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SEPT P.4 POÉSIES P.34 LE GRAND ENTRETIEN P.44 PRODUCTION DE TERRITOIRES 2013 OLIVIER BARBARANT LA CONNAISSANCE FIGURES FÉMININES REVUE Par Nicolas Dutent N'EST PAS UN OBJET DE LA MIGRATION EN POLITIQUE MENSUELLE CONSOMMABLE EUROPE DU SUD DU PCF Par Anne Mesliand Par Camille Schmoll

P.6 LE DOSSIER COMMUN(ISM)E ET MUNICIPALES RdP-29_V10_RDP 20/08/13 14:34 Page2

TROIS ANS ET DE PLUS EN PLUS DE DENTS ! Le mois prochain, La Revue du projet, née de la volonté du 35e congrès du PCF, aura trois ans. Et comme l’appétit vient en crois- sant, ce sera l’occasion de lancer une toute nouvelle formule de la revue. Ce sera aussi l’occasion de fêter ça, et comment mieux le fêter qu’en partageant un beau moment de réflexion ? La Revue du projet vous donne rendez-vous LE VENDREDI 4 OCTOBRE place du Colonel-Fabien pour une SOIRÉE EXCEPTIONNELLE DE RENCON- TRES ET DE DÉBATS EN PRÉSENCE DE PIERRE LAURENT, secrétaire national du PCF. Espace Oscar-Niemeyer 2 place du Colonel-Fabien 19e. SOMMAIRE

Patrice Leclerc Ralentir pour accélérer la révolu- 3 ÉDITO tion 38 COMBAT D’IDÉES Pierre Laurent L’effet papillon Alain Bocquet De la défense de l'emploi Gérard Streiff La France réac au soutien à l'innovation 4 POÉSIES Claudine Cordillot L’emploi : un enjeu central 40 MOUVEMENT RÉEL Nicolas Dutent Olivier Barbarant Claude Morilhat L’idéologie, un concept fonda- pour nos villes 2 mental de la pensée marxiste 5 REGARD Baptiste Talbot L’emploi public territorial au Aurélie Jacquet Quel travail ?! Manières de faire, cœur de la bataille pour le service public 42 HISTOIRE manières de voir Héloïse Nez et Julien Talpin Des formes nouvelles Luca di Mauro L’échec d’une révolution exclusi- de démocratie vement politique : Naples en 1799 6 u 32 LE DOSSIER Michel Limousin Le centre de santé, réponse à la désertification médicale 44 PRODUCTION DE TERRITOIRES COMMUN(ism)E ET MUNICIPALES René Balme Co-construire la ville au travers d'un Édito : Caroline Bardot et Guillaume Quashie-Vauclin Camille Schmoll Figures féminines de la migra- budget participatif Poursuivre la ligne rouge de Marsillargues tion en Europe du Sud Paul Boulland Le PCF et la question municipale : Pascal Savoldelli Un projet municipal audacieux élus du Parti vs « parti d’élus » Yann Le Pollotec Quelle géographie de l’implan- 46 SCIENCES Pierre Mouraret Une ville progressiste sur la tation locale des élus communistes ? Jean-Noël Aqua Auto-organisation : la science Côte Fleurie ! Catherine Peyge Les communes : le sel de la du local au global Emmanuel Bellanger et Julian Mischi Retour sur démocratie le « communisme municipal » Michel Vaxès Le communisme municipal ? 48 SONDAGES Florian Salazar-Martin Enjeux citoyens des poli- L'austérité ne fait plus recette Bernard Genin La solidarité internationale, une Nina Léger tiques culturelles de la commune jusqu’à l'État valeur fondamentale Daniel Fontaine Transports en commun : Liberté, 49 STATISTIQUES Dominique Adenot Prendre le pouvoir sur la égalité, gratuité Michaël Orand La fracture numérique se réduit finance commence par la commune Jean-Paul Pla La monnaie locale, levier de trans- mais reste importante Samir Hadj Belgacem Les transformations socio- formation sociale logiques des élus municipaux communistes de 50 REVUE DES MÉDIA la banlieue parisienne 33 FORUM DES LECTEURS Camille Ascari Après le meurtre de Clément Marie-France Beaufils Le logement pour résister Méric, une « prise de conscience » médiatique à la crise 34 u 37 TRAVAIL DE SECTEURS de courte durée ? Maurice Ouzoulias Le logement autrement LE GRAND ENTRETIEN Marie-Hélène Amiable Le sport dans l’action Anne Mesliand La connaissance n'est pas un 52 CRITIQUES municipale objet consommable, en la partageant on la Coordonnées par Marine Roussillon Hervé Bramy et Arnaud Lozzi Pour une réappro- multiplie • LIRE : Igor Martinache, Le local du Parti priation sociale de l'eau BRÊVES DE SECTEUR • Annie Lacroix-Riz, L’histoire contemporaine Jean-Marc Lespade L’eau, un bien commun Laurence Cohen L’oppression de classe est toujours sous influence Karina Kellner Des politiques tarifaires au ser- sexuée • Stéphane Haber, Penser le néocapitalisme, vice de l’intérêt général Jean-François Téaldi Se mobiliser pour obtenir Vie, aliénation, capital Corinne Cadays-Delhome Le droit aux vacances des changements • Sébastien Chauvin et Arnaud Lerch, pour tous et toutes ! Sylvie Mayer Une initiative à l'automne Sociologie de l'homosexualité • Jérôme Skalski, La révolution des casseroles • Juan José Sebreli, L'oubli de la raison Part de femmes et part d’hommes s’exprimant dans ce numéro. Femmes Hommes Parce que prendre conscience d'un problème, c’est déjà un premier pas vers sa résolution, nous publions, chaque mois, un diagramme indiquant le pourcentage d'hommes et de femmes s’exprimant dans la revue.

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ÉDITO PIERRE LAURENT, SECRÉTAIRE NATIONAL DU PCF, RESPONSABLE NATIONAL DU PROJET

L’EFFET PAPILLON voquant sa venue à la fête de peut être caricatural comme dans à nous de remettre en mouvement l’Humanité 2013, le chanteur les grandes entreprises où les créa- le rassemblement des forces sociales ÉFéfé (que je conseille au passage teurs de richesses que sont les sala- du changement. Toutes les batailles à toutes les oreilles avides d’un riés sont dépossédés de tout pou- compteront, singulièrement celle savant mélange des rythmes) lui a voir de décision, mais aussi plus des élections municipales sur rendu hommage en déclarant qu’elle sophistiqué comme dans les élec- laquelle se penche à sa manière ce « illustre superbement un engage- tions où la présidentialisation de tout numéro. ment politique et social s’opérant en le débat politique ainsi que des osmose avec la culture, l’ouverture modes de scrutin sur mesure mar- La commune est un terrain d’appro- à l’autre, la joie d’être ensemble ». Et ginalisent le pluralisme réel de la priations et d’expérimentations poli- il ajoutait, la Fête de l’Humanité société. tiques majeures pour le mouvement « invalide le slogan “Tous pourris”, ouvrier et progressiste français. que brandissent des forces démago- D’autre part, un colossal effort idéo- Beaucoup de conquêtes politiques giques pour s’accaparer le pouvoir ». logique d’adhésion à leurs y ont été inventées et construites, Voilà pointé l’essentiel : l’engage- « remèdes » capitalistes. Soit en notamment en matière de services

ment politique, social et culturel, expliquant que tout ira mieux publics, d’égalité des droits, d’inno- 3 qu’il nous revient de faire vivre tou- demain si on les écoute (« la reprise vations urbaines, de culture, de jours plus fort si nous voulons est là », dixit François Hollande), soit démocratie et de participation popu- qu’émerge de la crise le meilleur et en affirmant que tout bouleverse- laire. Les communes françaises non les monstres qu’elle recèle aussi. ment fondamental reste inaccessi- constituent un réseau de proximité Oui, l’engagement, comme chemin ble ou pire nous plongerait dans l’in- politique unique, un puissant réseau de l’émancipation. connu et le danger. Ainsi, alors que de résistances et de constructions la crise du système délégitime l’or- nouvelles face aux logiques libérales. L’historien américain Immanuel dre capitaliste et ouvre la possibilité Les élus communistes jouent par- Wallerstein s’entretenant, dans une de changements importants, la divi- tout où ils sont présents un rôle Humanité de l’été, de possibles scé- sion, le sentiment d’impuissance, la essentiel sans lequel la physionomie narios post-capitalistes, et estimant peur du changement restent les des rapports de forces actuels et à 50-50 les chances du pire comme atouts maîtres de ceux qui veulent potentiels serait bouleversée. Voilà du meilleur, citait parmi les impon- que rien ne change. pourquoi la commune est dans le dérables susceptibles de bousculer collimateur et la marginalisation de tout processus de bifurcation « l’ac- Plus que jamais en temps de crise, nos élus un objectif poursuivi là plus tion de chacun qui peut, comme un les progrès de l’émancipation que partout ailleurs. En défendant effet papillon, changer l’ensemble humaine passent donc par la réap- et en cherchant à développer encore du processus. » propriation populaire et la démo- toutes ces positions, nous ne défen- cratisation de l’espace politique. « Le dons pas une boutique, nous cher- Je crois pour ma part qu’il nous Front national prospère dans le chons à protéger et à rendre plus revient de considérer cet « effet désert des idées politiques », rappe- solide encore un des points d’appui, papillon » de l’action humaine lait récemment le philosophe un des leviers indispensables à la comme bien plus qu’un impondé- Bernard Stiegler. Rien n’est plus construction d’un engagement rable, mais comme la clé de toute important, dans cette situation où populaire durable et solide pour les transformation sociale. Les tenants le gouvernement PS-EELV renvoie futurs rapports de forces. n du système capitaliste dominant l’image de l’impossibilité du chan- l’ont compris depuis longtemps. gement, que de construire en toutes C’est pourquoi la capacité à chan- occasions des espaces de politique ger l’ordre du monde est sans cesse qui permettent la confrontation libre déniée à l’immense majorité des et instruite de solutions nouvelles, dominés. Elle l’est en jouant sur l’expérimentation et la coopération deux tableaux. de toutes les actions humaines alter- natives. Là où l’action gouvernemen- D’une part, la confiscation et la mise tale désarme les citoyens en prônant à l’écart des lieux de pouvoir. Cela le ralliement aux thèses patronales,

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POÉSIES Olivier Barbarant

L’élégie est un poème dont la forme libre et lyri- Tous ces murs faits pour le soleil tachés de pluie se font sinistres que trouve sa source dans le deuil. À travers ses Ce pays d’ocre et de cyprès ne supporte guère l’hiver vers étranglés, Olivier Barbarant donne à ce procédé littéraire une actualité éclatante. C’est Je suis assis Aux Deux Garçons comme il y a quinze ans peut-être dans l’humeur contrariée d’un café aixois que le Avait surgi au petit matin une fanfare de fifres poète confine ses premières impressions. À tra- vers une vingtaine de poèmes, Olivier C’était alors le jour des Rameaux et maintenant c’est à Noël Barbarant se met à table avec des morts dont il scande pudiquement l’absence. Il assemble des situations et des pensées qui dévoilent un Le cours Mirabeau sous l’averse est peuplé d’étranges chalets champ de ruines. La disparition d’être aimés Et du décor d’étoiles bleues en toute ville interchangeable inonde le présent d’un goût de cendres. Ses chants de la douleur s’entrechoquent mais évi- N’étaient les accents des parlers et la peau marbrée des platanes tent soigneusement les détours plaintifs. Je pourrais me croire chez moi tant les nuits froides sont pareilles Barbarant trouve en effet le ton et les mots justes pour manifester l’angoisse dont on peut En train d’attendre mes enfants descendant d’un même manège être saisi face à l’effectivité de la mort. Qu’il s’agisse du trépas de ses parents, d’un compa- gnon emporté par le sida ou de son blâme pré- Un crépuscule criblé d’or cogne aux vitres de la terrasse coce. « Je fus à vingt ans condamné à mort » À la table exacte où jadis nous dînions après les spectacles confie-t-il dans l’Annonciation. De la porte Voilà c’est à n’y pas croire plus d’un quart de siècle déjà Saint-Martin au cinéma le Champollion, Paris est un théâtre d’ombres où viennent se loger Mon père alors avait à peu près l’âge que j’ai désormais ses souvenirs. Un frère non désiré, le spectacle de la maladie… Un nuancier de sentiments lui 4 permet d’exprimer subtilement cette part de À cette époque mes seize ans servaient de mascotte à la troupe tragique contenue dans le réel. Le huis clos Qui parlait très tard des chanteuses et des beautés de l’Opéra familial est aussi une scène politique où il fait bon s’aventurer. Si chacun brigue sa vérité, les arguments s’y aiguisent. En dictant à sa nostal- On traversait sans y penser les clairs juillets de l’existence gie une couleur et un phrasé, le poète en dévoi- le les figures et la mobilité. À quoi bon d’ailleurs revenir à de telles banalités Tout été se prend pour l’Eden et la jeunesse pour la vie NICOLAS DUTENT Peut-être faut-il s’en réjouir et laisser aller l’inconscience On reconnaît la transparence à ce qu’elle fut inaperçue Olivier Barbarant Par les ruelles des vieux quartiers passaient des corps miraculeux est un poète français né en 1966. Il a vécu son enfance et son adolescence dans l’Aube puis Dans des lacis de pierre et d’ombre il fallait les suivre de près en région parisienne. Ancien de l’ENS de Saint-Cloud, il devient agrégé de Lettres Jusqu’à leur porte et puis compter le temps d’arrêt Modernes puis docteur ès lettres à l'université Pour que la face retournée se fende en deux sur un sourire Paris-Diderot en présentant une thèse consacrée à Louis Aragon. Il dirigea en outre la L’éclair déjà porteur des promesses d’après publication de l’œuvre poétique d’Aragon dans la collection de La Pléiade. Il enseigne le français, la littérature et la À ma table des Deux Garçons ne s’attablent que des regrets culture générale au lycée puis il devient professeur de chaire supérieure au lycée J’ai vu ce jour mon père ou tout du moins ce qu’il en reste Lakanal de Sceaux. J’ai pour tout vis-à-vis le spectacle de sa détresse En février 2012, il est nommé inspecteur général de l’éducation nationale dans le groupe "Lettres". Je suis assis dans mon passé chaque flaque m’est un reflet Olivier Barbarant a publié plusieurs ouvrages, Et le propre de la mémoire est qu’à chaque pas l’on s’y blesse notamment de poésie, dont un a reçu le prix Tristan-Tzara, un autre le prix Mallarmé. Olivier Barbarant, Elégies étranglées, Champ Vallon

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Laëtitia Badaut Haussmann, And again and again and again, 2012 - Vidéo HD, 5 min 35 s Production Dirty Business of Dreams, Soutien à la création de la Mairie de Paris, StudioLab Ménagerie de Verre, et Pavillon Neuflize OBC 5

Quel travail ? ! Manières de faire, manières de voir

Cette exposition collective présentée au Centre de répéter de façon consécutive, et ce durant plu- photographique d’Île-de-France propose sur diffé- sieurs heures, une pirouette, afin de la rendre la rents supports une très riche vision de la place de plus parfaite possible. Ce geste, l’un des rudiments l’homme à l’heure actuelle, portant un constat sur de la danse, devient alors au fil des minutes et l’ère industrielle du siècle dernier. grâce à la rotation constante de la caméra autour de l’artiste, ainsi qu'aux bruits d’essoufflements et Ainsi, sont visibles des œuvres d’artistes de natio- de glissements dus à la transpiration au contact du nalités diverses, tels que Allan Sekula, photographe sol, un mouvement décomposé, retravaillé, sortant américain, travaillant sur le fameux adage du pré- le corps de sa capacité de répétition, de sa création cédent président de la République française « tra- de mouvements reproductibles, justement. De la vailler plus pour gagner plus », ou encore comme le même façon que l’artiste Gary Hill va questionner le Français, Antoine Nessi qui met en valeur la qualité langage ou que le comédien Charlie Chaplin va plastique d’objets faisant référence à la production démontrer l’aliénation de l’homme face à la industrielle dans le seul but d’être associés à une machine, Olivia Gay questionne la place du medium machine pour la rendre plus performante. dans l’art et place l’homme comme étranger à sa propre création, à la mécanisation de son corps en D’un autre côté, le travail de l’artiste Laëtitia dehors de toute temporalité fixe. Badaut Hassmann se présente en partie sous forme d'une vidéo de 5,35 minutes pour laquelle elle a AURÉLIE JACQUET demandé au danseur et chorégraphe Noé Soulier

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LE DOSSIER COMMUN(ism)E ET MUNICIPALES

Les élections municipales seront le premier retour aux urnes depuis l’arrivée au pouvoir du PS. Ce dossier s’inscrit dans une série de numéros consacrés à ces échéances : projet pour nos communes et leurs habitants, démocratie, décen- tralisation et enfin habiter la ville. Nous n’avons pas cherché à être exhaustifs ou à présenter un programme clé en main, mais nous espérons offrir des pistes de réflexion à tous les communistes qui s’engageront dans ces batailles.

ÉDITO POURSUIVRE LA LIGNE ROUGE DE MARSILLARGUES

PAR CAROLINE BARDOT ET GUILLAUME chose comme du « crétinisme munici- Nous visons une gestion résolument poli- QUASHIE-VAUCLIN* pal » (selon la douce terminologie du tique, de combat, pour faire de l’humain temps), un air de fantasme de « socia- d’abord une réalité dans nos villes et vil- lisme dans une seule commune »… Or lages. Des élus de terrain et de combat arsillargues, 13 juin 1937, élection il est probable que le « communisme seront plus que jamais nécessaires à complémentaire : la liste commu- municipal » ainsi entendu n’a jamais l’heure où les marges de manœuvre bud- M niste menée par Fernand existé, même si la bourgeoisie en eut gétaires municipales sont chaque jour Brémond arrive en tête et la petite cité longtemps la gorge serrée d’effroi. plus faibles : taxe professionnelle déman- viticole devient la première municipa- Décidément non, cette expression ne fait telée, dotations de l’État gelées (4,5 mil- lité communiste de l’Hérault. Aussitôt, sens ni pour hier ni pour aujourd’hui. liards sur 2014 et 2015) ; à l’heure où le

6 le paysage change : le profil des élus Reste tout de même, et ce n’est pas peu, pouvoir des communes est toujours plus d’abord, les courtiers cèdent la place aux une puissante singularité communiste, amenuisé et où les citoyens sont toujours ouvriers agricoles (dont le maire), vigne- d’hier à aujourd’hui. Une singularité assu- plus éloignés des centres de décision. Ces rons et autres cantonniers. Les employés mée et revendiquée. Une singularité de mesures « austéritaires » sont un vérita- communaux sont augmentés de 15% et l’action communiste qui nous pousse à ble coup de massue de l’État contre les on paie au tarif syndical – chose unique toujours faire vivre et se développer nos collectivités et un très mauvais signal dans le département – les chômeurs idées et notre manière de faire de la poli- donné aux territoires et à leurs popula- employés sur les chantiers communaux. tique autrement. De l’attention cardinale tions. Sur le front de l’enfance, la petite muni- à offrir effectivement le meilleur à toutes Innover encore et toujours, car combien cipalité décide l’octroi d’un tablier neuf et tous, à la priorité accordée à la mobi- de conquêtes pionnières d’hier ont pour tous les enfants scolarisés et envoie lisation citoyenne et démocratique, en depuis été (presque) généralisées – soixante écoliers en colonies. Pendant passant par la mise en responsabilité de notamment du fait de luttes auxquelles les vendanges, la cantine scolaire tourne profils sociaux variés, comprenant ceux, nous avons pris une grande part ? Au- à plein pour tous les enfants de vendan- si massivement majoritaires dans la delà des conquêtes à défendre, nous geurs, quels que soient leur village de population, destinés par la classe domi- avons de vieux terrains à labourer de résidence ou leur nationalité. Autre nou- nante aux tâches subalternes. toute nouvelle façon et même des ter- veauté budgétaire : subventions muni- Une ligne rouge en quelque sorte qu’on rains neufs immenses à défricher et à cipales aux syndicats ouvriers et au pourrait peut-être résumer en reprenant conquérir. Comité d’aide à l’Espagne républicaine. les termes jadis employés par Paul Le contexte est hostile mais le dossier Sur le plan démocratique, l’ambition est Thibaud dans la revue Esprit : la singu- montre des communistes à pied d’œu- fixée : ne laisser « aucune occasion pour larité communiste à l’échelle municipale vre, déployant toute leur énergie et toute maintenir le contact avec le peuple qui comme un indissociable « mélange de leur imagination – en lien étroit avec la les a élus » et, à cette fin, mettre en place réalisations et de revendications ». population – pour penser et mettre en toutes les structures nécessaires à l’in- À ce stade, lecteur, tu bougonnes sans œuvre une action municipale forte et ori- vestissement démocratique. doute : « point à la ligne et fin de l’his- ginale au plein service des habitants, his- C’est un parfum de tout cela qui monte toire ? Le projet municipal communiste sant la commune tout à la fois au rang lorsque résonne l’expression souvent uti- du XXIe siècle comme duplication remâ- de rempart et de point d’appui. Des com- lisée de « communisme municipal »… chée de celui des années 1930 ? » munistes déterminés partout à être Et pourtant, sans parler du côté sépia, Notre tâche est tout autre en effet et l’his- utiles. C’est aussi cela poursuivre la ligne quelque chose sonne faux dans ces toire ne nous offre d’autres choix que d’in- rouge de Marsillargues …n quelques mots : quelque chose comme nover encore et toujours, immergés dans un sentiment de toute-puissance, de une société en mouvement. Notre apport *Caroline Bardot est membre du comité exé- contrôle absolu des communistes sur révolutionnaire ne saurait se cantonner à cutif national du PCF, rédactrice en chef adjointe de La Revue du projet, elle a assuré la certains territoires dénommés « bas- la gestion de patrimoine acquis sous peine coordination de ce dossier avec Guillaume tions » ou « ceinture rouge », quelque de se nier et de se vider de sa substance ! Quashie-Vauclin, rédacteur en chef.

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UN PROJET MUNICIPAL AUDACIEUX

Travailler à ce que le vote rassemble et formalise l’intervention populaire contre l’austérité et pour une vie meilleure en sortant de la crise par une alternative à gauche.

PAR PASCAL SAVOLDELLI* sont attachés à leur commune, qui anciennes, des acteurs et actrices de la façonne le quotidien depuis la vie syndicale et associative. Nous sou- Révolution française et ils demeurent haitons bien sûr que le mouvement a conception du rassemblement que majoritairement satisfaits (85%) d’y social et les luttes s’invitent dans le les communistes viennent de défi- vivre. Ils y voient un échelon précieux champ politique des élections munici- Lnir lors du 36e congrès trouve dans de la démocratie, au travers duquel le pales. la préparation des élections municipales maire résiste mieux à la crise de légiti- de mars 2014 un champ d’application mité des pouvoirs. UN CALENDRIER D’INITIATIVES particulièrement riche d’engagement À cet échelon aussi, il nous faut répon- Pour faire place au peuple, place au démocratique et de perspectives contre dre à un besoin de solidarité, de convi- citoyen, ces municipales sont d’abord l’austérité et pour le mieux vivre ensem- vialité, de proximité, de présence dans l’occasion d’encourager la tenue d’as- ble. L’enjeu est d’élire des majorités clai- les luttes pour les retraites, l’emploi, semblées citoyennes sur les thèmes les rement à gauche dans un maximum de l’école, la santé, le logement, l’aide plus proches des préoccupations des communes. Représentant le cadre ter- sociale… Les bilans montrent clairement habitants. Des assemblées citoyennes ritorial le plus proche de la vie des gens, que les maires communistes sont des qui peuvent déboucher sur des coopé- les villes et les villages sont en effet rassembleurs de toute la population par ratives citoyennes et des comités locaux potentiellement des espaces politiques des pratiques démocratiques souvent d’initiatives, et même aller jusqu’à l’or- d’expression, de construction citoyenne très innovantes dans l’implication des ganisation d’assises locales. Des collec- déterminants pour nourrir et donner de citoyens dans la gestion des affaires de tifs électoraux seront mis en place. Ce l’élan aux idées de progrès et à l’alter- la cité. Pour le bien commun, ils rassem- temps de campagne estival sera suivi en

native politique que nous portons avec blent bien au-delà du périmètre de la octobre-novembre et début décembre 7 nos partenaires du Front de gauche. gauche. Notre démarche est ainsi celle de la construction du projet local et de Ce premier scrutin sur l’ensemble du du large rassemblement à gauche pour la composition de la liste avec les autres territoire national depuis l’élection de construire des majorités municipales forces de gauche donnant lieu à des François Hollande et les législatives qui utiles au progrès social et au mieux vivre assises, des ateliers, des états généraux. ont suivi, revêt une importance particu- des populations. Ce n’est en rien une Nous souhaitons que notre offre poli- lière. Mais la singularité de ce scrutin remise en cause de notre engagement tique débouche, le moment venu, sur tient aussi au fait qu’il va se dérouler dans le Front de gauche, bien au un maximum d’accords locaux pour la dans un contexte dégradé par l’austé- contraire. constitution des listes. Ce temps poli- rité et la crise, par une crise de l’alter- tique sera d’autant plus favorable à nos native aux politiques libérales, renfor- ambitions qu’il aura été nourri par le cée par un scepticisme croissant envers ÊTRE À L’ÉCOUTE DES POPULATIONS rassemblement citoyen et politique à le politique dans un climat propice à Rien ne peut justifier que les popula- gauche dans des débats et par des pro- tous les démagogues (c'est la « démo- tions vivent plus mal ! Rencontrer leurs positions que nous voulons les plus cratie de défiance »). Il va également être besoins et les politiser est facteur de ras- denses et les plus riches possibles. C’est le premier d’une série de six autres semblement. Notre combat politique a la nature et la qualité des rassemble- jusqu’en 2017 : municipales, euro- tout à gagner à être en phase avec tout ments qui détermineront, au cas par cas, péennes, sénatoriales, régionales, dépar- ce qui vit, se pense, se révolte, lutte et se les conditions des accords et l’union. tementales, présidentielle et législatives. développe dans la société civile et Les perspectives de progrès que nous Les municipales vont mobiliser toutes citoyenne. Défendre la commune en ambitionnons au plan local ne sont pas les forces politiques au plan local mais danger et la promouvoir, c’est prendre déconnectées de problématiques natio- aussi par leur dimension nationale sur parti clairement pour le service public, nales et européennes. C’est pourquoi fond de campagne pour les élections la démocratie locale et donc pour l’amé- nous pourrions envisager de prendre européennes, deux mois après seule- lioration des conditions de vie de toutes des initiatives nationales, régionales, ment. et tous. Mettre en débat notre opposi- départementales en lien avec les enjeux tion au projet de réforme territoriale du locaux sur des questions plus spécifiques RASSEMBLER gouvernement est donc un impératif de à ces différents échelons. n L’engagement des communistes dans bon sens ; l’accepter, ce serait tourner les mobilisations que nous voulons réa- le dos à l’attente de plus de proximité et *Pascal Savoldelli est responsable du sec- liser doit empêcher la droite et son donc à la construction de projets poli- teur Élections du Conseil national du PCF. extrême de « droitiser » le mécontente- tiques locaux. Nous ambitionnons des ment croissant contre la politique gou- projets portés par des élus proches, par vernementale en privant ainsi l’électo- des femmes et des hommes qui soient Réagissez à ce dossier rat de chercher d’autres issues ou en le le reflet des diversités de notre société, contactez-nous ! poussant vers l’abstention. des communes, des jeunes, des citoyens D’une manière générale, les Français issus d’immigrations récentes et [email protected]

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LE DOSSIER COMMUN(ism)E ET MUNICIPALES QUELLE GÉOGRAPHIE DE L’IMPLANTATION LOCALE DES ÉLUS COMMUNISTES ?

Le PCF avec un réseau de 759 maires communistes et apparentés, Sur les communes ayant entre 1 000 et 235 conseillers généraux, 2 397 maires adjoints, 6 596 conseillers 3 500 habitants, on recense 208 maires communistes et apparentés répartis municipaux, est en ce qui concerne les élus de proximité la troisième entre 63 départements. Le Languedoc- force politique de France. Roussillon regroupe 12 % de ces com- munes, le -Pas-de-Calais 11 %, la Picardie 9 %, la Lorraine 8 %, Midi- PAR YANN LE POLLOTEC* de ces communes ont un ou une maire Pyrénées 7 %. Ces communes situées communiste ou apparenté. 67 % de ces dans la tranche démographique des e PCF a un véritable maillage d’élus communes sont en Île-de-France, les 1 000 à 3 500 habitants vont connaître locaux, qu’ils soient ruraux ou autres se répartissent entre les départe- en 2014 un changement de mode de L urbains, en responsabilité vis-à-vis ments des Bouches-du-Rhône (4), de scrutin. Elles vont passer d’un scrutin de la population dans 94 des 96 dépar- l’Isère (3), de la Seine-Maritime (2), du majoritaire avec panachage à un scrutin tements métropolitains et dans 21 des Rhône (2) et du Cher (1). Ces 37 com- de liste paritaire à la proportionnelle à 22 régions de notre pays. Plus de munes totalisent 1 595 151 habitants. la plus forte moyenne avec prime de 50 3 300 000 citoyens vivent dans une com- 73 % d’entre elles sont gérées dans le % des sièges à la liste arrivée en tête. Ce mune gérée par un ou une maire com- cadre de majorités rassemblant les com- bouleversement électoral devrait per- muniste ou apparenté ce qui implique munistes, les verts et les socialistes ainsi mettre au PCF et au Front de gauche de de la part de nos élus et de notre Parti un que des citoyens issus de la société civile. conquérir de nouvelles positions élec- rapport fort au réel et à ses contradic- Sur 541 maires adjoints dans les villes de tives dans cette catégorie de communes. tions. Ces élus, qu’ils soient conseillers plus de 20 000 habitants, 258 exercent municipaux, communautaires, adjoints, leur mandat dans des communes ayant Dans les communes de moins de 1 000

8 maires apportent un démultiplicateur un maire membre du Parti socialiste ou habitants on dénombre 364 maires com- de résonance des propositions politiques étant divers gauche. munistes et apparentés situé dans les 67 et des valeurs des communistes auprès départements les plus ruraux de France. des populations. Ces élus enrichissent aussi fortement la réflexion concrète du Les départements zones de forces en PCF sur des questions centrales pour nos Plus de 3 300 000 termes de densité de d’implantation concitoyens comme l’eau, le logement, citoyens vivent dans une commune municipale du PCF sont : l’Aisne, l’Allier, les transports, l’énergie, la santé, la petite gérée par un ou une maire les Bouches-du-Rhône, le Cher, la enfance, l’urbanisme… Ils sont de toutes communiste ou apparenté Corrèze, les Côtes-d’Armor, la Dordogne, les luttes et solidarités sociales, socié- le Gard, l’Isère, la Meurthe-et-Moselle, tales et internationalistes, qu'il s'agisse le Nord, l’Oise, le Pas-de-Calais, le Puy- des expulsions, des coupures de gaz et Parmi les communes de 10 000 à 20 000 de-Dôme, la Seine-Maritime, la Somme, d’électricité, de l’aide aux sans papiers, habitants, 41 ont un ou une maire com- la Haute-Vienne, les Hauts-de-Seine, la de la défense de l’emploi et des services muniste ou apparenté. Ces communes Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne. publics, du développement industriel, se distribuent“ dans 23 départements et de la protection de l’environnement, de 13 régions avec une prédominance du Il est difficile et réducteur de faire un por- l’accès à la culture pour tous…… Nord-Pas de Calais (32 %) et de l’Île-de- trait-robot d’une « municipalité commu- France (22 %). niste » : Blanc-Mesnil ne ressemble pas DES PRATIQUES DÉMOCRATIQUES à Arles, Martigues n’est pas Dieppe, et INNOVANTES Dans la tranche des communes allant” de La-Grand-Combe est fort différente de Les maires communistes sont aussi des 5 000 à 10 000 habitants, on trouve 75 Ploufragan. Chaque municipalité a son rassembleurs de toute la population, par municipalités dont le maire est commu- histoire politique, sociale et migratoire des pratiques démocratiques innovantes niste ou apparenté. Ces communes se singulière. Elles se sont souvent d’implication des citoyens dans la ges- concentrent dans 33 départements avec construites autour de luttes sociales et tion des affaires de la cité. Entièrement une forte représentation du Nord-Pas- politiques, nationales, locales et inter- dévoués à leur mandat et à l’intérêt géné- de-Calais avec 28 % de ces villes, la région nationales dont témoignent les noms de ral, malgré toutes les difficultés finan- PACA avec 12 %, la Lorraine avec 11 %, rue ou de bâtiments publics. Il y a les cières des communes, malgré les Rhône-Alpes avec 9 %, et enfin la grande villes cheminotes : Saint-Pierre-des- attaques contre la démocratie commu- couronne de l’Île de France avec 8 %. Corps, Migennes, Mitry-Mory… Il y a les nale, ils sont les bâtisseurs de l’urbanité villes qui ont été liées à une histoire et de la ruralité de demain. Pour le bien Les villes de 3 500 à 5 000 habitants industrielle particulière comme commun, ils rassemblent bien au-delà comptent 36 communes avec un ou une Vénissieux, , Saint-Denis, du périmètre de la gauche politique. maire communiste ou apparenté disper- d’autres sont issues d’anciens bassins sées entre 19 départements. Le Nord- miniers ou sidérurgiques. Elles sont aussi Sur les 404 communes de France métro- Pas-de-Calais à lui tout seul, représente le produit des différentes vagues d’im- politaine de plus de 20 000 habitants, 37 22 % de ces municipalités. migration : Bretons, Savoyards,

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Auvergnats, Polonais, Italiens, Espagnols, dominer, les familles mono-parentales services ou des activités liées à la révo- Maghrébins, Africains, Chinois… connaissent une grosse croissance, tout lution numérique. cela dans le cadre d’une forte présence Certes les « municipalités communistes » Cependant, toutes les « municipalités du logement social et d’une importante sont souvent et logiquement implantées communistes » restent marquées par un densité de services publics municipaux sur les territoires où la crise frappe le plus très fort ancrage à gauche, mais aussi en de proximité dans tous les domaines de durement et où les populations les plus zone urbaine dense par une abstention la vie : santé, petite enfance, culture, vulnérables sont concentrées. Mais c’est et une non inscription électorale plus sport... aussi de ces territoires et de ces popula- fortes que la moyenne départementale tions, de par leurs luttes, leurs solidari- et nationale. Dans toutes ces communes, Dans les années 1980-2000, ces villes ont tés, leurs créativités, leurs espoirs et leurs la gauche a été largement majoritaire au été soumises à des mutations profondes rêves que naîtra le monde de demain sur e 2 tour de la présidentielle, dans une part de leur territoire, liées à une désindus- les ruines de l’ancienne société. Ce n’est importante d’entre elles la droite poli- trialisation brutale et violente. Les acti- peut-être pas un hasard si c’est sur le ter- tique hors Front national obtient des vités traditionnelles et la sociabilité ritoire de municipalités communistes résultats électoraux faibles. qu’elles avaient induites ont souvent dis- que se multiplient les créations de Fablab paru au profit soit de friches industrielles et d’hackerspace. n Dans les communes de plus de 5 000 et d’un chômage et d’une précarité de habitants, sociologiquement, la compo- masse en particulier chez les jeunes, soit *Yann Le Pollotec est responsable adjoint du sante « ouvrier et employé » continue de d’un tissu de PME-PMI orientées vers les secteur Élections du Conseil national du PCF.

LES COMMUNES : LE SEL DE LA DÉMOCRATIE

À l'expression « communisme les métropolisations, toutes ces structures Depuis quelques mandats, le commu- conjuguent, la plupart du temps, diverses nisme municipal s’estompe en tant que 9 municipal » je préfére l'expres- approches politiques, issues des villes qui mécanique pensée pour le bien des sion « communisme communal ». se sont regroupées un jour, par amour ou populations, parfois un peu sans elles. par raison. Voire même par obligation. Certains disaient même à l’époque « nos Le communisme municipal, aux ori- populations ». La plus grande richesse PAR CATHERINE PEYGE* gines, tentait de faire vivre avec enthou- de l’héritage du communisme munici- siasme, générosité, et même quelques pal, c’est le respect des personnes qui vant mes années d’expériences maladresses que « rien n’est trop beau participent au collectif de la ville. comme élue, l’expression « commu- pour la classe ouvrière ». Cette déclara- L’application de chaque élu communiste Anisme municipal » me déplaisait. tion d’intention ouvrait avec une ample à être l’élu de toutes et de tous est forte, Le communisme, un idéal, encore nulle constituant de fait une ligne politique. part ailleurs atteint, pouvait-il être accolé Ce refus du clientélisme va à contre-cou- au mot municipal ? Les villes, les villages, L’application de chaque rant des pratiques mises en œuvre plus les communes sont le sel de la démocra- élu communiste ou moins clandestinement par les maires tie dans ce pays aux 36 000 communes, à être l’élu de toutes et de tous est dits « médiatiques ». L’engagement dans ce qui fait bondir tous les centralisateurs la vie collective des habitantes ou habi- forte, constituant de fait de France et d’ailleurs. tants, votants ou non, est recherché de une ligne politique. manière officielle par tous les élus, avec UN COMMUNISME COMMUNAL création de comités, de groupes, de Un communisme communal, oui, se réfé- extension l’idée de classe ouvrière : des concertation. Ces mesures sont même rant à la commune, un mot rempli à la cantines, des théâtres aux centres de consignées dans les lois, comme celle fois de révolution, et de la plus grande santé, à la recherche d’implantation de sur la démocratie de proximité. Mais il y proximité fraternelle, est l’expression qui site“ de production, le communisme a là encore plusieurs manières de pro- me convient. Le mot municipal, quant à municipal a rendu des merveilleux ser- céder : par un processus démocratique lui fait appel à l’exécutif d’un conseil et vices à des générations de personnes, ancré dans la durabilité, ou par des pra- se connote de sens administratif ren- qui à 70 ans, organisent aujourd’hui des tiques opportunistes, vécues comme trop voyant les citoyens au statut d’adminis- voyages pour aller revoir le lieu, où, manipulatrices pour être honnêtes. trés. Cette mise au point, réalisée, un peu jeunes colons, ils ont découvert” la mer, trop vite, le langage courant a consacré ou la montagne. FAIRE CONFIANCE À L’INTELLIGENCE DES cette formule même chez les commu- PERSONNES nistes. Donc admettons… Le commu- L’ÉLU DE TOUTES ET DE TOUS Le communisme communal a de très nisme municipal, puisqu’il s’agit de ce qui Nous vivons une autre époque avec la beaux jours devant lui, s’il devient l’ou- se passe dans une commune, grande ou toile de fond frémissante de nostalgie de til de transmission de paroles, de trans- petite, a sans doute mangé son « pain l’avant : l’avant la crise ? l’avant l’Europe ? missions de savoirs, de transmissions de blanc ». Les communautés d’aggloméra- l’avant la décentralisation ? l’avant les pouvoirs, permettant aux habitantes et tion, de toutes sortes et de toutes tailles, droites ? habitants de décider de leur avenir. Les > SUITE PAGE 10 SEPTEMBRE 2013 - LA REVUE DU PROJET RdP-29_V10_RDP 20/08/13 14:35 Page10

LE DOSSIER COMMUN(ism)E ET MUNICIPALES

SUITE DE LA PAGE 9 > élus changent, les problèmes de fond nir du communisme communal : faire ment des AMAP, une chaîne de respon- subsistent. L’élaboration des solutions confiance à l’intelligence des personnes, sabilités partagées se construit. collectives est la seule valable pour assu- à leur capacité de se saisir de probléma- rer une continuité des services publics tiques complexes si le temps nécessaire Le partage démocratique durable est la quels que soient les aléas des échéances leur est donné ainsi que les éléments de signature du communisme communal. électorales. réflexion complets constituent la base, C’est aussi, un signe perceptible par tous l’originalité du communisme municipal de la nécessaire humilité d’une personne La question de l’environnement, de la si l’on conserve ce label… Comprendre politique : un maire passe, une usine de manière dont sont traités les déchets, les nouvelles donnes du monde réel, avec traitement des ordures ménagères mal leurs lieux de traitement, les méthodes des efforts à produire certes, mais avec pensée reste. n employées, l’élan citoyen à déclencher toute l’ouverture dans l’appropriation et à amplifier est un peu dans ces années, citoyenne qui en découle : de l’usine de *Catherine Peyge est maire (PCF) de un aspect de la cristallisation du deve- traitement des déchets, au développe- (Seine-saint-Denis).

LE COMMUNISME MUNICIPAL ?

Les consciences grandissent dans le débat contradictoire, source points de vue des habitants jusqu'à de réponses humaines et porteuses d'avenir pour la communauté l'émergence de projets partagés par une majorité. La souveraineté populaire est communale. seule garante de la cohésion sociale, de la force des mobilisations nécessaires à PAR MICHEL VAXÈS* se réclament d’une foi religieuse. Aucun l'obtention des moyens nécessaires à la de ces domaines n’échappe à l’analyse concrétisation de leurs projets à la véri-

10 ouloir qualifier le communisme ter- et aux choix politiques. Lorsqu’on ambi- fication en continu de l'adéquation de ritorialement est de mon point de tionne d’être l’une de ces voix, si petite ce qui est décidé avec ce qui est attendu, Vvue un non-sens. Le figer dans un soit-elle, dans le chant général qui porte de sa conformité aux exigences du vivre espace serait le réduire à un état. Or pour l’objectif de la transformation du monde ensemble et aux valeurs qu'ils portent moi le communisme est simultanément vers plus d’humanité, il faut la faire au bénéfice de la collectivité tout entière. le mouvement de transformation de l’or- entendre partout à l’endroit où l’on se Le vivre ensemble exige le partage en dre existant et le sens de cette transfor- trouve. La commune est l’un de ces lieux. mation, l’horizon vers lequel cette évo- Pour un communiste, accepter d’assu- Ce dialogue ne saurait lution doit nous conduire : une mer une responsabilité citoyenne dans consister à rechercher un consensus conception des rapports humains débar- quelque domaine que ce soit c’est s’en- mou fait d'opportunisme et de rassée de la domination des uns par les gager à faire vivre dans ses actes, dans les autres, des unes par les uns, l’horizon projets qu’il soutient, les décisions qu’il démagogie débouchant sur un d’une société dans lequel ces rapports prend, les valeurs auxquelles il a choisi catalogue de promesses préparant sont de mieux en mieux marqués par le de se référer. Ainsi celles et ceux qui par- un rendez-vous électoral. partage, la réduction des inégalités, la tagent ces valeurs pourront débattre réflé- solidarité, le respect mutuel, la transpa- chir ensemble et décider ensemble de conscience de la conviction commune rence, la fraternité. Le combat pour leur traduction concrète dans l’aména- de ce qui est le mieux pour tous et non gagner les consciences à ces valeurs et gement de la ville et l’organisation de la “l'alignement partisan voire caporalisé faire en sorte qu’elles inspirent chacun vie dans la ville. Nourris d'une expérience d'une foule de supporters d'abord sou- de nos actes, chacun de nos projets, doit de 42 ans de mandat municipal dont trois cieux de faire gagner leur camp. Le seul s’exprimer sur tous les terrains et en tout mandats de maire entre 1989 et 2005 et camp qui vaille ne peut pas être un camp temps. Celui de la commune en est un de trois mandats de député et d'une pra- partisan, il est bien plus fondamentale- parmi bien d’autres, l’entreprise, les lieux tique d'échanges hebdomadaires avec le ment le camp très concret des projets, de formation, de santé, de culture, la secrétaire de la section du PCF de la ville, du contenu d'une politique d'aménage- famille… le sont tout autant. j’ai vu se multiplier les exemples d’éla- ment et de requalification de l'espace” boration commune des politiques urbain, de développement des solidari- FAIRE PARTAGER DES VALEURS publiques municipales. tés entre tous. Ajoutons que le combat pour faire par- De ce débat surgiront des contradictions tager ces valeurs ne saurait s’alimenter CONFRONTATION DES POINTS DE VUE DES mais c'est précisément dans ces contra- à la source exclusive de l’action politique HABITANTS dictions que grandissent les consciences institutionnelle, (même si « la politique » Les communistes élus ou militants de et que peuvent triompher les réponses bien comprise – administration de la l'organisation ne vont pas aux débats les plus généreuses, les plus humaines cité – est la plus englobante) ce combat sans réflexion préalable et sans projet, les seules porteuses d'avenir pour la doit se décliner aussi dans le mouvement ils y vont avec des propositions mais ils communauté communale et au-delà associatif, syndical, familial, culturel, y veillent toujours à organiser sur toutes pour l'humanité tout entière. compris cultuel pour celles et ceux qui les thématiques la confrontation des Ce dialogue ne saurait consister à recher-

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cher un consensus mou fait d'opportu- nous engager. C'est évidemment le ver- contre de tous les citoyens sans préju- nisme et de démagogie débouchant sur dict des urnes qui en décidera mais nous gés en étant du mieux que nous le pou- un catalogue de promesses préparant un ne pouvons pas être de ceux qui, pro- vons nous-mêmes c’est-à-dire pétris et rendez-vous électoral. mettent pour être promus et qui une fois porteurs des valeurs qui ont conduit à Si l'essentiel, nos valeurs d'humanité, ne promus, oublient leurs promesses. Nous notre engagement de communistes. n sont pas le ferment des projets élaborés ne promettons rien sauf de ne ménager en commun nous ne pourrons pas exer- aucun effort pour faire aboutir ce qu'en- *Michel Vaxès est maire honoraire (PCF) de cer sans nous renier les responsabilités semble nous aurons convenu. Port-de-Bouc et député honoraire des pour lesquelles il nous a été demandé de Cela implique que nous allions à la ren- Bouches-du-Rhône.

LA SOLIDARITÉ INTERNATIONALE, UNE VALEUR FONDAMENTALE « Liberté, égalité, fraternité… solidarité » : les quatre valeurs républicaines de Vaulx-en-Velin Si du discours de Jean Jaurès dans l’Armée Nouvelle de novem- à Bethléem qui emprisonne et humilie des centaines de mil- bre 1910, la postérité a surtout retenu que « … beaucoup d’in- liers d’innocents, comment ne pas être fiers d'assumer notre ternationalisme ramène à la patrie », le paragraphe précé- filiation avec Rosa Luxemburg ? C'est elle qui, le 4 août 1914, dent, rappelant l’impérieuse nécessité « d’arracher les patries s'insurgeant contre les « fauteurs de guerre et les appétits aux castes de militarisme et aux bandes de la finance par le impérialistes du profit », alertait déjà chacun d’entre nous : développement indéfini de la démocratie et de la paix », illus- « Je crois qu’il est impossible de se taire devant ça ». tre remarquablement qu'à Vaulx-en-Velin, la solidarité inter- nationale est l’un des engagements les plus forts pour « récon- Ne pas se taire devant les injustices, en témoignant des crimes cilier les peuples par l’universelle justice sociale ». de ce monde, et développer des actions, entre « citoyens de ce monde », voilà sans aucun doute la façon la plus concise 11 Vaulx-en-Velin, c’est toute l’histoire du monde recueillie dans pour illustrer notre engagement international. Certaines col- une petite ville. Et si notre commune assume avec tant de lectivités locales voient le monde comme un immense terrain conviction sa politique sur les solidarités, elle le doit principa- de jeu pour assouvir des désirs d'exotisme, voire, pire, de néo- lement à ses habitants venus d’ici et de là-bas, transportant colonialisme ; d'autres n’y voient que compétitivité et compé- avec eux d’autres regards, d’autres paroles, d’autres pensées. tition dans l'unique but d'être plus fortes que les voisines. Ces Vaulx-en-Velin a pleine conscience que son propre sort est lié deux visions sont les deux faces d'une même idéologie que à celui de l’humanité et que l’on ne peut construire son bon- nous devons combattre en tentant de répondre concrètement heur sur la souffrance de l’humanité. Ainsi, notre équipe muni- à l'appel de Jaurès : « La transformation fondamentale qu’il cipale a une responsabilité majeure : transmettre cette his- s’agit de réaliser, la Révolution qu’il faut accomplir, c’est que toire née avec le « Bloc ouvrier et paysan » en 1929 – qui a les hommes passent de l’état de concurrence brutale et de d'ailleurs ajouté au triptyque républicain la valeur de « solida- conflit à l’état de coopération ». rité » sur le fronton de l’Hôtel de ville – puis poursuivie, par exemple, avec les grandes grèves ouvrières de 1935 ou les acti- Permettre à des élèves de notre lycée des métiers de se for- vités de résistance des FTP MOI. mer – au Nicaragua avec la communauté indienne – en réha- bilitant un musée d'art précolombien renforce leurs compé- Je tenais à rappeler ces faits car le logiciel néolibéral qu’on tences mais aussi leur prise de conscience d’être des citoyens nous impose depuis 40 ans pousse de plus en plus de gens à critiques de notre humanité. Participer à la construction d’un tourner le dos à l’intérêt commun. Et face à ce violent système parc de loisirs sur une terre palestinienne confisquée par l’oc- qui désagrège le vivre-ensemble, il est de notre devoir, à nous, cupant israélien et voir les familles, malgré les menaces des élus vaudais, de transmettre cet héritage et de nous rappeler, colons et des militaires israéliens, profiter de cet espace de à chaque décision politique que nous prenons, qu’une société convivialité nous démontrent ce que peut être la force d’une humaine ne peut exister sans solidarité entre ses membres. lutte pour la liberté. Cette fraternité, née d’envies communes, La solidarité internationale contribue à nous ouvrir à l’altérité a renforcé, en nous tous, le sentiment d’appartenir à la même et à fuir cette « culture de l’égoïsme », car il est impossible de communauté de destin et notre volonté de nous mobiliser col- développer les solidarités ici sans les développer là-bas. lectivement, voire politiquement, pour défendre ce que nous pensons être juste. Pavoiser le fronton de l’Hôtel de ville avec le drapeau de la Palestine, malgré l’interdiction du préfet, participer à la valo- Je laisserai alors le dernier mot à Rosa Luxemburg, à l'aube risation des cultures indigènes au Nicaragua ou renforcer notre de la Grande Guerre et de la négation absolue de toute huma- reconnaissance du génocide arménien, sont des éléments nité : « Tâche donc de demeurer un être humain, c’est vrai- majeurs de notre politique municipale qui portent et trans- ment là l’essentiel ». mettent, humblement, les valeurs de l’internationalisme et de n ceux qui s’élevèrent contre la barbarie. En effet, lorsque nous Bernard Genin est maire (PCF) de Vaulx-en-Velin (Rhône), conseil- traversons, avec les travailleurs palestiniens, le Mur de la honte ler communautaire du Grand . > SUITE PAGE 12 SEPTEMBRE 2013 - LA REVUE DU PROJET RdP-29_V10_RDP 20/08/13 14:35 Page12

LE DOSSIE] COMMUN(ism)E ET MUNICIPALES

L PRENDRE LE POUVOIR SUR LA FINANCE Les communes font pleinement partie de la République qui est décentralisée. COMMENCE PAR LA COMMUNE Et elles ne sont nullement responsables du creusement du déficit. Les dotations de l’État doivent être à la hauteur de l’im- Les 36 000 communes – originalité française – sont un atout consi- pulsion nécessaire pour les villes et les dérable pour notre pays. Enjeu premier pour l’intervention démocra- tique et la citoyenneté et, indissociablement, formidable levier social La suppression de et économique… la taxe professionnelle n’a été compensée que partiellement pour avec une réforme institutionnelle d’une PAR DOMINIQUE ADENOT* les communes et a conduit à une grande importance et dont la cible situation où le pouvoir des taux de numéro un est précisément la commune, l’impôt des ménages est passé de uelle que soit l’orientation des dans le but de la vider de ses capacités conseils municipaux et des maires, d’initiative et d’action, d’en faire un 50 % à 73 %, celui des entreprises Qla commune reste, malgré toutes les « sous-arrondissement » d’échelons reculant d’autant. restrictions, un espace où les citoyens se supérieurs. Cette réforme vise à organi- reconnaissent, où ils peuvent s’appro- ser la compétitivité sur le territoire et villages,“ favoriser leur vitalité, leur coor- prier des projets, où ils peuvent – ou doi- porte en elle une austérité renforcée à dination et leur coopération, refuser la vent pouvoir – s’exprimer et contrôler la tous les niveaux institutionnels. Pour désertification et garantir partout l’éga- mise en œuvre des décisions prises. Cette cela, il est prévu de créer et de mettre au lité d’accès aux droits. Exiger ce rôle de constante se confirme, que l’on soit dans cœur de la République des vastes enti- l’État est un combat à mener absolument les grandes agglomérations, le secteur tés – grandes intercommunalités impo- aujourd’hui, à l’heure d’une réforme ter- périurbain ou le milieu rural. Ce poten- sées et métropoles – aux pouvoirs stra- ritoriale qui le conteste de front en ins- tiel citoyen d’énergie et de créativité, est tégiques importants, retirés aux tituant comme locomotive du dévelop- garant de projets communs répondant communes notamment (comme l’habi- pement la compétitivité entre” les 12 aux besoins humains et écologiques, de tat, la maîtrise des sols…), dessaisissant territoires. Il est indispensable à ce pro- solutions d’intérêt général, de richesse les citoyens, réduisant encore davantage pos de dénoncer la tendance à faire de productive et de coopération. la souveraineté populaire. En perspec- la péréquation horizontale la norme tive, une centralisation, un autoritarisme (autrement dit les collectivités payent LA COMMUNE, UN LEVIER ANTI-CRISE renforcé, l’injustice sociale et territoriale. pour d’autres collectivités) et d’exiger Dans les projets publics décidés au sein Pour sortir victorieux de ce bras de fer, il une véritable péréquation nationale, des collectivités territoriales (20 % de est plus que jamais nécessaire de porter seule garante de l’égalité entre les com- l’activité économique du pays), les com- haut et fort avec les populations le débat munes. La taxation des actifs financiers munes et les intercommunalités consti- et l’action sur leurs besoins réels, les est plus que jamais d’actualité pour ali- tuées représentent une part substantielle, réponses et les moyens à apporter. Cela menter cette péréquation. et cette activité échappe souvent dans suppose une bataille pour que soient sa mise en œuvre à la sphère financière, RÉFORMER LA FISCALITÉ LOCALE aux exigences féroces de rentabilité à Une réforme ambitieuse de la fiscalité l’origine de la crise aiguë du système. Exiger une véritable tant locale que nationale est donc indis- C’est pourquoi cet atout est si utile péréquation nationale, seule pensable pour davantage de justice et aujourd’hui aux dynamiques d’émanci- garante de l’égalité entre les d’efficacité. L’impôt sur le revenu, quelle pation : on ne peut ignorer ce potentiel communes. La taxation des actifs qu’en soit l’origine, doit en être le cœur démocratique et humain, la force qu’il financiers est plus que jamais avec une réelle progressivité. Nous pro- contient de justice sociale, de réponse d’actualité pour alimenter cette posons dans ce sens de modifier l’impo- aux besoins, d’activité économique péréquation. sition locale sur les ménages qui est mar- réelle. C’est un formidable levier anti- quée du sceau de l’injustice puisque les crise, anti-austérité. Prendre le pouvoir taxes locales prennent très insuffisam- sur la finance commence par la com- reconnus“ par la République les moyens ment en compte leurs revenus. Nous pro- mune. Cela passe par un combat financiers nécessaires, les recettes posons un remaniement vers plus de acharné, dans l’opposition et dans les pérennes indispensables pour les com- progressivité, de justice et d’efficacité, et majorités, pour faire émerger à cette munes, leur autonomie financière garan- l’utilisation réelle des habitations. échelle de nouveaux droits citoyens d’in- tie par l’État et l’activité économique. Il faut également rétablir un impôt éco- tervention et de décision sur les affaires Les dotations de l’État doivent ainsi ces- nomique dynamique en rompant avec publiques, qu’elles soient locales ou ser d’être la variable d’ajustement de une politique qui déresponsabilise les nationales. l’austérité dans le droit fil de la stratégie entreprises, les exonère de leur contribu- de Lisbonne. Le gel, puis la” réduction tion au développement de la commune METTRE EN ÉCHEC L’ACTE III DE LA importante annoncée pour les trois (dont elles bénéficient) et qui a conduit DÉCENTRALISATION années à venir contredisent l’efficacité à un desserrement, voire une dislocation Un bras de fer est engagé. Car « en face », sociale de l’intervention publique locale du lien de l’économie réelle avec son la décision a été prise de passer à la au service des citoyens et ne font qu’en- implantation sur le territoire. La suppres- vitesse supérieure dans le sens opposé, foncer un peu plus le pays dans la crise. sion de la taxe professionnelle n’a été com-

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pensée que partiellement pour les com- urgente et décisive, la création d’un pôle cements de la part des banques coopé- munes et a conduit à une situation où le financier public, doté d’une réelle capa- ratives, mutualistes comme des banques pouvoir des taux de l’impôt des ménages cité d’investissement, dégagé des critères privées. est passé de 50 % à 73 %, celui des entre- de rentabilité immédiate avec des prêts Ce serait un effet de levier indispensa- prises reculant d’autant. En rompant avec à taux faibles et de longue durée pour les ble devant être conforté par une loi ban- cette politique, il ne s’agit pas seulement communes. Il s'agit de mettre en réseau caire confiant une mission d'intérêt d’augmenter les moyens financiers des des établissements financiers publics et général aux banques en contrepartie de communes, il s’agit aussi et surtout de semi-publics dans lesquels l'État inter- leur pouvoir de création monétaire, et redonner toute sa place à la maîtrise vient, afin d'atteindre une complémen- les incitant à accompagner les finance- sociale de l’activité économique à l’échelle tarité de leurs rôles qui soit efficace, cohé- ments du pôle public. de la commune et de la coopération inter- rente, dans l'intérêt général et sous un La bataille pour les moyens financiers à communale. Nous proposons dans ce contrôle démocratique et citoyen. Ce la disposition des communes est avant sens d’élargir l’assiette d’imposition de pôle fonctionnerait de manière décen- toutes choses une question de démocra- cet impôt économique avec une taxe aux tralisée. Son pilotage se ferait sur le plan tie : il s’agit de permettre à l’intervention taux modulables, en fonction de l’emploi national comme dans chaque région, citoyenne de répondre à l’intérêt général, et du développement solidaire et écolo- avec une représentativité large des aux besoins humains et écologiques… gique du territoire communal et inter- acteurs sociaux, économiques, politiques n communal. et associatifs qui définiraient les orien- *Dominique Adenot est maire (PCF) de tations nationales et les axes d'interven- Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne). Il est UN PÔLE FINANCIER PUBLIC tion locaux. Le pôle financier jouerait un président de l’Association nationale des élus Enfin, ne lâchons rien sur une mesure rôle moteur pour attirer d'autres finan- communistes et républicains (ANECR).

LES TRANSFORMATIONS SOCIOLOGIQUES DES ÉLUS MUNICIPAUX

COMMUNISTES DE LA BANLIEUE PARISIENNE 13 Les évolutions de la composition sociale des édiles municipaux com- sentation des femmes souvent coutu- rières ou ménagères constitue un fait munistes témoignent de plusieurs ruptures liées aux transformations notable. Les syndicalistes et organisa- sociologiques et aux orientations stratégiques du Parti, mais aussi tions de masse alimentent aussi les listes aux évolutions démographiques des communes, aux rapports de et les conseils municipaux à l’image des forces partisans et aux évolutions du mode de scrutin. clubs sportifs municipaux, des mouve- ments en direction de l’enfance (Vaillants et Vaillantes), des femmes (Comité mon- dial des femmes contre la guerre et le fas- PAR SAMIR HADJ BELGACEM* plus de 60 % sont des migrants en pro- cisme ou l’Union des jeunes filles de venance des régions françaises, près de France). a sociologie des élus municipaux n’a 25 % sont nés à Paris et seulement 3,3 % que rarement fait l’objet d’enquêtes sont des natifs de leur commune. Les …AUX EMPLOYÉS ET CADRES DU Lnationales. Ce sont le plus souvent élections de 1935 vont marquer un tour- SECTEUR PUBLIC des études réalisées à l’échelle d’une ville nant en amenant à la tête de plusieurs Au sortir de la seconde guerre mondiale, ou d’un département qui s’avèrent être municipalités des maires communistes le PCF va connaître un succès militant les principales sources pour recompo- (26 pour la Seine-banlieue et 29 en Seine- sans précédent, auréolé par son rôle ser une image des propriétés sociales et et-Oise). Les élus communistes de cette dans la Résistance. Les maires commu- des situations socioprofessionnelles des période sont principalement des ouvriers nistes vont être placés à la tête de 50 élus municipaux. Je tenterais donc de qualifiés, se recrutant dans les grands municipalités de la Seine-banlieue, sur dégager quelques tendances sur les bases secteurs industriels des bassins d’em- les 80, aux élections provisoires de 1945. de données parcellaires et localisées, ploi de la région parisienne (la métallur- Parmi les conseillers municipaux de concernant les municipalités commu- gie, l’automobile, la sidérurgie, les socié- 1945 à 1965, une part belle est faite aux nistes de la proche banlieue parisienne. tés de chemins de fer, d’électricité et de anciens résistants et combattants, pri- gaz). L’artisanat, le commerce fournis- sonniers à côté des élus d’avant-guerre DE LA PROMOTION DES OUVRIERS sent également quelques élus dans ces qui sont reconduits. Leurs caractéris- QUALIFIÉS… premiers moments du communisme tiques sociales et biographiques font L’entre-deux-guerres est le moment où municipal « où le conseil municipal que les postes d’élus municipaux vont les premiers élus communistes font leur vibrait au même rythme que les entre- à des « militants maintenus à l’écart des entrée dans les exécutifs municipaux. prises de la ville ». Des femmes sont éga- logiques de promotion de l’appareil ». Entre 1919 et 1940, les élus communistes lement candidates et élues durant cette Ces derniers toujours majoritairement représentent 21 % des personnes ayant période alors qu’elles ne deviendront éli- ouvriers appartiennent souvent aux exercé un mandat municipal. Parmi les gibles qu’à partir de 1944. Cette volonté réseaux associatifs (harmonie munici- conseillers municipaux communistes, du PCF de promouvoir le vote et la repré- pale, clubs de sports, amicale, etc.) qui > SUITE PAGE 14 SEPTEMBRE 2013 - LA REVUE DU PROJET RdP-29_V10_RDP 20/08/13 14:35 Page14

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SUITE DE LA PAGE 13 > composent le milieu partisan local. Le se confirme avec la montée de l’abs- ginalement représentées par le PCF, cumul des mandats tend à se générali- tention chez les classes populaires, et d’autant qu’elles sont faiblement mobi- ser au cours de la période. Un premier à droite, la percée du Front National. lisées sur le plan électoral. renouvellement sociologique des exé- Cette perte de la « centralité ouvrière » Les nouvelles générations de militants cutifs municipaux s’opère dès 1965 et au profit des classes moyennes peut se qui accèdent aux responsabilités muni- va s’accentuer au cours des décennies comprendre par les réorientations stra- cipales n’appartiennent plus aux classes suivantes. Il est marqué par le recul pro- tégiques du Parti en lien avec ses trans- populaires mais aux couches moyennes gressif des ouvriers qualifiés au profit formations sociologiques depuis la fin salariées. L’expérience ouvrière et syn- des employés, des professions intermé- des années 1960 mais aussi par la dicale n’est plus l’apanage des nouveaux diaires (de la santé) et intellectuelles recomposition des classes populaires élus et cadres locaux qui s’engagent plus (enseignants) mais aussi de l’encadre- à l’échelle locale. précocement dans des carrières de per- ment ouvrier (maîtrise, technicien, manents et tendent à constituer une ingénieur) et cadres administratifs du La population des municipalités com- « génération ouvriériste » sans avoir été public. La désindustrialisation a affecté munistes s’est modifiée à partir de la « ouvriers ». Les élus municipaux com- l’emploi ouvrier traditionnel mais éga- fin des années 1970 avec l’arrivée de munistes vieillissent avec un âge moyen lement le réseau syndical. À la fin des familles étrangères et françaises plus qui s’élève et l’apparition plus fréquente années 1980, « la principale compo- pauvres, logées dans les grands ensem- de « retraités ». La durée des mandats sante de l’union locale CGT n’est plus bles et le départ des franges de popu- s’est allongée également. Les maires et le syndicat de la métallurgie mais celui lations les mieux établies. Le PCF s’est les adjoints enchaînent souvent plusieurs des employés communaux ». progressivement coupé du bas de la mandats alors que la rotation est plus hiérarchie ouvrière composée par les forte pour les seuls conseillers munici- DES TRANSFORMATIONS SOCIOLOGIQUES travailleurs immigrés et leurs familles paux. Au cours des années 1990-2000, Les années 1980 mettent à jour un recul qu’il n’a pas su considérer comme une les listes dirigées par le PCF ne passent électoral important sur le plan natio- possible base électorale. Alors qu’il avait plus directement au premier tour et des nal. L’Union de la gauche, qui avait per- réussi, pendant l’entre-deux-guerres, villes emblématiques sont perdues. Les mis au PCF de compter jusqu’à 52 à s’appuyer sur les migrants en prove- logiques partisanes qui président à la maires en banlieue parisienne en 1977, nance des régions françaises et des pays sélection du personnel municipal ren-

14 commence à jouer au profit de l’allié européens (Espagne, Italie, Pologne), il dent les critères de représentation sociale socialiste. Par ailleurs, l’introduction, semble avoir échoué avec les ouvriers plus délicats à respecter. La promotion en 1983, d’une dose de proportionnelle émigrés des anciennes colonies afri- de militants de milieux populaires appa- au scrutin majoritaire de liste permet caines. Les nouvelles catégories popu- raît s’être durablement grippée. n de faire exister une opposition, qui avait laires, aux conditions de vie dégradées, *Samir Hadj Belgacem est sociologue. Il est eu jusque-là peu voix au chapitre. La subissant plus fortement le chômage attaché d’enseignement et de recherche à modification des équilibres partisans et les discriminations ne sont que mar- l’École normale supérieure.

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LE LOGEMENT POUR RÉSISTER À LA CRISE

Saint-Pierre-des-Corps, ville cheminote de 15 000 habitants, située dans la banlieue de Tours, en Indre- et-Loire, dans son combat pour une vie plus digne a misé en particulier sur une politique de logement, maintenant les populations en centre ville et mettant en œuvre la transition énergétique.

PAR MARIE-FRANCE BEAUFILS* UNE ACTION EXEMPLAIRE glomération, nous avons opté pour SUR LE LOGEMENT qu'elles puissent vivre au cœur de la ville n 1920, Robespierre Hénault, le Nous avons œuvré pour que Val-de-Loire avec l'ensemble des services publics maire avec ses 22 conseillers, décide habitat lance un grand chantier de réno- accessibles. C'est une façon de réduire Ede suivre la majorité du congrès de vation de 14 M€ sur cinq tours et 433 aussi le coût des déplacements pour tous Tours créant le Parti communiste fran- appartements du quartier de l’Aubrière, les membres de la famille. çais. Il décide de présenter deux femmes, pour atteindre le label bâtiment basse élues aux municipales de 1925, élection consommation (BBC) et optimiser l'at- LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE : annulée par le préfet. En 1941, il est arrêté trait de ces logements. Les travaux com- UNE RÉALITÉ par la police de Vichy avec des Tsiganes menceront en octobre 2013. La division Avec la majorité municipale nous avons et d'autres communistes et fut enfermé par trois des charges de chauffage com- préféré la mise en œuvre concrète de la au camp de la Morellerie en Indre-et- pensera la légère augmentation du loyer. transition énergétique plutôt que de Loire. Jean Bonnin, élu en 1947, œuvra Pour cela nous avons aidé à l'obtention grands discours ou de grandes opéra- pour que les habitants soient relogés en des subventions de l'Agence nationale tions médiatiques qui la plupart du urgence, après le bombardement des pour le renouvellement urbain (ANRU), temps sont inefficaces. C'est ainsi que deux tiers de la ville, élabora le premier du Fonds européens de développement nous avons équipé une école maternelle plan d'urbanisme et créa le centre régionale (FEDER), de l'agglomération d'une chaudière biomasse, que nous médico-social Pierre-Rouquès. Jacques Tour(s)plus, du conseil régional Centre, avons utilisé la géothermie pour le chauf- Vigier, militant pour la paix fit plusieurs de la Caisse des dépôts et consignations fage et la réfrigération de salles de réu-

mois de prison pour avoir organisé la ce qui laissera un solde pour l'organisme nion (La Médaille), que nous utilisons 15 lutte contre la guerre d'Algérie. Élu maire HLM de 1 127 000 euros sur un coût total les « eaux grises » à Pôle Emploi, que nous en 1971, il continua l'action pour le loge- de 14 millions. installons un puits canadien à la halte- ment social avec la construction du quar- garderie et que notre chaufferie centrale tier de La Rabaterie et développa encore fonctionne avec la cogénération pour le plus les zones d'activités économiques. La baisse de la dépense chauffage des grands ensembles. Les orientations de ces maires commu- publique ne peut que ralentir Cette volonté municipale se heurte bien nistes ont toujours porté cette même cette nécessaire transition souvent aux freins financiers. La réduc- empreinte. Celle de protéger les popu- tion des moyens aux collectivités locales, énergétique. lations des politiques successives de 4,5 milliards à l'horizon 2015, ne peut régression sociale menées par les diffé- qu'entamer les projets d'investissement rents gouvernements. des communes. La baisse de la dépense Ce projet a obtenu le premier prix natio- publique ne peut que ralentir cette Depuis 1983, en tant que maire de cette nal d'EDF dans le cadre du concours nécessaire transition énergétique. ville, avec les élus de la majorité de d'architecture « Bas Carbone » en 2010. L'énergie ne peut être une marchandise gauche, nous avons été tenus de répon- Les“ tours qui datent des années soixante- comme les autres et doit être à 100 % dre à une situation qui, après les années dix, époque où les questions d'écono- publique. L'intérêt général doit conduire soixante-dix, s'est dégradée socialement mie d'énergie n'étaient pas à l'ordre du nos politiques et le droit à l'énergie doit de façon importante. Nous avons misé jour, seront isolées thermiquement par être exclu de toutes ces logiques finan- sur le développement économique qui l'extérieur, avec de nouvelles” menuise- cières non remises en cause peut s'appuyer sur des infrastructures ries au vitrage adapté et une ventilation aujourd'hui. n industrielles et commerciales impor- mécanique moderne. Des extensions tantes : maintenance et fabrication de extérieures sont également prévues par *Marie-France Beaufils est sénatrice-maire matériel ferroviaire, gare TGV, sites pétro- des loggias d'une douzaine de mètres (PCF) de Saint Pierre-des-Corps (Indre-et- Loir). liers et gaziers, grandes surfaces et mul- carrés aux baies vitrées coulissantes qui tiples PME. La moitié de la superficie de apporteront un confort supplémentaire, la ville est consacrée à l'activité écono- et offriront ainsi un véritable jardin d'hi- mique et offre plus de 11 000 emplois. ver. L'action portera également sur l'en- De nouvelles entreprises ont été créées vironnement proche. À la place des autour de l'activité ferroviaire. Des vastes parcs de stationnement qui seront grandes sociétés de services, d'assu- légèrement déplacés, mais maintenus rances, d'informatique y ont installé leur en nombre, des espaces de circulation activité. Le logement reste une préoc- pour les piétons et une aire de jeux pour Réagissez à ce dossier cupation majeure, pour permettre aux les enfants seront aménagés. Au lieu de contactez-nous ! salariés de vivre à proximité de leurs repousser les populations les plus lieux de travail. modestes à 30 ou 40 kilomètres de l'ag- [email protected]

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LE COMBAT CONTRE LES EXPULSIONS LOCATIVES, UN EXEMPLE À VENISSIEUX Depuis 1990, la ville de Vénissieux prend chaque année des arrê- expulsion s’est pendue dans son appartement. Une situation tés interdisant sur sa commune les expulsions locatives, les cou- insupportable qui ne cesse d’interpeller les pouvoirs publics, pures d’eau et d’énergie et les saisies mobilières. Devant le tri- de dénoncer des pratiques indignes et inhumaines qui ne bunal administratif, la maire assure elle-même une partie de la règlent rien, et qui ne font que rajouter de la misère à la misère. défense en développant des axes différents chaque année en fonction de l’actualité et de la situation des habitants. Cet acte Prendre des arrêtés contre les expulsions locatives, c’est donc n’a rien d’une formalité : c’est un acte de résistance, une bataille un acte responsable des maires qui n’acceptent pas que leurs pour la dignité humaine. Aujourd’hui, 8,6 millions de personnes administrés, sous pression, puissent mettre leur vie ou celle vivent au-dessous du seuil de pauvreté et, parmi eux, 50 % dis- de leurs voisins en danger. La pauvreté, l’exclusion ne sont pas posent de moins de 780 euros par mois. De plus en plus de per- une fatalité. L’État doit répondre à l’urgence sociale. Il doit sonnes sont privées des droits les plus fondamentaux et vitaux : assurer toutes ses missions régaliennes, la sûreté de l’emploi, se loger, se nourrir, se chauffer et se soigner. Alors que la France du logement, l’accès aux soins, et à l’éducation ; des droits ins- traverse une crise du logement qui touche un Français sur six, crits dans notre Constitution. Alors que nous traversons une on continue d’expulser des familles en grande précarité. grave crise du logement, l’État ne cesse de se désengager du logement social : baisse de l’aide à la pierre et des APL, racket Vénissieux, ville populaire qui compte plus de 50 % de loge- sur le 1 % logement réduit aujourd’hui à 0,45 %. La loi SRU ments sociaux, est particulièrement touchée. Selon une étude modifiée a fait passer l’obligation de construction de loge- de 2012, 32 % de la population vivait en 2009, au-dessous du ments sociaux de 20 à 25 %, sans toutefois prévoir de sanc- seuil de pauvreté. L’an dernier, 12 000 personnes ont sollicité tions pour le tiers des maires qui ne respectent pas leurs obli- les services sociaux de la ville, toutes demandes confondues, gations. Aujourd’hui, la loi de Droit au logement opposable soit 20 % de plus par rapport à l’année précédente. Nous (DALO) n’est toujours pas appliquée : 20 000 ménages recon- sommes, comme de nombreuses villes, confrontés à la pau- nus prioritaires n’ont toujours pas reçu de propositions de périsation de la société. Nous côtoyons au quotidien la détresse logement. Pire, certains ont mêmes été expulsés ! 16 humaine, celle qui conduit des Vénissians dans un véritable cercle vicieux de la précarité, un désespoir qui peut mener à Seule la création d’un véritable pôle public du logement per- l’irréparable. Le 25 avril 2013, alors que le tribunal venait de mettra de répondre à cet enjeu de société, de garantir à cha- casser ses arrêtés, une Vénissiane septuagénaire, lors de son cun le droit à un toit. n

LE LOGEMENT AUTREMENT situation de précarité énergétique, nous ne pouvons que lancer un cri d’alarme, 60 ans de persévérance et d’acharnement dans la gestion d’une de colère, de révolte face aux inégalités qui s’accroissent d’année en année. société HLM ont permis que les valeurs de justice, de solidarité ne restent pas lettre morte et que l’État joue son rôle de garant de la GESTION DU QUOTIDIEN ET ACTION POUR solidarité nationale. LE CHANGEMENT Sur le court terme, que ce soit comme citoyen ou acteur/décideur, notamment PAR MAURICE OUZOULIAS* pavé. La réponse à des besoins humains au sein des conseils d’administration et universels comme le logement, la d’organismes HLM, les élus commu- a crise du logement que nous vivons santé, l’éducation passe obligatoirement nistes sont les seuls à lier gestion du quo- depuis plusieurs années malgré les par l’intervention de l’État qui doit être tidien et action pour le changement. En Ldifférents gouvernements qui se sont le garant de la solidarité nationale. mobilisant les demandeurs de loge- succédé doit nous interpeller sur le rôle Chacun peut comprendre, à moins d’être ments, les mal logés, les sans droits, tous des communistes et ce que nous pou- sourd et aveugle aux besoins humains et ceux qui peinent à boucler leur fin de vons proposer d’innovant dans le au développement harmonieux d’une mois, pour vivre dignement, nous contri- domaine du logement et en particulier société moderne et solidaire, que se loger buons à faire évoluer les consciences, à du logement social ou plutôt public. Le est le point de départ dans une vie, de réfléchir sur la société que nous voulons, logement ne peut être une marchandise l’épanouissement des êtres humains. à prendre en main son destin. En accom- soumise aux règles de la concurrence Quand il existe, dans un pays dit riche et pagnant les organisations de locataires, dite libre et non faussée dont on mesure moderne, 3,6 millions de personnes qui les associations de défense des consom- les conséquences désastreuses en ne sont pas ou très mal logés, plus de 5 mateurs, en les faisant participer à tous Europe. Aux États-Unis par exemple, c’est millions en situation de fragilité à court les niveaux de décisions, en prenant en l’application de ce principe au secteur ou moyen terme dans leur logement, 1,2 compte leurs revendications, les élus du logement qui, avec la crise des sub- million de ménages en attente d’un loge- communistes jouent pleinement leur primes, a mis 6 millions de gens sur le ment social, 3,8 millions de ménages en rôle, ce qui est loin d’être le cas des autres

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formations politiques. En étant à l’écoute condition de prendre l’argent là où il est, ment des sociétés HLM pour donner la des locataires dans les quartiers popu- et particulièrement en inversant les prio- possibilité au 1 % logement dirigé par le laires, en accompagnant les familles en rités à savoir que le logement public soit MEDEF, de prendre le pouvoir au sein difficulté, en privilégiant le dialogue pour plus aidé que le logement privé, que l’on des SAHLM. Enfin, très récemment, en maintenir les familles dans leur loge- mette fin aux aides aux investisseurs pri- 2009, nous avons manifesté contre la loi ment, nous préférons les solutions vés. Dans la société d’HLM dont j’assure Boutin qui avait comme objectif de faire humaines au diktat de l’argent roi. En la présidence et qui gère 9 400 logements du logement social uniquement le loge- agissant sur le local et le national par des en région parisienne et dont nous fêtons ment des plus pauvres, en chassant les propositions de loi de nos parlementaires cette année les 60 années d’existence familles qui contribuaient à l’équilibre pour un véritable service public du loge- nous sommes fiers de nos réalisations, social des quartiers HLM, mettant ainsi ment, nous démontrons notre cohérence des choix politiques que nous avons tou- en cause la mixité dans le parc HLM avec sans démagogie et sans crainte de bous- jours défendus. Pendant 60 ans, nous toutes les dérives que cela peut entraî- culer les idées reçues. avons été au service du logement social ner. Aujourd’hui, la lutte n’est pas termi- de qualité et abordable. 60 ans de lutte née. Les aides au logement restent insuf- pour que le droit au logement soit res- fisantes. Les demandeurs de logement pecté. 60 ans de persévérance, je dirais Une autre voie est social n’ont jamais été aussi nombreux. même d’acharnement pour que les La crise du logement nécessite des possible à condition de prendre valeurs de justice, de solidarité ne res- l’argent là où il est, et tent pas lettre morte et que l’État joue mesures à la hauteur des enjeux. Si nous particulièrement en inversant son rôle de garant de la solidarité natio- nous félicitons d’avoir obtenu pour 2014, les priorités à savoir que nale. Ce qui n’est malheureusement pas la TVA à 5 %, nous regrettons la poursuite le logement public soit plus aidé le cas pour d’autres organismes qui se des aides au logement spéculatif comme que le logement privé, que l’on sont couchés devant la loi du marché en le « DUFLOT » qui va coûter plus d’1,5 mette fin aux aides aux mettant en avant la rentabilité financière milliard à l’État sans véritable contrepar- investisseurs privés. au détriment du bien social. tie sociale. Dans la continuité de notre “ engagement pour l’humain d’abord, nous avons défini dans notre projet d’en- Quand il existe, dans treprise 2013-2018, quatre axes straté- Dans la gestion des organismes HLM un pays dit riche et moderne, 3,6 giques fondés sur la défense du logement 17 nous pouvons apparaître parfois en millions de personnes qui ne sont social, la production d’un habitat de qua- contradiction avec nos idéaux, notam- pas ou très mal logés nous ne lité et diversifié, le développement de la ment lorsqu’il s’agit d’augmenter les pouvons que lancer un cri qualité du service rendu aux habitats, la loyers qui sont déjà trop élevés. d’alarme. valorisation des ressources humaines. Comme dans les collectivités locales, Nous avons la conviction que les orga- nous gérons notamment du patrimoine nismes HLM peuvent, quel que soit leur locatif social dans un cadre législatif” et statut, public ou privé, contribuer à la réglementaire que nous combattons et En 1977, nous avons manifesté contre la mission sociale que les pouvoirs publics c’est bien ce qui fait toute la différence. “réforme de M. Barre dont l’objectif était peuvent et doivent leur confier à condi- Mais en agissant parallèlement pour de supprimer progressivement l’aide à tion que ces missions soient définies la pierre au profit de l’aide à la personne obtenir des aides de l’État, de meilleures dans l’intérêt des familles, de la Nation. n conditions d’emprunts, une plus grande pour favoriser l’augmentation des loyers. solvabilisation des aides personnelles au Plus près de nous, en 2003, nous avons *Maurice Ouzoulias est conseiller général logement, nous faisons la démonstra- exprimé notre désaccord sur la réforme (PCF) du Val de Marne et président de la tion qu’une autre voie est possible à de M. Borloo qui modifiait” le gouverne- société HLM IDF Habitat.

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LE SPORT DANS L’ACTION MUNICIPALE « Promouvoir le sport pour tous et accompagner chacun vers le haut niveau », telle est l’action de la ville de Bagneux dans le domaine sportif. Concrètement, cela passe à la fois par le soutien aux associa- Cette volonté de mixité sociale et générationnelle croise une tions sportives et à leurs nombreuses sections – plus d’un habi- autre réflexion sur la mixité d’usages. La nouvelle piscine qui tant sur dix est licencié d’un club – qui permettent au plus ouvrira ses portes à l’automne illustrera de belle manière cette grand nombre de découvrir et pratiquer une véritable diver- nouvelle logique sportive en proposant non plus un simple sité de disciplines, des plus traditionnelles aux plus innovantes, arrangement de lignes d’eau, mais différents espaces de vie comme par exemple celles liées aux arts du cirque. et de pratique : wifi, point de rencontre, zumba, aquagym, etc.

Dans cette démarche d’approche pluridisciplinaire, les habi- Plus largement, l’ensemble de la commune est considéré comme tants et leurs associations peuvent compter sur la qualité des un laboratoire où toutes les expérimentations sont permises équipements mis à leur disposition par la ville. Cette année et où l’on est invité à innover. Les encadrants sont même offi- encore, une toute nouvelle halle multi-sports a été inaugurée ciellement invités à « prendre des risques », mesurés, bien sûr. en mars et la piscine est en cours de rénovation-extension. Et l’école municipale des sports leur propose aussi bien des Dans une ville de moins de 40 000 habitants, ces deux équi- initiations aux sports traditionnels qu’aux nouvelles disciplines. pements complètent une offre déjà riche de six gymnases, cinq stades, une plaine des jeux, un dojo, un complexe tennis- Cette politique volontaire d’ouverture au plus grand nombre tique, un parc pour rollers sans oublier plusieurs parcs de loi- de pratiques et de pratiquants a aussi permis de repérer et sirs et terrains de pétanque implantés au cœur des quartiers. d’accompagner plusieurs jeunes sportifs balnéolais vers un haut niveau de compétition. Sans en citer une ou un seul nomi- Pour chacun de ces équipements, une réflexion a été menée nativement, le constat s’impose par exemple dans les domaines en lien avec les pratiquants… et leurs pratiques ! Certains du rugby, du football ou de la boxe mais aussi dans ceux du horaires ont ainsi été étirés – plus tôt le matin, plus tard le rugby à sept ou du futsal. n soir – pour permettre à tous de profiter des espaces disponi- 18 bles : actifs, scolaires, enfants des centres de loisirs, retraités, Marie-Hélène Amiable est maire (PCF) de Bagneux (Hauts-de- personnes handicapées… À chacun sa vie et sa pratique ! Seine).

POUR UNE RÉAPPROPRIATION SOCIALE DE L'EAU

Le mouvement d’une remunicipa- ver sa potabilité et son accessibilité en pération décentralisée, peut contribuer à lisation de la gestion de l’eau, quantité, à un prix accessible, pour tous bousculer progressivement l’ordre des et partout. Rendre effectif le droit à l’eau, choses. En Europe, il nous reste à faire ins- sous forme de régie, de syndicat reconnu en 2010, par l’assemblée géné- crire durablement ce droit dans la légis- de production ou de société rale de l’ONU est un combat des commu- lation de l’Union européenne. publique locale pourra-t-il s’ac- nistes. centuer ? CHANGER LE SYSTÈME DE FINANCEMENT FAIRE VIVRE LE DROIT À L’EAU Si la quasi-intégralité des foyers dans Le droit à l’eau se heurte à des difficultés notre pays a accès à l’eau du robinet, la réelles d’application à travers le monde. préservation de sa qualité face aux pol- AR ERVÉ RAMY ET RNAUD OZZI P H B A L * Les conflits régionaux autour de l’appro- lutions agricoles, industrielles et urbaines priation de l’eau en Asie et au Moyen- nécessite des investissements et des e terme de nombreuses délégations Orient, les problèmes d’accès à une eau moyens techniques importants. Ils repré- de service public (DSP) dans le potable de qualité et l’absence de sys- sentent un coût élevé de traitement, que L domaine de l’eau pour les toutes pro- tèmes d’assainissement dans les pays en seul le consommateur supporte, en vertu chaines années, place l’enjeu de sa ges- développement provoquent de graves du principe actuel selon lequel l’eau paye tion publique et citoyenne parmi les maladies et des millions de morts chaque l’eau. Ainsi, un constat s’impose : le prix thèmes en débat pour l’élaboration des année. Toutefois, le poids grandissant des de l’eau varie du simple au triple selon programmes municipaux. L'eau est une actions de coopération de services publics les territoires. La facture de l’eau peut ressource vitale. Sans eau pas de vie ! Or, permises par la loi Oudin (loi du 9 février peser lourdement sur le budget d’une l’eau douce est une rareté sur notre pla- 2005, relative à la coopération internatio- famille modeste ; or elle ne devrait pas nète. Elle ne représente que 3 % des nale des collectivités territoriales et des dépasser 3 %, selon les recommanda- réserves d’eau mondiales. Un dixième est agences de l'eau dans les domaines de tions de l’OCDE. Nous devons donc agir accessible à l’humanité pour satisfaire ses l'alimentation en eau et de l'assainisse- par exemple pour que la solidarité natio- besoins hydriques : domestique, agricole ment), permettant aux communes de nale prenne en charge les coûts engen- et productif. Il convient donc de préser- consacrer 1 % de leur budget eau à la coo- drés par les enjeux environnementaux.

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Depuis la Révolution, l’eau est une com- munir d’une nouvelle forme de dépen- 2. Une démocratisation des débats sur la pétence communale et elle doit le res- dance vis-à-vis des grands groupes pour gestion de l’eau qui associeraient, élus, ter. les opérations d’entretien des réseaux citoyens et consommateurs sur tout le pro- Toutefois, les communes ont, dans leur ou des équipements qui resteront néces- cessus, du prélèvement au rejet dans la immense majorité, délégué la réalisation saires, la création d’une filière de forma- nature. La lutte contre les gâchis de l’eau. de ce service public à trois grands tion aux métiers de l’eau en service 3. La constitution d’une filière de forma- groupes : Véolia, GDF-Suez, la SAUR public est déterminante. tion initiale et professionnelle en secteur (Société d’aménagement urbain et rural). public sur l’eau pour créer un corps de fonc- Ces derniers maîtrisent les savoirs et les UN SERVICE PUBLIC NATIONAL tionnaires pour l’État et les collectivités. techniques de l’eau, et gèrent l’accès à « DÉCENTRALISÉ » DE L’EAU 4. Un développement de la recherche l’eau de 71 % des usagers. Cette position Le parti communiste milite pour un ser- dominatrice leur permet d’imposer des vice public national « décentralisé » per- publique sur l’eau, qui permettrait de s’as- tarifs élevés, qui sont à la source des pro- mettant de maintenir, à l’échelle locale, surer de la maîtrise publique des brevets. fits qu’ils ont engrangés. La multiplica- la compétence eau. 5. La mise en œuvre effective du droit à tion des normes environnementales euro- Il aurait en charge : l’eau pour tous. péennes a certes pour but de reconquérir 1. de sortir de la marchandisation de l’eau Dans ce contexte l’appropriation sociale la qualité écologique du milieu mais elle par une implication financière de l’État des grands groupes de l’eau sera posée. n est aussi le fruit des pressions des indus- et des grands groupes à l’échelle du pays. Cette solidarité financière permettrait *Hervé Bramy est responsable du secteur Écologie du Conseil national du PCF. d’examiner la question légitime du finan- Arnaud Lozzi est membre de la commission 3 La facture de l’eau peut cement des premiers m gratuits. La mise Écologie du PCF. peser lourdement sur le budget en œuvre, par une péréquation d’un tarif d’une famille modeste ; or elle ne unique « modulé » de l’eau sur tout le devrait pas dépasser 3 %, selon territoire national. les recommandations de l’OCDE

19 triels de l’eau leur permettant la conquête “de nouveaux marchés, de débouchés pour la recherche privée, ainsi que la maîtrise de technologies complexes. Enfin les poli- tiques d’austérité freinent l’investisse- ment des collectivités.

L’EAU EST UN BIEN COMMUN DE L’HUMANITÉ ” Malgré ces freins, il est possible de retourner en gestion publique à condi- tion de préparer bien en amont ce pro- cessus. La connaissance du service, le contrôle du délégataire, le dialogue social avec les salariés concernés, la participation des usagers sont les clés d’un retour en gestion publique réussi. Aujourd’hui, trois outils sont à la disposition des collectivités ter- ritoriales : la régie, le syndicat de pro- duction et/ou de distribution, la société publique locale (SPL). Ces trois formes de retour en gestion publique ont des avantages et inconvénients qui doivent être regardés en fonc- tion de chaque situation locale. Nous soutenons le retour au public de l’eau dès lors que les conditions humaines, financières et techniques sont réunies afin de per- mettre un service de qua- lité à un coût réduit par rapport à la délégation de service public. Afin de se pré-

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LE DOSSIER COMMUN(ism)E ET MUNICIPALES

L’EAU, UN BIEN COMMUN

Tarnos, cinquième ville des Landes avec 12 000 habitants est C'était un beau défi, animée par un maire communiste depuis 1920. La municipa- qui est en passe d'être lité tente, selon la belle formule de Jacques Derrida, d'être à couronné de succès la fois « fidèle » et « infidèle » à ce lourd héritage du commu- puisque les élus syn- nisme municipal. Le défi consiste bien à démontrer, au quoti- dicaux ont décidé en dien, la singularité et l’effet de l'action des élus communistes. 2013 d'une nouvelle Cela se traduit par une certaine « fidélité » à l'esprit du passé baisse de prix de 6 %, et une « infidélité » par l'exploration de nouvelles voies (par- et la mise en place ticipation des habitants-usagers, développement de l'écono- d'un tarif social pour mie sociale et solidaire…). Le sujet de l'eau a révélé parfois, les usagers bénéfi- chez les élus communistes eux-mêmes, quelques « distor- ciant de la CMU com- sions » entre le discours théorique et la pratique. plémentaire. Puisqu'il m'est suggéré de témoigner, au regard de mon expé- Cette baisse globale rience, je ne peux échapper à l'énonciation de quelques grands du prix ne peut être principes. Oui, l'eau est un bien commun de l'humanité, qui ne dissociée de la qualité doit pas être considérée comme une « marchandise ». Oui, du service car il faut tout être humain doit y avoir accès, en quantité et en qualité maintenir des marges suffisante, sur l'ensemble de la planète. Oui, l'argent généré pour investir dans le par l'eau doit rester à l'eau. Oui, j'ai la conviction que la ges- renouvellement des tion publique est le mode le plus performant et le plus appro- réseaux. prié, qui doit aussi associer les usagers. Parmi les actions initiées par ce syndicat, il faut également Siégeant au sein de trois syndicats intercommunaux dont cha- signaler la volonté d'associer les associations d’usagers aux cun traite d'une des étapes du cycle de l'eau, et dont le statut décisions et à l’organisation de manifestations régulières visant 20 de chacun diffère, voilà les enseignements que je retire. à sensibiliser les usagers aux problématiques de l'eau, et notam- ment les enfants et leurs enseignants qui sont toujours dispo- LA PRODUCTION D’EAU POTABLE nibles pour ces opérations. Pour la production d'eau potable (Syndicat mixte de l'usine de la Nive Bayonne-Anglet-Biarritz), c'est un contrat de déléga- L’ASSAINISSEMENT tion de service public auprès de la Lyonnaise des Eaux, qui pré- Pour l'assainissement, la ville de Tarnos a été l'une des pre- vaut. Lors de la reconduction de ce contrat, j'ai souvent été le mières des Landes à transférer cette compétence auprès du seul élu à défendre le passage en régie. De nombreux prétextes Syndicat des communes des Landes (SYDEC) en 2000. Une m'ont été opposés : le délégataire bénéficie d'une grande exper- étude a été initiée par le conseil général vers 1995 mettant en tise ; passer en gestion directe conduit à assumer de lourdes évidence un prix plus élevé pour les usagers d'une délégation. responsabilités ; on peut exercer sur le délégataire un contrôle C'est pourquoi le département a pris la décision, soutenue par efficace… La bataille doit continuer car souvenons-nous que les conseillers généraux communistes, de doter le syndicat quelques centimes au mètre cube sont de profit très large quand d'électrification de la compétence « Eau et Assainissement ». on multiplie par le nombre d’usagers. Les grands « fermiers » du privé ne sont pas restés inactifs puisqu'ils ont intenté de nombreuses procédures contentieuses. Le choix de Tarnos a été décisif car il a permis au SYDEC d'élar- LA DISTRIBUTION gir, au fur et à mesure des années, son audience, au point de Pour la distribution, je suis président d'un syndicat intercom- devenir l'outil public de gestion publique à l'échelle départe- munal d’adduction, qui alimente plus de 13 500 abonnés sur mentale. quatre communes. Ce syndicat s'occupe du réseau de canali- Toutes les dimensions de l'eau, technique, économique, humaine sations enterré et de réservoirs, pratiquement jusqu'au robi- sont passionnantes. Du local au global, les élus communistes net. À quelques années de la fin du contrat de délégation passé doivent intervenir en faveur de la création d'un grand service auprès de la Lyonnaise des Eaux, j'ai proposé de « profession- public national. Cela passera sans doute par des étapes inter- naliser » ce syndicat, en procédant au recrutement d'une ingé- médiaires mais il s'agit d'un combat essentiel contre la logique nieure territoriale afin d'avoir une expertise technique et finan- du profit des grands groupes privés. cière. Après une étude comparative sur les différents modes Des coopérations internationales sont également indispensa- de gestion, nous avons décidé le passage en régie. Alors que bles pour élargir l'accès de l'eau dans le monde. Un enjeu tou- le délégataire nous a imposé des négociations, notamment jours majeur : « C'est en se jetant dans la mer que le fleuve pour le rachat de tous les compteurs individuels, un compro- est fidèle à la source ». (Jean Jaurès) n mis a pu être trouvé, et c'est ainsi que le 1er janvier 2011, le syn- dicat a géré directement ses affaires. Pour cela, il s’est doté Jean-Marc Lespade est maire (PCF) de Tarnos (Landes). de nouveaux moyens humains et matériels, et a décidé immé- diatement une baisse de 17 % du prix au mètre cube.

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DES POLITIQUES TARIFAIRES AU SERVICE DE L’INTÉRÊT GÉNÉRAL Face à la montée de la précarité, à l’aggravation des inéga- sources de chaque famille de Stains, du taux d’effort qu’il lités, les enjeux sociaux seront sans nul doute au cœur des consent pour chaque prestation. préoccupations des citoyens en mars 2014. Ce sont les poli- tiques sociales qui sont de plus en plus interrogées. La com- Ainsi 66 % des familles ont vu leur tarif de restauration sco- mune devient souvent le dernier rempart face à la défail- laire réduire dès le 1er septembre dernier et la mise en place lance de la solidarité nationale, au sentiment d’abandon des de forfait introduisant une gratuité pour un certain nombre politiques publiques et des institutions (CAF, CPAM, caisse de repas et de journées de centre de loisirs. Un accord avec de retraites, pôle emploi...). L’exigence de réponses publiques, la CAF est intervenu permettant également de récupérer à de services publics, d’accès aux droits, d’équité, d’égalité est terme les bons CAF non utilisés par les familles précaires dimi- de plus en plus criante quand les conditions de vie se dégra- nuant ainsi la facture des centres de loisirs pour ces familles. dent à ce point. La commune devient alors ce lieu d’attentes Un nouveau système de calcul simplifié permet aussi à 8 800 mais aussi d’inventions et d’innovations qui donne sens aux familles allocataires de la CAF sur la ville de voir leurs politiques de solidarité. C’est au contenu et à ce sens, que démarches allégées pour toutes les prestations. L’ensemble les élus communistes et républicains de Stains se sont atta- de ce dispositif refondé totalement s’étendra dès le 1er janvier qués dans cette ville populaire, riche de la diversité de sa 2014 à toutes les prestations municipales permettant ainsi population mais aussi marquée par une aggravation très une cohérence et une lisibilité réelle à la fois de ce qui relève nette des inégalités. Ces derniers mois ont été l’occasion de de l’usager dans une clarté des tarifs, et de la mise en valeur lancer un nouveau chantier et de revisiter entièrement la des choix et des orientations municipales en matière de poli- politique tarifaire conduite en direction des familles. Deux tique sociale. Ce chantier s’est aussi construit avec les familles objectifs nous ont guidés : celui de mieux garantir l’équité puisqu’il a fait l’objet d’une enquête qualitative, de rencon- d’accès et de supprimer les effets de seuils des politiques tres, d’ateliers pour valider les choix nécessaires et pour cor- conduites par tranches de revenus qui pénalisent au bout respondre aux attentes de la population. Nous avons ainsi du compte nombre de familles, celui de baisser très sensi- renforcé la participation de la ville à l’accès au service public blement le coût de la prestation payé par tous les usagers. pour tous les habitants, gage d’égalité et de justice sociale Le deuxième en donnant de la cohérence et de la lisibilité à face aux inégalités. C’est avant tout un choix politique qui, s’il 21 l’ensemble de la politique de prestations municipales pour a nécessité évidemment un effort financier en 2012, a per- tous les services de la ville, en mettant l’usager au cœur du mis de réinterroger nos politiques, nos pratiques, nos choix service public et en simplifiant les modalités administratives. en matière de quotient familial. Mais n’est-ce pas ce qui est L’objectif était aussi d’affirmer l’ambition d’une politique rendu nécessaire pour prendre en compte les évolutions sociale et de tarification comme garante de l’égalité au ser- sociales et sociétales de nos territoires et faire des communes, vice de l’intérêt général et de la défense de droits et de l’épa- ces lieux de résistance, d’innovation, et d’égalité, de dignité, nouissement des enfants, des familles, des jeunes. et de promotion du service public territorial ? Plusieurs mois de réflexion et de choix politiques ont permis n de mettre en place un nouveau système de tarification indi- Karina Kellner est adjointe (PCF) au maire, chargée de la solidarité viduel fondé sur la prise en compte de la situation de res- et de l’accès aux droits, à Stains (Seine-Saint-Denis).

LE DROIT AUX VACANCES POUR TOUS ET TOUTES ! À La Courneuve, tout le monde ne part pas en vacances, loin maillots de bain et rendez-vous en plein centre-ville ! En bas de s’en faut. Plus d’un tiers des Français ne prendront pas de chez soi, dépaysement, détente, rencontres, solidarité, finale- vacances cet été. Salariés, chômeurs, retraités, tous disent que ment c’est ça aussi les vacances. La très forte affluence n’est « partir en vacances est devenu un luxe ». La question du pou- jamais démentie. Depuis des années, les services municipaux, voir d’achat est la question n° 1 à La Courneuve, puisque le petite enfance, enfance, jeunesse, sport, éducation mais aussi revenu fiscal moyen par habitant, est de 14 069 euros, le plus seniors, et tout ce qui relève des politiques publiques de soli- bas d’Île-de-France. Plus de 70 ans après le Front populaire, les darité participent aussi à la mise en place de séjours dépay- vacances ne sont toujours pas une réalité. Pourtant, plus que sants. Des « colos » qui apprennent la vie en commun, mais les congés payés, les vacances devraient être un droit ! Alors, aussi des séjours famille en partenariat avec des associations. la municipalité multiplie les initiatives pour faire vivre le droit Pour ainsi dire, tout jeune Courneuvien aura connu un moment aux vacances et aux loisirs. C’est la raison d’être du « Dimanche de vacances dans sa jeunesse. Une généralisation telle que à la campagne » que nous organisons tous les ans. Canoë-kayak, beaucoup oublient qu’en d’autres endroits, en d’autres lieux, accro-branche, théâtre, musique et bien d’autres activités de ce n’est pas forcément le cas. Et d’ailleurs, malgré la réduction détente. 4 000 Courneuviens participent à cette initiative. Les forte des moyens aux collectivités par l’État, à La Courneuve, familles se précipitent vers les bus de la municipalité qui les nous avons décidé de maintenir nos efforts pour que les enfants conduisent à la campagne et beaucoup nous disent qu’ils n’au- puissent profiter pleinement du droit aux vacances pour tous, ront pas d’autres occasions de l’été de s’éloigner du quotidien. mais jusqu’à quand ? n C’est aussi pour cela que nous organisons « La Courneuve Corinne Cadays-Delhome est adjointe (PCF) au maire de La plage » cinq semaines en été : préparez la crème solaire, les Courneuve (Seine-Saint-Denis) en charge des droits de l’enfant.

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LE DOSSIER COMMUN(ism)E ET MUNICIPALES RALENTIR POUR ACCÉLÉRER LA RÉVOLUTION La slow attitude (mouvement lent) n’est pas un mouvement nouveau. Il se développe depuis la fin des années quatre-vingt sur plusieurs thématiques villes lentes, slow food, avec un point commun à chaque fois la recherche d’une meilleure qualité de vie.

PAR PATRICE LECLERC* d’une certaine qualité de la vie plaçant cions vers la sécurité, « le progrès ». Le l’humain au centre de toutes les préoc- monde progressait. Cette perception d’un l ne s’agit pas d’une idée « naturelle- cupations. Ce qui m’intéresse dans avenir radieux aidait à la mobilisation sur ment » communiste, mais d’une idée cette slow attitude, c’est la méthode des possibles perçus comme… possibles. Ià regarder de près tant elle peut nous qu’elle permet pour (re-)tisser des liens Elle favorisait l’appel à l’innovation, à la interpeller sur nos pratiques politiques avec les couches populaires, travailler prise de risque individuelle et collective, en direction des milieux populaires, en la politisation de masse. Certes, il y a le à l’investissement sur un projet commun plus de la question de la qualité de la vie. contenu. Le « certes » est de trop car du mieux vivre ensemble. Le développe- Il existe un réseau international des villes compose l’essentiel, mais là n’est pas ment de la précarité, d’une insécurité du bien vivre réunissant des communes l’objet de l’article. J’en resterai au com- sociale, d’une peur de l’avenir engage les de plusieurs pays à partir d’un mouve- ment. citoyens sur des logiques conservatoires, ment venu d’Italie. Cette attitude proche de protection (d’où le retour à la famille, des mouvements de la décroissance éco- ENVOYER DES SIGNES RELATIONNELS à l’identité personnelle…). C’est quand nomique n’est pas forcément ralliée par Nous voulons faire avec les gens, nous on se sent en sécurité que l’on apprécie des villes progressistes. La ville de Grigny, avons appris que la démocratie est autant d’être confronté à des choix, que l’on se animée par René Balme, maire Front de un moyen qu’une fin et nous sommes sent capable de contrôler les incertitudes gauche côtoie la ville de Segonzac, pre- souvent déçus du peu de répondant à et donc en capacité d’initiative. En situa- mière commune à avoir adhéré à la « nos efforts » pour associer les gens. Bien tion d’insécurité on ne veut prendre charte citaslow dirigée par une maire des facteurs agissent pour expliquer la aucun risque. Les couches populaires ne 22 UDI. « non participation » malgré nos bonnes veulent donc pas prendre de risque, intentions. Peut-être faut-il aussi réflé- même si c’est elles qui ont le moins à per- LA CHARTE CITASLOW chir à nos rythmes, à la vitesse de nos rap- dre. Le relationnel personnel devient La liste des engagements de la charte peut ports avec les gens, à la qualité de nos rela- important, parfois plus important que « le laisser facilement penser qu’il s’agit là plus tions. Peut-être que la rapidité de contenu », « le projet », non personnali- d’affichage politique, de communication l’actualité, ce tourbillon journalier d’in- sable. Il faut donc envoyer des signes rela- que d’une réelle transformation de la vie : tionnels avec nos interlocuteurs, prendre multiplication des zones piétonnières, le temps de la connaissance, de la recon- mise en valeur du patrimoine urbain his- Ce qui m’intéresse dans naissance mutuelle pour permettre le torique en évitant la construction de nou- cette slow attitude, c’est la méthode temps de la dignité retrouvée par la recon- veaux bâtiments, création de places qu’elle permet pour (re-)tisser naissance des personnes, de l’investisse- publiques où l’on peut s’asseoir et conver- des liens avec les couches ment dans l’appropriation des enjeux. ser paisiblement, développement du sens populaires, travailler la de l’hospitalité chez les commerçants, Nos enfants sont déjà en train de règlements visant à limiter le bruit, déve- politisation de masse. découpler le plus et le mieux, dans leur loppement de la solidarité intergénéra- rapport au travail, leur vie familiale, tionnelle, développement des produc- leur rapport au monde et de façon tions locales, domestiques, artisanales et formations et de nouvelles, la quantité de encore insuffisante dans leur rapport à des basses technologies, préservation et “réunions ou actions que nous voulons la consommation. Il faut savoir, en développement des coutumes locales et engager dans un minimum de temps pour révolutionnaire, « écouter l’herbe qui produits régionaux, développement des « être à la hauteur des attaques », répon- pousse » (Karl Marx). n commerces de proximité, systèmes dre aux besoins, favoriser l’intervention d’échanges locaux, priorité aux transports citoyenne, peut-être que la course de *Patrice Leclerc est conseiller général (PCF) en commun et autres transports non pol- vitesse dans laquelle nous nous enga- et conseiller municipal de luants. À la lecture de cette liste de nom- geons en compétiteurs dé sa vantagés” par (Hauts-de-Seine). breuses équipes municipales pourraient l’idéologie dominante crée de la distance comme Monsieur Jourdain « faire de la avec les gens. N’avons-nous pas remar- ville lente sans le savoir ». qué combien la stratégie de Nicolas Ceci dit, chaque point comporte en lui- Sarkozy de création d’un événement par même des possibilités de résistances jour, brouillait tout, empêchait la mobi- concrètes et locales au stress, aux pres- lisation et développait un sentiment d’im- sions sur les êtres humains causées par puissance ? Notre formation politique, une augmentation de la productivité notre courant de pensée communiste, Réagissez à ce dossier écrasant l’humain et les rapports. Fou s’est construit et développé dans une contactez-nous ! serait celui ou celle qui dédaignerait période (fin XIXe et XXe siècle) où l’idée ces espaces d’action, de réinvention était largement partagée que nous avan- [email protected]

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DE LA DÉFENSE DE L'EMPLOI AU SOUTIEN À L'INNOVATION

En situant l'emploi, l'insertion des jeunes et la lutte contre le L'industrie, c'est la vie. Produire, innover, développer et trans- chômage aux premiers rangs des préoccupations municipales, férer la recherche, associer les moyens du secteur public à l'enquête réalisée auprès des maires de 164 villes de plus de l'initiative privée… Nous sommes en permanence dans ces 30 000 habitants et très récemment rendue publique par choix quand nous créons des hôtels d’entreprises comme à l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée (ODAS), Escaudain et Denain ou un premier village régional d’arti- confirme le poids de la crise sur le quotidien des collectivités sans à Saint-Amand-les-Eaux ; de même quand nous accom- territoriales et de leurs habitants. La récession qu'installent les politiques d'austérité, européenne et nationale, avec les- pagnons l'implantation à Saint-Amand du leader pharma- quelles il faut rompre, nourrit la hausse du chômage, les fail- ceutique mondial GSK, pour un investissement de 600 millions lites d'entreprises, le creusement des inégalités entre les ter- d'euros et la création de plus de 600 emplois ; ou lorsque ritoires et entre nos concitoyens, fragilise le service public et nous instaurons une aide financière à l'installation de très les collectivités, pèse intolérablement sur leurs moyens d'ac- petites entreprises (TPE) : 140 dossiers réalisés et 420 emplois tion. La suppression de la taxe professionnelle imposée par en quatre ans ; ou le soutien de l'innovation, au travers du la droite en 2010 et maintenue depuis, les ponctions opérées projet de déconstruction ferroviaire porté par un groupe- sur les dotations de l'État aux communes (4,5 milliards d'eu- ment d'entreprises, Nord Ferro, au nombre desquelles Alstom ros jusqu'en 2015), par l'actuel gouvernement, pour m'en tenir et Hiolle Industries. Mais l’État a une responsabilité à pren- à ces seules mesures, additionnent leurs effets. dre d’urgence auprès de la SNCF qui organise la délocalisa- Au total et partout sur le terrain, les chiffres sont constam- tion de cette activité en Europe de l’Est alors que nous dis- ment accablants. Ainsi, le taux de chômage de la région Nord- posons ici, des hommes et des technologies indispensables. Pas-de-Calais est passé en un an de 12,8 % à 14 % ; celui de l'arrondissement valenciennois où dominent les activités de La région Nord-Pas-de-Calais affiche l'ambition de figurer production industrielle automobile et ferroviaire, a bondi à dans les cinq ans, dans les dix régions d'Europe où se déve- 23 16,8 %. On recense dans le Nord-Pas-de-Calais plus de 75 000 loppent l'industrie de l'image et la création numérique. Nous jeunes demandeurs d'emploi de moins de 25 ans ! sommes partie prenante de cet objectif en portant, avec l'université de Valenciennes à notre côté, le projet de recon- Situer les réalités, c'est situer les enjeux. Le premier étant version du site minier d'Arenberg, classé UNESCO depuis de refuser la prétendue « fatalité » d’orientations dictées 2012, en lieu de recherche et de formation à l'image, tout en pour l’essentiel, par le MEDEF et les marchés. À l'échelle de la communauté d'agglomération de La Porte du Hainaut (39 élargissant l'activité de tournage cinématographique péren- communes et 150 000 habitants) que je préside, nous avons nisée sur place depuis bientôt 20 ans, et en veillant à la valo- mené en 2011 et 2012 la bataille de Sevelnord (2 400 sala- risation touristique de ce patrimoine minier d’exception. riés), filiale de PSA productrice de véhicules utilitaires, un temps menacée de disparition. Avec les salariés et leurs syn- Au sein de l'Agence de développement économique, struc- dicats, avec les élus du bassin valenciennois dans leur diver- ture de mise en réseau des entreprises que nous avons créée sité et avec la population, nous avons été à l’initiative pour avec une centaine d'entre elles, est née l'idée d'organiser un construire autour d'un comité de vigilance et d'action, un Salon professionnel des savoir-faire affirmant le Made in rassemblement porteur d'une double exigence : maintien du Hainaut. La première édition vient de se tenir, rassemblant site et des emplois. Aujourd'hui, PSA investit sur place en en deux jours, les 30 et 31 mai, 120 exposants essentielle- faveur de la production de son futur nouvel utilitaire. Nous ment industriels, et plus de 2 000 visiteurs, cadres et chefs restons très attentifs à l'aboutissement de ce dossier. d’entreprise. Face à la conjoncture difficile, c'était une façon Les stratégies d’entreprises ne peuvent être l’exclusivité de d’élargir notre champ d’action en dépassant des formes plus leurs actionnaires et dirigeants. Nous savons d’expérience courantes de soutien institutionnel à l'économie auxquelles avec la sidérurgie que, quand celles-ci sont erronées, elles nous consacrons 12 millions d'euros par an. C’était aussi le influencent lourdement salariés, populations et territoires. moyen de rompre avec les tendances au repli sur soi qu'ali- Nous ne pouvons accepter, nous les élus, d’être relégués au mente la crise du système. Les valeurs qui nous mobilisent rang de financeurs des conséquences de la casse, Samu social comme élus de terrain sont connues. L'expérience montre ou environnemental. Il est temps qu’élus locaux et représen- que loin de faire obstacle à la convergence des énergies et tants des salariés aient voix au chapitre dans la construc- des compétences, elles permettent au contraire cette addi- tion des projets économiques. tion de moyens humains et financiers indispensables au déve- Nous soutenons sans réserve la tradition industrielle de notre loppement du territoire et au bien-être de ses habitants. n bassin que contribuerait à favoriser, c’est important de le souligner, la réalisation du canal Seine-Nord pour lequel sont Alain Bocquet est député du Nord et président (PCF) de la com- attendus les financements décisifs de l’État et de l’Europe. munauté d'agglomération de La Porte du Hainaut.

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LE DOSSIER COMMUN(ism)E ET MUNICIPALES

L’EMPLOI : UN ENJEU CENTRAL POUR NOS VILLES Lors d’une rencontre avec les chômeurs de ma ville que j’or- d’un maire pour l’emploi est avant tout une bataille politique ganise chaque année, un jeune urbaniste m’interpelle : au sens où nous devons aider à faire grandir cette exigence « Madame le maire, je vois de très nombreux chantiers, des dans la population et contribuer à rassembler largement autour constructions de logement dans tous les quartiers, l’arrivée d’objectifs communs. Nous ne sommes pas un « pôle emploi du tramway et des futurs métros du Grand Paris… et je suis bis ». Nous jouons un rôle facilitateur, de mise en réseau, qu’il enragé de ne pouvoir mettre mes compétences au service de ne faut pas négliger. ma ville. Que pouvez-vous faire ? » Cette interpellation m’a Une bataille politique aussi car les choix d’aménagement et d’autant plus marquée que nous étions en train d’élaborer, de développement urbain ne sont jamais neutres. Ils peuvent avec d’autres villes du territoire et l’État, un contrat de déve- ou non contribuer à favoriser l’activité économique, l’installa- loppement territorial (CDT) où la dimension emploi-formation tion d’entreprises et donc l’emploi. Par exemple, nous portons, était à peine effleurée. Avec d’autres collègues élues – nous avec d’autres acteurs, un projet scientifique et médical d’en- sommes quatre femmes maires communistes concernées ! – vergure internationale dans la lutte contre le cancer. Ce pro- nous nous sommes particulièrement mobilisées pour que cet jet a notamment permis la réalisation d’une pépinière qui enjeu soit autrement pris en compte. Avec une idée simple : accueille des entreprises spécialisées dans les biotechnolo- les formidables projets scientifiques, économiques que nous gies et le chantier de cette pépinière a lui-même généré la portons sur notre territoire, l’arrivée des gares du Grand Paris création d’une dizaine d’emplois. Nous aidons à la mise en Express(GPE) — trois à —, doivent être bénéfiques pour synergie de tous les acteurs scientifiques, hospitaliers, de nos populations, notamment pour faire reculer les inégalités recherche, qui constituent les atouts de notre ville. Le fait sociales et le chômage. Nous nous sommes engagés pour un d’être porteur de projets permet également d’attirer des entre- plan d’action avec des moyens d’ingénierie pour élaborer une prises, voire de modifier leur stratégie. Par exemple, avec le Charte emploi qui va comprendre des objectifs chiffrés et au- projet Cancer Campus et la victoire sur le réseau du Grand delà travailler la carte des formations initiales comme profes- Paris, un grand groupe pharmaceutique qui envisageait de sionnelles pour anticiper la formation aux métiers indispen- partir du territoire, a finalement décidé de rester et d’investir. sables à la réalisation de ces grands chantiers. Prenons l’exemple Cette bataille pour l’emploi est inséparable de la formation des des futurs métros du GPE, on estime que le seul secteur des populations notamment des jeunes et nous travaillons dans 24 travaux publics représente 10 000 emplois, 6 000 pour la le CDT à l’élaboration d’un schéma des services publics et des filière ferroviaire (matériels roulants – équipements de voies) formations comprenant les filières à développer. Ainsi par et au total, ce vaste chantier offre l’occasion de créer 20 000 exemple, nous accueillerons au sein du projet Cancer Campus, emplois chaque année. Au-delà des outils existants qu’il convient un centre universitaire aux métiers de la santé. n de mobiliser : clauses d’insertion pour les marchés publics, charte emploi avec les entreprises, initiatives multiples pour Claudine Cordillot est maire (PCF) de Villejuif (Val-de-Marne), mettre en relation les différents partenaires, en particulier la vice-présidente de la communauté d'agglomération du Val-de- société du Grand Paris, les forums pour l’emploi… la bataille Bièvre en charge du contrat de développement territorial (CDT).

L’EMPLOI PUBLIC TERRITORIAL AU CŒUR DE LA BATAILLE POUR LE SERVICE PUBLIC Parce qu’il constitue un des éléments indispensables au bon fonction- à-dire les principes fondamentaux défi- nement du service public, la CGT Services publics continue de faire de nis dans les lois statutaires, sur lesquels il ne peut être question de revenir, des- l’emploi public un de ses principaux axes de réflexion et d’intervention. tinés à assurer l’égal accès aux emplois publics, à garantir les fonctionnaires PAR BAPTISTE TALBOT* taux, sa politique en matière d’organi- contre l’arbitraire et le favoritisme et à sation et de financement des collectivi- donner à la puissance publique les rop nombreux, donc trop coûteux et tés locales continue de placer l’emploi moyens d’assurer ses missions sur tout par conséquent responsables pour public territorial parmi les principaux le territoire dans le respect des règles Tpartie du creusement de la dette enjeux de la période en matière d’action d’impartialité et de continuité ». publique… Voici résumée en quelques publique. Marquée par les lois Defferre de décen- mots la vision des agents territoriaux que tralisation et Le Pors relatives au statut portait le pouvoir sarkozyste. Dans son POURQUOI UN EMPLOI PUBLIC de la Fonction publique, la période 1982- entreprise de déconstruction de l’action TERRITORIAL À STATUT ? 1984 a vu s’opérer un double mouvement publique, la précédente majorité avait en Le Conseil d’État a rappelé en 2003 les de réorganisation de l’intervention effet fait de l’emploi public territorial un finalités de la construction statutaire : publique et de renforcement des garan- de ses chevaux de bataille idéologique. « l’essentiel correspond à ce pourquoi ties statutaires des agents. Si le gouvernement actuel n’aborde pas un statut de la Fonction publique a été Avec, certes, des imperfections non négli- cette question en des termes aussi fron- voulu et construit au fil du temps, c’est- geables, cette politique a globalement

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respecté l’équilibre indispensable entre ment de recul de l’égalité de traitement, Loin de constituer une aberration, la garanties nationales et exercice des mis- de perte de la maîtrise publique des mis- croissance des effectifs territoriaux s’ins- sions dans la proximité : création du sta- sions et de disparition programmée des crit en réalité dans une reconfiguration tut de la Fonction publique territoriale garanties statutaires et du caractère de l’action publique marquée par le recul (FPT) ; transfert des compétences et des public de l’emploi. de l’État et un fort développement des ressources vers des exécutifs locaux élus besoins de service public lié à la crois- au suffrage universel ; mécanismes de UNE CROISSANCE DÉMESURÉE DE sance démographique. péréquation financière en faveur des ter- L’EMPLOI PUBLIC TERRITORIAL ? ritoires en difficulté. La précédente majorité avait fait de la QUELLES PERSPECTIVES ? C’est parce qu’elle a été conçue et mise croissance de l’emploi territorial, pré- La politique et les projets du gouverne- en œuvre dans ce cadre que la première sentée comme démesurée, un de ses ment relatifs aux collectivités locales se phase de la décentralisation a été une principaux angles d’attaque. Obnubilée placent dans la continuité des réformes avancée en matière de service public et par son objectif de réduction des de Sarkozy : baisse des dotations ; com- de démocratie. Elle a démontré la perti- dépenses publiques, la nouvelle majo- pétitivité considérée comme la finalité nence d’une organisation de l’interven- rité s’inscrit, elle aussi, dans une prioritaire de l’action publique territo- tion publique s’appuyant sur une com- approche comptable de l’emploi public. riale (avec notamment la métropolisa- plémentarité État/collectivités. Elle s’est Quelques chiffres sont donc bienvenus tion) ; affaiblissement de la démocratie caractérisée par le développement du pour remettre les pendules à l’heure. locale et du service public de proximité ; périmètre d’action et de la qualité du ser- Si l’on considère la période 1985-2011, emploi public corseté… vice public, et la croissance de l’emploi on s’aperçoit que la croissance globale Sur ces questions comme sur tant d’au- public, appréciés positivement par la des effectifs des trois versants de la tres, seule la rupture avec la logique mor- population. Réalisant plus de 70 % de Fonction publique (+8 %) est inférieure tifère de l’austérité et de la compétitivité l’investissement public, les collectivités, à celles de la population (+15 %) et de la permettra de retrouver la voie du pro- leurs services et leurs agents se sont affir- population active (+13 %). Certes, sur la grès social. Cela nécessite en particulier més comme des acteurs déterminants même période, le pourcentage d’aug- une réforme fiscale fondée sur une nou- du développement économique. mentation du nombre d’agents territo- velle répartition des richesses et qui per- Le caractère public et statutaire de l’em- riaux (+50 %) est important et est d’ail- mette d’assurer un financement pérenne ploi territorial constitue bien un puis- leurs abondamment utilisé par les et solidaire des collectivités locales et de 25 sant vecteur de contrôle démocratique, détracteurs de la FPT. leurs services publics. Les forces parta- tant en matière de maîtrise publique des Il doit être largement relativisé. Il s’ex- geant cette approche doivent continuer missions que de conditions d’exercice plique en effet pour une part importante d’œuvrer à faire grandir les mobilisations de ces dernières au bénéfice des par des transferts de missions et d’agents convergentes indispensables pour impo- citoyens-usagers. A contrario, les expé- de l’État ainsi que par des créations de ser le changement. n riences de libéralisation, par exemple postes consécutives au désengagement dans le domaine des télécommunica- de l’État dans le cadre de la révision géné- *Baptiste Talbot est secrétaire général de la tions, ont vu s’opérer un triple mouve- rale des politiques publiques (RGPP). fédération CGT des Services publics.

DES FORMES NOUVELLES DE DÉMOCRATIE Certaines difficultés rencontrées gagement, avant de proposer quelques Brevannes) et en province (Aubagne, Pont- dans la mise en œuvre de la pistes d’un possible renouveau. de-Claix, Vif). La démocratie participative semble ainsi s’inscrire dans différentes démocratie participative appel- LES EXPÉRIENCES DE BUDGET tentatives de rénovation du projet com- lent de nouvelles innovations. PARTICIPATIF muniste, notamment dans les communes Si le développement de la participation populaires de l’ancienne « banlieue des habitants date des années 1970, un rouge ». Cet investissement important PAR HÉLOÏSE NEZ ET JULIEN TALPIN* tournant s’opère à la fin des années 1990 apparaît à la fois comme la réponse à un avec la popularisation de l’expérience du déclin électoral patent, un moyen de a démocratie participative s’est géné- budget participatif (BP) de Porto Alegre renouer avec les catégories populaires et ralisée à tous les échelons territoriaux au Brésil. Le BP, qui repose sur la mise en le fruit d’initiatives d’élus locaux relative- Ldepuis une dizaine d’années en France. discussion avec la population de la partie ment jeunes, réformateurs et insérés dans Les collectivités communistes ont été investissement du budget, incarne une des réseaux proches de l’altermondia- parmi les premières à emboîter le pas et des expériences participatives qui va le lisme. Le discours est bien souvent radi- ont mis en œuvre certaines des expériences plus loin en matière de codécision. Relayés cal, les élus défendant une volonté de « les plus originales, permettant une rela- par le mouvement altermondialiste, les partager le pouvoir » et de « démocratiser tive redistribution du pouvoir. Rapidement, BP apparaissent dans l’hexagone à la fin la démocratie ». Pourtant, les pratiques cependant, elles sont rentrées dans le rang, des années 1990, d’abord dans plusieurs s’avèrent souvent décevantes. À quelques s’alignant sur des pratiques de légitima- villes communistes de la banlieue pari- exceptions près, dans des petites villes tion des élus locaux par la participation. sienne (Saint-Denis, Bobigny, La comme Grigny en Rhône-Alpes ou Nous analysons les origines de ce désen- Courneuve, Morsang-sur-Orge, Limeil- Morsang-sur-Orge en Essonne, où des > SUITE PAGE 26 SEPTEMBRE 2013 - LA REVUE DU PROJET RdP-29_V10_RDP 20/08/13 14:35 Page26

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SUITE DE LA PAGE 25 > formes de codécision sont mises en place, Alors que les communistes cherchaient sement sincère dans une conception plus les pratiques participatives communistes à renouer avec les classes populaires, ce radicale de la démocratie participative, ne se distinguent pas de celles mises en sont surtout des classes moyennes, déjà loin de saper les bases de plus en plus fra- œuvre par des collectivités d’autres cou- engagées par ailleurs dans le milieu asso- giles des quelques bastions qui tiennent leurs politiques. C’est la consultation qui ciatif, qui s’investissent. Il faut néan- encore, permettrait peut-être de sauver règne, la participation ayant principale- moins noter que les élus communistes, ce qui peut encore l’être, voire de recons- ment pour objet de rapprocher les élus de à l’image des membres d’autres partis truire une forme plus ambitieuse de com- la population. Les principales décisions politiques, font preuve d’une réelle fri- munisme municipal. Concrètement, dans ces collectivités demeurent de l’au- losité à cet égard. S’il est difficile de par- quelle forme cela peut-il prendre ? Alors torité des seuls élus. Des mots aux pra- tager son pouvoir quand on voit ses que figurait dans le programme du Front tiques, il semble donc exister un monde. marges de manœuvre se réduire (par la de gauche la généralisation des budgets La majorité des villes pionnières ont d’ail- création d’institutions intercommunales participatifs, les élus communistes au leurs abandonné l’expérience du budget ou un équilibre budgétaire difficile à pouvoir pourraient de nouveau s’inves- participatif ou l’ont laissée en déshérence. trouver), les communistes doivent se tir dans l’expérience, en permettant Ce désinvestissement des élus commu- demander si des pratiques du pouvoir qu’une part significative du budget de leur nistes peut s’expliquer par les retombées local parfois autoritaires et clientélistes collectivité soit décidée collectivement électorales limitées offertes par la démo- sont en accord avec leur projet d’éman- avec la population au terme d’une série cratie participative. Peu visible, souvent cipation des classes populaires. d’assemblées publiques. Au-delà du bud- décevante pour des participants qui get, des décisions importantes et struc- attendaient un réel pouvoir de décision, DES EXPÉRIENCES DE DÉMOCRATIE turantes de la municipalité (projets ANRU, il est rare que la participation se traduise DIRECTE ? grands équipements, etc.) pourraient faire par une inversion du déclin électoral. Il nous semble à l’inverse qu’un investis- l’objet à la fois d’assemblées citoyennes

LE CENTRE DE SANTÉ, RÉPONSE À LA DÉSERTIFICATION MÉDICALE Les questions de santé refont surface. Durant la seconde moi- PROMOTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE 26 tié du XXe siècle elles se posaient avec moins d’acuité qu’au- On pourrait aborder la politique de santé locale autrement : à jourd’hui parce qu’un système de protection sociale solide savoir en organisant la promotion de la santé publique. En étu- avait été mis en place à la Libération. Ce système a été vic- diant les besoins des habitants, en demandant des enquêtes, time de coups de boutoir réguliers et aujourd’hui l’accès aux en recensant les problèmes sanitaires qui pourraient être réglés soins est remis en cause. Ainsi 50 % des dépenses ambula- par des mesures de prévention, des mesures environnemen- toires restent à la charge des familles. La crise économique, tales, en réduisant les facteurs de risque. Prévention, promo- la baisse du pouvoir d’achat, le chômage et les réductions de tion de la santé publique, éducation thérapeutique, dépistage moyens de l’Assurance maladie ont créé des inégalités sociales sont les maîtres-mots de cette politique. On sait bien que les et territoriales de santé criantes. déterminants de la santé sont globaux et loin d’être l’apanage du système de soins. LA SANTÉ, UNE QUESTION ÉMERGENTE La santé est devenue selon des sondages récents la seconde Mais la question revient par la porte traditionnelle de l’accès préoccupation des Français derrière le chômage et devant le aux soins. La lutte pour le maintien des hôpitaux publics, des logement. On peut dire que la santé est à nouveau une ques- centres de Sécurité sociale, de PMI ou de médecine scolaire tion émergente et elle fera irruption dans la campagne des et la médecine du travail. Et aussi attirer des médecins et d’au- municipales sans aucun doute. D’ailleurs, lors d’un stage des- tres professionnels de santé sur la commune. Les centres de tiné aux élus locaux et aux candidats aux municipales, intitulé santé répondent à cette attente. Ils permettent de faire venir « Comment conduire une politique territoriale de santé ? » des professionnels dans un cadre salarié, travaillant en équipe, que nous avons organisé en avril, 90 % des stagiaires ont indi- avec des tarifs complètement remboursés ; la dispense de frais qué que leur principale motivation pour venir à ce stage était est assurée par le tiers payant. Le modèle des « maisons de la question de la désertification médicale. santé » proposé par les pouvoirs publics n’offre pas ces garan- En effet à la crise sociale d’accès aux soins (honoraires libres ties et finalement se contente de donner de l’argent public à de plus en plus importants, secteur privé à l’hôpital public, des structures privées gérées selon les intérêts des proprié- déremboursement des médicaments, mutuelles de plus en plus taires. Les citoyens n’ont alors aucun droit de regard. chères et restrictives, fermetures incessantes de services hos- pitaliers etc.) s’ajoute une crise démographique. Après de longues Au total, deux pistes s’ouvrent aux élus locaux : celle d’une années de réduction du nombre de médecins en formation par politique de promotion de la santé et celle de l’accès aux soins un numerus clausus malthusien nous sommes arrivés au moment par le développement de centres de santé. Ces deux démarches que nous avions annoncé : le nombre de médecins chute de complémentaires s’imposeront dans les mois qui viennent. Il façon catastrophique et la pénurie est là. Mme Touraine dit : « Il serait bon de s’y préparer. n va falloir comprendre qu’il n’y aura plus de médecins dans chaque commune ». Or la première chose que font les citoyens Michel Limousin est médecin au centre de santé de . Il est en cas de difficultés, c’est de s’adresser à leurs élus locaux. Le membre de la commission Protection sociale du Conseil national du PCF. maire hérite ainsi d’un problème nouveau et explosif.

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et de délibérations larges incluant le plus toriquement le PCF a permis l’entrée en convient cependant que le Parti lui-même d’avis possible, processus qui gagnerait à politique de la classe ouvrière et continue soit en mesure de renouer avec les caté- être conclu par un référendum local. Une en partie d’assurer la présence d’élus d’ori- gories populaires, que les militants en des pistes pour redynamiser la démocra- gine populaire à tous les échelons terri- soient issus. Une démocratie participa- tie participative est en effet de la coupler toriaux, une plus grande rotation des élites tive radicale, en lien avec les associations avec des expériences de démocratie (élues ou au sein du Parti) pourrait aussi et collectifs locaux, peut y contribuer. directe pour s’assurer que les discussions assurer une telle démocratisation sociale, n soient suivies d’effet. Au-delà de la parti- en empêchant notamment le cumul des *Héloïse Nez est sociologue. Elle est maître cipation, il faut créer les conditions poli- mandats dans le temps (pas plus de deux de conférences à l’université de Tours. tiques d’une réelle démocratisation du mandats consécutifs). Pour que la rota- Julien Talpin est politiste. Il est chargé de pouvoir local. À cet égard, et alors qu’his- tion permette une démocratisation, il recherche au CNRS.

CO-CONSTRUIRE LA VILLE AU TRAVERS D'UN BUDGET PARTICIPATIF La ville de Grigny s'est investie dans sa démarche de démo- porteurs des propositions lors de la soirée de mise aux voix. cratie participative à la fin des années 1990 en faisant de la Les élus ne prennent pas part au vote et le budget ainsi voté démocratie participative sans le savoir : mise en place de par les habitants – qui représente 60 % du budget d'inves- conseils de quartier ; participation des habitants aux grands tissement de la ville en 2013 – est intégré dans le budget projets de ville ; co-élaboration de projets urbains, etc. Jusqu’à général de la ville. Après le vote du budget municipal, une ce que, en partenariat avec les habitants, il soit décidé de soirée d'analyse critique de l'expérience de l'année écoulée jeter les bases d'un budget participatif. est organisée dans le but d'améliorer sans cesse le proces- Grigny, sans fausse modestie, peut se targuer d'être pion- sus. La ville de Grigny a été à l'origine, avec le concours du nière, en France, si ce n’est en Europe en matière de démo- CIDEFE, de la création du Réseau national de la démocratie cratie participative. Forte d'une expérience de neuf années participative. La première initiative prise par ce réseau, lors de budget participatif, elle compte plus de 1 000 personnes de l'assemblée générale d'Allonnes (Sarthe), fut de se don- investies dans cette démarche. En 2008, dès le début du ner les moyens de procéder à la rédaction, de manière par- mandat, la démarche participative a été placée au cœur du ticipative à l'échelle du réseau, d'une proposition de loi, por- 27 fonctionnement municipal de telle sorte que l'ensemble du tant sur les moyens à mettre en œuvre pour promouvoir et fonctionnement des services a été repensé et remodelé pour généraliser la pratique de la démocratie participative en faire de la démocratie participative la porte d'entrée du fonc- France. Elle sera soumise à tous les groupes parlementaires tionnement municipal. Aujourd'hui, ce sont les habitants qui et ceux qui auront décidé de soutenir l'initiative la dépose- votent le budget participatif co-élaboré par les Grignerots, ront sur le bureau de l'Assemblée nationale n chiffré par les services en partenariat avec le groupe de tra- vail du budget participatif dont les membres sont les rap- René Balme est maire (Front de gauche) de Grigny (Rhône).

place dans le parti. Dès 1920, lors du LE PCF ET LA QUESTION MUNICIPALE : congrès de Tours, nombre de socialistes élus en 1919 participèrent à la majorité ÉLUS DU PARTI VS « PARTI D’ÉLUS » en faveur de l’adhésion à la IIIe Internationale. La Section française de Tout au long de l’histoire du PCF, l’investissement municipal a été l'Internationale communiste (SFIC) gagnait ainsi ses premières municipali- l’enjeu de tensions. tés, comme Waziers (Nord) ou Saint- Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire) tou- PAR PAUL BOULLAND* puient autant sur la politique volonta- jours communistes en 2013, ainsi que la riste des élus communistes que sur leur plupart des mairies socialistes de la région ommunisme municipal », adaptation aux contraintes gestionnaires parisienne. Mais, après la Première « banlieue rouge » ces expres- et aux nécessaires relations avec des par- Guerre mondiale, le rejet des anciennes «Csions, mobilisées en sens oppo- tenaires pourtant dénoncés comme élites de la SFIO constituait l’une des sés par le Parti communiste lui-même et adversaires (préfet, ministères, etc.). De matrices essentielles du premier com- par ses adversaires, se sont imposées même, les maires communistes prirent munisme et le modèle bolchevique cris- comme une évidence pour caractériser place dans les syndicats intercommu- tallisait ce sentiment en accordant le pri- l’ancrage et l’action du communisme en naux ou les associations d’élus et parti- mat aux ouvriers face aux intellectuels France. De manière générale, l’action des cipèrent pleinement à la modernisation ou aux autres catégories sociales, et en élus put se développer sans subir un et à la professionnalisation de l’adminis- valorisant l’appareil et ses cadres face aux contrôle politique ou idéologique étroit tration locale. Georges Marrane maire élus. En banlieue, nombre des premiers du parti. Dès l’entre-deux-guerres, les d’Ivry de 1925 à 1965, en constitue le maires communistes furent rapidement nombreuses réalisations (logements meilleur exemple. exclus ou quittèrent le Parti au cours des sociaux, colonies de vacances, équipe- La relation du PCF à ses édiles fut surtout années 1920, à l’image d’Henri Sellier, ments scolaires et sportifs, etc.) s’ap- travaillée par l’enjeu complexe de leur maire de , ou d’Émile Cordon, > SUITE PAGE 28 SEPTEMBRE 2013 - LA REVUE DU PROJET RdP-29_V10_RDP 20/08/13 14:35 Page28

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SUITE DE LA PAGE 27 > maire de Saint-Ouen, et André Morizet, ter contre l’émergence de notables dotés Pierrefitte, fut l’un des points culminants maire de Boulogne-Billancourt, qui tous d’un capital politique personnel et auto- de ce processus, dans la mesure où il tou- deux refusèrent l’interdiction d’apparte- nome, fondé sur la popularité ou sur les chait un dirigeant de premier plan. Une nance à la franc-maçonnerie imposée sociabilités concurrentes qu’offraient les dernière « crise municipale » majeure par le Komintern. activités protocolaires et administratives affecta le Parti lors de la signature du hors du parti. Le contexte de l’entre- pacte germano-soviétique auquel s’op- L’ENJEU COMPLEXE DE LA PLACE DES deux-guerres, marqué par les revire- posèrent ouvertement certains maires, ÉLUS DANS LE PARTI ments et le sectarisme de la ligne du PCF à l’image de Jean-Marie Clamamus Dans le modèle partisan communiste, le et de l’Internationale, exacerbait cette (Bobigny), Fernand Dusserre (), statut d’élu comportait en effet une méfiance et favorisait en retour l’auto- Marcel Capron (), Léon ambivalence problématique. Il mettait nomisation et le départ de certains élus. Piginnier (Malakoff), Albert Vassart en tension la légitimité accordée par le En 1934, la rupture de Jacques Doriot, (Maisons-Alfort), etc. Si le statut d’élu ne Parti et celle conférée par l’élection ou entraînant dans son sillage le conseil peut expliquer à lui seul ces processus acquise dans l’action municipale. L’idéal municipal de Saint-Denis et d’autres élus de rupture, il joua indéniablement un du « maire-militant » s’efforçait de lut- comme Albert Richard, maire de rôle dans le détachement et la prise de

UNE VILLE PROGRESSISTE SUR LA CÔTE FLEURIE ! À Dives-sur-mer, petite ville de 6 000 habitants, sur la Côte est implantée au sud de la ville. Un port de plaisance est creusé Fleurie, dans le Calvados, l'identité communiste de la ville s'est là où se trouvait l'usine de cuivre. La ville a continué d'être, forgée au fil du temps. Cette Cité millénaire, liée à l'histoire de pour beaucoup de Divais, le recours. Elle porte toujours les Guillaume le Conquérant a connu depuis 1953 trois maires valeurs de solidarité, de justice. La proximité des élus avec la communistes : André Lenormand, Francis Giffard et moi-même, population ouvrière reste forte. L'action pour le logement élu en 2008. L'identité communiste de la ville s'est forgée au social, l'école, la santé, la maîtrise du foncier, la jeunesse, la fil du temps, en même temps que s'est implantée en 1889 et culture, perdure. La ville a construit une médiathèque, un cen- que s’est développée une usine spécialisée dans le traitement tre municipal de soins, des équipements sportifs... Mais dans du cuivre. Cette entreprise qui a compté jusqu'à 2000 sala- 28 le même temps, tout change. La population change. La ville riés a scellé le destin de Dives. se tourne davantage vers le tourisme. L'évolution de la poli- tique nationale vis-à-vis des collectivités et de l'intercommu- Plusieurs dates ont marqué profondément la conscience divaise. nalité menace les capacités financières et l'autonomie de la 1936 : c'est de Dives qu’est parti le mouvement de grève, fai- commune. sant dire à un historien local que « les moutons de la cam- pagne se sont transformés en lions des conquêtes sociales. » Pour nous, cet avenir passe par une lutte résolue contre le 1939-1945 : Dives a été un des bastions de la résistance com- départ des jeunes et pour cela, il nous faut maintenir et déve- muniste sous l'occupation. Elle en a payé le prix fort en arres- tations, déportations, exécutions. 1968 : l'usine de Dives est lopper l'emploi et la vocation industrielle de la ville. Poursuivre longtemps occupée, les salariés voient bon nombre de leurs une politique volontariste de logement social, de mixité et de revendications aboutir. Mais la date fondatrice de cette his- réserves foncières pour favoriser l'accession des jeunes cou- toire, c'est 1953, date à laquelle André Lenormand, résistant, ples salariés, la prise en charge des loisirs et des vacances des déporté, seul député communiste que la Basse Normandie ait jeunes par notre service jeunesse, la promotion du tourisme jamais connu, emporte les élections municipales à la tête d'une social. Défendre bec et ongle les services publics… et poursui- équipe d'ouvriers de l'usine, et bat l'ancienne équipe majori- vre une action résolue au service de l'école publique, de la jeu- tairement composée de cadres de l'usine et de notables. La nesse, de la santé, de la solidarité. rupture est nette. Après les privations de la guerre, les condi- Mais au delà de ces actions indispensables pour résister et tions de vie et de travail très difficiles, l'équipe municipale va éviter de transformer la ville en lieu de résidences secondaires, n'avoir pour seul objectif que de répondre du mieux possible la commune peut devenir un formidable atelier d'une nouvelle aux besoins essentiels de la population (solidarité, école, santé, citoyenneté active. Notre volonté de garder une proximité culture...). Au fil du temps, s'est développé une véritable osmose forte avec la population ouvrière, l'action originale que nous entre l'usine, son mouvement ouvrier très puissant et la ville. menons pour la création artistique, la vie culturelle et asso- On passe petit à petit du paternalisme patronal à la « maison ciative en direction des enfants, des familles, la dynamique de du peuple ». Dans les années 1970-1980, a contrario des villes soutien, d’attention, de valorisation des initiatives locales, l'at- balnéaires voisines (Cabourg, Houlgate, Deauville), Dives tention que nous portons à la mixité sociale, au bien vivre construit du logement social (plus de 40% aujourd'hui) et ne ensemble, et surtout à faire vivre la démocratie dans la cité brade pas son foncier aux Ribourel, Mamet et autres promo- est ce qui fait, dans le contexte local, notre identité et notre teurs immobiliers. marque de fabrique. Faire œuvre d'éducation populaire, c'est dans ce sens que l'on peut, modestement, dans une petite ville 1986 : la fermeture de l'entreprise provoque un terrible trau- côtière de Basse-Normandie, contribuer à la construction d'une matisme. Cependant, la formidable lutte menée par les sala- nouvelle société en rupture avec le modèle libéral. riés et la ville de Dives contre la fermeture a permis que le gouvernement de gauche de l'époque accorde les moyens Pierre Mouraret est maire (PCF) de Dives-sur-mer (Calvados), vice- d'une réelle reconversion. Une importante zone industrielle président du conseil régional de Basse-Normandie.

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distance. Alors que près de la moitié des ci valorisait leur rôle dans la Résistance Au cours des années 1980 et 1990, alors maires communistes de la Seine (12 sur et offrait un support à leur autonomie. que l’influence électorale et les effectifs 27) rompirent publiquement avec le Parti De 1920 à la fin des années 1970, la du Parti communiste s’érodent, l’implan- à l’automne 1939, l’écrasante majorité volonté de relativiser la place des élus tation municipale résiste relativement des conseillers municipaux n’exprimè- locaux au sein de l’appareil fut l’une des bien. Associé aux transformations rent aucun désaccord – ce qui ne pré- constantes de la structuration interne sociales qui avaient affecté le corps mili- sume pas de leur position personnelle – du PCF. Dans les années 1950 et 1960, le tant et l’encadrement du Parti depuis les et nombre d’entre eux poursuivirent leur contre-modèle d’un parti dirigé par les années 1970, ce contexte conduisit à un action durant la guerre. élus était encore largement dénoncé, en recentrage des directions fédérales et particulier pour critiquer la SFIO. Au sein centrales sur les élus locaux (maire et LES ÉVOLUTIONS DE LA LIBÉRATION À des directions nationales ou fédérales adjoints, conseillers généraux et régio- AUJOURD’HUI du parti, les titulaires de mandats locaux naux). En ce sens, l’élection de Robert Après la Libération, les tensions n’appa- étaient relativement peu nombreux et Hue au poste de secrétaire national en raissent plus aussi ouvertement mais la n’occupaient pas les positions les plus 1994 traduit une rupture significative qui méfiance restait de mise. En effet, nom- éminentes. Ainsi, rares sont les dirigeants porta à la tête du Parti un élu local, maire qui accédèrent au Comité central après bre d’élus bénéficièrent alors d’une très de Montigny-lès-Cormeilles durant dix forte reconnaissance pour leur action avoir occupé des fonctions de maire. À ans avant son entrée au Comité central, résistante. Le Parti communiste s’était l’échelle des parcours individuels, l’in- conseiller général et régional. Comme le fortement appuyé sur leur aura lors des vestissement municipal constituait plus note Julian Mischi, les processus à l’œu- élections, mais la légitimité résistante volontiers une seconde étape de la car- vre au cours des trois dernières décen- s’écartait, elle aussi, des critères tradi- rière militante. En banlieue parisienne, nies ont contribué de fait à bouleverser tionnels du parti, plus encore après l’en- la nouvelle génération de maires qui le modèle partisan communiste, faisant trée en Guerre froide et le retour à une s’imposa à partir de 1965 était ainsi for- ligne « ouvriériste ». Ainsi, les évictions mée d’anciens cadres fédéraux ou natio- évoluer le PCF « vers un parti d’élus ». n de Charles Tillon à ou de naux (Dominique Frelaut à , *Paul Boulland est historien. Il est co-direc- Robert Deloche à Joinville-le-Pont, Parfait Jans à Levallois, Jacques Laloë à teur du Maitron, dictionnaire biographique étaient au moins partiellement liées à Ivry, Marcel Rosette à Vitry, Gaston Viens du mouvement ouvrier français (1944-1968), leur statut d’élu dans la mesure où celui- à Orly, etc.). CNRS. 29

RETOUR SUR LE « COMMUNISME MUNICIPAL »

Le Parti communiste s’est longtemps distingué par son ancrage muni- ouvrières », le maintien de « la liaison cipal qui lui a procuré une légitimité sur la scène politique et un permanente des élus communistes avec les masses », « la lutte contre le pouvoir rayonnement auprès des populations et tout particulièrement des de tutelle du gouvernement et de ses pré- classes populaires. Mais cette participation des élus communistes au fets », le rejet des « vieilles théories réfor- jeu institutionnel a aussi suscité de la défiance et des dissidences. mistes » et la « juste application de la politique du Parti ». PAR EMMANUEL BELLANGER ET JULIAN MISCHI* perçoit les contradictions formelles entre UN COMPROMIS UTILE le discours subversif qu’elle veut incar- L’implication du personnel politique ner et la gestion municipale dans un communiste dans les assemblées déli- eux mots sont associés couramment « État bourgeois » qu’elle souhaite bératives locales (municipalités, conseils à l’expérience sociale et politique détruire. Le principe du contrôle poli- généraux et régionaux, communautés Ddes territoires rouges : le « commu- tique du travail municipal est d’autant urbaines, communautés d’aggloméra- nisme municipal ». Ce communisme plus revendiqué par l’appareil politique tion, etc.), les groupements d’élus et les municipal a assuré au Parti communiste qu’il a été contesté dès les années 1920 associations affiliées au PCF (anciens au cours du XXe siècle une représenta- par une dizaine de maires communistes combattants, mouvements de jeunesse, tion parlementaire et un espace de socia- de la banlieue parisienne qui ont préféré locataires, parents d’élèves, etc.) dévoile lisation, de légitimation et de ressource- ou ont été contraints de quitter ce parti. des militants qui, pour réaliser leur pro- ment. Il relève d’une conception Cette défiance originelle ne s’estompe gramme politique et faire face à l’inten- exogène, élaborée hors de l’institution pas dans les décennies suivantes. Jusque sification de la compétition électorale, politique, et s’inscrit dans la filiation du dans les années 1970, pèse sur les élus ont pris place dans le système de déci- socialisme et du réformisme municipal locaux du PCF, qui sont de plus en plus sion politico-administratif local français. que les dirigeants du PCF ont toujours nombreux, le soupçon du « crétinisme Souvent en porte-à-faux, avec les posi- rejetée, du moins officiellement. municipal » dénoncé en 1945 par Étienne tions défendues par leur parti, ces admi- Fajon, alors membre du bureau politique. nistrateurs locaux sont aux prises avec DES CONTRADICTIONS Cette expression s’inscrit en opposition des contraintes de tutelle et de gestion Dès les années 1920, la question muni- avec les règles de bonne conduite atten- avec lesquelles ils doivent composer. cipale interpelle la direction du PCF qui dues d’un élu local : « le soutien des luttes Ainsi, des années 1920 à nos jours, les > SUITE PAGE 30 SEPTEMBRE 2013 - LA REVUE DU PROJET RdP-29_V10_RDP 20/08/13 14:35 Page30

LE DOSSIER COMMUN(ism)E ET MUNICIPALES

SUITE DE LA PAGE 29 > mandataires du Parti communiste ont tion de l’habitat insalubre et de rénova- en nombre bien supérieur à ceux des assuré l’exercice du pouvoir local et la tion urbaine, de diffusion de l’hygiène communes à l’entre-soi bourgeois. prise en charge des besoins de leurs sociale et de la santé publique, de Les mairies communistes se rangent administrés au prix de compromis qui, constructions de logements sociaux et aussi parmi les plus grands employeurs en retour, ont donné une assise et une de mise en place des dispositifs étatiques locaux en raison de leurs services publics vitrine à l’engagement communiste dont d’aides aux quartiers dits sensibles. plus étendus mais aussi de l’intégration les dirigeants du PCF ne pouvaient se des militants. Si les passerelles entre par- passer, surtout lorsque leur base mili- LA SINGULARITÉ DE LA GESTION tis politiques et services municipaux ne tante s’est effritée avant de se décompo- COMMUNISTE constituent en aucun cas l’apanage des ser à partir des années 1980-1990. Les mairies communistes ont assumé villes rouges, leurs services techniques Du côté de l’État, dans des périodes de des politiques qui ont profondément (atelier et garage) ont été sans conteste crispations sociales (la résorption des restructuré la morphologie de leur cité. le foyer d’un activisme politique. lotissements défectueux de l’entre-deux- L’ampleur des dépenses sociales a sin- Autre spécificité importante à mention- guerres, la Reconstruction, la suppres- gularisé la gestion de ces villes populaires ner : les mairies communistes ont été le sion des bidonvilles dans les années aux prises avec le chômage des années lieu d’une promotion d’élus issus des 1960-1970, la « crise » du logement et des 1930 et la désindustrialisation amorcée classes populaires. Alors même que le banlieues tout au long du XXe siècle ou dès les années 1960. D’autres spécifici- fonctionnement de la vie politique tend la montée de la précarité dans les années tés sont à souligner : le modèle social de à exclure les ouvriers de la gestion des 1930 et les années 1980), les pouvoirs la colonie de vacances et des structures affaires publiques, les communistes ont publics ont fini, eux aussi, par s’accom- d’encadrement de la jeunesse et d’édu- encouragé et valorisé l’établissement de moder de cette représentation munici- cation populaire, la politique de santé « municipalités ouvrières » au nom de la pale communiste, qui assurait un rôle articulée autour de ses dispensaires, la lutte contre l’exploitation capitaliste qui de régulation en s’efforçant de contenir politique foncière qui tend à municipa- se joue aussi sur le terrain communal. n le désordre social de ces territoires popu- liser une part considérable du territoire laires. Les élus communistes ont ainsi communal et la construction de loge- *Emmanuel Bellanger est historien. Il est chargé de recherche au CNRS. participé, de l’entre-deux-guerres aux ments sociaux, réalisés par des offices Julian Mischi est sociologue. Il est chargé de années 2000, aux dispositifs de résorp- publics ou des sociétés d’économie mixte recherche à l’INRA. 30 ENJEUX CITOYENS DES POLITIQUES CULTURELLES DE LA COMMUNE JUSQU’À L'ÉTAT Depuis plus de cinquante ans, notre pays raconte fièrement ture non pas un moteur d’humanité mais un vecteur écono- sa belle aventure culturelle, ces multiples histoires qui font mique, un marché de biens et de produits. La frénésie de la vivre l’exception culturelle au quotidien. Il y a dans ces expé- concurrence entre capitale européenne et la compétitivité riences une richesse inouïe. La nation est faite ce cette sève, érigée en dogme asséchera tous les financements ! Que faire notre peuple cultive un souci de culture et d'arts. L'inventivité alors devant une si sinistre prophétie ? Résister, inventer, res- des artistes dans tous les domaines, dont le régime d’assu- ponsabiliser, anticiper comme le suggère Mireille Delmas-Marty. rance chômage garantit des droits sociaux bien légitimes pour- Car au nom de quoi faudrait-il abandonner nos antiennes tant remis en cause régulièrement est le terreau de cette vita- émancipatrices ! lité… et ces centaines de milliers de professionnels qui agissent Appelons du nouveau dans nos politiques publiques, sortons en continu, au plus près des citoyens pour que les arts et la des schémas anciens et mettons en démocratie ! Donnons du culture irriguent les territoires. La décentralisation a favo- souffle, interrogeons la politique, débattons des enjeux ! Ne risé la construction d’un outil culturel dense, diversifié, réel- voyons plus les populations comme des cohortes à éduquer lement efficace, avec un apport associatif déterminant. Pour ou des consommateurs potentiels, favorisons une vision pro- autant sommes-nous au firmament de l'avènement des poli- gressiste qui reconnaisse les droits culturels pour chaque tiques publiques des arts et de la culture ? La crise frappe et citoyen. Les politiques passées les ont chiffrés, catégorisés, le constat est terrible partout, tant du côté des populations et soumis aux critères de la démocratisation culturelle, faisons des artistes que des structures, le manque est grand… et les ensemble des politiques avec les gens. Un pari démocratique enjeux d'hier semblent bien petits au regard de tous ceux qui enthousiasmant qui modifie le centre de gravité des politiques agitent notre monde contemporain. publiques. Soyons conquérants pour tous, la culture est un Quels chemins, quelles pistes emprunter ? Plutôt que la dérive bien commun qu’il nous faut partager dans une vision trans- libérale sans lendemain, nous appelons à une vraie révolution versale et non pas comme un élément additionnel de l’action de la pensée pour faire de la culture le moteur d’un nouveau publique… saisissons nous des questions ensemble et réacti- projet politique. « L’archipel sensible » sorti cet été pendant vons notre espace public en donnant du sens à notre action ! le festival d’Avignon propose de nous interroger sur le champ un enjeu qui doit nous mobiliser partout et singulièrement au souvent rétréci de ce qu’est la culture. Les tenants d’une vision sein de nos communes, espace culturel symbolique et phy- libérale de la société, eux, sont à pied d’œuvre, leurs réponses sique de construction de notre projet politique. conjuguent toujours culture, arts et produits financiers, mais n le pire n’est pas encore à l’œuvre, en tout cas en ce qui concerne Florian Salazar-Martin est adjoint (PCF) au maire de Martigues les collectivités et l’État : la puissance publique ferait de la cul- (Bouches-du-Rhône), chargé de la culture.

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TRANSPORTS EN COMMUN : LIBERTÉ, ÉGALITÉ, GRATUITÉ

L’expérience sociale de transport gratuit à Aubagne, une expérience positive à plus d’un titre.

PAR DANIEL FONTAINE* déplacements, c'est davantage de gens tuité ne génère pas des dégradations : à qui vont au cinéma, dans les commerces. Aubagne le matériel est respecté et ajou- e pays d'Aubagne et de l'Étoile, c'est Avec la gratuité, il n'y a pas de centre- tons que davantage de monde dans les 105 000 habitants, 12 communes à ville réservé à quelques-uns, il n'y a pas bus, c'est aussi plus de sécurité. La gra- Lproximité de Marseille, une ville cen- de communes inaccessibles, on désen- tuité des transports, c'est aussi une redis- tre : Aubagne, 45 000 habitants. La gra- clave les cités populaires, chacun va où tribution du pouvoir d'achat pour les tuité des transports a été mise en place il veut, il est libre. C'est la valeur d'usage familles, soit près de 600 à 700 euros par le 15 mai 2009, à l'échelle du territoire qui se substitue à la valeur marchande. an pour une famille de 4 personnes qui de l'agglomération. Ce choix a été effec- prennent deux fois par jour les transports tué, d'abord parce qu'il constitue un (sur la base des tarifs aubagnais avant la signe fort en matière de politique de gratuité). C'est également l'économie de déplacement. Nous avons mis en place La gratuité est financée la deuxième voiture pour de nombreux un réseau performant qui porte aussi sur intégralement par le versement foyers, soit 5 200 euros d'économie. La les modes doux, le prêt de vélos gratuit transport des entreprises, gratuité abolit la loi du marché, elle per- sur le territoire, le projet de deux réseaux sans aucune augmentation met de ne plus faire la distinction entre de transport en site propre pour les pro- des impôts locaux. les riches et les pauvres en attribuant le chaines années, dont le tramway même avantage ; la gratuité évite de d'Aubagne qui sera gratuit. contrôler et de mettre en évidence la hié- Nous partons du principe suivant : les rarchie des positions sociales. En cela, LE FINANCEMENT rues sont d'accès gratuit, l'école l'est elle n'est pas une gratuité d'accompa- Il s'agit d'une gratuité totale pour les uti- aussi,“ nous trouvons cela normal et béné- gnement pour les plus pauvres, elle est lisateurs du réseau, elle n'est pas réser- fique. Pourquoi pas les transports ? Nous la gratuité de l'émancipation. 31 vée aux habitants du territoire. Donc il nous situons dans une démarche de En France, il y a une vingtaine de terri- n'y a pas de carte, ni pour les jeunes, ni novation du service public, nous ne toires qui ont adopté la gratuité des trans- pour les anciens, ni pour les pauvres. La sommes pas en régie, nous avons un ports, d'autres s'interrogent. La capitale gratuité est financée intégralement par délégataire, « Transdev », multinationale de l'Estonie est en gratuité des transports le versement transport des entreprises, née de la fusion avec Veolia,” et nous depuis le début de l'année. Nous parti- sans aucune augmentation des impôts l'obligeons à faire de la gratuité. Nous cipons pour l'agglomération à des réu- locaux. Dans les territoires de plus de introduisons de la maîtrise publique nions qui regroupent des villes euro- 10 000 habitants, les collectivités perçoi- dans une délégation de service public. péennes qui s'inscrivent ou qui vent une contribution des entreprises de C'est une rupture avec les politiques refléchissent à s'inscrire dans cette plus de 9 salariés, celle-ci est assise sur d'inspiration libérale qui font de la mar- démarche. un pourcentage de la masse salariale : chandisation un horizon indépassable. 0,6 % pour les collectivités de moins de Nous ne disons pas que l'expérience 100 000 habitants, 1,05 % jusqu'à DES RÉSULTATS TRÈS POSITIFS aubagnaise est applicable dans les 400 000, 1,8 % au-delà. Et quand le réseau En un an seulement, on atteint les 100 % mêmes conditions partout, c'est une compte des transports en site propre, de progression de fréquentation, et celle- avancée locale sur un champ limité, on comme le tramway ou le métro, le taux ci n'a cessé de se poursuivre, 174 % de peut néanmoins la lire comme un petit de 1,8% s'applique, quel que soit le voyageurs supplémentaires aujourd'hui. pas dans le mouvement que nous appe- niveau de population. Ce qui est le cas Avec l'augmentation de la fréquentation, lons « émancipation ». n pour notre agglomération. Soit pour l'ag- le coût de l'investissement public a glomération du pays d'Aubagne : 8,6 mil- baissé ; hier, un déplacement coûtait *Daniel Fontaine est maire (PCF) d'Aubagne, lions d'euros. Notons que des salariés 3,93 € ; aujourd'hui, avec la hausse de vice-président du conseil général des bien transportés, qui arrivent à l'heure, fréquentation, le déplacement revient à Bouches-du-Rhône. des zones d'activité bien desservies avec 2,04 €. Avec le même investissement, on moins de véhicules, c'est bénéfique pour transporte deux fois plus de passagers. tout le monde. C'est ce que nous appelons de nouveaux critères de gestion de l'argent public. Une LA VALEUR D'USAGE SE SUBSTITUE À LA étude permet d'adosser et de visualiser VALEUR MARCHANDE statistiquement les modifications que la Enfin, il y a un bénéfice très concret dont gratuité a introduites dans la vie quoti- l'évaluation monétaire de l'environne- dienne, il serait trop long de le commen- ment naturel et social. Moins de trajets ter ici. Je ne citerai qu'un chiffre ; l'en- en voiture, c'est une usure moins rapide quête démontre un report modal de Réagissez à ce dossier des chaussées, moins de places de sta- 35 %, soit chaque jour plus de 5 000 contactez-nous ! tionnement à construire, moins de CO2 voyages en voiture ou moto évités. expulsé dans l'atmosphère. Plus de Contrairement aux idées reçues, la gra- [email protected]

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LE DOSSIER COMMUN(ism)E ET MUNICIPALES LA MONNAIE LOCALE, LEVIER DE TRANSFORMATION SOCIALE

ENTRETIEN AVEC JEAN-PAUL PLA* ner dans des lieux qui respectent les per- sceptiques, notamment parce que l'on Revue du Projet : Qu'est-ce que le Sol-Violette sonnes, l'environnement, les salariés, apprend encore trop souvent à l'école et comment est-il né ? etc. On a fait une charte, qui n'est pas qu'il est pratiquement impossible d'agir Jean-Paul Pla : Le Sol-Violette est une une charte fermée, en vingt-et-un points autrement. Beaucoup ont souri, pensant monnaie complémentaire et citoyenne, pour les entreprises, qui peuvent ainsi que le projet n'aboutirait pas. Nous l'un des dispositifs de l'économie sociale avoir un label provisoire. Elle s'inscrit n'avons pas eu la majorité lorsque nous et solidaire. L'objectif est de permettre ainsi dans une démarche visant à pro- avons soumis le projet pour la première à ses utilisateurs de se réapproprier les gresser vers un plus grand respect des fois au conseil municipal, mais échanges économiques en remettant la salariés et de l’environnement social et aujourd'hui on a prouvé que le projet monnaie à sa place : celle d'un moyen et naturel. Il ne s'agit donc pas d'une était largement viable. Après, d'autres non d'une fin. L'idée a germé vers démarche fermée telle qu'une labellisa- considéraient que ce type d'initiative novembre 2009 lorsque nous avons orga- tion a posteriori. Pour nous, le change- posait problème dans le cadre de l'euro, nisé à Toulouse un débat sur la possibi- ment de société doit se réaliser aussi dans mais nous sommes dans un cadre légal : lité de créer une telle monnaie. Près de la proximité et l'accompagnement des la loi permet que les citoyens qui s'orga- 120 personnes ont alors pris part à celui- structures qui veulent se transformer. nisent puissent faire circuler une mon- ci, signifiant un fort intérêt pour une ini- Cette monnaie est aussi citoyenne parce naie alternative comme celle-là. tiative de ce type. Des collèges de qu'elle est gérée dès l'origine par une citoyens ont alors été mis en place pour commission de pilotage où l'on retrou- R.D.P. : En quoi une telle expérience peut-elle réfléchir à sa mise en œuvre concrète, vait une majorité de citoyens, mais aussi s'inscrire finalement dans un projet commu- auxquels ont pris part plus de 150 per- des entreprises, deux banques qui tra- niste renouvelé ? sonnes. Le Sol-Violette a ainsi été lancé vaillent avec nous et la ville qui n'est J.-P.P. : L'avant-dernier congrès de notre le 6 novembre 2011 et a été, depuis, pro- qu'une voix parmi d'autres. Et, depuis le parti avait affirmé qu'il était important gressivement élargi à un nombre de ter- début 2013, elle est encore plus de remettre la main sur l'économie et la ritoires et de participants croissant. Ceux- citoyenne, car nous avons mis en place monnaie et d’en être les acteurs, plutôt 32 ci peuvent être des citoyens, les des comités de pilotage par quartier, où « solistes », ou des organisations, les ce sont les citoyens qui décident concrè- que de laisser quelques institutions « acteurs sol », et de toutes les couches tement comment la monnaie circule. comme la Banque centrale ou le FMI sociales : cela va des associations de chô- décider de l'organisation de la produc- meurs aux entreprises. Récemment, un R.D.P. : Et de ce fait, vous constatez des diffé- tion et des échanges. Aujourd'hui, le Sol lycée est ainsi entré dans le réseau et tous rences de fonctionnement selon les quartiers ? Violette participe de cette réappropria- les échanges internes s'y règlent désor- J.-P.P. : Oui, par exemple, dans le quar- tion et provoque des débats autour de mais en Sol-Violette. Aujourd'hui, 1 300 tier du Mirail, le comité a tenu une réu- ces thématiques fondamentales. Par ail- personnes et 140 entreprises utilisent le nion avec les associations locales qui a leurs, plus de 30 territoires, et non des Sol-Violette. débouché sur l'organisation d'un village moindres, comme le Pays Basque, Niort, solidaire permettant de faire découvrir le conseil général d'Ille-et-Villaine, ont R.D.P. : La finalité d'un tel réseau est-elle le fonctionnement à l'ensemble de la développé leur propre monnaie et s'ins- d'abord pédagogique ou en attendez-vous des population. Ce sont eux qui décident et crivent dans cette démarche de réappro- transformations plus profondes ? prennent les initiatives. Ils sont aussi en priation de l'organisation locale. Nous J.-P.P. :L'expérience a une portée péda- train de voir si le Sol-Violette peut pas- sommes dans un projet profondément gogique mais ne se réduit pas à cela : elle ser un autre cap et dépasser la simple politique puisqu'il permet aux habitants porte une véritable remise en cause du fonction de consommation pour pro- d'un territoire d'avoir la vision de son fonctionnement de la monnaie tradi- mouvoir plus activement des activités développement et met à leur disposition tionnelle. Il s'agit d'une monnaie fon- utiles collectivement : des actions un outil qui permet de ne pas voir uni- dante, c'est-à-dire qu'elle perd sa valeur citoyennes dont les instigateurs n'ont quement la monnaie comme un instru- au bout de trois mois. Elle n'est donc pas rien demandé à personne mais qui aug- ment d'enrichissement pour quelques- capitalisable, ce qui rend toute spécula- mentent le bien-être sur le territoire. Par uns, mais comme un outil de tion caduque. Les premiers bilans ont exemple, certains habitants ont décidé développement. Je crois que je suis dans montré qu'elle circulait à un rythme plus de faire un jardin au pied des immeu- mon rôle, en tant qu’élu communiste, de deux fois supérieur à l'euro, ce qui bles en le finançant de leur poche. Les lorsque je porte ce projet, qui a permis favorise les échanges et les liens entre fleurs qu'ils ont plantées améliorent le la création de 140 entreprises de l'éco- ses utilisateurs, promouvant de ce fait quotidien de tous et ce comité de pilo- nomie sociale et solidaire, notamment une autre conception de la richesse, plus tage a décidé de leur attribuer cent sols, des coopératives dont les salariés sont éthique que celle portée par les mon- pour acheter des graines ou autre, même aussi des acteurs. C'est un projet global naies classiques. s'ils n'ont rien demandé, reconnaissant de changement de société où l'humain ainsi la valeur sociale de leur activité. a sa place et participe à ce change- R.D.P. : Pourquoi avez-vous retenu dans votre communication l'appellation de monnaie R.D.P. : Avez-vous rencontré des difficultés ou ment. n éthique ? des oppositions dans la mise en place de ce *Jean-Paul Pla est conseiller municipal (PCF) J.-P.P. Ethique: parce que notre monnaie réseau, et si oui de quelle nature ? de Toulouse (Haute-Garonne), initiateur du symbolise un choix, celui de fonction- J.-P.P. : Il y a eu au départ de nombreux Sol-Violette.

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FORUM DES LECTEURS Retraites et accroissement de la productivité

Le dossier sur les retraites apporte des tivité les capitalistes cherchent générale- Pourquoi l’agriculture repères d'analyse très pertinent. Il montre ment à la détruire afin de pousser à la est-elle un enjeu de que les enjeux fondamentaux sont d'une part consommation. Nous pouvons exiger que le la lutte pour accroître la part des richesses temps de travail contraint diminue du fait de civilisation ? créées revenant à ceux qui les créent et d'au- l'accroissement de ces deux productivités Xavier Compain et Éric Coquard* tre part la place de l'emploi dans l'intégra- par la réduction du temps de travail et par le tion sociale et dans l'acquisition des droits. maintien de la retraite à 60 ans. Un texte juste et complet qui me Sur ces deux aspects, je pense que le dos- Aujourd'hui l'emploi est la principale voie sier sous estime certaines réalités. pour acquérir les droits à la retraite voir à la réconcilierait presque avec le PCF. Concernant la richesse créée, le dossier ne santé. Cela donne l'illusion que les actifs tra- C'est en tout cas le texte le plus per- s'intéresse qu'à la valeur ajoutée (PIB). Sur vaillent pour les non-actifs et permet au patro- tinent que j'aie pu lire. Même bref, cette notion, on sait aujourd'hui que la crois- nat d'opposer les actifs aux retraités, les il fait un tour complet de la question. sance de PIB n'est pas la garantie du déve- gens en bonne santé aux malades. Le PCF devrait davantage le popula- loppement social. Ensuite la productivité a Nous devons dépasser cette question par la riser. juste été évoquée par Lucien Sève. mise en place d'autres processus d'acquisi- Il pourrait aller plus loin et explorer Dans les dernières décennies nous avons tion des droits. Sinon la proposition des réfor- les pistes entre vie paysanne, pro- assisté à un accroissement de la producti- mistes de mettre en place une retraite uni- duction à échelle humaine et pro- vité. Cette productivité relève de deux dimen- quement par points risque de paraître la tection de la nature (eaux et forêts). sions. La première, la productivité directe, solution la plus juste socialement. En effet c'est à dire le temps socialement nécessaire cette proposition affirme que les droits décou- R. S. SUR MEDIAPART à la fabrication d'un objet ou à la réalisation lent uniquement du travail contraint. Les d'un service. Cet accroissement de produc- autres formes de travail (bénévolats, activi- tivité a été largement accaparé par les capi- tés citoyennes..) ne donnant lieu à aucune talistes. La deuxième, la productivité concerne forme de reconnaissance sociale. l'accroissement de la valeur d'usage des objets et services. Cette deuxième produc- GRÉGOIRE MUNCK 33 Le financement de la retraite : un combat idéologique essentiel

Ce qui détermine le « jugement » des citoyens est incontestablement le fait que le trou financier doit être comblé. Nous n'avons pas d'autre choix que de combattre sur ce terrain. Les grandes idées ne semblent pas trop porteuses ni même crédibles. Le poids de la crise est l'alibi du « moment ». On ne peut faire l'impasse sur le démon- tage de cet argutie. Les luttes ont besoin de résultats positifs et si l'on veut changer la réalité il faut d'abord la connaître ... Peut on financer ou pas la retraite à taux plein À quelques mois des élections à 60 ans ? La réponse est oui mais non pour le Capital. La lutte des classes n'a jamais cessé mais ce sont les patrons qui la pratiquent de manière intensive. Le combat municipales, le n°2 de idéologique est essentiel. Progressistes, la nouvelle revue LAURENT MICHEL du PCF, vous proposera un dossier sur l’environnement autour des questions du AU CŒUR DES ENJEUX DES MUNICIPALES transport, de l’énergie, du Les Rencontres nationales de l’ANECR qui auront lieu à Gennevilliers, les traitement des déchets, de 18, 19 et 20 octobre prochains. Elles seront un moment important l’eau… Chercheurs, élus, d’échanges en préparation directe des échéances de 2014, municipales professionnels, militants, et européennes, et se veulent utiles à l’approfondissement des contenus syndicalistes nous livreront leurs et à l’engagement de nos candidats. expériences et leurs propositions Le secteur Communication en lien avec le secteur Élections prépare des d’avenir... fiches pratiques pour tous les militants et candidats afin de les aider à À ne pas manquer. mener la bataille des municipales.

La Revue du Projet - Tél. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice Bessac - Rédacteur en chef : Guillaume Quashie-Vauclin - Secrétariat de rédaction : Noëlle Mansoux - Comité de rédaction : Caroline Bardot, Hélène Bidard, Davy Castel, Igor Martinache, Nicolas Dutent, Amar Bellal, Marine Roussillon, Côme Simien, Renaud Boissac, Étienne Chosson, Alain Vermeersch, Corinne Luxembourg, Léo Purguette, Michaël Orand, Pierre Crépel, Florian Gulli, Franck Delorieux, Francis Combes - Direction artistique et illustrations : Frédo Coyère - Mise en page : Sébastien Thomassey - Édité par l’association Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19) - Imprimerie Public Imprim (12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 Vénissieux Cedex) - Dépôt légal : septembre 2013 - N°29 - Numéro de commission paritaire : 1014 G 91533.

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TRAVAIL DE SECTEURS

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LÉO PURGUETTE LE GRAND ENTRETIEN La connaissance n'est pas un objet consommable

Conseillère régionale en PACA, enseignante à Aix-en-Provence, Anne Mesliand est en charge de l'enseignement supérieur et de la recherche au PCF après avoir été une dirigeante syndicale nationale dans ce secteur. Elle réagit à l'actualité du monde universitaire et scientifique et expose la place que les communistes don- nent à la connaissance dans leur projet de transformation de la société.

La loi Fioraso a été adoptée en dépit du vote contrainte par les exigences du capita- gnants français. Quelle que soit la contre des parlementaires communistes et du lisme financier. Cette loi ne le remet pas nécessité de coopération internationale, 34 Front de gauche. En quoi la jugez-vous insatis- en cause. Elle ne contient pas non plus il faut absolument permettre à toutes faisante ? d'efforts suffisants pour la démocratisa- les langues de penser la science, de Une loi était attendue par la commu- tion de l'enseignement supérieur dans poser des cadres conceptuels, de pro- nauté scientifique et universitaire après une perspective de lutte contre la repro- duire des savoirs en leur sein. Une dix ans de politiques libérales qui l'ont duction des inégalités sociales. langue qui ne se confronterait plus à la plongée dans des difficultés très impor- Quant à la démocratie au sein de l'uni- science s'appauvrirait considérable- tantes et pas seulement sur le plan versité, après la loi LRU qui avait été ment. financier. Mais la loi présentée par le très critiquée notamment sur ce point, Cette disposition de la loi encourage la gouvernement socialiste ne répond ni la loi Fioraso revient sur le mode de mainmise déjà existante de l'anglais sur aux urgences budgétaires des universi- scrutin pour l'élection des conseils sans les publications scientifiques. Elle pour- tés, notamment celles placées sous pour autant rétablir la proportionnelle rait aussi devenir un cheval de Troie des tutelle des recteurs, ni aux attentes intégrale. Elle instaure la parité ce qui, organismes de formation privés nord- démocratiques du monde scientifique et en soi, est une bonne chose à condition américains qui, à l'heure de l'ouverture universitaire en matière de collégialité, de prendre en compte la question les des négociations sur le marché transat- d'espace d'indépendance… inégalités professionnelles pour la lantique, regardent avec gourmandise La loi défendue par Geneviève Fioraso résoudre. Selon les disciplines, les ce qu'ils considèrent comme le « mar- n'est pas en rupture avec les textes anté- femmes ne représentent qu’entre 15 et ché » de la formation. rieurs. À certains égards, elle les pour- 20 % des professeurs d’université. À suit. Les parlementaires communistes peine autant que dans l'armée ! Et les étudiants dans tout ça ? La ministre de au Sénat comme à l'Assemblée natio- l'Enseignement supérieur et de la recherche nale se sont engagés dans le débat légis- La possibilité d'enseigner dans une langue annonce que sa loi comporte des dispositions latif avec la volonté de faire entendre la étrangère – dans les faits en anglais – conte- de nature à améliorer leur réussite. Qu'en voix des universitaires, des chercheurs, nue dans la loi a fait couler beaucoup d'encre. dites-vous ? des syndicats du secteur, avec des amen- Quelle est votre position sur le sujet ? Les étudiants sont dans une situation dements précis. Au bout du processus, Si certains ont focalisé le débat sur très tendue. L'UEC a déjà indiqué ce aucune inflexion n'a été consentie cette question dans le but d'en faire un qu'on pouvait craindre pour cette ren- comme l'a déploré Marie-George Buffet. écran de fumée, je dois dire que la levée trée – dans un contexte d'approfondisse- Je dirais même que des amendements de boucliers est tout à fait fondée. Sous ment de la crise – en termes d'appauvris- d'autres groupes – acceptés quant à prétexte « d'attractivité » internatio- sement, de difficultés d'accès aux soins eux – sont venus aggraver le texte. nale, la loi autorise les cours en langues mais aussi à la vie culturelle pour les étu- Les missions de l'université sont de plus étrangères par des enseignants qui ne diants condamnés à trouver un emploi en plus soumises au principe de compé- sont pas des professeurs invités locu- alimentaire. De ce point de vue, rien ne titivité et la production de connaissance teurs de ces langues mais des ensei- vient en matière de moyens pour per-

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ÉTUDIANTS INSCRITS DANS L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR EN 2010-2011

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Source : ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

mettre à tous d'être pleinement étu- Le PCF et l'UEC travaillent ensemble sur mentaux et technologiques sont beau- diants. La perpétuation des injustices, les questions étudiantes dans le respect coup trop disjoints. Il faut permettre aux l'échec à cause de la galère sont inac- de l'indépendance de nos organisations étudiants lorsqu'ils s'engagent dans une ceptables. L'insuffisance des moyens des et avec le souci de remplir chacun nos filière, d'avoir une vision claire de là où universités elles-mêmes porte une part missions particulières. C'est dans cet elle va les mener en termes de métier. de responsabilité dans l'échec des étu- esprit qu'avec Hugo Pompougnac, Je ne parle pas de professionnalisation secrétaire national de l'UEC, nous avons tant ce terme a été dévoyé par les libé- Les missions co-animé un atelier à l'université d'été raux. Il faut précisément des diplômes de l'université sont de plus des Karrellis. nationaux qualifiants face à l'offensive en plus soumises au principe du Medef à l'extérieur, mais aussi à l’in- de compétitivité et la production Résorber l'échec à l'université peut-il se résu- térieur de l'université, qui tente de de connaissance contrainte mer à une question de moyens ? transformer la notion de qualification par les exigences du capitalisme D'abord, au-delà des lieux communs sur en notion de compétence. Cela conduit financier. l'échec à l'université, il faut rappeler à une fragmentation des formations, à qu'il en sort des personnes de grand leur dévalorisation et donc à une déqua- talent, des docteurs, des chercheurs, lification des travailleurs. Il faut au “ des médecins… Ensuite, l'échec existe, il contraire sécuriser les parcours avec un diants qui pâtissent de cours aux effec- est toujours trop important, on ne sau- bagage initial garanti en matière de tifs surchargés. Le SNESUP chiffre à plus rait le nier. Sans doute faut-il réfléchir à savoirs et de capacités à évoluer dans de 5 000 le nombre de postes man- la question de la qualification dans la les savoirs et la connaissance. C'est un quants, c'est dire le chemin à parcourir. formation générale. Les savoirs fonda- rôle essentiel pour l'université. ” SEPTEMBRE 2013 - LA REVUE DU PROJET RdP-29_V10_RDP 20/08/13 14:35 Page36

TRAVAIL DE SECTEURS

Quel est votre état d'esprit à l'approche de la sée. Il nous faut faire le lien entre la dés- défis de notre temps. Un défi pour rentrée universitaire après l'adoption de cette industrialisation du pays et les difficul- répondre aux questions qui se posent à loi ? tés de la recherche, publique et privée. Il l'humanité aux plans environnemental, Les problèmes budgétaires quoi qu'en nous faut initier des convergences en énergétique, sanitaire, alimentaire, dise la ministre sont largement devant montrant par exemple la logique qui nous. Les questions d'emploi vont deve- unit la volonté de fusion autoritaire des nir absolument incontournables. Dans universités dans de grands ensembles les organismes de recherches publics, et celle de mettre en concurrence les l’insuffisance des moyens plus d'un tiers des effectifs est précaire. territoires. Les batailles de résistance des universités porte une part de La loi va donner lieu à toute une série sont importantes et les communistes y responsabilité dans l’échec des de décrets et il y aura des batailles à prennent toute leur place mais nous étudiants qui pâtissent de cours mener. Les communistes sont prêts à avons la responsabilité, par ce travail aux effectifs surchargés les mener à travers leur engagement politique, idéologique, d'ouvrir des pers- syndical et en tant que tels. pectives de changement et de À l'université comme ailleurs, il nous conquête. faut démontrer ce qui fait obstacle à “démographique… Mais aussi un défi une véritable politique de gauche et de L'accélération des avancées scientifiques et démocratique pour ouvrir une voie vers changement. Il nous faut révéler les leurs implications dans la vie quotidienne la démocratie réelle. Celle-ci implique liens entre les traités européens et les posent avec de plus en plus de force la ques- que les citoyens aient accès à l'ensem- politiques d'austérité à l'œuvre. Il nous tion des rapports entre science et société. ble des moyens culturels et intellectuels faut dénoncer la recherche effrénée du Quelle est votre approche ? pour délibérer et évaluer la ” portée profit qui soumet la science et conduit à Le développement des connaissances et d'une décision. Nous voulons rompre tourner le dos à la recherche fondamen- surtout leur appropriation collective est avec la logique actuelle qui est celle des tale dont on sait qu'elle est désintéres- incontestablement un des plus grands « experts ». Non pas qu'il n'y ait pas

36 BRÈVES DE SECTEUR L’OPPRESSION DE CLASSE EST SEXUÉE ter toute domination, c’est refuser toute soumission, c’est abolir toute exploitation. C’est ce chemin-là qu’il nous faut Un vent nouveau souffle sur le secteur « Droits des femmes prendre ensemble pour faire grandir notre rassemblement, et Féminisme » depuis le 36e congrès. pour faire du Front de gauche un véritable « Front populaire ». Notre contribution « Le féminisme ne tue pas » en amont de C’est ce que nous avons porté avec notre Marche des femmes la rédaction de la motion finale a permis de redonner du sens contre l’austérité et c’est ce que nous allons poursuivre et à notre engagement féministe et communiste. amplifier à la Fête de l’Humanité. Partager que le féminisme conjugué à la lutte des classes est un combat universel qui ouvrira ou pas une transformation LAURENCE COHEN radicale de la société, suivant la force que nous saurons lui DROITS DES FEMMES ET FÉMINISME donner, est un enjeu majeur ! Il n’est pas inutile de souligner, une nouvelle fois, que la ques- tion n’est pas de stigmatiser les hommes, de les désigner SE MOBILISER POUR OBTENIR DES comme les oppresseurs, les bourreaux, mais de dénoncer un CHANGEMENTS système qui asservit chacune et chacun. Beaucoup d’activités du Front de gauche média depuis le Les hommes sont eux-mêmes des victimes avec une assigna- début de l’année, du point de vue législatif, prises de posi- tion à des rôles et une place dans la société. Ils sont enfer- tions, assemblées citoyennes. més dans des stéréotypes de réussite sociale et familiale. Tout écart à cette norme est de fait très mal vécu. Après le dépôt par les députés Front de gauche de la propo- sition de loi « visant au redressement de la presse et de sa dis- Pour les féministes que nous sommes, il ne s’agit pas de rem- tribution au service du pluralisme », trois assemblées pour placer un système de domination par un autre, ni de pren- la populariser, Marseille, Paris au Monde, Vénissieux, à chaque dre le pouvoir mais de le partager dans le respect et la dignité fois plus d’une centaine de personnes, travailleurs du Livre de chacune et de chacun. et citoyens. Il s’agit maintenant, avec les syndicats et le réseau Nous devons donc, Hommes ET Femmes, nous mobiliser, courriel des « Amis du Front de gauche média », d’obtenir ensemble, pour changer de regard, pour ne plus reproduire son inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée. une socialisation différenciée qui cloisonne dès le plus jeune Autre combat, avec les parlementaires Front de gauche, la âge, qui enferme nos identités. Communistes, nous devons réforme du CSA, un des engagements d’Hollande. Cette faire éclater ces cadres pour le mieux vivre ensemble. réforme ne répond pas aux exigences, car si l’on peut se réjouir Lutter pour une société d’émancipation humaine, c’est reje- de la fin de nomination des PDG de l’audiovisuel public par

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d'experts mais parce que la logique aussi de transformer quelque peu notre partageant on la multiplie. Elle est fon- dominante repose sur la dénégation des système médiatique ! cièrement émancipatrice car en per- capacités de comprendre des citoyens, mettant de comprendre le monde, elle là où au contraire, il faut une appropria- Les tenants du capitalisme mondialisé ont un permet de le transformer, d'en inventer tion collective, une mise en commun. projet qui incorpore l'enseignement supérieur un nouveau. Elle participe donc du mou- Les scientifiques revendiquent à juste et la recherche : ils lui ont donné le nom vement de transformation sociale titre l'indépendance de la recherche et « d'économie de la connaissance ». Quelle auquel nous fixons une visée révolution- pour le PCF garantir l’indépendance place les communistes leur donnent-ils dans naire de dépassement du capitalisme. intellectuelle des travailleurs scienti- leur projet de transformation de la société ? Marx considérait que la société commu- fiques est un principe fondamental. La stratégie de Lisbonne vise à instru- niste est celle où l'on pourra travailler Dans le même temps les citoyens doi- mentaliser la production de savoirs pour quatre heures par jour et choisir d'aller vent pouvoir se prononcer sur le déve- maximiser les profits – de plus en plus pêcher le matin et de faire de la philoso- loppement de la recherche, c'est pour- déconnectés de l'économie réelle. Cet phie le soir. Pour les communistes, la quoi nous proposons de créer des objectif est, bien entendu, à l'opposé de connaissance, sa production, son appro- forums citoyens de la science, de la notre conception du développement des priation ont leur place au cœur de la vie technologie et de la culture. Dotés de savoirs, scientifiques mais aussi artis- sociale mais aussi individuelle dans ce pouvoir d’enquête, indépendants de tiques, sensibles. La recherche est pro- qu'elle peut avoir de plus intime, au tout pouvoir politique ou pression éco- fondément humaine. Elle repose sur même titre que les autres plaisirs et nomique, ils débattraient publiquement cette pulsion de connaissance de l'hu- occupations de l'existence. n et rapporteraient tous les ans devant manité qui n'est jamais satisfaite de ce l’Assemblée nationale. Bien sûr cela qu'elle sait. Nous l'affirmons : à l'opposé suppose de donner aux chercheurs du des logiques de marchandisation, la temps et des moyens pour la diffusion connaissance n'est pas un objet de leurs résultats auprès du public et consommable. C'est le contraire : en la

37 le Président de la République, syndicats et téléspectateurs UNE INITIATIVE À L'AUTOMNE en sont absents et le CSA ne devrait pas faire mieux respec- ter le pluralisme qu’il ne l’a fait. Nous espérons une loi d’en- Le secteur multiplie les initiatives. Tour d'horizon des ren- semble sur l’audiovisuel en 2014, ce qui nous permettrait de dez-vous passés et à venir : défendre nos propositions de Conseil supérieur des média, Université d’été : atelier sur le thème « Quelles actions pour d’élection des PDG de l’audiovisuel public par les conseils l’économie sociale et solidaire dans les territoires » avec les d’administration, de création du Pôle public audiovisuel. dirigeants de l’association Max Havelaar France. Un engagement de Hollande est en passe d’être tenu, l’amé- Front de gauche Économie sociale et solidaire (ESS) : une lioration de la loi protégeant les sources des journalistes. On brochure a été rendue publique lors des estivales qui ont peut s’en féliciter, mais celle-ci laisse encore la possibilité de accueilli un atelier sur la vie associative. perquisition à un juge s’il y a « prévention d’un délit consti- tuant une atteinte grave à la personne », formulation trop Préparation d'une initiative pour l’automne 2013 « rencon- large à notre sens. tre du PCF avec les acteurs de l’économie sociale et soli- daire » Elle se tiendra un samedi, sous forme d’une matinée Le Front de gauche média a apporté son soutien à Acrimed d’ateliers et d’un après-midi de restitution – débat en plé- et à Médiapart ; Bercy a refusé à l’Association la défiscalisa- nière. Quatre ateliers thématiques : l’économie sociale et le tion des dons au prétexte qu’elle « ne contribue pas à la pro- travail, la santé, la finance, l’agriculture et l’agroalimentaire. duction et à la diffusion d’œuvres de l’esprit » (!), quant à Chacun de ces ateliers a fait l’objet de travaux préparatoires Médiapart la Cour d’appel de Versailles a ordonné de sup- de co-construction avec des acteurs importants de l’ESS, primer de son site toute citation des enregistrements concer- mutualistes, coopérateurs, salariés de banques coopératives, nant l’affaire Bettencourt, un véritable acte de censure met- syndicalistes… et les responsables des secteurs travail, santé, tant en danger la pérennité de ce média. agriculture et économie du Conseil national. Soutien également à la lutte des salariés de l’ERT (la télévi- Participation à la réunion d’Ap2E sur la proposition de loi sion grecque) et aux dirigeants du SNJ et du SNJ-CGT (qui « droit de préemption des salariés en cas de cession de leur avaient regretté les conditions de divulgation du « mur des entreprise ». cons ») dont le site euro-reconquista avait diffusé les noms et téléphones entraînant sur le net de véritables appels au Rencontres avec les dirigeants de Max Havelaar, Artisans meurtre ! du monde, Rencontres sociales et les dirigeants des Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural. Comme aux Estivales du Front de gauche, le front théma- tique Média anime des débats à la Fête de L’Humanité. SYLVIE MAYER JEAN-FRANÇOIS TÉALDI ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE MÉDIA

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«Tu peux tout accomplir dans la vie si tu as le courage de le rêver, l’intelligence d’en faire un projet réa D’ IDÉES Par GÉRARD STREIFF

COMBAT COMBAT La France réac On l'aura vue défiler ces derniers mois pour « sauver » l'ordre familial cette France réac qui, d'ordinaire, se montre peu. D'où vient-elle ? Qui la com- pose ? Que pense-t-elle ?

caractéristiques proches mais relative- défilés, d'un certain militantisme. L'idée ment autonomes les unes des autres. avancée ici ou là qu'elle pourrait, après Il y a là la France des beaux quartiers, tout, se recycler dans le mariage catho- celles des familles cossues et nombreuses lique pour tous lui est, pour l'heure, (le réac, quand il manifeste, le fait volon- insupportable. Oui mais tous les catho- 38 tiers avec ses enfants) ; ce genre fut un liques ne sont pas dans ces manifesta- e réac, on sait que ça existe, temps assez bien incarné par Philippe tions. Lc'est un genre installé dans le panorama, de Villiers. Cette France, on la situe géo- Il y a là la France de droite, classique, un personnage récurrent du théâtre poli- graphiquement : elle vient d'Auteuil – umpiste ou centriste, celle des inévita- tique, un incontournable de la vie Neuilly – Passy, de Versailles et des envi- bles notables. publique. Quelle famille ne possède pas rons. Ce sont très souvent des héritiers, Dans la bataille contre le mariage pour le sien ? Dans chaque quartier, village, héritiers d'un patrimoine, ou/et d'une tous, elle soutient, elle sent la bonne opé- lieu de travail, il y a le réac de service. Qui culture, ou/et de mémoires. Les socio- ration de déstabilisation de l'adversaire. n'est pas seulement un droitier ou qui logues Pinçon-Charlot ont bien décrit Oui, mais toute la droite ne s'identifie est, dirons-nous, un droitier plus : plus cet univers. Oui mais tous les manifes- pas totalement au mouvement et même de rigidité, plus d'intolérance, plus de tants ne viennent pas de l'Ouest pari- les chefs se gardent une marge de passéisme. Bref, un réac, c'est assez sien, tous ne sont pas des possédants, manœuvre, préservent l'avenir. banal. Mais quand les réacs sortent en loin s'en faut. Et tous les cossus n'étaient Il y a là la France d'extrême droite, celle meute, quand ils descendent à plusieurs pas dans la rue. des fanatiques de Civitas, des jeunes gens centaines de milliers d'exemplaires pour Il y a là la France de tradition catholique, agenouillés sur le pavé, bras en croix, des arpenter les avenues de Paris comme ils au sens propre, la tradition et le catho- gros bras du GUD, des aventuriers iden- l'ont fait lors des diverses manifestations licisme liés, celle qui dépasse assez lar- titaires, des fanas du « Printemps fran- contre le mariage pour tous, là, le spec- gement les seuls intégristes, tout un pan çais ». Ils peuvent encadrer, animer, pro- tacle étonne toujours un peu. On se dit : de la société éduqué dans le respect de voquer, ils ne constituent pas le gros des mais qui sont tous ces gens ? Cette France rituels précis et mobilisé de temps à autre troupes. Et puis, même Marine Le Pen, réac, d'où sort elle ? Où se cachait-elle ? (voir les JMJ, ou lors de la venue du pape). un temps, s'est contorsionnée pour dire Et que cherche-t-elle ? L'Église catholique et ses clercs, ses pres- qu'elle était pour tout en n'étant pas tota- Car le réac processionne rarement. La bytères, ses paroisses et ses conseils de lement pour ni contre d'ailleurs, etc. rue, la déambulation collective, cela ne fabrique ont beaucoup donné ces der- Bref, il y a là des cossus et des traditio- figure pas trop dans ses gènes. On les a niers mois dans cette bataille. Question nalistes, des umpistes et des FN, des fri- vus en nombre en 1984, pour la défense d'intime conviction, peut-être, d'inté- qués et des fauchés, des « radicaux » et de leur école privée, mais cela remonte rêts aussi. La famille, le mariage sont les des placides. Qu'est ce qui les fédère ? à trente ans ; or les revoici pour la sau- fonds de commerce d'une institution en Autrement dit, qu'est ce qui caractérise vegarde de la famille, en tout cas pour perte de vitesse. Ancienne puissance le réac ? l'image qu'ils s'en font. dominante et assoupie, cette Église qui Leur front, un temps, a pu sembler uni, se découvre « minoritaire » et s'inquiète, LA PEUR DU MOUVEMENT coordonné et pourtant ces rassemble- retrouve les vertus de la mobilisation, de Et comment eux se définissent ? Ivan ments fédèrent plusieurs tribus, aux la réunion, de la communication, des Rioufol qui est en quelque sorte leur

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et réaliste, et la volonté de voir ce projet mené à bien.» Sidney A. Friedman, économiste américain

porte-parole dans sa chronique hebdo- lution comme dit le Larousse est un il faut que rien ne change pour que rien madaire du Figaro, parle (29/3) d'une « changement important dans l'ordre ne change ! « une France silencieuse, décidée à d'une société ». Tout ici le révulse, rien Comme si l'ordre des choses était donné affronter l'idéologie relativiste du poli- ne lui va dans un tel projet. L'immobilité, une fois pour toutes. tiquement correct », de gens « qui sont la reproduction à l'identique au contraire Riche ou pauvre, il est pareillement atta- venus de toutes les provinces ne deman- le tranquillisent ; cela est synonyme pour ché à l'existant, à l'état du monde dont 39 dant que le respect de leur civilisation, lui de calme, de repos, d'impassibilité, l'ordre (le désordre ?) le réconforte, un de leur culture, de leur histoire, de leurs d'éternité sans doute. Le réac n'est pas mécanisme que le philosophe traditions, bref de leur mémoire, mot du tout dans la démarche du prince de Emmanuel Terray a fort bien décrit dans détesté par les valets d'un mondialisme Lampedusa qui, dans Le Guépard, fait son essai Penser à droite aux éditions totalitaire où tout deviendrait indifféren- dire à son personnage Tancredi, qu'il Galilée. n cié, interchangeable » ou encore d'un « faut que tout change pour que rien ne « peuple éduqué et respectueux de son change ». Horreur ! Le réac, tout au passé ». Au-delà d'un ton polémique et contraire, est dans une sorte de fixation : d'un discours un peu convenu, il y a là quelques éléments d'identification. Le respect du passé est un leitmotiv. Il ne s'agit pas ici d'un simple goût pour le EMMANUEL TERRAY : savoir historique, d'une attention légi- time pour des expériences collectives « LES FONDAMENTAUX DE DROITE » fortes mais d'une sorte de culte pour la tradition, pour une façon d'être cadrée « Je suis d'une famille de droite clas- s'opposent presque terme à terme : la sique républicaine. Au fur et à mesure stabilité, l'enracinement, la sécurité et une fois pour toutes, un mode de vie que les années ont passé, il m'a sem- le consensus d'un côté ; la mobilité, le appelé à se répéter à l'identique, une blé qu'il fallait prendre la mesure du nomadisme, le goût du risque et la com- imagerie héroïque, fantasme d'une « civi- fait que la moitié du monde ne pense pétition de l'autre. [...] Ceci dit, cette lisation » avec ses gloires, ses crises, ses pas comme moi ; et qu'on ne pouvait distinction n'efface pas les fondamen- (belles) guerres, une culture codée, un pas réduire ce fait à la simple défense taux : l'ordre, la hiérarchie, l'autorité, académisme structurel (par principe, le d'intérêts matériels. D'autant que dans la priorité donnée au plus proche sur réac déteste l'art contemporain). cette moitié, beaucoup de gens ont peu le lointain, restent constantes. L'idée Le réac est de droite, foncièrement, c’est- d'intérêts à défendre. Je voulais com- d'égalité est rejetée par toutes les frac- à-dire qu'il partage toutes les valeurs de prendre ce qui les amenait à défendre tions de la droite – l'inégalité est même cette famille, ordre, hiérarchie, autorité, un ordre établi qui les traite relative- considérée comme un bienfait, un anti-égalité (voir l'encadré ci-contre) ment mal. Ce livre (Penser à droite) est moteur de la compétition, donc de la le fruit d'un effort déployé pour com- croissance, de l'innovation. » mais dans cette droite, il a sa singularité. prendre la tribu de la droite. [...] Les Le réac a peur du mouvement, du chan- valeurs de la droite classique et celles Entretien avec Mathieu Deslandes de gement, du nouveau. Sa peur est quasi des tenants du libéralisme économique Rue89, mars 2012. existentielle. Il est fondamentalement anti-révolutionnaire au sens où la révo-

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MOUVEMENT RÉEL

« Le communisme n'est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes. » Karl Marx, Friedrich Engels - L'Idéologie allemande.

PAR CLAUDE MORILHAT* L’idéologie, un concept fondamental de la pensée marxiste Dans nos démocraties libérales l’acceptation par de très larges fractions des classes populaires de la domination d’une oligarchie (associant politiques et hommes d’affaires) apparaît comme une dimension politique cruciale.

*CLAUDE MORILHAT est docteur en damentalement, La Boétie met en question au cours des joutes politiques, la portée et philosophie. l’idée simpliste d’un pouvoir isolé face au la nécessité théorique du concept se sont peuple. Loin de lui être extérieur, le pouvoir fortement obscurcies. Enfin, certains héri- traverse la société, ainsi voit-on nombre tiers de Marx ont proposé des élaborations des sujets « sous le grand tyran, tyranneaux neuves (Gramsci, Althusser), des dévelop- eux-mêmes ». Étant donné la structure pyra- pements théoriques importants ont eu lieu midale du pouvoir, une part importante de en ce qui concerne la compréhension de la 40 la population trouve à satisfaire son ambi- réalité sociale (Bourdieu). C’est donc un tion ou son avarice dans sa complaisance concept enrichi et rectifié qu’il convient de u milieu du XVIe siècle l’ami à l’égard de celui-là. mettre en œuvre pour faire face aux exi- Ade Montaigne, Étienne de La Boétie, dans gences politiques et théoriques présentes. un bref essai le Discours de la servitude LA NOTION D’IDÉOLOGIE C’est dans L’idéologie allemande que Marx volontaire, cherche à éclairer le cœur même DÉVELOPPÉE PAR MARX et Engels élaborent le concept. L’on y trouve de la réalité politique. À partir de la notion Presque cinq siècles après, nos sociétés quelques-unes des thèses les plus célèbres apparemment contradictoire de servitude sont bien différentes de celle où vivait La du matérialisme historique : « La produc- volontaire, La Boétie s’efforce de compren- Boétie, par ailleurs nous bénéficions des tion des idées, des représentations et de la dre une réalité énigmatique : la domina- savoirs développés depuis lors par les conscience est d’abord directement et inti- tion, dans toutes les sociétés inégalitaires, sciences sociales, pourtant la question de mement mêlée à l’activité et au commerce du grand nombre par une petite minorité, l’assujettissement, du consentement de la matériel des hommes, elle est le langage voire par un seul. Étant donné l’énorme majorité du peuple à sa domination par une de la vie réelle […] La conscience ne peut écart numérique entre ceux qui exercent étroite minorité demeure toujours difficile jamais être autre chose que l’Être conscient le pouvoir et ceux qui lui sont soumis, la à concevoir. Si dans toutes les sociétés de et l’Être des hommes est leur processus de seule invocation du recours à la force s’avère classes, le rôle de la répression ne saurait vie réelle » ; « Les pensées de la classe domi- bien insuffisante. D’après le Discours il n’est être ignoré, dans nos démocraties libérales nante sont aussi à toutes les époques, les pas même nécessaire de combattre le tyran, c’est l’acceptation par de très larges frac- pensées dominantes, autrement dit la classe « il n’est pas besoin de le défaire […] il ne tions des classes populaires de la domina- qui est la puissance matérielle dominante faut pas lui ôter rien, mais ne lui donner tion d’une oligarchie (associant politiques de la société est aussi la puissance domi- rien ». Il suffirait à ses victimes de ne pas et hommes d’affaires) qui apparaît comme nante spirituelle » ; « à partir du moment le servir, de ne pas lui prêter leurs forces, une dimension politique cruciale. où s’opère une division du travail matériel en leur absence il n’est rien, de même que Au premier abord, la notion d’idéologie et intellectuel […] la conscience peut vrai- le feu s’éteint faute de bois « sans qu’on y développée par Marx semble offrir l’instru- ment s’imaginer qu’elle est autre chose que mette de l’eau ». Le constat s’impose : le ment conceptuel majeur susceptible d’éclai- la conscience de la pratique existante »… pouvoir ne possède d’autres forces que celle rer l’acceptation de la domination sociale Pour le dire fort schématiquement, Marx de ses sujets. Pour expliquer le consente- et politique. Mais le concept, chez Marx et Engels voient alors dans l’idéologie un ment à la servitude le Discours nous pro- même, n’est pas dépourvu d’incertitudes, ensemble de représentations trompeuses pose trois grandes raisons : l’habitude, l’ac- en raison de sa complexité il a donné lieu qui reflètent la base économico-sociale de ceptation de l’existant ; la corruption des selon les auteurs à des développements la société. Leurs réflexions appellent au mœurs par le pouvoir (les jeux du cirque unilatéraux souvent fortement divergents. moins deux remarques : en insistant unila- dans l’Antiquité par ex.) ; le rôle de la reli- Par ailleurs, avec le passage du mot dans téralement, de façon polémique, sur le carac- gion et d’autres croyances. Mais plus fon- la langue courante, son usage polémique tère illusoire des idéologies et leur incon-

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sistance ils rendent difficilement compré- ment, la participation à des valeurs, à des le concept d’AIE vient mettre en cause une hensible leur efficace sociale ; à cette époque croyances communes. À l’encontre de l’éco- conception schématique des rapports entre ils estiment à partir d’une vision irréaliste nomisme qui affectait alors une large part base économique et superstructure. Mais que « pour la masse des hommes, c’est-à- des analyses marxistes, Gramsci accorde la matérialité de l’idéologie ne se réalise dire pour le prolétariat, ces représentations ainsi une importance nouvelle à l’idéologie, pas seulement à travers des institutions. théoriques n’existent pas, donc pour cette plus largement à la culture, dans la totalité Pour chacun, elle s’incarne (au sens pre- masse elles n’ont pas non plus besoin d’être sociale, tant en ce qui concerne la conquête mier du terme) dans les comportements, supprimées et, si celle-ci a jamais eu du pouvoir par une classe et ses alliés qu’en- les gestes quotidiens associés à ses quelques représentations théoriques telles suite dans l’imposition de celui-là à l’ensem- croyances, à son appréhension de la réa- que la religion, il y a longtemps déjà qu’elles ble de la société. Cette même inventivité lité. Althusser prend l’exemple de la religion sont détruites par les circonstances ». politico-théorique de Gramsci le conduit à (l’individu « va à l’église pour assister à la L’idéologie dominante ne concernerait donc la prise en compte de la fonction sociale messe, s’agenouille, prie, se confesse, fait que la bourgeoisie et la petite bourgeoisie, des intellectuels en insistant sur leur inté- pénitence… »), il est assez facile de mettre laissant les masses ouvrières miraculeuse- gration aux différentes couches sociales, au jour cette inscription corporelle de l’idéo- ment indemnes, celles-ci ayant d’emblée de leur participation au maintien de l’hé- logie en d’autres secteurs (pensons par en raison de leurs luttes une compréhen- gémonie de la bourgeoisie ou à l’inverse, exemple, à l’appareil médiatique et aux rites sion immédiate de la réalité du capitalisme, pour d’autres, de leur contribution au ren- plus ou moins individualisés qui règlent la une saisie adéquate du mouvement histo- versement de cette hégémonie au profit lecture d’un journal ou la vision de la télé, rique. des classes populaires. Plus, il souligne la au déroulement des manifestations spor- Mais comme le souligne Isabelle Garo, à la dimension matérielle de l’instance idéolo- tives ou culturelles…). Situées plus large- suite des événements de 1848, Marx gique, ainsi dans les Cahiers de prison, il ment dans un appareil idéologique, ces pra- « renonce à la conviction que le prolétariat parle de « l’appareil d’hégémonie politique tiques réglées par des rituels codifiés est révolutionnaire par définition et clair- et culturelle des classes dominantes » ; évo- socialement ou partiellement liés à la per- voyant par essence ». Dans ses œuvres ulté- quant « cette structure matérielle de l’idéo- sonnalité de chacun donnent corps à nos rieures, il ne cessera de corriger le schéma- logie », il énumère rapidement certains de idées, à nos croyances. Faute de place, nous tisme de ses écrits de jeunesse, de rectifier, ses composants : maisons d’édition, jour- ne ferons qu’évoquer la thèse cardinale 41 d’approfondir sa saisie de la place et du rôle naux politiques, bulletins paroissiaux, biblio- d’Althusser quant au mécanisme idéolo- des représentations au sein du tout social, thèques, écoles, clubs de tous genres, noms gique : « Toute idéologie interpelle les indi- mais le terme idéologie tend à disparaître des rues. Contrairement à une conception vidus concrets en sujets concrets », elle les dans ses derniers textes. Se pose alors la rudimentaire qui tend à ne voir dans l’idéo- « constitue », les « transforme » en sujets question des rapports entre le concept logie, dans l’univers symbolique, qu’un (libres, moraux, responsables) dans le mou- d’idéologie et la théorie du fétichisme mise champ inconsistant de représentations, de vement même où elle les assujettit. À cha- en œuvre dans le Capital. Loin de toute sai- croyances illusoires, la réduisant à une sorte cun l’idéologie assigne une place au sein sie de l’idéologie comme simple reflet de de reflet, de voile qui masque la seule réa- des rapports sociaux, lui enjoint tel ou tel la réalité, la théorie du fétichisme de la mar- lité véritable, l’économie, les réflexions des comportement. chandise et plus largement du capital, Cahiers conduisent à la reconnaissance de esquisse une analyse du procès d’engen- l’efficace propre des superstructures et de L’assujettissement idéologique s’impose à drement des représentations idéologiques l’idéologie quant à la reproduction des for- travers l’ensemble de la réalité sociale, mais à partir du mouvement même des rapports mations économiques et sociales. il trouve un ressort particulièrement puis- marchands généralisés, des rapports de Soulignant l’apport de Gramsci, Althusser sant dans les milieux de travail. production capitalistes. s’est efforcé d’aller plus loin dans l’appré- L’organisation traditionnelle reposait essen- hension de l’idéologie, d’en éclairer les res- tiellement sur l’obéissance passive aux LES APPORTS NOVATEURS sorts. Il propose de compléter la théorie ordres de la hiérarchie, elle tend aujourd’hui DE GRAMSCI ET ALTHUSSER marxiste de l’État en distinguant au sein de à laisser place à la mobilisation des res- Dans le sillage de Marx, Gramsci et Althusser l’appareil d’État, d’une part les institutions sources humaines qui veut une adhésion, sont les deux penseurs les plus novateurs qui constituent l’appareil répressif d’État et une fidélité, un engagement spontané vis- s’agissant de l’idéologie. d’autre part celles qui représentent les appa- à-vis des valeurs et des objectifs de l’entre- Le premier distingue (nous schématisons), reils idéologiques d’État (AIE). À l’unicité prise. L’invocation de la crise économique, d’une part la domination et d’autre part du premier s’oppose la pluralité des seconds la lourde menace du chômage favorisent l’hégémonie exercées par la classe domi- (AIE, scolaire, familial, religieux, politique, une moindre résistance aux injonctions du nante sur les classes dominées. La première, syndical, de l’information, culturel). Partant, management, encouragent les comporte- mise en œuvre dans le cadre de l’État, s’ap- Althusser peut écrire : « L’idéologie n’existe ments individualistes. L’adhésion des classes puie sur la coercition quand la seconde se pas dans le monde des idées” conçu comme dominées à l’ordre capitaliste néolibéral, déploie au sein de la société civile pour obte- monde spirituel”. L’idéologie existe dans l’hégémonie de ce dernier, se fondent ainsi, nir l’adhésion de l’ensemble de la société des institutions et dans les pratiques qui conformément au jugement de Gramsci, au pouvoir établi, l’une repose sur la force sont les leurs ». Donc dans les pratiques sur la combinaison du consentement et de et peut requérir l’exercice de la violence mêmes de leurs agents et des individus aux- la coercition au sein des rapports sociaux ouverte, l’autre se fonde sur le consente- quels s’adressent ces institutions. De plus, de production. n

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HISTOIRE

PAR LUCA DI MAURO* L’échec d’une révolution exclusivem

L’histoire de ces événements de Naples en 1799, bien qu’a priori mineure dans le panorama de l’Europe bouleversée par la Révolution française, a pourtant laissé des traces durables dans la mémoire historique et politique… et pas seu- lement en Italie. Surtout, elle nous invite à identifier ce qui conduit une part du peuple à se retourner contre le processus révolutionnaire.

*LUCA DI MAURO est historien. Il est grâce à un « chroniqueur d’exception », « révolution passive », idée indiquant doctorant à l’Institut d’histoire de la Vincenzo Cuoco, républicain exilé, qui l’extranéité de la grande majorité du Révolution française (Paris I). écrit, dans les années qui suivent immé- peuple du Royaume de Naples à la révo- diatement la catastrophe, le Saggio sto- lution et, par conséquent, l’isolement rico sulla Rivoluzione di Napoli, soit une non seulement politique mais aussi cul- histoire de la brève République napoli- turelle de la minorité d’intellectuels pro- taine, appelé à devenir un classique de la tagonistes des conjurations de la der- littérature politique pour les deux siècles nière décennie du XVIIIe siècle puis du à venir. gouvernement de la République. L’action 42 n 1799 l’armée française enva- politique de ce groupe, mise à part Ehit le Royaume de Naples en chassant la LE CONCEPT DE « RÉVOLUTION PASSIVE » quelque tentative généreuse comme dynastie des Bourbons, dont les membres DE VINCENZO CUOCO celle d’Eleonora de Fonseca Pimentel à se réfugient en Sicile. Une République est La large diffusion de l’œuvre de l’exilé, travers les pages du Monitore instaurée en janvier. L’élite intellectuelle les modifications introduites par l’auteur Napolitano, n’arrive jamais à toucher la de l’Italie méridionale forme le gouverne- entre la première édition de 1801 et celle, vie des masses urbaines dans la capitale ment de ce nouvel État, tiraillé entre des bien plus répandue, de 1806, et surtout et agricoles dans les provinces faisant rapports difficiles avec les « libérateurs » les différentes lectures que l’on a donné par conséquent de ces dernières une et la menace que fait peser sur son ave- de son récit au fil des XIXe et XXe siècles, formidable force de frappe pour la réac- nir les forces de la réaction. Une armée ont rendu de plus en plus difficile la tion. paysanne, guidée par le charismatique démarche d’identification des intentions Cela a alimenté, pendant tout le XIXe siè- cardinal Ruffo, reconquiert le royaume en originelles de Vincenzo Cuoco, et beau- cle et une bonne partie du XXe, une quelques mois. La monarchie restaurée coup d’interprétations de l’œuvre n’ont image toujours répétée, presque de se livre à une répression sanglante qui pas tenu suffisamment compte de la façon acritique, concernant les « jaco- anéantit le front républicain. situation dans laquelle le livre est né. bins » napolitains : ils n’auraient consti- L’une des « Républiques sœurs », née C’est ainsi que le Saggio storico a été tué qu’un groupe d’utopistes généreux, avec l’avancée des troupes révolution- considéré, notamment pendant le XXe pleins de bonnes intentions et de philo- naires françaises, n’est pas renversée siècle, comme le manifeste d’un nationa- sophies mais incapables de lire pragma- par la contre-attaque des monarchies lisme rétrograde et traditionaliste, a tiquement la réalité sur laquelle ils coalisées contre les idées nouvelles mais priori contraire à une Révolution qui essaient d’agir. Une « aristocratie réelle, par son propre peuple, soulevé au nom entend dépasser les coutumes tradition- de l’intelligence, de l’esprit », pour utili- de la religion, et capable d’effacer l’État nelles des Italiens. Si la majorité des ser les mots de l’historien libéral créé par une élite intellectuelle et répu- commentateurs l’a vu comme un Benedetto Croce, destinée à expier sur blicaine à l’aide des baïonnettes fran- modéré, critique envers une Révolution l’échafaud son excès d’abstraction et, çaises. sans bases et étrangère à la majorité de surtout, sa prétention d’importer une Ce soulèvement populaire contre la la population, d’autres l’ont considéré Révolution « étrangère » dans une Révolution, uni au sort tragique de la tout court comme un réactionnaire, hos- nation napolitaine, par essence contraire majorité de ceux qui avaient créé la tile envers tout progressisme et surtout à toute forme de progrès et violemment République, victimes après le retour de envers la France au nom de la tradition attachée à ses superstitions passéistes. Ferdinand IV de Bourbon de l’une des et de la religiosité du peuple, en somme, C’est seulement dans la dernière décen- répressions les plus dures de l’histoire un de Maistre du Mezzogiorno. nie du XXe siècle, à partir des études de Naples, donne à cette histoire un sens Le noyau conceptuel de la lecture que d’Antonino De Francesco, qu’une nou- pluriel, qu’il est possible d’approcher Cuoco donne des faits de Naples est la velle interprétation de la pensée de

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ement politique : Naples en 1799

Cuoco (et, presque automatiquement, de peu en échange, siège unique de nement comme le début de la redistribu- la lecture de l’histoire de la République presque tous les tribunaux et, naturelle- tion des terres de ceux qui les possèdent napolitaine) voit le jour. À travers un ment, de la cour, constitue la destination à ceux qui les travaillent quotidienne- grand effort de contextualisation histo- finale de tous les produits et de tous les ment, sont amèrement déçus. En outre, rique et une reconstruction minutieuse talents du royaume, étant donné que les quand la loi est introduite (seulement de la biographie du personnage, on meilleurs éléments de la maigre bour- après le départ des troupes françaises, obtient un tableau complètement renou- geoisie des autres régions s’y dirigent en quand l’insurrection populaire est à son velé de la situation. Tout d’abord, ces cherchant fortune dans l’université ou comble), elle favorise justement le « coq recherches ont permis de mettre en dans le barreau. de village », que le paysan perçoit lumière la participation de Cuoco à l’ad- Dépourvue d’un véritable appareil indus- comme son exploiteur le plus direct. ministration de la République : cet enga- triel, la ville de Naples ne produit que des Si à Naples la confrontation entre révo- gement personnel dans la Révolution, biens de luxe (donc destinés à rester lutionnaires et partisans de l’ancien auparavant méconnu ou largement dans la ville ou à partir directement à régime suit une ligne de fracture définie, sous-évalué, efface l’image du modéré l’étranger) et des services. Par consé- il en va autrement dans les campagnes. qui observe de l’extérieur et encore plus quent, les masses rurales qui essaiment Là, les nouveaux propriétaires, bien plus celle du réactionnaire qui hait les dans la capitale à partir de campagnes rapaces que les précédents, justifient Français. La polémique contre la Grande toujours plus pauvres, ne forment pas le leurs agissements en brandissant les Nation doit donc être lue à la lumière des prolétariat de la manufacture, mais idées des « intellectuels novateurs », événements de Naples et de Milan (siège agrandissent la lazzaria, un sous-prolé- parfois malgré ces derniers. Il est facile de son exil) entre 1799 et 1801 et liée aux tariat guenilleux et immense, parfois de comprendre, donc, pourquoi les 43 comportements contingents des repré- protagoniste d’émeutes sanglantes plèbes rurales (bien plus que la lazzaria sentants de Paris dans la péninsule, plu- mais, en général, superstitieux et fidèle à de la capitale) constituent le nerf de tôt que d’être interprétée comme une la monarchie. cette Vendée méridionale et deviennent aversion de principe à l’expansion de la Dans les provinces du royaume, la le symbole même de la réaction obscu- Révolution. Loin d’être une défense de la période qui va de 1765 à 1785 voit de rantiste. tradition, donc, son analyse de la fortune grands domaines fonciers passer des Le modèle qui permet probablement le de la Santa Fede (l’armée paysanne pro- mains d’une féodalité paresseuse, ges- mieux de décrire cette situation est celui tagoniste de la reconquête à la monar- tionnaire de ces latifundia depuis des qu’Antonio Gramsci propose, dans ses chie du royaume) est faite du point de siècles, à celle d’une bourgeoisie de vil- Carnets de prison, pour l’interprétation vue de ceux qui n’avaient pas su prévenir lage naissante. Si cela constitue en géné- de tout le processus d’unification natio- et endiguer le phénomène. ral un signe de modernisation des cam- nale (le Risorgimento) dans les régions Si cela est vrai, l’idée de plèbes naturel- pagnes, il en va tout autrement pour les marginales, spécifiquement celles du lement conservatrices et qui se lèvent paysans. Pour eux, en effet, le passage Sud du Pays. Ce processus a été celui uniquement pour la défense du trône et au nouveau modèle de gestion de la d’une « révolution manquée » à cause de l’autel mérite d’être nuancée (comme terre, avec des rythmes de travail supé- du refus (ou de l’incapacité) de compren- l’avait d’ailleurs fait la critique marxiste rieurs et l’abolition des terres communes dre des élites politiques méridionales tout au long du XXe siècle), à la lumière des villages, signifie un durcissement qu’une révolution radicale et authenti- des conditions sociales et du système de absolu des conditions de vie. Dans ces quement populaire était possible à la production auxquels les structures poli- conditions, un mécontentement paysan seule condition de la subordonner à une tiques examinées se rattachent. se répand largement. réforme agraire capable d’ébranler La révolution arrive justement au milieu concrètement les latifundia en distri- DE LA « RÉVOLUTION PASSIVE » À LA de ce processus et les différents acteurs buant les terres aux paysans. « RÉVOLUTION MANQUÉE » (A. GRAMSCI) sociaux prennent place dans le nouveau La prétention de commencer la révolu- A la fin du XVIIIe siècle, le Royaume de panorama politique : c’est la bourgeoisie tion par l’élément purement politique en Naples est économiquement et sociale- provinciale, à travers ses jeunes généra- négligeant (même, mais non seulement, ment l’un des pays les plus en retard de tions parties étudier à Naples, qui s’unit à cause de la classe de provenance des la scène européenne, avec un degré de à des secteurs de la noblesse pour for- révolutionnaires) la question sociale de développement plus proche de celui de mer le front républicain. De plus, malgré la propriété de la terre a causé une frac- la Pologne que de celui de la France ou l’instauration de la République, la loi ture irréductible entre élite urbaine et des États du Nord de l’Italie. Une capitale d’abolition de la féodalité n’est promul- masses rurales, en livrant ces derniers hypertrophiée qui attire une énorme guée que très tardivement et ceux qui, au discours réactionnaire venant de la partie de la richesse mais produit très dans les campagnes, avaient salué l’évé- chaire des prédicateurs. n

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PRODUCTION DE TERRITOIRES

Les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. Du global au local les rapports de l'Homme à son milieu sont déterminants pour l'organisation de l'espace, murs, frontières, coopération, habiter, rapports de domination, urbanité... La compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de la constitution d'un savoir populaire émancipateur.

Par CAMILLE SCHMOLL* Figures féminines de la migration en Europe du Sud On peut aujourd’hui considérer l’Europe du Sud comme l’avant-poste de poli- tiques migratoires sexuées qui ne disent pas leur nom.

*CAMILLE SCHMOLL est géographe, elle est nement social et économique du pays. DES POLITIQUES MIGRATOIRES SEXUÉES 44 maître de conférences à l’université Paris- L’importance de l’emploi informel consti- Les pays d’Europe du Sud constituent un Diderot. tue bien souvent un facteur de vulnéra- observatoire efficace de politiques de bilisation et de discrimination pour ces migrations choisies selon le sexe, qui migrantes sur le marché du travail, même visent à établir une régulation plus ou s’il génère parfois des occasions. Chaînon moins affichée de la main-d’œuvre fémi- central d’un marché du travail mondial nine sur le marché du travail, cela par- segmenté selon le sexe et l’appartenance fois aux dépens des travailleurs migrants ethnique, la migration féminine occupe masculins, moins désirables dans le cadre en particulier les secteurs du tourisme d’une économie de services valorisant n observe dans de nombreux et de l’agriculture, des métiers du sexe les stéréotypes féminins attachés au tra- Opays européens, une féminisation des et du commerce informel. C’est toutefois vail reproductif. En Italie, les dernières flux migratoires. Dans le cas des pays les secteurs du soin et du travail domes- opérations de régularisation ont privilé- d’Europe du Sud, ce n’est pas tant l’im- tique qui représentent la première source gié explicitement les travailleurs domes- portance du ratio de femmes, que les d’emploi des migrantes en Europe du Sud. tiques, favorisant de facto la régularisa- modalités de leur migration, ainsi que Ces secteurs se rattachent en Europe du tion des femmes. leur rôle dans la société et les marchés Sud aux modèles de protection sociale Par ailleurs, la politique migratoire sexuée du travail, qui frappent. Les migrantes ne dits « familialistes », fondés sur la fai- menée en Europe du Sud assume de plus sont guère des suivantes, mais bien des blesse de l’État et le rôle central des soli- en plus l’image d’une politique tempo- pionnières, qui émigrent souvent de façon darités familiales. De plus en plus de raire, où les droits du migrant sont condi- autonome par rapport aux hommes. familles font appel à une main-d’œuvre tionnés à l’obtention d’un permis de tra- Certaines d’entre elles sont rejointes par étrangère pour trouver une solution à vail, parfois difficilement renouvelable. enfants et maris ; d’autres laissent leurs leurs besoins de travail reproductif. Ces Ainsi, il existe à Chypre une politique enfants aux bons soins de leurs parents « collaborateurs familiaux » se chargent migratoire extrêmement restrictive repo- restés au pays, entretenant ainsi de puis- de l’entretien de l’espace domestique, du sant sur des contrats temporaires de tra- santes chaînes de solidarité transnatio- soin aux personnes âgées, mais aussi aux vail domestique très proche de celle du nale. plus jeunes et aux malades. À Chypre par système migratoire moyen-oriental. Dans exemple on compte environ 40 000 tra- le sud de l’Espagne, le recrutement de DIVISION MONDIALE ET SEXUÉE DU vailleuses domestiques étrangères, prin- migrantes saisonnières circulaires qui MARCHÉ DU TRAVAIL cipalement philippines, vietnamiennes et travaillent à la cueillette des fraises se En Espagne et en Italie, en Grèce, au sri-lankaises, pour une population de 800 fait auprès de femmes, mères de jeunes Portugal ou encore à Chypre, la main- 000 habitants. En Italie, les collabora- enfants, directement « à la source », c’est- d’œuvre étrangère féminine constitue teurs domestiques sont officiellement au à-dire dans les villages marocains. Les une ressource cruciale pour le fonction- nombre de 750 000 aujourd’hui. travaux sur ce système ont mis en évi-

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dence la vulnérabilité de ces femmes, Dans certains cas, la situation juridique cer l’invisibilité sociale et spatiale des dont la situation dépend totalement du des étrangers empire sous certains femmes. Ceci dit, elles émergent de plus bon vouloir de leurs employeurs, et dont aspects : en Italie et en Grèce par exem- en plus dans l’espace public et se réap- la présence est conditionnée par la durée ple, de nombreuses mesures juridiques proprient les centres-villes, en des sites (et le respect) du contrat, ce qui consti- discriminatoires et xénophobes ont été et moments spécifiques : marchés heb- tue un remarquable outil pour discipli- votées récemment. domadaires, réunions religieuses, appro- ner la main-d’œuvre. Un autre exemple tout à fait intéressant priation des parcs le week-end. de cette faiblesse des mesures d’intégra- FAIBLESSE DES MESURES D’INTÉGRATION tion est le cas du logement. Les possibi- L’EFFET DE LA CRISE ? Les femmes constituent donc un point lités d’aide à l’accès au logement pour Une question importante, qui fait crain- focal de la politique d’immigration choi- les étrangers (primes, logement social, dre une détérioration de la situation des sie ou sélective de l’Union européenne : facilités dans l’accès à l’emprunt…) sont migrantes et migrants, reste en suspens vues comme de bonnes travailleuses, au extrêmement limitées. Cela a pour effet aujourd’hui. On peut imaginer aisément plus près des besoins de la société d’ac- paradoxal que les cas de ségrégation spa- que, du fait de la crise économique et de cueil, elles sont souvent privilégiées dans tiale sont limités, dans la mesure où les l’augmentation du chômage, de nom- les politiques de migration temporaire et effets de ségrégation liés au logement breux migrants perdent leurs débouchés de régularisation. À leur vulnérabilité social n’existent pas. Les migrants, en sur le marché du travail, ce qui contri- économique correspond une vulnérabi- effet, et en particulier les femmes, cher- buera à vulnérabiliser leur situation éco- lité sociale. Le Sud de l’Europe se com- chent des logements un peu partout où nomique et dans de nombreux cas, légale pose de pays qui, de pays de départ, sont ils sont disponibles, dans ce que Dina puisqu’on l’a vu, la possibilité d’obtenir devenus récemment des lieux d’accueil, Vaiou nomme les « interstices de la ville ». un permis de séjour est de plus en plus ce qui permet en partie de comprendre Une autre situation fréquente est le loge- conditionnée par la possession d’un le manque de préparation total de ces ment chez les employeurs. À Naples, par contrat de travail. De fait, certains de ces États face aux nouveaux flux migratoires. exemple, les femmes migrantes sont nom- pays sud-européens comme l’Espagne Mais cela ne suffit pas à expliquer l’ab- breuses dans les quartiers bourgeois de voient chuter leur présence étrangère sence de mesures d’intégration pour les l’ouest de la ville, où elles élisent domi- résidente, et la reprise de l’émigration étrangers, car celle-ci persiste même cile chez les familles aisées. des nationaux. n après plusieurs décennies d’immigration. Ce type de situation contribue à renfor-

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La culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de la construction du projet communiste. Chaque mois un article éclaire une actualité scientifique et technique. Et nous pensons SCIENCES avec Rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

Par JEAN-NOËL AQUA* Auto-organisation : la science du local au global

Le concept d'auto-organisation développé dans la deuxième moitié du XXe siècle en physique et cybernétique est présent dans de nombreux domaines. Interpellant les origines d'un état ordonné, il débouche sur le concept d'émergence où le tout est plus que la somme de ses par- ties. Appliqué naïvement en économie, il justifierait le laisser-faire.

46 namique où un ordre peut apparaître à remontant, etc. Ces rouleaux s'organi- *JEAN-NOËL AQUA est physicien. Il est maître de conférences à l’université Paris VI. basse température lorsque l'on attend sent comme dans un cristal mais hors suffisamment, à l'équilibre. Ainsi, au-des- équilibre, de structure hexagonale vu d'en sous de 0°C, l'eau pure gèle en glace haut. C'est ce que l'on observe sur la quand les molécules d'eau interagissent chaussée des géants en Irlande où des et s'ordonnent d'elles-mêmes de façon rouleaux de lave se sont figés en refroi- régulière, formant un cristal. Mais le dissant. Notons aussi que le champ concept d'auto-organisation concerne magnétique terrestre lui-même est maginons que nous disposions un grand aussi les systèmes qui ne sont pas à l'équi- aujourd'hui compris comme résultant de Inombre de boussoles sur une table, suffi- libre. Les flocons de neige que l'on peut tels mouvements auto-organisés de samment éloignées entre elles et de tout observer transitoirement au-dessous de fluides chargés dans le manteau terres- métal. Le lecteur ne sera pas surpris de 0°C, ou les petits îlots aux formes frac- tre, selon l'effet dynamo bien connu des les voir s'aligner dans la même direction, tales faits de quelques centaines d'atomes cyclistes. celle du pôle Nord. Les physiciens ont mis déposés sur une surface, ne sont pas à en évidence un alignement presque aussi l'équilibre mais s'organisent en formes … ET AU-DELÀ parfait des aimantations atomiques dans géométriques, certes uniques, mais résul- On définit ainsi l'auto-organisation comme un aimant. Similaires en apparence, ces tats d'interactions entre atomes. Plus la création spontanée d'un ordre global deux ordres sont pourtant bien différents. loin de l'équilibre, l'auto-organisation à partir d'interactions locales, sans agent Les boussoles pointent inlassablement concerne aussi les systèmes en perpé- extérieur ou plan prédéfini. On est alors vers le Nord tandis que l'aimantation de tuel changement. L'exemple historique frappé par la généralité du concept. On l'aimant tourne avec celui-ci. Les bous- concerne les cellules de Bénard que l'on le retrouve en chimie avec l'apparition soles suivent simplement l'ordre venu peut observer dans sa casserole dans d'ondes spirales ou zébrées dans des « d'en haut » par le champ magnétique certaines conditions. Quand on chauffe réactions impliquant la diffusion des molé- terrestre, qui leur est extérieur. Les aiman- un liquide par au-dessous, sa tempéra- cules (modèle de Turing pour la morpho- tations atomiques génèrent [elles] l'ordre ture augmente à sa base et du fluide froid genèse du vivant) ou dans des réactions auquel elles obéissent, qui leur est pro- et dense se retrouve au-dessus d'une chimiques oscillantes. En cybernétique pre : on dit qu'elles s'auto-organisent, leur couche chaude et légère, situation insta- et dans les réseaux de neurones. Dans la ordre se construit par « le bas ». ble mécaniquement. Au-delà d'une cer- fabrication de nanomatériaux pour l'élec- taine différence de température, des rou- tronique ou des applications biologiques. UN CONCEPT GÉNÉRAL EN PHYSIQUE... leaux apparaissent permettant la Dans l'analyse du trafic routier. Dans les Cet exemple d'auto-organisation est la circulation du fluide, le dense en haut mouvements de nuées d'oiseaux ou bancs reformulation de notions de thermody- plongeant, se réchauffant au fond puis de poissons sans oiseau ou poisson pilote.

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Dans l'analyse des populations des villes. son environnement, il y a l'organisme qui père de l'économie, appelle la main invi- Les exemples prolifèrent. contrôle au moins autant l'activité des sible peut aujourd'hui simplement s'appe- gènes que ceux-ci contrôlent l'organisme. ler auto-organisation. » On pourrait objec- QUAND L'AUTO-ORGANISATION ÉMERGE Elle permet aussi de dépasser une contra- ter que les marchés sont de fait contrôlés L'auto-organisation implique une part de diction apparente entre le non-vivant, où par les capitalistes : par l'immense gâchis hasard associée à de la complexité, l'ap- régnerait un mécanisme déterministe, de la publicité visant à orienter nos choix, parition d'un ordre à partir de bruit. Les « industriel », et le vivant évolutif, grâce par leurs groupes de pression, média ou cellules de Bénard tournent dans un sens à une description en termes d'automates réseaux visant à imposer les choix « libé- ou dans l'autre, l'aimantation de l'aimant capables d'évolution. raux » et empêcher par exemple l'exis- pointe dans une direction ou son oppo- tence de services publics ou de règles limi- sée. Pour le comprendre, on fait appel à ESPRIT ES-TU LÀ ? tant la concurrence et la guerre des systèmes dits non-linéaires où la L'auto-organisation vient contredire une économique… Même quand elles émer- réponse à une cause n'est pas proportion- croyance consciente ou non sur l'origine gent des revendications populaires. Mais nelle à celle-ci : des petites causes peu- d'un état ordonné, l'associant à une cen- même en l'oubliant, quel sens donner à vent avoir de grands effets, et inverse- tralisation avec un chef ou un plan initial. un marché auto-organisé ? L'auto-orga- ment. C'est le cas notamment de systèmes Nous avons du mal à imaginer un ordre nisation déboucherait sur un état opti- en rétro-action avec une causalité circu- spontané, préférant le voir comme résul- mal ? Un modèle d'auto-organisation avec laire (A implique B qui implique A…). Ainsi, tant d'un acte intentionnel venu d'un cen- des cases mobiles blanches et noires évo- dans certaines conditions, une toute petite tre de décision et suivi par une chaîne lue spontanément vers un état ordonné fluctuation peut être suffisante pour faire linéaire : un chef, un président, dicte la où les blanches sont séparées des noires ; passer d'un état désordonné à un état politique ou la stratégie, le cerveau com- si on l'applique à des populations humaines, ordonné. Les éléments en interaction don- mande l'organisme, les chromosomes cet état auto-organisé là n'est certaine- nent alors un tout, individuel et cohérent, contrôlent la cellule… Les systèmes auto- ment pas souhaitable. Sans se poser la 47 qui ne se résume pas à la somme de ses organisés montrent au contraire qu'un question de la pertinence des modèles parties. On parle d'émergence, émergence ordre est possible dans la nature en dehors économiques et de leur capacité prédic- d'un global à partir d'un local, non imposé de toute intervention planificatrice tive, le point central reste l'utilisation que par une force extérieure ou un programme humaine, surnaturelle ou autre. Le fonc- l'on fait de la science. pré-écrit. L'auto-organisation apparaît ainsi tionnement du cerveau lui-même peut être contradictoire avec une description méca- vu comme résultant de l'auto-organisa- ET MARX S'AUTO-ORGANISA niste et linéaire de la nature. tion des neurones sans référence à un plan Pour conclure, revenons sur le commu- inné ou esprit dans l'esprit (les connexions nisme. On pourrait remarquer qu'il n'ex- VIVANT ET NON-VIVANT, MÊME COMBAT entre les milliards de neurones ne pou- clut pas par principe le marché. Mais plus Les organismes vivants sont des figures vant d'ailleurs pas être codées dans le généralement, si des expériences se privilégiées d'auto-organisation. La vision matériel génétique). L'ordre qui en découle, revendiquant du communisme ont mécaniste et réductionniste de la géné- avec un contrôle distribué sur le système construit des systèmes centralisés entre- tique, encore très présente, tente d'expli- entier, s'avère souvent robuste et capable tenant la domination de classe, un retour quer le vivant à partir d'un code génétique d'adaptation. à Marx peut aider à réfléchir. « La cen- déterminant précisément nos physiolo- tralisation nationale des moyens de pro- gies ou comportements. Le séquençage LA MAIN INVISIBLE DÉVOILÉE duction deviendra la base naturelle d'une du génome humain étant achevé, nous L'auto-organisation est aussi invoquée par société formée par des associations de pourrions ainsi lire à livre ouvert nos les économistes pour expliquer le concept producteurs libres et égaux qui agiront futures maladies ou prédispositions. de main invisible attribué à Adam Smith. en connaissance de cause selon un plan Affectionnée par les approches essentia- Francis Heylighen écrit : « Bien que le mar- commun et rationnel ». L'interaction de listes de l'homme, cette vision se heurte ché soit un système hautement chaotique producteurs décidant en commun du plan pourtant à la réalité scientifique. Les et non-linéaire, il atteint habituellement qu'ils vont suivre… n'est-ce pas précisé- recherches sur l'épigénétique ont montré un état approximativement d'équilibre ment de l'auto-organisation ? Mais à la que l'expression du génome dépend aussi dans lequel les demandes fluctuantes et différence de la « main invisible », cette de l'environnement et de l'histoire de l'or- conflictuelles des consommateurs sont auto-organisation là n'est pas laissée au ganisme. On se retrouve en fait confron- toutes satisfaites. L'échec du communisme hasard… Et en fin de compte aux puis- tés à une auto-organisation où de faibles montre que le marché est plus efficace sants et à leurs calculs égoïstes. En étant modifications de l'environnement d'un sys- pour organiser une économie qu'un sys- rationalisée, cette auto-organisation-là tème complexe peuvent faire basculer son tème contrôlé et centralisé. C'est comme permet la conscience des enjeux et par état ou fonctionnement. Cette compré- si une force assurait que les biens sont là même, l'exercice de la critique et l'ac- hension permet de dépasser le dilemme produits en bonne quantité et distribués tion. La main invisible ou la main ration- entre l'inné et l'acquis. Entre le gène et aux bons endroits. Ce qu'Adam Smith, le nelle, il faut choisir. n

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SONDAGES

Par NINA LÉGER

L'austérité ne fait plus recette

L'austérité est-elle la solution ? Les Français sont de plus en crise pour 21 % des Français (16 % en février), nombreux sont plus nombreux à se poser la question. Comparons deux son- ceux qui prônent une stabilisation des dépenses. dages de l'institut CSA. L'un date de février, l'autre d'avril. On Mais l'idée d'une politique de relance fait son chemin. Notons observe que la réduction des déficits budgétaires en diminuant que cette évolution dépasse les clivages politiques. En effet, les dépenses publiques fait de moins en moins recette : en deux on note une progression du soutien à des politiques de relance mois, on passe de 63 à 46 % de Français qui considèrent que chez les sympathisants de toutes les formations politiques à cette solution serait la plus efficace… Une majorité pense-t-elle l'exception des sympathisants… socialistes ! Ils sont les seuls donc que l'austérité n'est pas la solution ? N'allons pas si vite. à être au contraire de moins en moins nombreux à soutenir Si, effectivement, la relance de la croissance par de nouvelles les politiques de relance et sont aussi les plus nombreux à plé- dépenses publiques semble la meilleure protection contre la bisciter une stabilisation des dépenses publiques. n

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D'après deux sondages de l’Institut CSA : Les Français et les déficits publics pour Atlantico, février 2013 et Les Français, le chômage, les déficits publics et la compétitivité économique, pour BFM Business, avril 2013.

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STATISTIQUES

Par MICHAËL ORAND La fracture numérique se réduit mais reste importante L’usage d’Internet par les Français est aujourd’hui massif : autant : moins les non-utilisateurs d’Internet seront nom- lorsqu’on les interroge sur leurs usages, les trois quarts d’en- breux, plus ils seront de fait exclus. tre eux déclarent avoir utilisé Internet durant les trois mois précédant l’enquête, et 60 % d’entre eux déclarent l’avoir Ces non-utilisateurs, justement, qui sont-ils ? Comme on utilisé tous les jours ou presque. Ce taux d’utilisation place peut l’imaginer aisément, la fracture numérique est avant les Français parmi les plus gros utilisateurs européens. Par tout générationnelle : alors que plus de 90 % des Français ailleurs, cet usage est actuellement dans une phase de déve- nés après 1970 sont des utilisateurs réguliers d’Internet, loppement rapide : entre 2007, où le taux d’utilisation était c’est le cas de moins d’un tiers des Français nés entre 1930 de 56 %, et 2012 ce sont en effet 20 % de Français en plus et 1949, et de moins de 10 % des Français nés avant 1930 ! qui utilisent Internet régulièrement. Plus rassurant, alors que la fracture numérique, en 2007, était aussi socialement marquée, les écarts liés à la catégo- Alors que leur place médiatique est très importante, les rie socioprofessionnelle se réduisent très sensiblement en réseaux sociaux restent un usage relativement minoritaire 2012 (graphique 2). Les cadres et professions libérales res- d’Internet, puisque seuls 30 % des internautes déclarent tent ceux parmi lesquels les internautes réguliers sont les avoir utilisé Internet pour s’y connecter (graphique 1). Le plus fréquents, et les ouvriers ceux parmi lesquels ils sont le courriel reste l’usage principal du réseau, avec deux tiers des moins fréquents. Mais l’écart entre ces deux catégories qui internautes concernés, suivi de la consultation des comptes était de près de 45 % en 2007 (97 % pour les cadres contre bancaires, qui concerne la moitié des internautes. 53 % pour les ouvriers) s’est réduit à 15 % en 2012 (99 % pour les cadres contre 84 % pour les ouvriers). 49 GRAPHIQUE 1 - LES UTILISATIONS D’INTERNET EN 2012 ET 2007 (EN %) GRAPHIQUE 2 - TAUX D’INTERNAUTES SELON LA CATÉGORIE SOCIOPROFESSIONNELLE EN 2007 ET 2012 (EN %)

Source : INSEE, enquête TIC 2012-2007 Lecture : en 2012, 66,6 % des internautes déclarent avoir utilisé Internet pour envoyer et recevoir des e-mails, contre 45,2 % en 2007. Source : INSEE, enquête TIC 2012-2007 Lecture : en 2012, 99,1 % des cadres et professions libérales étaient utilisateurs réguliers d’internet contre 96,9 % en 2007 Entre 2007 et 2012, la hiérarchie des usages d’Internet reste relativement la même, mais on constate tout de même que Enfin, en guise de conclusion, il convient de relativiser certaines activités prennent une place de plus en plus impor- encore une fois l’importance d’Internet dans la vie quoti- tante. C’est en particulier le cas des ventes aux enchères, dienne des Français, dont le reflet médiatique est parfois dont l’usage a plus que triplé en cinq ans, passant de 6 % à trompeur. En matière de temps passé devant l’écran, l’ordi- 25 % des internautes. nateur reste en effet loin derrière la télévision : alors qu’ils passent environ trois heures en moyenne par jour devant Cependant, à l’heure où les usages d’Internet se multiplient, cette dernière, les Français ne passent que trois quarts et où la tendance est plutôt à le rendre indispensable, ce sont d’heure par jour devant leur ordinateur, tablette ou smart- évidemment aux 25 % de Français n’y accédant pas avec phone. D’ailleurs, il semble que du point de vue du temps régularité qu’il convient de s’intéresser. Depuis 2007, la frac- passé, l’influence de la catégorie sociale sur les usages reste ture numérique s’est sensiblement réduite, puisqu’on est très importante : c’est en effet chez les ouvriers qu’on conti- passé de 44 % à 25 % seulement de non-utilisateurs régu- nue à regarder le plus la télévision et à utiliser le moins un liers d’Internet, mais cela ne doit pas nous rassurer pour ordinateur.

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REVUE DES MÉDIA

Par CAMILLE ASCARI

Après le meurtre de Clément Méric, une « prise de conscience » médiatique de courte durée ?

Le 7 juin 2013, alors que la France pleure le jeune Clément Méric, militant antifasciste de 18 ans assassiné deux jours plus tôt, la presse condamne cet acte de barbarie perpétré par l’extrême- droite.

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bagarres, il y en a souvent. Le 1er mai syndicats et celui du FN : « Tous les dernier encore. ». Pour Les Échos, ce ans, lors du défilé du 1er mai par exem- qui pose problème aujourd'hui, « c'est ple, les militants des deux parties plus l'exacerbation des tensions dans jouent une partie de cache-cache ». un climat de crise économique et Si bien que l'amalgame principal sociale aiguë ou la brutale radicalisa- dénoncé et relayé par les média n'est lle semble se réveiller après tion de certains mouvements contes- pas tant celui, pourtant récurrent, des Eun long déni de la banalisation des tataires ». militants antifascistes et de l'extrême- idées d’extrême-droite que diffusent droite, mais bien celui des groupus- sans complexe la droite et les média. POURSUITE DE LA MISE DOS À DOS DES cules d'extrême-droite et des partici- Le Monde titre ce jour-là « Un jeune EXTRÊMES pants à la « manif pour tous ». C'est frappé à mort à Paris : la marque de Ce que Jean-Yves Camus semble ne le sens du titre « Les politiques contre l’extrême-droite ». Le même quotidien pas prendre en compte, c’est la mul- l'amalgame » de Libération, le 7 juin, constate chez les hommes politiques tiplication d’agressions de rue envers article qui recense les dénonciations la « multiplication des appels à dis- non seulement des militants d’ex- outragées d'hommes politiques de soudre les groupes ultras ». Pourtant, trême-gauche, mais aussi contre des droite et de membres du Printemps l’heure n’est pas à une analyse de la militants de gauche, des progressistes, français, celui-là même qui reçoit le situation ayant permis un tel acte, mais des communistes, des homosexuels, soutien inconditionnel du GUD ou des bien, pour certains analystes, au déni de la part des militants de ces grou- Identitaires, de l'amalgame (...) igno- pur et simple du contexte politique puscules qui sévissent partout en ble avec la Manif pour tous. actuel. On lit sur Le Figaro.fr sous la France, et en particulier à Lyon. plume de Jean-Yves Camus, spécia- Pourtant, la mise dos à dos des L'ÉVIDENCE PREMIÈRE DE LA liste de l’extrême-droite qu’ « il y a extrêmes se poursuit, d'abord avec la DISSOLUTION DES GROUPUSCULES toujours eu des violences entre les remarque de Jean-François Coppé qui D'EXTRÊME-DROITE groupes extrémistes » et que des réclame « la dissolution des groupus- Par ailleurs, après l'évidence première affrontements entre militants d’ex- cules d'extrême-droite comme d'ex- de la dissolution des groupuscules trême-gauche ont lieu régulièrement ». trême-gauche », mais aussi par cer- d'extrême-droite, un second temps Le même jour, sur NouvelObs.com, tains média qui, à leur tour, semble dévolu, dans les semaines qui l’analyste remarque « prudemment » s'interrogent à ce sujet : Jean-Yves suivent la mort de Clément Méric, au que « les faits sont trop graves pour Camus, toujours à propos du 1er mai, retour de la dédiabolisation de ces tirer des conclusions dès ce matin. Des ose la comparaison entre le défilé des groupes, avec l'idée que la dissolution

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ne résoudrait rien. Et c'est l'éternel transformer Clément Méric en coupa- médiatique du meurtre, à savoir : retour au statu quo, au scepticisme, ble. Sans compter les occurrences - le brusque mais éphémère réveil des et à la stagnation quant à ces ques- nombreuses d'une supposée provo- média sur cette affaire en particulier, tions. Nombreux sont les journalistes, cation de Clément Méric, RTL trans- lorsqu’une force politique comme le et mêmes sociologues et « analystes » forme l'auteur du meurtre en victime. Parti communiste français ne cesse de l'extrême-droite, qui s'interrogent Sur les images de la caméra de la RATP depuis longtemps de mettre en garde sur le bien-fondé des procédures prétendument analysées comme telles contre la multiplication des agressions contradictoires de dissolution des grou- par la police « on voit notamment, pen- de la part des groupuscules d'extrême puscules d'extrême-droite lancées par dant une bagarre générale, le jeune droite fondées sur des critères d'ap- le gouvernement dès le 11 juin. Dans militant d'extrême gauche se précipi- partenance politique et racial ; Le Monde, ce jour-là, on peut lire que ter dans le dos d'Esteban Morillo [...] - la comparaison douteuse de groupes « la dissolution de ces groupes d'ex- pour lui assener un coup [...]. Ces d'extrême droite dont les pratiques et trême droite doit répondre à des cri- images montrent un Clément Méric les discours sont fondamentalement tères parfois difficiles à définir et ne provocateur et confortent la thèse du différents de ceux de militants pro- constitue pas une solution à long terme juge sur une mort accidentelle à la gressistes et antifascistes ; [...] Autre écueil : la création d'un nou- suite de coups donnés ». Le même - le recul que constitue le doute quant veau groupe ». D'autres encore jour, Le Point titre que « Clément Méric à la dissolution des groupuscules d'ex- arguent du fait que la dissolution n'em- voulait vraiment en découdre » et trême droite ; pêchera pas la poursuite de la violence récolte des témoignages concernant - la transformation de Clément Méric de la part des individus ayant appar- la « haine » de Clément Méric contre en agresseur, ce qui n'est pas sans lien tenu à ces groupes : « la dissolution la personne d'Esteban Morillo : « les avec le véritable amalgame pointé plus ne change pas les idées et les enga- vraies raisons de la bagarre qui a haut. Tous ces aspects montrent l'ab- 51 gements de ces membres », lit-on dans abouti, jeudi 6 juin au soir, à la mort sence d'une analyse de fond illustrée L'Express, qui titre le 7 juin « Mort de de Clément Méric sont en train de par un détachement du politique de Clément : dissoudre les groupuscules s'éclaircir ». De la même façon, le 7 la politique. De sorte que rares sont d'extrême droite, fausse bonne idée ?» juin, Serge Ayoub, leader des les analyses qui mettent en cause la et cite le sociologue Sylvain Crépon à Jeunesses nationalistes révolution- politique menée qui rend possible un ce propos : « ces groupuscules réémer- naires, était invité sur I-télé pour qua- terreau favorable à ce genre de tra- gent toujours sous une nouvelle lifier Clément Méric d'agresseur et gédie. La banalisation des propos du forme ». Si Erwan Lecoeur la consi- l'acte des auteurs de l'agression de FN se perpétue, Marine Le Pen étant dère comme « un outillage politique « légitime défense ». Dans la même placée sur le même plan que les autres et juridique important », lui même veine s’inscrivent les réactions à l’ar- politiciens. Le Monde du 7 juin 2013, pense « qu'interdire ces groupes ne restation et la condamnation à deux au milieu du recensement des réac- change pas fondamentalement les mois de prison ferme d’un militant tions choquées d'hommes politiques choses ». Le politologue Jean-Yves anti-mariage homosexuel à la suite de de droite comme de gauche, cite ses Camus lui est tout bonnement caté- la manifestation du 16 juin. En effet, propos à ce sujet : « s'il est démontré gorique : « Quant à savoir si les inter- le 27 juin, Valeurs Actuelles reprend que ces groupements donnent des ins- dictions résoudraient le problème, les expressions des défenseurs de tructions de violence à leurs membres, non ». Le journaliste de l'Express « Nicolas, prisonnier politique » et alors la mesure peut être envisagée ». résume bien l'état d'esprit dans lequel parle de « répression » en notant que Mais un mois après la mort de Clément lui-même est impliqué : « Pour l'heure, « la disproportion frappe, notamment Méric, les idées d’extrême droite ont Matignon préfère prendre son temps avec les Femen ou les militants d’ex- plus que jamais besoin d’être combat- et laisser l'émotion retomber ». « La trême gauche, souvent authentique- tues, afin qu’elles n’aient pas encore simple dissolution ne peut suffire à ment violents ceux-ci », tandis que Le à démontrer qu’elles sont capables de régler le problème » a déclaré sur I- Figaro magazine raconte de manière tuer. n Télé Najat Vallaud-Belkacem. Peut-on larmoyante « la vie en prison de cependant se dispenser de la dissolu- Nicolas, l’anti-mariage gay ». Erratum : La précédente rubrique Revue tion au point de la nommer « fausse des média « Le combat contre le bonne idée »? Rien n'est moins sûr. UN DÉTACHEMENT DU POLITIQUE DE LA mariage pour tous, porte d’entrée du Ce qui semble certain, c'est, en tout POLITIQUE “Printemps français“ » était de Caroline cas, le retour de la banalisation et le En bref, tout le monde s'accorde à dire Haine et non d’ Anthony Maranghi comme déni de l'urgence d'une telle mesure. que l'assassinat est politique. Toutefois, nous l’avions indiqué. En effet, certains média, ne se sont les quelques aspects que nous avons pas privés de pousser le vice jusqu'à cru pouvoir dégager du traitement

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CRITIQUES Chaque mois, des chercheurs, des étudiants vous présentent des livres, des revues...

Le local du Parti

sévères vis-à-vis du PCF. C’est le cas dans la contribution À propos de : de Nicolas Bué et Fabien Desage qui montrent comment, après s’être vigoureusement opposés au développement Les territoires du communisme. Élus de l’échelon intercommunal, en pointant non sans jus- locaux, politiques publiques et tesse ses potentialités dépolitisantes, les élus et respon- sociabilités militantes, sables communistes s’y sont finalement ralliés après avoir perçu, sans mauvais jeu de mot, le parti qu’ils pouvaient Armand Colin, 2013 en tirer. L’article conclusif de Julian Mischi est lui aussi cri- EMMANUEL BELLANGER, JULIAN MISCHI (DIR.), tique. Il met en évidence la réorganisation du PCF autour de l’échelon local au cours des décennies 1980 et 1990 et PAR IGOR MARTINACHE la rupture notamment avec le primat des cellules d’entre- Les responsables du Parti communiste français (PCF) n’ont prise. L’organisation de l’appareil partisan est alors cal- jamais réellement fait leur l’expression de « communisme quée sur le maillage administratif officiel que le PCF avait municipal », tant par souci de promouvoir une approche pourtant longtemps sciemment ignoré au profit de politique globale privilégiant l’échelon national, sinon inter- logiques sociales et militantes. Si l’on suit l’auteur, cette national, que par celui d’éviter la constitution de « fiefs per- réorganisation fait du PCF un parti d’élus, à l’instar de 526 sonnels » que résume la dénonciation du « crétinisme muni- l’UMP ou du Parti Socialiste, à propos duquel Rémi cipal » par Étienne Fajon dès 1945. Et pourtant, force est de Lefebvre et Frédéric Sawicki avaient déjà mis en évidence constater que jusqu’à présent, c’est sans doute à cette échelle le lien entre d’une part le glissement idéologique des der- que se fait le plus sentir l’empreinte communiste sur la nières décennies et d’autre part la rétractation de l’appa- société française. Ou plutôt les empreintes, car les expé- reil partisan et en particulier l’éviction des militants popu- riencesLIRE sont très diverses d’une municipalité à l’autre. Le laires. S’il est bien évidemment permis, et même nécessaire, contexte socio-économique comme les évolutions de la de mettre en débat les interprétations proposées ici, c’est configuration et des sociabilités militantes locales influent, aussi à une (auto-)critique constructive qu’elles invitent. en effet, grandement sur la place et l’action des commu- Mais plus largement encore, elles montrent bien com- nistes d’un territoire donné. L’étiquette de « banlieue rouge » ment les transformations du PCF ne tiennent pas seule- tend à dissimuler cette diversité, en même temps que l’im- ment à des facteurs endogènes : elles relèvent aussi de plantation forte du parti dans certaines zones rurales, ainsi celles qui traversent l’action publique et le rapport des que l’avait déjà bien montré le sociologue Julian Mischi en citoyens à la politique et au militantisme au sens large. comparant l’implantation communiste dans le bassin Les contradictions qui les traversent n’épargnent pas le industriel de Saint-Nazaire, dans la région grenobloise et PCF. Celui-ci s’assimile en effet moins que jamais à l’image dans le bocage bourbonnais (Servir la classe ouvrière, Presses de contre-société que certains lui ont attachée, en raison universitaires de Rennes, 2009). C’est justement Julian de ses multiples organisations « satellites » encadrant lar- Mischi qui coordonne avec l’historien Emmanuel Bellanger gement la vie quotidienne de ses adhérents. C’est à l’une cet ouvrage collectif, lui-même tiré d’un colloque organisé de ces organisations, la trop méconnue Confédération en décembre 2009. L’ouvrage entend s’inscrire dans un tri- nationale des locataires créée en 1916, que s’intéresse ple renouvellement de la recherche : le dépassement tout Sébastien Jolis, qui en retrace les oscillations en matière d’abord des frontières disciplinaires académiques consti- d’autonomie vis-à-vis du PCF. Une autonomisation long- tuées, en faisant dialoguer politistes, historiens et socio- temps sous un contrôle étroit de l’appareil partisan, au logues, la promotion d’une approche localisée du politique, moins jusqu’aux années 1970, à l’instar de celle des élus attentive donc aux formes de sociabilité et de politisation municipaux qu’analyse pour sa part Paul Boulland pour les plus fines, à rebours d’une « vision surplombante ou les deux décennies suivant la Libération à travers le cas abstraite », et enfin le renouvellement des études consa- de la banlieue parisienne. Emmanuel Bellanger montre crées au PCF, formation partisane qui a sans doute fait cou- quant à lui comment, du fait de la rétivité originelle de ler le plus d’encre dans l’hexagone, afin notamment de sai- l’appareil à l’égard du pouvoir municipal, les élus de la sir quelques éléments de son « déclin », que d’aucuns – dont petite couronne entourant la capitale y ont déployé un les animateurs du Projet et de cette revue évidemment ! – réformisme « officieux » mais néanmoins d’une longévité ne veulent pas considérer comme inéluctable. Les ana- souvent remarquable. Pris dans une tension entre une lyses développées peuvent à bien des endroits apparaître radicalité subversive affichée et une pratique cédant aux

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compromis et à une certaine normalisation dans les tants d’Ivry-sur-Seine, emblème s’il en est de la banlieue manières d’administrer, les communistes agissent aussi rouge et dirigée sans discontinuer – exception faite évi- parfois comme aiguillons lorsqu’ils ne dirigent pas direc- demment de la Seconde Guerre mondiale – par le PCF tement l’exécutif. C’est le cas à Roubaix, bastion du socia- depuis 1925, tandis que Jean-Luc Deshayes montre les dif- lisme municipal analysé par Rémi Lefèbvre. Cette contra- ficultés rencontrées par les communistes de Longwy, ville diction entre vélléités d’administrer autrement et symbolique, elle, du bassin sidérurgique lorrain, face à la banalisation traverse également la gestion de l’emploi désindustrialisation de la région, oscillant notamment entre municipal, comme le suggère Emilie Biland à travers l’étude actions « offensives » et « défensives » à côté des acteurs du cas d’une commune bretonne de 15 000 habitants associatifs locaux. Rédigé par des chercheurs, cet ouvrage depuis les années 1970. Elle met en évidence le passage n’est cependant pas réservé à ces derniers. Ses auteurs évi- d’un encadrement personnalisé et protecteur des agents tent le jargon de leurs disciplines respectives et pointent municipaux vers une gestion de leur recrutement et de suffisamment d’enjeux qui concernent le PCF tout en en l’encadrement qui traverse l’ensemble de la fonction dépassant son seul cas, pour encourager son appropria- publique, notamment territoriale. Parmi les autres contra- tion par les militants et les publics intéressés. Ils n’échap- dictions analysées par les contributeurs, on peut égale- pent cependant pas à la contradiction qu’ils pointent entre ment évoquer, en matière de « peuplement », c’est-à-dire l’échelon local et le discours général : il leur est difficile de de politiques visant à maîtriser la composition sociale des rendre compte de dynamiques globales tout en restant populations occupant différentes parties de la ville, le attentif à la diversité des contextes locaux. Cela rend leurs dilemme entre la promotion de l’habitat ouvrier et la reva- analyses et les généralisations qu’ils en tirent sujettes à dis- lorisation du territoire urbain passant par l’attraction de cussion. Espérons donc que cet ouvrage alimentera les catégories mieux dotées. C’est ce qu’illustre Violaine Girard débats au sein des cellules et des sections. Autrement dit, à travers le cas de la municipalité de Pierre-Bénite dans le au niveau...local ! n voisinage immédiat de Lyon. A contrario, le peuplement peut aussi influer fortement sur les politiques et prises de position de la section et des élus locaux, comme le mon- tre de son côté Françoise de Barros en comparant les Pour aller plus loin… 53 manières très contrastées dont les communistes ont traité Les réseaux du Parti Socialiste, la guerre d’Algérie à Roubaix, et Champigny au • Frédéric Sawicki, Paris, Belin, 1997 moment de cette dernière, selon qu’ils étaient ou non inclus • Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki, La société des dans la majorité municipale, mais aussi suivant la pré- socialistes, édition du Croquant, 2006 sence plus ou moins grande de migrants algériens parmi • Julian Mischi, Servir la classe ouvrière, Presses leurs habitants. Autre rapport complexe à l’indépendance, Universitaires de Rennes, 2009 celui du Parti communiste calédonien dont le rôle moteur • Bernard Pudal, Un monde défait, éditions du dans la remise en cause des rapports coloniaux est ana- Croquant, 2009 lysé par Benoît Trépied durant les décennies 1920, 1930 et • Benoît Trépied, Une mairie dans la France coloniale. 1940. David Gouard analyse pour sa part les transforma- Koné, Nouvelle-Calédonie, Paris, Karthala, 2010 tions du sens de l’affiliation communiste pour les habi-

L’histoire contemporaine toujours la période des années trente et de l’Occupation et qui sont assortis de 332 notes. sous influence Dans le 1er chapitre, Annie Lacroix-Riz met en évidence la Delga-Le Temps des Cerises, conversion des intellectuels à l’antisoviétisme dans le sillage 2012 d’auteurs comme François Furet ou Stéphane Courtois. La vulgate pointant les « excès » de la Révolution française, éta- ANNIE LACROIX-RIZ blissant une filiation entre Terreur révolutionnaire et bolche- visme, assimilant nazisme et stalinisme autour du concept PAR SÉVERINE CHARRET de totalitarisme s’est ainsi peu à peu imposée. Les tenants Réédition refondée et enrichie de l’es- de ces thèses, qui s’inscrivent dans une offensive idéologique sai paru en 2004, cet ouvrage d’Annie de défense du capitalisme et du projet européen, sont sou- Lacroix-Riz dénonce les difficultés tenus par les institutions officielles (ainsi François Furet, chef auxquelles est confrontée l’histoire de file des cérémonies du bicentenaire de la Révolution fran- contemporaine : tendance croissante çaise), les média, le monde de l’édition (avec les difficultés aux financements extérieurs au détriment de l’indépendance d’auteurs comme Eric Hobsbawm pour être traduits). Leurs des historiens, accès restreint et inégal aux archives (publiques ouvrages sont aussi abondamment relayés dans l’enseigne- ou privées), mutation idéologique et liquidation de la réfé- ment via les bibliographies des concours ou les programmes rence au marxisme. Autant de points qui sont ensuite déve- du secondaire. Depuis les années 1980, l’histoire économique loppés et illustrés par des exemples principalement pris dans et sociale, celle des rapports sociaux, de la lutte des classes

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CRITIQUES

a progressivement disparu au profit d’une histoire des repré- domination. Seulement, il faudrait désormais leur reconnaî- sentations. tre un rôle subordonné et réserver une priorité méthodolo- Le 2e chapitre montre la promiscuité croissante entre his- gique à l'idée d' « aliénation objective ». toire et grandes entreprises et en décrit les formes : finance- Allons directement aux implications stratégiques de ce chan- ment d’ouvrages par des sociétés privées, accès (contrôlé) gement de perspective. Si le capitalisme n'est pas en premier aux archives d’entreprises, commandes de travaux sur l’his- lieu exploitation, mais tendance à l'expansion au détriment toire d’entreprises, remise de prix par des jurys rassemblant de la vie sociale, alors les perspectives politiques se renou- historiens et patrons… Annie Lacroix-Riz pointe alors les vellent. La question de la propriété et de la gestion des moyens dérives de cette « Business Story». Elle souligne avant tout les de production n'est plus l'alpha et l'oméga du programme dangers d’une histoire « aux ordres des bailleurs de fonds » post-capitaliste. Stéphane Haber envisage trois grands types qui exercent des pressions pour que les ouvrages soient de transformations à mener de front pour dépasser l'aliéna- conformes à leurs vœux, en passant notamment sous silence tion objective. Des transformations sociales-démocrates, au la collaboration économique. Pendant ce temps les rares his- niveau macroscopique, de régulation et de redistribution toriens critiques sont de plus en plus isolés, censurés, dis- assurés par des États. Des transformations socialistes, au crédités sans qu’il leur soit possible de répliquer. niveau microéconomique, conduisant « à la mise en place Le 3e chapitre étudie l’influence des institutions sur l’histoire. de modes alternatifs de production, de répartition et de Annie Lacroix-Riz y montre que les commissions, financées consommation ». Enfin, des transformations communistes par l’État ou l’Union européenne, véhiculent une vision favo- visant l'arrêt de la course au profit et à la productivité en amé- rable à la construction européenne, qu’elles ont aussi nageant des espaces soustraits à l'auto-reproduction élargie dédouané l’Église de sa compromission avec les criminels du capital (par exemple des espaces de gratuité). de guerre nazis (affaire Touvier) ou atténué la responsabilité Là encore, l'idée communiste fait retour ; mais sans emphase de Vichy dans la persécution des juifs. Sous couvert d’his- et concrètement. toire, ces commissions répondent en fait à des impératifs politiques. Dans l’épilogue, Annie Lacroix-Riz revient sur la tentative de réhabilitation de Louis Renault menée par ses Sociologie de héritiers avec la complicité d’historiens. l'homosexualité 546 Cet essai a le grand mérite de montrer l’offensive du patro- La Découverte, 2013 nat sur l’histoire et la pression (notamment financière) qu’il exerce sur les historiens, en lien avec la précarisation de la SÉBASTIEN CHAUVIN ET recherche, et d’en dénoncer les conséquences : l’effacement ARNAUD LERCH de l’histoire du mouvement ouvrier et d’une histoire pro- PAR IGOR MARTINACHE gressiste. À cela, Annie Lacroix-Riz oppose une méthode : le recours aux archives dont l’accès doit être garanti à tous les Devant la cascade de stupidités historiens. crasses proférées par les adversaires du mariage pour tous – mais aussi par certains de ses parti- sans –, à l'égard de ceux qui dérogent à la norme hétéro- Penser le sexuelle dominante, voici un petit ouvrage qui tombe à pic. néocapitalisme, Sociologues, ses deux auteurs proposent une synthèse des Vie, aliénation, capital différentes recherches en sciences sociales consacrées aux personnes et pratiques étiquetées comme homosexuelles. Les prairies ordinaires, 2013. « Étiquetées », puisque cette catégorie n'a de sens que dans STÉPHANE HABER les interactions impliquant l'ensemble de la population et parce qu'elle recouvre des réalités très diverses et évolutives PAR FLORIAN GULLI dans le temps et l'espace, de même d'ailleurs que celle d' « homophobes » comme le font remarquer fort à propos les L’ouvrage tente d'identifier les auteurs. Ces travaux permettent ainsi de dissiper bon nom- concepts fondamentaux les plus pertinents pour compren- bre d'idées reçues courant sur le compte des gays et les- dre le capitalisme contemporain. Pour Stéphane Haber, c'est biennes, comme celle, chère aux spécialistes du marketing, la catégorie d'« aliénation objective » qui semble la plus inté- qui voudrait que ces derniers présentent un pouvoir d'achat ressante. L'aliénation objective désigne le fait que certaines supérieur aux hétérosexuels. Plus profondément, ils mon- forces sociales, certaines institutions, l'argent et la technique trent aussi comment les « homosexuels » viennent, à l'instar notamment, se détachent franchement du monde social, et d'autres populations considérées comme déviantes, inter- se mettent à fonctionner de façon autonome en endomma- roger l'évidence des modes de vie et des relations affectives geant très souvent (mais pas toujours) le monde de la vie. Ce dominantes et ce faisant agissent comme un révélateur de fonctionnement spécifique est un impératif d'expansion, nos sociétés et de leurs transformations. Car s'il est une chose livrant ces « objectivités détachées » à un accroissement sans que semblent avoir compris les manifestants anti-mariage fin s'opérant bien souvent au détriment de la vie sociale. pour tous, c’est que loin de se cantonner à une affaire pri- Cette perspective n'est pas exclusive. Il n'est pas question de vée, la sexualité représente bien une question éminemment renoncer par exemple aux catégories d'exploitation et de culturelle, au croisement des rapports de genre, de classe et

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« ethniques », et ainsi profondément politique. Une partie constitutionnalisation de droits politiques, sociaux et envi- de l'ouvrage est d'ailleurs consacrée aux mouvements poli- ronnementaux étendus. L’oligarchie a, pour l’instant, réussi tiques et associatifs qui ont lutté pour défendre les droits des à mettre en échec l’adoption de cette constitution. Il n’en homosexuels : un combat loin d'être terminé, en France reste pas moins qu’elle éclaire la capacité citoyenne à inter- comme ailleurs. venir dans la gestion des affaires de la cité.

La révolution des casseroles L’oubli de la raison Chronique d’une nouvelle Delga, 2013 constitution pour l’Islande JUAN JOSÉ SEBRELI

La Contre Allée, 2012 PAR ELIAS DUPARC JÉRÔME SKALSKI Quel est ce mystérieux fil rouge entre PAR PATRICK COULON Schopenhauer, Dostoïevski, Nietzsche, Heidegger, Freud, Lévi- L’auteur, journaliste, reporter à Strauss, et jusqu’à Lacan, Barthes, l’Humanité rend compte de la Deleuze, Foucault, Althusser, Derrida ? L’oubli de la raison. « Révolution des casseroles » en C’est le titre du livre remarquable de Juan José Sebreli, phi- Islande. Suite au déclenchement de la losophe proche du marxisme et cofondateur du Front de crise financière internationale à l'automne 2008, l'Islande a libération homosexuel argentin. Pour lui, la volte-face obs- choisi de tourner le dos à la « doctrine d’austérité » qui forme curantiste trouve son origine dans le premier mouvement actuellement le lieu commun dominant des politiques de de contestation de l’idéal des Lumières : le romantisme alle- gestion de l'après crise. Passée du statut de laboratoire de la mand. Là où les philosophes vantaient le progrès par la rai- finance triomphante (on parla du Tigre nordique !) à celui son, les romantiques ont en effet préféré s’envoler dans les du symbole de sa déroute, l'île fut tout d'abord l'objet d’un brumes de la sentimentalité. Pour eux, le moteur des socié- mouvement de protestations aux conséquences inatten- tés n’est pas la science ni la démocratie, mais l’art comme 55 dues. La presse internationale s'enflamma. On parla bien- repli individualiste et l’âme comme destin mélancolique. tôt d'une « Révolution des casseroles » pour décrire les évé- Dès lors, il ne s’agit guère de promouvoir ce qui unit les nements qui s’y déroulèrent et qui aboutirent, en quelques hommes, l’universalité, mais au contraire tout ce qui les semaines, à la démission de son gouvernement et à l'antici- sépare : « la nationalité, l’ethnie, la race, la religion, le folklore, pation d'élections législatives qui virent arriver au pouvoir les arts populaires, les coutumes, le singulier intransmissi- une gauche, armée d'ambitions réformatrices radicales sous ble de chaque communauté ». Et ce projet sera inlassable- la pression de la société civile islandaise. Le cœur de cette ment approfondi par toute une brochette de penseurs, avec chronique, de cette enquête journalistique est un aperçu la complicité active des bourgeoisies, trop heureuses que des synoptique du processus d’élaboration collectif de la artistes et des philosophes travaillent à la mise en sommeil Proposition pour une nouvelle constitution pour la République de l’aspiration des peuples à l’égalité. Le texte de Sebreli est d’Islande. Certes l’obstruction politique des partis de l’oli- un génial « jeu de massacre », d’autant plus salutaire qu’ils garchie islandaise a repoussé sa ratification par un référen- sont nombreux ceux qui, tout en se prétendant révolution- dum. Mais comme le fait malicieusement remarquer l’au- naires, ont repris le flambeau irrationaliste ! L’abordage de la teur : « Le peuple islandais est féru du jeu d’échec. Les grandes gauche par les nietzschéens et leurs épigones individualistes parties durent longtemps. » Produite par la société civile islan- et libéraux n’est-elle pas l’une des causes de la situation poli- daise, la proposition de nouvelle constitution s’affirme dans tique présente ? Voilà pourquoi, malgré quelques coquilles, son mode d’élaboration, sa forme et son contenu comme la lecture de L’oubli de la raison est jubilatoire : en ce que une constitution d’un genre inédit. Le lecteur pourra suivre l’essai dynamite (pour de vrai, cette fois-ci) l’interminable pas à pas le jaillissement de l’idée à partir de la bien nom- cortège de ces idoles, à commencer par celle qui revendiqua mée Fourmilière (groupe d’organisations issues de la société la première, faussement, pareille subversion : Nietzche. Les civile) les premiers travaux, la reprise de l’idée par le gouver- adorateurs de l’auteur d’Ainsi parlait Zarathoustra ne se nement s’associant à la démarche. Une loi est votée, elle défi- remettront que difficilement de la lecture de Sebreli, surtout nit les conditions et les modalités d’élection d’une assem- ceux qui voudraient concilier cette affiliation avec un enga- blée de 25 à 31 membres issus de la société civile qui doit se gement progressiste. Quant à Heidegger, matrice d’une grande réunir dans le but de réviser la constitution de la République. partie de la gauche philosophique du XXe siècle, le voilà dévoilé On y verra aussi, à travers la description du processus, la comme nazi fanatique et comme sordide « lieutenant du bataille acharnée de l’oligarchie pour mettre en échec cette néant ». Inutile d’aborder ici les réserves que chacun pourra mobilisation. L’enjeu est décisif surtout quand on voit les formuler à l’encontre de tel ou tel passage : pour les précieux conclusions, les sujétions surgissant de ce bouillonnement éclaircissements qu’il apporte, le livre de Sebreli, d’une lim- participatif et citoyen : l’affirmation de la propriété collective pidité prodigieuse (ce qui, philosophiquement, a du sens), des ressources naturelles de la nation, l’introduction de l’ini- doit être mis entre toutes les mains. tiative populaire dans l’élaboration de ses lois ainsi que la

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COMITÉ DE PILOTAGE DU PROJET Pierre Laurent Isabelle De Almeida Marc Brynhole, Olivier Dartigolles, Secrétaire national du PCF Responsable nationale Jean-Luc Gibelin, Isabelle Lorand, Responsable national adjointe du projet & du projet Alain Obadia, Véronique Sandoval.

LES RESPONSABLES THÉMATIQUES AGRICULTURE, PÊCHE, FORÊT ÉCONOMIE ET FINANCES RÉPUBLIQUE, DÉMOCRATIE ET INSTITUTIONS Xavier Compain Yves Dimicoli Pierre Dhareville [email protected] [email protected] Réformes institutionnelles - Collectivités locales [email protected]

Catherine Mills Annie Mazet Économie et politique Laïcité et croyants CULTURE [email protected] [email protected] Alain Hayot [email protected] Fabien Guillaud Bataille ÉDUCATION Sécurité, police [email protected] Marine Roussillon [email protected] Jean-François Tealdi Nicole Borvo Cohen-Seat Média et communication Institutions, justice [email protected] [email protected] ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR - RECHERCHE Anne Mesliand DROITS ET LIBERTÉS [email protected] SANTÉ, PROTECTION SOCIALE Fabienne Haloui Jean-Luc Gibelin Droits des personnes et libertés - Protection sociale - Retraites et retraités Migrants - Racisme et discriminations Autonomie, handicap - Petite enfance, [email protected] JEUNESSE famille [email protected] Isabelle De Almeida [email protected] Ian Brossat SPORT LGBT [email protected] Nicolas Bonnet [email protected] MOUVEMENT DU MONDE Jacques Fath [email protected] DROITS DES FEMMES ET FÉMINISME Laurence Cohen TRAVAIL, EMPLOI [email protected] Véronique Sandoval PRODUCTION, INDUSTRIE ET SERVICES Travail - Droit du travail - Chômage, Alain Obadia Emploi - Formation, insertion - Pauvreté Industrie - Services publics [email protected] [email protected] ÉCOLOGIE VILLE, RURALITÉ, AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE Hervé Bramy Yann Le Pollotec Isabelle Lorand Environnement Révolution numérique [email protected] [email protected] [email protected]

Pierre Mathieu Sylvie Mayer Stéphane Peu Transports Économie sociale et solidaire Logement [email protected] [email protected] [email protected]

PROJET EUROPÉEN Pascal Bagnarol Valérie Goncalves Ruralité Énergie Patrick Le Hyaric [email protected] [email protected] [email protected]

L’ÉQUIPE DE LA REVUE

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