Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest Anjou. Maine. Poitou-Charente. Touraine

121-4 | 2014 Varia

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/abpo/2856 DOI : 10.4000/abpo.2856 ISBN : 978-2-7535-3977-8 ISSN : 2108-6443

Éditeur Presses universitaires de Rennes

Édition imprimée Date de publication : 15 décembre 2014 ISBN : 978-2-7535-3975-4 ISSN : 0399-0826

Référence électronique Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 121-4 | 2014 [En ligne], mis en ligne le 15 décembre 2016, consulté le 16 avril 2021. URL : http://journals.openedition.org/abpo/2856 ; DOI : https://doi.org/ 10.4000/abpo.2856

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© Presses universitaires de Rennes 1

SOMMAIRE

Quelques enseignes de pèlerins et des moules de production de petits objets en plomb découverts à Rennes Françoise Labaune-Jean

Chrétien de Troyes et la tentation des Plantagenêts : une fête de couronnement royal à Nantes (1169) Amaury Chauou

Les ports, havres et rivières navigables de Normandie dans l’enquête des amirautés de 1665 Édouard Delobette

Du réseau au maillage administratif, la construction territoriale des subdélégations bretonnes de 1689 à 1789 Sébastien Didier

Conflictualité et transgressions matrimoniales dans la population militaire du royaume de Galice (1768-1832) Alfredo Martín García

L’épreuve de chant au certificat d’études en Bretagne sous l’Occupation Cécile Vendramini et Jean-Pierre Rivenc

Élaboration et évolution du discours touristique sur un espace rural : l’exemple du Marais breton Johan Vincent

Comptes rendus

Alain Valais, L’habitat rural au Moyen Âge dans le Nord-Ouest de la Daniel Pichot

Robert Favreau, Poitiers, de Jean de Berry à Charles VII Registres de délibérations du corps de ville n° 1, 2 et 3 (1412-1448) Michel Bouchaca

Jonathan Dumont et Laure Fagnart (dir.), Georges Ier d’Amboise, 1460-1510 Une figure plurielle de la Renaissance Antoine Rivault

Philippe Haudrère, Les Français dans l’océan Indien, XVIIe-XIXe siècle Caroline Le Mao

Claudy Valin, Lequinio La loi et le Salut public Michel Biard

Jean-François Gicquel, Le juriste malgré lui ou les Dix Commandements du Droit concordataire selon Monseigneur Godefroy Brossays Saint-Marc Esquisse d’une biographie juridique Samuel Gicquel

Tudi Kernalegenn, Romain Pasquier, L’Union démocratique bretonne Un parti autonomiste dans un État unitaire Yvon Tranvouez

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Jean-Pierre Branchereau, Alain Croix, Didier Guyvarc’h et Didier Panfili (dir.), Dictionnaire des lycées publics de Bretagne Jean Le Bihan

André Sauvage, Rennes Le Blosne Du grand ensemble au vivre ensemble Gwenaëlle Legoullon

Nicolas Balzamo, Les deux cathédrales Mythe et histoire à Chartres (XIe-XXe siècle) Florian Mazel

La recherche dans les universités de l'Ouest

Liste des thèses et des mémoires de masters soutenus au cours de l’année 2013 La recherche dans les universités de l’Ouest

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Quelques enseignes de pèlerins et des moules de production de petits objets en plomb découverts à Rennes Some Pilgrim Badges and Production Moulds for Small Lead Objects Discovered in Rennes

Françoise Labaune-Jean

1 Dans le cadre de l’installation du métro-VAL à Rennes, une fouille archéologique s’est déroulée en 1998 sur l’emprise de la station Sainte-Anne. Cette opération a permis la mise au jour d’un ensemble de structures rattachées à l’occupation médiévale et moderne du secteur.

Le contexte historique

2 Après l’édification de la seconde enceinte de Rennes1, de 1421 à 1448, le faubourg se situe à proximité de la barbacane la plus septentrionale de la fortification. C’est dans le contexte d’essor urbain de la capitale bretonne au début du XIVe siècle2, qu’est fondé en 1340 l’hôpital Sainte-Anne3 sous l’impulsion de dix confréries ouvrières de Rennes. C’est également l’époque des crises démographiques provoquées par les épidémies et les famines précédant la Peste noire, qui touche la Bretagne en 1348. Cet hôpital comprend principalement une salle des malades, une chapelle et des bâtiments annexes situés à l’intérieur d’un enclos (figure 1). C’est une partie des vestiges de ces derniers qui fut appréhendée lors des fouilles de la station de la première ligne de métro.

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Figure 1 – Localisation du site et des structures mises au jour remises en contexte à partir du parcellaire ancien

(© M. Dupré, F. Labaune-Jean, Inrap)

État des connaissances sur les hôpitaux rennais

3 Avant les données archéologiques, ce sont les sources documentaires qui renfermaient les principales informations sur les établissements de santé présents à Rennes. Comme le rappelle Jean-Charles Sournia4, la ville ne semble pas bénéficier durant le Moyen Âge d’une véritable politique de santé de la part des ducs de Bretagne.

4 Un état des lieux nous donne une répartition dans divers secteurs de la ville et en dehors des murs (tableau5). Que ce soit au Moyen Âge ou au début de l’époque moderne, l’existence de ces institutions tient principalement à la volonté d’institutions religieuses ou privées d’offrir des structures d’accueil pour les plus pauvres et des hébergements temporaires pour les pèlerins. La notion sanitaire s’y greffe par voie de conséquence, mais les structures hospitalières de ces périodes ne correspondent pas aux bâtiments tels qu’on les conçoit de nos jours en tant que seuls centres de soins. L’hôpital est une œuvre de charité qui trouve son origine dans la pratique du devoir d’hospitalité. Quand on revient sur les définitions anciennes du terme, on y voit que « l’hospital » est « un lieu pieu et charitable où on reçoit les pauvres pour les soulager en leurs necessitez. » Les structures peuvent alors se classer en trois groupes suivant les activités dispensées : les établissements d’isolement pour gérer les pandémies en isolant les malades (léproseries, lazarets…), ceux de bienfaisance assurant des soins d’accompagnement (orphelinats, maisons de retraite) et les lieux d’hébergement (hospices) et d’enfermement. On peut alors les distinguer par leurs appellations : hôpital général (mendiants), hôtel-Dieu (tous les malades), Petites Maisons (fous), les Enfants rouges, de la Trinité ou du Saint-Esprit (orphelinats), Quinze-Vingts (aveugles), établissements de Saint-Jacques (pèlerins).

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5 Les historiens de ce domaine montrent que l’essor des fondations se place entre le XIe et le XIIIe siècle, en accompagnement des fortes croissances urbaines et que la multiplication des établissements intervient entre les XIe et XVe siècles6.

6 Ces hôpitaux présentent des points communs caractéristiques : l’implantation à proximité d’un axe de communication (route ou voie d’eau), d’une chapelle, d’une ou plusieurs salles communes, d’un jardin et, dans certains cas, d’un cimetière. Celui de Sainte-Anne répond à tous ces critères : une installation en sortie de ville sur le grand axe routier7 menant au nord de la région rennaise, vers Saint-Malo et Dinan, avec des structures d’accueil et un cimetière. Ce dernier a pu être partiellement abordé lors de la fouille menée en fin d’année 2013, par une équipe Inrap, dans le cadre de l’implantation de la seconde ligne de métro. Selon la classification des édifices médiévaux hospitaliers de Michel Cabal, l’établissement de Sainte-Anne entre dans le groupe de type accumulatif, avec des nefs accolées, greffées les unes aux autres selon l’espace disponible alloué.

Les données d’archives

7 Les recherches documentaires en vue de l’opération de fouilles ont été menées en amont et pendant la phase terrain par Nicolas Cozic8. Elles nous montrent qu’avant l’installation hospitalière, cet espace correspond à un tissu urbain complexe où se côtoient de la voirie, les « fossés à Gahier » ceinturant les faubourgs de Rennes à cet endroit, des constructions religieuses (église paroissiale primitive de Saint-Aubin et son cimetière), des habitats privés ainsi que des jardins avant que n’apparaisse, à la fin du XVIe siècle, la partie orientale de l’actuelle place Sainte-Anne (ancienne place du cimetière Sainte-Anne). Les données sur l’hôpital restent toutefois relativement maigres (trois liasses aux Archives municipales de Rennes) du fait de la durée de vie limitée de l’établissement et de son annexion à l’hôpital Saint-Yves dans la seconde moitié du XVIe siècle, pendant une dizaine d’années, avant qu’il ne cesse complètement de fonctionner. Les papiers le concernant ont donc été, au mieux, réunis à ceux de Saint-Yves9 ou plus souvent perdus.

8 L’étude a toutefois permis d’appréhender trois phases chronologiques sur cet espace : 1) de 1340, date de la fondation, à la fin du XVe siècle : mise en place de l’hôpital ; 2) de la fin du XVe aux environs de 1564 : son essor, son déclin puis l’arrêt de l’activité hospitalière ; 3) enfin, de 1564 jusqu’au XIXe siècle : réorganisation de l’espace et mise en place de la place.

9 La création de l’établissement de Sainte-Anne s’intègre dans un phénomène de laïcisation de l’assistance manifesté par les élites bourgeoises à partir de la fin du XIIIe siècle. Ici, sa mise en œuvre est due à l’initiative de l’abbé et de l’aumônier du monastère de Saint-Melaine, de quelques bourgeois et de dix confréries de métier10. Elle est liée à l’augmentation de la population et aux crises démographiques des premières décennies du XIVe siècle. Parmi ces notables, Jean Raberge et Perrot Chouan, possesseurs de deux propriétés contiguës près du cimetière Saint-Aubin, sont chargés, comme procureurs, de mener à bien cette construction.

10 Les documents disponibles indiquent un espace enclos dans un mur délimitant le « pourprins Sainte-Anne » avec, à l’est, l’espace cultivé de jardins et à l’ouest, auprès

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d’une chapelle hospitalière antérieure à 1455, le (ou les) bâtiment(s) sur une surface de sept mètres par vingt et un mètres11.

11 En 1460, une supplique du gardien de Sainte-Anne réclame à la ville une aide pour aider à la réparation des « mesons d’icelui hospital qui sont tous en ruine ». Les archives mentionnent bien des financements accordés en 1462 pour des travaux de reconstruction ainsi que la réalisation d’un pavage, l’année suivante, le long de l’établissement. Les campagnes de travaux continuent en 1468, ainsi que pour l’hôpital Saint-Yves, résultant d’une volonté des autorités urbaines d’agrandir les deux établissements pour offrir des structures adaptées à l’accroissement de la population urbaine de l’époque. Cette augmentation des capacités hospitalières s’avère d’actualité car des vagues d’épidémies et le conflit franco-breton sévissent.

Un important dépotoir

12 Parmi les vestiges fouillés en 1998-1999, la vaste cuve d’une buanderie, utilisée comme dépotoir avant son remblaiement définitif au milieu du XVIe siècle, est sans doute mise en place lors de ces étapes d’aménagement complémentaire. Installée dans le creusement d’une ancienne carrière médiévale, elle se compose d’un vaste espace rectangulaire de maçonnerie délimitant la réserve d’eau d’une contenance d’au moins 400 m3. Restée inachevée pour une raison inconnue, la cuve a été transformée en dépotoir, fournissant ainsi une extraordinaire quantité de matériel archéologique. Outre deux tonnes de récipients en céramique, on compte bon nombre de verres, d’écuelles et peignes en bois, de jeux de marelles gravées sur des ardoises, de déchets alimentaires, de fragments d’étoffes, etc., autant d’objets illustrant la vie quotidienne du secteur. L’ensemble présente un profil très homogène datable de la première moitié du XVIe siècle12.

Les traces d’un artisanat méconnu

13 C’est dans ce contexte qu’ont été découverts plusieurs éléments en plomb témoignant des croyances et de la ferveur des personnes accueillies dans cet ensemble hospitalier. Plusieurs moules en schiste gravé témoignent de l’artisanat du plomb. Ils sont tous réalisés à partir de petites plaques de grès armoricain au grain très fin. Cette finesse de texture permet, après un polissage soigneux, d’obtenir une surface de travail parfaitement plane, ainsi qu’une grande précision dans la gravure de la pièce à couler. La nature de la pierre est directement choisie en fonction de l’usage souhaité. Elle doit, entre autres, répondre à des critères d’abrasion et de résistance aux chocs thermiques. Ces moules sont, en cela, tout à fait similaires à des moules trouvés en contexte d’ateliers lors d’une intervention récente au Mont-Saint-Michel13.

La réalisation des pièces

14 L’artisanat du plomb repose sur un principe technique commun au travail des autres métaux. L’artisan dispose de valves de moule gravées en creux, qu’il associe de manière à couler le métal en fusion dans le négatif de l’objet ainsi constitué. Les moules découverts sont de forme rectangulaire ou plus souvent trapézoïdale. Revenant

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régulièrement, cette forme semble correspondre à un besoin particulier, inconnu pour le moment. Les objets à fondre fonctionnent ici selon un système classique nécessitant la mise en œuvre de deux valves en miroir. La complexité des objets peut, quelquefois, nécessiter des agencements plus importants de quatre à cinq pièces mâles et femelles. Les valves sont dotées de perforations traversantes et d’aménagements coniques creux. Une fois les deux pièces assemblées, du plomb est coulé dans les perforations et vient occuper le cône. Cette technique sert au maintien des deux pièces le temps de la coulée et du refroidissement, ainsi qu’à l’ajustement précis pour éviter les décalages. Celle-ci s’effectue au moyen d’un cône poursuivi par un canal de section biseautée, les deux étant aménagés à partir du côté le plus étroit du moule. Les expérimentations archéologiques montrent que ces moules étaient chauffés de manière à éviter les chocs thermiques et la prise trop rapide du métal en fusion. De taille petite à moyenne (longueur maximale comprise entre 5 et 10 cm pour une épaisseur inférieure à 1,5 cm), les plaques sont gravées en faible creux, de l’ordre de quelques millimètres. C’est l’une des spécificités de cet artisanat, reposant sur la production de fines feuilles de métal ajourées à usage varié. Les valves découvertes ici servent toutes à la production d’un seul objet par moule.

Des moules pour quelle production ?

15 Les sept valves de la place Sainte-Anne correspondent à différents objets plus ou moins identifiables (figure 2). Les deux premiers permettent la réalisation de rouelles à huit perles. La large perforation circulaire placée au centre de la rouelle sert également à l’évacuation du surplus de métal. Le troisième moule présente une ébauche assez grossière en forme de crucifix. L’irrégularité de son tracé évoque plus un travail de débutant qu’une œuvre aboutie ; la surface de la croix et une partie des extérieurs sont recouvertes de graffiti géométriques. Le moule suivant est gravé d’une pièce assez énigmatique en forme de « raquette » aplatie dont la surface est entièrement décorée de motifs losangiques ; le centre est, quant à lui, orné d’une rosace à huit branches emboîtées. L’usage d’un tel objet, une fois fondu, reste actuellement sans comparaison. Le dernier élément présente un motif en creux permettant de mouler des cercles assez larges en anneau bombé. Là encore, la destination finale reste à définir ; l’usage du calcaire pour cette pièce permet d’y voir un contre-moule ; il reste un trou à l’emplacement de la pointe du compas utilisé pour tracer la forme circulaire. L’ensemble est enfin complété par deux petits éclats de moules et deux pièces inachevées. La première de forme trapézoïdale à la surface soigneusement polie a été abandonnée avant la gravure ; il en va de même pour la seconde, qui a été recouverte de graffiti sur l’ensemble de ses faces.

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Figure 2 – Différentes valves de moule (ou essais avortés) découverts sur le site

(© M. Dupré, F. Labaune-Jean, Inrap)

Un objet énigmatique

16 Taillé dans le même type de schiste, il faut aussi signaler un fragment orné, sur toutes ses faces, de gravures difficiles à interpréter. Ce schiste ardoisier à grain très fin est de forme rectangulaire (l : 3,45 cm ; ép. : 2,7 cm ; L : 8,75 cm). Une de ses extrémités est cassée. Toutes les surfaces de ce parallélépipède ont été soigneusement polies avant d’être gravées. Les motifs profonds de 0,1 cm représentent des lettres, des idéogrammes, un blason et une rosette à six pétales incluse dans un cercle. La fonction de cet objet reste à ce jour énigmatique (figure 3).

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Figure 3 – Fragment de schiste gravé à usage énigmatique (© M. Dupré, Inrap)

(© M. Dupré, F. Labaune-Jean, Inrap)

Les productions associées

17 Plusieurs objets en plomb en rapport avec ces moules ont été recueillis lors du tamisage des remblais. Si la première rouelle en plomb d’un diamètre externe de 1,93 cm est en mauvais état de conservation (forte corrosion de la pièce), la seconde est, quant à elle, intacte (1,95 cm de diamètre). Il s’agit toutefois d’un objet inachevé, car il n’a pas été ébarbé. Aucune des deux ne fonctionne avec les valves de moules mis au jour. L’usage de ces objets est toujours débattu14 (figure 4).

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Figure 4 – Deux rouelles en plomb retrouvés dans le comblement du dépotoir

(© F. Labaune-Jean, Inrap)

18 Toujours dans le même alliage plomb-étain, il faut signaler un petit crucifix moulé (figure 5). Fabriqué à partir d’un moule à deux valves de manière à constituer un pendentif recto-verso, il a fait l’objet d’un traitement particulier : sa surface est entièrement étamée ce qui lui donne un aspect argenté. La face montre un Christ en croix grossièrement esquissé, alors que le revers est orné d’une Vierge à l’Enfant (de la même main). Les bords soudés sont décorés de petites perles accolées et de trois perles plus grosses, disposées aux angles et à l’extrémité des branches de la croix. Le système de suspension a disparu.

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Figure 5 – Petit crucifix à décor moulé en alliage étamé

(© S. Jean, F. Labaune-Jean, Inrap)

19 L’autre élément de bijouterie en plomb-étain est un petit pendentif circulaire à médaille (figure 6). Il est constitué d’un cerclage circulaire à anneau de suspension qui enserre deux petites médailles moulées en faible relief. La première montre le buste d’un évêque coiffé d’une mitre, avec ses attributs : la crosse et une clé ; la seconde médaille montre un sujet plus classique de Vierge à l’Enfant. La réalisation est l’œuvre d’une même personne, comme le montrent les personnages esquissés à grandes lignes. Cette caractéristique et la présence d’une bande de petites perles sur la bande de soudure du cerclage, permettent d’y voir le travail du même artisan que pour le crucifix15.

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Figure 6 – Pendentif en alliage plomb-étain à décor recto-verso

(©S. Jean, F. Labaune-Jean, Inrap)

Les objets liés au pèlerinage

20 Une enseigne intacte et les fragments d’une autre ont été découverts lors du tamisage du remblai comblant le dépotoir. Ces deux objets correspondent à des insignes – ou enseignes – de pèlerins. Ils ont l’apparence d’une broche que les fidèles arborent sur leurs vêtements au moyen d’une épingle ; ils sont largement répandus dans la vie quotidienne et religieuse de la fin du Moyen Âge. Tels des souvenirs en mémoire du pèlerinage effectué, les insignes sont achetés auprès de « faiseurs d’enseignes » qui installent leurs étals près des églises. Les deux enseignes de Rennes, comme les quelques milliers que nous conservons aujourd'hui dans les collections publiques et privées16, sont réalisées dans un alliage de plomb et d’étain, matériau facile à travailler et bon marché. Cette dernière particularité permet à tous les groupes de la société d’acquérir ces pièces pour témoigner de leur attachement dévotionnel à un saint ou à un sanctuaire.

21 La première enseigne se compose d’une plaque en plomb, avec un décor ajouré en faible relief (5,65 cm de hauteur ; 2,65 cm de largeur maximale ; 0,05 cm d’épaisseur) (figure 7) ; l’ardillon servant à la fixation est conservé à l’arrière. Le décor se décompose en deux registres. Dans la partie basse, on trouve deux personnages masculins, de face, portant de longues robes drapées et présentant leurs insignes ; la tête d’un troisième personnage apparaît aux pieds de deux autres. La scène est incluse dans un cercle plat sur lequel apparaissent deux inscriptions en faible relief indiquant le nom des deux personnages figurés : saint Côme et saint Damien. Une ligne de doubles cercles pointés ceinture ce bandeau sur l’extérieur. La partie supérieure montre une

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figure de Marie portant le Christ enfant ; elle se tient dans une niche architecturale décorée de perles et dont le fronton triangulaire se termine par les trois branches d’une croix perlée. Les deux piédroits portent une inscription en faible relief. Côme et Damien étaient des frères jumeaux qui pratiquaient gracieusement la médecine dans une ville de Cilicie, c’est pourquoi ils sont représentés sur l’enseigne avec des attributs médicaux : le bonnet et la robe de médecin, des instruments chirurgicaux et un pot à pharmacie.

Figure 7 – Enseigne de pèlerinage à l’effigie de Saint Côme et Saint Damien

(©S. Jean, F. Labaune-Jean, Inrap)

22 La seconde plaque de plomb fragmentée est de forme rectangulaire (figure 8). Le décor reconstitué sur deux registres montre, en partie basse, les effigies de saint Jean- Baptiste et saint Sébastien, séparés par une Vierge à l’enfant. Le registre supérieur délimité par une architecture stylisée ne conserve qu’un personnage couronné, de petite taille, vêtu d’une longue tunique et présentant devant lui une sorte de coffret.

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Figure 8 – Seconde enseigne fragmentaire mais dont l’agencement est restituable

(©S. Jean, F. Labaune-Jean, Inrap)

Les connaissances antérieures

23 Cette étude a également été l’occasion de reprendre les collections anciennes de la ville. En effet, ces deux enseignes de plomb ne sont pas les premiers insignes découverts à Rennes : au XIXe siècle, quelques pièces avaient été retirées de la Vilaine et publiées par l’archéologue Adolphe Toulmouche dans sa monumentale étude, Histoire archéologique de l’époque gallo-romaine de la ville de Rennes (1847). Excepté les objets associés au pèlerinage du Mont-Saint-Michel et à celui de Saint-Maur-des-Fossés (près de ), les autres n’avaient pas été identifiées par l’« antiquaire ». Les sanctuaires d’origine de ces enseignes ont pu enfin être retrouvés : Saint-Gilles-du-Gard et Saint-Mathurin-de- Larchant (figure 9).

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Figure 9 – Valve de moule et enseignes de pèlerinage retrouvés dans les travaux de dragage de la Vilaine au XIXe siècle

(© d’après A. Toulmouche 1847)

24 Le moule mentionné et dessiné dans l’ouvrage d’Adophe Toulmouche ne figure plus dans l’inventaire des collections du musée de Bretagne de 187617. Grâce à ces relevés, on y observe une scène riche associant, sur un même plan, les différents actes de l’archange saint Michel : la pesée des âmes et le combat du diable. Le tout compose une enseigne en forme d’écu à décor supérieur de fleurons et de têtes. Il est daté du XIVe siècle par Adophe Toulmouche mais la similitude de composition avec deux moules découverts récemment au Mont-Saint-Michel, ferait pencher plutôt vers une datation plus proche de la fin du XIVe ou du début du XVe siècle18 (figure 10).

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Figure 10 – Valves de moule à l’effigie de Saint Michel découverts au Mont-Saint-Michel lors d’une intervention archéologique Inrap en 2004-2005

(© H. Paitier, F. Labaune-Jean, Inrap)

25 On signalera également la mention en 1888, par Lucien Decombe, d’un moule en schiste ardoisier gravé (d’un Judas entraîné aux enfers ?), trouvé lors de travaux dans des terrains de la rue Rallier, ancienne porte Saint-Michel19. Envoyé à l’époque pour étude à la société des Antiquaires de France, il ne figure plus dans les collections rennaises, mais il y a de fortes raisons de penser qu’il s’agit là encore d’un moule d’enseigne.

L’artisanat du plomb étain

26 Avec ces découvertes, le site livre de nouvelles informations sur un artisanat plutôt méconnu, le matériau peu prestigieux employé n’ayant pas attiré les érudits ; il souffre également d’une pratique importante du recyclage entraînant la perte des pièces inutilisées ou des ratés de fabrication, plus simples à refondre qu’à transformer. Les structures artisanales mises au jour dans les ateliers découverts au Mont-Saint-Michel en 2004-200520 nous montrent que la mise en œuvre de cette activité ne laisse que peu de traces. En plus du recyclage, les structures de chauffe peuvent se dérouler sous un petit appentis, le mélange plomb-étain ayant un faible point de fusion. En dehors de quelques assemblages pour les objets réalisés en plusieurs coulées, les moules montois nous montrent que c’est l’économie de gestes qui est le plus souvent recherchée par les artisans. Ainsi, pour les enseignes, la plaque décorée et ses anneaux ou son épingle de fixation sont coulés en même temps au moyen d’un assemblage de trois valves, une gravée de la partie figurée et au revers, l’aménagement de l’épingle sur la tranche des deux autres. Une fois coulée et refroidie, la pièce peut passer directement sur l’étal du marchand, permettant ainsi de produire et d’écouler une large variété de produits, tant

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de piété que d’usage quotidien. Cet artisanat par sa mise en œuvre plutôt aisée peut répondre à une large gamme de besoins, compensant le faible prix de vente par une adaptation à la demande et une diffusion souvent en grande quantité.

27 Si la présence des objets en plomb, pendentifs, enseignes et rouelles dans le comblement de ce dépotoir peut facilement s’expliquer, celle des moules demeure plus énigmatique. Même si la mise en œuvre de la fabrication d’objets en plomb ne réclame pas d’infrastructures importantes, leur existence n’est bien évidemment pas suffisante pour témoigner de cet artisanat à Rennes et dans le secteur de la place Sainte-Anne, même si cette hypothèse est à envisager. On peut également imaginer la présence, parmi les malades de l’hôpital, d’un artisan graveur continuant son activité dans l’attente d’une guérison prochaine, à moins que sa présence ne soit plus mercantile avec une installation à proximité d’une clientèle potentielle. N’oublions pas non plus l’afflux de pèlerins dans ce secteur de Rennes, le culte de Notre-Dame-de-Bonne- Nouvelle se déroulant juste à proximité dans le couvent des jacobins21. Avec l’enseigne à l’effigie de saint Côme et saint Damien, vénérés pour leur pratique de la médecine et leurs guérisons miraculeuses, et celle de saint Sébastien enrayant les épidémies de peste, on peut aussi envisager un artisan lié à l’hôpital ou profitant de sa proximité comme opportunité pour écouler sa production. Quelle que soit la solution retenue, ces pièces n’en demeurent pas moins importantes. Elles sont très bien datées du premier tiers du XVIe siècle par leur association à des monnaies et des verres. Illustrant la vie quotidienne et les croyances de l’époque, tous ces souvenirs témoignent aussi de l’importance des pèlerinages à l’époque médiévale et du fort désir de rapporter une part de sacré lors de ces si populaires mouvements de piété. Nous tenons à remercier Denis Bruna, pour sa collaboration et sa contribution dans l’identification des enseignes de pèlerinage.

NOTES

1. DUBANT, Didier, « Les enceintes de Rennes », dans : « La Bretagne ducale », Histoire Médiévale, hors série n° 3, août-octobre 2003, p. 48-53. 2. Arch. mun. de Rennes, liasse 327. Acte de fondation de l’hôpital Sainte-Anne, décembre 1340. 3. L’église Saint-Aubin voisine de l’hôpital est mentionnée dès 1158 comme faisant partie des faubourgs de la cité (ecclesia sancti albini in suburbio constitua). Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 1F501/1, copie du cartulaire de Saint-Melaine, fol. 32, acte n°22. 4. SOURNIA, Jean-Charles, « Histoire des hôpitaux de Rennes », Histoire des sciences médicales, n° 7, 1973, p.181-223. Nous renvoyons à cet auteur qui s’est penché de façon

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précise, dans cet article, sur la mise en place des différentes institutions médicales de Rennes jusqu’à la mise en place de l’hôpital actuel de Pontchaillou. 5. Ne figurent pas dans cet inventaire, les établissements d’accueil comme ceux du couvent des dominicaines (dit des catherinettes), ou encore l’hospice de vieillards de l’abbaye Saint-Melaine. 6. Cf. travaux de CABAL, Michel, Hôpitaux. Corps et âmes, éd. Rempart, 2001, 165 p. et IMBERT Jean, Les hôpitaux en France, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? »,, 1966, 128 p. 7. Axe qualifié en 1368 de « grand chemin rennais » (Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 18H2, acte de fondation du couvent des jacobins, 23 avril 1368). 8. COZIC, Nicolas, « Étude des archives », dans POUILLE, Dominique, « Métro-Val, station Place Sainte-Anne », Rapport de fouilles de sauvetage, Rennes, 1998-1999, inédit. 9. Ces documents figurent aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine (H dépôt Rennes, n°1 à 550). 10. Arch. mun. de Rennes, liasse 327. Acte de fondation de l’hôpital Sainte-Anne, décembre 1340. 11. « […] des habitations qui seront faites pour ceux qui seront reçus audit hôpital », JONES, Michael, Recueil des actes de Jean IV, duc de Bretagne, Paris, Klincksieck, p. 704, n° 134, fondation du 8 février 1369. 12. Le mobilier céramique et les objets en verre ont fait l’objet de plusieurs articles ; LABAUNE-JEAN, Françoise, « Le vaisselier rennais du XVe au XVIIe siècle », dans D IETRICH, Anne, RAVOIRE, Fabienne (dir.), La cuisine et la table dans la France de la fin du Moyen Âge,Actes du congrès de Sens (Janvier 2004), Caen, Publications du Crahm, 2008, p. 411-424 ; LABAUNE-JEAN, Françoise, « Rennes, place Sainte-Anne. Aperçu du mobilier de l’hôpital », dansLE CLECH-CHARTON, Sylvie (dir.), Les établissements hospitaliers en France du Moyen Âge au XIXe siècle, Actes du colloque Espaces, objets, populations dans les établissements hospitaliers du Moyen Âge au XIXe siècle, Tonnerre 4 et 5 septembre 2008, Dijon, Éditions universitaires, 2010, p. 255-266 ; LABAUNE-JEAN, Françoise, « Le verre soufflé-moulé à partir de trois lots en contexte hospitalier, à Rennes, place Sainte-Anne (Ille-et-Vilaine, France) », dans FONTAINE-HODIAMONT, Chantal (dir.), D’Ennion au Val Saint-Lambert. Le verre soufflé-moulé. Actes des 23e Rencontres de l’Association française pour l’Archéologie du Verre, octobre 2008 (Scientia Artis, 5), Bruxelles, Institut royal du Patrimoine artistique, Scientia Artis, 2010, p. 391-396 ; LABAUNE-JEAN, Françoise, POUILLÉ, Dominique, « Un dépotoir en contexte hospitalier à Rennes, place Sainte-Anne. Aperçu du vaisselier en usage au début XVIe siècle », dans À propo(t)s de l’usage, de la production et de la circulation des terres cuites dans l’Europe du Nord-Ouest (XIVe-XVIe siècle), Actes de la table-ronde, Caen, décembre 2007. Caen, Publications du Crahm, 2011, p. 231-244 ; LABAUNE-JEAN, Françoise, Notices : « Du baume au cœur », « Pustules, bubons… et coups de soleil » et « Mange ta soupe et guéris vite ! » dans MENEZ, Yves, BERRETROT, Françoise, VENEAU, Émilie, HERRY, Nolwenn, Soyons fouilles. Découvertes archéologiques en Bretagne, (Journal d’exposition, Château de la Roche-Jagu avril – octobre 2011), La Roche-Jagu, CG 22, 2011, p. 48-49. 13. Menée sur une campagne d’hiver 2004-2005, cette fouille conduite par l’Inrap a livré un important lot de plus de 200 moules dont la publication est en cours. Une première présentation a été menée dans le cadre du colloque de Cerisy-la-Salle en 2008, consacré à l’iconographie du Mont-Saint-Michel et de l’archange. BRUNA, Denis, LABAUNE-JEAN, Françoise, « Images de l’archange saint Michel dans les moules à enseignes de

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pèlerinage récemment découverts au Mont-Saint-Michel », dans BOUET, Pierre, OTRANTO, Giorgio, VAUCHEZ, André, V INCENT, Catherine (dir.), Représentations du Mont et de l’Archange saint Michel dans la littérature et dans les arts (Rappresentazioni del Monte e dell'Archangelo san Michele nella letteratura e nelle arti), Bari, Éditions Edipuglia, 2011, p. 183-197. LABAUNE-JEAN, Françoise, « Une production d’enseignes de pèlerins au Mont Saint-Michel », Archéopage, n°18, Migrations, Paris, 2007, p. 80-81. 14. QUÉRÉ, Michel, « Étude de 88 rouelles tronconiques et d’une fusaïole provenant de la région de Saint-Genou (Indre) ». Bulletin du groupe d’histoire et d’archéologie de Buzançais, n° 24, 1992, p. 31-52 ; QUERE, Michel, « Rouelles tronconiques provenant de la région de Saint-Genou (Indre) (2e partie) ». Bulletin du groupe d’histoire et d’archéologie de Buzançais, n° 27, 1995, p. 15-33. 15. Signalons la présence, dans les découvertes du site de la cour des écoles au Mont- Saint-Michel, d’une valve servant à la fabrication des cerclages de ce type de pendentif. 16. BRUNA, Denis, « Enseignes de pèlerinage et enseignes profanes ». Catalogue des collections du Musée National des thermes de Cluny. Paris, Réunion des musées nationaux 1996, 383 p. ; BRUNA, Denis, Saints et diables au chapeau. Bijoux oubliés du Moyen Âge, Paris, Seuil, 2007. 17. ANDRÉ, Auguste, Catalogue raisonné du musée d’archéologie et de céramique et du musée lapidaire de la ville de Rennes, Seconde édition, revue et augmentée, Rennes, Imp. Leroy fils, 1876. 18. Dans un même ordre d’idée, Adolphe Toulmouche mentionne également un autre moule servant à la fabrication de grelots, vraisemblablement comparable aux exemplaires récents de la fouille de la cour des écoles au Mont-Saint-Michel, TOULMOUCHE Adolphe, Histoire archéologique de l’époque gallo-romaine de la ville de Rennes, Rennes, Deniel, 1847, p. 148 ; BRUNA Denis, LABAUNE-JEAN, Françoise, op. cit., p. 183-197.

19. DECOMBE, Lucien, « Compte rendu de séance. Exhibitions. », Bulletin de la société archéologique d’Ille-et-Vilaine, tome XVIII, Rennes, 1888, p. VI-VII.

20. LABAUNE-JEAN, Françoise, Le plomb et la pierre. Petits objets pour les pèlerins du Mont- Saint-Michel (14e-15e siècles), Caen, Publications du Cramh, à paraître. 21. Signalons que la fouille qui, menée par une équipe de l’Inrap dirigée par Gaëtan Le Cloirec, vient juste de se dérouler (fin 2011-2013) sur cet emplacement, a livré un nouveau moule en schiste trouvée dans une des sépultures mises au jour, pièce destinée à la fabrication de deux petits pendentifs losangiques à thème religieux (information inédite).

RÉSUMÉS

En 1998, le tracé de la première ligne de métro de Rennes entrainait une importante fouille archéologique sur l’actuelle place Sainte-Anne. L’occupation médiévale de ce secteur correspond à l’emplacement d’un hôpital urbain, créé au début du XVIe siècle. La richesse des structures en mobilier a été l’occasion de se pencher sur les objets en usage à Rennes, dans ce type de contexte

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particulier. Cet article porte plus particulièrement sur l’artisanat et la production de petits objets en plomb, souvent mis de côté, car touchant l’art populaire.

In 1998, the route of the first underground line in Rennes resulted in an important archaeological excavation on Sainte-Anne square. In the Middle Ages, this area was the location of an urban hospital, created at the beginning of the fourteenth century. The wealth of the furniture structures offered an opportunity to look at the objects used in Rennes in this context. This article looks in particular at the crafts and the production of small lead objects, often set aside as belonging to popular culture.

INDEX

Index géographique : Rennes Index chronologique : XVIe siècle

AUTEUR

FRANÇOISE LABAUNE-JEAN Inrap Grand Ouest (Rennes), UMR 6566

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Chrétien de Troyes et la tentation des Plantagenêts : une fête de couronnement royal à Nantes (1169) Chrétien de Troyes and the Temptation of the Plantagenets: The Royal Coronation Celebration in Nantes (1169)

Amaury Chauou

1 S’il est stimulant de chercher dans les romans de chevalerie du XIIe siècle un reflet de la société du temps, il est plus difficile d’y découvrir les échos d’événements politiques directement contemporains. En effet, plus qu'à toute autre époque peut-être, la littérature de fiction du XIIe siècle semble presque totalement dégagée de toute allusion au contexte immédiat dans lequel elle a été produite1. C'est pourquoi les nombreuses recherches pour identifier des personnages ou lieux devenus centraux dans les romans de la matière de Bretagne ont engendré des querelles inépuisables2. Ce fut le cas par exemple de la fameuse Cité des légions (Carlion ou Carduel) ou encore de sites remarquables comme celui du château de Camelot, ou du Gué Périlleux.

2 Pourtant, à la fin d'Érec et Énide, son premier roman connu, Chrétien de Troyes se livre, dans les vers 6639-6649, à une description restée célèbre d'une fête de couronnement royal qu'il situe à Nantes de façon explicite3, complétée d’une liste d’invités : « Ne je n’an voel ore plus dire, Car vers la gent li cuers me tire Qui la estoit tote asanblee De mainte diverse contree. Asez i ot contes et rois Normanz, Bretons, Escoz, IroisR, D’Eingleterre et de Cornoaille I ot mout riche baronaille, Car des Gales jusqu’an Anjo, Ne el MaineR ne an Peito N’ot chevalier de grant afeire Ne gentil dame deboneire Don les meillors et les plus gentes

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Ne fussent a la cort a Nentes Que li rois les ot toz mandez4 ».

3 La précision de cette liste est d'autant plus surprenante que jusque-là le lecteur (ou l’auditeur, puisque la lecture à haute voix était l’usage à l’époque de Chrétien de Troyes) a navigué en pleine fiction, ce qu'illustre bien l'enchaînement de la diégèse dans le roman. Érec, jeune chevalier de la cour du roi Arthur, apprend dans la compagnie de celui-ci le décès de son père, le roi Lac5. Cette circonstance l'oblige, avec l'autorisation du roi Arthur, à quitter le séjour du château arthurien de Tintagel pour gagner la cité nantaise afin de s'y faire couronner roi de Bretagne. Lors de la cérémonie, la libéralité d’Arthur6 pour honorer ses fidèles atteint des sommets : « Or oez, se vos comandez : Quant la corz fu tote asanbleeF, Einçois que tierce fust soneeF, Ot adobez li rois ArtusF Quatre cenz chevaliers et plus, Toz fils de contes et de rois : Chevax dona a chascun trois Et robes a chascun trois peire, Por ce que sa corz mialz apeire. Mout fu li rois puissanz et larges : Ne dona pas mantiax de sarges, Ne de conins ne de brunetes, Mes de samiz et d’erminetes, De veir antier et de diapres, Listez d’orfrois roides et aspres. Alixandres, qui tant conquist Que desoz lui tot le mont mist, Et tant fu larges et tant riches, Fu anvers lui povres et chiches ! Cesar, l’empereres de Rome, Et tuit li roi que l’en vos nome An diz et an chançons de geste, Ne dona tant a une feste Come li rois Artus dona Le jor que Erec corona7. »

4 La somptueuse robe d’étoffe que porte le jeune Érec lors de cette cour solennelle, minutieusement décrite par Chrétien de Troyes, souligne à elle seule le faste déployé par le roi : « Macrobe m’ansaigne a descrivre Si con je l’ai trové el livre, L’uevre del drap et le portret. Quatre fees l’avoient fet Par grant san et par grant mestrie. L’une i portraist Geometrie Si com ele esgarde et mesure Con li ciax et la terre dure, Si que de rien nule n’i faut Et puis le bas, et puis le haut, Et puis le lé, et puis le lonc, Et puis esgarde par selonc Con la mers est lee et parfonde, Et si mesure tot le monde. Ceste oevre i mist la premerainne.

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Et la seconde mist sa painne En Arimetique portraire, Si se pena de mout bien faire, Si com ele nonbre par sans Les jorz et les ores del tans, Et l’eve de mer gote a gote, Et puis la gravele trestote, Et les estoiles tire a tire. […] Tex ert l’uevre d’Arimetique. Et la tierce oevre ert de Musique, A cuit toz li deduiz s’acorde, Chanz et deschanz, et, sanz descorde, D’arpe, de rote et de vïele. Ceste oevre estoit et boene et bele, Car devant lui gisoient tuit Li estrumant et li deduit. La quarte, qui aprés ovra, A mout boene oevre recovra, Que la meillor des arz i mist: D’Astronomie s’antremist, Cele qui fet tante mervoille Et as estoiles s’an consoille Et a la lune et au soloil. En autre leu n’an prant consoil De rien qui a feire li soit. Cil la consoillent bien a droit De quanque cele les requiert […] Ceste oevre fu el drap portreite Don la robe Erec estoit feite A fil d’or ovree et tissue8. »

5 On peut se demander si le choix de Nantes comme lieu de séjour de la cour d’Arthur résulte uniquement d’une pure convention littéraire sous la plume de Chrétien de Troyes. On peut également se demander si le motif de la fête couronnée est totalement neutre. En effet, les circonstances de la rédaction de l'œuvre, de même que le contexte politique en Bretagne à l’extrême fin des années 1160, permettent d'y voir autre chose qu'un simple motif narratif.

De Chrétien de Troyes et de la cour Plantagenêt durant le XIIe siècle

6 La silhouette de Chrétien de Troyes n’apparaît que dans quelques indications fugaces qu’il a glissées dans le prologue de son Cligès9. Né en un lieu et à une date inconnus, peut-être formé comme clerc à l’ombre des écoles ecclésiastiques de Troyes, il se présente comme l'auteur d'un premier roman breton, Érec et Énide, et de traductions d'œuvres aujourd’hui perdues d'Ovide (L'Art d'amour, Les Commandements, La Morsure de l’Épaule), auxquels s’ajoutent une adaptation des Métamorphoses du poète latin ainsi qu’un récit centré sur le thème du roi Marc et d'Iseut la blonde, lui aussi perdu. Nous sont parvenus enfin deux beaux poèmes lyriques où Chrétien se met à l'école des troubadours tout en se démarquant de l'amour tristanien assimilé à un danger. On le voit, le jeune trouvère s'inscrit dans les influences dominantes de son temps : la lyrique des troubadours et de la fin’amor ; les romans de Thèbes10, d'Énéas11 et de Troie12

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véhiculant les mythes fondateurs de l'Antiquité ; la poésie d’Ovide ; et la matière de Bretagne qui glorifie le passé breton de l'Angleterre à travers le roi Arthur ou Tristan et Iseut.

7 On ne sait si Cligès a facilité l’accueil de Chrétien à la cour d’Henri de Champagne et de la comtesse Marie, mais cela n'est pas exclu. Marie de Champagne est en effet celle à qui le poète rend hommage en la présentant comme sa « dame de Chanpaigne » dans le prologue du Lancelot ou le Chevalier de la Charrette13. Par ailleurs, le même prologue nous apprend que la comtesse Marie lui aurait donné le « sen » et la « matière » du roman. L'activité littéraire de Chrétien en terre champenoise se situerait donc entre la toute fin des années 1160, après le mariage d’Henri le Libéral et de Marie de Champagne (1164), et les années 1180, soit une bonne dizaine d’années. C’est là un détail d’importance puisque Marie de Champagne n’est autre que la première fille issue du mariage d’Aliénor d'Aquitaine et du roi de France Louis VII, annulé en 1152, annulation à la suite de laquelle Aliénor put très rapidement épouser Henri II Plantagenêt.

8 Le poète a probablement quitté la cour de Champagne après le décès de son mécène, survenu en 1181, et serait alors passé à la cour de Philippe d'Alsace, comte de Flandre, décédé lors de la troisième croisade (1191). C’est d’ailleurs à ce nouveau patron qu’est dédiée la dernière grande œuvre de Chrétien, Le Conte du Graal14, laissée inachevée soit en raison de la mort de Philippe d’Alsace, soit du fait du décès du poète lui-même. Mais Chrétien séjourna suffisamment à la cour de Champagne pour que le choix de la matière arthurienne puisse en partie s’expliquer. En effet, les aventures du roi Arthur et des chevaliers de la Table ronde avaient des chances d'être bien reçues à cette cour cultivée. Elle était alors un foyer culturel à l'écoute des échos du vaste monde grâce aux grandes foires qui attiraient en Champagne conteurs, jongleurs et marchands venus des quatre coins de la chrétienté15. Il était donc tout à fait possible d'y acclimater en profondeur les exploits de la matière de Bretagne.

9 Chrétien de Troyes n'a vraisemblablement jamais rencontré les souverains Plantagenêts, aucune indication ne venant suggérer sa présence à leur cour. Cependant, les clins d’œil appuyés à l’éclat de la cour Plantagenêt ne manquent pas dans ses rimes. Générosité nobiliaire oblige, le couronnement royal d’Érec et Énide à Nantes donne lieu à des distributions de deniers d’esterlins (ou de sterling), des pièces d’argent introduites au royaume d’Angleterre sous le règne d’Henri II16. Les deux fauteuils avancés tout exprès pour le roi Arthur et pour Érec lors de la cérémonie sont faits non pas de bois sculpté mais d’ivoire et d’or fin, et possèdent deux pieds en forme de crocodiles d’un côté, de léopards de l’autre, à mettre en relation avec les armoiries de la dynastie Plantagenêt telles qu’elles figurent sur la plaque émaillée du tombeau de Geoffroy le Bel, le père d’Henri II, inhumé en la cathédrale Saint-Julien du Mans17. Au sens moral, le léopard, associé dans le bestiaire médiéval à la vaillance, symbolise bien le courage d’Érec contre le mal (le crocodile18), et résume ainsi symboliquement l’existence d’Érec. Quant au don de ces deux fabuleux fauteuils par un certain Brian des Îles19, un chevalier proche du roi Arthur et de la reine Guenièvre, il dissimule peut-être une allusion à Brian de Wallingford, alias Brian FitzCount ou encore Brian de Insula (Brian de l’Île), fils naturel du duc de Bretagne Alain Fergent (1084-1112) et solide soutien d’Henri d’Anjou (futur Henri II) et de sa mère l’impératrice Mathilde pendant la guerre civile qui les oppose au roi d’Angleterre Étienne de Blois20. Le même Brian des Îles apparaît d’ailleurs dans d’autres romans de chevalerie21.

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10 Chrétien de Troyes démontre par ailleurs une bonne connaissance de la géographie de Londres dans son Cligès, ce qui pourrait attester un voyage outre-Manche22 ; il en est de même pour l'évocation de la cité de Nantes23. Toutefois, la cour Plantagenêt de l'époque faisait suffisamment parler d'elle pour ne pas être inconnue à la cour de Champagne. En effet, vers 1169-1170, nul ne pouvait ignorer qu’Henri II Plantagenêt venait de parachever son entreprise de soumission de la Bretagne.

La mainmise d’Henri II Plantagenêt sur la Bretagne

11 Tout s’est joué dans les années 1150. Devenu maître de la France de l'Ouest grâce à son mariage avec Aliénor d'Aquitaine (1152), le prince angevin avait ensuite conquis, les armes à la main, la couronne d'Angleterre (1153-1154), devenant dès lors l’un des plus puissants princes d’Occident, maître des immenses territoires s’étendant des monts Cheviots aux Pyrénées. Certes, l’espace Plantagenêt ainsi défini formait un arc de cercle menaçant face au royaume capétien centré sur Paris24 mais, pour le duc d’Anjou devenu maître de Westminster, le duché de Bretagne représentait un maillon faible dans le continuum terrestre et maritime entre l’Angleterre et Bordeaux. C’est pourquoi Henri II n'eut de cesse d’intégrer toujours plus fermement cette principauté périphérique dans l'orbite de ses domaines normands, angevins, et dans celle du royaume d’Angleterre.

12 Dans la pratique, Henri II ressuscita la vieille politique de son grand-père Henri Ier Beauclerc, deuxième successeur de Guillaume le Conquérant au trône d’Angleterre (1100-1135). Roi-duc des deux côtés de la Manche comme son père l’avait été après 1066, Henri Ier Beauclerc estimait en effet que la Bretagne voisine ne devait pas faire d’ombre à son pouvoir, et qu’il fallait l’insérer dans des réseaux de fidélité et de domination25. Par conviction et par intérêt, en 1113, Henri Ier Beauclerc donna une de ses filles illégitimes en mariage à l’héritier du duc Alain Fergent, le jeune comte de Rennes et de Nantes Conan, devenu en 1112 Conan III de Bretagne. Selon le chroniqueur Orderic Vital, cet arrangement matrimonial accompagna la réconciliation entre Henri Ier Beauclerc et son éternel rival, le Capétien Louis VI, et ouvrit la voie à la reconnaissance de la dépendance de la Bretagne par rapport à la Normandie26. La politique d’alliances lignagères fut doublée d’une politique de concession de fiefs de l’autre côté de la Manche, déjà entamée par Guillaume le Conquérant - un tiers de l’ost du Conquérant à la bataille d’Hastings était formé de Bretons, essentiellement de petits seigneurs27. Ainsi se renforça un groupe de barons bretons vassaux du roi anglo- normand pour leurs terres anglaises, notamment pour la plus vaste de toutes : l’honneur de Richmond, dans le Yorkshire28. Un peu plus d’une génération plus tard, nouveau maître de l’Angleterre, Henri II poursuivit dans cette voie. Face à l’aristocratie bretonne, il mena une politique délibérée de fidélisation et de stabilisation par le don de terres en Angleterre et en Normandie, prioritairement en faveur de ceux qui n’en étaient pas pourvus, de manière à faire du fief un instrument de régulation des tensions29.

13 Encore fallait-il bénéficier d’une conjoncture favorable à l’ingérence en Bretagne, ce qui se réalisa peu à peu à partir de 1148. À cette date, la Bretagne était toujours relativement autonome par rapport au duché de Normandie auquel Henri II Plantagenêt aspirait comme héritier. C’est alors que le décès du duc de Bretagne Conan III ouvrit une grave crise successorale. Sur son lit de mort, Conan III refusa en effet de reconnaître son

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fils Hoël comme successeur, lui reprochant sa bâtardise, et lui préféra son petit-fils, le jeune Conan, représentant de la branche cadette de la dynastie ducale, celle de de la maison de Penthièvre, héritière de l’honneur de Richmond en Angleterre. Cette mise à l’écart d’Hoël de Cornouaille signifiait pourtant confier une régence au vicomte Eudon de Porhoët, beau-père du jeune Conan, avec tous les risques inhérents à ces périodes transitoires, sans oublier la réaction de révolte prévisible de Hoël devant son brutal déshéritement. En 1154, la crise de succession n’étant toujours pas réglée, Conan devenu majeur s’enfuit chercher refuge à la cour d’Angleterre, ce dont Henri II, devenu dans l’intervalle duc de Normandie (1151) puis roi d’Angleterre, profita pour armer le prétendant au titre ducal et le retourner contre une partie des seigneurs bretons hostiles à sa domination. Henri II avait en effet peu de moyens de pression face à certains seigneurs comme Eudon de Porhoët, très puissant dans le centre et le sud du duché, ou aux vicomtes de Léon, bien campés sur leur bastion du nord-ouest du duché, dans la mesure où ces hommes étaient peu, voire pas du tout, possessionnés de l’autre côté de la Manche. En soutenant le jeune Conan IV contre Eudon de Porhoët, battu en 1156, et en lui assurant la récupération du titre ducal par droit héritage, Henri II obtint une reconnaissance de vassalité ainsi que la cession du comté de Nantes, sans seigneur après le décès d’Hoël. Il remit ce comté à son jeune frère Geoffroy d’Anjou en lot de consolation par rapport au comté d’Anjou dont ce dernier espérait hériter. En outre, Henri II accentua ses liens avec son nouveau vassal breton en lui donnant la main de Marguerite d’Écosse. En 1166, certains barons de l'est de la Bretagne révoltés contre cette progressive mainmise furent écrasés, et le château de Fougères rasé. Surtout, en parallèle, Henri II régla le sort de la Bretagne pour de nombreuses années en contraignant Conan IV à abdiquer en faveur de sa fille et unique héritière, Constance, laissant cependant Conan investi de l’honneur de Richmond. Cela revenait pour le Plantagenêt à prendre le contrôle direct de la province, puisque la jeune Constance encore enfant était fiancée à Geoffroy Plantagenêt, son troisième fils, lui-même âgé de huit ans. Tout cela avait mené au triomphe de la brillante diplomatie déployée par le Plantagenêt et ses officiers curiaux dans l'Ouest de la France30. D'un côté, Louis VI avait finalement reconnu les droits des fils Plantagenêts en termes d’héritage lors de la rencontre de Montmirail (1169). De l'autre, après avoir maté une fois de plus Eudon de Porhoët (1168), Henri II avait stabilisé le duché et accompagné son fils Geoffroy à Nantes le jour de Noël 1169 pour y recevoir l'hommage des vassaux bretons. La cérémonie avait marqué le point fort de l'élévation du jeune Plantagenêt au titre de duc de Bretagne, après sa réception solennelle à la cathédrale de Rennes (été 1169). Conan IV, retiré à Guingamp sur ses terres, ne chercha jamais à revenir sur cette manœuvre de déposition. La Bretagne, durement affectée par des années de guerre, resta alors dans l’orbite de l'espace Plantagenêt jusqu'en 1203. À l’exception de quelques irréductibles opposants, sa noblesse entra dans le service d’Henri II et ne fit plus beaucoup parler d’elle, notamment durant le grand soulèvement de 1173-1174 contre le pouvoir féroce du souverain angevin 31. Encore fallait-il intégrer correctement le fief récemment soumis à l’ensemble de territoires disparates que constitue le monde Plantagenêt. C'est ici qu'interviennent les répercussions socioculturelles et idéologiques de la littérature du XIIe siècle.

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L'émergence d'un modèle curial

14 Pour tenir dans sa poigne toutes ses possessions, Henri II pouvait compter, outre les ressources de l'argent et des liens d’homme à homme, sur le talent des officiers qui le servaient jusque dans sa vie quotidienne. Mais la cour Plantagenêt semble aussi avoir compris tout le parti qu'elle pouvait tirer de la communication politique, en particulier de l'utilisation de motifs historico-légendaires en circulation à l'époque, parmi lesquels figure le mythe arthurien32. Née dans les franges celtiques de l'espace anglo-normand, la matière de Bretagne, d’abord diffusée oralement à la cour de petits seigneurs, est devenue l'objet d'une littérature écrite destinée à la cour royale d'Angleterre dès l'époque de Geoffroy de Monmouth (vers 1138). Par la suite, elle a été rapprochée du mécénat royal Plantagenêt dès 1155 avec l’achèvement du Roman de Brut33 dédié à Aliénor d'Aquitaine. Avec cette œuvre, Wace est allé au-delà d'une simple traduction de l’Histoire des rois de Bretagne de Geoffroy de Monmouth34 : en instituant la Table ronde, il a retouché la figure d'un roi Arthur alliant les qualités du héros panceltique, les vertus du roi conquérant et le prestige d'une noble lignée. Cette dimension, favorable à la monarchie anglo-normande sous la plume de Geoffroy de Monmouth, a rendu service à la dynastie anglo-angevine désormais au pouvoir en ce sens qu'elle rassemblait dans l'adhésion à un même mythe insulaire des populations en voie d'assimilation. Wace a ainsi ouvert une entreprise de captation de l'imaginaire arthurien au profit de la monarchie Plantagenêt, confirmée ultérieurement par d'autres clercs de cour attirés par les bienfaits du prince.

15 Chrétien de Troyes, quant à lui, n'était pas un clerc de la cour Plantagenêt. En ce sens, il n'était pas, contrairement à Wace, porté vers une historiographie mythifiante de la monarchie Plantagenêt35 mais, en mettant ses pas dans ceux de Wace, par les références à la Table ronde et par la mention du couronnement royal de Nantes, il a été un relais indirect du rapprochement entre dynastie Plantagenêt et univers arthurien. En effet, l'imaginaire de la royauté arthurienne et de la Table ronde dans l’entourage d’Henri II était l’objet d'une véritable communication politique sur la monarchie, tendant à son idéalisation. Et si l'on se tourne vers les effets attendus et réels de la captation de l'héritage arthurien sur le public destinataire, c'est-à-dire sur l'aristocratie des domaines des Plantagenêts, on constate que le message était ambitieux parce que les représentations associées à la royauté arthurienne, et notamment à l'idéal monarchique fondé sur le modèle du roi Arthur et des chevaliers de la Table ronde, étaient complexes.

16 Ces représentations se situaient au carrefour, au point de tension entre deux courants idéologiques que l'on peut analyser en termes dialectiques36. D'un côté, la royauté arthurienne peut être vue comme extérieure à la société seigneuriale : sorte d’office transcendant le monde laïc et profane, elle est alors le principe même qui institue l'ordre dans la société et autour duquel tout s'organise. Selon Jean de Salisbury (Policraticus, 1159)37 et Étienne de Fougères (Livre des Manières, vers 1174)38, tous deux un temps familiers de la cour Plantagenêt, cette conception renvoie à un modèle de roi souverain dont le pouvoir n'est pas d'essence terrestre. De l'autre côté, le roi est avant tout un roi-chevalier, qui constitue avec le groupe de ses combattants une communauté guerrière dont il est lui-même le représentant le plus éminent parce qu'il en garantit la richesse et la pérennité. Cette conception laïque et chevaleresque érige le roi en

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seigneur suzerain, sorte de primus inter pares pris dans une relation d'égalité avec ses barons et d'égalité de ses barons entre eux.

17 La Table ronde où se matérialise par excellence cette tension a rendu de grands services à la royauté d’Henri II : par sa simplicité même, par sa capacité à neutraliser les contradictions irréductibles entre souveraineté et suzeraineté, elle a constitué un instrument essentiel pour réguler les relations entre le roi et l’aristocratie de ses domaines. Alimentant le dynamisme de l'idéal courtois sur les terres des Plantagenêts, elle a permis à la monarchie Plantagenêt, dès Henri II, de se parer des atours de la royauté courtoise, alors que le souverain angevin était beaucoup moins large et beaucoup moins « féodal » que son ancêtre supposé39.

18 D’où l’intérêt de la liste des invités à la fête de couronnement d’Érec composée par Chrétien de Troyes. Elle ne reprend pas exactement la liste des chevaliers de la Table ronde, mais on y trouve tout de même la plupart des grands fiefs Plantagenêts. Durant cette fête, Arthur ne tient pas sa cour à Carduel, mais c’est tout comme : le couronnement a lieu à Noël, conformément à la tradition qui veut que les cours arthuriennes se tiennent lors des grandes fêtes du calendrier chrétien (Pentecôte, Pâques ou Noël). Des adoubements collectifs sont pratiqués. La cour fait bombance aux frais du roi, dont le rôle social fait du don à grande échelle une obligation seigneuriale. La fête de couronnement d’Érec n’est donc ni plus ni moins qu’une cour arthurienne dépaysée à Nantes, où la force de l’idéal courtois de la monarchie Plantagenêt est visible en filigrane.

19 En outre, avec cet idéal à la cour Plantagenêt, c’est le grand thème imaginaire de la translatio studii qui a aussi pu être exploité, alors même que la translatio studii avait jusque-là toujours été associée à Paris40. Là encore, le roman de Chrétien de Troyes traduit une évolution importante. En effet, la description du vêtement d’Érec lors de son couronnement royal met en avant une allégorie des arts libéraux enseignés dans les meilleures écoles parisiennes, en particulier ceux du quadrivium (géométrie, arithmétique, musique, astronomie), qui entend figurer l'alliance des deux courants socio-culturels émergents de la société du XIIe siècle, à savoir la « clergie » et la « chevalerie41 », représentée ici par Érec42. En même temps, elle peut être entendue comme un hommage à la cour Plantagenêt de l'époque. En effet, ce foyer politique et culturel a su plus que n'importe quel autre attirer la « clergie », c'est-à-dire les meilleurs esprits formés par les maîtres parisiens aux arts libéraux issus de l’Antiquité. C’est là une de ses grandes différences avec la cour capétienne immédiatement contemporaine, celle de Louis VII ou de Philippe Auguste : alors qu’un quart des maîtres enseignant à Paris étaient originaires d’Île-de-France, ils étaient plus du tiers à venir des terres anglo-normandes. La différence d’attractivité réside essentiellement dans les débouchés à la sortie des écoles parisiennes : alors que dans l’administration capétienne les offices pour les clercs ayant décroché le titre de magister ne se comptaient qu’en dizaines, ils se comptaient en centaines dans les rouages du gouvernement des Plantagenêts, tant laïcs qu’ecclésiastiques. Ainsi, alors que 15 % des évêques sur les terres capétiennes étaient détenteurs de la qualité de magister, plus de 30 % de leurs homologues sur les terres des Plantagenêts l’étaient aussi, soit le double43. De fait, la cour Plantagenêt offrait à quiconque avait du talent des perspectives de carrière formidables, sans aucune comparaison avec ce que pouvait représenter la cour capétienne. C'est pourquoi de nombreux intellectuels de langue française, issus des régions anglo-normandes ou de plus loin, comme Pierre de Blois, Wace, Benoît de

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Sainte-Maure ou Robert de Torigny, l’ont rejointe de bonne heure. Ce faisant, la cour Plantagenêt a pu en partie incarner la tradition de la translatio studii, c'est-à-dire de cette croyance en un déplacement continuel de l’éclat des arts et des lettres depuis Athènes vers Rome, puis de Rome vers la France, où elle aurait élu domicile au XIIe siècle, en particulier sur les bords de la Seine.

20 En somme, le motif du couronnement royal de Nantes ne peut aucunement être réduit à une simple intention politique, et il serait déraisonnable de voir en Chrétien de Troyes un écrivain de propagande à la solde des Plantagenêts. La littérature fictionnelle du XIIe siècle avait bien d'autres motifs de création, à commencer par le plaisir du texte, né d’un bel et harmonieux agencement, ce que Chrétien de Troyes dit lui-même dans son Érec et Énide en affirmant vouloir présenter « une mout bele conjointure44 ». Il n'y a donc aucune raison de donner un sens premier politique à une œuvre dont le « sen » et la « matière » étaient ailleurs. En même temps, l'auditoire de la littérature des cours d’Occident était parfaitement capable d'une double entente : cette signification seconde nous est précieuse.

21 En effet, l'impact d'un roman tel que Érec et Énide dans la diffusion de l’idéal courtois associé à la maison Plantagenêt n’est pas nul. Les quatre premiers romans de Chrétien de Troyes ont été conservés dans un nombre appréciable de manuscrits. Aucun n'a été copié du vivant de l'auteur, et les plus anciens, comme les fragments d'Annonay, dateraient de la toute fin du XIIe ou du début du XIIIe siècle. Érec et Énide a été conservé en entier dans sept manuscrits. Cela traduit un écho moindre que l'œuvre la plus célèbre de Chrétien, LeConte du Graal, conservée dans 15 manuscrits. Mais l'un des manuscrits contenant le premier roman breton de Chrétien de Troyes livre des enseignements non négligeables sur sa réception. Il s'agit du manuscrit de la BnF, fr. 794, encore appelé manuscrit Guiot45, du nom d’un scribe attentif qui déclare l’avoir établi dans son atelier près de Notre-Dame du Val, l'une des églises de Provins au XIIIe siècle. Ce manuscrit a été daté par les spécialistes des années 1230-1240, et fut vraisemblablement destiné au comte Thibaud IV de Champagne, qui résidait souvent à Provins. Il est le seul, avec le manuscrit de la BnF, fr. 1450, daté lui aussi du deuxième quart du XIIIe siècle, à comporter les cinq grands romans authentiques de Chrétien de Troyes, Érec, Cligès, Lancelot, Yvain, et Perceval (ou Le Conte du Graal). Surtout, ce manuscrit livre aussi une version du Roman de Brut de Wace, à la suite duquel les aventures des chevaliers de la Table ronde composées par Chrétien de Troyes viennent s'accrocher. Le manuscrit de la BnF, fr. 1450, de son côté, enchâsse franchement les œuvres de Chrétien de Troyes à l'intérieur du Roman de Brut, en utilisant la période de paix de douze ans initiée par Wace lors de l’évocation de l'installation de la Table ronde46. Ces repérages rapides sont insuffisants pour rendre compte de la diffusion réelle de Chrétien de Troyes mais l'admiration qu'il vouait à l’histoire mythifiante de la royauté arthurienne telle qu’elle était pratiquée à la cour d’Henri II Plantagenêt semble avoir été comprise par les copistes du siècle suivant.

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NOTES

1. J’exprime ici toute ma gratitude à Hélène Bouget pour la relecture suggestive de cet article et pour le repérage dans le dédale des manuscrits arthuriens de la BnF. En outre, son attention au phénomène de listes et son regard critique ont été des apports essentiels dans la conduite de la réflexion historique.

2. Voir à ce sujet JACKSON, Kenneth, « The Arthur of the History », dans : LOOMIS, Roger Sherman (dir.), Arthurian Literature in the Middle Ages, Oxford, Clarendon, 1959 ; ALCOCK, Leslie, Arthur’s Britain : History and Archeology AD 367-634, Harmondsworth, Pelican, 1971, ou, plus récemment, les travaux de Geoffrey ASHE dans : LACY, Norris (éd.), The New Arthurian Encyclopedia, rééd. New York, Garland, 1991. 3. SCHMOLKE-HASSELMANN, Beate, « Henry II Plantagenet, roi d’Angleterre, et la genèse d’Érec et Énide », Cahiers de Civilisation médiévale, XXIV, 1981, p. 241-246. Voir aussi CARROLL, Carleton, « Quelques observations sur les reflets de la cour d’Henri II dans l’œuvre de Chrétien de Troyes », Cahiers de Civilisation médiévale, XXXVII, 1994, p. 34-39.

4. Chrétien de Troyes, Érec et Énide, éd. et trad. Peter DEMBOWSKI, dans Chrétien de Troyes, Œuvres complètes, POIRION, Daniel, (dir.), Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1994, p. 162 : « Je ne veux pas vous en dire davantage pour l’instant, car mon cœur se porte vers ces gens qui, de divers pays, s’étaient assemblés à Nantes. Il y avait beaucoup de comtes et de rois, de Normands, de Bretons, d’Écossais, d’Irlandais. Il y avait de très riches barons d’Angleterre et de Cornouaille. Depuis le pays de Galles jusqu’à l’Anjou, le Maine et le Poitou, il n’y avait chevalier de haut rang, ou dame noble et bien née, parmi les meilleures et les plus gracieuses, qui ne se soient rendus à la cour de Nantes où le roi les avait mandés. » Cette édition de Peter DEMBOWSKI, établie à partir des manuscrits de la BnF, fr. 794 (dit « manuscrit Guiot ») et BnF, fr. 1450, ainsi que de cinq autres manuscrits, ne varie que peu par rapport à l’édition de référence de Mario Roques établie sur le seul manuscrit BnF, fr. 794 (Érec et Énide, Paris, Champion, Classiques français du Moyen Âge, 1952, v. 6585-6595). Là où la leçon dans l’édition de Mario Roques diffère, j’ajoute un R en exposant ; lire alors « Einglois » pour « Irois », puis « Alemaigne » pour « el Maine », ce qui montre une géographie de l’espace Plantagenêt pour le moins fluctuante et imprécise chez le copiste. L’édition de Jean-Marie FRITZ, Érec et Énide, Paris, Librairie Générale Française, coll. Lettres gothiques, 1992, v. 6637-6647, d’après le manuscrit BnF, fr. 1376, diffère moins et se montre plus proche de celle de Peter DEMBOWSKI. 5. Ibidem, v. 6503-6523. 6. Ibid., v. 6548-6549 : « Et dist : "Aler nos an covient - De si qu’a Nantes en Bretaigne" ». 7. Chrétien de Troyes, Érec…, op. cit., v. 6650-6674 : « Écoutez bien maintenant, si cela vous plaît. Une fois la cour assemblée, avant l’heure de tierce, le roi Arthur adouba plus de quatre cents chevaliers, tous fils de comtes et de rois. À chacun il donna trois chevaux et trois paires de robes afin qu’ils contribuent à faire briller sa cour avec plus d’éclat. Le roi était très puissant et généreux : il ne donna pas de simples manteaux de serge, de brunette ou de fourrure de lapin, mais, au contraire, il en donna de samit et d’hermine, de vair d’une seule pièce, et d’étoffe diaprée. Ils étaient tous bordés d’orfrois droits et durs. Alexandre, qui fit tant de conquêtes qu’il fut maître de l’univers entier, si

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généreux et riche fût-il, ne fut que pauvre et chiche en comparaison du roi Arthur ! César qui fut empereur de Rome et tous les rois qui sont mentionnés dans les dits et dans les chansons de geste, ne donnèrent jamais au cours d’une seule fête autant que le roi Arthur donna le jour du couronnement d’Érec. » Voir aussi Érec et Énide, éd. FRITZ, Jean-Marie, op. cit., v. 6648-6674 (d’après le ms BnF, fr. 1376). Là où la leçon dans l’édition de Jean-Marie FRITZ diffère le plus, j’ajoute un F en exposant ; lire alors : « La grant joie et la [grant] leesce,/La seignorie et la hautesce,/Qui fu a la cort demenee./ Ainçois que nonne fust sonnee,/Ot adobé li rois Artus […]. » 8. Chrétien de Troyes, Érec…, op. cit., v. 6733-6785 : « C'est Macrobe qui m'a appris à décrire la façon et le dessin de l’étoffe, comme ils le sont dans ce livre. Quatre fées avaient créé cette étoffe avec grand art et grande maîtrise. La première y avait tracé le portrait de Géométrie et illustré comment celle-ci observe et mesure l’étendue du ciel et de la terre en sorte que rien ne lui échappe : le bas, le haut, puis la largeur, puis la longueur. Ensuite, comment elle observe tout au long l’étendue et la profondeur de la mer, et comment elle mesure ainsi le monde tout entier. Ce dessin était l’œuvre de la première fée. La deuxième fée avait mis sa peine à représenter Arithmétique en s’efforçant de bien montrer comment, avec sagesse, elle dénombre les jours et les heures du temps, comment elle mesure l’eau de la mer goutte à goutte, et comment elle compte les grains de sable et puis les étoiles une à une […]. Telle est l’œuvre d’Arithmétique. La troisième fée avait représenté Musique en qui s'accordent tous les plaisirs du chant et du déchant, et, sans discorde, ceux de la harpe, de la rote et de la vielle. Cette œuvre était bonne et belle, car elle illustrait tous les instruments et tous les plaisirs. La quatrième fée avait réussi une très bonne œuvre, car elle y avait reproduit le meilleur des arts. Elle avait entrepris de représenter Astronomie qui fait de si grandes merveilles en consultant les étoiles, la lune et le soleil. Astronomie ne prend conseil en aucun autre lieu sur ce qu’il lui faut faire, car ils la conseillent judicieusement sur tout ce qu'elle leur demande […]. Ces représentations étaient brodées et tissées en fils d’or dans l’étoffe dont était faite la robe d’Érec. » Voir aussi Érec et Énide, éd. FRITZ, Jean-Marie, op. cit., v. 6733-6785 (d’après le ms BnF, fr. 1376, très peu différent). 9. Chrétien de Troyes, Cligès, éd et trad. WALTER, Philippe, dans Chrétien de Troyes, Œuvres complètes, op. cit., v. 1-10. Voir l’article « Chrétien de Troyes » dans : Dictionnaire des Lettres françaises, T. 1, Le Moyen Âge, Paris, Fayard, 1992. Voir aussi FRAPPIER, Jean, Chrétien de Troyes, L’homme et l’œuvre, Paris, Hatier, 1957, rééd. 1968, p. 5-62 ; KAY, Sarah, « Who was Chrétien de Troyes ? », Arthurian Literature, XV, 1997, p. 1-35 ; JAMES-RAOUL, Danièle, Chétien de Troyes, La griffe d’un style, Paris, Champion, 2007 ; DOUDET, Estelle, Chrétien de Troyes, Paris, Tallandier, 2009. 10. Roman de Thèbes, éd. et trad. MORA, Francine, Paris, Librairie Générale Française, coll. Lettres Gothiques, 1995. 11. Roman d’Énéas, éd. et trad. PETIT, Aimé, Paris, Librairie Générale Française, coll. Lettres Gothiques, 1997. 12. Benoît de Sainte-Maure, Roman de Troie, éd. Léopold Constans, 6 vol., Paris, SATF, 1904-1912. Éd. et trad. partielle BAUMGARTNER, Emmanuèle et VIELLIARD, Françoise, Paris, Librairie Générale Française, coll. Lettres Gothiques, 1998. 13. Chrétien de Troyes, Lancelot ou le Chevalier de la Charrette, éd. et trad. POIRION, Daniel, dans Chrétien de Troyes, Œuvres complètes…, op. cit., v. 1.

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14. Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, éd. et trad. POIRION, Daniel, dans : Chrétien de Troyes, Œuvres complètes…, op. cit., v. 11-13. Philippe d’Alsace était un cousin de Marie de Champagne, qu’il avait demandée en mariage en 1182, sans succès, alors qu’elle était veuve. La proximité des cours de Champagne et de Flandre n’est cependant pas douteuse. 15. BENTON, John, « The Court of Champagne as a Literary Center », Speculum, (1961), t. XXXVI, p. 551-591. 16. Chrétien de Troyes, Érec…, op. cit., v. 6683. 17. Cette magnifique plaque émaillée est aujourd’hui visible au Carré Plantagenêt, musée d’archéologie et d’histoire de la ville du Mans. Sur ses caractéristiques, son histoire et sa tradition, voir GAUTHIER, Marie-Madeleine, « Art, savoir-faire médiéval et laboratoire moderne. À propos de l’effigie funéraire de Geoffroy Plantagenêt », Comptes- rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 123e année, n° 1, 1979, p. 105-131. 18. MALAXECHEVERRIA, Ignacio, « L’Hydre et le crocodile médiévaux », Romance Notes, 21/3, 1981, p. 376-380 : dans le bestiaire médiéval, le crocodile, comme le dragon, est un animal infernal. 19. Chrétien de Troyes, Érec…, op. cit., v. 6705-6723. Le toponyme « des Îles » a ici une connotation merveilleuse : il renvoie à l’Autre Monde, à la merveille. 20. WARREN, Wilfred, Henry II, réed. New Haven/Londres, Yale University Press, 2000, p. 74. Voir aussi DAVIS, Henry William Carless, « Henry of Blois and Brian FitzCount », English Historical Review, XXV (1910), p. 297-303. 21. Le Bel Inconnu, Perlesvaus, et le Tristan en prose. Voir Érec…, op. cit., p. 1112, note 2. 22. Voir par exemple l’épisode du siège soutenu par Engrès à Windsor dans Cligès, op. cit., v. 1236-1344. 23. Chrétien de Troyes, Érec…, op. cit., v. 6857-6950. 24. Sur la notion d’« Empire Plantagenêt » ou d’« Empire angevin », voir les réserves posées par LE PATOUREL, John, « The Plantagenet Dominions », History, 50 (1965), p. 289-308, ou par WARREN, Wilfred, Henry II, rééd. New Haven/Londres, Yale University Press, 2000, p. 228-230. Le terme (« the empire with no name ») a toutefois été réhabilité par GILLINGHAM, John, The Angevin Empire, Londres, Arnold, 1984, p. 46, dans le sens où ce conglomérat de territoires hétéroclites subit une forte domination, même s’il n’y a pas d’aspiration à la couronne impériale. Voir aussi MADELINE, Fanny, Les Plantagenêts et leur empire. Construire un territoire politique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2014. 25. L’installation de chevaliers bretons en Angleterre à la suite de la prise de pouvoir de Guillaume le Conquérant a été très étudiée : DOUGLAS, David, « The Companions of the Conqueror », History, 28 (1943), p. 129-147 ; GUILLOTEL, Hubert, « Une famille bretonne au service du Conquérant : les Baderon », dans Droit privé et institutions régionales. Études offertes à Jean Yver, 1976, p. 361-367 ; JONES, Michael, « Notes sur quelques familles bretonnes en Angleterre après la conquête normande », Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 58, 1981, p. 73-97 ; KEATS-ROHAN, Katharine, « William I and the Breton Contingent in the non-Norman Conquest of 1066-1087 », Anglo-Norman Studies, 13 (1990), p. 157-172 ; eadem, « Le problème de la suzeraineté et la lutte pour le pouvoir : la rivalité bretonne et l’État anglo-normand, 1066-1154 », Mémoires de la la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 68 (1991), p. 45-69 ; eadem, « The Bretons

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and Normans of England, 1066-1154 : The Family, the Fief and the Feudal Monarchy », Nottingham Medieval Studies, 36 (1992), p. 42-78 ; « Two Studies in North French Prosopography », Journal of Medieval History, 20 (1994), p. 3-37 ; « Le rôle des Bretons dans la politique de colonisation normande de l’Angleterre (vers 1042-1135) », Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne, 74 (1996), p. 181-215 ; « The Bretons and the Norman Conquest », dans Domesday People : A Prosopography of Persons Occurring in English Documents, 1066-1166, I. Domesday Book, éd. KEATS-ROHAN, Katharine, Woodbridge, Suffolk, Boydell Press, 1999, p. 44-58. Voir aussi plus récemment : QUAGHEBEUR, Joëlle et MERDRIGNAC, Bernard, (dir.), Bretons et Normands au Moyen Âge. Rivalités, malentendus, convergences, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008. 26. CHIBNALL, Marjorie, (éd.), The Ecclesiastical History of Orderic Vitalis, vol. 6, Oxford, Clarendon Press, 1978, Livre XI, p. 181. Selon Orderic Vital, au cours d’une entrevue en mars 1113 à Gisors, Louis VI reconnut à Henri Ier Beauclerc la suzeraineté sur la seigneurie de Bellême, le comté du Maine et toute la Bretagne. Alain Fergent, duc de Bretagne, était auparavant devenu vassal du roi d’Angleterre, et ce dernier avait fiancé sa fille à Conan, fils d’Alain Fergent. 27. Dans sa relation de la bataille d’Hastings, Guillaume de Poitiers souligne que l’aile gauche de l’armée de Guillaume de Normandie était peuplée principalement d’auxiliaires bretons, cavaliers et fantassins. Voir Histoire de Guillaume le Conquérant, éd. FOREVILLE, Raymonde, Paris, Les Belles-Lettres, Classiques de l’histoire de France au Moyen Age (23), 1952, p. 160. 28. Early Yorkshire Charters, vol. 4, The Honour of Richmond, Part I, et vol. 5, The Honour of Richmond, Part II, rééd. FARRER, William et CLAY, Charles, Cambridge, Cambridge University Press, 2013. 29. EVERARD, Judith, « Lands and Loyalties in Plantagenet Brittany », dans Noblesses de l’espace Plantagenêt (1154-1224), AURELL, Martin, (dir.), Poitiers, Centre d’études supérieures de civilisation médiévale, 2001, p. 185-197. 30. POCQUET DU HAUT-JUSSÉ, Barthélemy-Amédée, « Les Plantagenêts et la Bretagne », Annales de Bretagne, 53/2, 1946, p. 1-27 ; CHÉDEVILLE, André et TONNERRE, Noël-Yves, La Bretagne féodale, XIe-XIIIe siècle, Rennes, Ouest-France, 1987, p. 84-91 ; HILLION, Yannick, « La Bretagne et la rivalité Capétiens-Plantagenêts. Un exemple : la duchesse Constance (1186-1202) », Annales de Bretagne, 92/2, 1985, p. 111-144 ; EVERARD, Judith, Brittany and the Angevins. Province and Empire, 1158-1203, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 31-36 ; AURELL, Martin, L’empire des Plantagenêt, 1154-1224, Paris, Perrin, p. 217-220 ; FAVIER, Jean, Les Plantagenêts. Origines et destin d’un empire, XIe-XIVe siècles, Paris, Fayard, 2004, p. 241-243. 31. On ne peut ici que s’inscrire en faux contre le mythe élaboré par Arthur LE MOYNE DE LA BORDERIE d’une Bretagne ducale et seigneuriale frondeuse face à l’oppression Plantagenêt, alimenté par un nationalisme pro-breton peu compatible avec l’analyse sereine des sources. Pour une révision exemplaire de ces poncifs dépassés, voir les travaux de Judith EVERARD, en premier lieu Brittany and the Angevins…, op. cit.

32. CHAUOU, Amaury, L’idéologie Plantagenêt. Royauté arthurienne et monarchie politique dans l’espace Plantagenêt, XIIe-XIIIe siècles, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2001. Voir aussi AURELL, Martin, La légende du roi Arthur, Paris, Perrin, 2007, p. 182-209.

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33. Wace, Roman de Brut, A History of the British, éd. et trad anglaise WEISS, Judith, Exeter, 2002. 34. Geoffroy de Monmouth, Historia Regum Britanniae, éd. N. Wright, 5 vol., Cambridge, 1985-1991. Trad. MATHEY-MAILLE, Laurence, Histoire des rois de Bretagne, Paris, Les Belles Lettres, coll. La Roue à Livres, 1992. 35. CHAUOU, Amaury, L’idéologie Plantagenêt…, op. cit., p. 98-99.

36. KÖHLER, Erich, L’aventure chevaleresque. Idéal et réalité dans le roman courtois, Paris, Gallimard, 1974, p. 25, BOUTET, Dominique, Charlemagne et Arthur ou le roi imaginaire, Paris, Champion, 1992. 37. Jean de Salisbury, Policraticus, éd. Clement Charles Julian Webb, 2 vol., Oxford, Clarendon, 1909. 38. Étienne de Fougères, Le Livre des Manières, éd. Anthony Lodge, Genève, Droz, 1979. 39. CHAUOU, Amaury, L’idéologie Plantagenêt…, op. cit., p. 164-169. Giraud de Barri, longtemps au service de la cour des Plantagenêts, a laissé sur eux un jugement sans appel en les qualifiant de « Normannici tyranni », corrompus jusque dans leur sang par des origines diaboliques. L’amertume et la déception du clerc de cour auquel Henri II a toujours refusé la crosse d’évêque au pays de Galles ont passablement terni son jugement, en contrepoint de l’appréciation positive qu’il formule sur les Capétiens. Voir Giraud de Barri (Gerald of Wales), On The Instruction of Princes, chap. XXVII, trad. partielle STEVENSON, Joseph, Felinfach, Llanerch, 1991, p. 99.

40. FREEMAN, Michelle, The Poetics of « Translatio Studii » and « Conjointure » : Chrétien de Troyes’s « Cligès », Lexington, French Forum Publishers, 1979. 41. Chrétien de Troyes revient d’ailleurs sur cette alliance dans le prologue de Cligès (vers 1176) : « Ce nos ont nostre livre apris/Qu’an Grece ot de chevalerie/Le premier los et de clergie./Puis vint chevalerie a Rome/Et de la clergie la some/Qui or est en France venue ». Voir Chrétien de Troyes, Cligès…, op. cit., v. 30-35 42. Sur l’allégorie de la robe d’Érec, voir entre autres POIRION, Daniel, Résurgences, Paris, PUF, 1986, p. 152-153.

43. BALDWIN, John, « Conclusions », dans Plantagenêts et Capétiens : Confrontations et héritages, AURELL, Martin et TONNERRE, Noël-Yves (dir.), Turnhout, Brépols, 2006, p. 522.

44. Chrétien de Troyes, Érec…, op. cit., v. 14. Voir KELLY, Douglas, « The Source and Meaning of Conjointure in Chretien’s Érec », Viator, 1, 1970, p. 179-200, et GUERREAU- JALABERT, Anita, « Romans de Chrétien de Troyes et contes folkloriques. Rapprochements et observations de méthode », Romania, 104, 1993, p. 1-48. 45. ROQUES, Mario, « Le manuscrit Fr. 794 de la Bibliothèque nationale et le scribe Guiot », Romania, 73 (1952), p. 177-199. 46. Les manuscrits de Chrétien de Troyes/ The Manuscripts of Chrétien de Troyes, éd. BUSBY, Keith, NIXON, Terry, STONES, Alison et WALTERS, Lori, 2 vol., Amsterdam, Rodopi, 1992. Voir aussi WALTERS, Lori, « Le rôle du scribe dans l’organisation des manuscrits des romans de Chrétien de Troyes », Romania, 106 (1985), p. 303-325.

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RÉSUMÉS

La cour Plantagenêt a été un foyer politique et culturel d’une telle force que de nombreux hommes de lettres continentaux s’en sont rapprochés. Chrétien de Troyes n’a vraisemblablement connu qu’indirectement ce milieu curial, mais la description dans Erec et Enide d’une cour arthurienne tenue à Nantes suggère l’admiration que le clerc champenois portait à la monarchie d’Angleterre. Au-delà du toposl ittéraire, ce genre de rapprochement vient à point nommé dans le contexte du XIIe siècle : maître de l’Angleterre et d’une bonne partie de l’Ouest du royaume de France, Henri II a dû déployer une diplomatie subtile pour arrimer la Bretagne à son pouvoir. La matière de Bretagne est alors d’un grand profit : elle fait vivre une représentation beaucoup plus courtoise et beaucoup moins tyrannique de ce qu’était réellement la domination du roi d’Angleterre en France de l’Ouest.

The Plantagenet court was such a political and cultural centre that a great number of writers originating from France rushed to join it. Chrétien de Troyes, the famous clerk from Champagne, probably knew this courtly world indirectly but the description of an Arthurian court held in Nantes given in Erec and Enide suggests the scholar was a great admirer of the Angevin kings. Beyond the literary topos, that kind of link arrived just at the right time in the context of the twelfth century. Ruler of England as well as of the western part of the French Kingdom, Henri II had to be exceedingly diplomatic to tie Brittany to his kingdom. The Matter of Britain was then very useful as it showed a more courteous and less tyrannical dimension of the power of the king of England over western France.

INDEX

Index géographique : Nantes, Bretagne Index chronologique : XIIe siècle

AUTEUR

AMAURY CHAUOU CRBC (EA 4451) – Université de Bretagne Occidentale

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Les ports, havres et rivières navigables de Normandie dans l’enquête des amirautés de 1665 Normandy’s Ports, Harbours and Navigable Rivers in the Survey of the Admiralties of 1665

Édouard Delobette

« Beaulx amys, puys que surgir ne povons à bon port, mettons nous à la rade, je ne scay où. » Rabelais, LeQuart Livre des faicts et dicts héroïques du bon Pantagruel, 1552.

1 Entré au service de « l’État Mazarin » (Daniel Dessert), Jean-Baptiste Colbert est convaincu dès 1650 que « pour remettre le commerce, il y a deux choses nécessaires : la sûreté et la liberté », mais à la condition préalable d’une « militarisation accrue » du littoral par l’État1. S’inspirant des projets politiques du cardinal de Richelieu et du surintendant Fouquet, Colbert présente au roi en août 1664 son « grand dessein » censé permettre à la France de parvenir notamment à la suprématie militaire et navale pour « la gloire du roi et le bien de l’État2 ». Ce grand projet comprend la construction d’une flotte de guerre, la reconstitution de la marine marchande, le contrôle administratif et social des gens de mer3. Pour atteindre ce but, l’État doit nécessairement acquérir la connaissance la plus étendue et détaillée possible du potentiel portuaire du royaume par des enquêtes selon le modèle des Instructions aux maîtres des requêtes, aussi appelées le « grand questionnaire4 ».

2 Ainsi, l’enquête menée en 1665 dans les ressorts des amirautés de France sur le lestage et délestage des navires marchands montre que la monarchie prend désormais en haute considération la problématique des accès nautiques des rivières, ports, havres et rades du royaume5. L’enquête ne néglige pas non plus les petits ports et havres, indispensables relais et points d’appui des activités maritimes et littorales car « c’est en initiant des recherches sur les navigations intermédiaires entre les grands ports (cabotage) et sur les petites pêches que sont apparus ces petits ports comme essentiels

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à la compréhension de l’organisation des littoraux6 ». C’est ce que l’on entend interpréter ici à travers une approche consacrée à la Normandie maritime.

3 Les principales sources de cette étude proviennent des procès-verbaux reçus des amirautés normandes, croisés avec d’autres enquêtes, mémoires ou correspondances administratives reçues par Colbert7. Par le recours à une forme de récit tantôt factuelle, tantôt par l’assemblage de témoignages successifs suivant une ligne de force conductrice ou « emplotment8 » (Paul Ricœur), l’article s’organise dans un premier temps avec l’analyse du document SH 48, présente ensuite les caractéristiques naturelles des ports de Normandie, puis dresse l’état des lieux des structures portuaires et littorales de la province vers 16659.

Le document SH 48 et la procédure d’enquête

Les instructions officielles

4 L’enquête des amirautés de 1665 est actuellement conservée au Service historique de la Défense de Vincennes, fonds Marine, en cote SH 4810. En raison du caractère encore embryonnaire des correspondances reçues des commissaires et intendants de marine avant 1669, le document SH 48, rarement utilisé jusqu’à présent à l’exception du mémoire sur la généralité de Rouen présenté par Edmond Esmonin11, s’avère être d’un très grand intérêt informatif dans une période charnière de la vie maritime et portuaire du royaume.

5 L’organisation interne du recueil SH 48, que l’on appellera désormais le SH 48 par commodité, débute par une table des matières suivie d’un exemplaire imprimé de l’arrêt du Conseil d’en haut du 24 janvier 1665, signé par Hugues de Lionne, officiellement en charge des affaires de la Marine (fol. 1 et suiv.). L’arrêt est complété par l’instruction manuscrite de Jean-Baptiste Colbert, conseiller du roi en ses conseils, intendant des finances, exerçant à titre officieux depuis 1661 la direction du département de la Marine et des fortifications littorales. Cette instruction est intitulée « Pour le commerce » et présentée sous la forme d’un questionnaire (fol. 5 et suivants). Les exemplaires de ces deux pièces sont ensuite hâtivement expédiés dans le courant du mois à tous les procureurs du roi des sièges particuliers d’amirauté du royaume, y compris aux juridictions de Bretagne qui connaissent des causes maritimes et littorales12. Le reste du SH 48 collationne, depuis le folio 9 jusqu’au folio 502, les procès- verbaux reçus de la plupart des sièges d’amirauté, dont le sens du classement géographique nous échappe (voir tableau ci-dessous).

Tableau 1 – Les origines géographiques des procès-verbaux des amirautés

Amirautés ou autres juridictions dont Procès-verbaux reçus des amirautés (avec parfois leurs les procès-verbaux font défaut dans le ports « obliques » ou secondaires) ou autres juridictions SH 48 (le classement des sièges reprend (’ordre de classement du SH 48). celui dressé par les commis).

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Dunkerque, Gravelines, Boulogne, St Valery, Bourg d’Ault, Eu et Treport, Sables d’Ollone, Roüen, Dieppe, St- Calais, Abbeville et le Crotoy, Valery en Caux, Havre de grace, Caudebec, Honfleur, Toucques, Dives, Portbail et Estreham, Caen, Bayeux port et annelles, Carentan, Carteret, Grandville et Genet, Grand Camp, La hogue et Geneville [Quinéville], Brouage et isles, Antibes, Aiguemorte, Barfleur, Cherbourg, Coustances, Quimper Corentin et St Brieuc, Lanion, Brest St Renan et le Audierne, Bordeaux, Bayonne, Costes et isles de Conquet, Lesnevan et Roscoff, Xaintonges, La Rochelle, Marseille, Toulon, Arles, Chateaulin et Landerneau, Concarneau, Martigues, St Tropez, Narbonne, Cap de Cette, Agde, Pinpol et isles de Bréat, Piriac Le Frontignan, Serignan, Vendres, St Malo et Cancale, Croisic et St Nazaire, Belle isle, Nantes. Morlaix, Ruiz, Vannes, Auray, Hennebon, Quimperlé, Treguier, Cornuaille, Guerrande.

Source : SHD Vincennes, cote SH 48. NB : orthographe toponymique d’origine conservée ; inversion de classement des procès-verbaux du siège de Saint-Valéry-en-Somme avec celui de Saint-Valéry-en- Caux par rapport à la table des matières, due à une confusion de la part des commis. En gras, les amirautés normandes. Les sièges de Fécamp, Collioure-Perpignan (créé en 1691)a, La Ciotat et Fréjus ne figurent nulle part dans le document. En Bretagne, où n’existent pas de sièges d’amirauté avant 1691, les causes maritimes et littorales sont connues par les juridictions ordinaires (sénéchaussées). L’amirauté de Brouage est remplacée depuis 1645 environ par celle de Marennes. Les sièges d’amirautés colonialesb, établis par l’édit de 1717 et ceux de Corse (1768), ne figurent pas dans le document. a) LAVOUX, Régis, L’amirauté de Collioure (1691-1790), thèse doctorat droit, Perpignan, 1998, dact., 581 p. b) Aux colonies, le pouvoir de l’Amirauté de France s’établit progressivement avec la guerre de course durant la guerre de la ligue d’Augsbourg (GASSER, Jacques, « Les droits de l’Amirauté de France à la Martinique (1696-1697) », Chronique d’Histoire maritime, n° 73, décembre 2012, p. 27-40).

Figure 1 – Carte des sièges d’amirauté en Normandie, 1554-1791

6 L’arrêt du 24 janvier 1665, donné en présence du roi, est motivé par diverses plaintes adressées au Conseil sur l’état de certains ports, rades, havres, baies, rivières diverses qui seraient devenus de jour en jour moins sûrs et moins praticables aux navires. Le trafic fluvial et maritime et le mouvement des navires de guerre pourraient en être durablement affectés. D’après l’exposé de l’arrêt, les responsables en seraient les

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capitaines, maîtres et patrons de navires qui, « pour épargner la dépense que cause la décharge du lest, ont conservé la criminelle habitude de jeter leur lest, en tout ou partie, en arrivant dans les ports & rades […] » en dépit des ordonnances antérieures visant à faire cesser cet abus13. L’arrêt ordonne ainsi aux officiers des sièges particuliers d’amirauté et aux autres juges exerçant aux « cours maritimes » de faire la visite et sondage des havres, rades et ports de leurs juridictions et d’enquêter sur leur dépérissement éventuel, l’existence de marques de lieu de décharge des lests, la levée éventuelle de droits sur le lestage et délestage, puis d’envoyer le rapport ou enquête sommaire à Colbert, en vue de la rédaction ultérieure d’un règlement général.

Le port idéal imaginé par Colbert

7 L’instruction manuscrite de Colbert, jointe à l’arrêt du Conseil, est rédigée sous la forme d’un questionnaire divisé en 38 articles. Ce document explique scrupuleusement aux officiers des sièges les informations précises que Colbert attend d’eux lorsqu’ils effectueront prochainement la visite de leur juridiction afin de connaître « les bonnes et mauvaises qualitez des ports » (fol. 5 et suiv.). Contrairement à la méthode habituellement suivie par Colbert14, l’urgence du contexte international et maritime explique le caractère hâtif des articles de l’instruction, additionnés sans véritable ordonnancement ni cohésion des thématiques. L’analyse de l’instruction nous apprend surtout comment Colbert, qui reste « un terrien et à beaucoup d’égards un parisien » (Jean Meyer), conçoit théoriquement vers 1665 le port idéal, indispensable à la réalisation de son « grand dessein » sur mer15.

8 Vraisemblablement conseillé par Abraham Duquesne16, Colbert définit son modèle portuaire idéal selon trois critères : la topographie, le commerce et la puissance navale. Les articles 1 à 8 et 15 enjoignent aux officiers d’amirauté de rechercher et de décrire les sites littoraux propices à la navigation des vaisseaux, offrant de belles plages et avec des marées réglées et douces, des rades ayant un bon fond de bonne tenue à l’ancrage, sans écueil ni brisants. L’entrée du havre neuf est souhaitée bien ouverte et profonde, d’un accès facile, sans détours (méandres, bancs, etc.) en précisant le tonnage maximum admis pour les vaisseaux en charge ou sur lest, entrant et sortant à toutes heures du jour ou de la nuit sans se soucier de la marée. Le site portuaire doit apparaître net, creux, vaste, assuré contre les vents et les marées. Il doit de plus offrir plusieurs bras et canaux pour recevoir les vaisseaux marchands, ou au moins une rivière pour le transport des marchandises entre le port et l’arrière-pays. Les officiers devront enfin estimer si le site permet le creusement d’un bassin à flot et dresser un devis des travaux éventuels (art. 8 et 36). Ces deux groupes d’articles répondent aux inquiétudes de Colbert, soucieux de savoir si les littoraux français présentent autant d’avantages naturels que ceux du sud de l’Angleterre.

9 Les articles abordant la question commerciale sont peu nombreux et se cantonnent à la fiscalité. Colbert tient en effet à connaître le détail des taxes, impositions et droits perçus dans chaque port. Outre la lutte menée contre les éventuelles usurpations des droits du roi sur les littoraux commises par des particuliers ou des communautés (art. 35), il redoute aussi les excès d’une fiscalité mal maîtrisée qui détourneraient des trafics marchands français et étrangers vers d’autres lieux, aidés en cela par les « subtilités » du commerce hollandais (art. 16). Fils de grand marchand rémois, Colbert tient enfin à savoir si les diverses juridictions portuaires ou seigneuriales rendent une

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bonne justice marchande, c'est-à-dire une justice équitable qui ne va pas à l’encontre des intérêts du commerce maritime (art. 17).

10 Ce sont les questions portant sur les risques maritimes et la sécurité de la navigation qui présentent logiquement le plus grand nombre d’articles dans l’instruction complémentaire de Colbert adressée aux amirautés. Les articles 25 et 26 s’inspirent du modèle hollandais en invitant les officiers à enquêter sur la nécessité de construire des digues ou des môles de protection contre la mer. Les officiers doivent se préoccuper de savoir si le port dispose d’aides à la navigation, un phare ou une tour à l’embouchure (art. 9 et 26), d’un balisage correctement entretenu (art. 27) et s’il y a de bons géographes entretenus sur place (art. 12)17. La monarchie admet depuis le XVIe siècle la nécessité de mieux connaître les territoires du royaume et ses limites18. L’exacte cartographie des côtes comme la lutte contre les dangers maritimes deviennent ainsi un enjeu stratégique majeur19. Ce point prend de l’importance au moment où d’autres puissances maritimes comme l’Angleterre édifient des phares aux endroits les plus dangereux du littoral20. Rigoult, le procureur du roi de l’amirauté de Saint-Valéry-en- Caux rappelle même ouvertement à Colbert la parfaite connaissance géographique des ports et côtes de France accumulée par la navigation hollandaise21.

11 Cet effort scientifique se poursuit sous le règne de Louis XIV. Le souverain ordonne l’envoi de missions cartographiques composées d’astronomes, d’hydrographes et d’ingénieurs militaires pour dresser les cartes à tracé géométrique des côtes de France22. Le besoin de cartes marines plus précises est lié à la formation de coûteuses flottes de combat et de l’expansion du domaine colonial des grandes puissances maritimes. Les jeunes ingénieurs-géographes de la génération de Vauban recourent non seulement à un langage cartographique neuf, bien plus apprécié de Colbert que le système imprécis et suranné de Clerville, tout en se montrant capables d’intégrer dans leurs travaux le contexte de l’art classique propre au règne de Louis XIV. Les officiers d’amirauté doivent aussi mentionner dans leurs procès-verbaux la présence éventuelle de professeurs d’hydrographie pour instruire les pilotes, capables de dresser ou de réviser des cartes marines récentes et d’entretenir les instruments de navigation des bâtiments marchands ou de guerre (art. 12). Ils doivent enfin s’enquérir de l’état des systèmes d’amarrage fiables à quai ou à terre pour les vaisseaux (art. 10). L’instruction reprend et élargit dans les articles 21 et 22 les dispositions de l’arrêt du Conseil portant sur le délestage des navires et l’entreposage du lest à terre ou dans une zone d’immersion réservée, le dragage et aplanissement des fonds des havres de tout lest existant.

12 Colbert conçoit avec raison qu’un bon port doit nécessairement être bien protégé par un nombre suffisant de soldats (contre les « émotions » ou révoltes urbaines, les attaques ennemies), aptes à repousser des opérations corsaires et de leur donner la chasse (art. 6, 17 et 18)23. L’instruction enjoint aux officiers des sièges de faire construire dans les ports des magasins d’armement en vivres, artillerie et munitions navales, puis d’en contrôler la bonne gestion par les gardes-magasins (art. 13 et 37). Leur visite doit aussi s’assurer si l’hinterland peut fournir rapidement par adduction dans des citernes l’eau douce pour les navires (art. 28), les munitions navales (bois, chanvre, fers) et les victuailles (art. 14 et 34) sur la base des informations collectées auprès des capitaines de navire dans les différents ports afin de mieux en répartir les besoins. Un soin tout particulier est donné dans l’instruction à l’information détaillée portant sur les corps de métier et leurs savoirs liés à la construction navale (art. 30), les

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provenances et qualités des matières premières nécessaires à la « bâtisse » des vaisseaux, notamment les bois de construction, au moment où Colbert met en œuvre la construction d’une flotte de guerre (art. 31).

13 À plus longue échéance, le « bon port » vu par Colbert suppose la stricte réorganisation utilitariste des rôles et places de chacun dans le volet maritime du « grand dessein ». Les officiers doivent d’abord veiller à faire placer sous leur surveillance ou par d’autres juridictions comme celle des eaux et forêts (art. 17), les catégories sociales qui pourraient entraver l’essor portuaire et naval. Sont clairement désignés par l’instruction les pêcheurs qui embarrassent les accès des ports et rendent illisible le balisage avec leurs apparaux de pêche (art. 27), à nouveau les corsaires (art. 6 et 18), les coupeurs de bois non autorisés qui perturbent les approvisionnements des chantiers navals (art. 32), les gens de mer et travailleurs des ports protestants soupçonnés de vouloir s’exiler (art. 33), les particuliers usurpateurs de droits sur les littoraux (art. 35).

14 L’instruction annonce également la volonté implicite de Colbert d’introduire un contrôle administratif étroit sur les gens de mer car la création d’une flotte de guerre mobilise des équipages pléthoriques. N’ayant toutefois aucune donnée statistique fiable sur ce point24, Colbert s’enquiert par l’article 29 du peuplement de chaque juridiction d’amirauté, ainsi que sa véritable capacité à fournir des matelots au moyen d’un dénombrement précis et catégorié : nombre de matelots recensés par havre, nombre de matelots embarqués à la pêche, en marchandise ou pour le service du roi, le niveau local de l’embauche maritime pour envoyer les matelots au chômage sur d’autres sites portuaires et leur ôter toute « oisiveté ». Ce recensement statistique des matelots annonce bien évidemment l’établissement du système des classes de la marine projeté par Colbert du Terron, instauré dès 1669, puis généralisé par une série de textes réglementaires et législatifs25. Bien entendu, les officiers des sièges d’amirauté de Normandie se gardent bien de procéder à pareil recensement des gens de mer, par la crainte d’une « remue » à l’instar de celle survenue à Touques26 : « Aussy tost que nous avons esté honorés de votre ordre nous nous sommes transportés suivant icelluy au passage de Toucque qui est l’emboucheure de la mer parroisse de Trouville auquel lieu estant, bien loing de trouver des personnes soubmises aux ordres du Roy et de nous recepvoir comme gens venants de sa part et de la votre au grand mespris de l’arrest du conseil et de votre missive, nous ont voullu mollester et jeter dans la mer ce qu’ils eussent faict n’eust esté quelque secours qui nous a esté donné27. »

Des attentes fortement déçues

15 L’instruction manuscrite de Colbert est bien peu suivie d’effet. Tous les procès-verbaux reçus des sièges d’amirauté normands et conservés dans le SH 48 cantonnent le détail de leurs rapports aux seuls mandements portés par l’arrêt du Conseil. Cela étant, les officiers des sièges ne peuvent que se fier aux compétences des « plus anciens des lieux & experts » retranscrites dans les dépositions des comparants. Les procès-verbaux se limitent ainsi à la description topographique consciencieuse des ports et havres de leur juridiction28, sans s’émanciper du formalisme juridique de leurs procédures. Pouvait-il d’ailleurs en être autrement avec des délais de réponse présentés comme brefs ? À l’égal des lieutenants des amirautés de Rouen et de Cherbourg29, les autres officiers des amirautés normandes font généralement preuve de zèle administratif pour retourner leur procès-verbal le plus rapidement possible à Colbert30.

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Tableau 2 – Dates d’établissement des procès-verbaux des amirautés

Coefficient de Ports Date du procès-verbal marée (PV occurrent)

24/03/1665 (audition de Jacques de Serne), 26 et 27/03/1665 55-50 (24), 44-47 Dieppe (marchands et capitaines réajournés) (26) 53-61 (27)

Honfleur 25/03/1665 (lettre Colbert envoyée le 08/03) 46-43

26/03/1665 (quais de Rouen) et 27/03/1665 (de la porte Saint Rouen - Éloy à la Mailleraye)

30/03/1665 (Port et Sainte-Honorine) et 31/03/1665 102-107 (30), Bayeux (Arromanches et Annelles) 111-113 (31)

31/03/1665 (Four de Taute et embouchure) et 08/04/1665 Carentan - (Saint-Fromond) (AC + lettre Colbert reçus le 28/03)

Caudebec 01/04/1665 -

01/04/1665 (Caen) et 10/04/1665 (de Colombelles au hameau Caen - de Longueval)

01/04/1665 (le havre) et 02/04/1665 (la rade). Lettre de 114-113 (01), Cherbourg Colbert du 18/03 110-106 (02)

08/04/1665 (AC et lettre de Colbert du 18/03/1665) et 34-31 (08), 31-34 Grandcamp 09/04/1665 (rivière et havre d’Isigny) (09)

Eu-Le Tréport 11/04/1665 (lettre de Colbert envoyée le 17/03) 49-55

Barfleur 15/04/1665 87-90

La Hougue & 17/04/1665 92 Quinéville

Saint-Valéry- 17/04/1665 92 en-Caux

24/04/1665 (havre de Regnéville). 25/04/1665 (havres de 48-51 (24), 57-63 Lingreville et Bricqueville). 29/04/1665 (havre de Coutances (25),103-105 (29), Coutainville et de la berque à l’eau à Agon). 01/05/1665 101-97 (01) (havres de Saint-Germain et de Pirou)

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Ouistreham & 01/05/1665 (lettre Colbert envoyée le 16/03) 103-101 Bernières

Source : SHD Vincennes, SH 48. AC : arrêt du Conseil. Les coefficients de marée donnés (TU+2 heures) dans le tableau correspondent au jour de la visite des officiers d’amirauté et sont obtenus en ligne auprès du Service Hydrographique et Océanographique de la Marine de Brest. BnF, Mél. Colb., 128 bis, f° 761, les officiers de l’amirauté de Touques prétendent dans leur lettre du 1er avril 1665 à Colbert avoir mis leur procès-verbal à la diligence pour Paris, mais on n’en a gardé aucune trace. L’absence de procès-verbal du siège de Dives s’explique par sa décadence administrative avancée d’après Joachim Darsela. Au lieu d’un rapport de l’amirauté du Havre, on trouve dans le SH 48 un mémoire envoyé à Colbert par l’intendant Jean Baptiste Voysin de La Noiraye. Entré en fonction dans la généralité de Rouen depuis mai 1664, il inspecte souvent les travaux en cours dans les principaux ports de la généralité de Rouen (Dieppe, Le Havre, Honfleur) lors de l’enquête des amirautés de 1665. Son mémoire mentionne les aménagements à apporter au port du Havre et à la rade du Hoc illustré de deux cartes d’accompagnement du cartographe dieppois Guillaume Levasseur de Beauplanb. a) DARSEL, Joachim, « L’Amirauté en Normandie. L’amirauté de Dives », Annales de Normandie, 26e année, n° 2, 1976, p. 114. b) BnF, Mél. Colb., 128 bis, fol. 885, lettre du 15 avril 1665 et ESMONIN, Edmond, Mémoire…, op. cit., p. 9, n. 3. SHD Vincennes, Marine, SH 48, p. 65-67 pour les plans du Havre et du Hoc.

16 Durant les cinq semaines employées entre fin mars et début mai 1665 par les officiers des sièges pour effectuer leur visite et dresser le procès-verbal, les jours de visite d’une rade connue pour son marnage important sont occurrents avec de forts coefficients de marée (sièges de Coutances, Cherbourg, Bayeux, Barfleur, La Hougue, Saint-Valéry-en- Caux), de manière à pouvoir localiser précisément les éventuels dépôts anarchiques de lest. En revanche, les problèmes d’envasement ou d’invasion du galet étant déjà identifiés et localisés depuis longtemps par les comparants des grands ports de la généralité de Rouen, la tenue d’une visite un jour de coefficient de marée élevé ne paraît pas nécessaire (Dieppe, Honfleur, Rouen).

17 Aucun des renseignements fournis par les procès-verbaux n’est à négliger, à commencer par l’analyse des comparants désignés d’office par les lieutenants des sièges de Normandie. Leur nombre total s’élève à au moins 160 personnes, dont 38 à Dieppe. L’âge déclaré par les comparants constitue un élément de témoignage important car il véhicule la mémoire du littoral et de son éventuelle évolution naturelle. On obtient par exemple des témoignages sur l’effondrement des trafics durant le dernier conflit ou bien la confirmation du comblement progressif par les bancs de sable des petits havres du Coutançais depuis le XVIe siècle31. Ainsi, au havre de la « berque à l’eau » d’Agon, les comparants « se souviennent que ledit havre a esté plus facille en son entrée qu’il n’est de présent et quil y en est peu entrer des navires de soixante et quatre vingt tonneaux et que l’emboucheure de la rivière qui fait séparation du havre de Regneville et dudit havre d’Agon a esté remplie de beaucoup de sables qui ont rendu l’ouverture moins creuse quoyque l’impétuosité de la mer et des vents jettent lesdits bancqs et destournent ladite rivière de profondeur dordinaire environ trois a quatre pieds, tantost d’un costé, tantost de l’autre. »

18 L’un d’eux affirme avoir appris de feu Jullien Le Marinel, son père, ancien matelot, qu’il entrait autrefois dans le havre de Lingreville des navires de 60 tonneaux. Malheureusement, les informations les plus précises sur l’âge des comparants se limitent aux seuls sièges de Caen (moyenne sur 13 individus : 62 ans, [âges extrêmes : 76 ans-40 ans]), de Carentan (moyenne sur 5 individus : 56, [80-30]) et de Coutances (moyenne sur 22 individus : 56, [94-40]). Les parcours professionnels des matelots et maîtres interrogés mentionnent un âge d’accès précoce aux métiers de la navigation et

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de la pêche, conforme aux us et coutumes des communautés littorales32. Ainsi, à Regnéville, Philippe Allain, âgé de 85 ans, navigue depuis 70 ans. Dans le havre de Linverville, Germain Noël, âgé de 64 ans, navigue aussi depuis l’âge de 12 ans. Jean Chevreüil, âgé de 94 ans, est maître et propriétaire de bateaux depuis l’âge de 20 ans. Grâce à cette accumulation d’informations diverses reçues des sièges d’amirauté, il est possible de dresser l’inventaire portuaire presque complet de la Normandie.

L’inventaire des sites portuaires de Normandie

Préparer la guerre maritime en Manche

19 Colbert songe dès son accession à la direction officieuse des affaires de la Marine en 1661 à faire rechercher des sites naturels ou portuaires capables d’abriter une flotte et son infrastructure navale mais la nouvelle rivalité anglo-hollandaise précipite sa décision. Le désaccord entre ces deux puissances maritimes porte à nouveau sur la pêche et la commercialisation du hareng33, « un si grand différend et si important pour ces États » (Isaac Bartet à Hugues de Lionne), mais s’étend à une violente compétition commerciale et coloniale (prises du fort de Cormantin, de l’île de Boa Vista et de la Nouvelle-Néderlande). Le déclenchement du conflit anglo-néerlandais en mars 1665 préoccupe à juste titre le Conseil royal tant par les préparatifs d’armement d’une centaine de vaisseaux de la Royal Navy, la presse des équipages signalée de décembre 1664 à mars 1665 à Chatham34, que par les ambiguïtés sous-jacentes des pays protagonistes. Pourtant alliées à Louis XIV, les Provinces-Unies commencent à s’inquiéter ouvertement des ambitions commerciales françaises35.

20 La « furieuse jalousie » anglaise envers la France préoccupe tout autant Louis XIV. L’Angleterre s’est lancée depuis 1636 dans le fructueux trafic avec les Indes orientales, construit méticuleusement sa flotte de guerre, bien après avoir revendiqué la domination de ses mers bordières jusqu’aux rivages opposés (Manche, mer du Nord)36. De leur côté, les marchands de la City craignent ouvertement depuis 1662 la rapide montée en puissance du commerce français, attestée par une balance des échanges de plus en plus défavorable à l’Angleterre37. Enfin, les compagnies privilégiées, anglaise comme hollandaise (Society of merchants venturers, WIC), en pleine rivalité pour dominer le grand commerce atlantique38, ne veulent surtout pas souffrir la présence du nouveau concurrent français dans ce secteur.

21 Colbert a donc ordonné dès 1662 la recherche de sites idoines afin d’établir des ports de guerre capables de rivaliser avec Southampton et surtout, Portsmouth39. Il penche en 1663 en faveur du Havre pour « la construction d’un outil maritime » en Normandie, sans négliger les autres côtes du royaume40. Les travaux de Rochefort, « l’enfant chéri de Colbert41 », débutent en 1663. Le choix plus réaliste de Brest se concrétise l’année suivante lors de la chevauchée de Colbert du Terron. L’ogre dunkerquois se prépare à engloutir au total douze millions de livres en fortifications, chenaux, digues, bassins, écluses42. Le littoral normand, idéalement orienté face aux côtes anglaises, peut-il accueillir un port de guerre ? Rien n’est moins sûr. Malgré la clairvoyance de l’ingénieur Baudouyn, Colbert ne manifeste aucun intérêt pour la rade de Cherbourg. Dieppe ne compte finalement pour rien malgré la « bonté » de sa rade.

22 Après d’épiques foires d’empoigne entre ingénieurs, échevins, commissaires, officiers de marine et l’encombrant Duquesne43, l’utopie navale havraise, aussi médiocre que

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fort coûteuse, passe au bout du compte par pertes et profits. D’après l’intendant Voysin de La Noiraye, l’obstacle de loin le plus contraignant est que tous les ports normands sont « havres de marée et ou mesme l’on n’entre que de vive-eau », à l’exception de la fosse d’Omonville (Manche)44. D’après l’ingénieur architecte Gobert, l’inconvénient de tous les ports de Normandie orientale, depuis Le Havre jusqu’au Tréport, et même jusqu’à Dunkerque, est que « les jetées ne sont pas suffisamment avancées. À la mer montante, le flot provoque une accumulation de galets ou pouliers que les barres ne peuvent chasser45. »

23 Le SH 48 permet alors de recenser les facteurs naturels qui expliquent le désintérêt final de la monarchie envers le littoral normand. On ne peut, sur le fond, mettre en doute la bonne foi des officiers des sièges d’amirauté, pourtant largement insérés dans les réseaux de réciprocités sociales et de solidarités locales46. En revanche, les comparants ont vite compris tout l’avantage à retirer d’éventuelles retombées économiques locales en cas de construction d’un nouveau port. Ceux de Saint-Valéry- en-Caux affirment par exemple « que la rade du havre de Saint-Vallery est l’une des meilleures rades des ports de France, et la plus asseurée de la coste de Normandie », une affirmation d’ailleurs partagée par Duquesne, mais pour la rade de Fécamp47. En réalité, il ne s’agit que d’un simple mouillage à l’ouest de l’entrée de Saint-Valéry. Il est donc permis de douter, même partiellement, de l’objectivité des dépositions.

L’orientation des sites portuaires

24 La méthode critique la plus pertinente consiste à retenir les trois principaux critères d’analyse des sites portuaires présentés par Edmond Esmonin (orientation, profondeur et qualité du fond des rades) tout en croisant dès que possible les informations du SH 48 avec d’autres sources. L’orientation de l’entrée du port dans le secteur favorable du sud-sud-ouest, facilitant l’entrée d’un vaisseau au port ou pour sortir de la Manche, constitue le premier critère à une époque où les navires au long cours ne disposent que de la seule énergie éolienne. Ce point crucial est pourtant peu évoqué dans les rapports, à l’exception des procès-verbaux de naufrages qui évoquent dans le cas du Havre, par exemple, « la puissance de la lamme » contre les jetées lors des tempêtes (voir figure en hors-texte)48. Des contemporains notent d’ailleurs de plus en plus scrupuleusement les épisodes et phénomènes météorologiques dévastateurs qui frappent avec plus ou moins de régularité le littoral, en raison de leurs répercussions financières sur le commerce maritime, et plus généralement sur les biens publics et privés49.

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Figure 2 – Le naufrage de la Galathée au Havre en 1708

Ministère de la Défense, service historique, Vincennes, coll. Nivart, ms n° 144 302, « La Galatée sumergée [sic] par la mauvaise conduite des jettées du Havre, 1708 »

25 C’est donc de bonne guerre lorsque chaque marchand cherche à attirer à lui une clientèle de correspondants portuaires, en vantant par exemple la supériorité nautique des accès d’Honfleur sur ceux du Havre : « Il y a moins de risques à venir à Honfleur qu’à entrer au Havre, de foudre de vent. Les navires n’entrent point au Havre sans risquer beaucoup d’être perdus en entrant contre les jetées, et même dans le Havre, à cause que la mer y est toujours fort agitée (les navires s’entrecrèvent) des vents de sudouest et ouest-nord-ouest, qui est le vent propre pour arriver50. »

26 Mais n’en déplaise à notre commissionnaire en morues d’Honfleur, Le Havre et Le Tréport offrent seuls cette avantageuse orientation des vents. La grande rade du Tréport est orientée ouest/sud-ouest à une grande lieue du port. La petite rade se située « à portée de mousquet » (120 à 150 toises, soit 300 m environ). Le problème est qu’en cas de tempête, les navires dépourvus de protection doivent impérativement dérader après avoir coupé câbles, ancres, amarres et faire route vers d’autres rades au sud-ouest ou au nord du Tréport. L’entrée du Havre est bien orientée pour recevoir les vents portants mais son exposition l’expose à l’engorgement régulier de ses accès par le galet. Dès 1662, le chevalier de Clerville ne le considère pas comme un port « propre pour les navires du roi, ou de grand port. ». Les travaux qu’il estime nécessaires ne peuvent que le rendre bon aux navires marchands jusqu’à 300-600 tx. Duquesne juge également les rades du Havre très médiocres et dangereuses lors de son inspection de 1665 : « Aujourdhuy au meilleur endroit où il y a très peu d’espace il ne se trouve de basse marée au plus qu’environ vingt pieds de profondeur, et il est arrivé souvent qu’un navire de médiocre grandeur, lors d’un vent de tempeste ou les vagues de la mer

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sont grandes que les dictz vaisseaux ont touché entre le fond, ce qui les a contraint de s’abandonner à la coste, en sorte qu’il ne faut faire estat de la dicte rade que pour peu de vaisseaux de deux cens tonneaux51. »

27 De son côté, l’ingénieur François Blondel affirme, dans son devis du 10 décembre 1664, que « les incommodités de la rade et de l’entrée du Havre sont telles qu’il n’y a pas d’apparence que l’on veuille s’en servir pour les grands vaisseaux du roi ». Il préconise un simple « raccommodage » des écluses, le nettoyage du bassin et la réfection des épis de l’estran pour bloquer la progression du galet vers l’entrée du port52. La rade du Hoc (voir figure n° 3) située à l’embouchure de la rivière d’Harfleur a un fond de bonne tenue pour l’ancrage et de profondeur suffisante (25 à 26 pieds) mais sa sortie est mal orientée vers le sud-est. La mer se montre de plus « extraordinairement émue » en cas de vent d’ouest contre le courant de jusant. Les vaisseaux au mouillage sur la rade y fatiguent alors considérablement. De plus, les navires ne peuvent séjourner en grand nombre dans ce mouillage trop exposé aux vents de secteur ouest et nord-ouest53.

Figure 3 – L’estuaire de la Seine et le port du Havre

Ministère de la Défense, Service Historique, SH 48, estuaire de la Seine par Guillaume Le Vasseur de Beauplan, ca. 1665

28 En Basse-Normandie, la rade de Cherbourg dite du Gallet est le lieu où « possent » les navires, c’est-à-dire jettent l’ancre à l’échouage en l’attente de pouvoir entrer dans le port. Cette vaste rade est considérée par les comparants comme assez bonne de secteur de vent de sud à sud-ouest, un avis sérieusement contredit à trente ans de distance par le subdélégué de l’élection de Valognes54. En effet, son orientation ne permet pas aux navires d’en sortir sous ce secteur, car obstrué par la terre et les roches du Hommet dressées à proximité et qui abritent la rade de ces vents. Lorsque le vent est établi à l’est/nord-est les vaisseaux peuvent rader en se mettant à « l’abruit » de l’île Pelée,

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éloignée d’environ une demi-lieue du havre du Gallet et où l’on retrouve les profondeurs de 72 pieds et 36 pieds.

29 Dans le Coutançais, les rades et havres de Linverville, Gonneville et Gouville ne peuvent servir d’abri en raison de leur orientation ouverte face aux tempêtes d’ouest, en dépit de leur profondeur suffisante : le marinier Germain Noël de Linverville a « sondé la rade en morte eau et marée commune avec les cordes et le plomb et que dans les raddes où d’ordinaire vont les batteaux de cette coste il y a viron quarante pieds de haulteur et dans les marées communes et au plain d’icelle viron vingt quatre pieds, que toutes sortes de navires y pouroit radder mesme durant le plain de la morte eau néantmoins que ce ne soit un lieu de seuretté devant les tempestes des ventz de ouetz sur ouestz et du sut nous attestant qu’il n’a jamais veu de changement dans lesdittes raddes. » En conclusion, très peu de ports normands sont susceptibles d’offrir une orientation convenable. Il en va de même avec l’amplitude des marées.

Un obstacle à l’accessibilité portuaire des flottes de guerre : les amplitudes de marées

30 Le marnage d’un site portuaire, ou amplitude maximale entre la haute et la basse mer, doit être le plus réduit possible selon Voysin de La Noiraye, de manière à permettre l’entrée ou la sortie la plus fréquente possible des vaisseaux. Or, la configuration des côtes de la Manche accroît le phénomène de marnage dans des proportions très importantes au fur et à mesure que l’on progresse d’est en ouest. Ainsi, le maximum absolu du marnage est atteint au Mont-Saint-Michel, décroît ensuite au niveau du méridien de Cherbourg, avant de croître à nouveau vers l’est, mais de manière bien moins prononcée55. Les petits ports, havres et rades du Cotentin, du Coutançais et de l’Avranchin sont de facto exclus des sites à retenir pour le projet de Colbert. En revanche, l’avantageuse situation géographique de La Hougue, Port-en-Bessin et Ouistreham les surclasse par rapport aux ports cauchois ou picards dans le système des marées en Manche56.

31 Les caractéristiques des marées relevées en Normandie (système alternatif semi-diurne, marées de vive-eau et de morte-eau, amplitude saisonnière des marées au cours de l’année et surtout aux équinoxes, ondes de tempête) influent directement sur les profondeurs des rades et ports de la province et, par voie de conséquence, sur les tirants d’eau des navires. La profondeur de référence minimale pour l’entrée des bâtiments de commerce dans les ports marchands est de 18,5 pieds (6,10 m), équivalente au port des vaisseaux de guerre de 500-600 tonneaux tout au plus (vaisseaux de 4e rang)57. Clerville à Honfleur et Duquesne au Havre retiennent eux aussi ce seuil de 18 pieds, au-delà duquel il ne se trouve plus de port éligible dans le projet de Colbert58. Les profondeurs des ports, havres et rades indiquées dans les procès-verbaux du SH 48 entretiennent néanmoins à dessein l’illusion de leur accessibilité nautique aux pleines mers de vive-eau. Dans le port de Honfleur par exemple, on sonde 22 pieds de profondeur « ce qui donne lieu aux navires par la conduitte des pilottes lamaneurs dy entrer tous chargez et d’en sortir en mesme estat. » Clerville tempère pourtant l’enthousiasme du lieutenant du siège Amelyne, en précisant dans son rapport de 1664 à Colbert que « comme l’entrée n’en est pas trop bonne à cause des batures qui sont au devant, il n’y a gueres de lieu d’espérer qu’on y puisse introduire de grands navires59 ».

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32 Le tableau suivant synthétise les dépositions des comparants sur les hauteurs d’eau de leurs ports, parfois corrigées ou complétées par le recours à d’autres sources. Les cases figurant en grisé représentent le seuil de référence de 18 pieds minimum atteint soit à la pleine mer de vive-eau, soit à pleine mer de morte-eau ou encore à basse mer de vive-eau (aucun procès-verbal n’indique la profondeur à basse mer de morte-eau, la plus faible).

Tableau 4 – Hauteurs d’eau dans les ports de Normandie en 1665

Hauteur d’eau de Hauteur Hauteur d’eau à Hauteur d’eau, Ports Site « grande d’eau à PM de PM de vive-eau BM de vive-eau mer » en morte-eau 1627

Eu-Le Tréport La Bresle - 20 pieds au moins 12 pieds -

Canal d’Artois Eu-Le Tréport - 15-16 pieds - - (Tréport- Eu)

6 brasses. 5-6 Grande brasses Eu-Le Tréport - 10 brasses rade (Voysin de La Noiraye)

20 pieds à l’entrée du 5 brasses (4 selon Eu-Le Tréport Petite rade -- port (visite Voysin) de 1639)

7-8 brasses. 8-9 brasses (caps. 20 pieds (Gobert en Barbier, Soyer, Dieppe La rade 20-24 pieds - 1665) Fillye). 9-10 brasses (lt. amirauté)

Le havre de Entrée en partie Saint-Valéry- Saint- bouchée par 20-22 pieds 12-13 pieds - en-Caux Valéry dit tempête de 1662. 4 les marestz brasses (Voysin)

Entrée du 4,5 brasses Fécamp 18-20 pieds -- porta (Voysin)

15-16 pieds d’eau 10-11 pieds. Entrée du 18-20 pieds (1661 et 1668, R. Bouchée en Le Havre - port Jansse). 25-26 novembre pieds (Montegui) 1664

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Le Hoc : 3 brasses Le Havre La rade - 18-20 pieds (Voysin)

3 brasses d’eau Honfleur La rade - - - ou 15 pieds tout au moins

20-22 pieds/14-15 Le canal ou Honfleur 18-20 pieds pieds (Gobert, -- ruel et port 1665)

Port-en-Bessin Le port - 18 pieds - -

40 brasses/ Grande et 8-9 brasses Port-en-Bessin - petite rades (Gouhier, 1746)

Sainte- - - 10 pieds 8 pieds - Honorine

Arromanches & - - 6 pieds - - Annelles

Rade et Grandcamp banc du - 10-12 pieds - - Sablon

Ancien Grandcamp - 10-12 pieds - - havre

Grouin de Grandcamp - 30 pieds environ - - la dune

Rivière et Grandcamp havre - 20 pieds - 4 pieds d’Isigny

Rivière de Vire - - 20-30 pieds

La Hougue & - 15 pieds 14 pieds 7 pieds - Quinéville

13-14 pieds Havre de Barfleur - (embouchure et 10-11 pieds - Barfleur milieu)

Cherbourg Le havre 25 pieds 18 pieds 7 pieds -

Rade du Cherbourg - 72 pieds 36 pieds - Gallet

Port Bail 10 pieds

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Havre de - - 10-12 pieds 4-5 pieds - Regnéville

Havre de Lingreville et - - 10 pieds - - Bricqueville

Linverville, Gonneville et - - 40 pieds 24 pieds - Gouville

Havre de - - - 8 pieds - Coutainville

Havre de la barque à l’eau - - - 8 pieds - (Agon)

Havre de Saint- - - 15 pieds 6 pieds - Germain

Havre de Pirou - - 12-15 pieds - -

Sources : SHD Vincennes, SH 48 ; PETER, Jean, L’arsenal…, op. cit. ; ESMONIN, Edmond, Mémoire…, op. cit. ; BnF, ms fr. 18596 ,mémoire de Nicolas Langlois de Collemoulins, 1627 (Dieppe à Genêt, pas de renseignements sur Eu-Le Tréport, du ressort du Parlement de Paris). Métrologie : un pied vaut 0,33 m. Une brasse marine ou « brasse nouvelle » vaut cinq pieds (1,624 m). COLLINS, James B., « La flotte normande… », op. cit. ; peu d’écart des profondeurs des ports à constater entre 1627 et 1665. a) « De cette manière le port, qui a desjà de profondeur à son entrée jusques à vingt cinq pieds d’eau aux grandes marées, reprendra son ancienne largeur et se nettoyera par le dedans, que l’on y pourra tenir comme autrefois plusieurs vaisseaux flottant de basse marée. » (BRÉARD, Charles, « Mémoires… », op. cit., p. 18).

33 Les cases en grisé du tableau font ressortir le nombre restreint de ports normands susceptibles d’atteindre, voire de dépasser, le seuil minimal de 18 pieds. Le Tréport, Dieppe, probablement le mouillage de Saint-Valéry-en-Caux en pleine mer de vive eau, et Fécamp lorsque son port est débouché, sont les seuls ports du littoral cauchois capables de présenter une profondeur quelque peu acceptable60. Le chenal du Havre, régulièrement « engorgé » par les vases et galets, atteint péniblement 15 à 16 pieds de profondeur à la pleine mer de vive eau et 10-11 pieds en morte eau. Honfleur affiche une profondeur plus convenable mais son port, partiellement envasé depuis des décennies, restreint le trafic avec une profondeur maximum de 14-15 pieds61. En Basse- Normandie, les ports disposant d’une rade profonde sont peu nombreux. Les ports et havres suivants ne sont du reste accessibles aux bâtiments de commerce qu’aux pleines mers de vive eau à chaque quinzaine : Port-en-Bessin, le mouillage forain du Grouin de la dune et le havre d’Isigny dans le ressort de l’amirauté de Grandcamp, la rade du Gallet à Cherbourg, les rades de Linverville, Gonneville et Gouville dans le Coutançais. La nomenclature se réduit encore si l’on prend en compte le « plain de la mer ».

34 La durée du « plein » ou « plain », c’est à dire l’étale de la pleine mer, constitue un autre facteur nautique déterminant dans le choix d’un site. En effet, plus la durée du plein s’allonge, plus une flotte de guerre dispose du temps et de la cohésion tactique

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nécessaire pour faire entrer ou sortir tous ses vaisseaux à marée haute dans le délai impératif d’une seule marée. Le plein de la rade de La Hougue est bref : « le havre de la hougue est facile d’entrée, long et large et l’emboucheure assez nette mais que les mariniers ne peuvent entrer que par le temps et les passes de quatre heures chaque jour d’autant que la retraitte actuelle de la mer faict assecher ledit havre ». La rade de Dieppe n’a qu’un plein limité à une demi-heure, un délai bien trop court62. En revanche, Clerville mentionne au Havre le phénomène de « tenue du plein », aussi appelé localement le « Verhoulle », pendant laquelle le niveau d’eau ne monte plus que très lentement et en très faible quantité durant près de trois heures63. Pourtant, cet atout exceptionnel ne profite guère au mouvement portuaire puisque l’accès du Havre est devenu si délicat vers 1664 que, d’après Duquesne, un pilote ne parvient à peine à y faire rentrer quatre terreneuviers de 12 pieds de tirant d’eau (3,96 m) durant ce temps : « Autrefois le port du Havre estoit plus profond de beaucoup et plus commode pour les grandz vaisseaulx, ensorte qu’encore les années 1620 et 1625 des navires du Roy, la Nostre-Dame d’environ huict cens tonneaux et quatre autres de grandeur considérable demeuroient en flotte de basse marée proche de la grande Bare. Tous les moyens vaisseaux venant de Rouan et des ports voisins entroyent dans ce port facilement d’un tiers du flux. Aujourd’huy il n’y a pas d’endroict ou une barque de cinquante tonneaux puisse demeurer en flotte, et avec peine et risque les vaisseaux de Terre Neufve qui sont très moyens entrent dans ce port lors de la plaine mer, si ce n’est aux grandes marées que le vent soit propre et la mer calme64. »

La nature des fonds de rade et la sécurité des mouillages

35 La nature du fond d’une rade constitue le troisième et dernier critère du choix d’un site portuaire. En effet, une flotte de guerre doit nécessairement mouiller sur l’ancre en rade soit en l’attente d’une marée, d’une météorologie ou d’un vent favorable pour faire mouvement, soit encore pour achever l’embarquement de vivres, munitions et artillerie. En Haute-Normandie littorale, les fonds des rades sont généralement trouvés sains. Ainsi, le fond de la rade du Tréport se compose de « sable vaseux fort uni, sans roc ni écueil naturel et sans lest déchargé ». La rade est très commode à cause des abris existants et de l’ancrage qui est « parfaitement bon » pour tous navires et vaisseaux arrivés dans l’embouchure du havre « grandement sain et propre ». Voysin de La Noiraye affirme qu’à Dieppe la « rade est une des meilleures qu’on puisse trouver, ayant huict brasses d’eau et un fonds argilleux », n’ayant d’ailleurs connu aucun changement notable depuis 162765, une stabilité du site confirmée par l’ingénieur Gobert en décembre 1665 et Jacques de Serne, capitaine de vaisseau du roi à Dieppe. À Fécamp, Gobert estime la rade bonne, mais son port est constamment bouché par le galet66.

36 Voysin de La Noiraye juge la rade du Havre très médiocre pour l’ancrage : « Ce qu’il y a de deffectueux, c’est que sa rade n’est pas des meilleures pour n’avoir de basse mer que trois brasses d’eau et un fonds assez mauvais, qui est une huystrière meslée en partie de sable et en partie de roche67. » L’ingénieur Regnier Jansse le jeune déconseille tout aussi catégoriquement la rade du Havre à tous les types de vaisseaux en raison des dangers permanents menaçant la navigation, notamment les nombreux dépôts de lest abandonnés par les navires marchands : « Cette rade a des deffaults considérables. Premièrement, elle est de très-mauvaise tenue et fort sale, tant pour les cailloux que la mer y apporte, que par le delestage des vesseaux estrangers quy y ont jetté quantité de pierres coupantes, pierres de mines et autres quy scient et coupent les cables aussy bien que par les ancres que les navires sont obligez d’y laisser. En second lieu, qu’elle n’a aulcun abry des vents

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de dehors quy sont ceux d’aval [d’ouest] les plus dangereux de tous. En troisiesme lieu, l’on n’y peult filler de cables faute d’espace. Enfin, on n’y peult sortir de basse mer, n’y ayant assez de fonds sur les bancs68. »

37 L’intendant Voysin juge un peu plus favorablement Honfleur car « Sa radde est beaucoup meilleure que celle du Havre en son fonds, mais aussy elle est descouverte de tous les mauvais vents comme est celle du Havre. » Son fond de vases à marée basse procure une sécurité à l’échouage aux navires venus s’y réfugier depuis la rade du Havre69. En Basse-Normandie, les informations portant sur la nature des fonds de rade ne commencent qu’à Port-en-Bessin où « la rade est fort bonne et de bon ancrage », ce que confirme un mémoire de 174670.

38 La rade de Grandcamp n’autorise l’échouage qu’aux petits bateaux pêcheurs en raison de la présence du banc du Sablon. Près de Grandcamp, le Grouin de la dune dans la paroisse de Fontenay est « le lieu ordinaire où reposent les navires et bateaux venant sur les côtes de cette juridiction qui forme un grand pays plat et sablonneux propre pour l’ancrage […] il n’y a aucune habitude, seulement le péril de la mer. Le havre du grouin de la dune à Fontenay a toujours été en l’état qu’il se trouve actuellement et est toujours le lieu de repos des bateaux venant en cette côte », où il n’existe aucun autre lieu de repos pour les bateaux. Le port de Carentan ouvert sur la Manche par la Vire ne présente aucun intérêt pour la Marine royale car il « a ses rades plattes et il n’y peut arriver que de petits batteaux71 ». Parmi les ports et rades du Cotentin, La Hougue intéresse tout particulièrement Vauban car « la rade distante d’une portée de mousquet desdicts havres est belle pour estre de deux lieues de largeur et autant de longueur le fond de laquelle est de glèze et terre blanche sans aucune roche et de fort bonne teneure72 ». En revanche, Barfleur n’a qu’un accès limité par un banc de sable à l’entrée du havre : « […] haussé de viron deux pieds tant par le sable que la mer y a par sa violence apporté de dehors que par celuy qui sy est déroulé du fonds du havre par le moyen d’un fort courant qui roule par le milieu dudit havre et que le banc s’est avancé dans ledit havre de la longueur de viron deux toises, que le fonds et assiette dudit havre est dur et ferme en quelques places et plus molle en l’accès y ayant deux petits rochers dans le milieu iceluy nommé la branche et petite poignante élevés du fonds de la hauteur d’un pied et demy ou viron. »

39 Le havre de Cherbourg est établi du côté de l’ouest contre la ville, château et faubourg de Cherbourg, et du côté de l’est contre les sables et mielles (dans le patois de la Manche, ce sont des grèves plates, sèches et mobiles), sans causer aucun préjudice à l’embouchure du havre : « ledit havre est de present meilleur quil ay testé y ayant esté faict une petite jettée des deux bords de l’emboucheure dudict havre qui cause par la rapidité de l’eau que ledict havre soit apronfondy ». mais aucun commentaire des comparants n’insiste sur la piètre qualité du fond de la rade pour l’ancrage des navires. Enfin, plusieurs procès-verbaux livrent ponctuellement quelques informations complémentaires sur les sites portuaires.

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Les informations complémentaires retirées des procès-verbaux

La question de l’évolution du trait de côte

40 Plusieurs officiers d’amirauté mentionnent l’intéressant problème du changement du trait de côte ou du profil de rivière73. Ainsi, le phénomène qui apparaît le plus fréquemment sur le littoral normand est celui du comblement des ports et havres, soit par les vases et galets, soit par les bancs de sable. En Haute-Normandie, le recul de la falaise et la formation d’un stock de galets déplacé par les courants et les vagues est à l’origine de l’accumulation de ce matériau dans les ports du Pays de Caux74. Il se crée au Tréport des « perroys » (perreys) de galets accumulés au sud de ce port. Le remède serait, selon les comparants, de rallonger la jetée bâtie du côté du sud pour bloquer la progression du galet. Les principaux marchands notables de Dieppe (Chauvel, Néel, Faulcon, Dupuis, Le Griel et Locquin) déclarent, après une longue conférence entre eux, « qu’ils ne peuvent parler de la qualité de la rade de cette ville pour nestre de leur compétence que le port et havre en est a present passablement bon, mais en tout temps sujet au changement ce qui peut estre corrigé par le moyen des jettées ».

41 Au Havre, le recul du cap de la Hève consécutif aux éboulements de la falaise (en 1666, recul de plus de 50 toises, soit 100 mètres environ en trente ans d’après les habitants du Havre) alimente régulièrement le mouvement du galet tant vers la pointe du Hoc en Seine que vers le Hâble d’Ault à proximité de l’estuaire de la Somme75. Les plus anciens et experts bourgeois de Honfleur confirment que « le plus souvent les raddes sont plus profondes y ayant long temps quelles ne l’avoient esté sy peu Ce qui provient de ce que ledit canal ne se descend point a droicte ligne en ces raddes comme il faisoit au temps passé » ; ils ajoutent que le canal ou ruel d’Honfleur contient « plus de 20 pieds d’eau contre 30 pieds autrefois lorsqu’il estoit en son premier estat76 ». Les 150 pilotes de l’amirauté de Caudebec « sont obligez de lune en lune de sonder les lieux dangereux et de voir le diep ou canal de la rivière à cause des bancs de sables muables qui se rencontrent et qui font changer le diep ou chemin de marée ». Les pilotes attestent qu’ils ont trouvé ou trouvent encore de présent dans le canal de la Seine depuis la rade du Havre ou de Honfleur jusqu’à Quillebeuf « […] qu’il n’y a audit Quillebeuf qu’une rade ou posée où les bâtiments s’échouent à toutes les marées en attendant la marée propre pour monter ou descendre, qu’elle a été toujours et est encore très bonne pour mettre à l’abri jusqu’à 150 vaisseaux des vents d’ouest à sud-ouest , sud et sud-est77. »

42 En Basse-Normandie, les mouvements des marées vont jusqu’à affecter la navigation fluviale. La visite de l’Orne du 10 avril 1665 emprunte la partie aval du fleuve, de Colombelles à Longueval. Les pilotes affirment « […] qu’il y a cinquante ans et encor depuis quilz ont veu la riviere profonde de plus de dix pieds deau de plaine mer parce que la riviere estoit plus estroite de la moityé pourquoy les batteaux et navires de grandeur de Cent thonneaux et plus alloient pour lors facillement a la ville de Caen chargez ou a present Il ny peut aller que du port de quarante a cinquante thonneaux et encore de quinzaine en quinzaine et durant la grande mer et que Sil ny est remedyé ladicte riviere ne pourra plus estre navigable ».

43 Selon eux, l’élargissement du cours de la rivière et la diminution importante de sa profondeur s’expliqueraient « par le flux et reflux de la mer et Inondations et

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débordements deaux qui ont remply le cours faute d’entretien et faute de digues tallutz et pieux le long des bords dicelle. » En revanche, les rivières du pays du Plain dans le ressort de l’amirauté de Carentan ne connaissent guère d’évolution, car l’accumulation de sédiments marins demeure constamment positive dans les estuaires de la baie des Veys78. Les comparants du lieu déclarent d’ailleurs que, dès leur plus jeune âge, « ils ont vu ces rivières et havres dans le mesme estat qu’actuellement sauf lors des inondations et impétuosité des eaux l’hiver, et la violence des grands flots et marées ».

44 Le phénomène d’évolution du trait de côte se manifeste régulièrement près de l’estuaire de l’Orne, mais sans modification irréversible dans les petits havres du Coutançais et du Cotentin. Sur le littoral, le havre de Grandcamp se trouvait autrefois dans un lieu plus éloigné que l’actuel et joignait la paroisse de Criqueville ; il est à présent hors d’état pour y abriter des bateaux : l’embouchure de la rivière du Verrey (le Véret) qui se jette dans ce havre a été remplie par les « apports de la mer » (pierres et sablon), ce qui empêche son « dégorgement » par le rehaussement sédimentaire. Les comparants jugent que 30 000 lt au moins seraient nécessaires pour remettre l’ancien havre en état, somme trop élevée et non justifiée pour un si faible trafic. Le même inconvénient se produit à Vierville, distant d’une lieue et demie de Grandcamp. Ce petit havre situé dans un abaissement de la côte n’accueille plus de bateaux depuis plus de trente ans parce qu’il a été rempli de sablon « par l’impétuosité de la mer79 ».

45 Dans le Cotentin, « le havre de Quinéville est fort enfoncé dans les terres et l’entrée assez difficile tant a cause des bancs faisant les deux costés d’une estroitte et pettitte riviere partant dudit havre pour aller a la mer, qu’a raison du peu d’eau qui demeure sur lesdicts bancs ». Au havre de Regnéville, « la force desdites marées change quelque foys le cours de ladite rivière et fait former quelques bancs de sable par aucunes foys proche de ladite rivière, et aucunes foys elle les destruicts et ruinent par son montant naturel80. » Germain et Pierre Tanquerey de Coutainville déposent qu’ils ont « […] tousiours veu ledit havre en mesme estat et fort difficile et périlleux dans son entrée a cause des bancqs de sable qui sont a l’emboucheure d’icelluy et qui se changent au gré des vents et de la mer pourquoy ont esté obligés de planter en ladite entrée des marques et balizes lorsque le cour d’un petit ruisseau qui court dans ledit havre qui est un havre de barre se trouve diverty tellement que dans le plain des marées communes et hors le temps de la morte eau Il ne peult entrer dans ledit havre que des vaisseaux du port de environ vingt tonneaux ny montant davantage que environ huict pieds d’eau durant trois a quatre jours par chaque quinzaine ».

46 L’ensablement progressif des havres du Cotentin occidental par la formation de barres à l’embouchure de l’estuaire entraîne la diminution régulière des tonnages fréquentant ces parages81. Ce phénomène explique aussi en grande partie la disparition des armements terre-neuviens locaux au XVIIe siècle 82. Au havre de Lingreville, Barnabé Hüe, âgé de 46 ans, matelot et propriétaire d’un bateau naviguant depuis ce havre, « a cognoissance que depuis plus de vingt cinq ans ledit havre n’a aucunement changé […] mais que auparavant ledit havre estoit fort bon et fort facille comme il l’a appris par ses ancêstres sy ledit havre n’esté gastey par des bancqs de sable qui se sont former a l’emboucheure et a l’entrée dudit havre a cause de l’impétuosité du vent et de la mer ». Au havre de Pirou comme dans celui de Saint-Germain83, les comparants signalent le changement très fréquent de l’entrée à cause de la présence de bancs de sables.

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La lutte contre le délestage anarchique des navires

47 Les autorités luttent également contre le délestage anarchique des vaisseaux dans les ports et havres. En effet, le lest d’un navire est composé de pierre ou de sable entreposé à fond de cale. Cet élément de stabilité du navire, surtout lorsque le bâtiment est lège, est indispensable à sa sécurité lors d’une navigation. En revanche, sa masse peut éventuellement déformer, voire crever, la coque du bâtiment pendant un échouage84. Les capitaines et maîtres de navires doivent donc délester leur navire à l’arrivée en déposant le ballast dans un lieu désigné et marqué par les officiers du siège d’amirauté local. Le problème demeure secondaire dans les petits ports et havres du Cotentin car bien souvent l’équipage se charge seul du délestage. À Linverville, Gonneville et Gouville, « lorsqu’il arrive des batteaux dans lesdittes raddes qui apportent leurs lests, les mathelots le font a mesme temps transporter au plain de la mer vis-à-vis et a l’endroit des raddes dont les habitants se servent à faire des maisons ». À Lingreville et Bricqueville, aucun lest n’a été versé dans le havre depuis plus de vingt ans car les petits bateaux du lieu jaugeant au plus trois tonneaux n’emploient aucun lest à bord.

48 À Port-en-Bessin et à Sainte-Honorine, les bateaux sont halés à terre au cabestan ou « hauvers en barre ». Le lest du bateau est « mis hors et amonté » au-delà de l’estran pour que cela n’apporte aucun dommage aux bâtiments suivants. La décharge des lests à Carentan se fait contre les « diqueries » des rivières pour les renforcer contre les inondations de la Vire et de ses affluents ou pour la réparation des chemins85. Aucun dépôt de lest n’y est non plus remarqué sauf sur la chaussée submersible de Saint- Fromond gênant le passage des navires. En revanche, à Barfleur, le mauvais état du « […] fonds du havre ou posent ordinairement les barques et navires est bordé de plusieurs rochers sur et au-dessus desquels nous ont dit avoir de tout temps vu jeter et délester les lests des vaisseaux lesquels descharges ainsy que les immondices qui procedent du parcage des huistres que l’on parque ordinairement sur les bords dudit havre ont fait hausser le fond dudit havre de viron un pied et les bords de deux ou trois ».

49 Les réactions des autorités locales varient surtout selon la nature de la gêne causée au public et à l’environnement naturel immédiat. Elles n’atteignent pourtant jamais le niveau d’inquiétude élevé des quelques observateurs du siècle suivant dénonçant « l’infection des mers et l’empoisonnement des côtes », à l’origine de la diminution de la « fécondité des océans86 ».

50 Le problème du lest diffère nettement dans les ports marchands où le trafic n’a rien de commun avec celui des petits havres. Les officiers et maîtres de quais surveillent constamment le délestage des navires et le dépôt de leurs lests au lieu indiqué selon sa nature. Les vaisseaux qui entrent dans Cherbourg ont un lest composé en partie de sable et en partie de galet, mais les conditions naturelles du port impliquent une séparation des sites de stockage. Le sable se décharge à l’est du havre et le galet du côté de l’ouest hors du havre, tant pour que les vaisseaux qui ont du lest à prendre puissent s’en lester que pour éviter le refoulement des galets dans la rade par les courants. Les navires délestent aussi avant de remonter un cours d’eau pour réduire le tirant d’eau. Les anciens maîtres interrogés n’ont jamais vu décharger aucun lest dans le havre de Ouistreham « qui a son emboucheure de la mer qui a son flux et reflux dans la rivière d’Orne qui va du havre de Ouistreham dans la riviere de Caen et qu’au contraire les navires qui viennent de la rivière de Caen se lestent de sable qui est audit havre ». Sur la Seine, à Quillebeuf et autres posées du ressort de cette juridiction, « les navires ne

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lestent ni délestent que fort peu. Lorsque cela se fait par quelques-uns des maîtres de navires, les officiers font mettre le lestage au haut de la pleine mer et proche de la côte. » Parfois, les maîtres de vaisseaux n’ont pour seul lest en remontant la Seine vers Rouen que leur chargement. Par exemple, les heux de Picardie chargés de sablon revendent ce lest aux habitants de Rouen87 ; au retour, ils appareillent lège depuis Rouen avant de charger du fret aux carrières de Dieppedalle ou de Caumont (pierres de taille).

51 On reste plus dubitatif à la lecture d’autres procès-verbaux. Peut-on croire sur parole les capitaines, maîtres et bourgeois d’Honfleur affirmant qu’aucun navire français ou étranger ne décharge de lest dans le canal ou en rade parce qu’il « n’y a aucun lieu destiné au dépôt du lest puisque les navires n’en apportent pas dans le port » ? Au Havre, Voysin de La Noiraye reste prudemment évasif dans son rapport : « On dit que cette rade a estée gastée par le lest des vaisseaux que l’on y a deschargé », car ce genre d’affaires relève du gouverneur et de l’échevinage88. Il faut en fait y voir comme très souvent une histoire de « gros sous ». Dans l’enquête des amirautés de 1665, aucun procès-verbal ne signale l’existence permanente de droit de lestage ou de délestage de navires en Normandie, à l’exception de celui du lieutenant du siège de Rouen, du 23 avril 1663 confirmé en octobre 1664, le seul de la province à mentionner scrupuleusement le règlement de l’amiral, le duc de Vendôme.

La dégradation inquiétante de l’outil portuaire en Normandie

52 Comme on l’a vu, les ports normands sont tous des havres de marée, asséchant à marée descendante. La plupart d’entre eux sont, de surcroît, naturellement menacés d’envasement et de comblement de leurs accès par le galet ou le « sablon ». Le port de Fécamp « où il n’y a que des bateaux de pêcheurs est rempli de galets ». Duquesne mesure l’ampleur de l’envasement portuaire au Havre entre 1620 et 166589. Si les phénomènes naturels expliquent largement les accès des ports normands rendus difficiles, il faut aussi imputer aux négligences humaines une bonne part de responsabilité dans le délabrement général des infrastructures portuaires.

53 Les infrastructures d’un port nécessitent un entretien régulier pour rester opérationnelles, mais cela n’est pas toujours compatible avec des finances publiques ou municipales fragilisées par la guerre, comme la banqueroute de l’État en 1648, par exemple. Le quai de Rouen, le cœur marchand de la place avec la Bourse des marchands90, en constitue un exemple particulièrement significatif91. En dépit du flot continu de passagers et de marchandises92, les périodes d’entretien des quais alternent avec des phases d’abandon. Ainsi, de nombreuses portions du quai font encore l’objet d’améliorations successives au début du XVIIe siècle : le quay des navires est taluté en 1608, le quay de la voiture d’Elleboeuf est pavé, « piloté » (consolidé verticalement par des « piles » ou pilotis plantés en rive) et taluté en 1616, le quay de Paris est à son tour taluté et pavé en 1617, suivi par le quay du plastre en 1638. Rien ensuite, jusqu’en 1660 où l’on bâtit le nouveau quay aux pierres. La longue durée des négligences d’entretien et de curage des abords des quais perturbe pourtant le mouvement portuaire d’après le procès-verbal du lieutenant de l’amirauté de Rouen Duhoulley : « Les taluts depuis la porte Guillaume Lion jusqu’à la porte Saint Eloy sont en quelques endroits gastez tant par les vidanges des escalles que des fenges qui donnent en quelque façon

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empeschement aux vaisseaux qui sont chargez d’approcher facilement des quais lesquelles fenges ne proviennent que du coulland que la rivière apporte. »

54 Les chemins de halage longeant les rives de la Seine sont eux aussi trouvés en mauvais état entre Rouen et l’aval jusqu’à La Mailleraye93. La navigation sur le fleuve se heurte également aux dangers des bancs mouvants de sable et de vase, imposant le recours aux pilotes : « La rivière de Seyne est fort large en son entrée, et jusques a Quillebeuf est plaine de bancs de sable mouvant ; depuis le Havre jusques a Honnefleur, et d’Honnefleur jusques a Quillebeuf elle est aussy subjecte a un flot impétueux qu’on apelle la Barre. Quilboeuf est un lieu très important, tous les vaisseaux qui viennent de la mer estans obligés d’y arrester parce qu’une marée ne les peut porter, et de plus il y a vis-a-vis un banc de sable changeant pour lequel éviter on est obligé de prendre des matelots du lieu94. »

55 La dégradation des installations portuaires, ou à tout le moins leur vétusté, est tout aussi préoccupante sur le littoral cauchois. Le défaut de déblaiement des vases du port et des affaissements de terrains provenant du ruissellement des eaux pluviales expliquent le comblement progressif du havre et du « canal » (chenal) de Saint-Valéry- en-Caux depuis la visite en 1627 de Langlois de Collemoulins95. Le procureur du roi souligne le poids de la guerre maritime dans le délabrement des installations portuaires, mais pointe aussi la négligence des lesteurs de navires96. Dans le Cotentin, l’embouchure du havre de Cherbourg est menacé par le risque d’effondrement du pont de pierre97. Les conflits d’usage ne sont pas rares entre voies de communications : la descente de la Vire en barque depuis Saint-Fromond jusqu’à l’embouchure du Petit Vey est gênée entre Montmartin et le marais de Higate par un apport et amas de grandes quantités de pierres servant de chaussée submersible et passage au lieu appelé Raye Guérout.

56 La situation du Havre apparaît autrement plus critique, tant en raison de son importance commerciale et stratégique, que par l’ampleur du délabrement des infrastructures portuaires. Cette situation résulte tout d’abord des erreurs d’appréciations commises par l’architecte Regnier Jansse l’aîné dès la construction du bassin à flot en 163598. Les installations portuaires ont ensuite été entretenues vaille que vaille jusqu’à la fin du ministériat de Richelieu99. Mais une décennie plus tard, « tout menace prompte et entière ruine » : les jouyères de maçonnerie, le pont levant double de l’écluse, le talus écroulé sont à l’abandon faute de fonds. En mars 1657, le bassin à flot est totalement impraticable aux navires. Le bassin est presque entièrement comblé de vase. Les portes rompues de l’écluse ne retiennent plus l’eau à marée descendante. Le ponton et « pipery » pour caréner les navires sont détruits. Le port part à vau l’eau, mais les échevins havrais n’obtiennent aucun financement de la duchesse d’Aiguillon100. De plus, la tempête cyclonique du 22-23 novembre 1662 endommage le port déjà fort mal en point et presque obstrué de graviers et galets à l’entrée101. Ainsi, la dégradation plus que préoccupante des infrastructures portuaires du Havre jointe à la question essentielle de ses accès pour les navires de fort tonnage n’exige pas moins de trois études successives analysées par Jean Peter102.

57 L’exemple du Havre souligne plus généralement la qualité discutable des matériaux employés dans les travaux de réparations portuaires103, le manque criant de moyens financiers ainsi que la très forte pression fiscale ressentie durant les conflits de la période 1635-1659. À Barfleur, aucun fonds n’est « employé pour la répurgation dudit havre ». L’entretien du canal ou « ruel » d’Honfleur menant au bassin consiste, d’après

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les bourgeois et experts du lieu, en pose de fascines de brières et de longs pieux de bois. Le financement de ces opérations provenait des don et octroi du droit de quatrième concédé par le roi aux habitants de la ville. Mais le roi ayant repris quelques années auparavant la moitié du provenu de ce droit, les habitants ont saisi au vol ce prétexte pour ne plus payer les travaux de maintenance. Faute « d’entretenement », le cours du canal s’est modifié « et passe de présent a cause de la mutation du courant de la rivière de Seyne par un lieu dont l’entrée est plus difficile que auparavant104 ».

58 Les négligences constantes des usagers des ports provoquent également l’obstruction partielle des installations. Les fossés d’Honfleur, saturés de vases faute d’entretien, ne remplissent plus leur fonction de chasse pour maintenir une profondeur suffisante dans le port105. En dépit du curage du bassin de Dieppe entrepris par l’échevinage depuis 1657, Saint-Victor, le lieutenant du siège note que « […] pour le regard dudit havre, quil est necessaire de le faire curer attendu quil est remply de pierres et immondices qui causent que l’on ne peut trouver en iceluy aucuns plats ou les vaisseaux puissent estre en seureté, ny demeurer en flotte de basse eau, comme on les a veu cy devant jusques a trois et quatre en haye ou a costé les uns des autres ».

59 Mais ni le lieutenant du siège, ni les marchands du lieu n’osent révéler ouvertement les errements comptables commis par les fermiers du droit de quayage de Dieppe dont les fonds devraient, en principe, être affectés à l’entretien des quais106.

60 En Basse-Normandie, le cours de l’Orne entre Caen et l’estuaire représente presque un cas d’école par l’importance des dégradations, conflits d’usage et malversations concentrés dans le procès-verbal de 1665. Cette importante voie d’échange fluviale entre Caen et la Manche subit régulièrement pendant la mauvaise saison des « crétines » ou crues provoquées par la rencontre du flux de la mer à marée montante avec l’Orne au niveau du pont Frileux. La situation empire par l’absence de tout entretien du cours de ce cours d’eau depuis deux à trois décennies107, si bien que les éboulis des talus et murailles de la ville emplissent la rivière au droit des rives et gênent les poses des bateaux à la basse mer108. De ce fait, sa profondeur a considérablement diminué par endroit, comme le montre le tableau suivant.

Tableau 5 – Variations de la profondeur de l’Orne à Caen

Hauteur d’eau à Hauteur d’eau à basse Secteur de la rivière (sa distance Largeur de N° pleine mer (en mer de morte eau (en en perches à 24 pieds la perche) la rivière. pieds). pieds).

Pont de bois-Foire royale/pont 1 9-10 5-6 40-50 pieds St Jacques (15 perches)

Pont St Jacques/grosse tour de 2 9-10 5-6 40-50 pieds ville

Grosse tour de ville/moulin St 3 9-10 5-6 40-50 pieds Pierre (10 perches)

Moulin St Pierre/pont St Pierre 4 5-6 1 40-50 pieds (7-8 perches)

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Pont St Pierre/quai des Carmes 5 5-6 1 40-50 pieds (150 perches)

Quai des Carmes/quai du pont de 6 6-7 1 60 pieds Vaucelles (15 perches)

Quai du pont de Vaucelles/ 7 11-12 8 - « gambe d’aulne » (15 perches)

Quais et muraille de Caen/bas de 8 12-13 7-8 70 pieds Colombelles

Colombelles/Bénouville (une 9 6-7 1 6-8 perches lieue)

61 Source : SHD Vincennes, SH 48.

Figure 4 – Plan de Cadomus-Caen

Bibliothèque municipale de Caen, Fonds Normand, FN E 814, plan de la ville de Caen de François Bignon, 1672

62 La faible profondeur de l’Orne constatée à marée basse de morte-eau dans les secteurs n° 4 à 6 provient des nombreuses négligences de particuliers comme des communautés, sans y impliquer le lestage ou délestage des navires qui se produit à proximité d’une grosse tour, « sans apporter aucun dommage à la rivière ». Dans la section partant du moulin Saint-Pierre jusqu’au pont Saint-Pierre, la profondeur de l’Orne s’établit à seulement un pied d’eau « à cause des murs de la ville qui sont tombéz et tombent encor journellement depuis dix ans dans la rivière lesquelles pierres y sont encore de présent en la plus grande partye et les autres que les eaux auroient faict descendre aval

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la rivière le long des quays109. » Du pont Saint-Pierre au quai des Carmes, la très faible profondeur est également due à l’éboulement des pierres et murs de la ville ainsi que des « tallutz » qui bordaient la rivière autrefois du côté du faubourg et paroisse Saint Gilles. À côté du pont Saint-Jacques vis-à vis la maison du sieur Mendrac, il reste depuis cinq ans, sur le bord de la rivière, provenant du « bastiement » de cette maison un gros monceau de pierres et de terre, dont une grande partie est déjà tombée dans la rivière.

63 Les conflits d’usage entre riverains et mariniers sont fréquents sur l’Orne. Les empiètements dans le lit de la rivière commis par les propriétaires riverains se sont multipliés. Ainsi, dans la section n° 2, près de la grosse tour située à proximité de la demeure du sieur La Perelle, la maison située vis-à-vis de celle du sieur de la Varende et construite il y a vingt-cinq ans par l’actuel propriétaire, le sieur de Manneville, trésorier de France à Caen, a ses fondations en partie avancées de 6-7 pieds dans la rivière ; elle penche et menace de s’effondrer dans la rivière, risquant d’entraîner avec elle une partie du pont. Comme si cela ne suffisait pas, le siège de l’amirauté de Caen instruit contre une malversation portant sur le marché du curage de l’Orne. Les anciens et experts désignés confirment la somme de 500 livres allouée chaque année par les maire et échevins de Caen pour le curage de la rivière et des quais, bien que la rivière ne soit plus curée depuis plus de trente-cinq ans, la dernière adjudication ayant été remportée par un sieur Michel Fouquet. Les anciens dénoncent également les exactions et abus commis par le nommé Jean Troussel, soi-disant nommé par les échevins, et qui fait indûment payer aux marchands, maîtres et patrons de barque un droit de curage et de pierrage de la rivière, « ce quil a faict paier depuis longtemps et néantmoingts lesdicts eschevins ny ledict troussel non faict curer ladite riviere depuis l’adiudication dudict fouquet110. »

64 Les rapports des lieutenants des sièges mentionnent en dernier lieu quelques préconisations des déposants afin de remédier rapidement aux dégradations les plus importantes. En Haute-Normandie, l’édification de jetées de bois ou de pierres perpendiculairement à l’estran semble la parade la plus couramment employée contre l’invasion du galet dans les ports, en dehors du complexe système hydraulique des chasses en usage dans de grands ports comme Le Havre. En Basse-Normandie, les anciens et experts de l’amirauté de Caen rappellent l’urgence de curer et « retaluter » la rivière le long des murailles de Caen, car « s’il n’y est promptement remédyé, ladicte riviere sera entièrement ruinée et ne pourra plus estre navigable111 ». Ils ajoutent la nécessité de faire des ponts et de poser des planches au sol le long du chemin de halage en plusieurs endroits afin de faciliter le « hallage et bordage ». Ils réclament enfin des mesures contre les usurpations des rives par les propriétaires riverains et bordiers de la rivière. En aval de Caen, les anciens pilotes de l’Orne conseillent la consolidation des rives par l’implantation de « digues, épicz, quays ou autre bordure en plusieurs endroitz de ladicte riviere », de Colombelles vers Caen comme depuis Bénouville vers la mer. Dans la baie des Veys, la remontée des navires de 100 tx vers Carentan nécessite deux marées au lieu d’une en raison d’un large méandre après le Four de Taute qui allonge inutilement le parcours. Pour ne plus remonter qu’en une seule marée, les anciens et matelots du lieu suggèrent de rectifier le cours de la rivière par le creusement de deux canaux.

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65 En conclusion, le SH 48 présente un grand intérêt, par la description détaillée dans les sièges d’amirauté, au moment même où Colbert met en œuvre son grand dessein maritime, de presque tous les ports et littoraux du royaume ainsi que leurs problématiques naturelles. La recherche d’un site naturel favorable à la construction d’un port de guerre en Normandie conduit les officiers des sièges d’amirauté à collecter de précieuses informations sur les caractéristiques des rades et havres de leur ressort (nature des fonds, amplitude des marées, profondeurs). L’analyse des procès-verbaux des sièges d’amirauté normands montre, avec parfois une grande richesse de détails, l’évolution du trait de côte soit par le retrait du littoral (érosion, effondrement, submersion), soit au contraire par surhaussement, comblement, envasement ou ensablement progressif des havres ou petits estuaires de la province. Les rivières navigables sujettes aux marées comme la Seine ou l’Orne font également l’objet d’une description de leur cours. Les procès-verbaux du SH 48 dressent avec précision l’état des lieux de l’outil portuaire normand. On peut en apprécier l’état de dégradation très avancée des infrastructures et interpréter les causes d’un tel délabrement car la guerre maritime en Manche contre l’Espagne ou l’Angleterre ne peut tout justifier à elle seule. La responsabilité de « l’État Mazarin » ainsi que les négligences des communautés portuaires et de leurs élites y sont aussi pour beaucoup.

66 L’enquête a-t-elle été d’une réelle utilité ? Cette question appelle une réponse de Normand. Si l’historien maritimiste fait son miel de la masse d’informations contenues dans le SH 48, les attentes de Colbert ont été fortement déçues dans la mesure où aucun siège d’amirauté de Normandie n’a répondu de manière exhaustive à son questionnaire détaillé. Au-delà des inerties locales des officiers d’amirauté, la raison principale est simple à comprendre : aucun site côtier de Normandie ne présente l’ensemble des caractéristiques naturelles propres à pouvoir abriter une flotte de guerre et d’en permettre l’accès en permanence aux navires de combat, comme le rappelle Jean Meyer112. En revanche, le SH 48 propose un éclairage supplémentaire pour comprendre la décision de Colbert d’agrandir Brest, de fonder Rochefort et de substituer Lorient au Havre pour y armer la plupart des vaisseaux de la Compagnie des Indes orientales. En dernier lieu, le SH 48 gagnerait aussi à être exploité dans le cadre d’autres provinces maritimes113. La mise en relation du SH 48 avec le célèbre « inventaire » de la flotte marchande de 1664 tracerait alors le paysage d’une magnifique et inédite perspective de la France maritime au début du règne personnel de Louis XIV114.

NOTES

1. LE BOUËDEC, Gérard et LLINARES, Sylviane, « Le port comme lieu de conflit d’autorité (XVIe-XIXe siècles) », Les Cahiers du CRHQ, n° 1, URL : http://www.crhq.cnrs.fr/cahiers/ page-cahier.php?id_num=6 ; mis en ligne le 5 janvier 2009, consulté le 14 septembre 2013. « Le XVIIe siècle constitue un tournant. Le nouveau discours sur le littoral est sans ambiguïté : l’État doit le contrôler car il est en fait un espace stratégique comme frontière et comme point d’appui de sa politique de projection océanique, qu’elle soit

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militaire ou marchande. Il en résulte une militarisation accrue du littoral, certes à travers les fortifications, mais, et c’est nouveau, avec de grands équipements militaires portuaires. D’ailleurs, le choix se porte sur des sites en eau profonde pour limiter les aménagements. Leur double dimension, portuaire et industrielle pour la construction de flottes spécialisées de gros tonnages, en fait des gros consommateurs d’espaces littoraux d’autant que ces créations parfois ex nihilo s’accompagnent de créations urbaines ». Citation à rapprocher de EVELYN, John, Navigation and Commerce, their origin and progress, Londres, ed. J.R., 1674, p. 15-17 et 32-33 : « To pretend to universal monarchy without fleets was long since looked upon, as a political chimaera […] whoever commands the ocean, commands the trade of the world, and whoever commands the trade of the world, commands the riches of the world, and whoever is master of that, commands the world itself. »

2. J ACQUART, Jean, « Colbert », dans MÉCHOULAN, Henry et CORNETTE, Joël (dir.), L’État Classique 1652-1715. Regards sur la Pensée Politique de la France dans le Second XVIIe Siècle, Paris, Vrin, 1996, p. 189-190. 3. LE BOUËDEC, Gérard et CHAPPÉ, François (dir.), Pouvoirs et littoraux du XVe au XXe siècle, Actes du colloque international de Lorient, 24-26 septembre 1998, Rennes, PUR et UBS, 2000. 4. MEYER, Jean, Colbert, Paris, Hachette, 1981, p. 223. LEBRUN, François, « Les grandes enquêtes statistiques des XVIIe et XVIIIe siècles sur la généralité de Tours (Maine, Anjou, Touraine) », Annales de Bretagne, t. 72, n° 2, 1965, p. 338-339. 5. B OCHACA, Michel, SARRAZIN, Jean-Luc, (dir.), Ports et littoraux de l’Europe atlantique : Transformations naturelles et aménagements humains (XIVe-XVIe siècles), PUR, 2007. WAUTERS, Éric (dir.), Les ports normands : un modèle ? Actes colloque Rouen-Le Havre, 28-29 mai 1998, Presses universitaires Rouen-Le Havre, 1999. Journées d’études de la Société française d’histoire urbaine et du Centre de recherche en histoire quantitative (CRHQ), UMR 6583/ CNRS/CRHQ-UCBN, Les zones portuaires : aménagements, réaménagements, réhabilitation de l’Antiquité à nos jours, Caen, 16-17 janvier 2014. 6. L E BOUËDEC, Gérard, « Les petits ports bretons du XVIe au XIXe siècle », Rives Méditerranéennes, n° 35, 2010, p. 61. 7. Les mémoires administratifs concernant les ports et littoraux de Basse-Normandie au XVIIe siècle, moins nombreux que pour la Haute-Normandie, sont complétés avec : GOUHIER, Pierre, L’Intendance de Caen en 1700, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS), 1998 ; MEYER, Jean, « Un exemple à méditer : les Cahiers des Annales de Normandie », Annales de Bretagne, t. 72, n° 2, 1965, p. 347-348. 8. WHITE, Hayden V., Metahistory. The Historical Imagination in Nineteenth-Century Europe, Baltimore, The John Hopkins University press, 1975, p. 29, relève trois formes majeures de structuration du récit historique : par l’argument factuel, par le discours idéologique, ou par « l’emplotment » de Paul Ricoeur, soit une succession d’histoires raccordées à une même intrigue ou thématique. 9. Le point de réflexion initial provient de LEMARCHAND, Guy, « Problématique pour une étude des ports de Normandie », dans WAUTERS, Éric (dir.), Les ports normands…, op. cit., p. 18-19. 10. Le sigle SH signifie Service Hydrographique. L’ancienne cote de référence du SH 48 était ms n° 271.

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11. V OYSIN de LA NOIRAYE, Jean-Baptiste, Mémoire sur la Généralité de Rouen (1665), (ESMONIN, Edmond, éd.), Paris, Hachette, 1913.

12. LE BOUËDEC, Gérard (éd.), L’Amirauté en Bretagne. Des origines à la fin du XVIIIe siècle, PUR, 2012 (présentation de la thèse de Joachim Darsel [1954]). 13. VALIN, René Josué, Nouveau commentaire sur l’ordonnance de la Marine du mois d’août 1681, La Rochelle, Légier imp., 1776, t. II, 1776, p. 509, rappelle l’inefficacité des textes réglementaires successifs peu observés dans les ports et rades (ordonnance de 1629, lettres patentes de janvier 1640, règlement du duc de Vendôme d’octobre 1660, arrêt du Conseil du 24 janvier 1665). Arch. dép. de Seine-Maritime, 216 BP 371, ordre du roi, enregistré à l’amirauté du Havre le 26 novembre 1660, faisant défense aux capitaines et maîtres de navires de continuer à jeter le lest de leur navire hors des lieux indiqués « par avidité du gain et pour descharger plus promptement leurs navires au retour de leur voyage », ce qui finirait par combler les embouchures des ports, havres et rades et provoquerait leur ruine. Duquesne souligne au Havre la responsabilité des capitaines et maîtres étrangers : « L’ancienne rade soubz le Chef de Caux ou de la Hève a esté gastée pour n’y avoir pas eu d’ordre pour empescher le delestage des vaisseaux estrangers qui y attendent d’ordinaire les hautes marées pour monter en Seine. » (BRÉARD, Charles, « Mémoires et documents relatifs aux ports de Normandie : Le Havre, Fécamp, Honfleur », Bulletin de la Société normande de Géographie, 1892, p. 11). 14. MEYER, Jean, Colbert, op. cit., p. 100, 104 et 116-117. 15. Sur les critères d’un bon port retenus en Haute-Normandie énumérés par l’intendant de la généralité de Rouen en 1665 : avoir une rade orientée dans le sud-sud- ouest du port pour faciliter l’entrée des vaisseaux, un faible marnage de moins de 10 pieds d’eau d’écart entre vive eau et morte eau, une profondeur satisfaisante (15-20 pieds d’eau au moins à basse mer de morte eau, avec 8-10 brasses au moins pour le mouillage des vaisseaux), un « plain » de la mer tenant au moins deux heures pour laisser à une flotte le temps d’entrer ou de sortir, des vents correctement orientés pour sortir de la Manche (secteurs nord à est-nord-est et sud-est à est). La rade, bien défendue, doit avoir un bon fond (depuis vase ou terre recherché, à terre-sable moins bon, et de sable encore moins apprécié, fond de roches le plus mauvais) (ESMONIN, Edmond, Mémoire…, op. cit., p. 4-5). Les instructions de Colbert s’inspirent en partie de la première édition de 1643 de FOURNIER, Georges (1595-1652), Hydrographie contenant la théorie et la practique de toutes les parties de la navigation…, Paris, Jean Dupuis, 1667, 2e éd., p. 45-55, sur les qualités nécessaires à un bon port, son entretien et la façon de le gâter. 16. De retour de la campagne équivoque de Djidjelli, le chef d’escadre Duquesne séjourne à la cour de janvier à début mai 1665 avant d’entreprendre la visite du littoral normand (VERGÉ-FRANCESCHI, Michel, Abraham Duquesne. Huguenot et marin du Roi-Soleil, Paris, éd. France-Empire, 1992, p. 205-209). Le mémoire de Duquesne pour le rétablissement du port du Havre présente de nombreux points communs avec l’instruction de Colbert. (PETER, Jean, Le Port et l’Arsenal du Havre sous Louis XIV, Paris, Economica et ISP, 1995, p. 17). 17. « Le Roy veut qu’il soit faict une description exacte de toutes les costes du royaume, et qu’il soit toujours travaillé dans ses ports à dresser des cartes marines sur les rapports et les journaux de ses vaisseaux de guerre » (MEYER, Jean, Colbert, op. cit ., p. 126).

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18. KONWITZ, Josef W., Cartography in France, 1660-1848 : Science, Engineering, and Statecraft, Chicago-Londres, University of Chicago Press, 1987. LIEPPE, Denis, « La représentation cartographique du rivage occidental de la France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Communications 1993-1994, Comité de documentation historique de la Marine, Vincennes, Service historique de la Défense, 1995, p. 323-342. RICHARD, Hélène, « Les outils cartographiques à l’usage des marins français à l’époque de Tourville », dans REFFUVEILLE, Antoine (dir.), Tourville et les marines de son temps, Actes du colloque des Archives départementales de la Manche, 10-12 sept. 2001, Saint-Lô, Archives départementales de la Manche, 2003, p. 172. Colbert dépêche sur les côtes plusieurs ingénieurs hydrographes : en Baie de Seine, Georges Boissaye du Bocage père réceptionné à l’amirauté du Havre en 1660 (Le Havre, 1626-id., 1696), Sainte-Colombe en Normandie et Saintonge pour dresser des cartes plus précises. 19. Le roi charge en 1676 Seignelay de regrouper les cartes marines et mémoires pour améliorer la sécurité de la navigation : SHD Vincennes, SH 79, Recueil des costes de France, sur l’océan avec les laisses, les bancs, les rochers et les sondes, tels qu’ils paroissent en basse mer, dans les plus grandes marées, par de la Favolière, Samson, Duboccage, le chevalier de Clerville, Levasseur de Beauplan, Sainte-Colombe, Mariette, de La Voye, Tassin et Minet. 20. Les estuaires de la Tyne, de la Humber, les ports et caps de Great Yarmouth, Lowestoft, the Naze, North Foreland, Hastings et Portland Race, Eddystone sont signalés aux navigateurs par des phares équipés de foyers alimentés en charbon de terre. Charles II confie une mission cartographique au capitaine Greenvile Collins pour corriger les nombreuses erreurs et approximations des cartes marines : « [Charles II] who was a great lover of the noble Art of Navigation, finding that there were no sea- charts, or maps of these kingdoms, but what were Dutch, and copies from them, and these very erroneous […] was pleased in the year 1682 to give me the command of a Yacht for the purpose of making a Survey. » (WILLAN, Thomas S., The English Coasting Trade 1600-1750, Manchester University Press, 1938, p. 21-22). Les premiers résultats sont édités en 1693. 21. Bibliothèque nationale de France (désormais BnF), Mélanges Colbert, 128 bis, f° 773, 1er mai 1665. 22. LE BOUËDEC, Gérard et CHAPPÉ, François (dir.), Représentations et images du littoral, Actes de la journée d’études de Lorient, 22 mars 1997, PUR, 1998. CORBIN, Alain, Le Territoire du vide. L’Occident et le désir du rivage, Paris, Flammarion, 1990, p. 226. 23. L’obsession de Colbert envers la piraterie remonte au moins à 1650 et s’observe déjà dans le « Mémoire touchant le commerce avec l’Angleterre [1650] », attribué à ce dernier : « La sûreté dépend d’une mutuelle correspondance à empêcher les pirates et courses des particuliers, qui, au lieu de s’appliquer en leur navigation à l’honnête exercice du commerce, rompent avec violence le lien de la société civile par lequel les nations se secourent les unes les autres en leurs nécessités. », cité dans CLÉMENT, Pierre (éd.), Lettres, instructions et mémoires de Colbert, Paris, Imprimerie Impériale, 1854, t. I, p. 489. 24. Colbert s’appuie au début des années 1660 sur une estimation extravagante du nombre de gens de mer en France (MEYER, Jean, Colbert, op. cit., p. 261). Ce n’est que par le système des classes que Seignelay finit par admettre, en 1688, le nombre total de

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marins français qui ne dépasse pas 50 à 60 000 hommes (la population de Rouen atteint à peu près 89 000 âmes en 1640 !), après l’exil des matelots protestants. 25. Z YSBERG, André, « La soumission du rivage aux volontés de l’État royal », dans ACERRA, Martine, POUSSOU, Jean-Pierre, VERGÉ-FRANCESCHI, Michel et ZYSBERG, André (dir.), État, Marine et Société. Hommage à Jean Meyer, Paris, Presses universitaires de Paris- Sorbonne, 1995, p. 439-455. 26. « Les débuts du règne de Louis XIV correspondent, on le sait, à une difficile période de mise au pas administrative. L’esprit de Fronde n’est pas éteint, les élites citadines renâclent, le royaume entier continue à frémir. » (NICOLAS, Jean, La rébellion française 1661-1789, Paris, Gallimard, 2008, p. 160). 27. BnF, Mélanges Colbert (dés. Mél. Colb.), 128 bis, fol. 761-762, lettre du 1er avril 1665 des officiers de l’amirauté de Touques à Colbert. 28. « Nous avons pris le rapport et dressé un procez verbal de l’estat du havre de Barfleur le plus exact et le plus véritable quil nous a esté possible… » (BnF, Mél. Colb., 128 bis, f° 738, les officiers du siège de Barfleur à Colbert, lettre d’avril 1665). 29. « Monseigneur, aussy tost vostre ordre receue avecq Larrest du Conseil Destat nous navons manqué a Lexecuter dont nous vous envoions le procez verbal que nous avons faict… » (BnF, Mél. Colb., 128 bis, fol. 797, Delafontaine à Colbert, lettre du 4 avril 1665). « Je nay manquay incontinent d’en dresser un le mieux qu’il a esté possible de l’estat auquel est le port de cette ville de rouen […] le plus conforme a la volonté du Roy que jay peu. ». (Ibid., fol. 824, lettre de Deshoulley de Rouen à Colbert du 9 avril 1665) 30. Les officiers font preuve de zèle dans les enquêtes de la flotte de 1664 (MORINEAU, Michel, « La Marine… »…, op. cit., p. 240). 31. À Saint-Valéry-en-Caux, le lest que les vaisseaux « auroient par cy devant apporté n’a peu apporter aucune empirance audit havre pour n’avoir esté jetté dans le canal aiant mis en lieu qui na peu causer aucune incommodité ni dépérissement dudit havre estant currier en partie a raison du peu de vaisseaux qui y seroient entrés pendant la guerre… » (SHD Vincennes, SH 48). Sur la formation des havres du Cotentin occidental de Carteret à Granville (côte basse et cordon dunaire, rivière à débit suffisant, courant côtier ou dérive littorale), voir BOURNÉRIAS, Marcel, POMEROL, Charles et TURQUIER, Yves, La Manche du Havre à Avranches, guide n° II, Neuchâtel, Delachaux & Niestlé, 1984, p. 226-230. Sur la dérive littorale et sa fonction d’alimentation des plages en matériaux, voir PASKOFF, Roland, L’érosion des côtes, Paris, PUF, 1981, p. 16-17. 32. Par exemple, les enfants des pêcheurs granvillais commencent à travailler à partir de 8-9 ans (CABANTOUS, Alain, Les citoyens du large. Les identités maritimes en France (XVIIe- XIXe siècle), Paris, Aubier, 1995, p. 59).

33. UNGER, Richard W., « Dutch Herring, Technology, and International Trade in the Seventeenth Century », The Journal of Economic History, vol. XL, n° 2, 1980, p. 253-279.

34. R OGERS, Philip C., The Dutch in the Medway, Londres, Oxford univ. press, 1970, p. 41-42. Sur ce conflit maritime, « terrible, obstinate and bloody battle », voir RODGER, Nicholas Andrew Martin, The Command of the Ocean. A naval history of Britain, 1649-1815, Londres, Penguin books, 2004, p. 65-79. 35. BOTS, Hans, « L’Image de la France dans les Provinces-Unies », dans MÉCHOULAN, Henry et CORNETTE, Joël (dir.), L’État…, op. cit., p. 346. JONES, James R., The Anglo-Dutch wars of the Seventeenth century, Londres-New York, Longman, 1996, p. 182.

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36. HARDING, Richard, Seapower and Naval Warfare 1650-1830, Londres, UCL press, 1999, p. 59-120. POUSSOU, Jean-Pierre, Les Îles britanniques, les Provinces-Unies, la guerre et la paix au XVIIe siècle, Paris, Economica, 1991, p. 77-82. 37. Sur la deuxième guerre maritime anglo-hollandaise et le rôle naval ambigu de Louis XIV dans la réaction hollandaise en 1666 : HASQUIN, Hervé, Louis XIV face à l’Europe du Nord, Bruxelles, éd. Racine, 2005, p. 118-121. LEVILLAIN, Charles-Édouard, Vaincre Louis XIV. Angleterre-Hollande-France : histoire d’une relation triangulaire 1665-1688, Seyssel, Champ Vallon, 2010, p. 90-93 et 155-156. DAVIS, Ralph, « English Foreign Trade, 1660-1700 », dans MINCHINTON, Walter E. (ed.), The Growth of English Overseas Trade in the Seventeenth and Eighteenth Centuries, Londres, Methuen & Co., 1969, p. 78-98. 38. JONES, James R., The Anglo-Dutch wars…, op. cit., p. 147. 39. Colbert du Terron, intendant de la Marine du Ponant parcourt à la fin de 1664 les rivages de la Manche à la recherche d’un site favorable (VERGÉ-FRANCESCHI, Michel, Abraham Duquesne…, op. cit., p. 205). Son rapport final est conservé aux Archives de la Marine, D/27. 40. PETER, Jean, L’arsenal du Havre…, op. cit., p. 14.

41. Sur le choix de la construction de Rochefort : MEYER, Jean et POUSSOU, Jean-Pierre, Études sur les villes françaises. Milieu du XVIIe siècle à la veille de la Révolution française, Paris, éd. SEDES-CDU, 1995, 2e éd., p. 256. 42. Le Havre absorbe de 1667 à 1705 entre trois et cinq millions de livres en infrastructures et fortifications du port et de l’arsenal, crédits surtout consommés entre 1665 et 1672 (PETER, Jean, L’arsenal du Havre…, op. cit., p. 216 ; MEYER, Jean, Béveziers (1690). La France prend la maîtrise de la Manche, Paris, Economica, 1993, p. 26). 43. Le conflit devient ouvert entre Colbert du Terron, Regnier Jansse, le duc de Saint- Aignan et les élites marchandes havraises d’une part, et Duquesne, devenu le conseiller le plus écouté de Colbert dans l’aménagement des ports en Normandie d’autre part (PETER, Jean, L’arsenal du Havre…, op. cit., p. 16 et 38 ; VERGÉ-FRANCESCHI, Michel, Ibid., p. 206-216). 44. Le rapport de l’ingénieur hollandais Regnier Jansse le jeune, qui accompagne Colbert du Terron en 1664, mentionne sa profondeur de 12-16 pieds d’eau au moins, son accessibilité à toute heure de marée et sa capacité à abriter 30 vaisseaux de guerre. 45. PETER, Jean, L’arsenal du Havre…, op. cit., p. 18. Sur les mécanismes de l’érosion des falaises en Haute-Normandie : HÉNAFF, Alain, LAGEAT, Yannick, COSTA, Stéphane et PLESSIS, Emmanuelle, « Le recul des falaises crayeuses du Pays de Caux : détermination des processus d’érosion et quantification des rythmes d’évolution / Retreat of chalk cliffs in the Pays de Caux: processes and rates », Géomorphologie : relief, processus, environnement, avril-juin 2002, vol. 8, n°2, p. 107-118. 46. JACQUART, Jean, « Colbert… », loc. cit., p. 189 et MEYER, Jean, Colbert, op. cit., p. 54 et 59. 47. « La rade de ce lieu est suffisamment profonde et le fond y est bon pour les ancres ; elle est sans abry depuis le nord jusqu’au surouest, comme toutes les autres rades depuis le Havre jusques à Calais et Dunkerque. » (BRÉARD, Charles, « Mémoires… », op. cit., p. 18). 48. Langlois de Collemoulins signale en 1627 que « la passe est difficile » pour l’entrée et la sortie du port du Havre (COLLINS, James B., « La flotte normande au commencement

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du XVIIe siècle : le mémoire de Nicolas Langlois (1627) », Annales de Normandie, 34e année, n° 4, 1984, p. 366). SHD Vincennes, Marine, fonds Nivart, ms n° 144, p. 302, plan explicatif de la submersion de la frégate la Galathée dans la passe du Havre lors de la tempête du 26 septembre 1708 à 7 heures du soir par une tempête du sud-ouest. 49. D ESARTHE, Jérémy, « Les sociétés face aux caprices du temps dans l’Ouest de la France (XVIe-XIXe siècle) », dans D UCOS, Joëlle, Le temps des saisons. Climat, événements extrêmes et sociétés dans l’Ouest de la France (XVIe-XIXe siècles), Paris, Hermann, 2013. Autre manifestation d’accidents climatiques : des tempêtes cycloniques hivernales ravagent les accès du port du Havre en novembre 1662, ceux d’Honfleur en décembre 1665 (ESMONIN, Edmond, Mémoire…, op. cit., p. 192-194). REICH, Christina, Der “Great Storm” 1703. Zur Geschichte einer Naturkatastrophe zu Beginn des 18. Jahrhunderts in England, Bonn, Minifanal, 2013. 50. Le marchand-armateur terre-neuvien Charles Lion d’Honfleur à l’armateur malouin Granville-Locquet, 27 juin 1691 (DECHARME, Paul, Le comptoir d’un marchand au XVIIe siècle, Paris, Hachette & Cie, 1910, p. 123). 51. BRÉARD, Charles, « Mémoires… », op. cit., p. 11.

52. PETER, Jean, L’arsenal du Havre… op. cit., p. 2 et 9-10.

53. BnF, ms. fr. 18596. Langlois de Collemoulins souligne en 1627 qu’en rade du Havre les « vents d’oest (ouest), sorest (suroît), norest (noroît) sont des vents qui chassent en coste et qui causent des nauffrages ». 54. En 1627, les pratiques du lieu trouvent le « port et havre assez bon et est a labry des vents » (Ibid.). « La rade n’est pas trop bonne, l’ancrage n’y est pas seur, et le port trop exposé aux vents d’ouest et sud-oüest […] La rade n’est pas trot bonne, le vent d’ouest et suroit luy sont contraire, le tout ni est pas ben & il ni a pas bonne teneure. » (GOUHIER, Pierre, L’Intendance de Caen en 1700, Paris, éd. CTHS, p. 238 et 343). En 1688, Seignelay constate que son havre se remplit continuellement de sables (Ibid., p. 131, n. 137). 55. Le fort marnage découvre à basse mer d’immenses franges du littoral du Cotentin occidental et engendre des courants marins très violents, notamment au raz Blanchard (jusqu’à 10 nœuds, soit 18,52 km/h) en période de grande marée d’équinoxe (BOURNÉRIAS, Marcel et alii, La Manche du Havre…, op. cit., guide II, p. 37-39). 56. « Les ports de basse Normandie ont un grand avantage sur tous ceux qu’on peut faire au pays de Caux et en Picardie, […] les vaisseaux peuvent sortir de nos ports et entrer dans la Seine d’une même marée, au lieu qu’il faut que les vaisseaux qui sortent de la Picardie et du pays de Caux sortent d’une marée de leurs ports et en attendent une autre pour entrer dans la Seine, ce qui est toujours accompagné de quelque péril de la tempeste et ce qui les expose aux pirates ennemis » (GOUHIER, Pierre, L’Intendance…, op. cit., p. 133). 57. À Dieppe, au XVIIe siècle, les navires de 400 tx disposent d’un tirant d’eau de 14 pieds environ (GUIBERt, Michel-Claude, Mémoires pour servir à l’histoire de Dieppe, Dieppe, Paul Leprêtre imp., 1878, 2 vol., t. I, p. 249). 58. PETER, Jean, L’arsenal…, op. cit., p. 9 et 16. Clerville estime à 18-20 pieds au moins la profondeur nécessaire au projet de creusement d’un nouveau bassin à Honfleur (ESMONIN, Edmond, Mémoire…, op. cit., p. 197).

59. ESMONIN, Edmond, Ibid., p. 197.

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60. Fécamp pourrait accueillir des vaisseaux de 300 tx. au lieu de 100 tx., mais les installations du port (écluses, barres) relevant de l’abbaye bénédictine de Fécamp sont laissées à l’abandon (ESMONIN, Edmond, Mémoire…, op. cit., p. 8 et n. 5). Nicolas Langlois de Colmoulins se rend de Dieppe à Saint-Valéry en passant par Veules « auquel n’y a que petitz basteaux pescheurs » (BnF, ms fr. 18596, f° 7, le 25 avril 1627). À Saint-Valéry, Langlois procède à la « visitation » du havre qu’il trouve « tres bon et en bon estat par le moien des Ouvrages et jettéés y ont esté faicts depins xii a xiii ans en ça et pour son assiette a cause de la Coste et abbry des grandz vents daval quil y entre, vingt a vingt deux piedz d’eau de grande mer Cy peut entrer des vaisseaux de trois a quatre cens tonneaux, Comme aussy fort ordinairement de ressauts aux Navires agittez de la Tampeste de la mer... ». 61. Duquesne constate déjà en 1646 les accès restreints d’Honfleur : « A Honfleur nul vaisseau ne peut demeurer qu’il n’y prenne terre à basse marée, et pour cela il n’est point propre à de grandz vaisseaux. » (BRÉARD, Charles, « Mémoires… », op. cit., p. 14). 62. « Son plain ne dure que demie heure, d’autant que la rivière d’Arques qui passe au travers du havre faict retourner la mer presque aussy tost qu’elle est montée, ce qui faict que les vaisseaux ont peu de temps pour entrer au havre. » (ESMONIN, Edmond, Mémoire…, op. cit., p. 6). 63. « Ce qui rend ce havre recommandable c’est qu’il tient son plain pendant trois heures, qui est un long temps pour donner loysir aux vaisseaux d’y entrer. » (Ibid., p. 9). 64. BRÉARD, Charles, « Mémoires… », loc. cit., p. 6, rapport en date du 1er septembre 1665. 65. À Dieppe, les capitaines, maîtres, pilotes et mariniers affirment « n’avoir jamais veu ledit port et havre en meilleur estat qu’il n’est de présent par le moien des jettéés et espiez qui ont esté faictes a l’entrée dudit havre […] la radde est la meilleure de toute la coste de Normandie, tant a cause du bon fondz qui est vaheux uny et esgal propre pour lever les ancres et conserver les cables, et ancres peut tenir bon contre la rigueur de toutes sortes de vents a cause de la grande quantité d’eau qui y est et que les navires sont a couvert et a labry des vents a l’oest et soroest. » (BnF, ms fr. 18596, mémoire de Nicolas Langlois de Collemoulins (1627). 66. PETER, Jean, L’arsenal…, op. cit., p. 20. 67. Langlois de Collemoulins estime déjà en 1627 la rade « fâcheuse pour estre pierreuse au fonds » et préconise les rades du Hoc et de Villerville pour la retraite des navires en cas de tempête (BnF, ms fr. 18596). La petite rade du Havre : « à la vérité, selon le rapport de quelques pilotes, elle a esté un peu gâtée par les Flamands, par les Hollandois, & par les Anglois, lesquels soit par malice, ou autrement y ont jetté, quand leurs vaisseaux n’avoient que du l’estage, une partie de ce qu’ils portoient ; de sorte qu’elle n’est pas présentement ce qu’elle valoit autrefois, quoy que les vaisseaux de trois à quatre cent tonneaux puissent seurement y moüiller, y ayant quatre à cinq brasses d’eau [la brasse à cinq pieds environ]. » (BnF, 8 LK/7 3689, de MONTEGUI, Jean- Baptiste, Mémoires et remarques sur l’importance de la ville et citadelle du Havre de Grâce…, s.l., s.d., p. 15). 68. BRÉARD, Charles, « Mémoires »… loc. cit., p. 22, rapport du 31 mars 1668. Dans sa lettre du 27 décembre 1664, Regnier Jansse contredit le rapport de Duquesne qui estime Le Havre compatible avec le dessein de Colbert (DEPPING, Georges Bernard, Correspondance administrative sous le règne de Louis XIV, Paris, Imprimerie Impériale, Paris, 1854, 4 vol., t. IV, p. 30, n. 1).

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69. « Et quand mesmes les navires sont agittez des grands vents a la radde du havre de grace et lieux circonvoisins le plus souvent ils sont contrainctz pour leur seureté de venir eschouer sur les vazes de ce lieu » (SHD Vincennes, SH 48). 70. « Port en Bessin est un havre fort commode et Sa Majesté a donné quelques ordres de le rétablir » (GOUHIER, Pierre, « Port-en-Bessin (1597-1792). Étude d’histoire démographique », Cahier des Annales de Normandie, n° 1, 1962, p. 15 et Id., L’Intendance…, op. cit., p. 133). 71. GOUHIER, Pierre, L’Intendance…, op. cit., p. 225.

72. L’intendant de Caen Foucault confirme la qualité de la rade de La Hougue (GOUHIER, Pierre, Ibid., p. 132, n. 140). Sur la description (avec cartes) de la rade de la Hougue : ESSAR, Dennis F. et PERNAL, Andrew B., « Le Vasseur de Beauplan et les installations portuaires en Normandie et en Bretagne au XVIIe siècle : une lettre inédite à Jean- Baptiste Colbert », Annales de Normandie, 43e année, n° 1, 1993, « Rivages de Normandie », p. 41-59. 73. Sur la définition, paradoxalement délicate, du trait de côte, voir SALOMON, Jean-Noël, Géomorphologie sous-marine et littorale, Presses universitaires de Bordeaux, 2009, p. 94-95. 74. MUSSET, René, « La côte du pays de Caux », Annales de Normandie, 1re année, n° 2, 1951, p. 110-117. 75. Duquesne constate que « le cap de la Hève se ronge et se mange continuellement par la mer et donne passage aux cailloux. » (PETER, Jean, L’arsenal…, op. cit., p. 17). 76. C’est exagéré : Langlois de Collemoulins note en 1627 que si des navires de 500 tx y entrent très facilement, le havre d’Honfleur n’a que 18-20 pieds d’eau de profondeur de grande mer. En revanche, il juge le havre d’Honfleur « tres bon, tres seure, et de facille abord […] ses jettées y sont tres bien entretenües et en bon estat et les vaisseaux qui y abordent y sont en toute seureté » et signale le détournement de la petite rivière d’Honfleur hors de son canal habituel « par les ruynes que la mer y a faictes » (BnF, ms fr. n° 18596). 77. BRÉARD, Charles, « Mémoires… », op. cit., p. 6. 78. Le bilan sédimentaire de chaque marée du lieu est inexorablement positif en raison de l’énergie du jusant inférieure à celle du flot (BOURNÉRIAS, Charles et al., La Manche du Havre…, op. cit., p. 28-29). La baie des Veys a toujours eu la même largeur selon les comparants : « une lieue de large au port de Létenière, un quart de lieue entre Brévent et Burcheille, 40 perches au Four de Taute. La marée monte au Four de Taute et dans la baie et rivières de 12-15 pieds de haut au haut de l’eau. » (SHD Vincennes, SH 48). 79. Langlois de Collemoulins note en 1627 que le havre de Vierville « a présent est inutilles pour estre remply de sable » (BnF, ms fr. 18596). 80. Sur la dérive littorale nord-sud qui reprend une partie des sables d’origine éolienne datant du Holocène et les sédimente à l’embouchure des petits cours d’eau côtiers en formant une flèche littorale orientée nord-sud, contraignant la rivière à décrire un S pour gagner la mer en formant un havre, voir BOURNÉRIAS, Charles et alii, La Manche…, op. cit., p. 28,. À Portbail en 1627, « ledit havre est de difficille entrée a raison de plusieurs sinuositéz qui y sont » (BnF, ms fr. n° 18596). 81. Langlois de Collemoulins constate que l’embouchure de l’Orne à Estrehan en 1627 est « de tres difficille abord pour les longs bancs de sables & grandes battures qui sont à

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l’embouchure […] et que le flux de la mer change quazy a toutes les maréés. » (BnF, ms fr. n° 18596). 82. LA MORANDIÈRE, Charles de, Histoire de la pêche française de la morue dans l’Amérique septentrionale, Paris, éd. Maisonneuve & Larose, 1962, 3 vol., t. I, p. 239 et 287. 83. « Les comparants ont dit qu’ils ont veu ledit havre de Saint Germain en mesme estat dans lequel il pouroit se retirer quantité de navires a cause de sa longueur quand mesme lesdits navires seroient du port de cent thonneaux et qui pourroient entrer dans ledit havre en cognoissant l’ouverture et lentrée d’iceluy qui est aucunes foys changée par quelques bancqs de sable qui divertissent le courant de la rivière qui vient du dedans les terres, que l’ouverture dudit havre est quelquefoys contigüe de lune des deux roches qui sont a l’entrée diceluy qui pourroit rendre ladite entrée difficile […] » (SHD Vincennes, SH 48). 84. Arch. mun. du Havre, fds. anc., BB 4. C’est pour cette raison que l’interprète en langue basque Jean Deneufville et Pierre Martin, interprète des langues flamandes sont condamnés par l’échevinage havrais à cause d’un navire (baleinier ?) qui a fait son lestage à marée basse, au risque de crever sa carène et d’encombrer le port au retour du flot, 30 août 1642. 85. Nouveau glossaire nautique d’Augustin Jal, lettres D-E, Paris, éd. CNRS, 1983, p. 456, action de construire des digues. BARRÉ, Éric, « À propos de digues, position d’un problème à partir de documents inédits concernant la baie de l’Ouve aux XIVe et XVe siècles », actes du 47e congrès des Sociétés historiques et archéologiques de Normandie (SHAN), Bernay, 17-18 octobre 2012, Eaux vives, eaux dormantes en Normandie, éd. Fédération des SHAN, n° 18, 2013, p. 71-77. 86. « Les pêcheurs eux-mêmes […] ont pour habitude de rejeter déchets et immondices sur les huîtrières qu’ils infectent » (CORBIN, Alain, Le territoire…, op. cit., p. 230). 87. Le heu est un navire à fond plat utilisé pour le trafic maritime dans la mer du Nord et la Manche (Nouveau glossaire nautique d’Augustin Jal, lettre H, Paris, éd. CNRS, 1992, p. 902-903). 88. ESMONIN, Edmond, Mémoire…, op. cit., p. 9. Le maître de quai du Havre est responsable du lestage et délestage des navires. Sa nomination revient au gouverneur de la ville avec droit de regard de l’échevinage (DARSEL, Joachim, « L’Amirauté en Normandie. IV. Amirauté du Havre-Harfleur (1re partie) », Annales de Normandie, 20e année, n° 4, 1970, p. 286. 89. « À l’époque de Richelieu, Le Havre accueillait des vaisseaux de huit cents tonneaux alors qu’en 1665 ceux de cinquante s’y conservent avec beaucoup de peine et de risque [en dehors des grandes marées]. » (VERGÉ-FRANCESCHI, Michel, Abraham Duquesne…, op. cit., p. 206). 90. Le voyageur anglais John Clenche note en 1675 que le commerce de Rouen possède alors « an ill-favoured Bourse, hung with ugly Pictures of their French kings, a small Trade with all sorts of Merchandize, but the most considerable commodity is English Lead » (LOUGH, John, France observed in the Seventeenth Century by British Travellers, Stockfield, Oriel Press, 1985, p. 60). 91. FARIN, Histoire de la Ville de Roüen…, op. cit., p. 374-375. 92. Ellis Veryard remarque en 1701 que la Seine est pour le commerce de Paris « its chief support, serving to import and export all sorts of Merchandize, and giving it all the advantages

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of other Cities that lie on the main Ocean ; for this River is navigable from Rouen hither, and from hence divers Leagues up the Country, at least for large Boats and Barges. » (LOUGH, John, France…, op. cit., p 56). 93. « Ont vu que le long du rivage où il y a halage les chemins sont très mauvais et gastez en beaucoup d’endroits ce qui donne beaucoup de peine aux navires qui montent la rivière depuis la Mailleraye jusqu’à Rouen ce qui rend la navigation plus difficile et lorsque les navires remontent la rivière avec les vents contraires ou quand il court un grand esbe en temps calme il faut que les vaisseaux soient tirés par des chevaux. » (SHD Vincennes, SH 48). 94. ESMONIN, Edmond, Mémoire…, op. cit., p. 10. Selon Thomas Corneille, « Le passage du Havre à Quillebeuf est en réputation d’être difficile, à cause de la quantité de bancs de sable qui s’y forment et qui changent de place, ce qui oblige les vaisseaux étrangers à prendre des pilotes de Quillebeuf » (Dictionnaire (1702), art. Quillebeuf). 95. Le port de Saint-Valéry est « très bon et en bon estat par le moien des ouvrages et jettées qui ont esté faictes depuis douze a treize ans en ça… » ; à Fécamp, Langlois de Collemoulins trouve le port et havre « en fort mauvais estat et presque bouché », 1627 (BnF, ms fr. 18596). 96. « Le malheur qui a causé l’empirance dIcelluy ne provenant que de la perte des vaisseaux depuis Vingt cinq ans par la ruinne des guerres ce qui a reduict les habitants dans Limpuissance den pouvoir rebastir nestant besoing de grande despense pour la reparation d’Icelluy & leur Lesteurs qui empeschent Louverture des eaux qui pourroient couller au dessus des escluses ainsy quils faisoient par Le passé & Ensuitte repousser le perroy qui arrivé au bout des pallissades par limpétuosité de la mer… » (BnF, Mél. Colb., 128 bis. Rigoult à Colbert, lettre du 1er mai 1665). 97. Ce havre qui est « établi Nort et su, allant depuis ladite emboucheure jusqu’à un pont de pierre contenant dix arches soubz lequel il passe la petite rivière qui reste dans ledict havre de basse mer et y donne son cours pour vuider laditte emboucheure duquel pont il est écroulé depuis peu deux arches. Le reste menaceant Ensemble ruyne par sa vieillesse et antiquité dont la cheuste pourroit faire détourner le cours de laditte riviere de l’emboucheure dudict havre ce qui en causeroit la ruine… » (SHD Vincennes, SH 48).

98. VERGÉ-FRANCESCHI, Michel, Abraham Duquesne…, op. cit., p. 206. 99. La défectuosité du système hydraulique des barres de chasses a toujours constitué le talon d’Achille du port havrais sous l’Ancien Régime. Langlois de Collemoulins conseillait déjà en 1627 d’améliorer le système défectueux des barres et écluses par de nouvelles plates-formes élargies afin de lutter contre l’envasement du port (BnF, ms fr. n° 18596). 100. Papillon, échevin du Havre, a été reçu par la duchesse, qui tient le gouvernement du Havre, en présence de Denis Marin (le futur secrétaire particulier de Colbert en 1661) et de Gargan, intendant de finances, mais aucune somme ne peut être allouée au rétablissement du bassin, du pont et des barres, 3 mars 1653 (Arch. mun. du Havre, fds. anc., BB 6). 101. PETER, Jean, L’arsenal…, op. cit., p. 1-2 et 15-16. ESMONIN, Edmond (éd.), Mémoire…, op. cit., p. 8-9. Duquesne informe Colbert que « le port est comblé de vases ; les épis [édifiés perpendiculairement au trait de côte sur l’estran pour bloquer la course du galet] n’ont pas été entretenus ; les barres ne courent plus que 12 fois par an depuis plusieurs

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années au lieu de 60 autrefois ; le pionnage, l’enlèvement du galet et de la vase ne se font pas assez régulièrement. ». 102. Études des travaux d’urgence et devis confiés successivement à Nicolas Madiot, Guillaume Métezeau et François Blondel entre le 30 décembre 1662 et le 10 décembre 1664 (PETER, Jean, Ibid., p. 5 et 16). 103. Rapport final de la chevauchée de Colbert du Terron du 15 mai 1665 : « En tous les endroicts maritimes que j’ay visités en ce voyage, j’ay remarqué que les ouvrages des anciens, pour la commodité de la navigation, estoient faicts avec plus de prévoyance et des matériaux plus solides qu’aujourd’huy. Je suis honteux qu’en nos derniers temps il paroisse tant de timidité, et qu’il y ait si peu de gens qui se soit intéressez au restablissement des ouvrages concernantz la marine tout-à-fait importante pour la gloire de l’Estat. » (BRÉARD, Charles, « Mémoires… », loc. cit., p. 20). 104. « Sy le grand canal par lequel Il fault entrer dans cedit port change de fois a autres cela provient du manque dentretien d’icelluy avec des pieux et facinnes […] ce qui a causé la rupture des quais des jettées et du bassin de ce dit lieu qui dépérissent journellement. » (SHD Vincennes, SH 48). 105. « Il faudroit par advance faire travailler incessamment à la vide des vases et immondices qui remplissent et comblent les fossez de la ville, ce qui est cause que l’eau des bares ou escluses n’ont plus de force pour entretenir les portz ouvertz à quoy autrefois elles ont esté destinées. » (BRÉARD, Charles, « Mémoires… », loc. cit., p. 20). 106. Seul Clerville souligne « le peu de soin qu’ont eu les administrateurs des droits de quayage, d’employer à son entretenement les deniers qu’ils ont cy devant receus pour cette fin, de sorte que les choses y sont en un si déplorable estat » (BnF, Cinq Cents Colbert, ms n° 122). Lettre de Saint-Victor, lieutenant de l’amirauté de Dieppe à Colbert sur les « petits abus et mauvais mesnages de deniers destinés pour les ouvrages et travaux de notre dit quaÿ et auxdites adiudications qui se font dans la maison de ville tant de la présente ferme du quaÿ que travaux et ouvrages, […] et l’on n’entendroit point parler non plus de ce qui se passa une fois dans la maison de ville en la personne d’un vieil eschevin fort homme d’honneur lequel lors des dittes adiudications, sommeillant fust réveillé par un des aultres conseillers qui luÿ dit de donner son attention aux expéditions qui se faisoient, Il luÿ fist donner response quil estoit dans un songe qui l’avoit tenu long temps en grand embarras, et qu’il croÿoit voir des loups de mer qui rongeoient les pallissades et jettéés de notre port et havre. Ce quon a voulu expliquer de messieurs ses confrères qui disposoient a leur profict particulier des deniers qui debvoient estre fidellement emploÿéés auxdittes pallissades et jettéés, ces loups de mer ont duré en apparence jusques a présent, veu l’estat ou sont les choses, et dureront si votre justice et votre authorité n’interviennent… » (SHD Vincennes, SH 48). 107. Dans le domaine économique, Caen est conçue avant tout comme un lieu d’échanges, dominé d’une part par le port capable d’accueillir des bateaux de 60 tx, et les foires, d’autre part (LEMIÈRE, Luc, « Discours des élites et réalités urbaines : l’exemple de Caen au XVIIe siècle », Cahier des Annales de Normandie, n°19, 1985, p. 290). 108. Dans la section du quai du pont de Vaucelles proche du lieu de chargement et déchargement des navires, cette section méandreuse de l’Orne divisée en deux parties « a esté emplye depuis trente ans […] qui est la Cause que de basse eau Il ny a que la haulteur d’un pied deau et six a sept pieds de plaine mer de hauteur deau » (S HD Vincennes, SH 48).

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109. La « crétine » ou crue et inondation de janvier 1651 a abattu les murailles de Caen situées le long de la Foire du pré (GARNIER, Emmanuel, « La ville face aux caprices du fleuve. L’exemple normand, XVIe-XVIIIe siècle » in Histoire urbaine, n° 18, 2007, p. 50). Sur les accidents climatiques survenus à Rouen depuis 1496, voir FARIN, Histoire de la Ville de Roüen, Rouen, chez Jacques Amiot, sur le Quay, 1710, nlle éd., t. I, p. 385-et 391. 110. Information, audition et confrontation de témoins devant Hervey Fossey, lieutenant du siège, à la diligence du procureur du roi Pierre Collet au siège de la juridiction, le 12 mai 1664, contre Jean et Pierre Troussel père et fils, accusés d’avoir indûment procédé à des levées de deniers et exactions commises sur les maîtres de navires et marchands, lorsqu’un nommé Saint-Amand, sergent de la garnison du château de Caen, entre dans le siège de la juridiction le chapeau sur la tête et l’épée au côté en proférant ces termes : « Mort dieu messieurs de la marauté vous faictes Informer Contre troussel mais prenes bien garde, a ce que vous ferez Car mortdieu messieurs les maraults vous ne vous trouverez pas mieux vous scavez Comme Il vous en [prend] & vous verrez Comme Il vous en prendra encor… » (SHD Vincennes, SH 48, Caen). 111. Le problème de la navigation sur l’Orne subsiste toujours en 1750 (DARSEL, Joachim, « L’Amirauté en Normandie. XI. Amirauté de Caen », Annales de Normandie, 29e année, n° 1, 1979, p. 48). 112. « Mais, au nord-est de Brest, il n’y a plus aucun port français utilisable par une escadre de ligne. On a trop rarement souligné le paradoxe voulu par la nature. La rive nord de la Manche : la côte anglaise, offre tout une série de rades foraines assez bien protégées, et de rades admirables comme celle de Southampton ; la rive sud n’offre rien, ou pas grand-chose. Car il faut tenir compte des tirants d’eau. » (MEYER, Jean, Béveziers (1690). La France prend la maîtrise de la Manche, Paris, Economica, 1993, p. 25-26). 113. DELOBETTE, Édouard, « L’enquête des amirautés de 1665 en France à travers deux études de cas : le Bourg d’Ault et Saint-Valéry-sur-Somme », Revue d’histoire maritime, à paraître dans la livraison du n° 19 en 2014. 114. Bnf, Cinq CentsColbert, ms n° 199.

RÉSUMÉS

La grande enquête des amirautés lancée au printemps 1665 par Colbert est une mine d’informations sur la situation des ports et havres du royaume au début du règne personnel de Louis XIV. L’exemple de la Normandie littorale souligne dans cette enquête le médiocre potentiel portuaire de la province, le délabrement général des installations portuaires et l’héritage pesant du dernier conflit maritime franco-espagnol. La mise en œuvre portuaire et commerciale du « grand dessein » de Colbert en Normandie se heurte rapidement à ses limites techniques et financières tout en suscitant le mécontentement des milieux d’affaires, notamment dieppois, impliqués dans le grand commerce atlantique.

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Tenus à l’écart du grand dessein de réhabilitation portuaire de Colbert, certains ports et havres de Basse-Normandie, parfois spécialisés dans l’approvisionnement alimentaire de Paris, sont l’objet de toutes les attentions des intendants qui veillent à les intégrer dans les circuits d’exportation des nouvelles manufactures établies dans la généralité de Caen.

The great administrative survey of all French admiralty courts launched by Colbert in the Spring of 1665 contains a wealth of information about the condition of ports and harbours of the French kingdom at the beginning of Louis XIV’s personal reign. In Normandy, it was shown that the coastal area had poor development potential, the port installations had gone to ruin and the difficult legacy of the recent naval conflict with the Spanish. When Colbert began elaborating his grand design to improve port facilities and trading in Normandy, he was hampered by technical and budget difficulties as well as growing discontent among businessmen in Upper Normandy (especially in Dieppe) who were involved in the Atlantic system. Certain Lower Normandy ports and harbours, some of them deeply involved in the Parisian food supply chain, were excluded from this great restoration project, but were instead the focus of the King’s intendants’ attention as they sought to include them in the export channels of the new manufactories established in the Généralité de Caen.

INDEX

Index géographique : Normandie Index chronologique : XVIIe siècle

AUTEUR

ÉDOUARD DELOBETTE Chercheur associé au CRHQ/CNRS, UMR 6583, Université de Caen

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Du réseau au maillage administratif, la construction territoriale des subdélégations bretonnes de 1689 à 1789 An Administrative Network: The Territorial Structures of Breton Subdelegations from 1689 to 1789

Sébastien Didier

1 L’historiographie de l’intendance s’intéresse de plus en plus aux subdélégués depuis les travaux de J. Ricommard et H. Fréville1. Cependant, la dimension spatiale de l’intendance et son découpage en subdélégations ne sont souvent abordés qu’à partir de la situation des années 1780. Très utile, le travail cartographique dirigé par Guy Arbellot et Jean-Pierre Goubert doit pourtant être dépassé2. Une carte ne suffit pas à rendre les évolutions territoriales et encore moins le processus de construction du territoire administratif dont découle l’organisation de l’ensemble de l’intendance3.

2 Appelées « subdélégations », « départements » ou encore « cantons » par les sources, les circonscriptions des subdélégués de l’intendance bretonne forment un maillage territorial inventé de toutes pièces. L’intendant commissionne ses subdélégués pour l’informer et exécuter ses ordres d’un bout à l’autre de la province. Leur répartition n’est pas anodine : elle donne lieu à la création d’un nouvel échelon administratif. La subdélégation s’entend donc sous trois sens différents : action de confier son autorité pour être représenté, elle désigne aussi, lorsqu’elle devient permanente, une fonction administrative ; par métonymie, le même mot évoque la circonscription territoriale associée à la charge.

3 La géographie des subdélégations bretonnes interroge les historiens depuis le début. Son originalité interpelle : aucune autre province ne connaît autant de subdélégations et seules celles du Nord et de Provence en comprennent de si petites. De plus, sa cartographie pose problème. Henri Fréville, Julien Ricommard et plus récemment Claude Nières et Yann Lagadec s’opposent sur le nombre de subdélégations à retenir4.

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Tous ont lu les mêmes sources, regroupées pour la plupart dans le premier carton de la série C des archives départementales d’Ille-et-Vilaine. S’y trouvent notamment plusieurs manuscrits listant les subdélégations qu’il est possible, à partir des noms de subdélégué cités, de dater des années 1712-1713, 1726-1729, 1729, 1736 et 1781-17845. Incertitudes et erreurs ont eu le mérite de susciter réflexions et analyses sur le nombre et la répartition des subdélégations bretonnes. L’ensemble administratif est alors compris soit comme un réseau, soit comme un maillage. Les deux approches sont justifiées car l’intendance développe bien un réseau de correspondants qui devient permanent et se fixe dans un maillage territorial.

4 Les subdélégations doivent être abordées comme des territoires construits progressivement et il convient de s’interroger sur les ressorts de cette construction. Elle semble d’abord découler des exigences stratégiques de l’intendance à l’origine du premier réseau de subdélégués mais les circonscriptions sont ensuite modelées lors de négociations avec les subdélégués. Surtout, elles sont régulièrement remises en question face à l’organisation pratique de l’administration à l’échelle de l’intendance mais aussi des subdélégations.

Un réseau de subdélégués

5 Les subdélégués forment un réseau centralisé par l’intendant. Simples correspondants au départ, ils sont devenus de véritables administrateurs recevant ses ordres et envoyant leurs comptes rendus ; ils entretiennent une correspondance régulière avec son hôtel. Leur répartition sur le territoire provincial ne relève aucunement du hasard ; elle répond d’abord aux besoins de l’intendant et ne se comprend pas sans une certaine connaissance des prérogatives des subdélégués et de leur évolution.

Du correspondant à l’administrateur

6 Officieuse, la subdélégation laisse peu de traces avant l’édit royal de 1704 ; il est donc difficile de bien cerner la situation des premiers subdélégués. Selon Julien Ricommard, dans la plupart des intendances, créées dans les années 1620, les subdélégués apparaissent de manière pérenne dès les années 16606. Les intendants commencent par développer un réseau de correspondants pour être informés, puis, ayant établi une relation de confiance avec eux, leur subdélèguent progressivement leurs pouvoirs. Dans la jeune intendance bretonne, il est fort possible que l’intendant nomme des subdélégués dès le début, même s’il utilise la dénomination de « correspondant » pour ne pas froisser le ministre, opposé par principe à la subdélégation. En 1689, Auguste Robert de Pomereu, le premier intendant de Bretagne, « établit ainsi des “correspondants” aux sièges des évêchés, des sénéchaussées, dans la plupart des centres de quelque importance » selon Julien Ricommard7. Dans une lettre d’août 1691 citée par Henri Fréville, il indique qu’il dispose de « commis attachés à diverses villes (Morlaix et Saint-Malo, par exemple) ; qu’un autre, Révillois, circule dans toute la province8 ». Ces premiers subdélégués sont désignés pour des missions précises, ponctuelles dans l’espace et le temps. Sébastien Frain de La Villegontier est ainsi commis le 13 juin 1696 pour faire l’adjudication au rabais des réparations d’un pont de Fougères9. Bréart, sieur de la Laignière, est nommé à Brest en 1692 et Jean Emmanuel de La Boissière à Guérande en 169410. Ces subdélégués ponctuels exercent plusieurs fois et

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deviennent les premiers subdélégués permanents de ces localités. Auguste Robert de Pomereu délivre déjà des commissions permanentes pour différentes matières aux subdélégués de Nantes, Vannes, Quimper mais également pour Jean-Baptiste Primaignier à Redon et Sébastien Frain à Fougères11. Ensuite, à la lecture des lettres de provisions adressées aux subdélégués en titre d’office, J. Ricommard relève 34 subdélégués par commission continués dans leurs fonctions après l’édit de 170412. Au moins 34 subdélégations existaient donc avant 1704 et probablement plus, sinon, pourquoi attribuer à sept d’entre elles un double ou triple chef-lieu ? (cf. figure 1)

Figure 1 – Les subdélégations d’office et de commission entre 1704 et 1715

7 L’édit d’avril 1704 officialise la subdélégation dans tous les sens du terme puisqu’il légifère sur la « création en titre d’office formé et héréditaire d’un conseiller subdélégué des sieurs intendants […] dans chacun chef-lieu […] où il en a été étably jusqu’à présent, ou dans lesquelles l’établissement en paroistra nécessaire13 ». La vente d’offices doit permettre de donner plus d’autorité aux subdélégués et d’accroître leur motivation face à des tâches de plus en plus nombreuses14 ; elle doit aussi nourrir le trésor royal affaibli par les guerres. L’intendant de Bretagne envoie au ministre une liste de chefs-lieux afin que soient mis aux enchères les offices correspondants. 38 sont créés. Cependant, les subdélégués rechignent à les acquérir15. En 1715, alors que le Conseil du roi revient sur l’édit et rétablit la nomination par commission, quinze subdélégués n’ont toujours pas achevé de financer leur office16 ; parmi eux, douze n’ont rien versé. Comme ils avaient la confiance de l’intendant, leur poste ne pouvait être confié à un autre. De plus, ne pas payer n’empêche pas d’exercer puisque plusieurs autres subdélégués travaillent officieusement comme Pierre Jaffrezic de Kerhorre à Pontrieux et Jean-Louis Anger de La Haye à Bazouges-la-Pérouse dès 171017. En 1713, un document nous permet de compter 87 subdélégations bretonnes. L’« État contenant le nom des subdélégués et les paroisses de leurs départements desquelles ils ont fait

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fournir les déclarations pour le dixième » liste 82 groupes de paroisses18. Elles correspondent, comme l’indique Julien Ricommard corrigeant les interprétations d’Henri Fréville, à des départements créés spécialement pour la collecte de l’impôt19. Seulement, l’intendant a fait noter en face de chaque paroisse son chef-lieu de subdélégation. Parfois subdélégation et département du dixième correspondent comme pour Redon, Châteaubriant ou Lesneven mais, en général, les chefs-lieux de subdélégation indiqués diffèrent du siège du département fiscal. 84 subdélégations sont mentionnées auxquelles il faut ajouter la deuxième subdélégation de Rennes confondue avec la première dans le document et les subdélégations de Port-Louis et Ingrandes trop petites pour être notées avec leur unique paroisse. Déjà en 1713, la province est découpée en 87 subdélégations, comme dans l’« État d’arrondissement général des subdélégations de la province de Bretagne » daté de 1729.

Une répartition stratégique

8 Avec 87 chefs-lieux, l’intendant de Bretagne cherche à couvrir l’ensemble de la province le plus efficacement possible. Le réseau de subdélégués quadrille le territoire de manière presque régulière, même s’il est moins resserré dans les diocèses de Nantes et Quimper, légèrement moins densément peuplés. En 1775, l’intendant Caze de La Bove explique le nombre important de subdélégations par la mauvaise qualité des chemins et les difficultés de communication du début du siècle, la volonté de « diminuer l’embarras de chacun en les partageant au plus grand nombre » et la pression des gentilshommes locaux pour obtenir cette fonction20. Les subdélégués ne sont pas rémunérés et ne peuvent consacrer tout leur temps à la subdélégation. Cependant, toute la Bretagne doit bénéficier de leur service, surtout quand il est question de répartir l’impôt ou de lever de la milice21. Surtout, l’intendant souhaite être tenu informé sur chaque village de la province. La force de son réseau tient donc à l’efficacité de la correspondance. Ce dernier est pensé en fonction du réseau routier. Aussi, toutes les « villes carrefours », comme les appelle Claude Nières22, sont-elles choisies pour chef-lieu de subdélégation (cf. figure 2). D’autres sont plutôt des « villes étapes » comme Bain et Derval sur la route de Rennes à Nantes ou Montauban et Broons sur celle de Rennes à Lamballe. À partir de 1738, la mise en place de relais de poste à chevaux confirme cette logique de répartition : plus des deux-tiers sont installés dans des sièges de subdélégation. Cette répartition facilite la correspondance et donc le lien entre l’intendant et le subdélégué.

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Figure 2 – Les sièges de subdélégations et les communications à la fin du XVIIIe siècle

9 Les subdélégués contrôlent ainsi les points de passage. Dans une province frontière, comme la Bretagne, cette position est éminemment stratégique. Ils sont tous chargés de différents services logistiques de l’armée. Responsables de l’Étape, ils gèrent l’accueil des troupes en marche et répartissent, entre les communautés d’habitants, les coûts du logement des gens de guerre et leur approvisionnement en vivres, fourrages et fournitures. Plus régulièrement, ils fournissent aussi aux soldats isolés les moyens de rejoindre leur régiment, contrôlent leurs entrées et sorties des hôpitaux et distribuent les congés et retraites d’invalidité. Certaines subdélégations s’avèrent plus stratégiques encore ; leur faible étendue en témoigne. Chargés de moins de dix paroisses, les subdélégués du Croisic, de Port-Louis, de Saint-Malo, d’Ingrandes ou d’Antrain surveillent ces portes maritimes ou terrestres. Plus précisément, ils contrôlent l’action des employés des fermes du Roi et des receveurs du Domaine en vérifiant leurs procès- verbaux de saisie de contrebande. Le nombre important de subdélégations se justifie donc aussi par le besoin de contrôler certaines zones sensibles.

10 Les subdélégations sont essentiellement implantées dans des villes de pouvoir et plus particulièrement dans les chefs-lieux de juridiction. Les 26 sièges de sénéchaussée accueillent un subdélégué au moins jusqu’en 1736. Dans le royaume, sur 434 bailliages et sénéchaussées, seuls 77, soit 18 %, ne sont pas des chefs-lieux de subdélégation23. En Bretagne, sont également toutes sièges permanents les 21 villes citées par Claude Nières comme relevant intégralement de la justice d’un seul seigneur24. De plus, la plupart des chefs-lieux de subdélégation sont aussi les sièges de nombreuses justices seigneuriales ou ecclésiastiques. Ce choix permet à l’intendant de se poser en contre-pouvoir face aux officiers et seigneurs les plus puissants de la province mais il est aussi imposé par le recrutement des subdélégués. En effet, le plus souvent, l’intendant choisit ses représentants parmi les magistrats ; cette qualité l’assure de leurs compétences en matière de droit et de procédures administratives. Il privilégie également les chefs-

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lieux urbains. Le contrôle des finances des communautés urbaines impose la présence de subdélégués dans les 42 villes ainsi organisées. Dans les autres provinces, la vérification et la liquidation des dettes des communautés ordonnées en octobre 1662 marquerait une étape importante dans le développement et la territorialisation de la subdélégation25. En Bretagne, comme 38 d’entre elles députent aux États provinciaux, leur surveillance permet aussi à l’intendant de garder un œil sur ce contre-pouvoir embarrassant.

Un réseau concurrencé

11 La croissance du pouvoir de l’assemblée provinciale entraîne en 1736 une grande restructuration du réseau de subdélégués26. Déjà, en 1705, la répartition et la levée de la capitation leur échappent. En 1732, les États obtiennent en plus l’administration de l’Étape ; ils s’organisent alors en créant un réseau de correspondants sur tout le territoire. À la session suivante, en 1734, ils créent une « commission intermédiaire » assurant la permanence de leur pouvoir entre deux réunions. Ainsi renforcés, ils négocient et obtiennent dès l’année suivante l’abonnement et la levée de l’impôt du dixième. Ce transfert de prérogatives entre subdélégués et correspondants de la Commission intermédiaire amène l’intendant à supprimer 24 subdélégations, soit plus d’un quart de son réseau.

12 En 1736, dès sa première année d’exercice, l’intendant Jean-Baptiste de Pontcarré de Viarmes décide de ne conserver que les subdélégations les plus stratégiques. Il allège le réseau de plusieurs « villes étapes » comme Rostrenen, Loudéac ou Savenay, mais conserve les « villes carrefours » ; il délaisse surtout des chefs-lieux de juridictions seigneuriales, mais aussi de petits sièges royaux : Bazouges-la-Pérouse, Jugon, Châteauneuf, Châteaulin, Gourin et Concarneau. Par contre, il conserve le contrôle de toutes les communautés de ville. Certaines de moins de 1000 habitants, comme Hédé, Pont-l’Abbé ou Montfort, sont maintenues comme subdélégation à cause de ce statut urbain. D’ailleurs, dès que Lorient l’obtient en 1741, l’intendant y commet Thimeur de Montigny. Ces représentants sont désormais plus nombreux sur les côtes que dans l’intérieur de la province ; les minuscules subdélégations de Belle-Île, de Sarzeau et du Croisic sont conservées alors que, sur le continent, celles de Baud et Uzel ne persistent pas. Le commissaire départi conserve ainsi le contrôle des ports. Le maintien d’un grand nombre de subdélégations sur la côte se comprend aussi à cause de l’importance de la population littorale. En 1770, la densité dépasse les 75 habitants au km2 au nord des diocèses de Saint-Pol-de-Léon et de Tréguier27 ; cette région garde d’ailleurs le même nombre de subdélégations. À l’inverse, sur les côtes des diocèses de Vannes, Nantes et Saint-Brieuc, un plus faible peuplement explique la suppression de Rochefort, Saint-Nazaire et Matignon. Réduit à 63 subdélégations en 1736, le réseau évolue encore avec la création des subdélégations de Lorient en 1741 et peut-être celle de Douarnenez dans les années 1780.

13 Mis en place dans les années qui suivent la création de l’intendance en 1689 et en partie officialisé en 1704, le réseau de « correspondants » de l’intendant de Bretagne est rapidement devenu un réseau de chefs-lieux. Son organisation et son évolution dépendent des fonctions confiées aux subdélégués. D’abord ponctuelles, leurs missions deviennent régulières et permanentes entraînant ainsi le développement d’un nouveau cadre administratif.

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Un nouveau territoire à construire

14 La territorialisation des subdélégations bretonnes est tout à fait originale. Sans reprendre d’anciens cadres administratifs, l’intendant a créé de nouvelles circonscriptions en négociant avec ses subdélégués. Le maillage ainsi dessiné présente une grande variété de formes orientant les pratiques administratives.

Créer un nouveau cadre administratif

15 La coutume, déjà suggérée dans l’édit d’avril 1704, veut que les subdélégations correspondent aux élections dans les pays taillables et aux bailliages dans les pays d’États28. Cependant, rien n’est imposé et l’organisation de la province peut varier, comme l’indique René Grevet, « en fonction de l’appréciation des intendants29 ». Si, dans les autres provinces, « le ressort du subdélégué correspond généralement à celui de la compagnie à laquelle il appartient30 », les subdélégués bretons doivent souvent couvrir des ressorts bien distincts. Leur nombre et leur diversité ont poussé les intendants à créer de toutes pièces de nouveaux cadres administratifs. Certes, à Concarneau, Quimperlé et Gourin, les subdélégations correspondent aux sénéchaussées mais, à Auray, Antrain et Fougères, les magistrats subdélégués doivent faire attention à certaines paroisses intégrées dans leur subdélégation mais pas dans leur juridiction et inversement. Ailleurs des situations bien plus complexes se présentent. La subdélégation de Redon est à cheval sur trois sénéchaussées relevant de trois présidiaux différents : Ploërmel, Rennes et Nantes ; le subdélégué de Hédé est responsable de 15 paroisses de la sénéchaussée de Hédé, quatre de la sénéchaussée de Rennes et d’une autre de la sénéchaussée de Dinan. De son côté, le sénéchal de Hédé a des pouvoirs judiciaires sur un territoire à cheval sur 5 subdélégations : Hédé, Combourg, Montauban, Bazouges et Rennes. Même si l’intendant avait voulu associer les ressorts de ces officiers avec leur subdélégation, il n’aurait pu, du fait de la diversité de leurs fonctions. Beaucoup exercent dans les juridictions royales, beaucoup également dans les juridictions seigneuriales, d’autres, plus rares, dans les bureaux de la Marine. Parfois, comme à Fougères ou à Saint-Malo, l’intendant commissionne le maire. Sans base administrative cohérente, les subdélégations doivent être construites.

16 De ce fait, la délimitation des subdélégations bretonnes ne va pas de soi et fait l’objet d’un bricolage territorial. Julien Ricommard donne l’exemple caractéristique de la lettre de provision du subdélégué à Vitré qui se voit attribuer « la ville de Vitré, et estendue de la baronnie et jurisdiction dudit Vitré, paroisses de Bays, Monville et Espinay en dépendantes31 ». Ce ressort est tellement neuf qu’il faut faire appel à trois types de circonscriptions territoriales pour le définir : la ville, la juridiction seigneuriale et les paroisses. Loin de s’imposer, le nouveau territoire s’est probablement immiscé très lentement dans les cartes mentales de la population. Les subdélégués eux-mêmes ne maîtrisent pas tous parfaitement leur département avant 1729. Sébastien Frain distingue les paroisses qui devraient faire partie de son département et celles « qu’on joint ordinairement à la subdélégation de Fougères à cause de leur proximité32 » ; il présente à l’intendant sept paroisses dont il s’occupe habituellement bien qu’elles soient de la baronnie de Vitré. Il y aurait donc le territoire de la pratique passée et un autre reposant plutôt sur des principes théoriques. Cette

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division de l’espace en grands ensembles seigneuriaux compte donc encore dans les représentations de l’espace. À l’inverse, il semble se tromper en intégrant dans son ressort plusieurs paroisses associées en 1713 et 1729 dans les départements d’Antrain et Saint-Aubin-du-Cormier. Ces erreurs sont compréhensibles, d’autant plus qu’un certain nombre de paroisses ne relevant pas de sa subdélégation lui avaient été confiées pour la levée du dixième en 1712-1713. Il évoque également deux paroisses jointes « pour la dernière levée des soldats de milice33 ». Avant 1729, les subdélégations sont peut-être à comprendre comme un chef-lieu dominant une étendue fluctuant suivant le service demandé ou l’intendant le demandant. Le subdélégué à Carhaix le laisse supposer, « n’ayant jamais eu un arrondissement fixe34 ».

Fixer le ressort, un travail collectif

17 En décembre 1728, le nouvel intendant Jean-Baptiste des Gallois de La Tour souhaite clairement fixer les circonscriptions des subdélégués. Il demande alors à chacun de lui envoyer une liste des « paroisses, trèves & frairies qui composent [leur] subdélégation, pour pouvoir [leur] adresser les affaires qui les concernent, [...] en observant de n’y comprendre que celles qui sont en effet de [leur] département, & de n’en obmettre aucune35 ». Il leur donne ainsi à tous l’occasion de lui faire part de leurs doutes, réclamations et revendications concernant leur circonscription. Le subdélégué de Fougères, cité ci-dessus, ne souhaite plus lever la milice dans deux paroisses trop éloignées de son chef-lieu. Après avoir tenu compte de toutes les réponses, l’intendant leur renvoie leur liste de paroisses définitives. Certains contestent. Le Gallo, à Brest, revendique cinq paroisses confiées au subdélégué de Lesneven36 ; Duboys, à Pontivy, refuse trois paroisses éloignées qui « doivent-être [dit-il] naturellement attachées à la subdélégation de Lominé37 ». Pour son secrétaire, Jean-Baptiste des Gallois annote la lettre de Duboys : « R[épondre] le 25 mars 1729 que ces trois p[aroi]sses ont toujours été du département de Pontivy, au surplus que l’arrondisse[ment] est arresté et qu’il n’y a plus moyen de changement38. »

18 En grande majorité, les subdélégués acceptent leur liste car les changements sont mineurs (cf. annexes). En Haute-Bretagne, entre 1713 et 1729, le département de Dinan perd la paroisse de Saint-Helen au profit de Combourg. Montauban donne trois paroisses à la subdélégation de Broons, Montfort deux à celle de Rennes et Nantes deux à celle de Savenay. En Basse-Bretagne, Brest perd quatre paroisses qui deviennent des enclaves de Lesneven et Lanmeur gagne deux paroisses de Lannion. L’ensemble des subdélégués a répondu correctement permettant ainsi de conserver, à quelques paroisses près, les étendues relevées en 1713. Pour sa part, le nouvel intendant préfère probablement dans un premier temps faire confiance aux outils de ses prédécesseurs et à un réseau qui a fait ses preuves par la pratique. En même temps, en s’adressant aux subdélégués pour concevoir leur département, il entre en contact avec eux et gagne leur confiance en les associant au projet. Les circonscriptions ainsi fixées, l’intendant produit un registre récapitulatif : l’« État d’arrondissement général des subdélégations de la province de Bretagne39 ». « Pour la première fois, nous trouvons un répertoire sérieux et complet », commente Henri Fréville40.

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Une grande variété de formes

19 Les subdélégations fixées par l’intendant sont de tailles et de formes très variées. Les plus petites ne comptent qu’une paroisse ; la plus grande en comprend 46 en 1729, 58 en 1736. À cette date, 32 subdélégations absorbent les 24 supprimées mais 31 n’évoluent pas. Vers 1770, celles de Saint-Malo, Paimpol ou Tréguier connaissent une densité démographique oscillant entre 50 et plus de 200 habitants/km² suivant les paroisses, alors que les 50 habitants/km² ne sont dépassés par aucune paroisse des subdélégations de Pontivy, Blain et Plélan41. Les chefs-lieux de Nantes, Rennes, Saint-Malo ou Brest accueillent plusieurs dizaines de milliers d’habitants urbains, alors que ceux des subdélégations d’Antrain, Clisson ou Carhaix en comptent moins de 200042. Avant 1736, de nombreux subdélégués vivent même dans de petits bourgs comme Châteauneuf, Locminé, Pontchâteau ou Saint-Nazaire.

20 De ce panel de formes découlent de grandes différences de recrutement. De 1689 à 1789, se succèdent entre 2 et 15 subdélégués suivant la subdélégation. Au-dessus de la moyenne de cinq subdélégués successifs, beaucoup de circonscriptions urbaines comme Brest, Saint-Malo ou Nantes connaissent de brèves subdélégations. À Nantes, les subdélégués sont, pour la plupart, échevins et occupent un moment la mairie ; à Saint- Malo, quatre subdélégués se succèdent même tous les trois ans à chaque élection de 1757 à 1773. En milieu rural, comme à Pontchâteau, Antrain ou Pontrieux, les subdélégations s’allongent. Même si rien n’est systématique, l’intendant remplace couramment ses subdélégués ruraux par la personne que ces derniers lui conseillent. Ainsi, le fils succède-t-il au père dans les familles Anger à Antrain ou Cocaud à Blain. Lorsqu’il n’est pas de la même lignée, le successeur occupe souvent le même office de magistrature. À Saint-Aubin-du-Cormier, chaque sénéchal s’occupe de la subdélégation. À Hédé en 1721, la succession se fait de manière assez remarquable : à la mort du sénéchal et subdélégué, son fils n’est pas encore assez vieux pour juger, la subdélégation revient au procureur du roi qui prend l’intérim de la juridiction pendant deux ans ; à sa mort, elle passe de la même manière entre les mains d’un juge seigneurial. En milieu rural, il n’est pas rare que le subdélégué provienne d’une notabilité moins prestigieuse : Joubaire de La Drutais à Plélan-Le-Grand entre 1770 et 1780, Jacques Royou à Pont-L’Abbé entre 1766 et 1785 ou Pierre Primaignier à Redon entre 1734 et 1762 sont de simples procureurs fiscaux. À Rennes, au contraire, beaucoup sont conseillers au présidial.

21 Reflets de leur subdélégation, les subdélégués ne sont pas égaux. Même les Bretons n’accordent pas à tous la même importance. À partir de 1762, les Étrennes bretonnes commencent à relever leurs noms pour les publier. Malgré quelques erreurs et une faible réactualisation de leurs informations laissant croire à de très longues commissions, les Étrennes ont le mérite de montrer la considération croissante des Bretons pour les subdélégués43. En 1770, ils apparaissent tous dans cet annuaire, soit au chapitre de l’intendance, soit à celui des « principales villes » ; les plus importants figurent dans les deux. Encore une fois, les subdélégués des grandes villes semblent prépondérants (figure 3).

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Figure 3 – Les subdélégations dans les Étrennes bretonnes

22 La territorialisation des subdélégations bretonnes est réalisée en plusieurs étapes. Déjà amorcée avant 1713, elle ne tient aucunement compte des autres maillages administratifs. Plus ou moins fluctuantes, les circonscriptions sont fixées en 1729 par Jean-Baptiste des Gallois de La Tour. La subdélégation commence alors à être considérée comme une étendue précise. Les confusions et hésitations du début du siècle ne sont plus permises aux subdélégués. En 1788, l’intendant Antoine-François de Bertrand de Molleville le rappelle : « Ils doivent connoître à fonds, non-seulement les villes et bourgs, mais jusqu’aux moindres paroisses de leur subdélégation ; leurs besoins, leurs ressources, leur industrie, les moyens de l’étendre et de la favoriser ; la nature du sol et des productions, l’état de la culture et des défrichemens, les améliorations et les encouragemens dont ils sont susceptibles, leur population, le nombre des pauvres valides et les principaux propriétaires44. »

« Une étendue suffisante pour en bien remplir le service »

23 Une telle familiarité avec leur circonscription paraît de plus en plus indispensable aux subdélégués. Leur rôle d’informateur croît et l’évolution de leurs fonctions pousse l’intendant à penser un nouveau projet de maillage administratif. Cependant, plusieurs conceptions du territoire s’opposent. Pour les habitants, la subdélégation reste avant tout liée au chef-lieu qu’il faut conserver ; l’intendant, pour sa part, la considère désormais comme une étendue et souhaite rationaliser le quadrillage de la province. Entre les deux, les subdélégués se sont appropriés leur département.

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L’organisation pratique des subdélégations

24 Dans la pratique, une taille critique est associée aux subdélégations. En septembre 1781, Macé de La Porte refuse l’adjonction de deux nouvelles paroisses à son département lors du projet de suppression de la subdélégation de Derval. Il souhaite en effet que « Redon ait une étendue suffisante pour en bien remplir le service45 ». En décembre 1781, le subdélégué à Dol demande à l’intendant de rallier trois paroisses au département de Dinan et de les distraire du sien car elles sont trop éloignées de son chef-lieu46. Dans chaque état des paroisses des subdélégations, la distance au chef-lieu, rarement supérieure à trois lieues, est sérieusement prise en compte : elle devait permettre « de s’y rendre dans la journée et ne pas excéder quelques heures aller- retour » selon Claude Nières47. L’intendant souhaite avant tout que le subdélégué travaille promptement. Or si ce dernier doit bloquer une journée entière ou même découcher pour faire une adjudication, faire afficher une ordonnance ou mener une enquête, il risque fortement de remettre ce travail à plus tard. De plus, la distance occasionne des frais souvent traduits en honoraires à la fin du siècle48. Pour le tirage de la milice, l’éloignement pèse plutôt sur les populations. En décembre 1780, le prince de Condé s’inquiète, face au plan de suppression de la subdélégation de Derval, des déplacements que ses vassaux devront endurer pour s’y rendre49. En 1788, la même raison est évoquée par les prieur et religieux de l’abbaye de Saint-Gildas, pour demander le transfert de cette paroisse de la subdélégation de Blain à celle de La Roche-Bernard. L’éloignement du chef-lieu fait alors « perdre deux et trois journées de travail tant pour aller que pour revenir50 ».

25 L’organisation interne de la subdélégation permet de réduire ces distances. Pour se défendre contre les revendications du subdélégué de Dinan sur quatre de ses paroisses, Jan de la Hamelinaye, subdélégué à Montauban, explique l’usage de centres secondaires. En effet, pour éviter que les garçons découchent, il respecte « la règle qui [lui] est prescrite dans le cas du trop grand éloignement des paroisses. En conséquence [il] fait tirer à Becherel, St Jouan-de-lile, Broons et St-Méen. […] Du reste, [il a] toujours soin d’expédier les paroisses éloignées les premières, l’opération à leur égard est finie dès les 10 heures du matin au plus tard ; ce qui leur donne un temps suffisant pour venir et s’en retourner sans découcher51 ».

26 Or cette pratique n’est pas exceptionnelle et ne s’applique pas qu’au tirage de la milice. Souvent, les subdélégués comptent même sur des centres hebdomadaires comme les foires et marchés. En décembre 1781, quand le subdélégué de Dol demande à l’intendant de rattacher au département de Dinan trois paroisses de sa subdélégation, il se justifie « par le grand nombre de leurs habitants qui se trouvent au marché de Dinan » contrairement à celui de Dol « où souvent on ne trouve aucun de leurs habitants52 ». De même, Jan de La Hamelinaye présente le marché de Bécherel « comme l’entrepôt d’où [il] fai[t] partir les ordres dans les paroisses voisines53 ». Lieux de rencontre et de sociabilité, les marchés structurent la circonscription. Les subdélégués s’y rendent souvent pour relever les prix du grain et du pain, pour publier les ordonnances, édits et divers règlements émanant du roi ou de l’intendance. Comme les juges de paix du Midi toulousain au XIXe siècle, ils devaient choisir le jour de marché pour rendre l’administration de l’intendance accessible aux habitants54.

27 Chaque subdélégué développe également son propre réseau de correspondants. Recteurs de paroisses ou autres notables locaux sont régulièrement sollicités pour le renseigner sur une affaire ou répondre à une enquête. Ces correspondants restent-ils

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de simples informateurs ou forment-ils un nouvel échelon administratif en développement ? Jan de La Hamelinaye se défend de l’usage « d’exprès qu’il faut payer55 ». Le sieur de Leissegues de Légerville, prétendant au poste de subdélégué au Faou, dénonce les coûts de correspondance entre le subdélégué à Châteaulin et « celui qui le substitue ici56 ». L’intendant lui-même encourage à la formation d’un réseau de correspondants, dans un projet de lettre aux subdélégués surchargés par la suppression de subdélégations voisines.

Le projet de l’intendant Caze de La Bove

28 En 1775, le nouvel intendant, Gaspard Louis Caze de La Bove, souhaite réduire encore plus le nombre de subdélégations pour passer de 64 à 20 ou 32 départements57. Les États provinciaux ont continué à gagner des prérogatives comme l’organisation de la corvée en 1754 ou l’adjudication des grands chemins. Celles des subdélégués ont évolué vers l’information et les secours aux populations. Les exigences dans la réactivité du réseau grandissent. Aussi, pour justifier la plupart de ses projets de suppression, l’intendant utilise-t-il cet argument : « ma correspondance de mes subdélégués m’étant trop multipliée, j’ai cru qu’il étoit du bien du service de la simplifier58 ».

29 De plus en plus, l’intendant mobilise ses représentants pour mener des enquêtes sur l’ensemble de leur département afin de créer des outils d’information à l’échelle de la province. En plus des états bimensuels du prix des grains, des états mensuels du prix des principales denrées59, ils fournissent depuis 1757 un état semestriel des crimes dignes des peines afflictives. Le travail de compilation et de synthèse de l’intendant s’en trouve alors multiplié. Depuis déjà 1736, pour les évaluations annuelles de l’apparence puis du produit des récoltes, l’intendant ne tient compte que d’une quinzaine de subdélégations dans ses récapitulatifs. Cette sélection est probablement réclamée par le Contrôle général pour faciliter son travail cartographique60. En 1775, le premier recensement de l’évolution de la population bretonne pose, semble-t-il, de nombreux problèmes d’organisation61 ; en effet, il n’est pas reconduit avant 1779, date à laquelle il devient annuel. Surtout, il semble susciter le projet de Caze de La Bove ; avec moins d’informateurs, l’intendant espère améliorer le travail de compilation de ses services.

30 Plus qu’une simple réduction, son projet cherche à faire correspondre les limites des subdélégations avec celles des diocèses. De taille à être perçue par le Roi, les évêchés constituent les principales entrées des synthèses de l’intendance. De nombreuses subdélégations relèvent de deux ou trois diocèses et sont alors classées dans le diocèse de leur chef-lieu. Le projet de « Division des subdélégations sans beaucoup s’écarter de l’enceinte des évêchés » comprend désormais les subdélégations comme des étendues, même s’il garde quelques réflexes de la conception précédente. En effet, la subdélégation de Quintin est, en quelque sorte, l’exception qui confirme la règle : « Bien que cette ville soit du diocèse de Saint-Brieuc, elle sera la résidence d’un subdélégué du diocèse de Quimper62. » Le chef-lieu reste indispensable, pour des raisons de recrutement notamment, si bien qu’on est prêt à le séparer de son département pour allier l’ancienne logique à la nouvelle.

31 Réformer le réseau de subdélégués bretons semble impératif à l’intendant. Toutefois, il ne peut espérer réaliser son projet sans l’accord des intéressés et rédige donc deux ébauches de lettre pour les informer. Ces écrits n’ont probablement jamais été envoyés mais ils montrent comment l’intendant souhaitait négocier avec les acteurs de son

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réseau. Aux subdélégués supprimés, il précise qu’il ne s’agit nullement d’une sanction et insiste sur la nécessité d’une telle réforme. Aux subdélégués surchargés, il déclare souhaiter « attirer sur eux les grâces et les récompenses63 ». Malheureusement, ces grâces dépendent du Contrôle général des finances. Or Turgot refuse d’accorder « des traitements fixes en faveur de[s…] subdélégués à quelque nombre que [l’intendant] les réduit. L’exemple seroit de trop grande conséquence pour les autres provinces du Royaume dans la pluspart desquelles les fonctions des subdélégués sont plus étendues qu’en Bretagne64 ». Bloqué par le manque de fonds, le projet de Caze de La Bove ne sera pas appliqué. Y. Lagadec estime alors que « les subdélégations bretonnes illustrent parfaitement ce que furent, en ce domaine comme en d’autres, les dernières années de l’Ancien Régime, entre volonté de réforme et difficultés à les mettre en œuvre65 ».

La défense des subdélégations

32 Sans avoir les moyens d’une réforme globale du maillage administratif, l’intendant essaie de supprimer ces subdélégations au fur et à mesure que les occasions se présentent. En août 1776, Hennebont risque fort de perdre son siège de subdélégué au départ de Milloch pour raison de santé. En juin 1780, Caze de La Bove essaie de supprimer la subdélégation de Derval quand le subdélégué Potiron de Boisfleury, malade, demande à se retirer et propose son fils pour lui succéder. Bertrand de Molleville applique la même politique, avec Pontchâteau en 1785 et Paimboeuf en 178966. L’intendant attend le départ de ces hommes et ne laisse passer aucune occasion. En novembre 1780, le subdélégué à Saint-Aubin-du-Cormier demande à pouvoir former son gendre dans l’optique de le voir lui succéder. L’intendant l’informe alors qu’il ne sera pas remplacé : sa subdélégation « étant entrée dans [s]on plan de réduction, [il] la supprimer[a] aussitôt qu[’il] ne pourr[a] plus remplir les fonctions67 ».

33 En choisissant de ne pas remplacer ces subdélégués, l’intendant évite de s’opposer à ses représentants ; par contre, il doit faire face aux communautés qui prennent la défense du siège de subdélégation. Les exemples découverts dans le carton C1 des archives d’Ille-et-Vilaine ne sont pas nombreux mais témoignent toutefois de l’importance qu’a prise ce territoire aux yeux de ses habitants ; ils ne le défendent pas seulement pour éviter les désagréments pratiques de l’éloignement du subdélégué mais aussi pour conserver l’aura que dégage sa présence autour de la ville. En 1776, la communauté de Hennebont, soutenue par le subdélégué sortant, Milloch, s’oppose à la suppression du siège de la subdélégation ; elle obtient gain de cause en arguant de l’importance de la ville, de sa juridiction royale et de l’éloignement de la subdélégation de Lorient. Ailleurs, des logiques seigneuriales entrent aussi en ligne de compte. Quand le prince de Condé défend Derval en 1780, il dénonce l’influence du duc de Rohan dans le choix de conserver Blain68. Les rivalités sont rudes et parfois les pressions seigneuriales entraînent des incongruités territoriales ; Yann Lagadec explique ainsi les « isolats » de Quintin et Corlay69. Les argumentaires des opposants rappellent les logiques d’origine du maillage territoriale. Le prince de Condé soutient le maintien d’une subdélégation à Derval au motif que cette ville est « située sur la grande route » de Rennes à Nantes, contrairement à Blain « éloignée de 3 à 4 lieues de toute grande route70 ». En janvier 1781, un opposant à la suppression de celle de Saint-Aubin-du-Cormier insiste sur l’importance du subdélégué face aux gens de guerre qui n’entendent pas d’autre autorité71. Pour faire pencher l’intendant de son côté, il faut parler en ses termes et

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avancer les mêmes arguments que lui auparavant. La logique du chef-lieu rayonnant n’est donc pas si obsolète.

34 En fin de compte, aucune suppression n’aboutit avant 1790. Le maillage des subdélégations n’appartient plus au seul intendant. Toujours concertés, les subdélégués organisent à leur échelle le territoire administratif en s’appuyant sur des centres secondaires et un réseau de correspondants. Dans les années 1780, certains subdélégués profitent d’ailleurs de la dynamique pour demander quelques modifications de leur ressort. À Dol, François Louis Desrieux de La Turrie obtient le transfert d’une paroisse de son département vers la subdélégation de Dinan72. La correspondance de Jan de La Hamelinaye révèle en plus la pratique de négociations et accords ponctuels entre les subdélégués pour des échanges de paroisses73. Enfin, le territoire administratif est désormais défendu par des groupes d’administrés : alliés aux subdélégués, ils semblent empêcher les restructurations envisagées. Le projet de réduction parait même contredit dans les années 1780 par la création de la circonscription de Douarnenez portant à 65 le nombre de subdélégués bretons74. Malheureusement, cette subdélégation est peu documentée et les raisons de sa création à l’encontre des projets de l’intendance restent inconnues.

35 La construction territoriale des subdélégations bretonnes est l’œuvre de plusieurs intendants successifs. Toutefois, leur stratégie territoriale, déterminante au début, ne s’impose pas. Elle s’adapte aux pratiques et se négocie avec les subdélégués et les acteurs locaux qui s’approprient le nouveau territoire. L’intendant Louis Béchameil de Nointel pose les bases en créant un réseau serré de 87 subdélégués à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle. Mais rapidement, la répétition de leurs missions demande une répartition des paroisses. Après concertation avec ses subdélégués, Jean-Baptiste des Gallois de La Tour en fixe les étendues dans un registre en 1729. Les circonscriptions ainsi créées s’organisent suivant leur propre logique, pour répondre aux exigences du service de l’intendance. Prenant acte de la perte de nombreuses prérogatives, son successeur, Jean-Baptiste Pontcarré de Viarmes, réduit à 63 puis 64 le nombre de subdélégations. Pérennes, leurs territoires sont organisés par la pratique des subdélégués avec un chef-lieu, des centres secondaires et un réseau de correspondants. Malgré une construction progressive, les Bretons s’approprient le nouveau maillage territorial. Ainsi, lorsque Gaspard Louis Caze de La Bove propose de le rationaliser, il se heurte à la résistance des subdélégués et de certains habitants. Même si son successeur tient compte de sa réflexion, le projet n’aboutit pas et le territoire des subdélégations résiste, au moins jusqu’en 1790. À cette date, les révolutionnaires dissolvent les 704 subdélégations françaises, dont 65 en Bretagne. Ils les remplacent par un découpage complètement différent : celui des cantons et des départements75. En effet, malgré la thèse d’A. de Tocqueville, la continuité du territoire administratif n’est pas évidente76. Les subdélégations ne semblent pas avoir laissé beaucoup de marques sur les territoires d’aujourd’hui.

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ANNEXES

Carte des subdélégations bretonnes en 1713

(Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C 1)

Carte des subdélégations bretonnes en 1729

(Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C 1)

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Carte des subdélégations bretonnes en 1736

(Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C 6060)

Carte des subdélégations bretonnes en 1781

(Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C 1404 et 1422)

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NOTES

1. FREVILLE, Henri, L’intendance de Bretagne (1689-1791), Rennes, Plihon, 1953 (3 vol.). RICOMMARD, Julien, « Les subdélégués des intendants aux XVIIe et XVIIIe siècles », Information historique, 1962, p. 139-148, 190-195 et 1963, p 1-7 ; id., « L’érection en titre d’office des subdélégués des intendants. L’application dans l’ensemble du royaume de l’édit d’avril 1704 et l’érection en titre d’office des subdélégués des intendants », Revue Historique, 1945-1, p. 24-25 et 1945-2, p. 123-130, etc.

2. ARBELLOT, Guy, GOUBERT, Jean-Pierre, MALLET, Jacques, PALAZOT, Yvette (dir.), Carte des généralités, subdélégations et élections en France à la veille de la Révolution de 1789, Paris, CNRS, 1986.

3. La présente contribution reprend des idées développées dans DIDIER, Sébastien, Les subdélégués des intendances de Bretagne et de Nouvelle-France, Antrain, Fougères, Hédé et Montréal, une étude prosopographique comparée, mémoire de master sous la direction de Yann LAGADEC, Université de Rennes 2, 2011.

4. FRÉVILLE, Henri, L’intendance de Bretagne…, op. cit., vol. 1, p. 112. RICOMMARD, Julien, « Du recrutement et du nombre des subdélégués en titre d’office dans l’intendance de Bretagne (1704-1715) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1961, p. 148. NIÈRES, Claude, Les villes de Bretagne, conditions et formes de développement urbain au XVIIIe siècle, [thèse d’histoire, Université de Paris IV, 1987], Rennes, PUR, 2004, p. 412-413. LAGADEC, Yann, « Penser l’espace administratif pour le moderniser, L’exemple des subdélégations en Bretagne au XVIIIe siècle », dans C AULIER, Brigitte et R OUSSEAU, Yvan (dir.), Temps, espaces et modernités, mélanges offerts à Serge Courville et Normand Séguin, Québec, PUL, 2009, p. 313. 5. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C1 et C6060(2). Pour le détail de la datation : D IDIER, Sébastien, Les subdélégués des intendances de Bretagne et de Nouvelle-France…, op. cit., vol. 1, p. 40-42 et vol. 2, annexe n° 21, chronologie des subdélégués de Bretagne, p. 169. 6. RICOMMARD, Julien, « Les subdélégués des intendants… », art. cit., p. 139-146.

7. RICOMMARD, Julien, « Les subdélégués en titre d’office et leurs greffiers dans l’intendance de Bretagne (1704-1715) », Annales de Bretagne, 1960, p. 261. 8. FREVILLE, Henri, L’intendance de Bretagne…, op. cit., vol. 1, p. 62. 9. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C 379, bail de l’adjudication des réparations du pont Graffard, 19 juin 1696. 10. TRIPIER, Yves, « Les origines sociales des subdélégués brestois », Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, t. CVII, 1979, p. 243 et sq. PELLETREAU, Béatrice, Les subdélégués des intendants dans le comté nantais aux XVIIe et XVIIIe siècles, Mémoire de maîtrise, univ. Nantes, 1988, p. 83. 11. RICOMMARD, Julien, « Les subdélégués en titre d’office… », art. cit., p. 265 et 272.

12. Ibidem, p. 450-455. 13. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 1A 10, édit du Roi, avril 1704. 14. RICOMMARD, Julien, « Les subdélégués des intendants… », art. cit., p. 190.

15. RICOMMARD, Julien, « Les subdélégués en titre d’office… », art. cit., p. 255-308, 1961, p. 437-472, 1962, p. 305-341.

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16. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C 1831, état du recouvrement de la finance des offices de subdélégués de l’intendant de Bretagne, août 1715. 17. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C 2605, ordonnance de l’intendant Ferrand, juillet 1710. 18. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C 1. 19. RICOMMARD, Julien, « Du recrutement et du nombre des subdélégués… », art. cit., p. 148. 20. Arch. nat., H 613, mémoire concernant les subdélégués de l’intendance de Bretagne, 1775, cité dans FRÉVILLE Henri, L’intendance de Bretagne…, op. cit., vol. 3, p. 20-21. 21. Les subdélégués bretons s’occupent de la répartition de la capitation en 1695-1697 et 1701-1705, puis du dixième en 1710-1717 et 1733-1735 et enfin du vingtième en 1750-1757. Ils lèvent la milice partout sauf dans les paroisses garde-côtes. 22. NIÈRES, Claude, Les villes de Bretagne…, op. cit., p. 49.

23. ARBELLOT, Guy et GOUBERT, Jean-Pierre (dir.), Carte des généralités, subdélégations…, op. cit., p. 15. 24. NIÈRES, Claude, Les Villes de Bretagne…, op. cit., p. 439. Il cite l’intendant Béchameil de Nointel. 25. RICOMMARD, Julien, « Les subdélégués des intendants… », art. cit., p. 147.

26. À propos des pouvoirs des États de Bretagne, voir R ÉBILLON, Armand, Les États de Bretagne de 1661 à 1789. Leur organisation, l'évolution de leurs pouvoirs, leur administration financière, Paris et Rennes, A. Picard, 1932. 27. CROIX, Alain, NEVEU, Roland, Les Bretons et Dieu : atlas d’histoire religieuse, Rennes, PUR, 1980, carte n° 4. 28. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, 1A 10, édit du roi donné à Versailles, avril 1704. 29. GREVET, René, « Être subdélégué d’intendant dans les provinces septentrionales à la fin du XVIIIe siècle », Bulletin de la Société d’histoire moderne et contemporaine, 1998-3/4, p. 15. 30. RICOMMARD Julien, « Les subdélégués en titre d’office…», art. cit., p. 274.

31. Arch. nat., V1 173, cité par RICOMMARD, Julien, « Du recrutement et du nombre des subdélégués… », art. cit., p. 145. 32. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C 1, état des paroisses de campagne dépendant de la subdélégation de Fougères. 33. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C 1, état des paroisses de campagne dépendant de la subdélégation de Fougères. 34. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C 1503, lettre du subdélégué de Carhaix, 6 mars 1729, citée dans DUVAL, Jacques, Moulins à papier de Bretagne du XVIe au XIXe siècle. Les papetiers et leurs filigranes en Pays de Fougères, Paris, L’Harmattan, 2005. 35. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, texte imprimé de l’intendant adressé aux subdélégués, 29 décembre 1728. 36. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, état des paroisses de la subdélégation de Brest arrêté par de La Tour en février 1729 et renvoyé à l’intendant par Le Gallo en mars 1729. 37. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, lettre de Duboys à l’intendant de La Tour, Pontivy, mars 1729.

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38. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, lettre de Duboys à l’intendant de La Tour, Pontivy, mars 1729. 39. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1. 40. FREVILLE, Henri, L’intendance de Bretagne…, op. cit., vol. 1, p. 311.

41. CROIX, Alain, NEVEU, Roland, Les Bretons…, op. cit., carte 4.

42. NIÈRES, Claude, Les villes de Bretagne…, op. cit., p. 560. 43. Étrennes bretonnes, géographiques, historiques, ecclésiastiques, civiles &c. ou État abrégé de la Bretagne, Rennes, Julien-Charles Vatar, années 1762, 1768,1770, 1773-1775, 1777, 1779, 1782-1784, 1786, 1787, 1789. 44. BERTRAND de MOLLEVILLE, Instructions pour MM. les subdélégués de Bretagne, Rennes, Chez la Veuve de François Vatar & Bruté de Remur, imprimeur du Roi, 1788, p. 4. 45. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, lettre de La Porte, subdélégué de Redon, à l’intendant, 8 septembre 1781. 46. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, lettre du subdélégué de Dol à l’intendant, décembre 1781. 47. NIÈRES, Claude, Les villes de Bretagne…, op. cit., p. 412.

48. BERTRAND de MOLLEVILLE, Instructions pour MM. les subdélégués…, op. cit., p. 65-66. 49. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, lettre du prince de Condé à l’intendant de Bretagne, décembre 1780. 50. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, lettre des prieur et religieux de l’abbaye de Saint- Gildas et du recteur et des principaux habitants de cette paroisse à l’intendant, janvier 1788. 51. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, lettre de Jan de La Hamelinaye à l’intendant, janvier 1782. 52. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, lettre du subdélégué de Dinan à l’intendant, décembre 1781. 53. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, lettre de Jan de La Hamelinaye à l’intendant, janvier 1782. 54. THOMAS, Jack, Le temps des foires. Foires et marchés dans le Midi toulousain de la fin de l’Ancien Régime à 1914, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1993, p. 170-176. 55. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, lettre de Jan de La Hamelinaye à l’intendant, janvier 1782. 56. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, lettre de Leissegues de Legerville à l’intendant, mai 1784. 57. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, lettre de Turgot à l’intendant de La Bove, juin 1775. (20 subdélégations) ; « Division des subdélégations sans beaucoup s’écarter de l’Enceinte des Évêchés » par Frignet, juillet 1775 (32 subdélégations). 58. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, plusieurs projets de lettres aux subdélégués supprimés. 59. Ce sont le pain, les fourrages, les légumes, les boissons, les viandes, les fibres et la cire. 60. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C 1651, lettre du contrôleur général à l’intendant de Bretagne, mai 1738.

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61. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C 1404, états de l’évolution de la population dans les subdélégations en 1774, mai à septembre 1775. 62. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, « Division des subdélégations sans beaucoup s’écarter de l’enceinte des évêchés » par Frignet, juillet 1775. 63. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, « projet de lettre aux subdélégués restans ». 64. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, lettre de Turgot à l’intendant de La Bove, juin 1775. 65. LAGADEC, Yann, « Penser l’espace administratif … », art. cit., p. 320. 66. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1. Le recensement des évolutions de la population de 1787 semble concrétiser ces projets (C 1436). Cependant, les subdélégués concernés continuent de correspondre en tant que tels avec l’intendant jusqu’en 1790. 67. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, brouillon de lettre de l’intendant au subdélégué de Saint-Aubin-du-Cormier, décembre 1780. 68. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, lettre du prince de Condé à l’intendant, décembre 1780. 69. . Quintin et Corlay, comme une dizaine d’autres subdélégations, ont un territoire morcelé avec quelques paroisses isolées du chef-lieu par les circonscriptions voisines. Cf. Annexes et LAGADEC Yann, « Penser l’espace administratif… », art. cit., p. 317. 70. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, lettre du prince de Condé à l’intendant, décembre 1780. 71. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, lettre à l’intendant, janvier 1781. 72. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, lettre du subdélégué de Dol à l’intendant, décembre 1781. 73. Arch. dép. d'Ille-et-Vilaine, C 1, lettre de Jan de La Hamelinaye à l’intendant, Montauban, janvier 1782. 74. Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, C 1436, état du mouvement de la population de la subdélégation de Douarnenez en 1787. Cf. aussi Arch. dép. du Finistère, 2E 1503, cité dans GROUSSARD, David, La gestion de l’eau dans les villes bretonnes aux XVIIe et XVIIIe siècles, Thèse d’histoire, Université de Rennes 2, 2010, p. 492, 572. 75. OZOUF-MARIGNIER, Marie-Vic, La formation des départements : la représentation du territoire français à la fin du XVIIIe siècle, Paris, EHESS, 1989, p. 364 et LAGADEC, Yann, « La formation des cantons en Bretagne : une représentation des territoires (1790-an IX) », dans LAGADEC, Yann, LE BIHAN, Jean et TANGUY, Jean-François, Le canton un territoire du quotidien ?, Rennes, PUR, 2009, p. 23-35.

76. TOCQUEVILLE, Alexis de, L’Ancien Régime et la Révolution, 1856.

RÉSUMÉS

Entre 1689 et 1790, l’intendance de Bretagne se divise en une multitude de circonscriptions. Elles sont d’abord organisées en un vaste réseau de chefs-lieux centralisés par l’intendant. Puis, en

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1729, ce dernier fixe leur ressort pour créer un véritable maillage administratif. Menée par les intendants successifs, cette construction territoriale tient compte des stratégies administratives provinciales, mais aussi de l’organisation pratique des subdélégués et de la concurrence des autres pouvoirs locaux. Les territoires ainsi créés sont complètement neufs. Leurs formes orientent le recrutement et le travail des subdélégués. Elles s’imposent finalement et deviennent de plus en plus difficiles à remodeler en dépit des projets de réduction des derniers intendants. L’étude de la construction des subdélégations bretonnes révèle bien les enjeux de la formation de circonscriptions et montre à quel point les usages administratifs de l’espace provincial peuvent créer de solides territoires.

Between 1689 and 1790, the intendants of Brittany divided their territory in subdelegations. They first delegated their tasks to a network of subdelegates located in the main towns. Gradually, subdelegates became the heads of new administrative districts that took into account both strategic aims and practical necessity as well as local rivalries. The limits of these subdelegations were officially established in 1729 with the participation of the subdelegates. In 1736, these administrative boundaries were modified because of the Provincial Assembly. Though at first they remained adjustable, these new territories later became fixed. Their shape influenced the work of the subdelegates. They became increasingly difficult to change, despite the efforts of the intendants. The study of the creation of the subdelegations underlines the strategic issues at stake and emphasises how administrative practices could create lasting territorial boundaries.

INDEX

Index géographique : Bretagne Index chronologique : XVIIIe siècle, XVIIe siècle

AUTEUR

SÉBASTIEN DIDIER Professeur d’histoire-géographie au collège de Bergues (59)

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Conflictualité et transgressions matrimoniales dans la population militaire du royaume de Galice (1768-1832) Conflicts and Matrimonial Transgressions in the Military Population of the Kingdom of Galicia (1768-1832)

Alfredo Martín García Traduction : Martin Siloret

Les sous-vicaires militaires du royaume de Galice

1 Fixer la date précise de l'apparition de l'assistance religieuse militaire en Espagne n'est pas chose facile1. Bien qu'il en existe de nombreux exemples au Moyen Âge, l'incorporation des prêtres aux armées ne devint nécessaire qu'à l'époque moderne, avec l'apparition des armées permanentes qui impliquaient pour les prêtres une grande mobilité, donc leur séparation d’avec leur diocèse d'origine. Dans le cas de la Monarchie Catholique, le phénomène commença à se manifester sous le règne de Charles Quint2, mais on peut considérer que la juridiction ecclésiastique militaire naquit avec le bref pontifical Cum sicut Majestatis tuae, concédé par Innocent x au roi Philippe IV le 26 septembre 16443. Il fallut cependant attendre le XVIIIe siècle et la politique centralisatrice de la nouvelle dynastie des Bourbons pour que les compétences en soient précisément fixées et qu'une structure pleinement indépendante des diocèses ordinaires se mette en place4. La première étape date du règne de Philippe V, avec le bref concédé par Clément XII en 1736. Celui-ci avait pour objet l'organisation d'une juridiction permanente, distincte de la juridiction ordinaire tant en temps de guerre qu'en temps de paix. Toute faculté et tout privilège étaient conférés par le pontife à un grand aumônier des armées doté de prérogatives très similaires à celles d'un évêque ordinaire, disposant d'une large liberté d'action tant exécutive que judiciaire, avec

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pouvoir de délégation à d'autres prêtres. La deuxième étape de la structuration définitive du champ de compétences ecclésiastiques militaires intervint dans la décennie 1760, sous Charles III, avec un nouveau bref pontifical daté de 1762 et les ordonnances royales de l'armée de 1768. Ces dernières rattachaient le personnel religieux au champ militaire et définissaient ses prérogatives en son sein5. Le texte pontifical, lui, plaçait à la tête de cette nouvelle institution religieuse le patriarche des Indes, avec le titre de « Grand Aumônier ou Vicaire des Armées » (« Capellán Mayor o Vicario de los Ejércitos »). Les brefs ultérieurs se contentèrent de proroger les concessions octroyées dans ce document ou d'opérer des clarifications suite à des conflits de compétences entre clergés militaire et ordinaire6.

2 Dans ce contexte de consolidation définitive d'une juridiction ecclésiastique distincte de l’ordinaire et destinée aux militaires, apparut au royaume de Galice la subdélégation militaire. Le processus avait débuté quelques années auparavant mais ce ne fut qu'en 1768 qu'elle s'érigea de manière définitive, en lien étroit avec l'apparition et le développement du centre urbain de Ferrol, principale base navale de la Couronne dans le nord de la péninsule. En effet, l'installation dans ce port d'une des trois capitales de département maritime se partageant le littoral espagnol entraîna l'arrivée de contingents fournis de militaires et d'ouvriers des arsenaux et chantiers navals, dans le cadre de la politique offensive de reconstruction navale de la Couronne7. Le surgissement, presque de nulle part, d'un nouveau centre urbain d'environ 25 000 habitants, peuplé majoritairement d'individus relevant de l'autorité militaire, rendit nécessaire la création d'une autorité ecclésiastique entièrement indépendante de la juridiction ordinaire, n'ayant de comptes à rendre qu'au patriarche des Indes. Le sous- vicaire militaire devait répondre aux besoins spirituels d'une population en croissance continue ainsi que veiller à son salut moral, en jugeant et châtiant ses déviances supposées. Mais les compétences de cette nouvelle institution ne s'appliquaient pas au territoire de la nouvelle ville-arsenal exclusivement : elles concernaient un territoire plus vaste, qui dépassa même pendant une courte période les frontières du royaume de Galice. Le premier des subdélégués de Ferrol, Don José Mateo Moreno, figurait en effet dans la documentation des années 1760 comme « Sous-Vicaire Général subdélégué apostolique des Armées Royales de mer et de terre en ce royaume et principauté des Asturies8 ». Au fil des décennies suivantes, cette juridiction se restreignit au royaume de Galice, les sous-vicaires perdant le contrôle des terres asturiennes. À partir du premier tiers du XIXe siècle, du fait de la crise aiguë de la Marine et la baisse de ses effectifs, les prérogatives du subdélégué de Ferrol se réduisirent à une partie seulement du territoire galicien, celle dotée du plus grand nombre de contingents militaires, c'est- à-dire les évêchés de Mondoñedo et d'Orense ainsi que l'archevêché de Saint-Jacques- de-Compostelle9.

3 En termes d'attributions judiciaires, le quatorzième point du bref de 1762 de Clément XIII concédait au vicaire des armées les mêmes compétences sur ses sujets que celles des prélats ordinaires sur les leurs10. L'ampleur du territoire placé sous la juridiction du patriarche des Indes obligeait celui-ci à subdéléguer ses prérogatives judiciaires à d'autres tribunaux, à la tête desquels étaient placés ses sous-vicaires, comme à Ferrol. Ces subdélégués militaires examinaient en première instance tous les cas soumis au vicaire général. Les jugements rendus par le patriarche ou ses subdélégués pouvaient être contestés en appel devant le tribunal de la Rote de la nonciature apostolique à Madrid11, procédure en vigueur en Espagne à partir de

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l'instauration dudit tribunal sous Charles III. Dès lors les procès en appel ne concernaient plus le tribunal de l'auditeur général du vicariat, qui ne disposait que d'un pouvoir d'évocation (capacité d'attirer à lui une affaire encore en traitement par le tribunal du subdélégué, et uniquement pour des affaires extraordinaires)12. En somme, les dispositions royales impliquaient que les sous-vicaires formaient, dans leurs régions et départements respectifs, un seul tribunal commun avec le vicaire général militaire, celui-ci ne pouvant donc pas réviser les arrêts, jugements et décrets pris par ses subdélégués13.

Affaires examinées par le tribunal du vicariat général militaire

4 À Ferrol, le subdélégué militaire présidait à partir de 1768 un tribunal ecclésiastique qui agissait comme prolongement de celui dirigé à la Cour par le vicaire général. Bien que, comme nous avons pu l'observer, le territoire sur lequel il exerçait sa juridiction ait varié au fil des années, deux zones se détachent clairement, correspondant aux deux principaux centres militaires de Galice : Ferrol et La Corogne, avec leurs alentours respectifs. Dans la première se situait le principal arsenal de la Couronne et dans le second la capitainerie générale du royaume et son tribunal principal, l'Audience Royale de Galice14. Parmi les 212 affaires examinées par le subdélégué de Ferrol entre 1768 et 1833, 83,1 % relèvent d'une de ces deux zones, très proches l'une de l'autre (figure 1)15. Le port de Ferrol concentre à lui seul 47,2 % des procédures. Les autres villes galiciennes restent très loin derrière, du fait d'une population militaire moindre. Ces affaires parsemées sur le territoire galicien correspondent soit à des centres urbains à la population assez importante, comme Saint-Jacques-de-Compostelle, Orense, Betanzos, Lugo, Pontevedra ou Monforte de Lemos, soit à de petites villes côtières accueillant des garnisons réduites visant à les protéger des incursions maritimes ennemies, comme Camariñas ou Cee. La ville de Vigo constitue l'unique exception de ce rapide panorama, en regroupant 6,1 % du total, du fait du rôle croissant joué par sa ria à partir du dernier tiers du XVIIIe siècle16. Apparaissent enfin deux cas situés dans la principauté voisine des Asturies, dans la ville de Gijón, datant de la brève période pendant laquelle la juridiction du subdélégué militaire incluait ce territoire.

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Figure 1 – Affaires examinée par le tribunal ecclésiastique militaire galicien (1768-1833)

5 La typologie des affaires examinées par le subdélégué militaire montre que les plus nombreuses étaient liées, directement ou indirectement, au sacrement du mariage (tableau 1), en écho à ce qui prévalait par ailleurs devant les tribunaux ecclésiastiques. L’Église catholique, à la différence de celle des protestants, considérait certes le célibat comme supérieur, mais à partir du concile de Trente elle prit également en compte la nécessité de reconnaître et de sacraliser le mariage en tant que cadre légal pour qu'un homme et une femme puissent se connaître charnellement17. Cette union sexuelle devait dès lors se consacrer exclusivement à la production d'une descendance, sans rechercher d'aucune manière le plaisir, considéré comme peccamineux. Le mariage était donc un moindre mal, destiné aux faibles qui, incapables de résister à la concupiscence, avaient besoin de bornes pour leurs passions18. Dans cette union l’homme exerçait un pouvoir despotique, le patriarcat se renforçant au fil des siècles de l'ère moderne19.

6 La sacralisation de l'union entre l'homme et la femme explique que l’Église ait eu le monopole des affaires judiciaires concernant le lien affectif, laissant à la justice civile les considérations économiques découlant du caractère contractuel du mariage20. À cet égard, le concile de Trente définit clairement que l’Église avait la faculté, reçue du Christ, d'autoriser ou d'interdire la célébration des mariages, comme de les suspendre dans certains cas exceptionnels21.

Tableau 1 – Affaires examinées au Tribunal ecclésiastique militaire de Ferrol (1768-1833)

Cause Total %

Plaintes matrimoniales 147 69,3

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Séparations 23 10,9

Affaires du clergé 19 8,9

Empêchements 12 5,7

Mariages clandestins 7 3,3

Abandon du foyer 4 1,9

TOTAL 212 100

Source : APC, Pleitos castrenses

7 Dans leur ensemble, les affaires liées au sacrement du mariage représentent 91,1 % du total, si l'on agrège plaintes, demandes de séparation22, mariages clandestins et abandons du foyer. Cependant, si l'on suit le schéma canonique, nous devrions les diviser en deux catégories. Selon les critères de Benoît XIV, la juridiction des tribunaux ecclésiastiques s'étendait en effet à trois types de motifs : ceux relatifs au lien marital lui-même, ceux mettant en cause la validité des fiançailles ou le droit à obtenir la séparation et certains litiges purement temporels auxquels le mariage pouvait donner lieu : questions de dots, de donations entre époux ou encore de succession23. Durant cette période les affaires relevant de cette dernière catégorie n'étaient pas examinées par le tribunal militaire galicien, sans doute du fait de l'existence d'autres cadres judiciaires plus adaptés24. En revanche, il existe de nombreux exemples de l'action du subdélégué de Ferrol pour les deux autres. Parmi elles, figurent les plaintes matrimoniales, c'est-à-dire les actions en justice engagées par des femmes estimant avoir été trompées par des individus soumis à l'autorité militaire et qui demandaient réparation auprès des autorités ecclésiastiques. Il s'agit de ce que l'on a appelé ailleurs plaintes « pour paroles de mariage25 ». Ces plaintes matrimoniales représentent 69,3 % du total des procès instruits par le subdélégué militaire. Ce type de litige prédomine également dans d'autres tribunaux ecclésiastiques espagnols de l'époque moderne, comme ceux de Pampelune, Séville, Zamora, Palencia, Ibiza ou des diocèses ordinaires de Galice eux-mêmes26 et, semble-t-il, dans d'autres zones de l'Europe catholique27.

8 Très en deçà des plaintes matrimoniales se situent les séparations, avec 10,9 %. Leur volume limité résulte directement de leur caractère exceptionnel ; n'oublions pas combien la séparation des époux répugnait à l’Église qui ne l'acceptait qu'en des cas extrêmement graves, sans jamais dissoudre le lien matrimonial d'ailleurs28. Les trois autres types d'affaires liées au sacrement du mariage examinées par le subdélégué galicien, moins fréquents encore, étaient les « empêchements29 », les mariages clandestins et l'abandon du foyer par l'un des époux. Les empêchements désignaient les actions engagées par des femmes afin d'empêcher le mariage d'un militaire en vertu de l'existence supposée d'un engagement préalable à son égard. Les mariages clandestins étaient, comme nous allons le voir, étroitement liés aux obstacles légaux imposés par la Couronne aux militaires en matière matrimoniale. Enfin, les plaintes pour abandon du foyer visaient à obtenir le retour de l'homme ou de la femme au sein de la famille pour mettre fin à ce qui était considéré comme une anomalie du point de vue moral.

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9 En dehors du champ matrimonial et ne représentant qu'un maigre 8 % du total des affaires examinées par le subdélégué départemental, se trouvent celles que nous avons regroupées sous l'appellation générique des « affaires du clergé ». Il s'agit des actions en justice traitées par le tribunal ecclésiastique galicien, soit de sa propre initiative soit à la demande d'un tiers, à l'encontre de membres du clergé militaire suite à des actes contraires à leur condition de prêtre : dettes, injures, contrebande, etc.

Les plaintes matrimoniales

10 L'écrasante majorité des affaires examinées par le tribunal ecclésiastique de Ferrol, plus de 69 %, correspondent aux « plaintes matrimoniales30 ». La plainte émanait pratiquement toujours d'une femme ; la plaignante se rendait auprès du subdélégué militaire en accusant le défendeur de tromperie suite à une prétendue promesse de mariage qui avait conduit, la faiblesse de la nature humaine aidant, à une « relation illicite » entre eux31. De ce fait, à l'accusation de manquement à la promesse donnée s'ajoutait souvent celle de « dépucelage32 » ou de « stupre33 », actes qui avaient causé la grossesse de la plaignante dans de nombreux cas34 (49). La femme déshonorée se retrouvait dans une position délicate vis-à-vis de la société et la saisine du tribunal, ecclésiastique ou civil visait à réparer cette situation35. Il faut cependant éviter de donner une vision simpliste de ces réalités puisque dans de nombreux cas, c'était en connaissance de cause que les femmes avaient accédé aux avances des hommes, les relations sexuelles permettant de réclamer par la suite par la voie judiciaire une compensation qui leur permette d'entrer dans des conditions acceptables sur le marché matrimonial36.

11 À l'inverse, le dépôt d'une plainte par un homme reste tout à fait exceptionnel, du fait de l'asymétrie des normes morales et sexuelles pour les hommes et pour les femmes. L'unique cas identifié se produisit en 1791, lorsque le comte de Quirós, capitaine du régiment provincial de Saint-Jacques-de-Compostelle, intenta un procès à une habitante de Ferrol, fille d'un capitaine de navire de la marine royale, qui se refusait au mariage, malgré l'existence d'un contrat de fiançailles37.

12 Les informations tirées des 147 procès analysés nous permettent de dresser un portrait de la plaignante type : une femme d'environ 26 ans et d'origine socio-économique modeste. La moyenne d'âge des femmes au moment du dépôt de plainte auprès du juge ecclésiastique s'élève en effet à 26,6 ans38. Quant au profil socio-économique, les données transcrites sont plus rares mais vont dans le même sens : on recense vingt- deux nourrices, dix-sept veuves, deux pauvres notoires, une épicière, une couturière et une tisseuse. Les femmes d'extraction sociale plus élevée sont plus rares : n'apparaissent que douze femmes qualifiées de « Doña », chiffre qui coïncide avec celui des officiers impliqués dans ces actes malséants. La condition sociale modeste de ces femmes explique également pourquoi à Ferrol, à la différence de ce qui prévalait devant d'autres tribunaux, elles ne pouvaient habituellement pas compter sur le soutien de leur famille pendant la procédure, vivant le plus souvent seules en milieu urbain.

13 En ce qui concerne les défendeurs, l'information relative à leur origine socio- économique est beaucoup plus complète, les dossiers des procès apportant davantage de précisions quant à leur qualité d'individus soumis à l'autorité militaire. Ces données permettent de les classer en cinq grands groupes. La première catégorie agrège tant les

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membres des régiments qui gardaient les localités du royaume de Galice, que les marins immatriculés, échelons inférieurs de la hiérarchie militaire, correspondant aux couches sociales les plus humbles. La seconde catégorie est formée des membres de la maistrance, c'est-à-dire les travailleurs employés aux arsenaux de Ferrol ou aux ateliers d'artillerie de La Corogne39. La troisième regroupe les sous-officiers de terre comme de mer, c'est-à-dire les échelons intermédiaires de la hiérarchie militaire, sergents, contremaîtres, pilotes... La quatrième correspond aux officiers de l'armée et de la marine40. Enfin la catégorie « autres » agrège le reste des individus41 (tableau 2).

Tableau 2 – Origine socio-économique des personnes visées par les plaintes matrimoniales (1768-1833)

Défendeurs Total %

Soldats et marins 107 72,8

Ouvriers de maistrance 14 9,5

Officiers 12 8,2

Sous-officiers 11 7,5

Autres 3 2,0

TOTAL 147 100.0

Source : APC, Pleitos castrenses

14 Les données montrent qu'à l'instar des plaignantes, la plupart des accusés dans ces procédures judiciaires étaient issus des échelons les plus modestes de la hiérarchie militaire : les marins immatriculés et les soldats. Ce groupe concerne presque 73 % du total des plaintes examinées par le subdélégué militaire. Dans ce groupe, la troupe de l'armée de terre était celle qui s'était livrée de manière la plus flagrante à ces « actes vicieux42 ». En effet, 90 des 107 individus relevant de cette première catégorie appartenaient aux garnisons des villes du royaume, en particulier celles des places de Ferrol et de La Corogne. Cette domination sans partage des échelons inférieurs de la hiérarchie militaire ne laisse qu'une place modeste aux autres strates : le reste des accusés se partage de manière équivalente entre les officiers, les sous-officiers et les ouvriers de maistrance tandis que le rôle des petits fonctionnaires (« autres ») reste négligeable.

15 Les comportements observés sont donc semblables à ceux des cités portuaires de l'Ouest de la France, d'autant plus que ces plaintes se concentrent pour l'essentiel à La Corogne et Ferrol, les deux principaux ports du royaume. Le cas de Nantes étudié par Jacques Depauw met en effet en évidence l'importance des couches les plus humbles de la population dans ce type de relations illégitimes. Dans cette ville française, comme dans le cas galicien, le rôle primordial des servantes employées au service domestique, ainsi que des femmes exerçant des métiers modestes, – fileuses, costumières, etc.–, est patent. Les concordances ne s'arrêtent pas là puisque dans les deux cas on trouve des femmes immigrées, provenant du mode rural environnant et qui, de ce fait, vivent hors

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du contrôle familial, ou en tout cas avec une plus grande autonomie que si elles étaient restées dans leur localité d'origine43. Les hommes appartiennent également aux strates modestes de la société, bien que du fait de la nature des sources et des caractéristiques propres des deux centres urbains galiciens, ils appartiennent à l'armée, que ce soit dans l'armée de terre ou dans la marine.

16 Le tribunal du subdélégué militaire de Ferrol réglait généralement ces litiges avec célérité : 70,8 % des 120 affaires identifiées comme ayant été jugées furent traitées en moins d'un mois et 95,8 % avant la fin de l'année en cours. Celles, rares, qui dépassaient ces délais avaient vu une des parties, mécontente du jugement, faire appel devant le tribunal de la Rote de la Nonciature apostolique. Le litige se prolongeait alors considérablement, comme le montre l'exemple de la plainte déposée en 1775 par Doña Josefa Colla y Paleo, célibataire habitant la ville de Vigo, à l'encontre de Don Leandro Osorio y Quindós, sous-lieutenant du régiment de Tolède : la procédure allait durer huit ans et se conclure seulement en 178344. Dans ce cas comme dans tous les autres, l'appel devant le Tribunal de la Rote était le fait d'individus issus des couches les plus avantagées de la société.

17 À cette rapidité dans le traitement des affaires, s'ajoute le fait que, dans leur écrasante majorité, les jugements du subdélégué de Ferrol étaient prononcés en faveur des plaignantes (tableau 3). Dans un peu plus de 90 % de ces 120 affaires45, les revendications des femmes étaient satisfaites par le tribunal ecclésiastique, qui obligeait l'accusé à contracter les noces ou bien, dans un seul cas, à indemniser la femme trompée par une somme adéquate46. Ces résultats divergent de ceux observés dans d'autres tribunaux à la même époque, où la compensation financière était l'issue la plus fréquente47. Dans une large mesure, cet état de fait résulte de ce que dans la majorité des cas les accusés eux-mêmes reconnaissent leur faute et se montrent disposés à s'amender. En dehors de cette grande majorité de jugements favorables à la partie plaignante, dans six cas seulement le défendant réussit à faire établir son innocence, tandis que dans quatre cas la femme retirait sa plainte.

Tableau 3 – Résultat final des plaintes matrimoniales (1768-1833)

Jugements Total %

Mariage 109 90,8

Innocence du défendant 6 5,0

Retrait de la plainte 4 3,3

Paiement d'une dot 1 0,8

TOTAL 120 100,0

Source : APC, Pleitos castrenses

18 Les moyens employés par ces femmes pour obtenir gain de cause auprès du subdélégué militaire étaient variables et plus ou moins pertinents du point de vue juridique. Une preuve presque incontestable était de produire un contrat de fiançailles ou, à défaut, un engagement signé du défendeur devant un greffier. Ces pièces apparaissent cependant

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de manière très épisodique lors des procès, – dans quatorze sur les 146 seulement –, et contrairement à ce que l'on pourrait supposer a priori, elles n'étaient pas seulement le fait de membres des couches les plus avantagées de la société. Parmi ces quatorze cas, on dénombre seulement cinq femmes portant le titre de « Doña » (« Dame »). Le reste correspondait à des nourrices ou des femmes de condition modeste, comme par exemple une habitante de La Corogne qui, en 1784, à l’appui de sa plainte à l'encontre d'un soldat allemand du régiment d'Irlande, présenta comme preuve devant le juge ecclésiastique un engagement signé de l'accusé, ou encore la domestique de l'aide du château de San Antón, dans la même ville, qui fit de même un an plus tard à l'encontre d'un artilleur cantonné dans cette forteresse48. Devant des éléments de cette portée, l'accusé n'avait d'autre choix que de respecter ses engagements ou de se défendre désespérément en présentant des arguments peu convaincants. Ainsi réagit en 1816, à Ferrol, le lieutenant Don Faustino Zaragoza, qui devant la production d'un contrat par Doña Manuela Maseda, argua, pour ne pas le respecter, de la prétendue insincérité de sa promise qui, selon lui, avait adopté le titre de Doña alors qu'elle n'était rien de plus qu'une fille de cordonnier. Malheureusement pour Don Faustino, cet argument ne fut pas pris en compte par le tribunal49. Douze ans plus tôt, un pharmacien de l'hôpital royal de la Marine de la même place militaire avait tenté de passer outre son contrat, prétextant, lui, l'absence de dot de la part de la fiancée et la faiblesse de ses revenus50.

19 Les lettres d'amour pouvaient également faire figure d'alliées solides des plaignantes dans ces procès bien que, évidemment, elles ne constituent pas une preuve aussi concluante que les contrats. Leur usage n'était d'ailleurs pas très étendu, du fait de l'origine sociale dominante des parties : les six cas identifiés relèvent tous de plaintes déposées à l'encontre de personnes de position sociale élevée et par conséquent d'un niveau culturel appréciable. Un groupe d'experts analysait les pièces épistolaires afin d'en juger l'authenticité. Dans tous les cas celle-ci fut confirmée, ce que ne contesta d'ailleurs aucun accusé. Ainsi, en va-t-il de la douzaine de missives présentée en 1775 par la déjà citée Doña Josefa Colla y Paleo dans sa longue procédure contre Don Leandro Osorio y Quindós. Dans l'une d'entre elles, non content de la qualifier de « mon aimée, joyau de mon cœur », il se qualifiait lui-même de « ton époux51 ». Lors d'un autre procès, daté de 1805, la plaignante présenta, elle aussi, plusieurs lettres envoyées par le chirurgien de la Marine, qu'elle accusait de promesses non tenues. Le chirurgien, embarqué au moment de l'écriture des lettres dans l'escadre franco-espagnole stationnée dans la baie de Cadix, qui s'apprêtait à affronter les Britanniques à Trafalgar, submergeait la jeune femme de paroles d'affection, l'exhortant à ne pas se promener sur l'avenue de Ferrol sans bonne compagnie et jamais avec des hommes, conformément à l'engagement mutuel qu'ils avaient pris52. Dans certains cas, les accusés tentaient de discréditer ces pièces en assurant qu'elles n'étaient pas adressées à la plaignante. En 1779, l'enseigne de vaisseau Don Juan de Alcalá, suite à une plainte déposée contre lui par Doña Maria Juliana Bilbao, de Ferrol, reconnaissait être l'auteur des missives présentées par la femme, mais il prétendait qu'elles étaient adressées à sa promise, une jeune femme habitant la ville mexicaine de Veracruz53.

20 La plupart ces procès se déroulaient cependant sans qu'interviennent ni contrats de fiançailles ni lettres. Les principaux moyens sur lesquels comptait le subdélégué pour établir la vérité étaient plutôt les déclarations des témoins et surtout les confrontations. En ce qui concerne les déclarations, l'accusation tentait de mettre en évidence l'existence d'un engagement qui pouvait justifier la plainte. Les témoignages

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étaient fréquents qui attestaient les promenades des fiancés présumés dans les rues de leur ville, des cadeaux que la femme avait reçus de l'accusé ou même l'attitude agressive de l'homme envers des rivaux potentiels. Tous ces éléments suffisaient par eux-mêmes pour terminer l'affaire, mais l'élément essentiel conduisant au jugement dans la grande majorité des cas était la confrontation. Ce fut le cas dans 73 des 120 procès dont l'issue est connue, c'est-à-dire 60,8 % du total. Le plus souvent, sans qu'il soit nécessaire d'exercer sur lui la moindre pression, l'accusé reconnaissait son délit et s'engageait à se marier. Cette rapide acceptation de la future vie commune avec la partie plaignante pouvait être motivée dans certains cas par la crainte de l'action répressive de l'appareil judiciaire ; n'oublions pas que l'homme était emprisonné pendant tout le déroulement de la procédure. Mais la majorité des cas a une explication plus simple. Un indice nous en est donné par un témoin lors du procès intenté dans la ville royale de Ferrol par María Montero à l'encontre de Antonio Quijano, lanternier des arsenaux. Selon ce témoignage, l'ouvrier de maistrance souhaitait épouser cette femme mais n'avait pas obtenu l'autorisation paternelle nécessaire, ce pour quoi il l'incita à ce qu'elle « fasse contre lui un recours pour qu'il soit fait prisonnier et de fait demander l'autorisation à son père54 ». En d'autres termes, Quijano, travailleur de la maistrance de moins de 25 ans, âge exigé par la loi pour pouvoir se marier sans consentement paternel, avait utilisé le mécanisme de la plainte matrimoniale pour contourner les obstacles dressés devant lui par son géniteur55. La plainte matrimoniale doit donc être considérée dans bien des cas comme une argutie légale, visant à surmonter les empêchements qui rendaient impossible la célébration du mariage, que ce soit pour des raisons d'âge, de juridiction de tutelle ou des deux à la fois. Ce constat est corroboré par le fait que l'écrasante majorité des femmes plaignantes demandaient non pas une compensation financière pour leur dépucelage, comme ce qui prévalait dans d'autres tribunaux à cette époque, mais directement le mariage et que le degré de résistance des hommes à accepter cette demande était, en général, très faible. Ce comportement était surtout le fait des membres de l'armée et de la marine, même si certains travailleurs de la maistrance y recoururent également. C'était précisément les obstacles que devaient affronter les militaires pour se marier qui rendaient la demande matrimoniale particulièrement intéressante pour atteindre leurs objectifs.

21 C'était le roi Philippe IV qui, par ordonnance royale du 28 juin 1623, avait instauré l'exigence d'une autorisation royale pour le mariage des chefs supérieurs et de l'autorisation d'un général pour celui des capitaines, sous-officiers et soldats. Les différentes dispositions prises par les Bourbons au long du XVIIIe siècle allèrent dans le même sens56. Les raisons de la limitation des mariages étaient à la fois financières et de caractère moral et social. La Couronne entendait en effet limiter les dépenses générées pour le Trésor royal par les pensions des veuves et orphelins de militaires. On essayait en particulier d'éviter les mariages entre membres du commandement, voire de la soldatesque, et femmes de condition inférieure ou de mauvaise réputation, par égard pour la noblesse du lignage des officiers mais aussi pour lutter contre les dérives morales produites par ces mariages à tous les échelons de la hiérarchie, qui contrariaient la discipline recherchée au sein des forces armées57.

22 La sévérité et la récurrence des mesures légales témoignent de l'impuissance de la Couronne à soumettre les mariages des militaires à son contrôle. La débrouillardise prospérait aux marges de la loi, avec par exemple le recours au contrat de fiançailles ou la recherche du soutien de personnages influents, en complicité avec le clergé lui- même. Le contrat en particulier devint un instrument très utile, surtout pour l'officier,

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puisque sa réalisation n'exigeait aucune autorisation et qu'une fois le contrat signé, la femme pouvait en exiger l'application devant le juge ecclésiastique. Ainsi le militaire s'assurait de parvenir au mariage puisque, d'un point de vue juridique, ce n'était pas lui qui sollicitait l'autorisation de mariage mais le tribunal, en vertu d'une preuve incontestable. En somme, il est fort possible que dans la majorité des 14 cas où la plaignante présenta un contrat ou un engagement, on soit en réalité en présence d'une manœuvre de ce type. Une stratégie quelque peu différente consistait pour les fiancés à se mettre d'accord pour déposer une plainte puis, faute de l'existence d'un contrat, à recourir à la confrontation, expédient certes moins raffiné mais tout aussi efficace : les 73 cas identifiés à Ferrol en témoignent. Tout compte fait, la majorité des cas enregistrés dans notre dépouillement de la documentation du tribunal ecclésiastique militaire doivent être compris comme une argutie légale ayant pour objectif de la part des militaires le contournement des obstacles légaux dressés sur le chemin du mariage. La plainte, bien que déposée par la femme, était préalablement convenue entre les deux fiancés, afin de formaliser une relation déjà existante.

23 Par ailleurs, le nombre limité d'officiers impliqués dans ce type de procès et leur ferme résistance à satisfaire les demandes des plaignantes peuvent se comprendre de par leur préférence pour les mariages clandestins comme « issue naturelle58 » de leur volonté de conclure les noces. Cette préférence s'explique par la sévérité des dispositions royales à l'égard des officiers étant obligés de se marier suite à des engagements ou pour cause de stupre59 et la forte possibilité, une fois mariés en secret, de bénéficier d'une des amnisties générales accordées tout au long de la période.

24 Les efforts fournis pendant le règne de Charles III (1759-1788) pour éviter ces transgressions semblent avoir donné peu de résultats ; c'est d'ailleurs dans la décennie 1780 que fut enregistré le plus grand nombre de plaintes matrimoniales, avec un pic en 1785 (53 plaintes). À partir de la décennie suivante, on observe déjà une baisse du nombre d'affaires, qui s'accélère dans les premières années du XIXe siècle 60. Ce retournement de tendance peut être attribué à la diminution des effectifs militaires des principales places du royaume de Galice, comme à la réduction du territoire placé sous la juridiction du sous-vicaire militaire et enfin à l'intensification de l'effort fourni par la Couronne pour stopper ces pratiques, dont la traduction la plus évidente fut la Pragmatique Royale du 28 avril 1803 établissant l'impossibilité absolue de célébrer des mariages sans l'autorisation des supérieurs et le consentement des parents, condamnant les vicaires qui passeraient outre à l'expatriation, avec confiscation préalable de leurs biens61.

25 Certains procès, certes minoritaires, ne se concluaient pas par le mariage : en août 1778, Josefa Martínez et Juan Nieto, forgeron de la maistrance de Ferrol, se libérèrent mutuellement de tout engagement. Ce cas de figure se répéta en trois occasions, peut-être parce que la femme était certaine de ne pas obtenir gain de cause, compte tenu de la résistance manifestée par l'accusé et de la faiblesse des preuves l'incriminant62. En d'autres occasions, les défendeurs, avant d'accepter le mariage, manifestaient une opposition tenace. Le plus souvent, ils essayaient de mettre en question la vertu morale de la jeune femme, insinuant des mystifications ou suggérant des mœurs dissolues63. En 1779, un mousse résidant à Santa-Cecilia, dans les alentours immédiats de Ferrol, à qui le notaire intimait l'ordre de se présenter devant le tribunal ecclésiastique suite à la plainte déposée par une femme, lui répondit hautement que « le sieur sous-vicaire ne le commande pas64 ». Après avoir été fait prisonnier par la

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troupe de la Marine, non sans difficultés puisque après sa première arrestation il s'échappa de prison65, il finit par se résoudre à son sort. Quelque temps plus tard, l'apprenti qualifié de serrurerie de l'arsenal de Ferrol Juan Antonio Regauste justifiait, confronté à la plainte déposée par María Ignacia Díaz, son refus du mariage par l'attitude agressive des parents de sa fiancée qui le méprisaient du fait qu'il était français66. Dans ce cas pas plus que dans le précédent, l'argument ne permit d'éviter le passage devant l'autel.

26 Si les militaires recouraient à la plainte matrimoniale comme subterfuge légal pour contourner les obstacles dressés par les ordonnances royales, à l'inverse, dans les cas où ils n'avaient nullement l'intention de se marier, c'était ces mêmes textes légaux qu'ils pouvaient présenter comme arguments. Ainsi, quand, en 1786, le maître de manœuvres de l'Académie de gardes de la marine de Ferrol fut accusé de manquement à la promesse donnée par une veuve habitant la ville voisine de Mugardos, il esquiva l'accusation en présentant comme arguments, en premier lieu leur consanguinité au troisième degré et en second lieu les dispositions des ordonnances royales concernant les mariages. Le tribunal du délégué de Ferrol puis celui de la Rote lui donnèrent raison67. Les cinq autres affaires dans lesquels le défendeur obtint gain de cause ne se prolongèrent pas autant, le tribunal de Ferrol les résolvant rapidement et aucun appel n'étant interjeté devant l'instance supérieure. L'absence de preuves concluantes conduisait à la clôture du dossier.

27 Nous n'avons connaissance que d'un seul cas de plainte matrimoniale dans laquelle l'homme, jugé coupable de manquement à la promesse donnée, put échapper au mariage en échange d'une compensation financière accordée à la femme trompée. Il s'agit du procès, déjà cité, opposant Doña Josefa Colla y Paleo, de Vigo, et Don Leandro Osorio y Quindós. Le tribunal du subdélégué militaire en 1775 comme le tribunal de la Rote en 1783 obligèrent l'homme à indemniser la femme par une somme équivalente à celle d'une dot, en plus de couvrir le coût de l'allaitement du fruit de leurs amours et des soins prodigués lors de l'accouchement68.

28 La recherche d'une compensation économique était en toile de fond de certains des empêchements ayant lieu tout au long de la période objet de notre étude. Ces procès, peu importants en nombre, douze seulement, étaient engagés à l'initiative de femmes qui entendaient empêcher la célébration d’un mariage en alléguant un engagement antérieur de l'homme à leur égard, ayant impliqué des relations sexuelles69. Les connexions évidentes avec les plaintes matrimoniales incitent à agréger les deux types d'affaires dans la même catégorie, à plus forte raison lorsque l'empêchement était un moyen pour un homme impliqué dans une plainte matrimoniale de tenter d'éviter le mariage70. De fait, ces relations illicites supposées pouvaient conduire à abandonner le mariage prévu, afin de faire respecter l'engagement contracté au préalable, comme dans le cas de José Ribera, charpentier de marine de l'arsenal de Ferrol en 1776. Le litige pouvait également se résoudre par une compensation financière satisfaisante pour la femme. Ainsi en 1790, un artilleur devant se marier à La Corogne paya comme compensation de dot 100 réals à une jeune femme originaire de Puebla del Deán qui était tombée enceinte, afin qu'elle interrompe les poursuites. Quatre ans plus tard, un sergent du régiment d'Infanterie d'Amérique fit de même à Ferrol, en versant 750 réals71. Mais dans la majorité des cas, les recours n'obtenaient pas gain de cause, soit que le jugement donne raison au défendeur, soit que les femmes elles-mêmes finissent par abandonner du fait de la difficulté rencontrée pour prouver leurs griefs.

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29 Évidemment, tous les militaires ne souhaitaient pas changer de statut marital. Les données à notre disposition restent partielles, mais les rapports des autorités municipales et ecclésiastiques portent à notre connaissance l'existence à Ferrol d'un nombre important de couples constitués en marge du sacrement du mariage. Il est difficile de mesurer l'ampleur de ces pratiques mais l'augmentation du nombre de naissances illégitimes et d'abandons d'enfants à la fin du XVIIIe siècle constitue un indice significatif72. Par ailleurs, le manque flagrant de femmes dans la ville restreignait le marché matrimonial et incitait la nombreuse population masculine à rechercher des alternatives, essentiellement du côté de la prostitution.

Séparations et abandons du foyer conjugal

30 Nous avons vu que la plus grosse partie des procès traités par le délégué de Ferrol relevait des plaintes matrimoniales. Cependant, il existait d'autres cas liés au sacrement du mariage qui furent jugés par l'autorité ecclésiastique militaire supérieure du royaume de Galice. Les premiers d'entre eux en termes numériques étaient les séparations73. Leur caractère exceptionnel ne leur permettait en aucune manière d'atteindre l'ampleur des plaintes : rappelons de nouveau que l’Église n'admettait la séparation que comme moindre mal et dans des occasions extrêmement graves. En outre, les cas d'annulation du mariage étaient tout à fait exceptionnels, au contraire des « séparations de corps74 », selon leur dénomination en droit canonique, qui permettaient aux tribunaux ecclésiastiques de concéder la séparation temporaire à la demande d'une des parties tout en maintenant le lien du mariage75. Les affaires identifiées dans le cas du tribunal ecclésiastique militaire de Galice, représentant 10,9 % de l'ensemble des procès, relevaient toutes de ce cas de figure76.

31 Les causes qui pouvaient justifier la séparation des conjoints étaient diverses et toutes considérées d'une gravité extrême : en premier lieu l'adultère, qui donnait droit au conjoint innocent de se séparer à perpétuité du coupable ; en second lieu la « fornication spirituelle77 », c'est-à-dire le fait pour le coupable de tomber dans l'hérésie ou le schisme78 et en troisième lieu, les mœurs criminelles ou ignominieuses d'un des membres du couple. Enfin, pouvaient également conduire à une séparation temporaire les relations faisant encourir un grave danger pour l'âme ou le corps d'un des conjoints, ainsi que les sévices ou les traitements cruels, qui même sans grande gravité rendaient la vie matrimoniale impossible du fait de la constance des offenses, violences ou humiliations. Cette catégorie englobait en général également l'abandon du foyer, la vie crapuleuse ou légère qui provoquait l'abandon des devoirs domestiques et le détournement du patrimoine conjugal79.

32 Parmi les 23 cas de séparation traités par le tribunal du subdélégué militaire pendant la période étudiée, quatorze étaient à l'initiative des épouses et neuf à celle des maris80. Les mauvais traitements, verbaux ou physiques, ainsi que les infidélités étaient les principaux arguments des épouses81. Un seul cas fait apparaître un membre des cadres de commandement de l'armée ; les autres mis en cause travaillaient aux arsenaux de Ferrol, huit cas, ou bien étaient sous-officiers – deux cas – ou encore soldats, trois cas.

33 Les plaintes déposées par les femmes sont très similaires les unes aux autres et correspondent aux tendances observées ailleurs, tant en Espagne que dans d'autres pays européens82. L'épouse se plaignait de la violence physique exercée sur elle par son mari et des vexations constantes dont elle faisait l'objet, souvent en présence de

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voisins, de domestiques ou de parents. En réalité, cette violence exercée par le chef de famille devait atteindre des dimensions véritablement effroyables pour que le tribunal satisfasse la plainte de l'épouse. Rappelons, comme le signalent de nombreux auteurs de traités, que la violence physique ou verbale constituait pour l'homme une méthode légitime pour corriger le comportement de la femme, que celle-ci fût son épouse, sa fille, sa parente ou sa bonne83. Le petit nombre de procès de ce type ne signifie donc pas, loin de là, le caractère exceptionnel d'affrontements conjugaux ; il exprime au contraire combien il était difficile de faire sanctionner ces comportements devant un tribunal, que ce soit du fait de la pression sociale et familiale, de la réticence des autorités à multiplier ce type de procès ou bien de la possibilité pour les couples les plus modestes de recourir à la séparation sans faire intervenir la justice.

34 Les exemples sont nombreux de demandes de séparation étayées principalement par la violence du conjoint : Francisca de Cobas, habitante de Ferrol, alors mariée depuis neuf mois seulement à Francisco de Echevarría, manœuvre des arsenaux, se présenta en 1774 devant le subdélégué militaire suite aux multiples menaces de mort proférées par son époux, y compris à l'encontre de ses parents et grands-parents vivant dans la même maison. Rentrant souvent au foyer conjugal ivre et à des heures indues, il ne niait pas ces mauvais traitements mais les justifiait en prétendant que son épouse entretenait une relation amoureuse avec un chirurgien de la Marine. Ángela García, habitante de La Graña, offrit deux ans plus tard un témoignage bouleversant. Elle avait épousé le tailleur de pierres des arsenaux Pedro Loureiro à treize ans, au moment de sa plainte elle en avait trente-trois, et était victime depuis de mauvais traitements dus au « mauvais caractère84 » de son époux85 ; les coups et lésions avaient provoqué à cette date sept avortements, sans parler des fréquentes fractures d'os. De même, dans la ville royale de Ferrol, une femme mariée depuis seize ans à un ouvrier de l'atelier de voilure se plaignait en 1785 de ce que son époux lui infligeait une « mauvaise vie » (« mala vida »). Ces mauvais traitements avaient eu comme conséquence des fractures du bras, sans compter les menaces de mort, l'agresseur brandissant un couteau, voire une arme à feu. La nuit du 28 juillet de cette même année, selon le témoignage de plusieurs voisins, l'ouvrier lui avait assuré en criant que « après l'avoir tuée il devra lui sucer le sang86 ». À la charge de mauvais traitements s'ajoutait ici celle d'infidélité manifeste puisque la plaignante assurait qu'il dépensait toute sa paye du chantier naval royal « en femmes du monde87 ». L'infidélité, le plus souvent avec des prostituées, et la consommation excessive d'alcool sont présentes dans la plupart des cas. En 1804, l'épouse d'un artilleur de La Corogne l'accusait de s'être livré « à l'abominable vice de l'ivresse » (« al abominable vicio de la embriaguez »), non content de fréquenter des lieux de dépravation peuplés de femmes de mauvaise vie. Ces pratiques lui avaient d'ailleurs valu de transmettre une maladie vénérienne à sa propre épouse88.

35 Outre la séparation d'avec leur époux, les femmes demandaient au tribunal une certaine somme d'argent, en général destinée à l'éducation des enfants du couple. Malheureusement, pour la majorité de ces procès, nous n'avons pas connaissance du jugement final, puisque l'appel devant le tribunal de la Rote était fréquent ; cependant on peut constater de la part de l'autorité ecclésiastique une certaine protection accordée à la plaignante, lui permettant de résider dans un lieu sûr, souvent chez un parent proche, pendant la durée du procès. Cette protection n'était pas une initiative spontanée du juge ecclésiastique mais constituait une procédure judiciaire commune à l'époque, connue sous le nom de « mesure de séquestre pour l'épouse » ou « dépôt89 ». Pendant la durée du procès, le mari avait de plus l'obligation de verser à la femme la

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moitié de son salaire afin qu'elle puisse subvenir à ses besoins. Cet abandon temporaire du foyer conjugal combiné à une compensation économique était clairement à l'avantage de l'épouse et avait pour contrepartie pour le mari la conservation de l'honneur de sa femme, le tribunal garantissant sa garde dans un lieu respectable90.

36 Tandis que dans tous les procès intentés par les épouses un argument domine, celui des mauvais traitements, à l'inverse lorsque les hommes sont les plaignants, l'hétérogénéité est de mise. La demande de séparation présentée le 6 avril 1805 par le lieutenant de navire Don Agustín Wauter y Horcasitas contre sa femme, la cubaine Doña Dolores Torrontegui, constitue un cas exceptionnel. Le marin y avançait comme principal argument les mauvais traitements récurrents dont il était victime de la part de son épouse. Celle-ci, selon les nombreux témoignages suscités par le plaignant, avait tenté à plusieurs occasions de « conspirer contre sa vie91 » avec la complicité de son frère. Malgré les tentatives répétées du mari pour résoudre la situation, les affrontements avaient atteint les limites du supportable92.

37 Hormis ce cas particulier, le reste des procès initiés par les maris avait comme motif une infidélité prétendue, sans doute un des pires outrages qu'une femme puisse infliger à son époux, ou encore la « vie scandaleuse93 » de la femme, terme qui n'impliquait pas forcément une infidélité de type sexuel mais pouvait faire référence à un comportement peu docile, impliquant la remise en question du rôle attribué à l'homme dans le cadre du foyer, avec la perte de prestige que cela pouvait entraîner pour lui auprès du voisinage94. Au premier de ces motifs correspond le procès intenté en 1773 par Don Antonio Tizón, premier pilote de la Marine habitant La Graña, à l'encontre de son épouse Doña Antonia Rouco. Le marin se plaignait devant le tribunal du fait que, malgré la peine qu'il se donnait pour la contrôler, sa conjointe se laissait aller à des comportements scandaleux « en vivant d'une façon aucunement honnête et ayant des amitiés avec lesquelles elle risque son honneur et le mien95 ». Le marin affirmait qu'à son retour au foyer après un voyage de vingt-sept mois en Amérique, il l'avait retrouvée enceinte. Les témoins, une servante en particulier, confirmaient les accusations du mari. La domestique assurait même que sa maîtresse avait entretenu trois relations en l'absence de son époux : d'abord avec un officier du Régiment de Tolède – qui l'avait mise enceinte et dont elle avait dû avorter en secret –, puis avec un homme marié de la ville et enfin avec un officier intendant. Devant un tel comportement, l'époux demandait la séparation et la réclusion de l'épouse infidèle à l'hospice des repenties de Saint-Jacques-de-Compostelle, ce à quoi accéda le tribunal96. L'adultère fournit également matière au procès ouvert en 1790 par un officier du ministère de la marine de Ferrol après qu'il eût découvert, un an après son mariage, sa femme dormant dans sa chambre dans les bras d'un autre homme, ou encore à celui intenté en 1808 à La Corogne par un musicien de l'artillerie « du fait de la conduite scandaleuse et libertine de sa femme97 ».

38 Parfois cette conduite scandaleuse de la femme lui avait même fait abandonner le foyer, la demande de séparation de la part du mari constituant une procédure légale visant à régulariser une dissolution du lien matrimonial qui s'était déjà produite depuis un certain temps. Ainsi, au moment de la plainte en octobre 1829 du caporal de Brigade d'Artillerie de la Marine Rafael Salazar, il reconnaissait que le couple s'était séparé en 1808, année du départ du militaire de la place de Ferrol avec l'armée de Galice qui allait affronter les Français, situation dont sa femme avait profité pour fuir avec un autre homme vers La Corogne98. Au contraire, dans le cas de séparation demandé en 1777 par

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le célèbre médecin d'origine irlandaise Don Timoteo O'Scanlan à l'encontre de sa femme Doña María Lacy, aucune infidélité n'est explicitement dénoncée : il est uniquement fait référence à une prétendue conduite scandaleuse99. Doña María désobéissait à son époux, quittait le foyer sans le prévenir, maltraitait les domestiques ou avait de nombreuses bagarres avec les voisins. Accusation similaire à celle adressée en 1799 par un sous-lieutenant du régiment de Zamora, qui appartenait à la garnison de Ferrol, « du fait des scandales répétés100 » de sa femme, que constituaient les cris et insultes récurrents à son encontre. Dans tous les cas analysés, l'époux s'engageait en échange de la séparation demandée à indemniser financièrement la femme en lui concédant la moitié des émoluments qu'il recevait du Trésor royal101. De plus, en général les jugements qui prononçaient la séparation ou les déclarations des époux eux-mêmes laissaient la porte ouverte à un possible retour à la vie conjugale, à condition toujours que la femme manifeste un changement dans ses habitudes.

39 Si l’Église pouvait donc accepter, dans des cas de haute gravité, la suspension de la vie commune des conjoints, elle ne tolérait pas l'abandon du foyer à leur propre initiative, quelque raisonnables que fussent les motifs les ayant conduits à prendre cette décision. Lorsqu'en 1791, un contremaître de scierie de l'arsenal de Ferrol dénonça sa femme pour être allée s'installer chez son frère, le tribunal donna à celle-ci six jours pour revenir chez son mari, sous peine d'une amende de 20 ducats et d'excommunication majeure tant pour elle que pour son frère. Pour autant, ayant l'intuition que sa fuite avait pu être motivée par les mauvais traitements infligés par son époux, le juge l'incita, si elle avait quelque chose à reprocher à l'attitude de son conjoint, à le faire par les voies légales existantes102. Mais les dénonciations pour abandon étaient très peu nombreuses auprès du tribunal ecclésiastique militaire de Galice, le total se limitant à quatre cas, dont trois à l'initiative de maris que les femmes avaient abandonnés, les mauvais traitements en étant la cause probable. Le quatrième cas fut initié par une femme se plaignant des mœurs dissolues de son époux et de ses abandons réitérés du foyer103.

40 Le sous-vicaire pouvait également autoriser une séparation temporaire des époux dans certains cas précis, comme en 1805 lorsque, à la demande d'un soldat des Volontaires de Navarre, cantonné à Ferrol, il permit à son épouse de partir vivre avec ses parents à Zamora, compte tenu des difficultés économiques alors traversées par le couple104.

Autres cas examinés par le tribunal : mariages clandestins et procès intentés à des prêtres

41 La rigidité mentionnée plus haut des ordonnances de l'armée à l'égard de l'accès au mariage des individus soumis à l'autorité militaire conduisait ceux-ci à rechercher diverses voies pour contourner ces obstacles. Nous avons déjà montré combien dans le cas galicien les plaintes matrimoniales s'avéraient être un moyen efficace, en tout cas durant le dernier tiers du XVIIIe siècle, mais elles n'étaient pas les seules. Justement au début du XIXe siècle, lorsque ce type de procès décrut considérablement, apparurent les mariages clandestins, qui toutefois n'atteignirent jamais le nombre des plaintes : nous en avons dénombré sept pour toute la période étudiée. Par ailleurs, tandis que les plaintes étaient un moyen souvent employé par les échelons inférieurs de la hiérarchie militaire, les mariages clandestins semblent, eux, concerner plutôt les cadres moyens et supérieurs de l'armée105. Cette question était bien connue à l'échelle de l'Espagne si l'on

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en juge les dispositions prises par le vicaire général militaire et la Couronne elle-même. Le fait que des militaires puissent se marier secrètement devant des prêtres de la juridiction ordinaire présentait un grave problème car ils continuaient à être considérés officiellement comme des célibataires, ce qui faisait encourir le risque de bigamie. De ce point de vue, la reconnaissance a posteriori par le militaire de son nouveau statut marital était considérée comme un moindre mal. Les méthodes employées pour s'attirer les faveurs du prêtre variaient. En règle générale, les clercs expliquaient leur geste en prétendant avoir été menacés de mort par l'homme, mais dans d'autres cas, ils affirmaient avoir été trompés, le vin étant alors un complice fréquent des fiancés. Ainsi du mariage clandestin célébré en 1819 entre Josefa Granda, de Neda, et Roque Flórez, caporal des Volontaires de Castille : le prêtre assurait avoir procédé au sacrement après que le couple l'eût saoulé106.

42 Cependant la complicité des prêtres militaires eux-mêmes est souvent avérée. L'aumônier qui avait officié à Ferrol en 1800 lors du mariage d'un sergent du régiment d'Amérique, fut puni d'une peine de prison et le militaire condamné à six mois de suspension107. Comme dans le cas des prêtres de la juridiction ordinaire, les prêtres militaires déguisaient leur collaboration en arguant avoir été menacés ou trompés, ce qui suscita au long de la première moitié du XIXe siècle une série de mesures légales de la part des vicaires généraux afin de stopper ces dérives. Les instructions du cardinal Delgado soulignaient la nécessité absolue pour les aumôniers de disposer d'une autorisation expresse du Patriarche ou de ses subdélégués avant de procéder au mariage. Elles exigeaient également que tout mariage soit conditionné à la présentation des autorisations adéquates par les fiancés, du roi dans le cas des officiers, des supérieurs dans le cas des soldats. Les instructions de Don Antonio Allué du 4 mai 1829 ajoutaient que les soldats devaient également présenter le consentement paternel, conformément à la Pragmatique du 28 avril 1803. De même, afin de renforcer encore les précautions à l'encontre des fraudes, on requérait un rapport de l'aumônier du corps d'armes du fiancé, afin d'assurer l'absence d'un quelconque empêchement à la célébration des noces108.

43 Toutes ces précautions ne suffirent pas à régler le problème, les autorités militaires étant bien souvent réduites à accepter le fait accompli. Ainsi, le sous-vicaire Don Diego Vázquez de Buceta, confronté à un nombre considérable de mariages clandestins concernant plusieurs sergents des régiments protégeant la place de La Corogne, proposa en juin 1820 une amnistie générale, approuvée par la Junte supérieure de la province109. La même chose avait eu lieu deux ans auparavant avec le mariage, à Ferrol, de Don Joaquin Bayat, lieutenant du régiment d'Infanterie de Malaga, et Doña Antonia Baliñas y Río, dont le procès devant le tribunal ecclésiastique fut interrompu par l'obtention d'une amnistie royale110. Cette permissivité certaine des autorités cachait une réalité légale difficile à ignorer : d'un point de vue strictement canonique, l'infraction à quelques lois civiles ne suffisait pas à invalider le mariage. D'autre part, la multiplication des amnisties tout au long de la période, qui concernaient nombre de militaires, nous permet de conclure que le phénomène des mariages clandestins avait une ampleur plus grande que ne laissent supposer les données du tribunal ecclésiastique, les couples en cause obtenant fréquemment l'amnistie avant même l'ouverture d'un procès111.

44 En dehors des affaires liées au sacrement du mariage, le sous-vicaire militaire jugeait également les cas qui impliquaient les aumôniers soumis à sa juridiction, qu'ils

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appartiennent à la marine ou à l'armée. Le département maritime de Ferrol comptait un nombre appréciable de prêtres militaires : les données de l’état général de la marine de 1799 montrent par exemple un total de 46 prêtres soumis à l'autorité du Sous- Vicaire de Ferrol, Don Sanz de Ibarrola112. S'y ajoutent les prêtres de la juridiction militaire n'appartenant pas à la marine, disséminés sur tout le territoire galicien auprès des garnisons militaires.

45 Dix-neuf litiges de ce type peuvent être identifiés, dont six liés au contrôle disciplinaire des prêtres, pour des fautes diverses comme la désobéissance aux autorités ecclésiastiques, la négligence dans l'accomplissement de leurs devoirs ou la participation à des activités illégales, contrebande ou jeux interdits. Les différents sous- vicaires firent preuve ici d'une grande sévérité, sanctionnant lourdement les comportements déviants ou le manque de rigueur dans l'exercice du sacerdoce. La discipline accrue appliquée au sein du clergé catholique en général depuis le concile de Trente était ici rendue d'autant plus nécessaire par le cadre militaire de leur fonction. L'aumônier Don Juan Pablo Rico, après avoir été surpris en 1782 à Ferrol avec des officiers de marine dans une maison de jeu illégale, fut ainsi démis de son ministère, banni de la ville et puni d'une amende de quarante ducats113.

46 Huit autres cas résultent de plaintes déposées par des civils ou par d'autres prêtres à l'encontre d’aumôniers du fait du refus de ces derniers d'honorer certaines dettes contractées à leur égard. Dans ces procès, l'autorité ecclésiastique militaire supérieure de Galice recherchait un règlement amiable entre les parties et le cas échéant, mettait sous séquestre les biens du défendeur jusqu'à paiement de la dette. Enfin, apparaissent cinq affaires relevant de conflits de juridiction entre aumôniers et curés ordinaires de localités diverses du royaume. Les discussions sur les droits paroissiaux étaient constantes depuis la naissance de la juridiction ecclésiastique militaire, entraînant de fréquentes tensions entre les deux juridictions.

47 L'analyse de la documentation judiciaire produite par le tribunal ecclésiastique militaire de Ferrol permet de cerner la conflictualité matrimoniale de la population militaire du royaume de Galice à la fin de l'Ancien Régime. Le recours à ce type de sources n'est pas une nouveauté ni en Europe ni en Espagne. Ces dernières décennies ont vu se multiplier les études de ce genre, fondées sur les riches informations apportées par les sources judiciaires ecclésiastiques sur ce phénomène. Il est plus original en revanche d'entrer dans l'analyse d'un secteur bien précis, celui de la juridiction militaire, qui présente des caractéristiques et comportements différents de ceux de la population civile.

48 La nature même de la source conduit à prendre les résultats obtenus avec une certaine précaution, tenant compte du fait que tous les conflits nés avant ou après le mariage n'arrivaient pas devant les juges ecclésiastiques. Pour autant, le nombre de cas et leur analyse quantitative nous offrent sans aucun doute une perspective intéressante sur les divers litiges entourant le mariage au sein de la population militaire galicienne. Nous espérons que la méthodologie employée et les résultats obtenus pourront servir de référence afin de mener à bien des études du même type pour d'autres espaces, de manière à évaluer plus précisément la portée des pratiques constatées ici.

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49 À cet égard, en ce qui concerne les plaintes matrimoniales, on observe une différence entre le comportement des militaires et celui de la population civile, différence que l'on peut directement attribuer aux entraves mises par la Couronne à l'accès au mariage. Face à ces obstacles, les échelons inférieurs de la hiérarchie militaire, en particulier les soldats de l'armée, recoururent aux plaintes matrimoniales afin de formaliser une relation déjà existante, c'est-à-dire que tandis qu'au sein de la population civile la plainte permettait généralement aux femmes d'obtenir une compensation financière et non le mariage, au contraire au sein de la population militaire le procès débouchait la plupart du temps sur le mariage. La faible résistance manifestée par les soldats lors des confrontations devant le juge indique que la plainte de la femme avait été décidée ensemble par le couple. Ces comportements sont principalement le fait, nous l'avons signalé, des soldats cantonnés dans les principales villes du royaume : La Corogne et Ferrol, deux ports alimentés en particulier pendant le dernier tiers du XVIIIe siècle par un intense flux migratoire. Les femmes plaignantes étaient majoritairement étrangères à la ville, originaires de la campagne environnante et employées au travail domestique ou à d'autres tâches peu qualifiées.

50 Les mariages clandestins, à l'inverse des plaintes matrimoniales, étaient davantage le fait des échelons moyens et supérieurs de la hiérarchie qui cherchaient là à se dérober aux interdictions royales. La documentation sous-estime certainement l'importance de cette pratique, comme en témoignent les fréquentes amnisties générales que devait accorder la Couronne pour réguler ces anomalies.

51 Quant aux procès visant à la rupture de la vie commune, leur nombre est réduit parmi toutes les affaires traitées par le subdélégué militaire ; ils étaient pour la plupart intentés par des femmes à l'encontre de leur époux, accusés de mauvais traitements et d'infidélité. En cela les comportements ne différaient pas de ceux observés pour la population civile dans d'autres régions espagnoles. Les mauvais traitements paraissent également être la cause de l'abandon du foyer par certaines épouses dénoncées par leur mari. Lorsque c'était les hommes qui demandaient la séparation, le motif en était toujours la prétendue conduite scandaleuse de la femme, ce qui ne signifiait pas nécessairement l'infidélité mais plutôt un manque de soumission devant son autorité.

52 Enfin, en dehors des procès liés au mariage, les subdélégués examinèrent également des affaires mettant en cause des membres du clergé militaire, pour des motifs de discipline, de morale ou bien encore de fait de dettes non honorées.

NOTES

1. Ce travail s'inscrit dans le projet de recherche intitulé « Marginalisation et assistance sociale dans le Nord-Ouest de la péninsule Ibérique sous l'Ancien régime » (« Marginación y asistencia social en el Noroeste de la Península Ibérica durante el Antiguo Régimen »), financé par le ministère espagnol de la Science et de l'Innovation (Ref. HAR 2010-17780).

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2. CONTRERAS MAZARIO, José María, La asistencia religiosa a los miembros de las fuerzas armadas en el ordenamiento jurídico español, Madrid, Universidad Complutense, 1988, (2 vol.), vol. I, p. 567. 3. Nous ne nous attellerons pas ici à une analyse de l'origine de la juridiction ecclésiastique militaire dans les territoires de la monarchie hispanique, ni de ses antécédents. Nous nous en remettons aux auteurs y ayant consacré leurs travaux : ZAYDIN Y LABRID, Plácido, Colección de breves y rescriptos pontificios de la jurisdicción eclesiástica castrense de España, Madrid, Calpe, 1925 ; RUIZ-GARCÍA, Fernando, « Jurisdicción eclesiástica castrense », Revista General de Marina, nº175, Madrid, 1968, p. 335-345 ; CONTRERAS MAZARIO, José María, La asistencia religiosa…, op. cit., p. 567-616 ; GARCÍA HERNÁN, Enrique, « Capellanes militares en el Mediterráneo del siglo XVI », Historia 16, XXVe année, nº 312, Madrid, 2002, p. 8-21. 4. DE BENITO GARCÍA, Miguel Ángel et LÓPEZ WEHRLI, Silvia Alicia, « El cuerpo eclesiástico de la Armada : fondos documentales », dans Iglesia y religiosidad en España. Historia y archivos, Tolède, Anabad Castilla-La Mancha, 2002, p. 1265-1287. 5. Cette assimilation restait cependant quelque peu abstraite : les prêtres étaient certes assimilés aux officiers de l'armée, mais ils étaient dépourvus d'un grade militaire en tant que tel ainsi que de revenus comparables à ceux des officiers. Voir : BOLAÑOS MEJÍA, María del Carmen, « Las ordenanzas de Carlos III de 1768 : el derecho militar en una sociedad estamental », p. 161-185, dans ALVARADO PLANAS, Javier et PÉREZ MARCOS, Regina (dir.), Estudios sobre ejército, política y derecho en España (siglos XII-XX), Madrid, Polifemo, 1996, p. 179-180. 6. La validité du bref était d'un septennat, ce pourquoi la Couronne était forcée de demander à Rome la prorogation des attributions accordées au vicariat tous les sept ans. Voir : CONTRERAS MAZARIO, José María, La asistencia religiosa…, op. cit., p. 581 et suivantes. 7. Concernant la naissance et le développement du centre urbain de Ferrol, voir MARTIN GARCÍA, Alfredo, Demografía y comportamientos demográficos en la Galicia moderna : la villa de Ferrol y su tierra, siglos XVI-XIX, León, Universidad de León, 2005. 8. Teniente Vicario General Subdelegado apostólico de los Reales Ejércitos de mar y tierra en este reino y principado de Asturias. APC ( Archivo Parroquial Castrense de Ferrol, Archives paroissiales militaires de Ferrol), Pleitos castrenses, dossier 1772-1779. 9. APC, Pleitos castrenses, dossiers 1780-1783 et 1800-1878. 10. Breve Cum in exercitibus, copie et traduction, Madrid, 1762, p. 7-8. 11. BALDOVÍN RUIZ, Eladio, « El fuero militar en las ordenanzas (segunda parte) », Revista de Historia Militar, nº77, XXXVIIIe année, Madrid, 1994, p. 61-106 et 78-79. 12. Le patriarche des Indes tenta d'éviter cette situation de dépendance envers le tribunal de la Rote, en vain, ZAYDIN Y LABRID, Plácido, Colección de breves…, op. cit., p. 357-358. 13. Novísima recopilación de las leyes de España, Madrid, En la Imprenta de Sancha, 1805 (six tomes), Tome I, Livre II, p. 254. 14. À propos du rôle stratégique tenu par la ville de La Corogne depuis l'époque des Habsbourg, voir SAAVEDRA VÁZQUEZ, María del Carmen, Galicia en el camino de Flandes :

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actividad militar, economía y sociedad en la España noratlántica, 1556-1648, La Corogne, Edicións do Castro, 1996. 15. Jusque dans les années 1990, la série des dossiers du tribunal ecclésiastique de Ferrol était entreposée en désordre sur plusieurs étagères du chœur de l'église militaire San Francisco. À l'état d'abandon, certains documents étaient dégradés de manière irrémédiable mais le travail patient et laborieux de Carlos Orero, malheureusement disparu depuis, a compensé ces pertes. Nous tenons à lui exprimer ici notre reconnaissance pour son travail. 16. GONZÁLEZ MUÑOZ, María del Carmen, « Evolución demográfica de una villa gallega : Vigo en el siglo XVIII », Hispania, vol. 38, 9 (hors-série), 1978, p. 415-456 ; MARTIN GARCIA, Alfredo, « El impacto de la actividad portuaria en el mundo urbano de Galicia. A Coruña, Ferrol y Vigo en el siglo XVIII », dans : FORTEA PÉREZ, Ignacio et GELABERT GONZÁLEZ, Juan Eloy (dir.), La ciudad portuaria atlántica en la historia : siglos XVI-XIX, Santander, Universidad de Cantabria, 2006, [http://dialnet.unirioja.es/servlet/libro?codigo=12605], p. 195-220. 17. La notion de mariage comme sacrement, qui avait commencé à se diffuser depuis le XIIIe siècle, s'imposa catégoriquement chez les catholiques après le concile de Trente, au contraire des luthériens et calvinistes. Voir : GOODY, Jack, The development of the family and marriage in Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 228-229 ; GAUDEMET, Jean, El matrimonio en Occidente, Madrid, Taurus, 1993, p. 326 ; WIESNER-HANKS, Merry E., Cristianismo y sexualidad en la Edad Moderna. La regulación del deseo, la reforma de la práctica, Madrid, Siglo XXI, 2001, p. 108-109.

18. MORANT DEUSA, Isabel et BOLUFER PERUGA, Mónica, Amor, matrimonio y familia. La construcción histórica de la familia moderna, Madrid, Síntesis, 1998, p. 44-47 ; CANDAU CHACÓN, María Luisa, « Entre lo permitido y lo ilícito : la vida afectiva en los Tiempos Modernos », Tiempos Modernos, n°18, 2009, p. 1-21. 19. . Ce renforcement s'observe dans les mondes tant catholique que protestant et s'explique par différents facteurs : l'importance croissante de la famille conjugale ainsi que l'appui théorique et pratique dispensé par l’État moderne et les différentes Églises. Voir : STONE, Lawrence, The family, sex and marriage in England, 1500-1800, New York, Harper and Row, 1977, p. 151 et suivantes. 20. DE LA PASCUA SÁNCHEZ, María José, « Una aproximación a la Historia de la Familia como espacio de afectos y desafectos : el mundo hispánico del Setecientos », Chronica Nova, n°27, 2000, p. 131-166, p. 143. 21. Voir GOODY, Jack, The development…, op. cit. ; BARBAZZA, Marie-Catherine, « L’épouse chrétienne et les moralistes espagnols des XVIe et XVIIe siècles », Mélanges de la Casa de Velázquez, 1988, t. XXIV, p. 99-137 ; BRANDENBERGER, Tobias, Literatura de matrimonio (Península Ibérica, S. XIV-XVI), Saragosse, Pórtico, 1996 ; MORANT DEUSA, Isabel, Discursos de la vida nueva. Matrimonio, mujer y sexualidad en la literatura humanística, Madrid, Cátedra, 2002. 22. « divorcio » dans le texte. Le terme de séparation a été utilisé dans la traduction afin d’éviter toute confusion avec le sens contemporain du mot divorce, NDLR. 23. ZAYDIN Y LABRID, Plácido, Colección de breves…, op. cit., p. 253.

24. Sur ces questions dans le cas galicien, voir DUBERT GARCÍA, Isidro, « La conflictividad familiar en el ámbito de los tribunales señoriales y reales en la Galicia del Antiguo

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Régimen (1600-1830) », dans : Obradoiro de Historia Moderna : homenaje al profesor Antonio Eiras Roel en el XXV aniversario de su cátedra , Saint-Jacques-de-Compostelle, 1990, p. 73-102. 25. « por palabras de matrimonio ». 26. Le cas de la Navarre présente lui aussi une forte majorité de procès ouverts pour manquement à la parole donnée : 56,7 % du total pour les XVIe et XVIIe siècles. Dans les cas des tribunaux de Séville et de Palencia, ils représentaient environ la moitié du total. Ils étaient également majoritaires à Zamora et Ibiza. En ce qui concerne les diocèses galiciens, les pourcentages pour le XVIIIe siècle s'échelonnent entre 40,8 % à Mondoñedo et 48,8 % à Lugo. Ils n'atteignaient cependant que 4,7 % à Coria aux XVIe et XVIIe siècles, tout en représentant la majorité des affaires matrimoniales, autour de 30 %. Voir : MUÑOZ RODRÍGUEZ, María Areños, « Una aportación a la Historia de las Mentalidades : cartas de amor en el Barroco », dans : CALLEJA GONZÁLEZ, María Valentina (dir.), Actas II Congreso de Historia de Palencia, Palencia, Diputación Provincial, 1990, vol. III (époques moderne et contemporaine), p. 455-468, p. 466 ; DUBERT GARCÍA, Isidro, « Los comportamientos sexuales premaritales en la sociedad gallega del Antiguo Régimen », Studia Histórica. Historia Moderna, vol. IX, 1991, p. 117-142, p. 135 ; DEMERSON, Jorge et DEMERSON, Paula, Sexo, amor y matrimonio en Ibiza durante el reinado de Carlos III, Majorque, El Tall, 1993, p. 17 ; CAMPO GUINEA, María del Juncal, Comportamientos matrimoniales en Navarra (Siglos XVI-XVII), Pampelune, Gobierno de Navarra, 1998, p. 60 ; LORENZO PINAR, Francisco Javier, Amores inciertos, amores frustrados. Conflictividad y transgresiones matrimoniales en Zamora en el siglo XVII, Zamora, Semuret, 1999, p. 36 ; RUIZ SASTRE, Marta et MACÍAS DOMÍNGUEZ, Alonso Manuel, « La pareja deshecha : pleitos matrimoniales en el Tribunal Arzobispal de Sevilla durante el Antiguo Régimen », Erebea. Revista de Humanidades y Ciencias Sociales, n°2, 2012, p. 291-320, p. 297 ; PÉREZ MUÑOZ, Isabel, Pecar, delinquir y castigar : El Tribunal Eclesiástico de Coria en los siglos XVI y XVII, Salamanca, Diputación de Cáceres, 1992, p. 28. 27. À Bologne, entre 1544 et 1563, environ la moitié des affaires examinées portant sur des questions familiales étaient liés au manquement à la promesse de mariage. Les conflits de « fiançailles » (« esponsales ») étaient également nettement majoritaires à Trente comme à Feltre aux XVIIe et XVIIIe siècles. À l'officialité de Cambrai on enregistra 1724 jugements pour cause de suspension de fiançailles entre 1710 et 1780. Voir : FERRANTE, Lucia, « Marriage and women’s subjectivity in a patrilineal system : The case of Early Modern Bologna », dans : MAYNES, Mary Jo et al., (éd.), Gender, Kinship, power : a comparative and interdisciplinary history, New York, Routledge, 1996, p. 115-130 ; CIAPPELLI, Giovanni, « I procesi matrimoniali : quadro di raccordo dei risultati della schedatura », p. 67-100, in SEIDEL MENCHI, Silvana et QUAGLIONI, Diego (dir.), I Tribunali del matrimonio (Secoli XV-XVIII), Bolonia, Il Mulino, 2006, p. 88-89 ; LOTTIN, Alain et al., La désunion du couple sous l’Ancien Régime : l’exemple du Nord, Paris, Éditions universitaires, 1975, p. 52-55. 28. MORGADO GARCÍA, Arturo, « El divorcio en el Cádiz del siglo XVIII », Trocadero, n° 6-7, 1994-1995, p. 125-137, p. 125. 29. « impedimentos ». 30. « demandas matrimoniales ».

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31. « Trato ilícito ». À propos du rôle tenu par la copulation charnelle comme preuve de consommation du mariage, voir CHAREGEAT, Martine, « Cópula carnal. La preuve de mariage dans les procès à Saragosse au XVe siècle », Mélanges de la Casa de Velázquez, 2003, p. 47-63, T. 33-1. 32. « desfloro ». 33. Le terme de stupre (estupro) était plus ambivalent à l'époque qu'aujourd'hui : aux XVIe et XVIIe siècles, il s'employait en pratique comme un simple synonyme du viol. Mais au XVIIIe siècle, les théoriciens du droit définirent de manière plus nette la différence entre les deux vocables, en définissant le stupre comme l'acte charnel réalisé avec une jeune femme vierge et introduisant même la distinction entre stupre violent – lors duquel l'homme force physiquement la femme – et stupre affable – consenti par la femme. Parmi les cas examinés par le tribunal du subdélégué militaire, tous ceux que nous avons identifiés relèvent de cette seconde acception. Voir : VILLALBA PÉREZ, Enrique, La administración de la justicia penal en Castilla y en la corte a comienzos del siglo XVII, Madrid, Actas, 1993, p. 192 ; MANZANILLA CELIS, Ángel Francisco, « De violencias y afabilidades (aspectos del estupro en la provincia de Caracas en el siglo XVIII) », p. 1-16, Tierra Firme. Revista de Historia y Ciencias Sociales, Caracas, 1998, vol. XVI. 34. Obligation était faite à toute femme enceinte célibataire de « se livrer » (« espontanearse »), c'est-à-dire de se présenter devant le juge pour exposer sa situation et les causes qui l'avaient mise dans cet état, ou bien de déposer une plainte contre l'homme qui l'avait incitée à l'acte charnel. De même, les accusations de stupre avec grossesse et/ou manquement à la promesse donnée étaient les plus nombreuses devant les tribunaux royaux à l'époque, en particulier à la chancellerie de Valladolid. Voir : DUBERT GARCÍA, Isidro, Los comportamientos de la familia urbana en la Galicia del Antiguo Régimen. El ejemplo de Santiago de Compostela en el siglo XVIII, Saint-Jacques-de- Compostelle, Universidad de Santiago, 1987, p. 60 ; IGLESIAS ESTEPA, Raquel, Crimen, criminales y reos. La delincuencia y su represión en la antigua provincia de Santiago entre 1700 y 1834, Vigo, Nigratea, 2007, p. 170 ; SIMÓN LÓPEZ, María, Delitos carnales en la España del Antiguo Régimen : el estupro y los abusos deshonestos, Grenade, Universidad de Granada, 2010, p. 335. 35. En général, compte tenu de leur modeste extraction sociale, l'espoir d'obtenir une compensation financière s'ajoutait à la recherche d'une reconnaissance légale. Voir : CASTAN, Yves, « Mentalités rurale et urbaine à la fin de l’Ancien Régime dans le ressort du Parlement de Toulouse d’après les sacs à procès criminels, 1730-1790 », Cahier des Annales, n°33, 1971, p. 143 ; MANTECÓN MOVELLÁN, Tomás Antonio, Conflictividad y disciplinamiento social en la Cantabria rural del Antiguo Régimen, Santander, Universidad de Cantabria, 1997, p. 35 ; MADRID CRUZ, María Dolores, « El arte de la seducción engañosa : Algunas consideraciones sobre los delitos de estupro y violación en el Tribunal del Bureo. Siglo XVIII », Cuadernos de Historia del Derecho, vol. 9, 2002, p. 121-159, p. 124. 36. GRACIA CÁRCAMO, Juan, « Una aproximación a las actitudes de las criadas jóvenes sobre la sexualidad y el matrimonio a través de las querellas por estupros en Vizcaya (siglos XVIII-XIX) », p. 93-104, dans : RODRÍGUEZ SÁNCHEZ, Ángel et PEÑAFIEL RAMÓN, Antonio (dir.), Familia y mentalidades, Murcie, Universidad de Murcia, 1997, p. 95. 37. Elle refusait d'accéder aux exigences du comte car elle ne disposait pas de l'autorisation paternelle nécessaire, APC, Pleitos castrenses, dossier 1790-1796.

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38. L'âge déclaré lors des procès doit être pris comme un simple ordre de grandeur, car les déclarations étaient souvent approximatives. 39. Par Ordre royal du 28 novembre 1775, le champ d'exercice de la justice ecclésiastique militaire était étendu à tous les individus et dépendants de l'armée et de la marine, c'est-à-dire non seulement aux militaires mais également aux ouvriers civils des arsenaux, chantiers navals ou autres installations appartenant à la Couronne et bénéficiant du statut militaire. Dans le cas qui nous intéresse, la quasi-totalité des ouvriers de la maistrance concernés travaillent à Ferrol. 40. Nous avons intégré à cette catégorie non seulement les officiers de carrière mais également les membres du ministère, les chirurgiens, médecins et ingénieurs. 41. Ce groupe inclut deux greffiers ainsi qu'un individu relevant de l'autorité militaire, sans plus d'informations sur sa profession. 42. « actos viciosos ». 43. DEPAUW, Jacques, « Amour illégitime et société à Nantes au XVIIIe siècle », Annales, Économies, Sociétés, Civilisations, vol. 27, n° 4-5, 1972, p. 1155-1182, p. 1181. 44. Le sous-lieutenant avait débarqué dans le port galicien en provenance de Porto Rico et avait été logé durant un an chez la famille de la plaignante. Pendant ce séjour, après de prétendues promesses de mariage, il avait mis enceinte la jeune femme et refusé par la suite de respecter son engagement, APC, Pleitos castrenses, dossier 1772-1779. 45. Dans 27 cas le jugement final n'est pas indiqué. 46. Les peines prévues par le droit canonique de l'époque étaient le mariage ou la compensation financière, le juge disposant d'une certaine marge de manœuvre en fonction des traditions locales ou de la famille et de la dignité de la victime. Yves Castan estime que la légéreté des peines résultait de l'abondance des cas et des difficultés rencontrées pour établir catégoriquement le bien-fondé des accusations. Voir : ELIZONDO, Francisco Antonio de, Práctica universal forense de los tribunales superiores de España y de las Indias, Madrid, 1769, par Don Joaquín de Ibarra, T. IV, p. 312 ; CASTAN, Yves, Honnêteté et relations sociales en Languedoc (1715-1780), Paris, Plon, 1974, p. 166. 47. Dans le diocèse de Zamora au XVIIe siècle, seule une femme sur cinq obtenait un jugement correspondant à ses demandes. Au tribunal du Bureo, qui exerçait sa juridiction sur la Maison royale, le ratio était également bas, malgré un nombre limité d'affaires. En ce qui concerne les tribunaux royaux, en particulier la chancellerie de Valladolid, la dot constituait la réponse la plus commune. Dans le cas galicien enfin, la compensation financière était aussi la plus fréquente : dans la juridiction de Noia 58,9 % des affaires de stupre se concluaient par le versement d'une somme, le pourcentage atteignant même 73,7 % à Saint-Jacques-de-Compostelle et ses alentours. Voir : LORENZO PINAR, Francisco Javier, Crimen, criminales…, op. cit. p. 170 ; SIMÓN LÓPEZ, María, Delitos carnales…, op. cit., p. 66 ; MADRID CRUZ, María Dolores, « El arte… », loc. cit., p. 140-141; IGLESIAS ESTEPA, Raquel, Crimen, criminales y reos…, op. cit., p. 170; SIMÓN LÓPEZ, María, Delitos carnales…, op. cit., p. 338. 48. APC, Pleitos castrenses, dossier 1785.

49. APC, Pleitos castrenses, dossier 1800-1878.

50. APC, Pleitos castrenses, dossier 1800-1878.

51. « Mi amada, prenda de mi corazón », « tu esposo », APC, Pleitos castrenses, dossier 1772-1779.

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52. APC, Pleitos castrenses, dossier 1800-1878.

53. APC, Pleitos castrenses, dossier 1772-1779. 54. « La animó a que] hiciese contra él una petición para ponerlo preso y de echo pedir la licencia a su padre. », APC, Pleitos castrenses, dossier 1790-96.

55. Novísima Recopilación, Madrid, 1805, T. V, livre X, titre II, loi IX. 56. Comme le montrent les secondes ordonnances de Flandres du 18 décembre 1701, les adjonctions du 14 juin 1716, qui prévoyaient la démission des officiers se mariant sans autorisation royale, ou encore les Ordonnances de 1728, sans oublier le décret royal draconien du 19 janvier 1742 qui, selon les termes de Zaydin, vouait les militaires au célibat perpétuel, entendant mettre fin aux fonctions de tout subalterne qui solliciterait une autorisation de mariage et étendant même cette disposition aux officiers hauts gradés « qui du fait de leur situation ne peuvent pas décemment conserver leur position » (« que por sus circunstancias no pueden mantenerse con decencia »). Voir : ZAYDIN Y LABRID, Plácido, Colección de breves op. cit., p. 193.

57. BOLAÑOS MEJÍA, María del Carmen, « Las Ordenanzas de Carlos III de 1768 : el derecho militar en una sociedad estamental », dans : ALVARADO PLANAS, Javier et PÉREZ MARCOS, Regina (dir.), Estudios sobre Ejército, Política y Derecho en España (Siglos XII-XX), Madrid, Polifemo, 1996, p. 161-185, p. 169. 58. « salida natural ». 59. En septembre 1774, un Ordre royal condamnait tout officier obligé par un tribunal à se marier pour ces raisons à quitter l'armée. Voir : ANDÚJAR CASTILLO, Francisco, Los militares en la España del siglo XVIII. Un estudio social, Grenade, Universidad de Granada, 1991, p. 339. 60. La moyenne annuelle des plaintes matrimoniales passa de 9,9 pour la décennie 1780-1789 à seulement 1,3 pour 1790-1799, tombant à 0,8 pour 1800-1809 et disparaissant presque totalement dans les années suivantes. 61. ZAYDIN Y LABRID, Plácido, Colección de breves…, op. cit., p. 198-202.

62. APC, Pleitos castrenses, dossier 1772-79.

63. BAZÁN DÍAZ, Iñaki, « El estupro. Sexualidad delictiva en la Baja Edad Media y primera Edad Moderna », Mélanges de la Casa Velázquez, tome 3-1, 2003, p. 13-46, p. 27. 64. « El señor teniente vicario no mandaba en él. » 65. Il ourdit également un plan avec une femme célibataire afin de faire croire à la plaignante qu'il s'était déjà engagé envers elle, supercherie qui fut rapidement dévoilée lors de la confrontation, du fait de la rétractation de la complice, APC, Pleitos castrenses, dossier 1772-1779. 66. APC, Pleitos castrenses, dossiers « Sueltos » et 1790-1796.

67. APC, Pleitos castrenses, dossier 1786.

68. APC, Pleitos castrenses, dossier 1772-1779. 69. Dans un seul des douze cas ce n'est pas la femme mais ses parents qui intentent le procès. 70. Quatre cas relèvent de cette catégorie, bien que le subterfuge en question n'atteigne pas son objectif. 71. APC, Pleitos castrenses, dossier 1790-1796.

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72. Entre 1795 et 1797, 22,6 % des baptêmes à Ferrol concernent des enfants illégitimes (5,9 %) ou abandonnés (16,7 %). On constate également une augmentation des naissances illégitimes à l'époque à Nantes. Voir : MARTÍN GARCÍA, Alfredo, « El impacto de la actividad… », loc. cit., p. 215 ; DEPAUW, Jacques, « Amour illégitime… », loc. cit., p. 1156. 73. « divorcios », cf. note 22. 74. « divorcios semiplenos ». 75. GAUDEMET, Jean, El matrimonio…, op. cit., p. 351 ; GOODY, Jack, The development…, op. cit., p. 83-85 ; DARMON, Pierre, Le tribunal de l’impuissance. Virilité et défaillances conjugales dans l’ancienne France, Paris, Seuil, 1986. 76. Le pourcentage est presque égal à celui obtenu par María del Juncal CAMPO GUINEA dans ses recherches sur le tribunal ecclésiastique de Pampelune (Comportamientos matrimoniales…, op. cit., p. 60). 77. « fornicación espiritual ». 78. Exemple de ce que signale Christine MEEK dans « “Simone ha aderito alla fede di Maometto”. La “fornicacione spirituale” como causa di separazione (Lucca 1424) », p. 121- 139, dans : SEIDEL MENCHI, Silvana et QUAGLIONI, Diego (dir.), Coniugi nemici : la separazione in Italia dal XII al XVIII secolo, Bologne, Il mulino, 2000.

79. ZAYDIN Y LABRID, Plácido, Colección de breves…, op. cit., p. 273-275. 80. Les femmes étaient également les principales protagonistes en Catalogne, en Estrémadure et à Cadix. Voir : TESTÓN NÚÑEZ, Isabel, Amor, sexo y matrimonio en Extremadura, Badajoz, Universitas, 1985 ; GARCÍA CÁRCEL, Ricardo, Historia de Cataluña, vol. I, Barcelone, Ariel, 1985 ; MORGADO GARCÍA, Arturo, « El divorcio... », loc. cit., p. 127.

81. On retrouve ces mêmes arguments ailleurs dans le monde catholique. LOTTIN, Alain et al., La désunion…, op. cit., p. 113-114 ; PHILIPS, Roderick G., « Le divorce en France à la fin du XVIIIe siècle », Annales, Économies, Sociétés, Civilisations, vol. 34, n° 2, 1979, p. 385-398 ; VILLAFUERTE GARCÍA, Lourdes, LOZANO ARMENDARES, Teresa, ORTEGA NORIEGA, Sergio, ORTEGA SOTO, Rocío, « La sevicia y el adulterio en las causas matrimoniales en el provisorato de México a fines de la era colonial. Un estudio de la técnica procesal juridical », Estudios de Historia Novohispana, n°38, 2008, p. 87-161, p. 91. 82. CASEY, James, « Household disputes and the Law in Early Modern Andalusia », in BOSSEY, John, Disputes and settlements. Law and human relations in the West, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 215 ; LAPERCHE-FOURNEL, Marie-José, « Le mariage en pays mosellan au XVIIIe siècle. Formation et rupture du couple », Les Cahiers Lorrains, n° 3-4, 1992, p. 389-401, p. 399 ; GIL AMBRONA, Antonio, « Las mujeres bajo la jurisdicción eclesiástica : pleitos matrimoniales en la Barcelona de los siglos XVI y XVII », dans : BIRIEL SALCEDO, Margarita María (comp.), Nuevas preguntas, nuevas miradas. Fuentes y documentación para la Historia de las Mujeres (Siglos XIII-XVIII), Grenade, 1992, Universidad de Granada, p. 113-138, p. 126. 83. FLANDRIN, Jean-Louis, Orígenes de la familia moderna, Barcelone, Grijalbo, 1979, p. 159 ; LORENZO PINAR, Francisco Javier, « Actitudes violentas en torno a la formación y disolución del matrimonio », p. 159-182, dans : FORTEA PÉREZ, José Ignacio, GELABERT GONZÁLEZ, Juan Eloy et MANTECÓN MOVELLÁN, Tomás Antonio (dir.), Furor et rabies : violencia, conflicto y marginación en la Edad Moderna, Santander, Universidad de Cantabria, 2002, p. 174-175.

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84. « mal genio ». 85. À l'ouverture du procès, Pedro Loureiro se trouvait à la prison publique de Ferrol justement pour cause des coups qu'il avait infligés à son épouse. 86. « Después de matarla le havía de chupar la sangre. » 87. « [...] en mujeres de mundo », APC, Pleitos castrenses, Dossier 1785.

88. APC, Pleitos castrenses, dossier 1772-1779. 89. « provisión de secuestro para la esposa », « depósito ». 90. CAMPO GUINEA, María del Juncal, Comportamientos matrimoniales…, op. cit., p. 93-95. 91. « conspirar contra su vida ». 92. APC, Pleitos castrenses, dossier 1800-1878. 93. « vida escandalosa ». 94. MORGADO GARCÍA, Arturo, « El divorcio... », op. cit., p. 135. 95. « […] viviendo de un modo nada honesto y teniendo amistades con que arriesga su honor y el mío ». 96. Doña Antonia sollicita, par considération pour sa naissance distinguée, le remplacement du centre de Saint-Jacques-de-Compostelle par un couvent de la ville de Betanzos, demande qui fut satisfaite, APC, Pleitos castrenses, dossier 1772-1779.

97. « […] por la conducta escandalosa y libertina de su mujer ». APC, Pleitos castrenses, Dossier 1800-1878. 98. APC, Pleitos castrenses, dossier 1826. 99. Timoteo O’Scanlan fut l'un des principaux défenseurs en Espagne de la méthode de l'inoculation de la variole. 100. « por los continuos escándalos ». 101. APC, Pleitos castrenses, dossier 1800-1878.

102. APC, Pleitos castrenses, dossier 1785. 103. Dans les trois cas où c'était la femme qui avait abandonné le foyer, elle dénonçait le comportement violent de son époux. Ainsi de Doña María Josefa Santiago y Rodal, à qui le mari, le pilote Diego Antonio López, reprochait de ne pas vouloir abandonner la maison de ses parents pour vivre avec lui. La femme prétendait que ce changement de domicile était une manœuvre de son mari pour la séparer de sa famille et pouvoir la maltraiter, comme elle en avait déjà fait l'expérience. 104. APC, Pleitos castrenses, dossier 1800-1878. 105. Quatre cas impliquent des sergents de divers régiments, un autre met en cause un lieutenant, un autre encore un caporal et enfin un dernier un soldat. Melchor de Macanaz lui-même, dans son testament politique, relève la généralisation de ces pratiques au sein de l'Armée au cours de la première moitié du XVIIIe siècle. Voir : MACANAZ, Melchor de, Testamento político. Pedimento fiscal, Madrid, Centro de Estudios Políticos y Constitucionales, 1972 (édition et notes de F. Maldonado de Guevara), p. 176. 106. APC, Pleitos castrenses, dossier « Sueltos ».

107. APC, Pleitos castrenses, dossier 1800-1878.

108. ZAYDIN Y LABRID, Plácido, Colección de breves…, op. cit., p. 662.

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109. Les militaires disposaient d'un délai de quinze jours pour se présenter devant le tribunal ecclésiastique afin de régulariser leur situation, APC, Pleitos castrenses, Dossier 1785. 110. APC, Pleitos castrenses, dossier 1800-1878. 111. Francisco Andújar Castillo a constaté l'existence d'un nombre considérable de mariages clandestins chez les officiers tout au long du XVIIIe siècle, ainsi que la publication de plusieurs amnisties par la Couronne, preuve manifeste de l'impossibilité de résoudre définitivement le problème, ANDÚJAR CASTILLO, Francisco, Los militares…, op. cit., p. 336-337. 112. En substance : trois curés de paroisse, l'aumônier de l'hôpital royal de Esteiro, deux aumôniers interprètes (chargés de confesser et d'assister les étrangers), trente- neuf aumôniers répartis sur différents bateaux et dépendances ainsi que le sacristain de la paroisse militaire de San Fernando. Estado General de la Armada. Año de 1799, Madrid, Imprenta Real, 1799. 113. APC, Pleitos castrenses, dossier 1780-1783.

RÉSUMÉS

La naissance du Tribunal Ecclésiastique militaire de Ferrol est directement liée au rôle joué par le royaume de Galice dans les projets militaires de la Couronne espagnole au XVIIIe siècle. Parmi les affaires traitées par ce tribunal se distinguent celles, majoritaires, relatives au sacrement du mariage, les plus nombreuses étant les plaintes matrimoniales. Dans ces procès, les femmes, prétendant avoir été trompées par des hommes relevant de la juridiction militaire, demandaient réparation, c’est-à-dire en général l’obligation pour les hommes de contracter le mariage. La faible résistance des hommes devant ces plaintes révèle leur fonction de subterfuge permettant de surmonter les obstacles légaux empêchant à l’époque les militaires d’accéder au mariage. De la même logique relèvent les mariages clandestins également jugés par ce tribunal. Moins nombreux étaient les procès qui prononçaient la séparation temporaire des conjoints, du fait en général des mauvais traitements (dans les procès intentés par les femmes) ou de l’infidélité et de la vie prétendument scandaleuse de l’épouse (dans ceux intentés par les hommes).

The birth of the Military Ecclesiastical Tribunal of Ferrol is directly linked to the important role played by the kingdom of Galicia in the Spanish Crown’s military projects in the eighteenth century. Among the cases examined by the tribunal, those related to the sacrament of marriage are most numerous, most of them being matrimonial complaints. During those trials, women pretended to have been deceived by men (the latter within the competency of military authorities), and asked for redress, which meant in most cases that they demanded that a marriage take place. The men’s easy acceptance when facing those complaints reveals that they were often used as legal gambits in order to overcome the legal obstacles that forbade the military to marry at that time. The same logic prevailed concerning the clandestine marriages judged by the tribunal. Other, less common, cases led to the temporary separation of the spouses,

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mostly because of ill-treatment (in the trials initiated by the wives), infidelity or the supposed scandalous life of a woman (in those initiated by the husbands).

INDEX

Index géographique : Galice Index chronologique : XIXe siècle, XVIIIe siècle

AUTEURS

ALFREDO MARTÍN GARCÍA Professeur d’histoire moderne, Universidad de León (Espagne)

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L’épreuve de chant au certificat d’études en Bretagne sous l’Occupation The Singing Test for the Primary School Certificate in Brittany during the German Occupation

Cécile Vendramini et Jean-Pierre Rivenc

1 L’une des manières de saisir la politique de l’État dans le monde scolaire est d’étudier les règles qu’il édicte pour les examens. On sait en effet combien ceux-ci ont des effets en retour sur ce qui est enseigné pendant les années précédentes. Comme l'a souligné récemment Philippe Savoie, le certificat d’études, qui couronnait l’enseignement obligatoire et gratuit, occupe toujours « une place de choix dans la mémoire et la mythologie collective des Français1 ». Cet auteur présente dans son article une synthèse des travaux de quatre chercheurs ayant abordé le sujet dans les années 19902. Ces recherches traitent essentiellement de la place du certificat d'études dans l'organisation des études et de l'aspect sociologique de cet examen, avec l'évocation notamment des impacts de la réussite ou de l'échec à cette épreuve et la mise en évidence du poids écrasant de l'orthographe dans le barème. Il y est démontré que l'oral semblait être un prétexte pour « rattraper » ceux qui n'avaient pas été éliminés à l'écrit. Dans cet oral figurait l'épreuve de chant, mais aucune de ces études n'aborde la dimension idéologique de cet examen vocal, dont le support musical était loin d’être neutre. L'ouvrage de référence de Patrick Cabanel3 n'accorde également que très peu de place à l'épreuve de chant, qu'il définit comme l'une des « activités relativement spécialisées », entrée au programme du certificat au même titre que la couture, le dessin ou le travail manuel, à la grande satisfaction des « lobbies » pédagogiques qui « voulaient imposer leurs spécialités comme matière d'examen4 ». Peu d'études, semble-t-il, ont donc été consacrées à l’évolution de l'épreuve de chant du certificat d'études, tant du point de vue de l’enseignement du chant lui-même que des épreuves le sanctionnant. Cet article se veut donc une contribution, à partir d’un exemple régional, à cette histoire du certificat d’études primaires. Il s’agit de cerner la façon dont le répertoire vocal scolaire prescrit par les autorités de Vichy, et la manière de

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l’enseigner, se sont insérés ou non dans la tradition de l’école de la IIIe République, vilipendée par ailleurs. L’objectif est d'analyser les composantes de l’épreuve de chant du certificat d’études pendant la période de l’entre-deux-guerres, puis sous le gouvernement de Vichy, en étudiant tout particulièrement cette question dans le cadre de la Bretagne alors occupée par les troupes allemandes. Dans son approche, Philippe Savoie souligne à juste titre « l'importance de la dimension locale, de la variété des situations et des usages locaux, dans cette histoire, dont aucune étude conçue à l'échelle nationale ne pourrait rendre compte5 ». La singularité de la scolarité en Bretagne est ici à souligner, et notamment la féroce rivalité entre écoles publiques et écoles privées. Il est cependant difficile de parler de la Bretagne en général. Certes, la scolarisation dans l’école privée y est largement supérieure à la moyenne nationale qui est inférieure à 20 % ; cependant il existe de fortes disparités entre les départements, comme l’a montré David Bensoussan6. Au sein d’un même département, les disparités peuvent être aussi grandes ; d’une part, la disparité entre garçons et filles, celles-ci étant majoritairement scolarisées dans le privé : dans le Finistère et les Côtes-d’Armor, en 1930, si 23 % des garçons sont dans les écoles privées, c’est 47 % des filles qui y sont scolarisées (et la proportion reste à peu près identique en 1938). D’autre part, au sein d’un même département, il existe aussi de très fortes disparités géographiques. La carte de la scolarisation primaire dans les écoles privées en 1951-19527 fait ainsi apparaître une sorte de diagonale s’étendant du sud du pays bigouden jusqu’au Trégor (prolongée par la pointe de la presqu’île de Crozon) dans laquelle cette scolarisation peut être largement inférieure à 45 %. On le voit aussi, il n’y a pas de coïncidence, sauf dans le Léon, entre les terres bretonnantes et la scolarisation dans l’enseignement privé. De plus, celui-ci n’est pas obligatoirement plus favorable à l’usage ou à l’enseignement du breton que son rival public et laïc8. Or, à partir du XIXe siècle s’est progressivement constituée l’image d’une union étroite entre la foi et la Bretagne (« Feiz ha Breiz ») ; défendre l’esprit breton et la civilisation bretonne passe par la défense de la langue bretonne : « […] d’autant mieux mise en avant qu’elle permet très explicitement de faire le lien avec la lutte contre la République laïque, oppressive des langues régionales car fondée sur le postulat jacobin de l’unité et de l’indivision du régime9 ». Comme l’avance Francis Le Squer, « L’alliance foi et Bretagne ressortit bel et bien à un mythe forgé dans l’intention d’associer par identification la défense de la foi et celle de la langue, en tant que symbole représentatif d’une société marquée par ses us et coutumes10 ». Mais cette exaltation de l’identité bretonne, dans l’entre-deux-guerres, a mené au développement d’un nationalisme breton, progressivement condamné par les autorités ecclésiastiques11.

2 Cette brève présentation montre les enjeux qui se cristallisent autour de la question de la langue autorisée, ou non, lors de cette épreuve de chant. Nous n'aborderons ici que les chants prescrits pour le certificat d'études officiel, et non pas pour le « certificat de l’évêque » dont l'apparition a été largement commentée par Patrick Cabanel. Celui-ci souligne par ailleurs que les recherches sur ce terrain sont difficiles car les sources spécifiques s'avèrent rares12. Deux sources essentielles ont été utilisées dans cette recherche : d’une part, les prescriptions institutionnelles contenues dans les bulletins départementaux conservés au Centre d'étude et de recherche en histoire de l'éducation des Côtes-d’Armor et au musée de l’école rurale de Trégarvan, d’autre part, le contenu des livres de chants scolaires qui ont pu circuler pendant cette période.

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Le chant à l’école dans l’entre-deux-guerres

L’épreuve du certificat

3 L’épreuve de chant au certificat d’études a été instituée par l’arrêté du 23 décembre 1889. Devenue facultative en 1917, elle est rétablie définitivement en 1923, dans le cadre des « Nouvelles Instructions officielles ». On peut s’interroger sur la manière dont les maîtres remplissaient cette commande institutionnelle et sur la dimension formatrice qu’ils lui donnaient. Nous avons, pour en juger, le témoignage de Maurice Chevais, inspecteur divisionnaire de l’enseignement musical scolaire parisien de 1929 à 1939, qui fait le bilan suivant : « Dans les classes parisiennes, nous avons pu constater souvent que de nombreux élèves, venant de province, ne souffraient d’aucun retard. Par contre, il en est qui se montrent inférieurs à leurs voisins par des hésitations diverses, et qui déclarent qu’on ne les fit jamais chanter, sauf « dans la classe du Certificat, quelques semaines avant l’examen » […]. C’est la preuve qu’on se contente alors de peu, puisqu’on ne s’intéresse qu’à quelques enfants et que même ceux-là ne font que chanter en vue d’une sanction13. »

4 Cependant, il note une plus grande exigence concernant l’examen musical au niveau du brevet. En effet, une gradation existait entre les épreuves du certificat d’études et du brevet élémentaire qui était la sanction du primaire supérieur. Si, à l'oral du certificat, le candidat devait seulement chanter l'œuvre imposée, au brevet élémentaire, il lui fallait non seulement solfier le chant proposé, dont le ton devait être pris au diapason, mais également répondre à des questions simples sur l'écriture musicale de la chanson qu’il devait interpréter.

Méthodes d’enseignement

5 En ce qui concerne la manière d’enseigner le chant à l’école primaire, les programmes de 1923 avaient de nouveau mis l’accent, comme pour les autres matières, sur le développement de la « démarche intuitive ». Il s’agit d’abord de faire chanter les élèves en leur apprenant les chants à l’oreille, avant de passer très progressivement dans les classes supérieures au déchiffrage des notes. Cette « démarche intuitive » avait été exprimée avec force dès 1882 par F. Buisson : « La méthode intuitive, telle qu'elle s'applique aujourd'hui à toutes les matières de l'enseignement primaire, n'a pas d'autre objet que de tenir compte de ce besoin de spontanéité, de variété et d'initiative intellectuelle de la part de l'enfant. En lecture, au lieu de lui faire passer en revue toutes les lettres et toutes les syllabes vides de sens, on lui donne, dès qu'il sait deux ou trois lettres, de petits mots qui occupent sa pensée, satisfont son imagination, aiguisent sa curiosité pour les leçons suivantes, chaque leçon portant pour ainsi dire sa récompense en elle-même : l'ordre logique peut en souffrir […]. On aura le temps plus tard de lui faire analyser ce qu'il saisit à présent d'un coup d’œil juste, mais trop rapide14. »

6 Les programmes de mars 1942 citent et recopient les programmes de 1923 : « On a déjà très justement recommandé la méthode "concrète et vivante" qui “consiste à renverser l’ordre trop souvent adopté dans les classes et à faire l’éducation de la voix et de l’oreille avant de commencer l’étude théorique de la musique” (instruction du 20 juin 1923). On ne donnera pas aux enfants, a-t-on recommandé encore, de ”définition abstraite” des termes musicaux avant de les avoir fait abondamment chanter, avant d’avoir multiplié pour eux les expériences

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musicales. Bien plus, on ne leur fera connaître les symboles graphiques qu’au moment où ils auront acquis une pratique suffisante de cette langue” (instructions du 20 juin 1923). Ces principes doivent continuer à inspirer l’enseignement musical15.»

7 Le directeur de l’enseignement primaire de l’époque, Stéphane Jolly, se réclame des « antiques et originales traditions de la pédagogie française16 ». Agrégé de grammaire, normalien de la même promotion que Carcopino, ancien inspecteur général, il a été nommé à ce poste par ce dernier devenu secrétaire d’État à l’Éducation nationale et à la Jeunesse en février 194117.

Le répertoire scolaire avant Vichy

8 Le répertoire vocal scolaire a été l’objet de quelques recherches dont celles de la musicologue Michèle Alten qui a soutenu en 1993 une thèse de doctorat sur l'enseignement musical dans les écoles primaires de la République, de 1882 à 1939. Bernard Cousin, quant à lui, a effectué une analyse qualitative de 450 titres de chansons scolaires publiées tout au long de la Troisième République. Nous inspirant de ce travail, nous avons analysé 309 titres d’autres livrets de chants scolaires, conservés aux archives du Centre d’étude et de recherche en histoire de l’éducation des Côtes- d’Armor. Les nombreuses rééditions de ces recueils conservés témoignent du fait que ce répertoire devait être diffusé, à l’époque, dans les écoles bretonnes.

9 Les titres des recueils sont les suivants : Les petits chants des écoliers de Félix Comte, ouvrage publié aux éditions Colin en 1895 ; Cinquante chants populaires pour les écoles, classés dans un ordre méthodique de Maurice Bouchor (paroles) et Julien Tiersot (musique), éditions Hachette, publié en 1895 également ; Chants moraux et patriotiques de René Bellier, parus aux éditions Gaudin en 1899 ; Chants d’écoles à une voix qu’Adolphe Danhauser fait paraître aux éditions Hachette également en 1899 ; Le chant à l’école et dans la famille de Octave Isoré, paru aux éditions Nathan en 1892 ; enfin, Les chants de l’enfant de Laurent Delcasso et Pierre Gross, premier livre de chants scolaires publié par Hachette en 1856 et réédité en 1912. Les paroles sont mises en musique soit sur des airs célèbres de grands musiciens classiques, soit sur des mélodies composées pour l’occasion, soit sur des chants traditionnels, comme le montre le tableau suivant.

Origine du thème mélodique

Titre des Nom des Date de Airs célèbres du ouvrages auteurs parution Musique Musique répertoire Total inédite traditionnelle classique

Les petits chants Comte 1895 47 des écoliers

Cinquante chants populaires pour les Bouchor 1895 4 12 34 50 écoles

Chants moraux et Bellier 1899 2 51 53 patriotiques

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Chants d’écoles Dannhauser 1899 57 1 2 60

Le chant à l’école Isoré 1892 2 48 50

Les chants de Delcasso 1856 48 1 49 l’enfant

Total 65 207 37 309

10 Le recueil de chants de Maurice Bouchor, Cinquante chants populaires pour les écoles, classés dans un ordre méthodique, tranche dans le corpus consulté.

11 Comme le souligne Bernard Cousin, l’école laïque n’avait pas à l’origine de chants conçus pour les écoliers, autres que les cantiques utilisés dans les écoles religieuses adaptés pour les enfants, avec comme modèle « L’Enfant Jésus ». Un répertoire scolaire propre à l’école laïque était à inventer et Bouchor correspondit à l’attente institutionnelle18. Avec cet ouvrage de 1895, Bouchor avait remporté le concours du meilleur recueil de chansons adaptées aux écoles, concours lancé par « La correspondance générale de l’enseignement public ».

12 L’ouvrage fut réédité à de multiples reprises puisqu’en 1931 paraissait sa dix-septième édition. Maurice Bouchor (1855-1929) fut une gloire de l’école de la IIIe République. Il avait été dreyfusard, membre de la Ligue des Droits de l'Homme, militant laïque et socialiste et avait collaboré à l'Humanité, à la Revue Socialiste et à La Vie ouvrière. Il fut le grand auteur de chansons scolaires de la Troisième République. Bouchor fut invité par Ferdinand Buisson à présenter son recueil pour des conférences à l’école normale de Fontenay-aux-Roses et fit un tour de France des écoles normales départementales pour diffuser ses chansons. Les textes de Bouchor sont écrits sur des mélodies populaires du folklore français, choisies et adaptées par le musicologue Jules Tiersot (1857-1936) ; ils utilisent également comme timbres des thèmes de compositeurs français (Rameau, Gossec, Grétry, Berlioz). À la lecture du tableau comparatif des recueils de chants, on comprend mieux que ce qui a fait le succès du recueil de Bouchor, c’est son originalité : le fait d’avoir utilisé des chants traditionnels comme support de ses paroles. C’est sans doute ce qui lui vaut d’être toujours la source des chants enseignés à la veille de la Seconde Guerre mondiale (45 ans après sa première édition), alors que l’âge d’or de l’ancienne chanson scolaire didactique et moralisatrice semble révolu.

13 Bouchor fut l’un des concepteurs (avec, entre autres, Maurice Chevais et le compositeur Vincent d’Indy) d’une anthologie du chant scolaire, publiée à partir de 1925, et présentée ainsi : « Le XIe Congrès de l’Art à l’école, consacré à l’enseignement musical, a émis le vœu que soit commencée la publication d’une Anthologie du chant scolaire comprenant un choix : 1° de mélodies populaires des provinces de France ; 2° de mélodies populaires du folklore étranger ; […] Les chants publiés dans les dix fascicules de la première partie de l’Anthologie du Chant scolaire sont, pour la plupart, populaires dans toute la France19. »

14 Ces chansons frappent en général par leur « neutralité ». Certes, il n’y a pas de chant religieux ou de référence explicite à Dieu, ou aux saints (ainsi Jeanne d’Arc est « Jeanne la Lorraine20 »). Lorsqu’elle apparaît, la République est amalgamée à l’amour de la patrie plus qu’encensée comme forme de régime. La caractéristique dominante, c’est

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l’idéologie « régionaliste » qui existait bien avant Vichy, tant dans les thèmes musicaux que dans les paroles des chansons enseignées. Une des idées fondamentales de l’école était de faire naître l’amour de la « grande patrie », par l’amour des « petites patries » et, dès l’entre-deux-guerres, des recueils de chants scolaires régionaux, y compris en dialecte ou en langue régionale, étaient parus. Comme le note Jean-François Chanet : « C’est au nom de l’authenticité des valeurs conservées dans ce patrimoine que le Front populaire a favorisé, avant Vichy, l’engouement pour le folklore21 ».

15 En avril 1937, la revue « L'école libératrice » fait paraître un compte-rendu bibliographique où sont loués par exemple les « Chants languedociens et pyrénéens », les « Chansons de l'Anjou » de l'instituteur François Simon, ou encore les « Trente chansons populaires bretonnes » de Yann Kerlann et Philéas Lebègue, publiées par « Ar Falz » en 1936 à Morlaix22.

16 Yann Kerlann (Jean Delalande), alors instituteur public, a pris la succession de Yann Sohier, après son décès (en 1935), à la tête d’Ar Falz ; cette revue militait pour l’enseignement du breton en direction des instituteurs laïcs. La présence à l’enterrement de Yann Sohier, de Marcel Cachin du parti communiste et de l’abbé Perrot semble symboliser le « Na gwen na ruz, breiz atao » (« Ni Blanc, ni Rouge, Breton toujours ») du mouvement nationaliste breton. Si l’on en croit Francis Le Squer, « l’Union sacrée ne se limite pas à des encouragements ; elle peut revêtir l’aspect d’une collaboration, même secrète, entre plusieurs militants aux idéaux diamétralement opposés. L’abbé Perrot, que l’on pourrait croire intransigeant, fait montre d’une exceptionnelle ouverture en soutenant en catimini l’œuvre de Yann Sohier entre 1933 et 1935 […]. Cette complicité ne pouvait évidemment pas être dévoilée en son temps, ni l’aide matérielle apportée réciproquement par le prêt de clichés pour les publications23 ».

17 Nous reviendrons ci-dessous sur le contenu de ce recueil dans une étude comparative de recueils de chansons bretonnes parus entre 1932 et 1943.

L’épreuve du certificat en 1940

18 Le 3 septembre 1939, la France déclare la guerre à l’Allemagne. Les chants étudiés pour l’année 1939-1940 et susceptibles d’être chantés lors du certificat d’études portent la marque de cette situation. Pour l’année 1940 (chants étudiés donc pendant l’année 1939-1940), les instructions justifient le choix des chants de la manière suivante24 : « Dans un certain nombre de départements, il est d’usage d’établir une liste de chants choisis pour l’épreuve du certificat d’études primaires. Ainsi sont unifiées les conditions d’examen dans les différents centres, en même temps que le répertoire se trouve enrichi et renouvelé. Il est d’ailleurs souhaitable que les enfants, et plus tard les hommes, puissent chanter en commun quand ils se trouvent réunis, même s’ils ne sont pas tous originaires de la même région de France. L’habitude de chanter acquise à l’école se conserve après l’école d’autant plus facilement que le jeune homme, l’adulte, séparé de ses camarades, se retrouve avec d’autres personnes pouvant chanter avec lui. Les candidats au certificat d’études doivent se présenter avec une liste d’au moins cinq chants. »

19 La justification ne fait que reprendre les propos d’, radical-socialiste, ministre de l’Éducation nationale (du 13 septembre 1939 au 21 mars 1940)25. Comment ne pas penser que ces hommes réunis et originaires de diverses provinces, sont les soldats mobilisés ? Les chants imposés sont justifiés de la manière suivante :

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« Nos deux chants nationaux demeurant, évidemment, obligatoires : 1° La Marseillaise : trois couplets (Allons enfants de la Patrie… Amour sacré de la Patrie… Nous entrerons dans la carrière…) 2° Le Chant du départ : un couplet : (la Victoire en chantant) Le folklore national est assez riche pour que, chaque année, on puisse en extraire quelques chansons populaires. C’est de la musique populaire qu’il faut partir pour aller à la musique plus savante. Pour la session 1940, on peut indiquer les trois chansons suivantes : Sur le pont de Nantes (ou sur la même mélodie : Toulouse), un couplet. En passant par la Lorraine, 3 couplets. C’est le vent frivolant, 5 couplets. Cette liste de cinq chants n’est pas limitative. Chaque région a ses chansons à elle que l’harmonie, le rythme, la beauté, vous font retenir. Vous pourrez aussi choisir dans la collection des chants de métiers comme : Le Semeur, Le Savetier, Les Tisserands, La Fileuse, Les Scieurs de long, La chanson de l’Avoine, Le pauvre Laboureur, etc. »

20 Cette liste paraît dans les divers bulletins officiels départementaux avant d’être éditée, comme à l’habitude, sous la forme d’un petit livret de chants, vendu sans doute au profit de l’œuvre des Pupilles de l’enseignement. Chants patriotiques et républicains, chants « populaires » et régionaux conformes aux traditions institutionnelles. On peut noter accessoirement qu’il s’agit d’un régionalisme curieux puisque la chanson présentée sous le titre « Sur le pont de Nantes » est en fait le chant occitan « Se canto » (« S’il chante ») dont les paroles ont été transformées.

Exemple musical n°1

Chant « Sur le pont de Nantes », proposé au certificat d’études dans l’académie de Rennes en 1941.

Le candidat (ou plutôt son instituteur) peut cependant préférer présenter l’adaptation de Maurice Bouchor, intitulée « Toulouse », qui rend Toulouse sur la même mélodie.

Les modifications apportées par Vichy

21 L’arrêté du 18 août 1941 « relatif aux examens de l'enseignement primaire élémentaire » n’innove en rien quand il fait figurer, parmi les épreuves du certificat d’études, « l’exécution d’un chant choisi sur une liste d'au moins cinq morceaux26 ».

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22 En revanche, l’arrêté du 24 décembre 1941 innove quand il précise, sous l’injonction de Jérôme Carcopino, secrétaire d’État à l’éducation nationale et à la jeunesse27 , que « l'un de ces morceaux pourra être pris dans le répertoire dialectal et folklorique28 ».

23 C’est en cohérence avec les deux circulaires (celle du 9 octobre 1940 et celle du 13 avril 1942) recommandant aux maîtres d’étudier les « dialectes29 » : « Il y toujours intérêt à ce que les cinq chants de l'examen soient choisis par les autorités universitaires. Ce choix ne supprime pas l'initiative des maîtres, puisque celle-ci s'exerce sur les chants de complément et sur les chœurs ; mais il unifie l'épreuve de l'examen, et surtout permet aux élèves de diverses écoles de chanter en commun quand ils se retrouvent dans les fêtes scolaires et sportives, dans les camps de jeunesse et plus tard. On favorisera ainsi l'essor du chant choral, qui, chez nous aussi, doit devenir un besoin national. » (cette dernière phrase est soulignée dans le texte).

24 Comme auparavant l’accent est mis sur l’unité nationale par le « chanter ensemble » ; mais surtout sont exprimées nettement les volontés vichystes : le lien étroit entre chant choral et activités sportives30, les chantiers de jeunesse, et l’exemple de l’Allemagne hitlérienne. Le projet politique est celui de la rénovation nationale, comme l’exprime Jérôme Carcopino : « L’exercice physique doit être avant tout l’Ėcole des caractères, il doit apprendre aux enfants le dégoût du laisser-aller et de la médiocrité, l’amour du sérieux et l’ambition de se dépasser ; il doit être complété par les travaux manuels, le secourisme, le chant choral et, généralement toutes les disciplines qui développent le sens de la communauté et de la vie collective31. »

Des chansons bretonnes dites « pour la jeunesse »

25 En Bretagne, cet arrêté est très rapidement exploité. Dès 1942 paraît une réédition d’un recueil intitulé Chansons bretonnes pour la jeunesse de Taldir, nom de druide de François Joseph Claude Jaffrennou (1879-1956). Celui-ci est l’un des fondateurs de la Fédération régionaliste bretonne (issue de l’Union régionaliste bretonne). En préface à la première édition de 1900 (reproduite lors de cette réédition), il précise que ces chants sont « très simples et faciles à retenir » et qu’il voudrait « les voir chantés par les petits élèves de nos écoles, par les jeunes gens de nos campagnes et de nos villes, qui y puiseront l’amour de la poésie et de la musique bretonnes en même temps que celui de leur langue32 ». Cet arrêté du gouvernement de Vichy lui en donne maintenant la possibilité. D’ailleurs, il justifie cette réédition en mentionnant, à la fin de son ouvrage, la décision ministérielle et l’arrêté : « Par décision ministérielle du 25 juin 1941, une Commission permanente d’Ėtude de l’Histoire de Bretagne a été instituée à Rennes. Elle est composée de Messieurs Durtelle de Saint-Sauveur, président, Léon Le Berre, Émile Gabory, François Jaffrennou (Taldir), Pocquet du Haut-Jussé, A. Rébillon, Pierre Le Roux. Par arrêté ministériel du 24 décembre 1941, l’enseignement de l’Histoire de Bretagne est rendu obligatoire dans l’Enseignement Primaire, avec sanction au Certificat d’Études ; l’enseignement de la langue bretonne est autorisé une heure et demie par semaine et rétribué par l’État ; l’enseignement des chants dialectaux et folkloriques est autorisé et peut faire l’objet d’une épreuve aux examens du certificat d’études primaires. »

26 Le recueil de chants de Taldir est précédé d’un avis élogieux du recteur d’académie de Rennes:

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« J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre recueil de Chansons pour la jeunesse. Toutes sont de belle qualité artistique. Je souhaite vivement que ce recueil paraisse et suis persuadé que la jeunesse y trouvera une ample matière de joie et d’inspiration. »

27 L’ouvrage contient trente-cinq chansons en langue bretonne (avec traduction française) dont le chant Bro Goz ma zadou (« Vieux pays de mes pères ») écrit par Taldir en 1900, sur une musique composée en 1856 par le Gallois Evan James (chant adopté comme hymne par l’Union régionaliste bretonne33 en 1903). Dans une récente anthologie de la littérature bretonne du XXe siècle, l’œuvre poétique de Taldir est décrite comme « riche et exubérante » à ses débuts, avant de se tarir en devenant « passéiste dans l’essentiel.34 » Les motifs récurrents de ses poèmes illustrent la poésie dite « bardique », avec de nombreuses allusions à la mort (Ankou en breton), à la solitude et au deuil, comme en témoignent les chants La malédiction du vieux barde, Le vent de mort,Les bardes ambulants ou encore LaComplainte du vieillard, dont Taldir écrit lui- même la musique.

28 Dans son recueil de chants, Taldir cite les sources musicales qu’il a empruntées pour mettre en musique ses poèmes. Comme Bouchor, il reprend des mélodies préexistantes, des chants traditionnels bretons, facilement mémorisables. Les trois mélodies qu’il s’attribue dans le recueil semblent suivre les modèles du genre. La mélodie de la gwerz La complainte du vieillard copie l’écriture des complaintes (Gwerzioù) bretonnes dont le texte prime sur la musique. Spered kuz heol (« L’esprit de l’Occident ») prend l’aspect d’un chant solennel, au rythme de marche très affirmé.

29 Les paroles contiennent tous les clichés du régionalisme : l’ancienneté de la race, la confusion entre catholicisme et bardisme, etc., comme le montrent ces deux couplets, parmi d’autres du même acabit : Couplet 1 « Vieux et saint peuple d’Occident Lève la tête, regarde au levant Regarde la liberté qui approche Sur les rayons de la lumière Et les ténèbres de l’enfer, gai Qui s’évanouissent frémissantes. » Couplet 6 « O race bretonne, fille de Dieu Les temps approchent Où l’esprit bardique régnera Sans expression, ni plainte ni frayeur Le trône du tyran est ébranlé, gai La lumière a lui dans le lointain. »

30 Le troisième chant, « Da drouz ar c’han » (« Au bruit du chant »), présente quant à lui un caractère assez dansant, avec son rythme ternaire au tempo modéré. L’ambitus (étendue) de la mélodie est très restreint, avec un arrêt syncopé sur chaque fin de phrase. Les paroles expriment la solitude du voyageur. Après la parution de son premier recueil de chants en 1900, Taldir part en tournée de chant avec Théodore Botrel35 et se produit comme chanteur breton à l’Exposition universelle de Paris.

Un répertoire peu adapté à un public enfantin

31 L’analyse du recueil de chants de Taldir (édité en 1900 et réédité en 1942) amène à une comparaison avec deux autres recueils contemporains de chansons bretonnes : celui de Georges Arnoux36 (1933), intitulé Vingt chansons bretonnes, édité aux éditions Lemoine ;

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et celui de Yann Kerlann (1936), Trente chansons bretonnes pour les écoles, dont les chansons sont en breton, mais avec une adaptation en français, à la différence du recueil de Taldir, qui ne proposait qu’une simple traduction littérale. L’adaptation de ces chansons en français a été faite par Philéas Lebesgue, décrit ainsi par l’éditeur morlaisien :

32 « Grand ami de la Bretagne, celtisant lui-même, Philéas Lebesgue a bien voulu nous écrire toutes les versions françaises. Nous sommes sûrs qu’elles connaîtront dans les écoles et dans les maisons du pays breton la grande vogue qu’elles méritent37. »

33 Si l’on compare ces trois recueils contemporains de chansons bretonnes, il est à remarquer que seul Kerlann a conçu son livret de chants pour un public d’école primaire.

34 Ainsi, deux mélodies bretonnes traditionnelles (Le chiffonnier et Le siège de Guingamp) sont utilisées par les trois auteurs, mais l’adaptation de Lebesgue montre une étroite collaboration avec le maître d’école Yann Kerlann, qui édulcore quelque peu les paroles originales. Dans Ar pilhaouer (« Le Chiffonnier »), Taldir et Arnoux gardent les paroles originales de ce chant qui disent que ce chiffonnier « puant » délaisse sa femme et « ne peut aller à un pardon sans être saoul ». La version de Kerlann met en valeur le personnage qui se dit « marchand de guenilles, chiffonnier, métier joli » et qui brave les mauvaises langues en pensant « ce sont les sots qui se moquent, j’ai là-bas dans ma cabane un bon petit sac d’or ».

35 La mélodie du Siège de Guingamp ouvre le recueil de Taldir avec des paroles encore plus guerrières que celles de la version originale extraite du Barzaz Breiz. Le texte breton, écrit par Taldir, doit être chanté dans la langue régionale, la traduction n’étant pas adaptée à la musique : « Relève ô Bretagne tes bannières Rougies par le sang de nos pères ! Suspendons à nos ceintures les longues épées Et que nos bras soient comme l’acier ! (à tue-tête) Bretagne à jamais ! […] Jusqu’aux déserts les plus reculés, le cor de guerre a mugi Et a dit aux peuples du monde Que la race des Bretons vit toujours, Le vent de mer siffle en passant Bretagne à jamais ! »

36 La version d’Arnoux, du même acabit, est intitulée Vrais bretons, et peut être chantée en français, avec les rimes suivantes (p. 2) : « Debout Bretons, pour célébrer en chœur Notre Bretagne et ses grandeurs Et pour jurer de garder les trésors Qui font la gloire de l’Arvor Chantons à jamais en accord parfait Bretons à jamais […] Ô Bretons, fiers de notre race Promettons, jurons en chantant Que toujours nous suivrons leurs traces Et comme eux (nos aïeux) resterons vaillants. »

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37 Kerlann, quant à lui, transforme complètement l’esprit de la chanson originale, qui devient Le chant des moissonneurs (p. 20), chant de travail et non plus d’appel au combat : « Hardi les gars ! Fiers moissonneurs râblés Allons tous faucher les beaux blés ! D’un bras pesant coupons les épis roux Pauvreté fuira loin de nous […] Ne gâtons rien ! L’on nous paiera bien. Que le fil des faux N’ait pas de défauts ! »

Régionalisme breton et provincialisme vichyssois

38 Le régionalisme breton qui inspire le recueil de Taldir converge avec le provincialisme vichyssois ; c’est ce dont témoigne le placet que Taldir signe en décembre 1940 et qui sera présenté au Maréchal Pétain : « Les Bretons et leurs associations culturelles ont accueilli avec joie et avec espérance la proclamation par le maréchal Pétain de la résurrection des provinces. Dans le cadre de l'unité française, la Bretagne attend que la Révolution Nationale entreprise par le gouvernement du Maréchal Pétain instaure pour Elle un régime de liberté dans l'ordre, qui respecte ses traditions spirituelles et ses coutumes les plus chères, conserve et honore sa langue, enseigne à tous ses enfants sa glorieuse histoire38. »

39 Jaffrennou-Taldir appartient à la commission de six membres nommée le 3 juillet 1941 pour rédiger un manuel d’histoire de la Bretagne pour les établissements publics. Il fait aussi partie du comité consultatif de Bretagne, créé le 12 octobre 1942 par le préfet régional Quénette qui déclare lors de son entrée en fonctions qu’il souhaite favoriser au maximum le développement des traditions, des tendances régionales et provinciales, selon la volonté du maréchal Pétain. En effet, Vichy souhaite développer une politique « provincialiste ». Dès le 19 avril 1941, Darlan a créé la fonction de préfet régional, pour assurer l’ordre public et le ravitaillement. Surtout, la première commission de « l’assemblée consultative » (nommée le 24 janvier 1941 pour jeter les bases de la future constitution) élabore un projet visant à établir vingt provinces (les anciennes provinces), chacune dirigée par un gouverneur assisté d’un conseil de notables nommés par le gouvernement. Le décret de la fin de l’année 1941 et la réponse qu’y apporte un membre du mouvement régionaliste breton sont un des éléments de cette politique « provincialiste » du régime vichyste, de même que l’autorisation d’enseigner les langues régionales : « Les instituteurs et institutrices sont autorisés à organiser dans les locaux scolaires, en dehors des heures de classe, des cours facultatifs de langue dialectale (langue basque, bretonne flamande, provençale…) dont la durée ne doit pas excéder une heure et demie par semaine (Arrêté du 24 décembre 1941)39. »

Le répertoire vocal du certificat d'études après le décret

40 Pour l’année 1941, la première donc du gouvernement de Vichy, la Marseillaise a été réduite au seul « couplet des enfants ». À l’heure de l’occupation, il n’est pas question,

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semble-t-il, d’inciter les écoliers à se dresser contre l’étendard de la tyrannie, ni « d’armer leurs bras vengeurs » contre des « cohortes étrangères » ! C’est au contraire le couplet le plus funèbre, et le plus doloriste qui est mis à l’honneur : « Nous entrerons dans la carrière Quand nos aînés n'y seront plus Nous y trouverons leur poussière Et la trace de leurs vertus Bien moins jaloux de leur survivre Que de partager leur cercueil Nous aurons le sublime orgueil De les venger ou de les suivre! »

41 Quatre autres chansons y sont associées, que l’on peut définir comme « traditionnelles » : Il pleut bergère ; À la volette ; La marche des rois et la Ronde de l’aveine. Trois d’entre elles d’ailleurs sont définies comme « chanson populaire (Berry, Poitou) », « noël provençal », et « chanson populaire » (Normandie, Île de France, Franche- Comté). En ce qui concerne l’année 1941-1942, aucune liste de chants n’apparaît dans les bulletins départementaux de l’enseignement primaire des départements bretons que nous avons dépouillés (ni d’ailleurs pour l’année 1943-44). Pour l’année 1942-1943, un bulletin départemental du Morbihan fait allusion au programme, mais sans en indiquer les titres : « L’Œuvre des Pupilles de l’Enseignement Public du Morbihan vient de faire paraître un recueil de Chants pour le Certificat d’Ėtudes primaires. Ce recueil contient huit chants, dont deux en breton et plusieurs tirés de mélodies populaires de la Bretagne et du Morbihan. M. le Recteur m’écrit à ce sujet : « Je donne toute mon approbation à cet ouvrage qui répond entièrement à l’esprit des décrets et instructions sur la place des dialectes régionaux dans l’enseignement primaire. J’ai pris beaucoup de plaisir à parcourir ce simple et charmant petit recueil ». Les instituteurs devront dès cette année et dans toute la mesure du possible, emprunter à ce recueil les chants présentés par leurs élèves au C.E.P.40. »

42 La liste des chants prescrits par l’institution figure dans un bulletin départemental des Côtes-du-Nord (1943) à la rubrique « Examens41 ». Pour le certificat d’études primaires, les titres précis des chants prescrits sont les suivants (avec, pour trois d’entre eux, mention de leurs éditeurs) : • En passant par la Lorraine (traditionnel) que l’on trouvait déjà en 1940 et qui manifestement n’est pas considéré comme gaulliste ; • Le Tisserand et Chanson provençale, extraits des Cinquante chants pour la jeunesse, aux éditions Hachette et signés de Maurice Bouchor, maintenu dans la liste officielle, malgré son passé dreyfusard, laïque et socialiste. Le Tisserand figurait aussi dans le recueil de Yann Kerlann cité plus haut ; • Joli tambour ; • et, au choix : Sur le pont de Nantes ou Kousk Breiz-Izel.

43 La chanson Sur le pont de Nantes n’est plus celle qui figurait en 1940. Il s’agit à présent d’un chant traditionnel breton, extrait du recueil Vingt chansons bretonnes, harmonisées par Georges Arnoux (p. 6). Kousk Breiz-Izel (littéralement « Basse Bretagne », mais généralement traduit par « Dors ma Bretagne ») est présenté comme « chant breton en langue bretonne », extrait de « Soniou feiz ha Breiz » (éditions de Feiz ha Breiz, place Émile Souvestre, Morlaix). Il est dû à l’abbé Le Maréchal (1877-1948). Le choix du morceau et de son auteur ne manquent pas de piquant, d’autant plus que la mélodie n’a

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aucune racine bretonne (elle viendrait d’un chant français intitulé En revenant de Chandernagor).

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Exemple musical n°2

Chant « Kousk Breiz-Izel », proposé au certificat d’études dans l’académie de Rennes en 1943

Cette chanson se présente comme une berceuse, dont voici la traduction très poétisée, proposée dans le livre de chants42 :

1 « Le soleil s’est couché Encore un jour de plus J’entends la cloche Sonner l’angelus

Refrain Dors, dors, Ô douce et belle Arvor Car c’est la nuit divine qui revient Dors, le flot de l’océan De son rythme lent berce tes enfants

2 Ô, sainte et douce Arvor Toujours, je veux t’aimer Ô, le plus beau pays Du monde entier »

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44 Ces deux listes de chants pour le certificat d’études primaires appellent un certain nombre de remarques : • les chants sont, pour l’essentiel, des chants traditionnels et régionaux ; • les chansons de Bouchor (héros de l’école de la Troisième République dont on pouvait penser que Vichy était l’adversaire inexpiable) figurent toujours dans les chansons mises au programme ; • l’arrêté de décembre 1941 a été suivi d’effet : une chanson de langue bretonne est proposée (au moins en Bretagne) ; • dans celle-ci, les références religieuses abondent (l’auteur est abbé) et il est symptomatique qu’elle soit issue d’un recueil édité par Feiz ha Breiz ; • La Marseillaise déjà diminuée en 1941, a totalement disparu.

45 Les « hésitations » dont parle Nathalie Dompnier concernant l’usage de la Marseillaise se révèlent ici43. Il semble que si La Marseillaise disparaît de la liste des chants imposés au certificat d’études, elle reste cependant largement présente lors des cérémonies officielles, dans le cadre scolaire ou extra-scolaire : « La maîtrise de l'hymne passe par la volonté de contrôle de son exécution mais aussi par son usage lors des cérémonies publiques […]. Si l'on recense les hymnes données lors des manifestations publiques (dans quatre départements français44), La Marseillaise et Maréchal nous voilà ! dominent largement. Sur 59 cérémonies étudiées, on décompte 97 hymnes interprétés, dont 73 Marseillaise, 15 Maréchal et 9 autres chants seulement45. »

46 En ce qui concerne la période étudiée dans cette recherche, il n’existe pas, dans le répertoire proposé pour le certificat d’études présenté en Bretagne, de chant spécifiquement « maréchaliste », ni d’injonction à exécuter Maréchal, nous voilà ! Si l'exécution de ce chant fut certainement effective dans les établissements scolaires, elle resta très informelle dans les écoles et rarement annoncée dans les textes officiels, comme nous avons pu le constater dans cette étude46.

47 En 1941, sous l'Occupation, le certificat d'études est réservé à des élèves généralement en fin de parcours scolaire. Les élèves qui sont destinés à entrer en 6e doivent passer quant à eux un diplôme d'études primaires préparatoires (DEPP). Si la réglementation de l'examen du certificat d'études fixe le régime des épreuves, elle ne définit aucun programme véritablement spécifique, sauf, comme nous l'avons souligné, pour l'épreuve de chant, qui comprend des œuvres imposées. Ces chants du certificat d’études firent ainsi longtemps figure du minimum de culture musicale nécessaire pour l’obtention d’un premier diplôme scolaire. Le choix du répertoire était loin d’être anodin et nous avons tenté dans cet article d’en montrer quelques enjeux en Bretagne. En 1937, Maurice Chevais, inspecteur divisionnaire de l’enseignement de la musique, dénonçait, comme nous l'avons vu, les maîtres qui ne faisaient chanter ces chants imposés qu’en vue d’un examen, ne donnant aucun enseignement musical aux élèves trop jeunes pour s’y présenter. Il redoutait que l’étude de ces chants choisis soit « routinière, machinale », « puisque le maître veut seulement s’acquitter d’une tâche imposée », en ajoutant que le même répertoire était « sans doute conservé pendant de nombreux lustres47 ». C’est sans doute en grande partie ce qui s’est passé pendant cette période de l'Occupation. Le gouvernement de Vichy ne semble pas s’être servi du chant

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scolaire pour développer la « révolution nationale », du moins de manière institutionnelle telle qu’on peut la saisir à travers les épreuves du certificat d’études. Un instituteur ne put, semble-t-il, être déconcerté ni par le programme vocal proposé par le Ministère, ni par la manière de l’enseigner. Proposer un chant en langue « dialectale » ne fut véritablement qu’une goutte d’eau par rapport à ce qu’espéraient des militants bretons, tel Yann Fouéré pour qui « l’avènement du nouveau régime […] avait soulevé de magnifiques espoirs […]48 ». Combien de maîtres choisirent de faire apprendre à leurs élèves la berceuse bretonne prescrite par les autorités ? Si les prescriptions restent, il est difficile, voire impossible, d’évaluer l’impact réel de ces injonctions ministérielles de 1941. Quant à la dimension emblématique de l'examen vocal du certificat d'études, elle va se confirmer avec force en mars 1945 avec la nouvelle liste de chants au répertoire qui ne comportera que des chants hautement patriotiques et à couleur nationale : La Marseillaise (couplets 1, 3, 4, 6 et 7 de la version originale), La Marche Lorraine (en entier), Le chant du départ (couplets 1, 2 et 3) et enfin, au choix pour les maîtres, Le chant des Girondins (en entier) ou Le Régiment de Sambre-et- Meuse (couplets 1 et 3).

ANNEXES

Annexe : Diplôme du CEP délivré en 1943 dans l’académie de Rennes (département du Finistère).

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NOTES

1. SAVOIE, Philippe, Quelle histoire pour le certificat d'études ? Histoire de l'éducation (En ligne), 85/2000, mis en ligne le 23 mars 2009, consulté le 10 mai 2010. URL : http:// histoire-education.revues.org/124 ; DOI:10400/histoire-education.1234.pp 49-72.

2. CARPENTIER, Claude : Histoire du certificat d'études primaires. Textes officiels et mise en œuvre dans le département de la Somme, 1880-1955, Paris, L’Harmattan, 1996 ; DANCEL, Brigitte, Enseigner l'histoire à l'école primaire de la IIIe République, Paris, PUF, 1996 ; BEAUJARD, Paul, L'établissement du certificat d'études primaires dans le département de la Loire. 1876-1886, Saint-Étienne, Arch. dép. de la Loire ; KIEFFER, Jean, Le certificat d'études primaires en Moselle dans l'entre-deux-guerres, Metz, Éditions Serpenoise, 1999. 3. CABANEL, Patrick, La république du certificat d'études. Histoire et anthropologie d'un examen (XIXe-XXe siècles), Paris, Belin, 2002. Sur la soixantaine de pages du chapitre 3, consacré aux « savoirs du certificat d'études », une page et demie est consacrée à l'épreuve de chant. 4. Ibidem, p. 150. 5. SAVOIE, Philippe, Quelle histoire…, op.cit. p. 13. 6. En Côtes-du-Nord : 34,7 % des élèves sont scolarisés dans le privé en 1930, 34,4 % en 1938 ; dans le Finistère : 35,1 % en 1930, 37,1 % en 1938 ; en Ille-et-Vilaine : 53,8 % en 1930, 54,6 % en 1938 ; en Loire-Inférieure : 50,6 % en 1930, 47,9 % en 1938 ; dans le Morbihan : 56,9 % en 1930, 54,7 % en 1938 (BENSOUSSAN, David, Combats pour une Bretagne catholique et rurale, les droites bretonnes dans l’entre-deux-guerres, Paris, Fayard, 2006, p. 251). 7. LAMBERT, Yves, Catholicisme et société dans l’Ouest, T. 1, le XXe siècle, (Rennes, INRA-IAREH, 1979), cité par LAGRÉE, Michel, Religion et culture en Bretagne 1850-1950, Paris, Fayard, 1992, fig. 57. 8. LAGRÉE, Michel, Religion et culture…, op. cit., p. 266-272.

9. BENSOUSSAN, David, Combats pour une Bretagne…., op. cit., p. 226.

10. LE SQUER, Francis, Les espoirs, les efforts et les épreuves du mouvement breton catholique de 1891 à 1945, Thèse présentée pour le doctorat nouveau régime en théologie catholique, 1997, p. 236. 11. BENSOUSSAN, David, Combats pour une Bretagne…, op. cit.

12. CABANEL, Patrick, La république du certificat…, op.cit., p. 231.

13. CHEVAIS, Maurice, Éducation musicale de l’enfance, Paris, Leduc, 1937, p. 44. 14. Extrait de l’article « Intuition » du Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, publié sous la direction de F. BUISSON, Paris, Hachette, 1882. 15. Bulletin de l’instruction primaire, mars 1942. 16. BOUQUIN, Marcel, La réforme de l’enseignement - L’enseignement primaire élémentaire – recueil de textes officiels publié sous les auspices de l’association nationale des œuvres scolaires et post-scolaires de l’enseignement public, Tourcoing, 1942, Préface, p. 3 17. CORCY-DEBRAY, Stéphanie, Jérôme Carcopino, un historien à Vichy, Paris, L’Harmattan, 2001. 18. COUSIN, Bernard, L’enfant et la chanson, Paris, Messidor, 1988, p. 130.

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19. Anthologie du chant scolaire et post scolaire publiée sous la direction de la Société française « l’Art à l’École » – 1re série Chansons Populaires des Provinces de France, 8° fascicule Alpes et Méditerranée, Paris, Heugel,1925. 20. Par exemple, dans le chant intitulé « Les vaillants du Temps jadis », air provençal dans Anthologie du chant scolaire…, op. cit. 21. CHANET, Jean-François, L’école républicaine et les petites patries, Paris, Aubier, 1996, p. 316. 22. Ibidem, p. 317. 23. LE SQUER, Francis, Les espoirs…, op. cit., p. 407-408 ; il s’appuie sur le témoignage des Caouissin, dont un des frères, Herry, fut secrétaire de l’abbé Perrot. Rappelons que ce dernier fut le fondateur du Bleun-Brug (« fleur de bruyère », mouvement breton catholique), qu’il entretint « d’étroites relations avec différents activistes du mouvement nationaliste Breiz Atao » (pour reprendre la formulation de F. Le Squer) et qu’il fit lui aussi parti du Comité consultatif de Bretagne de Vichy. 24. Bulletin Départemental du Finistère, 36e année, n° 258, janvier-février 1940 (même texte dans le B.O. de l’instruction primaire du Morbihan, janvier 1940, n° 234, p. 281). Il n’existe pas, à l’époque, de publication ministérielle centrale. 25. CABANEL, Patrick, La république du certificat…, op. cit., p. 152, propos rapporté par M. CHEVAIS, dans La musique à l’école, mars 1914, p. 74. 26. Journal officiel de l'État français du 2 septembre 1941, p. 3715-3716. 27. Il le sera de février 1941 à avril 1942. 28. Journal officiel de l'État français du 27 décembre 1941, p. 5562. 29. Cette dernière circulaire est tout à fait intéressante par rapport à ce que doit être la langue enseignée : « Il semble donc que la méthode la plus rationnelle consisterait pour l’instituteur ou l’institutrice de chaque école où sera institué l’enseignement dialectal, à partir du parler populaire en usage dans la localité, à en dégager les éléments de la grammaire et du vocabulaire qui le caractérisent […] par rapport à la langue commune non romane (basque, breton, flamand) pour aborder ensuite la lecture et le commentaire des œuvres écrites dans le « dialecte » le moins éloigné du parler local. Ce n’est qu’après des essais de cette nature que pourraient être publiées des grammaires et des recueils de textes dont l’emploi s’étendrait tout naturellement et de lui-même à des groupes variables de parlers cantonaux, régionaux ou provinciaux. La méthode inverse, qui imposerait d’emblée aux élèves l’apprentissage d’un idiome qui ne serait pas exactement celui qu’ils pratiquent dans la vie courante risquerait de les déconcerter en leur imposant un effort dont ils n’apercevraient sans doute pas immédiatement tout l’intérêt et le profit. » 30. G AY-LESCOT, Jean-Louis, L’éducation générale et sportive de l’État français de Vichy (1940-1944) », thèse présentée à l’université de Bordeaux III pour l’obtention du doctorat d’université, 29 avril 1988. Rappelons que dans la répartition horaire des matières, trois heures sont consacrées à l’ensemble « éducation physique et chant ». 31. Présentation par Jérôme Carcopino de « l’Organisation générale de l’enseignement public », dans BOUQUIN, Marcel, La réforme de l’enseignement…, op. cit.

32. TALDIR, Chansons bretonnes pour la jeunesse, Vannes, Lafolyes frères et J. de Lamarzelles, 1942, préface.

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33. L'Union régionaliste bretonne est le premier parti régionaliste breton, créé en 1898 à Morlaix, dans le Finistère. 34. F AVEREAU, Francis, Anthologie de la littérature bretonne au XXe siècle, Morlaix, Skol Vreizh, 2002, p. 74. 35. Théodore Botrel (1868-1925), originaire de Haute-Bretagne, était auteur, compositeur et interprète. Il a connu la célébrité avec la chanson « La Paimpolaise ». 36. Georges Arnoux est né en 1891 à Paris, mort en 1972 à Vevey (Suisse). S’intéressant à la Bretagne et à la culture bretonne, il s’est investi dans différents mouvements culturels bretons (Seiz breur, Cercle celtique de Paris, fêtes du Bleun brug). 37. KERLANN, Yann, Trente chansons bretonnes pour les écoles, Ar Falz, 1936, Avertissement de l’éditeur, p. 3. 38. Cité par LE BOTERF, Hervé, dans La Bretagne sous le gouvernement de Vichy, Paris, France-Empire, 1982, p. 87. 39. Journal officiel de l'État français du 27 décembre 1941, p. 5562. 40. Bulletin Officiel de l’Instruction Primaire – Département du Morbihan, n° 245, juin 1942- janvier 1943. 41. Bulletin officiel de l'Instruction Primaire – Département des Côtes-du-Nord, 1943, p. 508. 42. N’étant pas spécialistes de la langue bretonne, nous ne nous attarderons pas ici sur les traductions des chants utilisés, ni surtout sur le breton utilisé, bien que la question ne soit pas anodine, cf. LAGRÉE, Michel, Religion et culture…, op. cit.

43. DOMPNIER, Nathalie, Vichy à travers chants, Paris, Nathan, 1996, p. 83-84 : « La période du régime de Vichy s'inscrit, malgré des hésitations, dans la tradition du recours à La Marseillaise comme hymne, symbole politique de la France […]. Que la mémoire collective retienne Maréchal, nous voilà ! comme hymne officiel du gouvernement de Vichy montre à quel point les Français répugnent à partager leur hymne national avec ce régime. » 44. Départements de l'Isère, du Puy-de-Dôme, de la Savoie et de la Haute-Savoie. 45. DOMPNIER, Nathalie, op. cit., p. 94. 46. Par ailleurs, dans ce panorama de la chanson scolaire, et à l’heure des chantiers de jeunesse, nulle mention dans les programmes n’est faite des chants scouts qui se propageaient alors au sein de la jeunesse, comme en témoigne la dizaine de recueils conservés au Centre de recherche en histoire de l’éducation des Côtes-d’Armor (Chansons Jeune France de René Delfau, ou Chansons de route de Pierre d’Anjou). 47. CHEVAIS, Maurice, Éducation musicale…, op. cit., p. 45.

48. Cité par NICOLAS, Michel, dans Histoire du mouvement breton, Paris, Syros, 1982, p. 288.

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RÉSUMÉS

Les travaux sur la vie musicale en France pendant l’occupation ont montré dans quelle mesure tant l’Allemagne que Vichy avaient exercé une emprise sur la musique à partir de 1941. Cet article s’intéresse de façon plus précise à un décret concernant le répertoire vocal scolaire, paru le 25 juin 1941. Celui-ci autorise l’enseignement des chants « dialectaux et folkloriques » qui peuvent faire l’objet d’une épreuve aux examens du Certificat d’études primaires. En Bretagne, la réédition du recueil Chansons bretonnes pour la jeunesse de François Jaffrenou, dit Taldir (1942) constitue une réponse à cette prescription ministérielle. Comment cette parution s’articule-t-elle avec les préoccupations vichystes concernant l’éducation de la jeunesse ? Cette étude aborde cette question en mettant le recueil de Taldir en relation avec d’autres répertoires vocaux scolaires antérieurs ou contemporains et avec les chants prescrits au Certificat d’études Primaires, en Bretagne, sous l’Occupation.

Research into French musical history during the Occupation has highlighted the extent to which both Germany and Vichy-France had a hold over music after 1941. This paper focuses more specifically on the decree passed on 25 June 1941 concerning the repertoire of songs to be sung in schools. The decree authorised the teaching of educational and “traditional folk songs” that could “be the subject of testing for the Primary Education examination”. In Brittany, the new edition of Chansons bretonnes pour la jeunesse by François Jaffrenou, alias Taldir (1942), is evidence of the local response to this ministerial instruction. How did this publication relate to Vichyist concerns about education? This paper aims to answer this question by comparing this work with the songs chosen during the Occupation for the primary school certificate and with other educational works of the vocal repertoire, both past and present.

INDEX

Index géographique : Bretagne Index chronologique : XXe siècle

AUTEURS

CÉCILE VENDRAMINI Maître de conférences en musicologie à l’ESPE de Bretagne (École Supérieure du Professorat et de l’Éducation, Université de Bretagne Occidentale), et membre du Centre de recherche en éducation, apprentissage et didactique – (CREAD, Université de Rennes 2)

JEAN-PIERRE RIVENC Professeur agrégé d’histoire et géographie et docteur en histoire (Histoire et littérature sociale)

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Élaboration et évolution du discours touristique sur un espace rural : l’exemple du Marais breton The Formulation and Evolution of Tourism Discourse in a Rural Area: The Example of the Breton Marsh

Johan Vincent

1 Dans un article précédent1, je m’étais intéressé au rôle des guides touristiques dans la communication des stations balnéaires, prompts à créer des lieux idéaux, en renforçant les atouts des destinations – encouragés ainsi à être mieux mis en valeur localement – et, éventuellement, en réduisant l’impact de leurs défauts. Mais comment ce rôle de garant2 se traduit-il sur un espace qui se trouve aux abords d’une région touristique, sans être, à l’origine du moins, touristique lui-même ? Étudions-le à partir d’un cas particulier : le Marais breton. Cet espace géographique se situe au bord de l’océan Atlantique, à la frontière des départements de la Loire-Atlantique et de la Vendée. Doté d’un réseau de canaux et de prairies humides, il a été constitué à partir du XIe siècle par poldérisation sur la baie de Bourgneuf et sa superficie atteint aujourd’hui environ 450 km².

2 Pour comprendre le discours touristique sur le Marais breton, un corpus de 48 guides locaux ou régionaux grand public a été établi, dont une partie a été rassemblée au cours d’une mission destinée à constituer le cahier de contenu sur le tourisme, effectuée pour le programme de recherche « Muséographie 2013-2016 » de l’écomusée du nord-ouest vendéen, Le Daviaud. Le plus ancien guide évoquant la région est imprimé en 18293, le plus récent date de 20134. Chaque texte a été recopié au mot près (environ 378 000 caractères espaces compris) mais les images n’ont pas fait l’objet d’une étude précise. Notons tout de suite que le corpus présente une faiblesse puisque, avec trois exemplaires, les années 1980 sont sous-représentées. Ceci s’explique par plusieurs raisons : les bibliothèques des communes du Marais breton renouvellent régulièrement leur collection de guides sans constituer de fonds anciens, vendant les anciens exemplaires dans des opérations de déstockage ; la bibliothèque du Touring-Club de

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France cesse ses activités en 1983 et, bien qu’elle soit encore alimentée, elle a sans doute été moins bien approvisionnée le temps de son transfert à la Ville de Paris ; les centres des archives départementales ne paraissent pas avoir reçu ou acheté d’exemplaires de guide, sauf ceux d’organismes départementaux (comme les comités départementaux de tourisme) ; les centres des archives municipales, quand ils existent et quand leurs fonds sont classés, possèdent des versements anciens mais pas toujours les archives des syndicats d’initiatives alors constitués sous des formes distinctes des services municipaux (ex. : SIVOM, SEM), encore en activité.

3 Le discours touristique portant sur le Marais breton au cours des deux derniers siècles se forge alors que deux évolutions se dévelopent : la reconnaissance locale du territoire, teintée progressivement de patrimonialisation, et son appropriation touristique. Quels sont les croisements qui s’opèrent dans l’élaboration des thématiques ? Cet article a été réalisé en s’appuyant partiellement sur une analyse de l’ensemble du contenu de ces guides, en utilisant le logiciel de traitement quantitatif de données Tropes (version 840), développé par Pierre Molette et Agnès Landré, sur la base des travaux de Rodolphe Ghiglione (http://www.tropes.fr). Il ne fait pas une analyse linguistique de l’objet étudié et nous ne nous attarderons pas non plus sur l’interaction des collections avec le lecteur5, nous préférerons une analyse globale. Dans un premier temps, nous allons voir comment est caractérisé le Marais breton, puis nous analyserons le discours touristique selon trois périodes pour enfin nous attarder sur la dernière phase chronologique, quand patrimonialisation et touristification de l’espace se développent.

Caractéristiques du Marais breton dans les guides

Un site à dimensions variables

4 L’identification du Marais breton a été progressive. Tout d’abord, cet espace s’est étendu, par endiguements successifs, jusque dans les années 1960. Cet espace, appelé Marais breton, marais du Nord ou marais de Challans, afin de le distinguer du Marais poitevin, dit aussi marais du Sud ou marais de Luçon, est décrit comme une vaste plaine basse, unie, humide et nue, conquise sur la baie de Bourgneuf par les atterrissements de la mer qui décante ses vases à l’abri de la digue naturelle formée par l’île de Noirmoutier et par l’exhaussement du sol6. Les guides du XIXe siècle prévoyaient un endiguement complet de la baie de Bourgneuf, reliant l’île de Noirmoutier au continent, avant la fin du XXe siècle selon certains, ce qui faillit bien advenir 7. En 1927, le guide Bleu rappelle que depuis un siècle, le territoire de Bourgneuf-en-Retz aurait gagné plus de 500 hectares8. La notion d’ « île » est fréquemment évoquée : Bouin était ainsi une île au XIXe siècle et ce souvenir perdure dans les discours jusqu’à nos jours. Sa superficie varie d’un guide à l’autre, de 20 000 à 50 000 hectares, d’ailleurs indépendamment des endiguements.

5 Ensuite, le Marais breton se trouve sur les marches historiques de la Bretagne et du Poitou. Les guides ne manquent pas de souligner cette caractéristique, en particulier pour décrire la ville de Bouin où siégeaient le sénéchal du Poitou et le sénéchal de Bretagne. Quatre communes du marais font désormais partie de la Loire-Atlantique tandis que dix-huit communes (en englobant des communes comme Saint-Gilles-Croix- de-Vie et Commequiers, qui sont situées à la frontière sud de cet espace) se trouvent en Vendée. La limite départementale va cependant scinder le Marais breton, en

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distinguant les communes vendéennes des communes de Loire-Atlantique, généralement marginalisées. Le nom même de Marais Breton-Vendéen que tente d’imposer le conseil général de la Vendée est révélateur de cette marginalisation souhaitée par certains, bien que la première mention de ce nouveau nom dans les guides soit finalement tardif (Guide du Routard sur les Pays-de-la-Loire de 2007). Bizarrement, les guides de Loire-Atlantique ont même eu le réflexe d’englober dans leur propos l’île de Noirmoutier et le passage du Gois (situés en Vendée), plutôt que le Marais breton, même si cette île était facilement accessible par bateau via Pornic.

Le Marais breton au début du XXIe siècle

6 Enfin, les limites du Marais breton sont difficiles à identifier parce qu’il n’existe pas de centralité. Ainsi, dans l’édition de 1897 comme dans celle de 1912, quand le Bædeker décrit en une dizaine de lignes le Marais poitevin, le Marais breton n’a droit à aucun paragraphe distinctif ; seules les communes qui le composent sont évoquées. De plus, si les auteurs utilisent comme synonyme l’expression « marais de Challans », il faut savoir que le bourg de Challans ne se trouve pas dans le marais mais au bord du marais, à la limite avec le bocage. Il n’existe aucune grande ville dans le marais. Les subtilités ajoutées sèment plutôt la confusion. L’auteur du Guide pittoresque du voyageur en France : département de la Vendée, vers 1850, divise le territoire en trois parties : marais desséché, marais mouillé et marais salants, mais son propos se situe à l’échelle départementale, sans lien avec le marais Breton9. L’auteur du guide Bleu Pays de la Loire de 1995, quant à lui, délimite arbitrairement les secteurs : marais de Bouin ou marais Nord d’un côté, marais de Monts de l’autre. Le marais de Monts serait plus dévolu à l’élevage10. Dans la réalité, les seules limites pertinentes à l’intérieur du Marais breton sont celles entre le marais doux et le marais salé, mais elles sont quasiment inconnues des auteurs des guides, à l’exception de deux auteurs dont les propos, rattachés au musée du Daviaud, sont très vagues11. Îles et espaces dunaires anciens disparaissent dans les descriptions

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générales. L’espace du Marais breton peut donc s’avérer complexe et difficile à appréhender touristiquement. C’est une complication que l’on peut retrouver pour d’autres territoires ruraux, comme la Brenne, dans l’Indre12.

Un espace terrestre dominé par l’eau

7 Afin de faciliter la reconnaissance touristique du milieu, les auteurs des guides choisissent d’identifier le marais Breton comme un espace où l’eau est omniprésente. « Ses plats paysages [sont] sillonnés d’étiers et de canaux, à la poésie si particulière. Leur forme même dit le long travail de l’homme pour la conquête sur la mer. Rien n’arrête la lumière qui rase ces basses terres aux contours seulement soulignés par la ligne sombre des paysages plus élevés qui l’entourent. Le marais blanc de l’hiver, couvert d’eaux stagnantes, verdit au printemps en un immense tapis d’herbe, puis se change l’été en un paillasson jaunissant à la sécheresse13. »

8 En termes de paysages, ce triptyque temporel reste néanmoins tardif, puisque la première mention du marais blanc dans un guide date de 1971 et se rapporte à un film, Mon marais blanc, projeté au palais des congrès de Saint-Jean-de-Monts14. Le marais blanc désigne le marais entièrement inondé qui, sous un ciel gris, prend cette couleur. Alors qu’on peut considérer que le marais n’a plus jamais été blanc depuis 1987, cette mention est systématiquement reprise à partir des années 1990. Par contre, les auteurs des guides précédents ont de nombreux moyens de faire savoir que l’eau est omniprésente en hiver, en relation avec le mode de déplacement des maraîchins : la yole, ou niole, une barque à fond plat, et Eugène Genoude constate dès 1829 que « le Marais est couvert de barques dans l’hiver15 ».

9 Le logiciel Tropes désigne une prédominance des thématiques relatives à l’eau dans les deux univers de référence16. Dans le contexte général, sur l’ensemble des guides, les mots « mer » (2e rang, 901 occurrences), « eau » (3e rang, 853 occurrences), « marine » (11e rang, 322 occurrences) sont très présents. Dans le contexte détaillé, les mots ou expressions « cours d’eau » (2e rang, 721 occurrences), « mer » (3 e rang, 694 occurrences), « île » (13e rang, 195 occurrences), voire « port » (17 e rang, 152 occurrences) se rapportent à l’univers aquatique. Le premier rang est à chaque fois occupé par une référence générale liée aux noms de lieu (France et Pays-de-la-Loire).

10 Seule survivance de cette omniprésence de l’eau, l’étier demeure un élément important. Le mot est utilisé dans de nombreux guides depuis le milieu du XIXe siècle. Dans le Marais breton, il a un sens plus large que celui d’un canal conduisant l’eau de mer dans les marais salants : il sert à drainer les terres du marais en conduisant l’eau recueillie vers la mer et, pour le cas du marais salé, en amenant au moment de la marée haute l’eau de mer vers l’intérieur du marais. S’il est absent, c’est le mot « canaux » qui le remplace, avec une moindre utilisation depuis le milieu des années 1990. Les deux termes sont parfois associés. Au cours de la visite, cette caractéristique permet une reconnaissance immédiate du Marais breton par rapport aux autres territoires environnants : s’il est difficile à appréhender à la petite échelle (aspect global), il est de suite identifié à la grande échelle (aspect local).

Des lieux marqués par la religion et la tradition ?

11 Avec 538 occurrences dans le contexte général (6e rang), 314 dans le contexte détaillé (7e rang, à quoi se rajoutent les 195 occurrences de « christianisme » et son 12e rang), la

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place de religion dans les guides ne peut être ignorée. Mais cette thématique n’est pas facile à aborder car elle recouvre plusieurs sujets : les bâtiments religieux, la pratique religieuse, l’histoire de la Vendée durant la Révolution française.

12 La mention de la religion est moins marquée dans les guides d’avant la Première Guerre mondiale. Cette faiblesse est due à l’absence d’intérêt pour les églises locales. Les églises sont pour la première fois mentionnées dans le guide d’Adolphe Joanne de 1886 sur la Vendée, dans le descriptif alphabétique de chaque commune : celles de Beauvoir- sur-Mer, de l’Île-Chauvet à Bois-de-Céné, de Bouin, de Notre-Dame-de-Monts, de Saint- Gilles-sur-Vie, de Sallertaine, de la Lande-en-Beauchêne à Sallertaine, dont deux à l’état de ruines17. En Loire-Atlantique, seule l’église de Bourgneuf-en-Retz, « belle église ogivale moderne », retient l’attention de l’auteur18. Sans les guides Joanne, nous n’aurions d’ailleurs quasiment aucune mention des églises au XIXe siècle, puisque seul Ardouin-Dumazet évoque une église, celle de Beauvoir-sur-Mer, « dont la flèche s’aperçoit de si loin, [et qui] n’a aucun caractère19 ». À partir de 1910, la mention des églises va devenir plus systématique. Au XXe siècle sont mentionnées principalement les églises de Saint-Martin à Sallertaine, de Notre-Dame à Bouin, de Saint-Philbert à Beauvoir-sur-Mer et l’abbaye Notre-Dame de l’Île-Chauvet. Formulons comme hypothèse que l’on retrouverait la même évolution dans tout discours touristique sur un territoire rural français, mais cela reste à démontrer. Quant à la pratique religieuse, corollaire potentiel à l’usage des églises, elle n’apparaît que dans un seul guide, en 1970, et dans la réédition de ce guide en 1974, pour décrire le maraîchin20. C’est peu.

13 Le désintérêt pour les bâtiments religieux peut paraître surprenant quand on sait que les premiers grands endiguements ont été effectués par les moines, en particulier ceux de l’abbaye de l’Île-Chauvet. L’histoire de l’action des moines n’est évoquée qu’à partir du milieu du XXe siècle21 et l’abbaye de l’Île-Chauvet n’est auparavant citée que pour ses « restes » ou « ruines », sans que son histoire soit développée. Nous avons en fait un basculement de l’intérêt touristique, de la géologie, très présente dans les premiers guides comme le montre le logiciel Tropes (sous le vocable « minéral », au 11e rang du contexte général pour les guides avant 1914, 12e rang pour les guides entre 1914 et 1960 et au 26e rang pour les guides après 1960, enfin 30e rang après 1990), à l’histoire de la constitution du marais. Il s’agit là d’une adaptation du contenu des guides aux appétences du public, peu familier dorénavant avec la géologie mais plus séduit par le génie humain.

14 Le Marais breton est également rattaché à quelques épisodes de la Révolution française dans les guides touristiques mais les mentions sont finalement rares. Eugène Genoude explique en 1829 que, cerné par quarante mille hommes, il est resté inexpugnable grâce à la facilité de lâcher les écluses et d’inonder le pays22 ; un parti pris idéologique puisque les armées républicaines ont meurtri plusieurs communes de la région. Plus souvent est remémoré le mouvement insurrectionnel qui débute par les massacres de Machecoul en mars 179323, qui se poursuit par la prise de Challans sous l’autorité de François Athanase Charette de La Contrie que les hommes étaient allés chercher dans son manoir de Fonteclose, à La Garnache (9 kilomètres au sud de Machecoul, 5 kilomètres au nord de Challans). Sont également rappelés les derniers jours de la première campagne de l’armée de Charette, quand l’armée républicaine entre le 6 décembre 1793 dans la ville de Bouin, déserte, car les hommes avaient fui par les canaux et les étiers tandis que les femmes s’étaient cachées dans le clocher de l’église24. La reconstruction de cette église en 1875 n’a pas tout à fait coupé le lien avec cette

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histoire. La tentative de soulèvement de la Vendée par Louis de La Rochejaquelin en 1815 est également mentionnée à plusieurs reprises, surtout avant la Première Guerre mondiale. Cet épisode est à chaque fois mis en relation avec la stèle du lieu-dit des Mathes, là où il fut abattu, même s’il y a deux mentions du lieu de son enterrement provisoire au Perrier25. À part chez Eugène Genoude, les points de vue idéologiques de la population locale sont toujours passés sous silence. L’historien Alain Gérard rappelle à ce propos que la théorie d’un peuple fidèle à sa foi est sans doute une construction mémorielle récente26, ce qui expliquerait le peu de place accordée à cette question dans les guides. L’histoire révolutionnaire est peu mise en avant localement, comme le prouve une longue absence d’entretien du monument des Mathes, jusqu’en 1996, ou le délitage de l’intéressant monument funéraire de François Crochet, dans les bras duquel La Rochejaquelein est mort. De plus, le Marais breton a une position à part dans l’histoire des guerres de Vendée mais cet aspect est complètement occulté.

Une élaboration touristique progressive

Avant 1914 : découverte éthérée et inquiétante du Marais breton

15 Dans un premier temps, le discours touristique se réfère à des généralités sur le Marais. L’appréhension apparaît neutre chez certains. Eugène Genoude compare le Marais, menacé sans cesse par la mer, aux plaines de la Lombardie27. Pour d’autres, l’aspect malsain du site en déconseille le séjour. La ville de Bourgneuf-en-Retz apparaît ainsi comme « bâtie sur un terrain bas et marécageux, près d’anciens marais en partie desséchés qui en rendent le séjour malsain28 ». L’auteur du guide sur la Vendée, dans la même collection, est plus disert sur les marais : marais desséché, marais mouillé, marais salants mais il signale que « l’air du marais est en général chargé de vapeurs humides et malsaines qui s’élèvent des fossés et des canaux, et qui entraînent avec elles les émanations délétères des plantes, des insectes et des reptiles qui périssent et se décomposent dans les eaux29 ». Cette critique perdure longtemps, puisqu’on la retrouve dans le guide Joanne de 1894. Le discours change au tournant des XIXe et XXe siècles. Le guide Les petits trous pas chers rassure les touristes qui souhaitent aller dans la station balnéaire de Saint-Jean-de-Monts : « au nord et au nord-est, des marais l’entourent, mais ces marais n’ont rien de pernicieux et il faut se garder de s’effrayer du mot. On y pêche quantité d’anguilles30 ». Le Marais devient un lieu de promenades : « L’ancienne île de Bouin et quelques îlots calcaires comme celui de Sallertaine sont aujourd’hui empâtés dans cette plaine aux belles prairies sillonnées de canaux à marée, ou « étiers », et de rigoles que les Maraîchins parcourent sur de petits bateaux plats et sautent adroitement à l’aide d’une perche ou "tringle" [sic : mauvaise compréhension de l’auteur, il s’agit de la ningle]. L’ancien rivage se reconnaît partout autour du Marais à son aspect verdoyant et ses haies vives qui contrastent avec la nudité des terres nouvelles31. »

16 Les hommes sont clairement individualisés en termes de race. Adolphe Joanne relaie, dans ses éditions de 1886, de 1896, de 1900, l’idée que cette terre plate est habitée par une race qui, dit-on, ressemble assez peu aux hommes du bocage vendéen32. Leurs attributs sont néanmoins idéologisés. Pour le royaliste Eugène Genoude, en 1829, « les habitants du Marais sont très forts. C’est une race d’hommes particulière. Le Marais peut fournir dix mille hommes à la cause royale33 ». Pour l’auteur du Guide pittoresque du voyageur en France : département de la Vendée, vers 1850, l’habitant du marais n’est en

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général ni aussi fort, ni aussi vigoureux que celui du bocage : en fait, la proximité de l’eau et de l’air du marais altère sa santé. Il décrit un être rousseauiste sans le savoir : « À l’exception [des gros propriétaires], que leur commerce oblige à de fréquents déplacements, les habitants du marais, privés de toutes communications avec les villes, sont généralement grossiers, incivils, et passent pour n’avoir qu’une intelligence médiocre. Leur vie doit paraître triste et misérable : cependant, ces digues isolées, ces demeures presque cachées sous les eaux, renferment une population heureuse de son sort. […] Point de procès, point d’ambition, point d’orgueil, point d’attache trop vive aux biens de la terre ; son seul désir, c’est de rendre heureux tout ce qui l’entoure. Sa paroisse et les villages voisins, voilà tout ce qu’il connaît de la France. Content de son état, il ne cherche point à en sortir ; il n’a nul besoin de la protection des autorités, nulle envie d’obtenir la bienveillance du riche ; il est roi dans sa cabane. […] Le marais, les digues, les canaux et les fossés, les barques qui s’y croisent sous des berceaux de verdure, les déserts marécageux où l’on n’entend que le seul gazouillement des oiseaux, et, de loin en loin, le chant cadencé d’un yoleur, ont été son univers34. »

17 De telles mentions sur les habitants disparaissent au début du XXe siècle. Quelques rares monuments historiques sont signalés. Sur les dix guides qui décrivent nommément du patrimoine, sur un total de quatorze pour la période, trois éléments sont plus fréquemment cités : le monument dédié à Louis de La Rochejaquelein, héros révolutionnaire royaliste qui avait essayé de soulever la Vendée militaire en 1815 et qui finalement mourut lors du combat des Mathes, à Saint-Hilaire-de-Riez ; les traces du château démoli de Beauvoir-sur-Mer, où Henri IV survécut à une embuscade, même si l’anecdote n’est pas toujours rapportée ; l’église de Beauvoir-sur-Mer, avec son curieux clocher du XIIe siècle, essentiellement grâce aux guides Joanne. Leur position n’est pas hégémonique, puisqu’ils sont mentionnés la moitié du temps seulement. L’intérêt touristique de la zone apparaît donc modeste. Les autres éléments sont des églises (toujours grâce aux guides Joanne), des mégalithes, des châteaux, un fossé antique à Saint-Urbain et une tour présumée romaine à Saint-Gervais35, c’est-à-dire des monuments vraiment anciens dans un pays qui est présenté comme neuf. D’ailleurs, Léon Maître ose qualifier Bouin de site sans monument celtique, sans nom de village ancien : « Il ne pourra donc jamais se parer d’une haute antiquité36. » Le littoral commence déjà à attirer principalement les visiteurs : la première police municipale réglementant les bains à Saint-Jean-de-Monts date de 185037, le premier établissement de bains de Saint-Gilles-sur-Vie s’installe en 186338. L’attrait de la région n’est pas dans le Marais breton, qu’on s’empresse de traverser. En 1910, Henri Renaud enjoint néanmoins aux visiteurs d’excursionner dans les marais salants aux abords de la rivière Vie, avant qu’ils aient disparu39.

De 1914 à 1960 : marginalisation face au développement des stations balnéaires voisines

18 Les auteurs de guide tendant à se copier mutuellement, les caractéristiques qui émergent au début du XXe siècle se retrouvent dans les guides de l’entre-deux-guerres mais la priorité des guides est maintenant nettement balnéaire. Le guide Bleu Bords de la Loire et Sud-Ouest, de 1927, dépeint, dans son acception large, sept communes du marais en 662 mots tandis que les six communes du littoral dunaire (Saint-Gilles-sur- Vie et Croix-de-Vie n’ayant fusionné qu’en 1967) bénéficient d’un descriptif en 1518 mots40. Saint-Hilaire-de-Riez est la seule commune où les deux versants du territoire

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sont réellement explorés. Localement, les agents promoteurs du tourisme ont désormais assimilé cette priorité. Dans le guide de l’Union des syndicats d’initiatives de Vendée, paru en 1935, la côte est largement évoquée tandis que le Marais breton est mentionné uniquement dans l’itinéraire n° 6, « Environs de La Roche-sur-Yon-Le Marais Vendéen », en quatre pages, les quatre dernières pages (soit 2 % du volume de l’ouvrage)41. Dans les années 1950, les guides restent concentrés sur les stations balnéaires mais commencent à mentionner le marais, ses canaux, ses yoles et ses maraîchins.

19 Le professionnalisme des éditeurs des guides défavorise également les communes du Marais breton : plus aucune ville n’est désormais citée sans qu’un monument, qu’il soit naturel ou culturel, ne soit identifié. Or le Marais breton est réputé, à l’époque, pour ne pas disposer de patrimoine ancien exceptionnel et le patrimoine naturel local n’est pas encore reconnu. Conséquence de cet impératif, des communes sont désormais ignorées dans les guides : Bois-de-Céné, Châteauneuf, Le Fenouiller, Fresnay-en-Retz, Saint- Urbain sont oubliées ; Notre-Dame-de-Riez, Le Perrier et Sallertaine sont citées une fois, Saint-Gervais deux fois. Ces communes, modestes en nombre d’habitants, sont également éloignées des plages où s’accumulent les touristes, alors que les voies de communication sont encore peu praticables quand le voyageur souhaite sortir du réseau départemental. Il ne faut pas oublier que, l’hiver venu, le marais est complètement inondé et que les voies de communication secondaires ne doivent pas contrarier la navigation en yole durant une partie de l’année.

20 Les autochtones commencent à revenir dans les discours touristiques à partir de la moitié du XXe siècle, par petites touches. L’écrivain Jean Yole décrit les paysages et l’homme, dans ses occupations hivernales, quand « tout le marais alors lui appartient, et quand il passe sur sa yole, qu’il pousse avec élégance et adresse, son canardier à portée de sa main, il a l’air d’un gentilhomme chasseur42 ». Il évoque l’importance de l’élevage industriel, « de ces canetons challandais si réputés, dignes de finir, numérotés, à la Tour d’Argent43 ». La présence de l’habit ou du costume est parfois indiquée, comme la coiffe portée à Bourgneuf-en-Retz vers 1840, en forme de hennin très allongé44, ainsi que les danses maraîchines, qui ont lieu à chaque fête45. La mention de la pêche aux anguilles dans le Marais, disparue depuis cinquante ans, revient46. Une photo isolée, légendée « Bourrine et moulin en pays maraîchin », montre bourrine, étier et moulin ailé, avec poteau électrique, dans le guide Rouge de 1957 mais l’auteur ne s’étend pas sur la région présentée comme « une contrée cultivée dominant le Marais vendéen sillonné de canaux47 ».

De 1960 à nos jours : une prise de conscience de l’intérêt touristique du marais Breton

21 L’édition de 1960 du guide Rouge Vendée, Charentes et plages, Poitou, Saintonge, Angoumois, présente une modification intéressante du discours touristique sur la région : elle comporte une introduction où les Marais, tant breton que poitevin, sont qualifiés de régions les plus pittoresques du Poitou48. Cette introduction n’existait pas dans l’édition de 1957. Le Marais breton obtient une réelle identité : gastronomique, avec notamment le canard challandais mis en lumière lors du mariage du prince Rainier de Monaco et de Grace Kelly en 1956, au cours duquel il fut servi ; paysagère, car l’espace est marqué par l’horizontalité et quelques points hauts, souvenirs des anciennes îles ; emblématique,

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quand yole ou niole, selon la prononciation, et bourrine sont systématiquement évoquées ; ethnographique, avec le maraîchinage. Le maraîchinage a été étudiée par l’érudit local Marcel Baudouin à la fin du XIXe siècle mais la première mention de cette pratique dans un guide date de 1965, dans le guide Michelin49, alors qu’elle n’existait plus dans les faits. Marcel Baudouin explique que la pratique du maraîchinage « consiste dans un accouplement bucco-lingual [prolongé], effectué, dans des conditions données, entre un jeune Maraîchin et une jeune Maraîchine, à l’âge où l’amour pousse dans le cerveau très neuf de nos alertes et vigoureux compatriotes, au moment où les sens s’éveillent50 ». L’ensemble de ces caractéristiques demeure exploité aujourd’hui : même le maraîchinage est encore cité dans le guide BaLaDO de 201351. Cette période consacre donc un début de fixité de l’identité touristique du Marais breton.

22 Le Marais breton bénéficie d’une meilleure appréhension par les touristes grâce à l’ouverture du pays dans les années 1950 et 1960, ce qui bouleverse les traditions des habitants. Au même moment, des chercheurs, comme Claude Lévi-Strauss ou Edgar Morin, examinent la vie sociale rurale française, dans le village normand de Niels- Normandeux52 (1955) ou le village finistérien de Plozevet 53 (1967). La vogue de l’ethnologie et de l’anthropologie en France, en grand renouveau dans les années 1960, impose aux guides la description de la population autochtone. Vers 1960, pour Armand de Baudry d’Asson, notable local, « le maraîchin est en effet d’esprit vif, curieux et subtil, tout en restant très indépendant. Il faut bien admettre que la vie moderne l’a pénétré, et ce n’est pas de sa faute s’il ne peut toujours profiter des facilités matérielles qu’elle procure54 ». Selon cet auteur, le maraîchin aperçoit d’ailleurs des étrangers venir dans son marais, à la recherche des planches permettant de franchir les fossés autrement qu’à la ningle. En 1964, Jean Debarre, instigateur du syndicat d’initiatives de Saint-Jean-de-Monts, décrit le maraîchin comme un personnage hors du commun : très vif, très intelligent, formant une race à part, au folklore intéressant, au parler qui attire les plus grands philologues du monde, où l’on retrouve des traces perdues ailleurs des vieux patois qui datent de plusieurs siècles55. En 1965, dans le guide Vert Michelin, le maraîchin, grand et fin, au teint coloré, se montre jaloux de son indépendance. Il reste traditionaliste dans le Marais vendéen, contrairement aux habitants du Marais poitevin, plus frondeurs56. En 1970, pour le comité départemental du tourisme, le maraîchin de Challans, différent physiquement et moralement des habitants des autres régions du marais, se montre fier d’allure ; plus éleveur que cultivateur, musard à l’occasion, épris de grands rêves, excellent cavalier, mais peu résistant à la fatigue, hospitalier, très gai, aimant la musique et la danse, il est fidèle à la parole donnée, à ses convictions religieuses et à ses coutumes du bon vieux temps57. Malgré quelques critiques, le portrait apparaît élogieux, plus que ne l’était le portrait du XIXe siècle. Après cette décennie, à l’exception de la réédition du guide du Comité départemental du tourisme en 1974, le maraîchin n’est plus ethnographiquement décrit. La notion de race est critiquée, son usage est marginalisé, tandis que la pluralité et les relations interculturelles s’inscrivent dans le paysage intellectuel français58. Ce sont les pratiques et les objets qui sont dorénavant analysés.

23 Cette prise de conscience et la mutation du discours vont conduire les acteurs du tourisme et du patrimoine, dans les années 1980, à charmer les touristes avec des attractions ciblées dans le Marais. L’art de vivre, qui commençait à être évoqué depuis le milieu du XXe siècle, est systématiquement abordé, d’autant plus aisément que des

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structures muséales se mettent en place, dans les bourrines (habitat dont nous parlerons plus loin dans l’article) ou les exploitations fermières : moulin de Rairé (restauré en 1969), écomusée Le Daviaud (créé en 1982), bourrine du Bois-Juquaud (rénovation en musée à partir de 1985), bourrine à Rosalie (transformation en site touristique entre 1971, date de la mort de la dernière habitante, Rosalie, et 1996, première mention dans un guide touristique). Ils tendent à se substituer au musée Bise- Dur, créé par Yvonne Cacaud et Marcel Baudouin, musée maraîchin situé dans le port de pêche de Croix-de-Vie ; aujourd’hui, c’est d’ailleurs devenu la Maison du pêcheur. En plus de mettre en représentation le Marais breton, ils invitent les touristes à se rendre hors des bourgs, contrairement aux autres musées de la région. Jusqu’alors, c’était les Maraîchins qui se dirigeaient vers les quartiers de la plage, comme dans les années 1920, quand la jeunesse montoise dansait la maraîchine au son de l’accordéon dans la cour de l’hôtel de la plage, à Saint-Jean-de-Monts59. Un discours associatif et professionnel s’agrège sur cet espace pour attirer les touristes venus dans les stations balnéaires voisines alors en état d’asphyxie60.

Un Marais vivant et patrimonialisé ?

Une construction du discours touristique en relation avec une construction identitaire

24 La prise en compte du Marais par les auteurs des guides concorde avec des représentations festives réalisées par les habitants. Ainsi, une fête du Marais a lieu en 1952 à Bouin, peut-être en réaction à la fête organisée dans le Marais poitevin par l’Amicale maraîchine en juillet 1951, destinée à mettre en valeur le marais (groupe folklorique, bateaux fleuris, feu d’artifice) aux écluses de La Sotterie, dans les Deux- Sèvres61. Les estivants des localités voisines sont nombreux à s’être déplacés, friands de distractions. A lieu un défilé de chars et de groupes costumés, sans qu’on connaisse la thématique de ces déguisements62. À Saint-Gervais, lors de la grande kermesse du 27 juillet 1952, un char « La chasse dans le marais » est annoncé63. Les Maraîchins s’emparent donc de leur patrimoine et commencent à le faire connaître, avec succès puisque la présence des estivants est signalée. Cette présence extérieure est également un encouragement à la poursuite de la patrimonialisation. Il y a donc un basculement d’un savoir académique, dont Marcel Baudouin et sa sœur Yvonne Cacaud sont les dignes représentants au début du XXe siècle, vers un savoir plus populaire. Cette évolution a été observée ailleurs par Luc Noppen et Lucie K. Morisset mais, contrairement aux cas étudiés par ces deux auteurs64, l’Autre n’est pas ici l’intrus : il appuie la démarche, par sa présence. Certains syndicats d’initiatives locaux réalisent également des publications spécifiquement sur leur commune de rattachement, où le marais est mentionné sur quelques pages, même si la priorité reste la station balnéaire65. Il faut néanmoins remarquer qu’ils sont tous en bordure du marais, sur la côte ou dans les deux grandes villes, Challans et Machecoul, à la limite du bocage.

25 La phase de sauvegarde du patrimoine débute peu après. En 1961, Ouest-France interroge les syndicats d’initiatives vendéens pour connaître les améliorations possibles et permettre le développement touristique de la région. Chacun milite pour l’amélioration des voies de communication et de l’offre hôtelière (campings inclus). La période est donc encore dans la consolidation de la fréquentation touristique, avec

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l’apport du confort et la satisfaction des demandes en lien avec la hausse de l’affluence balnéaire. Toutefois, pour illustrer son papier, le journaliste place la photographie d’une bourrine, en interrogeant par cette légende66 : « Les bourrines vendéennes se font rares. A-t-on pensé à en conserver quelques-unes ? » Dans son édition du 9 août, Ouest- France présente toujours ce dualisme : le texte du journaliste milite pour un meilleur confort et des dessertes routières facilitées tandis que l’illustration est une carte postale montrant des maraîchins dans leur yole67.

Une horizontalité paysagère atavique mais peu qualifiante

26 Classiquement, les auteurs des guides optent pour le style narratif ou descriptif. Dans le cas présent, les principaux indicateurs langagiers découverts par Tropes sur l’ensemble de la période prouvent un style narratif : les verbes factifs en majorité (62,1 %), les modalisations de temps et de lieu, les connecteurs d’addition, d’opposition et de disjonction. Le locuteur expose une succession d’évènements qui se déroulent à un moment donné, en un lieu donné. Le style descriptif opte pour des connecteurs de temps (2,4 % du total) et de lieu (0), quasiment absents, et des modalisations de manière, rares (8,7 % du total)68. Ces caractéristiques sont similaires pour la période postérieure à 1960, avec une légère progression pour les modalisations de manière (9,7 % du total). La description du marais est souvent brève. Vers 1960, elle se limite ainsi à : « Le Marais breton n’est pas sensiblement différent du Marais poitevin ; même faiblesse des altitudes, mêmes horizons illimités sous d’immenses ciels. Ici, les “îles” sont représentées par des émergences de calcaire grossier appartenant au début du tertiaire, telle la croupe de Sallertaine, à l’ouest de Challans69. » Ensuite sont égrenés les sites à visiter. À dix reprises dans le corpus, le nom commun « horizon » ou l’adjectif « horizontal » est utilisé, pour évidemment décrire un panorama mais aussi un dispositif d’architecture ou le mobilier présent dans les habitats jusqu’au XVIIIe siècle. Le mot commun « plat », en dehors de son sens gastronomique, n’a été relevé que trois fois. Les obstacles à cette horizontalité paysagère sont aussi rarement évoqués. Le logiciel Tropes relève seize occurrences « arbre » (une dix-septième occurrence porte sur la forêt domaniale), utilisées pour signifier leur absence ou leur rareté : « Aujourd’hui, le Marais breton, ce sont 36 000 hectares d’un pays absolument plat où les rideaux d’arbres qui protègent les fermes constituent les seuls reliefs70. » Des collines sont tout de même signalées dix fois, mais trois de ces occurrences proviennent du recopiage d’une édition à l’autre du guide Joanne, entre 1886 et 1900. Elles matérialisent la limite des terres bocagères avec le marais. Le paysage du Marais breton n’est donc pas caractérisé par sa forme générale mais par ses composants.

27 Cette absence de site caché à l’œil n’empêche pas d’évoquer les « secrets » dont sont friands les guides. Le territoire acquiert cette dimension dans les années 1990, avec la progression de la reconnaissance du patrimoine naturel. La présence des hommes n’est jamais lointaine. Gilles Bély et Bertrand Bouflet promeuvent ainsi une promenade le long des étiers, de Soullans jusqu’au Perrier en passant par Sallertaine, « au cœur d’un pays toujours secret, fier de ses traditions […] et heureux de les faire découvrir et partager71 ». Ce sont les habitants et les structures muséales qui transmettent les secrets, pas le guide. Nous retrouvons cette prise en compte de l’autochtone, en lien avec la patrimonialisation de la flore et de la faune, plus marquée à l’échelle planétaire à partir du congrès mondial des aires protégées de Durban en 2003. La position est moins naturaliste, elle devient plus sociale72. Le géographe Michel Picard concluait à

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l’inverse une décennie plus tôt73. L’évocation dans le texte de la faune ou de la flore se fait dans le cadre des musées ou des sentiers d’interprétations. Néanmoins, dans le même temps, grâce à une place de l’illustration plus importante, la représentation de la faune et de la flore est devenue forte dans les guides ; avec des restrictions d’usages liées à la protection du milieu naturel, la faune et la flore ne sont plus une ressource alimentaire et ludique (pêche), comme autrefois. La situation reste encore mouvante. Les guides ont fait infuser dans le discours touristique ce patrimoine naturel, devenu un spectacle permanent, à partir d’un inventaire d’une dizaine d’espèces : il est censé se retrouver partout ou presque. À quoi s’ajoutent quelques éléments culturels dispersés, comme la bourrine.

Un habitat original tardivement reconnu : la bourrine

28 La bourrine est l’un des éléments patrimoniaux majeurs du Marais breton, espace où l’habitat est de type isolé. Elle est mentionnée dans les guides dès 1829, par Eugène Genoude, dans la description d’un espace non pas typiquement de marais, mais une ancienne flèche dunaire qui s’enfonce désormais dans le marais, où a eu lieu le combat des Mathes : « de grands espaces sablonneux, d’anciens sillons remplis d’herbes, quelques arbres, quelques maisons blanches, très basses à cause des vents de mer, des bourrines, espèces de cahutes couvertes de jonc, des dunes dans le lointain74 ». Mais l’habitation s’avère en fait complètement ignorée par les guides à audience nationale, puisque la deuxième mention, chronologiquement, est portée dans le guide de Henri Renaud sur Saint-Gilles-Croix-de-Vie et sa région, en 191075, et la mention suivante figure dans le guide de l’Union des syndicats d’initiatives de Vendée, en 193576. Les éditions régionales le représenteront dans la seconde moitié du XXe siècle. Le guide Rouge Vendée, Charentes et plages, Poitou, Saintonge, Angoumois, de 1957, y consacre une photo légendée77, et le guide Michelin Côte de l’Atlantique, de la Loire aux Pyrénées, de 1965, est le premier à la décrire en quelques mots : le Maraîchin « loge encore parfois dans des "bourrines", maisons basses, chaulées et couvertes de roseau78 ».

29 Cette mention tardive peut apparaître contradictoire avec l’évolution sociale que connaît le Marais breton. En 1968, l’érudit local Julien Rousseau reconnaît une transformation du Marais, où l’on peut encore trouver quelques bourrines échappées à la reconstruction ou à la modernisation et admirer la scrupuleuse propreté des intérieurs maraîchins, avec parfois les vieux meubles traditionnels (coffres de chêne cirés, armoires rustiques à fiches de cuivre, vaisseliers garnis de leurs faïences décorées, grands lits à quenouilles) : « mais tout cela, depuis quelques lustres, c’est devenu quasi des pièces de musée79… » Jusqu’alors, la bourrine n’était pas considérée : habitation des plus pauvres du Marais, souvent installée sur les délaissés des chemins, sans aucun confort, elle comportait seulement une ou deux pièces80. Les habitants préféraient, dès qu’ils en avaient la possibilité, faire construire un habitat moderne, laissant la bourrine se désagréger ou la détruisant de suite. Léon Dubreuil, dans l’introduction de son roman, Une enfance au Marais Breton (1930), affirme qu’il « est grand temps de les fixer [les mœurs maraîchines] avant qu’elles ne disparaissent comme les "bourines", les "nioles" et les pantalons à "godis"81 ». La présence d’un char dénommé « La bourrine et le moulin » lors du défilé au moment de la Fête au Village de 1951, à Saint-Jean-de-Monts, montre une évolution82. Avec le début, entre 1960 et 1965, de l’achat par les touristes de bourrines, qu’ils font réhabiliter par les paysans ayant pris goût à la construction et au double salaire, la perception change radicalement.

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30 La patrimonialisation s’empare en une vingtaine d’années de cet habitat original, dans un mouvement général de redécouverte de l’habitat traditionnel lié à l’élargissement, en 1964, du recensement des richesses monumentales à l’architecture rurale83 et, à partir des années 1970, au courant écologique. Ailleurs, la maison du Niou-Huella fait découvrir l’intérieur des maisons ouessantines dès 1968 et des opérations de réhabilitation de hameaux sont menées à partir de 1972 dans le parc des Cévennes84. Dans le Marais breton, les musées ouverts dans les années 1980 s’installent dans les bourrines délaissées par les héritiers des derniers occupants. La bourrine à Rosalie, musée privé, était occupée par une certaine Rosalie jusqu’en 1971, et l’écomusée de la bourrine du Bois-Juquaud s’installe dans le lieu où vécut jusqu’en 1970 Amandine Gaudemer, sans eau ni électricité, comme le firent ses ancêtres85. L’emblématisation86, au moment où la force symbolique de la bourrine fait l’objet d’un consensus communautaire, fige alors la représentation de l’habitat dans le Marais breton, alors que de nouveaux modèles architecturaux y font irruption et tout en délaissant les autres modes anciens d’habitat. Le guide touristique en matière de patrimoine rural n’apparaît pas avoir un rôle moteur dans le processus de patrimonialisation : il se limite à être une caisse de résonance des choix sociaux locaux sur cette question.

31 Le Marais breton est un espace rural dont l’appropriation touristique a été tardive. Le discours a donc d’abord évolué selon les intérêts des visiteurs qui logeaient en dehors de celui-ci. Dans un premier temps, l’attention s’est limitée à quelques éléments du patrimoine culturel mais ce territoire, comme beaucoup de zones rurales, se présentait comme un espace où il n’y avait rien de remarquable. Le Marais breton bénéficie en fait de la promotion interne d’une identité sur laquelle les guides vont pouvoir s’appuyer : une sorte de patrimonialisation interne mais qui n’a sans doute rien d’une génération spontanée. Les contextes local et national s’enrichissent : autochtones et visiteurs appuient mutuellement leurs démarches. Michel Picard, à partir de l’exemple de Bali, avait montré en 1992 que touristes et autochtones échangent mutuellement pour créer une culture satisfaisante pour l’ensemble des parties87. Nous aurions donc l’évolution inverse de ce qu’ont connu de nombreuses stations balnéaires françaises, peut-être du fait que le patrimoine est ici la conséquence d’un nouveau développement.

32 Le discours touristique est souvent présenté comme un discours qui s’enrichit, par sédimentation, mais notons que ce processus à travers les âges est imparfait : une partie des éléments anciens, promus dans les guides avant la Première Guerre mondiale, a disparu aujourd’hui des guides et des dépliants. La primauté de l’intérêt ne revient donc pas uniquement à l’ancienneté mais, aussi et surtout, à la reconnaissance locale. Quand Sophie Bonin constate, pour la description du fleuve Loire dans les guides Bleus entre 1856 et 1996, qu’elle se fait plus écologique au fil des décennies, avec une absence des sociétés locales, parce que le regard est devenu plus global, plus abstrait, optant pour une petite échelle88, nous devons constater que ce n’est pas tout à fait pareil pour le Marais breton. La description du patrimoine naturel revêt souvent une portée plus générale mais à cause de l’objet qu’il traite : l’auteur du guide peut difficilement promettre la présence permanente d’animaux à un endroit précis – c’est moins vrai pour les plantes. La présence des possibles médiateurs n’est, par contre,

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jamais oubliée. Il existe encore un entremêlement de la vie de l’homme avec ce milieu naturel particulier.

33 Dans le cas présent, la touristification se calque sur la patrimonialisation ; mais pas entièrement. Le cas du maraîchinage est étonnant : cette pratique, perdue depuis des décennies, honnie par les élites locales au point que certains doutent de son existence ou de la réalité de sa description, présentée comme fantasmée, perdure dans le discours touristique. Le discours se joue donc aussi des populations, en insérant des thématiques originales et, sans doute aussi pour cette raison, piquantes. S’il ne paraît pas encore exister de bréviaire pour « vendre » le tourisme rural, bien qu’il faudrait produire une étude poussée pour s’en assurer, il n’est pas exclu que les territoires ruraux soient bientôt perçus sous un nouveau filtre discursif.

ANNEXES

Corpus des guides dépouillés

Entre crochets, le lieu où l’exemplaire a été consulté (AD = archives départementales ; AM = archives municipales ; BM = bibliothèque municipale) Beauvoir-sur-Mer et sa région, Guide pratique France Magazine, 1990, 28 p. [AD Vendée] De la Loire aux Pyrénées, Paris, Hachette et Cie, coll. « Guides Joanne », 1911, 455 p. et nombreuses publicités. [BM Paris 16e TCF] Guide pittoresque du voyageur en France : département de la Loire-Inférieure, Nantes, Firmin Didot Frères, sans date (vers 1850), 24 p. [AD Loire-Atlantique] Guide pittoresque du voyageur en France : département de la Vendée, Nantes, Firmin Didot Frères, sans date (vers 1850), 16 p. [AD Loire-Atlantique] Guide de Nantes et des environs, Nantes, A. Dugas et Cie, 1909, 59 p. [AD Loire-Atlantique] « Les petits trous pas chers » ; Guide des familles aux bains de mer, plages de la Manche et de l’Océan, Paris, La Fare éditeur, 9e éd. 1903, 350 p. [BM Paris 16eTCF] L’Opinion économique et financière, édition illustrée t. IV Le Pays nantais et la Vendée, n°7, mars 1951, 104 p. [BM Paris 16eTCF] Partons à la découverte de la côte atlantique, Levallois-Perret, Total Tourisme, 1975, 113 p. [BM Paris 16eTCF] Saint-Jean-de-Monts, la plage moderne de l’Atlantique, Saint-Jean-de-Monts, 1964, 40 p. [AM Saint-Jean-de-Monts] Saint-Jean-de-Monts, Guide officiel du Syndicat d’Initiative Office du Tourisme, Saint-Jean-de- Monts, 1971, 64 p. [AM Saint-Jean-de-Monts] Saint-Jean-de-Monts, Guide officiel du Syndicat d’Initiative Office du Tourisme, Saint-Jean-de- Monts, 1974, 76 p. [AM Saint-Jean-de-Monts]

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Saint-Jean-de-Monts, Guide officiel du Syndicat d’Initiative Office du Tourisme, Saint-Jean-de- Monts, 1975, 72 p. [AM Saint-Jean-de-Monts] Vendée, Charentes et plages, Poitou, Saintonge, Angoumois, Paris, Editions Baneton-Thiolier, coll. « Guides rouges », 1957, 192 p. [BM Paris 16eTCF] Vendée, Charentes et plages, Poitou, Saintonge, Angoumois, Paris, Editions Baneton-Thiolier, coll. « Guides rouges », 1960, 204 p. [BM Paris 16eTCF] Vendée : aspect géographique, historique, touristique, économique et administratif du département, Paris, Éditions Alépée et Cie, sans date (1960 ?), 237 p. [BM Paris 16eTCF] Guide Diamant, Nantes, Saint-Nazaire et les plages de la Loire-Inférieure, Paris, Hachette, 1921, 64 p. et de nombreuses publicités. [AD Loire-Atlantique] Guide Michelin, Côte de l’Atlantique, de la Loire aux Pyrénées, Clermont-Ferrand, Michelin, coll. « Guide vert », 2e éd., 1965, 162 p. [BM Paris 16e TCF] Guide Gallimard, Nantes-Côte de Jade, Paris, Éditions Nouveaux-Loisirs, 1992, 396 p. [BM Saint-Hilaire-de-Riez] Guide Gallimard, La Vendée maritime, Paris, Éditions Nouveaux-Loisirs, 1994, 322 p. [BM Saint-Hilaire-de-Riez] Guide Bleu, Pays de la Loire, Paris, Hachette, 1995 [1re éd. 1989], 767 p. [BM Saint-Hilaire- de-Riez] Guide Vert Michelin, Poitou, Vendée, Charentes, Clermont-Ferrand, Michelin, 1996, 300 p. [BU Saint-Hilaire-de-Riez] Guide du Routard, Pays de la Loire, Paris, Hachette, 2007, 560 p. [BM Saint-Hilaire-de- Riez] Guide BaLaDO, Pays de la Loire, Paris, Éditions Mondéos, 2013, 476 p. [BM Saint-Jean-de- Monts] ALBERTINI, Sabine, BRACONNIER, Balthazar, DEMEUDE, Hugues, GUITTON, Pierre, Charente- Maritime, Vendée, Paris, GéoGuide, 2009 [1re éd. 2007], 512 p. [BM Saint-Hilaire-de-Riez] ARDOUIN-DUMAZET, Voyage en France t. II, Paris/Nancy, Berger-Levault et Cie, 1894, 334 p. [AD Loire-Atlantique] ARDOUIN-DUMAZET, Voyage en France : 3e série, les îles de l’Atlantique, Paris/Nancy, Berger- Levrault et Cie, 1895, 314 p. [BM Paris 16eTCF]

BÆDEKER, K., Le Sud-Ouest de la France, de la Loire à la frontière d’Espagne : manuel du voyageur, Leipzig/Paris, Bædeker/Ollendorff, 6e éd., 1897, 384 p. et deux cartes. [BM Paris 16e TCF]

BÆDEKER, K., Le Sud-Ouest de la France, de la Loire à la frontière d’Espagne : manuel du voyageur, Leipzig/Paris, Bædeker/Ollendorff, 9e éd., 1912, 512 p. et deux cartes. [BM Paris 16e TCF]

BÉLY, Gilles, et BOUFLET, Bertrand, Vendée, tourisme et culture, La Roche-sur-Yon, Siloë éditeur, coll. « Guides Siloë », 2001, 272 p. [BM Saint-Hilaire-de-Riez] Comité départemental du Tourisme, La Vendée, guide officiel, Toulouse, Éditions Larrieu- Bonnel, 1970, 224 p. [AD Vendée] BROCHET, Louis, La Vendée pittoresque, historique et archéologique : guide du touriste, Fontenay-le-Comte, Henri Lussaud imprimeur-éditeur, 1921, 144 p. [BM Paris 16eTCF]

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BROQUELET, A., À travers nos provinces : de la Vendée aux Pyrénées-Orientales, Paris, Garnier, 1930, 310 p. [BM Paris 16eTCF] Comité départemental du tourisme de Loire-Atlantique, Promenades et randonnées en Loire-Atlantique, Rennes, Éditions Ouest-France, 1993, 143 p. [AD Loire-Atlantique] Comité départemental du tourisme, La Vendée, guide officiel, Toulouse, Éditions Larrieu- Bonnel, 1970, 224 p. [BM Paris 16eTCF] Comité départemental du tourisme de Vendée, La Vendée, Toulouse, Éditions Larrieu- Bonnel, 1974, 230 p. [AD Vendée] Comité départemental du tourisme de Vendée, La Vendée autrement, La Roche-sur-Yon, 1986, non paginé. [AD Vendée] Comité régional du tourisme des Pays-de-la-Loire, Guide Loisirs Accueil : Pays de la Loire, Paris, Guides Loisirs Accueil, 1983, 326 p. [AD Loire-Atlantique] Conseil général de Vendée, Vendée randonnées : guide avec cartes détaillées, La Roche-sur- Yon, sans date (années 2000), 256 p. [BM Saint-Jean-de-Monts] GENOUDE, Eugène, Voyage dans la Vendée et dans le Midi de la France, Paris/Lyon, Méquignon Fils aîné/Périsse Frères, 1829, 420 p. [BM Paris 16eTCF]

GRUYER, Paul, Un mois en Bretagne, Paris, Hachette, 1925, 224 p. [AD Loire-Atlantique]

JOANNE, Adolphe, Géographie du département de la Vendée, Paris, Hachette et Cie, 1900 [reprint 1994], 64 p. et carte de la Vendée [BM Saint-Jean-de-Monts] LE LANNOU, Maurice, Itinéraires de Bretagne : guide géographique et touristique, Paris, Baillière et Fils éditeurs, sans date (années 1930), 296 p. [AD Loire-Atlantique] MAÎTRE, Léon, Côtes bretonnes et vendéennes, de la Vilaine à Olonne ; Guide du baigneur, Nantes, Imprimerie moderne, sans date (1895), 80 p. [AD Loire-Atlantique] MARTIN, Hubert et CHARRIER, Thierry, 12 voyages en Pays de la Loire, Nantes, Siloë, 1999, 224 p. [AM La Roche-sur-Yon] MONMARCHÉ, Georges, Bords de la Loire et Sud-Ouest, Paris, Hachette, coll. « Guides bleus », 1927, 623 p. [BM Paris 16eTCF]

RIVÉ, Pierre, Le guide de la Vendée, Lyon, La Manufacture, 1988, 206 p. [AM La Roche-sur- Yon] Syndicat d’initiatives régional de Nantes, Plages de la Loire-Atlantique, Angers, Editions Jacques-Petit, 1951, 136 p. [BM Paris 16eTCF] Union des syndicats d’initiatives de Vendée, La Vendée touristique, 1935, 200 p. [AD Loire- Atlantique]

NOTES

1. VINCENT, Johan, « Les paradis de papier : les sites balnéaires bretons magnifiés par les guides (1860-1939) », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, tome 119, 2012, n° 4, p. 99-113.

2. SECANE, Annabelle, Les mécanismes énonciatifs dans les guides touristiques, entre genre et positionnements discursifs, Paris, L’Harmattan, 2013, p. 51.

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3. GENOUDE, Eugène, Voyage dans la Vendée et dans le Midi de la France, Paris/Lyon, Méquignon Fils aîné/Périsse Frères, 1829, 420 p. 4. Guide BaLaDO, Pays de la Loire, Paris, Éditions Mondéos, 2013, 476 p. 5. FRANCON, Marc, Le Guide Vert Michelin. L’invention du tourisme culturel populaire, Paris, Éditions Economica, coll. « Économies et sociétés contemporaires », 2001. 6. De la Loire aux Pyrénées, Paris, Hachette et Cie, coll. « Guides Joanne », 1911, p. 3. 7. VINCENT, Johan, Le Passage du Gois menacé. Un grand projet d’endiguement de la baie de Bourgneuf sous la Seconde Guerre mondiale, Nantes/Laval, Siloë, 2011, p. 13-29. 8. MONMARCHÉ, Georges, Bords de la Loire et Sud-Ouest, Paris, Hachette, coll. « Guides bleus », 1927, p. 306. 9. Guide pittoresque du voyageur en France : département de la Vendée, Nantes, Imprimerie de Firmin Didot Frères, sans date [vers 1850], p. 2. 10. Guide Bleu, Pays de la Loire, Paris, Hachette, 1995 [1re éd. 1989], p. 216-225. 11. BÉLY, Gilles et BOUFLET, Bertrand, Vendée, tourisme et culture, La Roche-sur-Yon, Siloë éditeur, coll. « Guides Siloë », 2001, p. 218, et Guide du Routard, Pays de la Loire, Paris, Hachette, 2007, p. 450. 12. BLOUIN-GOURBILIÈRE, Claire, L’élaboration d’images « paysages » habitantes : un levier participatif d’aménagement du territoire. Le cas du Parc naturel régional de la Brenne (Indre, France), Thèse de doctorat en géographie et aménagement de l’espace, Université d’Angers-Agrocampus Ouest, 2013, p. 98 et p. 110. 13. Guide Bleu, Pays de la Loire, op. cit., p. 216. 14. Saint-Jean-de-Monts, Guide officiel du Syndicat d’Initiatives Office du Tourisme, Saint- Jean-de-Monts, 1971, p. 55. 15. GENOUDE, Eugène, Voyage dans la Vendée…, op. cit., p. 105. 16. Le dictionnaire des équivalents sémantiques du logiciel Tropes est construit sur trois niveaux de classification. Au niveau le plus bas se situent les références utilisées, elles-mêmes regroupées de façon plus large dans les univers de référence 2 (contexte détaillé), qui à leur tour sont regroupés dans les univers de référence 1 (contexte général). 17. JOANNE, Adolphe, Géographie du département de la Vendée, Paris, Hachette et Cie, 1886.

18. JOANNE, Adolphe, Géographie de la Loire-Inférieure, Paris, Hachette et Cie, 6e éd., 1894.

19. ARDOUIN-DUMAZET, Voyage en France : 3e série, les îles de l’Atlantique , Paris/Nancy, Berger-Levrault et Cie, 1895, p. 205. 20. Comité départemental du Tourisme, La Vendée, guide officiel, Toulouse, Éditions Larrieu-Bonnel, 1970, p. 29. 21. L’Opinion économique et financière, édition illustrée. T. IV Le Pays nantais et la Vendée, n° 7, mars 1951, p. 82. 22. GENOUDE, Eugène, Voyage dans la Vendée…, op. cit., p. 105.

23. MONMARCHÉ, Georges, Bords de la Loire…,op. cit., 1927, p. 304. 24. Guides Gallimard, La Vendée maritime, Paris, Éditions Nouveaux-Loisirs, 1994, p. 143-144, et BÉLY, Gilles, et BOUFLET, Bertrand, op. cit., p. 192.

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25. Dans GENOUDE Eugène, et dans le Midi de la France, Paris/Lyon, Méquignon Fils aîné/ Périsse Frères, 1829 et dans Guides Gallimard, La Vendée maritime, Paris, Éditions Nouveaux-Loisirs, 1994. 26. GERARD, Alain, La guerre de Vendée, La Roche-sur-Yon, Centre vendéen de recherches historiques, coll. « La Vendée, les indispensables », 2006, p. 67. 27. GENOUDE, Eugène, Voyage dans la Vendée…, op. cit., p. 105. 28. Guide pittoresque du voyageur en France : département de la Loire-Inférieure, Nantes, Imprimerie de Firmin Didot Frères, sans date [vers 1850], p. 18. 29. Guide pittoresque du voyageur en France : département de la Vendée, op. cit., p. 2-3. 30. « Les petits trous pas chers ». Guide des familles aux bains de mer, plages de la Manche et de l’Océan, Paris, La Fare éditeur, 9e éd. 1903, p. 291. 31. De la Loire aux Pyrénées, Paris, Hachette et Cie, coll. « Guides Joanne », 1911, p. 3. 32. JOANNE, Adolphe, Géographie du département de la Vendée, Paris, Hachette et Cie, 1886, 3e éd., p. 7 ; 1896, 5e éd., p. 7 ; de 1900, p. 7. 33. GENOUDE, Eugène, Voyage dans la Vendée…, op. cit., p. 105. 34. Guide pittoresque du voyageur en France : département de la Vendée, op. cit., p. 4. 35. Cette mention d’une tour apparaît dans De la Loire aux Pyrénées, Paris, Hachette et Cie, coll. « Guides Joanne », 1911, p. 8, et est reprise par Georges MONMARCHÉ, Bords de la Loire et Sud-Ouest, Paris, Hachette, coll. « Guides bleus », 1927, p. 305. 36. MAÎTRE, Léon, Côtes bretonnes et vendéennes, de la Vilaine à Olonne. Guide du baigneur, Nantes, Imprimerie moderne, sans date (1895), p. 62. 37. Arch. dép. de Vendée, 4M 36, Saint-Jean-de-Monts. Arrêté municipal de Saint-Jean- de-Monts du 27 juin 1850. 38. Arch. mun. de Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Délibération municipale de Saint-Gilles- sur-Vie du 19 novembre 1865. 39. RENAUD, Henri, Guide illustré à Saint-Gilles-Croix-de-Vie et aux environs, Les Sables- d’Olonne, Roche-Jourdain imprimeur-éditeur, 3e éd. 1910, p. 194. 40. MONMARCHÉ, Georges, Bords de la Loire…,op. cit., 623 p. 41. Union des syndicats d’initiatives de Vendée, La Vendée touristique, 1935, 200 p. 42. YOLE, Jean, « Vendée, terre de fidélité », L’Opinion économique et financière, édition illustrée t. IVLe Pays nantais et la Vendée, n°7, mars 1951, p. 82. 43. Ibidem, p. 83. 44. Syndicat d’initiatives régional de Nantes, Plages de la Loire-Atlantique, Angers, Éditions Jacques-Petit, 1951, p. 67. 45. Ibidem, p. 81. 46. Ibid. 47. Vendée, Charentes et plages, Poitou, Saintonge, Angoumois, Paris, Éditions Baneton- Thiolier, coll. « Guides Rouges », 1957, p. 40 et 51. 48. Vendée, Charentes et plages, Poitou, Saintonge, Angoumois, Paris, Éditions Baneton- Thiolier, coll. « Guides Rouges », 1960, p. 3-11. 49. Guide Michelin, Côte de l’Atlantique, de la Loire aux Pyrénées, Clermont-Ferrand, Michelin, coll. « Guide vert », 2e éd., 1965, p. 17.

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50. BAUDOUIN, Marcel, Le maraîchinage, coutume du Pays de Monts, Saint-Grégoire, La Découvrance, retirage de l’édition de 1906 parue à Paris chez A. Maloine éditeur, p. 14. 51. Guide BaLaDO, Pays de la Loire…, op. cit., p. 175. 52. MAUREL, Chloé, « La question des races », Gradhiva [en ligne], 2007-5, mis en ligne le 12 juillet 2010, consulté le 5 février 2014. 53. MORIN, Edgar, Commune de France : la métamorphose de Plozévet, Paris, Fayard, 1967, 287 p. 54. BAUDRY d’ASSON, Armand de, « Marais breton », dans Vendée : aspect géographique, historique, touristique, économique et administratif du département, Paris, Éditions Alépée et Cie, sans date (1960 ?), p. 40. 55. Saint-Jean-de-Monts, la plage moderne de l’Atlantique, Saint-Jean-de-Monts, 1964, p. 31. 56. Guide Michelin, Côte de l’Atlantique…, op. cit., p. 17. 57. Comité départemental du tourisme, La Vendée, guide officiel, Toulouse, Éditions Larrieu-Bonnel, 1970, p. 29. 58. LIAUZU, Claude, La société française face au racisme : de la Révolution à nos jours, Bruxelles, Éditions Complexe, coll. « Questions à l’histoire », 1999, p. 156. 59. VERDON, Henri, Le Pin [sic] est cuit : un touriste à Saint-Jean-de-Monts (1912-1980), Saint- Jean-de-Monts, APNS, 1981, p. 26-27. 60. Déjà en 1972, pour attirer les vacanciers dans le marais, Ouest-France titrait : « S’il y a trop de monde sur la plage » (édition du 21 juillet). 61. « Grande fête dans le Marais Poitevin », Ouest-France du 26 juillet 1951. 62. « Bouin, La fête du marais », Ouest-France du 10 juillet 1952. 63. « Saint-Gervais, grande kermesse », Ouest-France du 21 juillet 1952. 64. NOPPEN, Luc, et MORISSET, Lucie K., « Le patrimoine est-il soluble dans le tourisme ? », Téoros, vol. 22-3, 2003, mis en ligne le 01 avril 2012, consulté le 14 février 2014. 65. Saint-Jean-de-Monts, la plage moderne de l’Atlantique, Saint-Jean-de-Monts, 1964, p. 30, dans une partie « Les environs immédiats ». 66. « La Vendée à l’heure touristique : communications, hôtellerie, grands soucis des syndicats d’initiatives », Ouest-France du 19 juillet 1961. 67. « La Vendée à l’heure touristique : la "route bleue" sera-t-elle pittoresque ou utilitaire ? », Ouest-France du 9 août 1961. 68. WOLFF, Marion, et VISSER, Willemien, « Méthodes et outils pour l’analyse des verbalisations : une contribution à l’analyse du modèle de l’interlocuteur dans la description d’itinéraires », @ctivités, vol. 2, n°1, 2005, p. 165, revue en ligne, consulté le 14 février 2014. 69. FÉNELON, Paul, « Le sol », dans : Vendée : aspect géographique, historique, touristique, économique et administratif du département, Paris, Éditions Alépée et Cie, sans date (1960 ?), p. 15. 70. MARTIN, Hubert, et CHARRIER, Thierry, 12 voyages en Pays de la Loire, Nantes, Siloë, 1999, p. 192. 71. BÉLY, Gilles, et BOUFLET, Bertrand, Vendée, tourisme…, op. cit., p. 193.

72. GLON, Éric, et CHEBANNE, Anderson, « Peuples autochtones et patrimonialisation de la nature protégée : les San indésirables dans le Central Kalahari (Botswana) ? », VertigO –

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la revue électronique en sciences de l’environnement, hors-série n° 16, juin 2013, mis en ligne le 30 mai 2013, consulté le 14 février 2014. 73. PICARD, Michel, Bali : tourisme culturel et culture touristique, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 125. 74. GENOUDE, Eugène, Voyage dans la Vendée…, op. cit., p. 103-104.

75. RENAUD, Henri, Guide illustré à Saint-Gilles-Croix-de-Vie et aux environs, Les Sables- d’Olonne, Roche-Jourdain imprimeur-éditeur, 3e éd. 1910, p. 115. 76. Union des syndicats d’initiatives de Vendée, La Vendée touristique, 1935, p. 17. 77. Vendée, Charentes et plages, Poitou, Saintonge, Angoumois, Paris, Éditions Baneton- Thiolier, coll. « Guides rouges », 1957, p. 40. 78. Guide Michelin, op. cit., p. 17. 79. ROUSSEAU, Julien, À travers le Marais Breton Vendéen, Maulévrier : Éditions Hérault, 2e éd. 2001 [1re éd. 1968], p. 135. 80. LE BŒUF, François, « Maison de terre et de roseau : regards sur la bourrine du marais de Monts », In Situ n°7, 2006, revue en ligne de l’Inventaire général, mis en ligne le 18 avril 2012, consulté le 14 février 2014. 81. DUBREUIL, Léon, Une enfance au Marais Breton, Auxerre, Imprimerie L’universelle, 1930, p. 10. 82. « À Saint-Jean-de-Monts, la Fête au Village », Ouest-France du 3 septembre 1951. 83. AUDUC, Arlette, « Paysage, architecture rurale, territoire : de la prise de conscience patrimoniale à la protection », In Situ n° 7, 2006, revue en ligne de l’Inventaire général, mis en ligne le 11 avril 2012, consulté le 15 février 2014. 84. DAUDÉ, Guy. « Une action du parc national des Cévennes : l’opération des hameaux », Revue de géographie de Lyon, vol. 51, n° 2, 1976, p. 177. 85. Guide BaLaDO, Pays de la Loire…, op. cit., p. 223, et ALBERTINI, Sabine, BRACONNIER, Balthazar, DEMEUDE, Hugues, GUITTON, Pierre, Charente-Maritime, Vendée, Paris, GéoGuide, 2009 [1re éd. 2007], p. 436. 86. BOYER, Henri, De l’autre côté du discours : recherches sur le fonctionnement des représentations communautaires, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 15-16. 87. PICARD, Michel, Bali..., op. cit., p. 196.

88. BONIN, Sophie, « Paysages et représentations dans les guides touristiques ; La Loire dans la collection des Guides Joanne, Guides Bleus (de 1856 à nos jours) », L’espace géographique, 2001-2, p. 118.

RÉSUMÉS

Aux limites de stations balnéaires de réputation nationale, le marais Breton, situé à la frontière des départements de la Vendée et de la Loire-Atlantique, n’a pourtant pas été considéré, pendant longtemps, comme un espace touristique potentiel. Face à la difficulté d’appréhender ce

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territoire, les guides ont progressivement forgé leurs discours, dont on peut voir la progression à travers un corpus de 48 ouvrages : de la méfiance au XIXe siècle à la découverte d’un patrimoine rural et naturel original, dans la seconde moitié du XXe siècle. Ce processus, de plus d’un siècle, toujours vivace, s’appuie sur une patrimonialisation qui est moins le fait des érudits locaux que de la population qui s’en empare, non sans contradictions. Cet entremêlement de la vie de l’homme avec ce milieu naturel particulier y apparaît essentiel. Dans cet espace rural, on peut donc analyser une touristification qui se développe en même temps qu’une patrimonialisation.

The Breton marsh, despite being situated near some busy seaside resorts, was for a long time not considered as a potential tourist area. Authors of guidebooks found this area difficult to incorporate as it was divided between two French Departments. The analysis of 48 guidebooks shows how the Breton marsh was described: the discourse evolved from being wary in the nineteenth century, to celebrating the rediscovery of its unique natural and rural heritage in the second half of the twentieth century. This long process of transformation was more the result of the support of the local population than of the knowledge of local scholars. This mix of tourism and of heritage recognition took place simultaneously. In order to explain this phenomenon, this study analyses the interaction between social life and the natural environment.

INDEX

Index géographique : Vendée, Loire-Atlantique Index chronologique : XXe siècle, XIXe siècle

AUTEUR

JOHAN VINCENT Chercheur associé au CERHIO (UMR 6258)

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Comptes rendus reports and reviews

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Alain Valais, L’habitat rural au Moyen Âge dans le Nord-Ouest de la France

Daniel Pichot

RÉFÉRENCE

Alain VALAIS (dir.), Préface d’Elizabeth ZADORA-RIO, L’habitat rural au Moyen Âge dans le Nord-Ouest de la France , t. 1 : Les synthèses , t. 2 : Les notices, Rennes, PUR, 2012, 792 p., ISBN : 978-2-7535-1780-6, 35 €1

1 Au terme d’une longue enquête, et malheureusement de nombreuses années d’attente d’un éditeur, Alain Valais nous livre une magnifique synthèse sur l’habitat rural en Anjou à l’époque médiévale. Il faut saluer l’importance de la synthèse et le travail d’édition particulièrement soigné, cartes et croquis nombreux bénéficiant d’une impression de grande qualité et dans des dimensions qui en facilitent la lecture et l’utilisation. Ce gros travail dont les deux volumes totalisent presque 800 pages grand format apporte une contribution majeure à nos connaissances sur l’habitat rural médiéval et cela, dans le cadre d’une vaste synthèse, pratique que l’on souhaiterait plus fréquente dans l’enquête archéologique. Nous est présenté le fruit d’un Projet Collectif de Recherche qui a fonctionné entre 1990 et 2000 en essayant de rassembler la documentation sur le sujet et d’en dresser une série d’études synthétiques, le point de départ étant les nombreux sites découverts pendant les travaux autoroutiers qui ont traversé la Sarthe et le Maine-et-Loire, A84, 85, 87. Le domaine de l’habitat rural, fort peu documenté jusqu’ici au regard d’autres secteurs : nécropoles, châteaux, bénéficie ainsi d’une remarquable mise en lumière.

2 Il faut commencer par le tome II, celui qui regroupe les 50 notices des différents sites étudiés. Les auteurs y ont rassemblé tous les éléments relatifs à des chantiers de fouilles en milieu rural, la plupart liés aux constructions autoroutières mais en ajoutant des travaux plus anciens, certains jamais publiés. Le plus grand nombre concerne le Maine- et-Loire mais les départements périphériques apportent d’utiles compléments et même l’Ille-et-Vilaine avec un seul site, certes, met en évidence la transgression de la

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frontière régionale. Un gros travail a été fourni pour normaliser ces notices afin qu’elles présentent, autant que possible, un ensemble homogène autorisant travail statistique et comparaison. La chose était compliquée en raison de l’étalement dans le temps des chantiers et de la diversité des pratiques et des choix. Après les renseignements techniques, viennent le résumé, une présentation du contexte géographique et archéologique, et enfin, les éléments trouvés en fouilles et une interprétation. Une bibliographie clôt l’ensemble. Pour certaines fiches intervient une annexe, en particulier les inventaires de mobilier, céramiques ou objets métalliques, plusieurs cas présentent un très grand intérêt, en particulier pour établir des catalogues et obtenir des références chronologiques.

3 Bien entendu, le développement de ces notices présente une très grande inégalité en fonction de l’importance du site ou de ce qui a subsisté de fouilles anciennes. La fiche 1, celle de la Tullaye en Janzé (35) illustre bien le problème : 6 pages seulement pour un grand décapage présentant l’évolution d’un site d’habitat à propos duquel n’avaient naguère été publiées que de très brèves notes. À l’inverse, Les Murailles, longuement fouillées par A. Valais se voient consacrer un nombre important de pages, la qualité du site et les renseignements qu’il fournit le justifiant amplement. Pour le reste, s’égrènent des sites variés mais où domine assez nettement le haut Moyen Âge avec ses trous de poteaux et ses réseaux fossoyés. S’y ajoutent, pour certains, des activités artisanales : textiles, sidérurgie, céramique. Enfin une fouille vendéenne met en valeur une série de pirogues. Souvent, les fiches trahissent la grande modestie du chantier mais c’est bien l’intérêt du travail, le rapprochement qui, en créant un effet de nombre, sinon de masse, donne de l’intérêt au moindre site. Ce volume est une incontestable réussite et, en rendant accessible nombre de rapports de fouilles, il offre une documentation majeure et plus facilement utilisable en raison de sa mise aux normes.

4 À partir de ce recueil, un certain nombre de chercheurs se sont chargés de dégager neuf synthèses qui mettent en valeur les données acquises dans l’inventaire et offrent un notable apport à l’étude de l’habitat médiéval, essentiellement sous ses formes dispersées dont l’intérêt est largement souligné dans la préface d’E. Zadora-Rio. Les deux premiers rapports s’intéressent à l’organisation spatiale des sites et aux constructions. Dans un développement très dense et long de 60 pages, Frédéric Guérin cerne les organisations spatiales et leur évolution. Il souligne l’importance du substrat ancien présent une fois sur deux mais sans entraîner une permanence fonctionnelle. Le site reste mais évolue vers d’autres formes. Une phase de créations importante se place aux VIe-VIIe siècle et une autre, moindre, à l’époque carolingienne, marquée par une certaine diversité. Le site privilégié et aristocratique de Distré, Les Murailles, domine largement La Tullaye ou Saint-Sylvain d’Anjou et encore plus bien des sites fort modestes. À cette époque l’activité artisanale domestique est plus nette : métallurgie et textile surtout mais teinture à Pornic. Les sépultures, généralement groupées, demeurent bien présentes en périphérie de l’habitat mais un véritable cimetière existe à Sainte-Hermine. Le Moyen Âge classique apparaît plus discret mais semble surtout marqué par une réorganisation que traduit un fort mouvement d’abandon qui culmine au XIIe siècle. Alain Valais analyse ensuite plus brièvement les techniques de construction. Il met particulièrement en valeur un habitat marqué par le bois. Les bâtiments excavés mérovingiens sont bien attestés dans l’Ouest mais leur fonction d’annexe demeure quand même à approfondir. La période carolingienne apparaît mieux, les annexes excavées subsistent mais dominent les constructions sur poteaux. À

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Distré les demeures ne possédant généralement qu’une pièce sont bâties sur des solins de pierre et s’accompagnent de silos et de greniers sur poteaux.

5 La vie quotidienne étudiée par Christophe Devals aborde les domaines du vêtement, des lampes, des jeux, de l’artisanat. On retiendra surtout le long développement consacré aux zones dédiées aux différents types de silos et à leur fonction. Les chapitres suivants sont réservés à des aspects spécifiques particulièrement riches. L’étude et l’inventaire des objets métalliques de Distré mettent en lumière l’importance du site, dégageant armes et outils (Vincent Legros) tandis que Isabelle Morera-Vincotte se consacre à un essai de synthèse des céramiques régionales de grande importance dans lequel beaucoup de chercheurs seront amenés à puiser. La mise au point d’une typologie permet aussi de rendre compte des habitudes culinaires qui subissent une forte évolution à la fin du Moyen Âge. Enfin deux courts articles sont consacrés à des aspects majeurs de la nourriture. Les débris de cuisine et les déchets permettent une approche de l’alimentation carnée tandis que les meules éclairent sur la transformation des céréales. Logiquement, la région présente de fortes analogies avec la France du nord mais se distingue aussi par des caractères particuliers, aristocratiques, pour le site des Murailles.

6 Les auteurs ont enfin eu l’idée de demander à l’iconographie un complément d’information. La région bien pourvue de peintures murales a permis l’élaboration d’un corpus qui complète et éclaire les résultats de la fouille. Les outils y apparaissent en entier et surtout dans leur utilisation. Tout en tenant compte des biais que l’image médiévale impose, il faut reconnaître l’intérêt de cette initiative dont le résultat est indéniable.

7 Enfin, Anne Nissen-Jaubert élargit le débat. Elle replace cette étude de l’Ouest dans les travaux actuels sur l’Occident et aborde la question de la continuité et/ou rupture en posant le problème autrement et avec beaucoup de nuances. Les données chronologiques souvent larges ne permettent pas de fixer les différentes phases avec précision mais l’auteur relève le maintien des éléments structurants comme les chemins et les limites de parcelles, ce qui n’exclut pas une forte mobilité de l’habitat.

8 Le compte-rendu ne peut entrer dans les détails et montrer tout ce que le spécialiste des études régionales pourra trouver en termes de données et de comparaisons. Incontestablement, ces deux volumes sont une réussite. On hésite à émettre des regrets mais, puisque ce vaste corpus aborde la question de l’habitat, pourquoi ne pas entrer plus en débat avec les historiens qui se sont penchés sur la question ? Quelques lignes de la conclusion nous laissent sur notre faim. En 2000, date d’achèvement de l’enquête, des travaux étaient déjà publiées, en particulier le volume de Flaran consacré à l’habitat dispersé. Les sites de l’étude appartiennent très majoritairement à cette catégorie d’habitats qui, bien que nommés écarts, terme un peu péjoratif, constituent l’élément majeur car le plus fréquent de la résidence des hommes, bien plus que le centre ecclésial qui ne regroupe souvent qu’un nombre limité d’habitants. Cette question essentielle ne peut progresser que par un débat nécessaire. Il faut le reconnaître, un tel travail rend ce dialogue possible en offrant un corpus de données et une réflexion de grande qualité, et souhaitable, car il devrait produire des fruits du plus grand intérêt.

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NOTES

1. http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=2903

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Robert Favreau, Poitiers, de Jean de Berry à Charles VII Registres de délibérations du corps de ville n° 1, 2 et 3 (1412-1448)

Michel Bouchaca

RÉFÉRENCE

Robert FAVREAU (dir.), Poitiers, de Jean de Berry à Charles VII. Registres de délibérations du corps de ville n° 1, 2 et 3 (1412-1448), Archives historiques du Poitou, t. LXVI, 2014, 464 p.

1 La collection des Archives historiques du Poitou vient de s’enrichir d’un 66e volume avec la publication des trois plus anciens registres de délibérations du corps de ville de Poitiers conservés pour les années 1412-1448. C’est le premier tome d’une série qui en comptera quatre à terme et qui couvrira l’édition intégrale des sept registres de délibérations municipales du XVe siècle aujourd’hui conservés à la médiathèque de Poitiers.

2 Une courte introduction (p. 7-14) présente ces sept registres, dont les trois qui font l’objet de la présente édition : le n° 1, années 1412-1420 ; le n° 2, années 1421-1428 et le n° 3, années 1436-1448. Une brève mise en perspective avec les autres publications de sources municipales pour les villes françaises montre combien le genre était tombé en déshérence de longue date.

3 Couvrant, malgré des lacunes, une grande partie de la première moitié du XVe siècle, ces trois registres permettent à l’historien de plonger au cœur des derniers soubresauts de la guerre de Cent Ans, à l’ombre de deux personnages marquants avec lesquels Poitiers a entretenu des relations plus ou moins étroites : Jean de Berry, flamboyant prince apanagiste détenteur du comté de Poitiers (mort en 1416, auquel son fils, également prénommé Jean, ne survécut qu’un an, le comté faisant alors retour à la Couronne), puis le dauphin Charles – « monsieur le Régent » comme se plaisent à l’appeler les sources poitevines – avant et après sa mue -politique en roi de France en 1422. Au cours de ces années, le destin de la capitale provinciale qu’est Poitiers s’entremêle, toutes

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proportions gardées, avec celui du royaume de France par la présence dans ses murs ou dans ses environs de ces deux personnages et de leur entourage. En toute logique l’index des noms de personnes livre de nombreuses occurrences à chacune des rubriques qui les concernent (p. 446 et 452). Il en est de même pour « Poitiers » dans l’index des noms de lieux, qui offre la rubrique de loin la plus fournie et la plus diverse (p. 432-436).

4 Grâce à un travail méticuleux de transcription, d’édition critique et d’indexation, Robert Favreau livre un abondant et riche matériel documentaire qui illustre les nombreuses études qu’il a lui-même réalisées sur la capitale du Poitou. Les historiens en tireront profit pour poursuivre les recherches locales comme pour développer des comparaisons avec d’autres villes. Enfin le lecteur curieux et érudit aura tout loisir de parcourir l’ouvrage en quête de menus faits, voire d’anecdotes qui éclairent certains aspects de la vie quotidienne d’une capitale provinciale vue au prisme des délibérations de ses magistrats municipaux (fonctionnement institutionnel et affaires de la commune, clergé et institutions ecclésiastiques, dont l’université, topographie de la ville et activités économiques…). La vision que l’on en retire est certes partielle et parfois réductrice, mais on ne peut que remercier Robert Favreau d’en avoir grandement facilité l‘accès. On attend donc avec impatience la publication des autres registres en faisant nôtre la formule de Georges Duby : « L’histoire continue ».

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Jonathan Dumont et Laure Fagnart (dir.), Georges Ier d’Amboise, 1460-1510 Une figure plurielle de la Renaissance

Antoine Rivault

RÉFÉRENCE

Jonathan DUMONT et Laure FAGNART (dir.), Georges Ier d’Amboise, 1460-1510. Une figure plurielle de la Renaissance, Rennes, PUR, coll. « Histoire », 2013, 274 p.

1 Ce livre est le résultat d’un colloque international organisé à l’université de Liège en 2010 à l’occasion du 500e anniversaire de la mort du cardinal Georges I er d’Amboise, archevêque de Rouen, légat a latere et principal conseiller du roi de France, Louis XII. La rencontre, placée sous le signe de l’interdisciplinarité, réunit 17 spécialistes du Moyen Âge tardif et du début du XVIe siècle. Les contributions forment 262 pages organisées en trois parties autour de la personne de Georges d’Amboise illustrée tour à tour par ses « actions et images politiques », son rôle de « bâtisseur, bibliophile et amateur d’art » et enfin de sa « mise au tombeau à la memoria ». Dans une rapide introduction, Jonathan Dumont et Laure Fagnart font le point sur la très riche historiographie du cardinal, qui va du panégyrique à la diatribe.

2 La première partie, « Georges d’Amboise, actions et images politiques », revient sur le rôle politique du cardinal du temps du règne de Louis XII. Ancien compagnon du temps où celui-ci n’était que duc d’Orléans, le cardinal d’Amboise devient son principal conseiller à son avènement à la couronne de France. Incarnation du prélat d’État (dans la France du début du XVIe siècle, un conseiller du roi sur trois est un ecclésiastique), le cardinal d’Amboise, fortement associé à Louis XII, est dépeint comme « le premier des grands ministres-favoris de la France moderne » (Cédric Michon, p. 26). Laurent Vissière s’efforce de discerner autant que possible la philosophie politique du cardinal d’Amboise. Celle-ci reposait sur une stratégie du glacis et des États-tampons qui préservait la Pax Gallica. Porter la guerre en Milanais, malgré bien des échecs, c’était

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conserver la paix en France (p. 56). Ainsi Georges d’Amboise s’appuya-t-il sur des grands feudataires pour tenir la Lombardie française à l’image de Jean-Jacques Trivulce, gouverneur par intérim du Milanais (Marino Vigano). À l’intérieur du royaume de France, le cardinal avait une vision « moderne » et réformatrice. La rédaction des coutumes nécessitait ainsi une forte culture juridique que le cardinal s’efforça de faire reconnaître par les universités (Isabelle Gillet). Le livre fait également la part belle aux « images politiques » que véhiculait le cardinal comme des illustrations visuelles de sa puissance. L’héraldique et l’emblématique des membres de la famille d’Amboise sont ainsi finement analysées par Laurent Hablot qui note au passage que « par un heureux hasard » (p. 45), les couleurs de Georges d’Amboise correspondent à la fois aux couleurs personnelles de Louis XII (le jaune et le rouge) et à celles du gouvernement pontifical « dont elles adoptent l’exacte mise en forme palée ». Ainsi se dessine un cardinal « entre l’Église et l’État », mais dont l’image de prélat d’État est davantage celle d’un prince temporel que celle du parfait ecclésiastique (Jonathan Dumont, p. 93). Par ailleurs, cette image fut à maintes reprises raillée par les contemporains du cardinal. Le théâtre de la Basoche, par exemple, le met en scène sous les traits du mauvais conseiller, manipulateur du roi (Nicole Hochner, p. 98). Sont également dénoncés les trop larges pouvoirs temporels du prélat et son goût pour le cumul des charges, des fonctions et des bénéfices.

3 La deuxième grande partie du livre s’attache à la figure d’important mécène que fut Georges d’Amboise. Archevêque de Rouen, le cardinal fit office de véritable bâtisseur en Normandie, supervisant les constructions du palais archiépiscopal de Rouen, le château de Déville et celui de Gaillon (Flaminia Bardati). C’est ce dernier qui concentre toute la magnificence du cardinal-ministre. Ce château longtemps décrit comme « premier foyer de la Renaissance en France », célèbre pour son architecture et ses jardins, abritait également des décors intérieurs somptueux et de nombreuses œuvres d’art qui révèlent un fort attachement du prélat à Saint Jean-Baptiste (Laure Fagnart, p. 176). Des tableaux plus célèbres encore sont acheminés à Gaillon pour recevoir officiellement en 1508 le roi et la reine. En effet, à l’automne 1508, Georges d’Amboise y accueille Louis XII et les ambassadeurs étrangers (Xavier Pagazani). S’y déploie un discours politique par les arts dans lequel le cardinal n’hésite pas à représenter le roi en empereur romain (p. 168). Georges d’Amboise est également un important bibliophile. Toujours à Gaillon, sa bibliothèque ne rassemble pas moins de 250 ouvrages (mais assez peu d’imprimés), ce qui est considérable pour la France de l’époque (Marie-Pierre Laffitte). S’y côtoient des livres de droit, d’histoire, de liturgie et déjà des ouvrages de la Renaissance italienne. Son goût pour les arts, le cardinal aurait pu le transmettre à son neveu, Charles d’Amboise. Edoardo Villata convainc le lecteur que le gouverneur du duché de Milan, au lieu d’être le rude militaire que nous connaissons, pourrait avoir été « un connaisseur très perspicace » de l’art italien de l’époque, capable de reconnaître de futurs talents comme Le Corrège (p. 207). Par ailleurs, à Gaglianico (Biella), les fresques de la chapelle du château rendent hommage à Charles d’Amboise (Vittorio Natale). Ainsi, c’est bien « le clan Amboise » qui affirme son goût pour les arts.

4 Enfin, une brève troisième partie (deux contributions) se penche sur la memoria du cardinal après sa mort survenue en mai 1510. En faisant le pari de faire une comparaison de ses funérailles rouennaises avec celle d’un autre proche de Louis XII, Gaston de Foix, Alain Marchandisse montre bien l’originalité des cérémonies funéraires du cardinal. Bien qu’issu d’une famille moins illustre que celle de Gaston de Foix, Georges d’Amboise bénéficie d’obsèques quasi royales du fait de la présence d’une

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effigie (p. 236). Enfin, la mise en bière du cardinal dans son église métropolitaine de Rouen lui offre une « vie posthume » (Gabriela Reuss). Son imposant monument funéraire dédié à la Vierge (qu’il partage avec un autre neveu) présente une effigie « animée » du cardinal « qui se trouve ainsi à la jonction entre la présence réelle du corps et sa représentation » (p. 246).

5 Pour reprendre à quelques mots près une formule de la conclusion (Franz Bierlaire), ce colloque consacré à Georges Ier d’Amboise s’efforce d’abattre le mur entre « Gothique » et « Renaissance ». À travers la vie du cardinal d’Amboise se dessine bien une « figure plurielle de la Renaissance ». Si certains axes ont été privilégiés, il n’en reste pas moins que l’ouvrage présente des articles variés, qui se complètent davantage qu’ils ne s’additionnent. Preuve s’il en est besoin de la pertinence de l’interdisciplinarité y compris dans une approche biographique.

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Philippe Haudrère, Les Français dans l’océan Indien, XVIIe-XIXe siècle

Caroline Le Mao

RÉFÉRENCE

Philippe HAUDRÈRE, Les Français dans l’océan Indien, XVIIe-XIXe siècle, Rennes, PUR, coll. « Histoire », 2014, , 330 p.

1 Est-il besoin de présenter ici l’auteur du présent ouvrage, Philippe Haudrère, professeur émérite à l’université d’Angers et éminent spécialiste des compagnies des Indes depuis la soutenance puis la publication de sa thèse d’état sur La compagnie française des Indes au XVIIIe siècle (1719-1795), en 1989 ? Depuis, Philippe Haudrère n’a cessé de produire des articles et ouvrages sur des sujets connexes, et l’on citera plus particulièrement sa synthèse sur Les compagnies des Indes Orientales (Paris, Desjonquères, 2006). Bien malheureusement, ses multiples articles originaux restent souvent épars, insérés dans des publications parfois difficiles à retrouver et consulter. Le présent ouvrage remédie à cela en proposant l’édition ordonnée d’une sélection de vingt-neuf articles, qui offre une première synthèse des écrits de Philippe Haudrère, redonnant ainsi toute sa cohérence à une œuvre historique magistrale, qui s’est déployée sur plus de quarante ans. La bibliographie proposée en annexe permet en outre au lecteur de disposer d’un panorama complet des travaux de l’auteur (p. 315-321). Les articles présentés comportent cartes (copies de documents originaux ou outils d’analyse), illustrations, graphiques et tableaux statistiques, dont on trouvera la table p. 323-324.

2 Ces articles sont ordonnés selon quatre thèmes. La première partie – Les compagnies des Indes (8 articles) – se concentre sur l’organisation des compagnies, en mettant l’accent sur les principaux acteurs (chapitres II, III, IV) avant de se concentrer sur les produits (chapitres VI, VII) tout en mettant en lumière le caractère structurel d’économie mixte de ce secteur d’activité.

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3 Après avoir posé les cadres du développement de cette aventure, on peut emprunter, avec Philippe Haudrère, la Route des Indes (deuxième partie, 7 articles). Ce qui frappe immédiatement est la dangerosité : piraterie (chapitre IX), guerres (chapitre XI), scorbut et autres maladies dues aux conditions d’hygiène déplorables (chapitre XII), naufrages (chapitre XIII) constituent le quotidien de ceux qui tentèrent l’aventure de l’océan Indien. Pour contrer ces aléas, la compagnie s’organise : elle fait construire ses propres vaisseaux à Lorient à partir de 1729 (chapitre X) et se dote ainsi d’une solide flotte de commerce avant d’envisager le développement d’une flotte de guerre (chapitre XI). Elle améliore aussi sa connaissance de la région en confiant à d’Après de Mannevillette la réalisation d’une carte marine (chapitre XIV) corrigeant les erreurs des exemplaires français et hollandais en usage. Elle fait enfin de ses officiers de vaisseaux un corps d’élite de la Marine française (chapitre XV).

4 Tout ceci rend possible la présence et l’activité européenne aux Indes Orientales, dont la troisième partie étudie divers aspects. Après avoir découvert les sources de la connaissance des Indes Orientales en Europe (récits de commerçants, lettres de missionnaires et cartes des marins et géographes sont présentés au chapitre XVI), le lecteur entrevoit la vie outre-mer à travers la présentation de la monnaie à Pondichéry (chapitre XVIII) ou l’étude de ceux qui réussirent, qu’il s’agisse de la noblesse à Bourbon (chapitre XVII), ou des quelques Français qui firent fortune dans le commerce d’Inde en Inde (chapitre XX), en particulier La Bourdonnais (chapitre XIX).

5 La quatrième et dernière partie est quant à elle consacrée aux rapports entre marine et colonisation (7 articles) pour aborder la question cruciale de la politique coloniale de la France dans l’océan Indien. Celle-ci semble marquée au coin de l’échec : échec du commerce des esclaves (chapitre XXI) ; échec en raison de la relative fréquence des révoltes à bord des bâtiments négriers (chapitre XXII) ; échec des expéditions commerciales en Mer du Sud, qu’il s’agisse de celle de Marion-Dufresne en 1771-1773 (chapitre XXIII) ou du voyage du Saint-Jean-Baptiste (chapitre XXIV), victime d’une mauvaise connaissance cartographique de la zone et de la permanence du monopole commercial espagnol ; échec – relatif – de l’action des Français dans l’océan Indien durant la guerre d’Indépendance américaine ; statu quo, en revanche, lors de la paix d’Amiens, négociée en 1801, qui maintient un certain équilibre entre France et Grande- Bretagne. Le dernier chapitre permet enfin au lecteur de se projeter 80 ans plus tard, pour faire le point, à travers les discours de Monseigneur Freppel, sur l’enjeu que constituent les questions coloniales dans les années 1880.

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Claudy Valin, Lequinio La loi et le Salut public

Michel Biard

RÉFÉRENCE

Claudy VALIN, Lequinio. La loi et le Salut public, Rennes, PUR, coll. « Histoire », 2014, 332 p.

1 Issu d’un doctorat en Histoire du droit soutenu à l’université de Poitiers, enrichi de recherches complémentaires, ce livre nous offre le portrait d’un protagoniste important de la Révolution française, Joseph Marie Lequinio. Peu souvent mentionné dans les histoires générales de la période, objet de trop rares travaux, le personnage possède, à l’instar de nombre d’autres révolutionnaires, sa légende noire : athée, représentant en mission « terroriste », malade mental, etc. Comme il se doit, ces images noircies à l’envi reposent en grande partie sur les dénonciations de l’an iii et sur l’historiographie la plus hostile à la Révolution. Un délateur de la période « thermidorienne », au demeurant guère soucieux de ses propres contradictions, ne le nomme-t-il pas dans une même lettre le « second Robespierre » et le « second Marat » ! Avocat et historien, Claudy Valin a consacré de longues années de recherches à Lequinio et met ici à la disposition des lecteurs la toute première biographie scientifique du personnage, celle à laquelle devront désormais se référer tous les chercheurs.

2 Organisé autour de quatre grandes parties chronologiques, ce travail évoque tout d’abord « les années de jeunesse et de formation (1755-1778) », puis l’avocat et son entrée en Révolution, « l’homme d’État » député à la Législative et à la Convention nationale, enfin « la disgrâce de l’homme politique » à partir de 1794. Il s’accompagne d’une belle iconographie, mais ne comprend hélas aucun index, pas davantage de présentation des sources et références bibliographiques que le lecteur devra donc repérer au fil des notes. Cela pose évidemment problème dès lors qu’un ouvrage reçoit la mention op. cit. sans que l’on puisse facilement retrouver la note qui livre, elle, la référence complète. Choix de l’éditeur pour économiser sur le nombre de pages ? En

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tout état de cause, c’est d’autant plus regrettable que le livre est d’une grande richesse et les notes très précieuses.

3 Né le 15 mars 1755 à Sarzeau, d’un père chirurgien, Lequinio grandit dans un milieu « bourgeois » et catholique. Il perd son père un an plus tard, est élevé par sa mère, passe par le collège de Vannes et étudie le droit à Rennes. Il quitte cette faculté de droit en 1777, année du décès de sa mère, mais ne semble pas exercer comme avocat avant 1786, sans que l’on sache grand-chose sur la période séparant ces dates. Déjà initié à la pratique des affaires publiques avant la Révolution (maire de Rhuys, il participe à plusieurs reprises aux États provinciaux de Bretagne comme député du tiers état), il marque de son empreinte le cahier de doléances de Rhuys, puis se fait connaître par plusieurs écrits qui témoignent de son grand intérêt pour le monde rural (dont son Journal des laboureurs). Envisage-t-il aux premiers temps de la Révolution de « mener une existence sereine au milieu de ses expériences agricoles et agronomiques » avant « les événements qui viennent le chercher dans son ermitage » (p. 98) ? Toujours est-il qu’il devient l’un des huit députés envoyés à Paris en septembre 1791 par le département du Morbihan pour siéger à l’Assemblée législative. Claudy Valin retrace ici ses activités au cours de la brève existence de cette Assemblée et décrit notamment son rôle important au sein du comité d’Agriculture, dans la logique de ses centres d’intérêt déjà anciens. Fréquentant le club des Jacobins, il est réélu un an après par les électeurs de son département comme représentant du peuple à la Convention nationale, où il continue de siéger au comité d’Agriculture (auquel s’ajoute ensuite le comité de la Guerre). Régicide, montagnard, il est envoyé à de nombreuses reprises en mission, notamment à l’armée du Nord au printemps 1793 et dans les deux départements charentais de l’automne suivant au printemps 1794. Ce sont ses missions dans les ports de Rochefort et La Rochelle (avec Laignelot) et pour organiser le Gouvernement révolutionnaire dans ces deux départements qui lui valent ensuite l’essentiel des accusations. Claudy Valin étudie avec minutie son action dans ces territoires aux confins de la « Vendée militaire », fait la part entre la légende noire et les réalités découvertes dans les fonds d’archives, dresse le bilan des épurations et de la répression locale, enfin nous offre de belles pages sur le « déchristianisateur » et son fameux ouvrage, Les Préjugés détruits. Tombe-t-il dans une sorte de disgrâce après son rappel au printemps 1794, en raison de ses prises de position qui peuvent le faire apparaître proche des « Exagérés » alors éliminés à Paris ? À mon sens, le débat reste entier, mais cela ne relève guère de l’originalité, puisque les positions de nombreux autres représentants du peuple sont difficiles à cerner entre le printemps 1794 et Thermidor. Après la mort de Robespierre et de ses compagnons, Lequinio participe aux dénonciations contre le prétendu « tyran », tout en restant fidèle à la Montagne et à ses idéaux de l’an II. Toutefois, lorsque les trois quarts des Derniers Montagnards sont peu à peu arrêtés, et pour certains voués à la mort, il fait partie des dernières cibles visées (en thermidor an III, soit de longues semaines après les événements de germinal et prairial). Son destin politique n’en est pas moins définitivement brisé. En 1802, le Consulat le nomme sous-commissaire des affaires commerciales à Newport (États-Unis), « exil politique déguisé » (p. 310) quoique tardif. Démissionnaire en 1805, il achète une propriété rurale en Caroline du Sud et meurt en 1812 dans une ferme nommée « Liberty »…

4 Écrit de belle manière, l’ouvrage se lit avec aisance et un très grand intérêt. Tout au plus pourra-t-on regretter çà et là quelques coquilles dans l’orthographe des noms (Billaud-Varennes, Isorée), mais aussi parfois telle ou telle affirmation discutable

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(p. 159, à propos de la Convention : « L’exécutif et le législatif se trouvent réunis dans une même main au bénéfice de l’Assemblée »). Ces quelques menues réserves ne doivent surtout pas dissimuler l’essentiel : nous tenons là, enfin, une biographie de référence sur Lequinio. Elle devra prendre, en bonne logique, toute sa place dans une galerie de portraits des Conventionnels enrichie ces dernières décennies par d’autres recherches et aujourd’hui encore au centre d’un projet ANR baptisé Actapol, projet qui débouchera sur un attendu Dictionnaire des Conventionnels faisant suite aux deux précédents dirigés par la regrettée Edna Lemay sur les Constituants et les Législateurs.

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Jean-François Gicquel, Le juriste malgré lui ou les Dix Commandements du Droit concordataire selon Monseigneur Godefroy Brossays Saint- Marc Esquisse d’une biographie juridique

Samuel Gicquel

RÉFÉRENCE

Jean-François GICQUEL, Le juriste malgré lui ou les Dix Commandements du Droit concordataire selon Monseigneur Godefroy Brossays Saint-Marc. Esquisse d’une biographie juridique, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2011, 740 p.

1 C’est au cours de sa thèse de doctorat en droit soutenue à Rennes en 2000 et consacrée au Concordat en Bretagne – Clergé et administration (1801-1879) que Jean-François Gicquel a croisé la figure de Mgr Godefroy Saint-Marc. Devenu maître de conférence d’histoire du droit à l’université de Nancy, il revient dans un volumineux ouvrage de 740 pages sur cet évêque de Rennes qui le fascine et le séduit, comme il l’avoue dès l’introduction. Le sous-titre de l’ouvrage – « esquisse d’une biographie juridique » – révèle le caractère hybride de la recherche et l’objectif de Jean-François Gicquel : jeter un nouvel éclairage sur la vie de Mgr Brossays Saint-Marc et sur l’application du droit concordataire en faisant dialoguer l’un et l’autre.

2 L’ouvrage se situe donc au carrefour du droit et de l’histoire. Il couvre essentiellement les années 1841-1878, qui correspondent à l’épiscopat de Mgr Brossays Saint-Marc. Les prolégomènes, qui retracent rapidement la biographie du prélat, rappellent sa remarquable ascension : né à Rennes en 1803, ce fils de bourgeois est ordonné prêtre en

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1831 par Mgr de Lesquen, qui en fit son vicaire général dès 1834, puis son successeur. Promu évêque en 1841, Mgr Brossays Saint-Marc s’affirma breton concordataire. L’approche singulière du sujet est stimulante et séduisante mais, il faut l’avouer, la forme finale déroute l’historien. L’ouvrage se compose en effet de deux parties fort inégales : tandis que la première, qui traite de la résistance de l’évêque aux dispositions concordataires, couvre 44 pages, la seconde, consacrée à son appropriation du régime juridique en vigueur, s’étend sur 646 pages ! La constitution d’un décalogue du droit concordataire sert de fil conducteur et témoigne d’une habileté intellectuelle certaine de l’auteur mais occasionne certaines redites et tend à gommer la dimension chronologique.

3 D’une plume prolixe laissant souvent apparaître des jugements personnels, l’auteur parvient à faire vivre l’évêque dans la complexité du jeu concordataire, nourrissant sa réflexion grâce à une abondante documentation issue notamment de la série V des Archives départementales d’Ille-et-Vilaine. Les conflits avec l’administration préfectorale sont bien restitués et le lecteur saisit alors la forte personnalité de Mgr Brossays Saint-Marc. L’évêque, qui se montre tour à tour manipulateur, séducteur, autoritaire, use de son talent politique pour s’attirer les bonnes grâces de Napoléon III. Ce n’est qu’après l’obtention de la dignité archiépiscopale, en 1859, que le métropolitain de Bretagne prend ses distances avec l’empereur, en particulier au sujet de la question romaine.

4 Désormais, l’archevêque ultramontain se rapproche de Pie IX et le prisme juridique révèle toute sa pertinence pour saisir les conflits idéologiques et ecclésiologiques qui traversent l’Église catholique en Bretagne. Le concile de Vatican I en particulier révèle ces tensions en faisant apparaître les divergences entre un Mgr Brossays Saint-Marc, zélé défenseur de la cause pontificale, et ses confrères briochin et vannetais, Mgr David et Mgr Bécel, plus réservés. Cet épisode montre bien que le titre d’archevêque et de métropolitain conféré à Mgr Brossays Saint-Marc n’en fait pas le « pape breton » (p. 18) comme le qualifie Jean-François Gicquel dans un excès d’enthousiasme.

5 La sympathie de l’auteur pour son sujet rend cette « biographie juridique » vivante, mais parfois très personnelle et laudative. Jean-François Gicquel fait certes des nuances mais tend à survaloriser la place de Mgr Brossays Saint-Marc dans les évolutions religieuses qui caractérisent l’époque concordataire. Il suffit de se pencher sur les diocèses voisins pour voir que l’abondance des vocations, l’attention à la formation ou la floraison des églises sont davantage des tendances conjoncturelles lourdes que le fruit d’une politique « saint-marcienne » originale et des mérites du prélat. La mobilité des vicaires est elle aussi tout à fait banale et n’est nullement liée à sa capacité à « faire fructifier sa proximité politique avec les autorités parisiennes » (p. 206). En quittant le terrain du droit, le propos est donc moins convaincant. Il l’est d’autant moins que la démonstration historique est rarement précise, l’édition ne proposant aucune note de bas de page et l’auteur donnant rarement le nom des prêtres et des paroisses qu’il évoque dans ses exemples.

6 Le travail de Jean-François Gicquel offre une lecture personnelle de l’épiscopat de Mgr Brossays de Saint-Marc qui, espérons-le, stimulera de nouvelles recherches sur cet archevêque relativement peu étudié. Une approche par le bas, qui consisterait à saisir la personnalité de l’évêque à travers ses visites sur le terrain et ses correspondances avec les prêtres anonymes, serait un judicieux complément à ce travail pour éclairer ce personnage complexe et ambitieux.

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Tudi Kernalegenn, Romain Pasquier, L’Union démocratique bretonne Un parti autonomiste dans un État unitaire

Yvon Tranvouez

RÉFÉRENCE

Tudi KERNALEGENN, Romain PASQUIER, (dir.), préface de Lieven DE WINTER, L’Union démocratique bretonne. Un parti autonomiste dans un État unitaire, Rennes, PUR, coll. « Histoire », 2014, 272 p.

1 Ces actes paraissent moins d’un an après le colloque dont ils émanent et qui s’est tenu à l’IEP de Rennes en avril 2013. On ne sait s’il faut se féliciter d’une telle promptitude, dont la rançon est la relative abondance de coquilles et de négligences orthographiques dont les différents auteurs ne sont évidemment pas coutumiers. Cette précipitation, qui a fait l’économie de la relecture attentive qui se serait imposée, tient sans doute à la conjugaison de deux facteurs impérieux : le désir de publier rapidement pour permettre aux participants d’honorer leurs obligations bibliométriques, et l’opportunité de figurer en librairie avant les élections européennes. L’enfer est pavé de bonnes intentions : stratégie commerciale (à l’heure où la vente des livres de sciences humaines décline) et culture du chiffre dans la production universitaire (chaque article rapporte des points précieux pour la carrière), additionnent ainsi leurs effets pervers pour la rigueur formelle. Mais je vois bien, hélas, que chanter cette antienne, d’un compte rendu à l’autre reste sans effet, quel que soit l’éditeur. Ceci étant dit, je n’ai que des louanges à formuler pour le reste, même sur le plan matériel, qu’il s’agisse de la qualité de la présentation générale ou de la richesse de l’annexe photographique – quarante planches hors texte, reproduisant notamment des affiches emblématiques.

2 Fermement introduit et conclu par ses deux directeurs, l’ouvrage s’organise en quatre parties. La première analyse l’UDB dans le cadre de la question régionale telle qu’elle se pose en France (Romain Pasquier), telle qu’essaie d’y répondre l’alliance des partis périphériques Régions et Peuples solidaires (Tudi Kernalegenn) et telle que l’abordent

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ailleurs – et autrement que l’UDB – deux formations politiques analogues, l’une sarde, le Partito Sardo d’Azione (Carlo Pala), et l’autre basque, Abertzaleen batasuna (Lontzi Amado-Borthayre). La deuxième partie situe le parti dans l’espace politique breton : son implantation municipale (Jean Guiffan), ses relations complexes avec les socialistes (François Prigent, qui dénoue les fils des réseaux de ce petit monde, prouvant une nouvelle fois la richesse de ses dossiers biographiques, à faire pâlir les défunts RG) et les écologistes (Martin Siloret). La troisième aborde différents aspects de l’inscription sociale ou culturelle de l’UDB : sa place marginale, faute de base ouvrière, dans les luttes sociales (Vincent Porhel) ; son positionnement ambigu sur le dossier nucléaire au temps de l’affaire de Plogoff (Gilles Simon) ; son rapport, plus embarrassé qu’on ne croit, à la violence politique (Erwan Chartier) ; la singularité de son expression indigène dans Pobl Vreizh (Cedric Choplin, qui montre, entre autres choses, que les bretonnants échappent peu ou prou au centralisme démocratique de la direction francophone) ; et encore ses relais littéraires, étonnamment plastiques (Mannaig Thomas). Enfin, trois acteurs historiques évoquent les grands moments de l’histoire du parti : émergence et affirmation de 1964 à la fin des années 1970 (Ronan Leprohon), crise et redressement de 1980 à 1994 (Herri Gourmelen), reconfiguration et ancrage dans les institutions depuis les années 2000 (Christian Guyonvarc’h). In fine, le premier et seul député apparenté UDB à l’Assemblée nationale, Paul Molac, élu en 2012 avec le soutien du Parti socialiste et d’Europe Écologie Les Verts, livre son témoignage. De précieuses annexes documentaires, une bibliographie et un triple index (personnes, lieux, structures et concepts) concourent à faire de l’ensemble un remarquable instrument de travail.

3 Histoire instructive que celle de cette première organisation du mouvement breton à jouer durablement le jeu démocratique. Rompant avec la vision nostalgique et réactionnaire de la Bretagne à laquelle beaucoup se complaisaient encore dans les années 1950, elle s’inscrit délibérément dans la modernité et vers l’avenir – à l’instar des Seiz Breur ou des amis de Mordrel vingt ans plus tôt, mais naturellement dans un tout autre esprit. Issue de la sécession des jeunes du MOB en 1964, l’UDB représente en effet à la fois une rupture avec l’héritage politique encombrant de l’ancien emsav compromis sous l’Occupation, un dépassement du mouvement culturel traditionnel incarné par le Bleun-Brug, et surtout une prolongation de l’approche économique du problème breton introduite par le CELIB, mais dans une perspective désormais tiers- mondiste, et non plus libérale. Dès lors qu’elle est analysée en termes de lutte contre une situation « coloniale », la cause bretonne peut émarger à gauche, alors que, depuis la Révolution française et jacobine, elle campait résolument à droite, sauf exceptions marginales (Masson, Sohier). Cependant, les lunettes marxistes étant bientôt démodées, le nouveau Parti socialiste accédant au pouvoir en 1981 et son chef de file breton, Louis Le Pensec, assurant perfidement qu’elle « n’a plus lieu d’être maintenant que le PS applique son programme », l’UDB, tiraillée entre une aile gauche intransigeante et une aile droite accommodante, entre en crise avant de trouver son salut en abandonnant le modèle productiviste pour se rallier aux thèses écologistes.

4 Malgré ce passage opportun du rouge au vert, facilité par sa sociologie – un parti de « profs » – les limites de l’UDB sont évidentes. Dès lors qu’elle rejette l’action violente, dont elle redoute l’effet contre-productif, elle s’épuise sur une scène électorale dont les règles du jeu la mettent en porte-à-faux dans tout scrutin qui dépasse l’échelon régional : les revendications bretonnes n’intéressent pas l’électorat français, et même la fédération Régions et Peuples solidaires est loin de couvrir tout le territoire. L’UDB est donc condamnée à des alliances dans lesquelles elle sert de force d’appoint,

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dépendant des socialistes ici, des verts là, mais toujours dominée. Par ailleurs, elle manque cruellement de leader médiatique. Ronan Leprohon aurait pu l’être, s’il n’avait été tenu en lisière par une direction jalousement collective avant de rallier le Parti socialiste, et ce n’est pas faire injure à ceux qui sont restés que de constater qu’aucun d’entre eux n’a eu le même charisme. Et puis, comme le souligne Romain Pasquier, les rétributions électives sont marginales, et le militantisme UDB relève donc de l’ascèse perpétuelle. C’est seulement depuis les années 2000, à la faveur des progrès de la décentralisation, que le parti a pu obtenir des postes de pouvoir gratifiants dans les institutions régionales.

5 En somme, et ici c’est le recenseur qui extrapole au terme de sa lecture, la faiblesse de l’UDB – et plus largement celle du mouvement breton, quelle que soit sa couleur politique, depuis les origines – traduit avant tout la force de l’intégration nationale française. Inversement, les mouvements flamand, catalan, écossais, québécois, tirent leur vitalité de l’échec de la construction nationale belge, de l’effritement de l’idée espagnole, ou du libéralisme des modèles étatiques anglo-saxons. Faible structurellement, forte conjoncturellement, la cause bretonne ne cristallise politiquement que lorsqu’elle exprime autre chose qu’elle-même, colorant la résistance catholique entre 1902 et 1905, amplifiant les luttes paysannes et ouvrières dans les années 1960 et 1970, ou cimentant un conglomérat de revendications plus ou moins contradictoires, comme cela s’est vu dans le récent mouvement des Bonnets rouges. Des printemps sans été, des révoltes sans révolution. L’UDB l’a bien compris, qui borne désormais ses ambitions à accompagner le revival culturel breton sur le terrain régional, dans une vision iréniquement complémentaire des identités bretonne, française et européenne. Elle est donc et elle n’est exactement, selon le sous-titre du livre, qu’un « parti autonomiste », dans un « État unitaire » dont elle se borne à espérer, à terme, une véritable décentralisation.

6 Pour prolonger la réflexion historique initiée par cet ouvrage, quelques suggestions me viennent à l’esprit. Il y aurait à s’interroger sur le fort ancrage léonard et brestois de l’UDB, qui renvoie peut-être à l’hypothèse selon laquelle le mouvement breton exprime avant tout les revendications d’une Basse-Bretagne qui cumule tous les handicaps de la périphérie, ce qui n’est pas le cas de Rennes et de sa région. Combien de Finistériens, « exilés » un temps à Paris… ou à Rennes, parmi les animateurs du mouvement breton ? Dans cette ligne, la sociologie singulière du parti, évoquée par plusieurs contributeurs, pourrait être affinée. Il me souvient que les élections municipales de Brest, en 1971, offraient un curieux contraste entre la liste UDB, bien garnie par les enseignants de la Faculté des Lettres, et celle du Parti communiste, qui comptait plusieurs représentants de la Faculté des Sciences. Ceci encore : si l’UDB fleurit aujourd’hui à l’ombre du socialisme ou de l’écologie, il semble bien qu’un certain nombre de ses adeptes ont poussé dans les serres communiste ou catholique. On aimerait en savoir plus sur ces transferts, ce qui supposerait, pour le côté catholique qui m’est plus familier, d’étudier de près la scission des anciens et des modernes au sein du Bleun-Brug et l’itinéraire des jeunes regroupés autour de Gérard Pigeon et de la revue Bretagne aujourd’hui. En attendant, on lira avec intérêt le précieux « roman », clairement autobiographique, de Jean-Jacques Monnier : La Mouette et l’ajonc. Un demi-siècle de combats pour la Bretagne ou l’itinéraire d’un Breton de gauche (Rennes, Terre de Brume, 1999), qui aurait mérité de figurer dans la bibliographie finale.

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Jean-Pierre Branchereau, Alain Croix, Didier Guyvarc’h et Didier Panfili (dir.), Dictionnaire des lycées publics de Bretagne

Jean Le Bihan

RÉFÉRENCE

Jean-Pierre BRANCHEREAU, Alain CROIX, Didier GUYVARC’H et Didier PANFILI (dir.), Dictionnaire des lycées publics de Bretagne, Rennes, PUR, 2012, 655 p.

1 Ce dictionnaire partage assurément un air de famille avec les autres entreprises éditoriales menées au cours de ces dernières années sous la houlette ou à l’initiative d’Alain Croix, en particulier le Dictionnaire du patrimoine breton (Rennes, PUR, 3e édition 2013) et le Dictionnaire d’histoire de Bretagne (Morlaix, Skol Vreizh, 2008) : il est imposant, pour ne pas dire monumental ; il résulte d’une vaste coopération puisqu’y ont contribué quelque 128 auteurs ; enfin il constitue un « bel objet éditorial », comme en témoignent le nombre et la qualité des illustrations (photographies de Marc Rapilliard, cartes et plans venant périodiquement éclairer le texte), mais aussi le degré de précision de la chronologie et de la bibliographie placées en annexe. Le titre de l’ouvrage ne comporte pas le mot « histoire » ; il n’y aurait pourtant rien perdu, tant il est entendu, à la lecture, que ce dictionnaire constitue d’abord et avant tout un livre d’histoire, embrassant les deux gros siècles d’existence des lycées, depuis 1802 jusqu’aux premières années du XXIe siècle : ainsi avait déjà procédé le Dictionnaire des lycées publics des Pays de la Loire, premier du genre et paru trois ans plus tôt sous la responsabilité d’un collège directorial aux trois quarts identique.

2 Le choix qu’ont fait les directeurs de l’ouvrage est celui d’une définition large, extensive, du lycée : sont pris en compte tous les types de lycées – généraux et technologiques, professionnels, agricoles, maritimes, de la défense – mais aussi les

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établissements régionaux d’enseignement adapté (EREA), à quoi s’ajoutent les lycées « disparus » de la région (p. 198-201), et, surtout, le fait que nombre de notices monographiques évoquent la période antérieure à la promotion de l’établissement au statut de lycée, période durant laquelle celui-ci était donc, selon le cas, un collège communal, une école primaire supérieure, un centre d’apprentissage etc. On ne peut que souscrire à ce parti pris qui a le double mérite d’inscrire l’histoire des lycées dans le champ plus vaste des institutions éducatives ainsi que dans une temporalité plus longue, et de rendre ainsi cette histoire plus intelligible. A contrario, l’ouvrage procède à deux exclusions qu’on pourrait discuter : celle de la Loire-Atlantique – dont le sort a déjà été scellé, certes, trois ans plus tôt – et celle de l’enseignement privé, dont le poids considérable en Bretagne s’observe au nombre important de notices qui sont conduites à l’évoquer, les unes d’un mot, les autres plus longuement. Gageons toutefois que ce double choix résulte davantage de l’implication financière du conseil régional de Bretagne dans l’entreprise que d’un positionnement intellectuel partagé par les quatre directeurs. Enfin, l’association des deux types de notices utilisés dans le Dictionnaires des lycées publics des Pays de la Loire est reprise ici : d’un côté des notices thématiques dont la plupart, les exemples en moins, pourraient intéresser toute autre académie de l’Hexagone, de l’autre des monographies rédigées par des connaisseurs, que l’on soupçonne d’enseigner ou d’avoir enseigné dans l’établissement dont ils traitent.

3 Si une telle aventure éditoriale remplit de multiples fonctions extrascientifiques, seul son apport à la recherche historique retiendra ici notre attention, comme il se doit. Cet apport existe-t-il ? Oui, très certainement, malgré quelques biais qu’il convient de souligner. En premier lieu, ce dictionnaire explore des thématiques scientifiquement pionnières. Le pari était celui d’une histoire « aussi totale que possible » (p. 17) des lycées : pari audacieux, mais globalement tenu tant il est vrai qu’aucune des facettes de cette histoire n’est négligée, et fécond en ce qu’il entraîne le lecteur sur des sentiers encore peu balisés, spécialement celui de l’histoire matérielle, patrimoniale des lycées, dont Jean-Noël Luc avait souligné l’injuste minoration historiographique il y a une dizaine d’années (« À la recherche du “tout puissant empire du milieu”. L’histoire des lycées et leur historiographie du Second Empire au début du XXIe siècle », dans CASPARD, Pierre, LUC, Jean-Noël et SAVOIE, Philippe (dir.), Lycées, lycéens, lycéennes. Deux siècles d’histoire, Paris, INRP, 2005, p. 34). Particulièrement originales sont les notices intitulées « Cabinet d’aisance » (p. 122), « Cour » (p. 170-171), « Dortoir », « Espaces verts » (p. 229-231), « Parloir » (p. 457), « Professeurs (salle des) » (p. 486-487), pour n’en citer que quelques-unes. Plusieurs d’entre elles ouvrent des pistes des plus stimulantes qui ne pourront qu’alimenter la réflexion des spécialistes d’histoire de l’enseignement. Ici, à ce premier niveau, la Bretagne est plutôt un terrain d’observation, au sens où tous ces développements ne concernent évidemment pas en propre l’académie de Rennes.

4 Mais, en deuxième lieu, ce dictionnaire évoque aussi les particularités du « lycée breton ». Ces particularités sont englobées dans l’histoire plus générale de l’enseignement en Bretagne, marquée, on le sait, par un prodigieux renversement qui a vu la région passer du statut de territoire très peu performant à celui de territoire hyper-performant sur le plan scolaire entre la seconde moitié du XIXe siècle et la seconde moitié du XXe siècle : singulier phénomène qui agite les historiens de la Bretagne depuis plusieurs décennies, qui a conduit à parler de « modèle éducatif breton », fondé sur la réussite et l’excellence, et qui a fait récemment l’objet d’un essai de synthèse sous la plume de Bernard Pouliquen (Construire l’excellence

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scolaire. L’exemple de la Bretagne, Rennes, CRDP de Bretagne, 2010). Deux notices récapitulent efficacement les acquis et débats en ce domaine : celles intitulées « Ascension sociale » (p. 69-70) et « Démocratisation » (p. 192-193), signées respectivement Jean-Manuel de Queiroz et Pierre Merle. On les complètera par la très bonne mise au point de Vincent Troger (p. 421-429), qui montre que les enseignements professionnels et techniques, ceux qui, bien sûr, se ressentent le plus des influences de l’environnement socioéconomique, ont puissamment contribué, eux aussi, à cette « succes story scolaire » (p. 427). Évidemment, pour affiner la discussion et renouveler ce qui tend à devenir, au fil des synthèses, une espèce de palimpseste historiographique, il faudrait disposer de nouveaux travaux. Fondamentale, assurément, serait une étude sur l’enseignement secondaire et l’enseignement primaire prolongé bretons durant l’entre-deux-guerres, période où, de toute évidence, l’excellence scolaire de l’après-guerre se prépare. En attendant, glanons ici toutes les remarques propres à faire avancer la réflexion : sur la mise à l’épreuve du « modèle éducatif » breton au temps de la crise généralisée (p. 70), par exemple, ou bien sur la singulière propension des lycéens bretons à se mobiliser, que Pascal Burguin rapporte à bon droit à la centralité du fait scolaire dans la société bretonne contemporaine (p. 400).

5 À un troisième et dernier niveau ce dictionnaire sera utile aux chercheurs de demain : en tant qu’il livre des informations inédites sur l’histoire des lycées bretons, puisées à des sources primaires – principalement des témoignages et des archives d’établissement lato sensu – dont beaucoup, sans cette initiative, auraient sans doute disparu sans laisser de traces. À cet égard, l’ouvrage apparaît comme une véritable mine. Il se révèle particulièrement précieux pour pénétrer l’histoire toujours complexe et toujours singulière des relations entre les différents acteurs impliqués dans la vie d’un lycée (élus locaux, chefs d’établissement, enseignants, parents d’élèves etc.), relations qui s’intensifient visiblement en deux temps principaux, celui de la lutte pour l’ouverture du lycée et celui du combat pour sa sauvegarde, au cours desquels se recompose ce que les politistes appellent le « système d’acteurs ». Et l’ouvrage est littéralement indispensable pour toucher, même imparfaitement, à l’expérience quotidienne du lycée – jusque dans sa dimension sensorielle : il faut lire ici les belles lignes que consacrent J.-P. Branchereau et D. Guyvarc’h aux lycées des bords de mer (p. 418). On n’est que plus gêné par deux faits. Le premier est l’absence de références aux sources utilisées, qui rend le propos invérifiable et complique d’avance la tâche de qui voudra reprendre l’enquête sur tel établissement ; mais c’est là le résultat d’un choix éditorial qui se justifie pleinement, par ailleurs, par le fait que le lectorat visé n’est pas celui des chercheurs en histoire, du moins pas spécifiquement. Le second est beaucoup plus gênant : beaucoup de monographies d’établissement pèchent ostensiblement par irénisme ; elles donnent l’impression de vouloir taire à tout prix problèmes et difficultés, ce qui jette immanquablement le soupçon sur leur valeur documentaire, d’autant, on le sait bien, que l’académie de Rennes ne se signale pas que par de glorieux records, comme en témoignent, entre autres, la fréquence des conduites suicidaires au sein de la jeunesse bretonne et la quantité de produits psycho- actifs que celle-ci consomme, ce qui, certes, n’est pas le moindre des « paradoxe[s] breton[s] » (p. 535), comme le dit à raison Claire Maitrot. Ces réserves posées, on reconnaîtra qu’il était sans doute malaisé pour les auteurs des notices de tenir un propos par trop critique à l’endroit de « leur » établissement, et l’on saura gré aux directeurs de l’ouvrage d’avoir l’honnêteté de pointer le problème dans l’introduction

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(p. 30) et tout spécialement à Alain Croix d’y insister au détour de la très intéressante notice intitulée « Rumeurs » (p. 525).

6 Assurément, donc, ce livre rendra de grands services aux historiens de l’enseignement secondaire en Bretagne, d’autant que ce champ de recherches était et reste passablement délaissé, ce qui s’explique à la fois par des raisons historiographiques (la querelle scolaire, caractéristique de la Bretagne contemporaine et qui a focalisé l’attention de nombreux chercheurs, s’observe mieux dans l’enseignement primaire, présent partout) que documentaires (les sources relatives aux lycées bretons sont très abondantes mais conservées pour l’essentiel aux Archives nationales). Au regard de l’indigence des travaux sur la question, on peut même, sans exagérer, considérer cet ouvrage comme un événement historiographique. Il se dit qu’un dictionnaire des lycées catholiques de Bretagne est à présent en préparation : serait-ce là une nouvelle expression, en abyme, de l’effet intrinsèquement stimulant de la concurrence scolaire en Bretagne ? Affaire à suivre.

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André Sauvage, Rennes Le Blosne Du grand ensemble au vivre ensemble

Gwenaëlle Legoullon

RÉFÉRENCE

André SAUVAGE, Rennes Le Blosne. Du grand ensemble au vivre ensemble, Rennes, PUR, 2013, 191 p.

1 Ce livre n’est pas un ouvrage universitaire même si son auteur, André Sauvage, enseigne l’architecture et la sociologie à l’université Rennes 2. Si c’est en partie dans le cadre de son enseignement qu’il a dirigé cette entreprise, c’est au moins autant au titre d’habitant et figure du quartier du Blosne qu’il s’est lancé dans l’aventure. Rassemblant 20 000 habitants, ce vaste quartier de Rennes est tout à fait représentatif des grands ensembles construits en France dans les années 1960-1970 puis réhabilité à plusieurs reprises depuis les années 1980 jusqu’aux opérations ANU menées dans les années 2000. Au Blosne cette dernière rénovation correspond à l’arrivée du métro dans le quartier, qui permet de relier très rapidement le grand ensemble au centre-ville. Ces chantiers ont été l’occasion pour les différentes autorités impliquées dans la gestion et l’animation du quartier de repenser avec les habitants l’identité et la configuration du quartier. Une vaste opération de concertation entre architectes, urbanistes et habitants fut confiée à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de l’université Rennes 2. André Sauvage fut un des initiateurs et des animateurs de ce dialogue mené pendant plusieurs années.

2 L’ouvrage est à replacer dans cette vaste réflexion collective. Le but n’était pas tant de livrer une analyse historique académique de la construction et de l’évolution du grand ensemble que de créer un outil permettant au plus grand nombre de s’approprier l’avenir de leur quartier en accédant à son histoire. L’ouvrage est une contribution à la construction d’une identité commune et à la valorisation du quartier, au premier chef aux yeux de ses propres habitants. André Sauvage n’est donc pas le seul contributeur de cet ouvrage. Celui-ci a été appuyé par Ville de Rennes, par l’ANRU et par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme. Préfacé par le maire de Rennes, il a été réalisé avec

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l’aide d’étudiants en conception graphique et en collaboration avec la Commission d’histoire du Blosne, composée d’habitants du quartier, qui s’attela à cette tâche de 2010 à 2013.

3 L’historien de métier ne trouvera pas les multiples notes de bas de page habituelles renvoyant avec précision à une foule de documents référencés aux archives. Mais les quelques notes de bas de page rassemblées à la fin de l’ouvrage indiquent les sources principales (entretiens avec les architectes et aménageurs du grand ensemble, procès- verbaux de la Conférence de coordination de la ZUP, documents d’illustration divers provenant des archives de la Ville de Rennes). Les photographies, cartes et plans, très nombreux, sont particulièrement bien mis en valeur et font de l’ouvrage un « beau livre ».

4 André Sauvage y retrace l’histoire du Blosne en trois étapes. La première partie, « Entre terre et ville » (50 pages), couvre la période 1900-1960. Elle permet au lecteur de replacer le grand ensemble dans une histoire plus ancienne de l’urbanisation de cet espace périphérique situé au sud de l’agglomération rennaise. La deuxième partie, « La fabrique du grand ensemble » (52 pages), est consacrée à la période 1960-1980, qui correspond à la réalisation de la « ZUP Sud », bien que les travaux n’aient été véritablement terminés qu’à la fin des années 1980. Cette décennie est intégrée dans la dernière partie, « De la ZUP au quartier » (62 pages), qui évoque le peuplement et l’équipement du grand ensemble mais aussi l’animation et l’émergence progressive d’une identité au sein du quartier, notamment au fil des diverses opérations de réhabilitations.

5 L’ouvrage aurait gagné à proposer des éclairages extérieurs plus nombreux et plus clairs. Des personnages relevant de l’échelle nationale sont évoqués sans être présentés, alors qu’ils ont joué un rôle majeur dans le sujet qui nous occupe. Il aurait été utile de replacer de façon plus rigoureuse et plus claire l’histoire du Blosne dans une histoire contemporaine multiscalaire : l’histoire des politiques publiques de construction et de logement, l’histoire de l’aménagement régional (particulièrement pertinente pour la Bretagne des Trente Glorieuses) et l’histoire de l’agglomération rennaise. Un effort plus systématique de contextualisation et de cartographie à ces différentes échelles aurait permis une lecture plus aisée pour les non-initiés, qu’ils soient béotiens en matière d’histoire du logement et de la construction ou qu’ils ne soient pas rennais.

6 Ces remarques valent particulièrement pour la première partie, où l’on suit les différentes étapes de l’urbanisation du secteur du Blosne avant la construction du grand ensemble. L’importance accordée au rôle et au destin des manoirs est ainsi peu compréhensible au regard de la modestie des explications fournies à propos du CELIB (Comité d’étude et de liaison des Intérêts Bretons), et de la SEMAEB (Société d’Économie mixte pour Aménagement et d’Équipement de Bretagne) par exemple. De même, l’évocation d’un autre quartier, Maurepas, serait très intéressante si cet ensemble était situé et daté et si la relation avec le Blosne était plus clairement établie. Ce quartier est par ailleurs qualifié à tort de « premier ensemble industrialisé » de France ; son rôle est peut-être important à l’échelle rennaise voire bretonne mais cela n’est pas précisé. En revanche la deuxième partie est beaucoup plus pédagogique. De nombreuses biographies ainsi que des organigrammes permettent de bien saisir les différents types d’acteurs engagés dans la construction du grand ensemble, leurs stratégies et les contraintes qui pesaient sur eux. Une chronologie récapitulative des

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différentes phases de l’opération aurait favorablement complété cette présentation par ailleurs très claire, d’autant plus que la troisième partie voit se chevaucher des éléments relevant de chronologies différentes et non explicitées. Cette dernière partie est moins approfondie que la deuxième mais donne à voir de façon très vivante et concrète la vie et le rôle des habitants, à travers leurs associations, leurs équipements et leurs mobilisations.

7 Le livre d’André Sauvage est à comparer aux nombreux ouvrages similaires qui ont été réalisés à l’occasion des opérations ANRU dans les grands ensembles français. Ces rénovations ont souvent été l’occasion de développer une approche mémorielle et patrimoniale de ces quartiers trop systématiquement décriés. Il serait heureux qu’ils servent de points de départ à une histoire plus générale de ces territoires spatialement et symboliquement considérables de la France urbaine contemporaine.

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Nicolas Balzamo, Les deux cathédrales Mythe et histoire à Chartres (XIe-XXe siècle)

Florian Mazel

RÉFÉRENCE

Nicolas BALZAMO, Les deux cathédrales. Mythe et histoire à Chartres (XIe-XXe siècle), Paris, Les Belles Lettres, 2012, 382 p.

1 Si la cathédrale de Chartres est universellement reconnue comme l’un des joyaux de l’architecture gothique1, la légende chartraine, cette seconde cathédrale évoquée par le titre du présent ouvrage, est aujourd’hui assez largement tombée dans l’oubli en dépit de son ampleur. C’est à l’étude dans la longue durée de cette légende, que Nicolas Balzamo a choisi de considérer comme un véritable « mythe de fondation » de l’Église de Chartres, qu’est consacré ce stimulant ouvrage. En bon herméneute des récits de fondation médiévaux et modernes, lesquels font aujourd’hui l’objet de recherches particulièrement dynamiques illustrées notamment par les maîtres-livres d’Amy Remensnyder et Roberto Bizzochi2, Nicolas Balzamo ne cherche pas à démêler le vrai du faux. Il ne part pas non plus en quête d’une d’improbable origine, mais prend acte d’un système de croyance, ou plutôt d’un régime de vérité qui a nourri jusqu’au milieu du XVIIe siècle l’adhésion unanime des chrétiens d’autrefois et a même connu, après une première phase de doute critique de près de deux siècles, un surprenant revival dans la France catholique de la deuxième moitié du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Pour cela, l’auteur s’efforce de recomposer, par strates successives, le processus de constitution et de transmission du mythe en suivant le fil rouge des objets et des récits.

2 L’originalité de la légende chartraine, au regard des nombreuses traditions liées aux fondations monastiques ou aux origines des sièges épiscopaux, réside dans la connaissance prophétique que les druides du pays des Carnutes auraient eu de la révélation chrétienne bien avant l’Incarnation, connaissance manifestée par la sculpture d’une mystérieuse statue de bois de la « Vierge devant enfanter ». Cette légende faisait de l’église de Chartres le plus ancien sanctuaire chrétien consacré à la Vierge puisqu’il était antérieur à l’existence même de Marie et à la fondation du siège

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épiscopal, plus classiquement attribué à des disciples de l’apôtre Pierre venus de la métropole de Sens – la légende enracinait ainsi la hiérarchie des sièges aux origines du christianisme –, Savinien, Potentien et Altin, les premiers étant considérés comme deux des 72 disciples mentionnés dans les Écritures. On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, que la fabrique légendaire alla jusqu’à engendrer la production d’une lettre aux Chartrains attribuée à la Vierge elle-même.

3 Comme le montre l’auteur, une autre des forces de la légende chartraine réside dans l’utilisation de plusieurs objets matériels associés au culte. Le premier de ces objets est bien sûr la relique de la Vierge, un « morceau de soie blanche écrue, sans broderie ni coutures », connu sous le nom de chemise (camisa) de la Vierge, mais dont la nature exacte fit l’objet d’appréciations diverses au cours de l’histoire (chemise, voile, tunique). Mentionnée dans un récit miraculeux du siège de la cité par les Normands en 911 de l’Histoire des ducs de Normandie de Dudon de Saint-Quentin, un texte sans rapport avec le milieu chartrain composé au début du XIe siècle, sa présence dans la cathédrale n’est véritablement assurée, grâce au nécrologe du chapitre, qu’à partir du milieu du X e siècle (son offrande par Charles le Chauve n’est en revanche qu’une hypothèse). Cette relique a elle-même suscité sa propre légende parallèle dont les premiers éléments remontent à Constantinople à la fin du Ve siècle. La légende fut ensuite développée par les chroniqueurs normands, anglais et dyonisiens des XIe-XIIe siècles, bien avant d’être appropriée par le milieu chartrain à partir du milieu du XIIe siècle (ajout à la chronique de Saint-Père) et plus encore au XIIIe siècle (Livre des miracles). Le deuxième objet n’est autre que la statue de la « Vierge devant enfanter », dont la présence est attestée dans la crypte de la cathédrale à partir du XIVe siècle et qui y fut peut-être exposée dès le XIIe siècle. Enfin, un dernier « objet » est constitué par le puits des Saints-Forts, dans la crypte de la cathédrale, réputé pour être le lieu du martyre des premiers évangélisateurs de la cité.

4 Au regard de l’originalité de son objet d’étude, la démarche de Nicolas Balzamo s’avère elle-même doublement originale. Une première originalité tient au choix de la longue durée, qui conduit l’auteur à remonter le plus loin possible (en l’occurrence jusqu’au Ve siècle, mais bien loin de Chartres) et à prolonger l’enquête jusqu’au XXe siècle (même si le chapitre consacré à l’époque contemporaine est à vrai dire très rapide), alors que la plupart des historiens se concentrent soit sur la séquence médiévale, soit sur la période moderne, au gré de leur compétence ou de leur centre d’intérêt. Cette histoire de longue haleine, qui fait feu de tout bois (récits, objets, images), fonde le plan de l’ouvrage, dont les trois parties correspondent de manière assez classique aux trois temps de fabrique et de réception de la légende. La première partie, intitulée « Genèse », met en relief le rôle de la relique de la Vierge, vecteur d’un pèlerinage dont le succès est souligné par de nombreux chroniqueurs du XIIe siècle du nord de la France et qui semble dynamisé par les campagnes de reconstruction de la cathédrale (1130-1140 et 1194-1220) et la rédaction de deux livres de miracles, l’un en latin au tout début du XIIIe siècle, l’autre en français, dû à Jean le Marchant, vers 1250-1260. Ce moment est surtout celui de la captation finalement tardive (peu avant 1130) par le milieu chartrain de motifs apparus ailleurs, à l’abbaye Saint-Pierre-le-Vif de Sens pour les légendes d’évangélisation (la Grande Passion de l’abbé Gerbert) et chez les chroniqueurs anglo-normands pour le miracle de la chemise (Dudon, Guillaume de Malmesbury, Robert de Torigny…).

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5 La deuxième partie, intitulée « Affirmation », décrit la cristallisation des différentes légendes et la formulation progressive d’un récit synthétique depuis la chronique des évêques (1389) jusqu’aux grandes histoires des XVIe et XVIIe siècles. C’est également le moment où le dispositif liturgique du sanctuaire apparaît le plus abouti, associant la statue, la relique et le puits des Saints-Forts. C’est enfin le moment de la réception la plus large du mythe au-delà des cercles ecclésiastiques et des troupes pèlerines, auprès des élites urbaines, qui l’utilisent dans les rituels publics, se regroupent en confrérie de la Vierge (1506) et l’instrumentent contre les protestants lors des guerres de religion ; auprès des rois de France, de Jean le Bon à Louis XIII ; auprès de la papauté, le préambule de la bulle du 1er janvier 1517 labellisant en quelque sorte la légende locale. Il n’est pas jusqu’aux milieux érudits (Belleforest en 1575, Claude Duparc en 1558, Sébastien Rouillard en 1609, Claude Savard en 1671) qui n’en confortent les principaux éléments dans le cadre du nouveau discours humaniste.

6 La troisième partie, intitulée « Déclin », évoque la décomposition progressive de l’édifice légendaire. Les premiers coups viennent de l’érudition ecclésiastique, d’abord de la plume même de chanoines de Chartres tels Jean-Baptiste Souchet (1654), ce « Mabillon de province », ou Léger-François Brillon, puis des bénédictins de la Gallia christiana (1744), autant d’œuvres qui correspondent par ailleurs de plus en plus aux aspirations des évêques en faveur d’une « épuration » historiographique et liturgique (le bréviaire est expurgé des pseudo-saints fondateurs) de légendes désormais tenues pour populaires et superstitieuses. En détruisant les principaux signes matériels du culte (la statue de bois, la chemise de la Vierge, dont seul un lambeau survécut), la Révolution achève une évolution plus qu’elle ne commet un véritable sacrilège. Le « mythe chartrain » connut cependant un étonnant chant du cygne avec la restauration catholique du second XIXe siècle. Paradoxalement, ce fut le moment où le pèlerinage de Chartres acquit pour la première fois une véritable dimension nationale dans un contexte de mariolâtrie exacerbée et d’expiation patriotique (dogme de l’Immaculée conception, apparitions de Lourdes, choix de Chartres pour le pèlerinage pénitentiel de 1873…) vigoureusement entretenues par les prélats locaux. Cette renaissance s’essouffla dès l’entre-deux-guerres, mais elle fut suffisamment intimidante pour peser sur les premiers travaux de l’historiographie positiviste locale (Eugène de Lépinois et Lucien Merlet), au grand dam de Mgr Duchesne, pourfendeur de la « mythologie » chartraine. En trois tableaux, Nicolas Balzamo opère donc une stratigraphie complète des légendes chartraines, en se montrant à chaque fois soucieux d’insérer chaque nouveau récit et chaque innovation liturgique dans son contexte de production et dans le système social et mental qui le justifie.

7 Car la deuxième originalité de la démarche de Nicolas Balzamo réside, au-delà de cette stratigraphie, dans une approche globale qui resitue la légende chartraine dans le cadre du « grand légendier chrétien » (Alain Boureau3), dans la veine des nombreux travaux soulignant l’étroite articulation entre la « grande » histoire sainte universelle (celle des Écritures) et la multiplicité des petites histoires saintes locales. C’est pour mieux fonder cette approche globale que Nicolas Balzamo a choisi de recourir à la notion de mythe et plus particulièrement à celle de mythe de création ou de fondation, plutôt qu’aux notions plus familières aux historiens, surtout médiévistes, de légende ou de tradition4. Même s’il déclare l’avoir en partie fait par défaut, l’auteur s’explique à deux reprises sur ce choix singulier et audacieux : brièvement dans son introduction, plus longuement dans une vaste conclusion générale qui, comme son titre l’indique (« Le

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mythe : essai d’interprétation générale ») constitue en fait une sorte de synthèse. La notion de mythe présente il est vrai certains avantages : elle permet de considérer les légendes comme un corpus cohérent de croyances à la fois stratifiées (en fonction de la place de chacun des auteurs dans l’Église et la société) et incarnées dans des pratiques sociales, et non comme un tissu de fables naïves ou le fruit de manipulations intéressées ; elle permet également d’affiner la compréhension des différents éléments ou caractères du mythe par le recours à un comparatisme mesuré (encore que cet avantage reste assez théorique, l’auteur ne se livrant finalement qu’à bien peu de comparaisons avec d’autres légendes ecclésiastiques) ; enfin et surtout la notion de mythe permet d’écarter les interprétations en termes de culture populaire (ou folklorique) ou de culture lettrée, le « mythe chartrain » (comme tous les mythes médiévaux à vrai dire) apparaissant clairement comme une « création savante élaborée par les clercs, pour les clercs et à l’aide de la culture écrite » (p. 221). En outre, l’auteur est bien conscient de la nécessité d’adapter la notion de mythe au contexte d’une société chrétienne : le « mythe chartrain », comme tous les mythes locaux, s’insère en effet dans la « méta-mythologie » que constitue le christianisme (p. 216), dont la spécificité par rapport aux mythes traditionnels est l’historicité, c’est-à-dire l’intégration dans une histoire sainte linéaire exposée par les Écritures et prolongée par l’hagiographie. Le « mythe chartrain » est donc avant tout une généalogie de l’Église de Chartres et son effondrement, engagé à partir du milieu du XVIIe siècle, prend place dans le vaste mouvement de « démythologisation » qui affecte tout le christianisme, ce qui rend d’autant plus spectaculaire, mais aussi très fragile, la tentative de résurrection du second XIXe siècle.

8 Cependant, en dépit de ces avantages et de ces précautions, la notion de mythe n’emporte pas vraiment la conviction, en particulier lorsqu’elle est sert à rejeter toute analyse fonctionnaliste de la légende, ce que l’auteur appelle son « introuvable utilité » (p. 244). Certes, il est juste de relativiser le lien entre la légende et le pèlerinage : dans la postérité des travaux d’André Chédeville5, l’auteur souligne à bon escient le faible rayonnement du pèlerinage, qui demeure (sauf au XIXe siècle donc) à la fois très local et très élitiste – au-delà du pays chartrain ce sont les souverains et les princes qui multiplient les dévotions envers le sanctuaire chartrain – et ne rapporte pas grand- chose au chapitre au regard des revenus de la seigneurie. Certes, il est juste également de critiquer les études d’André Sanfaçon qui voyait dans le mythe une tentative du chapitre de compenser sur le terrain symbolique la perte de son pouvoir réel face à l’évêque (renforcé par la réforme tridentine), au roi et aux élites laïques6, car comme le montre l’auteur le mythe est pleinement constitué bien avant les XVIe-XVIIe siècles.

9 En revanche, il me semble impossible de comprendre la fabrique légendaire des XIIe-XIIIe siècles sans la référer au processus d’affirmation sans précédent des églises diocésaines dans l’institution ecclésiale et dans la société chrétienne dans la postérité de la réforme grégorienne. À ce titre, il importe peu que la fabrique chartraine ne soit pas pleinement indigène mais découle largement de la captation de traditions apparues ou élaborées ailleurs, à Sens, en Normandie ou en Angleterre. Il n’y a pas lieu pour autant d’y voir le signe du « hasard » (p. 49 et 235), car cette captation intentionnelle s’accompagne d’une appropriation au bénéfice du chapitre cathédral qui représente alors l’institution appelée à incarner au mieux l’idéal de la réforme (comme figure du collège apostolique), la médiation sacerdotale (par le contrôle des paroisses et des dîmes) et l’identité de chaque église locale (par l’exaltation d’une généalogie7, de lieux8

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et d’objets sacrés spécifiques9). Le jeu de correspondances entre la fabrique légendaire et les chantiers de la cathédrale s’intègre parfaitement dans ce contexte qui fait de la « Maison Dieu », de ses autels et de ses images, un instrument et non seulement le réceptacle d’un discours d’exaltation de la médiation ecclésiale dont la Vierge-Marie- Mère-Église devient la figure emblématique10, permettant du même coup à l’évêque de s’associer aux entreprises idéelle et matérielle menées par le chapitre. Les XIIe-XIIIe siècles constituent enfin le moment de la réaffirmation à la fois institutionnelle et seigneuriale des sièges épiscopaux et des chapitres cathédraux face aux communautés monastiques, dont les légendes de fondation avaient fleuri aux Xe-XIIe siècles : dans cette compétition également l’appropriation du culte marial apparaît centrale, de même que l’assimilation des chanoines aux 72 disciples du Christ. En définitive, la genèse de la légende chartraine correspond au moment où s’affirme le dominium de l’institution ecclésiale en général et des églises cathédrales en particulier. À ce titre, les enjeux de l’apparition, sous la plume de Guibert de Nogent, de l’appellation « dame de Chartres », qui devient peu à peu proverbiale – elle est notamment reprise par les recueils de miracles du XIIIe siècle – ne me semblent pas vraiment perçus. Car ce que dissimule le terme « dame » (domina), aujourd’hui banalisé dans la langue française, c’est bien la référence à l’exercice d’un dominium qui n’est pas seulement revendication d’une seigneurie de la Vierge sur la cité de Chartres comme le souligne l’auteur à la suite de Jean le Marchant, ni simplement un écho de la culture courtoise sur le culte marial, mais l’énoncé explicite de la domination de l’institution ecclésiale, exprimée en terme à la fois féodal et seigneurial, sur l’ensemble de la société chrétienne, et dont l’Église de Chartres n’est en définitive qu’une figure. Dans ce contexte, la raison d’être de la fabrique légendaire réside bien dans sa puissance performative d’affirmation de l’autorité institutionnelle.

10 Je ne suis pas en capacité de suggérer une lecture identique des autres séquences du « mythe chartrain » mises en relief par Nicolas Balzamo, à commencer par ce moment de déconstruction de l’intérieur du milieu du XVIIe siècle. Mais il me semble qu’une des faiblesses de l’approche en terme de mythe tient justement à une tendance immanente au syncrétisme jusque sur le plan temporel, ce qui ne saurait satisfaire l’historien. En effet, même si l’auteur se défend d’essentialiser le « mythe chartrain », il n’en a pas moins tendance à le considérer avant tout comme un flux quasi continu de récits se nourrissant eux-mêmes de leurs propres reprises, emprunts extérieurs et amplifications, au gré de « l’oubli et du hasard » (p. 235). Dans ce cadre, c’est le degré de « codification », c’est-dire d’homogénéité et de cohérence des récits, qui vient structurer le séquençage historique et non les relations entre la fabrique légendaire et les processus sociaux, politiques et institutionnels qui affectent les milieux de production. Restaurer un peu plus de discontinuité entre les différentes phases de la fabrique légendaire avant la rupture du milieu du XVIIe siècle permettrait sans doute de mieux comprendre l’articulation non seulement entre récits et pratiques sociales, mais aussi et surtout entre récits et enjeux socio-institutionnels. Bref, de réintroduire un peu de nécessité dans l’histoire.

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NOTES

1. Signalons la parution récente du volume consacré à Chartres dans la collection « La grâce d’une cathédrale », auquel a d’ailleurs participé Nicolas Balzamo (Chartres, Strasbourg, 2013).

2. REMENSNYDER, Amy Goodrich, Remembering Kings Past. Monastic Foundation Legends in Medieval Southern France, Ithaca, 1995 ; BIZZOCCHI, R., Généalogies fabuleuses. Inventer et faire croire dans l’Europe moderne, Paris, 2010 (1re éd. italienne Bologne, 1995). 3. Alain BOUREAU, « Le grand légendier chrétien », dans id., L’événement sans fin. Récit et christianisme au Moyen Âge, Paris, 1993, p. 15-37. 4. Ceci explique la publication de l’ouvrage dans la collection « Vérité des mythes » des Belles Lettres plutôt que dans la collection « Histoire », ainsi que l’absence des études d’histoire spécialisées citées dans les notes dans la bibliographie générale, ce qui à vrai dire n’est guère commode. 5. CHÉDEVILLE, André, Chartres et ses campagnes (XIe-XIIIe s.), Paris, 1973, p. 505-519.

6. Notamment SANFAÇON, André, « Légendes, histoire et pouvoir à Chartres sous l’Ancien Régime », Revue historique, 279, 1988, p. 337-357. 7. Ici l’événement miraculeux de 811, puis les origines byzantines (ce n’est qu’au XIVe siècle que le mythe druidique s’impose). 8. Ici la crypte de la cathédrale et le puits des Saints-Forts. 9. Ici la chemise et la statue de la Vierge. 10. IOGNA-PRAT, Dominique,La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l’Église au Moyen Âge, v. 800-v.1200, Paris, 2006.

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La recherche dans les universités de l'Ouest Research in the universities of Western France

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Liste des thèses et des mémoires de masters soutenus au cours de l’année 2013 La recherche dans les universités de l’Ouest

NOTE DE L’ÉDITEUR

Seuls les mémoires de master déposés par les étudiants dans une bibliothèque de leur université sont recensés dans cet article. Précédente publication décembre 2013, ABPO 120-4.

Université d’Angers

Thèses

SIONNEAU, Sylvain, Les médecines illégales et les médecines populaires en France au XIXe siècle, avec l’exemple du Maine et Loire, dir. Y. DENÉCHÈRE.

SCUTARU, Béatrice, Les relations entre les sociétés roumaine et française : Conditions et perspectives de l’ancrage de la Roumanie à l’Europe (années 1960 à 1990), dir. Y. DENÉCHÈRE, co- direction A.-F. PLATON.

Master 2

ALLAIN, Florence, Histoire et histoire du genre dans la musique Metal de 1970 à nos jours, dir. E. PIERRE.

BAUDIN, Alexis, La promotion de l’agriculture biologique selon la méthode Lemaire-Boucher, à travers l’étude du mensuel Agriculture et Vie, (1964-1972), dir. Y. DENÉCHÈRE

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 121-4 | 2014 202

CAILLARD, Raphaël, Représentations des veuves de la Grande Guerre à l’écran (1926-2009), dir. Y. DENÉCHÈRE.

DION, Cécile, Les élèves des classes élémentaires du lycée David d’Angers (1802-1902), dir. E. PIERRE.

GODET, Antoine, La symbolique nazie vue par les diplomates français à Berlin (1926-1939), dir. Y. DENÉCHÈRE.

GUERMOND, Valentin, La représentation de la jeunesse délinquante dans le cinéma français depuis le régime de Vichy jusqu’à aujourd’hui, dir. E. PIERRE.

JEANNETEAU, Corentin, Étude de la presse choletaise et saumuroise : Le traitement de l’information sous l’angle de la séparation des Églises et de l’État (décembre 1905-décembre 1906), dir. E. PIERRE.

PORÉE, Lydie, Contraception, avortement : les mobilisations à Rennes pour la liberté de procréer. Histoire et mémoire des groupes locaux du Planning familial, de Choisir et du MLAC (1965-1975), dir. C. BARD.

RIVIÈRE, Marine, Évolution de l’association de Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence de Maine et Loire (1946-1960), dir. E. PIERRE.

WANDRIESSE, Stéphane, Rustica, une revue pour mieux vivre, 1928-1949, dir. Y. DENÉCHÈRE, co- encadrement : C. OGHINA-PAVIE.

ARIAL, Corentin, Les colons des Antilles réfugiés en France. Accueil, intégration et assistance (1791-1814), dir. F. BRIZAY.

LE G UINIEC, Emilie, L’Entreprise d’Écosse d’après la correspondance de Nathaniel Hooke : l’élaboration d’une nouvelle alliance entre la France et les Jacobites (1702-1708), dir. F. BRIZAY.

BOUYER, Jacques-Joseph, Louis Ier d’Anjou (1339-1384), d’après les sources narratives de son temps, dir. J.-M. MATZ.

KRÉ, Okpobé Henriette, Anthroponymie hispanique : le cas du monastère de Celanova (842-1165), dir. T. DESWARTE.

TARDIVEL, Chloé, La confrérie Saint-Nicolas dite « des bourgeois d’Angers » d’après son cartulaire (1519-1560), Dir. J.-M. MATZ.

TROUVÉ, William, De la pertinence d’un genre historiographique appelé laterculus. L’exemple de trois listes royales du Haut Moyen Âge ibérique (Ve-XIIe siècles), dir. T. DESWARTE.

BLOT, Mathilde, Étude de la condition féminine, Égypte Hellénistique, 270-220 av. J.-C., dir. J.- Y. CARREZ-MARATRAY.

Université de Bretagne occidentale (Brest)

Thèses

HERMELIN, Christiane, Les bannières religieuses. Une approche du catholicisme bas breton (1805-2012), dir. Y. TRANVOUEZ.

MARTON, Andras, Le rite funéraire en Pannonie de l’époque augustéenne au IIIe siècle en comparaison avec les provinces occidentales, dir. P. GALLIOU.

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 121-4 | 2014 203

Masters

COLLOBERT, Charles, Les gestes de la gladiature sur les reliefs romains, du IIIe siècle av. J.-C. au IVe siècle apr. J.-C., dir. V. HUET.

DESJARS, Alexandra, « Spered ar vro », l’identité bretonne revue et corrigée à travers la chronique en langue bretonne du Télégramme (2002-2012), dir. Y. TRANVOUEZ.

FUSTEC, Marie-Noelle, Le paysage urbain de Guerlesquin, ville-place sous l’Ancien Régime, dir. P. JARNOUX.

GÉRARD, Morgane, La création architecturale en Bretagne à la fin du Moyen Âge : l’exemple de Saint Sauveur et Saint Malo de Dinan, dir. Y. GALLET.

JACOPIN, Romuald, La bandera Jeanne d’Arc : des volontaires francophones au service de Franco, dir. F. BOUTHILLON.

KERLIRZIN, Fabrice, Les origines de la ville de Saint-Pol-de-Léon, dir. V. HUET.

LE MENEDEU, Étienne, Les représentations des sentiments, des valeurs et des caractères des belligérants durant les Guerres puniques par les auteurs anciens, dir. V. HUET.

LOUEDOC, Cédric, Cultes et particularismes religieux dans l’Égype hellénistique. Acceptation, continuité et résistance. 324-186 av. J.-C, dir. V. HUET.

ROCHA FARIA, Maria Adelaïde, Amadeo de Souza Cardoso à Paris (1906-1914) : une création picturale sous influences, dir. S. DESCAT.

SAILLY, Marjorie, Les « officiers de plume » en la ville de Brest (1669-1770), dir. P. JARNOUX.

SÉCHET STROUFF, Véronique, Le livre d’heures de Pierre II, Duc de Bretagne (BnF, ms. Latin 1159), dir. Y. GALLET.

TOLENTIN, Nicolas, Dieux des mers, Dieux de violence Étude littéraire et iconographique du VIIe au IVe siècle avant notre ère, dir. V. HUET.

Université de La Rochelle

Thèses (histoire et histoire du droit)

MARTIN, Nicolas, De la Chambre de commerce de La Rochelle aux bureaux de Versailles, les relations commerciales entre droit romain et Europe du Nord au XVIIIe siècle, dir. J. BOUINEAU.

RIAUDEL, Michel, Transferts et circulations France-Brésil (XVIe-XXe siècles). Traduction, littérature, histoire, dir. L. VIDAL.

Master 2

GOUPIL, Tony, L’Océan selon Claude Duret, la Mer vue par un juriste, dir. D. POTON.

LAVAULT, Lucas, François Furet : le deuil de l’idée révolutionnaire à l’aune de la démocratie libérale, dir. T. VILLERBU.

PAJOT, Augustin, Nucléaire civil, histoire d’une lutte entre opposants et pouvoirs publics et industriels dans la société française des années 70 à 2000, dir. T. VILLERBU.

COCU, Jeanne-Marie, la fin du Moyen Âge français, XIIIe-XVe siècles, dir. P. PRÉTOU.

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 121-4 | 2014 204

LAGANA, Giada, Irlande du Nord. L’Observatore romano porte-parole du Saint Siège, dir. D. POTON.

Université du Maine (Le Mans)

Thèses

BRILLAND, Xavier,Mgr François-Gaspard de Jouffroy-Gonssans, évêque zélé des Lumières face à la Révolution (1721-1799), dir. F. PITOU et B. WACHÉ.

ELIAS, Amin, Michel Asmar et le « Cénacle Libanais » contribution historique à l’étude d’un phénomène de convergence culturelle dans l’espace méditerranéen (1946-1975), dir. D. A VON, cotutelle avec K. RIZK (Usek, Liban).

LUNEL, Frédéric, Roger Braun (1910-1981). Engagement philosémite et recours aux étrangers, dir. D. AVON et J.-M. LARDIC (Université de Nantes).

Master 1

BARBIER, Noémie, Le chemin de fer en Sarthe (1850-1974) : histoire et valorisation patrimoniale, dir. H. GUILLEMAIN.

BERNOT, Tatiana, Édition commentée des registres de délibérations municipales du Mans (1773-1775), dir. S. GRANGER.

BLONDEAU, Kevin, L’affaire Ben Barka : réactions, mobilisations et répercussions immédiates d’une affaire d’Etat, dir. D. AVON.

BOUILLON, Charlotte, Sénèque et la mort, dir. A. ALLÉLY.

BOULAY, Tiphaine, L’expression de l’intérêt scientifique à travers la peinture européenne, dir. C. MICHON.

CHEVRIER-GROS, Claire, Ibn Rushd, un intellectuel musulman en Al-Andalus au XIIe siècle, dir. E. JOHANS.

DAMIENS, Vincent, La Fayette et le secret du Roi, dir. F. PITOU.

DELAUNÉ, Coralie, Élisabeth d’Angleterre d’après ses contemporains : l’opinion d’auteurs français sur la dernière des Tudors, dir. H. DAUSSY.

ESNAULT, Bérengère, Une enquête seigneuriale en 1409, dir. V. CORRIOL.

FOSSE, François-Alexandre, La batellerie portuaire en Méditerranée occidentale à l’époque romaine, dir. E. NANTET.

FROMY, Ulrich, Manoir de Rouessé, dir. F. PITOU.

LAGARRIGUE, Manuella, Les tournois médiévaux : entre activité guerrière et sportive, premier « sport équestre collectif » en Occident, dir. G. BAURY.

LELASSEUX, Amandine, La ville de Rome sous le second Triumvirat, dir. E. BERTRAND.

MACHETEL, Corinne, Madame de Prie et la cour de Louis XV, dir. H. DAUSSY.

MASSOT, Hélène, Le culte d’Apollon en Gaule d’après les textes et les représentations, dir. R. SOUSSIGNAN.

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 121-4 | 2014 205

MÉNAGE, Théotime, Le PCF sarthois dans la vie politique et les luttes sociales au Mans (1945-1967), dir. D. AVON.

MILCENT, Myriam, La valorisation patrimoniale des manoirs du Perche ornais de la fin du xixe siècle à nos jours, dir. N. RICHARD.

RAVIART (épouse GAINE), Hélène, La bijouterie au cœur de l’histoire industrielle des Boutières, un patrimoine à sauvegarder, dir. H. GUILLEMAIN.

ROPA, Erika, Pureté de sang : origines, mentalités et évolutions dans la Castille du XVe siècle, dir. G. BAURY.

SARELOT-FOUQUET, Matthieu, Le super-héros américain et ses valeurs : étude de l’évolution du patriotisme à travers la figure de Batman de 1939 à 2012, dir. D. AVON.

Master 2

BECKERT, Guillaume, André Estienne dit « Le Tambour d’Arcole ». De l’homme au héros, dir. S. TISON.

BRUGARO, Maureen, Entre gloire et fortune, les messieurs de Cancale, dir. S. GRANGER.

CANTON, Céline, La Grande Guerre dans l’imaginaire contemporain : l’exemple de la bande dessinée des années 2000-2010, dir. S. TISON.

CLÉROT, Emmanuelle, L’émancipation des femmes en Iran, de la révolte anti-Shah aux manifestations anti-Ahmadinejad (1978-2009), dir. D. AVON.

DAVIN, Denise, Projet pour la valorisation des stèles funéraires Gallo-romaines de la Horgne au Sablon, Metz, cité des Médiomatriques, dir. E. BERTRAND.

ECHIVARD, Jérôme, François Ier vu par Voltaire à travers sa correspondance, dir. H. DAUSSY.

GUIMONEAU, Aurore, Les portraits de famille des XVIIe et XVIIIe siècles, dir. H. DAUSSY.

HÉBERT, Delphine, Médecine, administration montpelliéraine et Réforme au temps des guerres de religion (1559-1598), dir. H. DAUSSY.

LECLER, Amandine, Histoire des assemblées politiques des réformés français pendant les guerres de religion. Les exemples des assemblées de Montauban (1581) et de Saint-Jean-d’Angély (1582), dir. H. DAUSSY.

LECOQ (épouse LONGIN), La représentation du diable au Moyen-Âge en Occident (XIIe-XVIIe siècle), dir. V. CORRIOL.

NAUD, Amandine, La destruction du collège de médecine de Lyon (1768) : retour sur une émeute, dir. H. GUILLEMAIN.

PASSARD-VALOT, Tristan, Raoul Hausmann, peintre et photomonteur, dir. I. JABLONKA.

PESCHARD, François, L’histoire moderne au travers du 7e et 8e art, dir. C. MICHON.

POLPRÉ, Léa, La représentation de l’enfant au naturel, dir. C. MICHON.

RANSAC, Patricia, Expériences et représentations saintongeaises de la Grande Guerre, dir. S. TISON.

THÉRON, Laura, La femme grecque dans le mariage à travers l’œuvre de Xénophon, IVe siècle avant J.-C., dir. A. AVRAM.

VACHOT, Marc, Compréhension d’un réseau clunisien rural. Sa composition, sa gestion, ses rapports avec le clergé : approche historique de l’Ecclesia cluniacensis aux XIe, XIIe, XIIIe et

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 121-4 | 2014 206

XIVe siècles au travers des prieurés des actuels diocèses d’Angoulême et de Périgueux, dir. G. BAURY.

Université de Bretagne Sud (Lorient)

Thèses

KIMIZUKA, Hiro Yasu, Les relations de cabotage entre le complexe portuaire Bordelais et la Bretagne au XVIIIe siècle, dir. G. LE BOUEDEC.

MARGOLINE-PLOT, Eugénie, La Bretagne et la culture asiatique au XVIIIe siècle, dir. G. LE BOUEDEC.

Masters

CHARRIER, Laure, La construction navale à Lorient de 1704 à 1706, dir. P. HRODEJ.

GOUPIL, Kevin, Une théocratie cléricale sur les îles de Houat et Hoëdic, dir. F. PLOUX.

LE G OFF, Yann, La correspondance de Claude-Charles de Marillac, vicomte de Damas, gouverneur des îles-du-Vent : les problèmes de l’armée aux petites Antilles (1783-1789), dir. P. HRODEJ.

LEMOING, Lambert, La marine dans la presse communiste sous le Front populaire, dir. J.- B. BRUNEAU.

LUCAS, Damien, Le Morbihan en 1848 : élections municipales, usage du suffrage universel et apprentissage politique, dir. F. PLOUX.

MARICOURT, Mathilde, Économie des produits de la ruche en Bretagne 1715-1820, dir. S. LLINARES.

OLIVIER JEGAT, Édern, Gestion et logistique des stations navales dans les Antilles de 1783 à 1789, dir. S. LLINARES.

Université de Nantes

Thèses

BOURON, Jean-Marie, Évangélisation parallèle et configurations croisées. Histoire comparative de la christianisation du Centre-Volta et du Nord-Ghana (1945-1960), dir. B. SALVAING.

LIBOUTHET-FROMENTIN, Marion, Le Tibet dans les relations internationales (1950-2005), dir. J. WEBER.

MEKAEEL, Saeed, Le pays de Barqa : depuis la conquête arabe à la fin de l’époque fatimide : Etude politique, économique et sociale (642-1171), dir. J. TOLAN.

VENTROUX, Olivier, Les élites politiques et sociales de Pergame, recherches sur les couches dirigeantes d’une ancienne capitale royale à l’époque romaine (133 av. J.-C.-284 apr. J.- C.), dir. E. GUERBER.

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Master 1 (déposés à la bibliothèque Paul-Bois)

BODIN, Mathilde, Les paides amphithaleis dans le monde grec ancien, dir. J. WILGAUX.

BRETON, Cosette, La Controverse autour de l’excommunication au XVIe siècle, et particulièrement sous le règne de Henri IV, dir. Y. LIGNEREUX.

CAILLE, Charles-Emmanuel, L’usage du feu dans les guerres hellénistiques, dir. I. PIMOUGUET- PEDARROS.

COSTANTINI, Camille, L’impérialisme des droits de l’homme face à la Chine, dir. J.-F. KLEIN.

CREMADES, Jean, Romeet la mer. Des origines à la première guerre punique, dir. T. PIEL.

DA SILVA BARBOSA Auridète, Étude sur la figuration d’Achille : représentation, réception et diffusion du mythe grec en Étrurie archaïque VIIe-Ve siècles, dir. T. PIEL.

DANIEL, Jacques, Louis-Jacques-Marie Bizeul (1785-1861), un notable érudit à la naissance de l’archéologie dans l’Ouest armoricain, dir. B. JOLY.

GIRARD, Medhi, Le Consulat de Commerce de Buenos Aires (1794-1821). L’élite portena et la diffusion des idées des Lumières, dir. C. THIBAUD.

GUYOT, Jean-Paul, La monnaie à Rhodes au temps des chevaliers, un témoin de l’activité économique de l’île, dir. P. JOSSERAND.

GUET, Régis, Les éléphants et les chars à faux dans les guerres hellénistiques, dir. I. PIMOUGUET- PEDARROS.

HEGRON, Bastien, L’Accord de Libre Echange d’Amérique du Nord vu par la presse mexicaine (juin 1990 à décembre 1992), dir. M. CATALA.

MARTIN, Léa, Les Einsatzgruppen et la genèse de la « Solution finale » en Union Soviétique : 1941-1945 (Etude plus précise du cas de la Galicie), dir. M. CATALA

NEVOU, Morgane, La perception du milieu naturel de la méditerranée orientale par les voyageurs arabes entre le IXe siècle et le XIVe siècle, dir. N. DROCOURT.

NORIDAL, Yann, La ligue des jeunesses patriotes à Nantes et en Loire-Inférieure dans les années 1920 (1924-1932), dir. B. JOLY.

SAURIAU, François, Les relations diplomatiques entre la monarchie de Juillet et le Saint-Siège (du point de vue des ambassadeurs), dir. B. JOLY.

SORET, Mathilde, la diplomatie des Comnènes, dir. N. DROCOURT.

THOMAS, Cécile, Le culte d’Arès en Grèce ancienne, dir. J. WILGAUX.

Master 2 (déposés à la bibliothèque Paul-Bois)

AOUSTIN, Chloé, Le Recueil des plus illustres proverbes de jacques Lagniet (Paris, 1663), le proverbe, l’estampe et le rire : entre sujets traditionnels et guerre des sexes, dir. Y. LIGNEREUX

ATHIMON, Emmanuelle, Les dérèglements du temps et leurs Impacts en Anjou, Poitou et Bretagne méridionale début XIVe-XVe, dir. J.-L. SARRAZIN.

BIHAN, Armel, La Franc-Maçonnerie à Nantes pendant la révolution française (1789-1799), dir. M. ACERRA.

BOIVIN, Julie, L’activité corsaire nantaise pendant la Révolution (1793-1799), dir. D. PLOUVIEZ.

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BOUCHET, Gauthier, Les élections législatives de 1876 et 1877 dans le département de la Loire- Inférieure, dir. B. JOLY.

DELIÈRE, Thomas, La représentation de l’Islam chez Guillaume de Tyr et ses continuateurs, dir. J. TOLAN.

EVEN, Simon, Rome et les constantiniens, présences et évergésies impériales (293-363), dir. T. PIEL.

FAFOUTAKIS, Eugénie, Hagiographie et calamités naturelles, Époque médio-byzantine : VIIe-XIIe siècles, dir. N. DROCOURT.

GUILLON, Mathilde, L’œuvre poétique de Michel de La Vallée du Maine. Une expérience de l’engagement ligueur (1589-1592), dir. Y. LIGNEREUX.

HATCHIKIAN, Stéphanie, Les massacres arméniens de 1894-4896 à travers les archives diplomatiques et la presse française, dir. B. JOLY.

MARTIN, Aurore, Les saint-simoniennes théories et pratiques de l’émancipation à l’épreuve dans les années 1830, dir. C. THIBAUD.

MOYSAN, Charlotte, Meurtre[s] en famille, réflexions sur la culpabilité à partir des murders pamphlets et des canards français dans la première moitié du XVIIe siècle, dir. E. SCHNAKENBOURG

PETITFILS, Aurélien, La présence sioniste au Liban-Sud 1941-1948, dir. B. SALVAING.

SCHIRM, Emilien, Diplomatie et théorie de la neutralité : la France et la Prusse face à la guerre d’Indépendance américaine 1778-1783, dir. Y. LIGNEREUX.

Université de Poitiers

Thèses

ALAHMAD, Munier, La politique linguistique française en Syrie sous mandat français de 1920 à 1946, dir. J. GRÉVY.

COURROUX, Pierre, L’écriture de l’histoire dans les chroniques en langue française (XIIe-XVe siècles). Histoire, fiction, vérité : les critères de l’historicité médiévale, dir. E. BOZOKY.

FOURNIER, CAMPODARNE-PUENTE Caroline, Femmes d’encre et de chair. La criminalité féminine au XIXe siècle : l’exemple de la Charente-Inférieure, 1832-1914, dir. F. CHAUVAUD.

Masters

BAUDRY, Stéphane, La deuxième circonscription de la Vienne à l’épreuve de l’union de la gauche : retour sur l’élection législative partielle de 1975, dir. G. BOURGEOIS.

BENAISSA Julie, Pour une histoire comparative des corsaires français et des privateers anglais dans la Manche pendant la guerre d’indépendance américaine, dir. J. PERET.

BILLAUDEAU Vincent, Le culte d’Artémis en Béotie et en Phocide, dir. Y. LAFOND.

BION Bernard, Violence en Vienne : viols, infanticides et homicides aux assises au XIXe siècle, 1881-1901, dir. F. CHAUVAUD.

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 121-4 | 2014 209

BONNIN, Audrey, « Le Marseillais » devenu « Le Vengeur du Peuple » : trajectoire d’un vaisseau de l’Ancien Régime à la Première République, dir. J. PERET.

BOUCHARD, Vincent, Construction et évolution du corps humain dans les traités médicaux en Grèce classique, dir. L. BODIOU.

DUTSCHER, Marie-Claude, Recherche sur les cultes dans les cités d’Anatolie méridionale (Ionie, Carie) d’après le livre XIV de Strabon, dir. Y. LAFOND.

EFREMOVA, Yulia, L’histoire de la mort aux XIe-XIIe siècles : historiographie, état des sources et perspectives, dir. C. TREFFORT.

FOUR, Camille, Les étudiants à Poitiers : étude de la vie estudiantine à partir des archives judiciaires du présidial (1678-1789), dir. F. VIGIER.

FOURNIER, Elie, Invention d’une République en Révolution, entre guerres, progrès et conflits. La société des Amis de la Liberté et de l’Égalité de Châtellerault (1er octobre 1792-20 brumaire an II), dir. A. JOLLET.

GIRARD, Pierre, La cruauté guerrière en Espagne napoléonienne. Les représentations de la violence dans les mémoires de soldats napoléoniens, dir. G. MALANDAIN.

GIRET, Amélie, Pour l’écriture d’une histoire maritime de l’Acadie française : sources et ressources, dir. T. SAUZEAU.

HUET, Laura, L’activité économique en Acadie et le contexte colonial atlantique : un marché lucratif lié au cabotage acadien (1667-1775) ?, dir. T. SAUZEAU.

JAYAT, Cindy, Du féminin dans la guerre sainte ? Les femmes dans les récits historiques de croisade (du concile de Clermont à la mort de Louis IX), dir. M. SORIA.

LAROSE, Julia-Pauline, Le suffragisme au village. Les groupes locaux de l’Union pour le Suffrage des Femmes dans le Centre-Ouest de l’Entre-deux-guerres, dir. F. DUBASQUE.

MAOUCHI, Pauline, Les Césars enfants au IIIe siècle, dir. N. TRAN.

MENIN, Jérémie, Conseillères générales et conseillères régionales de la Vienne de 1982 à nos jours, dir. F. DUBASQUE.

PAYEMENT, Amandine, Le Maroc en bleu et vert. Les guides touristiques historiques au « Pays du Couchant », dir. F. CHAUVAUD.

PICHOT, Charlotte, Avortement et infanticide au Moyen-Âge, dir. M. SORIA.

PORTRON, Benjamin, Les pratiques héraldiques des seigneurs poitevins aux XIIIe-XIVe siècles, dir. L. HABLOT.

PRIVAT, Julien, Étude d’un programme radiophonique particulier : une émission historique, « la Marche de l’Histoire », dir. F. CHAUVAUD.

THIBAULT, Juliette, Les débuts de l’amour courtois entre Lancelot et Gunièvre, Tristan et Yseut dans les miniatures arthuriennes, dir. M. AURELL.

VITRY, Pauline, La romanisation en Arménie de la mort de Tigrane II au traité de Rhandeia (53 av. J.-C.-63 apr. J.-C.), dir. Y. LAFOND.

Université de Rennes 2

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 121-4 | 2014 210

Thèses

BACHELIER, Julien, Villes et villages de Haute-Bretagne : les réseaux de peuplement (XIe-XIIIe siècles), dir. D. PICHOT

DREYER, Jean-François, Espace et territoires ruraux en Cornouaille bretonne à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne (15e-16e siècles), dir. A. ANTOINE.

JOLLIVET, Lucie, Les humanistes français face aux crises du début du XVe siècle, dir. M.M. DE CEVINS.

LE FOLL-LUCIANI, Pierre-Jean, Les juifs algériens anticolonialistes. Etude biographique (Entre- deux-guerres-1965), dir. V. JOLY.

MILQUET, Sophie, Écrire le traumatisme. Mémoire féminine dans les fictions sur la guerre civile espagnole : représentations, formes, enjeux (1975-2010), cotutelle L. CAPDEVILA, M. FRÉDÉRIC (Université Libre de Bruxelles). TROJAN, Claire, L’intégration sociale des réfugiés et expulsés allemands en Saxe (1945-1953), dir. J. SAINCLIVIER.

Masters (déposés à la bibliothèque du CREAAH)

BERNARD, Thomas, Les édifices cultuels gallo-romains en contexte d’habitat rural isolé découverts en Bretagne, dir. F. COLLEONI (master 1).

BRIAND, Solène, La céramique d’impasto du Secteur 4 de l’Incoronata greca, dir. M. DENTI (master 2). DAVID, Tristan, Les villae dans les cités des Coriosolites et des Vénètes : analyse topographique, architecturale et chronologique, dir. F. COLLEONI (master 2).

FACCHINETTI, Sébastien, Étude du mobilier métallique du sanctuaire de l’agglomération secondaire de Oisseau-le-Petit (Sarthe), dir. F. COLLEONI (master 1).

GUILLON, Marie, Les briques d’Incoronata dans l’horizon méditerranéen de l’Age du Fer. Techniques de production et contextes d’utilisation, dir. M. DENTI (master 2).

MANTHEY, Yohan, Production de sel et établissements de salaison en Armorique à la période gallo-romaine, dir. F. COLLEONI (master 1).

MARTIN, Margot, État de la recherche sur les stations routières en Gaule romaine, dir. F. COLLEONI (master 1).

TIREL, Melissa, Les pratiques funéraires de l’immature (0-6/7 ans) du Ier siècle après J.-C. au IVe siècle après J.-C. en Gaule romaine, dir. F. COLLEONI (master 1).

Masters (déposés à la bibliothèque du CERHIO)

BERNARD, Marion, La défense de la ville de Paysandú : événements et mémoire, dir. L. CAPDEVILA.

BIGNON, François, La guerre du protocole : le conflit péruano-équatorien de 1941 et son règlement diplomatique, dir. L. CAPDEVILA.

BOURGES, Thomas, Les villes du centre Bretagne pendant les guerres de la Ligue (1589-1598) : l’axe Redon-Carhaix, un espace trop oublié dans les études du conflit, dir. P. HAMON.

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 121-4 | 2014 211

BOURSEAU, Noélie, Les jeunes à l’épreuve de l’épuration judiciaire en Ille-et-Vilaine, dir. M. BERGÈRE.

BUGUET, Maud, L’insurrection de Pâques 1916 à Dublin : entre continuité et accélération de l’affirmation de la nation irlandaise, dir. J. SAINCLIVIER.

DANINO, Aude, La Biblioteca América de Saint Jacques de Compostelle : temple de l’« hispano- américanisme », dir. L. CAPDEVILA.

DUTHEIL, Lucie, La place Sainte-Anne, dir. G. AUBERT.

ELOUARIACHI, Hafid, Les relations économiques franco-argentines de 1945 à 1951, dir. L. CAPDEVILA.

EUGÈNE, Matthieu, La réécriture des actes diplomatiques des prieurés bretons dépendant de l’abbaye de Marmoutier (XIe-XIIIe siècle), dir. F. MAZEL.

FICHOU, Hélène, Une approche du voyage des élites, en Europe au XVIIIe siècle : le Prince de Ligne voyageur, dir. E. SABLAYROLLES.

FONTAINE, Jérémy, La mission militaire française au Paraguay (1926-1931), dir. L. CAPDEVILA.

GAUTIER, Lucie, Le peuple de la Révolution française représenté par l’élite du XIXe siècle : figures, fantasmes et constructions romanesques, dir. D. GODINEAU.

GLAIS, Emmanuel, Le jeu des puissances à travers les communautés chrétiennes et les transformations économiques : deux aspects du déficit d’indépendance de l’Empire ottoman pendant la question des Lieux saints dans le Journal de Constantinople (1851-1854), dir. V. JOLY.

GOURITIN, Antoine, Actualité de la guerre de mémoire vendéenne : entre histoire, mémoires, politiques culturelles et manipulation médiatique, dir. J. SAINCLIVIER.

GOURMELON, Lisa, La stalinisation tchécoslovaque : un point de vue français (1948-1952), dir. E. DROIT.

HAMARD, Mélanie, L’habillement au XIIe siècle : au travers de l’iconographie des Pays de la Loire, dir. E. GRÉLOIS.

JAOUANNET, Agathe, Destin d’une figure révolutionnaire : les usages politiques de la légende d’Auguste Blanqui. De l’Histoire au sein du Parti communiste français (XIXe-XXe siècles), dir. P. HARISMENDY.

KERLEAU, Lucie, Conflits et relations familiales à partir de factums rennais pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, dir. E. SABLAYROLLES.

LE DUC, Léa, Le premier choc pétrolier de 1973 : la perception d’une crise à travers la presse française et allemande, dir. E. DROIT.

LE GAC, Morvan, Les interfaces à Belfast : influences et incidences sur la classe populaire, dir. Y. BÉVANT.

LE GOUPIL, Delphine, La noblesse féminine face aux évolutions sociales et vestimentaires, au travers du portrait français, aux XVIe et XVIIe siècles, dir. J.-P. LETHUILLIER.

LEBEDEL, Lucie, La perception de la famille dans les « Grandes chroniques de Bretaigne » d’Alain Bouchart, dir. F. MAZEL.

LEHUGEUR, Aurélie, L’histoire antique en peinture dans la France moderne (1560-1720), dir. H. FERNOUX et P. HAMON.

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 121-4 | 2014 212

LESEIGNEUR, Quentin, Les violences dans les grèves en Ille-et-Vilaine de 1819 à 1914 : modalités d’actions ouvrières et attitude étatique, dir. P. KARILA-COHEN.

LINTANF, Virginie, Les médecins en Ille-et-Vilaine durant les années 1930-1940, dir. M. BERGÈRE.

LOKO, Fabiola, La propagande du régime de Vichy : la mise en oeuvre d’une politique en Ille-et- Vilaine (10 juillet 1940-5 juillet 1944), dir. M. BERGÈRE.

MALLE, Franceska, L’Association France-URSS et les jumelages franco-soviétiques (des années 1950 à 1992), dir. M. TISSIER.

MESLÉ, Pierre, Politique américaine comparée des administrations Nixon, Ford et Carter en Afrique australe de 1969 à 1981 : d’une politique de la Guerre Froide à une politique de décolonisation, dir. V. JOLY.

MESSAGER, Lucie, Être acteur aux Etats de Bretagne sous Louis XIV (1661-1713), dir. G. AUBERT.

MEYNIEL, Gwendoline, Œuvrer pour le corps social : entre la science et le politique, les travaux du médecin rennais Adolphe Toulmouche (Nantes, 1798 - Rennes 1876), dir. P. KARILA-COHEN.

MOUCHEL-VALLON, Corentin, La réinsertion de guérilleros dans la vie politique légale : le cas du Movimiento de Liberación Nacional - Tupamaros en Uruguay, dir. L. CAPDEVILA.

NORGEOT, Aurélien, Adoration des Mages, Adoration du Roi : la figure du roi dans la représentation de l’Adoration des Mages (fin XVe siècle-début XVIIe siècle), dir. P. HAMON.

PLANTÉ, Romain, Propager la foi catholique et la grandeur du roi en Orient : des capucins bretons et tourangeaux en terre d’Islam. Conditions de vie des missionnaires et interactions avec les populations locales, dir. G. PROVOST.

POILPRÉ, Jean-Marc, City editors, bulletiniers et reporters face au krach de Baring de 1890, dir. P. HARISMENDY.

POIRIER, Antoine, Diable, monstres et Révolution : étude de l’image du diable et des monstres dans l’iconographie de la Révolution Française, dir. D. GODINEAU.

POLLET-VILLARD, Mélissa, De la renaissance des chats au punk celtique : les movidas en Espagne (à travers l’oeil de la caméra), dir. L. CAPDEVILA.

RAVARY, Sophie, Les pratiques de l’écrit de l’abbaye Saint-Vincent du Mans (XIIe-XIIIe siècles), dir. F. MAZEL.

RUEN, Pauline, La Bretagne en 1588, dir. P. HAMON.

Université de Tours

Thèses

MÉLISSON, Céline, Procurer la paix, le repos et l’abondance. Les officiers de plume de l’Amérique française entre 1669 et 1765, dir. M. VERGÉ-FRANCESCHI.

Masters

BEAULIEU, Théo, Inventaire des maisons à pans de bois des rues du Val et de la Friperie à Provins, dir. F. Epaud (master 1).

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 121-4 | 2014 213

BELLOIRE, Violaine, Les fléaux dans les campagnes de la généralité de Tours au XVIIIe siècle, dir. U. KRAMPL (master 1).

BORSELLE, Tony, Les magistrats de la cour d’appel de Bourges (1800-1830), dir. J.-M. LARGEAUD (master 2). CHEVROLLIER-AISSAOUI, Leïla, L’alimentation du clergé à l’époque moderne. Le cas du Grand Séminaire de Rennes, à travers le registre de son cuisinier (1741-1755), co-dir. J.-P. LETHUILLIER (université Rennes 2) et F. QUELLIER (master 2).

CLAIRON, Priscille, Le traumatisme de l’année 1940 en Eure-et-Loir (12 mars 1938-2 novembre 1940), dir. R. BECK (master 2).

COSTE, Arthur, La collaboration en Indre-et-Loire de 1940 à 1944, dir. R. BECK (master 2).

DEJOU, Josselin, Les notables de la ville d’Amboise et leurs relations avec les officiers royaux sous le règne de Louis XI, dir. D. BOISSEUIL (master 1).

DUPUIS, Marion, L’événement extraordinaire dans la Gazette de France au XVIIIe siècle, dir. U. KRAMPL (master 1).

ELBORY, Johann, La stratégie d’implantation ouvrière du Parti Communiste Internationaliste 1944-1952, dir. J.-M. MOINE et R. BECK (master 2).

FAGOTTO, Karine, Les jardins potagers-fruitiers dans les monastères tourangeaux, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (1750-1791), dir. F. QUELLIER (master 2).

FARAH, Hélène, Violences, justice et société. Établir, apprécier et réparer la souffrance morale et physique générée par les insultes et voies de fait au XVIIIe siècle à Amboise, dir. U. KRAMPL.

FEOUGIER, Gilles, À la recherche d’une gastronomie nantaise. Alimentation des élites et identité culinaire à l’époque moderne, dir. F. QUELLIER (master 2).

GEOFFROY, Stéphanie, L’expression sensorielle du XVIe au XVIIIe siècle. Les livres de cuisine français : une source pour repérer les mots du goût, dir. F QUELLIER (master 2).

GUENARD, Morgane, Le séjour parisien d’une artiste peintre vénitienne, symbole d’une carrière artistique triomphale. Rosalba Carriera (1675-1757), dir. A. COGNÉ (master 1).

GRZYBEK, Audrey, La botanique et la pratique médicale dans l’œuvre d’Hildegarde de Bingen, dir. F.-O. TOUATI (master 2).

HARRER, Kilian, La modification du maillage paroissial à Tours entre 1770 et 1782, dir. U. KRAMPL (master 1).

HERAULT, Marion, L’alimentation carnée des élites à l’époque moderne : étude faunique des latrines de l’hôtel de la Croix d’Or (Soissons, 02), dir. M.-P. HORARD-HERBIN (master 2).

LE B OULBAR, Amélie, L’injure dans la généralité de Tours durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, dir. M. VERGÉ-FRANCESCHI.

LE GUEN, Denis, La mer : un horizon et un reflet. Les pratiques alimentaires des marins au long cours à Saint-Malo à l’aube du XVIIIe siècle, dir. F. QUELLIER (master 2).

LEVENEZ, Ludovic, Henri IV et la fidélité tourangelle, dir. F. ALAZARD.

LIM, Kannitha, Étude de la céramique khmère d’Angkor Thom ( IXe-XVe siècle) à partir des fouilles du système d’enceinte de la ville. Sites [S.40 (1) ; 42 (1) ; 42 (2)], dir. P. HUSI (master 2).

MAZANY, Donatien, Histoire des reliques de saint Martin de Tours, mémoire de M2 Histoire, dir. B. JUDIC (master 2).

Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 121-4 | 2014 214

MEUNIER, Cyril, L’Église d’Orient et les premières missions chrétiennes dans la Chine des Tang, dir. B. JUDIC (master 1).

NOUALI, Ouahiba, Les structures de stockage dans les oppida en Gaule : IIe et Ier siècles av. J.-C., dir. S. FICHTL (master 1).

PELLEROT, Hélène, La représentation royale de Louis XIV à travers l’Almanach Royal de 1700, dir. U. KRAMPL (master 1).

PLUMIAN, Guillaume, L’alimentation du « sauvage » dans les récits de voyage français. Perceptions et évolutions du regard sur la Nouvelle-France (1603-début XVIIIe siècle), dir. F. QUELLIER (master 2).

PRUDOR, Vincent, Structure et organisation de la paroisse de Duault d’après la réformation du terrier royal de Bretagne (1678-1685), dir. A. COGNÉ (master 2).

SALAÜN-CHOLLET, Marion, L’élève et la femme ; pédagogie pour demoiselles, d’après les Conversations d’une mère avec sa fille en français et en anglais, dir. U. KRAMPL.

SARRAMAGNAN, Maritxu, Le vin et les boissons spiritueuses dans les « Erreurs populaires » sous l’Ancien Régime, dir. F. QUELLIER (master 2).

STEININGER, Antoine, Les rapatriés d’Algérie en Indre-et-Loire (1962-1988), dir. J.-M. LARGEAUD (master 2). THERY, Stanley, Les réseaux entre les notables de Tours et les officiers de Louis XI, dir. D. BOISSEUIL (master 1).

THONNIET, Pauline, La dynamique du paysage et de l’occupation du sol entre Loire et Cisse, de Vouvray à Pocé-sur-Cisse (Indre-et-Loire), dir. S. LETURCQ, J.-B. RIGOT (master 1).

TORRECILLA, Albert, L’alimentation dans la vice-royauté du Pérou au travers des récits de voyage français, 1650-1750, dir. F. QUELLIER (master 2).

TURMEAU, Mélanie, Étude de la bibliothèque universitaire de la nation germanique à Orléans au XVIIe siècle, à partir des catalogues de la bibliothèque de la nation germanique de 1664 et de 1678, dir. P.-A. MELLET.

VIAU, Morgan, Le Parti Légitimiste en Indre-et-Loire sous la Monarchie de Juillet (1830-1848), dir. R. BECK (master 1).

INDEX

Thèmes : Angers, Brest, La Rochelle, Le Mans, Lorient, Nantes, Poitiers, Rennes, Tours

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