TIRAGE: 300 exemplaires VRÉCOURT PAGES D'HISTOIRE Réimpression de l'édition de Sedan, 1922 Abbé A.-L. FONTAINE

VRÉCOURT PAGES D'HISTOIRE

LAFFITTE REPRINTS MARSEILLE 1980 BRÉCOURT — L'Eglise. VRÉCOURT

PAGES D'HISTOIRE

par l'Abbé A.-L. PONTAINE

IMPRIMERIE DE BALAN-SEDAN

1922

A MES LECTEURS

La liste chronologique des curés de Vrécourt, mes prédécesseu rs dans cette paroisse, c'est tout ce que je voulais connaître quand je commençai les recherches d'où est sorti le travail que je vous pré- sente en ces pages. Je n'avais pour cela qu'un moyen : consulter les anciens registres de paroisse conservés, depuis 1792, dans les archives municipales. Au fur et à mesure que ces actes de baptême, de mariage et de décès, passaient sous mes yeux, j'y; découvrais quantité de détails intéressants. Pour ne pas en perdre le souvenir, je pris quelques notes, assez concises d'abord, puis d'autres un peu plus étendues. Peu à peu, les lignes et les pages se multi- pliaient. Je me promis dès lors de consigner ces détails dans une courte notice que pourraient consulter mes successeurs, regret- tant, pour ma part, de n'avoir pu m'instruire du passé dé cette paroisse près du vénérable abbé François, l'un de mes prédéces- seurs, mort six mois avant mon arrivée à Vrécourt. Jusque-là, ma curiosité ne portait que sur Vrécourt paroissial ; et encore n'avais-je pu consulter à son sujet que les vieux registres et quelques manuscrits trouvés çà et là. Mais les siècles passés sont si pleins d'enseignements, et l'on trouve tant à s'édifier dans le commerce des générations disparues ! Je m'appliquai donc à rechercher sur le Vrécourt d'autrefois, tous les traits qui pouvaient m'aider à le connaître plus exactement et plus complètement. Je demandai à toutes les archives poudreuses qui reposaient là, dans les armoires du secrétariat de la mairie, de me confier leurs secrets et de me dire l'histoire locale de cette commune. Une fois lancé dans la voie des recherches, je glanai un peu partout. Les vieux titres conservés dans les familles anciennes, les traditions rapportées par les vieillards, et confrontées, autant ,que possible, avec des actes authentiques, les archives départementales d'Epinal, de Nancy et de Bar-le-Duc, les publications historiques où mention est faite de personnes et de choses relatives à Vrécourt, m'ont apporté tour à tour leur témoignage. Sur la flatteuse et instante demande de M. l'abbé Pételot. mon successeur, je consentis à publier dans l'Echo paroissial de Vré- court, pour mes anciens et toujours bien-aimés paroissiens, le manuscrit où j'avais consigné le fruit de mes recherches. Ce tra- vail, donné en tranches minuscules à mes premiers lecteurs, sauf la V partie (de décembre 1907 à novembre 1921), je le redonne aujourd'hui tout entier dans la présente brochure. Je ne prétends pas, dans les pages qui vont suivre, donner de Vrécourt une histoire complète et irréformabte, loin de là. Moi- même, dans l'espace de vingt ans, j'ai eu souvent à ajouter ou à faire des corrections à ce que j'avais déjà écrit ; mais du moins, je crois n'avoir rien ajouté qu'après être remonté aux sources pour m'assurer de l'exactitude des faits que je rapporte. Je n'indiquerai pas toujours mes références, parce que dès le début, en écrivant ces pages, je ne pensais pas les livrer jamais à l'impression ; écrites pour moi et quelques amis, il me paraissait inutile de noter les sources où je m'étais documenté. Aujourd'hui je le regrette, parce que, pour les lecteurs sérieux, une page historique n'a de valeur qu'autant que le narrateur cite ses témoins. Je puis affirmer toute- fois que les miens étaient dignes de foi, et que je n'ai reproduit que ce qu'ils ont dit. Les inexactitudes qui m'avaient échappé au cours de la première publication de ces pages, et que j'ai reconnues depuis, on les trou- vera rectifiées à la fin de ce volume. Une carte de Vrécourt et de ses environs, écrite par une main inhabile, c'est vrai, mais cependant suffisamment exacte, y a été ajoutée ppur le lecteur qui ne connaît pas les bords du Mouzon. Puisse cette monographie trouver bon accueil près des lecteurs qui ont conservé le culte du vieux temps, le culte surtout de notre cher pays lorrain. Puissent ces pages d'histoire locale, conserver parmi les petits-fils du Vrécourt d'autrefois, en même temps qu'une notion aussi exacte que possible de leur si intéressant vil- lage, le désir de faire honneur à leurs ancêtres toujours. , le 25 janvier 1922. INTRODUCTION

Sur les rives du Mouzon, au point où se croisent les routes de Neufchâteau à Martigny-les-Bains, et de Saint-Blin-Bourmont à , s'élève le village de Vrécourt (1). La rivière du Mouzon qui, en cet endroit, a fourni déjà un parcours de plus de 25 kilo- mètres, le divise en deux parties, l'une au levant, l'autre au cou- chant. Un beau pont de pierre, construit en 1828, réunit les deux parties du village, dont les maisons s'échelonnent de l'est à l'ouest, sur une étendue de plus de 1.500 mètres. La grande route de Neufchâteau à Bourbon ne en est distante d'un kilomètre ; mais on agite depuis longtemps la question de relier ces deux villes par un tramway qui passerait par Vrécourt et qui bifurquerait de là à l'est sur Contrexéville, au midi sur Bourbonne (2). Vrécourt est à 22 kilomètres de Neufchâteau, 11 k. 500 de Bul- gnéville, 12 de Bourmont, 17 de , 67 d'Epinal, 7 de la gare de Rozières, sur la ligne de Nancy à Chalindrey.

Que nous dit l'histoire sur l'antiquité de Vrécourt? D'après Dom Calmet (3), notre village serait le Vulféreicurtis, ou Vulferticurtis, signalé en 1173, dans un titre de l'abbaye de Senones, et dans un autre titre de l'an 1033, donné en faveur de l'abbaye de Saint-Bénigne, de Dijon, par Gérard d'Alsace, premier duc héré- ditaire de Lorraine. Il est dit dans cet acte, d'après lequel Gérard

(1) Vrécourt est situé à 3°22' de longitude est, et à 48° 10 1/2' de latitude nord, à l'altitude de 329 mètres au-dessus du niveau de la mer. (2) Vers 1882, on espéra qu'une voie ferrée, réunissant Aulnois à Rozières- sur-Mouzon, passerait par Vrécourt ; mais la voie que le ministère de la guerre permettait de construire, devait être, pour des considérations d'ordre stratégique, un chemin de fer à voie étroite. La municipalité de Vrécourt, ne voyant pas alors d'utilité pratique et économique pour le transport des marchandises, avec ce genre de chemin de fer, refusa de coopérer à sa cons- truction qui, d'ailleurs, fut abandonnée. En 1894, 650 francs furent votés pour étudier un autre projet ; il s'agissait alors de relier Neufchâteau à Bains par un tramway. Mais le Conseil général des ayant refusé en 1995 d'approuver cette ligne ferrée, trop coûteuse pour les profits que l'on nouvait en espérer, les ingénieurs abandonnèrent ce tracé pour étudier celui de Neufchâteau-Vrécourt-Bulgnéville-Contrexéville. Ce dernier, dont on reparle à chaque période électorale, aura-t-il le sort du précédent.... ? (3) Hist. ecclés. et civ. de la Lorraine, 2 édit. t. II, col. CCLXIV. concède au monastère dijonnais, villam Vulferticurtis, avec toutes ses dépendances « cum omnibus suis appendittis », que ce village est situé dans le Soulossois, sur la rivière du Mouzon « quœ sita est in comitatu Solecensi, supra flumen quod dicitur Mosona (1). » A l'époque où écrivait le savant Abbé de Senones, il n'y avait plus sur le Mouzon d'autre village que Vrécourt, pour offrir quel- que ressemblance de nom avec le Vulfercicurtis du XI Mais s'il avait eu sous les yeux une carte détaillée de notre pays, il aurait lu le nom d'Offrécourt conservé à un moulin construit sur cette rivière, à environ trois kilomètres en aval de Vrécourt, et, à quelques centaines de mètres plus loin, les ruines d'une église qui rappellent que là existait autrefois un village de ce nom. C'est le Vulfercicurtis donné à Saint-Bénigne de Dijon par Gérard d'Alsace. Ce village, qui a disparu depuis plusieurs siècles (2), possédait une église dédiée à Notre-Dame, « in honorem Dei genitricis dicata (3) ». Même après qu'elle eut été réduite aux proportions d'une chapelle gardée par un ermite, on continua d'y honorer Notre-Dame. Or, l'église de Vrécourt a toujours été dédiée non à la Sainte Vierge, mais à saint Martin. Ce n'est donc pas de notre village qu'il est question dans la donation de Gérard d'Alsace. Mais voici un autre document où il s'agit bien de notre Vrécourt. C'est une bulle de Pascal II, datée du 30 avril 1105, en faveur de l'abbaye de Saint-Mihiel. Entre autres paroisses dans lesquelles cette abbaye possédait des revenus, est cité « Vrehericurtis », où le prieuré d'Harréville, dépendant de Saint-Mihiel, avait des domaines. « Gellam quæ vocatur Harei-Villa cum possessionibus ad eam pertinentibus, quæ sunt Periacus, Holtranni curtis, portio Lifagi, portio Vreheri-curtis, Fresvilla, etc... », c'est-à-dire : « le prieuré appelé Haréville, avec les possessions qui y sont rattachées et qui sont Parcy, Outrancourt, partie de Liffol, partie de Vrécourt, Fréville, etc.... (4) ». Dans toute la région du Bassigny, ni sur la Meuse, ni sur le Mouzon, aux environs d'Harréville-sur-Meuse, il n'est de village qui puisse être identifié avec Vrehericurtis, sinon Vrécourt, qui s'écrivait jadis, à l'époque de la formation de la langue française, Vereycourt, puis Verrécourt, et plus tard Verécourt. Le Pouillé de Toul de 1402, désigne notre paroisse sous le nom de Verricicnria,

(1) Benoit Picard, dans son Origine de la Maison de Lorraine, donne le texte de cette donation. Il a cru lire : Vulferticurtis, et Mosana, alors que Dom Calmet a orthographié ces deux noms : Vulfercicurtis et Mosuna. (2) Les habitants d'Offrécourt, paraît-il, auraient abandonné volontaire- ment leur village pour aller, la plupart, habiter La Mothe, où les comtes de Bar leur auraient promis le privilège de bourgeoisie. Les guerres des siècles si troublés du moyen-âge doivent être, pour une large part aussi, cause de leur émigration. (3) Diplôme de 1033 (4) Cartulaire de Saint-Mihiel, publié dans la collection des Mettensia. mais il ne s'en suit pas qu'antérieurement, à l'époque où le latin était encore la langue officielle de la , aussi bien que de l'Eglise, notre village ne se soit pas appelé Vrehericurtis. Verrici- curia paraît bien n'avoir été trouvé que plus tard, pour donner un vêtement de forme latine au village appelé couramment en langue vulgaire Vereycourt ou Verrécourt. Notre village, cité dans la bulle de Pascal II, est un des plus anciens de la vallée du Mouzon. Les localités de la plaine dont les noms se terminent en ville, remontent généralement à l'époque gallo-romaine ; le mot villa désignait primitivement un domaine rural ; un peu plus tard, ce domaine devînt un groupe d'habitations, un village plus ou moins étendu.

Celles qui ont leur désinence en court, sont plutôt de l'époque franke. Les noms qu'elles portent sont composés du mot curtis, ou cortis (1), qui désignait une ferme, et du nom propre de celui qui, à l'origine, — d'ordinaire un seigneur frank, — ou la bâtit, ou en fut le propriétaire. Ainsi Vulfereicurtis ou cortis (Offrécourt), signifiait : ferme de Vulfère ou de Vulféric, et Vreheri curtis (Vré- court) : ferme de Vréhère ou Vréhéric. Je ne ferai donc pas remonter notre village à l'époque de la domi- nation romaine. Cependant, si le Vrécourt, que baigne aujourd'hui le Mouzon, n'existait pas à l'époque des Césars, il est fort probable qu'à l'époque gallo-romaine existait sur son territoire, à l'ouest du village actuel, — ou sur la ligne de démarcation qui sépare Nijon de Vrécourt, — un centre important d'habitations qui depuis a disparu, mais dont la population se serait rapprochée de la rivière et y aurait fondé peu à peu le bourg dont j'essaie d'écrire l'his- toire.

Sur le territoire de Vrécourt, en effet, passait une voie romaine qui allait sur Bourbonne (2). Cette voie se séparait vers Nijon (Noviomagus), de la grande voie de Langres à Metz. Non loin du point initial de cette voie, sur les confins du territoire de Nijon, des ruines d'édifices attestent qu'autrefois il y avait là une agglo- mération importante. « On voit sur le ban de Vrécourt, écrit Dom Calmet dans sa Notice de Lorraine, un canton appelé Ferrière, que l'on croit être l'emplacement de quelque ancien édifice des Romains ; on y a trouvé deux inscriptions, plusieurs urnes, beau- coup de médailles, de débris de colonnes et de chapiteaux fort beaux. En 1720, on y trouva deux espèces de cloches entières faites en forme de timbre de pendule ; on y découvre encore quelques

(1) Plus tard curria, à l'époque de la décadence de la langue latine. (2) Voir Topographie ancienne du département des Vosges, par A. Fournier, premier fascicule, p. 72. anciennes flèches et autres armes antiques (1). Ce canton est assez étendu, la terre est de différente espèce, noire et brûlée ; on y aperçoit les fondements de quelque édifice, ce qui fait conjecturer que ce lieu était autrefois considérable (2) ». Du canton signalé par Dom Calmet, la population aurait donc glissé sur les deux rives du Mouzon quand disparut, avec la domi- nation romaine, la villa dont Ferrière garde les ruinés ; elle se serait ensuite reconstituée partie en amont, partie en aval de la rivière, autour des fermes auxquelles Vréhéric et Vulféric ont donné leur nom, pour former les noyaux des villages de Vrécourt et d'Offrécourt. Vraisemblablement ce fut dès l'arrivée des Francs dans le pays des Leuques et des Lingons, entre Toul et Langres, dès le début du VI siècle. Mais puisque l'archéologie ne nous dit rien de précis sur les origines de Vrécourt, quittons le domaine des conjectures et des probabilités, pour arriver aux données certaines de l'histoire. Je ne donnerai pas à ces pages l'allure de l'histoire proprement dite qui retrace siècle par siècle, ou période par période, tous les faits importants qui méritent d'être notés. Mes récits seront plutôt des tableaux séparés, des études particulières dans lesquelles je parlerai successivement : du régime féodal et des familles sei- gneuriales sous lesquelles ont vécu nos ancêtres, de l'église et des prêtres qui ont administré notre paroisse, puis de la communauté proprement dite étudiée dans ses administrateurs et dans ses biens. J'aurai un travail spécial sur l'époque révolutionnaire. Enfin, je terminerai par l'exposé des faits qui intéressent la période moderne, depuis la Révolution jusqu'à nos jours. C'est pourquoi je donne à cette notice, non pas le nom d'HISTOIRE, mais de PAGES D'HISTOIRE, puisque ce sont des pages où chaque sujet historique est traité à part. Elles seront divisées en cinq parties : Première partie : Féodalité et familles seigneuriales. Deuxième partie : Eglise et clergé. Troisième partie : Communauté et tiers-état. Quatrième partie: Période révolutionnaire. Cinquième partie : Depuis la Révolution.

(1) Que sont devenues toutes ces trouvailles ? Ont-elles été recueillies par quelque contemporain, ou transférées dans quelque musée ? Toujours est-il qu'il n'y en a pas trace ni au musée lorrain de Nancy, ni à Epinal. (2) Dom Calmet place Ferrière « sur le ban de Vrécourt ». Il faut prendre cette expression au sens large, puisque ce « lieu-dit » est, sur Nijon, une prolongation du territoire de Vrécourt. PREMIÈRE PARTIE

Féodalité et Familles Seigneuriales

CHAPITRE PREMIER COUP D'ŒIL GÉNÉRAL SUR LE BASSIGNY

Le bassin supérieur de la Meuse et de son affluent, le Mouzon, a tou- jours fait partie du territoire appelé le BASSIGNY, pagus (1) Bassiniacus ou Bassiniacensis. A cheval sur les hauts plateaux dont les eaux coulent vers le nord par la Meuse, vers l'ouest par la Marne, et vers le sud par la Saône, le Bassigny était situé, au temps de la conquête des Gaules par les Romains, entre la cité (2) des Leuques, dont Toul était la capitale, et la cité des Lingons, qui avait pour chef-lieu Langres. Quelles en étaient les limites? Il est difficile de le dire avec quelque précision, parce que ses frontières ont varié avec les événements politiques. Cependant on peut dire qu'à l'arrivée des Francs il renfermait dans son périmètre Neufchâteau, Andelot, Chaumont, Nogent, Neuilly, Hortes (3), Rour- bonne, Lamarche et Bulgnéville (4). Je ne rechercherai pas quel fut le sort de notre Bassigny sous les Mérovingiens. Placé entre le royaume d'Austrasie au nord et le royaume de Bourgogne au sud, il dépendit en partie de l'un, en partie de l'autre de ces royaumes.

(1) On appelait pagus un pays, une contrée, une circonscription d'ordre admi- nistratif, à la tête de laquelle le Souverain plaçait un délégué. Sous nos rois, celui-ci s'appelait cornes ou comte. (2) Par cité on entendait non pas seulement une ville, mais une étendue de terri- toire soumise à l'autorité d'un fonctionnaire résidant au chef-lieu. (3) Hortes, dans le canton actuel de Varennes (Haute-Marne). (4) Le Soulossois, pagus Solocensis, n'a dû être formé que plus tard, prenant, dans le Bassigny, Neufchâteau et quelques villages au-dessus et à l'ouest de Bulgné- ville. Du reste, cette question des pagi est encore bien obscure. (Voir Eug. Martin. Hist. des Diocèses, p. 3.) Sous la monarchie carolingienne, on put espérer d'abord que l'unité des provinces françaises était faite pour toujours, que l'instabilité de gouvernement n'était plus à craindre ; mais à peine Charlemagne était-il couché dans la tombe que déjà l'on entrevoyait la prochaine dislocation de son vaste empire. Le démembrement se fit par le traité de Verdun, en 843, entre les trois fils de Louis le Débonnaire : Charles, Lothaire et Louis. Lothaire I l'aîné, qui conserva le titre d'empereur, eut dans son lot le Bassigny. A sa mort (855) eut lieu un nouveau partage des terres de l'empire entre ses trois fils. Le Bassigny échut à Lothaire II, en même temps que la Bourgogne septentrionale et les pays de Trèves, Metz, Toul et Verdun. C'est l'ensemble de ces diverses contrées qu'on appela désor- mais : Lotharii regnum ou Loterrègne, d'où est venu le nom français de Lorraine. Cependant le nouveau royaume ne devait avoir qu'une durée éphémère. Lothaire étant mort sans héritiers légitimes en 869, ses deux oncles, Louis le Germanique et Charles le Chauve, se partagèrent ses pro- vinces (870). Pendant que le Toulois, le Barrois et la partie septentrio- nale de l'Ornois (1) allaient à la France avec Charles le Chauve, le Sou- lossois, la partie méridionale de l'Ornois (2) et le Bassigny (3) allaient à l'Allemagne avec Louis le Germanique. Neuf ans plus tard (879), toute la Lorraine passait à la couronne ger- manique portée par Charles le Gros ; elle devait dépendre de cette cou- ronne (4) jusqu'en 912. Cette année-là, le dernier rejeton de la race carolingienne étant mort sur le trône d'Outre-Rhin, les seigneurs lor- rains, entraînés par le puissant comte Régnier (5), refusèrent de recon- naître comme roi de Lorraine le Saxon que venait d'élire la diète germa- nique et se donnèrent à celui qui, sur le trône de France, continuait la dynastie de Charlemagne. Mais quand le malheureux Charles le Simple se vit dépossédé de ses Etats par l'ambition de ses grands vassaux et

(1) Les environs de Ligny. (2) Les environs de Grand. (3) Le Bassigny n'était pas dénommé, non plus que les autres pagi,, dans l'acte de partage de 855, du moins les auteurs anciens ne nous donnent que d'une façon fort vague les limites du Lotharii regnum; mais dans la part de l'héritage de Lothaire II concédée à Louis le Germanique, les diverses provinces sont désignées avec plus de précision. (Voir Maxe Werby , Etude sur le pagi du Barrois.) (4) Sous Arnulf, neveu de Charles le Gros (888), Zwentibold (895) et Louis l'En- fant (900). (5) Régnier, comte de Mons, en Hainaut, que certains historiens désignent à tort comme le premier duc de Lorraine. (Voir M. Parisot : Le Royaume de Lorraine sous les Carolingiens, p. 613.) emprisonné à Reims, la Lorraine repassa sous la suzeraineté du roi de Germanie. C'était sous Henri l'Oiseleur, vers la fin de l'année 925. Malgré les tentatives faites par les rois de France pour reconquérir la Lorraine sur Othon le Grand (936-973), Othon II (973-983) et Othon III (983-1003), l'ancien royaume de Lothaire II resta rattaché au nouvel empire de Germanie que venait de relever Othon le Grand (962) en faveur de sa maison, sous le nom de Saint Empire Romain Germanique. C'est ainsi que la Lorraine, même lorsque, dans la suite, elle forma un duché héréditaire, fut toujours dénommée « pays d'empire. » Divisée en deux espèces de provinces vers le milieu du X siècle (1), la première reçut le nom de Basse-Lorraine ou duché de Brabant, parce que le Brabant en était la principale Seigneurie; la seconde s'appela Haute-Lorraine ou Mosellane, parce que la Moselle coulait le long de ses frontières. Le gouvernement de la Mosellane fut donné au comte de Bar, Frédé- ric I (959-978), qui prit le titre de duc de Bar et de Haute-Lorraine (2). Ses successeurs, Thierry I (978-1027) et Frédéric II (1027-1033), régnèrent aussi en Haute-Lorraine sous le titre de ducs (3). Avec ce dernier finissent les premier ducs de Mosellane et de Bar. Après Frédéric II, le duché de Haute-Lorraine fut tenu temporaire- ment par Gothelon qui déjà était duc de Basse-Lorraine, puis par le comte d'Alsace, Adalbert. A la diète de Vorms, en 1048, l'empereur Henri III en accorda l'investiture à Gérard d'Alsace, neveu du duc Adal- bert. C'est de ce duc Gérard que descend l'illustre famille qui a régné en souveraine sur la Lorraine jusqu'au jour où notre province perdit son indépendance et où Louis XV la donna à son beau-père Stanislas (1737), en attendant sa réunion définitive à la France (1766). Cependant le pouvoir de Gérard d'Alsace (4) ne s'étendit plus sur la Haute-Lorraine tout entière, comme au temps où Brunon de Cologne avait appelé le comte de Bar, Frédéric I à la gouverner. Le comté de Bar, dans lequel fut compris le Bassigny, en avait été détaché, pour for-

(1) Cette division fut faite par Brunon, archevêque de Cologne, à qui l'empereur Othon I avait confié le gouvernement de la Lorraine. (2) C'est ce Frédéric qui bâtit, en 964, le château de Bar, pour servir de barrière à ses Etats et pour arrêter les courses fréquentes des Champenois dans le Barrois et dans la Lorraine. Hugues Capet, roi de France, était beau-frère de Frédéric. (3) Ces dates ne sont pas celles que donne Dom Calmet, mais celles admises par les historiens modernes, surtout par M. Parisot. (4) Gérard d'Alsace avait sa résidence favorite au château de Châtenois, près duquel sa veuve, Hadwide de Namur, fonda, en 1075, un prieuré de Bénédictins qu'elle dédia à Saint Pierre. (E. Martin, T. I., p. 225.) mer un Etat à part, en faveur de Sophie, fille de Frédéric II. Le Barrois, d'abord sous le nom de comté, puis sous celui de duché, vécut ainsi de son existence propre et autonome l'espace d'environ quatre siècles et demi (1), jusqu'à ce qu'il fut réuni de nouveau au duché de Lorraine, sous le duc René II (1484). Durant tout ce temps, le Barrois fut gouverné par les descendants des anciens comtes de Bar perpétués dans les familles de Montbéliard d'abord, et d'Anjou ensuite. Frédéric II n'ayant laissé qu'une fille, la comtesse Sophie, celle-ci épousa Louis de Montbéliard, comte de Mousson. La Maison de Montbéliard régna sur le comté de 1033 à 1419. C'est Robert- le-Magnifique, treizième successeur de la comtesse Sophie (2), qui prit le titre de duc de Bar, voulant ainsi donner à sa couronne plus de relief et d'éclat au milieu de tous les Etats qui environnaient sa principauté. Mon but n'est pas de retracer l'histoire, même en raccourci, de cette lynastie sous laquelle vécurent nos ancêtres. Je dois signaler, cependant, que c'est aux comtes de Bar que la ville de La Mothe, si fièrement élevée dans la vallée du Mouzon, devait son existence. Sous la comtesse Sophie, le plateau escarpé qui a nom La Mothe (3), s'appelait Saint-Hilairemont, et n'était occupé que par un château auquel était unie une chapelle dédiée à Saint-Hilaire. Le comte de Bar, Thibaut II, qui régna de 1240 à 1294, donna à son chastel de La Mothe une impor- tance considérable. Il entoura de murs et de fortifications tout le plateau sur lequel était bâti le château, il accorda des faveurs insignes à ceux de ses sujets qui consentiraient à venir fixer leur demeure dans cette en- ceinte, il fonda là, en 1259, une collégiale sous le nom de l'Annonciation de Notre-Dame, et peu à peu la ville se forma, prit de l'extension autant que pouvait le permettre l'espace restreint du plateau, et La Mothe devint, en même temps que la plus forte citadelle de la province sur les confins de la Champagne, le centre de l'administration d'une partie du

(1) Moins un intervalle de vingt-deux ans, de 1431 à 1453. (2) Il régna de 1352 à 1411. En 1357, il obtint de l'empereur ou du roi de France, ou plus probablement des deux, que son comté fût érigé en duché. (Digot, Histoire de Lorraine, II, 274 et s. q.) (3) La Mothe, montagne aux flancs rocheux, en forme de motte ovale — d'où pro- bablement lui est venu son nom — est élevée à 190 mètres au-dessus du Mouzon qui coule à ses pieds et à 506 mètres au-dessus du niveau de la mer. Elle commande à toutes les collines environnantes. On y jouit d'un coup d'œil très étendu. Elle est dis- tante d'environ cinq kilomètres de Vrécourt. La surface du plateau n'est que de 32 hectares 26 ares, aujourd'hui planté de pins et de sapins. (Voir pour l'histoire de cette place forte détruite : La Mothe, par l'Abbé Liébaut, 2 édition, 1904, chez Crépin-Leblond, Nancy.) Bassigny ; aussi son nom sera-t-il prononcé souvent dans le cours de ce récit.

J'ai dit plus haut que lors de la création du comté de Bar en faveur de Sophie (1033), le Bassigny entra dans le lot de la comtesse. Faut-il entendre par là tout le territoire de l'ancien pagus Bassiniacus rapporté en 870 dans le partage de Louis-le-Germanique? Non, car il semble bien que, dans les partages successifs qui se firent de l'ancien royaume de Lothaire, une partie seulement de l'ancien Bassi- gny resta attachée à la Lorraine : c'est ce qu'on appela le Bassigny Lor- rain ou Barrois. L'autre partie, qui s'étendait au nord de Langres, et qui jadis était rattachée au pays des Lingons, s'appelait Bassigny Lan- grois. Au point de vue religieux, il formait un des archidiaconés du dio- cèse de Langres ; au point de vue civil et politique, il était gouverné par ses comtes (1) sous la suzeraineté des ducs de Bourgogne. Vers le milieu du XII siècle, le comté de Bassigny fut acheté ou sup- primé par les puissants comtes de Champagne, car depuis ce temps on ne voit plus, dans l'histoire, de comtes de Bassigny. On l'appela dès lors Bassigny Champenois ; même lorsque la Champagne, avec tous les ter- ritoires que ses comtes lui avaient amenés, passa à la couronne de France (1285), on continua à l'appeler indifféremment Bassigny Royal ou Bassigny Champenois. De quelles terres se composait notre Bassigny-Barrois? Ce baillage comprenait : 1° les châtel, ville et prévôté de Gondrecourt ; 2° les châtel, ville, châtellenie et sénéchaussée de la Mothe; 3° les châtel, ville et sénéchaussée de Bourmont; 4° les ville et prévôté de la Marche; 5° les châtel, ville et prévôté de Conflans, formant enclave dans le duché de Bourgogne (2). Dans la prévôté de Gondrecourt-le-Châtel, on trouvait les villages dont les noms suivent : Abiéville ou Abainville, Amanty, Badonvilliers, Bàudi-

(1) Nous ne croyons pas que le Bassigny ait eu de capitale. Le château du comte qui le commandait en était naturellement le chef-lieu, et la ville de Langres devenait le siège de l'administration de ce comté, lorsque le comte de Langres était en même temps comte de Bassigny. La ville de Langres et le comte de Bassigny (en 1038) avaient les mêmes armoiries, ce qui confirmerait encore l'opinion que le comté du Bassigny a été uni au comté de Langres, et que lorsqu'il en fut séparé il conserva les mêmes armes. » (Pistollet de Saint-Ferjeux. Recherches historiques sur les principales communes de l'arrondissement de Langres, p. 90 et 91.) (2) D'après l'énumération des domaines qui constituaient le duché de Bar, faite par le cardinal-duc de Bar, en 1419. gnécourt, Broussey-en-Blois, Burey-en-Vaux, Clairey-la-Côte, Dainville, Demange-aux-Eaux, Horville ou Dehorville, Domremy, Epiez, Uruffe ou Euruffe, Girauvilliers, Goussaincourt, Houdelaincourt, Lezéville ou Loxé- ville, Maxey-sur-Vaise, Pargney-la-Blanche-Côte (1), Rozières-en-Blois, Vouthon-haut et Vouthon-bas. La sénéchaussée de La Mothe et Bourmont et la prévôté de Lamarche, qui formaient un tout continu, étaient circonscrites : à l'est, par les vil- lages de Châtillon-sur-Saône, , , Saint-Julien, , Provenchères, Gignéville, Martigny, , Suriau- ville, Mandres-sur-Vair ; au nord, par Bulgnéville, Morville, , Parey-Saint-Ouën, Vrécourt, La Mothe, Outremécourt, Jainvilotte, qui formait une boucle avançant en Lorraine, et Haréville. Ici se formait une pointe composée de Bazoilles, Liffol et . A l'ouest, la frontière était formée par Illoud, Ozières, Vroncourt, Levécourt, Les Gouttes, Breuvannes, Colombey. De là, laissant Morimond au sud, la ligne de dé- marcation descendait de à Senaides, par Romain-aux-Bois, La- marche, Anreilmaison, et Ainvelle. La châtellenie de Lamarche comprenait en plus, enclavés dans le Bas- signy champenois, Beaucharmoy, Malroy et Saulxures-les-Beauchar- moy (2), enfin Melay qui était dans la Comté et du diocèse de Besançon. La prévôté de Conflans ne comprenait que Hautevelle, Dampierre et Girefontaine. Elle était complètement enclavée dans la Comté, à dix lieues de Lamarche. Entre les pays qui formaient leur province, les comtes et ducs de Bar distinguaient « leurs terres de Lorraine » et « leurs terres de Cham- pagne » pour désigner celles qui leur venaient de l'ancien duché de Lor- raine, avant 1033, et celles qu'ils possédaient dans le royaume. Pour les premières, les comtes de Bar restaient tenus, envers, les empereurs d'Alle-

(1) Autrefois appelé : Pargney-sur-Meuse. (2) Il y avait contestation au sujet de certains villages limitrophes entre les comtés de Bar et de Champagne, et même de Bourgogne. On désignait ces villages sous le nom de tri-parties lorsqu'ils relevaient tout à la fois du Barrois, de la Comté et de la Champagne, et plus tard de la Lorraine, de l'Espagne — quand la Franche-Comté fut tombée au pouvoir des rois d'Espagne — et de la France. On les appelait mi- parties quand les droits de suzeraineté étaient revendiqués par deux seulement des souverains. Les terres en litige étaient : dans le sud du Barrois, Corre, , Bousse- raucourt, Blondefontaine, , Grignoncourt et Vougécourt. Après accord, (en 1704), Ameuvelle, Lironcourt, Grignoncourt, Blondefontaine et Vougécourt, furent attribués au duc de Lorraine et de Bar; Bousseraucourt et Corre revinrent au roi de France. (V. Fournier, topogr. IX, p. 40, 45.) magne, au devoir de foi et hommage. Mais les liens de suzeraineté qui reliaient le comté de Bar à l'empire, tout en subsistant en droit, se relâ- chèrent peu à peu, si bien que la dépendance des comtes envers les em- pereurs était plutôt nominale que réelle. Vint un jour où il n'en fut pas de même envers les rois de France. Sur la fin du XIII siècle, le comté de Champagne étant passé sous le sceptre de Philippe-le-Bel, par suite du mariage de celui-ci avec Jeanne de Navarre, héritière de ce beau fief, le roi prétendit que la Meuse for- mait limite entre la France et l'Empire Germain, que le duc de Bar, par conséquent, lui devait foi et hommage pour ses terres situées sur la rive gauche de cette rivière. Il fit valoir ses prétentions à la suite d'une prise d'armes où le comte de Bar, Henri III, fut vaincu et fait prisonnier. Enfermé au château de Bruges pendant trois ans, il ne recouvra sa liberté (30 juin 1301) qu'en se reconnaissant homme-lige du roi pour toute la partie de ses Etats qui s'étendait à l'ouest de la Meuse : c'est ce qu'on a appelé le Barrois mouvant (1) ; l'autre portion, sur la droite de la Meuse, forma le Barrois non mouvant. Philippe-le-Bel s'était fait céder en outre, à l'est de la Meuse, dans le Barrois non mouvant, les châtellenies de Conflans, Châtillon et La- marche. Quelques années plus tard, il les restitua au comte de Bar, Edouard, fils et successeur de Henri, mais à la condition qu'hommage lui en serait rendu. Ces trois châtellenies, depuis ce temps, firent donc partie aussi de la Mouvance de France, et comme elles appartenaient au baillage du Bassigny-Barrois ou Lorrain, on appela cette région le Bas- signy mouvant (2). En même temps que Conflans, Châtillon et Lamarche, Philippe-le-Bel rendit au comte de Bar la châtellenie de Gondrecourt qui fut administrée d'après la coutume du Bassigny ; c'est pourquoi nous l'avons rencontrée plus haut dans les terres dont fut composé le baillage du Bassigny- Barrois. Etant à l'ouest de la Meuse, elle aussi faisait partie du Bassigny mouvant. Faisaient enfin partie du même Bassigny mouvant, dans la sénéchaussée de La Mothe et Bourmont, les villages situés sur la rive gauche de la Meuse, entre Bazoilles, au nord, et Huilliécourt, au sud. Saint-Thiébaut était le siège judiciaire de ces villages, alors que les autres, de la rive droite, avaient leur siège à Bourmont et à La Mothe. Les villages riverains du Mouzon, depuis et Rozières

(1) Mouvant, c'est-à-dire de la mouvance, de la dépendance féodale d'un suzerain. (2) A. Digot, Hist. de Lorraine. T. II, p. 131 . jusqu'aux sources de cette rivière (1), formaient, dans la partie méridio- nale du Barrois, la limite entre les deux parties du Bassigny, le mouvant et le non-mouvant. Dans le Bassigny mouvant on distinguait cinq parties qui ne se touchaient point et ne pouvaient communiquer entre elles qu'en passant sur d'autres districts, même sur des terres d'autres nationalités. Les chefs-lieux dè ces cinq parties étaient : Gondrecourt-le-Château, Saint- Thiébaut, Lamarche-en-Barrois, Chatillon et Conflans-en-Bassigny. Autour de Gondrecourt on comptait 22 villages que j'ai cités plus haut. Les villages dépendants de Saint-Thiébaut (2) étaient : Bazoilles-sur- Meuse, Goncourt, Haréville en partie, Huilliécourt, Illoud et la Fortelle, Liffol-le-Grand, Ozières, Romain-sur-Meuse, Villouxel et Vroncourt. La prévôté de Lamarche était la plus importante, elle comprenait : Aureilmaison, Ainvelle, Beaucharmois, Bleurville, Blevaincourt en partie, l'abbaye de Flabémont, Fouchécourt, Frain, Isches, Saint-Julien-sur- Saône, Lironcourt, Malroy, Martigny, Morizécourt, Provenchères-en- Bassigny, Rocourt, Romain-aux-Bois, Rozières-sur-Mouzon avec le moulin de la Planchotte, Saulxures-les-Beaucharmois, , Sero- court, Serécourt et le château de Deuilly, Les Thons, Tignécourt, , enfin Vrécourt. De la prévôté de Chatillon-sur-Saône dépendaient : Blondefontaine, Melay, Grignoncourt et Vougécourt. Pour aller de Chatillon ou de Grignoncourt à Ameuvelle, qui était de Lorraine, et à Vougécourt qui était de Barrois, il fallait traverser Bousseraucourt qui était de France; mais les habitants d'une communauté ne pouvaient passer sur la voisine d'une nationalité différente, que « debout et sans arrêt, avec leurs chariots, chevaux, denrées et marchandises (3). » Conflans-en-Bassigny, avec les trois villages qui formaient la prévôté de ce nom, était bien plus avancé encore dans la Comté. C'était l'endroit le plus méridional du Barrois et de l'ancien baillage de Bassigny. Vrécourt aurait dû, sëmble-t-il, comme tous ses voisins d'alentour, être du Bassigny non mouvant et avoir pour chefs-lieux La Mothe et Bour- mont; mais bien que complètement enclavé dans la sénéchaussée de ce nom, il était réuni à la prévôté de Lamarche et se trouvait ainsi être mouvant de la France.

(1) excepté, qui était du Bassigny non mouvant. (2) Ces onze villages, malgré que de la Mouvance, faisaient partie primitivement de la sénéchaussée de La Mothe et Bourmont; ils furent réunis au baillage de Lamarche en 1751. (3) V. le Traité du 25 août 1704, entre le roi de France et le duc de Lorraine.

Pourquoi cette particularité pour Vrécourt? Je n'en ai pas trouvé d'explication dans les historiens ni dans les vieux documents; mais cela ne tiendrait-il pas à l'importance que les émissaires de Philippe-le-Bel attribuaient à notre village? Situé au pied de La Mothe, dont Thibaut II, comte de Bar, venait de faire une place forte pour défendre ses Etats du côté de la Champagne, Vrécourt était pour les rois de France, le jour où il leur faudrait, par les armes, faire valoir leurs droits sur le Barrois mouvant, un centre de ravitaillement dont il convenait de s'assurer la possession. On le vit bien au siège de La Mothe en 1634, alors que le maréchal de la Force, qui commandait l'armée assiégeante, établit son quartier général à Vrécourt. Sans doute La Mothe, vu son importance stratégique et le nombre de ses habitants, qui ne devait pas être inférieur à 3,000 âmes, attirait vers elle la plus grande partie du commerce de la vallée du Mouzon, et même du Bassigny ; mais perchée là-haut sur son rocher aux pentes abruptes, sans autre eau potable que celle d'un puits banal et de quelques citernes, la ville était forcée de demander ses approvisionnements, soit en aliments, soit en produits industriels, aux villages de la vallée. Vrécourt était le centre de ces villages parce que les cultivateurs du Bassigny venaient y vendre leurs céréales et leurs récoltes (1). Il était donc tout naturel que les rois de France, en affirmant des droits particuliers sur le Bassigny mouvant, englobassent Vrécourt dans cette circonscription territoriale.

Mais revenons à nos ducs de Bar, et disons à la suite de quels événements la dynastie des Montbéliards fit place à la Maison d'Anjou. Quand le duc Robert mourut, en 1411, Edouard III, l'aîné des fils qui lui survécurent, lui succéda, mais ne régna que quatre ans. Il fut tué à Azincourt avec son frère Jean, sire de Puisaye, et Robert d'Oisy, son neveu. Il ne restait plus, pour recueillir la couronne du Barrois, qu'un fils du duc Robert, Louis de Bar, évêque de Châlons-sur-Marne et cardinal, puis les sœurs du cardinal, Yolande, l'aînée, épouse de Juan, roi d'Aragon, et Yolande, la jeune, mariée à Alphonse IX, duc de Berg. C'est le cardinal de Bar qui parvint à faire reconnaître son autorité à l'exclusion de ses sœurs. i

(1) Nous verrons plus loin que Vrécourt n'eut ses foires qu'après la destruction de La Mothe; mais déjà auparavant il devait être comme le grenier du Bassigny, après l'époque des moissons, lors de ses marchés de grains. A La Mothe, le champ de foire était situé en plein air, hors de l'enceinte fortifiée, entre les portes de la ville et la colline voisine de Fréhaut. Rien n'y était aménagé pour la tenue d'un grand marché de grains. Cependant le prince-évêque ne garda le pouvoir que pendant quatre ans. Yolande de Bar, sa sœur aînée, la reine douairière d'Aragon, avait un petit-fils nommé René, que sa fille unique, appelée Yolande aussi, avait eu de son mariage avec Louis II, duc d'Anjou, comte de Provence, roi titulaire de Naples et de Sicile. C'est à ce jeune enfant que le cardinal de Bar passa donation du duché de Bar, le 13 août 1419. C'est ainsi que par la descendance féminine, l'arrière petit-fils de Robert-le-Magnifique accédait au duché de ses ancêtres, en y apportant le nom d'Anjou. A peine en possession du duché de Bar, René d'Anjou épousa Isabelle de Lorraine (1420), fille et future héritière de Charles II, duc de Lorraine (1). Par suite de ce mariage, les deux duchés de Bar et de Lorraine devinrent réunis en un seul, comme au temps des ducs de Mosellane; mais l'union, qui se fit de plein droit (2) à la mort seulement de Charles II (1431), ne dura que jusqu'à la mort d'Isabelle (1453). Alors René jugea bon d'abandonner tous ses droits sur le duché de Lorraine en donnant la couronne de ce pays à Jean, son fils aîné, âgé de 29 ans, ne conservant pour lui que le duché de Bar. A la mort du bon roi René, comme on l'appelle dans l'histoire (1480), le duché de Bar fut tenu pendant quatre ans par sa fille aînée, Yolande d'Anjou, car la loi salique n'était pas en vigueur en Barrois, ni en Lorraine.

(1) René était frère germain de la reine Marie d'Anjou, épouse de Charles VII. Aussi le duc de Bar resta-t-il l'allié fidèle de la France en ces jours malheureux où elle faillit perdre sa nationalité et devenir anglaise. C'est d'un petit village du Barrois, de Domremy, que, par Jeanne d'Arc, devait venir à la France le salut. (2) L'accession de René et d'Isabelle au duché de Lorraine ne se fit pas sans con- testations sanglantes. Depuis longtemps, Antoine, comte de Vaudémont, neveu de Charles II, visait la succession au duché, comme premier représentant mâle de la maison de Lorraine. Antoine, aidé par le duc de Bourgogne et par les Anglais, ses alliés, qui occupaient au sud du Barrois toutes les places fortes de la Champagne, fit valoir sa prétention par les armes. La rencontre de l'armée alliée et de celle de René eut lieu près de Bulgnéville (2 juillet 1431), sur les bords du cours d'eau dont le pont s'est appelé depuis : pont Barbazan, parce que l'un des principaux capitaines de l'armée de René, Barbazan, y fut tué. Les troupes du jeune duc furent mises en déroute, et lui-même, fait prisonnier par le duc de Bourgogne, resta en captivité pendant six ans. Mais Isabelle sut maintenir la fidélité de ses vassaux contre les pré- tentions d'Antoine, et l'union de la Lorraine et du Barrois subsista jusqu'à la mort de la vaillante duchesse (1453). René fit élever une chapelle sur le champ de bataille de Bulgnéville et y fonda des services religieux auxquels devaient pourvoir les chanoines de La Mothe. Le duc leur donna pour cela, entre autres sources de revenus, les fours de Lamarche qui étaient fours banaux. La donation est de 1462 (c. f. Archives de Bar, B, 2,413). Yolande (1) d'Anjou fut la dernière duchesse de Bar (1484). Son fils René II, qui déjà était duc de Lorraine depuis 1473, réunit sur sa tête les deux couronnes de Lorraine et de Bar. La réunion, cette fois, fut définitive. Comment René II était-il devenu duc de Lorraine? René II était fils d'Yolande d'Anjou et de Ferri II, comte de Vaudémont, dont le mariage avait mis fin aux contestations entre les familles de Vaudémont et de Lorraine. Les enfants de cette union ne semblaient pas devoir être appelés au trône de Lorraine, car le duc Jean, mort au siège de Barce- lone (1470), pendant qu'il disputait le royaume de Catalogne à don Juan II, roi d'Aragon, avait laissé dans son fils Nicolas un héritier de sa couronne. Mais Nicolas mourut sans postérité, après trois ans seulement de règne, n'étant encore que fiancé avec la fille de Charles-le-Téméraire, duc de Bourgogne. La couronne ducale revenait dès lors à son plus proche parent qui, du côté paternel et du côté maternel, se trouvait être René de Vaudémont. Recueillant la couronne de Lorraine, en attendant que lui revint la couronne du Barrois, il prit le nom de René II. Il avait alors environ 23 ans. A partir de son règne, les deux duchés furent possédés par la Maison de Lorraine (1484-1736).

Ce coup d'œil général sur l'antique Bassigny, que nous avons restreint au Bassigny-Lorrain ou Barrois, parce que c'est là que doit se dérouler l'histoire de notre Vrécourt, n'aura pas été inutile; nous avons mainte- nant une vue d'ensemble sur les dynasties successives et sur les régimes divers sous lesquels vécurent nos ancêtres des bords du Mouzon. Lor- rains, Barrisiens ou Français, ils restaient du Bassigny non pas seule- ment nominalement, parce que leur pays portait le nom de baillage du Bassigny (2), mais encore juridiquement, parce qu'ils étaient régis par les vieilles coutumes de ce pays, coutumes qui furent définitivement codi-

(1) Pour épargner au lecteur toute confusion entre les trois duchesses qui portèrent le même prénom d'Yolande, appelons-les chacune par le nom de famille qu'elles portèrent en naissant. La première est Yolande de Bar, qui épousa le roi Juan d'Aragon. La seconde est sa fille, Yolande d'Aragon, qui épousa Louis II d'Anjou. La troisième est Yolande d'Anjou, petite-fille de cette dernière, qui épousa Ferri II de Vaudémont. (2) L'édit de Lunéville (juin 1751) ayant supprimé les anciens baillages et prévôtés, la partie du Bassigny qui était de la mouvance de France et qui ressortissait du Parlement de Paris, forma désormais le baillage de Lamarche ; l'autre partie, qui était sous le ressort du Parlement de Nancy, forma le baillage de Bourmont. fiées par Charles III en 1580, comme nous le verrons plus tard, et qui formèrent leur code de lois jusqu'à la Révolution. Nous allons maintenant considérer nos populations dans leurs rapports plus directs, plus immédiats avec les seigneurs du lieu. Avec ceux-ci, les relations étaient de chaque jour, puisque de part et d'autre il y avait échanges de droits et de devoirs qui unissaient le seigneur à ses sujets et les sujets à leur seigneur. Je dirai donc, dans les chapitres suivants, la succession des familles seigneuriales qui possédèrent la terre de Vrécourt depuis le Moyen âge jusqu'à la Révolution française. CHAPITRE II

SEIGNEURS DE VRÉCOURT, DU XI AU XVI SIÈCLE

« Il paraît, dit Dom Calmet, qu'anciennement la terre de Vrécourt appartenait par moitié à l'abbaye de Morimond et que l'autre moitié était partagée entre les maisons de Choiseul et de Bignécourt. » Jusqu'à quel point cette note, un peu vague, du grand historien de la Lorraine est-elle exacte? C'est ce que je voudrais rechercher. Faisons d'abord connaissance avec l'abbaye de Morimond et les mai- sons seigneuriales que vient de nommer Dom Calmet. Au cours du XI siècle, alors que les comtes de Bar maintenaient dans leurs Etats le nord du Bassigny — appelé pour ce motif Bassigny-Bar- rois — et que les ducs de Bourgogne s'efforçaient de retenir sous leur suzeraineté la partie méridionale de cet ancien pagus, un certain nombre de seigneurs s'appliquaient à étendre leur domaine sur les terres et leur puissance sur les populations rurales. En Bassigny, les plus fameux furent les sieurs de Choiseul, de Clémont et d'Aigremont. La maison de Choiseul, la plus puissante de toutes, avait des droits seigneuriaux, en tout ou en partie, dans plus de vingt villages (1). Nous verrons que Vré- court était du nombre. Elle descendait des anciens comtes du Bassigny et reconnaissait parmi ses membres les plus illustres saint Gengoul (2) et sainte Salaberge (3). Les armes de Choiseul sont d'azur à la croix d'or, accompagnées de dix-huit billettes de même, dix en chef, posées en sautoir, et huit en pointes.

Le premier seigneur du nom de CHOISEUL dont il soit fait mention dans l'histoire s'appelait Regnier. Il vivait à la fin du XI siècle et dans les premières années du XII Il avait épousé Ermangarde de Vergy, dont

(1) Histoire de l'Abbaye de Morimond, par l'abbé Dubois, 3e édition, p. 9. Je puiserai dans cet ouvrage si intéressant et si documenté la plupart des renseigne- ments que je vais donner sur Morimond et sur les premiers Seigneurs de Choiseul. (2) Né, d'après certains hagiographes, à Varennes, où il eut son tombeau. Il mourut en 760. (3) Fille de Gondoin, seigneur de Meuse, morte vers 655. la famille devait être une des plus puissantes et des plus influentes de la Bourgogne. Ils eurent trois enfants : Roger, Conon et Adeline. La piété et la vaillance faisaient partie du patrimoine de ces nobles époux. Ils le prouvèrent bien lorsque, d'un commun accord, ils érigèrent en prieuré l'église Saint-Gengoul, de Varennes, après l'avoir richement dotée, en faveur de l'abbaye de Molesme (1) (1084). En 1095, lorsque, à l'appel de Pierre l'Ermite prêchant la croisade, les nobles chevaliers de France répondirent par le cri de : Dieu le veut ! Regnier de Choiseul fut un des premiers à s'enrôler et à prendre la croix, ainsi que ses fils Roger et Conon. Adeline, mariée à Odolric ou Ulric d'Aigremont, premier baron du diocèse de Langres, trouva chez son époux les mêmes sentiments de foi et de dévouement à la cause de l'Eglise. L'un et l'autre furent heureux de le témoigner en favorisant l'établissement, à quelques lieues de leur château, d'un monastère de cisterciens (2). Il y avait dans leurs forêts, au nord de Fresnoy, un vallon étroit et humide, entouré de hautes collines boisées et éloigné de toute habitation. Cette solitude, où déjà vivait depuis plusieurs années un vénérable ermite nommé Jean, fut offerte par Odolric et par Adeline à saint Etienne, abbé de Citeaux, pour qu'il y fondât une maison de son ordre. Le monastère nouveau, à cause de sa situation sauvage et de l'esprit d'immolation et de sacrifice qu'y apportèrent ses premiers religieux, fut nommé, par son fondateur, MORIMOND, des mots latins mori mundo, qui veulent dire : mort au monde. En même temps que l'espace nécessaire pour construire l'abbaye, le sieur d'Aigremont et sa dame, avec l'assentiment de leurs fils Foulque, Regniér et Gérard, ajoutèrent la cession d'un fonds voisin appelé Wal- denvillers (3). Les limites en furent déterminées sur place, en présence de l'Abbé de Citeaux, de nombreux gentilshommes du Bassigny et de plusieurs notables habitants de Fresnoy. Enfin, à cette libéralité pre- mière, ils ajoutèrent, sur leurs terres de fiefs et arrière-fiefs, le droit de pêche dans les eaux, de bois de chauffage et de charpente dans les forêts, de pâturage dans les champs et de glandée dans les bois. Ce droit s'éten- dait jusqu'à Damblain et Romain-aux-Bois. Telle est l'origine de Morimond, dont le premier abbé, Arnould —

(1) Molesme (Côte-d'Or), abbaye bénédictine fondée par saint Robert, vers 1075. (2) Nom donné aux religieux qui suivaient la règle de Citeaux, deuxième maison fondée par saint Robert en 1098. Citeaux fut bientôt rendu célèbre par saint Bernard qui y fit profession religieuse et en devint Abbé. (3) C'est aujourd'hui la ferme de Vaudainvilliers, entre Fresnoy et Damblain. frère de Frédéric, archevêque de Cologne — avec douze religieux de son ordre, prit possession en 1115. Dans les premiers temps, les moines vécurent pauvrement des quelques revenus que leur avaient assurés soit les sires de Choiseul et d'Aigre- mont, soit de pieux fidèles des environs. Mais, peu à peu, leurs domaines et leurs droits s'étendirent sur les rives de la Meuse et du Mouzon à l'ouest et au nord, comme sur les bords de l'Apance au midi. D'où leur venaient ces droits et domaines? Tantôt de donations ou de fondations de messes et services religieux (1), tantôt de transactions et d'achats. Un fils de noble maison entrait-il chez eux en religion? son père don- nait à l'abbaye une partie de la dot qui serait revenue à son fils s'il s'était établi dans le monde. Un seigneur voulait-il s'assurer une honorable sépulture dans le cloître du monastère et fonder, pour lui et les siens, des messes d'anniversaire? il cédait aux religieux ses droits sur telle forêt ou telle prairie, ses droits de décimateur sur tel village, etc.

Quels étaient les droits de la maison de Choiseul et de Morimond sur Vrécourt? La puissance de la maison de Choiseul s'étendait sur le Mouzon, depuis Romain-aux-Bois jusqu'à , comme on peut en juger par un grand nombre de donations ou de ventes faites à l'abbaye de Mori- mond (2). Les seigneurs d'Aigremont, à qui appartenaient presque en totalité les terres et les bois de Lamarche (3), possédaient bien aussi quelque chose dans la vallée (4); mais quand les biens de cette famille passèrent dans celle de Choiseul par le mariage de Berthemette d'Aigre- mont avec Jean de Choiseul (vers l'an 1225), le principal Seigneur de la vallée fut le sire de Choiseul. Peu à peu, Morimond y étendait aussi son influence parallèlement à

(1) Exemples : En 1198, Regnier d'Aigremont leur abandonne moitié du moulin et des produits du moulin de l'Etang-sous-Aigremont, et, en 1203, avant de mourir, l'autre moitié, moyennaut une messe quotidienne à perpétuité. En 1505, Renard de Choiseul leur donne la moitié du moulin de Romain-aux-Bois, pour l'anniversaire de sa mère Berthemette, et aussi pour réparation de plusieurs violences, injustices ou griefs. (2) Mention en est taite dans le cartulaire de l'Abbaye. (3) Voir Histoire de Morimond, p. 203. (4) Ainsi, le moulin de la Planchotte, entre Rozières et Blevaincourt, construit par les moines en 1239, fut élevé sur les terres de Regnier II d'Aigremont. Le moulin était alimenté par un étang donné par Regnier. Jean de Choiseul, son gendre, per- mit aux religieux de construire, à côté du moulin, une maison 'et un four; il y ajouta une mense et trois arpents de terre. (Histoire de Morimond, p. 155.) celle des fils de ses premiers fondateurs et bienfaiteurs. Ainsi, en 1179, Geoffroy de Sauville cédait aux religieux et à l'abbaye la vaine pâture sur tout le finage de Sauville et sur toutes les terres qu'il possédait depuis les rives du Mouzon jusqu'à Morimond, en remontant cette rivière, avec le gland et la faine, et tous les usages dont on peut jouir dans les champs, les prés, les eaux et les forêts (1). Un siècle plus tard, Thiébaut de Lamarche leur abandonnait, pour un anniversaire, les tierces (2) qu'il possédait à Vrécourt. Dans le cartulaire du monastère, il est parlé aussi de dîmes que les damoiseaux de Martigny, domicelli de Marti- niaco (3), possédaient à Vrécourt et à Sauville. En 1299, Gérard de Pouilly leur vendait, pour la somme de onze-vingts livres petit tournois, ses droits sur certaines familles de Vrécourt. L'achat le plus important qu'ils firent en ces années, sur le Mouzon, est celui des deux moulins de Vrécourt, jusque-là propriété des sieurs de Choiseul. Ces deux moulins, dont l'un était situé dans Vrécourt même, et l'autre sous l'étang qui reçoit les eaux de Sauville (4), avec quatre fauchées de pré afférentes, furent achetés pour le prix de trois cents livres de petit tournois. Vers 1302, Jean de Choiseul leur vendit l'étang mentionné dans l'achat précédent pour la somme de quatre cents livres de petit tournois, en même temps que « huit faucies de prei et trente- trois journaux de terre » nécessaires à l'agrandissement de cette pièce d'eau. L'achat de ces moulins, sur la fin du XIII siècle, est un signe que les moines avaient à moudre non seulement le blé des habitants de Vrécourt, mais encore celui de leurs dîmes et de leurs récoltes. De plus, ils avaient déjà, outre le droit d'usage dans les bois, de pêche dans les eaux, de vaine pâture dans les prés, la propriété de nombreuses prairies créées par eux dans la vallée du Mouzon. Les chroniques de l'Ordre ne font connaître ces créations de prairies que lorsqu'elles y sont amenées par des incidents particuliers : par exemple à l'occasion de contestations et de procès ; mais il est bien sûr que les moines, dont l'une des occupa- tions était l'élevage des animaux domestiques par les frères convers,

(1) Histoire de Morimond, p. 203. (2) On appelait tierce une sorte de dîme prélevée sur la troisième partie d'un territoire déterminé, abandonnée jadis aux habitants du pays par le conquérant, alors que lui s'en était réservé les deux autres parties. (3) Ces domicelli étaient-ils fils ou serviteurs de quelque sieur de Choiseul ou de quelque autre seigneur? Peut-être. (4) « Le un siet en ladicte ville de Verrécourt, et l'autre siet à l'estan dessus, vers Robécourt. Nul autre ne peut faire molin ou foulon en ladite ville ne au finaige et sont bannal par ladite ville. » (Cartul. XXXVIII.) surent convertir en prés fertiles de nombreux terrains jusque-là fangeux, arides ou incultes. Exactement, que possédaient-ils à Vrécourt au commencement du XIV siècle? La réponse nous est donnée par Renard ou Regnier de Choi- seul, fils puiné de Jean de Choiseul et de Berthemette d'Aigremont, dans un acte d'hommage qu'il rendit au comte de Bar, en sa qualité de sei- gneur principal de Vrécourt, l'an 1333. Renaud de Choiseul, chevalier, sire du chastel de Bourbonne et de Bazincourt (1), se reconnaît vassal du comte de Bar « en déclarant tenir de lui tout ce qu'il avait au ban et justice de Verécour, tout ce que Gérard de la Mothe tenait de lui en laditte ville de Verécour, et ce que les religieux de Morimond y tenaient : les moulins, le foulon, l'étang, les dîmes, et tout ce qu'on appelle le ban Saint-Michel. » Ainsi donc : les moulins, le foulon placé au-dessous de l'un de ces moulins (2), l'étang acheté en 1302, les dîmes qui leur venaient de Thiébaut de Lamarche et des domicelli de Martiniaco, enfin le ban Saint-Michel, dont je n'ai pu découvrir leur titre de propriété, voilà tout ce qu'ils possédaient à Vrécourt en 1333. Leurs propriétés et leurs droits y étaient-ils plus étendus deux siècles et demi plus tard, lorsqu'ils les vendirent aux seigneurs de Vrécourt? Je ne le pense pas; car en étudiant, comme nous le ferons plus tard, les biens qui formaient le domaine des de Lavaulx, à Vrécourt, aux XVI et XVII siècles, nous verrons que le surplus de ce domaine leur venait, par achat ou par héritage, de la part qu'avait conservée sur cette terre sei- gneuriale, la famille de Choiseul. En 1333, avons-nous vu plus haut, le principal seigneur de Vrécourt était Renard ou Renauld de Choiseul. Dans l'acte de foi et hommage qu'il rendit au comte de Bar, il est qualifié de seigneur de Bourbonne. Cette terre lui venait de son beau-père, Perrin de Trichastel, seigneur de Bourbonne. Renard de Choiseul eut deux filles, Isabeau et Margue- rite. Celle-ci fut mariée à Gauthier de Beaufremont, et Isabeau, l'aînée, épousa Guillaume de Vergy, auquel elle apporta — du moins en partie — les possessions de son père sur le Mouzon. La chapelle castrale de l'église de Vrécourt a dû servir de lieu de sépulture à quelque membre

(1) Bazincourt, à deux lieues et demie de Bar-le-Duc, dans l'ancienne seigneurie d'Ancerville. (2) Le foulon, appelé aussi battant ou battoir, était destiné à fouler tous les vête- ments de laine tissés ou tricotés, surtout le droguet qui était d'un usage courant chez nos ancêtres, avant cefui du drap qui, aujourd'hui, l'a remplacé. Le foulon de Vrécourt devait être installé sous le moulin de l'étang, où la chute d'eau était plus forte. de cette famille, car on y voit encore leur écusson sculpté dans la paroi qui fait face à l'autel (1). Les armes de Vergy étaient de gueules à trois quintefeuilles d'or. Je ne saurais dire quelle part fut faite, dans la terre seigneuriale de Vrécourt, à Guillaume de Vergy, ni combien de temps sa postérité conserva ce fief; mais la famille de Choiseul, soit par ses alliés, soit par ses descendants directs, en garda une part jusqu'à la fin du XVI siècle, où nous trouvons encore Christophe de Choiseul. seigneur en partie de Vrécourt.

Je ne chercherai pas à établir la filiation de nos seigneurs de Choiseul, depuis Raynier ou Renier, première souche connue de cette illustre famille, jusqu'à Christophe de Choiseul, dernier seigneur de ce nom à Vrécourt. Je mentionnerai seulement que parmi les nombreuses ramifi- cations qui en sont issues, l'une d'elles a porté Je nom de Choiseul de Lanques (2) et que Christophe de Choiseul descendait de cette branche. Ce qui serait plus intéressant à connaître, c'est la part que prirent nos seigneurs, et par conséquent leurs sujets, nos ancêtres, dans les princi- cipaux événements qui caractérisent l'histoire du Moyen-Age en Barrois et en Lorraine. A cette époque de luttes presque continuelles entre châteaux voisins, où chaque seigneur défendait, les armes à la main, ce qu'il croyait être ses droits méconnus, les sires de Choiseul eurent bien des fois l'occasion de se mesurer avec des compétiteurs sur quelque champ de bataille. Grâce aux fiefs nombreux qu'ils possédaient en Bassigny, surtout après l'union de la maison d'Aigremont avec la leur, les sires de Choiseul pou- vaient disposer d'un chiffre, imposant de soldats en cas de guerre. Jean de Choiseul, premier du nom, se crut même de taille à tenir tête au comte de Bar, son suzerain. On ne dit pas pour quel motif, mais les chro- niqueurs qui rapportent le fait ajoutent que le différend ne se termina que grâce à l'entremise de Henri, comte de Vaudémont, et des sires d'Apremont et de Bourlémont (3) (1271). Jean de Choiseul eut de Berthemette d'Aigremont, sa femme, un fils nommé comme lui, Jean, marié à Alix de Nanteuil.

(1) Ces armes ont été hachées pendant la Révolution; mais elles sont encore faciles à distinguer. Elles portent, d'ailleurs, le nom de VERGY dans l'ornement qui leur sert de cadre. (2) A cause d'Isabelle de Lanques, fille et héritière de Jean, seigneur de Lanques, mariée à Louis de Choiseul, en 1412. (3) Voir Dictionnaire de Moréri. Le duc de Lorraine, Ferri III, appréciait grandement la valeur de Jean II de Choiseul. Il voulut, à plusieurs reprises, s'assurer son concours dans une suite de guerres qu'il avait déclarées soit à l'évêque, soit à la ville de Metz. Jean II de Choiseul payait de sa personne avec un entraî- nement que rien ne pouvait arrêter; aussi, au fort de la mêlée, deux fois il fut fait prisonnier en deux campagnes successives (1277 et 1280). La seconde fois, c'était au combat de Moresberg ou Moresperch (Morimont), village situé à trois lieues de Dieuze et de Fénétrange. Les Messins ne le remirent en liberté qu'en échange d'une somme considérable qu'il dut payer comme rançon. Cependant,il était juste que dommages et rançons lui fussent restitués par celui pour qui il avait exposé sa personne et ses biens. Il s'en remit, pour la première fois, à l'arbitrage de quelques seigneurs qui devaient fixer la somme que le duc aurait à lui verser. « Je, Jehans, Sire de Choi- « seul, fais savoir à tous, que comme je demandaisse à mon chier Signour « Ferri, Duc de Lorreigne et Marchis, mes perdes dou pougnis (combat) « où je fut avec luy, et mes depens de ma prison, et ma ranson, je et li « dis Ferri de ces choses devons croire Monsignor Jaikon de Baon, Signor « de la Faiche, et Monsignor Liebaut Signor de Baffromont, et avec ces « dous nos devons croire le Comte de Lucembourc ou Monsignor Girart « de Lucembourc, son frère, ou Monsignor Aubert de Parroye, l'un de « ces trois avec le devant dit Monsignor Jaikon ou Monsignor Liébaut, « lequel de ces trois il me plairait à panre, et cil trois nous puent accor- « der, ou par droit, ou par amour à lor volonté, etc...; en témoignage de « ceste chose sont ces Lettres saellées de mon Seêl, qui furent faittes « l'an de grâce mil dous cens sexante-dix-sept, la vigile de feste saint « Jean-Baptiste (1). »

Nous ne savons quel chiffre fixèrent les trois arbitres pour la rançon de cette année 1277. Trois ans plus tard, au combat de Moresberg, Liébaut de Beaufremont fut lui-même au nombre des prisonniers pour lesquels Ferri dut payer une rançon; il ne put donc, cette fois, être appelé à se prononcer sur le cas de son voisin. Le sire de Choiseul et le duc de Lor- raine s'en remirent à la décison de « noble homme Monsignor Huon de « Courlans, Mareschal de Champagne. » Enfin « en l'an de Nostre-Seignor « mil dous cent quatre-vingts et deux, en mois de Juillet, le Jeudy après « la feste saint Pierre et saint Paul, Apostres (2),» Ferry, duc de Lorraine, et Jean, sire de Choiseul, signaient l'un et l'autre des lettres où ils recon-

naissaient s'être accordés sur le chiffre de deux-mille livres de tournois,

(1) Dom Calmet. Preuves DIX. (2) Ibid., DXI et DXII. tant pour la rançon du prisonnier que pour « tous les domaiges et tous les « dépens qu'il fit en la prison et à poignis devant dit de Moresperch. » Seigneurs de fiefs situés sur les frontières de Lorraine, de Barrois, de Champagne et de Bourgogne, les sires de Choiseul offraient successive- ment leurs services aux souverains de ces différents pays, suivant qu'ils y étaient amenés par leurs intérêts ou par les devoirs de vassalité envers ces suzerains. C'est au duc de Bourgogne que Jean de Choiseul prêta sur- tout son appui après ses aventures avec les Messins : aussi Robert II, duc de cette province, fit de lui son Connétable et le nomma l'un de ses exé- cuteurs testamentaires (1297). Jean II de Choiseul mourut au mois de mars 1308, et fut inhumé dans l'Abbaye de Morimond. Il ne rentre pas dans notre cadre de montrer Jean III de Choiseul, fils du précédent, s'unissant à plusieurs grands seigneurs de Champagne et de Bourgogne contre Philippe-le-Bel pour forcer ce monarque à recon- naître les franchises et les libertés de la noblesse et même du tiers-état (1314). Cependant, cette levée de boucliers contre les empiétements de l'autorité royale, à laquelle le peuple des villes et des campagnes n'avait pas été étranger, eut pour résultat de forcer moralement bon nombre de seigneurs à accorder eux-mêmes plus de libertés à leurs sujets. En Lorraine, sur la fin du XIII siècle, on venait de voir le duc Ferri III favoriser de toute son influence l'affranchissement des populations sou- mises à la servitude. Dans le comté de Bar soufflait le même vent de liberté. Renié ou René de Choiseul, frère (1) de Jean III, entra généreu- sement dans ces vues chrétiennes et humanitaires en donnant à nos an- cêtres leur première charte d'affranchissement (2). Cette charte, datée du mois de septembre 1316, avait pour but de dé- clarer « franches gens, affranchis de toutes serves conditions » une partie des habitants de Vrécourt. Dans ces lettres, auxquelles Edouard, comte de Bar, donna son approbation au mois de mai 1317, Renard de Choiseul écrivait et déclarait : « Je Renard, seigneur de la ville de Verrécourt, « parmi l'accord et les convenances dessus dittes, ay acquitté lesdittes

(1) Frère ou neveu de Jean III, car rien n'indique s'il s'agit ici de Renier I ou de Renier II de Choiseul, son fils. Le premier avait épousé Isabelle de Grancey, veuve de Jean, sire Bourlémont. Il eut pour fils Renier II, marié à Isabeau de Lor. Ce dernier, mort en janvier 1339, fut inhumé à Morimond. (2) Je regrette de n'avoir pu retrouver le texte intégral de cette charte que chacun de mes lecteurs aurait lu avec grand intérêt. La copie en était conservée encore en 1703 aux archives du trésor de S. A. R. de Lorraine. Les extraits que j'en donne sont rapportés dans le mémoire du procès de banalité des moulins de Vrécourt dont il sera parlé plus loin. « hommes de ma seigneurie de laditte ville, présent et à venir, pour moi « et pour mes hoirs (1), sans jamais aller au contraire, de toute taille, « toute surprise, exaction et toutes autres servitudes, et si (ainsi) je leur « ay quitté la main-morte que j'avais et pouvais avoir. » C'était une grande concession faite à ses sujets qui cessaient d'être taillableset corvéables à merci et qui, par la libération de la main-morte, devenaient libres de disposer de leurs biens après leur mort. Jusque-là, en effet, les main-mortables, c'est-à-dire ceux qui étaient soumis au droit de main-morte, « lorsqu'ils venaient à décéder sans hoirs issus de leurs corps, et procréés en légitime mariage, ne pouvaient tester que jusqu'à cinq sols sans le congé de leur seigneur. » Leurs autres biens appartenaient au seigneur. On distinguait cependant plusieurs sortes de main-mortables. Il y avait des hommes de main-morte en tous biens, meubles et héritages; les autres en meubles seulement; les autres en héritages seulement. Ce droit n'était pas uniforme dans toutes les coutumes (2). Je n'ai pas vu en quoi il consistait à Vrécourt. Les affranchis n'étaient cependant pas libérés de toutes redevances envers leur seigneur ; mais désormais ces redevances étaient spécifiées et limitées, et chacun savait que rien de plus ne serait exigé de lui que ce qui était porté dans la charte : « Chacun chief d'hostel de mesdits « hommes dessus nommés, » y était-il dit, « payera par chacun an, « au lendemain de Noël : un bichet d'avoine à la mesure de Choiseul; « un pain de deux deniers-tournois, petite monnoie boursable; une « geline et deux deniers de laditte monnoie, pour le fournage. » De son côté, le seigneur s'obligeait « de faire tenir les fourgs et les moulins et autre chose en bon us qu'ils ont été anciennement. » N'ayant pas sous les yeux le texte complet de cette charte, je ne puis dire à combien de familles elle s'étendait; mais il est bien sûr qu'elle ne favorisait qu'un nombre déterminé de bourgeois (3), puisque le seigneur de Vrécourt n'exempte que « les chiefs d'hostels », c'est-à-dire les chefs de ménages (4), ou les hommes possédant maison désignés dans sa charte. Les historiens qui nous ont montré Jean de Choiseul combattant pour la cause de Ferri III contre les Messins, en 1277 et en 1280, ne nous disent point si ses fils et descendants combattirent au XVI siècle à côté

(1) Mes fils, mes héritiers; du mot latin hœres, qui veut dire héritier. (2) Dictionnaire de Trévoux, édition de 1734. (3) En cessant d'être serf, l'affranchi devenait franc bourgeois. (4) C'est la signification du mot hostel ou hôtel qui vient du mot latin hospitale, ménage. des comtes de Bar et des ducs de Lorraine sur les divers champs de bataille où ceux-ci appelèrent leurs vassaux. Y avait-il quelque Choiseul parmi les nombreux seigneurs lorrains et barrois qui, à la suite de leurs princes, portèrent secours aux rois de France soit à Cassel, en 1328, soit à Crécy, en 1346, soit à Rosebecke, en 1382, soit surtout à Azincourt, en 1415? Ne trouvant pas leur nom mentionné par mi les vaillants dont le sang coula pour la France dans ces célèbres journées (1), je n'ai pas à m'arrêter aux événements dont ces champs de bataille rappellent le sou- venir. Nous ne sommes donc pas renseignés sur le parti qu'embrassèrent nos seigneurs dans la lutte qui se prolongea si longtemps entre Arma- gnacs et Bourguignons, entre Français et Anglais, aux jours où Jeanne d'Arc se leva pour bouter ces derniers hors de France. Mais René d'Anjou, le jeune duc de Bar, qui bientôt allait être aussi duc de Lorraine, ayant embrassé ouvertement le parti de la France, il est à croire que nos sei- gneurs de Choiseul ne suivirent pas Antoine de Vergy, leur cousin, ar- dent partisan des ducs de Bourgogne, et qu'ils accordèrent leur sympathie et leur appui au pays que nos ancêtres du Bassigny considéraient depuis longtemps déjà comme une sœur patrie. A défaut. de renseignements plus précis sur l'histoire de nos seigneurs en cette fin du Moyen-Age, arrivons au résumé que donne D. Calmet, touchant la terre de Vrécourt.

D'après cet historien, anciennement les maisons de Choiseul et de Bignécourt se partageaient, dans la terre de Vrécourt, ce qui n'appartenait pas à l'abbaye de Morimond. Cet «anciennement» ne doit pas s'entendre d'une époque bien antérieure à la seconde moitié du XV siècle, car le nom de Bignécourt ne paraît pas avoir été connu dans le Bassigny mou- vant avant cette époque. L'histoire est frès parcimonieuse de renseignements (2) sur la famille de BIGNÉCOURT et ne nous dit point comment l'un des siens devint seigneur de Vrécourt. Les dictionnaires généalogiques se contentent de

(1) Ferri IV, duc de Lorraine, fut tué à Cassel (23 août 1328). Raoul, son fils, e Edouard, comte de Bar, restèrent parmi les morts à Crécy (26 août 1346). A Azin- court (25 octobre 1415), périrent Edouard III, duc de Bar, Ferri, comte de Vaudé- mont, et frère du duc de Lorraine et une foule de chevaliers de haute lignée. (2) Nous savons cependant que cette famille était d'ancienne chevalerie. On trouve en 1333, Thierry de Bignécourt, écuyer, pour Pont-à-Mousson (Arch. de Bar, B, 310). Bégnicourt, Bignicourt, ou Bignécourt — on trouve le nom écrit de ces trois ma- nières — était une seigneurie, aujourd'hui simple hameau, dépendant de la com- mune de Clémery, près de Pont-à-Mousson. nous donner la description de leurs armes qui étaient : d'azur, à la fasce d'argent, chargée de trois merlettes de sable. Les de Bignécourt durent arriver à Vrécourt vers l'époque de la pre- mière réunion du Barrois à la Lorraine. Un fils de cette maison épousa- t-il une héritière de la maison de Choiseul? C'est assez probable (1). Toujours est-il qu'en devenant seigneurs de Vrécourt ces nouveaux feu- dataires vinrent fixer leur demeure habituelle parmi leurs sujets, vécurent et moururent au milieu d'eux, comme en fait foi la pierre tombale de Pierre de Bignécourt conservée dans l'église paroissiale. PIERRE DE BIGNÉCOURT, écuyer, seigneur en partie de Vrécourt, fournit son dénombrement pour ladite terre au duc René le 24 Fé- vrier 1499. Il est le premier du nom qu'un acte officiel nous mentionne avec le titre de seigneur de Vrécourt. Pierre fit-il reprise ce jour-là d'une seigneurie qui lui venait par héritage de son père marié avec une dame de Choiseul? Cela paraît très vraisembable. Ecuyer et maréchal-des-logis dans l'armée de René II, il combattait sous les murs de Nancy dans la fameuse journée du 5 janvier 1477 où fut tué Charles-le-Téméraire. « En considération des bons, fructueux, « laborieux et agréables services qu'il avait faits à René pendant sa « guerre contre le duc de Bourgogne, sans aucunement l'abandonner, » le duc de Lorraine lui accorda, le 4 janvier 1481, « la permission de « construire une maison au lieu d'Illoud, sénéchaussée de Bourmont en « Bassigny, et d'y faire portes, fossés et ponts-levis (2). » C'est l'origine de la maison-forte de ce lieu, d'où est sans doute venu le nom de La Fortelle, hameau adjacent à ce village. René lui continua ensuite les marques de sa confiance en faisant de lui son bailly (3) du Bassigny (4) (1503-1504). C'était une charge très importante. Le bailly, en effet, ainsi que l'explique l'étymologie du mot, était l'homme à qui le prince avait baillé ses droits à garder. C'était un autre lui-même pendant son absence ou pendant qu'il vaquait à d'autres soins. En Lorraine et Barrois, seuls les ducs nommaient des baillis. Il était le gouverneur général d'une province. Choisi dans les familles les

(1) Nous savons bien, par exemple, que Jean de Choiseul, arrière petit-fils de Renier II, et son petit cousin Amé de Choiseul, qui vivaient au commencement du XV siècle, n'eurent l'un et l'autre que des filles mariées dans la maison d'Anglure; mais il peut très bien se faire qu'un de Bignécourt en ait épousé une autre qui lui aurait apporté une partie de la seigneurie de Vrécourt. (2) V. Mémoires d'Archéologie Lorraine, 1859, p. 347. (3) Le Barrois était alors partagé en quatre bailliages : ceux de Bar, de St-Mihiel. de Bassigny et de Clermont-en-Argonne. (4) Archives de Bar, B. 2336. plus titrées et parmi les militaires les plus anciens et les plus élevés en grade, il avait moins pour mission de rendre la justice que de la surveiller et de la diriger. La force publique de la province — ou du bailliage — était à ses ordres; il ne se faisait pas un mouvement de troupes qu'il n'y participât. Il était à la fois le général et l'intendant de sa circonscription ; le duc seul y était au-dessus de lui (1). En 1507, Pierre de Bignécourt prit part à la rédaction des Coutumes du Bassigny, ordonnée par le duc René. Avant cette époque, la législa- tion consistait en coutumes spéciales, variables avec chaque bailliage, non codifiées par écrit, et dont « les parties litigants devaient prouver la valeur tenue notoire audit bailliaige. » Il en résultait souvent « de grands frais et dispens pour probation d'icelle, » car il fallait quelquefois faire comparaître des témoins éloignés pour en attester la valeur. Déjà, sur les confins de la Lorraine et du Barrois, la codification des Coutumes était faite : pour la Bourgogne et la Comté depuis 1459; pour Chaumont-en-Bassigny, depuis 1494; pour le bailliage de Sens, depuis 1495. Le Roi de Sicile (2) qui se voyait seul et incontesté maître du duché depuis la mort de Charles-le-Téméraire, jugea que l'heure était venue pour lui de procurer le même bienfait à ses sujets. Il commença par le Barrois. Bar eut son Coutumier à la fin de 1506. Aussitôt après, il voulut que le Bassigny eût également le sien. Dans ce but, il fit « assembler et « convocquer en bon nombre des gens d'esglise, nobles et praticiens plus « expers estans oudit bailliaige, » afin qu'ils « regardent à accorder toutes « les coustumes et usaiges gardez et observez ou dit bailliaige, les mettent « et rédigent par escript... pour doresenavant les tenir et avoir pour « notoires en jugemens et dehors, sans qu'il soit nécessaire autrement « vériffier ou prouver par tesmoings. » Sur la convocation du bailly de Bassigny — qui en cette année se trou- vait être Jehan de , seigneur de Belmont, de Romain-sur-Meuse, etc. — et de Didier Beget, sénéchal de La Mothe et Bourmont, les trois Etats se réunirent du 23 au 26 février 1507 simultanément à La Marche et à La Mothe. Douze ecclésiastiques, quatorze nobles ou officiers du prince, treize représentants du Tiers, praticiens, gens de justice et bour- geois prirent part à cette assemblée où fut rédigé le Coutumier du Bassi- gny. Pierre de Bignécourt — l'ancien bailly du Bassigny — escuyer, sei- gneur de Verrécourt en partie, Guillaume de Seurey, escuyer, aussi seigneur en partie de Verrécourt, et Didier de Mandres, escuyer, seigneur

(1) V. Dumont : Justice criminelle des duchés de Lorraine et de Bar. (2) C'est le nom sous lequel René II est très souvent désigné, car il était tout à la fois roi de Jérusalem, roi de Sicile, duc de Lorraine et de Bar, etc. de Chaumont-la-Ville en partie, prirent au travail de la rédaction une part qui dut être prépondérante, car seuls de leur ordre, « par ordon- nance desdits estatz, » ils signèrent le texte des Coutumes rédigées en trente-six articles (1). C'est le Coutumier qui eut force de loi en Bassi- gny jusqu'en 1580, époque où fut refondue et complétée l'œuvre de 1507. Nous venons de rencontrer, à la réunion des Etats du Bassigny (1507), deux seigneurs de Vrécourt : Pierre de Bignécourt et Guillaume de Seurey. Ils n'étaient pas seuls à se partager, à cette date, notre seigneu- rie. Sans parler de la part qui, depuis plus de deux siècles, se trouvait entre les mains des religieux de Morimond, nous trouvons l'héritage des sires de Choiseul morcelé au moins en quatre parts : tout à l'heure, en effet, nous allons voir comparaître aussi comme vendeur d'une part de Vrécourt Arnoul de Choiseul, et jusqu'à la fin de ce XVI siècle, une autre part restera encore l'héritage d'une branche de cette antique mai- son représentée chez nous par Christophe de Choiseul. Pierre de Bignécourt, avons-nous dit, devait tenir sa part d'une dame de Choiseul qu'aurait épousée son père. Guillaume de Sivry tenait la sienne de Bénigne de Choiseul, sa mère. D'où venait ce nouveau seigneur? Il descendait d'Olry de Sivry (2), seigneur de et Courcelles (3). D'Olry de Sivry sont issus Loys (ou Louis) et Marguerite. Loys de Sivry épousa Bénigne de Choiseul, d'où lui vint une partie de Vrécourt. C'est son fils, Guillaume (4) — alors âgé de 40 ans — qui collabora à la rédaction des Coutumes du Bassigny. Après lui nous trou- vons sa seigneurie de Vrécourt, toujours désignée sous le nom de fief ou seigneurie de Sivry, tenue par le sieur d'Auxy ou d'Aulcy, mais avec cette particularité, c'est que les habitants de Vrécourt qui faisaient partie de cette seigneurie étaient sous la garde (5) des ducs de Lorraine et de Bar, auxquels ils payaient un droit de garde (6) dont il sera fait mention

(1) v. Pierre Boyé : Bulletin historique et philologique, 1901. (2) Primitivement on écrivait : Xyverey, Seurey ou Seury. Depuis le XVI siècle le nom est orthographié : Sivry. (3) Dolaincourt et Courcelles, près de Châtenois. Il fit reprise de ces deux fiefs en 1457. (4) Le père était mort en 1504, car Bénigne de Choiseul, sa veuve, fit reprise en cette année de plusieurs fiefs près du duc de Lorraine et de Bar. Guillaume, son fils, reprenait en fief Vrécourt en 1525. Il était aussi seigneur de Maxey-sur-Vaise (Meuse). (Arch. de M.-et-M. Layette La Marche, 1, n° 121 et 2, n° 2.) (5) Archives de Bar, B. 2434 et 2443. (6) De même que les monastères ou établissements religieux se mettaient sous la protection des voués, comtes ou ducs, ainsi les seigneurs confiaient la sauvegarde de leurs hommes au souverain lorsqu'ils ne pouvaient les protéger par eux-mêmes. dans la suite. En 1579, elle s'appelait seigneurie de Guillaume de Cham- bley (1), probablement parce qu'elle avait passé de la maison d'Aulcy à cette autre famille; mais je n'ai pas retrouvé ailleurs le nom de ce nou- veau propriétaire. Sous doute que la seigneurie aura été achetée dans la suite par nos seigneurs de La Vaulx. Olry de Sivry devait avoir une particulière estime pour nos seigneurs de Vrécourt, car après avoir demandé la main d'une héritière de Choiseul pour son fils Louis, il recherchait l'alliance de Pierre de Bignécourt pour sa fille Marguerite, dame de Dolaincourt et Courcelles. De ce mariage naquirent Regnaud et Marguerite (2). Regnaud de Bignécourt ne devait pas conserver longtemps sa part d'héritage dans la terre de Vrécourt. En 1524, le 25 septembre, d'après Dom Calmet, le 15 mai, d'après Dom Pelletier, il la vendit à son neveu Errard de La Vaux, dont nous allons voir bientôt la descendance se continuer à Vrécourt jusqu'à la Révo- lution française. Marguerite de Bignécourt, la sœur de Regnaud, avait épousé André de La Marck, ou de La Marche, seigneur de Gironcourt. Ce mariage rendait le seigneur de Gironcourt seigneur en partie de Vrécourt, Courcelles et Dolaincourt. Une fille unique, nommée Barbe, hérita de ses quatre fiefs qu'elle apporta en mariage (1522) à Erard de Laval, ou de la Vaux. A partir de cette époque, nous n'allons bientôt plus connaître d'autre sei- gneur de Vrécourt que la Maison de la Vaulx. Erard, en effet, commença par acheter la part qu'y possédait son oncle maternel, Regnaud de Bigné- court, réunissant ainsi sous sa main tout ce qu'y avait possédé Pierre de Bignécourt. De plus, il achetait en même temps d'Arnoul de Choiseul la part que ce dernier possédait sur cette terre. Moitié de la seigneurie de Vrécourt était donc passée, dés 1524, sous la domination d'Erard de La Vaulx.

(1) Archives de Bar, B. 2443. (2) Je ne mentionne pas un autre fils, Jehan, qui mourut sans postérité. CHAPITRE III

SEIGNEURS DE VRECOURT, DU XVI AU XVIII SIÈCLE

La famille DE LA VAULX apparaît à Vrécourt avec Erard de La Vaulx, du jour de son mariage avec Barbe de La Marche, dame de Vrécourt. D'où venait cette famille? La maison de Laval ou de La Vaulx (1), encore existante en France et en Autriche, tirait son origine, selon le P. Berthelot (2), de celle des comtes de Chiny, en Luxembourg. Dans le XIV siècle, elle s'attacha au duc de-Bar. L'un de ses membres, Husson de la Vaul, fut même fait pri- sonnier avec le duc Robert, le 4 avril 1368, dans une Latailleque celui-ci livrait aux Messins devant la ville de Ligny (3). Sa fidélité, et celle de ses descendants aux ducs de Bar ne fit que s'en accroître. Après la bataille d'Azincourt, où périrent glorieusement les derniers rejetons de la maison de Bar, quand le cardinal Louis prit en mains le gouvernement du duché, un certain nombre de seigneurs, bannerets, chevaliers et écuyers, s'unirent ensemble pour pacifier le pays, mettre fin aux querelles intestines et aux désordes qui épuisaient sans profit toute la province, et aider le cardinal-duc à garder ses états. Ils étaient quarante-sept qui s'unissaient ainsi sous la protection de leur duc en une « compagnie » dont les membres promettaient de s'entr'aider loya- lement les uns les autres en tout péril et danger, et de résoudre tout différend entre eux, non plus par les armes, comme autrefois, mais d'après les règles du droit ou la sentence arbitrale du duc. L'élite de la noblesse barroise se retrouvait dans cette association qui prit le nom de Compagnie du Lévrier blanc, parce que l'insigne des affiliés consistait en un « lévrier blanc » ayant « en son col un collier »

(1) Depuis le commencement du XVII siècle, on trouve le nom de LA VAULX ordi nairemeut orthographié comme je viens de l'écrire. Autrefois, on écrivait : la Vaulx Lavaux ou Lavaulx Nombreuses sont les localités qui ont porté le nom de Laval, la. Vaux, Lavaulx, etc. Selon M. Pierre Boyé, celle dont nos seigneurs ont tiré leur nom serait Lavaux, de la province de Namur, en Belgique. Ne serait-ce pas plutôt comme l'admet M. Léon Germain, Lavaux, écart de Mellier, canton de Neufchâteau province de Luxembourg? (2) Dans son histoire du Luxembourg. (3) D. Calmet. Preuves DCIV. où on lisait ces mots : TOUT UNG. A côté des seigneurs de Blamont, de Beaufremont, du Châtelet, des Armoises, de Bassompierre, de Sampigny, etc., on trouvait le nom de Warry de la Vaulx, fils du prisonnier de Ligny (1). C'est une preuve de l'importance que la maison de La Vaulx avait déjà acquise en Barrois longtemps avant le 31 mai 1416, jour où fut signé l'acte d'érection de la Compagnie. Entre Warry I et Erard I — l'acheteur de la terre de Vrécourt — c'est-à-dire pendant le cours du xve siècle, la famille de La Vaulx con- tinua d'exercer près de nos ducs les fonctions les plus importantes. Warry II, petit-fils de Warry I, était maréchal des armées du duc de Bar. François de La Vaulx, fils de Warry II, fut d'abord échanson du dau- phin Louis XI, puis capitaine de ses gendarmes lorrains et allemands (2). Il en revint avec la croix de chevalier de l'ordre royal. Ses descendants affirment qu'il fut ensuite gouverneur de Neufchâteau, qu'il défendit avec vaillance cette place contre les Bourguignons, qu'il y perdit même son fils aîné dans un brillant fait d'armes (3). L'investissement de Neufchâteau par les Bourguignons dont il est ici question est de l'année 1476. Charles-le-Téméraire, qui ne visait à rien moins qu'à déposséder René II de son duché pour en agrandir ses états, venait de s'emparer de Nancy et de presque toutes les places fortes de Lorraine. Il demanda à Neufchâteau de faire sa soumission comme les autres en reconnaissant son autorité. La ville se soumit-elle de son plein gré ou après résistance? Ici les historiens sont en désaccord. Le récit le plus complet qui nous a été laissé de la guerre de René II contre le duc de Bourgogne est contenu dans la « Chronique de Lorraine » écrite par un héros de cette lutte. Suivant ce narrateur, quand Charles se fut emparé d'Epinal et y eut laissé une garnison, « il tira vers , « Beulgnéville, le Neufchastel, Chastenoy ; tous à luy se rendirent sans « coup frapper. Dedans ledict Neufchastel grande garnison il mit : tous

(1) M. Pierre Boyé, dans sa brochure sur « la Compagnie du Lévrier blanc » (Crépin-Leblond, 1903) émet l'opinion (p. 32) que c'est de Warry II, époux de Jeanne de Sorbey, qu'il s'agit dans l'acte d'érection de la Compagnie. C'est une erreur. Warry II, arrière-petit-fils de Husson de la Vaul, très probablement n'était pas au monde en 1416. En tout cas, s'il était vivant, il n'était pas d'âge alors à prendre les engagements solennels des alliés du Lévrier blanc. (2) On donnait le nom de gendarmes à ceux qui formaient la garde du prince. Ceux-ci étaient appelés des pays voisins, Lorraine et Allemagne, comme soldats mercenaires : telle la garde suisse sous Louis XVI. (3) V. Jean Cayon, dans son Ancienne Chevalerie de Lorraine, article imprimé en 1853, d'après les titres et autres pièces authentiques communiquées par M. le Comte de La Vaulx. VRÉCOURT. — Dalle funéraire de Pierre de Bignécourt et de Marguerite de Sivry (commencement du XVI siècle).

« les seigneurs à l'environ se mirent en son obéissance. » — D'après Dom Calmet, au contraire, Jean (1) de la Vaulx, gouverneur de cette place, sut la maintenir sous l'obéissance de René II. — Un autre affirme que le gouverneur de Neufchâteau était alors, non pas François de La Vaulx, mais Achille de Beauveau, et qu'il se maintint dans le gouver- nement de cette ville « tout le temps qu'on ne l'y attaqua que par des « promesses ou-par des menaces. Il ne se rendit qu'à la dernière extré- « mité. Pour le réduire, il fallut qu'on vint le forcer par les armes. Il se « défendit en brave et ne demanda à capituler que quand il s'y vit con- « traint par ses troupes. » (2) Que penser de ces différentes affirmations qui paraissent bien contra- dictoires? Peut-être y a-t-il une part de vérité chez chacun de ces auteurs. Achille de Beauveau avait été créé capitaine de Neufchâteau par René II, en 1473, puis, un peu après, son grand maître d'hôtel (3). Quand, en octobre 1475, s'approchèrent les troupes du duc de Bourgogne, il peut se faire qu'il ait résisté d'abord « aux promesses et aux menaces, » et que, « contraint par ses troupes, » qui se voyaient menacées d'être écrasées par le nombre, réduit de ce fait « à la dernière extrémité, il ait demandé à capituler » avant que les Bourguignons aient engagé la lutte. Il paraît bien, d'ailleurs, que les habitants de Neufchâteau accueillirent avec faveur le conquérant, car l'année suivante, René leur écrivait qu'il était tout disposé à oublier leur défection passée s'ils revenaient à lui, et s'ils l'aidaient à débouter de leur ville l'armée ennemie (4). Dans tout ce récit nous ne voyons pas figurer le nom de François de La Vaulx; mais le silence du chroniqueur ne prouve pas que celui-ci ne soit pas intervenu, soit en même temps qu'Achille de Beauveau pour détourner la ville de Neufchâteau d'une soumission empressée et désho- norante, à l'époque de l'invasion bourguignonne, soit pour la ramener un peu plus tard au souverain légitime, en l'aidant à chasser de ses murs les soldats qui y défendaient encore le drapeau du duc Charles. Malgré l'absence de textes contemporains appuyant l'historicité de ce fait, les comtes de La Vaulx le croient authentique, et prétendent même s'appuyer sur cette preuve de dévouement à la maison de Lorraine pour expliquer l'origine de leur blason. Au moyen âge, la maison de La Vaulx portait dans ses armoiries trois

(1) C'est François de La Vaulx, qu'il faut lire, et non pas Jean. (2) V. « La guerre de René II, duc de Lorraine, contre Charles le Hardy, duc de Bourgogne, » par le P. Aubert Roland, cordelier. (Luxembourg, 1742.) (3) Mémoires d'Archéologie Lorraine, 1853, p. 312. (4) La lettre de René est datée du camp devant Nancy, 11 septembre 1476 (v. ibid. p. 313.) herses d'argent, comme on le voit encore sur le sceau de Wary de la Val, abbé de Saint-Michel (1), apposé à deux chartes de 1487. Les trois herses (2) se composent chacune de trois pieux, la pointe en haut, et de deux traverses horizontales, l'une à la base, la seconde à peu près au tiers de la hauteur.

Dans les armoiries conservées à Vrécourt, soit à l'église, dans les cha- pelles castrales, soit sur la façade de la maison du marcaire (3), soit dans le sceau du tabellionage de la baronnie, les trois herses ont fait place à trois tours crénelées. Tous ces écussons portent : de sable, à trois tours d'argent, 2, 1. Pourquoi ce changement? Les comtes de La Vaulx répondent : C'est en récompense du grand service rendu au duc de Lorraine par François de La Vaulx, lorsqu'il garda à son prince la ville de Neufchâteau. René II, par lettres données au château de Bar le 20 mars 1503, accorda à celui-ci et à ses descendants le droit de porter dans l'écu de leurs armes celles de ladite ville, c'est-à-dire trois tours d'argent. Ceux qui ne voient dans le récit de ce fait d'armes qu'une légende, ne croient pas davantage à la récompense accordée à François de La Vaulx par le duc de Lorraine et de Bar. Ils estiment donc que le changement s'est fait par évolution graphique due aux graveurs ou sculpteurs qui, ne se rendant pas compte de ce qu'étaient les trois pointes de herses renversées, auraient cru reconnaître dans ces trois pointes autant de créneaux d'une tour fortifiée, et auraient alors dessiné trois tours au lieu de trois herses. Quoi qu'il en soit de cette explication, qui n'a rien d'invraisemblable,

(1) C. f. Les Armoiries de la Maison de La Vaulx, par Léon Germain (1894). (2) Il s'agit ici non de la herse de labour, mais de la herse de fortifications que l'on plaçait entre le pont-levis et la porte, soit d'une ville, soit d'un château, pour en défendre l'entrée. (3) Maison qui appartient maintenant à M. Sauvageot, fabricant de charrues. la famille de La Vaulx, depuis le commencement du XVI siècle, époque où elle apparut à Vrécourt, jusqu'au commencement du XVIII siècle, n'eut pas d'autre blason que celui que je viens de mentionner : de sable, à trois tours d'argent, 2, 1. Les créneaux sont généralement au nombre de trois. Je n'en ai vu quatre que dans le sceau du tabellionage (1). Je

dirai plus tard que ces armes furent modifiées encore à l'époque où les seigneurs de La Vaulx furent créés comtes. (1 partie du XVIII siècle.)

Erard de La Vaulx s'était déjà fait un renom parmi les plus illustres gentilshommes de Lorraine quand il épousa Barbe de Lamarck, dame en partie de Vrécourt. Attaché à la personne du duc Antoine « de tout le temps de son âge », Erard lui rendit de continuels et signalés services que le duc se plaisait à reconnaître. René II avait fait élever son fils Antoine à la cour de France, mais en lui donnant pour gouverneurs deux seigneurs de l'ancienne chevalerie lorraine, Erard de Dommartin, bailly de Vosge, et Louis de Stainville, sénéchal de Barrois. Les historiens ne nous signalent point la présence à Paris du jeune Erard de La Vaulx aux côtés du futur héritier de la cou- ronne ducale; mais puisque le duc Antoine nous dira en 1542 qu'il veut récompenser les services que lui a rendus Messire Erard de Laval « tout le temps de son âge, tant delà les monts, en France que en Allemagne, » lui -même nous apprend ainsi qu'à côté des seigneurs lorrains chargés de veiller à son éducation, le duc avait aussi près de lui de jeunes écuyers ou chevaliers aux fonctions moins brillantes mais néanmoins très utiles. Erard de Laval était de ceux-là. Attaché à son jeune prince pendant les années qu'il passa à Paris, il

(1) Scel en cire apposé à un acte notarié de 1698. l'accompagna aussi à la guerre « tant delà les monts, » c'est-à-dire en Italie, « que en Allemagne. » Deux fois Antoine, dans les premières années de son règne, franchit les Alpes pour aller défendre les intérêts du roi de France. La première fois c'était en 1509, pour y suivre Louis XII, en guerre avec les Vénitiens. La rencontre eut lieu à Agnadel. Le duc Antoine et les quarante gen- tilshommes lorrains qui l'accompagnaient y firent preuve d'une telle va- leur, que le roi les combla de louanges devant toute l'armée et voulut faire chevaliers tous les seigneurs lorrains après la bataille. Six ans plus tard (1515), Antoine franchit de nouveau les Alpes avec François I et prit part avec lui au combat de Marignan où les Suisses furent complètement défaits. Erard de Laval dut faire partie de l'une et l'autre de ces expéditions, puisque son prince le récompensa plus tard pour les services qu'il lui avait rendus spécialement « par delà les monts. »

En Italie, le duc Antoine n'était conduit que par le désir d'être agréable aux rois de France; il ne combattait là-bas ni pour ses intérêts, ni pour ceux de là Lorraine. Vint le jour où il fut obligé de prendre les armes pour défendre ses propres Etats contre un terrible ennemi : les Rustauds. C'était en 1525. A la suite des prédications de Luther en Allemagne, le peuple des campagnes ne s'était point contenté de se soulever contre l'Eglise, à laquelle en voulait directement le moine réformateur ; il vou- lait et réclamait aussi l'abolition de l'ordre politique et social. Entraînés par la fougue de quelques prédicants, les campagnards se coalisèrent, prirent les armes, et se mirent à piller et à brûler châteaux, églises, mo- nastères, et à massacrer les bourgeois connus par leur attachement à la religion catholique. On les appela les Rustauds (1). Le mouvement insurrectionnel venait de gagner toute l'Alsace, depuis Bâle jusqu'à Wissembourg, et menaçait de s'étendre en Lorraine. Les Rustauds annonçaient hautement qu'ils envahiraient bientôt le Duché, et iraient ensuite soulever les paysans de France. Déjà l'insurrection éclatait dans la partie allemande de la Lorraine, du côté de Bitche, Vie et Dieuze; déjà une bande de Rustauds, arrivant par les vallées de Schirmech et de Celle-sur-Plaine, avait failli surprendre la ville de Saint-Dié. En ce grave péril, le duc Antoine prit d'énergiques mesures pour sauver la Lorraine. Il demanda au clergé des subsides en argent, et à la noblesse des contingents militaires. Chacun s'empressa de répondre à l'appel du prince. Aidé aussi par le comte de Guise, son frère, qui lui

(1) Du latin rustici, campagnards. amena de Champagne un corps de six à huit mille hommes, tant fran- çais que mercenaires étrangers, il se mit en campagne au commencement de mai 1525. Moins de trois semaines après, les Rustauds étaient com- plètement battus, tant à Saverne (15 mai), que près de Schlestadt (20 mai), et le Duc, rentré dans ses Etats, pouvait licencier ses troupes et rendre grâce à Dieu. Ici encore je ne saurais dire le rôle que remplit Erard de La Vaulx dans le cours de cette campagne, le chroniqueur ne nous ayant laissé que les noms des principaux chefs de l'armée lorraine. Mais Erard dut s'y faire remarquer par de réelles qualités militaires, car c'est sur lui que le duc fixa ensuite son choix pour en faire d'abord le maréchal de son hôtel (1), puis, quelques années plus tard, en des circonstances particu- lièrement délicates, le gouverneur de Châtel-sur-Moselle. Châtel, pendant trois siècles (de 1071 à 1377), a appartenu aux comtes de Vaudémont. A son mariage avec Thiébaut VII de Neufchâtel, sei- gneur de Fontenoy (2), Alix de Vaudémont, fille du comte Henri V, reçut en dot « le chasteau et chastellenie de Chastel-sur-Mosel. » Thié- baut était bourguignon. Sous la domination de ce nouveau seigneur et de sa postérité, Châtel devint donc une ville bourguignonne enclavée en Lorraine. Puis voilà qu'au commencement du XVI siècle, faute de des- cendants mâles dans la maison de Neufchâtel, cette seigneurie, tombée en mains féminines, fut portée en mariage, ou par donations testamen- taires, à des familles allemandes. Mais en 1533, les prétendants et pré- tendantes à ce bel héritage étaient si loin de s'entendre, que le duc de Lorraine jugea le moment venu de faire passer cette place forte et ses dépendances dans les domaines de sa couronne. D'accord avec Marguerite de Neufchâtel, abbesse de , l'une des prétendantes, Antoine se présenta devant Châtel pour en prendre possession, sur la fin de l'année 1533. Les historiens ne nous disent pas que le duc ait dû lutter contre la garnison de cette place pour entrer dans la ville. Cependant, puisqu'il reconnaissait, huit ans plus tard, avoir été aidé par Errard de Laval « en la prise et garde de Châtel, » c'est que la prise de possession de la place ne se fit pas sans coup férir. Il y laissa un corps de troupes auxquelles il donna pour capitaine son fidèle et dévoué Errard. La garde de Châtel ne fut pas sans mérite pour le nouveau gouverneur. Au commencement de l'année 1535, il se vit assiégé subitement par un ennemi qui comptait le surprendre et s'emparer de la ville. Les annalistes

(1) Les maréchaux furent remplacés ensuite à la Cour par les grands écuyers. (M. d'Arch. Lor. 1869, p. 349.) (2) Fontenois-le-Château, près de Bains-les-Bains.