaire ou de moindre importance que l’on associe généralement au vocable de cellula. Peut-être alors faudrait-il reconsidérer, dans ce cas précis, le sens

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recouvert par ce terme ? À moins que le fait que ces vitraux se soient trouvés dans une couche de démolition, datée précisément de la période de la donation de Lothaire II, doive nous inciter à penser qu’on serait passé, dans ces années-là, d’un établissement d’une importance ou d’un prestige suffisant pour que l’un de ses édifices ait été orné de vitraux à un établissement mineur, peut-être suite à sa ruine par un incendie. Pour finir sur Baume, ajoutons que dans la Notitia de servitio monasteriorum, un monasterium Balma est compris dans la liste des monastères soumis au don à l’empereur51. Ce monasterium a été identifié à celui de Baume-les-Dames par les éditeurs des MGH, mais aucun argument ne semble plus en faveur de l’une que de l’autre des identifications. Il n’est donc pas impossible que Baume ait été qualifié de monasterium au début du IXe siècle. Mais ce n’est assurément qu’en 926 que Baume-les-Messieurs est désigné avec certitude sous ce terme, mais il est vrai que nous sommes alors quelques années après sa rénovation par Bernon52.

38 Rien ne permet évidemment de vérifier ces différentes hypothèses pour l’instant, mais la différence d’appellation entre Baume et Château-Chalon dans un même document interpelle ; et l’idée que des vitraux aient été employés pour un bâtiment d’une simple cellule d’exploitation ne paraît guère recevable. Mais il faut bien admettre que, pour le moment, nous n’en savons pas plus sur les édifices qui composaient l’établissement de Baume au moment où celui-ci est désigné en tant que cellula, pas plus que nous ne pouvons savoir quelle réalité architecturale ou institutionnelle recouvre l’appellation abbatiola à Château-Chalon dans la seconde moitié du IXe siècle, le site n’ayant fait pour l’instant l’objet d’aucune fouille archéologique.

Bilan et perspectives

39 On voit bien, comme dans le cas de Baume et de Château-Chalon, que la dénomination des établissements nous fournit peu d’indices sur leur nature, mais interpelle suffisamment pour que l’on perçoive la nécessité de pousser plus loin la réflexion liée à la terminologie. À ces données brutes que sont les termes relevés dans les sources, il faudrait coupler une approche plus globale, mais aussi une approche plus fine. Il faudrait, en effet, tenir compte de l’évolution historique des établissements étudiés, mais aussi ne conserver que les documents dont la tradition est bien attestée, en vérifier les originaux afin de s’assurer que les formes des documents originaux ou les copies les plus fiables ont bien été respectées dans le cas d’éditions, etc. La présente étude est une première enquête menée à l’échelle du diocèse, mais il conviendrait de l’étendre à d’autres établissements de ses marges afin de travailler sur des séries plus amples, dont les résultats seraient donc sans doute plus pertinents.

40 Il nous semble également qu’une recension plus large des termes en rapport avec la topographie des monastères, ceux qui décrivent des lieux de vie, des lieux de prière et des lieux de sépulture, pourraient nous aider à mieux définir ces établissements qui se dissimulent sous des appellations variées et souvent vagues, même si nous nous heurterions, là encore, à des limites qui tiennent autant à la validité des sources et à leur nombre, qu’à des procédés littéraires, des usages linguistiques ou encore des acceptions terminologiques mouvantes. Et, enfin, il va sans dire que la poursuite des confrontations entre les données des textes et celles de l’archéologie pourrait nous permettre, dans un avenir plus ou moins proche, de réévaluer les hypothèses et conclusions de telles études.

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NOTES

1. Les monastères en Europe occidentale (Ve-Xe siècle). Topographie et structures des premiers établissements en Franche-Comté et en Bourgogne, dirigé par Sébastien Bully et Christian Sapin (UMR 6298 ARTeHIS, Dijon). 2. Le cadre géographique de cette étude est en réalité un diocèse légèrement étendu aux limites méridionales actuelles de la Franche-Comté afin d’intégrer des établissements situés, au haut Moyen Âge, aux marges du diocèse (Saint-Claude, La Balme, Gigny et Saint-Hymetière). 3. G. MOYSE, Les origines du monachisme dans le diocèse de Besançon (Ve-Xe siècle), Paris, 1973 (extraits de la BEC, t. 131). 4. Hormis ce légendaire, qui semble reposer principalement sur un nécrologe sanclaudien du XIVe siècle, les liens entre Condat/Saint-Claude et Saint-Hymetière ne sont en rien établis. 5. Pour l’histoire des origines de ces monastères, voir la Vita Patrum Jurensium, éd. F. MARTINE, Paris, 1968 (Sources chrétiennes, 142). 6. Cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon, éd. M.-C. RAGUT, Mâcon, 1864, p. 83-85. 7. La Vie de saint Lothain, dont le plus ancien manuscrit daterait du IXe/Xe siècle, est éditée dans les AASS, Nov., I, au 1er novembre, p. 284-286. 8. JONAS DE BOBBIO, Vie de saint Colomban et de ses disciples, éd. A. DE VOGÜÉ, Bégrolles-en-Mauges, 1988, p. 112-113 et 119-120. 9. AA. SS., sept. VII, p. 106-112. 10. Texte transmis par la Chronique de Bèze, éd. J. GARNIER, Dijon, 1875 (Analecta Divionensa), p. 240-241, chronique du XIIe siècle. 11. G. MOYSE, Les origines du monachisme…, op. cit., p. 102. 12. G. MOYSE, Les origines du monachisme…, ibid., p. 103. 13. Voir le diplôme de Lothaire II donné en 865 : Th. SCHIEFFER, Die Urkunden Lothars I und Lothars II, MGH, 1966, p. 448-451 et la Vita Deicoli abbatis Lutrensis, B.H.L., 2120 ; PARIS, BnF, ms. lat. 1500, au 18 janvier. 14. JONAS DE BOBBIO, Vie de saint Colomban…, op. cit., p. 125 et G. MOYSE, Les origines du monachisme…, op. cit., p. 79-80. 15. Mentionné en 870 dans la Divisio regni, puis dans un diplôme de 871 : éd. BORETIUS-KRAUSE, MGH, Capitularia, II, p. 194 ; G. TESSIER, Recueil des actes de Charles III le Chauve, t. 2, Paris, 1952, p. 287-288. 16. Passio SS. Ferreoli et Ferrucionis ( BHL 2903b, 2904), éd. B. DE V REGILLE, Autour de Lactance. Hommage à Pierre Monnat, Besançon, 2003, p. 181-196 ; Inventio ss. Ferreoli et Ferrucionis (BHL 2909b, 2909, 2908, 2907), citée d’après BHL 2909b : ROUEN, Bibliothèque municipale, ms. 1379, fol. 61-62 ; Translatio ss. Ferreoli et Ferrucii (BHL 2910), AASS, lun., IV, p. 11-12, GRÉGOIRE DE TOURS, Liber in gloria martyrum, 70 [71], éd. B. KRUSCH, MGH, SS. Rer. Merov., I, 2, p. 85. 17. B. DE VREGILLE, Hugues de Salins, archevêque de Besançon, 1031-1066, Besançon, 1981, p. 190-191. Voir également N. GAUTHIER, B. BEAUJARD et F. PRÉVOT, Topographie chrétienne des cités de la Gaule, des origines au milieu du VIIIe siècle, Paris, 2007, p. 33-34. 18. Th. SCHIEFFER, Die Urkunden Lothars I…, op. cit., p. 438-440. 19. G. MOYSE, Les origines du monachisme…, op. cit., p. 149-154. 20. JONAS DE BOBBIO, Vie de saint Colomban…, op. cit., p. 114-115. 21. Ce dernier aspect devra être examiné dans une phase ultérieure de cette étude, qui devra prendre en compte un corpus d’établissements plus large. 22. Voir infra.

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23. GRÉGOIRE DE TOURS, Liber vitae Patrum, éd. F. MARTINE, Paris, 1968 (Sources chrétiennes, 142), p. 446-461. 24. Vie des Pères du Jura…, op. cit., p. 296. 25. JONAS DE BOBBIO, Vie de saint Colomban…, op. cit., p. 139. 26. A. BORETIUS-V. KRAUSE (éd.)., MGH, Capitularia, II, p. 194. 27. É. L ESNE, « Évêché et abbaye. Les origines du bénéfice ecclésiastique », Revue d’Histoire de l’Église de France, 5 (1914), p. 15-50. 28. P. BECKER (éd.), Corpus Consuetudinum Monasticarum, t. I, 1963, p. 483-499. 29. P. LAUER, Recueil des actes de Louis IV, Paris, 1914, p. 35-37. 30. G. LAVERGNE, « Les noms de lieux d’origine ecclésiastique », Revue d’histoire de l’Église de France, 15 (1929), p. 31-49. 31. A.-M. BAUTIER, « De praepositus à prior, de cella à prioratus : évolution linguistique et genèse d’une institution (jusqu’à 1200) », in J.-L. LEMAÎTRE (éd.), Prieurs et prieurés dans l’Occident médiéval, Genève, 1987. 32. Selon la traduction de F. Martine (cf. Vie des Pères du Jura…, op. cit., p. 280 et 282). 33. Archives départementales du Jura [désormais abrégé ADJ], 2 H 16 ; éd. E. MÜHLBACHER, Die Urkunden Pippins, Karlmanns u. Karls des Grossen, in MGH, Die Urkunden der Karolinger, p. 453-455. 34. B. PROST, Essai historique sur les origines de Baume-les-Moines, in Mémoires de la Société d’émulation du Jura, 1871-1872, p. 109 sqq. ; B. GASPARD, Histoire de Gigny, 1843, p. 628 (d’après Biblioth. clun., p. 9-10) ; Testament d’Anségise dans Chronique des abbés de Fontenelle, éd. P. PRADIÉ, Paris, 1999. 35. B. BEAUJARD, Le culte des saints en Gaule. Les premiers temps. D’Hilaire de Potiers à la fin du VIe siècle, Paris, 2000, p. 337-340. 36. Il n’est pas tenu compte des mentions ultérieures de cella/cellula qui recouvrent plus probablement une réalité plus proche du prioratus. 37. ADJ, 2 H 16. 38. Rappelons que Condat/Saint-Claude dépendait du diocèse de Lyon à cette époque alors que la Balme/Saint-Romain et Lauconne/Saint-Lupicin appartenaient au diocèse de Besançon. 39. Éd. Th. SCHIEFFER, MGH, Diplomata Burgundische Rudolfinger, p. 106-107. 40. AA. SS., sept. VII, p. 106-112. 41. Cartulaire de Saint-Vincent…, op. cit., p. 83-85. 42. D. B ILLOIN (dir.), Aux origines de l’église de Saint-Hymetière (VIe-VIIe/XXe siècles), Rapport de diagnostic, DRAC/SRA Franche-Comté, Besançon, 2010. 43. Une sépulture en position privilégiée, à la croisée du transept de l’église actuelle, découverte lors de fouilles réalisées en 2007 dans l’église Notre-Dame de Saint-Lupicin, a été identifiée comme étant celle de Lupicin. Voir notamment à ce propos S. BULLY et M. ČAUŠEVIĆ- B ULLY, « Saint-Lupicin (Jura), église Notre-Dame de la Nativité. Sondage archéologique à la croisée du transept », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, 12 (2008) [en ligne : http:// cem.revues.org/6582 ; DOI : 10.4000/cem.6582]. 44. Th. SCHIEFFER, Die Urkunden Lothars I…, op. cit., p. 300-304. 45. Th. SCHIEFFER, Die Urkunden Lothars I…, ibid., p. 438-440. 46. Si l’on accepte l’idée selon laquelle le monasterium évoqué dans la Vita Odonis au sujet d’une moniale est bien le monastère de Château-Chalon. M.-L. FINI, « L’Editio minor della « Vita » di Oddone di Cluny e gli apporti dell’Humillimus. Testo critico e nuovi orientamenti », L’Archiginnasio. Bulletino della Biblioteca comunale di Bologna, 63-65 (1968-1970), p. 208-257. 47. A.-M. BAUTIER, « De praepositus à prior… », op. cit., p. 9. 48. Voir G. M OYSE, Les origines du monachisme…, op. cit., p. 147. Ce n’est que récemment, et principalement en raison des résultats de la fouille de l’abbatiale de Baume, que cette opinion a été révisée, ou au moins nuancée, même si, déjà, dans la monographie L’abbaye de Baume-les- Messieurs (G. MOYSE, R. LOCATELLI, J. COURTIEU et P. GRESSER, L’abbaye de Baume-les-Messieurs, Dole,

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1978, p. 33), G. Moyse avançait l’hypothèse selon laquelle la cellula, passée du domaine royal à la sphère privée lors de sa donation à Bernon, évoquait une origine fiscale, position qu’il a confirmée récemment (étude à paraître). 49. P. BECKER (éd.), Corpus Consuetudinum Monasticarum, t. I, 1963, p. 474. 50. Cf. DFS de la fouille programmée du chœur de l’ancienne abbatiale. 51. P. BECKER (éd.), Corpus Consuetudinum Monasticarum, t. I, 1963, p. 494. 52. Le testament de Bernon est notamment édité dans B. GASPARD, Histoire de Gigny, Lons-le- Saunier, 1843, p. 628.

AUTEUR

AURÉLIA BULLY APAHJ/chercheure associée UMR ArTeHiS

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Cellula et monasteriolum dans les chartes de la Bourgogne médiévale

Marie-José Gasse-Grandjean

1 Dans le projet d’enregistrement et d’étude des chartes de la Bourgogne médiévale ou CBMA1, qui propose une base d’étude de plus de 15 000 textes antérieurs à 1300 et en latin très majoritairement, certains mots ou ensembles de mots sont identifiés depuis longtemps comme termes très fréquents et difficiles à appréhender. Cella et monasterium font partie de cette liste. Une rapide interrogation dans cette base de données CBMA fait ressortir 630 occurrences de cella et 11 230 de monasterium ! Le colloque de Baume m’offrit l’occasion de revenir à cette interrogation « effrayante », de restreindre l’approche, tout en poursuivant une enquête menée autour du terme curtilum. Cette précédente enquête m’avait confrontée au problème des mots dérivés et, en particulier, des mots diminutifs signifiant une toute autre réalité que l’entité de base2.

2 L’idée de départ de cette nouvelle enquête était de repérer les diminutifs de cella et monasterium dans la base des chartes bourguignonnes et de scruter leurs contextes d’utilisation. Après un état des lieux bibliographique et documentaire, j’essaierai de cerner les contextes d’utilisation de ces deux termes et, notamment, de les confronter.

3 Les termes de cella, cellula, monasterium, monasteriolum n’ont fait l’objet d’aucune étude spécifique. Cette terminologie désignant les communautés religieuses est notablement variable dans le temps3, dans le même espace, voire dans le même document. Beaucoup d’auteurs s’accordent pour dire que les termes sont mal différenciés, mais ne vont guère au-delà de ce constat. Mabillon avait simplement associé cellula et monasteriolum4. Au XIXe siècle, des éditeurs de textes assimilèrent ces termes dans leurs publications sans même l’énoncer. Maximilien Quantin, René de Lespinasse ou Maurice Prou adoptèrent cella dans leurs analyses alors que les textes donnent cellula. Dans d’autres outils, ces termes font l’objet de renvois5. Robert-Henri Bautier rapprocha abbatiola et cellula, considérant Saint-Pierre-et-Saint-Merry de Paris comme une ancienne abbatiola ou cellula de l’époque mérovingienne6. Georges Tessier nota que le monastère de Dèvre, établissement de minime importance, fut « qualifié une fois de monasteriolum, une fois de cella, trois fois de cellula, jamais de monasterium » et qu’un lien de dépendance étroite

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rattachait cet établissement à l’église de Bourges7. Au sujet des mêmes appellations, Michel Parisse souligna également cette multiplicité des désignations et insista sur l’idée que « les mots monasterium, abbatia et abbatiola peuvent désigner une simple église, comme bâtiment, et non pas toujours une communauté religieuse »8. Seul J. Van den Bosch osa une étude comparative des quatre termes monasterium, cella, cellula et religio dans la littérature martinienne. Il constata que monasterium était le terme le plus fréquent, que cellula était employé par Sulpice-Sévère, Paulin de Périgueux et Grégoire de Tours, et que cella et religio apparaissaient rarement. Surtout, il mentionna la concurrence de ces termes dès leurs premières attestations et qualifia cellula de terme secondaire, occasionnel et partenaire9. À l’examen de cette bibliographie succincte, je notai trois composantes : • un commencement de lieu de culte, dans un premier et modeste développement autour d’une chapelle ; • une dépendance, apparue à l’époque carolingienne, par fusion du double sens antique d’habitation et de lieu de culte, voire plus tardivement d’un lien particulier avec les prieurés10 ; • et un processus de concurrence entre ces termes.

Cellula et cella

4 J’ai examiné cellula dans les textes bourguignons du Moyen Âge, isolément et surtout au regard de cella, pour essayer de comprendre la spécificité de ce terme.

5 Dans les CBMA11, cellula en recherche floue fournit 18 réponses, c’est-à-dire très peu de résultats si l’on considère le corpus de plus de 15 000 textes bourguignons. La recherche cellul.* avec troncature donne 61 occurrences, c’est un peu mieux, mais cela reste un très petit chiffre. Faut-il même s’y intéresser12 ? 61 occurrences et 7 formes, soit cellula (14 occurrences), cellulam (29), cellule (3) et cellulæ (2), cellulas (2) et cellulis (11), dont nous pouvons décompter 48 singuliers et 13 pluriels. Le terme semble apparaître majoritairement au singulier, c’est une première information. En comparaison, la recherche cella avec troncature (cell [aiæe].*) pour cellam, cellae, cellas, cellarum, cellis, fournit 1 420 occurrences, avec une majorité de singuliers également, ce qui minimise cette première information ou, du moins, rapproche simplement et normalement cella et cellula13.

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Fig. 1 – La recherche cellul.* dans l’outil de fouille de textes CBMA [http://philologic.cbma- project.eu/cgi-bin/philologic/search3t? dbname=CBMA&word=cellul*&CONJUNCT=PHRASE&DISTANCE=3&title=&date=&author=&collection=&publisher=&DFPERIOD=3&POLESPAN=3&OUTPUT=SOR

6 D’autres constats à propos des occurrences de cellula semblent plus spécifiques. La chronologie met en valeur le IXe siècle, alors que les pics d’occurrences pour cella concernent les XIIe, XIe et XIIIe siècles. Ensuite, les auteurs des actes concernés sont des rois et des empereurs majoritairement (28), des papes (12), des évêques et des archevêques (7), puis un duc (1), etc.

7 Un tri rapide opéré sur les mots entourant cellula fait apparaître deux cas de figure. On trouve, premièrement, de nombreux noms propres de lieux et de personnes qui suivent le mot cellula sous les formes cellulam Artedunum, cellulam beati Remigii, cellula que vocatur Enziacus, cellula sancti Albani etc. Ensuite, ce mot apparaît souvent dans une liste ou une énumération : on trouve ou bien ecclesiis et cellulis, ou bien cellam Poliacum, cellulam Artedunum, ou bien encore des formes plus générales comme cum omnibus monasteriis ac cellulis et villis seu parochiis…, in cellulis et villulis…, villas ac cellulas…, cum monasteriis et cellulis seu parrochiis, etc.

8 Les vingt cooccurrents les plus fréquents du mot soulignent l’importance de la dénomination, l’omniprésence des biens et des espaces et lient le terme à cella et monasterium : 1. vocatur (13) 2. cellam (12) 3. sibi (11) 4. rebus (11) 5. quoque (10) 6. une (8) 7. honore (8) 8. parochiis (7) 9. monasteriis (7)

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10. hominibus (7) 11. curtem (7) 12. subjectis (6) 13. pertinentibus (6) 14. pago (6) 15. nostre (6) 16. ecclesiæ (6) 17. dicitur (6) 18. villas (5) 19. terris (5) 20. res (5)

9 L’examen des textes permet d’affiner ces pistes, de rencontrer divers contextes, certains bien connus, d’autres moins. Cellula est bien sûr très lié à un saint, à un lieu dans lequel repose un saint. Les expressions sont nombreuses du type Abbatia cum cellula que vocatur Enziacus14 ; cellulam beati Remigii ou cellula sancti Desiderii15 ; cellula sancti Albani ac sancti Vincentii16 ; cellulam quampiam in qua sanctus Lautenus confessor pretiosus requiescit17 ou cellulam quæ vocatur Balma cum adjacentiis suis18. Cellula n’est cependant jamais indissociablement lié à ce saint, à ce lieu de culte du saint. Le vocabulaire fluctue plus qu’il évolue. Si nous trouvons dans des bulles de confirmation pour Cluny les mêmes biens désignés successivement par cella ou monasterium19, nous trouvons aussi cella et cellula utilisés indistinctement dans le même texte pour désigner la même entité20. Nous avions déjà rencontré ce caractère interchangeable du vocabulaire dans notre étude du curtilum. De la même façon, dans son étude des lieux de culte des saints, Brigitte Beaujard signale que les mots cella, cellula, crypta, oratorium sont utilisés alternativement par Grégoire de Tours et que ces mots ne sont pas attachés à des types architecturaux21.

10 Ensuite, dans les contextes de cellula rien ne semble désigner une petite cella, une structure modeste. Une relation de dépendance est signalée par des formules du type quod jamdicta cellula subjecta deberet esse sue ecclesie22 ou cum cellulis subjectis23 ou cum omnibus ecclesiis et cellulis ad predictum monasterium pertinentibus24. Mais aucun vocabulaire du « petit » n’accompagne cellula comme nous l’avions identifié pour curtilum. Au contraire, cellula est souvent citée en doublet avec monasteriis, ecclesiis ou villas. À l’opposé, même cellula semble mentionner parfois un bien important, doté de dépendances : on trouve dans les pièces justificatives de l’histoire de Gigny cellulam quæ vocatur Balma cum adjacentiis suis25. Parfois cellula fait l’objet de contestation et d’intervention prestigieuse : quand l’empereur Charles le Chauve règle un différend opposant Lambert, évêque de Mâcon, et Gerboldus, évêque de Chalon, en 876, c’est une cellula Saint-Albain et Saint-Vincent située dans le territoire de Mâcon qui est à l’origine du désaccord26. C’est aussi parfois une entité suffisamment prégnante pour désigner un toponyme : on trouve ainsi in alteram quoque villam quæ vocatur ad Cellula unam silvam et duos vivarios…27.

11 Un autre contexte a retenu mon attention, le contexte de listes révélé par le tri informatique, c’est le contexte principal de cellula qui apparaît souvent dans les listes énumératives des diplômes ou des bulles. Dans ces listes de confirmation, d’immunité ou de donation de biens28, cella et cellula cohabitent et interchangent. Dans une bulle de Grégoire V29, confirmant les biens de Cluny en 998, de nombreux biens sont cités dont

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vingt-trois cellae et trois cellulae. Dans la formule finale reprenant tous les biens cités scripta loca et monasteria cum cellis, ecclesiis, curtibus, villis, villulis, servis et ancillis, silvis, vineis, campis, pratis, aquis, aquarumque decursibus…, on ne distingue plus cependant cellula de cella. On retrouve ces mentions de cellulae dans d’autres bulles 30 ; parfois une seule mention de bien a conservé l’intitulé cellula, parfois cellula apparaît en fin de liste, voire hors liste. En 895, le pape Formose confirme les biens de l’abbaye de Gigny. Après la formulation très générique cœnobium cum cellis, seu casis, terris, vineis, casalibus, fundis, pratis, silvis, una cum colonis et colonabus, on trouve necnon et cellulam quæ vocatur Balma cum adjacentiis suis… confirmamus, cette cellula nommément citée recevant donc un signalement particulier31.

12 Notons aussi plus simplement que, parfois, cellula semble accompagner cella comme villula jouxte ou double villa. De même, cellulis figure dans certaines listes avec villulis sans que l’on puisse dire dans quelle mesure l’assonance ou le diminutif ont rapproché les deux mots. On trouve dans un acte clunisien de 1163 monasterium Sancti Petri de Caradiggna, cum omnibus ecclesiis et cellulis ad predictum monasterium pertinentibus… concedo, puis, plus loin, in eodem monasterio vel in cellulis et villulis ad idem pertinentibus concessit32.

13 Un dernier exemple, celui du transfert du monastère Saint-Rémy de Sens à Vareilles, vers 833, suggère un autre contexte intéressant33. Dans l’acte de l’archevêque de Sens, Aldricus faisant approuver en concile la translation du monastère de Sens à Vareilles, le terme de cella est utilisé à plusieurs reprises pour retracer l’histoire de cette maison : cella S. Remigii… constructa…, præfatam cellam ad Vallicula transmutare…, ad supradictam cellam Beati Remigii… tradidi, etc. Puis le terme cellula est utilisé une fois la volonté de construire le monastère énoncée et la liste des donations énumérée : quidquid itaque in supradictis locis vel circa eamdem cellulam præsenti tempore monachi in eadem divinæ gratiæ famulantes possidere noscuntur… Cette liste des biens donnés est impressionnante : au total 190 manses et 19 hospices et pourtant la cella devient cellula, comme si le changement de vocabulaire marquait mieux encore le changement de lieu, comme si l’éloignement de Sens supposait une nouvelle relation avec Sens. Le glissement de vocabulaire de memorata cella à eamdem cellulam praesenti tempore ignore le diminutif mais marque assurément une position nouvelle de cette maison dans le réseau monastique.

Monasteriolum et monasterium

14 Dans le corpus des CBMA, monasteriolum en recherche floue fournit 64 occurrences, soit un chiffre supérieur à celui des occurrences de cellula. La recherche monasteriol.* avec troncature fournit 49 occurrences, soit moins de réponses qu’en recherche floue, ce qui est l’inverse de la recherche cellula. La fréquence du terme reste modeste à nouveau, mais avec beaucoup plus de formes. Nous avons dénombré 17 formes issues de monasteriolum, mais aussi de monastellum, monasterellum, monsteriolum et même musteriolum ; l’explication apparaît très vite, la recherche floue monasteriol.* livre plus de réponses à cause d’orthographes beaucoup plus fantaisistes. Toutes ces formes sont, cette fois, au singulier et les formes toponymiques y sont majoritaires (2 sur 3), comme si l’entité monasteriolum avait été conservée principalement via la toponymie. En comparaison, monasterium totalise 11 265 occurrences, aussi monasteriolum représente à

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peine 0,5 % du doublet de recherche monasterium/monasteriolum, dans un tout autre ordre de grandeur.

15 En matière de chronologie, dans le corpus bourguignon des CBMA, le terme monasteriolum apparaît au VIIIe siècle et atteint son apogée au XIIe siècle34. Tandis que les occurrences de monasterium vont crescendo dans les textes à partir du VIe siècle et se maintiennent jusqu’au XIIIe siècle35. De nouveau, la chronologie s’affiche plus resserrée pour le diminutif. Et les textes mentionnant des monasterioli sont principalement des diplômes, des bulles et des actes d’évêques, soit de nouveau des actes souverains, à l’image de la donation du monastère de Bonmoutier à l’abbaye d’Andlau par l’empereur Charles le Gros : quotdam monasteriolum quod dicitur Botonis Monasterium, contiguum videlicet et adjacentem terminibus supranominati monasterii sui, concessimus atque subjecimus propriaque firmitate tradidimus ad monasterium supranominatum dilectissime conjugis nostrae36.

16 Un classement des mots entourant monasteriolum dans les textes souligne que le terme apparaît également dans des listes et se trouve lié à des noms propres. Avec cette différence : c’est désormais le tri à gauche du mot qui est le plus significatif, avec une prépondérance de prépositions apud, de, juxta signalant un lieu. Les vingt cooccurrents les plus fréquents sont : 1. prior (8) 2. appendiciis (6) 3. pago (5) 4. omni (5) 5. vocatur (4) etc. 6. similiter (4) 7. medium (4) 8. integro (4) 9. ecclesia (4) 10. xii d (3) 11. villam (3) 12. valliaco (3) 13. valentiolam (3) 14. sanctus (3) 15. sancto (3) 16. sancte (3) 17. reposcebat (3) 18. quoque (3) 19. quatuor (3) 20. pertinentibus (3)

17 On retrouve les cooccurents de cellula, c’est-à-dire ecclesia, pago, pertinentibus, villa et vocatur. Il y a comme un air de famille, mais notons qu’on ne trouve ni cella ni monasterium et que le premier cooccurrent est prior.

18 À l’examen des textes, il apparaît d’entrée que le terme s’affiche majoritairement dans des listes de lieux. Il désigne des toponymes, qui, aujourd’hui, sont assez variés, du type Montereau, Ménétréol, Montarlot, Montreuil, Montureux. On trouve, par exemple, une

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liste du type hoc est Fedenniaco, Postenniaco, Monasteriolo, Ateias, medietate Glonnono, Curte Bunciana, Fisciaco, Chenevas, Marcenniaco…37. Monasteriolum cohabite dans ces listes avec villa, monasterium, cella et curtis. Les formules Monasteriolo, in Monasteriolo, de Monasteriolo, ou apud Monasteriolum sont les plus fréquentes. Soit monasteriolum désigne simplement un lieu, comme dans l’expression in villa Monasteriolo, soit on le rencontre dans des listes d’églises, du type ecclesiam de Capite Cervio, ecclesiam sancti Mauricii de Castellione, ecclesiam de Valliaco, ecclesiam Monasterioli super Saldriam… Ce nom propre est toujours lié à un lieu de culte, il désigne une église ou une chapelle38, sous les formes ecclesia de Monasteriolo, ecclesia de Monasterioli, ecclesia sancti Martini de Monasteriolo, ecclesiam suam nomine Monasteriolum.

19 Monasteriolum est parfois curieusement accosté du mot medium. Mais que désignent monasteriolum medium ou monastello medio39 ? Quelle valeur attribuer à ce descripteur ? Il me semble que sa seule présence potentialise monasteriolum. Dans le même ordre d’idée, quand l’abbaye de Cluny fait construire le monasteriolum de la Voûte en 1025, elle le dote richement d’une église, d’un oratoire et de plusieurs villae40. Le suffixe diminutif semble délaissé et cette appellation a minima n’est probablement qu’une manière d’affirmer mieux encore la suprématie de Cluny41.

20 Dans les textes les plus récents, monasteriolum désigne souvent une communauté dépendant d’une autre communauté. Nous pouvons rappeler que Dietrich W. Poeck considère le prieuré comme un phénomène capital et l’élément de base de la construction du réseau clunisien. Et, nous avons vu que le premier cooccurrent de monasteriolum était prior. Mais il est bien difficile d’aller plus loin. Nous constatons simplement que monasteriolum reste un équivalent de cellula, rejoignant Véronique Gazeau qui lie cellula et prieuré : « Une cellula est une cellule de moine, ou bien, en tant que diminutif de cella, une petite habitation monastique isolée (contraire du coenobium), et par suite un petit monastère dépendant d’un grand ; c’est l’ancêtre du prieuré42. » Dans deux actes clunisiens du début du XIe siècle, le prieuré de Ganagobie est qualifié de cellula puis de monasteriolum43. Dans tous les doublets, l’ordre est le même, il est question d’une cellula puis d’un monasteriolum.

21 En résumé, monasteriolum présente un faciès un peu plus singulier que cellula, avec des formes plus variées, exclusivement au singulier, avec un rapport plus étroit à la toponymie et peut-être une concurrence plus réelle de monasterium. D’où la question qui va guider la suite de cet exposé : quelles sont ces unités sémantiques ? Pourquoi semblent-elles se comporter de manière assez proche – ce sont des termes peu représentés, qui apparaissent surtout au singulier, dans des contextes de listes, dans des actes souverains, liés à des noms propres –, mais aussi et curieusement de façon parfois très singulière, comme dans l’exemple du déplacement du monastère de Saint- Rémy de Sens à Vareilles.

Cooccurrence et concurrence de ces termes

22 J’ai choisi de poursuivre l’enquête en examinant conjointement la cooccurrence de ces termes. Les cooccurrents de cella, cellula, monasterium et monasteriolum dans les textes bourguignons permettent un constat. Manifestement les cooccurrents de cellula sont apparentés à ceux de cella, mais aussi à ceux de monasteriolum. Vocatur, cella, pertinentibus, honore, pago apparaissent aussi bien dans la première, deuxième et troisième colonne du tableau ci-dessous.

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Fig. 2 – Premiers cooccurrents de cella, cellula, monasteriolum et monasterium dans les CBMA

23 Les cooccurrents de monasterium sont en revanche d’un autre type ; le vocabulaire le plus fréquent est manifestement très clunisien et celui de la donation : on trouve dare/ concedere, res/vineam/mansum, cluniaco/abbatis/conventus. Dans une explication plus avancée, il faudrait réserver une place de choix à la chronologie, les occurrences clunisiennes de cellula et monasteriolum étant plus tardives et concernant surtout la seconde moitié du XIe siècle. Il reste que ce phénomène, de biais pourrait-on dire, dû à l’écrasante masse des actes de Cluny, n’apparaît dans les autres colonnes de cooccurrences. Notons aussi que cellula est rattachée à cella et monasterium, cooccurrents nommément cités dans la colonne cellula, alors que les autres appellations ne sont pas citées dans les colonnes voisines. On pourrait souligner aussi que le premier cooccurrent de cella, c’est-à-dire episcopatu , apparaît bien isolé, que son deuxième cooccurrent est cellam, que cellula partage avec monasteriolum les vocabulaires ecclesia et villa, que les premiers cooccurrents sont tous différents, etc., ce sont autant de pistes peut-être ? Pour résumer, deux ensembles distincts semblent fonctionner : monasterium semble « vivre » isolément, cellula et monasteriolum s’apparentent à cella.

24 En matière de chronologie, ces termes sont difficiles à comparer, car ils présentent des effectifs bien disproportionnés et des maxima à des périodes bien différentes. Les diminutifs cellula et monasteriolum partagent néanmoins une configuration, celle d’une chronologie resserrée par rapport aux autres désignations.

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Fig. 3 – Chronologie de cella, cellula, monasterium, monasteriolum, abbatia et prior dans les CBMA

25 Stéphane Gendron attribue une plus grande ancienneté à cella44, évincé par monasterium aux VIe-VIIe siècles. Nous ne pouvons vérifier ce décalage dans les actes bourguignons que nous avons enregistrés, mais nous pouvons observer que les diminutifs cellula et monasteriolum concernent surtout la fourchette chronologique 800-1200, avec des pics d’occurrences à des dates différentes. Plutôt, semble-t-il, le IXe siècle pour cellula45, et le XIIe siècle pour monasteriolum. Ces chronologies resserrées, avec leurs nombres d’occurrences médiocres, imposent la prudence en matière d’interprétation. Mais elles suggèrent une hypothèse simple, celle du réseau monastique en train de s’installer. Au fur et à mesure de l’étoffement de ce réseau, de nouveaux termes furent nécessaires pour désigner de nouveaux éléments et, principalement, de nouveaux nœuds. Au gré des contextes, telle appellation fut préférée à une autre, peut-on imaginer, pour distinguer et situer tel élément par rapport au terme plus générique de monasterium.

26 Ce qui m’amène à poser la question de la concurrence qu’entretiennent ces termes. Mon enquête autour de curtilum m’avait suggéré qu’un mot rare pouvait désigner un phénomène particulier, mais très signifiant, et méritait une attention spécifique. Cellula et monasteriolum semblent également très chargés de sens. Si un auteur choisit, à un moment particulier, d’écrire cellula ou monasteriolum et non cella ou monasterium alors que ces mots sont disponibles, c’est qu’il souhaitait donner un autre sens dans un contexte spécifique. Peut-être retient-il cellula pour désigner un établissement pour lequel aucune dénomination stable n’existe encore46 ? Pour qualifier physiquement un petit espace, un élément parmi d’autres, un établissement à ses débuts ? Pour suivre un usage local ou pour se positionner au milieu d’autres entités voisines ? Voire par réminiscence littéraire ou scripturaire47 ? Ces choix ne sont jamais documentés et nous échappent, mais la concurrence de ces termes rares mérite qu’on s’y attarde.

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27 Dans ce schéma, l’utilisation de diminutifs apparaît alors comme un dispositif, un rouage de cette concurrence. Cette catégorie linguistique, en latin comme en français, se comporte comme un vivier de nouvelles appellations. Les mots primitifs restent de loin les mots les plus fréquents, mais l’emploi des diminutifs permet de multiplier les appellations, ou bien en se substituant au mot primitif dans une aire géographique restreinte, ou bien en « se spécialisant et désignant quelque chose de bien défini au lieu d’être une expression minorative48 ». Cette seconde configuration semble décrire assez bien les contextes de monasteriolum et cellula dans les chartes bourguignonnes. Ceux-ci restent des mots occasionnels, ils n’acquièrent jamais la stabilité de monasterium et cella. Mais leur potentiel de dénomination semble significatif, à tel point que certaines occurrences cessent d’être des diminutifs et se trouvent complètement lexicalisées.

28 Enfin, même s’ils sont peu présents dans les textes bourguignons enregistrés, les termes cellula et monasteriolum peuvent être aujourd’hui appréhendés et comparés plus facilement grâce à l’outil informatique. La base de données CBMA a permis d’établir que les formes diminutives cellula et monasteriolum cohabitent avec beaucoup d’autres, avec cella, monasterium, ecclesia, abbatia, prioratus bien sûr, mais aussi avec d’autres formes diminutives, comme ecclesiola, abbatiola, coenobiolum, habitaculum, etc.49, dessinant potentiellement un maillage solide malgré les fréquences individuelles médiocres de ces termes dans les textes. L’outil informatique permet aussi d’isoler ces appellations du terme monasterium, plus générique, et fait ressortir certaines originalités en contexte.

29 Le second point que j’aimerais évoquer dans cet essai d’interprétation est l’idée de réseaux interconnectés. Pourquoi ces appellations multiples peut-on se demander ? Pourquoi s’ingénier à spécifier Beate Marie Canacopiensis cellule quand Beate Marie Canacopiensis ne laisse aucun doute sur l’identification du prieuré de Ganagobie ? Si ce n’est pour se positionner par rapport à d’autres entités, d’autres saints et d’autres lieux et, en l’occurrence, pour cet exemple de Ganagobie, pour se positionner par rapport au monasterium de Cluny : Hec omnia suprascripta donamus, et ad possidendum perpetuum tradimus Sancto Petro apostolorum principi glorioso Cluniensis monasterii, ubi domnus abba Odilo preesse et multo magis prodesse, non solum ibi, sed cunctis in orbe verbo, opere et exemplo cernitur, et Beate Marie Canacopiensis suprataxati cœnobii cellule et ejusdem loci monachis ad regendum et ad edificandum perpetuo contradimus omnia et in omnibus, totum ex toto, ex integro ad integrum, et nihil nobis in his prefatis locis reservamus neque posteris nostris.

30 Il y a comme un surinvestissement des lieux au service d’une stratégie.

31 Toutes ces appellations composent un maillage dense et extraordinairement vivant et mouvant, dont les diplômes et les bulles sont, en quelque sorte, de précieux instantanés. Dans ces actes diplomatiques, de confirmation le plus souvent, beaucoup de biens sont mentionnés et la nécessité de préciser chaque élément et chaque relation au maillage semble très vive. C’est aussi le rôle d’un acte souverain que de rappeler cette mise en ordre générale, de la valoriser et de la consolider. Dietrich W. Poeck avait bien compris cette richesse des actes pontificaux en dressant son corpus des maisons clunisiennes dans Cluniacensis Ecclesia50. Il y a relevé les appellations sous lesquelles chaque maison clunisienne apparaît dans les bulles. Ce relevé fait la part très belle à monasterium autour duquel gravitent, dans un ordre décroissant, les désignations prioratus, ecclesia, cella, abbatia, obedientia, coenobium, villa, et puis monasteriolum, cellula, hospitalis domus, curtis, capella et adjacentium. Il est intéressant de noter qu’une même maison est désignée souvent par plusieurs appellations différentes, jusqu’à quatre voire

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cinq. Dans ces enchaînements, monasteriolum et cellula précèdent chronologiquement monasterium, cella, ecclesia ou prioratus, mais on trouve aussi cella postérieurement à ecclesia ou monasterium. Il serait certainement très utile d’exploiter informatiquement ces relevés d’appellations, datés et référencés, pour mieux saisir cette structure en réseau qui nous échappe largement51.

32 Une autre source précieuse pour aider à comprendre ces appellations multiples et leur concurrence est l’archéologie. Des campagnes archéologiques ont été menées en Espagne sur quatre sites appelés Monistrol52, afin de vérifier sur le terrain l’origine et la nature de ces toponymes issus de monasteriolum. Les conclusions sont pauvres cependant53. Des substructions tardo-antiques des Ve-VIe siècles ont été mises au jour, mais elles ne permettent pas de caractériser les sites, de suggérer notamment la présence d’un monastère. Un contexte d’église est parfois attesté, mais tardivement pour les Xe-XIe siècles. Deux de ces sites espagnols constituent actuellement des noyaux urbains, deux autres non. Cette tentative de caractérisation réclame beaucoup de prudence, plus encore quand il s’agit d’entités modestes voire éphémères, qui n’ont pas forcément laissé de traces ni sur le terrain ni dans la documentation. Il reste que ce type d’action demeure essentiel pour identifier les éléments du réseau, pour complémenter les prospections et fouilles de plus grandes surfaces et l’exploitation des corpus de textes.

33 Pour conclure, mon enquête sur les diminutifs cellula et monasteriolum a montré que la taille de la communauté n’était pas forcément en cause, mais que le choix de ces dénominations était toujours lié à un contexte ou à un événement particulier, du récolement général de biens au transfert d’une communauté. Ces diminutifs cellula et monasteriolum concernent moins, semble-t-il, le statut des maisons qu’ils désignent que leur position à un instant T. Cellula et monasteriolum paraissent tout entier dans l’ordre de l’événement54. Ce sont des constructions très subjectives55, très liées à la représentation que se fait telle personne de tel lieu à tel moment, des constructions mentales56, d’autant plus difficiles à cerner qu’elles s’interconnectent. Ce fut aussi une des conclusions de Michel Parisse à l’issue de l’enquête menée pour l’établissement de l’Atlas de l’an Mil : Certes les termes de monasterium, coenobium, congregatio, cella, monachi, canonici, monachae et sanctimoniales, se rencontrent et sont apparemment clairs, mais les situations compliquent parfois singulièrement les conclusions et les sources ajoutent encore à la confusion57.

34 Antonio Duran Gudiol allait dans le même sens quand il posait la question d’une adaptatation de la terminologie monastique au clergé séculier, s’étonnant du nombre important de monasterii et monasterioli en contexte navarrais au XIe siècle58.

35 Des comptages, des tris de mots et l’examen de contextes ont permis de rappeler une règle, celle de la « préférence naturelle » pour le terme générique monasterium59, mais aussi et principalement de poser ces mots dans un réseau complexe de relations, au- delà des signalements rudimentaires60. On s’est beaucoup intéressé aux points centraux de ce maillage médiéval, aux grandes abbayes, aux églises, aux villes, aux châteaux et aux marchés, l’approche de termes comme curtilum, cellula et monasteriolum permet d’affleurer d’autres configurations, d’autres nœuds, d’autres échelles de ce réseau interconnecté que constitue la société médiévale61.

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ANNEXES

Annexe I : La concurrence des terminologies dans un récolement général de biens monastiques

Grégoire V, pape, confirme, à la demande d’Otton III, tous les biens concédés à l’abbaye de Cluny dans les comtés de Mâcon, Chalon et Clermont, et dans les évêchés d’Autun, Viviers, Uzès, Saint-Paul-Trois-Châteaux, Orange, Gap, Valence, Vienne, Lyon et Lausanne (996-999 ; Bullarium cluniacensis, p. 10-11). Gregorius Episcopus servus servorum Dei dilecto filio Odiloni Abbati Monasterii, quod dicitur Cluniacum in honore beatorum Apostolorum Petri et Pauli consecratum in Comitatu Matisconensi situm, et per te cunctis successoribus tuis Abbatibus in perpetuum… Et ideò quia postulastis à nobis, ut præfatum Monasterium Apostolicæ auctoritatis serie muniremus, et omnia ejus pertinentia perenni jure ibidem inviolabiliter permanenda confirmaremus… hoc est, ipsum Cluniacense Cœnobium à potentissimo olim Duce Guilielmo in pago Matisconensi fundatum, cum omnibus rebus in circuitu ejusdem loci, et in aliis regionibus positis ad ipsum locum, pertinentibus in Comitatu videlicet Matisconensi Cellam in honore sancti Martini sacratam. Ecclesiam quoque juxta positam in honore sancti Joannis dedicatam. Villas etiam Cavinias cum Ecclesiâ, Solustriacum villam cum Ecclesiâ, Escutiolas cum Ecclesiâ, Galliniacum cum Ecclesiâ, Rufiacum cum Ecclesiâ, Masilias cum Ecclesiâ, Clairmannum, Petronniacum, Bargeserenam, Villam, Arpayacum, Darboniacum, Besorniacum, Ecclesiam sanctæ Columbæ, Vitreriam, Burguliensem Villam, Castrum Lurdonum, Blanuscum, Villam nomine Cottam, Monasterium etiam quod vocatur Carus-locus cum omnibus ad se pertinentibus, Cellam Regniacum cum omnibus ad eam pertinentibus, Ecclesiam sancti Victoris cum omnibus quæ ibi aspicere videntur, Cellam quoque in honore sancti Victoris cum omnibus suis appendiciis, Ecclesias etiam et Terras quæ juxta illam sunt, pro quibus dedimus Ecclesiam sancti Jangulfi, Eguirandam quoque Curtem cum Ecclesiâ sancti Andreæ Apostoli et cum aliis Ecclesiis et omnibus suis appendiciis, omnes quoque Ecclesias et Terras, seu omnia quæcunque supra dictus locus videtur habere in jam dicto Comitatu. In Comitatu verò Cabilonensi Cellam de Bellomonte in honore sanctæ Dei genitricis Mariæ constructam, cum omnibus quæ ad ipsam aspicere videntur : Ecclesiam quoque de Campiloco, cum omnibus quæ ad eam pertinere videntur. Curtem etiam vocabulo Juliacum cum Ecclesiis et Terris eidem loco quondam ab Episcopo Manasse conlatis, et omnes Ecclesias et Terras quæcunque supra dictus locus videtur habere in jam dicto Comitatu. In Episcopatu verò Augustodunensi Cellam Oradellis constructam in honorem sanctæ Dei genitricis cum omnibus suis appendiciis. Illas etiam Ecclesias et Terras quas Theotardus clericus nuper contulit jam dicto Cluniensi Cœnobio. Confirmamus etiam et corroboramus nostrâ Apostolicâ auctoritate illam convenientiam, quam fecit Domnus Walterius Augustodunensis Episcopus, de Monasterio quod dicitur Magabrense ad suam Ecclesiam pertinente cum omnibus ad ipsum pertinentibus. Omnes quoque Ecclesias et Terras, et quæcumque supra dictus locus Cluniacus videtur habere in jam dicto Episcopatu. In Comitatu quoque Arvernensi Silviniacum Monasterium, ubi Prædecessor tuus sanctus Majolus requiescit, cum

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omnibus ad eundem locum pertinentibus. Et Cellam quæ vocatur Firmitas cum omnibus ad se pertinentibus. Cellam quoque quæ vocatur Scuriolas. Ecclesiam etiam in honore sancti Sulpicii dicatam in villâ quæ dicitur Langiacus. Et Cellam quæ vocatur ad Boscum in honore sancti Petri constructam. Monasterium quoque quod dicitur Rivis consecratum in honore sanctæ Dei genitricis cum Curte Lipsaco et omnibus suis appendiciis. Ecclesiam quæ vocatur Manrengum cum aliis Terris eidem Monasterio ab Eustorgio nobilissimo viro nuper traditis. Cellulam quoque juxta positam in ipso Comitatu sitam, in honore sanctæ Dei genitricis sacratam, quæ vocatur ad montes. Monasterium etiam Celsinianense cum Cellis, Ecclesiis, Villis, et Terris suis, Carniacum videlicet, Burnunculum, Abolniacum, Ginniacum, Cardonetum, et cum omnibus Ecclesiis et Terris ad ipsum Celsinianense Monasterium pertinentibus. Cellam quoque in ipso Comitatu sitam ubi requiescit sanctus Florus, quam tradidit supra dicto loco Eustorgius clericus cum omnibus ad eam pertinentibus. Mansiones quoque in Brivatensi Vico pertinentes ad supra dictum locum. Cellam etiam Riliacum cum Curte et omnibus ad eam pertinentibus. Capellam quoque juxta positam in honore sancti Salvatoris constructam in Villâ Saraciaco. Omnes quoque Ecclesias et Terras, seu quæcumque videtur supra dictus Cluniacus possidere in jam dicto Comitatu. Mansiones quoque cum Capellâ in Aviciensi Civitate sitas, quas tradidit supra dicto loco Domnus Grimaldus clericus. In Episcopatu etiam Vivariensi Cellam Mizoscum cum omnibus quæ ibi aspiciunt. Cellam de Rumpono monte, Cellam ad fontes, Cellam Ruoms cum omnibus quæ habere videtur supra dictus locus Cluniacus in jam dicto Episcopatu. In Episcopatu Uticensi Monasterium in honore sancti Petri et sancti Saturnini dedicatum, super ripam Rhodani situm, cum Castro Coloncellas et Curte Tulletâ, et cum omnibus ad se pertinentibus ex utrâque parte fluminis. In Trecassino Episcopatu Cellam in honore S. Amandi constructam. In Episcopatu Arausico Cellam in Podio Odoleno, Monasteriolum in honore sancti Pantaleonis constructum cum omnibus ad illud pertinentibus. In Gapincensi Episcopatu Cellam in honore sancti Andreæ constructam jam dicto Cluniacensi Cœnobio concessam à Ricaudo clerico cum omnibus appendiciis suis. Ganagobiense quoque Monasteriolum et Curtem Valentiolam, et omnia quæ videtur supra dictus locus Cluniacus tenere et quod debet habere, videlicet de quibus rebus habet donationem et descriptionem, atque de villâ et castro Sarrianis, et de omnibus quæ habet in Patriâ quæ vocatur Provincia, In Valentinensi Episcopatu hoc quod videtur habere Cluniensis locus in villâ quæ dicitur Ales, et in monte Syon, et omnia quæ videtur habere ipse locus in ipso Episcopatu. In Episcopatu Viennensi Monasterium quod vocatur Taderniacum cum Cellâ quæ dicitur Causella, et Villaquæ vocatur Bracost, et Villa quæ dicitur Insula, cum omnibus Ecclesiis, Villis, et Terris quæ videtur habere jam dictus locus in nominato Episcopatu. In Episcopatu quoque Lugdunensi Cellam beatæ Mariæ quæ dicitur Taluzatis. Cellam Poliacum, Cellulam Artedunum, Cellam quoque Ambertensem cum Ecclesiis, Villis, et Terris ad ipsam pertinentibus. Cellam quoque Saviniacum, et Curtem Ambariacum, et Ecclesiam sancti Andeoli, Ecclesiam quæ vocatur Adoratorium, Curtem de Romanis, Cellam Cavariacum, Cellulam Luiniacum, Villam Tusciacum : omnes quoque Ecclesias, Villas et Terras, quas Wichardus moriens eidem loco Cluniensi contulit, cum omnibus quæ videtur habere supra dictus locus in supra jam dicto Episcopatu. Monasterium quoque Paterniacum ab Adeleide Imperatrice augustâ constructum, et à Conrado Rege et filio suo Rodulpho Rege Cluniensi Cœnobio per præcepta Regalia traditum, cum omnibus quæ videtur habere in Burgundiâ, et cum omnibus quæ ipsi Monasterio in Alsacia dederunt Imperatores augusti Ottones. Monasterium quoque quod dicitur Romanum cum

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omnibus ad se pertinentibus jam dicto Cluniensi Cœnobio, et tibi tuisque successoribus habere concedimus in perpetuum. Hæc omnia supra scripta Loca et Monasteria cum Cellis, Ecclesiis, Curtibus, Villis, Villulis, servis et ancillis, silvis, vineis, campis, pratis, aquis, aquarumque decursibus, et omnibus terris cultis et incultis ad supra dictas possessiones vel potestates pertinentibus ipsi Cluniensi loco, tibique et tuis successoribus per hujus nostri privilegii auctoritatem tenenda et possidenda concedimus in perpetuum, ita ut nullus Dux, neque Episcopus, neque aliquis Princeps, neque quælibet magna parvaque persona de præfatis omnibus rebus et decimis, quæ inibi pertinere videntur, audeat molestare vel inquietare. Necnon sub divini judicii promulgatione et confirmatione, anathematis interdictione corroborantes decernimus, ut nullus Episcopus, seu quilibet Sacerdotum in eodem venerabili Cœnobio pro aliquâ ordinatione seu consecratione Ecclesiæ, Presbyterorum vel Diaconorum, Missarumque celebratione, nisi ab Abbate ejusdem loci invitatus fuerit, venire ad agendum præsumat… Amen. Le répertoire de Poeck signale que les mentions de cellulae et de monasterioli citées ci- dessus correspondent au terminus a quo de ces communautés. Comme si ces appellations étaient la marque de communautés à leurs débuts mais aussi reflétaient la nécessité de dénommer et positionner ces nouveaux éléments. Ce positionnement évoluera dans le réseau clunisien, les deux monasterioli de Saint-Pantaléon-les-Vignes et de Ganagobie seront qualifiés de monasterium et prioratus, la cellula d’Arthun sera désignée cella puis ecclesia.

Annexe 2 : Une cella devient cellula à l’occasion d’un événement très particulier

Aldricus, archévêque de Sens, fait approuver aux évêques, réunis en concile à Worms, la translation du monastère de Saint-Remy de Sens à Vareilles (833 ; M. QUANTIN, Cartulaire général de l’Yonne, Auxerre, 1854, t. 1, p. 39-43, n° XXI).

Dominis sanctissimis et reverendissimis fratribus et coepiscopis, religiosissimis quoque et venerabilibus abbatibus in ditione domini imperatoris Hlotharii serenissimi augusti constitutis, Aldricus minimus servorum Christi famulus, sanctæ Senonicæ ecclesiæ archiepiscopus. Optime venerabilis et Deo devota sanctitas vestra novit quanta sit cura et sollicitudine commissum nobis pastorale regimen tuendum atque tractandum, Quum simus igitur in specula ecclesiæ constituti, et viam cæteris per quam ingredi ad vitam debeant, debeamus ostendere, quantum posse et intelligere divina clementia dederit, satagendum est ea quæ nobis commissa sunt secundum Dei voluntatem provide prudenterque tractare, ut non solum tantum quæ dum advivimus in præsenti tempore nostris valeant prodesse subjectis, verum etiam et in perpetuum illis prospecta proficiant, qui in locis divino cultui mancipatis, nostræque solertie ad regendum pro tempore commissis supernæ pietati servituri sunt. Qui dum de corporis necessitatibus, victus dico ac vestimenti, solliciti non fuerint, animum libere in divinæ contemplationis specie figere valeant. Cui summo ac salutari bono inhærentes, eo semper suspirant tota spei libertate suspensi, quo se pervenire divina duce gratia æternæ vitæ præmium jam consecuti gaudebunt. Et tamen cum sciamus res ecclesiæ esse oblationes fidelium, pretia peccatorum, et patrimonia pauperum ; easque nobis administrandas, procurandas, atque ordinandas suscepisse. Harum rerum administratores nos esse

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meminisse debemus, et redditus, expensasque earum eis usibus applicare, quorum gratia divinis altaribus allegatæ noscuntur. Proinde ad sanctitatis vestræ piissimam intentionem perducere statui, qualiter cellas monachorum ecclesiæ episcopii parvitati meæ commissi, id est, cella S. Remigii confessoris Christi in suburbio civitatis constructa, quæ olim per divisiones predecessorum meorum tempore fuit disrupta : et ob hanc negligentiam monachi, qui ibidem Deo degere videbantur, propter inopiam et importunitatem loci regulam beati Benedicti, ut debuerant, penitus observare non poterant. Idcirco una cum consilio fratrum nostrorum, canonicorum videlicet et monachorum, necnon et fidelium laïcorum, visus est nobis propter importunitatem loci, et monachorum ibidem Deo degentium, præfatam cellam ad Valliculas transmutare, et a fundamento ædificare, quam Rothlaus ob amorem Dei et remedium animæ viri sui Meginarii, sive pro seipsa, suorumque liberorum, ac parentum, ad supradictam cellam Beati Remigii per donationis titulum delegavit, vel tradidit : ea videlicet ratione, ut divinus ibi ageretur cultus, et illis pro quorum salute traditum fuerat, augeretur merces. Volumus etiam ut loca super quæ ædificatum fuit supradictum monasterium, id est, agros, vineas, prata, areas, vel omnia quæ infra muros civitatis habuit, vel extra, absque alicujus diminutione ac impedimento habeant rectores et monachi, ad eorum usus qui ibidem Deo sub norma beati Benedicti degerint. Hujus itaque rei causa hanc seriem libelli digestam sanctissimo cœtui vestro relegendam, atque vestris subscriptionibus roborandam obtuli, quo statuere per vestram unanimitatem decrevi, ut nullus deinceps episcoporum, quicumque per tempora divina præstante successerint gratia, quicquam de his rebus, quas præsenti tempore memorata cella usibus monachorum attributas possidet, minuere, vel abstrahere, vel aliis usibus applicare, vel beneficii quicquam, vel suorum, vel extraneorum dare præsumat, sed, ut intimatum est quæcunque nunc temporis retinet per diversa loca et territoria, usibus monachorum deputata, et quæ a timentibus Deum eidem postmodum fuerint loco collata, absque ulla diminutione vel substractione cellæ et monachis ibidem conversantibus maneant inconvulse. Hæc autem sunt infrascripta loca monachorum stipendiis in memorata cella degentium destinata. Primitus Valliculas, ubi ædificare præfatum volumus monasterium : Staticus cum adjacentiis suis, id est, Vetus Ferrarias ; et Petra Ursana cum territoriis et sylvis : Chryniacus cum adjacente sibi Hermentaria, cum territoriis et sylvis : Fontanicula cum territoriis ; Lausa cum adjacentiis suis, hoc est vico Sancti- Sidronii, cum territoriis et sylvis, et simul latione : Bracciacus cum territoriis : Columbarius cum adjacentiis suis, hoc est Estiniacus, Silviacus, et territoria eorum cum sylvis ; Villamanesca cum adjacente sibi ponte, et territorio : Misceriacus cum adjacente sibi Ternanta ; Villanova cum adjacentiis suis, hoc est Cavanarias, et Capotenus : Noerollis cum adjacente sibi : Caprenciis cum territoriis et sylvis et simul puteolis. In summa sunt mansa centum nonaginta, et hospitia decem et novem. Quidquid itaque in supradictis locis, vel circa eamdem cellulam præsenti tempore monachi in eadem divinæ gratiæ famulantes possidere noscuntur, vel si qua sunt alia quæ forte meam fugerunt memoriam, et tamen ea suis stipendiis assignata retinent cum territoriis, vineis, pratis, sylvis, aquis, aquarumve decursibus, et cæteris adjacentiis, ipsis tantum ex integro, ut præmissum est, eorumque usibus jure perpetuo absque ulla diminutione sub prætexto memorati episcopii nostri jure debito cedant. At vero episcopus qui pro tempore auctore Deo præfuerit, abbatem de eodem monasterio, eum videlicet quem omnis congregatio sibi ordinandum poposcerit, et sinceritas morum, et bonorum actuum probitas commendaverit, si inter eos talis inveniri quiverit, eis

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ordinandum procuret. Quod si talis inter eos minime inveniri potuerit, de eadem parochia vel diœcesi Senonica, consentientibus sanctis coepiscopis ejusdem diœcesis, et circumpositis venerabilibus abbatibus, eis præficiendum atque ordinandum provideat. In aggregandis quoque monachis hunc modum abbas qui præfuerit, teneat, ut tricenarium numerum quantitatis summa non excedat, donec rerum copia major succrescat. Episcopus quoque in exigendis muneribus abbatem ejusdem loci non gravet, sed sufficiat ei ad annua dona equus unus, et scutum cum lancea. Quod si in expeditionem publicam ire jussus fuerit, addantur ei de eodem loco carra duo, unum vini, alterum farine verveces decem : supra quæ in exigendis muneribus, cupiditatis, avaritiæque causa gravare eos nullatenus præsumat, ne et monachi ejusdem cellule hujuscemodi negotio a suo proposito exorbitare, et episcopus causa eorum perditionis addictus sempiternas cogatur luere pœnas. Corpora etiam sanctorum, quæ in nostra parochia jamdicta expectant sui beatam immutationem, a pravis et desidiosis custodibus permaxime negliguntur, ita ut officio, luminaris, ac debita careant custodia. Idcirco ob amorem Dei, cui viventes in carne servierunt, et emolumentum animæ nostræ, per voluntatem et licentiam domini ac piissimi Ludovici ac Caroli regum, quia congruum ad hoc locum invenimus, illo deportanda volumus. Sed quia sacra authoritas vetat, ne in talibus et similibus ecclesiis Christi per alicujus incuriam scandalum inferatur, multorum episcoporum exposcit consensum, ad vestræ paternitatis notitiam hæc omnia perferri volumus, quatenus vestra deinceps censura et locus ipse, quod favente Deo ordinandum stabilimus, et memoratis sanctorum pignoribus a Dei servis ibidem Deo famulantibus digne et laudabiliter serviatur ; et pro Domini nostri ac totius sanctæ Dei ecclesiæ statu indefesse vota debita persolvantur. Quod opus Deo dicatum, ut per tempora labentia, omnibus sanctissimis patribus et fratribus in Dei nomine consentientibus, firmiorem obtineat rectitudinis statum, et intactum permaneat, manu nostræ parvitatis subter relegenda firmamus. Et ut rata deinceps manere possint quæ scripta sunt manibus vestræ sanctitatis roboranda expostulamus. In Christi nomine ALDRICUS ecclesiæ Senonicæ indignus archiepiscopus, hoc privilegium fieri decrevi et subscripsi. In Christi nomine LANDRAMNUS Turonice ecclesiæ archiepiscopus, recognovi et subscripsi. In Christi nomine BARTHOLOMÆUS Narbonensis ecclesiæ archiepiscopus, feci et subscripsi. JONAS Aurelianensis ecclesiæ indignus episcopus, huic facto adstipulator subscripsi. Ego RAYNARDUS Rothomagensis episcopus subscripsi. ROTUALDUS Suessionensis episcopus, huic facto subscripsi. ALDRICUS Cœnomanicæ urbis episcopus. CAREVILTUS Bajocensis episcopus subscripsi. In Dei nomine RADULFUS Luxoviensis episcopus, adstipulator huic facto subscripsi. ACAMRADUS Parisiorum indignus episcopus subscripsi. STEPHANUS Bituricensium indignus episcopus subscripsi. ALTADUS Genevensis episcopus subscripsi. ADALHELINUS Cathalaunensis episcopus subscripsi. RAGNERIUS Ambianensis episcopus subscripsi. HELIAS Tricassinensis episcopus subscripsi. HUBERTUS Meldensium episcopus subscripsi. ALDUINUS Virdunensium episcopus subscripsi. DELRICUS Basiliensis episcopus subscripsi. Ego FULCONINUS Warmatiensis episcopus indignus. In Dei nomine TEUGRINUS Albensis episcopus. ATTO Nannetensis civitatis episcopus. GERFREDUS Nivernensis episcopus. FACONA episcopus. BOSO abbas ex monasterio S.- Benedicti subscripsi. ADREVALDUS abbas ex monasterio Noviacensi. DEIDONUS ex Remensi cœnobio abbas. CHRISTIANUS abbas monasterii S.-Germani. In Dei nomine ego BERNOINUS Carnotensis episcopus subscripsi. RAGNEMUNDUS abbas de monasterio Sancti-Carilelphi. INGELNONUS Sagiensis episcopus subscripsi. FOVA Cavilonensis episcopus subscripsi.

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NOTES

1. Produites par centaines de milliers au Moyen Âge, les chartes ont été très exploitées, souvent éditées et soumises très tôt à des structurations et interrogations informatiques. S’insérant dans ce contexte, le projet des CBMA (Chartae Burgundiae Medii Aevi - Chartes de la Bourgogne du Moyen Âge) a numérisé et enregistré la riche documentation diplomatique bourguignonne, produite notamment par les abbayes de Cluny ou de Cîteaux. Ses résultats sont mis à disposition via un site web hébergé par Huma-Num : http://www.cbma-project.eu/ 2. Je reviens rapidement sur les conclusions de cette enquête autour de curtilum pour situer mon propos. Curtilus est certes dérivé de curtis, mais aussi construit avec le suffixe diminutif -ulus. L’utilisation référentielle de ce suffixe ne pose pas de souci. Dans les documents, curtilus peut désigner un petit enclos, un petit centre d’exploitation, une petite demeure rurale, un petit emplacement urbain, etc. Et ce caractère petit trouve beaucoup d’échos dans les textes eux- mêmes avec d’autres « vocabulaires du petit », comme cabanna, vineola, capella, domuncula. Des cultures caractéristiques de petites surfaces s’y pratiquent, comme la vigne ou les arbres fruitiers. C’est une surface qu’on peut clore, de dimension nucléaire, souvent lié à une famille ou à une seule personne. Pourtant, à l’interrogation dans la base de données CBMA, curtis et curtilus se positionnent très différemment. Comme si les deux termes s’ignoraient, comme si le suffixe ne semblait plus ajouté intentionnellement, comme si curtilus appartenait déjà au lexique et désignait une autre réalité. Chronologiquement, les occurrences de curtilus et de curtis se distribuent différemment : les occurrences de curtis sont très souvent liées à un nom propre alors que curtilus apparaît principalement comme nom commun, etc. La conclusion de cette enquête fut que curtilum avait désigné un type très spécifique de micro-propriété, liée à la vigne dans la Bourgogne sud, à un moment bien précis et de manière bien éloignée des curtis carolingiennes. 3. Plusieurs auteurs ont souligné la complexité et la variabilité de cette terminologie. D. W. Poeck puis Denise Riche, par exemple, au sujet de la nébuleuse clunisienne : « L’étude de D. W. Poeck, Cluniacensis Ecclesia, met en lumière cette complexité et montre à travers les variations de la terminologie – abbatia, ecclesia, obedientia, prioratus, monasterium, cœnobium, cella, cellula, monasteriolum – combien ces notions sont labiles », cf. Cluny. De l’abbaye à l’ordre clunisien (Xe-XVIIIe siècle), Paris, 2010, p. 22. 4. Annales Ordinis Sancti Benedicti, t. 1, 1739, livre VI, p. 144 : Denique ejus tempore quædam cellula, seu monasteriolum, cum sua ecclesia sub sancti Martini titulo intra urbem construitur ab Eulalio presbytero & Baudomalla Deo sacrata, ab eisque dotatur… 5. Dans le Cartulaire de l’abbaye de Saint-Aubin d’Angers, cella renvoie à cellula par exemple [éd. BERTRAND DE BROUSSILLON, t. 3, Angers, 1903, p. 41]. Le dictionnaire Du Cange propose, lui, deux entrées avec renvoi « Cella vero et Cellula » et « Cellula ». 6. R.-H. B AUTIER, « L’abbaye de Saint-Pierre et Saint-Merry de Paris du VIIIe au XIIe siècle », Bibliothèque de l’École des chartes, 118 (1960), p. 10. 7. G. T ESSIER, « Les chartes du monastère de Dèvre et la valeur historique du cartulaire de Vierzon », Bibliothèque de l’École des chartes, 92 (1931), p. 26. 8. M. PARISSE, « Portrait de la France autour de l’an Mil. Remarques sur un atlas », Cahiers de civilisation médiévale, 148 (1994), p. 329. 9. Capa, Basilica, Monasterium et le culte de saint Martin de Tours. Étude lexicologique et sémasiologique, Paris, 1959, p. 99-153 et, notamment, p. 100, 106-107 et 128. 10. À la suite d’A.-M. B AUTIER, dans Prieurs et prieurés dans l’Occident médiéval, Genève, 1987, p. 9-10. 11. Pour accéder à cette base de données, le moyen le plus simple est de se connecter au site http://www.cbma-project.eu et de sélectionner l’outil de fouille de texte philologic dans l’onglet « Bases de données ». Un formulaire de recherche permet de préciser une recherche au moyen de

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divers paramètres, comme le mode KWIC ou ligne à ligne, par exemple. Les résultats s’affichent en listes sous différents formats et peuvent être triés. 12. Oui, si nous suivons l’idée que des mentions rares sont souvent les témoins d’usages et de phénomènes tellement courants que ceux-ci ont à peine laissés de trace dans les textes. 13. Cellula représente un peu plus de 4 % des occurrences cella/cellula. 14. 949 ; éd. J.-G. BULLIOT, Essai historique sur l’abbaye de Saint-Martin d’Autun, de l’ordre de saint Benoît, Autun, 1849, p. 26-28, n° 11. 15. 852 ; éd. M. QUANTIN, Cartulaire général de l’Yonne, Auxerre, 1854-1860, t. 1, p. 63-64, n° XXXII. 888, 16 décembre, Paris ; éd. R. DE LESPINASSE, Cartulaire de Saint-Cyr de Nevers, Paris, 1916, p. 68-70, n° 34. 16. Vers 876 ; éd. M.-C. RAGUT, Cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon : connu sous le nom de Livre enchaîné, Mâcon, 1864, p. 72, n° XCVII. 17. 904 ; éd. B. GASPARD, Histoire de Gigny… de sa noble et royale abbaye et de saint Taurin, son patron…, Lons-le-Saunier, 1843, Preuves ou pièces justificatives, p. 624, n° 39. 18. 895 ; éd. B. GASPARD, Histoire de Gigny…, ibid., p. 621-623, n° 37. 19. Cella précédant monasterium chronologiquement parlant : Cellam quoque in ipso Comitatu sitam ubi requiescit sanctus Florus, quam tradidit supra dicto loco Eustorgius clericus cum omnibus ad eam pertinentibus [998 ; éd. P. S IMON, Bullarium sacri Ordinis cluniacensis, Lyon, 1680, p. 11, col. 1] ou Cellam quoque ubi requiescit sanctus Florus, quam tradidit supradicto loco Eustorgius Clericus, cum omnibus ad eam pertinentibus [1058 ; éd. P. SIMON, Bullarium sacri…, ibid., p. 15, col. 2] ou Monasterium Celsinaniense cum Cellis, Ecclesiis, villis terris et cum Monasterio requiescit ubi sanctus Florus quod tradidit supra dicto loco Eustorgius Clericus cum omnibus sibi pertinentibus [1076 ; éd. P. S IMON, Bullarium sacri…, ibid., p. 19, col. 1]. De même In Trecassino Episcopatu Cellam in honore S. Amandi constructam [998 ; éd. P. SIMON, Bullarium sacri…, ibid., p. 19, col. 1] ou bien In Trecassino Episcopatu Cellam in honore sancti Amandi consecratam [1058 ; éd. P. SIMON, Bullarium sacri…, ibid., p. 16, col. 1] ou bien In Tricassinensi civitate Monasterium sancti Amandi [1076 ; éd. P. SIMON, Bullarium sacri…, ibid., p. 16, col. 2]. 20. Citons par exemple la cellula ou cella Saint-Imitier restituée par Charles le Chauve à l’église Saint-Vincent de Mâcon : Charles le Chauve concéda à Raginarius une cellula in pago Lugdunensi que vocatur Sanctus Imiterius ; l’évêque de Mâcon revendiqua cette cellam cum rebus ecclesie sue ; Charles le Chauve restitua cette cellula et ses biens à l’église de Mâcon (sepedicta cellula ad proprietatis nostre fiscum redacta est. Unde anime nostre saluti consulentes, ob emolumentum eterne remunerationis et premiorum, ad deprecationem predicti presulis, ipsam cum omnibus sibi pertinentibus rebus cellulam, sancte matri ecclesie Matisconensium quam constat esse fundatam in honore Sancti Vincentii preclarissimi martiris restituimus, atque ibidem perpetualiter mancipandam nostre auctoritatis precepto confirmamus) [860 ; éd. M.-C. RAGUT, Cartulaire de Saint-Vincent…, op. cit., p. 83-85, n° CIX]. Dans une autre donation, Charles le Gros approuve le don fait à l’évêque de Nevers d’une cellulam sancti Reveriani beatissimi martyris sitam in Nevernensi comitatu cum omnibus appendiciis suis, villis, silvis et campis, pratis et ecclesiis et mancipiis, ce lieu étant qualifié aussi de cellam sancti Reveriani beatissimi martyris quelques lignes plus haut dans le même texte [886 ; éd. R. DE LESPINASSE, Cartulaire de Saint-Cyr…, op. cit., p. 31-32, n° 15]. 21. Le culte des saints en Gaule, Paris, 2000, p. 337-338 : « Le monument funéraire de Lusor à Déols est qualifié par Grégoire alternativement de cella et de crypta. Au-dessus de la tombe de Patrocle s’élève une cellula pour l’auteur de la Passion et un oratorium selon Grégoire. Le premier édifice martinien est désigné par cellula, par basilica, voire par sacellum dans un poème. » 22. Dans un diplôme de Charles le Chauve au sujet d’une cellula Saint-Albain et Saint-Vincent située dans le territoire de Mâcon [vers 876 ; éd. M.-C. RAGUT, Cartulaire de Saint-Vincent…, op. cit., p. 72, n° XCVII].

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23. Dans un privilège de Louis le Pieux en faveur de l’église de Langres [814 ; éd. M. Q UANTIN, Cartulaire général…, op. cit., t. 1, p. 26-28, n° XIII]. Dans un autre privilège du même Louis le Pieux en faveur de l’église d’Autun [815 ; éd. A. DE CHARMASSE, Cartulaire de l’Église d’Autun, Genève, 1978 (reprint de l’édition de Paris, Durand, 1865), 1re partie, p. 31-32, n° XX]. 24. Dans un acte épiscopal de donation à Cluny par exemple [1163 ; éd. A. BERNARD et A. BRUEL, Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny, t. 5 (1091-1210), Paris, 1894, p. 560-561, n° 4213]. 25. 895 ; éd. B. GASPARD, Histoire de Gigny…, op. cit., p. 621-623, n° 37. M. Christian avait aussi déduit un sens d’ensemble domanial pour la cellula de Goudargues en analysant un diplôme de Louis le Pieux : « Selon une seconde acception du mot cellula, qu’une analyse rigoureuse de la charte du 21 mai 815 nous oblige à prendre en considération, il faut admettre que le mot cellula peut désigner l’ensemble domanial qui dépendait de cette petite abbaye : la longue énumération des biens du petit monastère dans la charte nous en dit long sur l’importance de ces biens : ils comportaient des prés, des bois, des terres, des vignobles, des ruisseaux, des fermes, des serfs, etc., le tout résultant de la libéralité du comte Guilhem qui, étant l’un des premiers personnages du royaume, l’avait enrichi de nombreuses donations de son vivant : dès lors ce domaine a dû occuper toute la plaine des Plans… », cf. « Les ruines carolingiennes de Goudargues et le site militaire connexe du Castrum Planitium au pays d’Uzès », Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles- lettres, 93/1 (1949), p. 53-54. 26. L’acte de 876 a été édité par M.-C. Ragut dans le cartulaire de Mâcon, sous le n° 97. 27. 1020 ; éd. A. BERNARD et A. BRUEL, Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny, t. 3 (987-1027), Paris, 1884, p. 767-769, n° 2744. 28. Dans les actes bourguignons suivants : M.-C. RAGUT, Cartulaire de Saint-Vincent…, op. cit., n° CI ; A. DE CHARMASSE, Cartulaire de l’Église d’Autun…, op. cit., n° V, XX et XXVIII ; A. BERNARD et A. BRUEL, Recueil des chartes…, ibid., t. 3, n° 2312, t. 4, n° 3349, 3354 et 3498 ; R. DE LESPINASSE, Cartulaire de Saint-Cyr…, op. cit., n° 1 et 34 ; M. QUANTIN, Cartulaire général…, op. cit., t. 1, n° XIII et XXXV ; B. GASPARD, Histoire de Gigny…, op. cit., n° 37 et 39 ; et P. ROVERIUS, Reomaus, seu historia monasterii S.- Joannis reomaensis…, Paris, 1637, p. 81-82. Le Recueil des historiens des Gaules et de la France par Martin Bouquet signale aussi de nombreuses cellulae confirmées dans des diplômes royaux : Similiter in pago Dunensi, Theodeucus villa cum Cellula quæ Divacus dicitur (dans un diplôme de Charles le Chauve en faveur de Corbie, 860-861, t. 17, 1838, p. 564e) ; & praedictum Olocianum monasterium cum monachis ibidem famulantibus, et cum supradicta cellula S. Laurentii sibi pertinente (dans un diplôme de Charle le Chauve en faveur d’Aniane, 844, t. 17, 1838, p. 459e) et plusieurs monasterioli confirmés par des souverains (cf. index, p. 851). 29. 998 ; éd. P. SIMON, Bullarium sacri Ordinis cluniacensis, Lyon, 1680, p. 10-11. 30. Dans une bulle d’Étienne IX [1058 ; éd. A. BERNARD et A. BRUEL, Recueil des chartes…, op. cit., t. 4 (1027-1090), Paris, 1888, p. 450, n° 3354] ou dans une bulle de Grégoire VII [1076 ; éd. A. BERNARD et A. BRUEL, Recueil des chartes…, ibid., t. 4, p. 612, n° 3498], par exemple. 31. B. GASPARD, Histoire de Gigny…, op. cit., p. 621-623, n° 37. 32. Éd. A. BERNARD et A. BRUEL, Recueil des chartes…, op. cit., t. 5 (1091-1210), Paris, 1894, p. 560-561, n° 4213. Une recherche combinée « monasteriol* » et « cellul* » dans le Corpus corporum de l’université de Zürich fait ressortir douze citations de textes divers, diplômes, bulle et vitae, qui montrent combien cellula et monasteriolum fonctionnent en regard et semblent attirer villula [http://www.mlat.uzh.ch/MLS/advsuchergebnis.php?suchbegriff=monasteriol* %20cellul*&table=&level2_name=&from_year=&to_year=&mode=SPH_MATCH_EXTENDED2&lang=0&corpus=all&verses=&suchenin=alle 33. Cet épisode est documenté par deux actes de 833 et 852 [Éd. M. QUANTIN, Cartulaire général…, op. cit., t. 1, p. 39-43 et 63-64, n° XXI et XXXII]. La translation du monastère de Saint-Remy de Sens à Vareilles fut un événement suffisamment important pour être approuvé lors de deux conciles, celui de Worms en 833 puis à Sens en 852. Le second acte reprend les termes du premier et le qualificatif de cellula beati Remigii.

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34. Au VIIIe siècle (2 occurrences), au IXe siècle (10), au Xe siècle (7), au XIe siècle (9), au XIIe siècle (35) et au XIIIe siècle (1). 35. Au VIe siècle (14 occurrences), au VIIe siècle (41), au VIIIe siècle (15), au IXe siècle (401), au Xe siècle (2 490), au XIe siècle (2 418), au XIIe siècle (2 126) et au XIIIe siècle (2 662). Comme abbatia qui suit une évolution assez identique. De la même façon, on trouve aussi des occurrences d’abbatiola aux IXe, Xe et XIe siècles seulement. 36. 884, AD Bas-Rhin, H 2305, n° 1a. 37. La dame Goyla rappelle la donation qu’elle a faite de ses biens à Longvic en Atuyer et de ce qu’elle possède à Fénay, Potangey, Montarlot, Athée, Glanon, Bungey, Fixey, Chenôve et Marsannay-la-Côte. 735 [G. CHEVRIER et M. CHAUME, Chartes et documents de Saint-Bénigne de Dijon : prieurés et dépendances, des origines à 1300, t. 1 (VIe-Xe siècles), Dijon, 1986, p. 57-58, n° 20]. 38. S’il est parfois question d’une villa, celle-ci comprend une chapelle vétuste et à restaurer : Dono etiam ad jam denominatum locum, in villa Monasteriolo, mansum unum, cum omnibus appendiciis suis, et capellam que in ea sita est, sed vetustate dirutam ; eo tenore ut jam dicti monachi eam reedificare studeant, et in perpetuum absque ulla calumpnia possideant [1036 ; M. QUANTIN, Cartulaire général…, op. cit., t. 1, p. 171-173, n° XC]. 39. Monasteriolum medium apparaît dans un diplôme de Charles le Chauve [853 ; M. QUANTIN, Cartulaire général…, ibid., t. 1, n° XXXIV], dans un décret du concile de Pîtres [864 ; M. QUANTIN, Cartulaire général…, ibid., t. 1, n° XLV] et dans un diplôme de Carloman en faveur du monastère de Saint-Germain d’Auxerre [884 ; M. QUANTIN, Cartulaire général…, ibid., t. 1, n° LVII]. On trouve aussi Arnulfus de monastello medio et in claustro beatæ Mariæ de Monastello medio dans le cartulaire de La Charité-sur-Loire [1111 ; R. DE LESPINASSE, Cartulaire du prieuré de La Charité-sur-Loire (Nièvre), ordre de Cluni, Nevers, 1887, p. 119-124, n° XLVIII]. 40. Sainte-Croix de Lavoûte-Chilhac. Cet acte est édité dans éd. A. BERNARD et A. BRUEL, Recueil des chartes…, op. cit., t. 3, p. 811-815, n° 2788. Aujourd’hui encore, le site et le bâtiment de ce prieuré restent imposants. 41. Dans son étude des implantations humaines en Poitou, Élisabeth Carpentier cite pareillement le monastère de Saint-Fraigne, appelé monasteriolum vocabula Insula, dont ne dépendent pas moins de vingt et une localités, cf. « Les implantations humaines en Poitou d’après les chartes des VIIe- IXe siècles », Cahiers de civilisation médiévale, 141 (1993), p. 51). 42. Dans Guillaume de Volpiano, un réformateur en son temps (962-1031) : Vita domni Wilhelmi de Raoul Glaber, Caen, 2008, p. 65, n. 28. 43. Dans une donation de 1022-1023 : Beate Marie Canacopiensis suprataxati cœnobii cellule [A. BERNARD et A. BRUEL, Recueil des chartes…, op. cit., t. 3, p. 792-793, n° 2771] et dans une bulle de Victor II de 1055 : Ganagobiense quoque Monasteriolum [A. BERNARD et A. BRUEL, Recueil des chartes…, ibid., t. 3, p. 435, n° 2312]. 44. L’origine des noms de lieux en France, Paris, 2003, p. 146-147 : « Parmi ces premiers toponymes nés du christianisme, les plus anciens sont formés sur le latin cella “ermitage”, “monastère”, mot qui sera évincé par le latin ecclésiastique monasterium aux VIe-VIIe siècles. Parmi les toponymes dont les attestations sont antérieures à 900, nous trouvons Celles-sur-Aisne (Aisne, Cellam VIe s.), La Celle-sur-Seine (Seine-et-Marne, Cellas 528), La Celle-Saint-Cloud (Yvelines, Cella quae dicitur Villaris 768), La Celle-les-Bordes (Yvelines, ad Cellam 774), Lacelle (Corrèze, Cella 872)… Monasterium se cristallise à cette période dans la toponymie à partir de diminutifs du type monasteriolum dans Mitreuil à Binges (Côte-d’Or, Monasteriolus VIIe s.), Montereau (Loiret, Monasteriolum 855), Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne, Monasteriolum Sancti Mauricii VIIe s.), Montreuil-en-Touraine (Indre-et-Loire, Monasteriolus VIIIe s.), Montreuil-en-Caux (Seine-Maritime, Monasteriolum 872-5), Montrieux-en-Sologne (Loir-et-Cher, de Musteriolo Xe s.), Montureux-en- Prantigny (Haute-Saône, Monasteriolum 877), Monthou-sur-Bièvre (Loir-et-Cher, Monasteriolus 888-95). »

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45. Nous sommes de toute évidence dans un autre contexte que celui des premiers temps de la christianisation et des premiers monuments funéraires mentionnés par Brigitte Beaujard, qui estime que les cellae ont le plus souvent disparu au VIe siècle (Le culte des saints…, op. cit, p. 340-341). 46. C’est l’hypothèse suggérée par Cristian Folch Iglesias et Jordi Gibert Rebull dans leur étude du toponyme monasteriolum : « Segons la hipòtesi inicial, el topònim delataria l’existència de petits nuclis monàstics tardoantics que possiblement perdurarien al llarg del’Alta Edat Mitjana, sense depassar mai la conquesta comtal del territori, moment a partir del qual només en romandria el topònim, exitingida ja la institució monàstica original », cf. « Arqueologia, documentació escrita i toponomia en l’estudi de l’Alata Edat Mitjana : els casos dels toponims pharus, monasteriolum i palatium », Estrat crític (JIA 2010), 5/2 (2011), p. 367 [en ligne http:// ddd.uab.es/record/84981?ln=es]. 47. Notons, par exemple, un goût rhétorique voire esthétique pour la répétition et l’assonance. Les diminutifs semblent s’attirer. Nous avions déjà pointé cet aspect dans notre recherche sur curtilum, ce terme faisant écho à tout un vocabulaire du petit. D’autres textes semblent manifester cette particularité : quadam suis abbatiola constructa patrimoniis in honore sancti Leodegarii martyris, nomine Campellis, ipsum eum locum ampliavit ; pariterque ei villam Magniacum reddidit : scilicet ut in præfata abbatiola semper octo sint monachi, abbati scilicet præsidenti loco S. Germani subditi. Eis vero monachis a loco S. Germani nec liceat collum excutere, nec quemquam sibi, nisi abbatem S. Germani, præferre. Quia abbas ipsum loculum si sua forte industria, aut bonorum hominum munificentia, plus octo monachorum ampliaverit, pro hujusce beneficii merito gratiam Omnipotentis hic mereaturque in cælo [994 ; M. QUANTIN, Cartulaire général…, op. cit., t. 1, p. 157-158, n° XXCII] ; secus Ecclesiolas que Campinole dicuntur [1163 ; M. QUANTIN, Cartulaire général…, ibid., t. 2, p. 143-144, n° CXXXIII] ; ecclesiolam Sancti-Salvii et sedem molendini super Belcham fluvium, cum terra et censu pertinentibus ad molendinum… Nos autem, ex episcopali benignitate, donavimus eis ecclesiam de Wincellis, et quandam terre portiunculam inter ecclesiam Beate-Marie et murum sitam [1176 ; M. Q UANTIN, Cartulaire général…, ibid., t. 2, p. 278-279, n° CCLIX]. 48. J’emprunte cette formule à Reino Hakamies, qui a insisté sur cette spécialisation fréquente des diminutifs (Étude sur l’origine et l’évolution du diminutif latin et sa survie dans les langues romanes, Helsinki, 1951, p. 129). Le Trésor de la Langue Française classe aussi -ulus, -ula, -ulum parmi les suffixes à valeur diminutive et de spécialisation par rapport à la réalité dénotée par le substantif de base. Le curtilum bourguignon fournit un autre exemple de cette spécialisation. 49. Ces diminutifs du même registre, mais plus rares encore, présentent un faciès du même type : très lié au saint éponyme, ils apparaissent dans des actes de souverains, avec des pics chronologiques disparates et des valeurs plurielle et diminutive oubliées. 50. Munich, 1998, p. 245-539. 51. Poeck résume assez bien cette construction dynamique du réseau, clunisien en l’occurrence, en jouant sur les deux termes « objet » et « sujet », et en expliquant que les monastères clunisiens apparaissent comme des objets dans les premiers privilèges pontificaux, puis, à mesure que le réseau se structure, évoluent en sujets auxquels sont attribués d’autres objets (p. 75). 52. Monistrol de Montserrat, Monistrol de Calders, Monistrol de Rajadell et Monistrol de Gaià, dans la province de Barcelone. 53. Un compte rendu de ces investigations archéologiques a été publié dans C. FOLCH IGLESIAS et J. GIBERT REBULL, « Arqueologia, documentació… », op. cit., p. 364-369. 54. C’est aussi l’idée générale qui ressort de l’article de Bernard Tanguy intitulé « Monasteriola aux IXe et Xe siècles d’après le Cartulaire de Saint-Sauveur de Redon et les Gesta des saints de Redon » [in J. QUAGHEBEUR et S. SOLEIL (dir.), Le pouvoir et la foi au Moyen Âge. En Bretagne et dans l’Europe de l’Ouest, Rennes, 2010]. Il y rassemble de nombreuses données relatives à quinze

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fondations monastiques bretonnes secondaires, mais constate que la plupart sont qualifiées de monasteria ou monasteriola et qu’il est difficile de juger de leur importance. 55. Cette notion de subjectivité est indissociablement liée au diminutif. Elle a provoqué longtemps la méfiance des grammairiens, aujourd’hui elle est le premier pôle autour duquel s’organise la catégorie diminutive, avant la diminutivité et le relationnel. Voir, à ce sujet, la synthèse de Corinne Delhay intitulée Il était un petit « X » : pour une approche nouvelle de la catégorisation dite diminutive, Institut Pierre Larousse, 1996. Dans notre enquête, le diminutif très lié à des constructions contextuelles, mais aussi à la langue, apparaît tout à propos. 56. Plusieurs auteurs ont développé cette idée, par exemple au sujet de la clôture, et tous insistent sur la difficulté à cerner concrètement les choses, comme Lisa Bitel dans Isle of the saints, monastic settlement and christian community in early Ireland [1993 ; en ligne : http:// www.cornellpress.cornell.edu/publishers/? fa=publisher&NameP=Cornell %20University %20Press], ou Charles Thomas dans Cellular Meanings, Monastic Beginnings [Eamnia, 13 (1995), p. 63]. 57. M. PARISSE, « Portrait de la France… », op. cit., p. 328. 58. A. DURAN GUDIOL, « Monasterios y monasteriolos en los obispados de Pamplona y Aragón en el siglo XI », Principe de Viana, 193 (1991), p. 69 et 77 sqq. Au sujet des monasteriolos, A. Duran Gudiol évoquait aussi la concurrence de l’appellation ecclesia, des premières attestations au IXe siècle et un lien avec villula. 59. Ngram Viewer fournit une indication qui va dans le même sens en signalant monasterium de très loin davantage cité. 60. Au-delà, par exemple, des quatre entrées proposées par Niermeyer dans son lexique, à la notice « cellula » : 1. demeure individuelle de moine ; 2. petit monastère ; 3. habitation d’un groupe de moines ou de moniales qui dépend d’une abbaye ; et 4. chapelle, église privée. « Monasteriolum » étant encore plus simplement enregistré comme « petit monastère » avec deux références mérovingiennne et carolingienne. 61. J’utilise cette idée de réseau interconnecté à dessein, très attentive au réseau numérique actuel, dont la mise en place, les développements et les implications étayent inévitablement et utilement notre réflexion.

INDEX

Index géographique : France/Bourgogne Mots-clés : cellula, monasteriolum, chartes médiévales, vocabulaire, diminutif

AUTEUR

MARIE-JOSÉ GASSE-GRANDJEAN Ingénieure de recherche CNRS, Dijon, UMR ArTeHiS

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Monasterium, cella, abbatia… Enquête sur les différents termes désignant les communautés religieuses au haut Moyen Âge (Ve-milieu IXe siècle) et leur signification

Michèle Gaillard

Abréviations :

AA SS : Acta Sanctorum, par les Bollandistes, nouvelle éd. 1863-1868. BHL : Bibliotheca hagiographica Latina antiquae et mediae aetatis ediderunt Socii Bollandiani, 2 vol., Bruxelles, 1898-1901, Supplementum, 1911, Novum Supplementum, 1986. HF : GRÉGOIRE DE TOURS, Libri Historiarum X, in MGH, Scriptores Rerum Merowingicarum, I, 1, éd. B. KRUSCH, Hanovre, 1941. Lib. in Glor : GRÉGOIRE DE TOURS, Liber in Gloria Martyrum, in MGH, Scriptores Rerum Merowingicarum, I, 2, éd. B. KRUSCH, Hanovre, 1885, p. 34-112. Lib. Vit. Patrum : GRÉGOIRE DE TOURS, Liber Vitae Patrum, in MGH, Scriptores Rerum Merowingicarum, I, 2, éd. B. KRUSCH, Hanovre, 1885, p. 211-294. Liber Virt. sancti Iuliani : GRÉGOIRE DE TOURS, Liber Virtutum sancti Iuliani, in MGH, Scriptores Rerum Merowingicarum, I, 2, éd. B. KRUSCH, Hanovre, 1885, p. 112-134. MGH : Monumenta Germaniae Historica inde ab anno christi quingentesimo usque ad annum millesimumet quingentesimum edidit societas aperiendis fontibus rerum germanicarum medii aevi. MIGNE, PL : Abbé Jacques-Paul MIGNE, Patrologiae Cursus Completus, sive bibliotheca universalis…, Paris, 1850. TCCG : Topographie chrétienne des cités de la Gaule, 16 tomes (en 17 volumes), Paris, 1986-2014.

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1 Toute personne fréquentant quelque peu les sources écrites du haut Moyen Âge a été un jour confrontée à différents termes utilisés pour désigner les communautés religieuses. Les termes monasterium/monasteriolum, coenobium, cella/cellula, voisinent à la même époque, voire chez les mêmes auteurs, mais on trouve aussi les termes casa, claustrum, conventum dans quelques textes ainsi que le terme abbatia, qui a donné naissance au français abbaye, aujourd’hui quasi-synonyme de monastère. Rappelons que le terme capitulum n’était pas alors utilisé pour désigner les communautés de chanoines, mais seulement l’assemblée des moines ou des chanoines à la première heure (prime), où on lisait un chapitre (capitulum) de la règle1.

2 Cette enquête porte donc sur un certain nombre de mots (abbatia, casa, cella, cellula, claustrum, coenobium, congregatio, conventum, monasterium, xenodochium2), qui sont susceptibles de désigner les communautés religieuses qu’elles soient monastiques ou canoniales3, tout en gardant à l’esprit deux questions sous-jacentes : • ces différents termes désignent-ils des réalités différentes, dans leur architecture, leur organisation, leur importance (subjective ou objective) ou bien sont-ils quasiment synonymes et seulement le reflet des spécificités de chaque auteur ou de chaque période ? • y a-t-il une évolution de la signification de ces termes entre le Ve et le IXe siècle, soit vers une restriction du sens ou bien vers un usage plus large de termes ayant au départ une signification précise ?

3 Bien sûr cette enquête n’est pas exhaustive, mais elle s’appuie sur un nombre suffisant de sources pour être significative ; une première approche a été faite grâce à l’index des fascicules de la Topographie chrétienne des cités de la Gaule. Cet index permet de retrouver les mots employés dans un nombre important et très varié de sources pour désigner les communautés religieuses installées dans l’espace urbain. L’approche est donc incomplète, puisqu’il n’est pas question des implantations rurales, mais surtout parce qu’elle dépend des citations choisies par les auteurs des notices pour chaque établissement. Il est néanmoins probable que le hasard de ces choix nous laisse percevoir un usage proche de la réalité, d’autant que les plus anciennes mentions – avant le milieu du VIIIe siècle – ont été systématiquement listées.

4 Ces données ont été ensuite complétées par l’étude du vocabulaire employé dans les règles monastiques : Institutions de Cassien, Règles de Césaire d’Arles, Règle du Maître, Règle de saint Benoît, Règles des saints Pères et également par la Vie des Pères du Jura – qui comporte bien des aspects normatifs4 – et, pour la période carolingienne, par la Vie de Benoît d’Aniane5 et les Annales de Saint-Bertin 6. J’ai aussi soumis certains des volumes des Monumenta Germaniae Historica, les Scriptores rerum merowingicarum7, les Diplomata8 et les Concilia9 à une interrogation sur les termes abbatia et monasterium pour la période du VIe au milieu du IXe siècle.

Monasterium

5 C’est le mot le plus fréquent, qui vient de loin devant tous les autres avec cinquante- huit occurrences dans les notices de la TCCG ; le tableau 1 permet de ventiler sa fréquence dans les sources étudiées.

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Tab. 1 – Les occurrences du mot monasterium (et variantes)

Nombre Sources Remarques d’occurrences

Institutions de Cassien 89 Texte très long. (fin IVe-début Ve s.)

Règles des Pères 24 Ensemble de 6 règles. (Ve s.)

Règle du Maître 253 La plus longue de toutes les règles. (fin Ve/déb. VIe s.)

Règles de Césaire 51 Deux règles et lettres. (VIe s.)

Règle de saint Benoît 74 (Vers 530)

Vie des Pères du Jura 41 (Début VIe s.)

Vie de Benoît d’Aniane 80 (821)

Annales de Saint-Bertin 46 Dont 2 monasteriolum dans un sens péjoratif. IXe s.

MGH Scriptores rerum 1094 Dont 165 dans les œuvres de Grégoire de Tours (†594). merowingicarum

MGH Diplomata regum Nouvelle édition comprenant uniquement les francorum e stirpe 430 diplômes royaux mais intégrant les mentions d’un merovingica grand nombre de mentions de diplômes perdus. (Éd. Kölzer, 2001)

Diplômes de Pépin le Bref, Carloman, Charlemagne, MGH 1049 Lothaire Ier et Lothaire II ; dont 35 monasteriolum sans Diplomata sens péjoratif.

mérovingiens : MGH 37 Jusqu’en 859. Concilia carolingiens : 398

6 Malgré son caractère incomplet, le sondage effectué dans les MGH grâce au moteur de recherche en ligne confirme que le terme monasterium vient naturellement sous la plume des auteurs mérovingiens et carolingiens pour désigner des communautés religieuses. Ce qui justifie amplement l’emploi du terme « monastère » en français. Mais force est de constater que l’emploi de ce terme n’implique pas que l’on ait affaire à des

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moines, en tout cas au IXe siècle : la plus grande partie des moines de Saint-Denis, monasterium sancti Dyonisii, en 832, revendiquent d’être, depuis toujours, des chanoines, de même que ceux de Tours : les diplômes délivrés par Louis le Pieux en faveur de Saint-Martin de Tours en 816 et 832 montrent que les frères de ce qu’on continue d’appeler un monasterium, ont réussi à faire admettre, sans grande difficulté, semble-t- il, leur statut de chanoines. Dans le diplôme d’immunité de 816, il est question des clercs qui servent Dieu10 et en 832 des frères du monastère11. Dans un diplôme de 869, Charles le Chauve qualifie Saint-Arnoul de Metz de monasterium canonicorum12, monastère de chanoines, tant le terme s’impose pour désigner la personnalité juridique d’une communauté religieuse vivant dans des bâtiments spécifiques et ayant des revenus fonciers.

Coenobium

7 Bien qu’étant bien moins fréquent et moins régulièrement employé que le mot monasterium, le mot coenobium désigne aussi un monastère. On le voit dans les citations de la TCCG (tableau 2) comme synonyme de cella et de monasterium (en grisé).

Tab. 2 – Coenobium (et variantes) d’après les notices de la TCCG

Vocabulaire Réf TCCG Citation Contexte et source

Arles, III, 15, in suburbano = in suburbana insula… monasterium p. 84 ; XVI, 15, coenobio (Vie de Césaire, I, 12, p. 161). p. 45

Auxerre, VIII, cellam sive avec trois églises (Julien, Ferréol, Martin) ; 21-25, coenobium (charte de l’évêques Palladius, 637). p. 62-63

Vie d’Ansbert = Oratorium monasterium Beauvais, XIV, coenobium, dans le testament d’Anségise 2, p. 140 oratorium = olim puellarum coenobium (diplôme perdu de Charles le Chauve).

Bourges, VI, 9, monasterium atque Vita Eustadiolae (8e s. ?). p. 22 coenobium

Coenobium / basilica, ecclesia, Bourges, VI, Miracula Austrigisilii (rédigés entre 741 et 751). coenubium / monasterium, 13, p. 24 Tombeau de saint Ausregisile. cenobium coenobium

Cahors, VI, 11, coenobium sancti = suum monasterium ; fondé par l’év Didier (vita

p. 63 viri Desiderii).

Clermont, VI, Absence de coenobium de femmes avant la puellarum 21, p. 38 ; 23, construction par Praejectus d’un monasterium cenobium p. 38 consacré aux puellis (Passio Praejecti, fin VIIe).

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Laon, XIV, 1, infra claustra = monasterium (Vita Sadalbergae). p. 169 coenobii

Soissons, XIV, Privilège de l’évêque Drauscius pour Sainte- intra coenubii septa 1, p. 55 Marie de Soissons (666-667).

coenobium Orléans, VIII, sanctarum Vie de saint Eucher. 6, p. 94 monacharum

8 L’usage fait par les auteurs de règles est très disparate : 51 occurrences chez Cassien (contre 89 pour monasterium), aucune dans les Règles des Pères, deux seulement dans la Règle du Maître, aucune chez Césaire, une seule chez Benoît, 16 dans la Vie des Pères du Jura. Il n’y a là aussi aucun indice qui permette de penser qu’il y ait une nuance de sens entre le monasterium et le coenobium même si l’étymologie est différente : le monasterium venant du moine, qui est seul (monos en grec) et le coenobium désignant la vie communautaire. L’influence orientale a pu jouer chez Cassien dans le choix fréquent de ce terme ; l’absence du terme dans les règles de Pères pourrait conduire à minimiser l’influence orientale sur ces règles…

Casa

9 Le troisième tableau donne des occurrences de casa, qui, pour la plupart, ne désignent pas des monastères, mais des habitations de solitaires.

Tab. 3 – Casa d’après les notices de la TCCG

Vocabulaire Réf TCCG Citation Contexte et source

Maison de l’ascète Abraham dans Clermont, casa cui culmo culmina pressa l’épitaphe rédigée par S. Apollinaire (Ep. VI, 12, forent : cabane dont le toit VII, 17 p. 75). Selon Grégoire de Tours a p. 36 est couvert de chaume érigé un monastère tout près.

Trèves, casa servorum Dei : cabane Augustin (Conf. XII, 15) rapporte le récit Casa I, 5, p. 26 des serviteurs de Dieu d’un fonctionnaire impérial (386).

casa Dei sancti Martini, quem Utrecht, Diplôme de Pépin Ier du 23 mai 753 : un domnus Bonefacius XII, monastère dirigé par Boniface selon archiepiscopus custos presse p. 21-22 M. Mostert? videtur

10 À cela deux exceptions : • la première mention est celle d’un groupement d’ermites dans un édifice suffisamment humble pour qu’on y applique le terme « casa » ; • pour la seconde, il doit s’agir d’une communauté desservant l’église Saint-Martin d’Utrecht. Est-ce un monastère comme le suggère M. Mostert13 ou la communauté des clercs desservant l’église d’Utrecht, rien ne permet de trancher.

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11 Dans les Scriptores rerum merowingicarum, seulement deux textes emploient ce mot dans un contexte religieux : • la Vie de sainte Bathilde parle des casas peculiares (cellules ?) construites par Bathilde pour son monastère14, mais le mot ne désigne pas le monastère en son entier ; • les miracles de saint Austregisèle, évêque de Cahors, font état de la destruction de casas Dei, mais rien n’indique qu’il s’agisse spécifiquement de monastères15.

12 Ce mot n’est pas employé dans les textes questionnés (règles en particulier) sauf dans le Règle du Maître, où il est question des casae monasterii (62 et 86) mais au sens de curtis, domaine, ferme…

Cella et cellula

13 Les mots cella et cellula qui apparaissent là (tableau 4) synonymes (cf. pour Radegonde) correspondent souvent à des habitations individuelles – ou presque pour Hilaire et son frère – près d’une église ou à l’intérieur même du monastère.

Tab. 4 – Cella et cellula comme cellules d’après les notices de la TCCG

Vocabulaire Réf TCCG Citation Contexte et source

Arles, III, 4, eiusdem cellae erat cellae Cellule d’Hilaire jouxtant les cellae

p. 81 eius coniuncta des autres clercs.

Lieu où est mort Vaast et qui fut ensuite épargné par l’incendie qui Arras, XIV, cellula tegumenta ; cum lecto consuma la domus (Vie de saint 2, p. 95 cellola Vaast, attribuée à Jonas de Bobbio, 9-10).

Bourges, cellulam iuxta ecclesiam in Cellule de l’ascète Amandus (Vita S.

VI, 4, p. 21 superiori moenia civitatis Amandi (SRM V, p. 433).

Bourges, cellula Ebregiseli Cellule d’un reclus (Vita Eligii, p. 731). VI, p. 25

Cahors, Cellule de l’évêque Ambroise, qui reclusit se in cellula quae XVI, 1, communique avec l’ecclesia (Vita erat iuxta ecclesiam p. 71 Ambrosii).

Habitation de l’ermite Martius, Clermont, cellula sancti Martii creusée dans le rocher ; y organise VI, 13, p. 36 un monastère.

Cella, cellula / cellola duobus ferme millibus Habitation d’Hilarus et de son frère (cellule dʼascète, Mende, VI, passuum a Mimatensi vico, avant l’accession Hilarus à de clerc ou de 2, p. 85 tribus sibi coniuctis l’épiscopat (Vita Hilari). religieux / fratribus, cellulam collocat religieuse)

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Paris, VIII, de l’évêque Germain (Fortunat, Vita cella 3, p. 114 Germani).

Cellule de Radegonde avec son Poitiers, X, propre oratoire à l’intérieur du Cella, cellula 5, p. 84 monastère Sainte-Croix (Fortunat, Grégoire de Tours, Baudonivie).

Rodez, VI, Habitation de l’évêque avec un petit

1, p. 46 jardin (Vita Amantii, 8e ou 9e s.).

Tours, V, 1, Cellule de Martin dans le groupe Cellula s. Martini p. 29 épiscopal (Vita Martini).

Cellules ccupées par l’abbas martyrarius et les clercs desservant la Tours, V, 7, Cellola abbatis basilique, formant la domus basilicae p. 34 Ostium cellulae (Grégoire de Tours, HHF, VII, 29 ; De Virt. Sancti Martini, IV, 25).

Cellule de l’ascète Winnocus Tours, V, 7, (Grégoire de Tours, HHF, V, 21 et p. 34 VIII, 34).

Vienne, III, Monachos iuxta cellulam Habitation du reclus Leunianus (Vita

5, p. 28 haud plurimos regens Eugendi, 127-128).

14 Mais cella et cellula peuvent avoir un tout un autre sens : de toute évidence celui de monastère (tableau 5).

Tab. 5 – Cella et cellula comme habitations collectives à travers les notices de la TCCG

Vocabulaire Réf TCCG Citation Contexte et source

Grégoire de Tours, à Cellulam sibi aedificavit in qua, collectis Angoulême, propos d’Eparchius, abbé pauchis monachis, in oratione X, 2, p. 50 de Saint-Cybard (HF, VI, morabatur assidue 8).

Grégoire de Tours la situe à l’endroit où saint Amiens, XIV, Cellula puellarum religiosarum Martin avait partagé son 1, p. 152 manteau (Vita. Martini, p. 148).

avec trois églises dédiées Auxerre, VIII, à Julien, Ferréol, Martin 21-25, Cellam sive coenobium (charte de l’év Palladius, p. 62-63 637).

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Cella, cellula/ abba ordinaretur in basilicam sancti cellola Simphoriani quam memoratus pontifex À propos de l’acète (habitation fabricaverat ante conspectum muri Agustus, abbé de Saint- Bourges, VI, collective pour Biturigi . Nec tamen monachos quos Martin puis de Saint- 11, p. 23 moines, prius congregaverat relinquens, sed Symphorien (Grégoire de religieuses ou instituens eis praepositum, ipse Tours, Glor. Conf., p. 347). clercs) utrasque cellulas gubernabat.

Privilège de l’évêque Le Mans, V, 9, Cella sancte marie Aglibertus (683) ; diplôme p. 52 de Louis le Pieux (836).

Vie d’Hilaire évêque du Gévaudan (BHL 3910) : il Marseille, III, Ad cellulam in finibus Massiliensis urbis visite la cellula et oublie 11, p. 131-132 son manteau dans le cubiculum monachorum.

Fondée par Monegundis Tours, V, 11, Parva cellula ibique paucas collegens selon Grégoire de Tours p. 36 monachas (VP, XIX, 2).

Diplôme de Charles le Chauve (Tessier, p. 291) Troyes, VIII, pour désigner Montier-la- Cella domni Bobini 7, p. 79 Celle ; nom de l’abbé devenu év de Troyes au milieu du 8e s.

= oratorium, situé près de autre sens de Le Mans, V, 4, Cellula sancti Martini la cathédrale (Actus du cellula p. 51 Mans).

15 Il ne semble pas qu’il y ait une différence entre les deux : la cellula n’est pas plus petite que la cella. Grégoire de Tours doit préciser parva cellula, pour suggérer que l’établissement fondé par Monegundis était petit et ne pouvait contenir que quelques religieuses : paucas monachas. Grégoire n’emploie jamais le mot cella au sens de monastère, il ne l’emploie que deux fois dans tout son œuvre : une pour désigner la pièce garde-manger, cella penaria, où sont entreposées dans un premier temps les reliques de saint Saturnin de Toulouse16 et l’autre pour désigner la pièce proche de l’église saint Julien (de Brioude), où un malade installe son lit17. Quant aux 104 occurrences de cellula dans l’œuvre de Grégoire, elles font apparaître aussi bien le sens d’édifice que celui plus précis de monastère : le sens de monastère dans son œuvre ne peut être déduit que des précisions qui l’accompagnent. Il emploie également ce mot pour des oratoires, des tombeaux et aussi des cellules de moines.

16 Chez Grégoire, comme dans les autres sources mentionnées dans la TCCG, ni cellula ni cella ne suffisent à désigner un monastère ou une communauté de clercs, seul le contexte ou la connaissance qu’on a par ailleurs du lieu peuvent permettre de trancher. Il faut donc être prudent : si un texte de l’époque mérovingienne parle d’une cellula à

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propos d’un lieu, sans autre précision, même si ce lieu est attesté plus tard comme occupé par des moines au IXe siècle par exemple, il ne faut pas en conclure que ce fut dès l’origine un monastère.

17 Dans les règles et vies normatives questionnées, les occurrences de cella/cellula sont évidemment nombreuses et les deux mots semblent interchangeables (tableau 6).

Tab. 6 – Cella et cellula dans les règles et vies normatives

Nombre d’occurrences

Sources Sens de Remarques Cella Cellula communauté religieuse

cellasque monasteria conspeximus… Institutions de 24 23 1 Ailleurs cella/cellula synonymes : cellule du Cassien moine ou pièce du monastère.

Ex : - cellam ut paradisium habeat… Règles des - tota dilectio vestra in cellula demoretur… 7 12 7 Pères Dans la règle de Macaire (7/8 occurrences) et la 3e règle des Pères (4/6) qui dérive de la précédente.

per diversorum cellas et monasteria hospitantes Règle du 7 5 1 … Maître À propos des moines gyrovagues.

cellula monasterii… Règles de 4 2 1 ? cella + génitif au sens de pièce du monastère Césaire (cellier en V30, 7 ; parloir en V 65, 2).

Règle de saint per diversorum cellas… 6 0 1 Benoît À propos des moines gyrovagues.

Vie des Pères 3 8 2 (cellula) du Jura

Vie de Benoît dont cellam monasterii pour désigner le 6 0 6 d’Aniane monastère dans son ensemble.

Total 57 60 16 à 19

18 Cependant il faut souligner deux exceptions notables : l’absence d’emploi du mot cellula dans la Règle de saint Benoît et dans la Vie de Benoît d’Aniane ; ces deux textes ont été rédigés à quatre siècles d’intervalle et dans des contrées différentes (Italie et Gaule) ; on pourrait considérer que le vocabulaire de la première a pu influencer le rédacteur de la seconde si l’usage du mot cella n’était pas fort différent dans les deux textes. Dans la Règle de saint Benoît, à une exception près – empruntée à la Règle du Maître de toute

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évidence18 –, le mot cella désigne des pièces ou édifices du monastère alors que dans la Vie de Benoît d’Aniane le mot désigne toujours une communauté religieuse, que ce soit celle, modeste, des débuts d’Aniane ou celle de Gellone19.

19 Soulignons cependant que les emplois de cella/cellula pour désigner les monastères sont rares, comparés aux quatre-vingts occurrences du mot monasterium dans les mêmes textes. L’emploi du mot cellula pour désigner le monastère est encore plus rare que celui du mot cella et semble ressortir essentiellement d’un auteur, celui de la Règle de Macaire, reprise dans la Règle des Pères. Césaire l’emploie, mais uniquement dans l’expression cellula monasterii, ce que les traducteurs rendent par bâtiment du monastère ; le mot a donc un sens concret proche de l’emploi qu’il fait de cella ailleurs. Dans la Vie des Pères du Jura, le mot cella n’est jamais employé pour désigner les monastères, mais trois fois – dont deux associées à l’adjectif peculiaris – pour désigner les cellules20 ; seulement deux occurrences de cellula, au sens de monastère, peuvent y être relevées21.

20 Les termes cella et cellula pour désigner les monastères sont donc attestés à toutes les époques, mais d’un emploi relativement rare. Il est impossible de dire si l’usage de ces termes implique une différence de statut ou une différence de perception du lieu de la part de l’auteur ; autrement dit les mots cella/cellula sont-ils strictement synonymes de monastère ? Les Institutions de Cassien et la Règle du Maître emploient des expressions qui associent les deux mots : s’agit-il d’une façon de désigner deux types de communautés ou bien d’une redondance dont sont friands les auteurs médiévaux ? Cassien emploi l’expression cellasque monasteria pour montrer qu’il a examiné les usages liturgiques (nombre de psaumes chantés) dans différents lieux et qu’il a constaté une grande diversité22 ; le Maître l’emploie pour désigner les lieux où passent les moines gyrovagues : per diversarum cellas et monasteria hospitantes23. Il s’agit donc de montrer la diversité des lieux, mais probablement pas d’introduire une différence de taille, de forme, d’organisation, d’autant que Benoît ne retient de l’expression du maître que : per diversorum monasteria24.

21 L’examen de ces règles et de ces deux textes hagiographiques fortement normatifs ne permet guère, une fois encore, que d’insister sur la nécessité d’apporter la plus grande attention au contexte d’utilisation de ces termes fortement polysémiques. Il est difficile de discerner une évolution chronologique puisque le terme cella au sens de monastère est utilisé au Ve siècle (Règle de saint Benoît) et au IXe siècle (Vie de Benoît d’Aniane) ; cependant il s’est imposé suffisamment longtemps pour qu’on retrouve dans le nom de bien des monastères ensuite. Il faudrait examiner un échantillonnage de textes hagiographiques et diplomatiques sur plusieurs siècles pour déterminer pourquoi et comment cet usage s’impose dans la toponymie monastique, parfois même aux côtés de celui de monastère, comme à Montier-la-Celle près de Troyes.

Claustrum

22 Continuons notre enquête par un mot latin qui a eu une grande fortune en français pour désigner un monastère, ou une partie du monastère, le mot claustrum. On le trouve peu dans les notices de la TCCG, car il ne sert jamais à désigner l’édifice clos, le monastère en son entier (tableau 7) ; il en désigne évidemment le mur de clôture ou l’espace enclos, mais pas spécifiquement en contexte monastique et toujours au pluriel.

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Tab. 7 – Claustrum dans les notices de la TCCG

Vocabulaire Réf TCCG Citation Contexte et source

Laon, L’abbesse Salaberge déambule dans le XIV, infra claustra … coenobii jardin à l’intérieur de la clôture du 1, p. 169 monastère (Vita Sadalbergae).

Limoges, Clôture de l’ensemble basilical de Saint- Claustrum VI, claustra Martial. 2, p. 76

disruptae sunt catenae et reserata de la basilique des saints apôtres… Vienne, sunt claustra (les chaînes se appelée monasterium dans un acte XVI, brisèrent et les barrières probablement forgé (par Adon ?) après 5, p. 318 sʼouvrirent) 831.

23 Dans les règles, le mot est peu employé : pas du tout par Cassien, qui ne fait allusion à aucune clôture ou mur, pas plus d’ailleurs que Césaire, dont le contenu de la Règle des Vierges n’autorise pourtant aucun doute sur la vie cloîtrée des religieuses. Il est employé une fois seulement par le Maître et deux fois par Benoît en association : claustra monasterii. Les Règles des Pères ne l’utilisent pas et la Vie des Pères du Jura ne l’utilise pas pour désigner la clôture du monastère et seulement quatre fois : une fois dans un sens métaphorique, deux fois au sens de clôture d’une cellule particulière et une fois pour désigner l’enfermement d’une possédée25. Nulle part le mot septa ne vient le remplacer dans ces règles bien qu’il soit utilisé dans d’autres textes (cf. tab. 2 pour Soissons). La Vie de Benoît d’Aniane ne l’utilise qu’une fois, mais dans un autre sens encore, qui ne semble donc émerger qu’à l’époque carolingienne, celui de cloître architectural26.

Congregatio, conventus et xenodochium

24 Le mot congregatio est assez régulièrement employé dans les textes étudiés : 22 occurrences chez Cassien, 63 dans la Règle du Maître, 9 fois chez Césaire, 25 fois chez Benoît, 5 fois dans les Règles des Pères, 4 fois dans la Vie des Pères du Jura et 2 fois dans la Vie de Benoît d’Aniane. Il peut être employé seul, mais, la plupart du temps, il est assorti d’une précision : congregatio monachorum, congregatio fratrum. Assez curieusement, il n’apparaît qu’une seule fois dans les notices de la TCCG à propos d’une congregatio mulierum à Mayence : domum Domni et sanctae Mariae virginis ibi congregavi sanctam congregationem mulierum peut-on lire dans une charte interpolée au XIIe siècle. Même si on ne peut douter de l’usage de ce mot bien avant, il est évident qu’il désigne l’ensemble des religieux rassemblés et non le bâtiment – même si cela implique son existence –, aussi les auteurs des notices ont-ils préféré citer des sources employant des mots au sens plus concrets comme monasterium, cella, coenobium.

25 Quant à conventus, qui, dans les textes narratifs non spécifiquement religieux, a le sens d’assemblée – ainsi vingt-six occurrences dans les Annales de Saint-Bertin –, il prend à peu près le sens de congregatio quand il est employé dans les règles. Employé trois fois seulement dans la Règle du Maître, il semble toutefois avoir un sens moins fort et moins

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institutionnel que congregatio et désigner seulement l’ensemble des frères ou une assemblée des frères, proche de son sens laïc. Benoît ne l’emploie qu’une fois, pour désigner l’assemblée de la communauté, lors du chapitre, semble-t-il27. Il n’y a pas d’autres mentions dans les règles étudiées, ni dans la Vie de Benoît d’Aniane. En revanche, la Vie des Pères du Jura emploie deux fois le mot conventiculum pour désigner les offices nocturnes (nocturnis conventiculis) et du matin (matutinis conventiculis), donc là aussi avec le sens d’assemblée et non au sens institutionnel28.

26 Quelques mots pour finir, ou presque, sur le terme xenodochium, qui, a lui seul, ne peut permettre d’identifier un monastère, mais qui y est souvent associé comme le montre le tableau 8 (grisé).

Tab. 8 – Xenodochium d’après les notices de la TCCG

Vocabulaire Réf TCCG Citation Contexte et source

Angers, V, Xenodochia En relation avec le monastère Saint-Julien. 6, p. 77

Monasterium atque Autun, IV, xenodochium Lettres de Grégoire le Grand. 7, p. 43 Francorum

Auxerre, Xenodochium matris VIII, Institution dépendant de la cathédrale. ecclesie 6, p. 56

Auxerre, Don de l’évêque Desiderius pour le Xenodochium VIII, xenodochium dépendant de la basilique pauperum 14, p. 60 Saint-Germain.

Chalon-sur- Exsenodochium Grégoire de Tours (Glor. Conf., 85) ; Saône, IV, leprosorum et probablement Saint-Marcel. 4, p. 72 basilica

Clermont, Xenodochium qui in Xenodochiolum / Passio Preajecti ; = Monasterium Colombariense VI, loco Columbarius senodociolum (libellus) ? 22, p. 38 dicitur

Sinodochium in Le Mans, V, = basilica = monasterium (Testament de honorem sancti 15, p. 54 l’évêque Bertrichramnus). Martini

Lyon, IV, Xenodochium in Fondé par le roi Childebert, canon du

10, p. 31 Lugdunensi urbe concile d’Orléans.

Paris, VIII, Projet d’Eloi mais remplacé par monastère Exinodochium 5, p. 114 de femmes selon la Vita Eligii.

Poitiers, X, Sinodoxium Fondé par l’évêque Ansoald (Testament). 4, p. 82 pauperum

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Reims, XIV, Xenodochia Construits par Attolus (épitaphe, vers 530). p. 44-45

27 Hospices pour les malades, les étrangers et les pauvres, les xenodochia semblent avoir été des institutions urbaines, gérées par ceux qui devaient faire preuve de charité, les moines mais aussi les évêques et leur clergé. La présence d’un xenodochium n’implique pas la présence d’une communauté monastique, mais quand on n’a pas d’autre renseignement et que l’établissement n’est pas en relation avec la cathédrale, l’hypothèse d’une communauté de moines ou de moniales le desservant est légitime. Ce terme n’est pas employé dans les règles étudiées. La Vie des Pères du Jura l’emploie au sens d’hôtellerie – pour les étrangers donc – et aussi plus étrangement au sens de dortoir29.

Abbatia

28 Terminons par ce terme alors inusité, mais qui présente un grand intérêt, puisqu’il a donné en français le terme abbaye, quasiment synonyme de monastère. Il n’y a aucune occurrence de ce terme dans les règles examinées. L’index de la TCCG ne donne qu’une occurrence extraite de la chronique de Frédégaire à propos de l’abbé Leodebodus de Saint-Aignan d’Orléans : il est élevé à l’honneur sublime de l’abbatiat (abbatiae sublimatum honore)30. Il désigne donc la charge d’abbé et non le bâtiment, ni même la communauté religieuse. Dans le sondage effectué dans les MGH, le mot abbatia apparaît fréquemment, mais presque toujours pour désigner la charge d’abbé et non la personnalité juridique, ni l’édifice ; dans ce dernier cas, on emploie le mot monasterium ou encore cella, coenobium.

29 Le mot n’est employé qu’une fois par Grégoire de Tours pour désigner l’office abbatial31. Le terme n’est pas utilisé par Frédégaire ; on le trouve donc au total quinze fois, toujours dans le même sens, à une exception près, la Vie de saint Faron, évêque de Meaux, rédigée à la fin du IXe siècle, où il est employé trois fois pour désigner une abbaye comme nous l’entendons aujourd’hui32.

30 Dans les diplômes mérovingiens, on note deux emplois au sens de charge abbatiale33 et dans les diplômes carolingiens étudiés on compte seulement seize occurrences du terme, la plupart du temps dans des diplômes faux, donc rédigés tardivement ou bien au sens de charge abbatiale34. Quelques mentions montrent une évolution du sens du mot vers celui de dotation foncière du monastère, comme dans un diplôme de Charlemagne de 775, où l’immunité conférée à l’Église de Metz s’étend aux monasteria vel castella vicos pagos parrochias vel abbatias, que ad ipsum pontificem aspicere videntur35 ou bien dans un de Lothaire II de 858, où il est question d’un bénéfice obtenu par son médecin ex abbatia quae Mariculas vocatur36. La seule mention d’une abbatia dans un sens concret non équivoque se trouve dans un diplôme de Lothaire de 849, où il est question d’une abbatia cum suis cellulis pertinentes37 ; encore faudrait-il établir quel sens donner au mot cellula…

31 C’est aussi à l’époque carolingienne qu’apparaissent d’autres occurrences d’abbatia au sens actuel d’abbaye, en particulier dans les actes d’un concile tenu en avril 859 in abbatia sanctorum Geminorum38 et dans les Annales de Saint-Bertin – rédigées par l’évêque de Troyes, Prudence, de 835 à 861, puis, jusqu’en 882, par Hincmar de Reims –,

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qui comportent vingt-sept occurrences du mot abbatia. Mais, la plupart du temps, le contexte suggère qu’il s’agit des charges abbatiales ainsi que du revenu et des terres qui leur sont attachées, comme à l’année 837 dans l’énumération des terres donnée par Louis le Pieux à son fils Charles : omnes videlicet episcopatus, abbatias, comitatus, fiscos et omnia intra predictos fines consistentia39. Dans quatre cas, seulement, le mot est employé dans un sens qui peut être considéré comme synonyme d’abbaye, en particulier pour la première fois à l’année 867, donc de la plume d’Hincmar : Quo patrato negotio, Karolus synodum apud Trecas 8. Kalendas Novembris auctoritate Nicolai papae indicit, et causa venandi ac expendendi a autumnale tempus in abbatia Sancti Vedasti et in Audriaca villa ac circum circa morandi disponit40. En revanche, dans le récit concernant cette même année, on trouve le mot monasterium pour désigner Saint-Denis : Paschas Domini in monasterio sancti Dyonisii celebravit41. Les deux mots semblent donc devenir parfois synonymes.

32 L’évolution du sens du mot abbatia semble donc commencer à l’époque carolingienne, d’abord par un glissement vers le sens de revenus et biens attachés à la charge abbatiale, puis, dans la seconde moitié du IXe siècle, vers le bâtiment et la communauté dont on a la charge et auxquels sont attachés des revenus, l’abbaye.

33 Il conviendrait d’examiner les sources du milieu du IXe jusqu’au XIe siècle pour saisir le rythme ultérieur de cette évolution. Mais c’est une autre histoire…

Conclusion

34 Au terme de cette enquête on peut donc distinguer, tout d’abord, toute une série de termes dont les significations ne semblent pas changer du Ve au IXe siècle : • des termes aux sens voisins et dont la signification et le caractère concret, à la fois architectural et institutionnel, ne posent pas de problème : monasterium et coenobium employés indifféremment par les mêmes auteurs, mais pas par tous ; • des termes polysémiques, cella et cellula, servant à la fois à désigner le contenant et le contenu, le monastère et les pièces s’y trouvant, mais qui peuvent aussi être utilisés dans d’autres contextes pour désigner un oratoire ou/et un tombeau ; • un terme, casa, employé rarement pour désigner un monastère, avec probablement une notion d’humilité.

35 On a repéré également des termes désignant non les bâtiments, mais les hommes (ou femmes) qui y vivent religieusement : congregatio avec un sens institutionnel fort, me semble-t-il, et conventus, au sens institutionnel moins fort, mais promis à un bel avenir au Moyen Âge classique et au-delà.

36 Il existe également des termes pouvant être associés à un monastère, mais ne permettant pas d’en affirmer l’existence : claustrum et xenodochium, qui ne sont quasiment pas employés dans les règles étudiées.

37 Enfin, une place particulière doit être accordée au mot abbatia, qui n’est jamais employé dans les règles étudiées, mais est fréquent dans bien d’autres textes pour désigner non pas le bâtiment, ni la communauté, mais la charge abbatiale assortie, à l’époque carolingienne, de la cession d’une partie des revenus de l’établissement : ceux qui reçoivent alors l’abbatia sont alors le plus souvent des laïcs ou des séculiers et ne vivent que rarement dans l’abbaye. Pour ce terme, on perçoit au IXe siècle une évolution vers le sens plus concret actuel du mot d’abbaye. Il convient donc d’examiner avec attention les contextes historiques et textuels de ces termes, en particulier des mots

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monasterium et abbatia avant de les traduire ou de les utiliser pour caractériser une communauté religieuse ou le bâtiment qui l’abrite.

NOTES

1. Capitulare monasticum, 817, § 69, MGH, Capitularia, 1, éd. A. BORETIUS, Hanovre, 1883, p. 348 : Ut ad capitulum primitus martyrologium legatur et dicatur versus quo silentium solvatur, deinde regula aut homelia quaelibet legatur, novissime « tu autem Domine » dicatur. 2. Ces mots ont été sélectionnés grâce à l’index des volumes de la Topographie chrétienne des cités de la Gaule ; cf. F. PRÉVOT, M. GAILLARD et N. GAUTHIER (éd.), Topographie chrétienne des cités de la Gaule des origines au milieu du VIIIe siècle, t. 16/1 (Quarante ans d’enquête, 1972-2012. Images nouvelles des villes de la Gaule), t. 16/2 (Quarante ans d’enquête, 1972-2012. Christianisation et espace urbain : atlas, tableaux, index), Paris, 2014. 3. Rappelons que jusqu’au IXe siècle, la différence entre les deux styles de vie n’est pas encore véritablement établie, ce qui amena Alcuin († 796) à reconnaître l’existence de communautés du troisième degré : tertius gradus qui hos duos (= inter canonicos et monachos) variatur, intermédiaires entre les chanoines des cathédrales, théoriquement soumis à l’évêque, et les monastères dirigés par des abbés, cf. MGH, Epistolae karolini aevi, II, éd. E. DÜMMLER, Berlin, 1895, p. 416, n° 258. 4. JEAN CASSIEN, Institutions cénobitiques, éd. trad. J.-C. GUY, Paris, 2001 (2e éd.) ; CÉSAIRE D’ARLES, Œuvres monastiques, éd. et trad. A. DE VOGÜÉ et J. COURREAU, Paris, 1988 ; La Règle du Maître, éd. et trad. A. DE VOGÜÉ, 3 vol., Paris, 1964 ; La Règle de saint Benoît, éd. et trad. A. DE VOGÜÉ et J. NEUFVILLE, 6 vol., Paris, 1971 ; Les Règles des saints Pères, éd. et trad. A. DE VOGÜÉ, 2 vol., Paris, 1982 ; Vie des Pères du Jura, éd. et trad. F. MARTINE, Paris, 2004. 5. ARDON, Vie de Benoît d’Aniane, introduction et notes par P. BONNERUE, trad. F. BAUMES (La vie de saint Benoît d’Aniane, par saint Ardon, son disciple, traduite sur le texte même du cartulaire d’Aniane, Paris, 1910) revue et corrigée par A. DE VOGÜÉ, Bégrolles-en-Mauges, 2001. 6. Annales de Saint-Bertin, éd. F. GRAT, J. VIELLIARD et S. CLÉMENCET, Paris, 1964. 7. http://www.dmgh.de/de/fs1/object/display.html?sortIndex=010:020 ; dans l’analyse, il faudra se souvenir du fait qu’il ne s’agit pas seulement de textes écrits à l’époque mérovingienne et du fait que ces volumes contiennent aussi nombre de récits rédigés à l’époque carolingienne. 8. http://www.dmgh.de/de/fs1/object/display.html?sortIndex=030 ; jusqu’à Lothaire II inclus ; mais cette série ne comporte pas les diplômes de Charles le Chauve (Recueil des actes de Charles II le Chauve, roi de France, éd. G. TESSIER, 3 vol., Paris, 1943), ni ceux de Louis le Pieux, pour lequel on ne dispose pas encore d’édition scientifique globale. 9. http://www.dmgh.de/de/fs1/object/display.html?sortIndex=020:040, jusqu’en 829 (tomes 1 à 3) ; il faut, dans l’analyse, tenir compte du fait qu’il a bien davantage de conciles (2 tomes en 3 volumes) édités pour l’époque carolingienne que pour l’époque mérovingienne (1 tome). 10. MIGNE, PL, 104, col. 1068 (BM 632). Un autre diplôme est évoqué pour cette année-là par la chronique de Saint-Martin de Tours : les chanoines (canonici) auraient obtenu de l’empereur le droit d’élire librement leur abbé et le contrôle de l’élection abbatiale par les moines de leur dépendance de Cormery (et quod monachi Cormariacenses non possint eligere abbatem sine consensu canonicorum Sancti Martini Turonensis, inmo sint ei subiecti ; et quod canonici ex se ipsis eligant abbatem suum), cf. MGH, Scriptores, 26, éd. G. WAITZ, Hanovre 1882, p. 460. 11. MIGNE, PL, 104, col. 1214 (BM 909).

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12. TESSIER, Recueil des actes…, op. cit., II, p. 224-226, n° 328. 13. M. MOSTERT, « Les moines à Utrecht au temps de Willibrord », in Les moines dans la ville, éd. Histoire médiévale et archéologie, 7 (1996), p. 33-42 (p. 39‑40). 14. MGH, Scriptores rerum merowingicarum, 2, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, Hanovre/Leipzig, 1937-1951, p. 489. 15. MGH, Scriptores rerum merowingicarum, 4, éd. B. KRUSCH, Hanovre/Leipzig, 1902, p. 202 et 205. 16. Lib. in Glor, § 47, p. 70. 17. Liber Virt. sancti Iuliani, 17, p. 122. 18. La Règle de saint Benoît, 1, p. 440-441 ; la Règle du Maître, 1, 13, p. 332-333. 19. Vita Benedicti Anianensis (BHL 1096), AA SS, Feb. II, col. 612 et 614. 20. Vie des Pères du Jura, § 2, p. 238-239 (cellula peculiaris), § 128, p. 376-377 (cellula peculiaris) et § 173, p. 424-425 (sens plus douteux : cellam, armarium, arcellam nullus illic omnino habuit nunquam). 21. Vie des Pères du Jura, § 37, p. 280-281 et § 39, p. 282-283. 22. CASSIEN, Institutions, II, 2, p. 58-61. 23. La Règle du Maître, 1, 13, p. 332-334. 24. La Règle de saint Benoît, I, p. 438-441. 25. § 2, p. 238-239 et § 128, p 376-377 (claustro peculiaris cellae) ; § 1, p. 238-239 (claustra dans un sens métaphorique) ; § 141, p. 392-393 (claustra au sens de prison). 26. Vita Benedicti Anianensis (BHL 1096), AA SS, Feb. II, col. 614 : claustra nouo opere alia, cum columnis marmoreis quamplurimis, quæ sitæ sunt in porticibus. 27. § 20, p. 538-539 : in conventu tamen omnino breviatur oratio… 28. § 52, p. 296-297 et § 129, p. 378-379. 29. § 28, p. 270-271 et § 170, p. 422-423 (uno cunctos secum xenodochio quiescere fecit). 30. « Testament de Leodebaudus », in M. PROU et A. VIDIER, Recueil des chartes de l’abbaye de Saint- Benoît-sur-Loire, t. 1, Paris, 1907, p. 5. 31. Abbatiae officium (Lib. Vit. Patrum, 3, p. 285). 32. BHL 2825, MGH, Scriptores Rerum merowingicarum, 5, éd. B. KRUSCH, Hanovre/Leipzig, 1910, p. 203 et 206. 33. Les autres occurrences viennent de mentions tardives de diplômes perdus et d’un diplôme faux attribué à Dagobert Ier. 34. Par exemple, dans un diplôme de Pépin le Bref de 752 : honus abbatiae (MGH, Diplomatum Karolinorum, I, éd. E. MÜHLBACHER, Hanovre, 1906, n° 2, p. 4-5). 35. Diplôme de Charlemagne, MGH, Diplomatum Karolinorum, I, éd. E. MÜHLBACHER, Hanovre, 1906, n° 91, p. 231-232. 36. MGH, Diplomatum Karolinorum, III, éd. T. SCHIEFFER, Berlin/Zürich, 1966, n° 8, p. 394-395. 37. MGH, Diplomatum Karolinorum, III, éd. T. SCHIEFFER, Berlin/Zürich, 1966, n°, 107, p. 253-256. 38. MGH, Concilia der Karolingischen Teilreiche 843-859, éd. W. HARTMANN, Hanovre, 1984, p. 433 ; notons, au passage, que cette abbatia n’est sans doute qu’une basilique desservie par des clercs et non un monastère. 39. Éd. GRAT et alii, p. 23. 40. Éd. GRAT et alii, p. 137. 41. Éd. GRAT et alii, p. 135.

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RÉSUMÉS

Cette enquête porte sur un certain nombre de mots (abbatia, casa, cella, cellula, claustrum, coenobium, congregatio, conventum, monasterium, xenodochium) qui sont susceptibles de désigner les communautés religieuses qu’elles soient monastiques ou canoniales. On a pu distinguer toute une série de termes dont les significations ne semblent pas changer du Ve au IXe siècle : des termes aux sens voisins monasterium et coenobium, des termes polysémiques, cella et cellula, servant à la fois à désigner le monastère et les pièces s’y trouvant, un terme employé rarement pour désigner un monastère, casa, avec une notion d’humilité. On a repéré également des termes désignant non les bâtiments mais les hommes (ou femmes) qui y vivent religieusement : congregatio avec un sens institutionnel fort et conventus, au sens institutionnel moins. Il existe également des termes pouvant être associés à un monastère mais ne permettant pas d’en affirmer l’existence, comme claustrum et xenodochium. Enfin une place particulière revient au mot abbatia, qui n’est jamais employé dans les règles étudiées mais est fréquent dans bien d’autres textes pour désigner la charge abbatiale ; pour ce terme, on perçoit au IXe siècle une évolution vers le sens actuel plus concret d’abbaye. Il convient donc d’examiner avec attention les contextes historiques et textuels de ces termes avant de les traduire ou de les utiliser pour caractériser une communauté religieuse ou le bâtiment qui l’abrite.

This study deals with a certain number of words (abbatia, casa, cella, cellula, claustrum, coenobium, congregatio, conventum, monasterium, xenodochium) that refer to religious communities regardless of the fact that they are monasteries or canonical houses. It is possible to distinguish a series of terms whose meanings obviously did not change from the fifth to the ninth century : the semantic field covered by the terms monasterium and coenobium ; polysemic words like cella and cellula, designating not only the monastery, but also its rooms ; casa, a humble term rarely used to describe a monastery. We have also selected some terms which do not designate buildings, but men (or women) who led a religious life in those houses : congregatio with a strong institutional meaning and conventus, with a less institutional sense. There are also words like claustrum and xenodochium which can be associated with a monastery but which do not allow us to affirm the existence of a house. Finally, the term abbatia holds a special place : it is never used according to specific rules but in many texts it generally designates the office of an abbot ; concerning this term, we have observed an evolution, since the ninth century, to the actual and more concrete meaning of abbey. For this reason, it is necessary to examine the historical and textual contexts of these terms carefully, before we translate or use them to characterize a religious community or its building.

INDEX

Mots-clés : monastère, abbaye, communauté religieuse

AUTEUR

MICHÈLE GAILLARD Université de Lille, CNRS, UMR 8529-IRHiS

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Chronologie, diffusion et environnement des villae dans l’Europe médiévale (VIIe-XIIIe siècles) : recherches sur les corpus diplomatiques numérisés

Nicolas Perreaux

1 « Ouvrez les cartulaires, pénétrez dans cette forêt de textes si luxuriante et si touffue, vous retrouverez, malgré l’épaisseur du feuillage et l’entrecroisement des routes, la direction et les traces de cette transformation. » Ainsi s’exprimait Jacques Flach en 1893 dans le second tome de son opus magnum, Les origines de l’ancienne France, au cœur d’un chapitre consacré à la villa1. Les éléments sémantiques relatifs à la spatialisation font, de fait, souvent partie de cette zone d’ombre, vocabulaire commun, sans doute quotidien aux yeux des cartularistes, que l’on considère a priori soit comme purement matériel, soit comme purement idéel, et auquel les philologues ne se sont guère intéressés2. Tous les médiévistes savent pourtant que villa n’est pas un mot rare : la situation est même tout inverse. Une rapide recherche au sein des corpus diplomatiques numérisés permet, en effet, de relever plus de 64 500 occurrences du lemme, ce qui le catégorise de facto comme une des briques essentielles du lexique et de la société alto-médiévale. Il faut toutefois admettre que les mentions le concernant sont souvent laconiques, en particulier celles des textes diplomatiques, empêchant une compréhension directe de cet objet et des phénomènes qui lui sont liés3. Ainsi, en dépit de progrès importants, la diffusion de cette structure territoriale et seigneuriale, tant au plan chronologique que géographique, reste encore méconnue. Dans le cadre du colloque de Baume, la question de la corrélation entre ces structures et d’autres implantations – idéelles ou matérielles, mais ici en particulier monastiques – propres au haut Moyen Âge reste largement en suspens.

2 Face à la relative aridité des mentions documentaires, l’informatique et les corpus numérisés peuvent aujourd’hui nous venir en aide. La mise en ligne d’un nombre

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considérable de textes médiolatins place, en effet, les médiévistes dans une situation inédite, à la fois stimulante – par les résultats qu’elle laisse augurer – et déstabilisante – car les méthodes restent largement à inventer. Cette digitalisation rend possible l’exploration de grands corpus documentaires à des échelles chronologiques et géographiques inédites, favorisant le comparatisme, mais aussi une lecture plus objective des dynamiques lexico-sémantiques, portes de la structure sociale4. Les bases de données diplomatiques, couvrant sans cesse un territoire de plus en plus vaste, se sont ainsi multipliées : Chartae Burgundiae Medi Aevii (CBMA) pour l’actuelle Bourgogne, chartes originales de l’Artem et Chartae Galliae pour l’actuelle France, Codice diplomatico dela Lombardia medievale pour la Lombardie, dMGH pour les diplômes et les espaces germaniques, Deeds Project pour les îles Britanniques, Thesaurus diplomaticus (désormais Diplomata Belgica) pour le nord-est de l’actuelle France et la Belgique, cartulaires de la Fundació Noguera pour la Catalogne, etc.5 Dans le cadre de notre thèse de doctorat6, ces différents ensembles ont été réunis au sein d’un corpus uniformisé, avec pour objectif d’atteindre une couverture documentaire européenne. S’étendant principalement du VIIe au début du XIVe siècle, cette base des Cartae Europaeae Medii Aevi (CEMA) contient à l’heure actuelle environ 140 000 documents, correspondant à 45 millions de mots, essentiellement latins (fig. 1 ci-dessous)7. Les documents narratifs, normatifs et hagiographiques ont ainsi été exclus, afin de se focaliser sur la production diplomatique au sens large, des chartes originales aux cartulaires. Ce choix répond certes au besoin fondamental de poser des limites à l’étude, mais aussi à différentes contraintes techniques : les textes narratifs ne sont, à ce jour, pas constitués en un corpus numérique satisfaisant8, leurs datations restant par ailleurs bien souvent incertaines. En se plaçant à cette échelle, notre contribution souhaite mieux définir l’émergence puis la dislocation d’une formation territoriale, mais aussi réaffirmer le rôle essentiel du comparatisme géographique dans les études médiévales9.

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Fig. 1 – Nombre de documents et densité d’éditions actuellement présentes dans le CEMA (140 000 chartes) [logiciel QGIS, projection Lambert 93]

Trois informations sont présentées : la localisation des corpus, leur densité (isolignes bleues), le nombre d’actes qu’ils contiennent.

3 La villa est un objet idéal pour mener à bien de telles expériences : abondante et même difficilement analysable sans outil numérique10, relativement obscure au plan sémantique de par sa polysémie, elle constitue un champ de recherches particulièrement intéressant afin d’explorer les possibilités offertes par les bases de données11. Ainsi, les comparaisons (géographiques, chronologiques ou sémantiques) à son propos demeurent relativement rares, la documentation du haut Moyen Âge, de par sa distribution spécifique, n’encourageant guère aux systématisations12. Pourtant, « [u]n terme aussi rebattu que villa devrait être reconsidéré à partir de corpus d’actes et de notices traités à l’ordinateur et de confrontation avec les données des polyptyques », écrivait René Noël en 201013. Cette enquête débutera par des remarques d’ordre qualitatives et lexicographiques, avant d’aborder des expériences statistiques visant à dégager une esquisse quantitative de la répartition chrono-géographique de la villa médiévale, ainsi que de son environnement.

Le rythme de la villa : approche qualitative et historiographique

Dans les dictionnaires et glossaires

4 La numérisation des outils de référence bouleverse là aussi nos perspectives : certains glossaires et dictionnaires médiolatins disposent désormais de moteur de recherche plein texte, rendant possible des requêtes complexes. Outre l’entrée qu’il donne pour villa, le dictionnaire de Niermeyer ne manque pas d’occurrences du lemme, avec pas moins de 502 mentions, réparties dans de nombreux articles14. L’entrée principale pour

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le lemme contient une série de sens disparates, souvent contradictoires, dont il est difficile de déterminer la cohérence sémantique. Sont tout d’abord évoqués une « demeure rurale, la maison avec ses annexes et son enclos », puis un « domaine », une « propriété foncière », un « village », un « lieu habité », une « localité », un « village avec des champs, les prés, etc. », un « lieu habité avec son finage ». L’article suggère par la suite « une résidence royale, un palais royal », mentionne aussi la villa comme « agglomération à l’extérieure d’un castrum ou d’une cité épiscopale », puis comme un « château », une « terre défrichée récemment colonisée », ou encore une « ville », voire les « habitants d’un village ou d’une ville ». Malgré cette confusion en partie inhérente à la documentation elle-même, quatre sens principaux émergent de cette définition : 1. Une habitation de taille importante15 ; 2. Une communauté d’installés16, un castrum, voire ses habitants ; 3. Une ville ou une agglomération de forte taille17 ; 4. Un territoire/ domaine sur lequel s’exerce un pouvoir18.

5 C’est d’ailleurs sensiblement ce même découpage que nous retrouvons dans le Glossarium Du Cange, avec un total de dix-sept entrées consacrées à villa19. Plus raisonné que le Niermeyer, le glossaire débute par une longue définition, ordonnée chronologiquement. Il commence par donner ce qu’il estime être deux traductions : « Villa. Civitas, Gallis ville », puis, dans le cas où villa vient remplacer vicus, « de façon abusive20 », propose de traduire villa par « village ». Un peu plus loin, Du Cange donne une définition plus complexe du terme : « complurium in agris mansionum vel ædium collectionem appellamus21 », impliquant à la fois un territoire et des bâtiments. Par la suite, tout comme Niermeyer, il insiste sur la villa en tant qu’habitation, évoque le problème de la villa domaniale, et mentionne à son propos différents textes carolingiens. Il relie, pour finir, plusieurs fois le terme au fisc, avec des entrées telles que « villae fiscales », au problème du statut de ce territoire, avec « villa franca » et « villae publicae ». Si la sémantique du lemme n’apparaît pas clairement, la méthode du Glossarium, revenant à mentionner les contextes d’usages plutôt qu’une série de définitions au sens strict, se révèle plus éclairante. Elle fait ainsi émerger une part de l’environnement du lemme, en insistant sur sa dimension spatiale et domaniale.

Dans l’historiographie francophone (fin du XIXe-début du XXIe siècle)

6 Ces multiples entrées laissent toutefois un goût d’inachevé, qui pourrait d’ailleurs expliquer les difficultés qu’éprouvent aujourd’hui encore les médiévistes à définir l’extension, tant territoriale que chronologique, de la villa. Elles ne nous informent guère sur son environnement social et spatial, lui-même probablement variable d’un espace à l’autre – des points que renseignent aujourd’hui encore essentiellement les études circonscrites à un territoire précis22. À la suite d’Étienne Renard23, il s’agissait donc de se pencher vers l’historiographie, en se focalisant non pas sur la sémantique du terme24, mais plutôt vers les éléments évoquant son environnement et sa diffusion à partir de travaux clés.

7 Sur ce thème, l’historiographie semble de prime abord abondante, les plus anciennes études évoquant le « rythme » de la villa en tant que structure remontant au XIXe siècle 25. En langue française, ce sont Jacques Flach [1846-1919] et Henri d’Arbois de Jubainville [1827-1910] qui font paraître les premiers articles scientifiques intégralement consacrés à la question26. Il faut toutefois compter avec Numa Denis Fustel de Coulanges [1830-1889], qui consacre l’intégralité du quatrième tome de son

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Histoire des institutions politiques de l’ancienne France (1870-1889) au système domanial, en particulier à « l’alleu » et à la villa27. Une lecture attentive de son ouvrage fait apparaître l’aspect radical et novateur de plusieurs de ses propositions28 : 1. La villa était, selon Fustel, une entité largement stable, dans son « étendue » et ses « limites », du IVe au IXe siècle ; 2. Elle existait antérieurement à la période mérovingienne, et n’était pas liée aux invasions germaniques ; 3. Les villae formaient un maillage dans lequel entraient toutes les terres ; 4. Pour la période franque, il n’existait pas (ou peu) de « communautés rurales » ou de « villages » semblables à ceux de la fin de l’Ancien Régime – l’auteur parle de « communauté agraire » ou de « communauté de village »29 : la villa était avant tout un domaine, et plus encore une structure spatiale30. Si certaines de ces propositions sont aujourd’hui révisées par l’historiographie31, on peut se demander dans quelle mesure des analyses statistiques confirmeraient ou infirmeraient les hypothèses de Fustel. Son approche permet, en effet, de poser différentes questions, aujourd’hui encore fondamentales, relatives à l’essor et à la diffusion de ces structures spatiales : celle des liens entre la villa antique et la villa alto-médiévale, celle de la polysémie du terme, celle des transformations médiévales dans et autour des villae, celle de leur croissance et de leur déclin.

8 Un autre auteur clé du débat est Jacques Flach. Dans son opus magnum, Flach s’oppose à Fustel et défend l’hypothèse de l’existence de communautés d’installés, regroupés dès le haut Moyen Âge, tout en soutenant l’idée d’un développement progressif des villae. Il refuse toutefois d’associer villa et « village », tout comme son prédécesseur 32. L’auteur reste néanmoins incertain sur le rythme de ce mouvement, imputable selon lui à la succession d’une phase de « concentration de la propriété » puis une autre de « dispersion »33, orchestrées par les dominants laïcs ou ecclésiastiques. Bien qu’aucune chronologie précise n’émerge de l’ouvrage, on comprend que Flach plaide pour un développement de la villa entre le VIIe et le IXe siècle. Il impute, en revanche, la disparition de ces structures aux invasions, responsable d’un « afflux vers les lieux fortifiés34 » et d’une « nouvelle répartition des terres35 ». À partir de ce moment, la villa n’aurait plus été un domaine, mais une « circonscription rurale », une « potestas », voire « un locus, un vicus » : autrement dit, « une division seigneuriale36 » – même si Flach souligne que le rythme de cette conversion fut variable d’un espace à l’autre37.

9 Malgré leurs divergences, ces deux premiers auteurs permettent de comprendre combien les liens entre communautés d’habités structurées et villa sont complexes. Ils montrent qu’une chronologie des villae – aussi bien lorsque le terme indique un grand domaine que lorsqu’il désigne une circonscription – telle que nous souhaitons l’établir ne renseigne pas directement sur les « villages », sans que les liens entre ces deux structures soient inexistants.

10 En 1931, Marc Bloch [1886-9144] propose lui aussi une lecture du phénomène, dans Les caractères originaux de l’histoire rurale française38. Si sa définition du terme est plutôt précise39, la chronologie de son développement reste là aussi extrêmement vague : « Diverses considérations cependant nous inclinent à voir, dans la seigneurie médiévale, la suite directe d’usages remontant à une époque très reculée, celtique pour le moins40. » Quelques années après lui, Charles-Edmond Perrin [1887-1974] fait paraître ses cours consacrés à La seigneurie rurale en France et en Allemagne41. Pour ce dernier, il ne fait aucun doute que la « villa carolingienne prolonge la villa gallo-romaine 42 ». Il reconnaît, néanmoins, que « la pénétration de ce système d’exploitation dans l’ancienne Germanie, qui à l’origine l’ignorait totalement, pose des problèmes

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délicats », tout en affirmant que « le régime de la grande propriété et le système de l’exploitation domaniale sont largement répandus » dans cet espace, au IXe siècle43. Perrin introduit ainsi la question de la variabilité de la diffusion chrono-géographique des villae, qu’il développe dans l’ensemble de ses cours d’histoire comparée, sans toutefois vraiment élucider la question du rythme.

11 Cette question de la continuité entre villa antique et villa médiévale, ne sera ainsi tranchée qu’en 1965-1966 par Adriaan Verhulst [1929-2002], qui réaffirme ses positions en 198344 – sans d’ailleurs convaincre l’ensemble des médiévistes à ce jour 45. Son analyse est toutefois centrée sur la question du domaine et non exclusivement sur la villa. Rappelons seulement que l’auteur défend l’idée d’un « grand domaine biparti » limité dans le temps et dans l’espace46, dont le développement serait essentiellement lié aux royautés mérovingiennes et carolingiennes, mais aussi aux initiatives ecclésiales et aristocratiques47, « sans continuité avec l’organisation du fundus gallo-romain48 ». Cette hypothèse semble avoir été adoptée par une large part de l’historiographie par la suite49.

12 Il y a cependant là une difficulté de taille : tandis que la chronologie du grand domaine émergeait progressivement des études médiévales50, celle de la villa restait plus hypothétique, cette dernière étant parfois assimilée au grand domaine lui-même, d’autres fois à une circonscription aux contours incertains. Or, cette dissociation entre la villa et le « domaine foncier biparti » a depuis été confirmée par l’historiographie, en particulier (mais pas seulement) méridionale51. Ainsi, si la chrono-géographie du grand domaine est mieux connue depuis les années 1960, ces rappels historiographiques montrent que la villa a tantôt été assimilée à celui-ci – et n’a donc pas fait l’objet d’une attention particulière –, tantôt en a été dissociée – sans que sa chronologie ne s’en voit précisée52. Plutôt que d’essayer de déterminer les liens entre les trois entités autour desquels gravite une large part de cette historiographie – villa, « village » et « grand domaine » –, notre approche consistera donc à s’intéresser en premier lieu aux occurrences de la villa, seul concept médiéval de la triade – renvoyant par ailleurs à différents objets matériels –, puis de tenter d’en déterminer les interactions avec nos concepts contemporains, en conclusion.

Éléments de chronologie

À l’échelle régionale, en Bourgogne

13 Avant d’entreprendre des analyses à l’échelle globale, il paraissait prudent de tester les méthodes numériques à l’échelle régionale. Par chance, l’actuelle Bourgogne possède le quadruple avantage de fournir une documentation extrêmement dense, distribuée sur un espace ancien hétérogène, presque intégralement numérisée grâce à l’équipe du projet CBMA, ainsi qu’une historiographie riche sur cette question de la villa53. Ce sont donc des éléments techniques et historiographiques qui guident notre choix initial pour la région, mais aussi la densité et la variété de sa documentation diplomatique – qui invitent au comparatisme. L’actuelle région, qui est évidemment une construction récente, couvre ainsi, au moins partiellement, sept diocèses médiévaux. Plutôt que d’y voir une faiblesse, cette dimension composite du corpus « régional » permet de révéler la variabilité chronologique de la structure « villa » au sein d’un cadre relativement restreint54.

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14 Dans son ouvrage sur Les origines du duché de Bourgogne55, Maurice Chaume [1888-1946] opte pour une chronologie haute : la villa deviendrait synonyme de curtis dès le IVe siècle, désignant alors « tout regroupement de travailleurs agricoles installé autour d’une résidence seigneuriale et à l’intérieur d’une enceinte, mur de pierre, levée de terre ou simple haie56 ». L’auteur reste prudent sur le lien entre villae et « villages », y compris pour la période carolingienne, indiquant que ces dernières peuvent aussi bien être un « domaine rural » qu’un « bâtiment isolé »57. Chaume relie la villa aux chapelles ainsi qu’aux églises, affirmant qu’« aux temps mérovingiens » celles-ci constituent « l’annexe obligatoire d’une résidence seigneuriale, à tel point que l’on peut affirmer presque sans crainte d’erreur que toute villa dépourvue de sanctuaire est une villa de second ordre, où le maître ne réside jamais »58. Dans le cadre du présent volume, une telle hypothèse est particulièrement intéressante. L’auteur donne par ailleurs des éléments de chronologie : en Bourgogne, la villa aurait connu un large déclin dès la seconde moitié du IXe siècle59.

15 Plus d’un demi-siècle après lui, l’article de François Bange reprend intégralement la question de la villa en Bourgogne, à partir du cas du Mâconnais60. Il insiste sur son rôle en tant qu’élément s’insérant dans une structure territoriale tripartite, articulant pagus, ager et villa. Il donne ainsi une définition précise du terme : « Dans nos régions, le terme villa ne désigne donc pas, dans le cas général, un latifundium organisé selon le modèle domanial classique. C’est, au contraire, une cellule territoriale [souligné par nous] dont le sol est réparti entre une série de maîtres de la terre et des hommes, personnages situés dans un large secteur de l’échelle sociale [...]61. » L’auteur note que, pour la zone étudiée, le réseau des villae incorpore la presque totalité des territoires mentionnés dans les actes62. L’originalité du propos de Bange nous semble toutefois résider dans le lien qu’il suggère entre cette cellule territoriale et l’organisation parentélaire63. Or, c’est précisément cette hypothèse qui lui permet de rejeter celle d’un lien entre la villa antique et la villa médiévale, cette dernière étant fondée selon lui sur des relations de parentés spécifiquement médiévales, car spirituelles64.

16 Récemment, Olivier Bruand est revenu sur la question de la villa en Autunois65. Après un examen attentif des documents disponibles pour cette zone, il critique le modèle de la « villa domaniale », contrôlée par un seigneur unique 66, rejoignant en cela la lecture proposée par Alain Guerreau en 198067. L’auteur ne donne toutefois pas d’indication quant à l’émergence de la villa, la documentation autunoise l’en empêchant de par sa distribution même. Il note que la villa est avant tout une « structure d’encadrement, un lieu de pouvoir et d’autorité » et que « [l]e grand domaine au sens carolingien n’existe pas à proprement parler en Autunois68 ». Ainsi, c’est la villa qui constituait, pour cette zone et pour cette période, la cellule spatiale fondamentale.

17 Comment l’analyse systématique des documents s’ajuste-t-elle avec ces multiples hypothèses, bourguignonnes et globales ? Avant de passer à l’analyse proprement sémantique (environnement du lemme), nous avons choisi d’étudier les pics de mentions de villae. Aussi bien en Bourgogne que dans l’ensemble de l’Europe, la chronologie du terme est souvent présentée de façon contradictoire par l’historiographie, ne permettant pas véritablement de trancher entre une persistance antique, un développement mérovingien ou carolingien, voire plus tardif. Plutôt que de retenir un cadre d’analyse fixe, nous avons choisi de varier les échelles, afin de mieux mettre en lumière les similarités et les divergences chrono-géographiques. Tous les historiens savent pourtant qu’une difficulté émerge dès qu’il s’agit de comparer les

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occurrences d’un terme dans différentes périodes et dans différentes zones : l’inégale production documentaire biaise alors la lecture des phénomènes fréquentiels. Afin de contourner ce biais, nous avons choisi de mettre en œuvre une technique suggérée par Alain Guerreau69. Elle consiste à diviser le(s) corpus à analyser en tranches documentaires contenant un nombre de mots équivalent, ceci afin d’être certain de comparer la hausse et la baisse du nombre d’occurrences et non simplement celle des documents. Depuis 2015, cette méthode est applicable en « temps réel » sur des corpus documentaires latins, grâce à une série d’algorithmes intégrés au script Cooc70. Profitant des paramètres développés dans le cadre de l’ANR OMNIA, la totalité du CEMA a pu être lemmatisée, ce qui facilite particulièrement les recherches de ce type71.

18 La documentation diplomatique clunisienne a été retenue comme premier point de test72. Elle offre de nombreux avantages, bien connus de l’historiographie, en particulier sa richesse pour les Xe-XIIe siècles73. Sur la totalité du corpus, plus de 6 050 occurrences du lemme ont été décomptées. Cela classe villa parmi les vocables très fréquents, tout en sachant que dans le même corpus ecclesia est représenté 5 382 fois, sanctus 9 574 fois et dominus 7 769 fois. Afin de pouvoir comparer Cluny à d’autres ensembles documentaires de moindre taille dans la suite de l’article, le corpus (plus 1,3 million de mots) a été divisé en cinquante-deux tranches74 – chacune comprenant donc environ 25 800 mots. Un graphique de l’évolution des mentions du lemme relativement précis est ainsi obtenu (fig. 2 et 3).

Fig. 2 – Occurrences du lemme villa dans la documentation diplomatique clunisienne, Xe-XIIIe siècle

Chaque tranche chronologique (52) contient environ 25 800 mots.

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Fig. 3 – Occurrences du lemme villa dans la documentation diplomatique clunisienne, fin IXe-début du XIe siècle

Chaque tranche chronologique (40) contient environ 16 000 mots75.

19 Plusieurs observations sont ici possibles. En premier lieu, les mentions de villae ne sont pas sensiblement plus fréquentes avant qu’après la fondation de l’abbaye (en 909/910, cf. fig. 3). Lors d’une phase initiale, qui s’étend de la fin du IXe au début du XIe siècle (fig. 2), le lemme est ainsi omniprésent, bien qu’un pic soit atteint vers 980-990 (fig. 2 et 3). En ce qui concerne la villa, l’abbaye s’est donc insérée dans un cadre spatial ancien, qu’elle n’a, dans un premier temps, pas déstructuré. Une fois l’an Mil passé, vers 1020-1030, la courbe entre toutefois dans une seconde phase, où les mentions de villae chutent brutalement. Villa étant l’un des termes les plus fréquents de la période antérieure, on peut légitimement penser qu’il s’opère là un tournant décisif, du moins autour de l’abbaye. Vers 1080, ce mouvement se stabilise progressivement, alors que la villa « clunisienne » entre dans une dernière phase. Lors de celle-ci, les mentions du lemme sont basses, en particulier au cours de la période 1120-1180, mais aussi relativement stables. Au milieu du XIIe siècle, les occurrences du lemme sont en effet près de huit fois moins fréquentes qu’au moment de leur maximum, lors du dernier tiers du Xe siècle76. Seul un sursaut au tournant du XIIIe siècle indique un intérêt renouvelé pour le terme, dont le sens a alors très probablement évolué. Tout au long de la chronologie, c’est le nominatif villa qui domine, loin devant l’accusatif villam, qui reste rare, sauf à deux moments remarquables : au début de la chronologie – avant la fondation de l’abbaye donc – et au moment où le lemme connaît un dernier regain d’intérêt, au tournant du XIIIe siècle. Remarquons en outre que le lemme pagus connaît une destinée très proche (fig. 4), toujours à Cluny, avec une courbe des mentions relativement similaire77.

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Fig. 4 – Occurrences du lemme pagus dans la documentation diplomatique clunisienne, Xe-XIIIe siècle

Chaque tranche chronologique (52) contient environ 25 800 mots.

20 Une analyse identique, menée cette fois sur les documents issus du cartulaire de Saint- Vincent de Mâcon, présente des résultats comparables à ceux de Cluny (fig. 5). La relative abondance de documents pour les VIIIe et IXe siècles permet néanmoins d’affiner la tendance, qui devait donc être plus ou moins similaire pour l’ensemble du Mâconnais. Soit, tout d’abord, une augmentation assez forte des mentions de villae entre le VIIe et le second tiers du IXe siècle (vers 870), suivie d’une période où les occurrences sont stables et hautes (entre 870 et 1020-1030), interrompues par une chute brutale, qui stoppe à son tour entre 1080 et 1120.

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Fig. 5 – Occurrences du lemme villa dans le Cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon, VIIIe-XIIIe siècle

Chaque tranche chronologique (30) contient environ 3 500 mots.

21 Dans un second temps, la méthode a été étendue à l’ensemble de la documentation disponible pour la Bourgogne, grâce au corpus des CBMA. Disposant d’une série documentaire plus dense, à la fois au plan chronologique et géographique, 125 paquets chronologiques ont été réalisés, contenant chacun environ 25 800 mots. Le graphique est ainsi comparable aux figures 2 et 3 pour Cluny (fig. 6).

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Fig. 6 – Occurrences du lemme villa dans la base des CBMA, VIIe-XIIIe siècle

Chaque tranche chronologique (125) contient environ 25 800 mots.

22 À cette échelle, bien que la documentation du Mâconnais influence notablement les résultats, des éléments systématiques peuvent être relevés : 1. Une augmentation franche des mentions entre le début du IXe siècle et 860-870 ; 2. Une relative stabilité entre 870 et 1020 ; 3. Une forte chute entre 1020 et 1150 ; 4. Une reprise faible entre 1150 et 1220. Toutefois, les résultats pour les VIIe-IXe siècles restent flous à cette échelle : la constitution de paquets de 25 800 mots impose, en effet, de retenir une chronologie trop large, avec une seule tranche pour le VIIe siècle (fig. 6, à gauche). Il s’agissait donc de réaliser une étude plus fine, en se focalisant sur les premiers siècles de notre analyse (fig. 7).

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Fig. 7 – Occurrences du lemme villa dans la base des CBMA, VIIe-début du Xe siècle

Chaque tranche chronologique (125) contient environ 5 000 mots.

23 Cette dernière figure (fig. 7) fait émerger un doute quant à la représentativité de la chronologie mise à jour, au-delà du Mâconnais. Considérant la Bourgogne dans son ensemble, nous constatons, en effet, que les mentions de villae sont déjà relativement élevées dans la rare documentation des VIe-VIIe siècles conservée. Ces occurrences augmentent en outre fortement aux VIIIe et IXe siècles, dans des proportions qui n’étaient pas nécessairement visibles à Saint-Vincent de Mâcon. Un tel résultat donne à penser que la chronologie de la villa était différente dans le reste de la Bourgogne, c’est- à-dire dans la zone septentrionale.

24 N’ayant la possibilité de comparer le phénomène clunisien qu’à peu de choses au sein de la zone, nous avons donc choisi d’observer l’évolution de villa dans le Cartulaire général de l’Yonne – qui contient plus de 1 600 documents répartis en trois volumes, et 953 mentions du lemme villa. Afin de pouvoir rapprocher ces résultats de ceux obtenus pour Cluny, le cartulaire (factice) de l’Yonne a été divisé en quinze paquets documentaires, contenant chacun environ 25 730 mots – soit seulement 0,3 % de mots en moins que les paquets pour Cluny (fig. 8).

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Fig. 8 – Occurrences du lemme villa dans le Cartulaire général de l’Yonne, VIIIe-XIIIe siècle

Chaque tranche chronologique (15) contient environ 25 800 mots.

25 Il apparaît ainsi une chronologie pour la Bourgogne septentrionale largement différente de celle observée pour le Mâconnais. Les mentions chutent avant même le Xe siècle et sont ainsi au plus haut dans les périodes antérieures, a minima à la fin du IXe siècle – sans que nous puissions en dire plus concernant les VIIe-IXe siècles, à cause de la rareté de la documentation disponible. Le regain d’intérêt pour le terme au tournant du XIIIe siècle est toutefois là aussi notable. Cette variabilité, bien que fondée sur l’analyse de seulement trois corpus – Cluny, Saint-Vincent de Mâcon et le Cartulaire général de l’Yonne –, plaide pour une disparition très variable des villae, en fonction de conditions sociales liées à des géographies distinctes78.

Dans les actes originaux de l’actuelle France

26 Poursuivons et réalisons maintenant la même expérience à une échelle plus vaste, celle de l’actuelle France, grâce à la base des originaux de l’Artem79. Par sa nature et son extension, le corpus permet, en effet, de contrôler les hypothétiques biais générés par la cartularisation, tout en favorisant le comparatisme géohistorique sur un territoire relativement vaste80. Il constitue à ce titre un ensemble absolument unique à ce jour, très précieux pour les enquêtes (e)-lexicographiques. Afin d’obtenir des résultats comparables à Cluny (fig. 2 et 4), au Cartulaire général de l’Yonne (fig. 8) ou encore aux CBMA dans leur ensemble (fig. 6), ce corpus a été subdivisé en 77 tranches chronologiques, contenant environ 25 900 mots – soit 0,4 % de plus que pour Cluny. Cette première approche permet d’obtenir une vue globale de l’évolution de lemme, mais demande une seconde analyse (fig. 10 et 11), à l’échelle du haut Moyen Âge, afin de préciser la tendance.

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Fig. 9 – Occurrences du lemme villa dans le corpus des originaux (Artem), VIIe-début du XIIe siècle

Chaque tranche chronologique (77) contient environ 25 900 mots.

Fig. 10 – Occurrences du lemme villa dans le corpus des originaux (Artem), VIIe-IXe siècle

Chaque tranche chronologique (15) contient environ 16 666 mots.

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Fig. 11 – Occurrences du lemme villa dans le corpus des originaux (Artem), VIIe-VIIIe siècles

Chaque tranche chronologique (15) contient environ 4 866 mots.

27 Le pic de mention se situe alors peu avant l’an Mil (fig. 9). À cette échelle, il est donc plus précoce qu’en Mâconnais – mais aussi moins intense –, le maximum des occurrences étant atteint dans les années 850-880. Le second graphe (fig. 10) permet de préciser cette tendance, en montrant que les mentions s’envolent au début de la seconde moitié du IXe siècle, alors qu’elles étaient – autant que nous puissions le dire à partir de cette documentation relativement éparse – moyennes entre le VIIe et le milieu du IXe siècle (fig. 9). S’il paraît de prime abord délicat d’interpréter le pic visible sur la figure 10 pour la fin du VIIe et le début du VIIIe siècle, une analyse plus précise (fig. 11) montre qu’il ne s’agit pas d’un artefact numérique. Mieux encore, il semble que ce moment corresponde à la première diffusion importante du lemme villa, à l’échelle de tous les originaux de l’actuelle France. Or, cette période est identifiée comme un temps de rupture pour le système mérovingien, puisque la mort de Dagobert, intervenue en janvier 639, marque pour l’historiographie une forme de « déclin » systémique81. L’afflux des mentions cesse en outre largement à partir du principat de Pépin d’Héristal, en 687, celles-ci reprenant (plus faiblement) au milieu du VIIIe siècle, alors que Pépin le Bref accède à la royauté (751). S’agit-il de pures coïncidences ou de biais documentaires ? Nous pensons au contraire que les évolutions du lemme sont liées à certaines réorganisations sociospatiales, imputables aux mouvements d’une aristocratie en pleine recomposition – bien qu’il s’agisse à ce stade d’une simple hypothèse82. Cette dernière paraît toutefois renforcée par la figure 10, sur laquelle on remarque une nette reprise des mentions de villae vers 840-850 – alors que le monde carolingien se trouve en prise à de graves difficultés, depuis les années trente du IXe siècle. En première hypothèse, il semble donc que le développement des villae, pour le

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haut Moyen Âge, soit plus lié aux tensions générées par l’affaiblissement de certaines factions de la haute aristocratie, au profit d’autres groupes sociaux83, qu’à la royauté mérovingienne ou carolingienne elle-même. En dehors du pic situé au milieu du IXe siècle, les mentions du lemme sont relativement stables et élevées entre 800 et 1020, date à laquelle elles s’effondrent brutalement (fig. 9).

28 Là encore, la documentation clunisienne joue sans doute un rôle prépondérant dans la structure des graphiques et une enquête complémentaire sur les originaux, excluant ce corpus, serait certainement utile. Tout en reconnaissant la non-représentativité de ce fonds à l’échelle européenne, nous pouvons néanmoins le considérer comme un « moment » et, en ce sens, un révélateur. En 1980, puis en 2013, Alain Guerreau avait déjà insisté sur l’impact de la position géographique de Cluny dans la dynamique sociale autour de l’abbaye, éloignée de « tout pouvoir féodal fort84 ». Nous retrouvons là une hypothèse proposée dans le paragraphe précédent pour les VIIe-IXe siècles concernant les liens entre floraison de villae, pouvoirs centralisateurs affaiblis et réorganisation sociale. Il faut enfin remarquer que le pic des mentions de villae, à l’échelle de l’Artem, est un peu plus faible que dans le corpus clunisien seul : au maximum, les calculs indiquent un peu plus de 150 mentions par paquet (fig. 9), contre des pics à plus de 200 pour Cluny (fig. 2).

Analyses chrono-géographiques et sémantiques

Diffusion et disparition des villae en Europe

29 Fort de ces premières hypothèses sur le rythme de la villa dans les textes, il s’agissait d’étendre nos investigations à l’échelle européenne. Plusieurs analyses ont là encore été réalisées, sur l’ensemble du corpus – CEMA, environ 140 000 chartes –, puis sur les sous-ensembles qu’il contient, dans une perspective d’histoire comparée.

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Fig. 12 – Occurrences du lemme villa dans le CEMA, VIIe-XIIIe siècle

Chaque tranche chronologique (70) contient environ 608 550 mots.

Fig. 13 – Occurrences du lemme villa dans le CEMA, VIe-début du IXe siècle

Chaque tranche chronologique (40) contient environ 24 750 mots.

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30 Cette perspective globale renforce les hypothèses précédemment évoquées : la villa, tout en constituant une structure remontant au très haut Moyen Âge, connaît un bond spectaculaire aux IXe-Xe siècles, hors des royautés mérovingiennes et carolingiennes les plus marquantes (fig. 12). La chute des mentions est située grosso modo au même moment que pour les précédent(e)s corpus/échelles, c’est-à-dire au tournant des Xe et XIe siècles. Passée cette période, les occurrences ne cessent de diminuer, contrairement à ce que nous avions observé précédemment pour certains corpus – Cluny, Cartulaire général de l’Yonne : fig. 2, 6 et 8. La division du corpus en tranches contenant 28 500 mots, soit des ensembles comparables à ceux réalisés pour Cluny (fig. 2), montre toutefois les pics du lemme atteignent rarement plus de deux cents mentions par paquet – indiquant par-là que le nombre de mentions de villae à Cluny et en Mâconnais est remarquable, et ceci à l’échelle européenne.

31 L’analyse portant plus spécifiquement sur le haut Moyen Âge (fig. 13) montre, par ailleurs, une répartition proche de celle observée à partir des originaux85. Tout d’abord, il existe une forte poussée du lemme villa au VIIe siècle, plus précisément entre 640 et 700, où les occurrences atteignent un premier maximum. S’ensuit un creux, entre 700 et 750, là encore comme dans le cas des originaux, puis une remontée qui mène, en dépit d’oscillations, vers le maximum des IXe-Xe siècles.

32 Ces résultats sont-ils extensibles à toutes les zones incluses dans l’analyse ? Qu’en est-il au-delà du cas bourguignon ? Afin de répondre à ces questions, une nouvelle formalisation a été appliquée au corpus, consistant à diviser l’ensemble des régions en tranches documentaires égales, ceci afin de produire des résultats comparables pour toutes les zones. Cette opération est plus complexe, car elle suppose une superposition des données d’analyses, seulement possible si les plus grands ensembles régionaux sont divisés en de nombreux paquets. Afin d’établir des paquets comprenant tous (environ) 11 800 mots, il a fallu diviser le corpus pour les espaces germaniques en 272 tranches, celui du Mâconnais en 146, celui de l’Île-de-France en 77, ou encore celui de la Provence en 24. La méthode permet d’obtenir des paquets égaux et donc des effectifs comparables pour la période allant du IXe au tout début du XIVe siècle. Des graphes ont ainsi été générés pour tous les ensembles régionaux du CEMA comprenant un nombre d’actes élevé, puis superposés les uns aux autres grâce à un logiciel de traitement d’images (fig. 14).

33 Afin de compléter ces graphiques, un tableau résumant les valeurs médianes des occurrences de villa par paquet pour chaque demi-siècle et région est donné (fig. 15). Il est alors possible de réaliser une analyse en composantes principales (= ACP) sur ce tableau (fig. 16), dont les résultats sont finalement traités par un clustering hiérarchique (fig. 17). L’ensemble de l’opération permet de faire émerger des groupes zonaux, complémentaires de ceux observables à partir de la seule figure 14.

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Fig. 14 – Occurrences du lemme villa dans le CEMA, IXe-début du XIVe siècle

Chaque tranche chronologique (nombre variable, en fonction des zones) contient environ 11 800 mots. Le graphe en haut à gauche résume toutes les données. Pour plus de clarté, l’information a été divisée en trois autres graphiques, statistiquement identiques, mais plus lisibles.

Fig. 15 – Médiane des occurrences de villa dans les paquets, par demi-siècle et par zone

Surligné en rouge : les valeurs maximales pour une région donnée. Les valeurs grisées sont initialement manquantes et ont été imputées à partir des plus proches voisins.

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Fig. 16 – Analyse en composantes principales (fonction PCA, FactomineR | R) du tableau précédent, axes 1-3 (plus de 73 % de l’information résumée)

Fig. 17 – Clustering sur l’analyse en composantes principales issue du tableau (fig. 15, ensemble des axes, fonction HCPC, FactomineR | R)

Les regroupements finaux ont été réalisés manuellement.

34 L’ensemble de ces graphiques permet de mettre au jour un schéma chrono- géographique de la dynamique et de l’intensité du lemme villa, beaucoup plus précis que ceux donnés jusqu’ici. Plusieurs observations s’imposent : tout d’abord, l’importance du terme est très variable d’un espace à l’autre (fig. 14). Alors que la villa est omniprésente en Mâconnais, en Auvergne ou en Poitou, elle est très rare en Italie ou en Catalogne. Ensuite, bien que le schéma majoritaire corresponde à une chute entre le

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Xe et le XIIe siècle, les pics de mentions sont atteints à des moments forts différents : au moins dès le IXe siècle dans les espaces ligériens, en Languedoc, en Provence ou en Bade-Wurtemberg, au Xe siècle en Poitou, en Mâconnais et plus généralement dans la France médiane. L’observation des résultats permet de dégager le schéma suivant.

35 1. C’est en Mâconnais, dans le nord de la région Rhône-Alpes, en Poitou, voire en Auvergne et dans les espaces ligériens – pour ces derniers, avant la seconde moitié du IXe siècle –, que l’on rencontre le plus d’occurrences de villa (fig. 14-17). Ces espaces se placent en haut à droite sur l’APC (fig. 16). Ils correspondent ainsi à la zone médiane de l’actuelle France et ne sont pas classiquement désignés par l’historiographie comme le lieu privilégié de la villa. Le Mâconnais – Cluny, Saint-Vincent de Mâcon, Beaulieu, Perrecy-les-Forges, etc. –, le nord de la région Rhône-Alpes – Savigny, Ainay, Saint- André-le-Bas de Vienne – et le Poitou-Limousin – Le Vigeois, Saint-Maixent et Saint- Cyprien, Beaulieu, Angoulême, Saintes, Baignes, etc. – se dégagent plus fortement, avec les pics les plus intenses, mais aussi une chronologie centrée sur le Xe siècle. En Auvergne et sur ses marges – Sauxillanges, Brioude, Conques, Moissac, etc. –, les occurrences paraissent toutefois disparaître plus rapidement, tout comme dans les espaces ligériens (Saint-Aubin d’Angers, Marmoutier)86. La structure villa semble jouer ici un rôle déterminant.

36 2. L’Île-de-France, le nord de l’actuelle Bourgogne, une partie de la Champagne, la Normandie, le nord de l’actuelle France et la Belgique possèdent aussi un nombre d’occurrences de villae très élevé. Ces zones sont regroupées en bas à droite sur l’ACP – fig. 16, voir aussi les fig. 14, 15, 17 et 18, où l’on note que le second cluster est constitué des trois zones. Les occurrences sont là essentiellement réparties sur les IXe et Xe siècles. C’est en plaine d’Île-de-France et dans le nord de la Bourgogne – Saint-Martin-des- Champs, Sainte-Croix d’Orléans, Saint-Martin et Hôtel-Dieu de Pontoise, Saint-Benoît- sur-Loire, Cartulaire général de l’Yonne, etc. – qu’elles disparaissent le plus rapidement, avec une chute dès le milieu du Xe siècle, tandis qu’elles résistent mieux en Normandie, où la baisse la plus forte a lieu dans la seconde moitié du XIe siècle.

37 3. En Provence – Saint-Victor de Marseille, Montmajour, évêché d’Orange, etc. –, Languedoc – Aniane, Auch, Montauban, Vabres, Lézat, cartulaire des Trencavel, etc. – et Bade-Wurtemberg (Württembergisches Urkundenbuch), qui constituent le quatrième « cluster » de la figure 17 et le groupe central de l’ACP (fig. 16), les occurrences sont moyennes. Dans les trois cas, la chute des mentions intervient très tôt (fig. 14), soit dès le milieu du IXe siècle (Bade-Wurtemberg), soit au début du Xe siècle (Provence, Languedoc). Le rôle de la villa dans ces espaces paraît ainsi plus nuancé que dans les groupes (1 et 2).

38 4. Le quatrième groupe est très composite, puisque dans ces espaces les occurrences de la villa sont faibles – ce qui rend la détermination d’un profil géographique délicat. C’est le cas du groupe « Espaces germaniques » – qui regroupe toutes les chartes numérisées pour cette zone –, mais aussi de façon plus surprenante pour les diplômes des Monumenta Germaniae Historica87. Au Xe siècle, les occurrences du lemme sont (en moyenne) respectivement cinq et six fois plus nombreuses en Mâconnais et en Poitou que dans les chartes des MGH. Or, d’après l’historiographie, nous pouvions nous attendre à trouver un nombre de villae très important dans ces espaces et plus particulièrement dans les diplômes88. Il semble que ça ne soit pas le cas, une fois ces derniers intégrés à l’échelle européenne. L’observation confirme ainsi indirectement

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les hypothèses précédemment évoquées sur la faiblesse des liens entre royauté mérovingienne/carolingienne et la structure villa – cf. fig. 11 et 13, et les analyses liées.

39 Les îles Britanniques – Abingdon, Christ Church de Canterbury, Old Minster de Winchester, Worcester, chartes du Deeds Project, etc. – et la Catalogne – cathédrale de Barcelone, Sant Cugat del Vallès, Sant-Pere de Casserres, Santa-Maria de Santes Creus, etc. – constituent des cas différents. Dans ces deux zones, les occurrences de villa sont globalement très rares, en particulier pour les périodes anciennes. Toutefois, elles progressent entre les Xe-XIIIe siècles outre-Manche, et les XIIe-XIIIe siècles en Catalogne. Dans ces conditions, il faut supposer que la villa est, dans ces deux zones, une structure tardive, peu fréquente, à la signification probablement bien différente.

40 5. Le dernier groupe comprend la péninsule Italienne dans son ensemble, avec les actes de Lombardie – chartes du Codice Diplomatico della Lombardia medievale –, mais aussi ceux de l’Italie centroméridionale – Sainte-Trinité de Cava, Mont-Cassin, archives de Naples, cathédrale de Bénévent, etc. Les occurrences sont là rarissimes, montrant que la villa médiévale ne s’y est jamais réellement implantée89. Ce constat est intéressant, car il permet d’émettre un doute fort sur la continuité de la villa antique au haut Moyen Âge dans cette zone, où, précisément, on pouvait attendre la plus forte stabilité.

41 La villa jouait ainsi un rôle déterminant dans la zone médiane de l’actuelle France, du Mâconnais au Poitou. Immédiatement au nord de cet espace, elle restait omniprésente : en plaine d’Île-de-France, Normandie, nord de la Bourgogne, Nord de France et actuelle Belgique. À la périphérie de ce cœur, plus au sud – en Provence et en Languedoc – ou à l’est (en Bade-Wurtemberg) et probablement dans d’autres espaces germaniques, la structure jouait certes un rôle, mais sans être centrale. Au-delà de ce système, en Catalogne, péninsule Italienne et dans les îles Britanniques, son impact était quasi-nul.

Villa, dominium, ecclesia

42 Pour autant, si ces expériences nous éclairent sur l’objet villa, elles ne nous disent pas véritablement qu’elle était sa nature. De quoi parlent les actes évoquant les villae ? Peut-on isoler un ou plusieurs groupes de termes – et donc d’éléments sociaux – liés à cette dernière ? Les méthodes d’analyses automatiques des cooccurrences sont idéales pour étudier les contextes d’implantation de la villa, car en révélant les principaux termes entourant le lemme, elles éclairent l’environnement dans lequel s’inséraient ces structures. Précisons toutefois que les expériences présentées lors des paragraphes précédents invitent à une certaine prudence : les variations fréquentielles observées d’un espace à l’autre correspondaient sans doute à des différences contextuelles, sémantiques et sociales. L’analyse devra donc être complétée ultérieurement par des comparaisons régionales.

43 Différents outils seront ici mis en œuvre, bien qu’ils soient toujours issus du logiciel Cooc90. Ce dernier permet en premier lieu de réaliser des graphiques montrant le réseau lexical autour d’un pivot (villa donc), dans différents contextes/périodes. Dans un premier temps, l’expérience s’est concentrée sur les substantifs, excellents indicateurs de l’environnement sémantique, spatial et social de la structure. Le programme fonctionne, en effet, de façon à extraire, dans un sous-corpus déterminé, les principaux cooccurrents du lemme, puis détermine la relation entre ces derniers, en analysant les liens entre leurs propres cooccurrents – on parle alors de cooccurrents de second ordre. Une analyse multidimensionnelle du tableau ainsi généré fait apparaître

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ces relations sous la forme d’une carte lexicale, dans laquelle les termes les plus proches (lexicalement) se regroupent visuellement. Notre objectif étant d’éclairer l’évolution autour des premières villae, trois périodes ont été retenues (fig. 18, 19 et 20), contenant un nombre environ équivalent de mentions du lemme : 500-700 (660 mentions), 889-900 (679) et 900-914 (664)91.

Fig. 18 – CEMA, réseau lexical des cooccurrents du lemme villa (500-700, 660 mentions) : substantifs seuls

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Fig. 19 – CEMA, réseau lexical des cooccurrents du lemme villa (889-900, 679 mentions) : substantifs seuls

Fig. 20 – CEMA, réseau lexical des cooccurrents du lemme villa (900-914, 664 mentions), substantifs seuls

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44 Une observation, même rapide, de ces trois graphiques permet tout d’abord de noter que le contexte lexical dans lequel villa apparaît évolue fortement, entre le VIe et le début du Xe siècle. Pour ces ensembles chronologiques, sauf peut-être le dernier (fig. 20), il est toutefois difficile de dégager des groupes lexicaux circonscrits, correspondant à des contextes énonciatifs/sémantiques différenciés. Afin de pouvoir distinguer les éléments évoluant le plus fortement autour de la villa, il est néanmoins possible de repartir des listes de cooccurrents obtenues, puis d’analyser leur rapport au lemme dans le temps. Une centaine de termes ont ainsi été examinés92, d’abbas à vinea, en se concentrant spécialement sur les VIIe-IXe siècles, soit le moment de la mise en place de la structure à l’échelle européenne.

45 Parmi les évolutions les plus remarquables apparaissent, en premier lieu, différents termes ecclésiaux, plus précisément ceux relatifs aux institutions et aux bâtiments. Monasterium, dont 250 cooccurrents avec le lemme sont relevés pour cette période93, est ainsi très présent au début de la chronologie – en particulier dans la première moitié du VIIIe siècle –, puis diminue progressivement dans les siècles ultérieurs. Un contrôle sur le corpus des MGH, dans le temps long, permet de confirmer ce premier relevé (fig. 21).

Fig. 21 – MGH, évolution des cooccurrences de villa et de monasterium (VIIe-XIIIe siècle)

En vert, évolution des cooccurrences des deux termes – coprésence à plus ou moins 5 mots ; les pointillés correspondent aux fréquences relevées, la courbe pleine à un lissage (Dice).

46 Il en va de même pour abbatia – 184 cooccurrences pour l’ensemble de la chronologie –, basilica (240)94, monasteriolum – 7 cooccurrences pour le haut Moyen Âge –, abbas (85), qui chutent tous dans l’entourage de villa, parfois dès les VIIe-VIIIe siècles, d’autres fois aux IXe-Xe siècles. Ces premiers indices semblent ainsi montrer qu’il existait un lien fort, à l’origine du phénomène, entre les villae et les fondations monastiques – sans que la nature de ce lien soit définissable à ce stade. D’autres types d’édifices s’affirment dans

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l’environnement des villae, toujours pendant le haut Moyen Âge, mais plutôt au IXe siècle, mais reculent aussi rapidement aux Xe-XIe siècles : capella – 186 cooccurrents, qui progressent fortement au IXe siècle –, cella – 49, avec une chronologie proche de capella- villa –, cellula (21). De la même façon, les associations avec ecclesia – 591 pour le haut Moyen Âge –, se renforcent jusqu’au Xe siècle, puis diminuent fortement. Ceci laisse à penser qu’après avoir été fortement liées à des monastères (aux VIIe-VIIIe siècles), les villae se sont vues rapprochées d’autres structures ecclésiales, probablement moins « complexes »95 – capella, cella, cellula (IXe-Xe siècles) –, tout en étant intégrées plus fortement à la société ecclésiale dans son ensemble ainsi qu’au réseau ecclésial en formation (liens ecclesia-villa). Ces deux mouvements complémentaires, qui sont aussi deux phases, montrent que les structures de l’Église ont très probablement joué un rôle déterminant dans l’implantation initiale des villae, aux VIIe-IXe siècles. Ces analyses statistiques correspondent ainsi aux observations empiriques présentées par Christian Sapin et Laurent Schneider, à Cluny et Aniane, dans le présent volume.

47 D’autres termes relatifs à la spatialisation renseignent parallèlement sur l’environnement initial des villae. En premier lieu, fluvius – 179 cooccurrences fluvius- villa pour le haut Moyen Âge 96, 478 sur l’ensemble du CEMA –, dont les associations connaissent une chronologie singulière : très présentes jusqu’au milieu du VIIIe siècle, elles chutent par la suite brutalement, pour remonter fortement au milieu du IXe siècle – et tomber définitivement peu de temps après. Le nombre de ces associations entre fluivius et villa étant élevé97, le phénomène ne peut être imputable à de pures évolutions textuelles. Il semble donc que les premières villae s’installèrent fréquemment à proximité de grands cours d’eau, ceux désignés par le terme fluvius98. Dans la seconde moitié du VIIIe siècle, le reflux des cooccurrences fluivius-villa pourrait être interprété comme un moment de création de villae hors des grands axes fluviaux, venant compléter le premier réseau formé par ces structures. Le mouvement correspondrait à une phase – à partir du milieu du VIIIe siècle – de mentions assez forte pour le terme villa (cf. fig. 11 et 13), que nous avons pu associer lors des paragraphes précédents à une restructuration des pouvoirs élitaires, liée à l’accession au trône de Pépin le Bref (751). Cette importance des grands cours d’eau dans l’émergence du premier réseau de villae est confirmée par l’évolution des cooccurrences entre le lemme et teloneum, dont le pic pour le haut Moyen Âge est atteint entre la fin du VIIe et le milieu du VIIIe siècle.

48 La villa était-elle le plus souvent complète ou partitionnée ? Certains indices lexicaux laissent penser que son morcellement fut progressif, à mesure que le dominium sur ces structures se complexifiait, s’enrichissait99. Certes, l’examen des cooccurrents villa- portio montre une chute brutale des associations entre les deux termes dès les VIe-VIIe siècles ; mais celles-ci sont relativement rares : seulement neuf sur le corpus pour le haut Moyen Âge, et trente-quatre sur l’ensemble du CEMA100. À l’inverse, les associations entre villa et pars sont beaucoup plus fréquentes (633 dans le CEMA) et présentent une tendance nette : l’évocation de morceaux de terrae ou de droits autour/ dans une villa se renforce considérablement à la fin du Xe siècle, pour atteindre son maximum au milieu du XIIe siècle (fig. 22)101.

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Fig. 22 – CEMA, évolution des cooccurrences de villa et de pars – en vert foncé, VIIe-XIIIe siècle

49 De la même façon, les occurrences associant villa et integritas – 358 occurrences dans le CEMA102 – chutent très fortement dès la seconde moitié du IXe siècle, dans toutes les configurations d’analyse. Serait-ce là un élément clé de la dynamique de cette structure ? Nous pouvons, en effet, penser que la villa s’est progressivement vue divisée en « domaines » (au sens du dominium) restreints, formant un tissu plus complexe et plus enchevêtré de pouvoirs, d’hommes et de terres, conduisant progressivement à son morcellement puis à sa disparition. Il n’est pas anodin de noter que ce phénomène s’accentue très fortement au milieu du Xe siècle, alors que l’encellulement- inecclesiamento fonctionne à plein régime dans certains espaces de la France médiane103 – où les occurrences des villae sont, précisément, très présentes. Cela pourrait-il expliquer la disparition inégale de ces structures d’un espace à l’autre (cf. fig. 14)104 ? L’hypothèse paraît envisageable, même si seule une analyse lexicale par zone permettrait de l’affirmer. Il resterait en outre à éclaircir pourquoi la villa disparaît plus tôt dans certains espaces, par exemple en Île-de-France – où une forte chute des occurrences a lieu dès le début du Xe siècle –, alors que dans ces derniers l’encellulement-inecclesiamento se déroule au XIIe et plus encore au XIIIe siècle.

50 L’examen de certains termes relatifs aux pouvoirs pourrait néanmoins renforcer cette piste. Par exemple, les liens entre villa et rex – 521 cooccurrences sur le CEMA –, rares aux VIIe-VIIIe siècles, s’accentuent fortement dans le second tiers du IXe siècle, pour ensuite chuter rapidement dès 900. Aux Xe-XIe siècles, les liens entre les deux termes sont ainsi au plus bas. Cela appuie, à notre sens, la double hypothèse d’une (relative) faiblesse des liens entre les villae et les pouvoirs royaux dans le très haut Moyen Âge – qui se renforceraient néanmoins pendant la période carolingienne –, mais encore, de façon non contradictoire105, l’impact de l’évolution du pouvoir carolingien dans la dislocation de la villa. Les liens entre villa et honor – 766 cooccurrences sur le CEMA –

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suivent d’ailleurs une courbe sensiblement similaire – avec une chute massive des associations entre le IXe et le XIIIe siècle.

51 Cette évolution de l’environnement social et spatial de la villa paraît d’ailleurs s’accompagner d’une profonde restructuration agraire, du moins d’une évolution du rapport à cette structure comme locus de production. Au IXe siècle, et plus particulièrement dans sa seconde moitié, de nombreux termes relatifs à ces champs lexicaux – campus, terra, arabilis, curtile, vinea, ager, mais aussi locus ou encore decima – apparaissent ou se développent dans l’entourage du lemme. La villa se lie de même plus fortement avec les chemins, qui apparaissent dans son entourage avec le terme via.

Conclusion

52 Les observations réalisées dans les paragraphes qui précèdent permettent de revenir en détail sur les propositions historiographiques, depuis Fustel de Coulanges à Étienne Renard, en passant par Jacques Flach, Maurice Chaume et Adriaan Verhulst, présentées dans la première partie du travail (partie 1.2). Plusieurs questions ont, en effet, émergé de leur lecture : celles de la chronologie et de la distribution géographique de la villa médiévale – des problèmes en définitive peu abordés –, les liens entre cette dernière, la villa antique, mais aussi les « villages » médiévaux, sa polysémie, son environnement et ses motifs d’implantation. Sans prétendre toutes les trancher, les résultats européens présentés permettent de revenir au moins sur certaines hypothèses et, peut-être, d’en proposer de nouvelles.

53 Au vu des analyses, il semble tout d’abord que la villa médiévale s’est diffusée initialement du VIIe siècle – plutôt dans la seconde moitié – au tout début du VIIIe siècle. Sa rareté dans les quelques textes diplomatiques du milieu du VIe siècle, mais encore dans la première moitié du VIIe siècle – à l’échelle européenne du CEMA, mais encore dans les actes originaux, etc. –, ainsi que son absence dans la péninsule Italienne sur l’ensemble de la chronologie, plaide en faveur d’une structure propre au Moyen Âge, sans lien direct avec la villa antique. Ceci n’empêche certes pas une occupation continue de nombreux sites archéologiques, de la préhistoire au XXIe siècle, mais l’analyse statistique des textes, telle que nous l’avons menée, montre que l’objet villa avait largement disparu de la documentation au début de notre chronologie. Ces lieux furent-ils réinvestis ou, tout simplement, réintégrés à un système de production dont ils s’étaient largement détachés au cours des IVe-VIe siècles ? La question dépasse, certes, nos compétences de médiéviste, mais il paraît probable que la villa du haut Moyen Âge, telle qu’elle se développe au milieu du VIIe siècle, n’avait plus de lien sémantique et sans doute social avec la villa antique, après une si longue éclipse documentaire.

54 Le deuxième moment où les occurrences du lemme repartent à la hausse correspond à la seconde moitié du VIIIe siècle. Ainsi, pour ces deux premiers pics d’occurrences – seconde moitié du VIIe siècle et seconde moitié du VIIIe siècle –, il existe une forte corrélation entre l’augmentation des mentions de villae dans les textes et l’existence de puissantes dynamiques socio-historiques. En l’occurrence, ces deux moments correspondent à une phase de désorganisation pour les pouvoirs mérovingiens, puis une phase de réorganisation carolingienne, avec l’arrivée de Pépin le Bref puis le début du règne de Charlemagne. Puisque ces phases ne concordent pas avec une situation

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unique pour les pouvoirs royaux (faibles/forts), une hypothèse envisageable est que ces changements entraînèrent « en cascade » des transformations dans les factions aristocratiques, impliquant la création de nouveaux pôles (voire modes) de domination, dont les villae étaient sans doute l’un des maillons. L’aristocratie de ces périodes, fonctionnant essentiellement selon un principe « hors-sol », avait en effet besoin de points de chute nombreux et dispersés, facilitant leur déambulation et les contacts complexes qu’ils entretenaient106. La villa favorisait sans doute ces pratiques, puisqu’elle permettait l’existence d’unités de production toujours disponibles en cas de besoin, comme autant de ressources dispersées mais interconnectées par des relations interpersonnelles, sur un vaste territoire.

55 Le développement du nombre des occurrences du lemme plaide, en effet, pour l’hypothèse d’un développement du nombre de villae dans la seconde moitié du VIIe siècle, puis (plus faiblement) dans la seconde moitié du VIIIe siècle. Toutefois, seule une liste lemmatisée et géolocalisée des villae permettrait de trancher définitivement cette question107. Nous proposons ainsi de relier le développement des villae non pas directement et systématiquement aux pouvoirs royaux108, mais plutôt aux évolutions de l’aristocratie. La multiplication des villae renforçait, en effet, la domination aristocratique, dont l’affirmation passait paradoxalement par les réorganisations multiples des pouvoirs royaux. L’explosion des mentions de villae dans les années 830-840 – alors que le système carolingien affronte une crise grave109 –, explosion qui se poursuit dans certaines régions jusque dans les années 1020-1030, appuie de la même façon cette hypothèse. À la lumière de ces trois « moments », il apparaît donc que les mentions de villae sont très fortes lors des périodes de grandes transformations sociales.

56 L’analyse révèle néanmoins que la présence des villae est extrêmement variable d’un espace à l’autre à l’échelle européenne. Alors qu’elles sont omniprésentes dans la France médiane – où elles disparaissent parfois tardivement, dans la première moitié du XIe siècle – et très abondantes dans la plaine d’Île-de-France, en Normandie, en Bourgogne du Nord et jusqu’en Belgique, elles sont plus rares à périphérie de ce double système. Ainsi, les occurrences du lemme sont moins visibles en Languedoc ou en Provence, mais surtout dans les espaces germaniques, où leur faiblesse contraste avec l’historiographie qui en faisait leur terre de prédilection. Enfin, la villa est quasi- inexistante dans les îles Britanniques, en Catalogne ou en péninsule Italienne (Lombardie et Italie centro-méridionale). Cette implantation, excluant de facto l’Italie, centrée sur l’actuelle France, plaide là encore pour une structure propre au Moyen Âge, sans autre lien avec la villa antique que la continuité topographique. Elle interroge aussi l’articulation entre la villa et le grand domaine, presque toujours confondus dans la littérature. Or, à moins de suspecter que ce dernier était rare dans les espaces germaniques, il est peu probable que les deux ensembles se superposaient systématiquement. Nous pensons ainsi qu’il serait bon d’envisager les deux structures (villa / « grand domaine ») de façon séparée, tant que leurs liens ne seront pas éclaircis, zone par zone.

57 Qu’en est-il des liens entre villae et « villages » ? Sans nier la continuité topographique qui existe dans de nombreux cas, les analyses statistiques jettent un doute sur la nature du passage de l’un à l’autre. Dans quelques zones, en particulier la France médiane, la disparition des villae correspond au phénomène d’encellulement-inecclesiamento, qui s’y déroule dans une large mesure, pensons-nous, aux Xe-XIe siècles110. Mais dans d’autres

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espaces, par exemple en Île-de-France, où l’encellulement est plus tardif (XIIe voire XIIIe siècle), et donc de même pour la naissance des communautés d’installés regroupées et fortement structurées autour de pôles ecclésiaux et ciméteriaux, les occurrences chutent dès le début du Xe siècle. Il semble donc que le lien entre villa et village ait pu exister, mais sans que celui-ci fût, et de loin, systématique – du moins sans que la disparition des villae entraîne automatiquement la « naissance d’un village ».

58 Pour terminer, les résultats obtenus permettent de réévaluer les liens entre certaines structures ecclésiales et l’implantation des villae, tout comme d’autres articles du présent volume (Christian Sapin, Laurent Schneider). Les relations avec les monastères (monasterium, abbatia) semblent, en effet, jouer un rôle déterminant aux VIIe-VIIIe siècles. Par la suite, en particulier au IXe siècle, ce sont d’autres cellules spatiales, entre autres des chapelles et des ensembles ecclésiaux plus réduits (capella, cella, cellula, etc.), qui sont en relations étroites avec la villa. Pouvons-nous relier ces éléments aux hypothèses précédentes ? Si une frange de l’aristocratie hors-sol du haut Moyen Âge dépendait, au moins partiellement, des villae pour assurer leur ancrage spatial, tout en étant libre de déambuler, elle devait contrôler ces pôles, même en cas d’absence physique. Les monastères puis des cellules ecclésiales plus réduites, telles que les chapelles, pourraient avoir joué ce rôle. Dans cette perspective, la villa constituerait un nœud de pouvoirs, à la croisée de l’aristocratie laïc et du monde ecclésiastique. Tous les partis auraient bénéficié de cette implantation – dans la logique même des églises dites « patrimoniales » (Eigenkirchen)111 –, ce qui pourrait aussi expliquer le développement des villae dans les phases de recomposition des pouvoirs royaux, lors desquelles l’aristocratie renforçait sa domination « personnelle ». Ceci concorderait avec l’analyse de Maurice Chaume, pour qui « toute villa dépourvue de sanctuaire [était] une villa de second ordre ».

59 Dans cette perspective, le problème de la variabilité sémantique de la villa, évoquée dans la première partie du travail – en particulier à partir des notices de dictionnaires, 1.1 –, pourrait être sensiblement réduit. La villa pouvait, certes, désigner un ensemble de bâtiments, des terres agraires, un domaine ou, encore, une circonscription territoriale112, mais restait dans tous les cas la manifestation d’un dominium, autrement dit d’une capacité à exercer un pouvoir simultané sur des terres et des hommes. Or, c’est précisément l’évolution du dominium qui semble avoir joué un rôle moteur dans la disparition de cette structure, ainsi que les analyses des liens entre villa et pars pourraient l’indiquer. À la fin du IXe siècle et surtout au Xe siècle, alors que l’enchevêtrement des pouvoirs autour et sur la villa devient de plus en plus complexe, « intriqué », celle-ci est évoquée plus nettement dans les textes comme un locus dédié à la production de ressources, une structure agraire – liens avec campus, terra, arabilis, curtile, vinea, etc. Rattachée à un réseau territorial par des chemins (via), elle aurait alors perdu son rôle initial de structure d’ancrage pour une aristocratie mobile.

60 Il resterait bien entendu beaucoup à faire pour éclairer le sens et l’environnement de ces ensembles complexes, manifestation à la fois matérielle et idéelle des interactions entre pouvoirs laïcs et ecclésiastiques. Une future enquête pourrait ainsi consister en une analyse de la variabilité typologique des villae dans l’Europe médiévale, ce qui n’a jamais été réalisé au sein d’un cadre numérique. Une telle étude permettrait sans doute de déterminer plus précisément les causes et les conséquences de l’émergence et de la disparition de la villa, certainement mieux que nous l’avons fait ici113. À ce titre, le présent article ne saurait être considéré comme autre chose qu’une invitation à de

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futures analyses portant sur la villa et sur les autres structures territoriales du haut Moyen Âge européen, considérées comme un fait social total.

NOTES

1. J. FLACH, Les origines de l’ancienne France, t. 2 (Xe et XIe siècles. Les origines communales, la féodalité et la chevalerie), New York, 1969 (édition originale, 1893), p. 94. 2. Cet article fait suite à deux communications, données en octobre 2011 et janvier 2012, aux invitations successives d’Hervé Mouillebouche (réunion de l’axe « Atlas » de l’UMR 6298 ARTeHIS), puis d’Eliana Magnani et Marie-José Gasse-Grandjean (journée d’étude CBMA VI : « Les chartes bourguignonnes sous Philologic »). Nous avons par la suite poursuivi une discussion sur la question avec Christian Sapin – alors que celui-ci fouillait la villa cluniacensis –, en 2012 et 2014. Ses encouragements, ainsi que ceux d’Alain Guerreau, nous ont poussés à écrire le présent article. Dans une dernière phase, certains graphiques et hypothèses issus de l’article ont été présentés à Bernhard Jussen, Tim Geelhaar, Daniel Föller et Anna Dorofeeva, qui ont accepté de les commenter. Nous devons enfin d’importantes remarques à Alain Dubreucq et Étienne Renard, qui nous ont permis d’améliorer grandement la version finale de cette étude. Qu’ils soient tous chaleureusement remerciés, ainsi que Christian Sapin et Sébastien Bully, qui nous ont généreusement accordé un délai supplémentaire afin de rendre cet article. 3. La bibliographie autour du lemme villa est toutefois relativement abondante, puisqu’elle se confond largement avec celle du « grand domaine ». Pour un aperçu de la question, voir en premier lieu : N. D. FUSTEL DE COULANGES, Histoire des institutions politiques de l’ancienne France, t. 4 (L’alleu et le domaine rural pendant l’époque mérovingienne), Paris, 1889, en particulier p. 198-272 ; H. D’ARBOIS DE JUBAINVILLE, « Le fundus et la villa en Gaule », Comptes rendus des séances de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 30/2 (1886), p. 306-311 ; ID., « Le fundus et la villa », Nouvelle revue historique de droit français et étranger, 24 (1900), p. 212-216 ; J. FLACH, « Fundus, villa et village », Nouvelle revue historique de droit français et étranger, 24 (1900), p. 385-404 ; ID., Les origines de l’ancienne France…, op. cit. ; P. IMBART DE LA TOUR, Les paroisses rurales du IVe au XIe siècle, Paris, 1900 (réimp. Paris, 1979) ; A. DOPSCH, Die Wirtschaftsentwicklung der Karolingerzeit vornehmlich in Deutschland, Weimar, 1921 (réimp. Darmstadt, 1962) ; M. CHAUME, Les origines du duché de Bourgogne, Dijon, 1927-1931 ; C.-E. PERRIN, La seigneurie rurale en France et en Allemagne du début du IXe à la fin du XIIe siècle, t. 1 (Les antécédents du régime domanial. La villa à l’époque carolingienne), Paris, 1951 ; H. DUBLED, « Quelques observations sur le sens du mot villa », Le Moyen Âge, 59 (1953), p. 1-9 ; A. VERHULST, « La genèse du régime domanial classique en France au haut Moyen Âge », in Agricoltura e mondo rurale in Occidente nell’Alto Medioevo, Spolète, 1966, p. 135-160 et 255-258 ; ID., « La diversité du régime domanial entre Loire et Rhin à l’époque carolingienne. Bilan de quinze ans de recherches », in W. J ANSSEN et D. LOHRMANN (dir.), Villa, curtis, grangia. Landwirtschaft zwischen Loire und Rhein von der Römerzeit zum Hochmittelalter, Munich, 1983, p. 133-148 ; ID., Le grand domaine aux époques mérovingiennes et carolingiennes, Gand, 1985 ; ID., « Étude comparative du régime domanial classique à l’est et à l’ouest du Rhin à l’époque carolingienne », in La croissance agricole du haut Moyen Âge. Chronologie, modalités, géographie, Auch, 1990, p. 87-101 ; L. KUCHENBUCH, Bäuerliche Gesellschaft und Klosterherrschaft im 9. Jahrhundert. Studien zur Sozialstruktur der Familia der Abtei Prüm, Wiesbaden, 1978 ; ID., La seigneurie rurale du haut Moyen Âge. Un paradigme

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historiographique toujours ouvert. Quatre conférences au Collège de France, Paris, 2002 [inédit ; nous remercions vivement l’auteur de nous avoir fourni une copie de cette série de conférences, données à l’invitation de Pierre Toubert] ; ID., « Abschied von der "Grundherrschaft" – Ein Prüfgang durch das ostfränkisch-deutsche Reich 950-1050 », Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte. Germanistische Abteilung, 121 (2004), p. 1-99 ; J. CHAPELOT et R. FOSSIER, Le village et la maison au Moyen Âge, Paris, 1980 ; Y. MORIMOTO, « Autour du grand domaine carolingien : aperçu critique des recherches récentes sur l’histoire rurale du haut Moyen Âge (1987-1992) », in A. VERHULST et Y. MORIMOTO (dir.), Économie rurale et économie urbaine au Moyen Âge, Gand/Fukuoka, 1994, p. 25-79 ; R. AGACHE, « Typologie et devenir des villae antiques dans les grandes plaines de la Gaule septentrionale », in W. JANSSEN et D. LOHRMANN (dir.), Villa, curtis, grangia. Landwirtschaft…, op. cit., p. 17-29 ; F. BANGE, « L’ager et la villa : structures du paysage et du peuplement dans la région mâconnaise à la fin du haut Moyen Âge (IXe-XIe siècle) », Annales ESC, 39/3 (1984), p. 529-569 ; É. MAGNOU-NORTIER, « La terre, la rente et le pouvoir dans les pays de Languedoc pendant le Haut Moyen Âge. Première partie. La villa : une nouvelle problématique », Francia, 9 (1981), p. 79-107 ; EAD., « Le grand domaine : des maîtres, des doctrines, des questions », Francia, 15 (1987), p. 659-700 ; EAD., « La gestion publique en Neustrie : des moyens et des hommes (VIIe-IXe siècle) », in H. ATSMA (dir.), La Neustrie. Les pays au nord de la Loire de 650 à 850, t. 1, Sigmaringien, 1989, p. 271-230 ; EAD. (éd.), Aux sources de la gestion publique, t. 1 (Enquête lexicographique sur fundus, villa, domus, mansus), Lille, 1993 et t. 3 (L’invasio des villae ou la villa comme enjeu de pouvoir), Lille, 1995 ; L. SCHNEIDER, « Du pagus aux finages castraux, les mots des territoires dans l’espace oriental de l’ancienne Septimanie (IXe-XIIe siècle) », in B. CURSENTE et M. MOUSNIER (dir.), Les territoires du médiéviste, Rennes, 2005, p. 109-129 ; ID., « Le territoire de l’archéologue et l’archéologie des territoires médiévaux », in B. C URSENTE et M. MOUSNIER (dir.), Les territoires…, ibid., p. 309-327 ; ID., « Castra, vicariae et circonscriptions intermédiaires du haut Moyen Âge méridional (IXe-Xe siècle). Le cas de la Septimanie-Gothie », in D. BOISSEUIL, P. CHASTANG, L. FELLER et J. MORSEL (éd.), Écritures de l’espace social. Mélanges d’histoire médiévale offerts à Monique Bourin, Paris, 2010, p. 237-266 ; D. PICHOT, Le Village éclaté. Habitat et société dans les campagnes de l’Ouest au Moyen Âge, Rennes, 2002 ; J.-P. DEVROEY, Études sur le grand domaine carolingien, Aldershot, 1993 (en particulier le chapitre 13 « La domination seigneuriale, les hommes et l’espace », p. 443-477) ; ID., Économie rurale et société dans l’Europe franque (Ve-IXe siècle), t. 1, Paris, 2003 ; ID., Puissants et misérables. Système social et monde paysan dans l’Europe des francs (VIe-IXe siècle), Louvain-la-Neuve, 2006 ; P. TOUBERT, L’Europe dans sa première croissance. De Charlemagne à l’an Mil, Paris, 2004 ; C. WICKHAM, Framing the Early Middle Ages. Europe and the Mediterranean, 400-800, , 2005 ; E. ZADORA-RIO (dir.), Des paroisses de Touraine aux communes d’Indre-et-Loire. La formation des territoires, Tours, 2008 ; O. BRUAND, « La villa carolingienne : une seigneurie ? Réflexions sur les cas des villas d’Hammelburg, Perrecy-les-Forges et Courcay », in D. BARTHÉLEMY et J.-M. MARTIN (dir.), Liber Largitorius. Études d’histoire médiévale offertes à Pierre Toubert par ses élèves, Genève, 2003, p. 349-374 ; ID., Les origines de la société féodale : l’exemple de l’Autunois, France, Bourgogne, Dijon, 2009 ; É. RENARD, « Domaine, village ou circonscription administrative ? La polysémie du mot villa aux VIIIe-Xe siècles et l’assise territoriale des paroisses rurales primitives », in J.-M. YANTE et A.-M. BULTOT-VERLEYSEN (éd.), Autour du « village » : établissements humains, finages et communautés rurales entre Seine et Rhin, IVe-XIIIe siècle, Louvain-la-Neuve, 2010, p. 153-177 ; ID., « Administrer des biens, contrôler des hommes, gérer des revenus par l’écrit au cours du premier Moyen Âge », in X. HERMAND, J.-F. NIEUS et É. RENARD (éd.), Décrire, inventorier, enregistrer entre Seine et Rhin au Moyen Âge : formes, fonctions et usages des écrits de gestion, Paris, 2012 ; J.-M. YANTE et A.-M. B ULTOT- VERLEYSEN (éd.), Autour du « village »…, ibid. ; G. DECLERCQ et A. VERHULST, « Villa et mansus dans le Liber Traditionum du Xe siècle de l’abbaye Saint-Pierre-au-Mont-Blandin de Gand », Revue belge de philologie et d’histoire, 81, 2005, p. 1015-1022 ; F. HAUTEFEUILLE, « La villa et les autres structures de

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peuplement dans les pays de moyenne Garonne au VIIe siècle », in F. RECHIN (dir.), Nouveaux regards sur les villae d’Aquitaine : bâtiments de vie et d’exploitation, domaines et postérités médiévales , Rontignon, 2006, p. 351-362 ; F. NEGRO, « Villa e curtis nei diplomi imperiali del IX secolo », Studi medievali, 52/1 (2011), p. 81-128 ; J.-M. CARRIÉ, « Nommer les structures rurales entre fin de l’Antiquité et haut Moyen Âge : le répertoire lexical gréco-latin et ses avatars modernes », Antiquité tardive, 20 (2012), p. 25-46 et 21 (2013), p. 13-31 ; T. KOHL, « Villae publicae und Taufkirchen – ländliche Zentren im süddeutschen Raum der Karolingerzeit », in P. E TTEL et L. WERTHER (dir.), Zentrale Orte und zentrale Räume des Frühmittelalters in Süddeutschland, Mayence, 2013, p. 161-174. Voir, en outre, les contributions de Christian Sapin et Laurent Schneider dans le présent volume. 4. P. BERTRAND, M. BURGHART, A.-M. ÉDDÉ, A. GUERREAU-JALABERT, O. GUYOTJEANNIN et A. MAIREY, « L’historien médiéviste et la pratique des textes : les enjeux du tournant numérique », in Être historien du Moyen Âge au XXIe siècle, Paris, 2008, p. 273-301 ; J.-P. GENET et A. ZORZI (dir.), Les historiens et l’informatique : un métier à réinventer, Naples, 2011. 5. Un certain nombre de ces projets sont présentés dans A. A Y, S. BARRET et G. VOGELER (dir.), Digital diplomatics. The computer as a tool for the diplomatist ?, Cologne/Weimar/Wien, 2014, p. 187-210. 6. Soutenue en décembre 2014 : N. P ERREAUX, L’écriture du monde. Dynamique, perception, catégorisation du Mundus au Moyen Âge ( VIIe-XIIIe siècle). Recherche à partir des bases de données numérisées, Dijon, 2014. Une synthèse en a été donnée sous la forme d’un essai en deux livraisons : ID., « L’écriture du monde (I). Les chartes et les édifices comme vecteurs de la dynamique sociale dans l’Europe médiévale (VIIe-milieu du XIVe siècle) », Bucema, 19/2 (2015), [en ligne : https:// cem.revues.org/14264] ; ID., « L’écriture du monde (II). L’écriture comme facteur de régionalisation et de spiritualisation du mundus : études lexicales et sémantiques », Bucema, 20/1 (2016), à paraître. 7. Pour des raisons de forme, il est difficile d’énumérer ici toutes les éditions incluses dans l’ensemble. Précisons cependant que le CEMA intègre, entre autres, les bases diplomatiques suivantes : CBMA, Chartae Galliae, chartes originales de l’Artem, Codice diplomatico dela Lombardia medievale, dMGH (section Diplomata jusqu’à Frédéric Barberousse [† 1190]), Deeds Project, Thesaurus diplomaticus, chartes numérisées de la Fundació Noguera, mais encore les principaux fonds du site Monasterium, les Anglo-Saxon Charters, les Cartulaires d’Île-de-France numérisés par l’École des chartes, la base Scripta pour la Normandie, le Codice Diplomatico Longobardo, les Regii Neapolitani archivi monumenta, le Codice diplomatico Istriano, le Codex diplomaticus Cavensis, ainsi que de nombreuses autres éditions. Le contenu actuel du corpus est présenté dans N. PERREAUX, L’écriture du monde. Dynamique…, op. cit., p. 244-380. 8. La Patrologie latine fait exception à la règle, mais elle contient différentes typologies documentaires (y compris des chartes), et n’aurait donc pas permis de trancher ce problème de la spécificité hypothétique de la villa dans les actes diplomatiques. Les textes narratifs, normatifs ou hagiographiques devront donc être examinés lors de futures analyses. 9. Dès 1939, Marc Bloch écrivait : « Nulle étude n’est aujourd’hui moins avancée que celle de cette géographie sociale », cf. La société féodale. La formation des liens de dépendance. Les classes et le gouvernement des hommes, Paris, 1939-1940, p. 251. Voir de même : ID., « Pour une histoire comparée des sociétés européennes », Revue de synthèse historique, 46 (1928), p. 15-50 ; G. DUBY, « Les sociétés médiévales. Une approche d’ensemble », in Hommes et structures du Moyen Âge, Paris, 1973, p. 361-380 [première parution dans Annales ESC, 26/1 (1971), p. 1-13] ; C. WICKHAM, « Problems of comparing rural societies in early medieval Western Europe », Transactions of the Royal Historical Society, 2 (1992), p. 221-246 ; M. MITTERAUER, Warum Europa ? Mittelalterliche Grundlagen eines Sonderwegs, Munich, 2003 ; J. LE GOFF, L’Europe est-elle née au Moyen Âge, Paris, 2003 ; J. BASCHET, La civilisation féodale : de l’an Mil à la colonisation de l’Amérique, Paris, 2004 ;

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C. LOVELUCK, Northwest Europe in the Early Middle Ages, c. AD 600-1150. A Comparative Archaeology, Cambridge, 2013. 10. L’étude d’Étienne Renard (remise en janvier 2004 aux éditeurs), à la fois nuancée et critique, est à ce titre d’autant plus remarquable : É. RENARD, « Domaine, village ou circonscription… », op. cit. 11. Il ne s’agit pas pour autant d’affirmer que les recherches portant sur des dossiers documentaires précis et à propos de villae ciblées, sont historiographiquement dépassées. Tout au contraire, notre souhait est de comprendre comment les perspectives micro- et macro- historiques peuvent s’articuler : voir par exemple F. ARMAND, « Localisation d’un palais royal mérovingien dans l’Aisne. La villa Brennacum », Revue archéologique de Picardie, 1 (2005), p. 101-107 ; L. SCHNEIDER, « Cité, castrum et “pays” : espace et territoire en Gaule méditerranéenne durant le haut Moyen Âge. L’exemple de la cité de Nîmes et du pagus de Maguelone (Ve-XIe siècle) », in P. CRESSIER (éd.), Le château et la ville. Espaces et réseaux (VIe-XIIIe siècle), Rome/Madrid, 2008, p. 29-69. 12. Outre les travaux de Laurent Schneider pour le sud de l’actuelle France, déjà cités, voir : É. RENARD, « Grandes propriétés et organisation domaniale dans le Midi de la Gaule à l’époque carolingienne : que peut-on savoir ? », Revue belge de philologie et d’histoire, 90 (2012), p. 381-412. 13. R. NOËL, « À la recherche du village médiéval, hier et aujourd’hui », in J.-M. YANTE et A.-M. BULTOT-VERLEYSEN (éd.), Autour du « village »…, op. cit., p. 3-75, ici p. 41. De même, si Robert Fossier concédait que le colloque de Louvain-la-Neuve avait fait progresser nos connaissances « pour des termes essentiels comme villa, parrochia, communia, d’autres au passage, comme dominus, circuitus », il proposait de « dresser, dans notre microrégion par exemple, une sorte d’atlas linguistique où seraient portés pour un même terme ses sens à telle date et en tel lieu ? », in R. F OSSIER, « Conclusions générales », J.-M. YANTE et A.-M. BULTOT-VERLEYSEN (éd.), Autour du « village »…, ibid., p. 505-511, ici p. 506. 14. J. F. NIERMEYER, Mediae latinitatis lexicon minus, Leiden, 1954-2002, p. 1101-1103. 15. Il s’agit du premier sens donné par le Gaffiot : « maison de campagne, propriété, maison des champs, ferme, métairie », cf. F. GAFFIOT et P. F LOBERT, Dictionnaire Latin-Français, Paris, 2001, p. 808. 16. J. M ORSEL, « Communautés d’installés », EspacesTemps., 2014 [en ligne : http:// www.espacestemps.net/articles/communautes-dinstalles/], consulté le 1er mai 2016. 17. Le dictionnaire de R. E. Latham [Revised Medieval Latin Word-List, from British and Irish Sources (With Supplement), Oxford, 2004 (1re éd. 1965), p. 512-513] insiste plutôt sur ce sens, malgré de multiples définitions. 18. C’est vers cette définition que penche le dictionnaire de M. P ARISSE (dir.), Lexique Latin- Français, Antiquité et Moyen Âge, Paris, 2006, p. 596 : « uilla, e, f. : domaine et maison à la campagne, ferme ¶ village, ville ». 19. C. DU CANGE et al., Glossarium mediae et infimae latinitatis, éd. augmentée, Niort, 1883-1887, t. 8, col. 329b, version numérisée par l’École des chartes [en ligne : http://ducange.enc.sorbonne.fr/ VILLA], consultée le 1er mai 2016. 20. « Ubi villa sensu Latino usurpatum pro vicus ». 21. C. DU CANGE et al., Glossarium mediae…, op. cit. 22. Voir note 3 et, en particulier, les recherches de Laurent Schneider. Un exemple saisissant de la variabilité typologique des villae dans R. FOSSIER, « Habitat, domaines agricoles et main-d’œuvre en France du Nord-Ouest au IXe siècle », in W. JANSSEN et D. LOHRMANN (dir.), Villa, curtis, grangia. Landwirtschaft…, op. cit., p. 12-132, ici p. 128 : « En résumé, le “grand domaine” carolingien, toute discussion écartée pour le moment sur sa mise en valeur, offre, sur une zone pourtant homogène et de faible étendue, des types de structure tantôt compacte, tantôt éclatée, tantôt sans lien apparent avec l’occupation précédente, tantôt intimement liée à cette dernière. »

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23. É. RENARD, « Domaine, village ou circonscription… », op. cit. L’étude est largement consacrée à la question des liens entre les villae, les paroisses dites « primitives » et les grandes propriétés foncières (« grands domaines »). 24. Voir le tableau récapitulatif donné dans É. PEYTREMANN, Archéologie de l’habitat rural dans le nord de la France du IVe au XIIe siècle, t. 1, Saint-Germain-en-Laye, 2003, p. 95, où l’auteur indique les définitions données par Marc Bloch, Henri Dubled, Gabriel Fournier, Georges Duby (1962 et 1973), Adriaan Verhulst, Robert Fossier, Guy Devailly, Guy Fourquin, André Debord, Élisabeth Magnou- Nortier et Dominique Barthélemy. 25. Cf. note 3. 26. H. D’ARBOIS DE JUBAINVILLE, « Le fundus et la villa… », op. cit. ; J. FLACH, « Fundus, villa et… », op. cit. 27. N. D. F USTEL DE COULANGES, Histoire des institutions…, op. cit., en particulier p. 171-272 (chapitre V : « Est-il vrai que les Francs aient pratiqué la communauté de village ? », chapitre VI : « Le sol était-il distribué en villages ou en domaines ? », chapitre VII : « Nature du domaine rural » et chapitre VIII : « Quelques modifications du domaine rural »). Sur l’œuvre de Fustel, nous renvoyons à A. GUERREAU, « Fustel de Coulanges médiéviste », Revue historique, 275/2 (avril- juin 1986), p. 381-406 ; ID., Le féodalisme. Un horizon théorique, Paris, 1980, p. 47-50. 28. N. D. FUSTEL DE COULANGES, Histoire des institutions…, ibid., p. 462-463 : « Tel le domaine était au quatrième siècle, tel il est encore au neuvième. Il a la même étendue, les mêmes limites. Il porte souvent le même nom, qui est celui que lui a donné un ancien propriétaire romain. Il est divisé en deux parts, de la même façon qu’autrefois. Un homme en est propriétaire en vertu d’un droit de propriété qui n’a pas varié. Les hommes qui le cultivent sont encore, ou des esclaves, ou des affranchis, ou des colons. […] Ce ne sont pas les rois mérovingiens qui ont créé l’alleu ni constitué la villa. Ce domaine datait de plus loin. Il s’était formé de lui-même. Il a subsisté par sa force propre. La société rurale a vécu et s’est conservée d’instinct. Il n’y a pas le moindre indice que ce système rural ait été attaqué ni contesté. […] Tout cela subsistera au milieu de la féodalité, mais rien de cela n’est de l’essence de la féodalité. […] Si l’on excepte les villes et quelques bourgs, on peut dire que les domaines ou villae couvraient le sol tout entier. » 29. N. D. FUSTEL DE COULANGES, Histoire des institutions…, ibid., p. 171-178, et encore p. 219 : « [O] n arrive à cette conclusion que les vrais villages d’hommes libres sont fort peu nombreux dans nos textes. Je n’ai réussi à en trouver qu’une cinquantaine au plus, contre plus de douze cents villae. Telle était, semble-t-il, la proportion entre les villages et les domaines. » L’hypothèse avait déjà été critiquée dans J. FLACH, Les origines de l’ancienne France…, op. cit., p. 47-68 (chapitre IV : « Les villages de la Gaule franque »). Sur ces questions, voir en dernier lieu : M. WATTEAUX, « À propos de la “naissance du village au Moyen Âge” : la fin d’un paradigme ? », Études rurales, 167-168 (2003), p. 307-318 ; R. NOËL, « À la recherche du village médiéval… », op. cit. 30. On pourra remarquer que ces différents points rendent l’auteur, en quelque sorte, inclassable en ce qui concerne la villa. Il n’apparaît ni comme « romaniste », ni comme « anti- romaniste ». 31. A. V ERHULST, « La genèse du régime domanial… », op. cit. ; ID., « La diversité du régime domanial… », op. cit. ; C. WICKHAM, « L’identité villageoise entre Seine et Rhin, 500-800 », in J.- M. YANTE et A.-M. BULTOT-VERLEYSEN (éd.), Autour du « village »…, op. cit., p. 141-151, ici p. 151-152 : « [I] l existait au haut Moyen Âge, avant le IXe siècle, entre Seine et Rhin, des entités spatiales complexes qu’on peut appeler “villages”, et […] ces entités étaient encore faiblement structurées. […] La première constatation qu’on doit faire est que les structures de l’habitat entre Seine et Rhin changèrent notablement au cours des Ve et VIe siècles. » Voir, de même, P. VAN OSSEL, « De la “villa” au village : les prémices d’une mutation », in J.-M. YANTE et A.-M. BULTOT-VERLEYSEN (éd.), Autour du « village »…, ibid., p. 219-236.

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32. J. F LACH, Les origines de l’ancienne France…, op. cit., p. 50 (nous respectons les italiques de l’auteur) : « Il ne fait pas de doute que le village tout entier ou une partie du village pussent être rattachés à une villa, en dépendre. Tantôt la villa comprendra plusieurs villages, parmi lesquels il peut s’en trouver de tenanciers libres, tantôt un village sera divisé, quant aux redevances dues, entre plusieurs villae. » 33. J. FLACH, Les origines de l’ancienne France…, ibid., p. 55 et 64. 34. Théorie qu’il développe dans le chapitre IV : « Le château fort remplace la villa comme résidence du maître. » De là à faire de Flach un précurseur de l’incastellamento, il n’y a qu’un pas. 35. J. FLACH, Les origines de l’ancienne France…, op. cit., p. 70 ; puis, p. 79 : « Toutes les villae furent- elles donc décomposées ou détruites par l’effet des invasions étrangères et des guerres privées ? Assurément non ; mais toutes en ressentirent le contrecoup irrésistible. Déchoir ou se transformer devint leur lot. » Selon l’auteur, cette action de démembrement est renforcée aux Xe- XIe siècles par l’action de la « population rurale et (des) officiers du seigneur », qui cherchent là une source de revenus et de terres (p. 119). 36. J. FLACH, Les origines de l’ancienne France…, ibid., p. 93. 37. J. FLACH, Les origines de l’ancienne France…, ibid., p. 103 : « Le démembrement de la villa ne s’opéra ni partout de même ni partout en même temps. » 38. M. BLOCH, Les caractères originaux de l’histoire rurale française, Paris, 1960 (1re éd. 1931, Paris/ Oslo), p. 67-80. Voir la lecture proposée par É. PEYTREMANN, Archéologie de l’habitat rural…, op. cit., t. 1, p. 26. 39. La villa était une « seigneurie », « un territoire organisé de telle sorte qu’une grande partie des profits du sol revînt, directement ou indirectement, à un seul maître », dans M. BLOCH, Les caractères originaux…, op. cit., p. 67. 40. M. BLOCH, Les caractères originaux…, ibid., p. 77. 41. C.-E. PERRIN, La seigneurie rurale en France…, op. cit. 42. C.-E. PERRIN, La seigneurie rurale en France…, ibid., p. 4 et : « [S]ouvent même la permanence du nom à travers les siècles atteste l’identité de l’antique villa. » 43. C.-E. PERRIN, La seigneurie rurale en France…, ibid. 44. A. V ERHULST, « La genèse du régime domanial… », op. cit. ; ID., « La diversité du régime domanial… », op. cit. 45. É. MAGNOU-NORTIER (éd.), Aux sources de la gestion publique…, op. cit. 46. É. MAGNOU-NORTIER (éd.), Aux sources de la gestion publique…, ibid., p. 133 : « Il est caractéristique principalement du Bassin Parisien, du Nord et du Nord-Est de la France, ainsi que des régions avoisinantes dans la moitié méridionale de la Belgique actuelle et dans l’Allemagne à l’ouest du Rhin. » 47. É. MAGNOU-NORTIER (éd.), Aux sources de la gestion publique…, ibid., p. 139 : « Des exemples cités nous concluons provisoirement que l’initiative seigneuriale a joué un rôle important dans la construction du régime domanial classique, non seulement et surtout pas exclusivement l’initiative royale, comme nous l’avions supposé à Spolète en 1965, mais aussi les abbayes et peut- être l’aristocratie. » 48. É. MAGNOU-NORTIER (éd.), Aux sources de la gestion publique…, ibid., p. 133. 49. G. FOURQUIN, Histoire économique de l’Occident médiéval, Paris, 1969 ; R. DOEHAERD, Le haut Moyen Âge occidental. Économies et sociétés, Paris, 1971 ; G. DUBY, Guerriers et paysans, VIIe-XIIe siècle. Premier essor de l’économie européenne, Paris, 1973 ; L. KUCHENBUCH, Bäuerliche Gesellschaft und Klosterherrschaft…, op. cit. Voir, de même, la carte donnée dans M. ROUCHE, « Géographie rurale du royaume de Charles le Chauve », in D. GANZ, M. T. GIBSON et J. L. NELSON (dir.), Charles the Bald. Court and kingdom. Papers based on a colloquium held in London in april 1979, Oxford, 1981, p. 193-211, figure 11.1 : « Grand domaine et bocage dans le royaume de Charles le Chauve. » Nous remercions chaleureusement Charles West de nous avoir communiqué cette carte. Voir de même : P. TOUBERT,

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L’Europe dans sa première croissance…, op. cit., p. 28-39 (« La question domaniale. I. Historiographie et problématique : les grandes étapes ») et p. 73-117 (« La part du grand domaine dans le décollage économique de l’Occident, VIIIe-Xe siècle »). 50. J.-P. DEVROEY, « The large estate in the Frankish kingdoms : a tentative dynamic definition », in Études sur le grand domaine carolingien, Aldershot, 1993 [article initialement publié en allemand : « Grundherrschaft, Frankenriech », in Lexikon des Mittelalters, t. 4, Munich, 1989, col. 1740-1744], p. 1-8, ici p. 3 : « The chronology of the formation and development of the large ‘‘classical’’ manor up to its heyday in the 9th century can be sketched as follows : in the 6th century, constitution of the primitive form of the bipartite manor, in which a group of holdings was closely linked with the development and exploitation of the seignorial demesne […] ; in the 8th century, completion and propagation of the model in the central regions of the Frankish realm, between the Seine and the Rhine. In the 9th century, the Carolingian villa evolved in the central zones of the Empire and spread to the more peripheral regions and to the conquered lands. » 51. P. BONNASSIE, La Catalogne du milieu du Xe à la fin du XIe siècle, 2 vol., Toulouse, 1975, p. 215-219 ; ID., La Catalogne au tournant de l’an Mil, Paris, 1990, p. 101-103 ; M. BOURIN, Villages médiévaux en Bas- Languedoc. Genèse d’une sociabilité (Xe-XIVe siècle), Paris, 1987, t. 1, p. 61 ; É. MAGNOU-NORTIER, « La terre, la rente et le pouvoir… », op. cit. ; É. RENARD, « Domaine, village ou circonscription… », op. cit., avec en particulier des exemples pour la Rhénanie ; E. ZADORA-RIO (dir.), Des paroisses de Touraine…, op. cit., p. 84-86, ici p. 85 : « Qu’en conclure en ce qui concerne l’utilisation des sources carolingiennes pour l’occupation du sol ? Il faut certainement renoncer à chercher une résidence aristocratique et un grand domaine dans chaque villa, comme il faut renoncer à voir nécessairement dans le manse une exploitation paysanne. Il faut admettre, sans doute, que le terme de villa ne nous donne aucune information sur la structure groupée ou dispersée de l’habitat : il peut désigner un village, des exploitations paysannes dispersées, aussi bien qu’une résidence aristocratique, associée ou non à un habitat groupé. Il faut renoncer, enfin, à évaluer la densité de l’habitat à partir de la densité du semis de villae identifiées, et reconnaître que celles-ci ne peuvent être localisées que de manière floue à travers un toponyme. » 52. Voir par exemple C. WICKHAM, « L’identité villageoise… », op. cit., p. 144, où l’auteur donne toutefois quelques précisions : « En revanche, au VIIe siècle, les documents de Saint-Denis et du Mans révèlent un paysage partagé entre des villae qui sont clairement de grands domaines fonciers. S’agit-il d’une survivance de la structuration foncière de l’époque romaine ? Je ne le crois pas. Cela reflète plutôt la domination écrasante des grands domaines dans le Parisis et le Maine à l’époque mérovingienne. Il en résulte que décrire un finage et décrire un domaine deviennent presque équivalents – je reviendrai sur ce point. On doit constater quand même que cette situation est caractéristique surtout de certaines zones de la Neustrie. À l’est de Verdun et en Bourgogne, où la propriété était manifestement beaucoup plus fragmentée, on note que villa a une acception géographique dès le VIIe siècle, c’est-à-dire que le mot y désigne un habitat et son territoire, qui peut être partagé entre plusieurs propriétaires, comme cela ressort déjà des textes du VIe siècle. » 53. Site web du projet : http://www.cbma-project.eu/ (consulté le 1 er mai 2016). À ce jour, l’équipe a numérisé plus de 15 000 chartes. Voir en dernier lieu : M.-J. GASSE-GRANDJEAN, « Les CBMA et le numérique », in L’apport des technologies numériques à la diplomatique médiévale, éd. Francia, 40 (2013), p. 255-263 ; E. MAGNANI, M.-J. GASSE-GRANDJEAN, N. PERREAUX et C. REY, « Chartae Burgundiae Medii Aevi (CBMA). Du parchemin à l’écran », Lettre de l’INSHS, Partage d’expériences. La Tribune Adonis, mars 2013, p. 27-30. Concernant la documentation bourguignonne, voir I. ROSÉ, « Panorama de l’écrit diplomatique en Bourgogne : autour des cartulaires (XIe-XVIIIe siècle) », Bucema, 11 (2007), p. 78-122 [en ligne : http://cem.revues.org/document3972.html], consulté le 1er mai 2016.

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54. Sur ce point, nous nous permettons de renvoyer à N. PERREAUX, « Le rythme de l’écriture. Productions des chartes et dynamique sociale (IXe-XIIIe siècle) : Bourgogne, Centre, Pays de la Loire », in C. SENSÉBY (dir.), L’écrit monastique dans l’espace ligérien, Rennes, 2016 (à paraître). 55. M. CHAUME, Les origines du duché de Bourgogne, Dijon, 1925-1937, en particulier la partie II, 2 « Géographique historique. Fascicule deuxième », p. 383-485 et p. 734-805, où il est question de l’habitat et des divisions spatiales. 56. M. CHAUME, Les origines…, t. II/2, ibid., p. 421-422. 57. M. CHAUME, Les origines…, ibid., p. 452-453. 58. M. CHAUME, Les origines…, ibid., p. 455. 59. M. C HAUME, Les origines…, ibid., p. 465-475 : « Au moins un tiers, peut-être la moitié des agglomérations qui existaient dans la première moitié du neuvième siècle, a disparu ; de tous côtés, les broussailles et la forêt ont repris l’avantage aux dépens des terres cultivées ; celles-ci sont réduites à l’extrême et ne se rencontrent plus qu’au voisinage des villae subsistantes. — Peut- on même parler de villae ? » 60. F. BANGE, « L’ager et la villa… », op. cit. Les propositions d’André Déléage sur la villa ne seront pas détaillées dans le présent article. Le terme ne fait d’ailleurs pas l’objet d’une analyse propre dans A. DÉLÉAGE, La vie rurale en Bourgogne jusqu’au début du XIe siècle, Mâcon, 1941. 61. A. DÉLÉAGE, La vie rurale…, ibid., p. 534. 62. A. DÉLÉAGE, La vie rurale…, ibid. 63. A. DÉLÉAGE, La vie rurale…, ibid., p. 545 : « la villa ne pourrait-elle pas être la cellule territoriale à l’intérieur de laquelle les maîtres de la terre et des hommes sont liés entre eux par des liens de parenté qui leur donnent droit à un usage collectif d’une partie de son sol ? ». 64. A. DÉLÉAGE, La vie rurale…, ibid. ; A. GUERREAU-JALABERT, « Spiritus et caritas. Le baptême dans la société médiévale », in F. H ÉRITIER-AUGÉ et É. C OPET-ROUGIER, La parenté spirituelle, Paris, 1995, p. 133-205. 65. O. BRUAND, Les origines de la société féodale. L’exemple de l’Autunois (France, Bourgogne), Dijon, 2009. 66. O. BRUAND, Les origines de la société…, ibid., p. 181-204, ici p. 204 : le « modèle domanial apparaît plus comme un leurre, car il n’est visible, et encore sous une forme bien souvent partielle et dégradée, que dans les chartes qui concernent la haute couche des élites autunoises ». 67. A. GUERREAU, Le féodalisme, un horizon théorique, Paris, 1980, p. 179-184. 68. O. BRUAND, Les origines de la société…, op. cit., p. 225. 69. A. G UERREAU, « Les caractères fondamentaux de la manipulation formelle/statistique des textes historiques (“anciens”) numérisés. Éléments pour un programme de recherches », article inédit, 2012. 70. Cooc a été développé par Alain Guerreau. Il fonctionne comme une interface permettant d’articuler les fonctions du logiciel R, et plus particulièrement celles de la bibliothèque Rcqp, avec le logiciel de base de données CWB [http://cwb.sourceforge.net/ (consulté le 1er mai 2016)]. En 2010-2012, nous avions appliqué cette méthode sans utiliser d’algorithme spécifique, ce qui demandait une manipulation non automatisée des corpus. En 2016, l’exécution d’une simple ligne de code permet d’obtenir un résultat presque instantané. 71. B. BON, « OMNIA – Outils et Méthodes Numériques pour l’Interrogation et l’Analyse des textes médiolatins », Bucema, 13 (2009), p. 291-292 ; ID., « OMNIA : outils et méthodes numériques pour l’interrogation et l’analyse des textes médiolatins (2) », Bucema, 14 (2010), p. 251-252 ; ID., « OMNIA : outils et méthodes numériques pour l’interrogation et l’analyse des textes médiolatins (2) », Bucema, 15 (2011) [en ligne : http://cem.revues.org/12015 (consulté le 1er mai 2016)]. 72. A. BERNARD et A. BRUEL (éd.), Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny, 6 vol., Paris, 1876-1903. La version employée est celle numérisée par l’équipe du projet CBMA. Elle a été révisée à partir des datations données par Maurice Chaume, Didier Méhu et Barbara Rosenwein. L’ensemble contient

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un certain nombre d’actes relatifs à des biens situés hors du Mâconnais, mais ces derniers restent minoritaires face à la masse documentaire liée aux affaires locales (voir la note suivante). 73. H. ATSMA et J. VEZIN, « Autour des actes privés du chartrier de Cluny (Xe-XIe siècles) », in O. GUYOTJEANNIN, L. MORELLE et M. PARISSE (dir.), « Pratiques de l’écrit documentaire au XIe siècle », Bibliothèque de l’École des chartes, 155 (1997), p. 46-60 ; S. BARRET, « Note sur le Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny d’Auguste Bernard et Alexandre Bruel », Bucema, Les cartulaires, notices, 2009 [en ligne : http://cem.revues.org/11017 (consulté le 1 er mai 2016)] ; P. CHASTANG, « Le premier Cluny et l’écrit pratique. Quelques propositions », in D. IOGNA-PRAT, M. LAUWERS, F. MAZEL et I. ROSÉ (dir.), Cluny. Les moines et la société au premier âge féodal, Rennes, 2013, p. 95-110 ; M. INNES, « On the material culture of legal documents : charters and their preservation in the Cluny archive, ninth to eleventh centuries », in W. B ROWN, M. C OSTAMBEYS, M. INNES et A. K OSTO (dir.), Documentary Culture and the Laity in the Early Middle Ages, Cambridge, 2013, p. 283-320. 74. Nous verrons plus loin pourquoi ce nombre a été choisi en premier examen. Le script développé par Alain Guerreau permet d’afficher un graphique par anamorphose, dans lequel l’échelle de temps est régulière : c’est ce qui explique pourquoi, sur l’histogramme, certaines tranches sont larges (lorsque la documentation est abondante pour une période donnée) ou minces (lorsque la documentation se fait plus rare). 75. L’intensité des pics n’est donc pas comparable à celle du graphe précédent. 76. Environ 25 mentions par paquet de 25 800 mots, contre 215. 77. Si l’on excepte la moindre stabilité lors de la première phase et l’absence de rebond au tournant du XIIIe siècle. 78. L’explication par une « simple » évolution scripturaire paraît devoir ici être écartée. La localisation des biens évoqués dans les actes, fondement de la domination, devait nécessairement suivre une forme de consensus social, hors duquel les transactions auraient été caduques. Si des nuances, parfois fortes, s’observent d’un scribe à l’autre au sein d’un même scriptorium, il est peu probable que le choix de faire fréquemment allusion à un réseau de villae dépendait uniquement du bon vouloir du scripteur. 79. B.-M. TOCK (dir.), M. COURTOIS, M.-J. GASSE-GY et P. DY, La diplomatique française du haut Moyen Âge : inventaire des chartes originales antérieures à 1121 conservées en France, t. 1 (Introduction générale, album diplomatique, table chronologique, table des auteurs), et t. 2 (Table des destinataires, table des genres diplomatiques, table des états de la tradition manuscrite, table des sceaux, table des chirographes, table des cotes d’archives ou de bibliothèques), Turnhout, 2001. 80. Il convient néanmoins de garder à l’esprit que l’entité « France » n’existait pas sur la majeure partie de la chronologie étudiée. 81. P. GEARY, Naissance de la France. Le monde mérovingien, Paris, 1989, p. 209-253 [traduit de Before France and Germany. The Creation and Transformation of the Merovingian World, Oxford, 1988] ; S. LEBECQ, Les origines franques, Ve-IXe siècle, Paris, 1990 ; G. BÜHRER-THIERRY et C. MÉRIAUX, 481-888, la France avant la France, Paris, 2010, p. 261-293. 82. Voir néanmoins les analyses originales de J. J. LARREA, La Navarre du IVe au XIIe siècle, Paris/ Bruxelles, 1998, p. 323-326 (« La villa, cadre de base de la vie rurale »). 83. G. BÜHRER-THIERRY et C. MÉRIAUX, 481-888…, op. cit., p. 275-280. De nombreux travaux ont été consacrés à l’aristocratie et aux élites lors des dernières années : cf. J. MORSEL, L’aristocratie médiévale. La domination sociale en Occident (Ve-XVe siècle), Paris, 2004 ; F. BOUGARD, G. BÜHRER-THIERRY et R. LE JAN, « Les élites du haut Moyen Âge : identités, stratégies, mobilité », Annales, 4 (2013), p. 1079-1112. 84. A. GUERREAU, Le féodalisme…, op. cit., p. 208 : « Cluny était aussi à la limite de ce qu’on appelle France du Nord et France du Midi, près de la “frontière linguistique”, donc en contact tant avec l’Europe méridionale de substrat romain qu’avec l’Europe du nord plus germanisée. Cluny était dans le royaume, mais la Saône, frontière de l’Empire, coule à moins de quinze kilomètres. Cette

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position centrale ainsi que la relative prospérité locale, peut-être aussi l’éloignement de tout pouvoir féodal fort, firent de cette abbaye la tête d’un immense empire monastique aux dimensions de la Chrétienté » ; ID., « Réflexions sur l’historiographie clunisienne. Biais, apories, concepts », in D. MÉHU (dir.), Cluny après Cluny. Constructions, reconstructions et commémorations, 1790-2010, Rennes, 2013, p. 247-294 ; sur la situation de l’abbaye, voir de même : D. MÉHU, Paix et communautés autour de l’abbaye de Cluny (Xe-XVe siècle), Lyon, 2001 ; I. ROSÉ, Construire une société seigneuriale : itinéraire et ecclésiologie de l’abbé Odon de Cluny, fin du IXe-milieu du Xe siècle, Turnhout, 2008. 85. Lors d’études antérieures, nous avions déjà montré combien le corpus des originaux pouvait être proche des corpus composés essentiellement de cartulaires, et donc de copies : N. PERREAUX, « L’écriture du monde (I). Les chartes… », op. cit., § 27-41. 86. La chute dans les espaces ligériens semble très brutale : c’est ce qui explique par ailleurs la position particulière de la région sur l’ACP. 87. Seuls les diplômes considérés comme originaux ont été retenus, en particulier pour l’édition de C. BRÜHL et T. KÖLZER (éd.), Die Urkunden der Merowinger, 2 vol., Hanovre, 2001. Dans notre étude, l’ensemble de la section Diplomata a été pris en compte, depuis les Mérovingiens jusqu’à Frédéric Barberousse [† 1190]. 88. Voir note 3. 89. Sur les spécificités du grand domaine en Italie, nous renvoyons à P. TOUBERT, L’Europe dans sa première croissance…, op. cit., p. 117-144. 90. Voir note 3. 91. Fonction « coocA » et « coocB » de Cooc. 92. Grâce à la fonction « freqcooc » de Cooc. 93. Ce qui en fait le huitième cooccurrent de villa, parmi les substantifs, pour la période allant du VIe à la fin du VIIIe siècle (fenêtre de plus ou moins 5 mots autour du lemme). 94. Soit le dixième cooccurrent de villa, parmi les substantifs, pour la période allant du VIe à la fin du VIIIe siècle. 95. Sur ces termes, nous renvoyons à l’article de Marie-José Gasse-Grandjean dans le présent volume, « Cellula et monasteriolum dans les chartes de la Bourgogne médiévale ». 96. Soit le dix-neuvième cooccurrent de villa, parmi les substantifs, pour la période allant du VIe à la fin du VIIIe siècle. 97. M. SUTTOR, « Le rôle d’un fleuve comme limite ou frontière au Moyen Âge. La Meuse, de Sedan à Maastricht », Le Moyen Âge, 116/2 (2010), p. 335-366. 98. Ce qui ne désigne pas toujours un « fleuve » au sens contemporain, mais un cours d’eau large, au débit stable et important. Sur ce point, voir N. PERREAUX, L’écriture du monde. Dynamique…, op. cit., p. 951-970. 99. A. GUERREAU, « Fief, féodalité, féodalisme. Enjeux sociaux et réflexion historienne », Annales ESC, 45/1 (1990), p. 137-166 ; ID., « Seigneurie », in A. VAUCHEZ (dir.), Dictionnaire encyclopédique du Moyen Âge, Paris, 1997, p. 1415-1416. 100. Décomptes réalisés sur les occurrences des deux lemmes accolés. Nous avons ainsi réduit la distance (habituellement de plus ou moins cinq mots), pour nous concentrer sur les attributs propres à la villa. 101. Les contextes associant villa et pars sont cependant variables. Malgré une dominance de cette « parcellisation », la cooccurrence des termes désigne parfois une villa complète (contexte inverse), ou encore des biens morcelés situés dans une villa. Une étude exclusivement consacrée à ce problème serait probablement instructive. 102. À plus ou moins cinq mots entre les deux lemmes. 103. N. PERREAUX, L’écriture du monde. Dynamique…, op. cit., seconde partie de la thèse. Sur les notions d’encellulement et d’inecclesiamento, nous renvoyons à R. FOSSIER, Enfance de l’Europe, Xe-XIIe

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siècle. Aspects économiques et sociaux, 2 vol., Paris, 1982 ; M. LAUWERS, Naissance du cimetière : lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval, Paris, 2005 ; ID., « De l’incastallamento à l’ inecclesiamento. Monachisme et logiques spatiales du féodalisme », in D. IOGNA-PRAT, M. LAUWERS, F. MAZEL et I. ROSÉ (dir.), Cluny…, op. cit., p. 315-338. 104. L’encellulement étant lui-même un phénomène extrêmement variable dans son intensité et sa chrono-géographie. Voir note précédente et N. PERREAUX, « L’écriture du monde (I). Les chartes… », op. cit. 105. Car il est possible que cette dislocation ne soit pas une cause directe de l’évolution des pouvoirs royaux, mais plutôt de la réorganisation des factions dominantes liées à ces derniers. 106. F. BOUGARD, G. BÜHRER-THIERRY et R. LE JAN, « Les élites… », op. cit. 107. Concernant la géolocalisation des documents anciens, nous renvoyons désormais à M.-J. GASSE-GRANDJEAN et L. SALIGNY (dir.), Géolocalisation et sources anciennes ?, Bucema, Hors-Série n° 9 (2016) [en ligne : https://cem.revues.org/13770 (consulté le 3 mai 2016)]. 108. Dans le cas contraire, les pics d’occurrences seraient plutôt localisés aux moments où les royautés sont installées et puissantes. 109. G. BÜHRER-THIERRY, L’Europe carolingienne : 714-888, Paris, 2010 (1re édition en 1999), chapitre 3.2. 110. N. PERREAUX, « L’écriture du monde (I). Les chartes… », op. cit. 111. Voir en dernier lieu la synthèse de S. WOOD, The Proprietary Church in the Medieval West, Oxford, 2006. 112. J.-P. DEVROEY, Puissants et misérables…, op. cit., p. 455 : « Les villae que nous rencontrons dans les sources écrites correspondent tantôt au terroir d’un village (au sens géographique du mot), tantôt à l’espace d’une paroisse ancienne (un ou plusieurs villages actuels avec leur territoire), mais le vocable sert également à désigner des entités plus restreintes, comme des habitats intercalaires ou des ensembles discontinus, comme des groupements domaniaux ou des aires de domination plus vastes encore dans lesquelles un puissant détient des droits ou des revenus sur une partie ou la totalité des habitants. » Sur la polysémie de la villa, voir de nouveau : É. RENARD, « Domaine, village ou circonscription… », op. cit. ; ID., « La gestion des domaines d’abbaye aux VIIIe-Xe siècles. Notions de base et conseils pour une meilleure compréhension des sources écrites », in Une abbaye et ses domaines au haut Moyen Âge, Saint-Hubert, 1999 [éd. De la Meuse à l’Ardenne, n° 29], p. 115-150, ici p. 129-131 (« Le piège des mots : Villa »). 113. Il s’agirait, en premier lieu, de distinguer l’évolution des villae désignant des grands domaines et celle des villae constituant des circonscriptions territoriales. Bien que l’opposition entre ces objets nous paraisse devoir être partiellement révisée, nous avons mené des expériences de contrôle. Le syntagme « in villa » permet, en effet, le plus souvent de s’assurer que la villa mentionnée désignait une circonscription. Or, celui-ci est très fréquent (plus de 20 000 occurrences, soit près d’un tiers des villae à l’échelle européenne), et suit la chronologie du lemme dans son ensemble. À l’inverse, les mentions associant directement villa et dono (« dono villam meam », « donamus villa nostram », etc.) sont très rares sur la totalité du corpus (34 occurrences sur 67 000 pour le lemme). De même, les mentions de « villa cum […] » sont plutôt rares : un peu plus de 1 000 occurrences seulement. Il est vrai que dans ce dernier cas, où la villa désignerait plutôt des grands domaines, la chute des mentions paraît un peu plus précoce (entre le IXe et le Xe siècle). Toutefois, dans un cas comme dans l’autre, les chronologies sont proches. Des expériences futures permettront, espérons-le, de préciser ces points.

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AUTEUR

NICOLAS PERREAUX Goethe-Universität Frankfurt am Main, SFB 1095 « Schwächediskurse und Ressourcenregime » (Teilprojekte B05)

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Oratoires et chapelles, domus et villae. Une origine des monastères

Christian Sapin

1 L’archéologie est souvent trop limitée en France aux seuls lieux de culte des monastères ou à certains aspects de leur topographie, en fonction des opportunités, notamment, et par définition en archéologie préventive ; il est ainsi rare que l’on puisse remonter par la présence de vestiges matériels aux sources de la fondation. Ceci est plus regrettable et limite la compréhension de l’émergence des sites, tandis que les sources textuelles les attestant sont, elles, nombreuses, tout en restant ambiguës. Elles peuvent l’être sur les termes du monastère désigné aussi bien par monasterium ou coenobium, comme Saint-Germain d’Auxerre, que par abbatiola pour Saint-Médard de Soissons, autre grand monastère carolingien, ou encore par capella pour le monastère de Saint-Sulpice de Bourges1. On pourrait penser, à l’inverse, que la mention de la présence d’une villa, antérieure à la fondation, suffit pour saisir les conditions d’implantation, mais rarement la source n’indique son emplacement sur le domaine ou sa relation avec des bâtiments existant. C’est cette simple question que nous aimerions poser à travers quelques exemples emblématiques et des cas plus concrets pris dans l’Ouest et en Bourgogne. À terme, il faudrait faire un inventaire exhaustif des termes utilisés dans les actes de fondation, autant pour les monastères ruraux, semi-urbains qu’urbains2, et croiser ces mentions avec celles de villa et de capella, par exemple.

2 En Bourgogne, Nicolas Perreaux – voir son intervention sur les villae – a pu recenser les mentions villa associée à capella3. Cum capella de 825, connue pour Cluny, serait la plus ancienne du genre4. Dans la même zone géographique, on retrouve une mention approchant à Autun en 875 : in alio loco villam Garillas cum duabus capellis et omni re ad se pertinente5. En 877, et toujours pour Saint-Martin, on trouve : quasdam villas concederemus que vocantur Vitriaria villa cum capella in honore S. Martini6. En 885, à Saint- Étienne de Dijon, est mentionné : in villa quoque Quintiniaco capellam cum dote, ainsi qu’en 887 : In villa Mervello mansa III et in villa Siliciaco capellam cum dote et decimis et In villa quoque Quintiniaco capella cum dote et decimis7 (n° 10).

3 Oratorium peut aussi devenir un toponyme lié à une villa, par extension. Ainsi, à Saint- Martin-des-Champs, en 1222, on trouve précisément une uillam que dicitur Oratorium8.

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Plus proche de nous, en Bourgogne, le terme d’oratoire pouvait en effet être employé afin de désigner des villae : ex quodam curtile que adiacet in uilla que dicitur Oratorium lit- on dans le cartulaire de Saint-Marcel-lès-Chalon9. Dès lors, on peut s’interroger, dans le cas du site de Saint-Aubin (Côte-d’Or), désigné sous le simple terme oratorium au XIIe siècle, avec cette précision ecclesia sancti Albani de Oratorio10. Il n’est pas question alors de villa dans les sources connues, mais on peut se poser justement la question sur une origine de cette nature. Cette église, en effet, donnée à la fin du Xe siècle par le duc Henri de Bourgogne aux chanoines de Beaune, ne peut être une simple chapelle isolée. L’étude archéologique récente a confirmé une construction du Xe siècle11. L’interprétation de l’église n’est pas aisée, mais avec son double niveau de chœur à l’est et sa tour porche occidentale, comportant un accès supérieur depuis un lieu disparu au nord, on peut se demander s’il n’y a pas là un héritage d’un lieu de culte privé d’une demeure aristocratique inconnue.

4 Si l’on s’attarde sur la notion de chapelle et de villa – dans le sens où les antiquistes la retiennent, c’est-à-dire comme ensemble lié à la résidence et non au domaine comme les médiévistes la désignent par la suite12 –, à travers sa pars urbana et un éventuel oratoire, on peut aussi s’interroger sur la part de l’héritage issue de l’Antiquité tardive et de l’organisation des espaces. On sait peu de chose de ce qui a pu précéder certaines fondations monastiques, comme pour ce monastère éphémère fondé par Cassiodore à Vivarium au VIe siècle13. Dans un autre cas, de contexte funéraire cette fois, comme à Cimitile (Italie), où les vestiges demeurent, on comprend que ce n’est pas seulement une chapelle qu’édifie Paulin de Nole, mais tout un complexe ecclésial avec plusieurs atria, sorte de domus funéraire autour de la tombe de Félix14. Ainsi, rechercher une filiation purement formelle est peu opérant. Cette question des filiations avec les villae antiques a déjà été posée pour l’espace atrium et sa correspondance, ou pas, avec les cloîtres, avec un problème de hiatus15. Dans notre cas, il s’agit plus précisément de saisir les filiations éventuelles autour de la notion de lieu de culte privé de la villae et fondation monastique.

5 Rappelons que dans les riches villae de l’Antiquité et de l’Antiquité tardive, dont certaines sont décrites par Fortunat dans ses poèmes16, des salles à abside sont présentes pour toute sorte d’usage, notamment la fonction d’apparat et de lieu de banquet pour les élites17. On assiste à une surélévation des absides en Europe correspondant à une fonction plus autonome. Sans arguments spécifiques – du type autel, emplacement de relique, ciborium, inscription, usage funéraire –, il est difficile d’attester une fonction cultuelle. L’analyse plus fine lors de fouilles récentes ou de leur réinterprétation permet de démontrer des continuités d’usage des villae, comme à Séviac à Montréal (Gers)18 ou à Fraga (province de Huesca, Espagne) 19, et pour bien d’autres exemples où une partie de l’ancienne partie résidentielle est utilisée20. Dans l’exemple de la grande villa antique à péristyles de Séviac, fouillée depuis le XIXe siècle, on observe une occupation sur une longue durée avec un usage chrétien qui n’est pas seulement funéraire, comme à Neujon-Montségur, La Valentine ou l’Île-Jourdain21. Cet usage pour une communauté chrétienne est attesté par un petit baptistère. On constate en même temps que la chapelle à abside s’ajoute à une salle antique à double abside – avec un sol de mosaïque cassé pour une cuve baptismale. Un autre édifice cultuel, séparé et plus éloigné, est établi et demeure seul par la suite au haut Moyen Âge. Ces continuités d’occupation chrétienne de villae, dès la fin du Ve siècle, couplée avec des

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fondations d’église ou de monastère, apparaissent clairement dans certaines régions lors d’enquêtes archéologiques de terrain recueillant de multiples indices22.

6 Plusieurs cas de figure peuvent exister dans la transformation des villae, sans donner naissance à un monastère bien entendu ou à un lieu de culte particulier. On peut aussi constater la pérennité de la structure de la villa et l’adjonction d’un nouvel espace dévolu au culte, comme l’archéologie l’a montré à Vandeuvre (Suisse)23. On découvre que, à côté de la pars urbana de la villa, est construite vers 400 une petite chapelle oratoire avec autel, qui va accueillir des sépultures dans la nef. Une multiplication des fouilles de ce type, c’est-à-dire suffisamment étendue, permettrait sans doute de retrouver, ici et là, en Gaule, l’installation de telle chapelle pouvant être déterminante dans la fondation et la topographie de premiers monastères.

7 Le site emblématique bien connu de Ligugé (Vienne) est, rappelons-le, le lieu de fondation d’une communauté par saint Martin vers 360-361. Le monastère prend le relais de la pars urbana d’une grande villa, dont l’état, lors de l’installation de Martin, nous est inconnu. On a retrouvé les vestiges d’un bassin avec une exèdre demi- circulaire, qui avait rappelé dans un premier temps les salles à abside déjà évoquées, mais les dernières recherches tendraient à situer l’abside comme un ajout créant un espace de 14 m sur 5 m, pour une première église aux Ve-VIe siècles, réutilisant les murs latéraux d’une salle antérieure plus longue, qui aurait pu être liée à la présence de la communauté au temps de Martin ; sa construction réutilisant, en le réduisant, un grand bassin antique24. À Vouneuil (Vienne), situé également près de Poitiers, dont le site est lui surtout connu par les nombreux stucs découverts par la fouille25, on sait désormais que ce décor de stucs appartenait, non à l’église carolingienne où ils furent trouvés, mais, vraisemblablement, à une salle de la fin du Ve siècle que les fragments de décors et d’arcatures reconstitués permettent de suggérer26. On peut penser, du fait de son iconographie, qu’il s’agit d’un grand oratoire de la villa. Celle-ci est deux fois citée à la fin du haut Moyen Âge avec la mention d’une chapelle Saint-Pierre – l’église retrouvée sous sa reconstruction gothique – ; ce domaine et son église deviendront un prieuré de l’abbaye Saint-Cyprien de Poitiers27.

8 Toujours dans l’Ouest, on peut aussi citer le cas de l’abbaye de Saint-Philbert-de-Grand- Lieu, qui a pour origine la villa de Deas donnée, avec trois autres domaines, par l’évêque de Poitiers Ansoald en 677 aux moines du monastère de Herio-Noirmoutiers, fondé par Philibert28. Si l’on commence à mieux connaître les étapes de construction de l’abbatiale, établie au IXe siècle sur ce site29, aucun élément probant ne permet de reconstituer archéologiquement la construction in situ au VIIe siècle ayant précédé avant 818 le monastère. Seuls de faibles indices incitent à voir dans l’emplacement du chevet l’hypothèse d’une première chapelle30. Plus concrètement, ce sont trois chapiteaux et une colonne – réutilisés ou retrouvés lors des premières fouilles31 –, qui attestent une occupation haute. La colonne comme les chapiteaux de marbre peuvent, en effet, appartenir à une ancienne villa, car ils sont, par leur dimension, proches d’éléments semblables trouvés dans les villae d’Aquitaine 32. Ils peuvent provenir du péristyle d’une résidence in situ, ou à proximité, et pourraient témoigner d’une véritable construction de la résidence d’une villa dès l’Antiquité tardive. La réutilisation de ces éléments dans le monastère illustre ici, et comme on le voit ailleurs – Selles-sur-Cher, Saint-Germain-des-Prés à Paris, par exemple33 –, le souhait d’intégrer des formes visibles d’ancienneté de la possession ou de la fondation. L’enquête sur ces effets de continuité est à poursuivre à l’échelle de la Gaule, ce que devrait permettre à

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terme le corpus Care, réunissant toutes les informations sur les lieux de culte entre le IVe et le Xe siècle34.

Villae et fondations monastique en Bourgogne

9 Aux abords des cités, où se manifestent les premiers signes de christianisation, la présence de riches villae est, pour certaines, à l’origine de lieux de cultes, soit en relation avec une nécropole, soit avec la création de monastères. À Saint-Pierre d’Autun, c’est bien une pièce de la villa qui deviendra le bâtiment église, auquel on ajoutera au Ve siècle une abside. Cet ensemble voué à la mémoire des défunts, et en particulier des évêques, où passaient de nombreux fidèles35, devait être probablement géré par des clercs attachés à l’évêque. C’est ainsi qu’apparaît au IXe siècle le terme de monasterium. Son responsable était appelé abbé, sans que pour autant il y ait eu une communauté36. On retrouve pour Saint-Clément de Mâcon, où étaient inhumés les premiers évêques de la ville, les restes d’hypocauste qui suggèrent la présence d’une importante villa37.

10 Aux Ve siècles, à Auxerre, d’après les sources carolingiennes, c’est bien dans une villa familiale qu’est inhumé Germain en 44838. La Vita de la fin du Ve siècle ne le dit pas, mais sa reprise par le moine Heiric au milieu du IXe siècle nous indique que : Son lieu de sépulture était alors un tout petit oratoire, consacré dans son propre domaine en l’honneur du martyr Maurice ; cet homme tout à fait exceptionnel l’avait confié auparavant à la responsabilité de Saturnus afin qu’avec le grade sacerdotal il assure le service auprès des reliques des martyrs.

11 C’est ce petit oratoire de la villa qui deviendra le chœur de la future basilique construite au VIe siècle par la reine Clotilde, selon les Carolingiens. Il n’y a pas là fondation primitive d’un monastère, comme à Ligugé, dans la villa, mais processus d’évolution et de passage d’un oratoire à un lieu de culte vénéré du fait de la présence de la tombe de Germain, puis, après construction d’une basilique et la présence de moines au haut Moyen Âge, à un statut monastique39. L’archéologie a retrouvé quelques vestiges de maçonneries de la domus du domaine, qui semblent s’ordonner selon un plan régulier, avec la chapelle au sud, datée par les fouilles et du mobilier du Ve siècle. Cette ordonnance est à la base de la topographie du futur monastère. Mais bien avant, dès le Ve siècle, alors que Germain est évêque d’Auxerre, celui-ci fonde de l’autre côté de la rivière, à l’opposé de sa villa et de sa cathédrale, un véritable monastère dédié à saint Cosme et saint Damien. Il disparaît assez vite des sources et on ne connaît pas son emplacement exact, et encore moins s’il succédait à une occupation antique. On ne le sait pas plus à Autun, où le monastère de Saint-Symphorien semble également avoir existé dès le Ve siècle. La présence à proximité de substructions antiques peut supposer que la fondation de l’évêque Euphrone ne s’est pas fait ex nihilo40.

12 À Sainte-Colombe de Sens (Yonne), les fouilles de 1853 ont révélé de nombreux vestiges antiques, en particulier, des murs, des tuiles et des marbres. Le site qualifié de villa, dans le sens de domaine, au VIIe siècle, comporte une basilica, qui est visiblement à l’origine de l’emplacement du monastère attesté à la même date41. Sa situation et les données recueillies ne sont pas les mêmes que l’autre grand monastère du haut Moyen Âge qu’est Saint-Pierre-le-Vif, qui trouve son origine à proximité d’une nécropole42.

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Villae et fondations carolingiennes

13 Aux VIIIe-IXe siècles, les sources nombreuses attestent des villae, entendu comme domaines, pour certaines à l’origine de plusieurs monastères. C’est le cas de la villa de Cluny apparue dans les sources en 825 (cf. infra) et que l’archéologie situe désormais, pour sa construction avec sa chapelle, dès le milieu du VIIIe siècle. La villa est mentionnée pour la première fois dans un acte qui relate un échange de cette propriété, terre fiscale, et rend compte des possédants successifs, l’évêque Hildebrand (ou Hildebaud 815-850) et le comte de Mâcon, Guérin43. Un second document, considéré comme une charte authentique, datée de 893, correspondant à l’acte de donation de Ava à son frère Guillaume le Pieux, duc d’Aquitaine, confirme l’existence de la villa, près de la Grosne, et indique, parmi d’autres possessions, la présence d’églises et de chapelles. Enfin, l’acte de fondation de 910 relate l’ensemble des termes de la villa et de la chapelle désignée, cette fois, sous le double vocable de Sainte-Marie et Saint-Pierre. Les dernières recherches archéologiques, conduites sur le site en 2012-201344, ont permis de donner une réalité à une partie de la domus de la villa et de retrouver la chapelle – 10,40 m sur 5,20 m ; longueur de la nef 7,70 m ; ouverture de l’abside 2,70 m. Celle-ci était au contact de la résidence et comportait plusieurs états d’occupation, attestés par deux sols – dont l’un daté par une monnaie de Charles le Chauve. Les vestiges de la base de l’autel ont été retrouvés. Dans l’exemple de Cluny, où l’on peut suivre la continuité de la construction entre le VIIIe siècle et l’arrivée des moines au début du Xe siècle, on perçoit parfaitement comment la topographie et l’organisation des espaces ont été déterminantes dans l’implantation et le développement du monastère. Un autre aspect de continuité est affirmé par l’adoption de la chapelle comme lieu de référence des origines, conservé et reconstruit plusieurs fois au contact de la salle du chapitre, en accueillant une partie de la liturgie funéraire, créant un lieu de mémoire que les autres fondations clunisiennes auront soin de reproduire. La possession de la villa de Cluny par l’évêque de Mâcon au début du IXe siècle peut rappeler le cas, quasi contemporain, de l’oratoire de Germigny construit entre 799 et 818 par l’évêque d’Orléans Théodulf. Même si l’architecture n’a rien à voir, elle se rattache à une villa ou un palatium à proximité45. Son plan centré n’était peut-être pas rare et on serait tenté de le restituer pour l’oratoire de la villa de Saint-Julien, près de Tournus, à partir des vestiges reconnus par l’étude de bâti46. Il est probable, en dépit des traditions qui voudraient faire remonter son origine au VIe siècle, que l’église romane actuelle soit née de l’oratoire de la villa encore mentionnée en 953 et 983 (In villa Siniciaco)47. Par la suite, cette église est citée dans les sources comme une dépendance du prieuré clunisien de Saint-Marcel-lès-Chalon, attesté seulement depuis la fin du Xe siècle48.

14 Le futur prieuré clunisien de Souvigny (Allier) possède une origine proche, avec la donation par Aymar à Cluny de la villa de Sylviniacum vers 915-920. Le contexte, qui montre une occupation bien antérieure d’une population liée à un établissement déjà important, avec une église dédiée à Saint-Pierre, est maintenant mieux connu grâce à l’archéologie49, même si des questions demeurent quant aux débuts de l’organisation monastique et de ses bâtiments50.

15 À proximité de Chalon-sur-Saône, le prieuré Saint-Martin de Mellecey doit son origine à une villa qualifiée en 761 de « publique », détruite alors par un incendie51. En 775, Mellecey, Melciacus, appartient à l’abbaye Saint-Martin de Tours, qui obtient de Charles

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le Chauve, en 877, le droit de bâtir un monastère. Durant tout le Xe siècle, la propriété de Mellecey, mentionnée plusieurs fois, est dans la manse de Saint-Martin de Tours, et c’est peut-être à cette période qu’appartiennent certains vestiges de l’église intégrée aujourd’hui dans une propriété privée52. Quelques découvertes fortuites de mobilier semblent pouvoir rattacher ce site à une origine antique.

16 La villa de Perrecy-les-Forges, autre domaine, terre de fisc et objet de conflits, est donnée aux moines de Saint-Benoît-sur-Loire à la fin de l’époque carolingienne par Heccard, probablement afin de les protéger des incursions vikings sur la Loire, selon des sources plus ou moins remaniées par la suite, cherchant à assurer l’assise foncière monastique53. Les derniers travaux archéologiques ont permis d’identifier des éléments d’une construction antérieure à l’an Mil, réutilisée comme fondation par l’église actuelle datée du second quart du XIe siècle54.

17 C’est également un édifice du Xe siècle que la nouvelle étude de notre collègue Guido Faccani sur les anciennes fouilles pratiquées sous la prieurale de Payerne (Suisse) a permis de restituer. Ces recherches conduisent à identifier en même temps des continuités et des ruptures dans la filiation de propriétés d’une villa encore citée au VIe siècle, avec un oratoire dédié à Marie.

18 À Vézelay, l’un des deux monastères fondés par le comte Girard se situe sur un ancien domaine (site de Saint-Père) au terme d’un échange obtenu sous Louis le Pieux, aux environs de 819-82055, avec l’appui de l’impératrice Judith56. C’est à la génération suivante, dans un contexte différent, que le comte Girard et son épouse Berthe fondent, vers 860, pour des moniales, Vézelay, et pour des moines, Pothières. Ils sont situés à la limite des possessions du comte et des terres véritablement contrôlées par Charles le Chauve, qui correspondent à des lieux stratégiques ouvrant vers la vallée de la Seine au nord et vers la Loire à l’ouest. Les dernières recherches sur les origines du premier site de fondation à Saint-Père, avant que le monastère soit déplacé sur la colline où subsiste aujourd’hui l’abbatiale romane bien connue, semblent indiquer que, dès l’Antiquité, existe là une grande villa dont on a retrouvé la pars rustica57. Les prospections de surface, comme la fouille de l’ancienne église Saint-Pierre, montrent une continuité au moins du Ier au Ve siècle par la céramique, ce qui s’accorde avec les observations faites en prospection sur la région d’Avallon58. À Saint-Pierre, deux maçonneries peuvent être attribuées au VIe siècle par 14C, tandis que les sépultures en sarcophages semblent pouvoir, par leur typologie, assurer une continuité du VIe au VIIIe siècle. À partir de là, on peut suggérer que la fondation monastique du haut Moyen Âge hérite d’un domaine déjà présent et transmis depuis l’Antiquité, et que c’est sur une partie de cet espace et probablement sur la partie résidentielle de la villa que s’installent les principaux bâtiments. Nous proposons de voir là un groupe monastique avec une église abbatiale dédiée à Notre-Dame, qui serait sous l’église gothique actuelle59, et une église Saint- Pierre à vocation funéraire sur un secteur déjà dévolu à cette fonction, et où ont été retrouvés deux fragments de chancel à entrelacs. Cette église Saint-Pierre deviendra paroissiale jusqu’au XVIe siècle (et son incendie), avant que la charge ne passe à l’église Notre-Dame.

19 Pour Pothières, nous savons que la fondation se fait sur ses terres, correspondant à un ancien nom In agro respiciente ad villam quam ex antiquo Pularias nominant60. L’archéologie n’a pas encore pu atteindre sur le site même des données traduisant une forme d’occupation antérieure. Celle-ci est attestée à proximité du site de l’abbaye et également du village depuis l’Antiquité, avec mobilier céramique et mosaïques signalés

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lors de fouilles anciennes61. Par ailleurs, une inscription funéraire en marbre pouvant dater de la fin du Ve siècle selon les dates évoquées d’un consul, est signalée au XVIIIe siècle comme utilisée au-dessus de l’autel62. Même si rien ne prouve, jusqu’à présent, qu’elle ne vienne pas d’un tout autre secteur du site, on peut se demander si cette inscription ne constitue pas un indice d’une origine funéraire ou de la présence d’un mausolée, c’est-à-dire d’un lieu de mémoire lié à une propriété dès l’Antiquité tardive. Aucun élément n’a encore été trouvé in situ et on peut aussi se demander si certains murs nord-sud ou est-ouest, identifiables par le radar63, ne sont pas éventuellement des maçonneries plus anciennes, reprises par le dispositif médiéval de l’église ou du carré claustral, ou bien ceux de l’organisation de la domus, comme on le constate à Cluny.

20 En conclusion, l’exemple de Cluny, de sa domus et de sa chapelle ne doit pas relever d’un cas isolé, comme on s’en doute, mais pose la question des choix particuliers – continuité des lieux de propriétés et de pouvoir – et des orientations topographiques – reprise in situ des constructions ou déplacement à proximité – faits par les fondateurs et constructeurs dans l’établissement de fondations monastiques sur leurs propriétés. On sait qu’à une large échelle, ces fondations vont participer d’une restructuration du territoire et que les transformations du paysage antique commencent à être mieux connues grâce à la microanalyse de certaines régions. Si l’on zoome sur la partie construction et résidentielle de la villa, qui montre toutes sorte de transformations et pas toujours d’abandon, la présence d’un lieu de culte initial dès l’Antiquité tardive ne se dissout pas dans la nouvelle fondation, sans que l’on mesure toujours sa fonction précise pour les populations64. Dans le cas de Cluny et d’une fondation monastique connue, le lieu de culte privé de la domus est associé aux nouveaux bâtiments et devient source d’une nouvelle liturgie avec la chapelle Sainte-Marie, qui sera liée à la salle du chapitre et à l’infirmerie65. La villa est bien ici également à l’origine du monastère par les bâtiments de la pars urbana, dont la régularité va guider la topographie future, et aussi bien entendu par le domaine avec les terres, dépendances et possessions, comme il se doit. Qu’en est-il des nombreux exemples cités, dont on ne connaît qu’une faible partie de la réalité matérielle, et souvent que du lieu de culte, sans pouvoir établir de relations évidentes dans l’espace considéré et dans la diachronie des occupations ? Les avancées des techniques de prospection géophysiques devraient offrir à l’avenir d’autres perspectives, en attenant des fouilles complètes de ces espaces.

NOTES

1. Cf. N. HURON, Termes de topographie urbaine dans les actes des rois de France entre 840 et 987, Tours, 1990. 2. Pour les monastères urbains (variété des appellations cellula, abbatiola, etc.), voir F. PRÉVOT, M. GAILLARD et N. GAUTHIER (éd.), Topographie chrétienne des cités de la Gaule des origines au milieu du VIIIe siècle, t. 16, Paris, 2014, p. 389-390 et les communications de cette table ronde (M.-J. Gasse- Grandjean…). 3. Nous le remercions pour ces rappels de mentions et pour les échanges qui ont suivi.

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4. Cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon, éd. RAGUT, Mâcon, 1864, copie du XVIIIe siècle, acte 55 : Primitus enim dat Hildebaldus episcopus de jam dicta ratione Sancti Vincentii martiris et preceptione domni serenissimi Ludovici imperatoris, partibus Warino comiti et uxori sue Albane, villam in pago Matiscensi, cujus vocabulum est Cluniacum, ipsam villam cum capella, casa dominicata et reliquis mansis… 5. J.-G. BULLIOT (éd.), Essai historique sur l’abbaye de Saint-Martin d’Autun, de l’ordre de saint Benoît, Autun, 1849, n° 3 (875). 6. J.-G. BULLIOT (éd.), Essai historique…, ibid., n° 8 (877). 7. J. COURTOIS (éd.), Les origines de l’hypothèque en Bourgogne et chartes de l’abbaye de Saint-Étienne : des VIIIe, IXe, Xe et XIe siècles, Dijon, 1908, chartes n° 8 et 10. 8. J. DEPOIN (éd.), Recueil de chartes et documents de Saint-Martin-des-Champs, monastère parisien, 5 vol., Paris, 1912-1989, ici t. 3, n° 391 (1er janvier ou 3 avril 1222-1er janvier ou 23 avril 1223). 9. CANAY DE CHIZY (éd.), Cartulaire du prieuré Saint-Marcel-lès-Chalon, Chalon-sur-Saône, 1894, n° 81. 10. Bulle de 1147 du pape Eugène III, éd. JAFFÉ, Regesta Pontificum Romanorum, n° 9326. 11. C. SAPIN, « Saint-Aubin (Côte-d’Or), nouvelles recherches sur un “oratoire” méconnu du Xe siècle », Architecture, décor, organisation de l’espace. Les enjeux de l’archéologie médiévale, Mélanges Jean-François Reynaud, Lyon, 2013 (Dara, 38), p. 47-54. 12. Voir, sur ces questions de désignation, le capitulaire De Villis et curtis imperialibus (vers 810-813), texte, trad. et com. É. MAGNOU-NORTIER, Revue historique, 3 (1998), p. 652, n. 4. 13. CASSIODORE, Institutiones, Div. I, 29. 14. C. EBANISTA, « La basilica di S. Felice a Cimitile », Memorie dell ‘Accademia di Archeologia, 15 (2003). 15. R. LEGLER, Der Kreuzgang. Ein Bautypus des Mittelalters, Francfort, 1989 ; W. JACOBSEN, « Die Anfänge des abendländischen Kreuzgangs », in P. KLEIN (dir.), Der mittelalterliche Kreuzgang, Architektur, Funktion und Programme, Regensburg, 2004, p. 37-56 ; J.-P. CAILLET, « Atrium, péristyle et cloître : des réalités si diverses ? », in P. KLEIN (dir.), Der mittelalterliche Kreuzgang…, ibid., p. 57-65. 16. VENANCE FORTUNAT, Poèmes, éd. M. REYDELLET, Paris, 1994, t. 1, XX. 17. E. MORVILLEZ, Apparition et développement des absides dans l’architecture domestique gallo-romaine. Décor et architecture en Gaule entre l’Antiquité et le haut Moyen Âge, mosaïque, peinture, stuc, Bordeaux, 2011, p. 257-278. 18. J. LAPART et J.-L. PAILLET, « Montréal-du-Gers, Lieudit Séviac », in Les premiers monuments chrétiens de la France, t. 2, p. 162-167. 19. L’ensemble résidentiel du IIIe siècle a été réaménagé pour accueillir au VIe siècle, en lien avec le péristyle, une église pour une communauté, cf. M. CRUZ FERNANDEZ CASTRO, Villas romanas en Espana, Madrid, 1982. 20. Voir, pour l’Espagne : A. CHAVERRIA ARNAU, Monasterios, campesinos y villae en la Hispania visigoda : La tragica historia del Abad Nancto, Turnhout, 2004, p. 113-125. Voir les exemples de La Cocosa au sud-est de Mérida (fin IVe-VIe siècle) de la réutilisation de la pars urnana à Torre de Palma ou du futur monastère de Sao Cucufate. 21. Sur ces exemples, cf. Les premiers monuments chrétiens de la France, t. 2, Paris, 1996. 22. Pour le sud de la France, voir en particulier Y. CODOU et M.-G. COLIN, « La christianisation des campagnes (IVe-VIIIe siècle) », Gallia, 64 (2007), p. 57-81 ; M.-G. COLIN, « Christianisation et peuplement des campagnes entre Garonne et Pyrénées, IVe-Xe siècle », Archéologie du Midi médiéval, 5 (2008, supplément), p. 109-113 ; L. SCHNEIDER, « Les églises rurales de la Gaule (Ve-VIIIe siècle). Les monuments, le lieu, et l’habitat : des questions de topographie et d’espace », in M. GAILLARD (éd.), L’empreinte chrétienne en Gaule du IVe au IXe siècle, Turnhout, 2014, p. 419-468.

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23. J. TERRIER, « L’apport des fouilles des églises rurales de la région genevoise à la connaissance de la christianisation des campagnes », in M. GAILLARD (éd.), L’empreinte chrétienne…, ibid., p. 389-418. 24. Voir la dernière analyse dans B. BOISSAVIT-CAMUS, « Les édifices cultuels de Saint-Martin de Ligugé (Vienne) », in L. BOURGEOIS (dir.), Wisigoths et Francs, autour de la bataille de Vouillé (507), Poitiers, 2010, p. 215-234. 25. C. SAPIN (dir.) Les stucs de l’Antiquité tardive de Vouneuil-sous-Biard (Vienne), Paris, 2009 (Gallia, 60e supplément). 26. Plusieurs maçonneries appartenant à l’Antiquité tardive, d’après la céramique, déterminent l’amorce d’une structure quadrangulaire, mais difficilement restituable, cf. C. SAPIN (dir.) Les stucs de l’Antiquité tardive…, ibid., p. 66-68. 27. L. BOURGEOIS, « Cadre historique et naturel du site de Vouneuil-sous-Biard », in C. SAPIN (dir.) Les stucs de l’Antiquité tardive…, ibid., p. 15-21. 28. Cf. L. MAÎTRE, Bibliothèque de l’École des chartes, 59 (1898), p. 240-241. 29. F. HEBER-SUFFRIN, D. PRIGENT et C. SAPIN , « L’abbatiale carolingienne de Saint-Philbert-de- Granlieu. Le chevet et ses aménagements », Bulletin monumental, 173/2, p. 99-144. 30. F. HEBER-SUFFRIN et alii, « L’abbatiale carolingienne… », ibid., p. 123-124 et 132. Seule des vérifications au sol dans l’espace non fouillé du sanctuaire pourraient apporter la preuve de ce premier état suggéré par l’analyse du bâti au niveau de l’extérieur nord du pilier nord-est de la croisée. 31. F. HEBER-SUFFRIN et alii, « L’abbatiale carolingienne… », ibid., p. 145-150. 32. C. BALMELLE, Les demeures aristocratiques d’Aquitaine, société et culture de l’Antiquité tardive dans le sud-ouest de la Gaule, Bordeaux, 2001. 33. P. PLAGNIEUX, « L’abbatiale de Saint-Germain-des-Prés et les débuts de l’architecture gothique », Bulletin monumental, 158 (2000), p. 6-86. 34. Http ://care.huma-num.fr/care/index. 35. C. SAPIN, « Autun. Église Saint-Pierre l’Estrier », in Les premiers monuments chrétiens de la France, t. 3, Paris, 1998, p. 64-69. 36. L. PIETRI, « Les abbés de basilique dans la Gaule du VIe siècle », Revue d’histoire de l’Église de France, 69 (1983), p. 5-28. 37. C. SAPIN, « Mâcon, Ancienne église Saint-Clément », in Les premiers monuments chrétiens de la France, t. 3, Paris, 1998, p. 70-74. 38. J .-C. PICARD, « Auxerre », in Topographie chrétienne des cités de la Gaule, t. 8, 1992, p. 58-59 ; C. SAPIN (dir.), Archéologie et architecture d’un site monastique. 10 ans de recherche à l’abbaye Saint- Germain d’Auxerre, Auxerre/Paris, 2000. 39. H. ATSMA, « Klöster und Mönchtum im Bistum Auxerre bis zum Ende des 6. Jahrhundert », Francia, 11 (1984), p. 1-96. 40. M. GAILLARD et C. SAPIN, « Monastères et espace urbain au haut Moyen Âge », Mélanges de l’École française de Rome – Moyen Âge, 124/1 (2012) [En ligne : http://mefrm.revues.org/109]. 41. B. BEAUJARD, « Sens », in Topographie chrétienne des cités de la Gaule, t. 8, 1992, p. 29-30 ; C. SAPIN, La Bourgogne préromane, Paris, 1986, p. 147-148. 42. C. SAPIN, La Bourgogne préromane…, ibid., p. 28. 43. Cf. Cartulaire de Saint-Vincent de Mâcon…, op. cit., acte 55. Sur l’analyse de la charte et de la conception du domaine, voir D. MÉHU, Paix et communautés autour de l’abbaye de Cluny, Xe-XVe siècle, Lyon, 2001, p. 43-52. 44. Fouilles programmées dirigées par C. Sapin (CNRS, umr Artehis) et A. Baud (université Lyon II) avec l’équipe du Centre d’études médiévales d’Auxerre, cf. C. SAPIN et A. BAUD, « Les fouilles de Cluny : état des recherches récentes sur les débuts du monastère et ses églises, Cluny I et Cluny

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II », in D. IOGNA-PRAT, M. LAUWERS, F. MAZEL et I. ROSÉ (dir.), Cluny. Les moines et la société au premier âge féodal, Rennes, 2013, p. 497-514. 45. J . HUBERT, « Germigny-des-Prés », Congrès archéologique de France, Orléans, 1930, Paris, 1931, p. 534-568. Villa ou palatium, ce dernier étant un lieu d’exercice et de représentation du pouvoir civil, il est constitué d’une aula, d’une chapelle, d’habitations royales et de celles des hauts fonctionnaires, cf. J. BARBIER, « Le système palatial franc : genèse et fonctionnement dans le nord- ouest du regnum », Bibliothèque de l’École des chartes, 1990, p. 245-290. 46. C. SAPIN, « Sennecey-le-Grand, église Saint-Julien », in Congrès archéologique de France, 166e session, Bresse bourguignonne, Chalonnais et Tournugeois, 2008, Paris, 2010, p. 291-299. 47. J. RIGAULT (dir.), Dictionnaire topographique du département de Saône-et-Loire, Paris, 2008, p. 693. Cf. Chartes de Cluny (éd. BRUEL), n° 864 et 1660. M. CHAUME, Les origines du duché de Bourgogne, Dijon, 1931, t. 2, p. 1004. On a voulu voir dans les actes de 872 du Cartulaire de Saint-Marcel de Chalon mentionnant une capellam in Siniciaco in onore Beati Iuliani sacratam, les origines de l’église. L’édition de C. Bouchard du cartulaire (The cartulary of Saint-Marcel-lès-Chalon, 779-1126, Cambridge, 1998, p. 17-21) les donne comme des « forgeries » établies à partir d’autres actes, entre autres, pour la cathédrale de Chalon de 885. 48. C’est en mai 999 que le comte Hugues de Chalon confirme la donation à Cluny du monastère de Saint-Marcel, à la suite d’une première intervention du comte Geoffroy vers 979-988 auprès de l’abbé Mayeul. Cf. Chartes de Cluny (éd. BRUEL), t. 3, n° 2484 et M. CHAUNEY, « Les origines du prieuré clunisien de Saint-Marcel-lès-Chalon », in Mélanges K. J. Conant, Mâcon, 1977, p. 81-96. 49. Voir dernière synthèse dans B. PHALIP, P. CHEVALIER et A. MAQUET, Souvigny. La priorale et le prieuré, Paris, 2012. 50. On ne sait pas si le bâtiment édifié à l’ouest en position orthogonale vis-à-vis d’une première église datée de la première moitié du Xe siècle (B. PHALIP et alii, Souvigny…, ibid., p. 95) doit sa présence à une topographie plus ancienne, ni quel lien il avait avec la villa mentionnée. 51. FRÉDÉGAIRE, Ad ann. 761, éd. D. BOUQUET, Recueil des historiens de la France, t. 4, p. 4 (éd. MGH, SCR, t. 2, 1888, p. 186-187). 52. Mellecey, chapelle Saint-Martin [en ligne : http://care.huma-num.fr/care/index]. 53. O. BRUAND, « Le pouvoir sur la terre et les hommes en Autunois ( VIIIe-milieu XIe siècle) », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, 12 (2008), p. 355-367 [En ligne : http:// cem.revues.org/8282]. 54. Cf. F. HENRION (dir.), Perrecy-les-Forges (Saône-et-Loire), rapport de sondages archéologiques, DRAC/ SRA Bourgogne, Dijon, 2012. 55. R. LOUIS, De l’histoire à la légende. Girart, comte de Vienne (…819-877) et ses fondations monastiques, 3 vol., Auxerre, 1946-1947, t. 1 (Girart, comte de Vienne et ses fondations monastiques), Auxerre, 1946, p. 35. Cf. note 8 : la charte de fondation rappelle cet échange. On retrouve de tels échanges dans les villae aux origines de Cluny en 825 ou de Perrecy en 839. 56. P. DEPREUX, Prosopographie de l’entourage de Louis le Pieux (781-840), Sigmaringen, 1997, p. 286. 57. P. NOUVEL, « Saint-Père », in J.-P. DELOR, Carte archéologique de la Gaule, t. 89/1-2 (Yonne), Paris, 2002, p. 604-613 ; P. BEYNEY, « Vidiliacus, villa gallo-romaine de Saint-Père », Les amis de Vézelay, 72-73 (2013), p. 35-38. 58. Les derniers résultats de la prospection-inventaire sur la région d’Avallon montrent, en effet, durant l’Antiquité tardive une diminution importante et rapide du nombre d’établissements ruraux. L’étiage en termes de densité de peuplement s’observe au cours du Ve siècle avec, au siècle suivant, quelques nouveaux sites, cf. P. NOUVEL, B. POITOUT, P. BEYNEY et M. L OIRE, Prospections-inventaires sur les plateaux de Basse-Bourgogne (Yonne). Région d’Avallon. Rapport 2015, Besançon, Chrono-environnement, 2015, 77 p. 59. Un sondage dans l’église Notre-Dame en 2014 a confirmé une occupation antérieure. Sur ce site, voir les apports 2013-2014 du PCR « Monastères en Europe occidentale (Ve-Xe siècle).

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Topographie et structures des premiers établissements en Franche-Comté et Bourgogne » (dir. S. Bully et C. Sapin). 60. R. B. C. HUYGENS, Monumenta Vizeliacensia. Textes relatifs à l’histoire de l’abbaye de Vézelay, Turnhout, 1976 (Corpus Christianorum, Continuatio Mediaevalis, 42), p. 245. 61. Notice « Pothières », in M. PROVOST (dir.), Carte archéologique de la Gaule, t. 21 (Côte-d’Or), Paris, 2009, p. 69-70. 62. C. SAPIN, « Les tombeaux de Pothières », in Mélanges offerts à René Louis, Paris, 1982, p. 889-902, n. 7 ; M. PROVOST (dir.), Carte archéologique de la Gaule…, ibid., 2009, p. 70. 63. C. SAPIN, « L’abbaye de Pothières révélée par le radar », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, 16 (2012) [en ligne : https://cem.revues.org/12264]. 64. Voir les questions posées par la naissance de certaines paroisses, C. DELAPLACE (éd.), Aux origines de la paroisse rurale en Gaule méridionale, IVe-IXe siècle, Paris, 2005. 65. C. SAPIN et A. BAUD, « Les fouilles de Cluny… », op. cit., p. 497-514 ; A. BAUD, « La chapelle Sainte- Marie de Cluny », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, 6 2013, hors-série) [en ligne : http://cem.revues.org/12661].

AUTEUR

CHRISTIAN SAPIN Directeur de recherche émérite CNRS-UMR ArTeHiS-CEM

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Locus Novalicii : avant l’abbaye bénédictine de Novalaise

Gisella Cantino Wataghin

1 Ce colloque est l’occasion de revenir sur l’occupation du site de l’abbaye mérovingienne de Novalaise dans les temps qui précèdent sa fondation. Je l’avais déjà évoqué lors d’une communication faite en novembre 2013 à la table ronde internationale de Vienne1, restée inédite, après en avoir écrit brièvement le récit dans le passé ; il n’est sans doute pas inutile de reprendre la question aujourd’hui dans le cadre spécifique d’une discussion sur les origines des sites monastiques.

2 L’abbaye de Novalaise est assez connue pour qu’il soit superflu de reprendre dans les détails ses vicissitudes et son rôle, souvent central, dans les relations entre les deux versants des Alpes (fig. 1).

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Fig. 1 – Novalaise, vue aérienne de l’abbaye

3 Il suffit de rappeler quelques données essentielles. Le monastère est situé au cœur des Alpes, du côté occidental du massif, dans la courte vallée du Cenischia, affluent de la Dora Riparia, au pied du col du Mont-Cenis, à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Suse (fig. 2).

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Fig. 2 – Les Alpes occidentales, vues du satellite, avec l’emplacement de l’abbaye de Novalaise

4 La ville, de son côté, donne son nom à la vallée principale, qui aboutit au col du Montgenèvre, et qui, avec le Val Cenischia, assure les liaisons entre l’Italie et la France du Midi, du Centre et du Nord.

5 L’abbaye fut fondée en 726 par Abbon, aristocrate de souche gallo-romaine et haut fonctionnaire du royaume franc, et connut un essor remarquable dans les deux siècles suivants ; abandonnée par la communauté au cours des décennies centrales du Xe siècle, son renouvellement à la fin de ce siècle comme prieuré dépendant de Breme, dans la Lomellina, où la communauté s’était installée, fut suivi par des hauts et des bas qui parfois en dénaturèrent la fonction, sans pourtant en entamer irrémédiablement les structures2. Des interventions du XIXe siècle mises à part3, l’état actuel de l’église et du cloître est le résultat d’une reconstruction du XVIIIe siècle, qui a conservé les dispositions architecturales et une partie non négligeable des élévations du monastère roman ; les restes de la phase préromane ont été mis au jour par les fouilles menées à partir de 1978, dans le cadre de la restauration de la plupart des bâtiments4.

6 Dès les années 1960 du siècle passé, quand l’abbaye a fait l’objet d’une enquête pionnière par Giovanni Tabacco5, la critique s’est exercée sur le cadre politique de sa fondation, en tant qu’avant-poste de la conquête franque de l’Italie, beaucoup moins sur le contexte de son établissement : en fait, on a tenu pour sûr que la fondation s’était faite à l’écart de la présence humaine, donc dans le cadre du « désert » de l’hagiographie monastique6. Si on arrivait parfois à admettre la possibilité d’un modeste habitat romain dans la zone, à caractère sans doute militaire7, il était évoqué tout simplement pour expliquer la présence de matériaux romains à l’abbaye, sans approfondir davantage la question.

7 En effet, des matériaux romains étaient connus depuis longtemps à l’abbaye. Déjà au XVIIIe siècle, Eugenio de Levis signale la présence « Nel giardino dei M. RR. PP. della

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Novalesa » d’une stèle funéraire en marbre (fig. 3-4), dont il connaissait le fragment majeur, l’autre ayant été découvert ensuite, à un moment qu’il est difficile de préciser, mais en tout cas avant le milieu du siècle passé, quand la stèle était murée dans la paroi nord du cloître8, tout comme une autre stèle funéraire cintrée9.

Fig. 3 – E. DE LEVIS, Raccolta di diverse antiche iscrizioni…tav. IX : stèle romaine

Fig. 4 – Novalaise, Musée Archéologique de l’abbaye : détail d’une stèle funéraire romaine (Ier-IIe siècle)

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8 D’autres fragments d’inscriptions, à caractère sans doute funéraire, mais trop menus pour en permettre une lecture satisfaisante, sont également le fruit de trouvailles anciennes ou fortuites, ou bien ont été récupérés au cours des travaux archéologiques récents, toujours en remploi dans les maçonneries ou dans le sol de l’église du XVIIIe siècle ou bien dans des niveaux de remblais. Il s’agit encore une fois de pièces datables des Ier-IIe siècles10. Quant aux trouvailles anciennes, aucune information est disponible sur les conditions de leur découverte et les contextes de provenance, ce qui est assez normal pour les XVIIIe-XIXe siècles, d’autant plus dans un site comme Novalaise, dont l’histoire récente est assez compliquée, où se succèdent des communautés religieuses différentes et des passages de propriété à des particuliers, qui font des bâtiments d’abord un établissement thermal, ensuite la résidence d’été d’un Internat de Turin. Chacun de ces changements implique des transformations des structures et de leur fonction sur lesquelles nous sommes très mal renseignés11. Il en va de même pour les fragments de colonnes, dont l’un est remployé dans l’église abbatiale comme base de l’escalier en colimaçon, qui, dans son angle sud-ouest, donnait accès à la tribune du XVIIIe siècle (fig. 5).

Fig. 5 – Novalaise, Musée Archéologique de l’abbaye : fragments de colonnes, époque romaine

9 Des deux fragments de chapiteau (fig. 6), l’un était également en œuvre dans un contrefort du XVIIIe siècle de la paroi orientale de l’aile est du cloître12.

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Fig. 6 – Novalaise, Musée Archéologique de l’abbaye : fragments de chapiteaux romains

10 D’autres éléments, également importants et non moins problématiques que les inscriptions, ont été récupérés entre 1973, quand l’abbaye a été achetée par la Province de Turin et qu’une nouvelle communauté bénédictine s’y est installée, et 1978, quand l’archéologie a fait son entrée sur le site, à l’occasion de divers travaux d’aménagement qui ont précédé le démarrage des projets de restauration. Il s’agit notamment d’un fragment de frise décoré d’une panoplie d’armes (fig. 7) et d’un gros bloc architectural (fig. 8-9), décoré sur trois de ses côtés et remployé ensuite comme table de pesage.

Fig. 7 – Novalaise, Musée Archéologique de l’abbaye : frise romaine (Ier siècle)

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Fig. 8 – Novalaise, Musée Archéologique de l’abbaye : bloc architectural (Ier siècle)

Fig. 9 – Novalaise, Musée Archéologique de l’abbaye : bloc architectural, remployé comme table de pesage

11 L’iconographie de la frise13 correspond à celle d’une série de reliefs de Turin, connus dès le XVIIIe siècle14, qui sont datés de l’époque de Claude et ont été attribués récemment à un monument funéraire – plutôt qu’à une statue, dont ils seraient la base –, érigé en l’honneur d’un sénateur provincial, sans doute le père de ce Quintus Glitius Agricola, qui est bien connu dans l’épigraphie locale de l’époque de Trajan15. Le fragment de Novalaise peut aussi avoir appartenu à un monument funéraire, tout comme le bloc

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architectural16, dont l’ornement est également inspiré de la thématique militaire – machine de guerre, armes, panoplie –, conformément à l’idéologie qui s’affirme à l’époque augustéenne17. Selon une hypothèse récente, son remploi en tant que table de pesage, suggéré par les trois cavités de dimensions différentes creusées dans sa base et attribué en général au Moyen Âge, dans le cadre de la vie du monastère, pourrait en fait remonter à l’Antiquité – à l’Antiquité tardive, sans doute – les dimensions des cavités étant compatibles avec les unités de volume du système romain18. On ne peut que regretter l’absence de données de contexte qui empêche d’aller plus loin dans l’argumentation : en fait, le bloc a été récupéré hors de tout contrôle, dans une puissante couche de remblais à l’extérieur de l’aile sud du cloître, qu’on peut dater du XVIIe siècle avancé, quand les Cisterciens ont radicalement modifié l’usage de cette partie du monastère. Il faut quand même souligner que le lieu de la découverte est tout près de l’aile occidentale du cloître, accessible directement de l’extérieur de l’enclos monastique, où les dépendances devaient être installées au Moyen Âge et à la période précédente19. Quant à la frise, elle était remployée dans les maçonneries du cloître, notamment dans le montant d’une porte de l’aile orientale, aménagée au XVIIIe siècle.

12 Le dossier « romain » s’achève avec deux petites têtes en marbre, elles aussi du Ier-IIe siècle20, quelques fragments de mosaïque (fig. 10)21, sans doute romains par leur texture et par la dimension des tesselles, des fragments de briques à poignée et de tuiles de module romain (fig. 11)22, des fragments de poterie de l’époque impériale, dont l’importance est inversement proportionnelle à leurs dimensions, tout à fait minuscules23.

Fig. 10 – Novalaise, Musée Archéologique de l’abbaye : têtes romaines et fragment de mosaïque

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Fig. 11 – Novalaise, Musée Archéologique de l’abbaye : fragments de briques et de tuiles romaines

13 En effet, ces artefacts sont l’indice le plus incontestable de la présence de niveaux d’occupation romains, reconnus par les fouilles seulement dans un petit sondage réalisé à l’extérieur de l’aile sud du cloître (fig. 12).

Fig. 12 – Novalaise : plan archéologique de l’abbaye, avec indication des phases préromanes et romanes (2008)

14 Les limites de ce sondage, qui n’a pas atteint le terrain vierge et n’a pas été suivi par des recherches étendues à l’aire environnante, n’ont pas permis d’interpréter les murs mis au jour ni d’avancer une hypothèse sur la nature de ce contexte24.

15 Par conséquent, on ne peut pas exclure que cette occupation ne soit qu’une réponse partielle au problème posé par l’ensemble des matériaux, surtout par ceux, qui, par leur

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nature ou leur dimension, renvoient à des bâtiments importants, qui, à première vue, ne sembleraient pas compatibles avec le site – un site alpestre, on l’a vu, inconnu des sources antiques – et qui semblent justifier l’hypothèse longuement défendue qu’ils aient été récupérés dans la ville toute proche de Suse et remployés dans les maçonneries des bâtiments médiévaux25.

16 Cette possibilité, pourtant, est mise en question par un certain nombre d’arguments, à savoir que les maçonneries médiévales que nous avons pu analyser – appartenant soit à la phase mérovingienne/carolingienne de l’abbaye, soit à sa phase romane – ne montrent aucun élément architectural romain en remploi, les seuls remplois étant des fragments de tuiles, sans doute de l’antiquité tardive26, et des fragments de sarcophages, sur lesquels on reviendra sous peu. Il est vrai que la reconstruction du XVIIIe siècle a entraîné des démolitions importantes dans les bâtiments précédents, mais il serait quelque peu surprenant qu’aucune évidence de remplois ne soit reconnaissable dans les maçonneries qui ont survécu. En outre, les fondations du XVIIIe siècle sont bien plus profondes que celles du Moyen Âge, plus profondes en fait même de la limite de nos fouilles, elles pourraient donc avoir atteint des dépôts antiques.

17 Des arguments pour avancer dans la réflexion sont offerts par la morphologie de la région et son développement historique.

18 La vallée du Cenischia (fig. 13-14), dans laquelle se trouve l’abbaye, est secondaire du point de vue géographique par rapport à la vallée de la Dora Riparia, au fond de laquelle le col du Montgenèvre a assuré le passage entre Gaule et Italie dès l’époque protohistorique27 – et même avant, si l’on reconnaît un bien-fondé historique au mythe de la ὁδόςῊρακλείa, la voie herculéenne du pseudo-Aristote, suggéré d’ailleurs par les données archéologiques28 – et qui est seul attesté par les itinéraires romains qui ne prennent pas en compte le Mont-Cenis29 : d’où la thèse traditionnelle selon laquelle celui-ci aurait été « découvert » dans le haut Moyen Âge, à la suite justement de la fondation de l’abbaye de Novalaise30.

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Fig. 13 – Le fond du Val Cenischia : au premier plan l’abbaye

Fig. 14 – Schéma des routes menant de Turin vers la France à travers la vallée de Suse et les cols du Montcenis et du Montgenèvre

19 En réalité, on sait bien, d’une part, que les itinéraires ne sont pas exhaustifs du réseau routier romain31 et, d’autre part, il est vraisemblable que ce col fut aménagé dans le cadre de la romanisation de la région. Des découvertes archéologiques sur le versant français, qui en sont un signe évident, ont été signalées depuis longtemps32. Plus récemment, les inscriptions du Ier siècle ap. J.-C., repérées en 1991 du côté français du Mont-Cenis, à une hauteur de plus de 2000 m, sur un rocher portant déjà une scène de chasse datant du Ve siècle av. J.-C., ont confirmé la fréquentation non occasionnelle du col, qu’on a supposé en relation avec le contrôle du commerce entre les Gaules et l’Italie33. Du côté italien, le passage régulier et organisé est attesté par le fragment de milliaire retrouvé hors contexte à l’abbaye34. La fréquentation régulière du Mont-Cenis entre d’ailleurs dans une logique d’exploitation des différents parcours à travers les

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Alpes. Le rapport entre les deux cols, dans la perspective d’une hiérarchie, est un faux problème : ils étaient complémentaires et non pas alternatifs, ce que l’emplacement de la ville de Suse, au confluent des deux vallées de la Doire Riparia et du Cenischia, montre ouvertement35.

20 Faute de pouvoir dater le milliaire, le fragment ne présentant pas d’inscription, on remarquera que si le col du Montgenèvre donne accès à la vallée de la Durance, et donc à la Gaule méridionale et à Lyon et à sa région par le col du Lautaret, pourtant d’accès difficile, le passage du Mont-Cenis est le plus direct vers la Gaule du Centre/Nord, qu’il revêt donc une importance particulière dès le deuxième quart du Ier siècle, quand l’empereur Claude projette et réalise, entre 43 et 57, la conquête de la Bretagne. Ce n’est pas un hasard si, en 44, la préfecture des Alpes Cottiennes est promue au rang de royaume sous Cottius II, bien connu par ses évergésies à Turin36, ni si la ville de Suse connaît un développement monumental important à l’époque claudienne, comme le démontre avec force et arguments une étude récente37. Même de courte durée – il devient province sous Néron38 –, le Cottii regnum reste ancré dans la mémoire : on le retrouve encore au IVe siècle sur la Tabula Peutingeriana39. Toujours au IVe siècle, Ammien évoque l’aménagement des voies des Alpes – au pluriel, il est à remarquer – de la part de Cottius, le premier ou le deuxième de ce nom, ou sans doute les deux40. Dans ce cadre, l’établissement d’un point d’appui au pied du col du Mont-Cenis, dont le passage est souvent difficile à cause de l’altitude, du climat et de l’escarpement du versant italien, ne serait que logique : une statio, dotée de bâtiments importants, peut- être développée en agglomération, comme c’est le cas entre autres de la statio ad Quintum, elle aussi sur la voie des Gaules, près de Turin41 ? Ou plutôt une villa, dont la fonction de centre d’exploitation d’un domaine rural se doublerait de fonctions d’accueil liées au passage et dont la proximité à la ville de Suse assurerait une identité, le cas échéant monumentale, de villa suburbaine42 ? Ce n’est certes pas par hasard si le toponyme « Novalicii » vient du latin novalis, terre récemment mise en culture43, ce qui marque la romanisation de la vallée et donc la mise en valeur, sans doute par les notables, de ses ressources – terres arables, prairies, forêts, pâturages, minières44. Le point d’interrogation s’impose, mais aussi la remarque que la difficulté à admettre une telle possibilité dans une vallée alpestre tient beaucoup du stéréotype de la montagne sauvage et inhabitable et en même temps des limites de nos connaissances des formes qui peuvent résulter de son occupation. Il n’est sans doute pas hors de propos d’évoquer les implications de l’inscription de Quartinus / Buss]ulli filius et de sa famille, dont le préfet Albanus45, appartenant à un important monument funéraire familial érigé au hameau des Escoyères, situé dans le Queyras, à 1 550 m d’altitude, accessible seulement par une piste de hauteur, pourtant parcourue dans le cadre d’un système routier « secondaire » de liaison des différentes vallées alpestres46. Il faut également signaler le mausolée monumental d’Argenton, dans la petite commune des Alpes du Sud de Fugeret, à 1 300 m d’altitude, entre les hautes vallées du Verdon et du Var, à l’écart des voies les plus fréquentées, attribué à un chevalier romain qui y aurait possédé un domaine47.

21 Ce qui est certain, c’est que l’occupation du site ne connaît pas d’interruption à l’Antiquité tardive, mais semble se développer, au contraire, sur une échelle étendue non négligeable, comme l’attestent les fragments de tuiles remployés dans des maçonneries romanes, dont il a déjà été question, datés par thermoluminescence du IVe-Ve siècle48, et le mobilier céramique et en pierre ollaire49. Un contexte funéraire est

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suggéré par des matériaux dispersés, tels un peigne (fig. 15) et un fragment de gaine en os (fig. 16) du VIe-VIIe siècle50.

Fig. 15 – Novalaise, Musée Archéologique de l’abbaye : peigne en os, VIe-VIIe siècle

F. CRIVELLO et C. SEGRE MONTEL (dir.), Carlo Magno e le Alpi. Viaggio al centro del Medioevo, Milan, 2006.

Fig. 16 – Novalaise, Musée Archéologique de l’abbaye : élément de gaine de peigne en os, VIe-VIIe siècle

F. CRIVELLO et C. SEGRE MONTEL (dir.), Carlo Magno e le Alpi. Viaggio al centro del Medioevo, Milan, 2006.

22 Des VIe-VIIe siècles, date aussi le reliquaire en os retrouvé dans la chasse médiévale de Saint-Eldrade51 (fig. 17), de production vraisemblablement mérovingienne, comme l’indique l’affinité avec le reliquaire de Brédons52, mais malheureusement rien ne permet de préciser depuis quand cet objet est présent à l’abbaye53.

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Fig. 17 – Susa, Museo Diocesano di Arte Sacra : reliquaire (VIe-VIIe siècle)

G. SARONI, « Cofanetto reliquiario in osso », in Novalesa. Una storia tra fede e arte, Sant’Ambrogio di Torino, 2000.

23 En revanche, les fragments de sarcophages des IVe-Ve siècles retrouvés, encore une fois dans des niveaux de remblai ou remployés dans des maçonneries du XVIIIe siècle, ont vraisemblablement été transportés d’ailleurs pour servir de sépultures privilégiées au haut Moyen Âge54. Quant à l’inscription métrique fragmentaire, gravée sur un bloc, décorée sur l’autre côté d’un motif d’entrelacs55, elle appartient avec toute vraisemblance au haut Moyen Âge et non pas à l’Antiquité tardive, comme on l’a souvent proposé56.

24 De surcroît – et c’est la donnée la plus importante –, des structures préexistantes ont été remployées au moment de l’aménagement des premiers bâtiments monastiques, au début du VIIIe siècle. Elles ont été mises au jour dans les ailes sud et ouest du cloître roman (cf. fig. 12 et 18), ainsi que dans la cour devant l’église abbatiale57.

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Fig. 18 – Cour de l’aile ouest du cloître : restes des édifices antérieurs à la phase carolingienne (Soprintendenza Archeologia Piemonte)

25 Elles se signalent par leur disposition en biais, par rapport à l’orientation de la première église abbatiale, qui devient ensuite celle des autres édifices du monastère. Bien qu’elles ne soient préservées qu’au niveau de fondation, il est assez évident que se dessine un schéma de bâtiments rectangulaires allongés, sans doute flanqués sur l’un des longs côtés d’un couloir ou portique, ce qui n’est pas sans évoquer une typologie bien connue entre l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge. Un sol en mortier solide sur radier de gros cailloux et de pierres est présent dans l’espace mis au jour dans l’aile sud du cloître, en dessous du réfectoire carolingien.

26 Il serait évidemment important de savoir quels sont l’état et la fonction de ces bâtiments, au moment où les moines les occupent. Concernant le premier point, dans aucun endroit, la fouille n’a montré des traces d’abandon, ce qui suggère une continuité d’occupation entre ces édifices et les structures qui marquent au IXe siècle la restructuration du monastère58. Sur le second, on se bornera à remarquer la complexité des bâtiments mis au jour et leur disposition, assez cohérente du point de vue de l’orientation, même si elle n’est pas tout à fait régulière et qu’elle ne montre pas un système de distribution évident, ce qui suggère un habitat assez articulé. Sa relation avec l’établissement romain reste à préciser, tout comme la nature et le statut de celui- ci, et son statut et bien sûr les voies par lesquelles ce domaine parvient aux mains d’Abbon qui y installe une communauté de moines.

27 Le privilège, indiqué couramment comme acte de fondation du monastère (726), et le testament d’Abbon (739) se réfèrent au site comme locus nunccopans Novalicii. Le mot locus, que Ganshof avait interprété comme synonyme de villa59 et, qui, selon l’étude récente de Jean-Michel Carrié60, ferait allusion à une forme d’occupation du sol, vraisemblablement agricole, intégrée dans un fundus ou bien assimilable à celui-ci selon les cas, semble avoir ici tout simplement la signification générique de toponyme – dans le sens de « lieu-dit »61. Toutefois, Abbon ajoute in rem proprietatis nostrae : il s’agit donc en tout cas d’une unité de son immense patrimoine, situé dans la région de Suse et

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surtout du côté français des Alpes, le long des vallées du Rhône et de la Durance, et en Provence (fig. 19)62.

Fig. 19 – Les possessions de l’abbaye d’après le testament d’Abbon

E. DESTEFANIS et S. UGGÈ, « Possedimenti di Novalesa secondo il testamento di Abbone 739 », in F. CRIVELLO et C. SEGRE MONTEL (dir.), Carlo Magno e le Alpi. Viaggio al centro del Medioevo, Milan, 2006.

28 Dans cette géographie complexe, le locus Novalicii représente le noyau des propriétés léguées à Abbon par la famille de son père, juste au cœur de la région de Suse et de la Maurienne, dont il est rector « par la grâce de Dieu »63 : un « lieu » tout près de Suse, sans doute le centre de gestion de son patrimoine, un rôle dont l’abbaye ne serait que l’héritière64.

29 Sa localisation dans le Val Cenischia et son rapport privilégié avec la route soi-disant secondaire du Mont-Cenis ne doit pas nous fourvoyer, la logique des communications dans l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge n’étant pas celle des autoroutes actuelles. D’une part, d’autres possessions d’Abbon sont également présentes dans la vallée de la Dora Riparia, donnant accès direct à la vallée de la Durance et donc à la Provence. D’autre part, le patrimoine s’étend jusqu’à Vienne, à Lyon et au Mâconnais, avec des présences « intermédiaires » en Maurienne et dans la région de l’Ainan. À ce propos, le passage de la Chronique de Novalaise est suggestif, lorsqu’il est question de la descente de Charlemagne en Italie : Movens interea idem rex ingentem exercitum suum pervenitque in montem Geminum, sive ianuam regni Italie dici potest. In quo olim templum ad honorem cuiusdam cacodeo scilicet Iovis, ex quadris lapidibus, plumbo et ferro valde conexis, mire pulchritudinis, quondam constructum fuerat. In eo quoque montem due consurgunt fontes, una ex uno latere montis, alia ex alio [il s’agit de la Doire et de la Durance] sicque in convallibus suis descendentes et paulatim crescentes, magna efficiunt flumina65.

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30 Le Montcenis – le mons Geminus, franchi par l’armée franque– et le Montgenèvre sont évidemment confondus dans la définition de « portes d’Italie », ce qui peut tenir de l’approche, disons fantaisiste, du chroniqueur, qui, dans d’autres passages, distingue parfaitement les deux cols66, mais qui sans doute implique aussi la perception de l’intégration des deux branches de la vallée qui bifurquent à Suse, formant le côté italien du district de Suse et de Maurienne, dont Abbon est rector.

31 Nous ne savons pas si Abbon avait prévu dès l’origine la donation à l’abbaye de tous ses biens (ou presque) ou si des événements se sont produits entre 726 et 739 qui justifieraient ce choix67. On peut quand même admettre que la fondation peut répondre à une stratégie familiale et non seulement politique, le cas échéant, de politique franque de gestion de la frontière, comme on l’a toujours souligné68 : les deux aspects s’intègrent d’ailleurs aisément dans les monastères privés des époques lombarde et carolingienne et, notamment, dans ceux dont le fondateur est un fonctionnaire public69. Dans le monde mérovingien, auquel la Novalaise appartient, le tableau est moins net, mais s’il est vrai que les événements font très rapidement de Novalaise une abbaye royale, il n’est pas évident qu’elle soit une « fondazione regia de facto »70 : selon un cadre culturel et social bien connu, la fondation assure la continuité familiale ainsi que la « stabiletas regno Francorum »71.

32 D’une autre continuité font état les données archéologiques, celle de l’occupation du site qu’elles permettent de suivre sur la longue durée. L’évidence de l’implantation de la communauté dans un lieu habité précédemment est un trait qu’on retrouve de plus en plus fréquemment et ce colloque le montre bien. À Novalaise, on remonte sans interruption, semble-t-il, aux débuts de l’époque romaine. On a vu que bien des points restent à tirer au clair et il reviendra à la recherche archéologique de le faire et de croiser ses résultats avec une relecture des documents archivistiques à la lumière de la problématique ainsi renouvelée. À présent, le fil rouge qui relie les jalons de ce parcours à travers les transformations des fonctions du site et de ses structures matérielles, semble être représenté par une vocation « routière », dont le monastère bénédictin apparaît l’héritier bien plus que l’initiateur72.

NOTES

1. G. CANTINO WATAGHIN, « Between Franks and Lombards : Novalesa Abbey in the Early Middle Ages », communication à Meeting the gentes – Crossing Boundaries : Columbanus and the Peoples of post-Roman Europe. International Round Table, Vienna, Institut für Mittelalterforschung, 22-23 novembre 2013 ; cf. aussi EAD., « “In loco nunccopante Novelicis” : La Novalesa dall’età romana alla fondazione di Abbone », in Novalesa. Una storia tra fede e arte, Sant’Ambrogio di Torino, 2000, p. 11-31. 2. Pour une synthèse et une bibliographie mise à jour jusqu’à 2003, cf. G. SERGI, « Novalesa fra storia e storiografia », in M. G. CERRI (dir.), Novalesa. Nuove luci dall’Abbazia, Milan, 2004, p. 21-33 et 169-171 ; cf. ensuite G. LUNARDI, I costruttori dell’Abbazia di Novalesa, Novalaise, 2003 ; ID., La congregazione sublacense O.S.B., Noci, 2003 ; G. BARRUOL et H. FALQUE-VERT, « Les biens du patrice Abbon en 739 », in C. JOURDAIN-ANNEQUIN et M. LE BERRE (éd.), Atlas culturel des Alpes occidentales,

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Paris, 2004, n° 126, p. 248-249 ; L. RIPART, La Novalaise, les Alpes et la frontière (VIIIe-XIIe siècle), in F. ARNEODO et P. GUGLIELMOTTI (dir.), Attraverso le Alpi : S. Michele, Novalesa, S. Teofredo e altre reti monastiche, Bari, 2008, p. 95-114 ; ID., « L’abbaye de la Novalaise et son patrimoine provençal », Bulletin de la Société d’études des Hautes-Alpes, 2015, p. 63-76 ; pour une synthèse des résultats des recherches archéologiques, cf. G. CANTINO WATAGHIN, « L’établissement et l’histoire de l’abbaye de Novalaise », in M. LAUWERS (dir.), Monastères et espace social. Genèse et transformation d’un système de lieux dans l’Occident médiéval, Turnhout, 2014, p. 255-288. 3. Elles sont dues à l’aménagement dans les bâtiments du monastère d’un établissement hydrothérapeutique (G. VALERIO, La Novalesa antica abbazia, novella casa di salute, Turin, 1866), qui fit suite à la suppression au Piémont des ordres religieux en 1855 (A. BOGGE, « La soppressione dell’Abbazia di Novalesa nel 1855 e la vendita dei suoi beni », in Nuove scoperte alla Novalesa. Raccolta di studi presentati al convegno per il 1250esimo dell’atto di donazione di Abbone alla abbazia benedettina, Chieri, 1979, p. 111 sq.) et ensuite à l’installation d’un collège de Turin (G. PARATO, Novalesa, villa del Collegio Nazionale Umberto I di Torino, Turin, 1890 ; G. MONTICELLI, La valle di Susa e l’abbazia della Novalesa, dal 1884 villa del Convitto Nazionale di Torino : evocazione storica, Pinerolo, 1925). 4. Pour la reconstruction du XVIIIe siècle, cf. G. CARPIGNANO et E. R AGUSA, « Un esempio di intervento sui benefici vacanti : la chiesa e il palazzo abbaziale nel Settecento », in La Novalesa. Ricerche – Fonti documentarie – Restauri, Suse, 1988, p. 241-295 ; le projet de restauration a fait suite à l’acquisition du monastère par l’administration provinciale de Turin en 1973 et au retour à Novalaise d’une communauté bénédictine ; une synthèse des travaux dans L. PITTARELLO, « L’Abbazia della Novalesa negli ultimi cent’anni : dai primi riconoscimenti di interesse storico artistico ai lavori attuali e in corso », in La Novalesa…, ibid., p. 397-432 et D. BIANCOLINI, « Novalesa : il lungo recupero della memoria », in Abbazia dei SS. Pietro e Andrea di Novalesa. Dedicazione della Chiesa 15 ottobre 1995, Novalaise, 1995, p. 27-30 ; pour les détails des recherches archéologiques (fouilles et analyses du bâti), cf. G. CANTINO WATAGHIN, « L’établissement et l’histoire de l’abbaye… », op. cit., p. 258 sq. 5. G. TABACCO, « Dalla Novalesa a S. Michele della Chiusa », in Monasteri in Alta Italia dopo le invasioni saracene e magiare (secc. X-XII), Turin, 1966, p. 479-526 (= ID., Spiritualità e potere nel medioevo. Dodici percorsi nei territori del potere e della fede, Naples, 1993, p. 11-74). 6. Ce « topos » est présent dans le Chronicon, selon lequel la fondation du monastère dans la « vallée de la Novalese… fort agréable et les habitants d’icele courtois et benins » est faite dans « un canton dans cette région du côté de midy, au pied d’une grande forest et sur un cousteau éloigné du passage des étrangers » (I, IV dans le fragm. I de G. Baldesano : G. C. ALESSIO (éd.), Cronaca di Novalesa, Turin, 1981, p. 10 et 12). 7. C. CARDUCCI, « Rilievi romani nell’abbazia della Novalesa », in Atti del V Congresso Nazionale di Archeologia Cristiana (Torino – Valle di Susa – Cuneo – Asti – Valle d’Aosta – Novara), 22-29 settembre 1979, Rome, 1982, p. 123-142, ici p. 125 ; mais contra déjà G. CANTINO WATAGHIN, « Il valico del Moncenisio in età romana : dati archeologici e ipotesi di lavoro », in Le réseau routier en Savoie et en Piémont. Aspects historiques et contemporains [Bulletin de Centre d’études franco-italien, 8 (1981)], p. 27-33. 8. E. DE LEVIS, Raccolta di diverse antiche iscrizioni e medaglie epitalamiche ritrovate negli stati di S.S.R.M. il Re di Sardegna, e due dissertazioni sopra un antico turibolo, e campanello, Turin, 1781, p. 12, tav. IX. De l’inscription on lit Cassi[ia - - -]eami f(ilia) / Sev[er]a sibi et / Tito Qu[- - -]mio Quir(ina tribu) / [- - -]to[- - -] / - - -e]st(- - -) (?) / ------(?) / et A++[- - -]+[- - -]+[- - -]++[- - -] f(ili-) : CIL V, 763, où pourtant la stèle est jugée médiévale ; E. CIMAROSTI, Le iscrizioni di età romana sul versante italiano delle « Alpes Cottiae », Barcelone, 2012 (Sylloge Epigraphica Barcinonensis, Annexos I), n° 75, p. 246-248 ; la stèle (pour laquelle cf. C. FRANZONI, Habitus habitusque militis,Rome, 1987, p. 98 sq.) se trouve aujourd’hui au Musée Archéologique de l’Abbaye (inv. n° 90081). Sur la même paroi étaient plaqués des fragments de reliefs du haut Moyen Âge, appartenant sans doute au mobilier

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liturgique de l’abbaye, qui n’entrent donc pas dans le problème dont il est question ici. Cette présentation s’insère sans doute dans le cadre des travaux dus au Convitto Nazionale Umberto I de Turin, qui, à la fin du XIXe siècle, devint propriétaire du monastère et y aménagea la résidence d’été des pensionnaires (cf. MONTICELLI, La valle di Susa e l’abbazia…, op. cit.). 9. Musée Archéologique de l’abbaye, inv. n° 90068 : [D(i)s] M(anibus / [- - -]iae / [- - -]lib(ertae) / [- - - carissi]mae (?) / ------(?) : E. CIMAROSTI, Le iscrizioni di età romana…, ibid., n° 131, p. 329 sq. 10. Musée Archéologique de l’abbaye, inv. n° 90060-90063 ; 90065-90067 ; 90072 ; Torino, Museo di Antichità, deposito, inv. n° 182-183 ; NA82 AVIII 2 ; cf. E. CIMAROSTI, Le iscrizioni di età romana…, ibid., n° 168-171, 175-176, 180-181, 184, 191 et 195-196, p. 363-366, 369-370, 372-372, 375, 381 et 384 sq. : les datations proposées dans cette étude ne sont pas toujours convaincantes, notamment les nombreuses attributions à l’Antiquité tardive, qui ne paraissent pas entièrement justifiées ; on regrette d’ailleurs les nombreuses inexactitudes quant à la provenance des fragments. 11. G. LUNARDI, La congregazione sublacense…, op. cit et supra n. 3. 12. Musée Archéologique de l’abbaye, inv. n° 90079 et 56949 ; pour les fragments de colonnes, cf. inv. n° 90162, 90163 et 90164. 13. Musée Archéologique de l’abbaye, inv. n° 90094. 14. Turin, Museo di Antichità, inv. 581. 15. M. TORELLI, « Il fregio d’armi nel Museo di Antichità di Torino. Ipotesi per un monumento di un senatore di epoca claudia », in L. MERCANDO (dir.), Archeologia a Torino. Dall’età preromana all’Alto Medioevo, Turin, 2003, p. 151-169 ; à remarquer pourtant que, du point de vue stylistique, le relief de Novalaise ne correspond pas entièrement à ceux de Turin, contrairement à l’opinion de Carlo Carducci (« Rilievi romani nell’abbazia della Novalesa… », op. cit., p. 127 sq.). 16. Musée Archéologique de l’abbaye, inv. n° 90093. 17. La diffusion du thème est bien documentée dans E. POLITO, Fulgentibus armis. Introduzione allo studio dei fregi d’armi antichi, Rome, 1998, qui pourtant ne prend pas en compte le relief de Novalaise ; cf. par contre A. BETORI, « Rilievi di soggetto storico dalla Val di Susa : alcune osservazioni », Quaderni della Soprintendenza Archeologica del Piemonte, 21 (2006), p. 153-166, ici p. 155 sqq. 18. M. LANGE, « Mensae ponderariae in Piemonte : studio dei reperti conservati nei monasteri della Novalesa e Villar San Costanzo », Quaderni della Soprintendenza Archeologica del Piemonte, 28 (2013), p. 79-88. 19. G. CANTINO WATAGHIN, « L’abbazia dei Santi Pietro e Andrea di Novalesa : il contributo delle indagini archeologiche al recupero della sua memoria », in M. G. CERRI (éd.), Novalesa. Nuove luci dall’Abbazia…, op. cit., p. 49. La couche a été enlevée sur une épaisseur de 2 m à l’aide d’une pelleteuse en 1974, au cours des premiers travaux d’aménagement des bâtiments du monastère, après l’arrivée de la communauté bénédictine, pour permettre l’accès des voitures à la partie orientale du cloître. Sa formation, artificielle, intègre l’abaissement du niveau du sol dans l’aménagement de caves et d’étables au lieu de l’ancien réfectoire qui occupait l’aile sud du cloître. Les fragments du bloc, cassé par la pelleteuse, ont été récupérés par dom Daniele Mazzucco, membre de la communauté bénédictine, auquel nous sommes redevables d’avoir suivi attentivement tous les nombreux travaux menés depuis 1973 en dehors d’un contrôle archéologique, en assurant ainsi la récupération de maints témoignages du passé de l’abbaye. 20. Musée Archéologique de l’abbaye, inv. n° 90077 et 90078 : G. CANTINO WATAGHIN, « Il valico del Moncenisio… », op. cit., p. 28. 21. Musée Archéologique de l’abbaye, inv. n° 90099. 22. Musée Archéologique de l’abbaye, sans inv. : S. UGGÈ, Abbazia di Novalesa. Il Museo Archeologico, Abbaye de Novalèse, 2012 (Fragmenta Novaliciensia, 1), p. 48-49 et 51-54. 23. A. CROSETTO, C. DONZELLI et G. WATAGHIN CANTINO, « Per una carta archeologica della Valle di Susa », Bollettino storico-bibliografico subalpino, 79 (1981), p. 355-412, ici p. 408 sq. ; G. CANTINO

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WATAGHIN, « Il valico del Moncenisio… », op. cit., p. 28 ; EAD., « “In loco nunccopante Novelicis”… », op. cit., p. 20. Nous ne prenons pas en compte le chaton d’anneau en pâte de verre, récupéré dans un niveau du haut Moyen Âge (S. UGGÈ, « Novalesa. Abbazia dei SS. Pietro e Andrea. Museo Archeologico », Quaderni della Soprintendenza Archeologica del Piemonte, 25 (2010), p. 244-249, ici p. 242 sq.), dont le remploi vraisemblable dans le contexte du monastère ne garantit pas qu’il provienne du site même. Sur le remploi de gemmes romaines dans les productions somptuaires et leur présence dans les trésors ecclésiastiques et sur le contexte culturel et religieux de ces pratiques, cf. M. GREENHALGH, The Survival of Roman Antiquities in the Middle Ages, Londres, 1989, p. 229-232 ; J.-P. CAILLET, Les Trésors des sanctuaires, de l’Antiquité à l’époque romane, Paris, 1996 ; cf. aussi G. SENA CHIESA (dir.), Gemme. Dalla corte imperiale alla corte celeste, Milan, 2002, notamment G. SENA CHIESA, « Introduzione. Il prestigio dell’antico e il riuso glittico tra IV e X secolo », p. 1-16 ; les articles qui suivent dans le volume analysent les différents contextes de remploi et leurs modalités. Dans le cas spécifique de l’abbaye de Novalaise, les sources font mention du trésor accumulé par l’abbé Frodoinus, attesté en 773, qui « Cum quo etiam thesauro fecit crucem in eodem loco, auro argentoque, nec non gemmis preciosissimis oppido operatam », [Chronicon, III, XVI, in C. CIPOLLA (éd.), Monumenta novaliciensia vetustiora¸ II, Rome, 1901 (Fonti per la Storia d’Italia, 32), p. 185 ; G. C. ALESSIO (éd.), Cronaca di Novalesa, Turin, 1981, p. 160], à identifier sans doute avec celle mentionnée au XVIIe siècle par dom Rochex (J.-L. ROCHEX, La gloire de l’abbaye et vallée de la Novalaise située au bas du Montcinis du côté d’Italie, Chambéry, 1670, p. 66) : G. GENTILE, « Antichi arredi alla Novalesa », in Nuove scoperte alla Novalesa…, op. cit., p. 81-105, ici p. 82 sq. ; sur les croix gemmées, cf. C. PELLEGRIS, « Le croci gemmate dal V al XII secolo », in G. SENA CHIESA (dir.), Gemme. Dalla corte imperiale alla corte celeste…, ibid., p. 123-140. 24. Un autre sondage plus à l’ouest, au sud de l’aile méridionale du cloître, réalisé en 2006 par la Soprintendenza Archeologica del Piemonte, en vue de la mise en place d’une citerne, et resté inédit, a mis au jour des structures (cf. fig. 12), dont les niveaux d’occupation ont livré une quantité importante de vaisselle en pierre ollaire, actuellement en cours d’étude. Pour des informations préliminaires sur la présence de ce type de mobilier dans le contexte de l’abbaye, cf. G. GALLESIO et G. PANTÒ, « Proposte per una classificazione preliminare dei materiali dagli scavi dell’abbazia di Novalesa », in La Novalesa…, op. cit., p. 359-393, ici p. 360 sq. 25. C. CARDUCCI, « Rilievi romani nell’abbazia… », op. cit., p. 139 ; la provenance de la ville de Suse de la frise est soutenue aussi par L. MERCANDO, « La città, le mura, le porte », in L. MERCANDO (éd.), La porta del Paradiso. Un restauro a Susa, Turin, 1993, p. 61-136, ici p. 103 ; selon Betori, le fragment de frise et le bloc architectural « furono trasportati [à Novalaise] con ogni probabilità in età postantica » (A. BETORI, « Rilievi di soggetto storico… », op. cit., p. 154. 26. M. MARTINI, E. SIBILIA et G. SPINOLO, « Recent TL dating activity at Milan University : Datazione con il metodo della termoluminescenza di reperti provenienti dall’abbazia di Novalesa e dallo scavo del castello di Piadena », in Y. LIRITZIS et T. HACKENS (éd.), Proceedings of the First Southern European Conference in Archaeometry, Strasbourg,1986 (PACT, revue du Groupe européen d’études pour les techniques physiques, chimiques et mathématiques appliquées à l’archéologie, 15), p. 127-131. 27. G. SCHMIEDT, « Le vicende dei transiti alpini dalla preistoria all’altomedioevo », in Le Alpi e l’Europa, t. 3 (Economia e transiti), Bari, 1975, p. 95-164 ; R. CHEVALLIER, Les voies romaines, Paris, 1997, p. 192-194 ; plus spécifiquement S. PADOVAN et E. TIRAULT, Chiomonte e Sollières. Pionieri delle Alpi dal Neolitico alle invasioni galliche / Pionniers des Alpes du Néolithique aux invasions gauloises, Turin, 2007 ; S. PADOVAN, « La Valle della Dora Riparia dal Neolitico all’età del Ferro. Linee di inquadramento cronologico e culturale », in Lontane radici. Vaie, 60 secoli di storia, Borgone di Susa, 2010, p. 7-16 ; F. BARELLO, L. FERRERO et S . UGGÈ, « Evidenze archeologiche in Valle di Susa : acquisizioni, bilanci, prospettive di ricerca », Segusium, 50 (2013), p. 23-78, ici p. 24 sqq.

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28. Περὶ θαυμασίων ἀκουσμάτων, LXXXV. Sur cet itinéraire reliant la mer Adriatique et la Méditerranée occidentale, présent dans la légende d’Héraklès et des Argonautes, et sur son identification avec la voie des Alpes Cottiennes, cf. R. DION, « La voie hérakléenne et l’itinéraire transalpin d’Hannibal », in M. RENARD (éd.), Hommages à Albert Grenier, Bruxelles, 1962, I, p. 527-543 ; L. BRACCESI, « Per una frequentazione dell’arco alpino occidentale (nota a Strab. 4, I, 3.178) », in Scritti storico-epigrafici in memoria di Marcello Zambelli, Macerata, 1978, p. 61-67 ; ID., « Eracle fra Celti e Liguri », in ID., Hellenikὸs kolpos. Supplemento a « Grecità adriatica », Rome, 2001, p. 75-80, ici p. 78 sqq. ; pour les données archéologiques, cf. M. VENTURINO GAMBARI, « Forme e dinamiche degli insediamenti umani nel Neolitico », in L. MERCANDO et M. VENTURINO GAMBARI (dir.), Archeologia in Piemonte. La preistoria, Turin, 1998, p. 101-121 ; EAD., « Società ed economia dal Neolitico all’età dei Metalli », ibid., p. 231-246 ; F. M. GAMBARI, « Elementi di organizzazione sociale ed economica delle comunità protostoriche piemontesi », ibid., p. 247-260 ; F. BARELLO, L. FERRERO et S. UGGÈ, « Evidenze archeologiche… », op. cit. 29. K. MILLER, Itineraria romana, Stuttgart,1916, p. 96 ; G. RADKE, « Römische Strassen in der Gallia Cisalpina und der Narbonensis », Klio, 42 (1964), p. 299-317 ; ID., Viae publicae Romanae, Bologne, 1981 (= Stuttgart, 1971 et in RE, XIII, 1973, c. 1417-1686) ; R. CHEVALLIER, Les voies romaines…, op. cit., p. 53 sqq. 30. La thèse remonte au XIXe siècle : L. CIBRARIO, « La route du Piémont en Maurienne », Mémoire de l’Académie de Savoie, 4 (1830), p. 194-211 ; H. NISSEN, Italische Landeskunde, t. 1, Berlin,1883, p. 158 ; elle a été ensuite reprise, entre autres, par W.W. HYDE, Roman Alpine Routes, Philadelphie, 1935, p. 55 sq. ; P. BAROCELLI, La via romana transalpina degli alti valichi dell’Autaret e di Arnas. Note di escursioni archeologiche nelle valli di Lanzo, Turin,1968, p. 6 sqq. ; C. CARDUCCI, « Études sur l’identification des cols alpins entre Piémont et Gaule transalpine dans le cadre des découvertes archéologiques », in Actes du colloque international sur les cols des Alpes, Orléans, 1971, p. 45-52 ; jusqu’aux plus récents R. CHEVALLIER, Les voies romaines…¸ ibid. ; R. SCUDERI, « Confine amministrativo e confine doganale nelle Alpi occidentali durante l’alto impero », in S. GIORCELLI BERSANI (éd.), Gli antichi e la montagna – Les anciens et la montagne, Turin, 2001, p. 167-183, ici p. 180, n. 72 ; contra très brièvement et sans suite réelle D. GRIBAUDI, Il Piemonte nell’antichità classica, Turin, 1928, p. 126 sq. ; G. CORRADI, Le strade romane dell’Italia nordoccidentale, Turin, 1939, n. 110 à la p. 56 de l’édition de 1968. 31. Comme en témoignent les nombreux postes de la quadragesima Galliarum, qui ne sont pas enregistrés dans les itinéraires : cf. S. J. DE LAET, Portorium. Étude sur l’organisation douanière chez les Romains, surtout à l’époque du Haut-Empire, Bruges, 1949, toujours fondamental ; plus récemment G. MENNELLA, « La “Quadragesima Galliarum” nelle “Alpes Maritimae” », Mélanges de l’École française de Rome, Antiquité, 104 (1992), p. 209-232 ; R. SCUDERI, « Confine amministrativo… », op. cit., p. 281 sqq. 32. J. PRIEUR, « Un habitat au pied du col du Mont-Cenis : Lanslevillard, du néolithique à la fin de l’époque romaine », in Atti del Centro Studi e Documentazione sull’Italia Romana, t. 7 (1975-1976), p. 521-534 ; G. CANTINO WATAGHIN, « Il valico del Moncenisio in età romana… », op. cit. 33. G. MENNELLA, « Un’iscrizione rupestre dal Moncenisio », in Saxa Scripta. Actas do III Simpósio Ibero-itálico de Epigrafia rupestre, Viseu, 2001, p. 119-136 ; ID., « La Roccia degli Stambecchi. Scene di caccia e iscrizioni votive di età romana fra Moncenisio e Monginevro », in A. ARCÀ (éd.), La Spada sulla Roccia. Danze e duelli tra arte rupestre e tradizioni popolari della Valsusa, Valcenischia e delle valli del Moncenisio, Turin, 2009, p. 27-32 ; A. ARCÀ, F. M. GAMBARI et G. MENNELLA, « La roccia degli stambecchi : un’iscrizione latina reinterpreta incisioni dell’età del Ferro », in Secondo convegno internazionale di archeologia rupestre : l’Europa – le Alpi – la Valcamonica, Milan, 2001, p. 83-90. Les trois inscriptions donnent une interprétation érotique aux images de chasse, cf. F. M. GAMBARI, « La caccia signorile in quota : una pratica rituale dell’età del Ferro ? », in A. ARCÀ (éd.), La Spada

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sulla Roccia…, op. cit., p. 19-26. Le contrôle de la contrebande le long des pistes qui desservaient les multiples passages des Alpes, entre Gaule et Italie, évitant les routes majeures où les stationes de la Quadragesima Galliarum étaient situées, était un problème bien réel pour l’administration romaine : cf. infra, n. 45. 34. Musée Archéologique de l’abbaye, inv. n° 90165 ; le fragment était en œuvre dans un mur en pierres sèches à l’est du cloître ; un fragment d’un autre milliaire était remployé dans les maçonneries de l’église paroissiale du village de Novalaise : cf. G. CANTINO WATAGHIN, « In loco nunccopante Novelicis… », op. cit., p. 23 ; de nombreuses pièces de comparaison dans le recensement de E. BANZI, I miliari come fonte topografica e storica. L’esempio della XI Regio (Transpadana) e delle Alpes Cottiae, Rome, 1999, que nous n’avions pas pu consulter alors ; il est mentionné dans E. CIMAROSTI, « Verso il confine : un aggiornamento ai miliarii taliani delle Alpes Cottiae », in P. LEVEAU et B. RÉMY (dir.), La ville des Alpes occidentales à l’époque romaine, Grenoble, 2008, p. 207-223, ici p. 207, n. 11. 35. J. PRIEUR, « Les voies transalpines entre le petit Saint-Bernard et le Mont-Genèvre à l’époque romaine. État des questions », in Le Mont-Cenis et sa région, Chambéry, s.d. [1979], p. 373-386 ; d’un « système de cols » (« sistema di valichi ») parle à juste titre Sergi (G. SERGI, Potere e territorio lungo la strada di Francia. Da Chambéry a Torino fra X e XIII secolo, Naples, 1981, p. 35 sq.), dans une perspective qui montre l’inconsistance de la théorie proposée par de Lavis-Trafford et largement adoptée par les chercheurs, d’un passage qui se serait fait seulement à travers le Petit-Mont- Cenis dans l’Antiquité et jusqu’au Moyen Âge, quand la route du Grand-Mont-Cenis aurait été ouverte (M. DE LAVIS TRAFFORD, « L’identification topographique du col alpin franchi par Hannibal », Travaux de la Société d’histoire et d’archéologie de Maurienne, 13 (1956), p. 109-152 ; ID.,« Études sur les voies transalpines de la région du Mont Cenis, depuis l’antiquité classique jusqu’au début du XIIIe siècle », Bulletin philologique et historique, 1 (1960), p. 61-91. 36. C. LETTA, « La dinastia dei Cozii e la romanizzazione delle Alpi », Athenaeum, 54 (1976), p. 36-76 ; ID.,« La dynastie royale des Alpes Cottiennes », in Le Mont-Cenis et sa région…, op. cit., p. 303-323 ; ID., « Postilla sulle iscrizioni della dinastia cozia », in Susa. Bimillenario dell’arco = Segusium, 31 (1994), p. 115-127. 37. L. MERCANDO, « La città, le mura… », op. cit. Dans un article qui vient d’être publié, Anna Maria Riccomini a supposé l’existence à Suse d’un complexe statuaire d’époque claudienne, résultat d’un programme de propagande dynastique, auquel, d’une part, appartiendraient les deux torses cuirassés retrouvés au début du XIXe siècle et auquel, d’autre part, serait reliée la tête conservée à New York (Metropolitan Museum), traditionnellement identifié avec Agrippa, mais qui pourrait plutôt représenter Germanicus, le lien de Claude avec la « gens Iulia » ou plutôt Marc Antoine, aïeul de l’empereur [A. M. RICCOMINI, « Sul ritratto in bronzo da Susa al Metropolitan Museum (New York). Una possibile identificazione : Marco Antonio ? », Segusium, 52 (2015), p. 303-316]. 38. SUETONE, Nero, 18 ; J. PRIEUR, La province romaine des Alpes Cottiennes, Villeurbanne, 1968 ; C. LETTA, « La dinastia dei Cozii e la romanizzazione… », op. cit. ; ID.,« La dynastie royale des Alpes… », op. cit. ; G. CRESCI MARRONE, « Segusio e il processo di integrazione nella romanità », Segusium, 31 (1994), p. 185-196. 39. Segm. II, 3 : L. BOSIO, Tabula Peutingeriana : una descrizione pittorica del mondo antico, Rimini, 1983, fig. 47 et p. 157, n. 294 ; pour une analyse nouvelle et stimulante de la Table, cf. R. J. A. TALBERT, Rome’s World : The Peutinger Map Reconsidered, Cambridge, 2010. 40. Amm. Marc. XV, 2 : « quas [Alpes Cottiae] rex Cottius, perdomitis Gallis solus in angustiis latens inviaque locorum asperitate confisus, lenito tandem timore in amicitiam Octaviani receptus principis, molibus magnis exstruxit ad vicem memorabilis muneris, compendiarias et viantibus oportunas, medias inter alias Alpes vetustas super quibus comperta paulo postea referemus… et licet haec, quam diximus viam, media sit et conpendiaria magisque celebris, tamen etiam aliae multo antea temporibus sunt constructae diversis. »

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41. A. CROSETTO, « La chiesa “Sancti Maximi ad quintum di Collegno », in G. P. BROGIOLO (éd.), Chiese e insediamenti nelle campagne tra V e VI secolo, 9° seminario sul tardoantico e l’alto medioevo, Mantova, 2003, p. 119-130 ; ID., « La chiesa di S. Massino “ad Quintum” : fasi paleocristiane e altomedievali », in L. PEJRANI BARICCO (dir.), Presenze Longobarde. Collegno nell’altomedioevo, Turin, 2004, p. 249-270 ; sur le problème du développement des stations routières dans l’Antiquité tardive, cf. G. CANTINO WATAGHIN, V. FIOCCHI NICOLAI et G. VOLPE, « Aspetti della cristianizzazione degli agglomerati secondari », in R. M. BONACASA CARRA et E. VITALE (éd.), La cristianizzazione in Italia fra tardoantico e altomedioevo, Palerme, 2007, p. 85-134, p. 94 sqq., p. 96 pour Collegno. 42. M. SEGARD, Les Alpes occidentales romaines, développement urbain et exploitation des ressources des régions de montagne (Gaule Narbonnaise, Italie, provinces alpines), Aix-en-Provence, 2009, p. 89-91 et 98 sqq. 43. C. CIPOLLA (éd.), Monumenta novaliciensia vetustiora…, op. cit., p. 104 sqq. ; D. OLIVIERI, Dizionario di toponomastica piemontese, Brescia, 1965, p. 238. 44. Devant l’absence d’études spécifiques sur le terroir du Val Cenischia, on se reportera à M. SEGARD, Les Alpes occidentales romaines…, op. cit. ; l’exploitation des ressources minières (cuivre et fer) est bien attestée au Moyen Âge, cf. G. DI GANGI, L’attività mineraria e metallurgica nelle Alpi Occidentali Italiane nel Medioevo : Piemonte e Valle d’Aosta, fonti scritte e materiali, Oxford, 2001, notamment p. 153-167 et p. 1 sqq. pour le potentiel minier ; pour l’Antiquité et le haut Moyen Âge, on attend encore une enquête qui vérifie les suggestions des érudits du XIXe siècle, résumées dans ibid., tav. 5. 45. CIL, XII 80 ; cette inscription a été étudiée surtout du point de vue de ses implications pour l’histoire administrative de ce secteur des Alpes : A. ROTH CONGÈS, « L’inscription des Escoyères dans le Queyras, la date de l’octroi du droit latin aux Alpes Cottiennes, et la question du statut de Dinia », Rivista di Studi Liguri, 59-60 (1993-1994), p. 73-101, avec bibliographie à la n. 2 ; C. Letta,« Ancora sulle civitates di Cozio e sulla prefettura di Albano », in S. GIORCELLI BERSANI (éd.), Gli antichi e la montagna…, op. cit., et encore B. RÉMY et F. KAYSER, « Inscriptions latines des Alpes : Alpes Cottiennes (versant français) », in E. CIMAROSTI, Le iscrizioni di età romana…, op. cit., p. 355-611, ici p. 598-603 ; M. M. FALCHI, « La présence humaine aux Escoyères dans l’Antiquité. Quelques observations sur l’inscription de la chapelle de Sainte Marie-Madeleine », Bulletin de la Société d’études des Hautes-Alpes (2015), p. 29-46, qui restitue une stèle plutôt qu’un monument funéraire et relie son érection à l’activité du commanditaire dans le service des douanes. 46. Les deux fragments de l’inscription sont réemployés comme linteaux de porte dans la chapelle Sainte-Madeleine du hameau, situé dans la commune d’Arvieux ; d’autres matériaux ayant appartenu au mausolée, notamment des pierres de taille, sont également réutilisés dans la chapelle : G. BARRUOL, Les peuples préromains du sud-est de la Gaule, étude de géographie historique, Paris, 1969, p. 44-48 et 175-179 ; I. GANET (dir.), Carte archéologique de la Gaule, t. 5 (Hautes-Alpes), Paris, 1995, « 007. Arvieux », p. 52 sq. 47. G. BÉRARD (dir.), Carte archéologique de la Gaule, t. 4 (Les Alpes-de-Haute-Provence), Paris, 1997, « 090. Le Fugeret », p. 207-209 ; M. SEGARD, Les Alpes occidentales romaines…, op. cit., p. 237. 48. Cf. supra, n. 26. 49. Cf. supra, n. 24. 50. S. UGGÈ, « Pettine e placca in osso (astuccio di pettine ?) », in F. C RIVELLO et C. SEGRE MONTEL (dir.), Carlo Magno e le Alpi. Viaggio al centro del Medioevo, Milan, 2006, p. 88-89. 51. G. SARONI,« Cofanetto reliquiario in osso », in Novalesa. Una storia…, op. cit., p. 107-109 ; EAD., « Reliquiari della Novalesa e della cattedrale di Vercelli. Cofanetto reliquiario in osso », in C. BERTELLI et G. P. BROGIOLO (dir.), Il futuro dei Longobardi. L’Italia e la costruzione dell’Europa di Carlo Magno, Milan, 2000, p. 222 (scheda n° 254). La chasse elle-même est datée de la seconde moitié du XIIIe siècle ; elle a été ouverte en 1998, en vue de restaurations ; outre le reliquaire, dont il est question, elle renfermait les reliques de saint Eldrade, saint Arnulfe et autres saints et trois petits

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reliquaires en bois peint du XIe-XIIe siècle : C. BERTOLOTTO, « La cassa di Sant’Eldrado e i reliquiari ritrovati », in Novalesa. Una storia…, ibid., p. 97-106. 52. Les trésors des Églises de France, catalogue d’exposition, musée des Arts décoratifs, Paris, 1965, p. 226, fiche n° 412. 53. Le coffret renfermait des reliques arrivées à l’abbaye à différentes époques: les saints Côme et Damien (selon la Chronique, III, 15, données par Charlemagne : G. C. ALESSIO, Cronaca, p. 160-161), André, Nicolas, Théobald, Vincent (C. BERTOLOTTO, « La cassa di Sant’Eldrado e i reliquiari ritrovati », op. cit., p. 97-106, ici p. 98, n. 3). Le problème de la date de sa présence dans la ville se pose aussi pour l’exemplaire très proche du Trésor de la Cathédrale de Suse : S. UGGÈ, « Reliquiario in osso », in F. CRIVELLO et C. SEGRE MONTEL (dir.), Carlo Magno e le Alpi…, op. cit., p. 92-93. 54. G. ARDIZIO et G. CANTINOWATAGHIN, « Ulteriori note su alcuni frammenti di sarcofagi paleocristiani dall’abbazia dei SS. Pietro e Andrea di Novalesa », Quaderni della Soprintendenza Archeologica del Piemonte, 26 (2011), p. 65-76. 55. Trois fragments d’inscriptions, retrouvés à différents moments, sont conservés : deux à la Novalaise (Musée Archéologique, inv. n° 56953-56954), un à Turin (Palazzo Madama Museo Civico di Arte Antica, inv. n° 389, 5b et 306a). 56. La datation au haut Moyen Âge ressort de l’analyse détaillée menée récemment par Chiara Lambert (C. LAMBERT, « La scrittura epigrafica nei monasteri alpini : alcune linee di ricerca », in E. DESTEFANIS et C. LAMBERT (éd.), Per diversa temporum spatia. Scritti in onore di Gisella Cantino Wataghin, Vercelli, 2011, p. 121-142, ici p. 131 sqq.) ; pour une chronologie se rapportant à l’Antiquité tardive, cf. C. CARDUCCI, « Rilievi romani… », op. cit., p. 137 ; M. AIMONE, « Epitaffi tardoantichi e intrecci altomedievali. Osservazioni su tre frammenti iscritti e scolpiti provenienti dall’abbazia della Novalesa », Bollettino storico-bibliografico subalpino, 108 (2010), p. 115-142 (où pourtant la cohérence des trois fragments n’est pas reconnue) ; C. LETTA, « Minima epigraphica dalle Alpes Cottiae. In memoria di Jacques Debergh : un carmen epigraphicum cristiano dalla Novalesa », Studi Classici e Orientali, 57 (2011), p. 315-325 et Segusium, 52 (2013), p. 11-22 ; dans un souci d’exhaustivité, rappelons aussi qu’une datation à la Renaissance a été proposée par L. MALLÈ, Le sculture del Museo di Arte Antica, Turin, 1965, p. 68S, suivi par S. CASARTELLI NOVELLI, La diocesi di Torino. Corpus della scultura altomedievale, t. 6, Spolète, 1974, p. 174. 57. G. CANTINO WATAGHIN, « L’abbazia dei SS. Pietro e Andrea di Novalesa : gli edifici monastici nell’altomedioevo », in H. R. SENNHAUSER (dir.), Wohn- und Wirtschaftsbauten frühmittelalterlicher Kloster. Internationales Symposium, 26.9.-1.10.1995 in Zurzach und Müstair, in Zusammenhang mit den Untersuchungen im Kloster St. Johann zu Müstair, Zürich, 1996, p. 17-26 ; EAD., « L’établissement et l’histoire… », op. cit., p. 263 sq. ; L. PEJRANI BARICCO, S. UGGÈ et G. CANTINO WATAGHIN, « Novalesa. Scavi nell’Abbazia dei SS. Pietro e Andrea », Quaderni della Soprintendenza Archeologica del Piemonte, 25 (2010), Notiziario, p. 236-243. 58. G. CANTINO WATAGHIN, « Architecture et décor peint de la Novalaise du carolingien au roman », in E. VERGNOLLE et S. BULLY (dir.), Le “premier art roman” cent ans après. La construction entre Saône et Pô autour de l’an Mil, Besançon, 2012, p. 239-259 ;EAD., « L’établissement et l’histoire… », ibid. 59. F. L. GANSHOF, « Quelques aspects principaux de la vie économique dans la monarchie franque au VIIe siècle », in Caratteri del secolo VII in Occidente, Spolète, 1958 (Settimana di studio del CISAM, V), p. 73-101. 60. J.-M. CARRIÉ, « Nommer les structures rurales entre fin de l’Antiquité et haut Moyen Âge : le répertoire lexical gréco-latin et ses avatars modernes, 1re partie », Antiquité Tardive, 20 (2012), p. 25-46, ici p. 30 sqq. 61. Je remercie Alain Dubreucq pour ses suggestions sur ce point, faites à l’occasion du séminaire de Vienne. 62. P. J. GEARY, Aristocracy in Provence. The Rhône Basin at the Dawn of the Carolingian Age, Stuttgart, 1985 ; G. BARRUOL et H. FALQUE-VERT, « Les biens du patrice Abbon en 739… », op. cit. ; E. DESTEFANIS et

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S. UGGÈ, « Possedimenti di Novalesa secondo il testamento di Abbone 739 », in F. CRIVELLO et C. SEGRE MONTEL (dir.), Carlo Magno e le Alpi…, op. cit., p. 48-49. 63. « (…) una cum consensu pontificum vel clerum nostrorum Mauriennate vel Segucine civitate in quibus nos Deus rectorem esse instituit » : C. CIPOLLA, Monumenta Novaliciensia Vetustiora, t. 1, Rome, 1898, doc. I, 726, gennaio 30, p. 7-13, ici p. 7. 64. P. J. GEARY, Aristocracy in Provence…, op. cit., p. 81 ; le testament fait mention de propriétés paternelles dans la ville de Suse : « (…) in ualle sigusina, tam infra muros ipsius civitatis quam et in ipso pago ex alode parentum meorum uel undecumque michi iustissime ibidem ex legibus obuenit, hoc est quidquid in ipsa ualle novaliciis (…) » (GEARY, Aristocracy in Provence…, op. cit., p. 40 sqq.). 65. Chronicon, III, 7 : G. C. ALESSIO, Cronaca…, op. cit., p. 145. 66. Pour la Chronique, cf. P. J. GEARY, La mémoire et l’oubli à la fin du premier millénaire, Paris, 1996 (=Phantoms of Remembrance : Memory and Oblivion at the End of the First Millennium, Princeton, 1996) ; le « templum (…) mirae pulchritudinis » évoqué par le chroniqueur a sans doute existé au col du Montgenèvre, des éléments d’un bâtiment important ont été retrouvés à l’occasion de la fouille du chœur de l’église paroissiale, restée inédite. 67. Pour une analyse précise de la figure d’Abbon et du contexte dans lequel il agit, cf. toujours P. J. GEARY, Aristocracy in Provence…, op. cit., p. 101 sqq. 68. En dernier lieu,L. RIPART, « L’abbaye de la Novalaise… », op. cit., p. 64 sqq. 69. Cf. W. KURZE, Monasteri e nobiltà nel Senese e nella Toscana medievale. Studi diplomatici, archeologici, genealogici, giuridici e sociali, Sienne, 1989, p. 303-312 ; G. SERGI, I confini del potere. Marche e signorie fra due regni medievali, Turin, 1995, p. 11. 70. C. SERENO, « Monasteri aristocratici subalpini : fondazioni funzionariali e signorili, modelli di protezione e di sfruttamento (secoli X-XII) (parte prima) », Bollettino storico-bibliografico subalpino, 96 (1998), p. 397-448, ici p. 421 [en ligne : www-rm.unina.it] ; G. SERGI, L’aristocrazia della preghiera. Politica e scelte religiose nel medioevo italiano, Rome, 1994, p. 55-72. 71. C. CIPOLLA (éd.), Monumenta novaliciensia vetustiora¸t. 1, Rome, 1898 (Fonti per la Storia d’Italia, 31), doc. I, 726 gennaio 30, p. 7-13, ici p. 9 ; à la famille d’Abbon appartiennent sans doute le premier abbé, un autre Abbon, et l’évêque Walchunus, qui signe l’acte de fondation du monastère et participe à son établissement matériel et auquel l’exécution du testament est confiée : P. J. GEARY, Aristocracy in Provence…, op. cit. ; G. SERGI, « Novalesa fra storia e storiografia… », op. cit., p. 21 sq. 72. La définition est d’A. Perret (« Les origines de l’expansion monastique en Savoie », Mémoires de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Savoie, 1 (1953), p. 29-69, ici p. 43), reprise par G. Sergi (« Novalesa fra storia e storiografia… », ibid., p. 28 sq.).

AUTEUR

GISELLA CANTINO WATAGHIN Professeur honoraire, université du Piémont oriental

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L’ancien prieuré Saint-Martin de Mesvres (Saône-et-Loire)

Sylvie Balcon-Berry

1 Le village de Mesvres, situé au sud-ouest d’Autun, sur les bords du Mesvrin, abrite les vestiges d’un ancien prieuré dédié à saint Martin. De 2008 à 2015, huit campagnes de relevés archéologiques ont conduit à mieux comprendre les élévations de ce complexe religieux1.

2 L’intérêt de ce site réside, tout d’abord, dans l’ancienneté probable d’un lieu de culte chrétien. Vient ensuite la documentation abondante – surtout à partir du XIIIe siècle – relative à l’histoire du prieuré, recensée dans deux articles publiés en 1875 et 1877 par Anatole de Charmasse2. En dernier lieu, on doit souligner la conservation exceptionnelle des bâtiments, certes remaniés au début du XIXe siècle lors de la transformation du prieuré en exploitation agricole, avec notamment le percement de nombreuses ouvertures. La lecture des élévations est assez complexe, mais, dans le même temps, ce changement d’affectation a permis la préservation des bâtiments qui composaient l’ancien prieuré. Parmi eux, on compte, en premier lieu, des vestiges de l’église au nord, le bâtiment ouest, fortifié au XIIIe siècle, et le bâtiment sud (fig. 1).

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Fig. 1 – Ancien prieuré Saint-Martin de Mesvres, plan général du site

DAO S. Balcon-Berry et J. Labonde

3 Par ailleurs, l’étude archéologique montre, en ce qui concerne l’église, la présence d’élévations très anciennes, comme l’avaient déjà proposé Christian Sapin et Walter Berry3.

4 Les huit campagnes de relevés ont permis d’enregistrer et d’analyser ces élévations remaniées à de nombreuses reprises ; notre connaissance du site s’est ainsi sensiblement accrue. Un phasage reposant sur les données archéologiques a été établi4. Il conviendra de l’ajuster à l’occasion de fouilles archéologiques, on l’espère, prochaines. Parallèlement aux relevés manuels, des numérisations en 3D ont été réalisées5. Des compléments seront prochainement entrepris grâce au matériel mis à disposition par la plateforme PLEMO 3D de Sorbonne Universités6. En dernier lieu, une campagne de prospection géophysique a été menée en 2011 par le laboratoire des Ponts-et-Chaussées d’Autun7. Elle a mis en évidence les vestiges d’un cloître à galeries qui s’ordonnait autour d’un préau carré. Des compléments de prospection dans la zone nord, qui correspond à l’emplacement de l’ancienne église, seront engagés au printemps 20168.

La question des origines du site

5 Comme l’a montré Anatole de Charmasse, la mention la plus ancienne au prieuré de Mesvres remonte à 8439. Il est cité dans un diplôme de Charles le Chauve qui confirme l’autorité de l’Église d’Autun sur Mesvres, l’Église d’Autun étant dirigée à cette époque par l’évêque Althé. Dans ce document, il est question du « monasterium sancti Martini de Magavero », lié à la colline de la Certenue, « siveCirciniaco », dominant le village de

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Mesvres. La Certenue abritait un sanctuaire, probable haut lieu de culte païen dans l’Antiquité, qui fut lentement christianisé. Son sommet comprenait une fontaine miraculeuse et une chapelle cernée d’un fossé10. Mesvres était donc étroitement associé à cet ancien lieu de culte.

6 Charmasse suggère également que le monasterium de Mesvres existait vraisemblablement déjà en 815, sous l’évêque Modoin11. 815 correspond en effet à la date d’un diplôme reproduit avec plus de détails dans celui de 843. On ne connaît pas précisément la date de fondation du prieuré de Mesvres, mais elle serait donc antérieure à 815. Selon Charmasse, l’origine du prieuré de Mesvres se confondrait avec celle de l’Église d’Autun dont il dépendait. Si rien ne permet de l’affirmer, on doit tout de même noter que, dans le document de 843, Mesvres est cité parmi des établissements religieux précoces, comme Saint-Pierre-l’Estrier d’Autun, remontant au IVe siècle, ou Saint-Georges de Couches du VIIIe siècle12.

7 À partir de 877, les prieurs de Mesvres sont également préposés au gouvernement de l’abbaye de Flavigny, selon la volonté de l’évêque d’Autun. Le prieuré de Mesvres entretenait ainsi des liens étroits avec cette abbaye, par ailleurs sous obédience de l’Église d’Autun depuis 87713 ; en témoigne le fait que, au cours du XIIIe siècle, certains prieurs et moines de Mesvres sont aussi prévôts de Flavigny. En 994, le prieuré passe dans les mains de Cluny, mais la nomination du prieur relève toujours de l’évêque d’Autun.

8 Le fait que Mesvres soit lié à un contexte cultuel ancien, de même que la dédicace à saint Martin, renforce l’hypothèse de l’établissement d’un lieu de culte chrétien bien avant 815. Pour Anatole de Charmasse, il pourrait s’agir du site mentionné par Sulpice Sévère à propos de la destruction d’un temple antique par saint Martin en pays Éduen. Dans la Vie de saint Martin, Sulpice Sévère raconte, en effet, que saint Martin a réalisé une telle action dans un bourg du pays des Éduens, « inpagoÆduorum »14. Il est question de paysans païens qui se jettent sur Martin ; l’un d’eux cherchant à le tuer sans pourvoir y parvenir.

9 Faute de fouilles archéologiques qui permettraient de valider la présence d’un temple primitif, il est difficile d’adhérer sans réserves aux hypothèses de Charmasse. Pour étayer l’existence d’une telle structure, ce dernier mentionne la découverte à Mesvres de nombreux vestiges antiques15. Il est ainsi question de colonnes et de quatre chapiteaux, qui, selon l’abbé Devoucoux, autre érudit d’Autun du XIXe siècle, avaient été remployés dans les baies de la tour de croisée de l’église du prieuré, tour effondrée en 1836 (fig. 9)16.

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Fig. 9 – Ancien prieuré Saint-Martin de Mesvres, vue de l’église en 1836 par l’abbé Devoucoux

Autun, Bibliothèque de la Société Éduenne, album 7 (cl. W. Berry).

10 Ces chapiteaux conservés au Musée lapidaire d’Autun sont datés de la fin du Ier siècle apr. J.-C.17. Un chapiteau de même type est toujours présent sur le site du prieuré (fig. 2).

Fig. 2 – Ancien prieuré Saint-Martin de Mesvres, chapiteau antique

Cl. S. Balcon-Berry

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11 Charmasse publie également la gravure d’une sculpture qualifiée de « masque de Mercure » et qui, selon lui, serait en terre cuite18. Conservée au musée Rolin, elle est en réalité en marbre rouge et semble plutôt correspondre à un vestige de sculpture monumentale, un bas-relief (fig. 3)19.

Fig. 3 – Mesvres, tête de Mercure

Cl. S. Balcon-Berry

12 Le site de Mesvres comprend par ailleurs des stèles funéraires en granit. Au XIXe siècle, deux de ces éléments étaient adossés au mur de clôture du cimetière jouxtant l’église paroissiale romane ; leur localisation actuelle est inconnue20. Une autre stèle est remployée dans le mur pignon d’une maison située à l’ouest du prieuré – ancienne maison du prieur, actuelle maison Nigaud21. Elle a été découverte au XIXe siècle dans le champ des Patureaux, situé à l’ouest du village. Les jardins de cette maison abritent bien d’autres vestiges antiques, mais aussi médiévaux22 : des urnes funéraires, des colonnes, des fragments de chapiteaux, dont un très beau en marbre (fig. 4).

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Fig. 4 – Mesvres, maison Nigaud, fragment de chapiteau antique

Cl. S. Balcon-Berry

13 Une mosaïque antique se trouvait jusqu’à récemment encore dans l’entrée d’une autre demeure située non loin du prieuré23. Elle provenait d’Autun. Mais Jacques-Gabriel Bulliot mentionne la découverte en 1887 de vestiges d’un sol en opus sectile sur le site du prieuré24. Des fragments d’un tel décor ont été récemment trouvés par les Amis du prieuré à l’occasion du déblaiement du bâtiment ouest.

14 Pour Charmasse, « il serait possible que ce temple ait survécu au moins en partie au passage de saint Martin et qu’il ait été le premier sanctuaire chrétien de la contrée » note réf citation. Là encore, seule la fouille permettrait de saisir ce phénomène de réappropriation du supposé temple antique pour la fondation d’un culte chrétien à une période haute. Le vocable de saint Martin n’est certainement pas déterminant, mais il est intéressant à relever, car souvent lié à une occupation chrétienne ancienne. De plus, selon les érudits d’Autun, la vallée du Mesvrin aurait constitué le théâtre d’une des plus importantes missions de saint Martin25. On peut toutefois légitimement s’étonner de la présence dans une zone rurale de vestiges antiques – en particulier les chapiteaux – de telle qualité qui s’accorderaient avec un temple imposant ou un édifice public de tradition romaine – peut-être des thermes liés aux sources particulièrement vénérées à Mesvres et ses environs ? À son propos, Jacques-Gabriel Bulliot parle d’ailleurs de l’existence d’« un temple d’une richesse inusité dans la campagne éduenne »26.

15 Dans ce contexte, le cas de la chapelle Saint-Martin du Mont Beuvray, fouillée en 1872-1873 par le même Jacques-Gabriel Bulliot, est intéressant à évoquer27. Bulliot montre en effet l’existence d’un fanum primitif, dont la cella rectangulaire est associée à une abside orientale à une date difficile à déterminer, mais probablement autour des VIIe-VIIIe siècles selon les données d’une fouille menée en 1986-198728. Pour ne citer qu’un parallèle étudié récemment, ce site s’apparente à Saint-Georges de Boscherville (Seine-Maritime), où un fanum abandonné à la fin de l’Antiquité voit sa cella transformée en nef de chapelle à l’époque mérovingienne (vers le VIIe siècle), le mur

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oriental étant doté d’une abside29, comme c’est visiblement le cas pour la chapelle du Mont Beuvray. À Saint-Georges de Boscherville, on a également pu montrer que l’ancienne cella a accueilli de nombreuses sépultures. Jacques Le Maho, auteur de l’étude sur cet édifice, rejoint les hypothèses de Bailey Young30 pour qui la réoccupation mérovingienne de ruines de temples antiques s’explique non pas par la volonté de christianiser des sites païens, mais pour des raisons pratiques avec l’opportunité de tirer parti de maçonneries conservées en élévation. Cela semble être le cas pour la chapelle du Mont Beuvray et peut-être aussi pour Mesvres.

16 Citons un dernier site montrant, comme c’est vraisemblablement le cas à Mesvres, une longue histoire révélée par l’archéologie, notamment une occupation chrétienne précoce. Il s’agit de la chapelle du Mont Dardon à Uxeau (Saône-et-Loire), non loin de Toulon-sur-Arroux31. Sur ce site de hauteur, comparable au Mont Beuvray, l’archéologie a pu attester une occupation de l’Âge du fer puis de l’époque antique, très perturbée par la suite, auxquelles succèdent des traces d’une zone funéraire mérovingienne précédant l’aménagement d’une chapelle rectangulaire (bâtiment A) dans la première moitié du IXe siècle. Cette chapelle fait place à une petite église dans la seconde moitié du IXe siècle ou au Xe siècle. Ce nouvel édifice comprend une abside exhaussée, une nef rectangulaire et une structure carrée attribuée à une tour à l’ouest32.

17 À Mesvres, comme dans les exemples cités, une occupation funéraire mérovingienne est probable si l’on en croit la présence d’un fragment de sarcophage de cette époque, intégré dans le mur sud du chœur dont on conserve des vestiges, nous le verrons (fig. 5).

Fig. 5 – Ancien prieuré Saint-Martin de Mesvres, relevé du parement nord du mur sud de l’abside avec phasage

Relevé étudiants ; DAO S. Balcon-Berry

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18 Par ailleurs, les habitants de Mesvres évoquent la découverte d’autres sarcophages au nord de l’église prieurale. Il pourrait s’agir d’une zone funéraire en lien avec un établissement religieux antérieur au IXe siècle.

19 Pour l’heure, les données relatives à Mesvres, énoncées ci-dessus, laissent donc penser qu’après une occupation antique, dont la nature exacte doit être précisée, un lieu de culte chrétien se serait implanté à l’époque mérovingienne. Entre ces deux phases, une période d’abandon de plusieurs siècles est à envisager, comme c’est souvent le cas33. Une communauté de moines s’installe en ce lieu au début du IXe siècle, voire peu avant, selon les sources textuelles. Mais ces hypothèses de travail doivent être validées, nuancées, voire infirmées par des campagnes de fouilles archéologiques.

L’étude archéologique des élévations conservées

20 Outre le fragment de sarcophage mérovingien mentionné (cf. fig. 5), la récente étude des élévations de l’ancien prieuré Saint-Martin de Mesvres a révélé la conservation de vestiges très anciens. Ces derniers concernent l’église située au nord du site ainsi que le bâtiment ouest (fig. 6).

Fig. 6 – Ancien prieuré Saint-Martin de Mesvres, proposition de restitution du site avant l’an Mil

DAO S. Balcon-Berry

21 La campagne de relevés et d’analyse a en effet montré la conservation d’une partie du mur sud de l’abside de l’église (cf. fig. 5, 7 et 8), le côté nord ayant vraisemblablement été détruit en 1836 lors de l’effondrement de la tour de croisée déjà évoquée. Les parements nord et sud sont constitués de blocs antiques en remploi mêlés à des moellons (cf. fig. 5 et 8).

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Fig. 7 – Ancien prieuré Saint-Martin de Mesvres, plan des vestiges de l’abside et essai de restitution de ses dispositions

Relevé étudiants ; DAO S. Balcon-Berry

Fig. 8 – Ancien prieuré Saint-Martin de Mesvres, relevé du parement sud du mur sud de l’abside et plan

Relevé étudiants ; DAO S. Balcon-Berry

22 Le départ de l’abside inscrite dans un massif carré a été observé (cf. fig. 5 et 7). Le parement sud du mur méridional (cf. fig. 8) ne montre pas d’évidence d’un ressaut

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comme l’indique l’abbé Devoucoux dans son précieux plan schématique réalisé lors de son passage à Mesvres en 1836, peu avant l’effondrement de la tour de croisée (fig. 10).

Fig. 10 – Ancien prieuré Saint-Martin de Mesvres, plan schématique et élévation sud réalisés en 1836 par l’abbé Devoucoux

Autun, Bibliothèque de la Société Éduenne, album 7 (cl. W. Berry).

23 Pour l’heure, nous n’avons pas indiqué ce ressaut sur nos restitutions34. La fouille de la zone orientale devrait permettre de confirmer ou non l’existence de cet élément. De plus, dans notre restitution de la structure (cf. fig. 6), le mur nord s’inscrit dans le prolongement d’un gros bloc antique de remploi situé à l’ouest, qui pourrait appartenir à cette phase (fig. 11, US 270), voire constituer l’angle nord-ouest de l’édifice, ce qui reste bien entendu à vérifier.

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Fig. 11 – Ancien prieuré Saint-Martin de Mesvres, mur est de l’ancien bras nord du transept devenu chapelle au XVIIe siècle

Relevé étudiants ; DAO S. Balcon-Berry

24 Les analyses en laboratoire du mortier du mur sud de l’abside ont montré la présence d’argile, absente des autres liants étudiés sur le site, à l’exception d’une partie du mur nord du bâtiment ouest, comme on le verra plus loin35. Ce fait ainsi que le type d’élévation mêlant blocs antiques remployés et moellons tendent à montrer l’ancienneté des vestiges de l’abside, probablement antérieure à l’an Mil. Ce mode de construction caractérise aussi des maçonneries de la nef de l’ancienne cathédrale Saint- Nazaire d’Autun, datées de la fin du VIIIe siècle36, et les élévations carolingiennes de Saint-Pierre-l’Estrier d’Autun37. Sous réserve de validation par des investigations archéologiques, le plan que nous restituons (cf. fig. 6) sur la base des données actuelles – conservation du mur sud de l’abside et restitution du mur nord en miroir, fondée également sur le plan de Devoucoux – montre des parentés avec la zone orientale de la chapelle des VIIe-VIIIe siècles du Mont Beuvray adossée aux vestiges de la cella du fanum primitif, comme on l’a évoqué plus haut38. Des parallèles avec la chapelle Notre-Dame de la Certenue, qui, dans sa phase antérieure au XVIIe siècle, comprenait vraisemblablement une longue abside, peuvent également être évoqués, d’autant que, comme on l’a vu, ce site était étroitement lié à Mesvres. Mais cette chapelle n’ayant pas donné lieu à des recherches archéologiques, sa datation demeure très hypothétique39. De même, la chapelle Saint-Ferrucion de Curgy (Saône-et-Loire), qui pourrait remonter au Xe siècle, montre, en raison de son abside rectangulaire, d’intéressantes parentés avec celle de Mesvres40. Mais l’édifice détruit n’est connu que par un plan cadastral et des photographies du XIXe siècle ; il n’a jamais fait l’objet de recherches approfondies.

25 À Mesvres, notre proposition de restitution pourrait ainsi correspondre à une chapelle ou à une église antérieure à l’an Mil. La fouille archéologique permettra peut-être de

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préciser sa datation et donc de savoir si cette structure est liée au complexe monastique mentionné dans la charte de 843 en tant que monasterium ou bien si elle est postérieure. Étant donné la présence de nombreux blocs antiques dans cette construction, on ne peut écarter l’hypothèse selon laquelle elle incorporait les chapiteaux mentionnés plus haut. On l’a déjà dit, ces éléments pourraient constituer des remplois d’un vaste édifice antique précédant l’occupation chrétienne sur le site, mais on ne peut totalement exclure l’hypothèse de leur provenance d’Autun- Augustodunum41, le prieuré de Mesvres étant intimement lié à l’Église d’Autun avant son affiliation à Cluny à la fin du Xe siècle42.

26 Un fragment de sculpture cannelée découvert à Mesvres, aujourd’hui conservé au musée Rolin d’Autun, correspond à un pilastre ou à un élément de barrière liturgique appartenant à l’édifice antérieur à l’an Mil43.

27 Une maçonnerie comparable à celle du mur sud de l’abside a été observée dans la partie orientale du mur nord du bâtiment ouest (fig. 12).

Fig. 12 – Ancien prieuré Saint-Martin de Mesvres, bâtiment ouest, mur nord, parement nord, avec restitution d’une ouverture en rouge

Relevé étudiants ; DAO S. Balcon-Berry

28 Cet élément semble constituer un angle de bâtiment associé à l’ouest à une ample ouverture. Au sud, sous un actuel mur de refend, de gros blocs pourraient faire partie de cette structure, qui se poursuivait probablement au sud (cf. fig. 6). Sous réserve, là encore, d’études archéologiques plus poussées, on propose de voir dans ces éléments les vestiges d’un édifice marquant l’entrée du complexe monastique, peut-être un espace de stockage de denrées, mais aussi un lieu d’accueil des laïcs de type hôtellerie, objet de recherches récentes44. La présence de portiques est envisageable à l’est, voire également à l’ouest, comme on l’a récemment mis en évidence en ce qui concerne les Hôtelleries de Saint-Hugues à Cluny, dans la phase du XIIe siècle45. Ainsi, comme à Souvigny dès le Xe siècle46, ces deux constructions auraient marqué la configuration du site et son développement.

29 Dans le cadre de ces actes, qui concernent l’origine des sites monastiques, il n’est pas opportun de développer les aspects relatifs à l’évolution du prieuré de Mesvres.

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Mentionnons quelques faits reposant sur l’étude des bâtiments. L’église aurait été considérablement amplifiée vers l’an Mil, époque de l’intégration du prieuré dans le réseau clunisien. Une vaste croisée, précédant une nef, est aménagée en incorporant à l’est l’abside antérieure. On en conserve des élévations47. Dans la première moitié du XIe siècle, des chapelles sont créées à l’est de la croisée. Ce cloisonnement des espaces et les passages associés ne sont pas sans évoquer les aménagements complexes observés à Cluny II, en particulier pour l’état 2b, selon les récentes hypothèses d’Anne Baud et de Christian Sapin48. Parallèlement, un cloître en pierre s’organise au sud de l’église en englobant les élévations primitives du bâtiment ouest mentionnées plus haut. Le bâtiment sud est attesté à cette époque. Il longe la galerie sud du cloître. Des phases de modifications attribuées aux XIIIe, XVe et XVIIe siècles ont également été identifiées à travers l’étude du bâti.

Conclusion

30 Dans le cas de l’ancien prieuré Saint-Martin de Mesvres, les données disponibles à ce jour laissent penser qu’une communauté monastique s’installe dès le début du IXe siècle, voire peu avant. Une zone funéraire mérovingienne, associée probablement à une chapelle et à un habitat, précède vraisemblablement cette occupation. Mais, dans l’Antiquité, l’espace devait aussi être marqué par un édifice d’importance, si l’on considère la qualité des vestiges de cette époque, avec toutefois quelques réserves présentées plus haut en ce qui concerne leur origine.

31 Des maçonneries vraisemblablement antérieures à l’an Mil ont été identifiées dans la zone orientale de l’ancienne église ainsi qu’à l’est du bâtiment occidental. Des investigations archéologiques seront nécessaires pour établir leur lien potentiel avec le monasterium mentionné dans la charte de 843.

32 Les campagnes de relevés menées récemment sur les élévations de l’ancien prieuré Saint-Martin de Mesvres ont ainsi posé les jalons du phasage du site, tout en recensant de nombreuses interrogations auxquelles seule une fouille permettra d’apporter des éléments de réponses. La lecture des élévations, les investigations géophysiques ainsi que l’étude des sources écrites montrent déjà tout le potentiel de ce site monastique dont l’histoire est très ancienne.

NOTES

1. Ces relevés ont été effectués par des étudiants de l’université Paris-Sorbonne en stage d’archéologie, placés sous ma direction. L’étude a été rendue possible grâce à l’accueil des propriétaires des lieux, Dominique et Martine Labonde, à l’initiative de l’association Les amis du prieuré œuvrant pour la sauvegarde et la valorisation du site. Merci à ces derniers ainsi qu’aux membres de l’association, qui, chaque année, accueillent chaleureusement les étudiants et leur offre d’excellentes conditions de travail.

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2. A. DE C HARMASSE, « Annales historiques du prieuré de Mesvres en Bourgogne et de ses dépendances », Mémoires de la Société Éduenne, 4 (1875) et 6 (1877), p. 321-394. 3. C. SAPIN, La Bourgogne préromane, Paris, 1986, p. 115-118 ; W. BERRY, Romanesque Architecture in the rural Autunois and the processes of stylistic change, thèse de doctorat, University of Missouri- Columbia, 1993, catalogue, notice « Mesvres ». 4. S. B ALCON-BERRY, Mesvres (Saône-et-Loire). Ancien prieuré Saint-Martin, Synthèse de l’étude archéologique des élévations conservées (2008-2015), DRAC/SRA Bourgogne, Dijon, 2015, 3 vol. 5. Cette première campagne de numérisation fut conduite en 2008 par Julien Labonde, fils des propriétaires du prieuré, qui, à cette époque, disposait du scanner de l’entreprise Dynamic 3D. Nous le remercions. 6. Supervision de ces compléments : Grégory Chaumet, ingénieur d’études, et Camilla Cannoni, respectivement en thèse et master 2 à l’Université Paris-Sorbonne. 7. Supervision : David Goutalan, que nous remercions. 8. Christian Camerlynck de l’Université Pierre et Marie-Curie, UMR METIS, réalisera cette seconde campagne de prospection, dont le financement est assuré par Sorbonne Universités. 9. A. DE CHARMASSE, Cartulaire de l’Église d’Autun, t. 1, 1865, charte XVIII, p. 47 et A. DE CHARMASSE, « Annales historiques… », op. cit., 1875, p. 6. 10. A. REBOURG, Carte archéologique de la Gaule, t. 71/4 (Saône-et-Loire), Paris, 1994, p. 340. 11. A. DE C HARMASSE, Cartulaire…, op. cit., charte XX, p. 31 ; A. DE C HARMASSE, « Annales historiques… », op. cit., 1875, p. 6. 12. W. BERRY, Romanesque Architecture…, op. cit., catalogue, notice « Mesvres ». 13. A. DE CHARMASSE, « Annales historiques… », op. cit., 1875, p. 6 ; C. SAPIN, La Bourgogne…, op. cit., p. 85. 14. A. DE CHARMASSE, « Annales historiques… », ibid., 1875, p. 2. 15. A. DE CHARMASSE, « Annales historiques… », ibid., 1875, p. 3-5. 16. Abbé DEVOUCOUX, Album 7, Saint-Martin de Mesvres, 1836, AUTUN, Bibliothèque de la Société Éduenne ; A. DE CHARMASSE, « Annales historiques… », ibid., 1875, p. 4. 17. A. OLIVIER, « Sept chapiteaux corinthiens de colonnes », in Autun-Augustodunum, capitale des Éduens, Autun, 1987, p. 66-69. 18. A. DE CHARMASSE, « Annales historiques… », op. cit., 1875, p. 4, pl. 2 ; J.-G. BULLIOT, « La mission et le culte de saint Martin d’après les légendes et les monuments populaires dans le pays Éduen », Mémoires de la Société Éduenne, 19 (1891), p. 11, fig. 168. Pour Bulliot, ce « masque » pourrait avoir été « incrusté dans une statue de bois ou de pierre pour figurer la couleur chair ». Mais l’analyse de cette sculpture montre que, à l’origine, le visage se détachait d’une surface plane. L’hypothèse de son appartenance à un bas-relief semble la plus probable. Merci à Brigitte Maurice-Chabard, conservateur du musée Rolin, d’avoir permis l’étude de cet élément. 19. A. REBOURG, Carte archéologique…, op. cit., p. 339. 20. Abbé L ACREUZE, « Étude descriptive de quelques sculptures gallo-romaines des environs d’Autun », Mémoires de la Société Éduenne, 1 (1872), p. 335. Cet auteur indique que ces « monuments funéraires ont été découverts récemment en ce lieu » ; A. DE CHARMASSE, « Annales historiques… », op. cit., 1877, p. 322 ; A. REBOURG, Carte archéologique…,ibid., p. 339. 21. Abbé L ACREUZE, « Étude descriptive… », ibid., p. 336 ; A. DE C HARMASSE, « Annales historiques… », op. cit., 1877, p. 322 ; A. REBOURG, Carte archéologique…, ibid., p. 339. 22. On peut mentionner, notamment, un très beau chapiteau du XIe siècle, une colonnette polygonale et un tailloir, probablement pour une galerie de cloître. Sur ces éléments, outre l’inventaire des objets dans S. BALCON-BERRY avec le concours de W. BERRY, Mesvres (Saône-et-Loire), ancien prieuré Saint-Martin. Synthèse des premières études archéologiques menées sur les élévations conservées, DRAC/SRA Bourgogne, Dijon, 2013, 2 vol., voir R. NIAUX, « Monuments funéraires

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inédits ou oubliés de la région autunoise », Mémoires de la Société Éduenne, 55/2 (1991-1992), p. 98, n° 45. 23. A. REBOURG, Carte archéologique…, op. cit., p. 339. 24. J.-G. BULLIOT, « La mission… », op. cit., p. 13. Bulliot parle de la découverte d’un « carrelage de marqueterie et de marbres antiques, sous les bâtiments mêmes du prieuré, en creusant les fondations d’une écurie ». 25. J.-G. BULLIOT, « La mission… », ibid., p. 1. 26. J.-G. BULLIOT, « La mission… », ibid., p. 11. Plus loin, p. 13, il note encore à propos du temple de Mesvres qu’il s’agit « d’une création en quelque sorte exotique, œuvre de l’administration romaine ou de quelque Patricien possesseur d’un latifundium et dédaigneux des rites gaulois ». 27. J.-G. BULLIOT, « Le temple du Mont-Beuvray. Fouilles de 1872-1873 », Mémoires de la Société Éduenne, 4 (1872), p. 107-135. 28. W. B ERRY, Romanesque Architecture…, op. cit., catalogue, notice « Saint-Léger-sous-Beuvray, chapel of St-Martin on Mont Beuvray ». Sur les fouilles récentes, voir F. BECK et al.,« Mont- Beuvray : fouilles de la chapelle (1984-1985) », Revue archéologique de l’Est, 39 (1988), p. 107-127 et M. ALMAGRO-CORBEA et al., « Les fouilles du Mont Beuvray. Rapport biennal, 1986-1987 », Revue archéologique de l’Est, 40 (1989), p. 205-228. 29. J. LE MAHO, « Aux origines du paysage ecclésial de la Haute-Normandie : la réutilisation funéraire des édifices antiques à l’époque mérovingienne », in A. A LDUC-LE BAGOUSSE (dir.), Inhumations et édifices religieux au Moyen Âge entre Loire et Seine, Caen, 2004, p. 48-54. 30. B. YOUNG, « Que restait-il de l’ancien paysage religieux à l’époque de Grégoire de Tours », in N. GAUTHIER et H. GALINIÉ (dir.), Grégoire de Tours et l’espace gaulois, 1997 (suppl. à la Revue Archéologique du Centre de la France, 13), p. 241-250. 31. P. R. GREEN, W. E. BERRY et V. ANN TIPPITT, « Archaeological Investigations at Mont Dardon », in C. L. CRUMLEY et W. H. MAQUARDT (dir .), Regional Dynamics. Burgundian Landscapes in Historical Perspective, San Diego, 1987, p. 53-65. 32. W. B ERRY, Romanesque Architecture…, op. cit., catalogue, notice « chapelle du Mont Dardon (Uxeau) » ; C. SAPIN, La Bourgogne…, op. cit., p. 135-136. 33. On a pu le noter dans le cas de la chapelle du Mont Beuvray, mais aussi à Saint-Georges de Boscherville ; ce phénomène est courant. 34. W. BERRY, Romanesque Architecture…, op. cit., catalogue, notice « Saint-Martin de Mesvres » ; l’auteur ne l’indique pas sur son plan. 35. J. FONTENEAU, « Annexe C : Étude des enduits et des mortiers », in S. B ALCON-BERRY, Mesvres (Saône-et-Loire), ancien prieuré Saint-Martin, étude archéologique des élévations conservées, addenda au rapport de mars 2013, DRAC/SRA Bourgogne, 2013, vol. 1. 36. S. B ALCON-BERRY et W. B ERRY, « Le groupe épiscopal d’Autun au haut Moyen Âge », in M. GAILLARD (dir.), L’empreinte chrétienne en Gaule du IVe au IXe siècle, Turnhout, 2014, p. 188-189. 37. C. SAPIN, La Bourgogne…, op. cit.,p. 123-132. 38. W. BERRY, Romanesque Architecture…, op. cit., catalogue, notice « Saint-Léger-sous-Beuvray, chapel of St-Martin on Mont Beuvray » ; F. BECK et al., « Mont-Beuvray… », op. cit., p. 107-127 ; M. ALMAGRO-CORBEA et al., « Les fouilles… », op. cit., p. 205-228. 39. W. B ERRY, Romanesque Architecture…, ibid., catalogue, notice « Mesvres, chapelle de Notre- Dame de Certenue (Mont Certenue) ». 40. C. SAPIN, La Bourgogne…, op. cit.,p. 132-135. 41. Sur ce sujet, voir en dernier lieu Y. LABAUNE (dir.), Autun Antique, Paris, 2015 et V. BRUNET- GASTON (dir.), Le lapidaire architectonique et décoratif d’Augustodunum (Autun), DFS du « PCR Pierre, technique et décor architectonique à Augustodunum ; de la carrière au monument (2001-2006) », DRAC/SRA Bourgogne, Dijon, 2006.

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42. Le phénomène de remploi de blocs provenant d’un site plus ou moins proche est connu, notamment à Genève, dans un contexte très différent, puisqu’il concerne le démantèlement des bâtiments de Nyon, l’ancienne civitas, destiné à alimenter la construction de bâtiments de Genève devenue chef-lieu de civitas ; C. BONNET, Les fouilles de l’ancien groupe épiscopal de Genève (1976-1993), in Cahiers d’archéologie genevoise, 1 (1993), p. 14-16. 43. C. SAPIN, La Bourgogne…, op. cit.,p. 223. 44. Voir les articles réunis dans S. BULLY et C. SAPIN (éd.), Au seuil du cloître : la présence des laïcs (hôtelleries, bâtiments d’accueil, activités artisanales et de service) entre le Ve et le XIIe siècle, in Bulletin du Centre d’études médiévales d’Auxerre, hors-série, 8 (2015) [en ligne, http://cem.revues.org/13574]. 45. S. AUMARD, C. GAILLARD et S. P IOTROWSKI, « Les “Hôtelleries Saint-Hugues” de l’abbaye de Cluny », in S. BULLY et C. SAPIN (éd.), Au seuil du cloître…, op. cit. 46. P. CHEVALIER, S. LIEGARD et A. MAQUET, Un siècle d’archéologie à Souvigny, Souvigny, 2011. 47. Christian Sapin et Walter Berry les avaient déjà étudiées. Sur les hypothèses actuelles, voir S. BALCON-BERRY, Mesvres (Saône-et-Loire)…, op. cit., 2015. 48. A. BAUD et C. SAPIN, « Les fouilles de Cluny : état des recherches récentes sur les débuts du monastère et ses églises, Cluny I et Cluny II », in D. IOGNA-PRAT, M. LAUWERS, F. MAZEL et I. ROSE (dir.), Cluny. Les moines et la société au premier âge féodal, Rennes, 2013, p. 505-508 ; voir également l’article de Christian Sapin dans les actes du présent colloque.

AUTEUR

SYLVIE BALCON-BERRY Maître de conférences, université Paris-Sorbonne/Centre André Chastel

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Une fondation multiple, un monastère pluriel. Les contextes topographiques de la genèse du monastère d’Aniane d’après l’archéologie et la Vie de saint Benoît (fin VIIIe-IXe siècle)

Laurent Schneider

1 Édifié dans les dernières décennies du VIIIe siècle, le monastère d’Aniane a été au cœur du renouveau monastique de l’ancienne province de Narbonnaise, terre wisigothique puis omeyyade conquise par Pépin Ier en 759. La renommée de l’établissement doit surtout à la personnalité et à l’œuvre de son fondateur, Witiza, un aristocrate local plus connu sous le nom de Benoît d’Aniane, qui en fit le fer de lance d’un programme devant assurer le triomphe de la règle bénédictine et de la formule cénobitique du monachisme franc.

2 Le contexte précis de la fondation du monastère d’Aniane n’est connu cependant que par une source principale, la Vita Benedicti Anianensis, rédigée vers 823 par Ardon, disciple et contemporain de Benoît. Si les historiens n’ont jamais mésestimé ce récit, ils se sont davantage intéressés au témoignage d’Ardon pour ce qu’il renseigne sur la personnalité de Benoît d’Aniane et tout particulièrement sur le contexte de la réforme monastique opérée du temps de Charlemagne puis de Louis le Pieux. Depuis les travaux savants du XIXe siècle et du début du XXe siècle, tels W. Pucker1 et P. Tissiet2, jusqu’aux œuvres plus récentes de W. Kettemann3, P. Chastang4 et P. Bonnerue 5, l’histoire du texte a par ailleurs été établie et ces mêmes historiens ont décelé de possibles interpolations dans le récit qui tiennent en grande partie à l’intense confrontation historiographique et idéologique qui opposa l’abbaye d’Aniane à sa voisine de Gellone entre le milieu du XIe et le milieu du XIIe siècle, soit une période qui correspond à la rédaction des cartulaires des deux établissements. Les remaniements détectés et

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supposés correspondent essentiellement aux chapitres 18, 30, 43-44, qui concernent respectivement l’insertion de la charte d’immunité de Charlemagne, les éléments biographiques sur Guilhem de Gellone, duc d’Aquitaine et parent de Charlemagne, et la correspondance de Benoît d’Aniane dans la version longue du texte placée en tête du cartulaire d’Aniane au début du XIIe siècle6. Selon P. Bonnerue, il est fort probable également que les chapitres 18 à 29 correspondent à une addition de la première moitié du XIIe siècle, mais d’autres auteurs les tiennent néanmoins pour authentiques7. Comme on le verra, ces chapitres qui sont à manier avec précaution n’intéressent guère la topographie monastique.

3 Les archéologues de leur côté ont tour à tour sous-estimé et surestimé ladite source et cela pour une raison essentielle : la topographie actuelle du bourg d’Aniane ne laisse en effet plus rien paraître du complexe carolingien et médiéval et n’offre de fait aucune prise possible avec la source. L’ancien monastère d’Aniane, saccagé en 1561 pendant les guerres de Religion, a été entièrement reconstruit par les bénédictins de l’ordre de Saint-Maur à partir du dernier tiers du XVIIe siècle8. Vendus à la Révolution, les nouveaux bâtiments ont ensuite accueilli, successivement, une usine , puis une maison de force et de détention, une colonie pénitentiaire pour mineurs, un Institut public d’éducation surveillée et, encore, un Centre de rétention administrative qui n’a fermé ses portes qu’en 19989. L’occupation industrielle puis pénitentiaire des lieux a, elle aussi, provoqué de nombreuses modifications topographiques par la construction d’ateliers et de bassins dans les jardins occidentaux du XVIIe siècle et l’aménagement d’une vaste cour « d’honneur », flanquée de deux nouvelles ailes construites au milieu du XIXe siècle dans la partie orientale (fig. 1).

Fig. 1 – Le site de l’ancien centre monastique et de l’ancienne colonie pénitentiaire d’Aniane

Vue prise du sud-est vers 1959. Au premier plan, le parc du directeur (à gauche) et la cour d’honneur du centre pénitentiaire de la seconde moitié du XIXe siècle, au centre l’abbatiale mauriste et en arrière- plan le clocher de l’ancienne église paroissiale Saint-Jean.

4 De fait, aucun vestige médiéval ne subsiste aujourd’hui en élévation dans le vaste enclos de 3,5 ha de l’ancien centre pénitentiaire et, tout au long des XIXe et XXe siècles, aucun chercheur n’a pu enquêter et pénétrer dans ce lieu d’enfermement. Le site n’a d’ailleurs

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été classé au titre des Monuments historiques qu’en 2004 et ce n’est que depuis 2011, soit depuis le rachat des lieux par l’EPCI vallée de l’Hérault, qu’une équipe du Laboratoire d’archéologie médiévale et moderne en Méditerranée a pu engager un vaste programme de fouille10. Si la mission archéologique n’est pas encore achevée, ce contexte désormais plus favorable offre l’occasion, dès à présent, de revenir sur le récit de la Vita pour tenter d’en confronter les enseignements aux nouveaux indices et traces que livre désormais la recherche opérationnelle. Pour cette première présentation, nous avons pris parti de suivre le déroulement de la vita, non pour en respecter strictement la composition, mais parce qu’elle offre le double intérêt d’un récit chronologique, qui met en perspective le dessein du parcours spirituel et politique de Benoît, d’une part, et offre à l’archéologue et à l’historien un terrain commun et familier, qui permet de se repérer dans une topographie réelle et symbolique particulièrement complexe, d’autre part. L’objectif recherché est un essai d’éclaircissement des contextes topographiques et architecturaux réels, car, ceux-ci, largement méconnus, ont fait l’objet de trop nombreuses spéculations. D’après la vita, le vallon d’Aniane a comporté à la fin du VIIIe siècle quatre sanctuaires distincts. C’est à la présentation de l’état des dossiers archéologique et historique de chacun de ces sanctuaires que s’attache cette communication.

Structure et dessein de la vita

5 Déjà abordée par P. Bonnerue, la composition d’Ardon obéit à un style hagiographique classique et ne se cantonne pas à un catalogue de miracles. Le récit, chronologique, est avant tout destiné à présenter Benoît comme un nouveau Père. La vita s’inscrit tout entière dans ce dessein et retrace le long chemin spirituel personnel de Benoît marqué par trois lieux symboliques : Saint-Seine en Bourgogne, Aniane en Gothie/Septimanie (Aquitaine) et Aix-la-Chapelle dans l’ancienne Austrasie11. Après avoir été élevé au palais de Pépin et avoir servi en Lombardie, c’est donc à Saint-Seine que le jeune aristocrate fait l’apprentissage de la formule cénobitique du monachisme et étudie les règles des Pères, non sans s’être livré à des pratiques ascétiques extrêmes. « Ne désirant point bâtir sur les fondations d’autrui », le jeune moine s’en retourne cependant dans sa patrie, en Gothie, sur des possessions familiales, à proximité du fleuve Hérault. Après une brève période d’hésitations et un retour à la formule érémitique, il fait de l’étroit vallon du ruisseau de l’Aniane, où il s’était établi primitivement dans la plus stricte pauvreté, un véritable locus sanctae en fondant un monastère doté d’une première basilique dédiée à la Vierge, puis, en 782, en édifiant, sur ordre de Charlemagne, une seconde basilique bien plus vaste et dédiée cette fois-ci à La Trinité et au Christ Sauveur. Le jeune moine fougueux et intransigeant se livrant autrefois à la macération devient dès lors un père nourricier, conduisant un établissement de plus de trois cents moines, guidant et réformant de nombreux autres monastères de Gothie, Provence et Novempopulanie.

6 Lorsque Louis, roi d’Aquitaine, devient empereur, l’action de Benoît se déroule ensuite à l’échelle de l’Empire. Le souverain lui commande de gagner la Francie et de le rejoindre au palais d’Aix, à proximité duquel il avait fait bâtir, à son intention, le monastère d’Inden. Il le met alors à la tête de tous les monastères de son royaume pour qu’il montre à tous la norme du Salut12.

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7 Dans sa structure, il a déjà été signalé les parallèles qu’il convient d’établir entre la vie de Benoît d’Aniane [VSB] et celle de Benoît de Nursie. Les étapes de leur cheminement spirituel sont proches : rupture avec le monde, expériences ascétiques multiples, mise en place d’un cénobitisme équilibré et actif13, mais désormais destiné à des masses plus importantes. Maintes fois commenté, l’intérêt du récit d’Ardon est surtout celui du témoignage apporté par un contemporain de Benoît, un homme qui après avoir différé d’écrire cette biographie se met finalement à la tâche dans le locus même où Benoît avait établi ses premières constructions, c’est-à-dire à Aniane.

L’installation primitive à Aniane : le vallon de la petite église Saint-Saturnin et le retour à l’ascétisme

8 L’installation de Witiza/Benoît à Aniane s’inscrit au terme d’une expérience monastique de presque six ans dans la « domus » et le « cenobium » de Saint-Seine, où, selon la lettre des moines d’Inden pressant Ardon de rédiger sa biographie, il prit « l’habitat d’un vrai moine »14. Il n’est pas lieu ici de revenir sur les motifs de cette conversion, peut-être forcée ou obligée et moins spirituelle qu’il n’y paraît, si l’on songe au contexte des rivalités entre Carloman et Charlemagne et à la présence de Witiza/Benoît en Lombardie. La piste a déjà été explorée par Walter Kettemann15. À Saint-Seine, Benoît s’était d’abord livré à une période de mortification et de macération de plusieurs années avant d’obtenir la charge du cellier. L’abbé le chérissait, mais beaucoup murmuraient face à son inflexibilité. À la mort de l’abbé, un consensus se manifesta néanmoins en sa faveur pour qu’il prenne la tête de l’établissement. Mais, celui-ci, dans un parallèle littéraire qu’effectue Ardon avec la vie de Benoît de Nursie, qui connut les mêmes hésitations, concède « qu’il ne pouvait convenir à leurs habitudes, ni eux aux siennes » et regagna finalement sa patria pour s’établir sur des possessions paternelles16.

In patris suamque possessionem

9 Dès le chapitre 1, Benoît est dit appartenir à la tribu des Gètes et originaire de la pars de Gothie, où son père, allié des Francs, qui venaient d’intégrer ce sol à la couronne, avait servi le roi Pépin et tenait le comté de Maguelone, une petite île du littoral héraultais ayant accueilli à la fin du VIe siècle un siège d’évêché. Si le lien paternel est ici souligné, c’est pourtant dans le plus grand secret que Benoît, jeune aristocrate goth revenant des expéditions de Lombardie, prend l’habitat monastique à Saint-Seine, en prétextant auprès de son père et sur le conseil d’un certain Windmar un voyage au palais d’Aix. De toute évidence, le départ de Saint-Seine n’est pas strictement lié à la succession de l’abbatiat, mais peut-être davantage à la situation politique non stabilisée que connaissait la Gothie, entendons par là l’ancienne Narbonnaise des Wisigoths, ennemis héréditaires des Francs, qui avait été soumise aux Omeyyades jusqu’en 759. Le nom réel de Benoît peut traduire cette ambiguïté. « Benoît de nom et de fait17 », Ardon ne le désigne jamais autrement, mais la chronique d’Aniane par deux fois aux années 782 et 794 a laissé supposer que ce nom pouvait être symbolique et que celui-ci se nommait auparavant Witiza18. De fait, l’érudition a toujours considéré, sans jamais s’y attacher vraiment, que le nom de naissance de Benoît était bien Witiza. Les noms symboliques sont fréquents et il n’est qu’à considérer dans cette même vita, ce qui là encore a été

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peu commenté, celui de Nebridius, ami de Benoît, abbé de Lagrasse et archevêque de Narbonne à qui Benoît aurait adressé dans ses derniers soupirs la lettre du chapitre 44 jointe à la vita. Nebridius n’est pas sans rappeler, en effet, le nom de l’ami de saint Augustin avec qui celui-ci échangea une douzaine de lettres et développa l’argumentation de sa pensée trinitaire. De même, Anianus, un autre compagnon de Benoît, fondateur présumé du monastère de Caunes (11) ne peut pas ne pas évoquer le nom du ruisseau de l’Anianus devenu locus où Benoît vient s’installer. Or, si Witiza est bien le nom de naissance de Benoît, peut-être convient-il de rappeler que celui-ci était aussi et surtout celui de l’un des derniers rois wisigoths, Witiza, fils d’Egica, qui fut associé au trône vers 695 et régna seul à partir de 702 jusqu’en 710, avant d’être déposé par Roderic19. Il n’est pas lieu ici de développer cette perspective, mais peut-être faut-il envisager l’hypothèse que Benoît/Witiza et son père furent, sinon de souche royale, du moins liés à la proximité des clans aristocratiques goths établis dans le royaume du Nord, en Tarraconnaise et Narbonnaise. Il est troublant en tout cas de relever qu’Ardo (n), le biographe de Benoît, porte également le même nom que le roi Ardo, dernier souverain local à avoir régné après Akhila II dans les territoires du Nord-Est, jusqu’à la prise de Narbonne par les musulmans en 719 selon le Laterculus regnum visigothorum, qui ne mentionne pas Roderic20. Il y a là, semble-t-il, une construction historiographique qui n’a pas été suffisamment éclaircie.

10 Quoi qu’il en soit, il semble bien que le dessein d’un retour de Benoît/Witiza en Gothie narbonnaise, là où son père rallié à Pépin tenait le siège comtal de Maguelone sur le littoral de l’ancienne cité de Nîmes, à une centaine de kilomètres de Narbonne, n’échappe pas à des conjonctures politiques sous-jacentes, peu ou prou au moment de la création du royaume d’Aquitaine.

Super rivulum cui nomem est Anianus necnon propre fluvium Arauris21

11 C’est en un point particulier du pagus de Maguelone que Benoît vient donc s’installer. Ardon ne localise le lieu que par des références hydrographiques, soit la rivière Anianus non loin du fleuve Arauris/Hérault. Aniane est aujourd’hui le nom d’un petit bourg inscrit dans le méandre d’un affluent de l’Hérault, que le cartulaire du monastère désigne, à partir du premier quart du XIIe siècle, sous le nom de Corberie/Corbières22. L’hydronyme Anianus, en effet, a très vite désigné le locus monastique, comme Ardon le fait lui-même dans son récit, puis, au moins à partir du deuxième tiers du XIe siècle, la villa (Aniana), c’est-à-dire le noyau d’habitat polarisé auprès du monastère avec son finage23.

12 Le lieu choisi, qui est à une cinquantaine de kilomètres de l’île de Maguelone, est en fait une position de marge. À ce niveau, le cours de l’Hérault délimite le territoire des pagi de Lodève en rive droite et de Maguelone en rive gauche, tandis que le Gassac, autre affluent de l’Hérault, délimite trois kilomètres plus au sud ceux de Béziers en rive gauche et de Maguelone en rive droite24. D’une certaine manière, le choix du lieu participe d’un processus de bornage de l’espace. Aniane est aux confins de ces trois pagi/diocèses/comtés que sont Lodève, Béziers et Maguelone/Substantion (fig. 2).

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Fig. 2 – Localisation du monastère d’Aniane en Gothie/Septimanie orientale

L. Schneider, 2015

13 Le lieu est aussi celui d’un espace de transition géographique, au débouché des gorges de l’Hérault, entre le bassin inférieur du fleuve et les causses arides des avant-monts. Ce n’est pas cependant un désert. Au sud de la commune d’Aniane, l’archéologie a révélé un petit établissement rural occupé dès les Ve-VIe siècles, qui fut doté d’une petite église à la fin du VIIe ou au VIIIe siècle sur le coteau de Saint-Sébastien25, un bâtiment contemporain de type élitaire ou assimilable à un xenodochium, associé à un franchissement du fleuve dans les gorges de l’Hérault au Bois des Brousses et un sanctuaire ou un autre bâtiment d’hospitalité, lui aussi du VIe siècle en rive droite du fleuve sur le site de Saint-Geniès de Litenis, nom éponyme d’un ensemble fiscal cédé au monastère de Gellone en 80426. Enfin, le secteur est traversé d’est en ouest par un vieux chemin d’origine antique, que l’érudition savante a assimilé à une voie de piémont, dite de Nîmes à Vieille Toulouse.

L’installation primitive. Juxta beati Saturnini permodiam ecclesiam cellam exiguam ob abitandum construxit27

14 C’est auprès d’une très petite ecclesia préexistante, dédiée à saint Saturnin, premier évêque-martyr de Toulouse, que Benoît vient donc s’établir, vers 780, en construisant une étroite cellule avec l’aide de Widmar, qui l’avait déjà conseillé et aidé pour rejoindre le cenobium de Saint-Seine quelques années plus tôt. Cet homme, « vivant en religion », est le seul lien entre les deux périodes. Auprès de cette église « très mesurée », Benoît vit dans une grande pauvreté et songe à retourner dans son propre cenobium de Saint-Seine, mais comme Attilo de Saint-Thibéry l’en décourage, il se résout finalement à bâtir de nouvelles maisons et à « faire fleurir » la vie religieuse

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dans ce vallon désormais identifié à un locus28. Ardon insiste sur la pauvreté de cette période, car Benoît et ses compagnons ne possèdent alors ni propriétés, ni vignes, ni troupeaux, ni chevaux.

15 Cette genèse anianaise relève-t-elle d’un topos ? Les moines d’Inden dans leur lettre adressée à Ardon, qui est déjà une vie abrégée, y font également allusion, en précisant que Benoît se fixe sur les bords de l’Aniane, où il bâtit de ses propres mains une cellule.

16 Toujours est-il que ne subsiste aujourd’hui aucune trace de cette petite église Saint- Saturnin. Les visites pastorales modernes n’en font plus état. On admet cependant, par tradition, depuis l’abbé Cassan, co-éditeur du cartulaire en 1900, que le lieu initial où s’était installé Benoît était situé à l’écart du bourg actuel et de l’abbaye moderne, à environ 800 m de celle-ci, en amont de la rivière de Corbières, auprès des sources de Saint-Rome et de Saint-Laurent (fig. 3).

Fig. 3 – Aniane (34), le site Saint-Laurent et Saint-Rome, lieu de l’implantation primitive de Benoît et le bourg monastique d’après le cadastre de 1828 (V. Rinalducci et L. Schneider)

1. Saint-Rome et Saint-Laurent, lieu supposé de localisation de l’église Saint-Saturnin ; 2. Abbaye reconstruite des XVIIe-XVIIIe siècles sur l’emplacement des églises Sainte-Marie et Saint-Sauveur ; 3. Église Saint-Jean du cimetière (ancienne paroissiale) ; A. Pont de Montpellier ; B. Porte de Montpellier ; C. Porte de Saint-Guilhem ; D. Pont de Regagnas et porte de Gignac ou de Saint-Jean ; E. Chemin de la Grange (ancien chemin de Saint-Sébastien de Maroiol) ; F. Place de devant l’Église.

17 L’abbé Cassan entreprit d’ailleurs de faire construire par souscription, en rive gauche, une chapelle (demeurée inachevée) auprès de cette dernière à la fin du XIXe siècle pour commémorer le souvenir de cette première installation29. Saint-Rome, en effet, n’est pas inconnu des textes. C’est aujourd’hui le nom d’un tènement situé en rive droite du Corbières.

18 Une charte des années 1030-1060 évoque des plantiers situé dans le terminium de la villa d’Aniane ad Sanctum Romanum30. Une charte plus tardive de 1187 évoque également un

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certain Guilhem de Celleneuve, prieur de l’ecclesia Sancti Saturnini, qui concède une terre comprise entre une vigne et une olivette in terminio Sancti Romano. Ce prieur de Saint-Saturnin intervient encore dans ce tènement en 1203, où l’on apprend qu’une terre concédée confronte le cimeterium Sancti Romani31. De fait, à la fin du XIIe siècle, Guilhem de Celleneuve paraît bien être le prieur de l’ancienne église où vint s’installer Benoît. Dans l’inventaire général du chartrier de l’abbaye de 1790, figure, par ailleurs, une analyse d’un acte original en latin, aujourd’hui perdu, ayant trait au chapitre général de 1443, où les prieurés de Saint-Saturnin et Saint-Rome d’Aniane ont été réunis à la sacristie du monastère32. Enfin, une histoire abrégée du XVIIe siècle précise, encore à propos du passage de la vita évoquant la première cellule de Benoît, qu’« il ne reste autre vestige qu’une petite chapele dédiée a St Laurens proche de laquelle il y a une fontaine dont les habitants du lieu et les circonvoisins font un grand estat33 ». On trouve dans ce même recueil, noté d’une autre main, une liste des prieurés de l’abbaye, où figure encore un prieuré de Saint-Rome lié à l’office de l’infirmerie34. De fait, le cimetière excentré de Saint-Rome est peut-être celui de l’infirmerie, mais l’on ne possède aujourd’hui aucune trace archéologique certaine de cette première tradition. La localisation de la petite église préexistante auprès de laquelle vient s’établir Benoît repose donc sur des vraisemblances étayées par les textes, mais n’est toujours pas démontrée archéologiquement.

De la vallée de l’Aniane au locus : la fondation du nouveau monastère et la construction de la basilique mariale

19 Après une période d’hésitation et comme le nombre des disciples augmente, Benoît se résout à fonder un véritable monastère. C’est la deuxième étape de son cheminement politique et spirituel à Aniane et le lieu choisi est établi à une petite distance de la petite église Saint-Saturnin. Le déplacement est justifié par Ardon par l’étroitesse qu’offre le vallon de l’installation primitive.

Domus enim in eo erat loco quo fundare moliebantur monasterium

20 C’est apparemment là encore la préexistence d’une « maison » ou d’une construction antérieure qui dicta le choix de l’emplacement de la nouvelle basilique. Cela signifie également que l’occupation des rivages de l’Aniane/Corbières ne se limitait pas, dans les dernières décennies du VIIIe siècle, aux cellules construites à proximité des sources et fontaines de Saint-Rome et Saint-Laurent. Benoît fait donc agrandir cette domus antérieure et la consacre en « l’honneur de la sainte Mère de Dieu Marie »35. Ardon précise que l’édification de ce qui est désormais présenté comme un « monasterium » est rapidement achevée et que ses possessions matérielles augmentent également. De l’édifice lui-même, il ne dit presque rien, sinon que Benoît ne veut pas que l’on emploie des tuiles rouges (tegulisque rubentibus), mais des chaumes pour les couvertures, que les murs ne soient pas ornés et les lambris peints. De même, les vases où le corps du Christ est réalisé, doivent être en bois, en verre ou tout au plus en étain. C’est à peu près tout ce que l’on sait de ce premier monastère. Tout au plus, peut-on retirer de la première série de miracles que des constructions sont adjacentes. Ainsi, dans le chapitre 12, une

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maison (domus) bâtie par les frères prend feu et menace la « basilique » Sainte-Marie, qui la jouxte36.

Localisation et identification de la basilique mariale

21 Jusqu’au seuil des années 2010, le seul document mobilisable permettant d’évoquer la topographie monastique anianaise, antérieure à la grande reconstruction de la période mauriste, était un plan de 1656, attribué au frère Plouvier, conservé aux Archives nationales37. Publié pour la première fois en 1980 dans une étude pionnière réalisée par Brigitte Uhde-Stahl38, on ne distingue sur celui-ci qu’un seul sanctuaire, relativement modeste et profondément remanié, que l’auteure a proposé d’identifier comme étant l’église du Sauveur construite, comme on le verra, après la basilique Sainte-Marie, selon le témoignage d’Ardon. Pour B. Uhde-Stahl39, le sanctuaire marial se serait trouvé, quant à lui, plus au nord, au cœur du village actuel, rue de Naverges. Des fouilles effectuées au seuil des années 1990 dans les chapelles nord-occidentales de l’église paroissiale actuelle Saint-Benoît, soit dans l’ancienne abbatiale Saint-Sauveur construite entre 1679 et 1683 par les mauristes, ont ensuite livré des vestiges archéologiques permettant de recaler le plan Plouvier. On est assuré grâce à ces recherches conduites par le Service régional de l’archéologie de Languedoc-Roussillon de la localisation du sanctuaire figuré sur le plan de 1656. L’équipe a pu mettre au jour le mur gouttereau méridional de la nef et l’un des autels portés sur le plan40. Les nouvelles fouilles engagées par nos soins entre 2011 et 2015 dans l’ancien enclos pénitentiaire, soit dans la cour du cloître et dans les anciens jardins de l’abbaye mauriste, confirment, avec d’autres arguments, le géoréférencement du plan par la localisation, entre autres, de la pêcherie, de la fontaine du jardin occidental et d’une partie des bâtiments de la boulangerie. La question demeurée en suspens est finalement celle de l’identification du sanctuaire figuré sur le plan Plouvier (fig. 4).

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Fig. 4 – Plan du monastère d’Aniane comme il est apparu en 1656

1. Chapelle Saint-Martin ; 2. Chapelle Saint-Benoît (servant de chœur à la fin du XVIe siècle) ; 3. Chapelle Sainte-Cécile.

Plan attribué au frère Plouvier, Archives nationales, N III Hérault 11 (document CNRS, mission archéologique d’Aniane, V. Rinalducci et L. Schneider).

22 Contrairement à l’hypothèse pionnière émise par B. Uhde-Stahl, il ne s’agit pas de l’église « abbatiale » dédiée au Sauveur, mais bien de la basilique mariale associée au premier monastère d’Aniane. Si les archéologues des années 1990 sont restés plutôt perplexes dans leur conclusion, R. Bavoillot-Laussade puis G. Durand, en 1994, ont avancé plusieurs arguments en faveur de cette réinterprétation41. L’essentiel est tiré du manuscrit latin 12660 de la BnF, déjà cité, recueil achevé en 1694, qui compile des copies de la section des privilèges du cartulaire d’Aniane, de la vie de Benoît, des catalogues d’abbés, des inventaires de prieurés, de reliques… Une main y signale au folio 19v, dans une histoire abrégée de l’abbaye, « ceste église existe encore aiant eschappé la fureur des hérétiques et de lembrasement c’est dans icelle quon celebre a present le service divin touts les autres bastimens aiant esté entierement ruinés comme nous verrons cy apprès ». L’auteur, Dom Odon de la Mothe, écrit vers 1674 avant la grande reconstruction mauriste du dernier tiers du XVIIe siècle, soit moins de vingt ans après que le frère Plouvier a établi son plan. Le propos est encore plus explicite au folio16r : L’abbaye d’Aniane a passé par les mains sacrilègues […], si bien que ses superbes bastiments, ses cloîtres, réfectoirs, doctoirs, églises […] furent entièrement renversés ensuitte d’un embrasement genreral, a lexclusion de leglise de nostre dame qui sert a present pour y celebrer le service divin, la chapelle de St Benoist qui sert de chœur, et la chapelle petite de St Martin.

23 En 1571, le chapitre général s’était d’ailleurs tenu dans cette chapelle « sainct Benoist audit monastère pour raison de la ruyne de la maison cappitulaire d’icelluy »42. Enfin, on a conservé une relation d’experts sur la vérification des réparations faites en

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« l’église du monastère St Sauveur d’Aniane », en date du 3 octobre 1633, qui concerne clairement « l’eglise nostre Dame dud (it)Aniane »43.

24 Il est donc assuré que la principale église du monastère subsistant après les destructions de 1561 soit bien celle de Notre-Dame et non celle du Sauveur et c’est cette église qui figure sur le plan de 1656. Du reste, les fouilles de 2011-2015, qui ont permis de localiser la basilique du Sauveur, confirment en tout état de cause cette relecture.

Le dernier état conservé de la basilique du premier monastère

25 Aujourd’hui localisée en partie dans l’angle nord-ouest de l’ancienne abbatiale Saint- Sauveur de la fin du XVIIe siècle ou actuelle église communale Saint-Benoît, le sanctuaire dédié à Sainte-Marie ne peut être décrit pour l’essentiel qu’à partir du plan réalisé par le frère Plouvier (fig. 5) et de l’expertise de 1633.

Fig. 5 – Topographie et organisation de l’espace du monastère d’Aniane en 1656 d’après le plan attribué au frère Plouvier

L’église du Sauveur, disparue à cette date, est implantée d’après les dernières connaissances archéologiques. 1. Église Saint-Sauveur ; 2. Agrandissement nord antérieur à 1149 ; 3. Chapelle anonyme (Sainte- Marie-Madeleine ?) identifiée par l’archéologie ; 4. Tinel en 1656, ancien « Gimel » du XIIe siècle (tour- porche) ; 5. Espace claustral du XIIe siècle ; 6. Entrée du monastère en 1656 ; 7. Cour (reliquat d’un petit cloître réduit par la chapelle Sainte-Cécile ?). Document CNRS, mission archéologique d’Aniane, L. Schneider, 2015.

26 Les sondages archéologiques de 1991-1993 n’ont pas révélé de vestiges discordants et de maçonneries antérieures à ce que l’on peut voir sur le plan. Si ces recherches n’ont pas permis de dater, sur des bases objectives, la phase de construction de l’édifice, le mur gouttereau septentrional de la nef et l’emplacement de l’autel principal, figuré sur le

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plan de 1656, ont été identifiés très clairement44. La relation des experts de 1633 (cf. Annexe 1), concernant la vérification des travaux de réparation effectués à cette date, permet, quant à elle, d’identifier la fonction des espaces. La nef est un vaisseau rectangulaire à trois travées, flanquée au nord d’une petite chapelle absidée dédiée à Saint-Martin. Un dispositif symétrique devait exister au sud, mais des remaniements, a priori antérieurs aux dégâts liés aux guerres de Religion, ont totalement remodelé la composition. En 1656, se distingue alors une longue salle d’axe nord-sud, identifiée dans le document de 1633 comme étant la chapelle Saint-Benoît. C’est dans cette chapelle, qui est devenue le nouveau chœur du sanctuaire, que se tient en 1571 le chapitre général dix ans après le saccage du monastère.

27 Si ces deux chapelles correspondent à des autels mentionnés par Ardon, ce n’est pas le cas de la grande salle située au sud de la chapelle Saint-Benoît, identifiée dans l’expertise de 1633 comme étant la chapelle Sainte-Cécile. Il est possible que ce nouvel espace ait réduit une cour primitive, dont il ne subsiste en 1656 qu’un reliquat au sud de ladite chapelle. D’une manière générale, tout le flanc sud de la basilique Sainte- Marie a fait l’objet de recompositions qui ont fait disparaître le dispositif initial, celui d’une petite chapelle à abside symétrique et semblable à celle de Saint-Martin, toujours conservée sur le plan de 1656 au nord du sanctuaire. Le nouveau développement de la chapelle Saint-Benoît et l’édification de la chapelle Sainte-Cécile pourraient dater de la seconde moitié du XIIIe siècle et du début du XIVe siècle. On peut raisonnablement envisager également l’existence d’un espace claustral antérieur dans le carré initial, que redécoupent par la suite la chapelle Sainte-Cécile et la suite de maisons, dites séculières, flanquant l’angle sud-ouest de la basilique sur le plan de 1656. C’est uniquement par ce biais morphologique et planimétrique que l’on peut tenter, pour l’heure, d’aborder la topographie médiévale de ces espaces.

28 L’écueil incontournable du dossier est évidemment celui de la chronologie. En l’absence de données archéologiques objectives, le débat s’est focalisé un temps tout particulièrement sur le dispositif du chœur et de l’autel Sainte-Marie. Sur le plan Plouvier, l’autel est disposé dans l’ancienne nef contre un mur qui sépare celle-ci d’une salle quadrangulaire utilisée en partie comme sacristie en 1633 et dont le mur oriental a été entièrement reconstruit à cette date. Aussy avons vérifié avoir esté bastie a neuf la muraille qui est au dernier / de la sacristie visant au jardin du sie (ur) sacristain, d’haute (ur) de 2 cannes 2 pans, et au / mitan de lad (ite) voulte aurions vérifié avoir esté bastie une muraille d’haute (ur) de 12/ pans, de large (ur) de 2 can (nes), 3 pans, espesse (ur) un pan et demy sur laquelle est mis / le rétable N (ot)re Dame faisant separa (ti)on dud (it) grand autel avec la sacristie45.

29 On peut comprendre d’après ce texte que le dispositif de 1633 n’est pas exactement le même que celui indiqué sur le plan de 1656. La muraille construite « au mitan de la voute », servant de support au retable, a été arasée et un nouveau mur a été construit à l’ouest pour fermer l’espace.

30 De fait, il n’est pas impossible de considérer que le volume, qui avait par ailleurs conservé sa voûte malgré les événements de 1561, soit celui d’un ancien chevet du sanctuaire médiéval. Que celui-ci soit désaxé, sur le plan Plouvier, par rapport à l’axe médian de la nef, n’est pas un argument suffisant pour rejeter l’hypothèse. Les fouilles récentes ont montré, en d’autres parties du monastère, des erreurs de report dans la constitution du plan du frère Plouvier. Ainsi, la cour sud-orientale de forme arrondie,

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qui correspond à l’abside d’un sanctuaire anonyme du XIIe siècle, est-elle décalée de plusieurs mètres vers l’ouest sur le plan de 1656 (cf. fig. 5, n° 3).

31 Il est en revanche impossible, une fois encore, de se fonder sur des critères objectifs et des datations absolues pour déterminer ce qui pourrait subsister de l’édifice carolingien initial dans l’ensemble composite du plan de 1656. Tout au plus, peut-on restituer un édifice à nef unique – environ 8,5 sur 17,5 m hors œuvre – terminée par un chevet tripartite formant un court transept saillant (15,6 x 7 m). Le chevet central (7,2 x 6 m), dont on ne peut assurer qu’il fut quadrangulaire dès l’origine, était en revanche flanqué de deux petites chapelles saillantes à abside.

32 Que ce plan soit roman ou celui d’origine, on doit surtout insister sur la relative modestie des proportions de l’édifice, dont la longueur totale ne dépasserait pas 28,5 m dans l’axe. Certes, celui-ci se distingue assurément des petits sanctuaires ruraux locaux contemporains, comme celui de Saint-Sébastien découvert dans la campagne anianaise et daté d’un large VIIIe siècle46, mais il est à peine comparable avec des sanctuaires locaux de l’Antiquité tardive, tel celui de Loupian, daté de la fin du IVe siècle ou du début du Ve siècle47.

Un nouveau cenobium et une seconde basilique dédiée à La Trinité et au Sauveur

33 À partir du chapitre 17, Benoît est désormais qualifié de « Père vénéré » et Aniane de « sanctae locus ». Il s’agit maintenant pour Ardon d’associer l’œuvre de son compagnon à l’État, car c’est désormais sur l’ordre de Charlemagne et avec l’aide « des ducs et des comtes » que Benoît « édifie » en 782 un nouveau cenobium48. Si le chapitre 17 est sans doute l’un des passages les plus commentés de la vita, le nouveau sanctuaire (ecclesia/ basilica et domus) n’est cependant évoqué que par le biais de sa composition symbolique et de son instrumentum, qui comprend sept candélabres, sept lampes devant l’autel et sept autres dans le chœur (…). Les ouvrages sont dits d’un art inestimable et d’un travail « salomonien » et c’est finalement moins par ses caractères architecturaux que par le symbolisme de sa lumière et de son autel principal que le monument se distingue. Ardon évoque encore et surtout dans ce chapitre les sept autels de l’établissement d’Aniane qui en font un lieu de révérence spéciale. Mais pour obtenir le chiffre symbolique de « l’esprit septentiforme », il compose avec la totalité des autels et titulaires du cenobium et associe ceux de la basilique du Sauveur, où s’ajoutent au maître-autel, les autels de Saint-Michel, Saints Pierre et Paul et celui de Saint-Etienne à ceux de la basilique Saint-Marie, où se trouvent les autels de Saint-Martin et Saint- Benoît. Ardon signale encore curieusement l’ecclesia de Saint-Jean, sise dans le cimetière, ce qui fait pourtant un huitième autel, alors qu’il n’évoque pas dans ce chapitre celui de Saint-Saturnin associé à la petite église de l’installation primitive. Peut-être faut-il considérer que ces deux derniers autels et sanctuaires sont désormais situés en dehors de l’éventuelle clôture du cenobium reconfiguré en 782.

Ecclesiam pregrandem construere cepit

34 Dans le chapitre 17, Ardon n’évoque plus la fondation (fundare) d’un monastère comme il l’avait fait pour le sanctuaire marial. Il s’agit désormais de construire (construere) et

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d’édifier (hedicavere) un nouveau cenobium, une ecclesia vel basilica, une domus et des constructions diverses, qui complètent et augmentent les équipements du noyau constitué quelques années plus tôt autour du sanctuaire de Sainte-Marie.

35 De la construction de la nouvelle basilique, Ardon précise peu de chose, sinon qu’elle est pregrandem, beaucoup plus grande ou plus spacieuse (que Sainte-Marie) et que les nouveaux édifices (domos) étaient désormais couverts de tuiles plates (tegulae) et non plus de chaume, ce que confirment très clairement les dernières fouilles49. Ces passages de la vita, parfois difficiles à comprendre parce qu’ils présentent des alternatives de traduction, ont donné lieu à de nombreuses spéculations et surinterprétations du fait de l’exaltation des propos d’Ardon, qui n’hésite pas à convoquer Beçaléel et l’art d’un travail « salomonique » pour décrire l’instrumentum du nouveau sanctuaire, d’une part, mais aussi parce que le chapitre suivant, qui est vraisemblablement un ajout au texte initial, introduit les notions de caput esse cenoborium et d’exemplum pour faire d’Aniane, à l’époque grégorienne et dans une confrontation historiographique et idéologique désormais intense – avec Gellone sa voisine, notamment –, un modèle de construction monastique et un établissement placé au-dessus des autres.

36 De ce chapitre, cependant, on doit retenir trois points essentiels : • Benoît édifie une seconde basilique spacieuse qu’il veut dédier à La Trinité, soit au Christ Sauveur. C’est la principale distinction du sanctuaire, car il ne veut pas prendre des saints comme titulaire ; • il construit également de nouveaux bâtiments, qui sont différents des (anciennes) murailles et associés à des portiques comprenant de nombreuses colonnes de marbre, et non pas véritablement un cloître comme le suggère une traduction peut-être trop rapide du terme « claustra » ; • le nouveau sanctuaire, christique et trinitaire, est doté d’un autel-coffre monumental, fait de trois montants représentant les personnes de La Trinité, en un seul autel si l’on suit la relecture proposée par R. Feuillebois50, mais peut-être aussi, dans une acceptation plus large et complémentaire, d’un chevet complexe tripartite, qui distingue également le sanctuaire par son architectonique.

La localisation du second sanctuaire et l’apport des dernières fouilles

37 Si le programme de la mission archéologique, engagée depuis la fin de l’année 2011 au sein de l’ancien enclos pénitentiaire d’Aniane, soit peu ou prou au sein des 3,5 ha du complexe abbatial des XVIIe-XVIIIe siècles, n’est pas achevé, il est possible d’ores et déjà d’en restituer les principaux apports (fig. 6).

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Fig. 6 – Le complexe monastique d’Aniane d’après les fouilles de 2011-2015

1. Église Sainte-Marie (Aniane I) ; 2. Église Saint-Sauveur (Aniane II) ; 2b. Adjonction antérieure à 1149 (chapelle Saint-Pierre ?) ; 2c. Narthex (fouille en cours) ; 3. Chapelle anonyme (Sainte-Marie- Madeleine ?) ; 4. Grand cloître ; 5. Abbatiale Saint-Sauveur (reconstruction mauriste fin XVIIe siècle), aujourd’hui église communale Saint-Benoît ; 6. Vivier moderne, puis bassin de l’usine textile (XVIe-XIXe siècle) ; 7. Fontaine du cloître mauriste (XVIIe siècle) ; 8. Extension du grand cimetière médiéval ; 9. Fossé associé au premier enclos (fin VIIIe siècle). Document CNRS, mission archéologique d’Aniane, L. Schneider et G. Marchand, 2014.

38 Malgré la complexité d’un lieu qui n’a pas été épargné par le grand chantier de la reconstruction mauriste, mais aussi par les réseaux secs et humides du centre pénitentiaire, qui donne au site un caractère urbain peu ou non stratifié, des vestiges du sanctuaire dédié au Christ Sauveur ont pu être identifiés. Il est désormais possible d’affirmer que celui-ci se localisait à une trentaine de mètres au sud-ouest de l’église Sainte-Marie, sur le rebord d’une ancienne terrasse de l’Hérault incisée par le cours du Corbières. Le monument qui ne figurait plus, comme on l’a vu, sur le plan de 1656 attribué au frère Plouvier, a cependant été presque entièrement épierré à partir des dernières décennies du XVIe siècle. Ses dallages ont été systématiquement récupérés et ses murs ont été épierrés pour la plupart jusqu’à la base des fondations, tandis que, tout au long de son histoire, l’altimétrie de ses sols a peu varié. L’assiette de l’édifice, in fine, a été recoupée perpendiculairement par le grand corps de bâtiment occidental de l’ensemble mauriste et une partie de son chevet a été détruite par la fontaine centrale du cloître du XVIIIe siècle. De sorte, les modestes vestiges subsistant de l’édifice sont aujourd’hui engagés dans la cour, dite du cloître mauriste, où se trouve une partie du chevet tripartite, se prolongent sous le grand corps de bâtiment occidental et s’achèvent à l’ouest dans la cour, dite des ateliers, au niveau de la façade orientale d’un atelier, aujourd’hui désaffecté de l’ancien Institut public d’éducation surveillée. On parvient, cependant, à déterminer différentes extensions et développements du

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sanctuaire primitif. Un long narthex a prolongé de plus de 25 m l’édifice vers le sud, un grand cloître, dont le quadrilatère du préau atteignait environ 28x33 m, a été édifié au sud dans les dernières décennies du XIIe siècle et un nouveau collatéral, associé à une abside, a flanqué la partie nord du sanctuaire avant 1149 (cf. fig. 5, n° 2). Avant 1155, peut-être dès après 1020, une chapelle, pour l’heure anonyme (Sainte-Marie- Madeleine ?), a également été logée entre les basiliques Sainte-Marie et Saint-Sauveur, en lieu et place de bâtiments, qui, au seuil du IXe siècle, avaient accueilli un espace de cuisine. C’est à cet édifice qu’il faut désormais associer le clocher figuré sur le plan de 1656, dont on avait jadis supposé qu’il pouvait signaler par sa position excentrée l’existence d’une seconde église au sud du sanctuaire marial51. C’est également la partie subsistante de l’abside de cette même chapelle que l’on distingue dans la cour triangulaire à fermeture arrondie du plan Plouvier (cf. fig. 5, n° 3). Le plan du sanctuaire initial se déduit, quant à lui, de la soustraction de ces développements brièvement évoqués. Il se présente, en définitive, comme celui d’un édifice de plan basilical à trois nefs, achevé par un chevet quadrangulaire flanqué de deux petites absidioles (fig. 7, n° 2).

Fig. 7 – Églises d’Aniane et sanctuaires de l’Antiquité tardive du pagus de Maguelone

1. Sainte-Marie d’Aniane (d’après le plan Plouvier de 1654) ; 2. Saint-Sauveur d’Aniane ; 3. Saint-Jean d’Aniane (état XIe siècle) ; 4. Saint-Sébastien-de-Maroiol (commune d’Aniane, fin VIIe-début IXe siècle) ; 5. Basilique funéraire anonyme du siège épiscopal de Maguelone (fin Ve-VIIIe siècle, d’après A. GARNOTEL, « Maguelone, archéologie d’une île de la lagune languedocienne », in X. DELESTRE et H. MARCHESI (dir.), Archéologie des rivages méditerranéens, 50 ans de recherches, Paris, 2010, p. 95-98) ; 6. Église baptismale Sainte-Cécile de Loupian (fin IVe-début Ve siècle, d’après C. PELLECUER et L. SCHNEIDER, « Premières églises et espace rural en Languedoc (Ve-Xe siècle) », in C. DELAPLACE (dir.), Aux origines de la paroisse rurale en Gaule méridionale (IVe-IXe siècle), Paris, 2005, p. 98-119) ; 7. Église anonyme du castrum du Roc de Pampelune à Argelliers, Hérault (fin Ve-VIIe siècle, d’après C. PELLECUER et L. SCHNEIDER, « Premières églises… », ibid.).

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39 Hors œuvre, la nef atteint 15 m de large et la longueur totale de l’édifice, chevet inclus, 34 m. Si l’on doit tenir compte de possibles variations dans les mesures du fait que celles-ci portent sur des fondations et des tranchées d’épierrement, l’édifice est toutefois de proportions notables, sinon remarquables, mais celles-ci ne sont pas exceptionnelles, d’autant que la profondeur du chevet atteint, à elle seule, 8,5 m dans l’œuvre. La basilique du Sauveur à Aniane ne souffre guère de comparaison avec des édifices régionaux de l’Antiquité tardive, comme celui de la basilique funéraire anonyme récemment découverte à Maguelone, soit sur l’îlot épiscopal dont le père de Witiza tenait le siège comtal52. Cette basilique, qui était encore en élévation partielle au VIIIesiècle, atteignait hors tout (portiques compris) 23,4 sur 47,8 m et seul le corps central, déduit de ses portiques et de son abside (16 x 35 m), pourrait être rapproché du volume du monument anianais (cf. fig. 7, n° 5).

40 L’originalité du plan de la seconde basilique d’Aniane tient surtout au dispositif tripartite de son chevet. La forme quadrangulaire du sanctuaire central est restituée à partir du négatif rectiligne de l’épierrement de son mur sud intervenu dans les dernières décennies du XVIe siècle ou au début du XVIIIe siècle. Il n’y a donc pas d’élément objectif pour en déterminer la date de construction. L’angle sud-est du volume est, par ailleurs, sectionné et détruit par des réseaux humides de la prison, mais l’on est assuré cependant qu’il n’y a pas de développement supplémentaire vers l’est, où l’espace est demeuré accessible à la fouille. Le retour oriental du chevet est souligné par une petite section de tranchée d’épierrement d’une longueur de 0,3 m, elle-même, malheureusement, recoupée à son tour par la fontaine du cloître du XVIIIe siècle, qui a détruit également tout l’angle nord-est du sanctuaire central (cf. fig. 6). De fait, dans l’hypothèse la plus simple, on propose donc de restituer un chevet plat en prolongeant l’axe de la petite tranchée 21458. Une hypothèse plus complexe consisterait à interpréter cette tranchée comme un simple angle de retrait marquant le départ d’une abside peu profonde. La perspective n’est pas improbable, mais demeure invérifiable du fait des spoliations réalisées. Les deux hypothèses doivent donc coexister, même si l’on a adopté ici, dans la restitution planimétrique proposée, la première hypothèse. On est assuré, néanmoins, que ce chevet n’a pas été enveloppé par une grande abside monumentale, dans la mesure où aucune trace de maçonnerie n’a été détectée à l’est de la fontaine.

41 La superficie du sanctuaire central atteint 42 m2, ce qui n’est pas négligeable. Celui-ci n’a conservé qu’un seul sol, caractérisé par des empreintes de dalle et quelques dalles en place, dont l’altimétrie supérieure est à 69,22 m, alors que, dans la nef centrale et les collatéraux, les lambeaux de sols observés oscillent entre 68,76 m, pour le plus ancien, et 68,90 m, pour le plus récent, qui contenait une monnaie de la république de Vérone. L’espace central du chevet est donc sensiblement plus haut que la nef, comme l’attestent par ailleurs les vestiges de deux petits degrés.

42 L’identification des deux petites absidioles ne pose pas de problème particulier, dans la mesure où celles-ci sont observées à partir de vestiges de maçonneries. Situées à environ 6 m en retrait de la tête du sanctuaire, elles sont caractérisées par des proportions exiguës qui en font de petites niches. L’ouverture est de deux mètres, mais leur profondeur atteint à peine un mètre. Le dispositif rappelle celui des piliers à niches de Saint-Sauveur de Gellone et l’on doit s’interroger, une fois encore, sur le passage difficile du chapitre 17 de la Vita, où Ardon évoque le dispositif trinitaire de l’altare, sans que l’on parvienne à comprendre clairement si le terme se rapporte strictement au

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meuble liturgique du maître-autel, au dispositif architectural tripartite du chevet ou aux deux !

43 Une autre des caractéristiques principales du monument est que, hormis une tombe axiale disposée à l’avant des degrés du chevet central, l’édifice n’a pas comporté d’autres sépultures tout au long de son histoire. Un espace funéraire a cependant existé immédiatement à l’est du sanctuaire et c’est avant tout par la datation de ces tombes, dont deux au moins étaient associées à des sarcophages de tuf local, qu’il est possible d’avancer une datation absolue sur des bases archéologiques. L’une des sépultures, parmi les plus anciennes, qui est une tombe rupestre à couverture de dalles, localisée 5 m à l’est de l’absidiole sud, a été datée par radiocarbone des années 778-989. D’autres datations sont en cours et permettront peut-être de préciser cette chronologie.

Mansio et cellas : autres enseignements sur la topographie monastique

44 Différents passages complémentaires de la vita, qui font partie des chapitres soupçonnés d’interpolations durant la première moitié du XIIe siècle, évoquent d’autres points ponctuels de la topographie monastique anianaise. Le plus connu est incontestablement celui du chapitre 22, qui introduit l’idée qu’Aniane devient une pépinière démographique. Selon les propos prêtés à Ardon, le nombre de moines, évalué à plus de trois cents, ne cessait de croître et Benoît fit élever une nouvelle mansio d’environ 50 m de long pour 10 m de large, qui devait, au dire du rédacteur, pouvoir contenir plus de mille hommes. Comme cela ne suffisait pas, il fit encore établir des « cellas » en des lieux convenables, où vinrent s’établir des frères sous la conduite de maîtres53. Le terme cella, utilisé pour la première fois dans le chapitre 22 pour désigner des petits groupes de moines « colons » envoyés dans des lieux distincts du locus et cenobium d’Aniane, mais liés à lui, mérite un commentaire. Jamais auparavant Ardon n’avait utilisé ce terme, ni pour désigner le complexe monastique d’Aniane, pas plus que l’une de ses églises, ni pour évoquer le monasterium/cenobium de Saint-Seine. Les autres occurrences, peu nombreuses, se rapportent précisément à des chapitres de la version longue de la vita et introduisent une notion de dépendance et de subordination entre la cella et le monasterium ou le cenobium. Elles concernent tout spécifiquement le cas bien connu de Gellone (chap.30), qui suscita une confrontation idéologique aiguë avec les moines d’Aniane, mais aussi le cas moins connu mais particulièrement explicite du monastère de Menat (63) en Auvergne. La genèse de cet établissement donné à Benoît par Louis le Pieux, nous dit le rédacteur, était le résultat d’une translation, voulue par le roi, d’un établissement plus ancien implanté dans un vallon trop étroit, qui en limitait les possibilités de développement (chap.31). Après la translation et la restauration effectuées par un groupe de douze moines envoyés par Benoît, des frères étaient demeurés cependant dans l’église de l’établissement primitif pour en garder la maison. Ce petit établissement, qu’aurait visité Benoît, est ainsi désigné comme une cella subordonnée au nouveau monasterium de Menat.

45 Si P. Bonnerue soupçonne ici des travaux de réécriture et/ou d’ajouts de chapitre à la version primitive de la vita, W. Ketteman ne partage pas cette position et utilise au contraire le cas de Menat comme un exemple de la migration des moines d’Aniane et de la dynamique démographique du monastère, sinon plus largement de l’espace septimanien54. Quoi qu’il en soit, un objectif de ce chapitre écrit par Ardon ou

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apocryphe est bien d’instituer une notion hiérarchique entre cella et monasterium. Le premier type d’établissement apparaissant au final comme une succursale, un prioratus dans le langage clunisien, établi sur le domaine d’un monasterium.

46 La réalité matérielle de la grande mansio du chapitre 22, qui sous-tend la perspective du développement démographique anianais, est plus difficile à entrevoir. Les fouilles récentes, du moins, n’ont pas permis d’en retrouver des traces. D’après les dimensions évoquées dans la vita, un tel bâtiment ne pouvait prendre place dans l’espace intermédiaire laissé entre la basilique Notre-Dame et le sanctuaire christique, qui ne sont distants que de 31 m du nord au sud55. Une orientation selon un axe est-ouest offrirait une solution possible, mais selon un dispositif qui ne paraît guère harmonieux et qui supposerait d’avoir fait procéder à des arasements de constructions. L’hypothèse la plus vraisemblable rejetterait plutôt l’implantation de ce bâtiment au sud de l’église du Sauveur, soit en lieu et place du corps de bâtiment oriental bordant le grand cloître du XIIe siècle, bâtiment dont une partie subsiste encore sur le plan de 1656. À cette date, tous les services du monastère sont regroupés dans l’édifice (cf. fig. 5). Dans cette hypothèse, il faudrait admettre, cependant, que le bâtiment originel se soit développé plus largement vers le sud en direction du Corbières, pour atteindre la longueur des cent coudées que donne la vita. Une telle situation n’est pas improbable cependant, car le miracle du chapitre 23 suggère clairement que des constructions ont été étendues jusqu’à la rivière, une crue ayant menacé d’emporter, à proximité du dortoir, le bâtiment des latrines que les moines avaient édifié à grand-peine au-dessus du torrent.

L’église Saint-Jean du cimetière et la question de la clôture

47 Lorsqu’au chapitre 17, Ardon évoque les sept titulaires et autels des basiliques Notre- Dame et du Sauveur, est ajoutée en fin de liste, comme notation supplémentaire destinée à amplifier la sacralité du locus, une troisième église dédiée à saint Jean Baptiste, « édifiée dans le cimetière ». La mention est brève, mais peut être complétée par une seconde occurrence associée à la seconde série de miracles (chap.27) qui font partie des chapitres de la version longue de la vita. Une femme de mauvais esprit est gardée dans l’oratorium Saint-Jean-Baptiste du cimetière, où elle est veillée et guérie par la prière des moines.

48 Aucun autre document n’évoque cette église, qui ne réapparaît dans les sources écrites qu’au seuil du XIIe siècle. En 1114, une donation pour l’âme, de dîmes détenues par un certain Bertrand Lautard dans la paroisse Saint-Jean-Baptiste d’Aniane, laisse alors entendre que le sanctuaire disposait d’un statut paroissial et qu’il était désormais plus spécifiquement lié au bourg formé au contact du monastère56. À la fin du XVIIIe siècle, l’église Saint-Jean intégrée dans l’enceinte du village est associée à une porte du même nom et le cimetière, qui la jouxtait au sud, n’a été transféré à l’écart de l’agglomération qu’en 1828 (fig. 8).

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Fig. 8 – Quartier Saint-Jean de la ville d’Aniane d’après le recueil figuratif de 1786 fait à la réquisition du chapitre régulier de l’abbaye royale de Saint-Sauveur

Archives communales, registre non coté, consulté en août 2011.

49 Partiellement détruite pendant les guerres de Religion, elle a été reconstruite autour de 1600. L’église Saint-Jean d’Aniane, dénommée localement église des pénitents, est aujourd’hui désaffectée. C’est le seul sanctuaire du village à avoir conservé une partie de son architecture médiévale.

Contexte topographique

50 L’édifice est situé au nord-ouest, en contrebas et à près de 250 m des basiliques Sainte- Marie et Saint-Sauveur formant le cœur du monasterium. Il est curieusement implanté en rive droite du Corbières sur la berge inondable (fig. 9).

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Fig. 9 – Topographie anianaise : le bourg et les sanctuaires d’après le cadastre de 1828 et les recherches archéologiques de 2011-2015

1. Porte de Saint-Jean (ou de Gignac) ; 2. Porte de Saint-Guilhem ; 3. Porte de Montpellier ; 4. Porte de Crantou et de la rue vieille ; 5. Porte du Théron (compoix de 1646) ; 6.Église Notre-Dame ; 7.Église Saint-Sauveur ; 8. Église anonyme (Sainte-Marie-Madeleine) découverte lors des fouilles de 2011-2015 ; 9.Église Saint-Jean et cimetière ; 10. Ancien logis abbatial (avant 1656) et « Horreum turris dite Carolimagni » ; 11. Tour des Prés ; 12. Maison de l’aumône et nouveau logis abbatial ; 13. Plan de la chapelle ; 14. La place ; 15. Plan devant l’église ; 16. Grand cimetière du monastère attesté par l’archéologie ; 17. Plan du Mazel ; 18. Hôtel de ville ; 19. Plan de Canton Jolier.

51 Le sol actuel de l’édifice est coté à 61,81 m, alors que ceux médiévaux de l’église du Sauveur oscillent en moyenne autour de 69 m. Cette position basse et distante des basiliques construites par Benoît ne paraît s’expliquer que par la présence d’un pont ou d’un gué permettant de franchir le Corbières. Le sanctuaire Saint-Jean apparaît de fait comme l’une des portes du monastère d’Aniane, dont l’accès est barré par le lit du Corbières, modeste rivière dont le débit, tari en saison chaude, peut néanmoins devenir torrentiel lors des épisodes cévenols, comme en témoignent des événements dramatiques de la première moitié du XXe siècle, mais peut-être aussi l’un des miracles de la vita (chap.23).

52 L’association du sanctuaire à un cimeterium, que l’historiographie a identifié spontanément et sans critique à celui des moines de l’époque carolingienne, pose la question de la genèse d’un espace funéraire distinct, dès l’origine, de celui ou de ceux qui ont pu se constituer autour des basiliques de la Vierge et du Christ. Existait-il en définitive un espace funéraire associé à un sanctuaire antérieur à l’installation de Benoît ?

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Premières observations archéologiques

53 Deux campagnes de sondages réalisées à l’intérieur de l’édifice actuel, en 2014 et 2015 sous la direction de D. Ollivier dans le cadre du programme de recherche développé à Aniane depuis 2011, apportent de nouvelles données57. Dans le chœur actuel de l’église Saint-Jean, reconstruit dans les dernières années du XVIe siècle, une abside plus ancienne, d’un diamètre de 3,40 m, a été mise en évidence. Celle-ci a été flanquée au nord, mais dans une seconde phase, d’une absidiole d’un diamètre de 2,20 m, dont la construction a provoqué le recoupement d’une sépulture antérieure, datée par radiocarbone en âge calibré des années 676-868. On distingue donc, désormais, un premier édifice, vraisemblablement à nef unique, déjà associé à un cimetière et antérieur à 868, qui a été considérablement agrandi après cette date, peut-être dans la première moitié du XIe siècle. On propose, par ailleurs, de raccorder le fond de la nef actuelle de l’église Saint-Jean, dont le mur occidental et le départ des murs gouttereaux conservent des moellons de calcaire froid calibrés disposés en assises régulières, à ce nouvel édifice, pour restituer un plan de type basilical à trois nefs terminé par un chevet tripartite (fig. 10).

Fig. 10 – L’église Saint-Jean d’Aniane d’après les fouilles de 2014

Document CNRS, mission archéologique d’Aniane, D. Ollivier, 2014.

54 Avec 13,50 m de large hors œuvre et 28,5 m de long dans l’axe de la nef, l’édifice est au final assez trapu et de proportions supérieures à la basilique Sainte-Marie, telle qu’on peut en restituer la physionomie d’après le plan de 1656, mais finalement très proche du premier volume de la basilique du Sauveur.

55 Ces premières observations archéologiques confirment donc, en l’état, l’existence d’une quatrième église à Aniane avant 868 et que celle-ci a bien été associée, dès le IXe siècle

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au moins, à un espace funéraire. L’absence de sépulture et de mobilier de l’Antiquité tardive dans les sondages réalisés suggère, en revanche, qu’il n’y eut pas de précédent « paléochrétien » à l’implantation du sanctuaire, dont la genèse paraît de fait peu ou prou contemporaine de la fondation du monastère ou postérieure de quelques décennies. Aniane a donc comporté, au seuil du IXe siècle, une église de cimetière, topographiquement détachée du centre monastique proprement dit, et des espaces funéraires spécifiques qui pouvaient lui être associés. Le cimetière Saint-Jean-Baptiste, qui a été utilisé jusqu’en 1828, est devenu, en revanche, avant 1112, le cimetière paroissial du bourg qui s’est formé auprès du monastère. Son implantation primitive aux abords d’un pont ou d’un gué et d’une voie pourrait encore répondre, à la fin du VIIIe siècle ou au seuil du IXe siècle, à une tradition de mise à distance des sépultures dans le suburbium du monastère, mais en un point de passage particulier qui en marque néanmoins l’accès. Aucun élément ne permet d’affirmer aujourd’hui que cet édifice fut inclus, cependant, dès l’origine dans une éventuelle clôture monastique, comme cela a pu être suggéré58. Certes, à la fin du Moyen Âge et à l’époque moderne, le sanctuaire a été intégré dans la ligne de l’enceinte villageoise, dont le tracé est figuré sur un plan de 1791 et une porte de l’agglomération, « dite porte Saint-Jean », se dressait à son chevet dans l’axe du pont du Corbières, mais l’on ignore tout de l’origine de cette enceinte villageoise. Le fait que l’édifice Saint-Jean II ait d’ailleurs comporté une porte dans son mur gouttereau méridional, donnant accès à la berge du Gassac, à l’extérieur donc de l’agglomération, ne plaide pas en faveur de l’existence d’une enceinte avant le XIIe siècle.

Conclusion

56 Une partie des incertitudes topographiques liées à la fondation du monastère d’Aniane sont désormais levées. L’implantation primitive de Benoît sur la rive de l’Aniane/ Corbières a été conditionnée par la préexistence d’une petite église locale dédiée à Saint-Saturnin, établie auprès d’une source, mais la construction des basiliques Notre- Dame, puis Saint-Sauveur, qui fonde le monastère proprement dit, s’est faite sur un site différent, plus en aval, à environ 800 m de distance. De fait, Aniane est un monastère double ou pluriel. Cela tient pour partie à la chronologie d’une fondation progressive, qui ajoute rapidement au sanctuaire marial initial (Aniane I) une nouvelle abbatiale dédiée à La Trinité et au Sauveur (Aniane II), dans le contexte particulier du double défi que représentaient pour l’Église franque l’adoptianiste antitrinitaire, d’une part, et l’intégration politique de l’ancienne Septimanie wisigothique au royaume carolingien, d’autre part. La première basilique réalise en somme la conversion définitive de Benoît à la formule cénobitique du monachisme, dans son propre cheminement spirituel. Elle marque la naissance d’un nouveau monastère local et le retour sur la scène régionale de Witiza, devenu Benoît. C’est cependant la construction du second sanctuaire, cette fois- ci avec le mécénat de ducs et de comtes, qui inscrit pleinement la fondation dans un programme politico-religieux d’État et fait désormais du locus d’Aniane un exemplum et un centre de diffusion d’une spiritualité monastique de masse demeurée en son temps sans égal. D’un point de vue matériel et topographique, il s’agit bien d’une adjonction et non d’une reconstruction du sanctuaire de Sainte-Marie. L’adjonction se fait au sud du premier édifice, en rebord de terrasse, et tout au long du Moyen Âge, le monastère conserve cette double structuration. Au IXe siècle, les dons au monastère font souvent

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référence aux deux sanctuaires, même si cette distinction s’amenuise par la suite, la dédicace au Sauveur l’emportant sur celle de Sainte-Marie pour désigner le complexe monastique dans son ensemble. Les deux édifices, cependant, ne sont pas accolés, mais séparés l’un de l’autre par environ 31 m. Cet espace, aujourd’hui en grande partie inaccessible à l’archéologie, reste mal connu. Durant le premier quart du IXe siècle, la zone située immédiatement au nord-est de l’abbatiale du Sauveur est associée à un lieu de cuisine, puis, avant le milieu du XIIe siècle, une chapelle anonyme, un troisième édifice donc, peut-être dédié à Sainte-Marie Madeleine, est intercalé entre les deux basiliques, tandis qu’une autre chapelle est également édifiée contre le bas-côté septentrional de l’église christique, en lien avec l’aménagement d’une tour-porche, le « Gimel » communiquant avec la grande place du bourg. Le grand cloître du XIIe siècle se développe, quant à lui, contre le bas-côté méridional de l’abbatiale du Sauveur.

57 Enfin, à 250 m du centre monastique véritable, se trouvait encore une quatrième église dédiée à Saint-Jean et associée, au moins depuis le deuxième tiers du IXe siècle, à un espace funéraire propre et distinct des zones funéraires existant de manière concomitante auprès des basiliques du Sauveur et de Sainte-Marie. En revanche, les fouilles réalisées tant auprès de l’église Saint-Jean dans le village actuel que des basiliques Notre-Dame et du Sauveur n’ont révélé aucune trace d’occupation de l’Antiquité au sens large. De fait, la genèse du bourg d’Aniane et du complexe monastique paraît obéir à une dynamique proprement médiévale et, en l’état actuel des données, n’est pas antérieure au VIIIe siècle. C’est un point essentiel, qui distingue également Aniane de ces sites à longue occupation, tels dans la région proche Saint- Thibéry ou Saint-Jean de Roujan/Medilianum, qui émergent dans l’assiette d’anciennes agglomérations gallo-romaines59. La genèse du monastère d’Aniane s’inscrit sur un site neuf ou peu structuré, aux marges des anciennes cités et initie une nouvelle dynamique de territoire, dans ce Klosterlandschaft septimanien, où plusieurs monastères se sont hissés, par leur rôle politique et stratégique, au niveau de certaines villes antique qu’ils ont pu dépasser, comme Lodève ou Maguelone, dans le cas d’Aniane.

58 Le vocabulaire utilisé par Ardon dans la vita pour désigner les différents édifices anianais ne permet pas d’établir des différences de fonction ou de hiérarchie entre chacun d’eux. Aniane est globalement considéré comme un locus, saint et mémorable (chapitres 4 et 17), un monasterium ou un cenobium, dont les sanctuaires du Sauveur et de Sainte-Marie sont évoqués sans distinction véritable, comme ecclesia ou basilica. Le petit édifice Saint-Saturnin de l’installation primitive est lui-même désigné comme une ecclesia, puis comme un simple oratorium dans la seconde série de miracles, mais il n’est pas assuré que ces chapitres soient bien de la main d’Ardon. En revanche, la tradition historiographique anianaise établit une distinction plus nette entre monasterium/ cenobium, d’une part, et cella, d’autre part. C’est autour de ce terme, qui introduit clairement une dépendance hiérarchique entre monastère et diverses succursales d’essaimage, que se noue, à partir de la seconde moitié du XIe siècle, une partie de la grande querelle de sujétion avec Gellone, dans une tradition et une trajectoire propres aux bénédictins anianais, qui se distinguent, un temps encore, du nouveau modèle clunisien.

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ANNEXES

3 octobre 1633. Relation d’experts sur la vérification de réparations faites en l’église du monastère Saint- Sauveur d’Aniane

Archives départementales de l’Hérault, 1 H 13, pièce 159. Transcription Véronique Rinalducci Université Aix-Marseille, CNRS, UMR 7298 LA3M, MMSH Aix-en-Provence

3 octobre 1633 / 1r° / Nous Barthelemy Germain et Jacques Founezy bourgeois, Jean Bonnefoy / Jean Brun maîtres maçons, Jerosme fils et Jean Lauzet maîtres menuisiers, / Pierre Valles maître meusnier, tous habitans de la ville de Montpellier / Et Jacques Maurin maître meusnier, habitant de Canet d’héraud expert prins / d’office par Monsieur Mr Louis de Guillermin con(seill)er du Roy en la / C(our) de parlem(ent) / de T(ou)l(ous)e (?), et com.ere executer des arrestes de lad(ite) cour donnes en l’instance / prudente en icelle d’entre messire Clément de Bonssy abbé d’Aniane d’une part / le scindiq du chap(it)re du mon(astè)re Sainct Sauveur dud(it) Aniane d’autre pour procéder à la vérifica(ti)on et estima(ti)on des repara(ti)ons faictes es biens quy estoient contentieux / entre lesd(ites) parties. Veu par nous dicts experts led(it) appoinctement dud sieur / con(seill)er et com.ere (commissaire ?) contenans n(ot)re nomina(ti)on et presta(ti)on de serm(ent) des 20 : 24 et 26 d’octobre dernier. Les arrestes de la Cour de l’execu(ti)on desquels est question des 18 et / 5 septembre aussy dernier et au(tr)es y mentionnés. La demande dudit s(cindi)c en / execu(ti)on desdits arrestés ord(onnan)ce dud(it) s(ieu)r com(misse)re du 26 dud(it) mois d’octobre dernier. / Disons et rapportons nous estre transportés dans l’eglise nostre Dame dud(it) / Aniane, avons vérifié qu’au-dessus dud(it) portail et au devant de lad(ite) eglise y / A bastim(ent) blanchy de lhaute(ur) de 2 can(nes), de large(ur) de 3 can(nes) 4 pans, d’espesse(ur) de / [laissé vide] pans, et au mitan au devant de lad(ite) eglise, avons veu y avoir / une rose servant po(ur) donner jour à lad(ite) eglise bastie de pierre de taille / garnie en partie de verre, et par dessus de fer et airain po(ur) la conserva(ti)on de / lad(ite) vitre de large(ur) de dix pans. / Aussy avons verifié le couvert de lad(ite) eglise estre de longueur de 13 can(nes) en / tout porté par deux arcs bastis de pierre de la haute(ur) de 2 can(nes) 7 pans / jusques au chapiteau, et dud(it) chapiteau jusques au plancher est couvert d’onze / pans faict de bois de Quilhan porté en long par trois saumiers aussy bois de Quilhan. / Avons aussy reconneu et vérifié les doublis necessaires y estre posés de / distance l’un de l’autre environ un pan et quart y ayant en tout 59 doublis / de chaque costé et pente tout listellat et bougetat faisant les susd(it) couvert / en tout 50 cannes quarrées, et iceluy plancher et ses avances avons reconneu

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estre couvert de tuille a canal bien conditionné comme il est requis et sous le forjet / sur le grand portail de lad(ite) eglise avons vérifié y avoir doublis de chaque costé / et outre ce trois saumiers pour porter led(it) forjet de 3 can(nes) longue(ur) chacun. / Plus avons vérifié le grand autel de lad(ite) eglise ou y avons trouvé voult de pierre faicte en crouzier de largeur de 2 can(nes) trois pans longueur. aussi de 2 / can(nes) trois pans, lad(ite) voute d’haute(ur) de 2 can(nes) 2 pans. Aussy avons vérifié avoir esté bastie a neuf la muraille qui est au dernier / de la sacristie visant au jardin du sie(ur) sacristain, d’haute(ur) de 2 cannes 2 pans, et au / 1v° / mitan de lad(ite) voulte aurions vérifié avoir esté bastie une muraille d’haute(ur) de 12 / pans, de large(ur) de 2 can(nes), 3 pans, espesse(ur) un pan et demy sur laquelle est mis / le rétable N(ot)re Dame faisant separa(ti)on dud(it) grand autel avec la sacristie. / Aurions aussy vérifié à main droicte y avoir une chapelle dicte de Sa(in)t Benoist / en laquelle auroit esté basty en quatriesme ( = en quartiers ?) du premier crouzier et son eng(nie)me (?) / portant son formaret. En lad(ite) chappelle, aurions aussy reconneu y avoir / 4 grandes vitres, lesquelles nous auroit esté (rese)nté avoir esté faictes par ledit s(cindi)c. / Et tout joignant lad(ite) chappelle est la sacristie soubs la première voute du / clocher en laquelle y a une fenestre avec sa vitre de verre et neuf barres de fer / de travers, et une de long fermant avec une porte bois, et ses ferrem(en)ts, et la porte / quy respond à lad(ite) chapelle est de bois noguier, doublée de bois piboul, avec deux / grandes serrures par dedans attachées avec cloux rivés (et) palastrages. / Plus, à main droicte de lad(ite) eglise avons trouvé une chapelle dicte de S(ain)te Cécile / voutée de pierre a chaux et sable, de longueur de 3 can(nes) 3 pans, de largeur 3 / can(nes), a laquelle y a 2 fenestres quy respondent au courroir quy va a lad(ite) abbaye / de pierres de taille garnies de vitres, et une porte aussy pierre de taille avec / sa porte bois a clef serrure, gons palastrages, allant de lad(ite) porte aud(it) courroir. / Et a main gauche dud(it) grand autel aurions veu et vérifié une chappelle / Appellée de S(ain)t Martin et trouvé icelle estre de longueur d’une can(ne) 7 pans 3 quarts / De mesme large(ur) que longe(ur), avec sa vitre et fer un des [paredoutre ?] de lad(ite) / Chappelle et a lopposit(ion) de l’entrée dicelle, a esté aussy basty a neuf d’espesse(ur) d’un pan. / Comme aussy aurions vérifié le pavé entier tant de la nef de lad(ite) eglise / Nostre dame que des dictes chappelles S(ain)t Benoist S(ain)te Cécilé et S(ain)t Martin avoir esté / Faict de neuf, le tout brique sauf la moitié dela nef de lad(ite) eglise quy est pavée de / Petite calade fine a commancer dès la grande porte jusques a lad(ite) Chapelle S(ain)te Cécile. / Et estans entrés par lad(ite) Chappelle S(ain)te Cécile dans la cœur dud(it) mon(astè)re allant au / Cloistre, et montés au dessus de lad(ite) chappelle S(ain)te Cécile par le degré quy est à main / droicte, aurions vérifié une chambre destinée po(ur) grenier ayant veue du costé dud(it) / courroir, et a l’opposite sur lad(ite) eglise, par une arcade bastie a pierre et chaux / bougetat et listelat de bois de Quilhan, et jugé aud(it) plancher y avoir 12 can(nes) 3 pans / quarrées. /

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Aussy avons vérifié qu’au couvert de lad(ite) eglise eu egard au sud(it) plan dicelle / Quil y a 30 can(nes) quarrées auxquelles jugeons estre entrés cinq mille tuiles ou / Environ. / Et au couvert du grand autel qu’avons vérifié contenir 5 can(nes) 4 pans, cannes / Quarrées, jugeons estre entré la quantité de 500 tuiles.

/ 2r° / Et le couvert de lad(ite) chappelle S(ain)t Benoist exactem(ent) mesuré, avons vérifié iceluy / Contenir 24 can(nes) 4 pans can(nes) quarréee et y avoir esté employé deux mille cent cinquant / Tuiles. / Aussy avons vérifié le couvert de lad(ite) chappelle S(ain)te Cécile contenir 12 can(nes) 5 pans / Canne quarrée et aud(it) effect avoir esté employé 1250 tuiles. / Et en dernier lieu avoir vérifié le couvert de la chapelle S(ain)t Martin contenir / 3 can(nnes) quarrées et avoir esté employé a iceluy couvert 300 tuiles. / Ayants nous dicts experts procédé en tout ce dessus selon Dieu etnos consciences / En foy et tesmoin de quoy avons dressé et remis la p(rése)nte rela(ti)on, a Aniane ce 3 / Jour du mois de novemb(re) 1633. Germain Fournery. J. Maurin. Jean Brun. / marque dud(it) Fises. ES dud(it) Sauzet. [marque] dud(it) Valles. BI dud(it) Bonnefoy. Ainsy / signés ou marqués.

NOTES

1. W. PÜCKERT, Aniane und Gellone. Diplomatisch-Kritische Untersuchungenzur Geschichte der Reformen des Beedictinerordensim IX und X Jahrhundert, Leipzig, 1899. 2. P. TISSIET, L’abbaye de Gellone au diocèse de Lodève. Des origines au XIIIe siècle, Montpellier, 1933 (réimp. 1992). 3. W. K ETTEMANN, Subsidia Anianensa. Überlieferungs und textgeschichtliche Untersuchungenzur Geschichte Witiza-Benedikts, seines Klosters Aniane und zursognannten « anianischen Reform », Duisburg, 2000, t. 1. 4. P. CHASTANG, Lire, écrire, transcrire. Le travail des rédacteurs de cartulaires en Bas-Languedoc (XIe- XIIesiècles), Paris, 2001. 5. P. BONNERUE et A. DE VOGÜÉ, Ardon. Vie de Benoît d’Aniane, Bégrolles-en-Mauges, 2001. 6. C’est la version de ce texte dans l’édition du cartulaire d’Aniane (L. CASSAN et E. M EYNIAL, Cartulaires des abbayes d’Aniane et de Gellone publiés d’après les manuscrits originaux, Montpellier, 1898) que nous utilisons ici en indiquant la pagination. Les références aux chapitres sont celles de l’édition des Monumenta Germaniae Historica et de la nouvelle édition de l’abbaye de Bellefontaine (P. BONNERUE et A. DE VOGÜÉ, Ardon…, ibid.). 7. W. KETTEMANN, Subsidia Anianensa…, op. cit., p. 75-91. 8. G. DURAND, « L’abbaye d’Aniane en Languedoc. Des Mauristes à l’établissement pénitentiaire », Archéologie du Midi médiéval, 12 (1994), p. 145-180. 9. J.-C. RICHARD, P. DAVID et G. VIALENG, « La colonie industrielle et agricole d’Aniane (Hérault) », Cahiers d’arts et traditions rurales, 8-9 (1995-1996), p. 1-75. 10. Le projet se développe dans le cadre d’une convention entre l’EPCI Vallée de l’Hérault, propriétaire des lieux, et le CNRS (LA3M, Umr 7298, Aix-Marseille Université/CNRS). Il est

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soutenu par la Conservation régionale des Monuments historiques de Languedoc-Roussillon et le département de l’Hérault dans le cadre du Grand site de France « Saint-Guilhem-le-Désert, Gorges de l’Hérault ». 11. P. BONNERUE et A. DE VOGÜÉ, Ardon…, op. cit., p. 21. 12. VSB, chap.36, p. 28 : Prefecit eumquoque imperator cunctis in regno suo cenobiis ; ut sicut Aquitaniam Gothiamque norma salutis instruxerat, ita etiam Franciam salutifera imbueret exemplo. 13. P. BONNERUE et A. DE VOGÜÉ, Ardon…, op. cit., p. 20. 14. VSB, chap.42, p. 34 : Post hec autem, relicto palatio, in monasterio Sancti Sequani in provintia Burgundiorum habitum veri monachi suscepit. 15. W. KETTEMANN, Subsidia Anianensa…, op. cit., p. 243-255. 16. VSB, chap.2, p. 6. 17. VSB, chap.1, p. 3 : Igitur vir venerabilis, nomime et merito Benedictus, abbas, ex getarum genere, partibus Gotie oriundus fuit. 18. Chronique d’Aniane (PARIS, BnF, lat. 5941), année 782 : Karoliregis Benedictus abba qui uocatur uitiche in loco qui dicitur anianum ex precepto supradicti regis karoli monasterium hedificauit et année 794 (concile de Francfort) ou est évoqué également le deuxième nom d’Ardo (n) : Inter quos etiam uenerabilis ac sanctissimus abbas Benedictus qui uocatur uitiza monasterii anianensis a partibus gocie et religiosos suos monachos Bede Ardo qui et zmaragdus seu cunctis fratribus suis discipulis Hi sunt ingela aimo Rabanus Georgius Cum ceteris fratribus cunctoque clero deuotoque populo pariter aggregato. Hoc tempore florvit Ardo magister qui et zmaragdus. 19. C. MARTIN, La géographie du pouvoir dans l’Espagne wisigothique, Villeneuve-d’Ascq, 2003. 20. Ardo reg. Ann. VII, Laterculus regnum visigothorum, continuatio coidicis C parisensis 4667 (éd. MGH, Auctores antiquissimi, p. 469). 21. VSB, chap.3, p. 6. 22. L. CASSAN et E. MEYNIAL, Cartulaires…, op. cit.,cartulaire d’Aniane, n° 131, p. 275. 23. L. CASSAN et E. MEYNIAL, Cartulaires…, ibid., cartulaire d’Aniane, n° 56, p. 197. 24. Sur les délimitations de ces pagi, comtés et diocèses du bassin médian de l’Hérault, voir notamment P. GARMY et L. SCHNEIDER, « Lodève et son territoire dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge (France) », in M. CLAVEL-LÉVÊQUE et A. VIGNOT (éd.), Cité et territoire II, Besançon, 1998, p. 223-241. 25. L. SCHNEIDER et D. PAYA, avec la coll. de V. FABRE, « Le site de Saint-Sébastien-de-Maroiol (34) et l’histoire de la proche campagne du monastère d’Aniane », Archéologie médiévale, 25 (1995), p. 133-181 ; L. SCHNEIDER, « Les églises rurales de la Gaule (Ve-VIIIe siècle). Les monuments, le lieu et l’habitat : des questions de topographie et d’espace », in M. GAILLARD (dir.), L’empreinte chrétienne en Gaule du IVe au IXe siècle, Turnhout, 2014, p. 419-468. 26. L. SCHNEIDER, « Sites sacrés, sites profanes. Recherches récentes sur le paysage bâti des périphéries monastiques d’Aniane et de Gellone dans le haut Moyen Âge », in C. AMADO et X. BARRAL I ALTET, Saint-Guilhem-le-Désert dans l’Europe du haut Moyen Âge, Montpellier, 2000, p. 47-64. 27. VSB, chap. 3 ; L. CASSAN et E. MEYNIAL, Cartulaires…, op. cit., cartulaire d’Aniane, p. 6. 28. VSB, chap.4 ; L. CASSAN et E. MEYNIAL, Cartulaires…, ibid., cartulaire d’Aniane, p. 7 :[…] in jam memoratum locum cepit florere in religione pia […]. 29. L. CASSAN, Les archives municipales d’Aniane. Congrès de la société bibliographique tenu à Montpellier les 11-13 février 1895, Montpellier, 1895, p. 1-24. 30. L. CASSAN et E. MEYNIAL, Cartulaires…, op. cit.,cartulaire d’Aniane, n° 56, p. 197. 31. L. CASSAN et E. MEYNIAL, Cartulaires…, ibid., cartulaire d’Aniane, n° 191, p. 299 (1187) et n° 193 et 194 (1203). 32. Archives départementales de l’Hérault, 1 H 48, fol. 162. 33. PARIS, BnF, lat. 12660, fol. 10r.

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34. PARIS, BnF, lat. 12660, fol.29 et 218. Le chapitre 28 de la Vita prête par ailleurs des vertus thaumaturgiques au lieu et à l’oratoire Saint-Saturnin où vint s’établir initialement Benoît. 35. VSB, chap. 5 ; L. CASSAN et E. MEYNIAL, Cartulaires…, op. cit.,cartulaire d’Aniane, p. 8. 36. VSB, chap. 12 ; L. CASSAN et E. M EYNIAL, Cartulaires…, ibid., cartulaire d’Aniane, p. 11 : Ignis quodam tempore domum juxta beate Marie Virginis baselicam sitam invasit.

37. PARIS, Archives nationales,N III Hérault 11. 38. B. UHDE-STAHL, « Ein unveröffentlichter Plan des mittelalterlichen Klosters Aniane », Zeitschrift für Kunstgeschiste, 43/1 (1980), p. 1-10. 39. B. UHDE-STAHL, « Un plan inédit du monastère médiéval d’Aniane », Études sur l’Hérault, 5-6 (1989-1990), p. 47. 40. J.-L. B ERNARD et L. O LLIVIER, « Aniane (Hérault), découverte d’une église de l’abbaye », Les cahiers de Saint-Michel de Cuxa, 24 (1993), p. 149-155. 41. G. DURAND, « L’abbaye d’Aniane… », op. cit., p. 153. 42. Archives départementales de l’Hérault, 1 H 8, fol. 89r. 43. Archives départementales de l’Hérault, 1 H 13, pièce 159 (fol. 1r). 44. J.-L. BERNARD et L. OLLIVIER, « Aniane (Hérault)… », op. cit. 45. Archives départementales de l’Hérault, 1 H 13, pièce 159. Document transcrit en annexe. 46. L. SCHNEIDER, « Les églises rurales de la Gaule… », op. cit. 47. C. PELLECUER et L. SCHNEIDER, « Premières églises et espace rural en Languedoc (Ve-Xe siècle) », in C. DELAPLACE (dir.), Aux origines de la paroisse rurale en Gaule méridionale (IVe-IXe siècle), Paris, 2005, p. 101. 48. VSB, chap.17 ; L. CASSAN et E. MEYNIAL, Cartulaires…, op. cit.,cartulaire d’Aniane, p. 12 :[…] in eodem loco ceneboium hedificaverit […] Karoli vero magni regis quaturodecimo adjuvantibus eum ducibus comitibus aliam rursus in honorem Domini et salvatoris nostri ecclesiam pregrandis construere cepit. 49. La masse des fragments de tegulae retrouvés en position secondaire en plusieurs points de l’enclos pénitentiaire représente près d’une tonne. 50. R. F EUILLEBOIS, « Essai de restitution de l’autel érigé par saint Benoît dans l’abbatiale d’Aniane », Archéologie du Midi médiéval, 3 (1985), p. 26. 51. L. SCHNEIDER et D. G ARCIA, Carte archéologique de la Gaule, t. 34/1 (Le Lodévois), Paris, 1998 (arrondissement de Lodève et communes d’Aniane, Cabrières, Lieuran-Cabrières et Peret), p. 110. 52. A. GARNOTEL, « Maguelone, archéologie d’une île de la lagune languedocienne », in X. DELESTRE et H. MARCHESI (dir.), Archéologie des rivages méditerranéens, 50 ans de recherches, Paris, 2010, p. 95-98. 53. Outre Gellone, les diplômes de la section liminaire du cartulaire conservent le souvenir d’au moins deux autres cellas associées au domaine d’Aniane : Cellanova, aujourd’hui Celleneuve, quartier de l’agglomération de Montpellier, qui demeura un prieuré d’Aniane jusqu’à la Révolution, et Saugras, cella des garrigues, édifiée au pied de l’oppidum du Roc de Pampelune, qui devient une annexe de la paroisse et du prieuré (anianais) de Saint-Etienne de Viols au XIIe siècle, cf. L. SCHNEIDER, « De l’horizon impérial aux sociétés locales : patrimoine monastique, spatialisation des pouvoirs et mnémotopie autour de Saint-Sauveur d’Aniane (782-1066) », in D. I OGNA-PRAT, M. LAUWERS, F. MAZEL et I. R OSÉ, Cluny. Les moines et la société au premier âge féodal, Rennes, 2013, p. 342-344. 54. W. KETTEMANN, « Migrations et retours. Quelques exemples du milieu monastique autour de l’an 800 », in M. B OURIN et P. M ARTINEZ SOPENA, Anthroponymie et migrations dans la chrétienté médiévale, 2010, p. 79. 55. Une grande partie de la zone est rendue inaccessible aujourd’hui par l’implantation de l’abbatiale du XVIIe siècle, qui sert désormais d’église paroissiale. Dans la partie restante, vers le sud, les fouilles de 2012 et 2013 ont cependant révélé, comme on l’a dit, des adjonctions accolées à la basilique du Sauveur et une chapelle absidée, qui sont à associer aux travaux des XIe et XIIe siècles. Antérieurement, la mise au jour d’un grand foyer, de petites canalisations en tegulae,

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d’une meule de moulin à sang, de fosses cendrier et de fosses dépotoir suggèrent d’identifier un espace de cuisine que l’on ne parvient pas à inscrire, cependant, dans le périmètre d’un bâtiment. 56. L. CASSAN et E. MEYNIAL, Cartulaires…, op. cit., cartulaire d’Aniane, n° 122, p. 264-265. 57. D. OLLIVIER, Y. ARDAGNA et L. S CHNEIDER, « Aniane, fouilles de l’église Saint-Jean (campagne 2014) », Bulletin scientifique régional de Languedoc-Roussillon, Montpellier, 2014, p. 122-124. 58. B. UHDE-STAHL, « Un plan inédit… », op. cit., p. 45-50. 59. M.-G. COLIN, L. SCHNEIDER et L. VIDAL, avec la participation de M. SCHWALLER, « Roujan- Medilianum (?) de l’Antiquité au Moyen Âge. De la fouille du quartier des sanctuaires à l’identification d’une nouvelle agglomération de la cité de Béziers », Revue archéologique de Narbonnaise, 40 (2007), p. 117-193 ; L. SCHNEIDER, « Les églises rurales de la Gaule… », op. cit.

AUTEUR

LAURENT SCHNEIDER CNRS, université Aix-Marseille, UMR 7298 LA3M, Maison méditerranéenne des sciences de l’Homme, Aix-en-Provence

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Les premiers monastères d’Auvergne à la lumière de la documentation textuelle et archéologique (Ve-Xe siècle) : état de la question

Damien Martinez

Introduction

1 L’Auvergne dispose pour le haut Moyen Âge d’un corpus de sources textuelles sensiblement fourni, qui permet d’apprécier, au moins quantitativement, la vitalité des initiatives monastiques dans l’ancien diocèse de Clermont. Le témoignage de Grégoire de Tours permet d’abord d’en mesurer le caractère précoce, en ville comme à la campagne. Ainsi, l’un des plus anciens monastères de la région, localisé sur les hauteurs de Clermont, à Chanturgue, daterait du milieu du Ve siècle. Une cinquantaine d’années plus tard, l’ermite Martius se retire dans une grotte située également en périphérie de la ville. Très vite rejoint par des disciples, il fonde le monastère de Royat. Dans le même temps, à l’écart de la cité épiscopale, Brachion créé celui de Pionsat, près de Menat, où une communauté existe déjà. De nombreuses fondations monastiques voient alors le jour au cours des VIe-VIIe siècles, parfois à l’issue d’expériences érémitiques, mais, surtout, sous l’impulsion des évêques. Plus tard, aux IXe-Xe siècles, la multiplication des monastères est appuyée par l’aristocratie laïque, témoin son plus illustre représentant, Guillaume le Pieux, comte d’Auvergne et duc d’Aquitaine. Dès lors, on ne compte plus les donations faites aux établissements monastiques, certaines abbayes se constituant ainsi un riche patrimoine foncier, source d’importants revenus – Cluny en Basse- Auvergne, Saint-Pierre-le-Vif de Sens dans le Mauriacois, etc.

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2 Ce monachisme auvergnat du premier millénaire a bénéficié d’études précieuses, conduites successivement par G. Fournier1, C. Lauranson-Rosaz2 et A. Maquet 3. Les travaux de compilation et d’analyse des textes réalisés alors ont permis de donner corps à ce dossier, en particulier pour la période carolingienne. Pourtant, force est de constater que la réalité matérielle des premiers monastères d’Auvergne est largement méconnue. L’archéologie programmée peine encore à investir ce champ de la recherche et ne peut guère être épaulée par les apports de l’archéologie préventive, à l’exception notable de quelques cas de figure : Mauriac, plus récemment Souvigny ou Aurillac. Néanmoins, l’archéologie a sans aucun doute sa pierre à apporter à l’édifice, l’exemple de Souvigny étant en ce sens une bonne illustration. L’étude de ce prieuré clunisien a mis en avant l’intérêt d’une approche transdisciplinaire dans la compréhension de la genèse et de l’évolution d’une fondation monastique antérieure à l’an Mil. La confrontation des textes et des données archéologiques a permis de retracer l’histoire du prieuré depuis la donation d’une villa au Xe siècle jusqu’à nos jours. Les fouilles de l’église prieurale conduites par P. Chevalier4, conjuguées aux surveillances extensives de travaux dirigées dans le bourg par S. Liégard5, ont en effet permis, d’une part, d’approcher les origines du monastère, en mettant au jour des installations en lien avec la villa carolingienne, et, d’autre part, de mettre en lumière la genèse et l’évolution du bourg monastique.

3 Je ne m’attarderai pas sur ce solide dossier, aujourd’hui bien connu, mais tenterai de brosser le portrait, certes encore un peu flou, des premiers monastères d’Auvergne. Un rapide état des lieux de la documentation existante, permettant d’expliciter les différents termes employés – cellula, monasterium, locus, etc. –, pourra être confronté aux données archéologiques disponibles, la finalité de cet exercice délicat étant d’approcher les conditions d’implantation des premiers établissements monastiques de la région.

4 Ce passage en revue débutera naturellement par Grégoire de Tours, dont le témoignage constitue l’un des plus précieux et des plus fournis pour l’ancien diocèse de Clermont. La fin de la période mérovingienne est ensuite illustrée par deux textes précieux, la Passion de saint Priest et la Vie de saint Bonnet, deux évêques de Clermont de la seconde moitié du VIIe siècle. Enfin, les fondations des IXe-Xe siècles, renseignées par de nombreuses chartes, permettront d’esquisser les grands traits du monachisme carolingien auvergnat (fig. 1).

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Fig. 1 – Cartes de répartition des monastères d’Auvergne attestés pour le haut Moyen Âge, Ve-Xe siècle

D. Martinez, 2014

Le monachisme auvergnat au temps de Grégoire de Tours

5 Le témoignage de l’évêque de Tours, originaire d’Auvergne, n’est en réalité pas le plus ancien puisque déjà Sidoine Apollinaire mentionnait l’existence d’un monastère fondé par le prêtre Abraham dans la ville de Clermont, près d’une basilique dédiée à saint Cyr6. L’établissement est simplement signalé, aucune information sur ses dispositions n’est apportée par l’auteur.

6 Dix établissements monastiques du diocèse de Clermont sont évoqués dans l’œuvre de Grégoire de Tours : Chanturgue, Cournon, Méallet, Menat, Pionsat, Randan, Royat, Saint-Pourçain, Saint-Cirgues de Clermont et le Cambidobrense monasterium, dont l’identification est discutée7. Le terme monasterium y est majoritairement employé – vingt-six occurrences pour ces dix monastères – et semble recouvrir des réalités bien différentes. Il côtoie le terme cellula, qui apparaît, quant à lui, treize fois. Arrêtons-nous sur quelques-uns de ces exemples.

Le monastère de Chanturgues

7 Sur les hauteurs de Clermont, l’évêque Eparchius aurait fondé dans le troisième quart du Ve siècle (entre 450 et 474) un monastère – in arce Cantobennici montis monasterium collocase, ubi nunc oratorium est – dans lequel il se retirait pour le carême8. Il s’agit manifestement d’une fondation éphémère, puisqu’à l’époque de Grégoire de Tours il ne subsiste qu’un oratorium9. Cet établissement est traditionnellement localisé au sommet du Puy de Chanturgue, au nord de la ville, où les nombreuses prospections archéologiques n’ont cependant livré aucun indice d’occupation.

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Saint-Cirgues de Clermont

8 Dans les faubourgs occidentaux de Clermont, Grégoire de Tours cite le monastère de Saint-Cirgues, déjà évoqué par Sidoine Apollinaire. Il le mentionne à quatre reprises sous le terme de monasterium, deux fois dans le deuxième livre de l’Histoire des Francs, deux autres dans la Vie des Pères, où l’on apprend que le prêtre Abraham, à l’issue de sa peregrinatio en Occident, se fixe à Clermont près de la basilique Saint-Cyr. Il y fonde un monastère dans lequel il est plus tard enseveli10.

9 Ces différentes occurrences n’offrent aucun détail sur l’organisation du monastère. Il se situait manifestement dans l’îlot bordé de nos jours au nord par la rue Saint-Cirgues, au sud-ouest de la butte portant la cathédrale. Dans la seconde moitié du Xe siècle, le libellus de ecclesis claromontanis ne signale qu’une église – In ecclésia sancti Cirici, altare sancti Cirici… –, sans mentionner l’existence d’une communauté11. L’archéologie a confirmé l’existence d’une fondation mérovingienne aux abords de la rue Saint-Cirgues, qu’il est tentant de rattacher au monastère. Une fouille de sauvetage a en effet permis la découverte d’un ou plusieurs bâtiments auxquels étaient associés des sarcophages trapézoïdaux12. L’environnement dans lequel s’est implanté l’établissement a, quant à lui, pu être étudié à l’occasion d’une fouille réalisée à une cinquantaine de mètres à l’est de son emplacement supposé13. Ce dernier a pris place dans un secteur de la ville très humide, occupé par des quartiers d’artisans durant le Haut-Empire et, semble-t-il, largement délaissé dès la seconde moitié du IIIe siècle. L’établissement paraît s’être établi à la fin du Ve siècle dans un environnement relativement ouvert et marécageux, occupé en grande partie par des parcelles, pour certaines cultivées, pour d’autres en friche. L’implantation d’un monastère dans ce secteur, au demeurant inhospitalier, a, sans aucun doute, nécessité la réalisation d’importants travaux d’aménagement du terrain, ne serait-ce qu’en termes de drainage.

Saint-Mart de Royat

10 Dans le chapitre quatorze du Livre des Pères, Grégoire de Tours relate la fondation d’un monastère par l’ermite Martius durant le premier tiers du VIe siècle14. Ce dernier, originaire de Clermont, décide de se retirer sur les hauteurs de la cité épiscopale, où il s’aménage un ermitage dans une grotte. Les multiples miracles qu’il accomplit y attirent de nombreux fidèles. Très vite, une communauté se constitue et un monastère est fondé. L’évêque de Tours précise que ce monastère possédait un jardin clos par une haie, dans lequel les moines faisaient pousser des légumes et des arbres fruitiers, sans apporter davantage de précisions sur l’organisation générale de l’établissement.

11 Le terme monasterium n’apparaît qu’à une seule reprise, lorsque l’auteur précise que Martius est enseveli dans l’oratorium du monastère – Dehinc com summo honore ablutus dignisque vestimentis indutus, infra oratorium monasterii est sepultus. Le terme cellula, qui revient à trois reprises, évoque la case de l’ermite, qui est d’ailleurs également qualifiée d’habitacula. On semble donc avoir affaire ici à la transformation d’un ermitage en monastère, lequel possédait un oratoire ainsi qu’un jardin. Cela signifie-t-il que l’on est en présence d’une communauté régulière ou d’un regroupement de semi-anachorètes ? Il est bien difficile de répondre à cette question et l’archéologie apporte en ce sens peu d’information. À la fin de la vie du fondateur, la communauté semble cependant structurée et dirigée par un praepositus, désigné par Martius. Des découvertes

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anciennes, localisées à l’emplacement de l’ancien couvent Saint-Mart, ont toutefois mis en évidence la présence de tombes en sarcophage ainsi que celles de plaques de marbre portant des épitaphes. Ces vestiges pourraient être associés à l’ancien monastère, dont l’évolution durant le haut Moyen Âge est cependant inconnue. Une communauté féminine, mise en place par l’évêque Genès au milieu du VIIe siècle – le Rubiacense coenobium mentionné dans la Vie de saint Bonnet15 –, semble par ailleurs avoir existé durant le haut Moyen Âge, mais correspondait probablement à un établissement distinct.

Pionsat

12 À l’écart de la cité épiscopale, les premiers monastères semblent fleurir à partir de la première moitié du VIe siècle, pour certains dans des zones relativement reculées. C’est le cas de Pionsat, où, dans le chapitre douze de son Livre des Pères, l’évêque de Tours situe l’histoire de l’ermite Aemelianus16. Ce dernier, vers la fin du Ve ou le début du VIe siècle, se retire dans les bois de Pionsat (silvae Ponticiacenses), qui dépendent alors du saltus du domaine de Vensat appartenant à Sigevald, gouverneur de l’Auvergne pour le compte du roi Thierry. Un dénommé Brachion, alors au service de Sigevald, tombe par hasard sur l’ermitage d’Aemelianus alors qu’il est en train de chasser un sanglier. La bête pourchassée franchit la haie qui entoure la cellule (cellula) de l’ermite, dans laquelle il trouve refuge. Brachion, après la mort de Sigevald en 533, ayant été marqué par cet épisode, rejoint Aemelianus et s’installe dans la forêt. Très vite, une communauté monastique se forme autour des deux compagnons. Brachion réussit alors à obtenir de l’héritière de Sigevald, Ranichilde, le droit de fonder un monastère (monasterium) sur de vastes terres situées dans le saltus du domaine de Vensat – Hic, stabilito monasterio, obtenuit a Ranihilde, Sigivaldi memorati filia, multo terrarum spatio, quod as hoc monasterium dereliquid. Erat enim saltus ex domo Vindiciacense17. Après cette fondation, on apprend que Brachion se retire à Tours pour y fonder deux autres établissements. À son retour, il est chargé de rétablir la règle dans le monastère de Menat. Peu avant sa mort, il demande à l’abbé qu’il venait d’instaurer à Pionsat d’établir en bordure d’une rivière un mausolée destiné à abriter son tombeau. On apprend alors que ce dernier est bâti sur la base de constructions préexistantes. À sa mort, avant d’être déposé dans son lieu de repos, il est enseveli dans « l’oratoire de sa cellule primitive » – in oratorio prioris cellulae sepulto18.

13 De l’organisation du monastère, on ne dispose à nouveau d’aucun élément, sinon qu’il était doté d’un oratoire. Il semble cependant constitué, du moins à la mort de Brachion, d’une communauté régulière dirigée par un abbé. D’ailleurs, on s’interrogera sur la réalité de la communauté primitive et là aussi sur l’existence, dans un premier temps, d’un groupe de semi-anachorètes qui ne se constituèrent en communauté qu’à la mort de Brachion.

14 Notons l’évocation d’un désert dans lequel s’est retiré Aemelianus (ad heremi deserta), conception somme toute relative, puisqu’on apprend que son disciple et successeur, Brachion, fit édifier son tombeau sur les ruines « d’antiques » constructions – Quo migrante et in oratorio prioris cellulae sepulto, cum abba iniunctum cuperet opus explere, nutu Dei et celces coctos antiquitus et fundamentum in ea mensura qua ipse ponere cogitabat nanctus est. La localité de Pionsat abritait probablement dès l’époque romaine une petite agglomération, dont l’importance est inconnue, simplement caractérisée par la

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présence de plusieurs sites à tegulae ainsi que par une nécropole à incinération19. Elle se situait, par ailleurs, à proximité du tracé supposé de la voie romaine reliant Clermont à Évaux-les-Bains.

15 Le texte n’offre aucune information sur les dispositions du monastère, mais renseigne toutefois sur sa dotation foncière, essentiellement des bois constituant une partie du saltus de la villa de Vensat. Le terme cellula, que l’on retrouve à deux reprises, sert d’une part à caractériser l’ermitage d’Aemelianus – ad cellulam sancti se confert –, d’autre part, à la fin du récit, à caractériser la « cellule » primitive de Brachion – in oratorio prioris cellulae sepulto –, dont on ne sait pas s’il s’agit du monastère de Pionsat ou de l’ermitage à l’origine de la fondation monastique.

16 Cet établissement ne semble pas avoir perduré longtemps. Son existence n’est en tout cas éclairée par aucune source postérieure à Grégoire de Tours. Le souvenir de Brachion paraît cependant conservé dans la titulature actuelle de l’église, placée sous le vocable de Saint-Bravy.

Menat

17 À Menat, il est clair qu’une communauté régulière, dirigée par un abbé et rythmée par une règle commune, existait dès le deuxième tiers du VIe siècle. Grégoire de Tours indique, en effet, nous l’avons vu, que Brachion était chargé de rétablir la règle dans le monastère qui s’était relâchée par la négligence de ses abbés : Cum ad priorem cellulam resederet, in monasterium Manatinse, qui per incuriam abbatis interpuerat, ordinatur, ut scilicet eius studio congregatio ipsa canonicae regeretur20. Brachion est même mentionné en qualité d’abbé du monastère de Menat dans un épisode relaté dans le livre cinq de l’ Historia Francorum21.

18 Dans le cas de Menat, le terme monasterium n’apparaît qu’une seule fois. Cellula est, quant à lui, employé à deux reprises. La première occurrence désigne l’ermitage de Brachion (ad proprem cellulam), tandis que la seconde fait directement référence à la communauté monastique dont Brachion est cité en tant qu’abbé – Brachio, abba cellulae Manatensis.

19 Les origines du monastère de Menat sont également rapportées dans la Vie de saint Ménélée, rédigée tardivement, probablement au XIe siècle, et dont la fidélité paraît très douteuse. On apprend que Ménelée, originaire des pays de la Loire et présenté comme le descendant de l’empereur Héraclius – Origo beati Menelei claro de fonte manavit, ex magni scilicet imperatoris Heraclii prosapia –, aurait installé un ermitage dans le pagus de Vensat, entre les rivières de la Sioule et de la Bouble – in Arvernensi patria, in pago Vinciacensi inter fluvium Sivolis et Bubulae – en dépit de l’opposition d’une reine, nommée Brunehaut, dont le saltus couvrait ce domaine22. Cet ermitage aurait servi de base à la fondation d’une abbaye. Plus tard, vers 812-813, le monastère est remis en état par Louis le Pieux23.

20 L’archéologie apporte quant à elle peu d’informations et l’on ne pourra guère citer que la tradition selon laquelle des sarcophages auraient été mis au jour à proximité de l’abbaye.

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Randan

21 À une quarantaine de kilomètres au nord-est de la cité épiscopale, l’évêque de Tours rapporte l’existence, à Randan, d’un monastère dirigé par l’abbé Sunniulphe et dans lequel officie un moine d’une grande vertu, dénommé Julien. L’auteur ne consacre que quelques lignes à cet établissement et ne donne une nouvelle fois aucun indice relatif à son importance. Il signale simplement que le monastère possédait un grenier – ut expellentes monachi de horrea anonas quasi chloros ad solem siccare ponerent –, ce qui peut supposer l’existence d’une communauté régulière disposant de ses propres installations24.

22 Dans le tableau brossé par Grégoire de Tours, le terme monasterium semble concrètement désigner le « monastère » en tant qu’institution/établissement. L’auteur n’offre que peu de descriptions et on ne peut glaner que quelques informations au sujet de Royat, pour lequel il mentionne l’existence d’un verger ou encore à propos de Randan, où les moines disposent d’un grenier et de cellules. L’emploi du terme cellula paraît, quant à lui, moins fixé. Il fait principalement référence à l’ermitage à l’origine de l’établissement monastique et désigne ainsi indifféremment la grotte dans laquelle se retire Martius (Royat) et la cabane construite en forêt par Aemilianus (Pionsat). L’utilisation de ce terme n’est cependant pas exclusive puisqu’il renvoie également, dans le cas de Randan, à la cellule personnelle de Julien, sa « chambre » au sein du monastère – dans laquelle il reste enfermé sept jours : reclusumque in cellulam septem dies – et, dans celui de Menat, à la communauté monastique – Brachio, abba cellulae Manatensis.

23 Les premières communautés d’Auvergne s’implantent dans les faubourgs de Clermont, au plus tard dans la seconde moitié du Ve siècle, à l’instar de Saint-Cirgues ou de Chanturgue. La multiplication des initiatives rurales suit de peu ces fondations suburbaines et, dès le début du VIe siècle, plusieurs monastères émergent un peu partout dans le diocèse, pour certains dans des secteurs très marginaux à l’image de Pionsat. Cet isolement demeure toutefois mesuré puisque les communautés ou les ermites à l’origine de ces communautés s’installent à proximité des foyers de peuplement – l’exemple le plus remarquable étant celui de Martius sur les hauteurs de Clermont. Ces premières initiatives sont souvent issues d’expériences érémitiques (Pionsat, Royat, Menat ?), mais, pour autant, très tôt soutenues par les évêques (Chanturgue, Saint-Cirgues, Cournon) et même, dans certains cas, encouragées par l’aristocratie, notamment à Pionsat, où Brachion obtient des terres cédées par la fille du duc Sigevald.

24 À Clermont et ses abords, les établissements sont élevés sur ou dans les ruines de constructions antiques. Ainsi à Royat, le monastère Saint-Mart est édifié à l’emplacement d’anciens thermes. À Saint-Cirgues, les fouilles alentour ont démontré, dans ce secteur, l’existence durant le Haut-Empire de quartiers dédiés à des artisanats de nuisance – boucherie, meunerie, tannerie, etc. Il y a donc tout lieu de penser que l’établissement du prêtre Abraham a été édifié à l’emplacement de constructions gallo- romaines. Les autres monastères semblent, quant à eux, correspondre à des créations ex nihilo.

25 Il convient, enfin, d’insister sur le caractère éphémère de bon nombre de ces fondations. La moitié des monastères évoqués par Grégoire de Tours ne semble, en effet, pas avoir perduré durant le haut Moyen Âge, probablement pas au-delà de la

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période mérovingienne. L’établissement de Chanturgue n’existait, semble-t-il, déjà plus dans le dernier tiers du VIe siècle. Ceux de Pionsat, Randan, Méallet ou Saint-Cirgues de Clermont ne sont connus qu’à travers son témoignage. Cet état de fait pose la question du nombre de ces initiatives des premiers temps (probablement nombreuses), dont on ignore les formes. Il s’agit manifestement d’installations rudimentaires, probablement en bois, sans organisation clairement prédéfinie et ainsi difficile à caractériser par l’archéologie.

26 Le tableau que dépeint Grégoire de Tours paraît par ailleurs traduire une réalité complexe, où se côtoient des communautés cénobitiques régulières, vivant dans l’observance d’une règle, et des regroupements manifestement plus anarchiques, moins structurés, inspirés du monachisme gaulois des premiers temps, à l’image du modèle martinien, notamment dans le cas où la communauté s’est formée spontanément autour d’un ermite. À Menat et à Méallet, les moines respectent une « règle », notamment celle d’Augustin dans le second cas, où l’on encourage le travail des religieux, ce qui valut à Caluppan de vifs reproches et le conduisit à s’isoler dans un ermitage qu’il installa sur les pentes d’une vallée voisine25. Ailleurs, on ignore l’importance qui est accordée au respect d’une règle. Certaines communautés paraissent cependant structurées et dirigées, notamment, par un praepositus ou un abbé, comme à Pionsat, Royat ou Randan.

27 Le monachisme auvergnat des premiers temps reste encore mal connu et l’archéologie n’apporte pour l’instant que peu d’éléments. Elle a permis, tout au plus, dans certains cas – Saint-Cirgues de Clermont, Royat, Menat –, de confirmer l’existence d’une occupation mérovingienne à l’emplacement supposé des monastères évoqués par les sources anciennes, à travers, notamment, la découverte de tombes ou d’inscriptions.

28 Avançons à présent dans le temps afin de nous intéresser à deux Vitae particulièrement instructives, celles de saint Priest et de saint Bonnet, traditionnellement datées, pour la première, de la fin du VIIe siècle et, pour la seconde, du début du siècle suivant26.

Les vitae de saint Priest et de saint Bonnet

La Passio Praejecti episcopi

29 Saint Priest, évêque de Clermont entre 666 et 675, est mort en martyr dans son domaine de Volvic, là où son successeur, Avit II (675-690), décide de fonder un monastère d’hommes. La Passio Praejecti recèle de précieuses informations sur la fondation de quatre établissements monastiques27 : Chantoin (Clermont), Chamalières, Volvic (fondation d’Avit II) et le Columbariense monasterium à Clermont. Arrêtons-nous quelques instants sur deux d’entre eux, abritant des communautés féminines.

Chantoin

30 La localité de Chantoin, située dans les faubourgs nord de Clermont, à l’est de l’actuel quartier Saint-Alyre, cœur du vicus christianorum, est peut-être déjà citée dans l’Histoire des Francs. On apprend, notamment, que le deuxième évêque de Clermont, dénommé Urbicus, y est inhumé dans un hypogée voûté (in cripta cantabannensis)28. C’est précisément à Chantoin que l’évêque Priest aurait fondé un couvent de moniales :

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Il fit construire un monastère dans un faubourg de ladite ville, dans la petite propriété d’une femme, Césarie, et il le consacra pour des jeunes filles vouées à Dieu. En effet, avant cette époque, on ne trouvait pas un couvent de jeunes filles en ces lieux29.

31 L’existence de cet établissement est par ailleurs confirmée dans la seconde moitié du Xe siècle par le Libellus de ecclesiis Claromontanis, qui y signale, notamment, la présence d’un autel honorant saint Priest30. L’abbaye de Chantoin prospère durant tout le Moyen Âge et compte de nombreuses possessions en Auvergne ; plusieurs congrégations s’y succèdent jusqu’à la Révolution.

32 Des découvertes archéologiques réalisées dans la première moitié du XIXe siècle ont permis d’identifier la présence d’une occupation mérovingienne à l’emplacement du monastère, sans pour autant en préciser la nature31. Le couvercle de sarcophage mis au jour à cette occasion est peut-être à mettre en relation avec le cimetière associé au monastère primitif.

Chamalières

33 Entre 662 et 675, sous le règne de Chilpéric II, le comte Genès, incité par l’évêque Priest, fonde le monastère féminin de Chamalières sur l’une de ses terres : Dans les faubourgs de la ville sus-dite (Clermont), auquel on a donné le nom de Chamalières, il entreprit de toutes ses forces et de toute sa volonté de faire construire un monastère de vierges consacrées, placé naturellement sous la règle des saints hommes, c’est-à-dire saint Benoît, saint Césaire et saint Colomban32.

34 Ce monastère existe encore dans la seconde moitié du Xe siècle et figure, notamment, dans le Libellus de ecclesiis Claromontanis, qui y signale, entre autres, un autel dédié à la Vierge, un autre à saint Priest33.

35 À cet établissement, correspondent peut-être les vestiges d’une église découverts en 1929, caractérisée par une abside semi-circulaire d’environ 4 m de largeur, flanquée de deux annexes. Plusieurs sépultures ont également été mises au jour au chevet de l’édifice, dont, notamment, deux sarcophages trapézoïdaux en trachyte34.

36 La Vie de saint Priest est la première source mentionnant, pour l’Auvergne, l’existence de communautés féminines. L’évêque de la seconde moitié du VIIe siècle y semble très sensible et a ainsi été à l’initiative de la fondation de deux couvents, tous les deux installés dans les faubourgs de Clermont. La terminologie employée dans ce texte, confrontant monasterium et coenobium, semble assez clairement arrêtée. Monasterium renvoie sans ambiguïté au monastère en tant qu’établissement ou en tant que lieu, tandis que coenobium désigne, quant à lui, la communauté, féminine ou masculine. À Chantoin, la distinction est claire, tout comme elle l’est à Volvic, où l’évêque Avit II établit un monasterium virorum in loco Vulvico, dirigé par un abbé (coenobio abbatem Godonem)35.

37 Un siècle et demi après le témoignage de Grégoire de Tours, les pratiques monastiques des premiers temps semblent totalement abandonnées et la vie de chaque établissement est rythmée par une règle, comme cela est clairement affirmé pour Chamalières, avec le rappel des règles des saints Benoît, Césaire et Colomban.

38 Rédigée quelques décennies plus tard, probablement au début du VIIIe siècle, la Vie de saint Bonnet constitue l’un des documents les plus précieux dont dispose le corpus de

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sources auvergnat. Elle offre, notamment, une description éclatante du monastère primitif de Manglieu, dont la fidélité peut être soulignée par l’archéologie.

La Vita Boniti episcopi

39 Saint Bonnet, évêque de Clermont entre 690 et 701, décide, à la fin de sa vie, de se retirer dans le monastère de Manglieu, après avoir démissionné de sa charge. C’est durant cette retraite qu’aurait été rédigée sa vita36. L’établissement religieux aurait été fondé quelques décennies auparavant par l’un de ses prédécesseurs, l’évêque Genès (656-662), dans l’un de ses domaines37. Ce texte livre des descriptions architecturales relativement détaillées. Le paysage naturel dans lequel s’implante l’établissement monastique est précisément décrit38. On y reconnaît parfaitement, en effet, l’environnement actuel. Le monastère comprend alors deux églises enfermées dans une clôture : l’une dédiée à Marie, l’autre placée sous le patronage des Apôtres : Une clôture percée d’une triple porte enferme le monastère. Lorsqu’elles sont éclairées par le soleil, les églises des saints martyrs étincellent d’un éclat très vif. La tour pentagonale de Marie toujours vierge et mère de Dieu brille d’un éclat particulièrement remarquable et s’élève fièrement, émergeant d’une base quadrangulaire et s’élevant au-dessus des autres constructions, elle domine seule. Quatre fois six arcs, décorés en dessous, convexes au-dessus, s’élèvent jusqu’au faîte qui brille. De même, l’église des Apôtres ne resplendit pas moins, comme un signe triangulaire. Les autels des saints brillent : de part et d’autre, des arcs géminés se rejoignent et des colonnes sculptées avec la splendeur des anciens se dressent ; à la manière d’une haute et admirable voûte, des poutres sont assemblées pour former un plafond lambrissé ; les murs des églises sont rouges avec des décors blancs à la manière de ce qui se fait en ville39.

40 Le monastère est également richement décoré, on y retrouve de nombreuses arcatures ainsi que des chapiteaux sculptés et peints40.

41 Cette vita se concentre évidemment sur Manglieu, mais évoque également plusieurs monastères auvergnats, dont ceux de Volvic et de Royat. Deux passages renvoient, par ailleurs, aux établissements de l’Île Barbe à Lyon et de Saint-Maurice d’Agaune. L’emploi du terme monasterium est ici concurrencé par celui de cenobium. Le premier est utilisé à douze reprises, le second revient, quant à lui, six fois. Les deux termes semblent utilisés indifféremment, même si, à nouveau, il semble que l’un renvoie au monastère en tant qu’établissement et l’autre à la communauté monastique, ce qui n’est toutefois pas toujours très clair. Ainsi, on retrouve, en référence à l’abbé de Manglieu, l’expression venerabilem Magnilocensis monasterii abbatem et, pour l’un des moines, in eodem monasterio fratrem nomine Natholenum, deux occurrences qui semblent cependant évoquer le monastère en tant que lieu et non en tant que communauté. Au contraire, à l’évocation des origines du monastère, dans un passage présentant l’évêque Genès (656-662) comme étant le fondateur du monastère, on retrouve le terme cenobium, qui, dans le cas présent, semble davantage évoquer la communauté : Genesius nobilissimus pontifex coenobium in propria constituit glaba atque virum venerabilem Evodium instituit patrem. D’ailleurs, dans ce passage, est cité le nom du premier abbé du monastère, Evodius, renforçant ainsi l’idée de l’emploi de cenobium en tant que communauté des frères, distincte de l’établissement ou du lieu (monasterium). On retrouve le même cas de figure pour Volvic : Eoaldum Volvicensis cenobii patrem. Pourtant, ces exemples sont contredits par celui du couvent de moniales de Royat, Rubiacense cenobium, dont l’emploi, dans le passage où il est cité, renvoie clairement à

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l’établissement lui-même et non à la communauté et, notamment, à son contexte d’implantation : Ipse autem Rubiacense cenobium, quod hinc indeque montibus septus, ab oriente panditur aditum et aut procul eminet urbi, visendi gratia consulendique properabat.

42 Qu’en est-il de la réalité archéologique ? En premier lieu, nous l’avons évoqué, l’environnement illustré dans le texte de la Vita Boniti est fidèle à la topographie actuelle. Le monastère est effectivement reclus au fond d’une cuvette sur la rive droite d’un petit cours d’eau. L’établissement est enfermé au sein d’une clôture, dont la limite se devine encore dans le parcellaire. Il était percé de trois portes, dont les emplacements sont inconnus. Il renfermait vraisemblablement deux églises, l’une dédiée à la Vierge, dotée d’une somptueuse tour pentagonale, l’autre aux Apôtres. Aujourd’hui, figurent encore deux édifices : l’église Notre-Dame, en ruine, et l’ancienne église monastique, actuellement paroissiale, dédiée à saint Sébastien et dont il y a tout lieu de penser qu’il s’agit de l’église des Apôtres. Sa titulature aurait changé au début du IXe siècle après le passage des reliques du saint, peut-être au cours de leur transfert de Rome à Soissons41.

L’église Notre-Dame de Manglieu

43 Les fouilles réalisées en 1967 et 1968 par G. Fournier dans l’ancienne église Notre-Dame ont confirmé son origine mérovingienne42. Elles ont, de plus, permis de proposer un phasage éclairé par la succession de quatre édifices, dont le plus ancien correspondrait à la tour pentagonale décrite dans le texte du VIIIe siècle (fig. 2).

Fig. 2 – Les vestiges mis au jour en 1967-1968 lors des fouilles réalisées par G. Fournier dans l’église Notre-Dame de Manglieu, Puy-de-Dôme

Cl. et fond de plan : G. Fournier, 1968 ; dessin : D. Martinez, 2014.

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44 Celle-ci est par ailleurs implantée sur les vestiges d’une imposante construction associée à des sépultures, que G. Fournier interprète comme l’un des bâtiments du domaine de l’évêque Genès, peut-être l’oratoire domanial. Cette tour serait concrètement représentée sur le terrain par deux portions de maçonnerie chaînées, orientées est-ouest, et formant un angle obtus (108°). G. Fournier propose de mettre en relation ces vestiges avec les textes et, sur cette base, propose une restitution du pentagone évoqué dans la Vie de saint Bonnet. Tour pentagonale, ou tout au moins tour polygonale, cette construction a peut-être été précédée par un court vaisseau, à l’instar de l’exemple contemporain (fin VIIe-début VIIIe siècle) de l’église Notre-Dame de l’abbaye de Saint-Riquier. Un fragment de couvercle de sarcophage en marbre décoré, découvert aux abords, pourrait, par ailleurs, dater, selon l’auteur des fouilles, de la fin de la période mérovingienne. Ultérieurement, le pentagone (ou polygone) fait place à une basilique, dont les vestiges du chœur et du mur gouttereau nord ont été retrouvés. Le chœur est semi-circulaire et la nef serait composée de deux travées. Cette basilique est remplacée à l’époque romane par une nouvelle construction, légèrement désaxée vers le sud par rapport à l’édifice précédent.

45 G. Fournier est intervenu uniquement dans l’église Notre-Dame et n’a effectué aucune fouille dans l’édifice situé plus au nord, l’église Saint-Sébastien. Il s’est pour autant penché sur l’architecture de ce bâtiment, pour lequel il reconnaît la présence d’élévations qu’il attribue à l’église évoquée dans le texte du VIIIe siècle. Déjà J. Hubert signalait l’existence d’élévations antérieures à l’an Mil43, mais G. Fournier fut le premier à s’étendre plus longuement sur la nature des vestiges anciens, visibles dans le chevet de l’église. Il signale l’ancienneté du chevet et insiste sur les nombreux remplois présents dans l’église. Ces premières observations ont motivé la poursuite de l’analyse des élévations, en cours44.

L’église Saint-Sébastien de Manglieu

46 Le sanctuaire se caractérise par une abside semi-circulaire enchâssée dans un chevet plat (fig. 3).

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Fig. 3 – Le chevet de l’église Saint-Sébastien de Manglieu, Puy-de-Dôme

Cl. et dessin D. Martinez, 2015 ; relevés lasergrammétrique et orthophotographie du chevet O. Veissière, 2016.

47 La restauration des maçonneries au XIXe siècle entrave la lecture des parements externes. Pourtant, certaines observations sont possibles. Un aménagement fossilisé dans le chevet, constituant le vestige d’un fronton triangulaire, attire notamment l’attention. À mi-hauteur de l’élévation se développe, en effet, une corniche horizontale constituée de tegulae. Cette corniche est soutenue par un système de modillons, dont six sont encore visibles. Le percement d’une grande baie au XVe siècle a entraîné la destruction de la partie centrale de l’aménagement. De même, cette corniche a été détruite aux extrémités nord et sud de la maçonnerie du chevet lors de la reprise des chaînages d’angle, à l’occasion d’une reconstruction du bâtiment. Par ailleurs, au- dessus de cette corniche, dans la moitié nord de la maçonnerie, est visible le négatif d’une toiture oblique, constituée également de tegulæ soutenues par un système de modillons, dont quatre sont encore conservés. Le pan méridional de cette structure semble avoir été détruit lors de l’exhaussement de la façade orientale du chevet. Ainsi, si l’on restitue les portions aujourd’hui disparues, il est possible d’envisager la présence d’un fronton triangulaire constitué de deux rampants reposant sur une base horizontale, le tout maintenu par un système de modillons. Des exemples comparables existent à Poitiers, avec le baptistère Saint-Jean45 et la proposition de restitution de l’hypogée des Dunes46. Ce type d’architecture semble d’ailleurs relativement fréquent durant les premiers siècles du Moyen Âge, comme en témoignent les représentations contenues dans le Psautier d’Utrecht et le Pentateuque d’Ashburnham47. Il est alors possible que cette structure, fossilisée dans la maçonnerie actuelle, conserve le souvenir d’un bâtiment relativement ancien, au moins antérieur à l’an Mil. Le fronton est peut-être à mettre en relation avec le tiers inférieur de l’élévation actuelle du chevet, dont les parements extérieurs révèlent un usage régulier de blocs de grand appareil dressés au pic, notamment au niveau des soubassements. Ces blocs viennent chaîner des

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maçonneries en petit appareil irrégulier de basalte, à litages plus ou moins marqués. Par ailleurs, des ouvertures obturées et largement détruites lors de reconstructions ultérieures sont encore visibles sur les trois façades du chevet. Deux assises de blocs allongées marquent, respectivement, l’appui et le départ des arcs. Ces derniers, en partie conservés pour les baies nord et sud, sont constitués de claveaux d’arkose blonde et ocre de dimensions variables. Leurs piédroits superposent des blocs de grand et moyen module, peut-être remployés.

48 Les remplois insérés dans l’arc triomphal de l’église actuelle sont à mettre en relation avec l’occupation du haut Moyen Âge. Cet arc est encadré par deux imposantes colonnes monolithes en marbre gris, surmontées de chapiteaux de style corinthien en marbre blanc. Un examen précis apparaît ainsi indispensable pour la compréhension et la datation du chevet. On remarque, tout d’abord, que les deux chapiteaux ne sont pas contemporains. Le décor de la corbeille nord renvoie vers des productions antiques, en filiation directe avec celles de la fin de l’Antiquité des ateliers pyrénéens, tandis que la corbeille sud se rapproche davantage des productions mérovingiennes – localement des corbeilles de l’abbaye de Saint-Alyre à Clermont48. Les corbeilles sont, par ailleurs, surmontées de tailloirs présentant un décor intrigant, rythmé par deux registres de rouleaux superposés qui se détachent nettement du bloc. Ces rouleaux ne sont pas sans rappeler les décors de flots que l’on retrouve dans le décor ornemental carolingien (baies, décor de chancel). Le registre inférieur de la composition est marqué par un bandeau constitué de demi-oves grossières, renversées, dont un exemple comparable existe à Artonne, dans le Puy-de-Dôme, où le registre inférieur de corbeilles antiques (tardives), remployées dans un ancien portail de l’église Saint-Martin, présente une ornementation proche. Les imposantes colonnes monolithes s’inscrivent, quant à elles, totalement dans une tradition antique.

49 Ainsi, les composantes de cet arc reflètent une chronologie ancienne, tournée vers la fin de l’Antiquité et/ou l’époque mérovingienne. Le couvercle de sarcophage en marbre, exposé aujourd’hui dans l’avant-nef de l’église, constitue encore un témoignage de ces périodes. La présence d’un chrisme, cerclé par une couronne et encadré par des panneaux présentant des décors de chevrons, renvoie vers les exemples de sarcophages dits aquitains, datables des Ve-VIe siècles.

50 L’église Saint-Sébastien de Manglieu, objet aujourd’hui de nouvelles recherches, semble avoir encore de nombreuses informations à livrer, notamment sur ses origines. L’utilisation de techniques d’investigations non invasives, en appui de l’analyse archéologique du bâti (prospection géophysique, lasergrammétrie), devrait, dans un premier temps, permettre d’obtenir des données complémentaires et essentielles pour la compréhension de cet édifice encore peu connu, mais qui mérite cependant une place de premier choix dans les corpus de références pour le haut Moyen Âge.

51 Les textes de la Vie de saint Bonnet et de la Passion de saint Priest illustrent, dans la continuité du témoignage de Grégoire de Tours, la topographie d’un monachisme primitif majoritairement « épiscopal », périphérique à la cité et en marge duquel se développent, plus timidement, des initiatives rurales, souvent éphémères.

52 Néanmoins, à la fin de la période mérovingienne se fixent des établissements se constituant progressivement un patrimoine foncier assurant dans un premier temps leur subsistance. Appelés à connaître un développement pérenne, ces monastères, soutenus par l’aristocratie locale, tendent à s’enrichir au cours des siècles suivants et

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bénéficient d’un ancrage régional solide, appuyé par une organisation en réseaux. Certains se maintiendront jusqu’à la Révolution.

Les fondations d’époque carolingienne

53 L’époque carolingienne marque, en effet, un tournant dans l’évolution du monachisme auvergnat. Ce dernier connaît alors un essor sans précédent, grâce aux bonnes actions répétées des élites « régionales », dont le principal souci est de se doter d’une dimension sacrale, support de la légitimité de leur pouvoir et de leur assise territoriale49. Des monastères fleurissent donc un peu partout dans l’ancien diocèse de Clermont au cours des IXe-Xe siècles, dans le sillage des donations faites par les grandes familles.

54 Dans certains cas, l’Auvergne a bénéficié de l’arrivée de moines fuyant les invasions normandes. Ces derniers furent à chaque fois accueillis avec bienveillance par les puissances locales et, de ce fait, à l’origine de la fondation d’établissements nouveaux. C’est très exactement le cas des moines de Saint-Maixent venus s’exiler à Ébreuil, résidence royale sous le règne de Louis le Pieux, ou encore de Saint-Lomer de Blois réfugiés à Moissat, où est possessionné le comte Guillaume.

Ébreuil

55 Le cas d’Ébreuil est éclairé par un texte tardif, postérieur à l’an Mil : la Chronique de Saint-Maixent. Les moines, exilés depuis la fin du IXe ou les premières années du Xe siècle, auraient, dans un premier temps, utilisé la chapelle royale offerte par Charles le Simple, avant d’édifier un monastère en 926, tout au moins si l’on se fie au témoignage livré par ce texte – extructum est Cenobium Sancti Leodegardii Arvernis, Ebrolii castri50. Le palais carolingien d’Ébreuil est probablement issu d’un ancien domaine gallo-romain évoqué par Sidoine Apollinaire, domaine, qui, déjà au Ve siècle, « avant même l’arrivée des barbares » figurait à l’état de ruine – Eborolacensis praedii etiam ante barbaros desolatam meditatem51.

Moissat

56 Vers 911-912, Guillaume le Pieux fait don de la villa de Moissat aux moines de Saint- Lomer de Blois, apportant le corps de leur saint patron : ego Willelmus… comes… dono… sancto Launomaro et monachis, quos ante unum suscuperam et praedio Magenciaco collocaverum. Quelque temps plus tard, en 914, cette donation est confirmée par le pape Jean X. Le comte d’Auvergne leur cède de très nombreuses terres ainsi qu’une église dédiée à Saint-Pierre, que les moines utilisèrent durant la construction d’un nouveau lieu de culte dédié à saint Lomer. Il existe encore aujourd’hui une église Saint-Pierre et les vestiges du monastère se situent actuellement au sein d’une propriété privé. Cet établissement a pu être approché récemment par L. Fiocchi, dont les travaux à venir permettront peut-être d’en connaître davantage sur ses origines52.

57 Les autres épisodes d’exil n’ont pas engendré de fondations nouvelles, mais de simples restaurations d’établissements préexistants. C’est le cas de la communauté de Saint- Philibert de Tournus, à Saint-Pourçain, ou de celle de Charroux à Issoire – encore qu’ici

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l’on soit dans le cadre d’un clergé lié à la basilique Saint-Austremoine et non à un monastère régulier.

58 Indépendamment de ces cas de figure particuliers, plusieurs fondations importantes (et durables) voient le jour aux IXe et Xe siècles. On citera l’abbaye féminine Saint-Pierre de Blesle, à l’initiative d’Ermengarde, mère de Guillaume le Pieux, l’abbaye Saint-Géraud d’Aurillac, les abbayes de Chantelle, de Cusset, de Saint-Marcellin de Chanteuges ou, encore, les prieurés clunisiens de Ris, Sauxillanges et de Souvigny.

59 Du point de vue de la terminologie, les textes contemporains de ces fondations – on exclut les témoignages tardifs concernant Ébreuil et Blesle – utilisent indifféremment les termes monasterium et cenobium pour désigner les établissements monastiques carolingiens. Dans la charte de fondation de l’abbaye Saint-Vincent de Chantelle, datée de 937, les deux termes renvoient au monastère, dont la construction est souhaitée par les donateurs de l’église Saint-Vincent – une autre occurrence, cenobium, désigne, quant à elle, la communauté d’Évaux, Evaunensis coenobii53. Dans le cas de Chanteuges, fondé par le prévôt du chapitre de Brioude, la charte de fondation désigne l’établissement par le terme monasterium – monasterium quod dicitur Cantoiole, quod est constructum in honore beati Marcellini54. Enfin, dans le cas de Ris, le prieuré est désigné dans un premier temps sous le terme de cella, en 978, lorsque l’archevêque de Lyon, Amblard, fait une donation à Cluny, puis sous celui de monasterium en 999, dans une bulle de Grégoire V confirmant la fondation55. La distinction reflète probablement le changement de statut de l’établissement, qui, à l’origine, n’était probablement constitué que d’un oratoire modeste, auquel ont succédé des installations aptes à accueillir une communauté. Dans la donation de 978, l’abbaye de Cluny est mentionnée en qualité de cenobium. Elle est cependant désignée sous le terme de monasterium dans l’acte de rattachement du monastère de Sauxillanges, ce qui illustre, là encore, l’emploi indifférencié des deux termes.

60 Ces nouvelles fondations ont bien souvent pour cadre d’implantation de grands domaines. C’est effectivement le cas pour Sauxillanges (villa d’Acfred), de Souvigny (villa d’Aymard), de Moissat (villa de Guillaume le Pieux), d’Ébreuil (palais royal de Charles le Simple) ou encore de Chantelle, où les chanoines d’Évaux réinvestissent un ancien castrum déjà mentionné en 761 dans le cadre de la campagne militaire auvergnate de Pépin le Bref. Bien souvent, les nouveaux arrivants mettent à profit le (ou les) sanctuaire(s) déjà existant(s), tout au moins le temps d’édifier de nouveaux bâtiments, comme le suggèrent les cas d’Ébreuil et de Moissat ou encore celui de Souvigny, où la communauté ne s’installe réellement qu’une quarantaine d’années après la donation de 915 ou 920. Cette réalité a d’ailleurs pu être approchée lors des fouilles récentes conduites à l’intérieur et aux abords de la nef de la prieurale56.

Souvigny

61 Les investigations conduites entre 2005 et 2007 ont révélé des vestiges de la villa primitive sous la forme d’un fossé (de parcellaire ?), de niveaux de sols et de trous de poteaux. Par ailleurs, les traces de deux murs gouttereaux, légèrement désaxés, ont été découvertes dans l’extrémité orientale du vaisseau central de la nef actuelle. Ces maçonneries paraissent dessiner un édifice de plan basilical, large de 8,50 m, et peut- être doté, à l’est, d’une abside semi-circulaire (diamètre interne de 6,87 m), qu’il est tentant d’associer à l’église Saint-Pierre cédée aux moines en 915/920, à moins qu’il ne

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s’agisse d’un édifice agrandi, sinon entièrement construit, après la donation. La longueur de la nef est estimée à environ 19 m et était peut-être précédée d’un parvis couvert par un auvent représenté par un radier de sol associé au départ d’une sablière basse. Cette hypothèse est appuyée par un ensemble cohérent de onze cercueils monoxyles, datés par dendrochronologie des années 940. Dans les six fouillés, reposaient uniquement des adultes, dont une femme. À cet horizon funéraire, étaient associées cinq sépultures d’adultes et d’enfants inhumés dans de simples coffres en bois. Ce recrutement invite à y voir les occupants de la villa, enterrés avant l’installation effective des moines dans les années 950. Un second bâtiment, perpendiculaire à l’église, a été repéré en fouille au sud-est de celle-ci et en élévation dans le parement interne du mur oriental de l’édifice bordant la galerie ouest du cloître médiéval. Ce grand bâtiment barlong pourrait correspondre à l’indominicatus de la villa ou, peut-être, à un manse cité dans le texte de confirmation de la donation à Cluny en 954. Une nouvelle église est construite sous l’abbatiat de Mayeul, entre 960 et 994, travaux de construction auxquels sont associés trois fours à chaux datés par 14C des environs de 950.

62 L’exemple de Souvigny, par la richesse des découvertes effectuées et leur confrontation systématique aux sources textuelles, constitue donc un jalon essentiel pour la recherche auvergnate. Les fouilles programmées conduites dans l’église Saint-Pierre et Saint-Paul ont apporté des données substantielles, offrant un nouveau regard sur les origines du monastère. Cette documentation a, par ailleurs, pu être complétée grâce aux opérations d’archéologie préventive réalisées dans le bourg par S. Liégard. Les résultats, en cours de traitement, permettront, sans aucun doute, d’étendre les connaissances sur les débuts du monastère, par des informations nouvelles sur l’organisation intrinsèque de la villa préexistante, tout en affinant les chronologies.

Conclusion

63 Bien loin de brosser un portrait fidèle, aujourd’hui difficilement accessible, cette présentation s’était fixée pour objectif d’approcher, à travers les sources textuelles et les données archéologiques, la genèse et l’évolution des premiers monastères d’Auvergne. Cet « état de la question » pointe d’emblée l’indigence de la documentation archéologique dont souffre la recherche régionale. Les investigations en cours ou à venir – opérations de terrain ou publications – sur les monastères de Souvigny, Manglieu, Aurillac, La Chaise-Dieu, Moissat ou Sauxillanges, dans le cadre de l’archéologie préventive et programmée, viendront très bientôt donner corps à ce dossier. Du point de vue de la terminologie, une confusion permanente entoure l’emploi des termes monasterium, cella, cellula et coenobium, depuis le récit de Grégoire de Tours jusqu’aux chartes de la fin de l’époque carolingienne, n’aidant ainsi guère à caractériser la réalité des établissements monastiques tout comme celle des communautés qui les desservent.

64 Le principal constat qui ressort de cette première approche est celui d’un monachisme primitif que l’on pourrait qualifier d’« épiscopal », périphérique à la cité, s’inscrivant dans un mouvement, semble-t-il généralisé à l’ensemble du diocèse, mais, qui, pourtant, peine à s’organiser et à se fixer durablement, notamment en milieu rural. Plus tard, à la fin de la période carolingienne, ce monachisme apparaît cette fois plutôt

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« aristocratique », davantage dilué dans le territoire et, par conséquent, solidement ancré dans l’espace et la durée.

NOTES

1. G. FOURNIER, Le peuplement rural en Basse Auvergne durant le haut Moyen Âge, thèse de doctorat, université de Paris, 1962. 2. C. LAURANSON-ROSAZ, L’Auvergne et ses marges (Velay, Gévaudan) du VIIIe au XIe siècle. La fin du monde antique ?, Le Puy-en-Velay, 1987. 3. A. MAQUET, Cluny en Auvergne, 910-1156, thèse de doctorat en histoire médiévale, université Paris-I Panthéon-Sorbonne, 2006, 3 vol. 4. P. CHEVALIER, S. BULLY, M. CAUŠEVIĆ-BULLY, M. DUPUIS, L. FIOCCHI et A. BARADAT, « La priorale Saint- Pierre de Souvigny (Allier) : étude archéologique de la nef, seconde tranche », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, 12 (2008) [en ligne : http://cem.revues.org/6382]. 5. S. LIÉGARD (dir.), Souvigny (Allier), Centre-bourg, tranche 2. Rapport final d’opération, DRAC/SRA Auvergne, Clermont-Ferrand, 2015 ; S. LIÉGARD (dir.), Souvigny (Allier), Cours Jean Jaurès, tranche 3. Rapport final d’opération, DRAC/SRA Auvergne, Clermont-Ferrand, 2015. 6. SIDOINE APOLLINAIRE, Epistulae, VII, 17. 7. Nous pourrions également citer l’exemple de Lubié (Allier), où s’installe le reclus Lupicin. Cependant, Grégoire de Tours n’indique pas explicitement l’existence d’une communauté. Nous n’intégrerons pas Brioude ou Saint-Alyre de Clermont, bien que le premier soit qualifié (cependant à une seule reprise) de monasterium et que le second dispose d’un abbas. Dans ces deux cas de figure, la communauté correspond à un clergé affilié à une basilique funéraire ; Liber Vitae Patrum, XIII, 1, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, MGH, SRM, Hanovre, 1885, p. 715-717. 8. Historia Francorum, II, 21, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, MGH, SRM I, 1, Hanovre, 1884, p. 67. Cette fondation n’est pas sans rappeler les monastères de Marmoutier ou de Saint-Côme et Saint- Damien à Auxerre, dans lesquels, respectivement, saint Martin et saint Germain avaient coutume de se retirer. 9. On ignore ici la réalité que recouvre l’emploi de ce terme. Désigne-t-il une simple chapelle isolée ? 10. Historia Francorum, II, 21 et 22, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, op. cit., p. 67 ; Liber Vitae Patrum, III, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, op. cit., p. 672. 11. Libellus de ecclesiis Claromontanis, 14, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, MGH, SRM, VII, Hanovre/ Leipzig, 1920, p. 461. 12. D. PARENT, C. JOUANNET et S. GAIME, Clermont-Ferrand, Z.A.C. Saint-Cirgues, phase II, rapport de Diagnostic, avril-mai 1995, DRAC/SRA Auvergne, Clermont-Ferrand, 2014, 4 vol. 13. D. MARTINEZ et coll., Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), angles des rues Fontgiève, Gautrez et Sainte- Rose. Rapport final d’opération, DRAC/SRA Auvergne, Clermont-Ferrand, 2014, 4 vol. 14. Liber Vitae Patrum, XIV…, op. cit., p. 717-720. 15. Vita Boniti episcopi arverni, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, MGH, SRM, VII, Hanovre, 1913, p. 110-139. 16. Liber Vitae Patrum, XII, 2, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, op. cit., p. 712. 17. Liber Vitae Patrum, XII, 2, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, ibid., p. 713-714.

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18. Liber Vitae Patrum, XII, 2, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, ibid., p. 714-715. 19. M. PROVOST et C. MENNESSIER-JOUANNET , Carte Archéologique de la Gaule, t. 63 (Le Puy-de-Dôme), Paris, 1994, p. 251-252. 20. Liber Vitae Patrum, XII, 2, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, op. cit., p. 712. 21. Historia Francorum, V, 12, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, op. cit., p. 206. 22. Vita Menelei abbatis Menatensis, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, MGH, SS.R.M., V, Hanovre, 1910, p. 129-157 ; cf. également C. LAURANSON-ROSAZ, L’Auvergne et ses marges…, op. cit., p. 219. 23. G. FOURNIER, Le peuplement rural…, op. cit., p. 440. 24. Historia Francorum, IV, 32, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, op. cit., p. 116. 25. Liber Vitae Patrum, XI, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, op. cit., p. 708-711. 26. Sur la tradition de ces deux vitae, nous renvoyons à M. HEINZELMANN, « L’hagiographie mérovingienne : panorama des documents potentiels », in M. GOULLET, M. HEINZELMANN et C. VEYRARD-COSME, L’hagiographie mérovingienne à travers ses réécritures, Ostfildern, 2010, p. 27‑82 (Beihefte der Francia) ainsi qu’à A.-M BULTOT-VERLEYSEN, « Hagiographie d’Aquitaine (750-1130) », in Hagiographies, Turnhout, t. 6, 2014, p. 521-704. 27. Passio Praeiecti episcopi et martyris arverni, éd. B. KRUSCH, MGH, SRM, V, Hanovre/Leipzig, 1910, p. 212-248. 28. Historia Francorum, I, 44 et II, 21, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, op. cit., p. 28-29 et p. 67. 29. Passio Praeiecti…, éd. B. KRUSCH, op. cit., p. 235 : Cernens itaque vir Deo plenus ubertim Christi familia gliscere allium monasterium in suburbano predicte urbis in agello Cesarie quondam femine construi precepit et ipsum de puellis Deo dicatis sacravit. Ante illum etenim tempus puellarim in ills locis coenobium vix repperiebatur. 30. Libellus de ecclesiis Claromontanis, 26, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, op. cit., p. 464. 31. J.-B. BOUILLET, Statistique monumentale de l’Auvergne, Clermont-Ferrand, 1846, p. 91. 32. Passio Praeiecti…, éd. B. KRUSCH, op. cit., p. 235 : Quo consilio vix tandem isdem vir inluster adeptus, monasterium sacrarum virginum suburbano prefate civitatis in loco, cui Camelaria nomen inditum est, omni nisu atque conamine fabricare adorsus est, ex régula dumtaxat virorum sanctorum, id est sancti Benedicti et sancti Cesarii atque Columbani. 33. Libellus de ecclesiis Claromontanis, 36, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, op. cit., p. 465. 34. E. DESFORGES, G. et P.-F. FOURNIER, J.-J. HATT et F. IMBERDIS, Nouvelles recherches sur les origines de Clermont-Ferrand, Clermont-Ferrand, 1970, p. 368-369. 35. Passio Praeiecti…, éd. B. KRUSCH, op. cit., p. 244-245. 36. Vita Boniti…, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, op. cit. 37. G. FOURNIER, « L’ancienne abbaye de Manglieu », Chroniques du Livradois-Forez, 26 (2004), p. 7-25. 38. Vita Boniti…, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, op. cit., p. 119 : Le monastère protégé par des collines de toutes parts, est ombragé par les bois ; il est agréable par ses frondaisons et ses feuillages épais ; grâce à la rivière qui y coule, les prés du monastère, fleuris comme un jardin, s’étendent en direction du sud ; qui locus jam remotus aputsque sanctae sophiae apparet… Nam omni ex parte collium tuitione munitus, nemoribus obumbratur, comis frondentibus densis, amoena virent, rigante amne, florida erga hortulum cenobii prata ; patentque largum ab Austro aditum. 39. Vita Boniti…, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, ibid., p. 127-129 : triplici valvarum itinere clauditur limes : jubare perlustrante splendent sanctorum martyrum aulae : insignis micat sanctae semper Virginis Deique genitricis Mariae atque celsior eminet turris pentagona quadriangulo emergens fulcro ; supra grediens ceteris prominet una, quater sena centra, decora inferius, superius convexa, surgunt, celsaque fastigia micant. Apostolorum aula non minus interea fulget : quasi nota trigona, sanctorum altaria nitent : centra hinc indeque geminata connectunt, columnae priscorum sculptae fulgretine emergunt, more elatae mire camerae, tigna laqueariis affixa consistunt. Nec non et domorum candido decore rutilant muri, urbis modo. Traduction proposée dans G. FOURNIER, « L’ancienne abbaye… », op. cit., p. 9.

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40. Vita Boniti…, éd. B. KRUSCH et W. LEVISON, op. cit., p. 119 : Inter nemorosa pomarii sistunt infra biquadrum claustra gemina munitione, crebrisque arcuum maceriae foraminibus manent ; columnarum capitibus sculpta depictis veriaque pictura superficies nitet ». La mention infra biquadrum claustra gemina munitione est obscure. G. Fournier suggère que l’auteur a voulu désigner deux carrés imbriqués : selon lui la cour d’un cloître encadrée par les galeries périphériques, cf. G. FOURNIER, « L’ancienne abbaye… », ibid., p. 9, n. 9. 41. G. FOURNIER, « L’ancienne abbaye… », ibid., p. 9. 42. G. FOURNIER, « Abbaye de Manglieu : Églises des Apôtres et Notre-Dame », in N. DUVAL (dir.), Les premiers monuments chrétiens de la France, t. 2, Paris, 1996, p. 71-74. 43. J. HUBERT, « Les églises et bâtiments monastiques de l’abbaye de Manglieu », in J. HUBERT (dir.), Nouveau recueil d’études d’archéologie et d’histoire. De la fin du Monde antique au Moyen Âge, Genève/ Paris, 1985, p. 186-191. 44. D. MARTINEZ, De la cité au diocèse. Topographie ecclésiale, fortifications et peuplements dans l’ancienne cité de Clermont et ses marges (Ve-Xe siècle) : une approche archéologique, thèse de doctorat en cours, sous la direction de B. Phalip, université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. 45. B. BOISSAVIT-CAMUS ( dir.), Le baptistère Saint-Jean de Poitiers. De l’édifice à l’histoire urbaine, Turnhout, 2014, p. 209. 46. C. DE LA CROIX, L’hypogée martyrium de Poitiers, Paris, 1883. 47. J. HUBERT, J. PORCHER et W.-F. VOLBACH, L’Europe des invasions, Paris, 1967, p. 33. 48. L. FOULQUIER, Dépôts lapidaires, réutilisations et remplois (Antiquité - haut Moyen Âge). Pour une nouvelle approche de la christianisation et des sanctuaires de l’ancien diocèse de Clermont au Moyen Âge, thèse de doctorat, université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, 2008. 49. F. MAZEL, « Cujus dominus, ejus episcopatus ? Pouvoir seigneuriaux et territoires diocésains (Xe- XIIIe siècle) », in F. MAZEL (dir.), L’espace du diocèse. Genèse d’un territoire dans l’Occident médiéval (Ve- XIIIe siècle), Rennes, 2008, p. 213-252. 50. La chronique de Saint-Maixent : 751-1140, éd. et trad. J. VERDON, Paris, 1979, p. IX et 93. 51. SIDOINE APOLLINAIRE, Epistulae, III, 5. 52. L. FIOCCHI, « La crypte de la prieurale Saint-Lomer de Moissat (premier quart du XIIe siècle) », Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre, 19/1 (2015) [en ligne : http://cem.revues.org/ 13939]. 53. M. FAZY, Catalogue des actes concernant l’histoire du Bourbonnais jusqu’au milieu du XIIIe siècle, accompagné d’un régeste des documents narratifs, Moulins, 1924, n° 529, p. 401. 54. H. DONIOL, Le cartulaire de Brioude, « Liber de honoribus sancto Juliano collatis », Clermont- Ferrand/Paris, 1863, n° 434. 55. A. BERNARD, Recueil des chartes de l’abbaye de Cluny, t. 2 (954-987), complétée, révisée et publiée par A. BRUEL, Paris, 1880, n° 1068, p. 162-163 ; n° 1078, p. 172-173 ; n° 1115, p. 206-207 et n° 1450, p. 503-505. 56. P. CHEVALIER et alii, « La priorale Saint-Pierre de Souvigny… », op. cit.

RÉSUMÉS

L’Auvergne dispose pour le haut Moyen Âge d’un corpus de sources textuelles sensiblement fourni, qui permet d’apprécier, au moins quantitativement, la vitalité des initiatives monastiques

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dans l’ancien diocèse de Clermont. La confrontation des textes et des données archéologiques permet aujourd’hui d’approcher les conditions d’implantation des premiers monastères de la région. Bien sûr, le tableau qu’il est possible de dresser est encore loin d’être satisfaisant, notamment au regard de l’indigence de la documentation archéologique. Le premier constat accessible est celui d’un monachisme primitif relevant principalement du fait urbain, à l’initiative des évêques, tandis qu’en marge se développe un certain nombre d’établissements, dont la pérennité apparaît fragile. Plus tard, à la fin de la période carolingienne, ce monachisme semble davantage dilué dans l’espace et plus solidement ancré dans le territoire et la durée, sous l’impulsion, notamment, de l’aristocratie locale.

The Auvergne territory offers a wealth of archival sources for the early medieval period, which allows us to perceive the vitality of monasteries within the former diocese of Clermont. By studying both the original texts, and the archaeological data available, we can today have a better understanding of the conditions in which early monasteries were established in this region. The picture that emerges is somewhat sketchy, given the lack of archaeological data. The first observation we can make is that we had here a primitive type of monasticism, flourishing within an urban context, and encouraged by the local bishops, while other monastic institutions struggled to survive outside this urban setting. Then towards the end of the Carolingian period, this monasticism, though more dispersed throughout the Auvergne area, became more strongly anchored, both in the territory and in time, under the impetus of the local aristocracy.

INDEX

Index géographique : France/Auvergne Mots-clés : monastères, topographie monastique

AUTEUR

DAMIEN MARTINEZ Doctorant en histoire de l’art et archéologie, université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand (CHEC)

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L’abbaye de Saint-André-le-Haut à Vienne. Origine et développement d’un monastère de moniales

Anne Baud, Nathanaël Nimmegeers et Anne Flammin

1 L’abbaye des moniales de Saint-André-le-Haut procède d’une importante vague de fondations monastiques qui caractérise la ville de Vienne à la fin de l’Antiquité tardive. Abandonnée à la Révolution, elle connaît plusieurs phases d’occupations depuis le haut Moyen Âge. Son implantation s’inscrit dans la trame urbaine antique. Peu documentée par les sources textuelles, l’abbaye de Saint-André-le-Haut constitue néanmoins un exemple rare d’abbaye féminine conservée en élévation. Il subsiste, en effet, des anciens bâtiments, l’église (XIe-XIVe siècle) et le cloître (XVIIe siècle), vendus comme biens nationaux et transformés en immeubles de rapport au début du XIXe siècle (fig. 1).

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Fig. 1 – Plan de Pierre Schneider, 1798

VIENNE, Bibliothèque municipale, ms. 10 (détail).

2 Désaffecté depuis une douzaine d’années, le site fait l’objet de fouilles archéologiques dans le cadre d’un chantier école de l’université Lyon 21. L’étude du bâti, conjuguée aux opérations de fouille, a mis en évidence trois grandes phases dans la construction de l’abbatiale et ses aménagements liturgiques ainsi que différents cimetières. Les recherches menées à l’intérieur de la nef ont permis de mettre au jour un petit édifice du VIe ou VIIe siècle, que l’on peut très vraisemblablement mettre en relation avec le premier monastère.

Saint-André-le-Haut des origines à 1031 : approche historique (N. Nimmegeers)

La fausse donation d’Ansemond

3 Dans une charte confuse datée de la neuvième année du règne de Clotaire Ier (543), un certain Ansemond et sa femme Ansleubane demandent à leur fille Remille, dite Eugénie, de construire à Vienne un monasterium en l’honneur de saint André, comme ils ont eux-mêmes fondé un établissement dédié à saint Pierre hors des murs de la ville. Les époux donnent un courtil qu’ils tiennent en héritage situé devant la porte de Vienne, au lieu-dit Mars, pour établir le futur établissement. Celui-ci suivra la règle que saint Léonien avait introduite dans un autre monastère féminin que dirige l’abbesse Eubone, sœur d’Ansemond ou d’Ansleubane. Les donateurs précisent que Remille a passé sa jeunesse dans cette institution et font de l’Église de Vienne l’héritière de Saint- André2. Le 3 mars 831, un diplôme de Louis le Pieux restitue le monasterium Saint-

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André-le-Bas à l’archevêque Barnard en invoquant l’autorité de la charte d’Ansemond qui le plaçait sous la tutelle permanente des évêques de Vienne3.

4 Pour certains érudits, Ansemond et sa femme fondent donc Saint-Pierre, puis Saint- André-le-Bas dont Remille devient abbesse, tandis qu’Eubone dirige Saint-André-le- Haut, établi auparavant par saint Léonien. Ces auteurs suivent en cela la Chronique d’Adon, rédigée vers 870, qui qualifie au passage Ansemond de duc4. Au début du VIe siècle, Vienne accueillerait ainsi trois établissements réguliers, deux féminins et un masculin, contrôlés par une seule et même famille. D’autres historiens de Vienne pensent que la charte d’Ansemond prévoit simplement la construction de Saint-André- le-Haut5. Tous s’accordent sur la fiabilité globale du document, dans la mesure où Louis le Pieux le confirme au début du IXe siècle.

5 Beate Schilling a reconsidéré cette hypothèse de départ. Selon elle, la donation d’Ansemond est un faux fabriqué par Adon ou son entourage à partir d’un acte authentique. Donné à la fin du Ve siècle ou du début du siècle suivant et non en 543, celui-ci ne concerne que Saint-André-le-Haut, monastère féminin qui reste à construire à l’intérieur de l’enceinte réduite. En 831, l’archevêque Barnard présente cette donation authentique à Louis le Pieux pour rétablir ses droits sur un autre monastère, dédié lui aussi à André, mais de construction plus tardive, Saint-André-le-Bas6.

Saint Léonien et la fondation de Saint-André-le-Haut

6 Selon la Vie de saint Oyend, Léonien est un captif originaire de Pannonie. Cette assertion s’inspire de la Vie de saint Martin racontant la capture de l’apôtre de la Gaule dans cette région. Sa valeur historique paraît donc douteuse. La suite du récit, en revanche, ne pose pas de problème de fiabilité. L’hagiographe explique que Léonien est un proche de l’abbé de Condat Oyend (mort vers 518), auquel il offre un scapulaire. Il vit d’abord en reclus à Autun puis s’installe à Vienne dans une cellula, d’où il dirige à la fois une petite communauté masculine et un monasterium, situé à l’intérieur de la ville, comptant plus de soixante moniales7. Ce récit atteste l’historicité de Léonien et ses liens avec le monachisme jurassien.

7 Son épitaphe, gravée au Xe siècle sur un sarcophage du VIe siècle, n’apporte pas d’élément supplémentaire, car elle reprend presque point par point le texte de la Vie de saint Oyend. Elle insiste sur les origines danubiennes du défunt pour établir la comparaison avec Martin8. Un autre récit, la Vie de saint Léonien rédigée vers 1240, fournit au contraire une foule d’informations. D’après ce texte, Léonien naît à Vienne de parents nobles, devient ermite puis se fait moine à Saint-Marcel, abbaye détruite depuis par les Goths. Le même document précise que son corps repose à Saint-Pierre de Vienne9.

8 Ce dossier redondant et parfois contradictoire montre que Léonien, né probablement vers 450, entame sa carrière de reclus à Autun mais ne reste pas dans la cité, peut-être en raison de sa trop grande rigueur. Il se rend à Vienne à la fin du Ve siècle ou au début du VIe siècle et fonde un ermitage dans les zones de collines proches des remparts. Sa présence attire des disciples qui organisent autour de sa cellule un petit monastère placé sous son autorité. Il ne faut pas identifier cette première communauté avec Saint- Pierre, malgré la présence de l’épitaphe de Léonien dans l’église à compter du Xe siècle. Cet édifice, en effet, ne devient un monastère que vers 550. Le premier monastère de Vienne correspond plus probablement à l’église citée sous le vocable de Saint-Marcel

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dans un diplôme de la fin du IXe siècle. Celle-ci se trouve au pied de la première enceinte du Haut-Empire, donc forcément hors de la ville, à proximité de la route de Grenoble. Cette localisation, qui correspond aux descriptions de la Vie de saint Oyend et de la Vie de saint Léonien, semble adaptée pour un ermitage, puisqu’à la fois éloignée de la ville et au contact d’une voie de passage.

9 Fort de son succès, Léonien élabore une règle qui prend son nom et fonde un monastère féminin. Ansemond joue probablement un rôle important dans cet épisode. Sa correspondance avec Avit dessine en effet le portrait d’un aristocrate proche à la fois du pouvoir burgonde et des milieux épiscopaux10. De plus, sa sœur ou belle-sœur Eubone obtient l’abbatiat du nouvel établissement, tandis que sa fille Remille, certainement très jeune, devient moniale sous l’autorité de sa tante. Ces éléments font penser à une fondation familiale qui pourrait correspondre à l’église Sainte-Blandine, attestée au IXe siècle à environ 200 mètres au nord de Saint-Marcel, à l’est de la colline de Pipet, mais à l’intérieur de l’enceinte du Haut-Empire. Ce monastère périclite sans doute assez rapidement puisque la Vie de saint Oyend ne connaît qu’une seule communauté féminine au début du VIe siècle, qu’elle localise loin de la cellule de Léonien, mais à l’intérieur de Vienne, soit à l’abri de l’enceinte tardive.

10 Cette description correspond à Saint-André-le-Haut. La charte authentique dont s’inspire la fausse donation d’Ansemond montre qu’il s’agit d’une seconde fondation familiale, destinée cette fois-ci à promouvoir Remille. Saint-André prospère sans doute rapidement sous la règle de Léonien à en croire les chiffres de la Vie de saint Oyend. Le monastère bénéficie peut-être aussi d’un transfert de moniales, ce qui expliquerait le déclin rapide de la première abbaye féminine, confiée à Eubone. Plusieurs épitaphes conservées à Saint-Pierre confirment d’ailleurs l’existence de moniales à Vienne au plus tard au tout début du VIe siècle. Celle d’Ananthailde, décédée en 508-509, contient peu d’informations spécifiques11. En revanche, celle de Celsa, morte le 4 mars 518, décrit une femme qui choisit le célibat par vocation chrétienne et dispose de son vivant d’une autorité, présentée d’ailleurs comme un signe d’humilité, sur des compagnes qui l’entourent12. Il s’agit sans aucun doute d’une supérieure, peut-être une des premières abbesses de Saint-André-le-Haut. En effet, Celsa et Ananthailde pourraient provenir de cet établissement situé à l’intérieur de l’enceinte réduite de Vienne et par conséquent privé de fonction funéraire en raison d’une application stricte du droit romain.

L’évolution de Saint-André-le-Haut jusqu’au début du XIe siècle

11 La Vie de saint Clair (BHL 1825) présente un tableau du monachisme viennois au milieu du VIIe siècle. Selon ce récit, le monasterium Saint-André-le-Haut compte alors cent pensionnaires13. Il faut rejeter cette assertion fantaisiste, car ce récit, élaboré au plus tôt à la fin du Xe siècle, constitue un programme de réforme monastique et non une description fidèle de la situation à l’époque mérovingienne. En conséquence, il faut admettre que l’histoire de Saint-André-le-Haut échappe à toute analyse jusqu’en 815. À cette date, Louis le Pieux restitue ce qui n’est plus qu’une cellula à l’archevêque Barnard (810-842)14. L’établissement échappe pourtant à la tutelle archiépiscopale avant le 28 octobre 875. Charles le Chauve confirme alors avoir procédé à un échange avec l’ abbatia, désormais sous le contrôle de Boson, beau-frère du roi et comte de Vienne15. Celui-ci en conserve certainement la jouissance pendant son règne (878-881), puis la transmet à son fils Louis (890-927).

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12 La tradition prétend que l’abbaye souffre ensuite des déprédations hongroises. Il faut rejeter cette légende, car aucune source ne porte la trace d’un tel événement. De plus, Saint-André-le-Haut est un établissement modeste et difficilement accessible, ce qui rendrait tout assaut assez illogique. Il reste sans aucun doute soumis à l’autorité royale jusqu’en août 1031. Rodolphe III (993-1032) et son épouse Ermengarde installent alors des moniales de Saint-Césaire d’Arles dans le monasterium, sur le conseil de l’évêque Mallen de Grenoble et de l’abbé Odilon de Cluny. Ils restaurent à cette occasion le temporel de l’établissement, lui accordent l’immunité et le soumettent aux archevêques de Vienne16.

Étude archéologique : Saint-André-le-Haut, une fondation de l’Antiquité tardive (A. Baud et A. Flammin)

13 Le site de l’abbaye des moniales de Saint-André-le-Haut se développe à flanc de colline entre la rivière de la Gère au nord et la colline de Pipet au sud. Celle-ci, entièrement aménagée à l’époque romaine par une série de cinq terrasses où passent les aqueducs17, présente en son sommet un ou plusieurs temples. Au sud-ouest de l’abbatiale, se trouve également le théâtre antique qui s’adosse contre le flanc de la colline. Cette topographie urbaine contraint le monastère à s’établir sur les deux dernières terrasses que l’on peut supposer correspondre à l’emplacement du courtil d’Ansémond. Au VIe siècle, ce lieu en périphérie du centre urbain, mais à proximité de bâtiments monumentaux et édilitaires, est, à l’instar des grandes villes antiques, un emplacement disponible, propre à accueillir de nouveaux édifices et des jardins.

14 En 1753, selon C. Charvet, « les dames de l’abbaye » découvrent, lors de la restauration du mur de l’enclos, des blocs d’architecture en marbre, des sculptures et une inscription, aujourd’hui perdue, d’un temple de Mars18. Celle-ci confirme dès lors aux yeux des historiens des XIXe et XXe siècles la charte de fondation de l’abbaye au lieu-dit de Mars.

15 Le premier édifice que l’on peut rattacher au premier monastère a été retrouvé au centre de l’église actuelle (fig. 2).

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Fig. 2 – Emplacement des vestiges tardo-antique dans l’abbatiale et le cloître

Dessin équipe de fouille

16 Il a été construit sur la quatrième terrasse depuis Pipet. Orienté et de modestes dimensions, il est très précisément établi sur un niveau remblayé compensant une large fosse creusée dans les remblais antiques contre le mur nord du deuxième aqueduc retrouvé en fouille. Ce remblai, comportant du mobilier céramique du Ve siècle, s’étend jusqu’au mur de terrasse nord et correspondrait au nivellement précédant la fondation du monastère. Ce petit édifice, daté de l’Antiquité tardive ou du haut Moyen Âge, n’est actuellement que partiellement fouillé19 : seul le chevet a été dégagé au cours des dernières campagnes. L’abside, très légèrement trapézoïdale et relativement profonde, est inscrite dans un mur droit de 2,50 m de long. Les murs latéraux sont inégalement conservés : le mur sud est préservé sur sa longueur totale, soit 2,80 m, tandis que celui du nord, excepté le bloc d’angle qui verrouille le regard d’un des aqueducs, est détruit (fig. 3).

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Fig. 3 – Petit édifice VIe-VIIe siècle. Plan du chevet

Dessin équipe de fouille

17 L’ensemble des matériaux utilisés dans la construction provient de remplois antiques. Les angles du chevet sont renforcés par deux blocs de coin et les murs sont édifiés en moellons calcaires, débités grossièrement et soigneusement maçonnés en assises régulières. Celles-ci sont largement jointoyées avec un mortier argileux structuré de fragment de terre cuite. Le parement extérieur du mur oriental est recouvert d’un badigeon blanc, alors que l’intérieur de l’abside est protégé par un enduit de chaux lié au mur par un mortier de tuileau (fig. 4).

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Fig. 4 – Petit édifice VIe-VIIe siècle. Vue du chevet

Cl. équipe de fouille

18 Deux grandes dalles provenant des sites antiques voisins forment le sol intérieur du chevet. Nos hésitations portent encore sur la nature du remploi, notamment à l’est, où la première dalle (2,10 m x 1,13 m) adopte imparfaitement la courbe absidale : s’agit-il d’un orthostate du théâtre antique très proche et retaillé in situ ? Sa limite occidentale correspond à l’épaulement de l’abside. La seconde dalle, de même largeur, est amputée sur sa longueur, sans doute lors de la destruction du monument, de telle sorte qu’elle ne mesure que 0,63 m de long. Elle est placée à la suite de la première et constitue une sorte de chœur avancé dans la nef. La dalle orientale est chanfreinée : la partie biseautée était peinte en rouge comme en témoignent encore des traces de pigments. Deux cavités de faible profondeur, aménagées en surface du sol dans l’axe de l’abside, suggèrent l’installation de mobiliers liturgiques : la première placée au centre de l’abside a pu servir au pied d’un reliquaire et le second, situé en avant, pourrait correspondre à l’emplacement d’un autel (fig. 5).

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Fig. 5 – Petit édifice VIe-VIIe siècle. Vue du chevet, détail

Trou ménagé in situ dans la dalle de la travée de chœur afin d’accueillir un support de table d’autel (?). Cl. équipe de fouille

19 L’ignorance complète du plan et des limites de la nef interdit aujourd’hui d’aller plus loin dans la restitution des espaces liturgiques de l’édifice. Néanmoins, à l’ouest, le dégagement des dernières inhumations, appartenant au cimetière paroissial de l’église dans son état moderne, laisse apparaître un niveau de destruction provenant de l’édifice. Il est possible que ce niveau masque des vestiges subsistants de la nef. De même, au nord de l’édifice, sur la terrasse inférieure qui correspond à l’angle de la galerie sud-est du cloître médiéval, un autre niveau de destruction, comprenant de nombreux lapidaires mêlés à de la céramique médiévale, atteste de la démolition au cours du XIe siècle d’un bâtiment tardo-antique. Si, dans l’état actuel des recherches, nous ne pouvons établir avec certitude que ce remblai provienne du petit édifice à abside, il correspond néanmoins à la destruction d’un bâtiment qui lui est contemporain.

20 L’interprétation de l’édifice est plus délicate, mais trouve une série d’éclaircissements dans les quelques rares comparaisons possibles et dans les aménagements ultérieurs. Cela ne peut être l’église abbatiale en raison de ses dimensions. Son plan le rattache à de petits monuments tels qu’un mausolée ou plus vraisemblablement une chapelle. L’attention particulière dont cet édifice fait l’objet quelques siècles plus tard, incite à penser qu’il accueille un corps saint ou des reliques. On peut citer la chapelle d’Asterius à Carthage, datée du Ve ou VIe siècle20, ou encore la chapelle Saint-Pierre-et-Paul de Meinier en Suisse, édifiée entre le VIe et le VIIe siècle21, et, enfin, l’abside empâtée de l’enclos de Saint-Césaire d’Arles, datée de la même période22. La « chapelle » est probablement abandonnée et ruinée au cours de l’époque carolingienne comme semble l’indiquer le résultat des recherches archéologiques. Il existe, en effet, un hiatus dans l’occupation du site entre la fin de l’Antiquité et l’an Mil23, sachant toutefois que nous raisonnons uniquement sur le secteur fouillé. Mais rappelons que c’est également durant cette période que le diplôme de Louis le Pieux cite le monastère sous le terme de

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cellula. Certes, on ne connaît guère la réalité des faits : qu’en est-il de l’occupation des lieux durant cette période ? Que doit-on entendre par le terme cellula ?

21 L’édifice ruiné semble connaître un regain d’intérêt pendant une courte période à la fin du Xe ou au début du XIe siècle. Un cimetière, en effet, s’implante sur l’édifice et ses abords. Bien que nous n’ayons pas ses limites, l’organisation des sépultures met en évidence la forte attraction qu’exercent les ruines de l’édifice, plaidant ainsi en faveur d’une ancienne chapelle funéraire (fig. 6).

Fig. 6 – Sépultures (fin du Xe-début XIe siècle) sur le petit édifice ruiné

Dessin équipe de fouille

22 L’abandon du cimetière semblerait correspondre à l’arrivée des moniales de Saint- Césaire d’Arles. Le site est alors réaménagé, mais sans que l’on puisse encore proposer une hypothèse satisfaisante : de fortes maçonneries (fondations de mur ?) sont placées de part et d’autre de la petite abside, alors qu’un sol, sans doute un plancher sur piquets, est installé devant les grandes dalles du sanctuaire. Cette mise en valeur de l’ancien édifice, probablement effectuée à l’initiative des moniales, est de faible durée. Pour des raisons que l’on ignore, mais sans doute liées aux nécessités de la vie liturgique et conventuelle, les ruines de la chapelle sont entièrement remblayées. Un nouveau projet se traduit alors par la construction d’une église à nef unique s’achevant à l’est par une abside élevée au-dessus d’une crypte. Celle-ci se trouve très précisément au même niveau et dans l’axe de l’ancienne chapelle. La nouvelle crypte et les reliques qui y sont déposées hériteraient alors de la fonction mémorielle de la chapelle funéraire qui n’a pu être conservée (fig. 7).

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Fig. 7 – Plan de l’église abbatiale, XIe siècle

Dessin G. Charpentier

23 Cette crypte, non renseignée par les textes et mise au jour au cours des fouilles, est de très petites dimensions. Accessible uniquement par un escalier droit placé au sud de la nef, elle était très probablement réservée à la dévotion privée des moniales : on peut restituer deux lieux destinés à l’exposition des reliques. Le premier correspond à l’absidiole construite très précisément dans l’axe de l’abside de la première chapelle (fig. 8) ; fermée par une barrière d’après les négatifs conservés au sol, elle était probablement précédée par une table d’autel.

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Fig. 8 – Église abbatiale du XIe siècle construite dans l’axe du petit édifice

Cl. équipe de fouille

24 Le deuxième espace était situé au nord, à l’opposé de l’escalier, et devait être accessible, selon notre hypothèse, depuis une fenestella ouverte sur la nef (fig. 9).

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Fig. 9 – Restitution de la crypte, XIe siècle

Dessin G. Charpentier

25 Si les traces du premier monastère des moniales de Saint-André-le-Haut restent modestes, l’archéologie a cependant montré que le site accueillait dès les VIe-VIIe siècle la construction d’une chapelle funéraire, que l’on peut rattacher à la fondation d’Ansemond ou tout du moins au premier développement de l’abbaye. Cet édifice reçoit la sépulture ou les reliques d’un personnage considéré comme suffisamment saint pour que la mémoire du lieu franchisse les siècles, au-delà de l’abandon de la chapelle. Celle- ci, élevée en milieu extérieur, ne devait pas être très éloignée des bâtiments destinés aux moniales, mais aucune structure ne peut être attribuée actuellement de manière certaine à un édifice conventuel ou à l’église abbatiale.

26 La poursuite des recherches sur le site s’avère aujourd’hui essentielle afin de mieux cerner l’organisation de l’espace monastique à Saint-André-le-Haut, depuis l’Antiquité jusqu’au XIe siècle. Dans cette perspective, la confrontation des sources écrites avec les données issues des fouilles paraît d’autant plus pertinente que les textes et l’archéologie se répondent presque strictement d’un point de vue chronologique. En outre, elle semble utile pour cerner la configuration et les usages des lieux conventuels du haut Moyen Âge. Le site de Saint-André-le-Haut met d’autant plus en évidence la méconnaissance quasi absolue de ces aspects qu’il s’agit d’une abbaye féminine.

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NOTES

1. La fouille est placée sous la codirection d’A. Baud, M. Zannettacci (Service archéologique de la ville de Vienne) et, depuis 2011, d’A. Flammin (CNRS). 2. Donation d’Ansémond (543), éd. J. MABILLON, De re diplomatica, 6, Paris, 1709, n° 3, p. 463. Sur les différentes versions et la transmission de ce texte, voir P. AMORY, « The textual transmission of the Donatio Ansemundi », Francia 20-1 (1993), p. 163-183. 3. Diplôme de Louis le Pieux (3 mars 831), éd. PL, 104, col. 1194. 4. Sancti Adonis Viennensis Chronicon in sex aetatis divisum, éd. PL, 123, col. 111b et 111c. Alain Dubreucq et Nathanaël Nimmegeers préparent une édition critique de ce texte. 5. Voir la mise au point historiographique dans F. DESCOMBES, Topographie chrétienne des cités de la Gaule, t. 3, Paris, 1986, p. 27. 6. P. AMORY, « The textual transmission » ; B. SCHILLING, « Ansemundus dux, das Ende des Burgunderreichs und der Senat von Vienne », Archiv für Diplomatik, 46 (2000), p. 1-45. 7. Vie de saint Oyend, éd. et trad. F. MARTINES, Vie des pères du Jura, Paris, 2004, p. 376-379. 8. Corpus des inscriptions de la France médiévale, éd. R. FAVREAU (dir.), Paris, 1990, t. 15, n° 130, p. 132-134. 9. Vie de saint Léonien, éd. J. VAN DER STRAETEN, « Vie arrageoise de saint Léonien, abbé de Vienne en Dauphiné », Analecta Bollandiana, 90 (1972), p. 134-135. 10. Aviti Epistulae, dans Alcimi Ecdicii Aviti Viennensis episcopi epistulae homiliae carmina, éd. R. PEIPER, MGH, AA, 6-2, Berlin, 1883, n° 55, p. 83-84 (490-518) ; n° 80, p. 93-94 (490-518) ; n° 81, p. 94 (490-518). 11. Recueil des inscriptions chrétiennes de la Gaule antérieures à la renaissance carolingienne, t. 15 (Viennoise du Nord), éd. F. DESCOMBES, Paris, 1985, n° 78 (508-509). 12. Recueil des inscriptions chrétiennes…, ibid., n° 82, p. 351-356. 13. Vie de saint Clair, AS, janvier, 1, 1643, p. 55. Pour la datation de ce texte, voir N. NIMMEGEERS, Évêques entre Bourgogne et Provence. La province ecclésiastique de Vienne au haut Moyen Âge (Ve-XIe siècle), Rennes, 2014, p. 255-257. 14. Diplôme de Louis le Pieux (19 janvier 815), éd. E. B ALUZE, Capitularia, 2, Paris, 1677, 2, col. 1404-1405. 15. Recueil des actes de Charles II le Chauve, éd. G. TEISSIER, Paris, 1952, 2, n° 386, p. 365-366 (entre le 9 septembre 869 et le 28 octobre 875). 16. Diplôme de Rodolphe III (25 août 1031), éd. T. SCHIEFFER, MGH, DD Burg., Munich, 1977, n° 125, p. 298-300. 17. Si plusieurs tronçons ont été reconnus durant le XIXe siècle à l’est de l’abbaye, les fouilles ont mis en évidence deux aqueducs et une terrasse antique. 18. C. CHARVET, Mémoire pour servir à l’histoire de l’abbaye royale de Saint-André-le-haute de Vienne, 1769, éd. P. Allut, Lyon, 1868. 19. La partie occidentale de l’édifice a été largement perturbée par le cimetière moderne et paroissial de Saint-André-le-Haut. La fouille des sépultures a considérablement ralenti la progression du dégagement des éventuelles structures conservées. 20. N. DUVAL et A. LÉZINE, « La chapelle funéraire souterraine dite d’Asterius à Carthage », Mélanges d’archéologie et d’histoire, 71 (1959), p. 215-310. 21. J. TERRIER, « Meinier. Les fouilles archéologiques de l’église Saints-Pierre-et-Paul », Genava, 52 (2004), p. 215-310. 22. J. GUYON et M. HEIJMANS, L’Antiquité tardive en Provence, IVe-VIe siècle : naissance d’une chrétienté, Arles, 2013.

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23. Il semblerait que le lieu ne soit pas occupé avant l’an Mil, mais il reste à vérifier que l’église du XIe siècle ne reprend pas des fondations plus anciennes.

AUTEURS

ANNE BAUD Université Lyon 2, UMR ArAr 5138

NATHANAËL NIMMEGEERS CIHAM, UMR 5648

ANNE FLAMMIN CNRS, UMR ArAr 5138

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Von der villa Paterniaca zur aecclesiae sanctae Mariae Paternensis. Die Abbatiale von Payerne und ihre Vorgängerbauten im Spiegel der Schriftquellen des ersten Jahrtausend – eine Annäherung1

Guido Faccani

Einleitung

1 Die durch akute statische Probleme substantiell gefährdete Abbatiale von Payerne wird derzeit Sicherungsmassnahmen unterzogen (fig. 1 und 2).

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Fig. 1 – Die Abbatiale von Payerne vor der laufenden Restaurierung (Zustand 2011). Blick gegen Osten

Bild : G. Faccani

Fig. 2 – Die Abbatiale von Payerne im aktuellen Zustand 2016. Blick gegen Osten

Bild : G. Faccani

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2 Gleichzeitig finden archäologische Untersuchungen im Boden und am aufgehenden Mauerwerk statt2. Sie konnten die Baugeschichte nicht nur in verschiedenen Punkten erhellen, sondern förderten auch neue Erkenntnisse und Indizien für genauere Erklärungen der Bauentwicklung zutage. Diese Forschungen werden im Folgenden nicht in die Überlegungen miteinbezogen, um weder der im Gange befindlichen Aufarbeitung noch den laufenden Abklärungen am aufgehenden Mauerwerk vorzugreifen. Somit liegt den folgenden Ausführungen der Wissenstand vor Beginn der Feldarbeiten im Februar 2015 zugrunde3.

3 Die im Zentrum der Stadt Payerne auf einer kleinen Erhebung stehende Kirche ist seit gut 200 Jahren Objekt archäologischer Forschung (fig. 3).

Fig. 3 – Payerne

Blau : Broye. Hellgrün : mittelalterliche Stadtfläche. Dunkelgrün : Erhebung im Zentrum der Stadt. Rot : Kirchen – unten links Katholische Kirche, Mitte Abbatiale mit Kreuzgang, rechts reformierte Pfarrkirche. Norden oben Bild : GIS-VD und G. Faccani

4 Unter Offizier François-Rodolphe de Dompierre (1775-1844) fanden 1817 und 1818 erste Ausgrabungen statt, die schriftlich und zeichnerisch dokumentiert wurden – eine der ersten Kirchenausgrabungen in der Schweiz dieser Art überhaupt. Systematische Boden- und Bauforschung führten die Architekten Louis Bosset (1880-1950) und Pierre Margot (1922-2011) zwischen 1920 und 1963 durch.

Zu den Ursprüngen des Ortes Payerne

5 Der Norden des Kantons Waadt am Flüsschen Broye gelegene Ort Payerne befindet sich in uraltem Kulturland und nahe von historischen Fernverkehrsachsen, die von Norden

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(Rhein) und Osten (Bodensee) nach dem Rhonetal und dem Wallis führten. In römischer Zeit entstand der Zentralort Aventicum, heute Avenches, 10 km östlich von Payerne, über bzw. nahe von älteren Siedlungen4. Aventicum beeinflusste die Entwicklung der Region in römischer Zeit massgeblich und verlor erst im Lauf des Frühmittalters seine Bedeutung5. So ist z.B. in Avenches, das im 6. Jahrhundert Bischofssitz war, die Tätigkeit eines Monetars nachgewiesen, der Goldsolidi prägte6.

6 Der heutige Ortsname Payerne hat seine Wurzeln in römischer Zeit. In der Südmauer der Chapelle de Grailly der Abbatiale ist auf der Innenseite ein Inschriftstein verbaut, dessen oberer Abschluss fehlt, der Text also unvollständig ist : « […] / P(VBLIVS) GRACCIVS / PATERNVS / T(ESTAMENTO P(ONI) I(VSSIT) / SCRIBONIA / LVCANA / H(ERES) F(ACIENDVM) C(VRAVIT) » (fig. 4 und fig. 8/T1).

Fig. 4 – Die Paternus-Inschrift aus der Abbatiale

Bild : Guido Faccani

7 Das vom Gentilnamen Paternius abgeleitete Cognomen lebte weiter 7, was das nächste, mehrere Jahrhunderte jüngere Textstück belegt. In einem Diplom von Kaiser Otto II. erscheint im Jahr 973 erstmals der Ortsname Paterniacum (siehe fig. 8/T4), aus dem das heutige Payerne, zu Deutsch Peterlingen, hervorging.

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Zur Baugeschichte der mittelalterlichen Kirchen von Payerne

Römischer Gebäudekomplex

8 Die ältesten bislang in Payerne nachgewiesenen Gebäudereste traten bei den Ausgrabungen von Pierre Margot in den 1950er Jahren unter der Abbatiale zutage (fig. 5)8.

Fig. 5 – Der römische Gebäudekomplex im Bereich der Abbatiale

Plan : Archéotech, G. Faccani

9 Es handelt sich um einen Gebäudekomplex, dessen freigelegte Abschnitte anhand des Mauercharakters und weniger Funde in die mittlere Kaiserzeit datiert werden können. Ein Umbau sowie ein das Gebäude erfassender Brand sind nachgewiesen. Die Ausdehnung ist nicht abschliessend geklärt, doch könnte sich der Gebäudekomplex wesentlich weiter nach Osten ausgedehnt haben, wo die Pfarrkirche steht. Deren Untergrund ist im Gegensatz zur Abbatiale kaum erforscht9. Aber schon jetzt ist deutlich zu erkennen, dass die Pfarrkirche gleich ausgerichtet ist wie die römischen Mauern (vgl. fig. 9).

Dreischiffiger Bau

10 Nach dem Abbruch des römischen Gebäudekomplexes erfolgte das Errichten einer dreischiffigen ostwestlich gerichteten Architektur (fig. 6)10.

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Fig. 6 – Die dreischiffige Architektur (rot) mit den beiden Anbauten (orange, gelb) im Westen

Plan : Archéotech, G. Faccani

11 Auffällig bei diesem Vorgang ist, dass der Raster der römischen Anlage nicht mehr beibehalten wurde. Der östliche Abschluss des Neubaus ist zerstört, Mauerstümpfe weisen aber darauf hin, dass Annexe nach Norden und Süden abgingen. Bodenniveaus im Innern sind durch spätere Eingriffe beseitigt worden, einzig bei der Südwestecke blieb auf kleiner Fläche das Aussenniveau erhalten. Im Westen der dreischiffigen Architektur kamen zwei Anbauten zu stehen, von denen der ältere aufgrund zweier wohl zugehöriger Pfeilerfundament gedeckt war, während der jüngere auch als Atrium rekonstruiert werden kann.

12 Funktionsbestimmung und Datierung des dreischiffigen Baus sind nach wie vor ungewiss. Zwar wird man ihn kaum anders als Kirche deuten wollen – aber es fehlen ausser dem Grundrisstyp, der kirchlich interpretiert werden kann, direkte Indizien. Zur Zeitspanne der Errichtung ist lediglich zu vermerken, dass sie zwischen das Entstehen der undatierten Umbauten in der römischen Anlage und dem zeitlich schlecht fassbaren Baubeginn der heutigen Kirche – ausgehendes 10. oder erste Hälfte 11. Jahrhundert, nicht aber später – eingrenzbar ist. Wahrlich keine erfreuliche Ausgangslage für weitere Überlegungen.

Heutige Kirche

13 Die dreischiffige Architektur ersetzte man schrittweise und das Projekt mehrfach ändernd durch einen Neubau (fig. 7), der in der heutigen Kirche grossmehrheitlich erhalten ist.

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Fig. 7 – Die Abbatiale (ohne Kreuzgang) im 11./frühen 12. Jahrhundert

Violett : gotische Eingriffe Plan : Archéotech, G. Faccani

14 Den Abschluss der Arbeiten bilden Staffelchor und Transept sowie das östlichste Joch des Schiffs. Mit letzterem wurde ein Langhaus vorbereitet, das hätte breiter werden und das ältere ersetzen sollen, wozu es aber nicht mehr kam.

Kirchliche Architektur in den Quellen

Villa Paterniaca und templum sancte Marie genitricis Domini – 6. Jahrhundert

15 Die erste Nennung eines Gotteshauses in Payerne stammt aus der Zeit des Bischofs Marius, der in der zweiten Hälfte des 6. Jahrhunderts wohl den Bischofssitz von Avenches nach Lausanne verlegte, wenn dies nicht erst unter seinem Nachfolger geschah. Ein spätmittelalterliches Kartular der Kathedrale von Lausanne überliefert, dass am 24. Juni 587 « […] Marius episcopus in honore sancte Marie genitricis Domini templum […] » in der villa Paterniaca weihte. Die Nennung des der Gottesmutter Maria geweihten templum ist von zwei Problemen behaftet (fig. 8/T2).

Fig. 8 – Nennungen von Payerne und der Payerner Kirchen für die Zeit des 1. Jahrtausends

Nr. Text Quelle Datierung Ereignis Datierung Quelle

Inschriftstein […] / P(VBLIVS) GRACCIVS / (verbaut in PATERNVS / T(ESTAMENTO P(ONI) T111 Südmauer der vorvespasianisch(?) vorvespasianisch(?) I(VSSIT) / SCRIBONIA / LVCANA / Chapelle de H(ERES) F(ACIENDVM) C(VRAVIT) Grailly)

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« […] Marius episcopus in honore sancte Marie genitricis Kartular der T212 Domini templum et villam Kathedrale 587, 24. Juni 13. Jh. Paterniacam in solo construxit Lausanne proprio dedicavitque […]. »

Urkunde von « […] aecclesiae sanctae Mariae T313 Konrad, König 961 961 Paterniensis […]. » von Burgund

« […] sanctae aecclesiae semper Diplom von T414 virginis Mariae quae sita est 973 973 Kaiser Otto II. Paterniaco […]. »

« […] Paterniacensi Diplom von T515 983 983 monasterium […]. » Kaiser Otto II.

16 Zum einen stammt die Quelle, das Kartular selbst, aus dem 13. Jahrhundert, es nennt aber ein Ereignis des Jahres 587. Weitere oder gar früher entstandene Belege dafür gibt es nicht. Damit ist für den verwendeten terminus keineswegs sicher, ob der Schreiber einen Text des 6. Jahrhunderts exakt zitiert oder er dem Stil des 13. Jahrhundert entspricht16. Zum anderen kann der Standort des genannten templum zwar innerhalb der ebenfalls genannten villa Paterniaca wahrscheinlich (fig. 9), aber nicht ‹dingfest› gemacht werden, denn es fehlen deren gesamte Ausdehung sowie ein Kirchenbau, der in diese Zeit zu datieren wäre.

Fig. 9 – Rekonstruktionsversuch des römischen Gebäudekomplexes

Dunkelbraun : erhalten. Hellbraun : rekonstruiert. Rote Zone : Ergrabene Mauern unbekannter Zeitstellung (Standort des templum von Bischof Marius ?). Plan : Archéotech, G. Faccani

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17 Allein das Konsekrationsdatum, der 24. Juni, gibt einen deutlichen Hinweis : Es entspricht dem Datum der Kirchweihe der Pfarrkirche. Daraus darf vorläufig gefolgert werden, dass das templum einen Sakralbau oder einen Raum innerhalb der villa Paterniaca bzw. unter der Pfarrkirche bezeichnet, der aber erst noch archäologisch zu ergraben ist.

Aecclesia und monasterium – 10. Jahrhundert

18 Nach 587 schweigen die Schriftquellen über Payerne wie auch über die Abbatiale selbst. Beinahe etwas unvermittelt erscheint deshalb das neuerliche Auftauchen von Payerne in gleich mehreren Quellen knapp 400 Jahre später bzw. der zweiten Hälfte des 10. Jahrhunderts.

19 Zwar darf aus den Schriftquellen geschlossen werden, dass um 960 bereits ein Kanonikerstift in Payerne bestand und Cluny damit noch vor dem Jahr 973 vom burgundischen Königshaus damit beschenkt wurde17. Die Stiftskirche wurde im Jahr 961 als aecclesia bezeichnet (fig. 8/T3). Doch welcher Bau damit identifiziert werden muss – die dreischiffige Architektur (fig. 6) oder das unter der Pfarrkirche vermutete templum – wissen wir nicht.

20 Mit der 973 fassbaren aecclesia ist die Kirche des durch das Burgundische Königshaus kurz zuvor an Cluny geschenkten Klosters gemeint, was aus dem in Lausanner Staatsarchiv aufbewahrten Diplom von Kaiser Ott II. hervorgeht (fig. 8/T3). Mit der aecclesia dürfte die auf dem römischen Gebäudekomplex stehende dreischiffige Architektur zu identifizieren sein. Diese Interpretation wird zwar unterstützt durch die oben angeführte Schlussfolgerung, dass das templum des 6. Jahrhunderts letztlich ein Vorgänger der Pfarrkirche ist und nicht der Abbatiale. Doch sie sagt bezogen auf die Datierung der dreischiffigen Architektur nur aus, dass sie 973 schon bestand – das Baudatum ist jedoch keinesfalls eruiert.

21 Das monasterium schliesslich, das in der Quelle von 983 vorkommt (fig. 8/T5), stimmt dann mit dem Cluniazenserkonvent überein, der bis in die zweite Hälfte des 11. Jahrhunderts direkt den Äbten von Cluny unterstand. Während bezüglich der Identifikation der Kirche des monasterium die gleichen Annahmen wie für die 973 erwähnte aecclesia gelten, sind für die zugehörigen Konventbauten überhaupt keine Aussagen möglich, da solche des 1. Jahrtausends durch die bisherigen Forschungen nicht bekannt wurden.

Schluss

22 Payerne ist ein hervorragendes Beispiel um die Schwierigkeiten aufzuzeigen, welche das Zusammenführen von Schriftquellen mit unzureichend datierten archäologischem Bestand bereiten kann. Im Zuge der laufenden Untersuchungen ist es Pflicht der Forscher, die früher angedachten, zum Teil suggestiven Schemen aufzubrechen und neu zu überdenken. Die Hauptaufgabe, die es dabei zu erfüllen gilt, ist die klare und nachvollziehbare Trennung zwischen materiellen Überresten und architektonsichen Rekonstruktion, das Ausweisen der historischen Grundlagen im Original- bzw. Überlieferungskontext und der daraus ableitbaren Güte der Datierungen.

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NOTES

1. Das am 5. September 2014 in Baume-les-Messieurs gehaltene Referat trug den Titel « De la villa Paterniaca à l’aecclesiae sanctae Mariae Paternensis – le cas de Payerne ». 2. Wissenschaftlicher Forschungsleiter : Guido Faccani. Örtliche Leitung der Bodenforschung : Clément Hervé in Zusammenarbeit mit Mathias Glaus und Lucie Steiner. Örtliche Leitung der Bauforschung : Guido Faccani in Zusammenarbeit mit Mathias Glaus. 3. Dazu : G. FACCANI, « Payerne VD, Abbatiale. Kapitelsaal und Marienkapelle – Stand der Forschung », Bucema, Hors-série n° 6, 2013 [en ligne : http://cem.revues.org/12907]. Hier auch weiterführende, im Folgenden nicht zitierte Literatur. 4. Zu Avenches siehe : D. CASTELLA (éd.), Aventicum. Une capitale romaine, Avenches 2015. 5. Siehe auch : G. FACCANI, « Tempel, Kirche, Friedhof und Holzgebäude – bauliche Kontinuität zwischen dem 1. und 16./17. Jh. bei Grange-des-Dîmes in Avenches ? Avec une contribution de Philippe Bridel », Bulletin de l’Association Pro Aventico, 46 (2004), S. 7-65 ; J. FAVROD, Histoire politique du royaume burgonde (443-534), Lausanne, 1997 (Bibliothèque historique vaudoise, 113). 6. R. WINDLER, « Vom Solidus zum Denar – Münzprägung an der Schwelle zwischen Antike und Mittelalter », in R. WINDLER, R. MARTI, U. NIFFELER und L. STEINER (Hrsg.), Frühmittelalter, Die Schweiz vom Paläolithikum bis zum frühen Mittelalter, Band 6, Basel 2005, S. 347-351. 7. E. PELICHET, « La “villa Paterniaca” », in L’abbatiale de Payerne, préf. de C. MARTIN, Lausanne, 1966 (Bibliothèque historique vaudoise, 39), S. 51-64, hier 54. 8. Dazu vorerst : E. PELICHET, « La “villa… », ibid. 9. Vgl. P. EGGENBERGER und X. MUNGER, « Payerne, District de Payerne. Résumé des résultats des investigations archéologiques en 1989-1990. Chronique des fouilles archéologiques, 1990 », Revue historique vaudoise, 1991, S. 173-176 ; EID, « Payerne, District de Payerne. Les investigations archéologiques complémentaires à l’église paroissiale de Payerne en 1991. Chronique des fouilles archéologiques, 1991 », Revue historique vaudoise, 1992, S. 222-227 ; EID, « Payerne, District de Payerne, église paroissiale. Investigations dans la nef. Chronique des fouilles archéologiques, 1992 », Revue historique vaudoise, 1993, S. 192-198 ; Grabungsdokumentationen in den Archives Cantonales Vaudoises (ACV). 10. H. R. SENNHAUSER, Die Abteikirche von Payerne, Schweizerische Kunstführer, Bern, 1991 (hg. von der Gesellschaft für Schweizerische Kunstgeschichte, Serie 50, Nr. 495) ; hier 7 und Abb. 7 ; vgl. dazu auch : A. A. SCHMID, « La première abbtiale de Payerne », in L’abbatiale de Payerne…, op. cit., S. 65-79. 11. E. PELICHET, « La “villa Paterniaca” », in L’abbatiale de Payerne, préf. de C. MARTIN, Lausanne, 1966 (Bibliothèque historique vaudoise, 39), S. 53-54 und fig. 3 ; E. HOWALD und E. MEYER, Die römische Schweiz. Texte und Inschriften mit Übersetzung, Zürich, 1941, S. 251, Nr. 184 ; siehe auch S. 255, Nr. 195. 12. Cartulaire du chapitre de Notre-Dame de Lausanne, éd. C. ROTH, MDR, 3e série, 3, Lausanne, 1948, S. 23, Nr. 16d. 13. MGH, DD, Reg. Burg, S. 149, Nr. 35. 14. MGH, DD, Otto II., S. 60-61, Nr. 51. 15. MGH, DD, Otto II., S. 364, Nr. 307. 16. Die sprachliche Analyse der Textpassage steht noch aus. 17. H. E. MAYER, « Die Peterlinger Urkundenfälschungen und die Anfänge von Kloster und Stadt Peterlingen », Deutsches Archiv für Erforschung des Mittelalters, 19 (1963), 30-129, 74 ; vgl. auch G. FACCANI, « Payerne VD, Abbatiale. Kapitelsaal… », op. cit., Abschnitt 15.

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RÉSUMÉS

Die cluniazensische Prioratskirche von Payerne VD/CH, die sog. Abbatiale, steht über einem römischen Gebäudekomplex. Ein für das Jahr 587 in Payerne genanntes templum sancte Marie kann nur vage und auf einer Indizienkette aufbauend lokalisiert werden – im Bereich des Gebäudekomplexes zwar, aber unter der heutigen Pfarrkirche. Archäologisch erforscht ist diese nicht. Fast 400 Jahre später, 961, 973 und 983 erscheinen die nächsten Erwähnungen einer Kirche und eines Klosters in Payerne. Diese aecclesiae entsprechen einer Stifts- und Klosterkirche. Das Monasterium kann mit der Cluniazenserpriorat identifiziert werden. Doch das Aussehen der im 10. Jahrhundert schriftlich belegten Bauten kann wegen fehlender, exakter archäologischer Datierungen nicht weiter konkretisiert werden.

AUTEUR

GUIDO FACCANI Doktor, Kunsthistoriker und Mittelalterarchäologe

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Les origines de l’abbaye lyonnaise Saint-Martin de Savigny

Olivia Puel et Pierre Ganivet

Introduction

1 À l’époque romane, Savigny est une abbaye majeure du diocèse de Lyon : fondée sur de précieux soutiens et sur une assise foncière solide, sa puissance s’exprime à la fois par une influence incontestable dans les jeux politiques régionaux1, par un rayonnement dépassant largement l’aire du Lyonnais2, mais aussi par une architecture monumentale profondément renouvelée au XIe siècle3. Ces dernières années, la connaissance de cet établissement lyonnais a profité de travaux collectifs et individuels, qui devraient, à terme, aboutir à des publications4. Ses origines restent néanmoins largement ignorées en raison de l’absence de toute documentation, de quelque nature qu’elle soit, contemporaine de la fondation.

2 Un probable incendie, survenu dans les années 930-940, lors d’un épisode hongrois qu’il faut aujourd’hui considérer à sa juste mesure5, explique le vide documentaire auquel ont été confrontés tous les historiens et, avant eux, tous les moines qui se sont intéressés à cette question. Le Liber cartarum de l’abbé Ponce, rédigé vers 1135 et publié sous le nom de Cartulaire de Savigny6 en 1853, témoigne déjà de cet oubli des origines. En outre, le caractère ponctuel des opérations archéologiques menées, au gré des opportunités, dans le cadre d’une thèse d’archéologie médiévale, interdit toute vision générale du site avant l’installation de l’abbaye. Quelques artefacts pourraient témoigner d’une occupation antique si tant est que leur provenance soit assurée : or, la stèle (CIL XIII, 1663) scellée dans la façade d’une maison est dépourvue de tout contexte archéologique7 et les rares tessons de sigillée appartiennent aux niveaux de remblais rapportés au moment de la construction de l’abbatiale romane, à l’emplacement du chevet8. Au XIXe siècle, cette absence de données directes n’a évidemment pas manqué d’alimenter quelques légendes érudites9, rapidement démenties par l’éditeur du cartulaire, Auguste Bernard10.

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3 Nos travaux récents ont cependant permis de mettre au jour quelques indices, qui, certes, n’apportent pas de réponses définitives, loin s’en faut, mais qui permettent quand même de suggérer de nouvelles pistes de réflexion. Cette journée d’études, organisée dans le cadre du PCR sur les Monastères d’Europe occidentale, offre l’occasion de rouvrir le dossier de la fondation de l’abbaye de Savigny en s’intéressant successivement à l’historiographie monastique des origines et aux preuves de son existence dès l’époque carolingienne, puis aux indices tangibles et convergents qui suggèrent l’existence, sur le site même de son implantation, d’un établissement majeur, antérieur à l’abbaye elle-même.

Historiographie savinienne des origines

4 Dans les archives saviniennes, largement exploitées lors de nos travaux collectifs, ont été mises au jour trois versions radicalement différentes des origines de l’abbaye de Savigny : elles permettent de retracer une évolution marquée de la pensée monastique, mais aussi de s’interroger sur les raisons, qui, à des époques diverses, ont poussé les moines à élaborer leur propre version de l’histoire.

À la recherche d’une légitimité au XIIe siècle

5 Au XIIe siècle, l’abbaye de Savigny est au faîte de sa puissance politique et économique ; elle compte désormais parmi les seigneurs les plus influents de la région, aux côtés de l’Église de Lyon, du comté de Forez et de la sirerie de Beaujeu. Le réseau de ses dépendances forme un contingent homogène dans les monts du Lyonnais, mais s’étend aussi dans des diocèses plus lointains, comme ceux de Saintes, de Die ou de Genève. Le nouveau chevet de l’église Saint-Martin est déjà construit et, malgré le caractère hybride provoqué par son raccordement provisoire à l’ancienne nef11, l’édifice affiche selon toute vraisemblance une monumentalité inédite. Dans ce contexte-là, la rédaction du Liber cartarum, qui intervient vers 1135 à l’initiative de l’abbé Ponce de Lay, témoigne, lui aussi, de la vitalité savinienne en ce sens où les moines disposent des moyens nécessaires pour préserver leur patrimoine commun.

6 Or, ce document historique reste muet sur les origines de l’abbaye. Le prologue évoque simplement son ancienneté, sans plus de précisions : Sapiniacense coenobium olim longe ab antiquis patribus instructum (…)12. Ce silence presque surprenant s’explique aussi bien par un manque réel de documentation que par une volonté délibérée et réfléchie de s’intéresser à la restauration du Xe siècle plutôt qu’à la fondation de l’abbaye. Le cartulariste procède d’ailleurs à une relecture patente des événements survenus au cours du siècle de l’an Mil. Il impute d’abord aux Hongrois la désolation du monastère, qui semble pourtant résulter de désordres internes. Parmi les deux artisans du redressement de l’abbaye, il choisit ensuite de mettre en valeur la figure de Gausmar (954-984) plutôt que celle de son prédécesseur, Badin (v. 936-v. 955). De fait, Gausmar est pour lui l’abbé-pèlerin, celui qui se rend à Jérusalem pour doter son église de reliques, mais aussi l’abbé-saint, celui qui donne la parole à un muet venu se recueillir sur son tombeau. Au contraire, Badin n’est pour lui que le premier abbé qu’il a réussi à identifier après le raid hongrois. Dans les sources contemporaines, ou presque, des événements supposés, c’est pourtant Badin qui apparaît comme un personnage clé de la réforme savinienne : en 949-950, il parvient à obtenir de l’archevêque Bourchard I

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(948-954) un privilège de libre élection abbatiale. La préférence des moines pour Gausmar ne peut relever du hasard13.

7 Badin est le restaurateur de Savigny, un restaurateur qui pourrait d’ailleurs avoir été envoyé par Odon lui-même si son origine clunisienne se révélait exacte. Au cours de son abbatiat, il parvient à redresser le monastère alors plongé dans une situation critique depuis un temps sans doute relativement long. À son entrée en charge, Gausmar hérite logiquement d’une situation bien meilleure qui lui permet de s’attaquer à une autre mission d’envergure : la quête des reliques. En allant chercher les restes insignes de saints prestigieux, à Jérusalem notamment, il dote ainsi l’abbaye de Savigny d’« ancêtres protecteurs », ceux-là même, qui, d’après Patrick Geary, sont susceptibles de défier la concurrence d’autres maisons ecclésiastiques ou de s’opposer à la malveillance de certains laïcs14. En cette fin du Xe siècle, alors que le monastère vient de surmonter ce qui est sans doute la première crise importante de son histoire, Gausmar s’offre par cette action d’éclat le statut d’un re-fondateur, d’un personnage capable d’assurer à la communauté monastique un succès durable.

8 À la suite d’un miracle survenu sur sa tombe, originellement placée dans la chapelle Saint-Léger, Gausmar est d’ailleurs promu au rang de saint par les moines et sa dépouille est déplacée dans un caveau en élévation, installé cette fois dans l’une des nouvelles chapelles orientales de l’église Saint-Martin. La date du miracle est comprise entre 984, année de la mort de Gausmar, et le premier tiers du XIIe siècle, époque à laquelle le cartulariste mentionne cet événement, sans donner le moindre détail. En revanche, la date de la sanctification de l’abbé et de la translation de sa dépouille n’est, à vrai dire, pas connue avec précision. Elle se situe dans une fourchette large, qui va jusqu’à la fin du Moyen Âge, époque à laquelle un grand-prieur, Benoît Maillard, relate le miracle avec davantage de développements. Il est cependant très tentant de la situer dans ce XIIe siècle triomphant : c’est alors d’un saint homme – pas d’un réformateur – dont l’abbaye a besoin pour légitimer sa puissance dans un diocèse dominé par l’archevêque de Lyon. Le transfert du corps de Gausmar prend tout son sens dès lors que cet abbé est « officiellement » désigné comme la figure emblématique du monachisme savinien. L’histoire écrite dans le Liber cartarum est traduite dans l’architecture de la nouvelle église ; elle procède d’un même schéma de pensée, que les moines cherchent à ancrer dans la mémoire collective.

La promotion de la réforme à la fin du XVe siècle

9 À une époque où l’abbé ne réside plus à l’abbaye, mais au château de Sain-Bel, le grand- prieur acquiert une importance considérable au sein du couvent. Benoît Mailliard, qui accède à cette dignité dans les dernières décennies du XVe siècle, joue ainsi un rôle fondamental dans l’élaboration de la réforme souhaitée, dès son entrée en charge, par l’abbé François I d’Albon (1492-1521). Notons que cette initiative suit de peu la restauration entreprise à Cluny par Jean de Bourbon (1466-1480/1485)15. S’il est difficile de juger la portée de cette restauration spirituelle, il faut néanmoins nuancer la tradition historiographique du XIXe siècle, qui confère trop systématiquement aux moines de la fin du Moyen Âge des mœurs détestables16. Dans ses multiples écrits, Benoît Mailliard rappelle les principes de la vie régulière et le bon déroulement des cérémonies religieuses, mais il cherche aussi à ancrer dans la mémoire collective le souvenir des hommes importants pour l’histoire de l’abbaye de Savigny. En compilant

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les archives du monastère et en réalisant une chronique sous forme d’épitomé du cartulaire, en réactualisant les manuscrits liturgiques de Guillaume Bollat (XIIIe siècle) ou de Philippe Morel (v. 1390), en décrivant les édifices ou les épitaphes qu’il a sous les yeux, il fait véritablement œuvre d’historien.

10 Benoît Mailliard se prononce évidemment sur la question des origines : il perpétue d’abord, logiquement, la mémoire de l’abbé Gausmar, en relatant dans le détail son miracle thaumaturge17. Mais il cherche aussi à pallier les lacunes documentaires en se prononçant en faveur d’une fondation carolingienne, d’une part, et en louant la restauration de l’abbé Badin, d’autre part. Il met en scène Charlemagne lui-même dans le rôle principal du fondateur. Citant une charte de l’abbé Adalbert, il se fonde sur une série de déductions pour le moins contestables pour prouver ses allégations : Et primo sciendum est quod tempore Caroli magni fuit hoc nostrum Savigniacense monasterium primitus fondatum sed per que[m] certive ignorantes tenemus tam generaliter quam per Carolum magnum fundatum fuit. (…) ex eo quia ut dictum est fuit tempore ipsius Caroli magni regis Francie huius modi monasterium fundatum quia ipse Carolus ad huic Sancti Martini fondavit tercio quia primus huius monasterii abbas qui vocabatur Adalbertus tempore Caroli magni fuit ut Poncius abbas prestaria per dictum Adalbertum facta in libro suo cartarum attestatur18.

11 Si le monastère existait du temps de Charlemagne, si Adalbert, le premier abbé de Savigny, a vécu à la même époque, si Charlemagne a fondé un monastère Saint-Martin, alors Charlemagne peut être considéré comme le fondateur de l’abbaye de Savigny. Or, Adalbert n’est que le premier abbé connu du cartulariste ; il n’a pas vécu à l’époque de Charlemagne, mais à celle de Carloman. Si prestigieux soit-il, le choix impérial relève clairement de l’affabulation.

12 En outre, Benoît Mailliard redonne à Badin une place de choix dans l’historiographie des origines, en le mentionnant comme le restaurateur de l’abbaye, mais aussi comme un sanctus et justus abbas19. Cherche-t-il, par ces qualificatifs élogieux, à rétablir une certaine équité entre Badin et Gausmar sans pour autant nuire à l’image de ce dernier ? Qu’importe ! Ce qu’il faut souligner à ce stade, c’est le souci constant qu’a l’auteur de croiser les sources, avec rigueur, pour démêler les faits historiques et pour proposer une nouvelle histoire du monastère. L’attribution de la fondation à Charlemagne n’est pas une approximation, encore moins une erreur ; il s’agit plutôt d’un raccourci arrangeant qui lui permet non seulement d’offrir à Savigny des origines prestigieuses, mais aussi de mettre en avant l’idée de restauration spirituelle. Benoît Mailliard connaît Charlemagne pour sa quête des origines, en particulier dans le domaine religieux ; il n’ignore pas non plus le rôle qu’a joué Badin dans le redressement de l’abbaye au Xe siècle – le privilège de Bourchard était conservé dans les archives du monastère. Charlemagne et Badin sont, à des échelons différents, des hommes de réforme ; François I d’Albon et Benoît Mailliard aspirent sans doute à être reconnus comme tels. Dès lors, le choix de lier les origines saviniennes à ces deux personnages illustres ne pourrait-il pas s’expliquer par la volonté de légitimer la réforme spirituelle et matérielle mise en œuvre par François I d’Albon ?

La solitude comme preuve d’ancienneté au XVIIIe siècle

13 Alors que bon nombre d’établissements ecclésiastiques ont été sécularisés à l’époque moderne, l’abbaye de Savigny perdure jusqu’à l’aube de la Révolution française. Elle connaît un XVIIIe siècle morose : les moines éprouvent de grandes difficultés pour

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recruter les vingt frères prévus par l’ordonnance archiépiscopale de Camille de Neufville (1653-1693)20, mais ils restent malgré tout scrupuleusement attachés aux cinq preuves de noblesse demandées à chaque postulant. Ils se heurtent surtout à l’exigence et à la mauvaise volonté d’abbés commendataires pour qui leur monastère lyonnais n’est qu’un bénéfice parmi les autres. Nombreux sont alors les conflits qui opposent ouvertement le grand-prieur et le convent à Jean de Fuligny Damas (1711-1761) ou à François de Clugny (1761-1781). C’est dans ce contexte troublé que, le 16 octobre 1766, Laurent de Foudras, grand-prieur, adresse au nom de ses moines une demande de sécularisation aux commissaires chargés de statuer sur le sort du monastère. Il écrit alors un historique qui insiste sur la question des origines en reprenant une légende de fondation rapportée, si ce n’est créée, par François de Fournillon Butery au début du XVIIIe siècle, puis véhiculée par les auteurs de Gallia christiana21.

14 Histoire de François de Fournillon Butery (1718) : « Il est difficile de bien établir le temps de la fondation. Si on en veut croire une encienne tradition, elle est entre le cinquième et le sixième siècle de l’Église. On prétend que six solitaires retirés dans une espèce de dézert, nommé enciennement locus Sapiniacensis, étant informés que saint Maur, diciple de saint Benoit, passoit a l’Arbresle au tems qu’il fut envoyé dans les Gaules, profitèrent de l’occasion et du voisinage de son passage et luy furent demander l’habit de saint Benoit que ce saint leur accorda. Il reste dans l’abbay[e] un monumant sensible de cette tradition. C’est une petite chapelle massive soub le tiltre de saint Légier, qui est un peu séparée des églises et lieux réguliers de cette abbaye, et ou ces solitaires fesoient leurs prières. Cette chapelle a résisté a touttes les injures des tems et les curieux qui l’on veû avouënt que la construction est des premiers siècles. »

15 Tableau de Laurent de Foudras (1766) : « L’abbaye de St‐Martin de Savigny alias Sapini, diocèse de Lyon, située à quatre lieux de cette ville, dans une solitude telle que les saints Pères vouloient l’établissement des maisons religieuses, éloignées du tumulte des villes, paroit être du sixième siècle. La tradition rapporte que cette solitude fut en premier lieu habitée par des solitaires qui faisoient leurs exercices dans une petite chapelle souterraine qui existe encore, joignant la chapelle de Notre‐Dame (dont on parlera ensuite), et que lorsque saint Maur vint en France pour y établir la règle de Saint‐ Benoît, ces solitaires en embrassèrent la règle. Dans le huitième siècle, Charlemagne en fut le restaurateur. Il y fit et donna beaucoup de biens. Plusieurs autres souverains et nobles s’empressèrent aussi de suivre ses traces et d’y placer des sujets que la sainteté des abbés et religieux y attiroient. »

16 Très proches l’un de l’autre, ces deux textes procèdent avec évidence de la même tradition historiographique. Charlemagne n’est plus le fondateur de l’abbaye, mais un simple restaurateur. Saint Maur lui-même aurait donné aux premiers moines saviniens la règle bénédictine, conférant ainsi au monastère des origines bien plus anciennes que l’époque carolingienne. C’est justement cette ancienneté qui est recherchée par Laurent de Foudras pour justifier le maintien d’un chapitre à Savigny. Tout son raisonnement repose sur cet argument-là : quelle autre maison peut se prévaloir, comme Savigny, d’origines antiques et illustres propres à accueillir les fils cadets des nobles familles lyonnaises ?

17 Par sa mention des Pères de l’Église, de la « solitude » et des « premiers solitaires » ou de la chapelle souterraine originelle, le texte se rattache en effet à un courant de pensée qui prévaut chez les bénédictins de Saint-Maur. Contemporain, ou presque, de François de Fournillon Butery, le mauriste Jean Mabillon prône, en effet, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, un retour aux origines du monachisme même, en se

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référant notamment à l’exemple du Mont-Cassin. Il théorise le mouvement de réforme qui a permis à sa congrégation de connaître un succès grandissant face aux ordres traditionnels, en proie à de nombreuses difficultés. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que François de Fournillon Butery puis Laurent de Foudras négligent Charlemagne, qui n’est plus qu’un « second fondateur », et privilégient saint Maur, symbole du renouveau de la spiritualité monastique dans la France du XVIIIe siècle. Dans leur esprit, la solitude désigne un lieu éloigné des villes et des hommes, un lieu véritablement séparé du monde. Elle renvoie ainsi à la notion de « désert monastique », qui tient plus du topos littéraire que d’une réalité empirique22. La chapelle Saint-Léger, à laquelle les deux textes font allusion, se prête alors parfaitement à cet idéal de solitude : petite, isolée, sombre, humide… En ce XVIIIe siècle finissant, elle cumule, en effet, les inconvénients qui permettent aux auteurs d’amplifier le mérite des premiers « solitaires » de l’abbaye.

Le contexte de la fondation

Quelques jalons chronologiques

18 Les premières mentions de l’abbaye de Savigny remontent au premier tiers du IXe siècle. Déjà exploitée par Michel Rubellin, dans le cadre de ses travaux sur les monastères lyonnais, la Notitia de servitio monasteriorum23 définit les devoirs des établissements monastiques de l’Empire envers l’empereur et le monasterium Saviniciaco (sic) qu’elle mentionne est identifié par tous les auteurs à Savigny. Ce document répartit les monastères en trois catégories, la première regroupant les établissements devant à la fois des dons (dona) et un service militaire (militia), la deuxième ceux, qui, exemptés de service armé, ne doivent que des dons, la troisième, enfin, les monastères dont l’unique charge consiste en des prières en faveur de l’empereur et de ses fils. Savigny relève de cette dernière catégorie, peut-être parce que le monastère, d’origine récente, est encore peu riche24.

19 De peu postérieur à ce rapport impérial, la charte la plus ancienne que contient le Liber cartarum de Ponce 25 est une précaire consentie par « Just, abbé de Saint-Martin de Savigny » : Ego Justus abbas sancti Martini Saviniacensis concedimus vobis illas res quae sunt in Sabonaco villa, quas Maifinus et uxor sua ad nostrum monasterium donaverunt… Elle semble être, à la réflexion, du 11 janvier 825, même si un premier examen a pu amener d’autres conclusions26. Les biens alors concédés en précaire par l’abbé Just proviennent d’une donation nécessairement antérieure, mais impossible à dater : faut-il la vieillir d’une génération complète ou de quelques années seulement ? Ces biens sont en outre situés in Sabonaco villa : la correction de Sabonaco en Sabiniaco permettrait de situer à Savigny même cette opération foncière et de penser, par conséquent, que le patrimoine de Saint-Martin ne s’étendait guère au-delà de la villa sur laquelle le monastère pouvait être établi. L’hypothèse d’une fondation récente pourrait ainsi être confortée. Mais une telle correction, qui suppose une erreur sur le nom même du lieu d’implantation de l’abbaye, est d’autant plus difficile à justifier qu’une villa quae vocatur Savoniacus est attestée par ailleurs in agro Turiacensi27.

20 Ces textes prouvent que l’abbaye de Savigny existait au début du règne de Louis le Pieux et, peut-être, dès la fin du règne de Charlemagne. Il est malheureusement difficile d’aller au-delà de ce simple constat, même en s’appuyant sur d’autres sources historiques. L’absence de mention relative à Savigny dans le rapport envoyé par

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Leidrade à Charlemagne, en 810-811, implique-t-elle nécessairement que le monastère n’existait pas encore à cette époque ? Elle pourrait aussi s’expliquer par le simple fait que l’évêque de Lyon n’est pour rien dans sa fondation ou sa restauration28. Quant au patronage martinien du monastère, qui semble originel, il ne peut infirmer ni confirmer une fondation contemporaine de Charlemagne. Grégoire de Tours témoigne du succès du culte voué au saint confesseur dès le VIe siècle, et l’on sait que « cette faveur allait durer jusqu’au règne de Charlemagne puisque ce monarque, tout comme ses prédécesseurs de l’ancienne dynastie, avait une dévotion toute spéciale envers la cappa, insigne relique du saint » ; on sait également que « par la suite, le culte de Martin ne connut pas l’irréversible déclin que l’on constate pour quelques autres29 ». Aussi faut-il se contenter de remarquer, que, avec une datation dans le premier quart du IXe siècle, la fondation de Saint-Martin de Savigny pourrait s’inscrire dans un contexte local de renouveau monastique, dont la réforme de la vieille abbaye de l’Île-Barbe par Benoît d’Aniane reste par ailleurs la meilleure illustration30. L’hypothèse d’une fondation impériale, chère à Benoît Mailliard, reste mal assurée dans la mesure où l’appartenance de Savigny au fisc impérial n’est pas démontrée. Il n’en reste pas moins que « l’abbaye fut considérée par les souverains carolingiens comme monastère royal31 », selon l’expression de Pierre-Roger Gaussin, et surtout qu’elle se trouvait, dans la première moitié du IXe siècle, « sous le patronage impérial », comme l’a déjà remarqué Michel Rubellin. La notitia de servitio monasteriorum recense, en effet, les établissements « sur lesquels le souverain exerçait une autorité plus ou moins directe32 » et la tutelle impériale trouve confirmation dans le diplôme par lequel, en 852, Lothaire soumet à l’Église de Lyon « le monastère construit en l’honneur de notre Seigneur Jésus Christ, sous l’invocation du bienheureux Martin, évêque et confesseur, [monastère] qui est publiquement appelé Savigny, avec toutes ses dépendances33 ».

Un établissement antérieur à l’abbaye ?

21 Révoquée en doute par nombre d’historiens de Savigny depuis Auguste Bernard, la tradition selon laquelle l’abbaye Saint-Martin aurait été fondée au milieu du VIe siècle, après la venue de saint Maur auprès d’un groupe d’ermites vivant dans cette partie des Monts du Lyonnais, alors couverts de forêts, a longtemps et largement alimenté la vision romantique des auteurs locaux, pour qui la fondation d’une communauté monastique a été le point de départ de vastes défrichements jusqu’à l’époque carolingienne. Tout, pourtant, de la géographie à la toponymie, dément l’idée de virginité du site et de la région dans l’Antiquité et au haut Moyen Âge.

22 La proximité du confluent de la Brévenne et de l’Azergues, de la voie d’Aquitaine et de l’aqueduc de la Brévenne fournit autant de raisons de penser que la région de Savigny a très tôt été occupée et mise en valeur. À Savigny même, si les traces d’occupation antique restent isolées et difficiles à interpréter, le toponyme ne peut guère dériver de silva, comme le voulaient d’anciens érudits, obligés de postuler un *Silvaniacus qui aurait fini par devenir Saviniacus34. Le nom de Savigny est une formation prédiale, le suffixe -acus accolé à l’anthroponyme romain Sabinus désignant un « domaine de Sabinus ». À 10 km au nord-est, Fleurieux (Floriacus) paraît de même être un ancien « domaine de Florus » : les fouilles réalisées à l’occasion de la construction de l’autoroute A 89 ont d’ailleurs permis d’y découvrir un vaste établissement agricole du Haut-Empire (Ier-IIIe siècle)35. La toponymie conserve de nombreux autres indices

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d’occupation tardo-antique et alti-médiévale aux environs de Savigny. Les lieux-dits Persanges et Marange, par exemple, sur le territoire actuel de la commune, semblent évocateurs d’une implantation germanique, sans doute ici burgonde. L’ager Saviniacensis, connu dans le cartulaire de l’abbaye par une trentaine de mentions qui s’échelonnent entre la fin du IXe et le début du XIe siècle, débordait sur plusieurs paroisses avoisinantes et comportait vingt-quatre villae. La plupart d’entre elles échappent à l’identification, mais leurs noms témoignent en général de leur ancienneté : Arciacus [Arcy, c. Sourcieux], Bisboch [Bibost], Bretonica, Burbuniacus, Calmis, Celsiacus [Sourcieux], Chivinnacus [Chevinay], Domariacus [c. Bessenay], Felix Vulpis, Fontanillas, Grisiniacus/Chrisigniacus [Grésigny, c. Saint-Pierre-la-Palud], Ischiriacus, Longavilla, Luans [Louhans, c. L’Arbresle], Malavabra, Mauriacus, Monasteriolus, Pugniacus [Pugny, c. Saint-Pierre-la-Palud], Samarciacus, Savinisetus, Tasliacus, Taxelanus [Taylan, c. Savigny], Toroniacus [Thorigny, c. Bibost] et Vitcellis.

23 L’existence même d’un ager Saviniacensis, aussi tardive que soit sa première attestation textuelle36, témoigne d’une structuration du territoire, autour d’une villa éponyme, nettement antérieure à la fondation supposée de l’abbaye. L’ager est une subdivision du pagus propre à certaines régions qui s’étendent de la Bourgogne aux Alpes et à la vallée du Rhône. C’est une entité encore difficile à cerner, en dépit des nombreuses études dont il a fait l’objet37. Les incertitudes qui l’entourent tiennent au fait que l’ager – ou l’ aicis, son équivalent dans le Massif central voisin (Auvergne et Limousin notamment) – est surtout connu par des textes de l’époque carolingienne (IXe-Xe siècle), qui abondent dans les décennies précédant sa disparition (1re moitié du XIe siècle), alors qu’il s’agit d’une structure ancienne, presque déjà anachronique. À partir de l’exemple du Mâconnais, privilégié sur le plan documentaire, François Bange a montré que les agri forment au Xe siècle un réseau profondément enraciné que les vicariae ne parviennent pas à supplanter, et l’auteur déduit de cette concurrence difficile pour les secondes une origine « nettement pré-carolingienne » des premiers38.

24 Quel type d’établissement pourrait être suffisamment important pour justifier la transmission de son toponyme à l’abbaye ? Plusieurs pistes de réflexion sont envisageables, depuis la villa aristocratique jusqu’au domaine public impérial. Le Liber cartarum mentionne d’ailleurs plusieurs localités voisines de Savigny comme d’anciennes terrae fiscales. C’est le cas par exemple d’une terre, citée dans un acte de la seconde moitié du Xe siècle, qui est située in villa Bretonica, in agro Saviniacensis39. La présence de ces fiscs en Lyonnais ne permet cependant pas de tirer la moindre conclusion sur le cas savinien. L’absence de tout autre élément d’information ne permet pas de se prononcer sur la nature de cet établissement potentiellement antérieur à l’abbaye de Savigny. Mais que ses origines soient fiscales ou simplement aristocratiques, tardo-antiques ou mérovingiennes, ne changent guère les conclusions relatives à l’abbaye, qui semble bien aménagée sur un site antérieurement occupé.

25 Une dernière hypothèse mérite en revanche d’être formulée au sujet de la villa de Savigny, qui, au contraire de l’ager Saviniacensis, est curieusement absente du cartulaire. Les premières mentions du bourg savinien remontent seulement au milieu du XIe siècle. Faut-il pour autant en déduire que la création du bourg monastique est aussi tardive ? Les chartes du Liber cartarum rappellent les acquisitions de terres faites par les moines au Xe et au XIe siècle ; à en croire l’absence de mention d’une villa savinienne, l’abbaye n’a donc pas reçu de terres sises à Savigny même au cours de ces deux siècles. Peut-être les a-t-elle reçues en amont de cette période faste, à une époque dénuée de toute

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documentation archivistique (avant 935), peut-être même au moment de la fondation du monastère ?

26 Si l’exemple de Cluny, qui réunit Guillaume d’Aquitaine et Bernon, demeure sans doute le mieux connu, la donation d’un domaine par un riche laïc à un homme d’Église, pour créer une maison de religieux, n’est certainement pas un cas de figure isolé au Moyen Âge. La réutilisation de bâtiments existants pourrait en outre faciliter, sur un plan pratique, l’installation de nouvelles communautés monastiques et assurer leur succès. Cette aura qui entoure, depuis le XVIIIe siècle, la petite chapelle Saint-Léger, sur fond d’ancienneté mémorable, n’est peut-être pas qu’une élucubration érudite ! L’analyse archéologique de ce petit monument, qui fait malheureusement toujours défaut à ce jour, pourrait apporter quelques surprises…

NOTES

1. M. RUBELLIN, Église et société chrétienne d’Agobard à Valdès, Lyon, 2003. 2. Sur cette question, voir les travaux précurseurs de Pierre-Roger Gaussin : P.-R. GAUSSIN, « De la seigneurie rurale à la baronnie : l’abbaye de Savigny en Lyonnais », Le Moyen Âge, 1-2 (1955) ; ID., L’influence des abbayes bénédictines, fasc. 1 (Les dépendances de l’abbaye Saint-Martin de Savigny), 1955. Pierre Ganivet, François Demotz et Christian Gensbeitel reprennent cette question dans le cadre du PCR. 3. O. PUEL, Saint-Martin de Savigny : archéologie d’un monastère lyonnais. Histoire monumentale et organisation spatiale des édifices cultuels et conventuels (IXe-XIIIe siècle), 2013, p. 720-745 [en ligne : https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-01243383/]. 4. Un PCR consacré à l’abbaye de Savigny et à ses territoires a également été mené, sous la direction d’Olivia Puel et Pierre Ganivet, entre 2009 et 2013, avec le soutien du Service régional de l’archéologie Rhône-Alpes et de l’université Lumière-Lyon 2. Une monographie est à l’étude pour concrétiser ces travaux. 5. Si le prologue du Livre de chartes, rédigé à la demande de l’abbé Ponce vers 1135, rend les Hongrois responsables de la crise que l’abbaye de Savigny traverse au Xe siècle, il faut néanmoins souligner que les textes contemporains des événements supposés sont beaucoup plus nuancés et que l’église Sainte-Marie, dont les vestiges les plus anciens pourraient remonter au IXe siècle, ne porte aucune trace de destruction violente. Sur cette question, voir les travaux récents d’Hervé Mouillebouche : H. MOUILLEBOUCHE, « Les Hongrois en Bourgogne : le succès d’un mythe historiographique », Annales de Bourgogne, 78/2 (2006), p. 126-168. Voir aussi les travaux menés dans le cadre du PCR par les auteurs : P. GANIVET, « L’abbaye de Savigny au Moyen Âge : quelques questions d’histoire », in O. PUEL, Compte rendu du séminaire « L’abbaye de Savigny », 2006, p. 4-26 et O. PUEL, Saint-Martin de Savigny…, op. cit., p. 52 à 54. 6. A. BERNARD, Cartulaire de l’abbaye de Savigny (suivi du Petit cartulaire de l’abbaye d’Ainay), t. 1 (Cartulaire de Savigny), Paris, 1853. 7. O. FAURE-BRAC, Carte archéologique de la Gaule, Le Rhône, t. 69/1, Paris, 2006, p. 513. 8. O. PUEL, Saint-Martin de Savigny…, op. cit., p. 509-511. 9. Voir en particulier J.-B. MONTFALCON, Histoire de Lyon, Lyon, 1851, p. 225. 10. A. BERNARD, Cartulaire…, op. cit., p. LXXV.

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11. L’église romane, commencée sous l’abbé Dalmace, dans la seconde moitié du XIe siècle, est construite autour de l’église carolingienne qui est quant à elle démolie progressivement, au fur et à mesure de l’avancée des travaux. O. PUEL, Saint-Martin de Savigny…, op. cit., p. 732-742. 12. A. BERNARD, Cartulaire…, op. cit., p. LXXVI-LXXVII. 13. L’histoire de l’abbaye de Cluny offre un exemple similaire, étudié par Dominique Iogna-Prat puis Isabelle Rosé. Si la tradition médiévale associe Odon (926/927-942), Maïeul (954-994), Odilon (994-1049) et Hugues de Semur (1049-1109) aux origines du monastère, l’historiographie clunisienne élaborée sous l’abbatiat d’Odilon retient essentiellement Maïeul. Odon est le grand absent des cartulaires de l’abbaye ou du Liber tramitis aevi Odilonis. L’explication de ce phénomène tient sans doute à la personnalité et à l’action des deux abbés considérés. Pour les moines clunisiens de l’an Mil, Odon est le réformateur discret, celui qui « a probablement passé son existence à voyager d’un endroit à un autre [pour introduire dans les établissements ainsi visités une nouvelle forme de vie monastique], sans se fixer véritablement nulle part ». Il n’est pas le chef charismatique nécessaire pour l’abbaye au moment de la formation de l’Ecclesia cluniacensis. Maïeul, qui ramène à Cluny les reliques des saints Pierre et Paul en 981, répond davantage aux critères recherchés. Il représente à la fois la stabilité du gouvernement abbatial et le lien spécifique qui unissait Cluny à Rome. Il incarne parfaitement l’abbé-modèle, l’abbé-saint – d’ailleurs reconnu par la bulle d’exemption accordée en 998 –, dont Cluny avait alors besoin pour légitimer son ascension fulgurante et assurer sa longévité. D. IOGNA-PRAT, « Panorama de l’hagiographie abbatiale clunisienne », in ID., Études clunisiennes, 2002, p. 35-73 ; I. ROSÉ, Construire une société seigneuriale. Itinéraire et ecclésiologie de l’abbé Odon de Cluny (fin du IXe-milieu du Xe siècle), Turnhout, 2008. 14. P. GEARY, Le vol des reliques au Moyen Âge, Paris, 1993, p. 102-114. 15. D.-O. HUREL, « Cluny et le monachisme bénédictin moderne », in N. STRATFORD (dir.), Cluny, 910-2010. Onze siècles de rayonnement, Paris, 2010, p. 64-73. 16. Dans son analyse des statuts publiés par François I d’Albon en 1493, Jean Roux conclut ses commentaires pessimistes en ses termes : « Cette réforme de l’abbaye suffit à elle seule pour illustrer la gestion de François [I] d’Albon, mais ce fut pour l’ordre comme un dernier effort qui annonçait sa fin prochaine. L’air qu’il respirait se chargeait tous les jours de vapeurs empoisonnées… » J. ROUX, « Savigny et son abbaye », in L. BOITEL (dir.), Album du Lyonnais. Villes, bourgs, villages, églises et châteaux du département du Rhône, 1844, p. 186. 17. PARIS, Bibliothèque nationale de France, lat. 10036, fol. 7v°. 18. G. C. DE NEUFBOURG, « La plus ancienne rédaction du prétendu cartulaire de Savigny », in Chartes du Forez, t. 18/1, 1966, p. 19. 19. Citation extraite des Nomina abbatum : G. C. DE NEUFBOURG, « La plus ancienne rédaction… », ibid., p. 27. 20. Archives départementales du Rhône, 1 H 24/1-2. 21. Gallia Christiana, 1876, col. 269-279. 22. En rouvrant le dossier de l’île-désert de Lérins à l’aune des problématiques actuelles, Rosa Maria Dessi et Michel Lauwers ont, par exemple, mis en évidence le caractère hautement symbolique de cet isolement supposé qui permet à Eucher, à Fauste et à bien d’autres encore, d’amplifier considérablement le mérite des premiers moines. Contrairement à la vision réductrice de Laurent de Foudras, le terme de solitudo ne se résume pas à cette seule acception au Moyen Âge : d’après Gabriel de Carvalho Godoy Castanho, il possède en effet une triple signification sentimentale, spatiale et ascétique. Bien plus que l’éloignement réel de toute vie humaine, c’est alors la clôture monastique qui permet aux moines de trouver, dans le cloître, un lieu où ils peuvent s’isoler dans le silence. De fait, la notion de « désert » devient un topos littéraire, qui amplifie le mérite des moines fondateurs, plutôt qu’une réalité empirique, et que les érudits du XIXe siècle reprendront abondamment. Dans son travail de synthèse sur les

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implantations monastiques en Europe occidentale, du IVe siècle à l’époque carolingienne, Gilles Rollier aboutit d’ailleurs à cette même conclusion, aujourd’hui admise : l’idéal symbolique n’est pas un facteur déterminant pour le choix concret d’un site d’implantation. R. M. DESSI et M. LAUWERS, « Désert, église, île sainte. Lérins et la sanctification des îles monastiques de l’Antiquité à la fin du Moyen Âge », in Y. CODOU et M. LAUWERS, Lérins, une île sainte de l’Antiquité au Moyen Âge, Turnhout, 2009, p. 231-279 ; G. DE CARVALHO GODOY, « Le lieu de la solitudo au XIIe siècle : réflexions autour du cas chartreux », Bucema, 14/1 (2010), p. 253-260 ; G. ROLLIER, Implantation et hydraulique monastique : le cas de Cluny, thèse d’archéologie médiévale, université Lumière-Lyon 2, 2010. 23. Texte édité : voir MGH, Cap. I, p. 349-352 ; Corpus Consuetudinum Monasticorum, I, Siegburg, 1963, p. 496. 24. M. RUBELLIN, « L’abbaye de Savigny en Lyonnais au Moyen Âge », in M. RUBELLIN, Église et société…, op. cit., p. 301-302. 25. Si les datations proposées par Auguste Bernard doivent être considérées avec prudence, comme l’a déjà souligné Édouard Perroy à propos des chartes du Forez [É. PERROY, « Notes sur la chronologie des chartes de Savigny », Bulletin de la Diana, 28 (1943), p. 202-211], l’authenticité des actes retranscrits dans ce cartulaire ne doit cependant pas être mise en doute. 26. A. BERNARD, Cartulaire…, op. cit., ch. n° 16. L’acte porte la souscription de trois moines : Burgulinus, Sentfredus et Gotfredus. Il est daté sub die tertia idus januarii, anno XI° imperii domini nostri Ludovici. Bernard datait : « 11 Jan. 825 ? », mais on est tenté, de prime abord, de le rattacher à la série des actes contemporains de l’empereur Louis III de Provence (901-928) et de proposer la date de 912, le couronnement impérial de Louis ayant eu lieu en février. Néanmoins, aucun des personnages mentionnés n’apparaît dans ces actes du début du Xe siècle, notamment aucun des trois moines souscripteurs, en dépit des nombreuses souscriptions monastiques que fournissent les précaires de cette époque. Un rapprochement avec les chartes n° 22 de 911 (David abbé) et n° 17 de 913 (Étienne abbé) semble particulièrement éclairant : ces deux textes comportent les souscriptions de trois autres moines (David, Beroldus et Aimo) qui figureraient très vraisemblablement dans l’acte étudié, si celui-ci était de 912. En revanche, la charte n° 18 (in mense julio, anno XVIII regni Ludovici imperatoris) ne peut être de juillet 832 : l’abbé Asterus est identique à l’abbé Austerius mentionné en 906 (A. BERNARD, Cartulaire…, ibid., ch. n° 15 : les moines témoins apparaissent dans d’autres actes du début du Xe siècle). 27. Ager non identifié. Voir A. BERNARD, Cartulaire…, ibid., ch. n° 369. 28. Sur le rapport de Leidrade, voir : A. COVILLE, Recherches sur l’histoire de Lyon du Ve siècle au IXe siècle (450-800), Paris, 1928, p. 268 sqq. 29. M. AUBRUN, L’ancien diocèse de Limoges des origines au milieu du XIe siècle, Clermont-Ferrand, 1981, p. 276. 30. Voir, en ce sens, les prudentes observations de Michel Rubellin : M. RUBELLIN, « L’abbaye de Savigny… », op. cit., p. 302. 31. P. R. GAUSSIN, L’influence des abbayes…, op. cit., p. 140. 32. M. RUBELLIN, « L’abbaye de Savigny… », op. cit., p. 302. 33. MGH, D. Kar. III, ch. n° 123. Voir aussi A. BERNARD, Cartulaire…, op. cit., ch. n° 960 : (…) cenobium cum suis omnibus ad illud pertinentibus in honore domini nostri Jesu Christi sub invocatione beatissimi Martini episcopi et confessoris constructum, quod Saveniacus publice vocatur. 34. P. GANIVET, « L’ager Saviniacensis : premières remarques », in O. PUEL (dir.), PCR Savigny : l’abbaye et son territoire, rapport intermédiaire, Service régional de l’Archéologie Rhône-Alpes, 2009, p. 40-56, ici p. 43. 35. http://www.inrap.fr/une-ferme-antique-fleurieux-sur-l-arbresle-4261 36. A. BERNARD, Cartulaire…, op. cit., ch. n° 2 (886).

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37. Parmi les principales, et les plus anciennes, il faut citer notamment celle d’A. BERNARD, « Nomenclature des subdivisions territoriales des diocèses de Lyon et de Mâcon, et des pays circonvoisins, aux IXe, Xe et XIe siècles », in A. BERNARD, Cartulaire…, ibid., t. 2, p. 1069 sqq. 38. F. BANGE, « L’ager et la villa : structures du paysage et du peuplement dans la région mâconnaise à la fin du haut Moyen Âge (IXe-XIe siècle) », Annales ESC, 1984, p. 529-569, ici p. 553. 39. A. BERNARD, Cartulaire…, op. cit., ch. n° 104, p. 75-76.

AUTEURS

OLIVIA PUEL Chercheure associée UMR 5138

PIERRE GANIVET Maître de conférences université Clermont Auvergne

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Un riche contexte d’implantation pour l’abbaye Saint-Géraud d’Aurillac (Cantal) : l’apport de l’archéologie préventive

Nicolas Clément

1 L’abbaye Saint-Géraud d’Aurillac naît dans la dernière décennie du IXe siècle à la faveur d’une fondation laïque. Le promoteur, Géraud, est issu d’une des plus puissantes familles méridionales carolingiennes. Si ces ascendances ont été débattues1, c’est que l’auteur de la Vita sancti Geraldi Auriliacensis2, Odon de Cluny, place dans le lignage familial deux importants personnages mérovingiens : saint Césaire d’Arles et saint Yrieix. Le dernier état des lieux à ce sujet démontre clairement que Géraud, un vassus dominicus devenu comte, est un laïc de haute lignée aristocratique, son arrière-grand- mère paternelle, Waldrade, étant la sœur de Guillaume de Gellone, arrière-grand-père de Guillaume le Pieux3. Ce récit hagiographique narre des débuts difficiles pour le monastère d’Aurillac. Géraud décide de faire construire une église dédiée à saint Pierre sur son domaine d’Aurillac, dont il vient de faire don à Rome4, mais avant même qu’elle ne soit terminée, celle-ci s’écroule. À la fin de l’hiver suivant, Géraud décide, du haut de son oppidum dominant la rive droite de la Jordanne, d’un nouvel emplacement pour son établissement monastique qui désormais jouxtera un lieu de culte édifié par son père et dédié à saint Clément5. La première église dédiée à saint Pierre sort enfin de terre. Nous ne connaissons pas la date exacte de cette initiative, que l’on peut cependant situer autour de 895, en tout cas avant 899, date du diplôme d’immunité accordé par Charles le Simple. Les deux sites sont tellement proches que, dans ce diplôme, le monastère est dédié en l’honneur de Pierre, le prince des Apôtres, mais aussi à saint Clément6. C’est donc presque par un abus de langage que l’on parle de l’abbaye Saint-Géraud d’Aurillac7, alors qu’il devrait être question du monastère Saint-Pierre et Saint-Clément d’Aurillac, ce qui est très explicite dans le codicille du testament de Géraud daté de 9098.

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2 L’analyse des sources textuelles apporte son lot d’informations quant au contexte d’implantation de cet établissement monastique. Géraud possède le domaine d’Aurillac, qualifié d’« opido vel villa »9, qu’il tient de ses parents, et où son père avait donc donc fait construire une église en l’honneur de saint Clément. Le centre du pouvoir se caractérise par un site de hauteur, celui du château Saint-Étienne. De ces deux éléments, on peut suggérer que ce terroir, bordant la rive droite de la Jordanne, n’était pas exempt de population, bien au contraire. La lecture des textes ne nous autorise cependant pas à aller plus loin dans l’analyse de l’occupation du sol à Aurillac en cette fin du IXe siècle, car ce ne serait alors que pure conjecture. L’ancienneté de la présence humaine sur ce terroir pour les périodes historiques est renseignée par des découvertes archéologiques. Déjà au XVIIIe siècle, une nécropole à incinération gallo-romaine avait été découverte à quelques centaines de mètres au nord-est de l’église abbatiale Saint- Géraud. À environ 2,5 km au sud-ouest, c’est un important complexe cultuel antique (temple d’Aron) qui a été dégagé entre 1977 et 1983, lors de la création d’une ZAC10. Ce ne sont pas moins de seize entités archéologiques d’époque gallo-romaine qui ont été recensées. Dès lors, entre un terroir densément occupé – mais sous quelle forme ? – pour l’Antiquité et un site de hauteur, associé à une église avec une dédicace ancienne à saint Étienne mentionnée dans la documentation textuelle carolingienne11, n’y a-t-il aucun lien ? Il est vrai que le contexte est relativement riche, mais que les témoignages restent assez silencieux.

3 L’archéologie préventive a permis d’avancer sur cette question lors d’un important projet immobilier situé au sud de l’église abbatiale médiévale du monastère de Saint- Géraud (fig. 1).

Fig. 1 – Vue générale du site de l’îlot Saint-Géraud en cours de fouilles avec en arrière plan l’église abbatiale

Cl. N. Clément

4 Ce projet de 3 000 m2 compte un parking souterrain et un immeuble d’habitations de cinq niveaux12. Les neuf sondages du diagnostic archéologique, opérés par les

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archéologues de l’Inrap, n’avaient révélé que peu de vestiges conservés sur l’emprise du projet. Durant dix mois, entre fin octobre 2013 et décembre 2014, l’opérateur privé montpelliérain, Mosaïques Archéologie, a mené, sous ma direction, une campagne de fouilles préventives difficiles en raison des conditions climatiques et techniques. Les premières données renouvellent considérablement nos connaissances, non seulement sur la topographie monastique médiévale, mais aussi sur l’environnement dans lequel saint Géraud a fondé son établissement monastique vers 895 (fig. 2)13.

Fig. 2 – Plan général des structures médiévales et de l’espace funéraire carolingien

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5 Les vestiges archéologiques mis au jour couvrent un champ chronologique très large, depuis le haut Moyen Âge jusqu’à l’époque contemporaine, et présentent parfois des élévations pouvant atteindre 2,5 m. Les traces d’aménagements anthropiques sur cet espace sont très denses. Même si les études sont en cours, il est d’ores et déjà possible de présenter quelques résultats. Nous mettrons de côté la description des bâtiments conventuels du XIIIe siècle mis au jour lors de ces fouilles préventives ; signalons juste que sa galerie orientale a été dégagée sur plus de 26 m de long ainsi que les bâtiments qui lui sont associés, comme la salle capitulaire de 96 m2 (fig. 2, n° 1-2 et fig. 3).

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Fig. 3 – Vue depuis le nord des bâtiments conventuels bordant la galerie orientale du cloître du XIIIe siècle

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6 Le terroir où s’est développé le monastère d’Aurillac est situé au bord de la Jordanne et, plus précisément, dans un paléo-méandre. Malgré des traces avérées d’occupation gallo-romaine dans l’emprise de la ville actuelle d’Aurillac, le site ne révèle qu’un très léger bruit de fond antique. La présence de deux tessons de céramique sigillée sud gauloise et, encore, dans une position stratigraphique remaniée, pourrait s’expliquer par la proximité d’une nécropole à incinération. Lorsque la Jordanne a abandonné le méandre en question, ce nouveau gain de terre a été très vite conquis par les hommes. Là encore, ce ne sont malheureusement que des traces ténues. Les témoignages sont là et ont été repérés, mais l’avortement des fouilles préventives n’a pas permis de documenter favorablement ces niveaux archéologiques, situés à plus de trois mètres de profondeur dans un milieu très humide. Il s’agit, par exemple, d’une série de quatre petits piquets en chêne alignés pouvant former une clôture légère ou, encore, d’un niveau de circulation recelant de nombreux restes végétaux et quelques tessons de céramique réductrice. Ces indices prouvent assurément une occupation des lieux dès le haut Moyen Âge à la faveur d’un retrait de la Jordanne14. Malheureusement, il n’est pas encore possible de définir la nature exacte de cette occupation. Ces niveaux sont perturbés, car ils ont été percés par le creusement de fosses sépulcrales, dont certaines ont reçu des sarcophages monoxyles. Il s’agit là d’un véritable unicum, tant par la qualité de conservation de ces contenants funéraires putrescibles que par leur densité 15.

7 Les conditions taphonomiques ont été exceptionnelles. Conservés dans un sédiment argileux et dans un niveau proche de la nappe phréatique, dont les battements venaient les noyer régulièrement depuis leur dépôt, ce ne sont pas moins de vingt-cinq contenants funéraires en bois qui ont été découverts, sur une fenêtre de 200 m2. Majoritairement, il s’agit de sarcophages monoxyles, mais on a aussi le cas de sépultures en planches pour des sujets immatures.

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Fig. 4 – Sarcophages monoxyles carolingiens avec leur couvercle

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8 Tous ne sont pas en parfait état de conservation. Étant dans un paléo-méandre, qui s’est réactivé par de violentes inondations, les sédiments sont assez variables entre des niveaux argilo-limoneux et des niveaux plus richement composés de galets ou de graviers, peu enclins à la conservation de matériaux organiques. Par conséquent, il y a toute une gamme d’états de conservation : nous avons là le « bois dans tous ses états »16, depuis de simples traces noires à la cuve et au couvercle en parfait état. Au total, treize couvercles sont archéologiquement très bien conservés pour dix-sept cuves. Cette différence s’explique simplement par le fait que la cuve garde l’eau lorsque la nappe phréatique redescend, contrairement au couvercle, qui, par conséquent, a tendance à se dégrader.

9 Les premières analysent montrent que deux espèces sont représentées : le chêne et le hêtre et que certains arbres étaient centenaires17. Les troncs sont parfois simplement écorcés à coups de plane ou peuvent être équarris, voire grossièrement taillés pour le couvercle. Les traces de doloire ou de hache et d’herminette sont très nettement discernables. Les grumes ont ensuite été fendues avant d’être évidées et transformées en sarcophage. Leur morphologie est assez peu standardisée et dépend avant tout de la densité de nœuds et de la rectitude du tronc (fig. 5).

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Fig. 5 – Exemples de sarcophages monoxyles carolingiens en parfait état de conservation

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10 Leur longueur varie entre 2,10 et 2,35 m hors tout pour une largeur de 0,35 à 0,58 m. Tous ces contenants de défunts adultes possèdent une logette céphalique, dont la typologie est variée en passant du carré au rond. Parfois rehaussés par rapport au reste de la cuve, ces aménagements sont absents des sarcophages monoxyles des sujets immatures. Les couvercles offrent encore plus de variétés. Ils peuvent être simplement écorcés. Certains sont équarris et portent une arête longitudinale. Tous ont un point en commun : des éléments de manipulation (fig. 6).

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Fig. 6 – Exemples d’éléments de préhension sur les couvercles des sarcophages monoxyles carolingiens

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11 Il peut s’agir de véritables poignées plus ou moins élaborées (SP 3008, SP 3140, SP 3147, SP 4064). D’autres dispositifs ont été observés. Il y a des percements, simples pour passer une corde dans un couvercle taillé en bâtière (SP 4286) ou quadrangulaires dans une arête longitudinale (SP 3007, SP 3099, SP 4067). Les cuves comme les couvercles sont fortement évidées, avec des parois parfois de quelques centimètres d’épaisseur. Il ne peut rester qu’un à deux centimètres de duramen pour deux à trois centimètres d’aubier, très spongieux. Enfin, si l’orientation tête à l’ouest est privilégiée, il y a plusieurs cas où la tête est au sud ou au sud-ouest, alors que les contraintes physiques ne semblent pas en être la cause.

12 Sans entrer dans des détails qui nous amèneraient hors propos, la taphonomie exceptionnelle du dépôt archéologique a aussi permis de conserver des macro-restes végétaux tout à fait significatifs pour appréhender les pratiques funéraires en usage à Aurillac entre le VIIIe et la fin du IXe siècle. C’est tout d’abord le dépôt de branches d’arbre qui a été repéré, à plusieurs reprises, sur des couvercles. Il y a aussi le cas du dépôt d’un élément végétal, une plante de type férule, sur le fond d’un sarcophage, avant l’introduction du corps (SP 3147), ou encore les restes de centaines de pupes de diptères nécrophages prélevés au fond de deux sarcophages (SP 4063 et 4532). Ces témoignages renseignent sur des gestes funéraires imperceptibles dans la documentation écrite, même si l’utilisation du tronc de bois est attestée dès la fin du VIe siècle chez Grégoire de Tours : « Et statim iussit elidere arborem truncatumque columnam eius per capita cuneos scissam praecipit excavare […]18. »

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13 Du point de vue stratigraphique, ces sarcophages monoxyles appartiennent à un vaste complexe funéraire antérieur à la mise en place du monastère19 (cf. fig. 2). Attesté sur près de 2 000 m2, mais non fouillé, ce lieu funéraire est au cœur du site. Il est très dense, avec peut-être plusieurs centaines d’inhumations en pleine terre (au moins 300), mais sans qu’aucune réduction n’ait été observée. À son extrémité méridionale, des sarcophages monoxyles prennent le relais, en perturbant toutefois des inhumations précédentes. Les ossements sont même parfois rejetés dans le comblement de la fosse recevant le sarcophage. Il y a donc une chronologie relative entre ces deux pratiques funéraires, mais rien n’interdit leur contemporanéité par la suite. Le croisement des datations dendrochronologiques et radiocarbones pourra peut-être préciser ce phasage.

14 Avant même le développement du monastère, ce site est donc déjà remarquable à plusieurs égards, avec une conservation exceptionnelle de contenants funéraires putrescibles, de riches informations à caractère paléo-environnemental et sur les pratiques funéraires en usage à la période carolingienne. Cette découverte est, de surcroît, à mettre en regard avec celle effectuée en 1894 lors de la construction de l’église de la Sainte-Famille, à la bordure occidentale du site. Là, déjà, la mise au jour de sarcophages en bois avait suscité l’émoi chez les érudits locaux et chez une sœur du couvent de Sainte-Famille, qui a transmis le récit des travaux dans lequel elle décrit « des cercueils grossièrement taillés dans des troncs d’arbres en forme de cercueils égyptiens20 ». Distants d’une quarantaine de mètres, ces deux sites ne font en réalité qu’un seul espace funéraire d’environ 800 m2. Jusqu’à cette découverte, ce type de contenant funéraire était associé à des sépultures privilégiées21, mais force est de constater qu’il s’agit avant tout d’un nouveau mode de pratiques funéraires, au moins pour le bassin d’Aurillac22. Ces sarcophages monoxyles, dont la datation précise est en cours, témoignent non seulement de leur « environnement naturel »23, mais aussi de leur environnement topographique au cours du IXe siècle, soit à l’époque du père de Géraud et de saint Géraud lui-même. Si ce vaste champ funéraire s’apparente, en effet, à une nécropole de plein champ dépourvue de lieu de culte, il ne faut pas oublier que le père de saint Géraud avait édifié, vers 850, une église en l’honneur de saint Clément. Un lien existe-t-il entre l’évolution des contenants funéraires et l’extension vers le sud et l’ouest de cette nécropole pour devenir un cimetière ad sanctos ? Il est encore trop tôt pour en discuter.

15 Outre cette terre des morts, deux bâtiments maçonnés ont attiré notre attention, sans que l’on sache, à ce jour, s’ils sont antérieurs ou s’ils marquent les prémices du monastère d’Aurillac. Des datations au radiocarbone devraient là encore apporter des éléments de réponse. Il s’agit en premier lieu d’un édifice, partiellement dégagé, qui a été réaménagé lors des travaux de construction du nouveau cloître au XIIIe siècle (cf. fig. 2, n° 7). La mise en œuvre de ses murs est de très bonne facture, avec de petits moellons en trachy-andésite et des assises de soubassement en bloc de brèche volcanique (fig. 7).

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Fig. 7 – Parement extérieur du mur oriental d’un édifice à vocation funéraire coupant une inhumation en pleine terre carolingienne

En arrière-plan, le chevet de l’église de la Sainte-Famille. Cl. N. Clément

16 Les murs sont puissants avec 1,20 m de large. Conservé sur plus de 2,50 m de haut, le bâtiment est légèrement désaxé suivant une orientation ouest-est. Il n’a pas été dégagé sur sa longueur totale, mais celle-ci a été reconnue sur plus de 5 m tandis que sa largeur complète est de 8,50 m dans l’œuvre. L’absence du plan complet interdit toute conjecture quant à sa fonction. Cependant, à la faveur d’un petit sondage (1 m2), il s’avère qu’il renferme des sarcophages monolithes (fig. 8).

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Fig. 8 – Sarcophage monolithe déposé à l’intérieur et contre le mur nord de l’édifice à vocation funéraire

Cl. A. Lambert

17 De plus, le mur oriental a coupé au moins une inhumation en pleine terre de l’espace funéraire carolingien précédemment décrit (cf. fig. 7).

18 Cette donnée capitale nous incite à interpréter cet édifice comme un bâtiment à vocation funéraire. De là à l’associer à un fragment de l’église Saint-Clément, il n’y a qu’un pas que nous n’osons pas encore franchir en attente des études complémentaires.

19 Le second édifice, à moins de 25 m du chevet roman, soulève aussi des questions quant à sa fonction et sa datation (cf. fig. 2, n° 8). La chronologie relative nous assure qu’il est antérieur à la fontaine du palais abbatial, donc au début du XIIe siècle24. Sa mise en œuvre est tout aussi soignée que dans l’édifice précédent, avec des murs atteignant 1,40 m de large, une épaisseur impressionnante, même s’il s’agit a priori de la fondation (fig. 9)25.

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Fig. 9 – Vue zénithale d’un édifice agglomérant des sarcophages monolithes non loin du chevet roman de l’église abbatiale

À droite, une cuve a été tronquée lors de la mise en place de la fontaine du palais abbatial au début du XIIe siècle. Cl. N. Clément

20 Situé en limite de berme, seule la largeur du bâtiment est connue : 3,50 m. Le fait le plus remarquable est qu’il a polarisé autour de lui plusieurs sarcophages monolithes. Une dizaine a été identifiée, mais un seul a pu être fouillé (SP 2336) et a livré une petite flûte assez fruste de 14,9 cm de long. Ces contenants funéraires ont la même structure interne que les sarcophages monoxyles, à savoir la présence d’une logette céphalique. Les datations au radiocarbone permettront de caler dans le temps cet édifice, mais seules des fouilles programmées pourraient discriminer sa nature réelle, entre une simple église funéraire des premiers temps du monastère d’Aurillac et, si l’on ose, la première église carolingienne de cet établissement.

21 L’archéologie préventive a rebattu les cartes quant à la genèse du monastère d’Aurillac, voulu et fondé par saint Géraud au pied de l’oppidum26 familial surplombant un site déjà bien occupé par l’homme. Même si l’analyse architecturale des vestiges du château Saint-Etienne ne porte pas de traces remontant au-delà de la fin du XIIe siècle27, l’archéologie invite à le voir non comme une tour réaménagée au XIIIe siècle, assurant le pouvoir abbatial alors en lutte avec les bourgeois de la ville d’Aurillac, mais comme un centre de pouvoir carolingien, si ce n’est plus ancien. On y trouve une ancienne église dédiée à saint Étienne, puis, dans le nouveau terroir gagné sur la Jordanne, une nouvelle église dédiée à saint Clément et un vaste champ funéraire. S’agit-il d’un simple domaine rural carolingien28 ou ne faudrait-il pas y voir plutôt un chef-lieu d’une de ces petites entités territoriales parfois absentes de la documentation écrite29 ?

22 Force est de constater que l’archéologie est un nouveau prisme à travers lequel il faut sans doute revisiter les premiers temps de l’implantation monastique dans ce « désert » auvergnat bordant la Jordanne.

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NOTES

1. Nous nous référerons à la synthèse de S. FRAY, L’aristocratie laïque au miroir des récits hagiographiques des pays d’Olt et de Dordogne (Xe-XIe siècles), thèse d’histoire médiévale, sous la direction de Dominique Barthélemy, université de Paris Sorbonne, 2011, p. 605-639. 2. ODON DE CLUNY, Vita Sancti Geraldi Auriliacensis, éd. et trad. A.-M. BULTOT-VERLEYSEN, Bruxelles, 2009 (Subsidia Hagiographica, 89). 3. S. FRAY, L’aristocratie laïque…, op. cit., p. 622 et 659. 4. ODON DE CLUNY, Vita Sancti Geraldi…, op. cit., II, 4 : « […] Reuersus autem lapidicinos et macciones undecumque iussit aggregari ad construendam in honore beati Petri ecclesiam. […] ». 5. ODON DE CLUNY, Vita Sancti Geraldi…, ibid., II, 5 : « […] Geraldus quodam mane, consuetis orationibus expletis, exiit ab oppido quod eidem loco imminet. […] Cepto operi sagaciter instantes, ecclesiam competenti granditudine et arcuato scemate compertam efficaciter ad eius uotum architectati sunt. Est autem sita e regione illius ecclesie quam pater eius dudum in honore sancti Clementis construxerat. […] ». 6. G. VIGIER (PÈRE DOMINIQUE DE JÉSUS), Histoire paraenétique des trois saincts protecteurs du Haut Auvergne. Avec quelques remarques sur l’histoire ecclesiastique de la province, Paris, 1635, p. 652 : « […] monasterium, quod est in pago aluernico situm, cognomine Aurilacus, in honorem Apostolorum Principis, et beati Clementis fundatum […] ». Les transcriptions dans cet ouvrage contiennent beaucoup d’erreurs relevées dans S. FRAY, Une mémoire mutilée. Les chartes médiévales de Saint-Géraud d’Aurillac (899-1300), mémoire de DEA d’histoire, sous la direction de Bernard Dompnier, université Blaise- Pascal, Clermont-Ferrand, 2002, p. 117-138. 7. On retrouve néanmoins cette appellation sur un sceau du milieu du XIVe siècle, cf. P. DE BOSREDON, Sigillographie de l’ancienne Auvergne : XIIe-XVIe siècles, Brive, 1895, n° 1349, p. 508-509. 8. ODON DE CLUNY, Vita Sancti Geraldi…, op. cit., p. 60 ; D. DE SAINTE-MARTHE, Gallia christiana, in provincias ecclesiasticas distributa ; qua series et historia archiepiscoporum, episcoporum et abbataum, Paris, 1720, t. 2, col. 438-440 : « […] pro Deo et S. Petri condonatum habeao, qui vocatur Aurelhacus monasterium […]. Ex hos instrumento patroni hujus monasterii fuerunt SS. Petrus, et Clemens […] ». 9. ODON DE CLUNY, Vita Sancti Geraldi…, ibid., I, 1. 10. M. PROVOST et P. VALLAT, Carte archéologique de la Gaule, t. 15 (Le Cantal), Paris, 1997, p. 73-78. 11. Des miracula inédits de saint Géraud d’Aurillac, éd. et trad. A.-.M. BULTOT-VERLEYSEN, 2000 (Analecta Bollandiana, 118), n° 14, l. 4-5. 12. Face aux importantes découvertes, le projet a été annulé. 13. N. CLÉMENT, « Îlot Saint-Géraud à Aurillac (Cantal) », in Journée régionale de l’archéologie 2014, Service Régional de l’Archéologie, Auvergne, 2014 ; N. CLÉMENT, « Les fouilles de l’îlot Saint-Géraud à Aurillac (Cantal) », in Journée Régionale de l’Archéologie 2015, Service Régionale de l’Archéologie, Auvergne, 2015. 14. N. CLÉMENT, « Les fouilles de l’îlot Saint-Géraud… », ibid., p. 91. 15. La rareté de ce type de contenant funéraire a souvent été soulignée : L. FIOCCHI, P. CHEVALIER et O. LAPIE, « Les cercueils monoxyles du milieu du Xe siècle à Souvigny (Allier) », in F. CARRÉ et F. HENRION (dir.), Le bois dans l’architecture et l’aménagement de la tombe : quelles approches ?, Saint- Germain-en-Laye, 2012, p. 147. 16. Pour reprendre ici le titre de l’article de B. LECOMTE-SCHMITT, « Le bois dans tous ses états », in F. CARRÉ et F. HENRION (dir.), Le bois dans l’architecture…, op. cit., p. 29-31. 17. Études en cours menées par Georges-Noël Lambert (chercheur honoraire du CNRS, collaborateur de l’université de Liège) et Frédéric Guibal (CNRS, UMR 6116). 18. GRÉGOIRE DE TOURS, Histoire des Francs, Livres I-VI, éd. H. OMONT, Paris, 1886, V, c. III.

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19. Qu’il s’agisse de l’espace funéraire avec les sarcophages monoxyles ou de celui des inhumations en pleine terre, le recrutement est mixte : femmes, hommes et enfants. 20. A.D.15, 1 Mi 103 R 1. 21. Il est admis plus classiquement que les sarcophages monoxyles reflètent une hiérarchie sociale et qu’ils seraient réservés à une minorité de défunt : cf. C. TREFFORT, « Les meubles de la mort : lit funéraire, cercueil et natte de paille », in D. ALEXANDRE-BIDON et C. TREFFORT (dir.), A réveiller les morts. La mort au quotidien dans l’Occident médiéval, Lyon, 1993, p. 215. Aujourd’hui, ce débat doit être relancé. 22. On peut se poser la question de savoir quelle est la filiation entre ces sarcophages monoxyles et les Baumsärgen ou Totenbäum allemands du VIe siècle, comme ceux de la nécropole d’Oberflacht, conservés au Landesmuseum Württemberg à Stuttgart ? 23. L. FIOCCHI, P. CHEVALIER et O. LAPIE, « Les cercueils monoxyles… », op. cit., p. 150. 24. N. CLÉMENT, « Îlot Saint-Géraud… », op. cit., p. 121. 25. Les fouilles préventives ayant été stoppées, cet édifice n’a été que dégagé en plan. 26. ODON DE CLUNY, Vita sancti Geraldi…, op. cit., I, 38 : Oppidum nichilhominus quod monasterio superiminet frater predicti Ademari clanculo irrepsit. 27. B. PHALIP, Le château et l’habitat seigneurial en Haute Auvergne et Brivadois entre le XIe et le XVe siècle. Essai de sociologie monumentale, thèse de doctorat en art et archéologie, sous la direction d’Anne Prache, université Paris IV-Sorbonne, 1990, p. 77-78. 28. S. FRAY, L’aristocratie laïque…, op. cit., p. 653. 29. P.-E. POBLE, « Les structures territoriales en Auvergne méridionale au temps de Géraud d’Aurillac », Revue de la haute Auvergne, 72 (2010), p. 49-51.

AUTEUR

NICOLAS CLÉMENT Mosaïques Archéologie

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En guise de conclusions…

Pascale Chevalier

« Les mêmes mots n’ayant pas le même sens pour tous, le langage ne peut conduire qu’à une dispute » (Marcel Jouhandeau, La Malmaison, 1965).

1 Prenons ici le mot dispute, en son sens de débat, de discussion, de dispute scolastique. Les quatrièmes Journées d’études monastiques ont exploré, avec un enthousiasme fécond, divers aspects des origines des sites monastiques haut-médiévaux, en confrontant au fil d’un programme de travail bien structuré la terminologie des sources textuelles aux données archéologiques, en soulignant de fortes convergences ou leurs disparités respectives, en constatant dans certains dossiers l’absence préjudiciable des unes ou des autres, un désert de mots, un désert de vestiges.

2 Le premier tiers des contributions a concerné la question de l’origine des monastères sous l’angle de la sémantique lexicale, ce dont les textes nous parlent, ce qu’ils veulent énoncer, désigner en employant une série de mots signifiants, intelligibles alors, au temps de leur rédaction, souvent bien plus qu’aujourd’hui, au temps de leur étude. Les enquêtes terminologiques ont été menées dans les chartes de donation, de fondation, de confirmation, les bulles pontificales, les listes de tous types, les règles monastiques, les vitae anciennes, les chroniques et annales, etc. Noëlle Deflou-Leca, Aurélia Bully, Marie-José Gasse-Granjean et Michèle Gaillard ont montré clairement l’évolution du vocabulaire employé, en particulier avant et après la charnière du IXe siècle, et celle des occurrences proportionnelles des différents mots, leurs éventuelles cooccurrences, de même que leur polysémie presque intrinsèque outre les doubles sens « lieu communautaire/communauté ». Citons les termes qui ont été relevés, pour les lieux : basilica, ecclesia, oratorium, crypta ; casa, locus, villa1 ; monasterium/-iolum, coenobium/- iolum, cella/-ula, abbatia/-ola, abbadia ; xenodochium-olum ; claustrum ; congregatio – pour leurs utilisateurs : abbas, rector, praepositus ; conventus, coenobium ; monachi, fratres, canonici, levites, presbyteri, actores, lectores... Des mots qui sont généralement le reflet de ce que voulait faire voir/savoir d’elle une communauté religieuse donnée entre le Ve et le XIIe siècle, des mots qui construisaient la mémoire du lieu cité. Les études présentées, qui s’appuyaient pour certaines sur des bases de données (CBMA, « nouveau

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Cottineau »…) et sur les avancées les plus récentes des ressources numériques, ont dessiné une trame lexicale mettant en valeur des choix délibérés, des héritages, le maintien ou la reprise tardive de mots paraissant ailleurs sortis d’usage, des constructions mentales hiérarchisées. Elles permettent même de distinguer parfois des pics d’installation du réseau monastique dans une région, comme la Bourgogne grâce aux CBMA. Les récolements et les analyses critiques fouillées qui ont été proposés se sont heurtés – sans pouvoir ni d’ailleurs vouloir trancher – aux sens pluriels de ces termes peu nombreux, mais dont la signification apparaît souvent équivoque, subjective, fluctuante à tout le moins. Un point essentiel a été souligné dans l’exposé de chaque enquête, celui de la précaution scientifique d’un examen minutieux au cas par cas, suivant les sources en présence et le contexte, surtout lorsque l’on désire traduire ce qui apparaît finalement peu souhaitable et toujours réducteur.

3 Il s’agissait, dans un second temps, de confronter ces constatations nuancées aux reflets matériels parfois assez modestes des mots examinés à partir des sources écrites. Ce fut fait à travers un contrepoint archéologique, tentant de faire parler à leur manière une série de vestiges du quotidien des espaces monastiques que l’ensemble des données textuelles peine à nous faire deviner.

4 Les deux tiers suivants des communications étaient donc des enquêtes archéologiques, conduites par Christian Sapin, Gisella Cantino-Wataghin, Sylvie Balcon-Berry, Laurent Schneider, Damien Martinez, Anne Baud avec Nathanaël Nimmegeers et Anne Flammin, Guido Faccani, Olivia Puel et Pierre Ganivet, ainsi que Nicolas Clément, qui ont interrogé le contexte d’implantation juridique, physique et topographique de cas d’études assez divers. Une tendance forte est à noter : foin du désert inhabité et sauvage idéal ! On voit bien que comme d’autres exemples contemporains, célèbres ou oubliés, les quelques établissements monastiques précoces de France ici discutés – Cluny, Aniane, Saint-André le Haut de Vienne, Saint-Géraud d’Aurillac, Saint-Martin de Mesvres, les monastères d’Auvergne, de Bourgogne… –, d’Italie (Novalaise) et de Suisse (Payerne) ont, pour la plupart, été établis non loin de voies de communication et/ou sur des structures antérieures – domus de villae, thermes désaffectés, mansiones, mausolées… – plus ou moins aisées à récupérer. On a là des sources évidentes d’assiette foncière avec d’anciens biens fiscaux ou le terroir des multiples villae des donations, des sources de matériaux de remploi ostensibles, mais aussi des sources notables de modèles, notamment dans le cas de la villa à cour ceinte de portiques dont s’inspireront les cloîtres. Souvent, le monastère conserve précieusement ou fossilise dans ses structures bâties, pourtant en constante évolution, des traces de ces reprises, avec les aménagements initiaux effectués par la communauté. Ces phénomènes de continuité s’observent à l’échelle du noyau monastique, mais dans une approche plus macroscopique, il a été remarqué dans maintes communications combien, dans les siècles du haut Moyen Âge, identifier les sites des premiers monastères permet également de percevoir une facette des dynamiques de la restructuration de l’espace rural auparavant marqué par le maillage plus ou moins dense et préservé des villae romaines.

5 Les orateurs ont été assez nombreux à souhaiter de diverses façons, dans les discussions animées2 comme dans les contributions, que l’on remette courageusement à plat toute la documentation disponible – autant les données archéologiques, qui seront probablement abondées à l’avenir, que les sources textuelles, certes limitées sur les établissements monastiques considérés, mais qu’il convient de revoir/relire

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soigneusement – en faisant table rase des anciennes interprétations afin de poser ensemble les fondations de nouvelles études diachroniques, combinant les deux types de sources et les abordant de manière délibérément multi-scalaire.

6 S’il m’avait fallu conclure en une phrase, c’eut été peut-être – sur une suggestion amicale de Philippe Plagnieux – « à l’année prochaine ! », tant les présentations, réflexions et discussions ont été riches, denses et inspirantes pour l’avancée des recherches futures. Comment, en effet, mieux clore ces passionnantes Journées d’études monastiques qu’en remerciant chaleureusement les organisateurs et tous les participants, puis en annonçant les cinquièmes qui porteront en septembre 2016 sur la clôture et la fortification de ces monastères, dont nous comprenons à présent un peu mieux la genèse.

NOTES

1. On trouvera supra un texte sur le terme précis de villa par Nicolas Perreaux qui n’avait pu être présent à la réunion de Baume. 2. Auxquelles, outre les orateurs déjà cités, ont amplement contribué Gérard Moyse, Alain Dubreucq, Philippe Plagnieux, Sébastien Bully, Patrick Hoffsummer, Jean Terrier, Brigitte Boissavit-Camus, Élisabeth Lorans et l’auteure de ces lignes.

AUTEUR

PASCALE CHEVALIER Université Clermont Auvergne – UMR 6298-ARTeHIS

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