La rubrique DES PATRIMOINES de

Conservation Départementale du Patrimoine N U M É R O S E I Z E ■ D É C E M B R E 2 0 0 5 ÉDITORIAL ÉDITORIAL La rubrique

n septembre dernier, le rendez-vous des Journées européennes du patrimoine a été, une fois de plus, un vif succès. Plus de 38 700 visiteurs ont été accueillis dans tout Ele Département. En point d’orgue des Estivales, le château des ducs de Savoie a plus par-

Les granges de Chandon, ticulièrement ouvert de nouveaux espaces comme les Salles basses ou la salle de réception commune de Méribel-les-Allues. de l’Académie de Savoie malgré les contraintes du plan Vigipirate. Une exposition instal- lée dans le jardin du Vieux-Pavillon, a proposé au public quatre projets de cabinets d’architecture, après appel à projet et mise en concurrence, sur la rénovation et l’embellis- sement de la Cour d’honneur, des jardins et des abords, première étape de la valorisation La rubrique patrimoniale du château portant sur l’amélioration de l’accueil du public et sur la création des Patrimoines d’un pôle historique et culturel. de Savoie Le public, amoureux du patrimoine, tient en effet une place primordiale au cœur de la poli- Numéro seize tique culturelle départementale et des actions de sauvegarde et de valorisation menées en

Conseil général faveur du patrimoine. Au cours de cette année, le Conseil général de la Savoie s’est impliqué de la Savoie davantage pour animer le Réseau des musées et maisons thématiques de Savoie et inciter Conservation départementale le public à diversifier son intérêt pour les patrimoines des pays de Savoie : un pass-musée du Patrimoine Hôtel du département, BP 1802 offre ainsi la possibilité au visiteur de panacher un parcours muséographique attractif par 73018 Chambéry cédex son éclectisme et la complémentarité des contenus archéologiques, historiques, ethnogra- Tél. (00-33-4) 04 79 70 63 60 phiques, artistiques, scientifiques et naturalistes que proposent les établissements du réseau. Fax (00-33-4) 04 79 70 63 01 J’ai tenu à ce que cette invitation au musée soit plus conviviale pour le plaisir de la décou- E-mail [email protected] verte et pour l’enrichissement de chacun. Le Conseil général a ainsi demandé à Philippe Directeur de la Publication Roman, poète et cuisinier humaniste, d’organiser des soirées autour de textes, savoureux Philippe VEYRINAS et truculents, personnalisés pour six établissements, avec visite guidée ouverte à tout public

Rédacteur en chef et souper spectacle ; elles ont connu un vif succès. Par voie de presse, un article quotidien Philippe RAFFAELLI sur un objet insolite de musée a sollicité au cours de l’été la curiosité du public. Une réflexion a été également engagée pour améliorer l’accessibilité des musées et maisons Crédit photographique CAUE de la Savoie thématiques au public en situation de handicap. Enfin, le Guide des musées et maisons (couverture) thématiques diffusé en nombre a été complété par deux dépliants sur les thèmes de Hervé Foichat, CDP (page 3) l’Archéologie et de l’Artisanat. Archives départementales de la Savoie (page 4) Cette action départementale de promotion, d’amélioration de la qualité de l’accueil, de Archives municipales de Cluses médiatisation et de vulgarisation, à l’attention de tous les publics, a pu être menée grâce (page 5) au réseau des partenaires, privés et collectivités locales territoriales ; je souhaite qu’elle soit Conservatoire d’Art et renforcée par la Conservation départementale du patrimoine en 2006, en parallèle au déve- d’Histoire, Conseil général de la Haute-Savoie loppement des Itinéraires remarquables qui sera poursuivi par la création de trois nouveaux (pages 6 et 7) parcours incitatifs pour découvrir sites historiques, monuments et personnages célèbres du Jean-François Laurenceau, CDP département. (pages 8 et 9) Audrey Coda-Zabetta Pour un meilleur rayonnement des actions comme des projets patrimoniaux des territoires (avec l’aimable autorisation des de Savoie, le Conseil général apportera en 2006 tout son soutien et le concours de la Direc- propriétaires) tion Culture et Patrimoine pour améliorer l’offre culturelle en faveur des publics, notam- Lucien Lagier-Bruno (pages 10 à 13) ment dans le cadre du renouvellement et de l’extension de la convention du Pays d’art et SDAP (pages 14 et 15) d’histoire de Maurienne-Tarentaise coordonné par la FACIM, du réseau interdépartemental CAUE de la Savoie et transfrontalier « Sentinelles des Alpes » porté par MDP et des réflexions prospectives sur (pages 16 et 17) Vincent Photos Forum / LTF les patrimoines des nouveaux territoires engagées par les collectivités. SDAP (pages 18 et 19) Jean-François Laurenceau, Jean-Pierre Vial Philippe Raffaelli, CDP Sénateur (pages 20 et 21) Président du Conseil général de la Savoie Jean-Claude Giroud, Solène Paul, Musées d’Art et

d’Histoire de Chambéry Conservation départementale ont collaboré à ce numéro Françoise BALLET Corinne CHORIER, attachée de conser- (page 22) du Patrimoine de la Savoie vation, Conservatoire d’art et d’histoire de la Haute-Savoie (04 50 51 02 33) Responsable Audrey CODA-ZABETTA, étudiante Master 1ère année Histoire, Université de Savoie Françoise BALLET, [email protected] Muriel FAURE, Chargée de mission, MDP, conservateur du patrimoine Réalisation Coordinatrice du réseau Sentinelles des Alpes (04 79 25 36 98) Chantal FERNEX DE MONGEX, Conservateur du patrimoine aux Musées d’art et d’histoire de Chambéry (04 79 33 44 48) Editions COMP’ACT Philippe RAFFAELLI, conservateur du patrimoine Hervé FOICHAT François FORRAY (04 79 62 66 21) Philippe GANION, Architecte des Dépôt légal Jean-François LAURENCEAU, Bâtiments de , SDAP (04 79 71 74 93) Monique HENRY-BARD, Professeur, Reinach ème assistant qualifié de conservation 4 trimestre 2005 Formations, EPLEFPA (04 79 25 41 80) Jean LUQUET, Directeur, Archives départementales de Vinciane NÉEL, Tirage 2800 exemplaires assistante de conservation la Savoie (04 79 70 87 70) Christine de MONTGROS, Doctorante en Histoire de l’art, ISSN 1288-1635 Françoise CANIZAR, rédacteur principal Université Pierre Mendès-France, Grenoble (04 76 90 11 36) Danièle MUNARI, Assistante Nicole DUPUIS, rédacteur de Conservation du patrimoine chargée des archives communales, Archives Départe- Céline MESTRALLET, secrétaire par intérim mentales de la Savoie (04 79 70 87 70) Vinciane NÉEL Sandrine PHILIFERT, chargée de Hervé FOICHAT, chargé de l’informatisation mission CDP Florence POIRIER, Attachée de Conservation du patrimoine, Archives munici- des collections départementales et des pales de Cluses (04 50 96 69 44) Philippe RAFFAELLI Karine SCHWING, Architecte DPLG, nouvelles technologies Cédrik VALET, Chargé de mission, CAUEDELASAVOIE (04 79 60 75 50)

Pour télécharger La Rubrique des Patrimoines de Savoie en format PDF, visitez le site internet du Conseil général de la Savoie cg73.fr et savoie-culture.com

2 Journées européennes ACTUALITÉS du patrimoine 2005

Dans le département Les Journées européennes du patrimoine se sont déroulées les 17 et 18 septembre 2005, autour des PATRIMOINES thèmes J’aime mon patrimoine et Lieux et mémoire du spectacle vivant. À cette occasion, le Conseil général a édité pour la seconde fois une brochure départementale diffusée largement par le biais des offices de tourisme et des sites patrimoniaux. Cette initiative répond à un double objectif : améliorer l’accès au patrimoine savoyard pour tous les publics et renforcer la cohérence de l’offre culturelle à l’échelle du département. Ces Journées ont été un succès puisque plus de Une exposition a été Cour d’honneur, des L’équipe Itinéraire Bis 38 798 personnes se sont déplacées pour décou- installée dans les jardins et des abords mettrait en scène les vrir sites, musées et animations proposées. jardins du Vieux- du château. accès du château en Le nombre de sites ouverts à la visite était supé- Pavillon pour L’équipe ABXE redonnant sa valeur rieur à 2004 (environ 50 sites ou animations en présenter au public Architecture propose historique au plus). On constate que la découverte d’un patri- différents projets une redécouverte du monument. Un grand moine de proximité est privilégiée, ce que d’aménagement des monument historique à parc serait créé confirme la forte fréquentation des territoires de abords du château travers une mise en permettant ainsi de relier Après appel public à lumière et les espaces du château Chambéry et d’Aix-les-Bains où 70,55% de concurrence, quatre l’aménagement des au cœur historique de la l’ensemble des visiteurs se sont déplacés. équipes abords. La création d’un ville de Chambéry. Les adultes constituent le public dominant (plus pluridisciplinaires auditorium permettrait L’équipe Chambre & de 50%) suivis des seniors (23%) et des familles d’architectes de faire entrer le château Vibert mettrait en avant avec enfants (22%). Les adolescents sont peu concepteurs ont été dans le XXI e siècle. le patrimoine représentés ou n’ont pas été identifiés comme tels choisies pour leurs L’équipe Bertrand Paulet architectural et l’histoire par les organisateurs. références et leur redonnerait toute son du château par une L’offre patrimoniale proposée lors des Journées expérience en caractère historique au interprétation est bien diversifiée. On note cependant une légère architecture paysagère et château par un projet de contemporaine. La prédominance du patrimoine religieux, de en conception lumière valorisation de revalorisation des sur monuments et sites l’enceinte, des cours, des vestiges, de l’enceinte et nombreuses églises et monastères n’étant ouverts historiques par le jardins et de l’esplanade des portes ouvrirait le qu’à cette occasion. Conseil général de la qui serait transformée en château sur la ville en La Direction Culture et Patrimoine a souhaité que Savoie et invitées à un lieu d’agrément continuité avec le passé ces Journées permettent à un public peut-être proposer un projet convivial pour les de ce lieu emblématique moins habituel de découvrir et de s’approprier le d’embellissement de la visiteurs. de la Savoie. patrimoine, dans un contexte plus décontracté.

Au château des ducs de Savoie Le réseau des Musées La fréquentation du château des ducs de Savoie, site phare pour le Département, est passée de ans le cadre du réseau des Musées et Maisons thématiques de la Savoie, 3420 en 2004 à 4569 visiteurs en 2005, malgré une une opération originale a été organisée en 2005 avec la collaboration ouverture réduite en raison du plan Vigipirate. D de Philippe Roman, homme d’écriture, de théâtre et de cuisine installé à La L’offre a été plus complète et diversifiée. Le Rochette. quatuor Ayn a donné un concert le samedi après- Avec la volonté de faire découvrir les musées d’une manière plus ludique midi sur le parvis de la Sainte-Chapelle et des et d’attirer de nouveaux visiteurs une animation a été menée cette année animations à destination des enfants ont été dans six structures muséographiques : Maison des Jeux Olympiques d’hiver proposées par la Ville d’Art et d’Histoire de Cham- à , Musée Régional de la Vigne et du Vin à Montmélian, Le Grand- béry. Filon à Saint-Georges-d’Hurtières, Musée de l’Ours des Cavernes à Entre- mont-le-Vieux, Musée gallo-romain à et Radio-Musée Galletti à Saint- Maurice-de-. Le principe de ces soirées reposait sur une visite guidée grand public ponc- tuée de déclamations de textes suivie d’un dîner-spectacle. Pour chaque musée, Philippe Roman a composé un texte poétique tantôt en prose (L’homme et sa bonne mine), tantôt en rimes (Les clos de Savoie) pouvant parfois se lire de deux manières (Le casse-tête du spéléologue sondant le Granier) et donnant parfois une sensation de spirale infernale (Le Pantoum du village oublié) et a proposé un menu tout aussi original, toujours en rapport avec les sites : soupe d’ortie aux Hurtières, canapé de fromage à l’ail des ours à Entremont-le-Vieux, sauté de volaille à l’estragon aux arômes de Bergeron à Montmélian ou encore cuissot de porc rôti à la coriandre à Chanaz pour ne citer que quelques plats… Sandrine Philifert, Jérôme Daviet

3 ARCHIVES Le palais épiscopal d’Aiton

u début du XVIIIe siècle, à Aiton, sur un l’enfant Jésus et quelques autres figures. Le devant vaste promontoire qui domine le d’autel est en cuir doré. confluentA de l’Arc et de l’Isère, Monseigneur de Les deux façades sont identiques. La demeure, peinte Valpergue de Masin, édifia un vaste palais. L’entre- en brique rouge, est de style italien. Les angles des tien de cette demeure devait être si onéreux que les murs sont en pierres de taille ainsi que les encadre- successeurs de l’Evêque, décédé en 1736, renoncè- ments des portes et des fenêtres. Le vaste toit à rent à s’en occuper. Vidée de son riche mobilier et quatre pans est bordé d’une grande corniche pour Ci-dessous, détail abandonnée, la demeure fut démolie à la Révolu- de la mappe d’Aiton, l’écoulement des eaux. On peut également voir 1732. tion. Bien plus tard, on bâtit à sa place un fort mili- des embellissements de gypse sur les façades. Les taire. Le souvenir de cette demeure dont le nombre cheminées sont hautes et nombreuses. La maison En bas, devis pour de fenêtres, disait-on, était identique à celui des jours comporte un rez-de-chaussée, deux étages et un divers travaux et la de l’année aurait bien pu disparaître. Mais à l’aide de galetas. Les fenêtres du premier étage sont vitrées, fabrication des meubles quelques archives achetées en salle des ventes par les autres sont recouvertes de papier huilé. On du palais d’Aiton, les Archives départementales de la Savoie, l’image compte pas moins de soixante-deux ouvertures dont XVIII e siècle. du palais peut aujourd’hui être redessinée. quatre portes-fenêtres. C’est une grande et belle bâtisse rectangulaire. La Bienvenue chez Monseigneur François Hyacin- date précise de sa construction n’a pas encore été the de Valpergue de Masin, Evêque de Mau- trouvée. On sait cependant que le palais est construit rienne. Un jour en 1735…On pénètre dans la à l’emplacement de l’ancienne église d’Aiton, propriété par un portail en pierres de taille et une démolie vers 1699-1700. On y pénètre par un vesti- grande cour toute en longueur, bordée de chaque bule qui conduit à la cuisine. Cette vaste pièce est Sources Archives départementales de la côté par une rangée de marronniers et traversée par dallée de grandes pierres plates. Outre les ustensiles Savoie. Acte d’état du une double rangée de tilleuls qui mène à l’entrée du ordinaires, elle est équipée d’un vaste potager de Prieuré d’Aiton et inven- palais. Dans un coin de la cour, un édifice sans gypse où on entretient les braises pour la cuisson taire des meubles qui s’y muraille à six colonnes abrite un four à pain, un des repas. On trouve encore au rez-de-chaussée une trouvent, 1737, SA 3374. poulailler et une porcherie. chambre voûtée, un lavoir et un office. Toutes les Inventaire des meubles Le palais, que l’on nomme également prieuré fenêtres sont grillées de fer. et effets au palais d’Aiton et acte d’état d’icelui, d’Aiton, est environ aux deux tiers de la propriété. Un bel escalier de pierres de taille mène au premier 1779, SA 3377. Devis De l’autre côté, se trouve une vaste terrasse entourée étage. Il débouche sur un immense salon qui traverse pour divers travaux et de hauts murs d’appui. Le terrain carré se termine le palais. Côté cour, il s’ouvre sur un balcon. De l’autre la fabrication des meubles en pointe tronquée au sommet. Il y a là des parterres côté, une porte-fenêtre donne de plain-pied sur la du palais d’Aiton, de verdure. La vue est magnifique au confluent de terrasse. Il est meublé de bancs de bois destinés à sans date (XVIII e siècle). l’Arc et de l’Isère. accueillir les visiteurs. L’appartement de Monseigneur Tabelle minute de la commune d’Aiton, 1730, Dans un coin de la terrasse se trouve une chapelle. de Valpergue de Masin se trouve à droite du salon. C 1911. Mappe de la Elle est meublée d’un autel en bois et d’un tableau Une porte-fenêtre permet d’accéder à la terrasse. Il est commune d’Aiton, 1732. à cadre doré représentant la Sainte Vierge avec composé de deux pièces (une chambre et un cabinet) et d’un petit espace réservé aux latrines. Les deux pièces renferment un lit avec son ciel, ses rideaux et tout le mobilier nécessaire au confort : fauteuils à la dauphine, canapés, commode, secrétaire à plusieurs tiroirs, tables. Les murs de sont couverts d’une tapisserie couleur chair à fleurs vertes, rayée de rouge. Un tapis de moquette verte recouvre le sol. Deux appartements de deux chambres entièrement meublées se trouvent de l’autre côté du salon. L’un dispose d’un accès direct à la terrasse. Cependant la façon du mobilier est moins riche. Le deuxième étage paraît réservé aux officiers et aux domestiques. Plusieurs chambres et un petit salon se répartissent le long d’un corridor qui mène aux lieux communs. Une chambre est réservée au maître d’hôtel. Le troisième étage est celui du galetas. En ressortant du palais, la propriété donne sur une forêt qui tombe à pic vers la vallée. Sur la gauche, elle est bordée par les vignes et à droite par les jardins du fermier du palais. La ferme à proximité de l’entrée de la cour est constituée d’une écurie pour les chevaux et les vaches, d’une grange et d’un cellier où se trouvent des tonneaux cerclés de fer et le pressoir pour le vin. Monseigneur est en effet propriétaire de plusieurs parcelles de vigne, dont une se trouve derrière les murailles du palais. Les pièces d’habitation du fermier sont à l’étage. Une galerie longe l’appartement. Tout ceci constituait une remarquable demeure qui faisait les délices de son propriétaire. À bien des égards elle devait faire partie des plus belles et modernes maisons nobles de Savoie. Danièle Munari

4 Les papiers à entête ARCHIVES témoins de notre patrimoine économique

’histoire de la vallée de l’Arve, en Haute- Savoie, est fortement marquée par son acti- Lvité industrielle liée à l’horlogerie puis au décolle- tage. Depuis le XVIII e siècle, elle en façonne l’éco- nomie mais également le paysage et les mentalités. Autant dire que tout témoignage est primordial à conserver pour mieux connaître cette histoire écono- Ci-contre à gauche, mique. C’est le cas des papiers à entête des entre- très jolie entête des prises locales, que les Archives municipales de Ets Bretton, qui associe Cluses viennent d’inventorier. bâtiment et production, Utilisé pour la correspondance ou l’établissement XX e siècle, quelques industriels introduiront la 1948, Archives de factures, le papier à entête a également été photographie. municipales de Cluses. employé comme support pour message publicitai- Les dessins servent également à représenter les re, à une époque où l’entreprise n’avait guère produits. Le mouvement d’horlogerie des Ets Carizet- d’autres moyens de communication. On peut dis- Brunet est romantiquement mis en valeur par une tinguer un « âge d’or », situé entre 1880 et 1914 : la orchidée volubile. En 1948, la maison Bretton illustre présentation de l’entreprise, associant texte et ico- son papier du dessin de la lampe électrique nographie, a alors été largement soignée. Le déve- manuelle qu’elle a inventée, éclairant la façade de loppement de nouvelles techniques d’imprimerie et sa toute nouvelle et imposante usine. Son grand rival, d’illustration a rendu possible cette créativité. les Ets Carpano, utilise quant à lui la fixation de ski Les Archives de Cluses conservent de nombreux Superdiagonal qu’il commercialise. spécimens de ces documents. Le plus ancien date de La richesse documentaire et esthétique de ces docu- 1858. La lecture de ces papiers industriels est très ments commence à éveiller l’intérêt des chercheurs, instructive : ils nous renseignent sur l’histoire écono- ce qui n’est que justice. Les Archives municipales mique, l’histoire des techniques, l’architecture indus- d’Annecy ont également réalisé un inventaire de leur trielle. Une foule d’informations peut y être glanée : collection. C’est une façon attrayante et originale de généalogie de l’entreprise, localisations géogra- découvrir notre histoire économique. On peut seule- phiques, branches d’activités, types et méthodes de ment regretter qu’aujourd’hui, dépassées par d’autres production, distinctions reçues aux expositions indus- supports plus médiatiques, les entêtes se caractéri- trielles, etc. sent surtout par leur sobriété, pour ne pas dire par Une étude d’ensemble du fonds permet de brosser leur pauvreté. la typologie et l’évolution de l’industrie locale. Jusqu’à Florence Poirier la fin du 19ème siècle, l’horlogerie est omniprésente, que ce soit en production ou en commerce. Dans l’industrie, chacun a sa spécialité : la Maison Béné Frères de Scionzier annonce une « fabrique de pignons », les Cartier d’Arâches, une « spécialité dans les remontoirs ». À Magland, les Perrollaz font dans les « barillets ». Chacun a également sa technique : le « pivotage », le « taillage », le « tournage sur métaux » ou le « décoltage ». Au début du XX e siècle, le décol- letage est passé au stade d’industrie, à part égale avec l’horlogerie. En 1926, les fils de B. Dépéry possèdent une « manufacture d’horlogerie et de décolletage », et produisent des réveils et pendulettes de marque DEP, comme Dépéry bien-sûr, mais également comme « Durée, Elégance, Précision », leur slogan publicitaire. À la veille de la Deuxième Guerre mondiale, l’horlogerie a quasiment disparu. Pendant les « Trente Glorieuses », le décolletage omniprésent Entête des Ets Carpano, 1893, génère une foule d’activités annexes : fourniture de Archives municipales de Cluses. métaux, transports routiers, etc. Il évolue en « décol- letage de précision », « décolletage automatique », « micro décolletage »… L’intérêt n’est pas seulement documentaire. Certaines entêtes se révèlent être de véritables petits chefs- d’œuvres d’art lithographique, signés par des impri- meries lyonnaises (Ramboz, Richard), genevoises (Excoffier) voire bizontine (Delagrange Louis). Il faut cependant se méfier des représentations qu’elles comportent… Si l’on compare l’usine clusienne de Louis Carpano dessinée sur son papier à entête de 1893 avec la réalité du bâtiment, sur carte postale par exemple, on s’aperçoit que l’ambitieux entre- Style art nouveau pour cette entête de fabrique d’horlogerie, 1906, preneur a quelque peu enjolivé et considérablement Archives municipales de Cluses. agrandi son patrimoine immobilier ! Au cours du

5 COLLECTIONS la collection de peintures du général baron Chastel (1774-1826)

La collection de peinture ancienne du baron Amé Pierre Louis Chastel, acquise par le Conseil général de la Haute-Savoie en 1985 n’avait jamais fait l’objet d’une étude systématique. Le service des collections de la Direction de la Culture a entrepris de faire restaurer les tableaux sur bois et sur cuivre et un Portrait certain nombre d’huiles sur toile, les plus fragiles et les plus menacés. Depuis d’un général d’Empire, 2000, 27 tableaux ont ainsi fait l’objet d’une intervention. En faisant appel le général Chastel, Louis Léopold Boilly, notamment aux équipes du Centre de Recherche et de Restauration des Musées Ecole française, de France, le service des collections a souhaité garantir la qualité des travaux XIXe siècle, huile sur selon les normes actuelles, et obtenir un avis sur des tableaux dont l’attribution toile, 22 x 17 cm, n° inv. 1985-1-45. – ou même la période de réalisation – n’était pas certaine. Ainsi en est-il de Conseil général de la deux très belles peintures sur bois respectivement attribuées à Breughel le Jeune Haute-Savoie. et Willem Claesz Heda. Dès 1999, des recherches entreprises notamment au Musée d’Art et Histoire et aux archives d’État de Genève, ont abouti à un premier dossier documentaire, faisant apparaître la partie de la collection restée en Suisse. En 2004, la collection a fait pour la première fois l’objet d’une étude universitaire par une historienne d’art, Christine de Montgros, à l’université Pierre Mendès-France de Grenoble (LMD 2, sous la direction de Marianne Clerc, Département d’histoire de l’art). Corinne Chorier

’esprit de la Révolution souffle, sur notre Lrégion, au lendemain de la prise de la Bastille et le jeune Amé-Pierre-Louis Chastel, né à Veigy ( Chablais) en 1774, s’engage, enthou- siaste, en 1792, dans la cavalerie de la Légion Allo- broge qui participera à la « libération » du duché de Savoie 1. Il prend part, aux côtés de Bonaparte, au siège de Toulon en 1793, à la campagne des Pyrénées Orientales (ans II et III) puis à celle d’Italie (ans IV et V). Dès lors, Amé Chastel va suivre Napoléon dans sa conquête de l’Europe 2. Ses états de service mentionnent son ascension dans la hiérarchie et seront récompensés par l’ob- tention des différents grades de la Légion d’hon- neur 3 et d’autres distinctions. Il a certainement été sensibilisé à l’art durant ses années de forma- tion. Malgré ses déplacements nombreux, il s’at- tache à développer une collection de peintures de tout premier plan. Celle-ci contribue sans doute à asseoir sa position sociale dans la nouvelle société impériale. Les archives étant muettes quant à sa genèse, nous pensons qu’achats et « prises de guerre » ont vraisembla- blement été les deux modes d’acquisition des tableaux 4. La rédaction de deux testaments successifs et contradictoires 5 explique le litige entre les deux héritiers, son frère François et sa sœur Joséphine, et la Ville de Genève, litige qui aboutit, finale- ment, à une dispersion de la collection dès 1826 6. Dans le premier testament, il les nomme comme étant ses héritiers : « Ils se partageront par égale Portrait d’homme à la fraise blanche, Jan Van part tout ce que je laisserai au jour de mon décès Scorel (autour de), Ecole hollandaise, 1599, en bien, rentes, créances de quelques espèces que huile sur bois, 64 x 49 cm, n° inv. 1985-1-44. ce soit. » Une mention est faite au dos de ce papier Conseil général de la Haute-Savoie. indiquant le legs de sa galerie au Musée Rath

6 (Genève). En effet, bien qu’ayant obtenu la natio- nalité française en 1817 et résidant à Ferney- Voltaire, il souhaite léguer sa galerie à cette nouvelle institution, inaugurée en 1826 7. Néan- moins, conscient de sa valeur pécuniaire, il assortit ce don d’une close de construction d’un quai en bordure du Rhône par la Ville de Genève. Dans le deuxième testament, dicté au notaire, maître Jean-François Richard, le jour de son décès, le général nomme et institue pour « ses héritiers, seuls et universels, chacun d’eux à part égal, François et Joséphine Chastel, mes chers frères et sœurs, à la charge d’acquitter mes dettes. » La close concernant le legs des tableaux à la Ville de Genève a disparu. La consultation des procès-verbaux, consignés dans les Registres du Conseil d’État et conservés à Genève permettent de suivre les négociations entre les deux parties, chacune se référant à l’un des deux testaments. Au final, les professeurs de Il est enfin intéressant de noter la présence d’un Passage du bac, droit de la faculté n’étant pas d’accord entre eux certain nombre de copies dans cette collection. Peter Gheyrel (attribué à), et le coût de construction du quai semblant trop e Certaines ont été achetées en connaissance de Ecole flamande, XVII onéreux pour la Ville de Genève, une transaction siècle, huile sur cuivre, cause puisque le général les mentionne dans son sera proposée à la famille : douze œuvres, choi- 27 x 39 cm, sies en concertation par deux experts représen- premier testament. La copie n’a pas alors la n° inv. 1985-1-33. tant chaque partie, seront « données » par la connotation négative que nous lui connaissons Conseil général de la famille à la Ville de Genève. Ces douze tableaux de nos jours. Elle permettait de répondre au goût Haute-Savoie. sont conservés, de nos jours, au musée d’Art et des amateurs, pour un coût moindre, mais faisait d’Histoire de cette ville. Le reste de la collection également partie de la formation des artistes à est parvenu jusqu’à nous au gré des testaments l’Académie. Nous avons pu identifier un certain des différents héritiers, que nous avons nombre d’œuvres, et localiser les originaux signés pu consulter aux Archives départementales de la par de grands artistes ainsi La Sainte Famille avec Haute-Savoie, et à son rachat par le Conseil saint Jean-Baptiste inspirée de la Vierge à l’Œillet général de Haute-Savoie en 1978. de Raphaël conservée à la National Gallery En regard de ses choix artistiques, le général (Londres), Personnages dans le parc de Steen baron Chastel est un homme cultivé, au fait du durant la fuite d’Egypte, d’après l’original de Rubens au Kunsthistorisches goût de son époque en matière de peinture. Lors n°Inv. 1827-003, Tobie et Museum (Vienne) ou La Cascade d’après l’œuvre l’ange, n° Inv. 1827-000 ) et de ses permissions, il réside à Paris et n’hésite du même titre de Ruisdael, conservée à la Resi- un troisième, (copie d’après pas à commander son portrait que nous pensons Aelbert Cuyp), des fragments réalisé par un artiste à la mode, Louis Léopold denzgalerie (Sazlburg). de papiers de douane avec Boilly. Le travail de recherche entrepris autour de la l’aigle impérial (Vaches au Dans la continuité du XVIII e siècle, sa galerie est collection Chastel a permis de réaliser une repos, n° Inv. 1827-0007 ) ce qui prouve la provenance composée de nombreuses scènes de genre et de première synthèse technique de sa galerie. Néan- étrangère de ces trois paysages, inspirés des écoles du Nord, et se moins, des zones d’ombre existent encore quant œuvres. trouve marquée d’une préférence pour le courant à l’attribution et à la datation de certains tableaux. 5. L’un, olographe daté naturaliste : représentation de la vie sociale, du 8 octobre 1826, l’autre du Il a également permis de retracer la carrière du 16 octobre 1826. réalisme des portraits, paysages croqués en plein- général Chastel sans toutefois dévoiler sa person- 6. Archives d’Etat de Genève air et recomposés en atelier. La peinture d’his- nalité ou le rapport qu’il entretenait avec ses : notaire Jean-François Richard, toire mythologique est peu représentée : nous tableaux. Sur l’importance de sa collection initiale, pouvons citer une copie de la Vénus de Gior- vol. 28, actes n° 586 et 602 et le mystère reste entier. Jur. Civ. Aaq p. 231. gione et une huile sur cuivre, Achille parmi les Christine de Montgros 7. Archives nationales, Paris, filles de Lycomède que nous avons identifiée Procès d’individualité au comme copie d’après un bozzetto de Rubens (ce nom du général Chastel à la dernier a servi à la réalisation d’une tapisserie date du 17 décembre 1817 : 1. Par décret du 27 conservée aux Archives conservée, de nos jours, à Anvers au Rubenshuis). n° 6916/B/3 cote novembre 1792, l’ancien nationales, prouve son BB.11/124/2. Le général En effet, elle est à la fois onéreuse et parfois diffi- duché de Savoie dont le engagement sans faille possédait une maison à cile de compréhension pour un public d’une chef-lieu est Chambéry, à servie la République. Genève, rue de Derrière culture moins livresque que les collectionneurs devient le 84e département Archives nationales : le Rhône n°90 (aujourd’hui, de l’Ancien Régime. Le général ne semble pas français, le département du n°6916/B/3 cote rue du Rhône n° 46). Mont-Blanc. La République BB/11/124/2. 8. Une œuvre témoigne être fasciné par l’Antiquité et le courant néoclas- de Genève est rattachée à la 3. SHAT, Archives cependant de ce courant, sique qui s’en inspire 8. La présence de plusieurs France par le traité du 26 historiques, département la copie du tableau d’Adrian huiles sur cuivre et la recherche de signatures avril 1798. Le 25 août 1798, de l’Armée de terre, van der Werff (1659-1722), témoignent de son souci d’authenticité. Très c’est la création du Vincennes : 7 Yd 541. conservé au Louvre, Joseph département du Léman avec 4. Deux œuvres (copies et la femme de Putiphar. attaché à sa galerie, il fait restaurer les tableaux Genève pour chef-lieu. Il d’après Cornélis van 9. Archives d’Etat de 9 si nécessaire . Des peintures attribuées à des englobe Genève, Poelenburgh), conservées Genève, Registre du Conseil noms aussi prestigieux que Pierre Brueghel le le Pays de Gex, le Chablais, au musée d’Art et d’Histoire d’État de Genève cote RC Jeune et de Willem Claesz. Heda sont en cours le Faucigny et le nord du de Genève, portent au dos 338 p 399 : « Mon plus beau Genevois. des cachets de douane de de restauration et d’étude par le C2 RMF et le tableau, le Cupidon, est chez 2. Une lettre, datée du l’Académie de Milan pour Mme la veuve Grand pour Département des peintures du Louvre. 24 germinal an 12 et l’exportation (Le Repos être restauré. »

7 MONUMENTS Le château Reinach à La Motte-Servolex

Propriété du Conseil général de la Savoie depuis 1936, le château et le domaine Reinach ont été inscrits à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 2003. Aux Costa de Beauregard avait succédé Théodore Reinach, député radical de 1906 à 1910, à qui l’on doit l’aménagement remarquable de ce vaste & ÉDIFICES domaine de 40 hectares qui abrite aujourd’hui Reinach Formations, établissement public local d’enseignement et de formation professionnelle agricole.

Aux Archives Départementales de la n 1813, le château de La Motte devient la Savoie, le Fonds propriété des Costa de Beauregard Bourguignon 118 F Elorsque Elisabeth Roch de Quinson, l’épouse de rassemble des archives Victor Costa de Beauregard, hérite de son père. du secrétaire de Trois générations de Costa façonnent le domaine. Théodore Reinach, Le parc romantique et ses fabriques réalisés par Jean Bourguignon, J. Lalos en 1813 1 apporte un cachet remarquable alias Jacques Doppet, au site. rédacteur en chef du En 1890, le domaine quitte la propriété des Costa journal Le Démocrate lorsque Albert Costa de Beauregard l’échange Savoisien. 2 Voir La Rubrique, n° 15 contre l’île de Port-Cros, avec Ferdinand Noblet . de juillet 2005, p.8 et 9, Dépité par la vie politique savoyarde, Albert Costa article de se consacre à l’écriture durant un temps dans ce Mme Francine Glières. lieu à la mode pour les écrivains de la NRF.

En 1898, le domaine est vendu à un parisien : Théodore Reinach, homme de lettres. En 1901, le nouveau propriétaire termine la rénovation de l’ancienne demeure en un édifice majestueux du XIX e siècle qui mérite d’être décrypté, à la lumière de cette brillante personnalité. A la même époque, la merveilleuse Villa Kérylos 3 de la Fondation Théodore Reinach sort de terre ; plus tard, elle rendra célèbre son propriétaire éponyme. Certes, en apparence, ces deux édifices ne se ressemblent pas : Kérylos, une « folie » de la Côte d’Azur, re-création d’une villa En haut à droite, patricienne grecque dédiée aux plaisirs des arts ; cheminée, boiseries et à La Motte, le château de style néo-Louis XIII est propriétaire du journal de gauche Le démocrate cuir estampé de la salle consacré à une réflexion plus politique. Ici, l’es- Savoisien, créé en 1903. Dans ces deux demeures, à manger. prit de ce Dreyfusard engagé est présent dans les Reinach exprime ses idées. éléments du décor : le paradoxe d’un homme de Ci-dessous, lettres, milliadaire, député du parti radical, L’architecte Louis Legrand 4 habille en 1899-1901 vue du domaine. la structure du bâtiment Costa de brique et pierre ; il coiffe les trois corps de bâtiments de quatre étages de toits galbés à pente raide égayés d’une dizaine de gracieuses souches de cheminées géminées, apportant ainsi le cachet néo-Louis XIII. Cet édifice imposant permet de loger sa nombreuse famille durant les vacances en Savoie et d’accueillir aussi de nombreux amis intellec- tuels et politiques. La rénovation est globale, entièrement confiée au même auteur, ce qui apporte raffinement et harmonie. Même les poignées de portes et de fenêtres ont été façonnées pour rester dans la thématique de ce château ! La décoration de trois pièces du rez-de-chaussée puise dans l’éclectisme fourre-tout du XIX e. Certains pourraient trouver l’ensemble préten- tieux, mais à La Motte, ceci prend sens dans les leçons du passé soigneusement choisies par Reinach l’érudit, le « Fou de La République » 5.

8 1. Feuillas Dominique, Izembart Hélène, Le domaine MONUMENTS Théodore Reinach à La Motte-Servolex, mémoire de CEEA, Jardins Historiques et Paysage de l’Ecole d’Architecture de Versailles, Paris, 1998, 148 p. et annexes 241 p. 2. Echange de la propriété avec M. le Marquis Albert Costa de Beauregard devant Maître Pierre Georges Paget, notaire à Hyères (Var) le 25 mars 1890, transcrit au bureau des hypo- thèques de Chambéry le 8 avril 1890, vol 820 n°47 (cité par l’acte de vente de la propriété par M. Noblet à T. Reinach transcrit le 5 octobre 1898. 3. Vian des Rives Régis, La villa Kérylos, Les Editions de l’Amateur, Paris, 2001, 223 p. 4. 25 plans de la rénovation par Louis Legrand sont déposés & ÉDIFICES en mairie de La Motte-Servolex. L’architecte Louis Legrand est né à Paris en 1852 ; il est élève de J.A. Emile Vautremer (1829-1914) à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, lui-même adepte de Viollet-le Duc et s’exprimant dans le style roman. Parmi ses travaux, on note l’hôtel Deville, maison de rapport à Paris ; l’agrandissement du château de Mussy dans l’Aude et du château de la Valette en Mayenne ; Cheminée le couvent de l’Assomption à Saint Sébastien et l’hôtel du grand salon. Mauro à Madrid en Espagne. 5. Pierre Birnbaum, Les fous de la République, Paris, Fayard, 1992, chap. 1. 6. On donne aussi le nom Les désastres de la guerre à cette toile installée au Palais Pitti à Florence.

Ce dévot de l’État, helléniste confirmé, utilise les allégories de la mythologie antique pour expri- À gauche, mer les valeurs de la République. Un bestiaire détails du plafond. mythologique surgit dans les moindres détails de la décoration.

Pour le grand salon, il choisit des copies de pein- Ci-dessous, vue de la tures du XVII e siècle, de facture baroque : Le char salle à manger. d’Apollon, Orithye et Borée d’après Charles De Lafosse, L’enlèvement de Déjanire d’après Guido Reni, Céphale et Procris, La chasse d’Actéon, des hommages à Aphrodite, à Céres, Mars et Vénus d’après Rubens. Reinach célèbre l’intégration et la paix sociale en plaçant Henri VI partant pour la guerre 6 d’après Rubens au cœur du salon. Sur le manteau d’une cheminée néo-louis XIII, il s’in- vente des armoiries à la gloire du savoir et de la justice, rendant son message plus redondant en écrivant sur un ruban « Te servo lex ». Le tout s’or- ganise tel une grammaire.

A l’est, le bureau du maître des lieux s’assagit mais s’agrémente cependant d’une cheminée- alcôve en bois fruitier, au décor de style Troubadour de grande allure.

A l’ouest, la salle à manger apporte l’apaisement d’une belle harmonie néo-classique, composée de deux hémicycles. Dans la lumière des vitraux Le domaine exploitation agricole en grisaille, nous retrouvons les mythologies Théodore Reinach et un atelier grecques. Aux murs, une série de huit panneaux héberge Reinach technologique. délimités par des colonnes et des pilastres de Formations, Il est ouvert au public noyer sont ornés de cuirs repoussés, peints et Etablissement Public lors des journées du estampés, signés Henriette Massy dont la facture Local d’Enseignement Patrimoine, des Parcs méticuleuse de fleurs sauvages rejoint excel- et de Formation et Jardins, Portes lemment celle des artistes naturalistes en vogue. Professionnelle Ouvertes et sur Petite concession à la mode Art nouveau d’alors ! Agricole, qui rendez-vous pour les regroupe un lycée groupes. Bien sûr, ces idées républicaines sont communes à bien des proclamations électorales de la paix d’enseignement Tél. 04 79 25 41 80. sociale, en cette période de la III e République. agricole, un centre de Le parc du domaine a Ici, Reinach ose les afficher dans l’éclectisme très formation pour été inscrit par la réfléchi des intérieurs de sa demeure. apprentis et pour DIREN comme jardin Monique Henri-Bard adultes, une remarquable en 1991.

9 DOSSIER Les maisons-fortes du Petit-Bugey au Bas Moyen Âge

Armoiries de la famille Cette étude a été réalisée en première année de master Histoire à de Chevelu. l’Université de Savoie, sous la tutelle de Christian Guilleré, professeur médiéviste, avec le soutien du SDAP et de la CDP. Elle a répondu à la sollicitation conjointe du Syndicat Mixte de l’Avant Pays Savoyard et de la Communauté de Communes de Yenne (avec le concours du fonds européen Leader), désireux de mieux connaître ce patrimoine bâti qui imprègne fortement le paysage du « Pays Yennois », afin de le protéger et de le mettre en valeur.

Une région de « marche » toire aussi restreint et pauvre économiquement au cœur de l’histoire savoyarde mais qui s’avère être un axe de passage majeur. C’est à la fois un sujet large, il concerne une En effet, cette période correspond à l’émergence Baie verticale séparée quarantaine de sites répartis sur le territoire de des résidences seigneuriales et s’inscrit dans un par une traverse. l’actuel canton de Yenne, correspondant sensi- contexte historique marqué par la mise en place blement à l’ancienne appellation de Petit-Bugey du comté de Savoie et l’essor de la féodalité. ou Bugey Savoyard, et pointu puisque ce patri- Si l’histoire médiévale de l’Avant-pays savoyard moine privé s’avère très peu renseigné, que ce est encore relativement obscure, il ne faut néan- soit par l’enquête de terrain, l’archéologie ou par moins pas négliger qu’il s’agit là des possessions l’examen approfondi des sources archivistiques. initiales de la Maison de Savoie. À compter de la Cependant, malgré toutes les difficultés, l’étude mort du dernier roi de Bourgogne, Rodolphe III, de la période chronologique an Mil – XV e siècle, en 1032, ces terres constituèrent le noyau de est la clef de voûte permettant de comprendre la départ de la formidable expansion des comtes, présence de cette multitude de sites sur un terri- en compétition avec les Dauphins et les comtes de Genève pour gagner les cols alpins. D’ailleurs, la forteresse de Pierre-Châtel, devenue chartreuse au XIV e siècle, témoigne encore fièrement de cette époque fastueuse. Malgré un milieu physique très tourmenté et encloisonné, le Pays Yennois fut un véritable trait d’union reliant le bassin chambérien, et plus large- ment les vallées alpines, au Bugey et à la Bresse, voire au Lyonnais tant convoité par les Princes savoyards (col du Chat, cluse de Pierre-Châtel et points de franchissement du Rhône). Le sujet complexe renvoie à une notion fluc- tuante, celle de « maison-forte », dont la défini- tion n’est pas encore clairement établie, du fait de nombreuses variantes typologiques selon les régions. L’intérêt pour ce type de constructions est, de plus, relativement récent dans le milieu de la recherche, particulièrement sur le territoire savoyard.

Localisation cartographique succincte des sites

tracé schématique de l’ancienne voie impériale Aoste-Genève

tracé schématique des anciennes voies romaines secondaires

sites formant un ensemble défensif cohérent

sites défensifs liés à un axe de communication majeur

10 Les caractéristiques des résidences formes dues aux évolutions de l’armement DOSSIER seigneuriales du Pays Yennois (archères, arbalétrières, canonnières…) et imitent Définir la maison-forte dans ses généralités face celles des châteaux comtaux, ou sont le fruit d’un aux particularismes locaux et caractériser un remploi. Elles n’ont souvent qu’une fonction édifice en tant que tel, nécessite de disposer d’un symbolique. grand nombre d’informations tant architecturales qu’archivistiques. Il est préférable, pour le secteur Proposition de classement typologique étudié, d’employer l’expression de « résidence Un corpus très hétérogène, les aléas stylistiques seigneuriale ». Les édifices dans leur quasi-tota- ainsi que les difficultés de datation rendent tout lité ont été largement remaniés, modifiés, classement délicat. Malgré ses lacunes, la typo- Haut-Somont, carte du agrandis, depuis leur construction et transformés logie proposée offre néanmoins une vision d’en- début du XX e siècle. en ferme au cours des XIX e et XX e siècles. semble des sites étudiés. Elle se fonde sur la morphologie avérée ou supposée du noyau d’ori- Situation et morphologie des sites gine de chacune des maisons, doublée d’un Il est important de remarquer que le choix d’im- indice chronologique : les dates charnières de plantation des sites n’est nullement, et en aucun 1355 et 1377 (traités de Paris) qui marquent la fin cas, laissé au hasard. Ainsi, les éléments déter- des hostilités entre les Dauphins et les comtes de minants sont généralement la présence d’eau dans Savoie. Ce classement typologique écarte donc un rayon inférieur à 20 mètres et une situation de les sites entièrement restaurés et dont la morpho- hauteur (éminence naturelle, coteau, voire pente logie primitive est à ce jour totalement inconnue abrupte) qui permet d’affirmer une domination (7 sites). et/ou de surveiller un point stratégique. Mais il Archère canonnière, est également possible de relever l’isolement qui site du Clos de Chambuet, caractérise la plupart de ces maisons-fortes même Yenne. si elles se situent néanmoins à proximité d’un axe de communication majeur les reliant à la vie communautaire. Enfin, ces constructions sont, d’une manière générale, entourées d’un jardin les sites antérieurs à 1350 (potager & plantes médicinales) et plus largement de terres agricoles, de vignes et de forêts. Quant aux constructions, elles se distinguent par Les sites disparus un corps de logis quadrangulaire (335 m 2 au sol ou ruinés (5 sites) Ce sont les plus en moyenne) couvert d’un important toit à quatre anciennement pans en tuiles écailles et flanqué d’une ou mentionnés dans les plusieurs tours, le plus fréquemment circulaires sources manuscrites et et situées dans les angles. La présence de dépen- ils correspondent aux dances à vocation agricole n’est pas rare, le tout fiefs les plus importants formant un ensemble cohérent, centré sur une de l’ancien mandement cour intérieure et ceint par un mur. de Yenne, appartenant Si l’expression « maison-forte » induit un certain aux familles les plus caractère défensif, celui-ci est peu marqué, voire illustres. Simple inexistant pour les sites de l’ancien mandement coïncidence ou cette puissance les a-t-elle de Yenne. Il se résume à la situation de hauteur Maison flanquée d’une tour, Chambuet, Yenne. énoncée précédemment, à l’existence de tours prédestiné à une disparition plus rapide ? de flanquement, qui ne sont pas sans rappeler Il est possible qu’un lien tour ». Il concerne les moyenne, 2 ou 3 châteaux et bâties savoyards, à l’épaisseur des puisse exister, sites les plus anciens, niveaux) et de véritables murs souvent supérieure à un mètre et à quelques mais il est impossible mais leur évaluation tours de flanquement. ouvertures de tir. Ces dernières, généralement d’affirmer lequel : quantitative ne peut être Celles-ci, dont le concentrées sur les tours, revêtent plusieurs problèmes de lignage, qu’approximative en nombre peut varier volonté princière, raison des difficultés à entre une et quatre, sont poids de la Révolution connaître leur état initial généralement circulaires française…. puisque l’évolution et situées dans les classique propre aux angles du logis ; Les tours résidences tours résidences s’élevant sur 3 à 4 consiste en (6 sites) niveaux avant leur l’imbrication, au fil du Ce type de construction arasement. Elles temps, d’autres corps de se caractérise par une concentrent l’essentiel bâtiments autour de tour quadrangulaire, de de l’appareil défensif de structure massive celles-ci (Prélian, Saint- ces sites et ne revêtent (75m 2 au sol en Jean-de-Chevelu). donc aucune fonction moyenne, 3 ou 4 résidentielle. Sur le plan niveaux), qui conserve Les maisons chronologique, ce type une allure défensive flanquées de tour(s) relativement imposante (8 sites) d’édifice semble Tour résidence, Prélian, et abrite une habitation Ne sont répertoriées légèrement postérieur Saint-Jean-de-Chevelu. seigneuriale qui justifie, ici que les structures qui au précédent, mais il est par l’importance de combinent la plus facilement cette fonction construction d’un corps repérable en terme résidentielle, les de logis, de plan de phasage des appellations de « tour quadrangulaire constructions (Le Clos résidence » ou « maison (140m 2 au sol en de Chambuet, Yenne).

11 DOSSIER Une architecture de compromis Les ouvertures, baies et portes entre château et maison paysanne Il s’agit des éléments de modénature repérés en Les matériaux priorité lors de l’observation des façades. Ce sont, La petite noblesse étant à l’origine des édifices bien souvent, les seuls indicateurs de la présence étudiés, il n’est pas étonnant que les matériaux d’une résidence seigneuriale. Par leur variété et employés pour leur construction soient de qualité le soin apporté à la taille des blocs qui les compo- moyenne, issus de carrières et de fournisseurs sent, ces ouvertures offrent un contraste surpre- locaux. Ainsi, la plupart d’entre eux sont construit nant qui distingue ces constructions des simples en petit appareil, principalement des galets, les maisons villageoises et rappellent ainsi le rang pierres de taille étant uniquement réservées aux social de leurs détenteurs. Toutefois, elles parti- chaînages d’angle et aux encadrements d’ouver- cipent au manque de cohérence et d’unité de la tures (calcaire, molasse, tuf…). Pour les toits, la morphologie générale des édifices en fournissant présence sur le secteur de nombreux vestiges de des formes très hétérogènes. Cette impression de tuileries laisse supposer que l’usage de la tuile désordre traduit autant l’appartenance à une petite écaille était, comme aujourd’hui, prédominant. noblesse sans grande richesse que l’histoire Quant au bois, matériau de construction médiéval longue et perturbée de ces demeures régulière- par excellence, il ne fait pas défaut, bien au ment réaménagées pour satisfaire aux nécessités contraire. Il constitue la charpente, les planchers, de confort et d’esthétique de ses occupants. Ces les plafonds et les dispositifs d’ascension interne évolutions nuisent certes aux tentatives de recons- avant la généralisation des tourelles à escalier. Il titution de l’état initial des sites, mais leur confè- Porte de était également utile à l’élévation de la maçon- rent un aspect dynamique et vivant. communication nerie sous forme d’échafaudage dont le retrait Il est donc possible de relever plusieurs types avec coussinets marque les façades de « trous de boulins ». d’ouvertures, témoins d’une époque et du mode galbés. d’occupation des pièces sur lesquelles elles ouvrent. Les plus anciennes sont les petites ouver- tures type soupiraux, qui sont de simples prises de lumière pour les pièces réservées aux occu- Les sites postérieurs à 1350 pations domestiques, et les baies rectangulaires verticales pour les emplacements majeurs, dotées de décors soignés. Quant aux ouvertures croi- Les logis simples Les logis encadrés (250m 2 au sol en sées, elles apparaissent à la fin du XIV e siècle ou dotés d’une tourelle de tours moyenne) dont une des pour l’agrément résidentiel et sont ainsi une escalier (11 sites) quadrangulaires grandes façades, Malgré quelques (4 sites) généralement la mieux similitudes Ce dernier type de exposée, est encadrée morphologiques, ce construction semble de deux tours groupe de constructions émerger à l’époque quadrangulaires et est assez hétérogène, moderne et conserve s’ouvre sur un jardin témoin d’une période de encore une certaine d’ornement. Ces changements. Le plan unité qui le distingue constructions ne quadrangulaire du logis des précédents, revêtent donc aucune reste de rigueur, les caractérisé par une fonction militaire et volumes varient, la architecture aux marquent l’aboutisse- tourelle escalier se antipodes des premières ment de l’aménagement généralise et les « tours résidences ». Il se résidentiel des demeures ouvertures se compose d’un corps de seigneuriales (La Mar, simplifient. Si la tour logis rectangulaire ). Logis à tours quadrangulaires, La Mar, Jongieux. et quelques ouvertures de tir symboliques rappellent de temps à autre le pouvoir seigneurial, celui-ci se fait plus discret témoignant de l’évolution sociale des détenteurs de ces résidences, de la récession économique qui touche la Savoie dans la seconde moitié du XIVe siècle et de la professionnalisation du dispositif militaire savoyard (La Martinière,).

Logis simple, La Martinière, Traize.

12 Les relations avec les Princes DOSSIER Le territoire yennois est depuis les origines du comté, au XI e siècle, sous l’égide de la Maison de Savoie ; du fait de l’importance de Pierre-Châtel, son influence y est profondément marquée. Quant au bourg de Yenne, il fait partie intégrante du fief personnel des comtes jusqu’au début du Placard mural. XIII e siècle où ce dernier est inféodé à sept personnages locaux majeurs sous forme d’une mestralie en 1209. Le bourg reçoit la première importante source de lumière et un élément déco- charte de franchise du comté en 1215. La ratif majeur. Il est également possible de relever « mestralie de Chambuerc » est la plus ancienne l’existence de baies trilobées ou géminées. Pour forme de découpage administratif émanant des ce qui est des portes, elles peuvent être dotées comtes et sa précocité met en exergue le carac- d’un encadrement en plein-cintre ou en tiers-point tère essentiel pour le comté de ce secteur clef (portes d’accès), mais aussi surmontées d’un dont le contrôle est indispensable à l’expansion linteau en accolade ou reposant sur des coussi- territoriale des Savoie. La domination directe qu’ils nets galbés. Il faut noter que tous ces éléments exerçaient jusqu’alors va s’amoindrir au profit font l’objet d’un soin tout particulier qui se traduit d’une tutelle indirecte par le biais de vassaux dans par des moulures, des piédroits travaillés et autres le cadre de l’organisation féodale de la société. décorations. Cette évolution fait ressortir les liens de dépen- dance qui se tissent entre les Princes et les nobles L’architecture intérieure locaux et peut expliquer la présence d’un tel L’espace intérieur s’organise sur trois niveaux, à nombre de seigneuries sur un secteur aussi savoir le rez-de-chaussée qui tenait lieu de cellier restreint par le morcellement volontaire du terri- et de cuisine et les niveaux supérieurs qui revê- toire en une multitude de petits fiefs dans le but tent une fonction résidentielle indéniable avec la d’éviter l’émergence d’entités trop puissantes grande salle ou aula au premier étage (pièce de pouvant concurrencer l’autorité comtale. vie et d’apparat) et les chambres ou camera au deuxième étage (pièces plus intimes). Quant à Fonctions et liens avec le monde social l’architecture intérieure, elle comprend à la fois Les édifices étudiés revêtent différentes fonctions les structures en bois (plafonds à la française, propres aux résidences seigneuriales et celles-ci planchers…), les portes de communication, sont avant tout économiques, renvoyant à la l’ébrasement interne des baies (parfois doté de notion de rente seigneuriale qui résume assez bien coussièges) et le mobilier fixe. Ce dernier englobe la situation en marquant le lien étroit entre l’acti- Ci-dessus, vestiges les cheminées et structures de feu, caractéristiques vité productive (faire-valoir direct et indirect) et de latrines extérieures, des résidences nobles, les nombreux espaces de les revenus seigneuriaux (cens, banalités, tonlieux, Gemillieu, rangements muraux, les cendriers, voire potagers, péages…). Les maisons nobles peuvent également Saint-Jean-de-Chevelu. ou encore les éviers et les latrines. jouer un rôle judiciaire avec la renaissance du droit romain et l’éclatement du droit de ban, ainsi que Une illustration régionale religieux de par la présence de chapelles indé- de la société féodale pendantes ou intégrées au bâti (lieux de culte et Les détenteurs de ces maisons nobles rurales surtout de sépulture). Enfin, certaines, plus forti- Il est difficile de les connaître avec précision, fiées et situées à proximité du Rhône et de la route ceux-ci n’apparaissant qu’au travers d’armoiries du Col du Chat, semblent avoir assuré contrôle et relevées sur les sites et au hasard des sources protection du passage. écrites ; certains échappant même totalement à Audrey Coda-Zabetta l’histoire. Jusqu’au milieu du XIV e siècle, il est néanmoins possible d’affirmer qu’il s’agit de chevaliers et que ceux-ci, dont l’appartenance à la noblesse est discutée entre les historiens, sont ainsi à l’origine de 40 % des sites. Ces derniers se démarquent d’ailleurs par une architecture rela- tivement défensive et une organisation spatiale similaire. Le XV e siècle apparaît ensuite comme une période de transition où les derniers cheva- liers semblent se mêler aux gens de robe, notaires, magistrats et officiers comtaux ; cette évolution se traduit à la fois par l’émergence de nouveaux édifices résidentiels, beaucoup plus hétérogènes, et par l’adaptation des anciens complexes seigneuriaux. Enfin, l’époque moderne voit se généraliser, en tant que propriétaires de ces résidences auto- nomes, les officiers ducaux puis royaux (cham- bellans, conseillers…), ainsi que des magistrats et, à partir du XVIIe siècle, des militaires de carrière. Estampe anonyme et non datée, d’après Relais 73 (cliché L. Lagier-Bruno).

13 ARCHITECTURE Conseil et contrôle en matière d’architecture

Le Service départemental de l’Architecture anciens, aux zones à aménager face aux quartiers et du Patrimoine de la Savoie existants. La problématique architecturale rede- Les services départementaux de l’architecture et vient une donnée essentielle et centrale qui du patrimoine (SDAP) sont des services décon- suscite l’intérêt car elle véhicule des notions de centrés du ministère de la Culture et la Commu- qualité de vie, « labellise » les espaces de carac- nication à l’échelon départemental ; ils sont tère par des interventions maîtrisées y compris placés sous l’autorité des Préfets de département. par la création. En 1979, ils ont succédé aux agences des Bâti- Le contrôle des espaces et des nouvelles cons- ments de France nées dans l’après guerre. Ils tructions est un facteur incontournable. Premiè- interviennent néanmoins pour le compte de trois rement, depuis près d’un siècle par la législation ministères dont celui de l’aménagement du terri- sur les monuments, les sites, les abords de monu- toire et l’environnement, celui de l’équipement ments, les secteurs sauvegardés et enfin les et celui de la culture. ZPPAUP 5. Deuxièmement par le biais du contrôle Le SDAP de la Savoie a fonctionné en tandem du juge dont l’origine remonte au renforcement avec celui de la Haute-Savoie jusqu’en 1974 Les monuments du droit de l’environnement afin de lutter contre sans leur tissu. sous la direction d’un seul ABF. Aujourd’hui, les excès de l’urbanisation. Le droit de l’urbanisme deux ABF au sein d’une équipe de sept a suppléé le droit pénal et le droit civil afin de personnes couvrent le territoire mieux gérer l’intérêt général 6. Troisièmement par savoyard. l’acte de construire ou d’aménager selon la nature Le SDAP a une compétence et une de la zone, de son règlement et de prescriptions pratique reconnue dans le domaine s’il existe une servitude faisant intervenir le Le tissu sans de l’urbanisme, de l’aménagement et du contrôle de l’ABF. ses monuments. paysage.1 Enfin, par l’obligation d’appliquer les normes Le SDAP de la Savoie se positionne depuis techniques dites DTU aux travaux dans un objectif quelques années dans le domaine de de respect des règles de l’art, de sécurité notam- ses compétences d’origine à savoir le ment. patrimoine et l’architecture qu’il s’agisse de programmation et de suivi Les outils de la qualité architecturale de travaux sur les monuments, d’ex- Si l’arsenal juridique existe depuis longtemps, on pertise en milieu ancien ainsi que sur relève malgré tout une réalité bien contrastée. des édifices non protégés, d’action de La loi de 1962 dite Malraux instituant le secteur sensibilisation. La ville. sauvegardé a permis une avancée remarquable Un résumé des missions pourrait se traduire en initiant un règlement patrimonial par le biais par la notion de gestion de la transfor- du plan de sauvegarde. mation et de la transmission du patri- La ZPPAUP est une procédure plus récente issue 2 moine. des lois de décentralisation dès 1983 qui privi- Les SDAP de la région Rhône-Alpes par légie l’initiative communale et la concertation ailleurs se sont structurés en réseau dans un objectif de préservation du patrimoine sous forme de collège leur permet- et du paysage 7 en reprenant sensiblement la tant de mener des actions communes même démarche. afin d’être représentatifs à l’échelon L’article R.111-21 du code de l’urbanisme déjà des services régionaux (DRAC et présent en 1976 permet à l’autorité compétente DIREN 3). D’après une idée de formuler des prescriptions ou de refuser un originale de Léon Krier, 1984. permis au motif que ce dernier porterait atteinte La problématique du contrôle architectural aux lieux et ne s’intègrerait pas dans le site dont L’architecture est un domaine dont l’action mérite le caractère est identifié. d’être consolidée, car étant une « expression de La loi « paysage » du 8 janvier 1993 permet égale- la culture » 4 elle met en relation aussi bien des ment d’améliorer le contenu du PLU 8 en propo- notions liées à la rénovation, qu’à la création ou sant « d’identifier et délimiter les quartiers, rues, tout simplement à la qualité des constructions, et monuments, sites, éléments du paysage et secteurs à leur intégration dans les paysages. à protéger ou à mettre en valeur pour des motifs A une période qui a intégré les diverses notions d’ordre esthétique, historique ou écologique et de patrimoine, il y a lieu de reposer la question définir, le cas échéant, les prescriptions de nature de l’architecture comme vecteur d’authenticité et à assurer leur protection ». comme alternative à la production de masse dans La Loi solidarité et renouvellement urbain (SRU) 9 un département soumis à de fortes pressions sur instaure une démarche de projet et recentre le les espaces patrimoniaux et naturels ainsi que sur dispositif sur les questions d’aménagements et des paysages emblématiques. non plus sur les opportunités foncières. Le règle- Ce constat concerne aussi bien la conservation ment est néanmoins peu différent de celui des Station de Sestrière. des traces du passé que les questions relatives au anciens POS. devenir de notre environnement, à la coexistence L’évolution culturelle souhaitée et attendue par des constructions neuves avec les bâtiments les spécialistes tarde à porter ses fruits et la

14 production architecturale reste trop souvent la par une volonté hygiéniste dans les reconstruc- ARCHITECTURE conséquence du classique article 11. tions d’après-guerre. Par ailleurs, un projet devrait se concevoir comme Le système normatif, les avis et l’article 11 un travail d’adaptation par rapport à un modèle Les premiers documents d’urbanisme étaient idéal qui rendrait le modèle compatible avec le essentiellement constitués de formules stéréoty- programme, les contraintes de site et celles des pées qui ressassaient le même texte avec un édifices voisins. article 11 du plus banal au plus ambigu. 10 L’architecture au travers de son enseignement ne L’application du seul règlement n’a pas garanti la disposant pas d’un domaine scientifique est qualité architecturale notamment au moment de sujette à polémique dont il ne peut résulter que la réalisation des projets ; même le contrôle a des confrontations doctrinales. L’affirmation d’une « Non au permis posteriori via la conformité n’a eu qu’un effet doctrine se révèle être le meilleur outil de de détruire ». limité. L’urbanisme est en effet un domaine ou communication, mais le débat permet-il à chaque s’affrontent les contraintes d’intérêt général et les fois d’appliquer voire d’expliciter les principes intérêts privés des constructeurs ou des tiers. issus de cette doctrine ? La cause principale n’en est pas imputable au seul projet individuel mais probablement à quelques Les perspectives d’évolution dispositifs du système d’aménagement du terri- Même si les textes fondateurs du droit du patri- 1. Décret du 6 mars 1979 toire par la voie des outils opérationnels (et de la moine sont anciens, l’évolution en matière d’es- instituant les SDA(P) qui ont loi d’orientation foncière de 1967) comme le lotis- paces protégés est constante. Elle s’est traduite pour mission de promouvoir sement voire parfois la ZAC. encore récemment par une disposition de la loi une architecture et un urbanisme de qualité, Paradoxalement, les quelques rares expérimen- SRU prévoyant, dans le cadre de l’élaboration d’un s’intégrant harmonieusement tations notamment en matière de logement – les PLU, la possibilité de modifier le périmètre de dans le milieu environnant. équipements publics étant plus facilement protection autour des monuments historiques qui Les SDAP ont été rattachés au acceptés par l’opinion dans leur différence ou serait adapté aux enjeux patrimoniaux et à la Ministère de l’Équipement leur aspect novateur – ou les quelques projets réalité spatiale. Par contre, elle ne stipule aucun jusqu’en 1996. 2. Article du Moniteur du atypiques se démarquant d’une production clas- mode opératoire ni corps de règles ce qui risque 28 avril 1995 en page 45 par sique voire banale ne nuisent pas nécessairement une nouvelle fois d’accorder beaucoup de crédit Olivier Godet – ABF. au contexte bâti existant, mais n’en inverse pour à l’article 11. 3. Direction régionale des autant la tendance. Les expériences de bâtiments L’étude patrimoniale est un document pragma- affaires culturelles (DRAC) résolument contemporains dans le Vorarlberg, tique, axé sur une problématique liée au patri- et la direction régionale de l’environnement (DIREN). contrée autrichienne pourtant ancrée dans le moine, à l’architecture et au paysage mettant en 4. Article premier de la loi régionalisme, illustrent un revirement d’attitude perspective grâce à l’analyse, les potentialités d’un du 3 janvier 1977 décrétant de l’opinion et une culture nouvelle. territoire, d’un ensemble patrimonial dans un l’architecture d’intérêt public. L’avis de l’ABF, longtemps isolé, a permis de objectif de préservation. 5. ZPPAUP : zone de garantir un niveau d’exigence dans les projets et En relation avec les problématiques typiquement protection du patrimoine a assuré une forme de « présence temporelle » architecturales, il semble important d’évoquer des architectural, urbain et sur un territoire donné ; il a servi de fil conduc- solutions alternatives à la commande classique paysager. teur puisque, semble-t-il, ce principe est trans- où l’on mêle expérimentation et création à l’instar 6. Le juge judiciaire et le posé à l’échelle de nombreuses communes des concours d’architecture, des marchés de défi- droit de l’urbanisme par Dominique Moreno, soucieuses de leur architecture, par le biais des nition permettant à la production urbanistique et éd. LGDJ, 1991. architectes consultants dont les avis prennent le architecturale de sortir de l’engrenage du forma- 7. ZPPAUP, du projet à la relais en dehors des espaces protégés. lisme et des stéréotypes, de mobiliser l’opinion règle – STU, Direction de et de donner un crédit à la culture de projet en l’architecture et de l’urbanisme, éd. STU, 1992. alternative à la norme de type article 11. Le débat en architecture 8. POS et paysages, aspects Si la promotion de l’architecture s’illustre par des Fixer la règle sans la figer ni dans le temps ni à juridiques par la DAU, manifestations et des remises de prix à l’échelle ministère de l’Équipement, l’échelle du territoire revient à s’interroger sur le nationale, on ne peut faire fi du travail de terrain éd. Villes et territoires 1995. type de production souhaitée en matière d’amé- Article L.123-1 alinéas 4 et 7 effectué quotidiennement par des groupes de nagement et d’architecture. du Code de l’urbanisme. passionnés, des associations, des professionnels Alors que l’article 11 n’est plus une partie obli- 9. La loi SRU est complétée et par un réseau de petites entreprises qui mili- par la loi urbanisme gatoire du document d’urbanisme, son absence tent ardemment à l’échelon local mais dont l’ef- et habitat n°2003-590 serait ressentie comme un vide juridique qui ne fort est souvent jugulé par une débauche norma- du 2 juillet 2003. permettrait pas de juger un projet de manière 10. L’article 11 concerne tive trop abstraite. objective. l’aspect extérieur des Philippe Ganion L’énoncé de la règle via l’article 11, même s’il constructions qui réglemente par type de zone et non pas comporte des effets insidieux, rassure l’instruc- par dossier. teur et le maire sur le risque limité de recours 11. Circulades languedo- contentieux et décline un corpus de références ciennes, naissance de évitant une appréciation au cas par cas. l’urbanisme européen de Krzysztof Pawlowski, éd. On constate que l’excès de règle ou l’excès dans Presses du Languedoc 2002. la règle stigmatise aujourd’hui les projets inno- 12. Bastides du Quercy, vants ce qui n’a pas toujours été le cas ; l’histoire société académique de l’architecture en témoigne. d’architecture, éd. Diagram, L’action publique est perceptible dans la mise en 1995. oeuvre des circulades en Languedoc comme modèle spatial en l’an mille 11, dans les bastides du sud-ouest 12, dans les projets d’embellissement des villes et la création des grandes percées mais aussi en matière d’architecture fonctionnaliste

15 MONUMENTS Sauvegarde des granges de Chandon un contexte communal et urbanistique particulier commune de Méribel

& ÉDIFICES

a commune des Allues, est passée, durant nelle du site 1 mais avant 1993, le POS n’apporte le XXe siècle d’une économie rurale agri- aucune contrainte sur ces bâtiments. Pourtant ces Lcole à une économie touristique axée sur les granges suscitent de plus en plus l’intérêt. Elles 1. La maison rurale sports d’hiver. Son relief et son orientation la sont répertoriées dans de nombreux ouvrages et permanente dans les Alpes rendent tout à fait attractive pour le public affec- documents d’urbanisme. Le CAUE les mentionne française du nord, Jean Robert (photo des granges tionnant les sports de neige. également en mars 1995 dans un document sur de Chandon datant des Cet enjeu a induit, dès la seconde moitié du XXe l’habitat traditionnel des vallées de Vanoise. années 30). siècle, un équipement en termes de remontées L’équipe municipale alors en place propose la mécaniques et d’infrastructures touristiques et un préemption de ces granges sans en préciser la accroissement corollaire du nombre de résidences destination. La dernière municipalité privilégie secondaires et de structures d’hébergement. La un aménagement du PLU imposant la conserva- commune bénéficie d’une bonne desserte du fait tion à l’identique du caractère de ces bâtiments. de la construction de l’autoroute de Tarentaise et Cette démarche se concrétise en septembre 2003. participe de manière forte à la dynamique écono- Cette année-là, la commune engage une étude mique de cette vallée. La plupart des anciens globale sur l’ensemble de cet alignement de 5 hameaux ont subi des rénovations banalisantes granges afin de se doter de moyens et de critères et le bâti ancien, fortement transformé, se retrouve qualitatifs permettant leur transformation en habi- souvent noyé au milieu de constructions récentes tation sans en dénaturer l’aspect général. et variées. Actuellement, le bâti vernaculaire du hameau de Dans ce contexte, les granges de Chandon consti- Chandon présente des constructions groupées et tuent un ensemble de constructions manifeste- mitoyennes, desservies par des ruelles étroites et ment bien préservé. pentues. Dans le bas du hameau, les granges Ces granges ont fonctionné jusque dans la étagées en cascade sur la pente font face à l’ali- seconde moitié du XX e siècle. Elles permettaient gnement des habitations. de stocker du fourrage et d’abriter les bêtes durant Chaque grange est particulière même si elle la mauvaise saison. Cet ensemble a néanmoins présente un système constructif et une répartition été un peu chahuté durant les cent dernières des fonctions identiques. On peut distinguer trois années. Les toits ont été reconstruits suite à un niveaux : incendie en 1928. Lors de l’élargissement de la route entre 1945 et 1955, les granges ont été épar- gnées au mieux. En 1991, une déviation les contournant est mise en place pour les jeux olym- piques de 1992. C’est également la dernière année où des vaches en occupent les étables.

Un patrimoine à protéger La prise de conscience de la valeur patrimoniale des granges de Chandon a été progressive. Dans la première moitié du XX e siècle, quelques publi- cations font bien état de la qualité exception-

16 MONUMENTS

& ÉDIFICES

– Un sous-bassement semi-enterré en pierres hourdées au mortier de chaux. Cet espace, couvert par quatre voûtes d’arête avec pilier central, correspondait à l’étable. – Le niveau inférieur de la grange est situé juste au-dessus. Ses murs extérieurs sont constitués de panneaux de planches ajourés s’inscrivant entre des parties maçonnées. Cette technique permet de ventiler récoltes et foin. À l’entrée, une surface en plancher complète ce fonctionnement par l’aménagement d’un espace pour le battage des fèves, pois et avoine. – Le niveau supérieur de la grange est en bois. L’ossature en charpente d’épicéa est fermée par un mantelage de planches ajouré pour favoriser la ventilation. Le volume du comble est en porte- à-faux pour accroître la capacité de stockage. Dans le plancher, une trémie est réservée pour le passage du foin. taires sur des thèmes précis comme la stabilité La façade sud est remarquable par la qualité de des bâtiments, la nature des planchers, l’intérêt son modelé : de nombreux éléments sont dis- des voûtes, les modalités d’isolation, les maté- posés en retrait ou en saillie ; l’avancée en porte- riaux de couverture, les principes d’éclairement à-faux des combles est accentuée par des des pièces ont permis de confirmer les proprié- bardages obliques. Issue du système constructif taires dans ce choix de restauration. et de l’usage de chaque étage, la répartition entre Forte de l’appui unanime des propriétaires, la bois et pierres confère une certaine harmonie à commune sollicite alors un affinage du cahier des l’ensemble. charges, afin de l’annexer au PLU pour garantir la qualité de ce qui est devenu un projet commun. La participation des propriétaires Aujourd’hui, ces cinq granges appartiennent à Une expérience volontariste et d’exception cinq propriétaires différents que la commune a Les granges témoignent de l’économie rurale associé dès le lancement de l’étude. La mairie les d’autrefois. Leur fonction essentielle était le stoc- a informés de la démarche puis a sollicité leur kage, mais aujourd’hui, l’économie agropasto- soutien, notamment l’ouverture de leurs bâti- rale s’est transformée. ments pour en permettre les relevés. Leurs propriétaires orientent ces bâtiments vers La démarche pédagogique s’est engagée et rapi- d’autres usages, comme par exemple la création dement les propriétaires ont convenu de la de gîtes en lien avec l’économie rurale ou au qualité du site et de la nécessité de produire un contraire la réalisation d’une habitation exploi- cahier des charges permettant d’en assurer la tant la totalité de l’espace intérieur, transforma- préservation. tion radicale s’émancipant du contexte agraire. La restitution de l’étude a lieu le 4 mai 2004. Pour le bâtiment, ces interventions présentent Plusieurs perspectives sont explorées, mais une une certaine irréversibilité. seule proposition de transformation est retenue Dans le cas des granges de Chandon, le dyna- du fait des contraintes liées au bâti existant. Cette misme des équipes municipales, leur sensibilité proposition répond à deux principes dont l’ob- à la dimension patrimoniale de ces bâtiments lais- jectif est à la fois la protection et la transforma- sent espérer une réhabilitation de l’ensemble tion en habitation. La conservation des volumes, soucieuse d’en préserver le caractère et la qualité des structures et de l’aspect des façades constitue architecturale. La somme des volontés impliquées le premier principe. Le second consiste à ont fait d’une idée simple un projet patrimonial proposer des solutions techniques simples faci- exemplaire. litant le maintien de l’unité d’ensemble. Cette Karine Schwing & Cédrik Valet présentation et la discussion avec les proprié-

17 MONUMENTS La Rizerie des Alpes symbole d’italianité

ntre -ville et le quartier de Lou- traz, sur la place du marché qui s’étend Eentre la voie ferrée et le lit de l’Arc, se dresse un & ÉDIFICES des bâtiments industriels parmi les plus intéres- sants de la Savoie : l’ancienne Rizerie des Alpes. Un édifice rectangulaire en forme de temple antique construit en 1929 par deux industriels ita- liens. Transformé après la Seconde Guerre mon- diale par la municipalité de Modane en un marché couvert, une remise de matériel et une salle de sport, le bâtiment fut inscrit à l’inventaire supplé- mentaire des Monuments Historiques par un arrêté du 2 février 1987. L’édifice a fait l’objet d’une res- tauration complète qui s’est étendue de 2001 à Façade principale à l’est. 2005. Aujourd’hui la Société Lyon-Turin Ferroviaire y a installé ses bureaux et elle présente depuis cet La première rizerie des Alpes automne une exposition permanente sur le futur C’est un industriel italien d’origine génoise, Fran- tunnel de base qui permettra de franchir les Alpes cesco Cattaneo, qui construit avenue de la gare, par un tunnel de 52 kilomètres de long creusé à la périphérie de Modane-ville, une usine entre Saint-Jean-de-Maurienne et Venaus dans la superbe en 1908. L’édifice porte les marques de basse vallée de Suse. l’architecture piémontaise : c’est une construc- tion en briques comportant un rez de chaussée L’industrie modanaise du riz et trois étages flanquée à ses deux extrémités au gré des rivalités franco-italiennes d’une tourelle surmontée d’une cage en fer Trois facteurs expliquent l’importance de l’in- dominée d’un aigle sculpté, symbole de la famille dustrie du riz à Modane. En premier lieu vient le Cattaneo mais aussi de la Maison royale d’Italie. débouché du tunnel ferroviaire du Fréjus mis en L’usine utilise la force hydraulique du torrent service en 1871 et l’existence de la gare interna- Rieux Roux. Les ballots de riz débarqués sur les tionale de Modane permettant aux industriels de quais de la gare de Modane sont transportés bénéficier de la proximité d’un grand axe inter- jusqu’à l’usine sur des chariots tirés par des national de transport et de se relier facilement chevaux. L’activité la plus intense concerne aux régions productrices de riz du Piémont ainsi surtout la fin de l’été lorsque les moissons s’achè- qu’aux ports de Gênes et de Marseille importa- vent dans les rizières asséchées. On constitue teurs de riz asiatique. Le second facteur réside alors des stocks de grains que l’on travaillera le dans la présence de la force hydraulique des reste de l’année. torrents qui anime à bon prix les machines décor- tiquant et façonnant les grains de céréales. C’était Des Rizeries Pellas à la un avantage décisif à une époque, le début du Compagnie franco-indochinoise du riz XX e siècle, où l’on ne savait pas transporter l’élec- Deux ans plus tard en 1910, deux génois, les frères tricité sur de grandes distances. Le troisième Pellas édifient dans le quartier Sainte-Anne, les facteur relève du cloisonnement des frontières. Rizeries de la Méditerranée, établissement Pellas Depuis les années 1886-1887, la France et l’Italie Frères. Les industriels français n’apprécient guère se livrent à une guerre économique sans pitié ces implantations italiennes et dans les premiers qui contraint les industriels italiens désirant mois de 1928, les Rizeries de la Méditerranée sont exporter leur production à établir des fabriques absorbées par les Rizeries du Havre, la nouvelle sur le sol français afin d’éviter de lourdes taxes société prenant comme raison sociale le nom de à l’exportation. C’est un changement radical dans Compagnie Franco-Coloniale du Riz. Minoritaires la politique commerciale jusque là marquée par les frères Pellas sont évincés quelques mois plus le libéralisme puisque vers 1880 lorsque l’Italie tard lorsque la Compagnie Franco-Indochinoise entreprend de moderniser la culture du riz dans (la FIC) dont le siège est parisien s’empare de la le Piémont oriental, les grands financiers fran- société. La FIC possédait des usines à Marseille et çais de Turin et de Milan investissent dans la rizi- désormais à Modane. Ses principaux actionnaires culture. En retirant leurs capitaux, les groupes étaient les frères Denis de Bordeaux. Ils installent financiers français déclenchent une forte mévente un nouveau directeur dès 1928, Barborin, un cadre des grains italiens remplacés sur le marché fran- venu d’Indochine puis en 1937 lui succède çais par les riz provenant d’Indochine. Le même Antonin-Joseph Mistral qui deviendra maire de

De hautes baies retrait s’opère aussi dans l’industrie de la soie du Modane durant deux décennies de décembre 1940 se développent entre Biellais entraînant là aussi surproduction et à mars 1959. les colonnes. mévente. Les rivalités coloniales vont détériorer Umberto, un des frères Pellas, ne se résigne pas. gravement les relations franco-italiennes durant Malgré l’adversité, il implante une nouvelle usine des décennies. à la sortie de Fourneaux. Cet établissement

18 modeste cesse ses activités en 1940 lors du un plancher qui s’appuie sur une structure métal- MONUMENTS déclenchement de la Seconde Guerre mondiale lique. La charpente est également constituée de et l’entrée en guerre de l’Italie au côté de l’Alle- poutres métalliques. magne. La façade principale donne dans la magnificence. Précédée d’un double escalier, elle possède six La seconde Rizerie des Alpes colonnes qui délimitent de grandes baies. Les entre l’être et le paraître bases des colonnes sont reliées par une élégante En 1928, dans une situation économique et poli- balustrade. Le fronton triangulaire s’orne de tique tendue, Francesco Cattaneo parvient à multiples dentelures. L’architrave porte l’inscrip- vendre son entreprise initiale à Pokrassov, un tion Rizerie des Alpes. La seule fausse note & ÉDIFICES émigré russe qui fonde la Rizerie de Savoie à provient de la visibilité de la structure métallique l’existence éphémère. Les bâtiments sont de nos délimitant le second et le troisième niveaux. Elle jours le siège d’une entreprise de pompes forme une barre horizontale dans laquelle vien- funèbres. Francesco Cattaneo en 1929 s’associe nent s’encastrer les colonnes tout en rompant à un riche transitaire italien de Modane, aussi la composante verticale des baies vitrées. Guglielmo Gerardo pour créer la Rizerie des Les façades latérales font preuve d’une grande Alpes. F. Cattaneo-G. Gerardo qu’ils installent élégance. Au-dessus du soubassement en bossage dans des locaux à l’antique en forme de Temple. éclairé d’oculus se dressent six colonnes surmon- Le bâtiment superbe évoque les splendeurs de tées de chapiteaux ioniques encadrant des baies l’Italie antique par ses formes et par ses couleurs. vitrées arrondies dans la partie supérieure. Il se rattache à la tradition architecturale des bâti- ments publics du Piémont à l’époque du Risor- La victime d’un nationalisme exacerbé gimento beaucoup plus qu’à l’architecture de la On pourrait penser que dans une cité interna- période fasciste. Il est vraisemblable que le tionale comme l’était Modane rassemblant des Détail de la façade ouest. concepteur et les ouvriers venaient du nord de centaines de fonctionnaires français et italiens l’Italie. Les murs de briques caractérisent l’art des l’affrontement des nationalismes limiterait les maçons de l’Italie du nord. débordements passionnels. Il n’en est rien. Là Le plan du bâtiment forme un rectangle de 14,8 comme ailleurs, les rivalités s’exacerbent à la m. de large sur 26,04 m. de long. La façade prin- veille de la Seconde Guerre mondiale. La Rizerie cipale est orientée à l’est. La toiture à double des Alpes fut la victime des tensions politiques versant est recouverte d’ardoises. Seize colonnes entre la France et l’Italie. En 1936, Guglielmo surmontées de chapiteaux ioniques rythment les Gerardo est expulsé vers son Piémont natal. Il est façades est, sud et nord. La façade ouest ne faussement accusé de fournir des renseignements comporte pas de colonnes mais elle est éclairée aux services italiens par le biais de pigeons voya- en son centre par une grande fenêtre. La façade geurs. En fait, la rizerie attirait les pigeons qui principale et la façade occidentale sont ornées trouvaient là une nourriture abondante et les d’un fronton triangulaire. Les façades latérales au employés ne se privaient pas de leur réserver un sud et au nord développent de hautes baies sort gastronomique lorsqu’ils étaient bien dodus vitrées. Au rez-de-chaussée, le soubassement mais, dans l’opinion publique, ces pigeons ne aligne un faux appareil à bossage ouvert d’oculus. pouvaient être qu’au service de l’ennemi. En fait, toutes les façades ne constituent qu’un D’ailleurs, le poids de la défense militaire est tel décor en ciment plaqué sur une structure métal- à Modane qu’en décembre 1936, le sous préfet lique composée de poutres et de piliers. de Saint-Jean-de-Maurienne interdit au notaire Le volume intérieur se subdivise en trois niveaux. Delavenay d’édifier un pigeonnier dans sa Le premier niveau, au rez-de-chaussée, est déli- propriété. Il ne fait pas bon d’être colombophile mité par le soubassement en faux bossage. Le près de la frontière ! second et le troisième niveaux sont séparés par François Forray

Ci-dessus, façade nord. Ci-contre, à l’intérieur, une structure métallique de poutres et de piliers.

19 ACTUALITÉS Sentinelles des Alpes Sentinelle delle Alpi

Sentinelles des Alpes, piloté par Mission Développement Prospective* et la Région Piémont, est aujourd’hui un réseau transfrontalier reconnu EXPOSITIONS dans le massif franco-italien par les collectivités et par les acteurs de la valorisation du patrimoine fortifié. La première phase du programme * Mission Développement s’achève. Il faut maintenant aller plus loin. Le seconde phase sera Prospective conduit depuis dix ans avec ses membres, davantage consacrée à la mise en tourisme des sites fortifiés. et de manière privilégiée avec le Conseil général de la Savoie, des réflexions stratégiques en matière d’aménagement du une mission d’évaluation du programme. A cette territoire, initie et anime des ls sont aujourd’hui une soixantaine… Les partenariats dans le cadre gestionnaires français et italiens de sites for- occasion, Eureval a consulté, en France et en de démarches territoriales, Itifiés alpins ont progressivement construit un Italie, les partenaires institutionnels (élus et mène des missions réseau transfrontalier, avec des outils de com- services des collectivités), les membres du réseau d’observation dans le munication et d’échanges d’informations, avec et quelques prestataires impliqués dans Sentinelles domaine de l’économie, du tourisme et de la gestion de des rendez-vous réguliers et surtout avec l’ambi- des Alpes. Les résultats de l’évaluation montrent l’espace. tion de nourrir l’interprétation du patrimoine en d’une part que, dès le début, l’association des développant de nouveaux projets de valorisation, partenaires et des acteurs locaux à la définition plus innovants, plus interactifs, plus artistiques. des priorités et à la mise en œuvre des actions a Depuis 2002, les membres du réseau Sentinelles renforcé l’efficacité de l’ensemble du dispositif. des Alpes ont participé à quatre formations et D’autre part, bien que ne fonctionnant pas encore quatre Rencontres Transfrontalières thématiques de manière autonome, le réseau bénéficie d’une et ont bénéficié de divers outils de communica- réelle dynamique de groupe, au sein duquel les tion (site internet, dossier de presse, communi- échanges sont nombreux et fréquents. Enfin, la qué de presse, plaquette touristique), de publi- dimension transfrontalière constitue une richesse cations (guide méthodologique, livret pédago- supplémentaire et une forte valeur ajoutée au gique), et d’appui technique à l’élaboration de réseau : sur le plan institutionnel, la coopération projets. entre MDP et la Région Piémont est un partenariat Afin d’expertiser le travail conduit depuis 4 ans durable, puisqu’il se poursuivra au-delà du dispo- Ci-dessous, le Fort de Bard, sitif Interreg ; sur le plan de la valorisation du verrou du Val d’Aoste : et d’aider les partenaires de Sentinelles des Alpes place-forte du Buon Governo, à définir les actions stratégiques pour les années patrimoine fortifié, l’interprétation ne peut se XIX e siècle. à venir, MDP a confié en 2005 au Cabinet Eureval concevoir qu’à travers la compréhension des systèmes défensifs et des stratégies politiques dans leur contexte européen. Ces résultats confortent l’intérêt et l’efficience d’une approche globale qui dépasse les frontières administratives et natio- nales. Le massif franco-italien est un territoire convoité et soumis à de multiples pressions (foncières, urbanistiques, démographiques) et s’inscrit dans un environnement de plus en plus concurrentiel, à la fois par les autres territoires (ville, rural) mais aussi par les autres montagnes d’Europe. Les pers- pectives d’évolution et le changement climatique annoncé indiquent que ce territoire subira des mutations importantes d’ici 20 à 25 ans, qui affec- teront notamment les économies touristiques des vallées alpines. Ces processus soulèvent de nombreuses questions : quelles seront les rela- tions entre les urbains et les ruraux / monta- gnards, dès lors que la concentration urbaine du littoral méditerranéen et de la région de Turin pousseront leurs habitants à rechercher des zones de loisirs à proximité, des territoires verts ? Dans quelle mesure le patrimoine, dont les fortifica- tions, peut-il permettre une diversification de l’offre touristique et culturelle en montagne ? Par ailleurs, les pratiques touristiques s’affranchissent de plus en plus des limites administratives, notam- ment par l’itinérance, renforçant la mobilité des clientèles : comment concevoir des produits à

20 tiques, sur l’utilisation des outils développés par ACTUALITÉS les offices de tourisme, les comités départemen- taux et les comités régionaux de tourisme et sur les modalités de travail en réseau. Par ailleurs, des actions spécifiques auprès des opérateurs touristiques seront conduites pour d’une part mieux faire connaître les potentialités du patri- moine fortifié et d’autre part les associer à la communication et à la promotion des sites alpins, à travers des expositions, des accueils presse, des publications. De façon générale, les membres du EXPOSITIONS réseau transfrontalier poursuivront leur profes- sionnalisation grâce à différents séminaires et rencontres thématiques organisés de manière régulière dans les territoires. Enfin, les partenaires de Sentinelles des Alpes souhaitent développer des collaborations avec d’autres projets, complé- En haut, à gauche, les Forts sardes de l’Esseillon, mentaires à la démarche patrimoniale : Via Alpina et , verrou du est un itinéraire de randonnée, qui couvre 8 pays Mont-Cenis, Maurienne, de l’Espace Alpin, de Trieste à Monaco, et qui place-forte du Buon s’appuie sur un réseau de partenaires locaux Governo, XIX e siècle.

(hébergeurs, OT, Parcs, etc.). Les sentiers, souvent En haut, à droite, le Fort du d’anciennes routes militaires ou chemins mule- Montperché, ouvrage de tiers, dans les Alpes franco-italiennes passent tous protection, système Séré de à proximité des sites du réseau Sentinelles des Rivières, XIX e siècle. Alpes. Aussi, des actions communes seront Au centre, le Fort de Saint- l’échelle du massif ? Comment en faire la promo- conduites pour renforcer les offres respectives Gobain, gros ouvrage de tion ? Il y a là un véritable enjeu de développe- des deux projets, privilégiant un tourisme doux, montagne, système CORF, ment économique dans un contexte de profondes itinérant, culturel et ancré dans les territoires. ligne Maginot des Alpes et rapides mutations. L’unification du Comité de Muriel Faure XX e siècle. Massif des Alpes, les expériences de coopération En bas, le Fort de Ronce, 1. Le séminaire organisé par la Conférence des Alpes Franco- franco-italienne depuis 1990 (Interreg I), les Piazza militare Italiennes à le 22 septembre 2005 sur « Itinérance et réflexions bilatérales en cours pour définir les del Moncenisio, réseaux : une forme de tourisme adaptée aux Alpes franco- Lanslebourg-Mont-Cenis, priorités de la prochaine programmation des italiennes » a bien montré l’intérêt de ces projets, en plein essor, XIX e siècle. fonds structurels, constitue un environnement qui répondent aux nouvelles attentes des clientèles. institutionnel privilégié pour élaborer de nouvelles stratégies de développement. Plus spécifiquement dans le domaine patrimonial et touristique, il existe déjà des projets structurants soutenus par les collectivités alpines, tels que Via Alpina et Sentinelles des Alpes. Le tourisme culturel et l’itinérance 1 offrent de nouvelles pistes de travail dans la perspective de véritables démarches intégrées de développement local. La montagne bénéficie d’un patrimoine riche et diversifié (naturel, rural, religieux, fortifié), mais valorisé de façon trop segmentée (par territoire et par filière), n’associant pas suffisamment les différents acteurs du territoire. Aujourd’hui, les enjeux pour les Alpes résident dans la capacité des responsables institutionnels et des acteurs locaux a privilégié des projets stratégiques, ciblés, multi-partenariaux à la fois public et privé impli- quant opérateurs touristiques et culturels. En outre, l’organisation en réseau structure l’offre, dans la mesure où elle induit une professionna- lisation des acteurs, des dispositifs d’échanges d’informations et une promotion commune. S’inscrivant dans un environnement fragile mais très attractif, ces projets devront prendre en compte les contraintes liées à un développement durable, respectueux des populations et des écosystèmes naturels. Dans cette perspective, la suite du programme Sentinelles des Alpes pour les années 2006 et 2007 sera consacrée à la mise en tourisme du patri- moine fortifié des Alpes franco-italiennes. Les formations à destination des gestionnaires de sites seront axées sur l’élaboration de produits touris-

21 ACTUALITÉS Groupe de l’Annonciation une acquisition rare pour les musées de Chambéry

n 2003, le Musée savoisien a proposé au Outre les deux personnages principaux qui la EXPOSITIONS public une remarquable exposition met- composent, la Vierge et l’ange, c’est leur appar- Etant en scène la sculpture gothique dans les Etats tenance à deux mondes différents qui en fait une de Savoie. Fruit d’une collaboration entre les ins- composition particulière; l’ange est une créature titutions muséales turinoises, valdotaines et céleste, ailée et immortelle alors que la Vierge est savoyardes, bien des découvertes ont ainsi mis humaine, soumise à toutes les servitudes ter- en avant des ateliers de productions, des artistes, restres. L’ange, qui a perdu ses ailes, incarne le mais aussi une certaine manière mouvement, il transmet un message divin, alors que l’on retrouve dans la pein- que la Vierge reste passive. Il en résulte une dissy- ture de cette même époque en métrie entre les deux personnages, perceptible Savoie, au regard des Primi- ici par la taille même des personnages : le premier tifs aujourd’hui conservés au est plus grand (37,5 cm de hauteur) que la Musée savoisien. Les princi- seconde (36 cm de hauteur). Ce thème icono- pales caractéristiques de ce graphique a eu une place de choix dans les créa- foyer artistique savoyard tions artistiques, il est extrêmement répandu tant viennent d’un mélange d’in- en peinture qu’en sculpture, dès le Moyen Âge fluences venues des pays du et durant toutes les périodes suivantes. Nord, les Flandres plus par- Cette sculpture vient renforcer le fonds déjà exis- ticulièrement. tant des collections des musées de Chambéry. Ce groupe, composé Sans être important du point de vue numérique, d’un ange et d’une il se compose de véritables trésors pour les Vierge, a été proposé périodes anciennes avec des pièces provenant au musée du Louvre par de l’abbaye d’Hautecombe, de différents édifices un propriétaire privé. Le religieux, de Chambéry même (ancienne église Inv. 05-1-1 et 2. département des sculptures, après son étude et des Antonins, par exemple) ou encore de au regard de son analyse stylistique, a alerté le quelques lieux des environs. Peu nombreuses au musée de Chambéry, rapprochant cet ensemble XIV e et XV e siècle, toutes sont remarquables pour des réalisations des Alpes du Nord, peut-être ces périodes anciennes, alors que dès le tournant savoyardes ou piémontaises. Il date de la fin du du XVI e siècle, les collections des musées se XV e siècle par l’exécution notamment des vête- rapportent plus à un contexte local dans des ments formant des plis amples qui se cassent au exécutions plus provinciales (saint Crépin de l’an- sol en formant une sorte de base large et géné- cienne église Saint Léger ou Reliquaire des reuse, mais aussi par le rendu des visages et de Clarisses). la chevelure. Composée des deux personnages Cette œuvre a été acquise par la Ville de Cham- principaux, la Vierge et l’ange, ces deux pièces béry avec l’aide du Fonds Régional d’Acquisitions appartenaient à un groupe de plus grande pour les musées (Ministère de la Culture, Région ampleur, peut-être un retable, dont il ne reste Rhône-alpes) en 2004. aujourd’hui que ces deux éléments. Ils sont réalisés en bois, recouverts d’une polychromie et Durant cette même année, les fonds des musées d’or, leur exceptionnel état de conservation nous de Chambéry ont vu leurs collections s’accroître Inv. 05-3-1. offre une vision sincère de l’œuvre, qui n’a jamais d’une rare pièce italienne. L’association Printemps été restaurée et qui est dans un état de fraîcheur Baroque, qui avait en 1994 soutenue très active- remarquable après plus de cinq cents ans. ment la fameuse exposition Du Maniérisme au Quelques manques sont disséminés mais ne Baroque inaugurant l’extension du musée des nuisent en aucune manière à la découverte et à beaux-arts à l’ensemble du bâtiment suite à la l’interprétation de l’œuvre. création de la médiathèque, a décidé de se N’appartenant déjà plus au monde gothique, le dissoudre et d’offrir à la Ville de Chambéry une début de la Renaissance se fait sentir, même si les œuvre italienne de grande qualité, Le Bienheu- personnages sont encore figés dans leurs atti- reux Nicolo Albertgati, sacré évêque de Bologne tudes, une grande douceur émane de leur en 1745, réalisée par Antonio Rossi (artiste bolo- dialogue invisible. Bien qu’ils soient peut-être liés nais de 1700-1753). Il s’agit d’une grisaille sur à la production artistique du Piémont ou de la papier, étude préparatoire d’un grand tableau Savoie, il ne faut pas exclure d’autres foyers artis- conservé aujourd’hui à la cathédrale San Petronio tiques riches d’influences diverses où pouvaient de Bologne qui fait apparaître toutes les qualités se côtoyer des artistes flamands et peut-être même remarquables de cette exécution et s’inscrit dans lombards. Malgré les variantes iconographiques le mouvement baroque si exacerbé en cette innombrables, les données plastiques de l’An- première moitié du XVIIIe siècle en Italie. Elle nonciation sont restées immuables au cours des complète judicieusement la collection déjà âges. exposée au public. Chantal Fernex de Mongex

22 Notes de lecture LIVRES

proche du Mont Bego, blesse dans le rétablisse- est réputée pour sa ment de l’autorité du roi de concentration de roches Sardaigne après sept ans gravées. C’est dans ce site d’occupation espagnole qui d’alpages, entre 2 000 et a appauvri le duché de 2 800m d’altitude, que près Savoie, qu’est née l’histoire de 40 000 motifs ont été de la bande à Mandrin. gravés sur près de 3 700 C'est dans cette zone fronta- roches en plein-air, sur une lière entre Savoie et Les noms du période qui s’étend de 3 000 Dauphiné que se sont affir- patrimoine alpin. Atlas l’inventaire de ce Armorial des communes ans avant Jésus-Christ mées ces ambitions de pro- toponymique II. Savoie, patrimoine par canton et de la Haute-Savoie jusqu’à nos jours. Seules fit au mépris des popula- vallée d’Aoste, par commune. Le XVII e par Julien Coppier et dans cet ouvrage sont tions locales. Dauphiné, Provence siècle reste « l’âge d’or » du Gérard Détraz, sous la traitées les gravures Corinne Townley a fourni par Hubert Bessat témoignage religieux dans direction d’Hélène Viallet, historiques, du Moyen Age ici un travail ambitieux de et Claudette Germi, les Bauges et plus Archives départementales à nos jours. Les gravures les relecture historique au éd. ELLUG, 2005 généralement en Savoie, de la Haute-Savoie, 2004, plus récentes ont été regard des faits, pour notre Fruit de nombreuses ceci sous l’impulsion de 22 e. pratiquées par incision plus grand plaisir. années de recherches sur la saint François de Sales et de Les Archives départemen- linéaire, ce qui rend le trait toponymie alpine, cet atlas son action évangélique de tales s’attachent depuis une moins visible et beaucoup des noms de lieux des reconquête. Cependant les vingtaine d’ années à un plus fragile que celui En Chautagne, Alpes se termine avec la remaniements et les travail de recensement des obtenu par percussion. Paroles et images parution de ce second reconstructions du XIX e données concernant les C’est donc un paradoxe que ouvrage collectif, volume. Le premier siècle ont oblitéré l’unité de anciennes armoiries les gravures historiques Ed. Comp’Act, 2004, 20 e volume, Les noms du style du mouvement communales. Elles assurent soient plus sujettes à La Chautagne, région paysage alpin, paru en baroque. Les témoignages une mission de conseil l’érosion que celles de l’Age naturelle et administrative, 2001 était presque du passé ont perdu en scientifique auprès des du Bronze. Les auteurs de possède une grande entièrement consacré au lisibilité dans pratiquement collectivités territoriales qui ces gravures étaient des richesse naturelle et relief et à l’eau. Constatant toutes les églises des désirent retrouver ou créer pèlerins, des bergers, des culturelle. Délimitée au l’intérêt des toponymes liés Bauges. leurs propres armoiries. voyageurs, nord par le Fier, à l’ouest aux différentes étapes du dans le respect de des militaires, des par le Rhône, à l’est par le peuplement, notamment l’héraldique. C’est entre la contrebandiers. Le pli jurassien et au sud par le ceux liés aux défrichements fin du XI e siècle et le début recensement des gravures lac du Bourget, c’est une et à la conquête de du XII e siècle que les se poursuit depuis bientôt plaine alluviale récente nouveaux territoires, les armoiries apparaissent quarante ans pour occupée à l’aval de auteurs Hubert Bessat et comme signes de décrypter un éventuel Serrières-en-Chautagne par Claudette Germi, avaient reconnaissance ; d’abord langage thématique et un marais tourbeux. Lac du décidés de compléter ce réservé aux chevaliers, leur symbolique. Bourget, Rhône et marais premier volume par une usage s’étend peu à peu Le texte de Nathalie chautagnard : force est de suite. toute la société. La science Magnardi porte un regard à constater que la Chautagne Le fichier cadastral des héraldique définit, par la fois savant et plein est un endroit où l’eau départements alpins a servi de point de départ aux traités et armoriaux, un d’émotions sur ces roches La véritable histoire prédomine. L’ouvrage recherches menées sur la vocabulaire et une syntaxe confidentes. Il est de Mandrin s’ouvre par une présen- toponymie. Mais il a fallu aux formes très codifiées. magnifiquement par Corinne Townley, éd. tation générale du territoire aussi recouper faits Outre le recensement accompagné par les La Fontaine de Siloé, coll. de la Chautagne. Tour à historiques et complet des armoiries des photographies d’Emmanuel Archives de Savoie, 2005, tour sont évoqués les archéologiques pour communes de Haute- Breteau, qui a utilisé des 19 e aspects géologiques, avec pouvoir suivre l’extension Savoie, cet ouvrage techniques d’éclairage Bien loin de l’imagerie le relief et la structure du peuplement et de propose un bref aperçu de inédites, afin d’en faire d’Épinal habituelle qui a fait géomorphologique, puis les l’activité humaine. C’est en l’histoire et des conditions ressortir le motif gravé. de Mandrin un bandit au grandes unités du paysage croisant les approches, en dans lesquelles l’héraldique À noter, le projet de grand cœur, le portrait que d’où découlent la présence mêlant les disciplines que est née, ses significations. Il collaboration entre la nous dresse Corinne d’une faune et d’une flore s’éclairent les processus de nous offre ainsi une clef de Conservation départemen- Townley revisite le mythe particulière et très riche. dénomination. Au-delà de lecture de ces anciens et tale du Patrimoine et au regard des faits et des L’histoire de la Chautagne la toponymie officielle, les nouveaux témoignages Emmanuel Breteau pour actes jugés. C’est en utili- est ensuite traitée à travers auteurs se sont également d’appartenance. l’édition d’un ouvrage sant les archives des procé- son peuplement, la mise en attachés à établir une carte portant sur les gravures dures criminelles du Sénat place de la société gallo- des appellations dialectales, rupestres de Savoie. de Savoie que l’auteur a mis romaine, puis féodale, souvent fort différentes des au jour la litanie des actes l’avènement de la appellations cadastrales Les Bauges, opérés par Mandrin et ses modernité… L’économie « officielles ». terre d’art sacré acolytes. C’est en fait, un rurale, secondaire et Un ouvrage fort bien par Françoise Dantzer, véritable réseau mafieux tertiaire, sans omettre documenté et qui éd. La Fontaine de Siloé, qui apparaît alors avec son l’activité touristique, sont permettra à chaque lecteur 2005, 38 e corollaire : racket, chantage, parcourues, de même que de s’approprier les racines Cet ouvrage de près de tortures, crimes, et loi du l’architecture traditionnelle. et la riche signification des 250 pages dresse un silence imposée par la ter- Après cet indispensable noms de lieux alpins. inventaire de l’art sacré des reur. Ce n’est plus l’image préambule, les territoires Roches confidentes, Bauges. Tous les édifices : habituelle du bandit dressé qui forment la Chautagne Vinciane Néel dessins et témoignages églises paroissiales, contre l’Impôt pour la sont présentés à tour de gravés de la vallée des chapelles rurales et défense des pauvres gens rôle. Chacun fait l’objet Merveilles du Moyen-Age oratoires jusqu’aux croix de qui prévaut, mais au d’une description à nos jours chemin font l’objet d’une contraire la mise en place rigoureuse de ses richesses par Nathalie Magnardi et présentation détaillée. d’un système où le profit naturelles et économiques, Emmanuel Breteau, Images Un premier chapitre nous personnel passe avant tout, de son histoire, de son En Manœuvres Editions, propose de découvrir au mépris des règles patrimoine architectural, 2005, 22 e l’histoire chrétienne des morales et de la loi. le tout accompagné d’une La vallée des Merveilles, Bauges. Celui-ci, fort bien C’est dans un contexte de abondante iconographie. située au cœur du Parc documenté, aurait pu à lui perte de légitimité de l’État Un ouvrage très complet et National du Mercantour, seul faire l’objet d’un livre. monarchique français d’une superbement illustré. dans la vallée de la Roya, Le second chapitre dresse part, et d’autre part de fai-

23 Actualités patrimoines p. 3 Archives p. 4 & 5 Architecture Collections p. 14 et 15 p. 6 & 7 Monuments & édifices Dossier : p. 16 à 19 Les maisons-fortes Actualités expositions du Petit-Bugey p. 20 à 22 p. 10 à 13 Livres p. 23