No 43 Politorbis
Zeitschrift zur Aussenpolitik www.eda.admin.ch/politorbis Revue de politique étrangère Rivista di politica estera
Islam et politique dans les Balkans occidentaux
2/2007
Politorbis
Zeitschri zur Aussenpolitik Revue de politique étrangère Rivista di politica estera Nº43 2/2007
Avant-propos Olivier H 3
Introduction Bashkim I / Xavier B 5
Entre nationalisme laïc et instrumentalisation Bashkim I 13 des institutions religieuses islamiques
Fin de l’hégémonie du S.D.A. et ancrage Xavier B 39 institutionnel du néo-salafi sme
Bibliographie sélective 65
Acronymes 70 Impressum: Département fédéral des aff aires étrangères DFAE Direction politique Secrétariat politique Politorbis Bernastrasse 28 3003 Bern
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Olivier H 1
Le présent numéro de Politorbis est issu d’une peuvent être cités où de bonnes relation s recherche commanditée par le Secrétariat interreligieuses ont pu être entreten ues, politique du DFAE. L’ambition en est d’éclairer ou alors où la religio n n’a simplement pas les relations entre l’islam et l’action politique constitué de barrière entre citoyens de dans les Balkans occidentaux. Ce e religion confessions diverses, même au plus dur de y est en eff et une composante traditionnelle la guerre. Par ailleurs, les croy ants de telle depuis la fin du Moy en âge, non seulement religion n’entretiennent pas forcement les de la vie religieuse, mais également culturelle mêmes rapports avec elle ou ne l’impliquent et sociale pour de nombreux habitants de pas de la même manière dans la vie politique, ce e région, et cohabite — avec plus ou moins selon leur nationalité, selon les époques ou de bonheur selon les époques — avec le selon leur lieu de résidence (les différences christianisme, qu’il soit catholique, orthodoxe dans ce domaine entre ville et campagne, ou, bien plus rarement, protestant. 1 entre plaine et montagne, sont à souligner). Si les affiliations religieuses ont indén iable Si ce e recherche s’est concentrée sur l’islam, ment joué un rôle dans les récentes guerres c’est notamment en raison du contexte des des Balkans, notamment par leur capacité relations internationales actuelles, qui a à marquer des identités collectives et à concentré l’a ention mondiale sur la question mobiliser de larges couches de la population, du terrorisme d’inspiration islamique, il serait amplement exagéré de parler de notamment suite aux a entats de septembre guerres de religion. D’autant que, du temps 2001 aux Etats Unis. Toutefois, en ce qui — récent — de la Yougoslavie communiste concerne les Balkans, une étude semblable (1943 1991), une majorité de la population pourrait être menée sur la dimension politique s’identifiait volontiers à l’idéologie athéiste de l’orthodoxie, du catholicisme ou encore du officielle. Il est vrai que le regain d’intérêt protestantisme, voire de diverses idéologies. pour le fait religieux, tant individuel que Il s’agissait cependant ici d’ approcher une collectif, qui a suivi l’ effondrement du religion autochtone, traditionnellement système édifié par Tito, a coïncidé av ec le moins connue en Europe occidentale, au delà début d’une décennie de guerres (1991–2001), des apports des migrations de la fi n du XXe engendrant de nombreuses interactions entre siècle. Pour ce faire, nous avons fait appel à guerres et religions. Ces dernières ont ainsi deux spécialistes des év olutions politiques été convoquées, entre autres, pour défi nir des dans les Balkans, M. Bashkim Iseni, spécialiste identités collectives, pour distinguer — parmi des questions de nationalisme dans l’ aire ces ex frères en Marx — les nouveaux apôtres albanophone et auteur de recherches sur le de Mahomet de ceux du Christ, à accentuer fait religieux dans cette région, ainsi qu’ à les diff érences, voire à justifi er l’élimination M. Xavier Bougarel, connu pour ses trav aux de son prochain par une prétendue v olonté sur les év olutions politiques en Bosnie et divine. Herzégovine, et portant notamment sur le Cependant, les rapports entre religions ne facteur religieux. sauraient se résumer aux manipulations Le résultat est un pano rama riche et diffé politiques, à leurs dériv es exclusivistes, rencié des évolutions de l’islam dans les voire guerrières et de nombreux exemples vingt dernières années dans les principales régions des Balkans où il est pratiqué et des 1 C ollaborateur du Secrétariat politique (POLS), interactions et influences mutuelles entr e Département fédéral des aff aires étrangères (DFAE) ces contrées. Plus av ant, les conclusions de la suisse 3 brossent des perspectiv es quant aux région ou encore l’approche de ces questions évolutions possibles des relations entre islam au sein de la diaspora, tout particulièrement et politique, prenant en compte les grands en Suisse. défi s auxquels la région est confrontée (statut Nous souhaitons que cette étude puiss e du Kosovo, intégration européenne etc.). contribuer à mieux connaître l’une des Malheureusement, par économie de temps et grandes religions traditionnelles dans cette de ressources, certaines régions importantes région d’Europe et l’un des importants ont dû être laissées de côté, notamment facteurs politiques dans les Balkans, dans sa l’Albanie, tout comme l’étude des interaction récente, rapide et complexe évolution. de l’islam av ec les autres religions de la
4 Introduction
Bashkim I / Xavier B
L’objectif de ce dossier est d’apporter un éclairage sur les évolutions de l’islam dans les Balkans occidentaux au cours des deux dernières décennies. Il se focalise sur les populations musulmanes de l’ex Yougoslavie et s’articule autour de deux études de terrain réalisées au Kosovo, en Macédoine et en Serbie du sud d’une part, en Bosnie Herzégovine et dans le Sandžak (Serbie, Monténégro) d’autre part. Dans ce e introduction, nous reviendrons d’abord sur les caractéristiques historiques de l’islam dans les Balkans, avant de nous intéresser à la place occupée par la r eligion dans l’identité nationale des populations musulmanes de la r égion. Puis, après avoir précisé brièvement la signifi cation de certains termes, nous présenterons les principales conclusions pouvant être tirées de ces deux études.
1. L ’islam dans les Balkans: reste difficile à évaluer (100 à 150’000), approche historique étaient surtout présents en Macédoine et au Kosovo.3 Les Turcs étaient présents en D’après des calculs effectués sur la base du Macédoine (100’000, soit 5%) et, de manière recensement de 1991, 4’800’000 environ des plus marginale, au Kosovo (10’000, soit 0,5%). habitants de la Y ougoslavie de l’ époque Enfi n, en Macédoine au Kosovo, la catégorie étaient de tradition religieuse musulmane, nationale «Musulman» recouvrait à la fois soit 20% environ de sa population totale. des Musulmans/Bosniaques généralement Les Musulmans/Bosniaques1 étaient environ originaires du Sandžak et de petits groupes 2’400’000, concentrés en Bosnie Herzégovine ethniques slav ophones (Torbèches en (1’900’000, soit 44% de la population totale) Macédoine occidentale, Gorans au sud du et dans le Sandžak, région située à la lim ite Kosovo). de la Serbie et du Monténégro (230’000, soit 52%). Les Albanais de tradition religieuse 1.1. Le processus d’islamisation dans les 2 musulmane étaient environ 2’100’000, Balkans o omans concentrés au Kosovo (1’550’000, soit 80%), en Macédoine (430’000, soit 21%) et dans L’islamisation des Balkans commence av ec l’expansion territoriale de l’Empire o oman la vallée de Preševo Preshevë, en Serbie du e e sud (70’000, soit 68%). Les Roms de tradition aux XIV et XV siècles. Dans un premier religieuse musulmane, dont le nombre temps, le processus d’islamisation touche les centres urbains, avant de s’ étendre aux campagnes et d’entraîner la conv ersion de 1 D ans la terminologie officielle de la Y ougoslavie villages entiers. Les populations autochtones communiste, le terme «Musulman» ( Musliman) islamisées sont avant tout albanaises et slaves, avec «M» majuscule a une signifi cation nationale, mais aussi roms et v alaques (aroumaines). et désigne donc l’ ensemble des slaves islamisés de langue serbo croate quelque soit leur degré A c es populations autochtones s’ ajoutent de religiosité, alors que le terme «musulman» des Turcs et des Circassiens (ori ginaires du (musliman) avec «m» minuscule a une signifi cation Caucase du nord ouest) venus des parties religieuse et désigne donc l’ensemble des fidèles orientales de l’Empire. musulmans quelque soit leur nationalité. En 1993, le nom national «Musulman» est remplacé par celui Les causes de l’islamisatio n font l’ objet de «Bosniaque» (Bošnjak). Celui ci ne doit pas être d’analyses divergentes. L’accent est parfois confondu avec le terme «Bosnien» ( Bosanac) qui mis sur les pressions que les autorités s’applique à l’ensemble des habitants de la Bosnie Herzégovine. 2 E nviron 5% des Albanais du Kosov o et 30% des 3 E n dehors de la Macédoine et du Kosovo, la majorité Albanais du Monténégro sont de tradition religieuse des Roms des Balkans occidentaux sont de tradition catholique. religieuse orthodoxe, catholique ou protestante. 5 ottomanes auraient exercées pour conv ertir émigrent vers la Turquie, cette tendance se certaines populations. Il existe bien des cas poursuivant jusque dans les années 1960. de conversion forcée, mais les incitations Outre les caractéristiques de l’islam balka de nature économique ont joué un rôle plus nique liées à ses origines ottomanes, s on important dans les processus d’islamisation : statut minoritaire dans la période post les musulmans n’étant pas soumis aux mêmes o omane explique certaines de ses spécifi cités impôts que les non musulmans, la conversion contemporaines. Les institutions religieuses à l’islam présentait des av antages évidents. islamiques sont en eff et placées sous l’autorité C’était aussi un moyen d’ascension au sein de directe de ces nouveaux Etats. Par conséquent, l’appareil administratif et militaire o oman. elles doivent s’adapter à leur nouveau statut Enfi n, dans un second temps, les représentants minoritaire et, au delà, à la modernisation locaux du pouvoir o oman et les populations de l’Etat et de la soci été. Après la Seconde locales converties ont contribué à la diff usion Guerre mondiale, les régimes communi stes 4 de l’islam. instaurés dans la plupart des Etats de la L’islam des Balkans est très majoritairement région (à l’exception notable de la Grèce) un islam sunnite ra aché au madhhab hanéfi te, procèdent au démantèlement des institutions école juridique offi cielle de l’Empire o oman. religieuses traditionnelles: nationalisati on Mais il se caractérise aussi par une certaine des waqfs (fondations religieuses), fermeture pluralité interne. Les confréries soufies des madrasas, suppression des tribunaux ont joué un rôle actif dans le processus chariatiques en Yougoslavie. Dans ce pays, le d’islamisation et intégré dans leurs pratiques régime contrôle étroitement la Communauté certains éléments issus d’autres religions. islamique (Islamska Zajednica) qui exerce u n Les principales confréries présentes dans les monopole sur la vie religieuse musulmane, Balkans sont les Bektachis, particulièrement les confréries soufi es étant interdites en 1952. influents en Albanie, les Halv etis et les A p artir des années 1960, toutefois, la Naqshbendis. Selon Michel Baliv et, la libéralisation du régime yougoslave permet diversité ethnolinguistique des Balkans et un renouveau de la vie religieuse musulmane la présence des ordres soufis ont fortem ent caractérisé notamment par la construction de marqué l’islam balkanique dans ses croyances mosquées, le développement de l’enseigne 5 et dans ses pratiques populaires. ment religieux et la multiplication des publications religieuses en langue locale. 1.2. Le statut de l’islam dans les Balkans Mais ces évolutions ne reme ent en cause ni post o omans la relégation de la pratique religieuse dans Pendant la période o omane, les musulmans la sphère privée, ni la modernisation et la des Balkans s’identifient avec l’Empire et sécularisation accélérées de la société. Ce n’est jouissent d’un statut socio politique supérieur donc qu’avec l’eff ondrement du communisme à celui de ses sujets non musulmans. Avec en 1989/1990 que la religion fera son retour le reflux de l’Empire ottoman au cours des dans la sphère publique et, dans une moindre XIXe et XXe siècles, la situation s’inv erse. mesure, dans la vie politique. Sauf dans le cas particulier de l’Albanie, ces populations se retrouv ent minoritaires au 2. Islam et identité nationale dans sein de nouveaux Etats balkaniques à majorité les Balkans occidentaux orthodoxe et sont l’objet de div erses formes de répression et de discrimination. Cec i a Au cours des XIXe et XXe siècles, le passage du notamment pour conséquence d’importantes système o oman des millets à celui des Etats vagues d’émigration: entre 1878 et 1945, deux nations s’est effectué selon des modalités à trois millions de musulmans des Balk ans propres à chaque groupe ethnolinguistique. En particulier, l’articulation entre islam et 4 P arallèlement, les populations de confession ortho identité nationale n’est pas la même pour doxe, sont organisées en millets (communautés chacun des groupes concernés. religieuses non souveraines). Chaque millet doit re connaître l’autorité politique du Sultan, mais organise de manière autonome la vie religieuse, culturelle et éducative. 5 V oir Michel Balivet (1992). 6 2.1. Islam et identité nationale chez les d’importantes politiques de modernisation et Albanais d’intégration sont lancées à partir des années L’identité nationale des Albanais est construite 1960 dans l’aire culturelle albanaise, et p lus autour de la langue, de l’idée d’ origine particulièrement au Kosovo. Ceci entraîne illyrienne des Albanais et de certaines fi gures une sécularisation rapide de ces populations historiques mythiques. Issus de trois, v oire et l’émergence de nouvelles élites politiques et quatre communautés religieuses (musulmans intellectuelles qui animent les manifestations sunnites, musulmans bektachis, catholiques et de 1968 et 1981 au Kosovo. Les revendications orthodoxes), les promoteurs du nationalisme des manifestants portent sur l’amélioration albanais voient la religion comme un facteur des conditions de vie, un meilleur statut de division, et insistent donc sur la langue politique des Albanais, une reconnaissance de comme élément fédérateur. P our eux, c’est la langue et de la culture albanaises au sein de un moyen de s’ opposer au processus de la fédération yougoslave. centralisation (et de turcisation) amorcé dans Compte tenu de l’histoire contemporaine des l’Empire ottoman au milieu du XIX e siècle, Albanais de l’ex Yougoslavie, un constat s’im et de protéger les contrées albanaises des pose: même si ce e population est en grande visées expansionnistes des nouv eaux Etats majorité musulmane sunnite et même si balkaniques. l’islam et le catholicisme sont des marqueurs Entre les guerres balkaniques (1912 1913) identitaires importants par rapport aux et la Seconde Guerre mondiale (1941 1945), populations slaves orthodoxes, les références les Albanais restés en dehors de l’Albanie à l’islam restent marginales dans les discours organisent la résistance armée des « kaçaks» et les actions du mouv ement nationaliste et demandent leur ra achement à l’Albanie. albanais. C’est à cette période qu’est créé le «Comité Kosova». Les Albanais n’étant pas de langue 2.2. Islam et identité nationale chez les et de culture slav es, ils sont difficilement Musulmans/Bosniaques assimilables dans le Royaume des Serbes, Suite à l’occupation de la Bosnie Herzégovine des Croates et des Slov ènes créé en 1918 (et par l’Empire austro hongrois en 1878, les rebaptisé Royaume de Yougoslavie en 1929) Musulmans/Bosniaques comprennent que, et subissent une forte répression. Celle ci pour assurer leur survie, ils doivent maintenir pousse de nombreux Albanais à émigrer vers de bonnes relations avec le nouveau pouvoir la Turquie, alors même que des colons serbes central. Dans leur grande majorité, toutefois, et monténégrins sont installés au Kosovo et en ils reje ent le projet austro hongrois de créer Macédoine. une nation bosniaque englobant les trois Sur le plan éducatif, le pouv oir serbe communautés musulmane, orthodoxe et impose la fermeture des écoles en langue catholique. L’islam constitue dès lors un refuge albanaise. Cette politique se solde par une identitaire pour une population qui parle le alphabétisation très faible de larges couches serbo croate mais revendique une identité de cette population et par la faiblesse des distincte de celle des Serbes orthodoxes et des élites politiques et intellectuelles. Les seules Croates catholiques. En eff et, celle ci est l’objet institutions d’enseignement autorisées d’une tentative de captation identitaire de la sont les écoles religieuses, islamiques ou part des nationalistes serbes et croates, qui la catholiques. Des enseignants musulmans qualifi ent de «Serbes de confession islamique» sont envoyés de Bosnie Herzégovine afin ou de «Croates de confession islamique» et de favoriser l’assimilation de la population cherchent ainsi à légitimer leurs prétentions albanaise, mais ce projet échoue du fait territoriales sur la Bosnie Herzégovine. du développement d’un système parallèle Après l’intégration de la Bosnie Herzégovine d’enseignement en langue albanaise au sein au sein du Royaume des Serbes, des Croates même de ces institutions. Celles ci serv ent et des Slov ènes, les élites traditionnelles en outre de plateformes de diff usion pour les musulmanes/bosniaques se regroupent idées nationalistes albanaises. au sein de l’Organisation musulma ne Suite à l’incorporation des populations alba yougoslave (Jugoslovenska muslimanska naises dans la Y ougoslavie communiste, organizacija –JMO). La JMO soutient l’idé e
7 de «yougoslavisme» afin de se protéger d es déclarer «albanaises». Ce e évolution refl ète visées assimilationnistes serbes et croates. l’émancipation de la population albanaise en Lors du partage du territoire de la Bosnie Yougoslavie au cours de ce e même période. Herzégovine entre la Serbie et la banovina La population rom de tradition religieuse de Croatie en 1939, les dirigeants serbes et musulmane est composée de musulmans croates dénient aux Musulmans/Bosniaques sunnites et de soufi s. Elle est très marginalisée tout rôle politique et toute identité spécifi que. sur le plan socioéconomique et politique Dès lors, ces derniers se replient plus encore et connaît des fluctuations identitaires et sur leur identité religieuse, et c’est dans ce religieuses importantes . En Macédoi ne contexte que les idées islamistes apparaissent on constate par exemple un processus de au sein de la jeunesse musulmane/bosniaque conversion au protestantisme consécutif à scolarisée. l’action des missions protestantes dans ce Après la création de la Yougoslavie commu pays depuis quelques années. niste en 1945, de nouvelles élites musulmanes/ Les populations torbèche et gorane (sl avo bosniaques laïques émergent en Bosnie phones) présentes en Macédoine et au Herzégovine, qui œuvrent à la promotion Kosovo se sont, dans le passé, identifiées d’une identité nationale spécifi que. Dans les aux Musulmans/Bosniaques ou aux T urcs. années 1960, les évolutions poli tiques de la Craignant une turcisation ou une alba nisation Yougoslavie conduisent le régime communiste de ces populatio ns par le biais du lien à reconnaître l’ existence d’une nation religieux, les autorités macédoniennes s’invest 6 musulmane en Bosnie Herzégovine, puis issent énergiquement pour pro mouvoir une étend progressivement ce e reconnaissance à identité «macédonienne musulmane». l’ensemble du territoire de la Yougoslavie. Ce processus s’accompagne d’une redécouverte de l’histoire et de la culture musulmane/ 3. Quelques défi nitions préalables: bosniaque et d’une réactiv ation des liens islamisme et néo salafi sme avec le monde musulman, dans le cadre de la participation de la Y ougoslavie au Dans les Balkans comme ailleurs, les Mouvement des non alignés. débats portant sur les rapports entre islam et politique ou les év olutions doctrinales de l’islam se car actérisent souvent par un 2.3. Islam et identité nationale chez les emploi impropre et polémique de termes Turcs, les Roms, les Torbèches et les tels qu’«islamisme», «fondamen talisme», Gorans «wahhabisme» ou «djihadisme». Une Chez les Turcs de Macédoine et du Kosov o, clarifi cation de la terminologie employée dans l’articulation entre islam et identité nationale les deux études qui constituent ce dossie r est historiquement conditionnée par l’évolu s’impose donc av ant d’en présenter le s tion de la scène politique et religieuse en principales conclusions. Turquie. En Macédoine, cette communauté L’islamisme – ou islam politique – peut être entretient des relations proches avec les autres défini comme la v olonté de réaffirmer la populations musulmanes, et en particulier dimension et la pertinence politiques de la population albanaise. En même temps, l’islam dans le monde contemporain. Il n’est elle entretient de bonnes relations av ec les donc pas incompatible av ec l’acceptation auto rités macédoniennes et est relativement d’une certaine modernité, y compri s dans bien intégrée dans l’ appareil d’Etat. Le ses dimensions polit ique et culturelle. Du nombre des Turcs v arie grandement dans reste, les mouvements islamistes ont souvent les premiers recensements de la période une forte dimension nationaliste comme communiste, du fait de l’incorporation dans l’illustrent le «Hezbollah» au Liban, le «Hamas» la catégorie «Turcs» d’autres populations en Palestine et le mouv ement des Frères de confession islamique (Albanais, Roms, musulmans dans le monde arabe, ou encore le Torbèches). A partir des années 1960, une Parti de la justice et du développement (Adalet partie des populations musulmanes urbaines ve kalkıma partisi –AKP) en Turquie. Il faut en qui se déclaraient «turques» commencent à se outre distinguer entre un islamisme modéré qui adopte des stratégies électoralistes et respecte 6 V oir note 1. 8 les principes démocratiques, et un islamisme locaux rejettent le madhhab hanéfite, se radical qui utilise des moyens révolutionnaires considèrent eux mêmes comme w ahhabis et violents pour arriver au pouvoir et exerce ou s’identifient au régime saou dien. celui ci de manière autoritaire. L’utilisation du qualificatif «wahhabite» est Le néo salafisme est un fondamentalisme donc le plus souvent abusive, alimente bien religieux qui veut revenir à l’islam des «pieux des polémiques tout en en dissimulant les ancêtres» («al salaf al salih»).7 Les néo salafi stes véritables enjeux, et risque finalement de idéalisent donc le temps du Prophète et de fausser la compréhension des év olutions ses compagnons et rejettent les croy ances et des clivages internes de l’islam dans les et les pratiques religieuses ne trouvant pas Balkans occidentaux. leur confi rmation dans le Coran ou la Sunna (tradition basée sur les paroles et actions du 4. L’islam dans les Balkans Prophète). Ils sont hostiles à la modern ité occidentaux: principales politique et culturelle comme aux traditions conclusions religieuses locales, une telle démarche revenant à nier les évolutions historiques et la Sur la base des deux études de terrain réalisées diversité culturelle des sociétés musulmanes. au Kosovo, en Macédoine et en Serbie du sud Il faut là encore distinguer entre un néo d’une part, en Bosnie Herzégovine et dans le salafisme de type piétiste et un néo salafisme Sandžak (Serbie, Monténégro) d’autre part, de type djihadiste . Le néo salafisme de type un certain nombre de conclusions peuv ent piétiste cherche avant tout à réislamiser le s être dégagées concernant les rapports entre individus et la société, il est profondément islam et politique, l’évolution des institutions conservateur et n’a pas pour objectif de religieuses islamiques et l’émergence d’une renverser les régimes politiques en place, ce mouvance néo salafi ste: qui explique qu’il soit encouragé et financé par les monarchies du Golfe persique. Le néo 4.1. Rapports entre islam et politique salafisme de type djihadiste considère l’Umma La comparaison des rapports existant (communauté des croyants) comme unique entre islam et politique dans les Balkans communauté politico religieuse légitime et occidentaux permet de distinguer trois confi insiste sur l’obligation religieuse de mener gurations principales: le djihad («guerre sainte») contre le monde occidental et les régimes «impies» du monde • en Bosnie Herzégovine, une mouvance musulman. C’est un extrémisme de type islamiste jusqu’alors marginale a créé nouveau, globalisé et déterritorialisé, dont en 1990 le Parti de l’action démocratique le principal représentant est le réseau « al (Stranka demokratske akcije –SDA), Qaida». principal parti nationaliste musulman/ bosniaque; elle s’est ainsi placée au centre Enfin, les néo salafistes des Balkans sont des recompositions des élites poli tiques souvent qualifiés de «wahhabites» par les bosniaques et a pris, en 1993, le contrôle médias locaux et occidentaux. Le wahhabisme des institutions reli gieuses islamiques. est une forme de néo salafisme propre à Dans les années 2000, cette mouvance l’Arabie saoudite et se ra achant au madhhab islamiste a connu un processus de hanbalite. Mais, bien que l’Arabie saoudite marginalisation progressive au sein même ait largement contribué à l’ émergence du du SDA et les institutions religieuses ont néo salafi sme dans les Balkans occidentaux, joué un rôle plus autonome, mais non cela ne signifie pas que ses représentants moins important, dans la vie politique; • au Kosovo, les institutions religieuses 7 L e néo salafisme est issu du salafisme qui, à la islamiques ont soutenu dès 1990 les fi n du XIXe siècle, a voulu revenir aux sources de l’islam pour contrer le déclin du monde musulman revendications nationalistes de la Ligue et sa domination par l’Occident. Mais le salafi sme, démocratique du Kosov o (Lidhja demo en prônant la réouverture des portes de l’ijtihad kratike e Kosovës –LDK), alors hégémonique (libr interprétation), a aussi conduit à l’émergence au sein de la population albanaise. A l a du réformisme musulman, des mouv ements islamistes et même des mouvements nationalistes fi n des années 1990, l’émergence d’autres laïcs du monde musulman. partis nationalistes albanais issus de 9 l’Armée de libération du Kosovo (Ushtria de la sphère publique par les institutions çlirimtare e Kosovës –UÇK) n’a pas eu religieuses islamiques conduiront sans d’impact majeur sur les rapports entre doute à un rapprochement entre des religion et politique, l’ensemble des élites situations locales aujourd’hui contrastées. politiques albanaises restant d’inspiration L’athéisme des élites politiques albanaises laïque et les institutions religieuses se comme le fort clivage idéologique entre tenant à l’écart de la vie politique; élites politiques bosniaques d’orientation • en Macédoine et dans le Sandžak, les religieuse et laïque devraient s’estomper divergences stratégiques et les riv alités au profi t d’une gestion plus opportuniste partisanes des élites nationalistes des rapports entre religio n et politique. albanaises (Macédoine) ou bosniaques Dans ce contexte, la mouvance islamiste (Sandžak) ont conduit à des tentativ es restera minoritaire, s’organisant sous plus ou moins brutales de prise de pouvoir la forme de partis islami stes et islamo sur les institutions religieuses islamiques. nationalistes aux performances électorales Dans les années 2000, ces lu es partisanes réduites, ou de fractions internes aux ont débouché en Macédoine sur une crise principaux partis nationalistes. profonde des institutions religieuses. Dans le Sandžak serbe, au contraire, 4.2. Evolution des institutions religieuses elles ont favorisé leur émergence comme islamiques interlocuteur privilégié des autorités L’étude de l’ évolution des institutions serbes. religieuses islamiques dans les Balkans Dans les cinq à dix ans à v enir, de nouvelles occidentaux permet de faire ressortir trois recompositions des rapports entre islam et évolutions principales: politique sont envisageables dans les Balkans • l’éclatement de la Communauté islamique occidentaux: de Yougoslavie en 1993 a eu pour • l’hypothèse de la formation d’un ou conséquence la constitution de cinq plusieurs Etats islamiques dans les Communautés islamiques distinctes Balkans occidentaux est sans fondement, (Bosnie Herzégovine, Kosovo, Macédoine, cette option étant du reste rejetée par Serbie et Monténégro) dont les limites les acteurs islamistes locaux et leurs administratives et les rapports mutuels ne soutiens extérieurs. De même, l’idée d’une sont pas encore stabilisés. Ceci est fl agrant «transversale verte» reliant les populations dans le cas de la Serbie, et plus particulière musulmanes des Balkans occidentaux n’a ment du Sandžak serbe (relation au Reis pas de fondement réel, ces populations ul Ulema de Sarajevo et/ou au mufti de étant plutôt menacées de «ghe oïsation» Belgrade, rapports entre Sandžak serbe et au sein d’entités territoriales au statut Sandžak montégrin, etc.); indéfi ni. Par contre, l’apparition de deux • les institutions religieuses islamiques ont entités étatiques ou quasi étatiques à connu un développement rapide de leurs majorité musulmane (Kosovo, Fédération infrastructures (ouverture d’établissements de Bosnie Herzégovine) conduira à d’enseignement secondaires et supérieurs, des recompositions géopolitiques et multiplication des publications religieuses, identitaires majeures (partition de fait de etc.) et de leurs activités (pèlerinages et la société bosnienne et réislamisation de rassemblements de masse, enseignement l’identité nationale bosniaque, émergence religieux à l’école publique en Bosnie d’un Kosovo à majorité sunni te comme Herzégovine et en Serbie, etc .). Dans le nouveau centre du nationalisme albanais même temps, toutefois, leur monopole et contestation du caractère laïc de sur la vie religieuse a été remis en cause l’idéologie nationaliste albanaise); par l’émergence de nouv eaux acteurs • le déclin de la mouv ance islamiste en (organisations de jeunesse et prédicateurs Bosnie Herzégovine, l’émergence d’un d’inspiration néo salafiste, confréries débat sur le lien entre islam et identité soufi es et mouvements néo soufi s, etc.); nationale albanaise au Kosov o et en • les liens tissés entre les instit utions reli Macédoine et le réinvestissement général gieuses islamiques et certains partis poli 10 tiques ou secteurs de l’ appareil d’Etat financière des institutions religieuses ex pliquent dans certains cas leur capacité risquerait de renforcer leur dépendance à réinvestir la sphère publique (Bosnie envers les financements originaires du Herzé govine, Sandžak). Toutefois, monde musulman et d’a iser leurs confl its les tentativ es d’instrumentalisation internes ainsi que les frustrations de la politique des institutions religieuses ont nouvelle génération de cadres religieux. généralement a isé leurs propres clivages internes (divergences doctrinales, confl its 4.3. Implantation de la mouvance néo d’intérêts, de générations ou de personnes, salafi ste etc.) et suscité parfois de grav es crises internes (Macédoine, vallée de Prešev o La question du néo salafi sme dans les Balkans Preshevë). occidentaux doit être traitée différemment selon les types de néo salafi sme, les régions et Dans les cinq à dix ans à venir, les institutions les périodes concernées: religieuses islamiques des Balkans occident aux risquent d’être confrontées à de nouveaux • en Bosnie Herzégovine, l’émergence de la défi s : mouvance néo salafi ste de type djihadiste est liée à l’arrivée des moudjahiddins dans • la pluralisation politique que connaissent les années 1990. Elle a donné naissance à actuellement les populations musulmanes plusieurs organisations de jeunesse au des Balkans occidentaux (passage d’un sortir de la guerre, mais son influence parti hégémonique à plusieurs partis s’est stabilisée au début des années 2000 concurrents) devrait s’accompagner de et un processus de diff érenciation interne tentatives renouvelées d’instrumentali semble en cours. Dans les autres pays sation politique des insti tutions religieuses des Balkans occidentaux, ce e mouvance islamiques. Là où ces institu tions restent s’est implantée plus tardivement, par le fragiles (Macédoine, Sandžak), ces biais d’étudiants de retour du monde tentatives pourr aient conduire à des musulman et de sites internet. Son crises ouvertes, voire violentes, et faciliter influence y est marginale et s’ exerce de l’implantation d’autres acteurs religieux manière informelle; non institutionnels. Là où ces institutions sont en voie de consolidation, elles • il existe des liens avérés (voire rev endi pourraient profi ter de la fragmentation et qués) entre la mouvance néo salafi ste de de la délégitimation croissantes des élites type djihadiste et le réseau « al Qaida». politiques pour s’ériger en institutions D’une manière générale, ce e mouvance nationales de substitution (Bosnie semble considérer les Balkans occidentaux Herzégovine) ou opposer au nationalisme comme une base de repli et une terre de laïc des élites politiques un discours mission, et préférer dès lors ne pas s’ en islamo nationaliste; prendre aux intérêts occidentaux dans la région. De fait, si elle a été impliquée • le développement rapide qu’ont connu dans une série d’ attentats anti croates les institutions religieuses islamiques, à la fin des années 1990, les quelques auquel s’ajoute l’arrivée sur le marché tentatives d’a entats anti occidentaux qui du travail de nombreux cadres religieux ont été déjouées en Bosnie Herzégovine formés sur place ou à l’ étranger, risque ou dans la diaspora semblent être le fai t de les confronter à terme à d’importants d’individus isolés; problèmes de fi nancement. La restitution des waqfs (fondations religieuses) natio • depuis le début des années 1990, le nalisés en 1947 restant incertaine et soutien financier des monarchies du diffi cile à me re en oeuvre, les institutions Golfe persique, la traduction d’ auteurs religieuses s’efforceront sans doute néo salafi stes et l’envoi d’étudiants dans de trouv er de nouvelles sources de les universités du monde musulman financement, soit auprès des pouv oirs expliquent la montée en puissance du publics (établissements d’enseignement, néo salafi sme de type piétiste au sein des etc.), soit auprès de la population et de institutions religieuses islamiques. Celle la diaspora (mosquées, etc.). Une c rise ci conduit à l’ élaboration de nouv eaux compromis doctrinaux, comme l’a estent 11 l’évolution des positions du Reis ul Ulema du XXe siècle étaient le résultat d’un siècle Mustafa Cerić en Bosnie Herzégovine et demi d’expérience minoritaire et d’un ou, dans une moindre mesure, les demi siècle de sécularisation communiste; changements intervenus à la tête des • à l’échelle européenne, deux questions institutions religieuses islamiques au prendront une importance croissante. Kosovo et au Monténégro. La première co ncerne la participati on A t erme, l’implantation de la mouvance néo des institutions religieuses islamiques salafiste dans les Balkans occidentaux aura à divers réseaux pan européens: dés probablement des conséquences majeures maintenant, le Reis ul Ulema de Bosnie dans ce e région et au delà: Herzégovine Mustafa Cerić semble proche • les institutions religieuses islamique s de la mouvance des Frères musulmans des Balkans occidentaux adopteront sans en Europe, alors que les institutions doute une approche plus li érale de l’islam religieuses du Kosovo et de Macédoin e contestant la licéité de certaines pratiques privilégient les relations avec le Diyanet populaires (tout en les tolérant comme turc. La deuxième question concern e marqueurs identitaires), minimisant les l’évolution religieu se des diasporas spécificités du madhhab hanéfite (tout en musulmanes d’origine balkanique : en réaffi rmant le monopole) et cherchant l’existence en leur sein de cercles éventuellement à obtenir la restauration d’inspiration néo salafiste est av érée, et d’un statut personnel islamique de nature plusieurs individus ont été arrêtés ces facultative (contrats de droit priv é). dernières années pour leur implication Ces évolutions doctrinales, s’ajoutant à dans des entreprises terroristes. De l’apparition d’entités étatiques ou quasi manière générale, toutefois, ces diasporas étatiques à majorité musulmane et à la continueront d’adopter des attitudes raréfaction des situations de coexistence religieuses très légalistes et discrètes, et entre populations musulmanes et non joueront éventuellement un rôle positif musulmanes, entraîneront des mutations dans la mise en place d’institution s profondes et durables de l’islam représentatives du culte musulman. balkanique, dont les spécificités à la fin
12 Entre nationalisme laïc et instrumentalisation des institutions religieuses islamiques
Bashkim I 1
1. Islam et politique au Kosovo sein de la fédération yougoslave. Les évène Depuis 1980, le Kosovo a connu des grands ments qui vont suivre marquent le début de bouleversements politiques. Notre objectif la recrudescence des nationalismes dans tout est d’analyser les rapports entre les sphères l’es pace de la Yougoslavie. politique et religieuse et d’étudier l’évolution En 1989, les autonomies du Kosovo et de la de la vie religieuse musulmane dans cette Voïvo dine sont arbitrairement supprimées province autonome de la République de par le régime de Slobodan Milošević. Face Serbie, administrée depuis 1999 par la Mission à cette nouvelle réalité, l’ élite intellectuelle des Nations Unies au Kosovo (MINUK). et politique albanaise du Kosovo s’ organise au tour de la Ligue démocratique du Kosovo 1.1. Evolutions politiques et religieuses (Lidhja demokratike e Kosovës –LDK). Créé la au Kosovo entre 1990 1998 même année, ce parti politique est dirigé par l’écri vain Ibrahim Rugo va. La LDK prône 1.1.1. La Ligue démocratique du Kosovo une résistance non violente face au régime (LDK) et le projet de l’indépendance de Milošević. Par la suite, la LDK abandonne Suite aux changements constitutionnels en l’objectif d’une république au profit d’un Répu blique socialiste fédérative de Yougosla pro jet d’indépendance du Kosovo. En juillet vie (RSFY) en 1974, le Kosovo et la Voïvo dine 1991, le Parlement du Kosovo, non reconnu obtiennent le statut de provinces auto nomes par Belgrade, proclame l’indépendance du au sein de la Serbie. Ce nouveau statut leur Kosovo. En septembre de la même année, un confère une large autonomie qui définit les ré férendum est organisé. L’écrasante majorité provinces en termes de commun auté socio des électeurs albanais se déclare en fav eur politique bénéficiant des mêmes droits de l’indépendance. Après la proclamation constitutionnels que les six républiques qui du résultat électoral, ce même Parlement élit composent la Yougoslavie.1 l’écri vain Ibrahim Rugova à la fonction de Prési dent du Kosovo et nomme Bujar Bukoshi La question du statut des provinces autonomes Premier ministre. L’élite politique albanaise sert de catalyseur aux manifes tations nationa s’engage alors dans la création d’une véritable listes albanaises au Kosovo en 1981, soit une société parallèle au Kosovo et organise une année après la mort du Président yougoslave rési stance non violente face à la domination Josip Broz Tito.2 La principale revendication du régime de Belgrade. La population alba des manifestants albanais porte sur l’obtention naise du Kosovo suit fidèlement l’option de pour le Kosovo d’un statut de république au résistance retenue par le leadership politique 1 B ashkim Iseni est chercheur et consultant sur albanais tout en faisant face à une répression l’Europe du Sud Est et les diasporas originaires de systé matique menée par l’appareil militaro ce e région en Suisse. Ses principales publications poli cier serbe. Ce e politique de répression se sont: La question nationale en Europe du Sud Est. traduit par des licenciements massifs, la viola Genèse, émergence et développement de l’identité natio nale albanaise au Kosovo et en Macédoine, Bern, Peter tion des droits de l’homme, des emprison n e Lang (à paraître en janvier 2008); Les Organisations ments arbitraires, des mauvais traitements, humanitaires d’inspiration religieuse en Macédoine , des assassinats, etc.3 The Program for the Study of International Orga nization(s) (PSIO), Institut de Hautes Etudes Inter natio nales, Genève, 2007; Transition et stratégies de 3 V oir Marie Françoise Allain et Xavier Galmiche privatisation en Europe de l’Est. Etude de cas de la Macé (1994) ainsi que les nombreux rapports rédigés par doine, Lausanne, Cahier de l’IDHEAP, 1999. les organismes internationaux sur les violatio ns 2 A u sujet de l’évolution historique du Kosovo voir des droits de l’homm e au Kosovo cités dans Michel Roux (1992); Noel Malcolm (1998). Muhamedin Kullashi (1999). 13 Ibrahim Rugova mène une politique pro (slavophone, région de Prizren) et rom restent occidentale en allant chercher à plusieurs en revanche proches du pouv oir serbe au reprises l’appui politique du V atican.4 Il Kosovo. souligne constamment l’ appartenance européenne des Kosovars et leur proximité 1.1.2. Evolution de la vie religieuse historique avec le monde occidental en musulmane au Kosovo mettant en av ant la dimension chrétienne des Albanais. Parallèlement, il minimise la La Communauté islamique du Kosov o dimension islamique de la culture albanaise (Bashkësia islame e Kosovës –BIK) se rallie et souligne systématiquement l’apport des également au projet d’indépendance d u figures historiques chrétiennes albanaises Kosovo. L’histoire de cette institution comme Pjetër Bogdani, Skanderbeg ou Mère religieuse est étroitement liée à l’histoire Theresa.5 La particularité de sa conception politique du Kosovo et de la Yougoslavie. En du nationalisme albanais réside dans la quête 1919, le Kosovo est intégré dans le Ro yaume d’une légitimité qui s’appuie sur une présence des Serbes, des Croates et des Slov ènes. catholique albanaise qui aurait précédé les Les institutions islamiques du Kosov o invasions slaves et o omanes du Kosovo.6 dépendaient alors du mu i de Belgrade. En 1929, ces mêmes institutions sont placées Le Premier ministre Bujar Bukoshi est aussi sous l’autorité du Conseil des oulémas de très actif sur le plan diplomatique auprès Skopje Shkup. Au cours de la Seconde Guerre des chancelleries occidentales. Bukoshi est mondiale, les mu inies7 de Prishtinë Priština un produit de l’élite politique kosovare de et de Prizren sont ra achés à la Communauté conviction athée et pro occidentale. Dans ses musulmane d’Albanie. En 1945, le territoire activités de lobbying diplomatique, Bukoshi du Kosovo est réintégré à la Y ougoslavie. se montre plus pragmatique que le Président De 1948 à 1993, les instit utions islamiques Rugova. Ainsi, sa conviction athée ne l’a pas du Kosovo agissent sous l’autorité de la empêché d’aller chercher des appuis politiques Présidence suprême (Vrhovno starješinstvo)8 de en faveur du Kosovo en Turquie et dans les la Communauté islamique (Islamska zajednica) pays arabo musulmans. Par exemple, il assiste de Yougoslavie dont le siège est à Sarajevo. en 1992 à une réunion de l’Organisation de la conférence islamique (OCI). L’introduction du multipartisme en Yougos lavie en 1990 entraîne des transformations Les populations musulmanes non albanaises au sein de l’Islamska zajednica. Celle ci se du Kosovo représentent environ 6% de la réorganise et les instances islamiques existant population et réagissent div ersement au au niveau des républiques acquièrent de projet d’indépendance. Les communautés nouvelles compétences jusque là réservées au turque et musulmane/bosniaque sont divisées Rij aset de Sarajevo. Elles peuvent notamment sur ce point. Cependant, une majorité s’aligne établir des relations avec l’ étranger. Dans sur l’agenda politique du leadership albanais ce contexte, les institutions islamiques du du Kosov o. Les communautés gorane Kosovo affichent une volonté autonomiste et un conflit ouvert éclate av ec le mufti de 4 S a photo avec le Pape Jean Paul II ornait symbolique Belgrade, proche du régime de Milošević. En ment le bureau où il recevait les visiteurs étrangers. octobre 1990, le clergé musulman du Kosovo Rugova entretenait des liens avec la Communauté Sant’Egidio qui avait tenté une médiation entre exige que la dénomination «Communauté Ibrahim Rugova et Slobodan Milošević. Pour de plus islamique de Serbie» soit transformée en amples informations sur les actions de médiation de «Communauté islamique du Kosovo, de Serbie ce e organisation non gouvernementale catholique et de Voïvodine». L’objectif politique de ce e dans le monde, voir h p://www.santedigio.org. requête est de déplacer les centres de décision 5 I brahim Rugova a entretenu des relations superfi cielles avec les milieux religieux islamiques du islamiques de Sarajevo et Belgrade v ers Kosovo. Toutefois, sous la domination du régime de Prishtinë Priština. Toutefois, ce e manœuvre Milošević, la madrassa de Prishtinë Priština aurait été le lieu de plusieurs rencontres de parlementaires ou de certaines instances du Gouv ernement du 7 «Mu inie» est le terme albanais désignant la circon Kosovo. scription administrative dans laquelle un mu fti 6 L ors du décès d’Ibrahim Rugova en janvier 2006, les exerce son autorité religieuse. médias locaux et occidentaux ont rapporté sa proba 8 D e 1990 à 1993, la Présidence suprême de l’Islamska ble conversion au catholicisme. zajednica de Yougoslavie porte le nom de «Rij aset». 14 s’inscrit aussi dans le cadre du ralliement minorité turque.12 La langue bosniaque est du clergé musulman du Kosov o au projet utilisée dans les régions de Dragash Dragaš politique albanais d’indépendance.9 De plus, et de Vitomiricë Vitomirica. Ces deux régions cette volonté politique explique l’insistance sont situées non loin de la ville de Prizren et exprimée par les cadres islamiques kosovars comptent d’importantes communautés gorane de voir le nom «Kosovo» figurer dans la et bosniaque/musulmane. 10 nouvelle appellation de ce e institution. Les Sous le régime de Milošević, la BIK survit institutions islamiques du Kosovo acquièrent grâce aux rev enus provenant de la zakat, de plus en plus d’autonomie et, aboutissement des aumônes collectées à la fin du mois de de leur séparation de l ’Islamska zajednica ramadan (sadaqat ul fi tr), de l’organisation du yougoslave, elles proclament leur indépen hajj (pèlerinage à la Mecque) et de donations 11 dance en novembre 1993. diverses. Depuis son indépendance en Les institutions islamiques du Kosov o 1993, la BIK a dév eloppé des relations avec affirment également leur autonomie en les institutions islamiques d’Albanie, de créant en décembre 1992 une Faculté des Macédoine, du Monténégro13 et de Turquie.14 études islamiques à Prishtinë Priština et en Elle a entretenu et continue d’ entretenir inaugurant une nouvelle classe de madrassa d’étroites relations avec les mosquées des à Prizren. Avant cette date, il n’ existait pas diasporas albanaises en Europe et aux Etats d’institution supérieure d’ enseignement Unis qui contribuent à la fi nancer. religieux au Kosovo. Par ailleurs, ce n’ est Rexhep Boja, mu i du Kosovo de 1990 à 2003, qu’avec la création de la madrassa Alauddin a joué un rôle central dans l’ engagement à Prishtinë Priština en 1962 que les premiers politique de la BIK.15 Dès son accession à cadres religieux ont pu être formés. Durant ce poste, il exprime des prises de position les années 1970 1980, les religieux albanais politiques très patriotiques. Il diffuse son faisaient des études supérieures à Sarajev o slogan «Sans patrie il n’y a pas de religion». mais aussi en Egypte, en Irak, au Soudan et Sur le plan identitaire cependant, il met en Libye avant de revenir au Kosovo pour l’accent sur la dimension nationale et non sur contribuer à la consolidation des institutions la dimension religieuse: «Indépendamment islamiques. de leur appartenance religieuse, les Albanais La Communauté islamique du Kosov o ont eu et ont aussi aujourd’hui une conscience (BIK) rassemble 24 conseils régionaux. Elle comprend en outre les régions 12 Durant l’été 2006, le parlement du Kosovo a refusé albanophones de la Serbie du sud (Preševo un projet de loi autorisant l’utilisation de la langue turque en tant que deuxième langue officielle à Preshevë, Bujanovac Bujanoc et Medvedja Prizren. Medvegjë) ainsi que la diaspora kosov are 13 Il y aurait actuellement une réflexion pour la en Europe occidentale. Elle coordonne création d’une Union des Communautés islamiques plus de 550 mosquées et plus de 500 cadres albanaises réunissant les institutions islamiques religieux imams. La langue utilisée dans les de l’Albanie, du Kosovo, de la Macédoine et du Monténégro. mosquées et dans les institutions islamiques 14 La formation des imams et des religieux en Turquie est l’albanais. Les communautés non date des années 1990. L’influence de la Direction albanophones utilisent la langue turque dans des affaires religie uses (Dyanet) de Turquie est les mosquées de Prizren et de Mamushë, importante dans la région de Prizren où elle a un deux régions qui comptent une importante représentant officiel. Quant à la mouvance néo soufi e des Fethullahcis, elle a ouvert trois collèges privés au Kosovo (Prizren et Prishtinë Priština). Au 9 E n janvier 1991, le Rijaset adopte une Résolution sujet de cette mouvance et de son influence dans pour le Kosov o qui condamne fermement la le monde, voir la contribution de Anne Solberg, politique discriminatoire menée par le pouv oir «The Gülen Schools: A P erfect Compromise or serbe contre les Albanais du Kosov o (Koha, 30 Compromising Perfectly?», papier présenté à la janvier 1991). L’article est reproduit dans Rexhep conférence Religion in Schools: Problems of Pluralism in Boja (2003), pp. 44 51 the Public Sphere (Kotor, 22 24 avril 2005), accessible 10 Kosovarja, novembre 1990, article reproduit dans sur http://kotor network.info/papers/2005/Gulen. Rexhep Boja (2003), pp. 31 37. Solberg.pdf. 11 L’Islamska zajednica de Yougoslavie éclatera en 15 Originaire de Pejë Peć, Rexhep Boja a fait ses études cinq Communautés islamiques distinctes: Bos nie à l’Université de Médine. En juin 1996, il est nommé et Herzégovine (incluant le Sandžak), Kosov o, doyen da la Faculté des études islamiques de Macédoine, Serbie et Monténégro. Prishtinë. 15 nationale très élev ée. Chez les Albanais, qui entreprend des actions de guérilla contre l’identité nationale a été prioritaire, l’identité les forces de sécurité serbes et contre des religieuse n’est que secondaire». 16 Le mufti Albanais de souche soupçonnés de collaborer s’affi che aussi aux côtés du clergé catholique avec les autorités serbes. du Kosovo. Le leadership de l’UÇK est issu de la diaspora En résumé, la BIK s’est dès le départ alignée albanaise. A l’origine, ses principaux acteurs sur l’agenda politique de l’élite politique sont des activistes du Mouvement populaire kosovare. Bien que le leadership politique du Kosovo (Lëvizja popullore e Kosovës –LPK), kosovar n’ait pas de programme politique à une organisation nationaliste d’inspiration connotation religieuse, la BIK s’est engagée marxiste léniniste active dans la diaspora et activement en faveur de la cause nationale au Kosovo de manière clandestine. Ici au ssi, albanaise au Kosovo. il s’agit d’acteurs politiques athées. Aucun élément n’indique un contenu religieux 1.2. Evolutions politiques et religieuses ou même une affin ité religieuse dans la au Kosovo depuis 1998 plateforme et le programme politiques de l’UÇK.18 Les combattants de l’UÇK sont 1.2.1. Eclatement de la guerre et interven des Kosovars locaux, mais aussi de très tion de la Communauté internationale nombreux volontaires de la diaspora kosovare Depuis les accords de Dayton en 1995, la posi et plus largement alba naise. Certains de tion d’Ibrahim Rugov a s’est sérieusement ces combattants ont lutté au x côtés des affaiblie auprès de l’ opinion publique forces croates et musulmanes/bosniaques kosovare. Si ces accords ont permis de me re dans les guerres en Croatie et en Bosnie et un terme à la guerre en Bosnie et Herzégovine, Herzégovine. Durant la guerre au Kosovo, des ils ont eu pour conséquence de laisser de côté imams sont aussi enrôlés au sein de l’UÇK et la question du Kosovo. Grâce à ces accords, les milieux religieux islamiques du Kosov o Slobodan Milošević s’impose en homme de sont actifs dans l’ acheminement de l’aide paix, alors même qu’au Kosovo la situation humanitaire à destination de la population est explosive et qu’il y règne une politiqu e civile.19 On sait que des moudjahidd ins d’apartheid. Cette nouvelle situation fait ont cherché à rejoin dre l’UÇK dans la surgir de plus en plus de v oix discordantes zone opérative de l’ouest du Kosovo pour qui remettent en cause la stratégie non comba re à ses côtés, mais l’UÇK a refusé de violente poursuivie jusque là par le leader les intégrer.20 du Kosovo. De fortes divergences politiques La réponse du gouv ernement serbe face à éclatent même entre Rugova et son Premier l’augmentation de la guérilla albanaise est ministre Bujar Bukoshi: ce dernier est de plus musclée, entraînant rapidement le Kosov o en plus en faveur d’un soulèvement armé au dans un état de guerre. Mentionnons les 17 Kosovo. affrontements armés à grande échelle, les Le statu quo ne va pas durer longtemps. centaines de milliers d’Albanais déplacés à Les eff orts de médiation de la Communauté l’intérieur du Kosovo, les assassinats de civils, Sant’Egidio n’ont aucun effet. L’éventualité la destruction d’habitations dans les villages. d’un conflit se confirme peu à peu. En Face à cette dégradation de la situation au novembre 1997, les indices d’une résistance Kosovo, la Communauté interna tionale se armée se multiplient. La résistance n’ est mobilise très rapidement pour trouv er une toutefois pas le fait de Rugova ou de Bukoshi, issue à ce confl it. Une conférence est organisée mais de nouv eaux acteurs politiques qui à Rambouillet (France) où sont réunis les émergent au Kosovo: l’année suivante voit principaux acteurs albanais (représentants en effet naître l’Armée de Libération du Kosovo (Ushtria çlirimtare e Kosovës –UÇK) 18 Pour le point de vue de cette organisation, v oir Patrick Denaud et Valérie Pras (1999); James Pe ifer 16 Rexhep Boja (2003), p. 47. (2005). 17 En tant qu’argentier du Kosov o, Bujar Bukoshi a 19 Plus de 30 imams et étudiants de la madrassa et de aussi exercé de fortes pressions sur Ibrahim Rugova. la Faculté des études islamiques ont été victimes de Il s’est également engagé pour la création, depuis la guerre du Kosovo. l’Albanie, des Forces armées de la République du 20 Information tirée de plusieurs témoignages d ’ac Kosovo (FARK). teurs politiques du Kosovo et de Macédoine. 16 de l’UÇK et des forces politiques albanaises En mars 2004, de violents trouble s éclatent du Kosovo) ainsi que la délégation serbe. au Kosovo. La communauté serbe et les Ces efforts se soldent par un échec. Les églises orthodoxes sont prises pour cibles par puissances occidentales lancent des actions des extrémistes albanais. 23 Ces événements militaires dont l’objectif est de faire plier révèlent une tendance profonde au Kosov o le gouvernement Milošević. Ces actions se où l’extrémisme est peu conditionné par matérialisent par des bombardements aériens la question de la relig ion. En effet, cet sur des infrastructures militaires et civiles acharnement contre des édifices religieux serbes en Serbie et au Kosov o. Durant ces orthodoxes ne s’inscrit pas dans une logique bombardements, la guerre fait rage au sol à de haine religieuse mais plutôt dans une l’intérieur du Kosovo avec des conséquences logique nationaliste ethnique, dans la mesure dramatiques en terme de vies humaines.21 où les églises orthodoxes sont associées aux Après plusieurs semaines de bombardement, Serbes. Ce qui explique par ailleurs que les le gouvernement serbe cède, entraînant un édifi ces catholiques ou protestants (associés retrait intégral de l’armée et de la police serbes aux Albanais de souche) n’ont pas été visés ou du territoire du Kosovo. P arallèlement à ce endommagés par les manifestants albanais. retrait, le Kosovo est investi par une imposante Les développements historiques précédents force militaire internationale sous la direction ont mis en évidence combien l’islam a de l’OTAN (KFOR) et par une mission civile exercé une fonction minimale au Kosov o. sous l’égide des Nations Unies (UNIMK), dans On retrouve ce e même situation au niveau le cadre du mandat confi é par la Résolution politique. Actuellement, en dehors d’un petit 1244 du Conseil de sécurité. Simultanément, parti politique, le Parti de la Justice ( Partia des dizaines de milliers de Serbes et de Roms e drejtësisë), aucune formation politique qui ent le Kosovo, par crainte de représailles albanaise d’orientation religieuse ne peut albanaises. Les populations serbes se dirigent être identifiée au Kosov o, aussi bien au vers le nord (Serbie) et une partie se regroupe niveau du programme politique qu’au niveau dans des enclaves à l’intérieur et au nord du des actions concrètes. L’islam, et la BIK en Kosovo (Mitrovicë Mitrovica). Une majorité particulier, continuent d’occuper une position des populations roms se réfugie en Macédoine très marginalisée auprès de l’élite politique et et en Serbie. intellectuelle du Kosovo.24 En octobre 2000, des élections locales sont Si l’élite kosovare demeure peu réceptiv e, organisées au Kosovo sous l’égide de l’OSCE. voire même intolérante face à la question de Ces élections sont suivies par la constitution l’islam, il faut s’interroger sur l’évolution de la du Parlement du Kosov o qui élit Ibrahim vie religieuse musulmane et sur les rapports Rugova à la fonction de Président du Kosovo que la population entretient avec l’islam et par la mise en place d’un gouv ernement depuis la mise sous tutelle internationale du dirigé par Bajram Rexhepi (PDK).22 Kosovo en 1999.
21 A ce sujet, voir Organization for Security and Co 1.2.2. Evolution de la vie religieuse operation in Europe (1999). musulmane au Kosovo depuis 1999 22 La LDK obtient une majorité de 58% des votes, suivie par le Parti Démocratique du Kosovo (Partia Depuis la fin de la guerre, on observ e des demokratike e Kosovës –PDK, une formation politique changements sur le plan religieux au Kosovo. issue de l’UÇK) qui recueille 27,3% et par l’Alliance La mouvance néo salafiste est présente pour l’Avenir du Kosovo (Aleanca për Ardhmërinë e Kosovës –AAK, une formation également issue de l’UÇK) avec 7,7%. En novembre 2001, des élections le PDK avec 28,9%, l’AAK avec 8,4% et la nouvelle législatives sont organisées et la LDK obtient formation politique ORA avec 6,2% (formation 45,6% des votes, le PDK 25,7% et l’AAK 7,8%. La citoyenne créée par le patron du groupe médiatique formation politique serbe « Coalition pour le retour «Koha» Veton Surroi). Plus de 10% des sièges du » obtient 11 % des votes. Lors des élections locales Parlement ont été réservés pour la communauté de 2002, la LDK a obtenu 44,6% des v otes, le PDK serbe du Kosov o qui a également b oycotté ces 29,6%, l’AAK 8,8% et les communautés minoritaires élections. ont obtenu 2% (ces élections ont été boyco ées par 23 Pour un aperçu détaillé des causes et de la chronolo la communauté serbe du Kosov o). Enfi n, lors des gie de ces troubles, voir International Crisis Group dernières élections législatives d’octobre 2004, la (2004). LDK a obtenu 45,4% des v otes et a été suivie par 24 A ce sujet, voir Bashkim Iseni (2005a). 17 activement dans diff érentes villes et villages des besoins d’assistance est considérable, du Kosovo. Parallèlement, on constate un permettant ainsi aux ONGs islamiques de renouveau religieux auprès de la population s’établir au Kosovo par le biais, entre autres, qui se traduit par l’ émergence d’un débat de l’action humanitaire. Rappelo ns que la portant sur une reconfi guration du lien entre guerre au Kosov o a causé d’import antes identité nationale et identité religieuse. pertes humaines, des violations grav es a) L’émergence des courants néo salafi stes des droits de l’homme et de nombreu ses destructions matérielles.25 Avec la fi n de la guerre, de nouveaux acteurs religieux islamiques ont émergé au Kosovo. Il Les activités de ces ONGs islamiques au s’agit de l’apparition dans certaines mosquées Kosovo sont multiples: «reconstruction» et centres islamiques de prédicateurs et de d’un certain nombre des 218 mosquée s fidèles issus de la mouvance néo salafiste. détruites ou endommagées pendant la 26 Les partisans de ce courant refusent l’épithète guerre, reconstruction des maisons de «wahhabites» que les médias locaux leur et des infrastructures dans les villages, attribuent. Leur apparence est inhabituelle aide humanitaire, cours de langues et pour la région et se caractérise par le port de d’informatique. Par ailleurs, les ONGs barbes imposantes ou de larges pantalons islamiques financent la traduction, la trois quarts. Ils se distinguent aussi par la publication et la distribution d’ ouvrages pratique des prières effectuées selon des d’auteurs proches de la mouvance néo rituels différents de ceux pratiqués par les salafiste et se livrent à un prosélytisme en fidèles traditionnels. En outre, ils adoptent distribuant des aides fi nancières. des a itudes de repli individuel, fonctionnent En 2003, Rexhep Boja critique les activités en cercles fermés et sont très solidaires entre des ONGs islamiques au Kosovo: «There are eux. people who come here and want to tell us how Un trait caractéristique frappant est le fait we ought to do things. We have been Muslims que ces acteurs tiennent un discours qui for more than 600 years and we do not need prône une pratique de l’islam intolérant. Ce to be told what Islam is. W e have our own discours est quelque peu inhabituel pour la history and tradition here, our own Islamic région car il revendique une pratique stricte culture and architecture. We would like to d’un islam purifi é de sa tradition locale. Ces rebuild our community and to rebuild o ur 27 acteurs religieux entrent dans la catégorie mosques, but we want to do it in our way». des courants néo salafistes de type piétiste Ce e prise de position exprime clairement le que nous avons décrits dans l’introduction. refus de voir se propager un islam autre que Ils diffusent des visions rétrogrades de la celui du madhhab (école juridique) hanéfite. société et encouragent une lecture li érale du En eff et, l’appartenance au madhhab hanéfi te 28 Coran. Les régions et les villes du Kosovo qui est inscrite dans la Constit ution de la BIK. sont les plus touchées par ce phénomène sont Mitrovicë Mitrovica et Prizren, mais aussi 25 Au sujet des conséquences humaines et matérielles Vushtri Vučitrn, Prishtinë Priština, Gjilan de la guerre au Kosovo, v oir Organization for Gnjilane et Kaçanik Kačanik. Security and Co operation in Europe (1999). 26 Au nom d’une politique de «restauration», des Pour la plupart des observ ateurs et des mosquées traditionnelles ottomanes (ornée s de acteurs politiques du Kosovo, l’émergence de fresques) ont été détruites par certaines ONGs ce e mouvance s’explique par l’implantation islamiques. L’objectif manifeste visait à eff acer l’héri tage islamique ottoman au Kosov o. A Gjakovë au Kosovo d’organisations caritatives venant Djakovica, ces entreprises ont provoqué de vives des pays du Golfe. La plupart des ONGs oppositions dans la population. A c e sujet, voir islamiques ont pu s’installer dans les régions International Crisis Group (2001b). du Kosovo après la guerre. Dans ce e période 27 Stephen Schwartz (2002). d’après guerre, des projets de reconstruction 28 L’article 2 de la Constitution de la Communauté isla sont entrepris par des agences onusiennes, mique du Kosovo affi rme en eff et que «la Commun auté islamique du Kosov o agit sur la base des des gouv ernements occidentaux et des enseignements du Coran, de la Sunna, des règles organisations non gouvernementales pour qui en dérivées par l’école juridique hanéfi te, de la répondre aux situations d’urgence causées présente Constitution, et conformément à la loi». par la guerre au Kosov o. Mais l’ampleur Voir Kushtetuta e Bashkësisë islame [Constitution de la Communauté islamique], Prishtinë: Bashkësia 18 La prise de position forte du mu i du Kosovo Une fois devenus imams et théologiens, ces refl ète aussi les craintes que la vie religieuse étudiants promeuvent une lecture puritaine échappe au contrôle de la BIK. On comprend de l’islam et consolident le réseau de dès lors pourquoi la BIK a décidé d’interdire formation destiné aux nouv eaux étudiants à ces organisations de dispenser de cours de kosovars qui iront étudier à l’Univ ersité de religion.29 Médine. Par la suite, de nouveaux étudiants Notons toutefois que les inquiétudes expri ont été recrutés par des acteurs néo salafi stes 33 mées par Rexhep Boja seront par la suite nuan locaux. Diff é rents chiff res circulent quant au cées par le nouveau mu i du Kosovo, Naim nombre de ces étudiants formés en dehors des 34 Tërnava.30 Celui ci relativise le poids de ce e canaux institutionnels de la BIK. nouvelle mouvance au Kosovo et affirme Les ONGs islamiques sont ainsi des plate qu’aucun religieux issu de cette tendance formes par le biais desquelles l’influence de l’islam n’est impliqué au sein de la BIK. 31 religieuse saoudienne a pénétré au Le mufti souligne le rôle que la BIK et les Kosovo. L’analyste Isa Blumi critique la autres Communautés islamiques de la région Communauté internationale pour av oir ont rempli dans la préserv ation d’un islam toléré une implantation incontrôlée de ces «autochtone» contre tout «endoctrinement» ONGs islamiques au Kosov o. Selon lui, la qui proviendrait de l’Orient, mais aussi de Communauté internationale est la principale l’Occident. Pour lui, la même interrogation responsable de cette situation. Blumi pense critique doit aussi être soulev ée dans le cas que cette situation a même arrangé l a des ONGs occidentales à base religieuse Communauté internationale dans la mesure présentes au Kosovo. Celles ci poursuivraient où les ONGs islamiques ont répondu aux selon lui l’objectif de convertir des musulmans besoins matériels des populations villageoises du Kosovo au christianisme. 32 Toutefois, que l’UNMIK n’a pas fournis.35 certains cadres religieux du Kosovo pensent Pour la majorité de la population pratiquante qu’une partie de la vie religieuse musulmane du Kosovo, ces nouvelles manifestations de échappe au contrôle de la BIK. Certains imams l’islam dérangent et une forte aversion à leur promeuvent un discours fondamentaliste égard est perceptible.36 Les néo salafi stes sont et prononcent des prêches qui div ergent perçus comme un corps étranger qui porterait substantiellement de la position offi cielle de a einte aux traditions et aux coutumes de la la BIK. Selon un observateur des questions religieuses au Kosovo, l’apparition et la montée en force 33 Selon un professeur de la Faculté d’ études isla rapide de la mouvance néo salafiste sont miques de Prishtinë Priština, les étudiants ayant liées au retour d’étudiants kosovars scolarisés étudié à la madrassa de Prishtinë Priština ne sont dans les universités saoudiennes. Selon lui, pas admis à l’Université de Médine. De fait, sont ces étudiants ont été fi nancés par des ONGs admis uniquement des étudiants ay ant fait leurs études secondaires à l’école publique. Selon lui, il islamiques saoudiennes présentes au Kosovo. s’agit d’une stratégie de recrutement qui vise un lavage de cerveau et un endoctrinement de jeunes sans formation théologique préalable. islame e Kosovës (2002), p. 6. 34 Le nombre des ces étudiants se situerait entre 30 29 Malgré ces interdictions, ces ONGs islamiques con à 40. La BIK ne contrôle pas l’octroi des bourses tinent à dispenser des cours de religion dans le pour l’Arabie saoudite. Elle octroie par contre des cadre des écoles coraniques qu’elles ont créées au bourses d’études pour des séjours de formations Kosovo. en Turquie, en Egypte, en Liby e, en Malaisie et 30 Naim Tërnava a remplacé Rexhep Boja en 2003. Il au Yémen (les bourses sont fi nancées par les pays est aussi vice président du Conseil islamique euro d’accueil). asiatique soutenu par le Diyanet turc. Rexhep Boja 35 Isa Blumi (2003). P oint de vue corroboré par un ne s’est pas représenté pour le poste de mufti car infl uent politicien du Kosovo. la Constitution de BIK prév oit seulement deux 36 Voir par exemple la position d’un imam albanais mandats pour exercer ce e fonction. Rexhep Boja a à ce sujet : Zekerija Idrizi, «Kujdes: “V ehabitët” exceptionnellement assumé trois mandats de 1990 à parakalojnë nëpër trojet arbërore» [Attention: l es 2003 en raison de la situation de guerre au Kosovo. ‘Wahhabites traversent nos terres albanaise s], 31 Entretien réalisé à Prishtinë Priština en nov embre article consulté sur le site internet http://www. 2006. lajmet.com le 14 novembre 2005 et accessible s ur 32 Fakti, 17 juillet 2006. Au sujet du prosélytisme au http://www.forumishqiptar.com/showthread. Kosovo, voir Suzana Bytyqi (2006). php?t=63098&page=4. 19 société kosovare.37 Ces acteurs sont toutefois parler de réislamisation n’a pas de sens car minoritaires dans la société kosov are qui «le Kosovo a été musulman et il est tout à demeure très laïque. Cependant, on note une fait naturel que les gens s’orientent vers leur propension des jeunes pratiquants à se ranger religion respective après cinquante ans de aux côtés des ces nouveaux prédicateurs. communisme». L’analyste kosovar Blerim Ceci marque aussi l’apparition d’un certain Latifi constate un «réveil» conséquent de fossé entre les générations au sein de la l’islam auprès de la population du Kosov o. communauté des croyants du Kosovo. Il explique ce phé nomène par l’absence de Au Kosovo, cette mouv ance est comparée perspectives pour les jeunes et par la crise aux sectes. «C’est comme un poisson dans socio économique profonde que la sociét é un aquarium» nous a déclaré un chercheur kosovare doit affronter. Pour lui, la religion kosovar. Selon ce dernier , cette mouvance représente pour ces jeunes un mécanisme ne peut étendre son influence au delà d’un psychosocial qui procure un réconfort et 38 certain seuil de la population. Le mode de contribue à alimenter les espoirs. Pour le vie des cent dernières années des Albanais politologue Shkëlzen Maliqi, le confl it avec la a été européen et il n’y a pas de ret our Serbie a renforcé le sentiment religieux chez en arrière possible. Les jeunes issus pour les Kosovars. Selon lui, l’héritage communiste la plupart des couches défavorisées sont est associé par la population à un héritage de plus réceptifs à ce type de discours, mais la domination serbe qu’il faut comba re, d’où en même temps ils continuent à mener un sentiment religieux pouvant s’ expliquer 39 un mode de vie à l’ occidentale. Pour ce par anti communisme et anti serbi sme. chercheur, «les fondamentalistes du Kosovo Toutefois, ce regain d’intérêt s’explique aussi ne peuvent pas produire d’élite. Ce sont des par une politique de réin vestissement de la intellectuels médiocres qui se font les avocats sphère publique par les cadres religieux du de la dimension islamique de la société du Kosovo et par les ONGs islamiques étrangères Kosovo. L’élite suit d’autres voies». En eff et, très actives sur le plan local. Mais soulignons les intellectuels kosovars qui défendent la encore une fois que l’ on ne peut pas parler dimension islamique de la société kosov are d’une réislamisation du Kosovo, dans la sont peu nombreux. mesure où cette société demeure fortement laïque. Il faut aussi relever le fait que les sentiments pro occidental et pro américain demeurent Des polémiques ont éclaté au Kosov o et très puissants au Kosovo. Lors des attaques dans l’aire albanaise sur le rôle de la religion terroristes du 11 septembre 2001 à New York, musulmane dans l’histoire albanaise. les Kosovars se sont montrés très solidaires Ces débats, relatés dans des articles par avec les Etats Unis. Certains Kosov ars ont l’hebdomadaire Jáva et le périodique Gazeta même manifesté à Prishtinë Priština en faveur Besa, ont relayé les voix qui revendiquent de la dernière interv ention américaine en une réhabilitation du rôle de l’islam da ns 40 Irak. l’histoire nationale albanaise. Les auteurs de ces articles demandent la prise en compte du b) Le renouveau religieux et le débat sur l’identité rôle des fi gures musulmanes dans les manuels nationale de l’histoire. Ils dénoncent aussi l’ embargo Si la mouvance néo salafiste est minoritaire contre l’islam qui serait mis en place selon eux au Kosovo, on perçoit cependant un nouveau par l’élite kosovare dans la sphère publique regain d’intérêt pour la religion. Ce retour au Kosovo. Ces mêmes auteurs dénoncent du religieux se traduit par la fréquentation des mosquées par les jeunes, par le retour 38 Intervention lors de l’émission de la Radio Télévision de la pratique du jeûne durant le ramadan, du Kosovo «Jeta në Kosovë» («La vie au Kosovo»), 8 par le foisonnement de périodiques et par décembre 2006. la diffusion d’émissions sur l’islam dans 39 Entretien réalisé à Prishtinë Priština en nov embre 2006. les chaînes de radio locales, ou encore par 40 Voir notamment les débats en ligne de la revue Jáva, l’organisation de tribunes diverses traitant et les éditions imprimées du 9 juin, 16 juin, 21 juin, de sujets religieux. Pour le mu i du Kosovo, 23 juin et 21 juillet 2005, accessibles sur h p://www. gazetajava.com, et le premier numéro de Gazeta 37 Ils sont appelés «mjekrrat» («les barbus») ou Besa du 5 octobre 2005, accessible sur h p://www. «trefërtalshat» («les trois quarts»). gazetabesa.com. 20 aussi les intolérances relevées à l’ égard des rôle de l’islam dans la culture albanaise a été femmes voilées dans la fonction publique ou au centre d’une forte dispute intellectuelle qui à l’Université de Prishtinë Priština. a éclaté en 2006 entre l’écrivain albanais Ismaïl 44 Dans le sillage de ces controv erses, des Kadaré et l’écrivain kosovar Rexhep Qosja. réactions se sont aussi manifestées à l’encontre Ce renouveau religieux et ces débats récents d’initiatives pour la construction d’ églises autour de la place de l’islam dans la société catholiques et protestantes dans certains kosovare albanaise s’inscrivent dans villages du Kosovo.41 Selon ces acteurs, parmi l’ensemble des changements sociopolitiques lesquels on compte des représentants de la intervenus au Kosovo depuis 1999. Toutefois, BIK, on ne peut pas construire des églises ces expressions ne modifient pas les dans des villages où il n’y a pas un seul hiérarchies identitaires prédominantes dans chrétien. Pour eux, il s’agirait d’entreprises la société kos ovare. En d’autres termes, le ouvertement prosélytes. Le même type de sentiment national est extrêmement puissant polémique a vu le jour autour de l’initiative au Kosovo et le sentiment religieux ne peu t de la construction d’une cathédrale catholique s’y substituer. Au sein de la population, le à Prishtinë Priština. La construction d’un sentiment d’appartenance à l’Europe reste très tel édifice catholique dans la capitale a été fort. fortement critiquée par les milieux religieux Les frustrations des jeunes Kosovars face à la islamiques. Selon eux, il est inacceptable diffi cile situation politique et économique du qu’une cathédrale catholique voie le jour Kosovo continuent à s’exprimer politiquement uniquement pour une poignée de catholiques par des activités de nature nationaliste et non habitant Prishtinë Priština alors que les pas religieuse.45 Cependant, les changements autorités municipales négligent un projet de actuellement observables sur le plan religieux 42 création d’un centre islamique. Le mufti au sein de la population pourraient infl uencer Naim Tërnava déclare à ce propos: «Je dis qu’il l’élite intellectuelle et politique et l’amener à y a de la place pour tous à Prishtinë. Il y a de modifi er son discours sur l’identité nationale la place pour Mère Teresa, pour Skanderbeg, au Kosovo en réhabilitant la religion pour la cathédrale, comme il devrait y av oir musulmane dans l’histoire du Kosov o. La de la place pour le centre islamique qui sera dimension culturelle musulmane est en eff et construit en face de la cathédrale et de l’église omise dans l’histoire offi cielle du Kosovo car orthodoxe serbe. Il serait bien que, da ns l’idéologie nationale albanaise au Kosov o a la mesure du possible, ces édifices restent 43 éloignés de l’université». Ce e question du l’ordre bektachi mondial Haxhi Dede Reshat Bardhi et 32 des intellectuels les plus infl uents du Kosovo, 41 Le mufti du Kosovo s’est par exemple viv ement d’Albanie et de Macédoine ont écrit une lettre opposé au projet de construction d’une église ouverte en faveur de la construc tion de la cathé catholique dans le village de Kuqishte (région drale Mère Teresa à Prishtinë Priština. Selon eux, de Rugovë). P our Mullah Nexhmedin Hoxha, ce e cathédrale serait un signe de maturité étatique président de la Communauté islamique de Pejë Peć, pour le Kosovo. il s’agissait d’une «église politique» car elle allait 44 Ismaïl Kadaré est considéré comme le plus grand être construite dans un lieu où il n’y a pas un seul écrivain albanais contemporain. Il est traduit dans catholique (Lajm, 21 juillet 2005). plus de quarante langues dans le monde. Rexhep 42 La salle de prière ouv erte à la bibliothèque de Qosja est également un des plus grands critiques l’Université de Prishtinë Priština après la guerre li éraires au Kosovo et dans l’aire culturelle alba a été fermée par le directeur de cette institution. naise. Il est connu pour ses prises de position Ceci a suscité des protestations parmi les fidèles natio nalistes sur la question nationale albanaise. musulmans qui ont continué à aller prier à Au sujet de la polémique Kad aré Qosja, voir l’extérieur de la bibliothèque. En octobre 2006, a eu Ismaïl Kadaré, «Identiteti evropian i shqiptarëve», lieu une incursion musclée de la police du Kosov o [L’identité européenne des Albanais] Shekulli, 27 dans la grande mosquée de Gjilan Gnilane. Elle mars 2006; Rexhep Qosja, «V ështrim kritik mbi visait les fi dèles qui ont bravé l’interdiction décrétée pikëpamjet e shkrimtarit të shprehura në librin e tij : par le maire de la commune de fréquenter cette ‘Identiteti evropjan i shqiparëve’» [Regard critique mosquée construite sans autorisation communale. sur les points de vues de l’ écrivain Ismaïl Kadaré Le Conseil de la Communauté islamique de exprimées dans son livre ‘L’identité européenne des Gjilan Gnilane a réagi fermement contre cette Albanais’], Shqip Ndryshe, 13 mai 2006. intervention (communiqué de presse du Conseil de 45 Voir par exemple les diverses activités nationalistes la Communauté islamique de Gjilan, n° 185/06, 19 de l’organisation Vetvendosje («Auto détérmina octobre 2006). tion»), et son site internet h p://www.vetvendosje. 43 Jáva, 30 octobre 2003. En 2006, le président de org. 21 été essentiellement calquée sur un discours Le Parti de la justice év oqué plus haut, qui anti serbe et anti o oman. compte un député au Parlement du Kosov o, est une exception sur la scène politique du 1.3. Conclusion Kosovo. Son unique député, Ferid Agani, se refuse à identifier sa formation politique En résumé, on peut affirmer que la classe en termes religieux. 48 Ce parti politique est politique au Kosovo demeure à l’écart de la actuelle ment insignifi ant au Kosovo. Toutefois, religion et des milieux religieux islamiques. compte tenu de son profi l idéologique particu Jusqu’ici, que ce soit par conviction ou par lier qui vise à faire la synthèse des identités opportunisme, on ne relève aucune instru nationale et religieuse, ainsi que sa volonté mentalisation ou utilisation de l’islam ou des politique favorable à la modernité et au institutions islamiques par les formations monde occidental, son influence pourrait politiques du Kosovo. Aucun acteur politique grandir au Kosovo dans les années à venir. du Kosovo n’a participé aux polémiques évo quées plus haut. Notons que l’apparte nance En octobre 2006, a été fondé le Forum musul 49 majo ritaire ment musulmane de la population man du Kosovo (Forumi musliman i Kosovës). du Kosovo est v écue comme un handicap Les fondateurs de ce Forum sont des acteurs 50 par l’élite politique et intellectuelle kosovare proches du journal Gazeta Besa. Ils tentent car elle pourrait peser politiquement dans le de promouvoir un nouveau débat portant sur processus de résolution du statut du Kosovo. l’articulation entre identité nationale et iden Cette réalité sociologique musulmane du tité religieuse au Kosovo et de sensibiliser Kosovo est désormais systématiquement l’opinion du Kosovo à la scène pol itique au utilisée par la classe politique serbe qui pré Moyen Orient. Leur profi l est islamiste, mais sente le Kosovo comme une future menace leur poids politique est réellement marginal. «djihadiste» pour l’Europe. 46 Ceci explique Ils sont peu reconnus sur la scène politique aussi sans doute le peu d’ empressement de et médiatique du Kosovo. Selon un haut la classe politique du Kosovo à reconnaître cadre de la BIK, ils n’ ont pas d’avenir au un rôle à la religion dans la société. Le refus Kosovo. La BIK est clairement opposée à ce des autorités du Kosovo d’autoriser l’enseigne type d’associations à base religieuse qui intro ment religieux dans les écoles publi ques doit duirait des divisions religieuses au sein de la aussi être compris en ce sens. Enfi n, l’appré société du Kosovo. hension de voir le combat politique pour le En ce qui concerne la BIK, cette institution statut du Kosovo stigmatisé en termes islami semble unie et stable si on la compare ques pourrait aussi expliquer l’ absence de avec les fortes dissensions présentes dans relations du leadership kosovar avec le monde d’autres institutions islamiques de la région arabo musulman.47 (Macédoine, Sandžak). Cette stabilité lui procure une imperméabilité face aux influ 46 A ce sujet, v oir notamment les positions d’un e ences politiques et à d’éventuelles tentatives délégation de députés serbes au P arlement d’instru mentalisation à des fins politiques. européen en novembre 2005. 47 Lors d’une tribune organisée en juillet 2 004 à diplomatique du leadership kosov ar auprès Skopje Shkup par le Centre de recherche et de des pays arabo musulmans pour obtenir leur documentation stratégiques «Forum» sur le thème reconnaissance. «La religion est elle un facteur pour l’ avenir du Kosovo?», Qemajl Morina, doyen de la Faculté des 48 Entretien réalisé à Prishtinë Priština en août 2005. études islamiques de Prishtinë Priština, a souligné Ferid Agani est un psychiatre reconnu au Kosovo et que seulement deux représentations étrangères de l’un des fondateurs du Parti de la justice. pays musulmans étaient enregistrées au Kosov o 49 Organisme que la BIK ne verrait pas d’un très bon (celles de la Turquie et de la Malaisie), qu’aucune œil car elle serait totalem ent et sans ambiguïté délégation officielle de ces pays n’ avait effectué opposée à la politisation de la religion au Kosov o. de visite au Kosov o et qu’aucune délégation du Une résolution allant dans ce sens serait en cour s Kosovo n’avait visité ces pays. Soulignons que ce e de préparation. situation pourrait changer en cas de v eto russe au 50 Il s’agit notamment de Nexhat Ibrahimi (président Conseil de sécurité de l’ONU contre une future de la Communauté islamique de Prizren), Halim résolution sur le statut du Kosov o. La recherche Ibrahimi, Zekirija Ibrahimi et Mexhid Yvejsi. Les de la reconnaissance de l’indépendance du colonnes de ce périodique sont régulièrement Kosovo se ferait alors par des voies diplomatiques alimentées par Abdi Baleta, un ancien apparatchik bilatérales auprès de chaque Etat dans le monde. d’Enver Hoxha et promoteur de visions nationa Ceci signifierait aussi un nécessaire lobbying listes à tendance islamiste. 22 L’activité politique du corps reli gieux est 2. Islam et politique en Macédoine prohibée par la Constitution de la BIK. Toute fois, celle ci continue d’affirmer avec force La Macédoine a proclamé son indépendance son engagement inconditionnel en faveur de en 1991. C’est une des dernières républiques l’indépendance du Kosovo.51 Enfin, le mufti à avoir quitté la fédérat ion yougoslave. Tërnava marque un substantiel changement Elle compte environ 2 millions d’habitants, de ton par rapport aux positions modérées de plusieurs groupes ethniques: Sla vo de son prédécesseur sur le rôle de l’islam au Macédoniens, Albanais, Turcs, Roms, Kosovo. Le mufti n’hésite pas à monter au Serbes, Musulmans/Bosniaques, Torbèches créneau lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts (slavophones) et autres minorités. Enviro n des musulmans du Kosovo. Par exemple, la 65 % de la population est orthodoxe (Macédo BIK a énergiquement réagi à plusieurs reprises niens, Serbes), et environ 30 % est musulmane contre l’expulsion d’enseignantes voilées des constitue (Albanais, Turcs, Roms, Bosniaques écoles publiques du Kosovo ou d’étudiantes et Torbèches). La communauté catholique voilées à l’Université de Prishtinë Priština. romaine représente 1% de la population. 52 La position de BIK se trouvera probablement Depuis son indépendance, ce pays est renforcée par l’avènement d’une plus forte confronté à d’importantes crises à la fois religiosité au sein de la population du internationales et intérieures. Sur le plan Kosovo. Jusqu’ici, ce e institution a été plu international, pour plusieurs pays v oisins, tôt marginalisée par la classe politique du notamment la Grèce, la Serbie et la Bulgarie, Kosovo, que se soit sur un plan fi nancier ou la question de l’identité nationale et étati que symbolique. Les changements actuellement macédonienne pose un problème de légitimité. observables sur le plan du «réveil religieux» Sur le plan intérieur , malgré une re lative pourraient attirer l’attention de la classe stabilité et un processus d’indépendance mené politique sur ce e institution. Si ce scénario de façon pacifique, ce pays a connu div ers se produit, la classe politique du Kosov o bouleversements politiques interethniques pourrait alors, par opportunisme électoral, successifs. Les dév eloppements politiques manifester un intérêt et nouer des liens av ec macédoniens ont eu des conséquences sur les cadres religieux islamiques du Kosov o, l’évolution de la vie religieuse musulmane que ce soit sur un plan national ou local. dans ce pays. Les imams les plus influents pourraient devenir des acteurs incontournables dans 2.1. Evolutions politiques et religieuses les développements politiques au Kosov o. en Macédoine entre 1990 2001 Les conséquences seraient immédiates pour la BIK car elle deviendrait à son tour une 2.1.1. Indépendance, crise de reconnaissance 53 institution politisée et risquerait de connaître et tensions intracommunautaires des divergences partisanes. Le processus qui a mené à l’in dépendance Enfi n, l’apparition d’une mouvance néo sala de la Macédoine a rencontré de nombreux fi s te inquiète sérieusement l’opinion publique obstacles. Le contexte politique régional au Kosovo. Le travail de cette mouvance se limite pour l’instant à un endoctrinement 52 Cinq communautés religieuses bénéficient du idéologique (radicalisation culturelle) des statut officiel de «communauté confessio nnelle» jeunes croyants. En se concentrant sur les en Macédoine: l’Eglise orthodoxe macédonienne , la Communauté islamique de Macédoine, l’Eglise jeunes, ses animateurs visent clairement catho lique, la Communauté juive de Macédoine et à s’implanter durablement au Kosov o. l’Eglise méthodiste. Les autres communautés religi Diff érents observateurs ainsi que des acteurs euses ont le simple statut de «groupe religieux», politiques et religieux du Kosovo n’excluent car la loi de 1997 ne reconnaît qu’une communauté pas de voir à terme de jeunes Kosovars issus offi cielle par religion. Voir «Zakon za verski zaednici i religiozni grupi» [Loi pour les communautés de ce e mouvance fondamentaliste s’engager confessionnelle et les groupes religieux], Sluzben dans des actes terroristes. Vesnik, n° 35, 23 juillet 1997, pp. 1426 1429. Un nouveau projet de loi est actuellement en discussion sur les communautés religieuses et l’enseignement 51 Voir notamment la déclaration du mufti Naim religieux dans les écoles publiques. Tërnava à l’occasion de la fête de la fi n du mois de 53 Ces thèmes sont dév eloppés dans Bashkim Iseni Ramadan de l’année 2006 (Zëri, 23 octobre 2006). (1996). 23 a sérieusement entrav é le processus de de Macédoine se procl ame comme un Etat reconnais sance internationale de ce pays national du peuple macédonien. Cette en tant qu’Etat indépen dant.54 Toutefois, définition diffère substantiellement du la proclamation de l’indépen dance doit préambule constitutionnel antérieur qui aussi être replacée dans le contexte des définissait la Macédoine comme un pays rapports conflictuels entre les autorités formé de la nation macédonienne et des macédoniennes, dominées par les Slav o nationalités albanaise, turque, rom, etc.57 Ces Macédoniens (orthodoxes), et la communauté diff érentes mesures nationalistes étatiques en albanaise (musulmane) du pays. 55 Depuis Macédoine s’inscrivent dans une volonté de les manifestations au Kosovo en 1981, les créer un Etat unitaire slavo macédonien dans Albanais de Macédoine sont soumis à des un espace multiethnique. Ce nation alisme discriminations politiques et socioculturelles. d’Etat a indéniablement contribué à alimenter Au nom de la lutte contre les «tendances le nationalisme albanais en Macédoine. nationalistes, irrédentistes et contre révolution L’opposition de ces deux nationalismes a naires albanaises», durant les années 1980, exacerbé une animosité interethnique qui un véritable embargo éducatif ainsi que perdure encore aujourd’hui. des licenciements et des emprisonnements C’est dans un climat tendu de méfiance politiques (caractérisés par des peines de interethnique qu’en novembre décembre 1990 prison plus sévères qu’au Kosovo) sont se tiennent les premières élections libres et organisés par le gouvernement de Macédoine démocratiques.58 Le référendum de septembre 56 contre cette communauté. Parallèlement à 1991 portant sur l’indép endance du pays la fermeture des écoles publiques de langue est massivement boycotté par la population albanaise, le gouv ernement encourage albanaise qui refuse le statut de minorité qui l’instruction religieuse de ce e population en lui est réservé. Peu de temps après, le s 11 et autorisant, en 1984, l’ouverture de la madrassa 12 janvier 1992, un réf érendum clandestin Isa Beu à Kondovo Kondovë (périphérie de la portant sur l’«autonomie territoriale et capitale Skopje Shkup). culturelle des Albanais en Macédoine» Ces politiques agressiv es sont suivies par (appelée «Ilirida») est organisé dans l’ aire l’adoption, en avril 1989, de changements ethnique albanaise en Macédoine. L’écrasante constitutionnels qui réduisent les populations majorité, soit 99% des v otants, se prononce ethniquement non macédoniennes à un en sa faveur. Ce projet nationaliste n’a pas de statut de minorités. Depuis, la République contenu religieux et n’est pas soutenu par les institutions islamiques de Macédoine. Une 54 La Macédoine a été reconnue par l’ONU en 1993 partie des représentants politiques albanais sous le nom d’Ancienne république yougoslave de est aussi contre ce projet et continue, p ar Macédoine (ARYM, en anglais Former Y ugoslav ailleurs, à participer au gouvernement. Republic of Yugoslavia –FYROM). 55 Selon le recensement de 2002, les Albanais repré L’amélioration de la représentativité sentent 25,17% de la population. Le recensement de albanaise sur le plan central (P arlement, 1994 donne le chiff re de 22,9%. Gouvernement) n’a pas de conséquences 56 Fermeture d’écoles secondaires en langue albanaise positives sur le dialogue interethnique. ainsi que de la seule institution d’ enseignement supérieur chargée de former les enseignants albanophone du pays (à Skopje Shkup). De ce point de vue, la chute du nombre des élèves albanais 57 Il est intéressant de noter que ces modifications dans les écoles secondaires pendant ce e période constitutionnelles sont effectuées un mois après est révélatrice: ils étaient 8’200 en 1981 contre 4’221 les violations constitutio nnelles imposées par seulement en 1989. A ces politiques discriminatoires Slobodan Milošević au Kosovo. Ces changements s’ajoutent des mesures insolites comme la constitutionnels sont la cause des tensions destruction de plus de 6’000 murs traditionnels interethniques qui se manifesteront dans le pays entourant les maisons albanaises, l’ élaboration dans les années suiv antes. Depuis lors, chaque d’une liste noire de prénoms en langue albanaise revendication politique, éducative ou culturelle de ne pouvant être a ribués aux nouveaux nés (sous la part des minorités est systématiquement refusée prétexte qu’ils avaient un sens «nationaliste»), et au nom de la Constitution de la Macédoine, rendant la création d’un climat général de xénophobie et ainsi le dialogue interethnique difficile, v oire d’intolérance par les médias slavo macédoniens à impossible. l’égard des membres de la communauté albanaise. 58 Tous les groupes ethniques non macédoniens A ce sujet, voir Hugh Poulton (1993); Bashkim Iseni on créé des format ions politiques sur une base (1995); Isa Blumi (1997); Bashkim Iseni (1998). ethnique. 24 L’absence de changements politiques, Ce e intervention se solde par un lourd bilan: culturels et économiques allant dans le sens trois Albanais de souche sont tués et plusieurs des revendications albanaises (accès à un centaines d’entre eux blessés, torturés et enseignement supérieur en langue albanaise, arrêtés. Les maires de Gostivar (Rufi Osmani) amélioration de la représentativité albanaise et de Tetovo Tetovë (Alajdin Demiri) sont dans l’administration, dans la police et dans emprisonnés et condamnés. 63 Les relations l’armée, etc.) provoque des polarisations inte rethniques se dégradent fortement suite au sein du bloc albanais. 59 Ainsi, lors du à ces événements. Dans les mois qui suivent congrès de la principale formation politique des attaques à l’ explosif survienne nt à albanaise, le Parti du progrès démocratique Gostivar, à Prilep et à Kumanovo Kumanovë. (Partia e pr osperitetit demokratik –PPD) en Ces événements sont les signes précurseurs février 1994, un schisme se produit et un du conflit qui embrasera le pays quelques second parti albanais apparaît: le Parti de années plus tard. En 1998, une coalition la prospérité démocratique des Albanais gouvernementale formée par les forces (Partia e prosperitetit demokratik e Shqiptarëve nationalistes de l’Organisation révolutionnaire –PPDSH), renommé quelques temps plus intérieure macédonienne Parti démocratique tard Parti démocratique albanais ( Partia pour l’union nationale macédonienne (Vostanie demokratike shqiptare –PDSH). Les membres na Makedonskata revolucionerna organizacija du PDSH défendent une politique plus Demokratska partij a na makedonskoto nacionalno nationaliste. En novembre décembre 1994, edinstvo –VMRO DPMNE) et le PDSH soit seulement quelques mois après cette arrive au pouvoir. Durant ce gouvernement, radicalisation politique, un projet d’université certains progrès sont réalisés en faveur des albanaise est inauguré à Tetovo Tetovë, ville revendications albanaises. Par exemple, majoritairement albanaise. L’opinion slavo une université privée en langue albanaise et macédonienne y est farouchement opposée financée par la Communauté internationale et l’Etat répond par une intervention musclée voit le jour à Tetovo Tetovë. Toutefois, malgré contre ce e future université.60 L’intervention ces changements, en 2000 2001, soit deux ans des forces de police se reproduit en février après la fi n de la guerre du Kosovo, un confl it 2005, à l’occasion de l’ouverture officielle armé éclate en Macédoine. de l’université, coûtant la vie à un Albanais. Au cours de la décennie 199 1 2001, on ne Quelques jours après ces incidents, le recteur trouve aucun contenu religieux dans les de cette univ ersité, Fadil Sulejmani, est programmes des formations politiques emprisonné et condamné à deux ans et demi albanaises. L’élite albanaise de Mac édoine 61 de prison. partage les mêmes références nationales et En juillet 1997, une violente interv ention de nationalistes albanaises que l’élite albanaise la police spéciale macédonienne a lieu dans du Kosovo: elle se rev endique, elle aussi, la ville de Gostiv ar, causée par l’insistance d’une tendance laïque et pro occidentale. Ceci des maires albanais de Gostivar et de Tetovo s’explique probablement par le fait qu’il s’agit Tetovë à maintenir hissé le drapeau national d’une élite formée à l’Université de Prishtinë albanais devant les bâtiments municipaux. 62 Priština. Cependant, des nuances doivent être introduites par rapport au Kosovo. En fait, 59 Divisons apparues déjà au sujet du projet certains représentants politiques albana is d’autonomie territoriale. issus du PPD ont entretenu, sur le plan local, 60 La police fait usage d’un bulldozer pour détruire des relations plutôt proches avec les milieux le bâtiment. Ce coup de force est précédé par des manifestations d’étudiants slavo macédoniens de l’Université de Skopje Shkup qui s’opposent à la ethniques minoritaires était garanti par l’ancienne création de l’Université de Tetovo Tetovë. Constitution de Macédoine. 61 Il est libéré par la suite sous la pression de la 63 Rufi Osmani est condamné à 13 ans et huit mois de Communauté internationale. prison et Alajdin Demiri à 3 ans. Ces peines sont 62 Une loi sur les symboles nationaux venait à peine revues à la baisse dans des jugements ultérieurs. d’être adoptée par le P arlement de Macédoine. Ces deux protagonistes politiques ont été libérés Elle donnait le droit de hisser le drapeau national après quelques mois de prison. La Communa uté des communautés non macédoniennes (c’ est à internationale a exercé des pre ssions pour leur dire ethniques) uniquement à l’occasion de leurs libération. Plusieurs manifestations albanaises en fêtes nationales respectives. Le droit à l’utilisation faveur de leur libération ont lieu dans diff érentes des symboles nationaux pour les communautés villes de Macédoine. 25 religieux islamiques de Macédoine. La du Parti de l’action démocratique ( Stranka stratégie du PPD consiste à s’assurer l’appui demokratske akcije –SDA). Cette formati on de la Communauté islamique en République fut à l’origine fortement sous l’influence de Macédoine (Bashkësia islame në Republikën idéologique du SDA de Bosnie et Herzégovine. e Maqedonisë –BIM) pour se maintenir au Par la suite, elle s’est surtout axée sur les pouvoir ou gagner les élections, du fait que orientations idéologiques personnelles de la population albanaise est plus pieuse et ses diff érents acteurs politiques, qu’ils soient pratiquante en Macédoine que dans le reste musulmans/bosniaques, turcs, albanais, des Balkans.64 On comprend dès lors aussi la gorans ou torbèches. Quant à la population raison de l’implication de fi gures politiques rom, elle est majoritairement musulman e, du PPD dans l’élection de Sulejman Rexhepi d’orientation sunnite ou soufie. Elle est au poste de Reis ul Ulema. En retour, celui ci politiquement structurée en deux formations: soutient loyalement le PPD. 65 Il se retrouve le Parti pour l’émancipation totale des Roms donc dans une position inconfortable lorsque (Partija za celosna emancipacija na Romite – le PDSH gagne les élections en 1998, du fait PCER) et le Parti démocratique progressiste de son engagement explicite en faveur de la des Roms (Demokratska progresivna partij a na formation politique rivale. Romite –DPPR). Enfi n, les populations goran Quant à la population turque, concentrée et torbèche n’ont pas créé de parti politiqu e. principalement à Gostivar et dans la capitale Elles «restent l’instrument des autori tés Skopje Shkup, elle constitue la deuxième macédoniennes qui sont à l’origine de la 67 population musulmane de Macédoine. D’une promotion de leur identité nationale». manière générale, les formations politiques turques sont politiquement engagées en 2.1.2. Evolution de la vie religieuse faveur de la promotion, la défense de la musulmane langue et de la culture turques et de la religion Avec la désintégration de l’Islamska zajednica musulmane en Macédoine. Différentes de Yougoslavie,68 la BIM se constitue en associations et organisations turques se organisation religieuse indépendante. Depuis donnent explicitement ces objectifs. Cette lors, elle est l’instance offi cielle qui représente communauté est politiquement mobilisée les intérêts des musulmans sunnites de autour du P arti démocratique turc ( Türk Macédoine. Les institutions qui représentent demokratik partisi –TDP). Lors des élections de les intérêts des musulmans non sunnites sont: 1994, un candidat de ce e formation est élu au la Communauté religieuse du Saint Siège et Parlement de Macédoine. En 1994, une édition de la Couronne du tarikat islamique (Sveta locale du journal turc «Zaman» est lancée en stolica i kruna na islamskata erenlerska tarikatska Macédoine, à laquelle s’ajoute par la suite une verska zaednica) et la Communauté religieuse édition en langue albanaise. En 1997, l’ école bektachie (Bashkësia fetare bektashije); elles privée turque Jahja Kemal, d’inspiration bénéfi cient du statut de «groupes religieux».69 religieuse islamique, v oit aussi le jour .66 Ce e école demeure réservée aux enfants de Durant l’ère communiste, les insti tutions l’élite musulmane du pays. On y retrouve islamiques officielles fonctionnaient comme principalement des élèves turcs, mais aussi un important levier de contrôle social et albanais, gorans, torbèches et musulmans/ politique des populations musulmanes de bosniaques. Macédoine. Les prêches des imams étaient étroite ment surveillés par le régime, compte La population bosniaque/musulmane de Macédoine est politiquement organisée autour 67 Nathalie Clayer (2001), p. 191. 68 Jakub Selimoski, le dernier Reis ul Ulema de 64 Significativement, des messages de v œux à l’Islamska zajednica de Yougoslavie, était originaire l’occasion de fêtes religieuses ont été adressés par de Macédoine. son ancien président Abdurrahman Aliti dans 69 Depuis quelques années, la teke de Tetovo Tetovë les mosquées du pays et auprès de la diaspora a été usurpée de force par un groupe de sunn ites albanaise en Suisse. qui considèrent le bektachisme comme une hérésie. 65 Vardar, février 1996, cité dans Nathalie Clayer (2001), Cet acte a privé les religieux bektachis de leur lieu p. 202. de culte. Le bektachisme est en train de rev enir 66 Le journal «Zaman» comme l’école Jahja Kemal sont timidement dans certaines régions de Macédoine liés à la mouvance des Fethullahcis. (notamment à Kićevo Kërçovë et à Skopje Shkup). 26 tenu de l’infl uence de l’imam dans la création individuellement à l’étranger. Ceci débouche de l’opinion des populations musulmanes de sur une «surproduction» de cadres religieux. Macédoine. Les institutions islamiques et les Cette situation crée un nombre important mosquées étaient aussi instrumentalisées par de futurs chômeurs diplômés de théologie le régime dans sa lu e idéologique contre le islamique, car la Macédoine est un trop petit «séparatisme» et le «nationalisme» albanais. pays pour absorber tous ces aspirants imams. Toutefois, compte tenu des discriminations Durant la période 1992 1996, la BIM connaît éducatives dont cette population faisait de fortes turbulences intérieures. Une crise l’objet, la mosquée était en parallèle inv estie est notamment prov oquée par la muftinie d’une fonction de refuge identitaire pour la de Tetovo Tetovë qui veut préserver son communauté albanaise. Ceci explique aussi autonomie par rapport à la BIM. Dans ce but, sans doute le penchant religieux plus fort certains responsables religieux de ce e localité caractérisant ce e population. tentent de créer leur propre organisatio n Avec la démocratisation du pays dans les religieuse. Mais le PPD empêche cette années 1990, la BIM se démocratise elle aussi. initiative.72 Parallèlement, l’ancien Reis ul Ce e institution acquiert des libertés qu’elle Ulema de Yougoslavie Jakub Selimoski tente n’avait pas auparavant. Plus concrètement, le de créer une autre communauté islamique en changement s’est manifesté par l’acquisition Macédoine: la «Communauté religieuse des de la liberté d’expression du clergé religieux, musulmans de Macédoine». T outefois, les par l’investissement de la sphère publique responsables religieux de Tetovo Tetovë ne par les milieux religieux, par le foisonnement l’appuient pas et trouvent un accord av ec la de publications et de traductions portant sur BIM.73 l’islam, par la diff usion d’émissions à contenu Hormis ses activités religieuses, la BIM religieux dans les médias électroniques est aussi active sur le plan humanitai re et dans la presse, par la construction de durant la période 1990 2001. En 1991, elle nouvelles mosquées etc. Toutefois, malgré crée l’organisation humanitaire islamique ces changements, les waqfs (propriétés «El Hilal». Le dév eloppement de cette immobilières) que l’Etat a confi squées durant organisation est liée à l’arrivée en Macédoine, 70 le communisme ne sont pas restituées. l’année suivante, de milliers de réfugiés En 1997, le gouvernement répond favorable musulmans/bosniaques provenant de Bosnie ment à la demande d’ouverture de la Faculté et Herzégovine. Durant la période de la des sciences islamiques dans la périphérie de guerre au Kosov o (1997 1999), «El Hilal» Skopje Shkup alors qu’en 1995, comme nous s’engage énergiquement pour venir en aide l’avons vu, il s’ était violemment opposé à à plusieurs centaines de milliers de réfugi és l’initiative de l’Université albanaise (laïque) kosovars en Macédoine. de Tetovo Tetovë. La stratégie poursuivie par Depuis l’avènement des changements les autorités politiques macédoniennes est démocratiques, les changements religieux en de doter la BIM de ses propres institutions Macédoine se traduisent aussi sur le plan de d’enseignement religieux et de contrer la doctrine religieuse. De nouveaux courants ainsi l’influence de la BIK et des idéologies religieux islamiques voient le jour. On peut politiques du Kosov o sur la populatio n notamment observer l’émergence d’une 71 albanaise de Macédoine. Au sujet de la mouvance néo salafiste de type piétiste. formation des cadres religieux en Macédoine, Celle ci se manifeste par l’apparition de notons que, parallèlement à la formation nouveaux prédicateurs politico religieux et théologique dispensée par cette nouv elle par l’apparition de traductions d’ ouvrages institution, des étudiants sont aussi scolarisés religieux rigoristes. Cette mouv ance se présente comme un défi pour la communauté 70 Des biens appartenant à l ’Eglise orthodoxe de des croyants de Macédoine, qui se montre Macédoine ont été restitués et les waqfs de Gostivar irritée par la promotion de nouv elles viennent d’être restitués à la BIM. Pour rappel, pratiques et de nouveaux symboles religieux la BIM avait pu garder les droits de propriété sur certains waqfs en Macédoine. par ces nouveaux acteurs. 71 Un bon nombre d’étudiants albanais de Macédoine ont été inscrits à la Faculté des études islamiques de 72 Nathalie Clayer (2001), p. 194. Prishtinë Priština. 73 Ibid. 27 Ces nouveaux prédicateurs inv estissent de tortures et d’assassinats de civils. 76 Alors progressivement les régions de Skopje Shkup que le conflit se rapproche de la capitale et de Kumanovo Kumanovë. Ils s’étendent Skopje Shkup, l’armée macédonienne est ensuite dans les autres localités de Macédoine dans l’incapacité d’enrayer ce e guérilla. Face ainsi que dans les pays v oisins (Kosovo et à cette situation, les Eta ts Unis et l’Union Albanie). Les principaux protagonistes de européenne s’investissent énergiquement cette mouvance sont des cadres religieux pour trouver une issue à ce confl it. Leur but formés dans les universités du Moyen Orient, manifeste est d’éviter que le confl it ne s’étende mais aussi en Turquie. La BIM ne v oit pas à la population civile et ne se transforme ainsi d’un bon œil ces nouvelles mouvances, ainsi en un conflit interethnique incontrôlabl e. que le prosélytisme des ONGs islamiques Ainsi, sous l’impulsion occidentale, tous l es étrangères auprès des réfugiés de Bosnie et acteurs politiques influents du pays sont Herzégovine présents en Macédoine. En 1994, réunis aux bords du lac d’Ohrid. Même si les ONGs islamiques étrangères sont chassées l’UÇK M n’est pas présente physiquement à par les autorités macédoniennes.74 ces discussions, ses positions sont relayées par les partis politiques albanais. Les négociations 2.2. Evolutions politiques et religieuses sont très difficiles, mais les médiateurs depuis 2001 réussissent à arracher un compromis aux acteurs concernés. Celui ci prévoit un arrêt 2.2.1. Eclatement du confl it et accords des combats, une démobilis ation de l’UÇK d’Ohrid M contre une amnistie de ses comba ants, le En 2001, plusieurs a entats visent les forces maintien du caractère unitaire du pays contre de sécurité macédoniennes. Les auteurs de ces une forte décentralisation. Pour y parv enir, actes se réclament de l’Armée de libération des changements constitutionnels en faveur nationale en Macédoine ( Ushtria çlirimtare des communautés non macédoniennes s ont kombëtare në Maqedoni –UÇK M). La situation prévus. En outre, ces accords prév oient devient de plus en plus préoccupante. La aussi une amélioration de la représentativité même année, la Macédoine sombre dans un albanaise dans les institutions macédoniennes. confl it armé entre les forces gouvernementales Les accords d’Ohrid sont signés le 14 août et l’UÇK M. Le gouvernement de Macédoine 2001 en présence des principa ux acteurs qualifi e l’UÇK M d’«organisation terroriste»75 politiques du pays et de hautes personnalités et présente cette insurrection armée comme politiques occidentales. une agression étrangère visant la création Depuis lors, l’UÇK M s’est transformée en de la «Grande Albanie». Pour rappel, ce une formation politique, appelée l’Union gouvernement, qui est composé par les démocratique pour l’Intégration ( Bashkimi formations politiques du VMRO DPMNE et demokratik për integrim –BDI). Ce e nouvelle du PDSH, choisit l’option musclée pour venir formation a remporté haut la main les à bout de l’UÇK M. Des bombardements à élections de 2002 au sein de l’électorat grande échelle sont alors entrepris par l’armée albanais de Macédoine. Le BDI entre alors macédonienne contre les fiefs de l’UÇK M en coalition avec le parti social démocrate dans la région de T etovo Tetovë. Le conflit de Macédoine ( Socio demokratski sojuz na se déplace progressivement au nord ouest Makedonij a –SDSM) qui est le grand vainqueur du pays, à savoir dans des villages albanais au sein de l’ électorat slavo macédonien. de Kumanovo Kumanovë où l’UÇK M a ses Un gouvernement interethnique est alors quartiers. constitué. Celui ci est d’abord dirigé par La situation générale devient très ten due. Branko Crvenkovski et ensuite par Vlado Une hystérie nationaliste se répand dans le Bućkovski,77 deux hommes politiques issus pays, déclenchant une obsession sécuritaire. du SDSM. Dès l’inv estiture de ce nouv eau Des flux de réfugiés de tous bords arriv ent en masse. On rapporte des cas disparitions, 76 A ce sujet, voir Bashkim Iseni (2005b). 77 A la suite de la mort tragique de l’ancien président 74 A ce sujet, voir Bashkim Iseni (2007). Boris Trajkovski au printemps 2004, des élections 75 La qualification de «terroriste» n’a été reprise présidentielles anticipées sont organisées. Le leader ni par les Etats Unis ni par les pays de l’Uni on social démocrate Branko Crvenkovski est alors élu européenne. président du pays. 28 gouvernement, des efforts importants sont confl it de 2000. Ce e crise aurait commencé consentis par les ministres albanophones avec l’élection du nouveau Reis ul Uema, pour me re en oeuvre les accords d’Ohrid. En Arif Emini. Selon un haut cadre rel igieux 2002 une loi est approuvée par le Parlement de Skopje Shkup, l’élection de ce dernier en faveur du droit à l’enseignement supérieur aurait fait des mécontents car la commission des communautés non macédoniennes. Peu électorale était composée par des personnes de temps après, l’Université de Tetovo Tetovë non habilitées à v oter. De plus, le candi dat est légalisée. proposé n’était pas compétent pour assumer Comme nous l’avons fait remarquer pour cette tâche. Son élection aurait été l’ œuvre l’UÇK du Kosovo, le conflit de 2001 n’a pas directe de Rexhep Sulejmani. Il aurait favorisé mobilisé de référent religieux au sein de l’élection d’Emini, compte tenu de l’emprise l’UÇK M. Les principaux créateurs et leaders qu’il avait sur lui. Selon cette source, la de l’UÇK M sont des personnes de la diaspora candidature de ce dernier a été favorisée en Europe issues du LPK, et qui ont donc un pour empêcher l’élection d’un autre candidat profil idéologique nationaliste communiste. extérieur car les éventuelles irrégularités Ce personnel politique est marqué par un financières dans les comptes de la BIM 78 fort athéisme; leurs objectifs demeurent auraient pu éclater au grand jour. nationalistes et non pas religieux. Quant à la Sous la présidence du nouv eau Reis ul BIM, elle est opposée à la guerre de l’UÇK Ulema Arif Emini, la BIM met en place des M et lance l’appel «Abandonnez les armes» changements institutionnels importants. («Leni Armët»). Cet appel refl ète davantage la Une nouvelle Constitution est approuvée en position personnelle du Reis ul Ulema Rexhep décembre 2003. Elle innove notamment en Sulejmani, qui est proche du PDSH, que prévoyant de centraliser le fi nancement de la celle de la BIM en tant que telle. Soulignons BIM. Elle veut en outre supprimer l’autonomie que certaines figures religieuses marquent financière des muftinies et les différences le déroulement du confl it en Macédoine. Par existant dans les modes de rémunération exemple, Mollah Jakup, l’imam du village existant entre employ és des instances de Sllupqan (Kumanovo Kumanovë) adopte centrales de la BIM et imams des mosquées.79 des positions très patriotiques au début du Ces changements ne sont toutefois pas suivis confl it et revêt symboliquement l’uniforme de d’effets, malgré l’adoption de nouv elles l’UÇK M. dispositions concernant le fonctionnement de la BIM. Ce e situation irrite particulièrement 2.2.2. La paralysie de la Communauté un certain nombre d’imams qui sont dans une islamique de Macédoine position matérielle précaire. Les changements politiques institués par les En mars 2004, l’ organisation d’élections accords d’Ohrid comprennent également des nouveaux muftis de Macédoine fait un v olet portant sur les modifications éclater au grand jour la crise qui minait la constitutionnelles du statut des principales BIM depuis plusieurs années. L’élection des religions en Macédoine. L ’ancienne muftis de Skopje Shkup et de Resen Resnjë Constitution reconnaissait uniquement est contestée par la commission électoral e et l’Eglise orthodoxe macédonienne. Les par un groupe d’imams. Peu de temps après changements qui découlent des accords cette controverse, le Reis ul Ulema subit des d’Ohrid remédient à ce problème. Mais ils pressions et destitue le mu i élu de Skopje créent des tensions interreligieuses, dans la Shkup, Zenun Berisha. Ce dernier conteste mesure où les relations entre la Communauté à son tour cette destitution. Pour lui, les islamique de Macédoine et l’Eglise orthodoxe procédures prévues pour une telle décision macédonienne se dégradent. Cette dernière n’ont pas été respectées. Malgré cela, de s’oppose vivement à la remise en cause de son statut privilégié. 78 Entretien réalisé à Skopje Shkup en novembre 2006. 79 Jusque là, les employés des instances centrales de Dans le nouveau contexte politique post la BIM étaient directement rémunérés par c elles Ohrid, l’heure est aussi aux changements au ci, alors que les imams étaient principalement sein de la BIM. En v érité, celle ci se trouvait rémunérés par les contributions volontaires des déjà dans une situation de crise av ant le fidèles. Ce système plaçait les imams dans une situation de grande précarité. 29 nouvelles élections sont organisées dans la pas idéologiques mais purement matérielles. mu inie de Skopje Shkup. Taxhedin Bislimi est Il s’agirait de prendre le contrôle des waqfs que élu à la place de Zenun Berisha. Ce e élection possède la mu inie de Skopje Shkup, à savoir est fermement contestée par ce dernier et ses plusieurs dizaines de magasins qu’elle loue à sympathisants. des commerçants de la vieille ville. En outre, Entre les deux camps, la situation se dégrade. la question des emplois au sein de la mu inie Malgré un accord conclu entre les intéressés est un autre enjeu expliquant ces tensi ons. grâce la médiation personnelle du leader Chaque clan d’imams ou de cadres religieux du BDI Ali Ahmeti, des hommes armés et soutient un candidat pour l’élection au poste masqués font irruption peu de temps après de mufti pour av oir un contrôle sur des dans l’Assemblée de la BIM. Le Reis ul Ulema emplois très convoités en raison du nombre 81 et les délégués sont physiquement agressé s. élevé de diplômés religieux au chômage. Suite à ces évènements, Arif Emini est victime La BIM est dans une situation d’anarchie et de d’intimidations et démissionne de son poste. paralysie totale, que se soit sur le plan de sa Cet épisode est suivi par le passage à tabac, légitimité ou sur celui de son fonctionnement. par un groupe d’hommes armés, de Taxhedin Au mois de septe mbre 2005, Ali Ahmeti Bislimi, mufti de Skopje Shkup récemment s’engage une nouvelle fois pour permettre élu.80 On suspecte l’ancien mufti d’ être l’élection d’un corps dirigeant provisoire de la impliqué dans ces incidents, mais ce dernier BIM, en a endant que la situation se stabilise. réfute catégoriquement toute implication. Il offre ainsi la protection et des conditio ns L’élection d’autres personnes à la fonction sûres pour la tenue d’une Assemblée de la de Reis ul Ulema, comme Ruzhdi Lata (mu i BIM. Celle ci a eff ectivement lieu dans la ville de Debar Dibër) et d’Isa Ismaili (Prilep) ne de Struga. Durant ce e nouvelle Assemblée, dure pas longtemps. Sous la pression et les un Reis ul Ulema provisoire (Bahri Aliu, de menaces, les deux démissionnent quelques Struga) et un président de l’assemblée de la jours seulement après leur nomination. BIM sont élus.82 Ces évènements violents choquent profondé Bahri Aliu dirige la BIM jusqu’en septembre ment la communauté des croy ants de 2006, soit jusqu’à la réélection de Sulejman Macédoine. Les médias du pays, mais aussi Rexhepi à la fonction de «nouv eau» Reis ul ceux du Kosovo et d’Albanie suivent de très Ulema. Pour rappel, Rexhepi a assumé cette près l’évolution de la situation. Ces épisodes fonction jusqu’à l’élection d’Emin Arifi à la sont lus en termes d’ opposition entre deux fin de l’année 2000. Plusieurs indices indi blocs au sein de la BIM: d’une part les courants quent clairement que le retour de Rexhepi à «traditionnels», et d’autre part la mouv ance ce e fonction a été décidé par le PDSH qui est «wahhabite» représentée par Zenun Berisha. revenu au pouvoir suite aux élections législa D’après les médias, ce dernier courant a des tives de l’été 2006.83 Selon plusieurs sources, motivations religieuses idéologiques et vise à à la veille de l’élection du Reis ul Ulema, des prendre le contrôle de la mu inie de Skopje activistes de PDSH «rendaient visite» au Shkup. Il s’agit d’un choix stratégique car domicile des votants de l’Assemblée de la ce e mu inie est la plus grande du pays et, à travers elle, une prise de contrôle de la BIM 81 Sur le chômage des théologiens, voir Ramadan devient possible. Ramadani, «Rringjallja islame, instalimi i njerëzve nëpër institucione, hiper produksion Ce discours provoque l’indignation de Zenun të hoxhallarëve…» [La renaissance islamique, le Berisha et de son entourage. Ils réfutent placement des individus dans les institutions, la catégoriquement l’étiquette de «wahhabite» surproduction d’imams…], Lobi, archives internet, accessible sur h p://www.lobi.com.mk/?ItemID=2F qui leur est accolée. Selon un observateur de ECC7BD84F2384A88154DC270C0EA9B. ces évènements, Berisha s’inscrit clairement 82 Koha Ditore, 26 septembre 2005. dans la tradition hanéfite, même si certains 83 Au mois de juillet 2006, le BDI a obtenu la majorité acteurs proches de l’UÇK M et de la des votes de la communauté albanaise, mais le mouvance néo salafiste l’ont appuyé dans VMRO DPMNE a choisi le PDSH comme partenaire ses démarches pour son élection au poste de gouvernemental. Cet acte a donné lieu à une grave crise politique en Macédoi ne durant l’été 2006. mufti. Les raisons de ce soutien ne seraient Mécontente du choix politique du VMRO, le BDI a pris en janvier 2007 la décision de boycotter le 80 Koha Ditore, 4 juillet 2005. Parlement de Macédoine. 30 BIM et leur «indiquaient» le candidat qu’ils religieux. Dans ce cas précis, il s’ avère que devaient élire.84 Selon plusieurs politiciens la classe politique macédonienne au pouvoir et journalistes locaux, l’élection de Rexhepi (albanaise et slav o macédonienne) a fait est aussi favorisée par l’ambassade des USA usage de l’étiquette «fondamentaliste» pour en Macédoine. Les Etats Unis v oient en la stigmatiser un groupe d’individus armés forte personnalité de Rexhepi une garantie proches du PDSH. pour me re de l’ordre dans ce e institution. Le meneur de ce groupe se nomme Agim Le but manifeste est d’enrayer ce e situation Krasniqi, une personne au casier judiciaire anarchique et d’ empêcher d’éventuelles très chargé. Aucun indice ne donne à penser infiltrations d’éléments néo salafistes dans qu’il aurait eu des liens av ec des réseaux la BIM. Toutefois, selon un connaisseur des néo salafi stes. Il s’agit par contre d’un acteur développements isla miques en Macédoine, proche du leadership du PDSH. Cette thèse la nomination peu démo cra tique du nouveau s’appuie sur le fait que, lors des élections de Reis ul Ulema et sa personnalité autoritaire juillet 2006, il fi gurait sur la liste des principaux pourraient en défi nitive susciter des nouvelles candidats de ce parti politique. Or, le PDSH et 85 tensions au sein de la BIM. ses dirigeants sont connus pour leurs prises de positions nationalistes, anti salafistes et 2.2.3. L’aff a ire de Kondovo Kondovë et la pro occidentales. «L’identité nationale n’a rien mouvance néo salafi ste à voir avec l’identité religieuse . Les peuples Une autre affaire «religieuse» islamique qui ont une identité réelle ethnique n’ ont mobilise l’opinion publique en Macédoine. pas besoin de la construire sur la base de Elle concerne une rencontre qui a lieu en convictions religieuses», déclare dans la revue août 2005, entre Ali Ahmeti et le Premier «Lobi» Arbër Xhaferi, leader charismatique ministre d’Albanie Fatos Nano. Au cours de du PDSH et figure très active sur la scène ce e rencontre, les deux hommes ont eu des médiatique en Macédoine, mais aussi en 86 «échan ges d’informations» sur la supposée Albanie et au Kosovo. Xhaferi promeut une existence de cellules «fondamentalistes» vision particulièrement critique à l’égard de 87 liées au groupe d’Al Zarqaoui à Kondov o la mouvance néo salafi ste. De plus, comme Kondovë, un village situé dans la région de nous l’avons évoqué plus haut, le PDSH a Skopje Shkup. Cette affaire est un exemple joué un rôle décisif dans la réélecti on de révélateur de l’utilisation abusive des qualifi l’actuel Reis ul Ulema Sulejman Rexhepi. Ce catifs «fondamentaliste» ou «terroriste» pour dernier tient des propos extrêmement durs légitimer différentes mesures de politique à l’encontre des groupements néo salafistes intéri eure ou de politique étrangère. En Macé dans le pays: «Je déclare une guerre sans doine, diff érents observateurs affi rment qu’il compromis à ceux qui abusent de l’islam en 88 existe eff ectivement un groupe armé dans ce Macédoine». village, mais qu’il ne s’agirait pas d’activistes En ce qui concerne la mouvance néo salafi ste de type piétiste, force est de constater qu’elle est bien présente en Macédoi ne. Plusieurs 84 Sulejman Rexhepi aurait obtenu le soutien de douze mu inies. La veille de l’élection, le siège de la BIM a imams de Skopje Shkup et de Kumanov o été mitraillé à la kalachnikov. Ce fait a été dénoncé Kumanovë font partie de cette mouv ance. avec véhémence par le nouv eau Reis ul Ulema Les néo salafistes gagnent de plus en après son élection. Au sujet de ce e élection, voir plus de terrain en Macédoine. A en croire le compte rendu des faits dans les journaux locaux Fakti, Spic, Dnevnik, Lajm de septembre 2006. différents avis concordants d’observateurs 85 Avis corroboré par plusieurs analystes albanais de Macédoine. Au sujet de l’élection du dernier Reis ul Ulema, voir Tamara Causidis, 86 Arbër Xhaferi, «Shqiptarët vitalë, por shpenzojnë «Zgjedhjet synojnë ti zbusin mosmarrëv eshjet energjitë në debatet e kota» [Les Albanais sont në Maqedoni» [Les élections visent à amortir les pleins de vitalité, mais dépensent leur énergie dans divergences en Macédoine], Lobi, 2 octobre 2006. des débats futiles], Lobi, archives internet, accessible Ce e rencontre aurait eu lieu après une visite éclair sur h p://www.lobi.com.mk/?ItemID=FD685B37B7 qu’aurait eff ectuée le directeur de la CIA à la fi n du 4A624991822F60348DF13E. mois de juin à Tirana. Il aurait rencontré les chefs 87 Entretien réalisé à Tetovo Tetovë en novembre 2006. des services secrets de la région et de Macédoine 88 Interview du Reis ul Ulema accordé au journal Fakti (Gazeta Shqiptare, 10 août 2005). et consulté sur le site internet h tp://www.lajmet. com le 26 octobre 2006. 31 locaux, ceux ci bénéficient des flux finan 2.3. Conclusion ciers en provenance d’Arabie saoudite pour L’étude de la problématique de l’islam en promouvoir leur idéologie politico religi euse Macédoine permet d’analyser les différents en Macédoine. Depuis quelques années, ils types de constellations qui peuvent être développent aussi des activités commer établies entre acteurs politiques et acteurs ciales pour pouvoir financer leurs activi tés religieux islamiques. Au sujet de la BIM, prosélytes: traduction, publication et distri un constat s’impose: cette institution est bution d’ouvrages théologiques hostiles à la instrumentalisée par la classe politique dans modernité occidentale, promotion d’un dis le but de capter les v oix des populations de cours particulièrement rétrograde et intolé confession musulmane de Macédoine. Les rant vis à vis des valeurs démocratiques et dirigeants de la BIM apportent leur soutien libé rales. Leurs cibles privilégiées sont les aux formations politiques dominantes pou r jeunes croyants. que leur soutien débouche sur une contre Un porte parole des néo salafi stes de type pié partie une fois que ces partis politiques tiste conteste l’épithète de «wahhabite» qui accèdent au pouvoir.90 Soulignons toutefois leur est a ribuée par les médias et par la classe que ce e convergence d’intérêts entre milieux poli tique du pays: «Nous ne sommes pas des politiques et milieux religieux ne signifi e pas wah h a bites, nous voulons revenir aux sources. pour autant qu’il existe des conv ergences Nous disons aux musulmans de lire le Coran idéo logiques entre ces deux sphères. Bien à la manière de nos aïeux afin d’ éviter une au contraire: toutes les formations politiques mau vaise interprétation (…) Nous sommes albanaises sont d’orientation laïque et natio l’islam scientifi que, l’islam argumenté». Selon naliste. Toutefois, elles réalisent que le lui, dès qu’il y a de nouveaux mouv ements soutien symbolique des milieux religie ux reli gieux dans le pays, ils sont injustement peut sérieusement les aider dans la course au stigmatisés afi n de les décrédibiliser aux yeux pouvoir. de l’opinion: «Si on était un corps étranger à la En ce qui concerne la grave crise que traverse société, elle nous aurait rejeté. Nous sommes la BIM, elle peut être diffi cilement expliquée visés par les dirigeants politiques albanais car par l’opposition d’un «islam traditionnel» ils sont complexés par leur religion. Notre tra à un «islam importé». Ces tensions doivent vail pour la défense des intérêts du peuple les être comprises comme une résultante de dé range. Nous créons l’opinion critique. Ceci trois facteurs. Le premier facteur est lié à est un devoir car personne d’autre ne le fera l’impossible absorption par la BIM de la 89 (…)». masse d’étudiants en théologie formés ces Cet acteur néo salafi ste critique la corruption dernières années à l’intérieur et à l’extérieur et le népotisme de la classe politique en du pays. Le deuxième facteur est la lutte Macédoine. Il se prononce contre la création entre factions internes à la BIM pour le de formations politiques islamistes car «elles contrôle des ressources matérielles de cette causent du tort à l’islam». De plus, selon lui, institution. Enfin, le troisième fac teur est de telles formations ne peuvent être créées car lié à l’opposition entre anciennes et jeunes «nous sommes en Europe». Il ne s’oppose pas à générations d’imams. En fait, la BIM est prise l’orientation pro européenne de la Macédoine. en otage par d’ anciens fonctionnaires peu Au contraire, selon lui, «les musulmans des qualifiés qui barrent la route à des jeunes Balkans sont ceux qui ont le moins freiné cadres compétents et mieux formés. Face à ces le processus d’européanisation». Pour lui, réalités, toutes sortes d’épithètes sont utilisées «cette adhésion à l’Union européenne et à pour discréditer ces personnes et les éloigner l’OTAN améliorera les droits démocratiques des institutions islamiques. Ces confl its font et religieux. La population pourra bénéfi cier l’affaire de la mouv ance néo salafiste qui aussi des aspects positifs de la modernisation recrute des jeunes cadres religieux frustrés car les aspects négatifs sont déjà là.» par l’absence de perspectives professionnelles dans le système actuel.
90 Selon un imam de Skopje Shkup, cette loy auté n’est pas uniquement motivée par des arguments opportunistes, mais aussi par la peur . Entretien 89 Entretien réalisé à Skopje en novembre 2006. eff ectué à Skopje Shkup, novembre 2006. 32 D’une manière générale, on relève ces albanaise musulmane: Preševo Preshevë, dernières années en Macédoine une plus forte Bujanovac Bujanoc et Medvedja Medvegjë. pro pension à la pratique de la religion. Ce e Ces municipalités sont peuplées d’Albanais, plus forte religiosité s’explique notamment de Serbes, de Roms et de Musulmans/ par des facteurs historiques. T outefois, la Bosniaques. situa tion politique générale, la corruption qui Le but de cette analys e est de comprendre minent les élites politiques et la dégradation l’évolu tion et les tendances politiques et reli du niveau de vie des populations musulmanes gieuses actuelles dans ce e région qui inclut frappées par la pauvreté favorisent aussi un d’importantes populations de confes sion repli identitaire et religieux. De plus, la place musulmane de souche albanaise et musul qu’occupe l’Eglise orthodoxe sur la scène mane/bosniaque. Selon le recensement de pu blique et ses liens av ec des responsables 2002, la population albanaise repr ésente gou vernementaux slavo macédoniens irritent environ 57’000 personnes; elle est majoritaire considérablement les populations musul dans la municipalité de Prešev o Preshevë manes de ce pays. Dans cette situation (95%) et de Bujanovac Bujanoc (55%). Quant d’après guerre, une certaine logique de mar à la municipalité de Medvedja Medvegjë, 26% quage ethnico religieux du territoire est en de sa population est albanaise.92 train de se dév elopper. Ce phénomène se tra duit par la construction de mosquées et d’églises orthodoxes dans tout le territoire du 3.1. Evolution de la situation politique pays.91 dans la vallée de Preševo Preshevë depuis 1990 Enfi n, en ce qui concerne l’infl uence islamique étrangère en Macédoine, il est important Les zones albano phones de la v allée se de souligner l’existence d’une concurrence situent dans la continuité spatiale de l’ aire entre des acteurs qui essaient de promouvoir culturelle albanaise dans les Balkans. Aussi, l’infl uence islamique turque ou arabe. En fait, les développements politiques contemporains compte tenu des liens culturels, politiques et concernant les Albanais de la v allée de économiques et des affi nités religieuses avec Preševo Preshevë sont ils étroitement liés le monde turc, la présence de la Turquie et de à l’évolution de la situation au Kosovo et en son islam offi ciel hanéfi te modéré est perçue Macédoine. Les liens politiques, économiques presque unanimement comme un moy en et culturels (familiaux) entre ce e population pour contrer l’influence islamique arabe et les populations albanaises de l’ est du ainsi que pour barrer la voie aux mouvances Kosovo (Gjilan Gnjilane) et du nord est de fondamentalistes dans ce pays et dans la la Macédoine (Kumanovo Kumanovë) sont région. traditionnellement très forts: le Kosovo étant, historiquement, leur centre de référence politique, culturel, économique et éducatif. 3. Islam et politique dans la vallée La grande majorité de l’élite de ces trois de Preševo Preshevë municipalités a été formée et continue à être formée à l’université de Prishtinë Priština La vallée de Prešev o Preshevë, au sud de et dans les universités de langue albanaise à la Serbie, constitue une voie de passage Tetovo Tetovë.93 stratégique pour l’Europe du sud est (chemin de fer et route principale Belgrade Skopje Même si, comparées à celles prév alant au Thessalonique). Située à la croisée de la Kosovo, les relations entre Albanais et Serbes Serbie, du Kosovo et de la Macédoine, elle comprend trois municipalités à composante 92 Chiff res tirés de International Crisis Group (2003), p. 3. La ville de Bujanov ac Bujanoc aurait des pourcentages relativement équilibrés au sein des 91 En 2000 une croix de 50 mètres a été érig ée au populations serbe, albanaise et rom; les Albanais sommet de la montagne V odno qui surplombe sont toutefois fortement majoritaires dans certains Skopje Shkup. Elle est éclairée de nuit et est villages de ce e commune, comme Veliki Trnovac particulièrement visible depuis les quartiers Tërnovc i Madh, village de 10’000 habitants réputé musulmans albanais de Skopje Shkup. A c e sujet, pour être une des plaques tournante s des Balkans on peut aussi remarquer la construction de deux pour des trafi cs en tous genres. grands minarets par mosquée dans certains villages 93 L’Université d’Etat et l’Université de l’Europe du albanais de Macédoine. sud est (privée). 33 dans la Vallée de Prešev o Preshevë ont été ce projet n’est pas mis en oeuvre et, en 1993, historiquement meilleures, 94 l’intégration les formations albanaises de la v allée de politique et administrative de cette région Preševo Preshevë se présentent à nouv eau à la Serbie en 1946 a été vécue comme une aux élections de Serbie.97 injustice par la population albanaise. Ce L’embargo économique contre la Serbie dès sentiment s’est accentué dans les années 1992, mais aussi son isolement politique 1980, au cours des fortes tensions politiques intern ational, affectent sévèrement la vallée survenues au Kosovo. De fait, l’évolution de de Preševo Preshevë. De plus, depuis l’appari la situation au Kosovo a systématiquement tion de l’UÇK au Kosovo en 1997, la pression influencé les relations interethniques entre est accentuée sur la population albanaise Albanais et Serbes dans la vallée de Preševo en Serbie. Elle se durcit encore pendant les Preshevë. bombarde ments de l’OTAN en 1999. Ainsi, Sous le régime de Slobodan Milošević, la des violations des droits de l’homme par les population albanaise est soumise à une troupes paramilitaires serbes et plusieurs forte pression par la puissante campagne assassinats de civils albanais sont rapportés.98 médiatico politique nationaliste dirigée Après les accords militaro t echniques de contre le «séparatisme» albanais. Celle Kumanovo qui formalisent le retrait militaire ci a également des conséquences sur ces serbe du Kosovo, en juin 1999, une importante municipalités − qui voient leurs compétences partie de ces troupes (notamment le 3e Corps locales se réduire substantiellement, suite à la de Priština) est déployé dans la v allée de suppression de l’autonomie du Kosovo et aux Preševo Preshevë.99 Ce repositionnement de mesures constitutionnelles centralisatrices l’armée et la crainte de représailles sont à la qui sont adoptées en Serbie − et sur leur source de la fuite de quelques 25 000 réfugiés population albanophone dans le domaine de albanais en direction de la «zone démili l’éducation, de l’information et l’emploi.95 De tarisée» et du Kosovo.100 plus, ces politiques sont mises en oeuvre dans Dès 1999, une guérilla affi rmant représenter le contexte d’une situation socio économique les Albanais de la vallée de Preševo Preshevë précaire prévalant depuis plusieurs années, la mène des a aques armées visant des policiers vallée de Preševo Preshevë étant la région la et militaires serbes. Ce e Armée de libération plus sous développée de la Serbie. de Preshevë, Medvegjë et Bujanoc ( Ushtria Avec les changements politiques qui survienn çlirimtare për Preshevë, Medvegjë dhe Bujanovc – ent en Serbie dans les années 1990, des UÇPMB), forte de 800 à 1 500 comba ants, est partis albanais se constituent aussi dans approvisionnée en armes depuis le Kosov o, ces trois municipalités, notamment le P arti bénéfi cie d’un encadrement militaire par des pour l’action démocratique (Partia për veprim anciens de l’UÇK et est notamment fi nancée demokratik –PVD). Depuis, ils participent aux par la diaspora. Les a aques ponctuelles, de élections républicaines en Serbie et obtiennent plus en plus fréquentes, contre les forces de régulièrement un à deux sièges au Parlement sécurité provoquent l’intervention soutenue serbe. Le PVD s’impose lors des élections locales de 1992 et son leader, Riza Halimi, est élu maire de Preševo Preshevë. Néanmoins, de Preševo Preshevë est appelée «Kosova lindore», c’est à dire le «Kosovo oriental». en mars 1992, un revirement politique majeur 97 Cas de fi gure analogue au référendum organisé la se produit lorsque le leadership politique même année en Macédoine et suivi de la poursuite albanais de Prešev o Preshevë, Bujanovac de la participation des partis politiques albanais Bujanoc et Medv edja Medvegjë organise dans le gouvernement de Macédoine. un référendum (non reconnu par Belgrade) 98 Voir Humanitarian Law Center (2003). en faveur d’une autonomie culturelle et 99 Il a notamment occupé des bâtiments publics, des politique de la vallée de Preševo Preshevë et écoles, des anciennes usines collectives, etc. de son ra achement au Kosovo.96 Toutefois, 100 Profonde de 5 km et longue de 150 km, la Ground Safety Zone (GSZ) a été créée après les accords de Kumanovo pour séparer les forces serbes de celles 94 Remarquons aussi que les relations entre Albanais de la KFOR. Utilisée comme base arrière par la et Serbes à l’est du Kosovo − adjacent à la vallée de guérilla albanaise de l’UÇPMB (voir ci dessous) la Preševo Preshevë − sont historiquement bonnes. GSZ a été réinvestie par la suite par les forces de 95 A ce sujet, voir Humanitarian Law Center (2003). sécurité serbes avec l’accord et sous le contrôle de 96 Dans la rhétorique nationaliste albanaise, la région l’OTAN. 34 des forces de l’ordre serbes. La situation le nombre d’Albanais aurait drastiquement s’enflamme rapidement et des victimes chuté dans les villages enviro nnants depuis militaires et civiles sont recensées dans les le retour de l’ armée à la frontière avec le deux camps. Ce n’est qu’avec l’implication Kosovo.105 de l’OTAN qu’un accord est trouvé, en mars Il faut souligner que toutes les formations 2001, entre les combattants albanais et les politiques albanaises de la vallée de Preševo forces militaires offi cielles. Ce e «déclaration Preshevë n’ont pas participé aux élections de démilitarisation» est signée au mois de de janvier 2007 en Serbie, et ceci malgré mai 2001 entre l’UÇPMB et les représentants la conclusion d’un accord intra alban ais de l’OTAN. Il prév oit notamment la pour présenter une liste commune appelée démobilisation et le désarmement de «Coalition des Albanais – vallée de Preševo l’UÇPMB et l’amnistie de ses membres. En Preshevë».106 Trois formations issue s de échange sont prévues la mise en place d’une l’UÇPMB ont ainsi quitté la coalition et ont police mixte dans la v allée et l’amélioration décidé de boycotter les élections malgré de la représentation albanaise au sein de l’appel à la participat ion du leadership du l’administration publique. L’autre volet Kosovo et de l’Albanie.107 important de l’accord concerne notamment la garantie par l’UÇPMB d’un retour sûr des Malgré ces div ergences, les Albanais de forces militaires yougoslaves dans la «zone de sécurité» longeant la frontière. cette zone (Bob Churcher, 2003). La plateforme Quelques jours seulement après cette politique approuvée par le Conseil des partis politiques albanais de la Vallée de Preševo en juin signature, l’armée yougoslave fait son entrée 2004 exprimait le mécontentement quant à son dans ces zones sensibles. Malgré quelques statut et ses droits effectifs et appelait à modifier incidents isolés liés à des div ergences entre la situation prévalant dans la région (voir Këshilli leaders de l’UÇPMB sur l’accord passé avec koncensual politik i partiv e politike shqiptare të l’OTAN, la situation revient à une certaine luginës së Preshevës, Platformë – Parimet [Plateforme 101 – Principes], 21 juin 2004). Même le politicien normalité. Une police multiethnique e t modéré Riza Halimi a lancé un cri d’alarme auprès un «Centre de Coordination pour Prešev o des représentants occidentaux en Serbie pour Preshevë, Bujanovac Bujanoc et Medvedja améliorer la situation politique et socio économique Medvegjë» sont créés par le gouv ernement des Albanais dans cette région (Bota Sot, 26 juin 2006). serbe dans le but de stabiliser la région. 102 105 En 2004, environ 6 000 réfugiés de Med vedja Ceux ci voient eff ectivement le jour, mais le Medvegjë auraient été recensés au Kosov o. Selon Centre de coordination ne tient pas vraiment toute vraisemblance, ces personnes ne retourneront ses promesses. Selon des observateurs locaux, plus dans leurs villages d’origine, par ailleurs peu la situation s’est substantiellement améliorée attrayants en raison de l’absence de perspectives dans la municipalité de Preševo Preshevë.103 d’emploi. 106 Composée du PVD de Rizam Halimi et de l’Union Des progrès sont observés dans les domaines démocratique de la v allée (Unioni demokratik i de la police, des médias, de la représentation luginës –UDL) de Skender Destani. albanophone dans l’administration et dans 107 Quelques jours après la défection du P arti les instances judiciaires. Toutefois la situation démocratique albanais (Partia demokratike shqiptare reste plus diffi cile à Bujanovac Bujanoc où il –PDSH) de Ragmi Mustafa, le Mouv ement du n’y aurait pas eu de changements visibles sur progrès démocratique (Lëvizja e progresit demokratik –LPD) de Jonuz Musliu a décidé de se retirer à le plan des relations interethniques et de la son tour de la course électorale. Le président du représentation albanaise dans les institutions Parti démocratique national ( Partia demokratike municipales.104 Quant à Medvedja Medvegjë, kombëtare – PDK) basé à Bujanov ac Bujanoc, Nexhmedin Saqipi, a aussi boycotté ces élections et dénoncé, avec force, la participation au scrutin 101 A ce sujet, voir International Crisis Group (2006). des autres formations politiques. Tous les partis 102 Le programme de cet organe est appelé «plan qui se sont abstenus sont clairement en fav eur de Čović», du nom de son initiateur , le vice Premier la réactivation du projet autonomiste de 1992. Pour ministre serbe Nebojša Čović. comprendre les arguments des uns et des autres 103 Entretiens réalisés dans la v allée de Prešev o sur la (non )participation à ces élections, voir la Preshevë au mois de novembre 2006. retranscription de l’émission télévisée «Shqip» de la 104 Selon Bob Churcher , une reprise des activités chaîne albanaise Top Chanel ayant réuni en janvier paramilitaires albanaises n’est pas exclue du fait 2007 Ragmi Mustafa, Jonus Musliu, Riza Halimi que la stratégie retenue par l’OTAN n’ aurait pas et Skënder Destani, accessible sur http://www. contribué à pacifier durablement et efficacement presheva.com/press/2007/shqip 170107.html. 35 la vallée de Prešev o Preshevë semblent toujours offi ciellement partie de la BIK.109 Elles peu à peu comprendre que leur av enir est ont ainsi conservé les relations qu’elles avaient en Serbie, en dépit de leur fort désir de avec la BIK avant les années 1990, bien que rejoindre le Kosov o. Ils tentent cependant d’un point de vue territorial, administratif et de faire du lobbying et de faire pression sur politique, la vallée de Preševo Preshevë fasse l’élite du Kosovo pour qu’elle lie, autant que partie de la République de Serbie. faire se peut, leur statut politique à celui des En 2003, peu de temps après les accords de Serbes du Kosovo impliquant l’option d’un démilitarisation de la région, une nouv elle ra achement de la vallée de Preševo Preshevë organisation islamique est créée par un petit au Kosovo, dans l’hypothèse où celui ci serait groupe d’imams: il s’agit de la Communauté partitionné et le nord, majoritairement peuplé islamique pour Preševo Preshevë, Bujanovac de Serbes, reviendrait à la Serbie. Par ailleurs, Bujanoc et Medv edja Medvegjë (Bashkësia le commandant de la KFOR a récemment islame për Pr eshevë, Bujanoc dhe Medvegjë affirmé qu’en cas de troubles au nord du –BIPBM). Cette initiativ e est condamnée Kosovo, un effet de domino impliquant la en des termes tr ès sévères par la BIK et les vallée de Prešev o Preshevë n’était pas à Communautés islamiques déjà existantes la exclure. vallée de Preševo Preshevë. Ses promoteurs Pour ce qui est des rev endications poli sont traités d’«imams d’Etat» ou de tiques et idéologiques de l’UÇPMB ou «collaborateurs des services secrets serbes».110 des formations politiques albanaises de Selon des acteurs proches de la Communauté cette région, notons qu’ aucun manifeste, islamique de Preševo Preshevë, la BIPBM a dé claration ou action politique ne pré sente l’appui du gouvernement serbe du fait qu’elle un quelconque contenu ou référent religieux. prône la réunion des institutions islamiques Il est toutefois intéressant d’ observer que de la vallée de Preševo Preshevë et de celles certaines hésitations et polarisations au sein du Sandžak, de Belgrade et de Voïvodine au du leadership politique albanais local sur la sein d’une structure institutionnelle islamique participation ou la non participation à la vie commune en Serbie. Les représentants de politique serbe se retrouvent également dans la BIPBM dénoncent quant à eux le fait que les institutions islamiques de la v allée de la vie religieuse ne puisse pas s’organiser en Preševo Preshevë. Celles ci sont ainsi divisées raison des «manipulations» de la BIK.111 quant à l’attitude à adopter vis à vis des L’ancien mufti de Bujanov ac Bujanoc, institutions islamiques de Serbie. Cependant, Nexhmedin Saqipi, joue un rôle important avant de développer cette question, voyons dans ce processus. Proche du Centre de coor quelle a été l’évolution de la vie religieuse et dination pour Preševo Preshevë, Bujanovac des institutions islamiques dans la v allée de Bujanoc et Medvedja Medvegjë, ses ambitions Preševo Preshevë. semblent toutefois av ant tout politiques. En réalité, en mars 2006 il aband onne 3.2. Evolution de la vie religieuse offi ciellement sa fonction de mu i pour créer musulmane et des institutions le PDK et se présenter en tant que candidat à islamiques la mairie de Bujanovac Bujanoc. Saqipi affi rme Depuis la désintégration de la Y ougoslavie, alors que son parti «n’a pas de caractère les institutions islamiques de Serbie sont, religieux, mais politique (…) naturellement, divisées entre trois entités administrativ es il ne faut pas politiser la religion et c’est distinctes: la mu inie de Prishtinë Priština, le ce que je ne ferai pas. La religion doit avoir mu ij s tvo108 de Belgrade et celui du Sandžak. de l’influence dans la poli tique, mais pas Les institutions islamiques de la v allée de Preševo Preshevë, à savoir les Communauté 109 La Communauté islamique de Prešev o Preshevë islamiques de Preševo Preshevë (Bashkësia administrerait 24 mosquées, celle de Bujanov ac islame e Pr eshevës), de Bujanov ac Bujanoc Bujanoc 18 et celle de Medvedja Medvegjë 2. (Bashkësia islame e Bujanocit) et de Medvedja 110 Belgzim Kamberi, «Communautés musulmanes de Medvegjë (Bashkësia islame e Medvegjës), font Serbie: vers l’unifi cation?», publié dans Hapi Korak, septembre 2006, traduit par Le Courrier des Balkans et accessible sur http://balkans.courriers.info/ 108 «Mufstijstvo» est l’équivalent en bosnien/croate/ article7023.html. serbe du terme albanais «mu inie» (voir note 6). 111 Ibid. 36 inversement».112 Il vient récemment de durcir ambition d’obtenir la direction de la future ses positions politiques en promouvant l’idée structure institutionnelle islamique commune de l’autonomie de ce qu’il appelle le «Kosovo de Serbie. De plus, le soutie n apporté à ce de l’est»113 et en appelant la population à ne plan par les représentants religieux albanais pas participer aux dernières élections en semble se faire av ec l’aval de la BIK, celui Serbie. de la majorité de la classe politique et des Depuis la désintégration y ougoslave, les responsables municipaux de la vallée ainsi institutions islamiques de la vallée de Preševo que de l’équipe de négociateurs kosovars sur Preshevë traversent une crise d’affiliation le statut du Kosovo. En septembre 2006, une administrative et religieuse. La création de rencontre a eu lieu à ce sujet à Novi P azar la BIPBM reflète bien un malaise quant à entre les représentants religieux de la v allée leur statut, mais aussi, de façon plus large, de Preševo Preshevë, ceux du Sandžak, de la situation générale de la vallée de Prešev o Belgrade et de Voïvodine. Preshevë. D’autres solutions semblent avoir Plusieurs indices clairs allant dans le sens de été envisagées sur le plan religieux: deux plans l’apaisement des relations entre les Commun visant à trouver un modus vivendi après les autés islamiques de la Vallée de Prešev o bouleversements politiques des années 1990 Preshevë et le gouv ernement serbe sont à ont ainsi été esquissés. Le premier , celui du relever. Le premier ind ice est le revirement mu i de Belgrade, consiste à institutionnaliser de la position du Gouv ernement vis à vis une Communauté islamique de Serbie divisée de la BIPBM, alors qu’il semblerait qu’il l’ait en trois régions, à savoir le Sandžak, la vallée encouragé au début sa création. Le deuxième de Preševo Preshevë et une troisième région est le financement étatique des cours de regroupant Belgrade, Novi Sad et Niš. Ce plan religion islamique facultatifs dans les écoles a été refusé par les représentants de la v allée publiques, par des enseignants désignés par de Preševo Preshevë. Le deuxième, celui du les institutions islamiques locales.114 Selon des mufti du Sandžak, prév oit une division en représentants de la Communauté islamique quatre régions, avec la création à Novi Sad de Preševo Preshevë, plus de 90 % des d’un poste de mu i pour la Voïvodine. élèves suivent des enseignements religieux Le plan proposé par le mu i du Sandžak est théoriques et pratiques. Ces élèves travaillent acceptable pour les responsables religieux avec des manuels préparés par le mu ij s tvo du albanais de la v allée de Prešev o Preshevë Sandžak, puis traduits en langue albanaise. mais butte sur le refus de Belgrade qui Ce dernier élément refl ète aussi la quête d’une conteste à la V oïvodine le statut d’entité collaboration entre institutions islamiques de autonome. Selon un cadre de la Communauté Serbie en vue de la création d’une structure islamique de Prešev o Preshevë, le mufti décentralisée commune en Serbie. du Sandžak aurait accepté toutes leurs revendications: l’unité territoriale de la 3.3. Conclusion future «Communauté islamique de la v allée En résumé, l’ évolution des institutions de Preševo Preshevë», une large autonomie islamiques de la vallée de Preševo Preshevë dans leurs activités, le droit à des organes montre que les développements politiques au exécutifs propres et le maintien de liens Kosovo et en Serbie ont des incidences directes spécifiques avec la BIK. Cet accueil positif sur l’évolution des institutions islamiques et des revendications albanaises par le mu i du sur l’évolution de la vie religieuse musulmane Sandžak s’explique par sa position quelque en général. On constate que les représentants peu similaire vis à vis de Belgrade et les religieux albanais alignent leurs positions liens qu’il maintient avec la Communauté concernant leur avenir institutionnel sur les islamique de Bosnie et Herzégovine. Il choix des formations politiques dominantes. s’explique aussi par le besoin de bénéficier du soutien des Communautés islamiques Reste à savoir quel sera le destin de la BIPBM, de la vallée de Prešev o Preshevë dans son marginalisée par les derniers évènements. Si elle survit, il n’est pas improbable qu’elle soit
112 Interview consulté sur le site http://www. 114 Financement rendu possible par l’adoption en 2004 bujanocionline.tk le 10 mars 2006. d’une nouvelle loi sur les communautés religieuses 113 Voir note 96. en Serbie. 37 instrumentalisée par des formations politiques contrairement à ce qu’on pourrait croire au albanaises qui aspirent à redonner vie au premier abord quand on examine ce e zone projet autonomiste de 1992. Ceci dépendra stratégique de transit et de frontières entre toutefois en large partie de la résolution de la Etats. Un seul imam formé à l’Univ ersité de question du statut du Kosovo. Celui ci pèsera Médine et exerçant à Bujanov ac Bujanoc indéniablement dans l’avenir du statut de la serait lié à cette mouvance. Ses prêches vallée de Preševo Preshevë et de l’intégration seraient systématiquement surveillés par les de la population albanaise et de ses responsables des Communautés islamiques institutions religieuses dans l’ordre politico locales. En cas de déviation par rapport juridique serbe. L’évolution de ce processus au madhhab hanéfite, son contrat, qui se est aussi fonction des développements et de la prolonge tous les trois à six mois, ne serait stabilisation de la scène politique à Belgrade. pas renouvelé (procédure identique à celle Enfi n, la mouvance néo salafi ste semble très adoptée par la BIK). marginale dans la vallée de Preševo Preshevë,
38 Fin de l’hégémonie du S.D.A. et ancrage institutionnel du néo salafi sme
Xavier B 1
1. Les évolutions politiques «citoyens»5). La mobilisation nationaliste des et religieuses de la communauté Musulmans/Bosniaques a toutefois pr is des musulmane/bosniaque jusqu’aux formes particulières, et ce pour deux raisons accords de Dayton 1 principales: d’une part, leur identité nationale, reconnue officiellement à la fin des années La Bosnie Herzégovine n’a pas échappé à la 1960, s’est cristallisée autour de l’islam comme vague de mobilisations nationalistes qui a marqueur identitaire principal; d’autre part, marqué l’espace yougoslave à partir de la fi n la Bosnie Herzégovine avait trois nations des années 1980, comme l’atteste la victoire constitutives (Musulmans/Bosniaques, Serbes 6 des trois principaux partis nationalistes et Croates ), et a été de nouveau l’ objet, à aux élections de novembre 1990 (30,4% des partir de 1990, de convoitises territoriales des voix pour le SDA musulman/bosniaque,2 républiques voisines de Serbie et de Croatie. 25,2% pour le SDS serbe 3 et 15,5% pour le Ces convoitises, s’ajoutant aux désaccords HDZ croate, 4 contre 20,5% pour les partis entre partis nationalistes sur l’ avenir de la Bosnie Herzégovine, expliquent l’ éclate 1 X avier BOUGAREL est chercheur au Centre ment en avril 1992 d’un conflit au cours national de la recherche scientifi que (CNRS, UMR 8032 «Etudes turques et ottomanes», P aris). Ses desquelles les forces serbes et croates principales publications sont Bosnie, anatomie d’un recourent au «nettoy age ethnique» de confl it, Paris: La Découverte (1996); (co dirigé par manière systématique. Ce conflit a entraîné Nathalie Clayer) Le nouvel islam balkanique. Les le déplacement de plus de la moitié de la musulmans, acteurs du post communisme 1990 2000 , population, a fait plus de 100’000 morts (85% Paris: Maisonneuve & Larose (2001); (co dirigé par Elissa Helms et Ger Duijzings) The New Bosnian des victimes civiles étant des Musulmans/ Mosaic. Identities, Memories and Moral Claims in a Bosniaques), et s’est terminé en décembre Post War Country, Aldershot: Ashgate (2006). 1995 avec la signature des accords de Dayton. 2 E n septembre 1993, une Assemblée bosniaque Ceux ci entérinent le partage de la Bosnie (Bošnjački sabor) siégeant à Sarajev o a décidé Herzégovine en deux entités, la Fédération de remplacer le nom national «Musulm an» (Musliman) par celui de «Bosniaque» ( Bošnjak). Nous emploierons donc le terme «Musulman/ demokratska zajednica –HDZ) de Bosnie Herzégovine Bosniaque» pour les périodes de l’ avant guerre est très proche du parti homonyme créé en Croatie et de la guerre, et le terme «Bosniaque» pour la au début de l’année 1990 par Franjo T udjman, et période de l’après guerre. Par ailleurs, le terme qui remporte les élections organisées dans cette «Bosniaque», renvoyant aux seuls membres de république en avril. Le HDZ de Bosnie Herzégovine la nation musulmane/bosniaque, ne doit pas être se prononce en faveur de l’indépendance de ce e confondu avec le terme «Bosnien» ( Bosanac), qui république, mais prône à son tour sa partition couvre l’ensemble des habitants de la Bosnie territoriale à partir de l’été 1992. Herzégovine. 5 E n Bosnie Herzégovine, les partis dits «citoyens» 3 L e Parti démocratique serbe ( Srspska demokratska sont les partis politiques s’opposant à la partition stranka –SDS) de Bosnie Herzégovine est présidé territoriale de la Bosnie Herzégovine et souhaitant par Radovan Karadžić de 1990 à 1996. D’ abord remplacer les institutions bosniennes de ty pe lié au parti homonyme créé en Croatie au début consociatif par des institutions de type «citoyen» de l’année 1990, il se rapproche du P arti socialiste (un citoyen, une voix). Les principaux partis de Serbie (SPS, ex communiste) de Slobodan «citoyens» sont, dans les années 1990, le P arti Milošević après la victoire électorale de ce dernier social démocrate (Socij aldemokratska partij a –SDP, ex en décembre 1990. Il se prononce d’abord pour le communiste) et l’Union bosnienne social démocrate maintien de la Bosnie Herzégovine au sein de la (Unij a bosanskih socij aldemokrata –UBSD). fédération yougoslave puis, à partir de l’automne 6 E n 1991, la Bosnie Herzégovine comptait 4’364’574 1991, pour une partition territoriale de la Bosnie habitants, dont 43,7% de Musulmans/Bosniaques, Herzégovine sur une base ethnique. 31,4% de Serbes, 17,3% de Croates et 5,5% de 4 L a Communauté démocratique croate ( Hrvatska Yougoslaves. 39 de Bosnie Herzégovine (aussi appelée la population musulm ane/bosniaque, et «Fédération croato bosniaque», car divisée en particulièrement de ses élites urbaines et de dix cantons – cinq bosniaques, trois croates et sa population ouvrière, le fort attachement deux «mixtes») et la Republika Srpska (RS). à l’idée y ougoslave et le faible niv eau de pratique religieuse expliquent que ce parti 1.1. Le Parti de l’action démocratique n’ait d’abord rencontré qu’un écho limité. (SDA): de la marginalité à Mais, par la suite, le ralliement d’ anciens l’hégémonie dirigeants communistes locaux tels que Fikret Abdić dans la région de Bihać, 1.1.1. La mouvance islamiste au centre l’alliance objective des trois principaux partis de la recomposition des élites nationalistes musulman/bosniaque, serbe et politiques musulmanes/bosniaques croate contre le SDP et leur façon délibérée La principale particularité du P arti de d’attiser les tensions inte rcommunautaires l’action démocratique (Stranka demokratske expliquent leur victoire électorale. akcij e –SDA) est d’avoir été créé en mai 1990 Parvenus au pouvoir suite aux élections de par les membres d’une mouv ance islamiste novembre 1990, les partis nationalistes se restée jusque là marginale. En effet, de répartissent l’ensemble des postes de pouvoir nombreux membres fondateurs du SDA – à sur une base strictement communautai re, 7 commencer par Alija Izetbegović lui même ce qui conduit à d’innombrables luttes de – sont d’anciens membres de l’organisation pouvoir et à un délitement rapide de l’appareil pan islamiste «Jeunes Musulmans» ( «Mladi d’Etat. Mais, alors que le SDS et le HDZ en Muslimani») créée à la fin des années 1930 profi tent pour poser les bases de leurs futures et dissoute en 1947. Redev enue active à «républiques» auto proclamées, le SDA se partir des années 1960 au sein même de la trouve confronté à une double contradiction. Communauté islamique (Islamska zajednica) D’une part, son propre projet national passe en Bosnie Herzégovine, cette première par la reconnaissance int ernationale d’une génération d’islamistes parvient alors à Bosnie Herzégovine indépendante, et il doit recruter de nouv eaux partisans parmi les donc, formellement au moins, en re specter élèves de la madrassa de Sarajev o. En 1990, les institutions légales. D’autre part, dans ses la capacité de cette mouv ance islamiste stratégies de conquête du pouv oir, le SDA minoritaire à prendre la tête de la mobilisation doit s’appuyer sur des élites administratives nationaliste de la communauté musulmane/ et managériales issues de la Ligue des bosniaque s’explique en premier lieu par les communistes. Les fondateurs du SDA sont réticences de ses élites politiques à rompre alors conduits à me re en place des réseaux de avec l’idée yougoslave, et par l’absence de pouvoir parallèles, grâce auxquels ils gardent toute institution nationale musulmane/ la maîtrise des recompositions idéologique s bosniaque de nature séculière, l’ Islamska et clientélistes des élites musul manes/ zajednica jouant dès lors le rôle d’institution bosniaques. nationale de substitution. A l ’origine, le SDA se fixe pour but de 1.1.2. La mainmise du SDA sur les secteurs rassembler tous les musulmans (au sens clés de l’appareil d’Etat religieux) de Yougoslavie, mais la création de partis albanais, turcs et tsiganes v oue Ainsi, l’éclatement de la guerre en avril cette stratégie à l’ échec. Au sein même de 1992, puis des affrontements croato bosni aques un an plus tard, conduit le SDA à se rapprocher du SDP et des autres part is 7 A lija Izetbegović (1925 2003) a été membr e du «citoyens», dont les membres rentrent dans mouvement «Mladi Muslimani», et a été condamné la Présidence collégiale en mai 1992, et dans à ce titre en 1946. Il est de nouveau condamné avec douze autres co accusés en 1983, pour avoir écrit et le gouvernement central en septembre 1993. diff usé une «Déclaration islamique» d’inspirati on Mais, dans les faits, le pouv oir est confi squé pan islamiste, et organisé la visite clandestine d’une par Alij a Izetbegović et son entourage proche. délégation de musulmans yougoslaves en Iran. Il Les fondateurs du SDA m onopolisent en devient en 1990 président du SDA puis président particulier les ambassades situées dans le de la Présidence collégiale de la République de Bosnie Herzégovine, fonction qu’il exercera sans monde musulman ou dans les pays comptant interruption jusqu’en 1996. une forte diaspora bosniaque. Par ce biais, 40 ils contrôlent les circuits de financement pratique religieuse d’autant plus ostentatoire de l’effort de guerre, la figure centrale dans que récente constituent des gages d’ascension leur mise en place restant Hasan Čengić. 8 rapide au sein du parti et de l’appareil d’Etat. La distribution des armes selon des critères La période de la guerre est donc marquée tout d’allégeance idéologique explique ensuite la à la fois par le renforcement de l’hégémonie capacité du SDA à écarter les offi ciers opposés politique du SDA dans les territoires sous à sa politique, et à s’assurer le contrôle de la contrôle bosniaque, et par le renforcement hiérarchie militaire. de la position centrale de la mouv ance Un processus similaire se retrouve dans islamiste au sein de ce parti, comme l’a este d’autres secteurs stratégiques tels que les la marginalisation du Premier ministre Haris services secrets puis, avec le rétablissement Silajdžić, de plus en plus hostile aux pratiques progressif de l’autorité du gouv ernement informelles et aux choix stratégiques du central au sein des territoires sous contrôle noyau dirigeant du SDA. bosniaque, s’étend aux différents secteurs de l’administration et de l’ économie. Ce 1.2. Le projet national du SDA: processus s’accélère encore après la création entre intégrité territoriale bosnienne de la Fédération croato bosniaque en mars et souveraineté politique bosniaque 1994: le SDA met alors fi n à sa coalition avec 1.2.1. Le SDA face à l’accélération de la crise les partis «citoyens» et revient à une alliance yougoslave entre partis nationalistes dans laquelle l e SDA et le HDZ exercent en fait un pouv oir Lors de sa création, le SDA se prononce sans partage dans leurs territoires respectifs. pour le maintien de la Y ougoslavie, car Dans le même temps, le SDA connaît un cela lui permet de concilier les ambitions renouvellement rapide de ses cadres, certains pan islamiques de ses fondateurs av ec les rompant avec ce parti suite à des désaccords sentiments pro yougoslaves de son électorat stratégiques (gestion des relations croato potentiel. Dès cette époque, toutefois, le bosniaques, adoption ou rejet des diff érents SDA approuve le projet croato slovène de 10 plans de paix, etc.) ou à de simples riv alités «confédéralisation» de la Yougoslavie. Par personnelles, et étant alors remplacés par des ailleurs, il connaît une première crise interne universitaires, des directeurs d’entreprise en septembre 1990, lorsque les partisans de 11 ou des officiers supérieurs v oyant dans le l’adoption du nom national «Bosniaque» et ralliement au SDA le moyen d’assurer leur d’une défi nition laïque de l’identité nationale reconversion politique. musulmane/bosniaque sont exclus du parti, et créent alor s l’Organisation musulmane Si les anciennes élites communistes jouen t bosniaque (Muslimanska bošnjačka organizacij a donc un rôle actif dans l’émergence d’un –MBO). nouvel Etat parti, la mouvance islamiste en reste la principale bénéficiaire. D’une part, Au cours de l’ année 1991, l’ accélération ses représentants continuent de contrôler les dramatique de la crise yougoslave contraint organes dirigeants du parti ainsi que certains les dirigeants du SDA à se concentrer sur la secteurs stratégiques (diplomatie, services formulation de leur propre projet national. Le secrets, encadrement politique de l’armée, etc.). premier dilemme stratégique qu’ils doivent D’autre part, une appartenance à la mouvance alors résoudre est leur positionnement vis à islamiste ou à la confrérie soufi e naqshbendie,9 vis de la fédération yougoslave. Au printemps un lien familial réel ou supposé avec un 1991, Alija Izetbegović et Kiro Gligorov , ancien «Jeune Musulman» ou, à défaut, une président de la république de Macédoine, se prononcent pour une «fédération
8 H asan Čengić est un ancien élèv e de la madrassa 10 En 1989/1990, la Slovénie et la Croatie proposent une de Sarajevo, et un des co accusés du procès de 1983 «confédéralisation» de la Yougoslavie impliquant (voir note 6). en particulier une disparition de l’armée fédérale, 9 L a confrérie naqshbendie est une confrérie soufie et facilitant ainsi leur marche vers l’indépendance, apparue en Asie centrale au XIV e siècle, et ayant alors que la Serbie et le Monténégro insistent sur connu un dév eloppement important dans les un projet «fédéral» cherchant en fait à renforcer Balkans au XIXe siècle. Elle est relativement proche les pouvoirs de la fédération au détriments de ses de l’orthodoxie sunnite et constitue la confrérie la républiques constitutives. mieux implantée en Bosnie Herzégovine. 11 Voir note 1. 41 asymétrique», se plaçant ainsi à mi chemin n’est pas synonyme de création d’un Etat entre les projets croato slovène et serbo islamique dont les institutions et les lois monténégrin. Mais, pour les dirigeants du seraient basées sur la charia. Conscients que SDA, il s’agit surtout par ce biais de gagner du les musulmans de Bosnie Herzégovine et des temps sur le plan intérieur et des points sur le Balkans constituent une minorité religieuse plan diplomatique, dans la perspective d’un en Europe, que la plupart d’ entre eux sont affrontement perçu comme inéluctable. La très attachés à leur identité européenne et preuve en est que, lorsque le SDS et la MBO largement sécularisés, et que toute tentativ e élaborent en août 1991 un «accord historique d’établir un Etat islamique se heurteraient à serbo musulman» prévoyant le maintien de des obstacles insurmontables, les dirigeants la Bosnie Herzégovine dans une Yougoslavie du SDA n’envisagent pas sérieusement une réduite en échange de la préservation de son telle éventualité. A l’opposé, ils continuent intégrité territoriale, celui ci est rejeté par les d’évoquer la présence de minorités instances dirigeantes du SDA. Dès lors, ce serbe et croate au sein d’un Etat national parti s’engage sur la voie de l’indépendance musulman/bosniaque, et ne prévoient donc (proclamation de souveraineté au Parlement pas de politique de «nettoyage ethnique» en octobre 1991, organisation d’un référendum systématique, pour des raisons à la fois d’autodétermination en mars 1992), option stratégiques (recherche du soutien de la qui lui vaut le soutien tactique du HDZ, mais communauté internationale, refus de fournir le conduit à une confrontation directe av ec aux forces serbes et croates les effectifs qui le SDS. Enfin, le SDA demande l’attribution leur font défaut, etc.) et morales (obli gation d’une autonomie territoriale à la région du coranique de protéger les minorités non Sandžak située à la frontière entre la Serbie et musulmanes, etc.). le Monténégro (voir partie 4.2.1.). Dans ce contexte, le grave confl it qui oppose au sein du SDA Alija Izetbegović et Fikret 1.2.2. Le confl it bosnien et la tentation de Abdić ne renvoie pas à une div ergence de créer un Etat national musulman/ fond sur l’idée de partition territoriale, mais bosniaque porte sur les finalités d’une telle partition: L’éclatement de la guerre en avril 1992, le Izetbegović et son entourage, soucieux «nettoyage ethnique» mené par les forces de créer un Etat viable et autosuffisant, serbes puis par les forces croates, la négocia entendent obtenir un accès aux eaux tion enfin de plans de paix prév oyant la internationales (Brčko, Neum); Abdić, au création de plusieurs cantons et/ou entités contraire, mise sur l’allégeance de l’entité ethniques confrontent le SDA à une perspective musulmane/bosniaque à la Croatie et/ou à beaucoup plus immédiate et dramatique pour la Serbie voisines, et accorde dès lors moins l’avenir de la nation musulmane/bosniaque, d’importance aux questions territoriales. Le à savoir celle d’un partage de la Bosnie conflit entre Izetbegović et Abdić ne porte Herzégovine. Dans un premier temps, SDA donc pas sur le principe d’intégrité territoriale et partis «citoyens» reje ent pareillement les de la Bosnie Herzégovine, auquel tous deux plans Cutilheiro (avril 1992) et Vance Owen semblent prêts à renoncer , mais sur celui (janvier 1993) au nom de l’intégrité territoriale de souveraineté de la nation musulmane/ de la Bosnie Herzégovine. Dans les faits, bosniaque. La preuve en est que l’Assemblée toutefois, le SDA garde le HDZ comme bosniaque (Bošnjački sabor) qui se tient en partenaire gouvernemental et développe sa septembre 1993 à Sarajevo vote le même propre hégémonie dans les territoires sous jour le rejet du plan Ow en Stoltenberg et contrôle bosniaque. Cette configuration l’adoption du nom national «Bosniaqu e». s’inverse à partir du printemps 1993 puisque, Par contre, dans leur projet de créer un Etat alors même que les partis «citoy ens» national musulman/bosniaque, les fondateurs rentrent au gouvernement, les dirigeants du SDA se heurtent non seulement aux partis du SDA apparaissent de plus en plus tentés «citoyens», mais aussi à certains intellectuels de renoncer à la défense de la Bosnie nationalistes (Rusmir Mahmutćehajić, etc.) Herzégovine pour se consacrer à la création et officiers de l’armée (Sefer Halilović, etc.), d’un Etat national musulman/bosniaque. ainsi qu’aux représentants des populations originaires de régions censées rester sous Il faut cependant souligner que cette idée 42 contrôle serbe ou croate. De même, après la création d’un Etat national musulman/ création de la Fédération croato bosniaque en bosniaque, ce qui ne manque pas de décevoir mars 1994, le Premier ministre Haris Silajdžić certains fondateurs de ce parti. Mais s’oppose à leur politique de contournement elle permet aussi aux dirigeants du SDA des institutions légales par une coalition d’échapper à leurs propres contradictions, en SDA HDZ renouvelée. C’est aussi à cause con ciliant constitution de fait de territoires de ces fortes oppositions au sein même de sous contrôle bosniaque et perspective d’une la communauté musulmane/bosniaque que réintégration institutionnelle de la Bosnie les fondateurs du SDA doivent constamment Herzégovine, restauration de pratiques reformuler leur projet national et l’adapter aux communautaristes avec le HDZ et apaisement circonstances, Alija Izetbegović remplissant des désaccords stratégiques av ec les partis dans ce contexte une double fonction de «citoyens» et, last but not least , soutien leader charismatique et d’arbitre. diplomatique des Etats Unis au niv eau offi ciel et captation des ressources matérielles 1.2.3. Intégrité territoriale bosnienne et/ou du monde musulman au niveau informel, souveraineté bosniaque: les comme l’a este en particulier la manière dont reformulations d’un dilemme l’Iran fournit en armes l’ armée bosnienne historique avec l’assentiment tacite de l’administration américaine. La signature des accords de Les dilemmes auxquels sont confrontés les Dayton en décembre 1995 ne constitue, de fondateurs du SDA pendant la guerre ren ce point de vue, que l’ aboutissement d’un voient à une contradiction majeure à laquelle processus amorcé vingt mois plus tôt, et font face les élites musulmanes/bosniaques ouvre la voie à de nouv eaux dilemmes et à depuis la fin de la période ottomane, et qui de nouveaux ajustements stratégiques (v oir oppose préservation de l’intégrité territoriale partie 2.2.). de la Bosnie Herzégovine et affirmation de la souv eraineté politique propre de la communauté musulmane/bosniaque. En se 1.3. Les évolutions de l’islam bosnien: faisant les promoteurs de l’indépendance de renforcement de l’Islamska zajednica la Bosnie Herzégovine et de l’accession des et implantation des réseaux néo Musulmans/Bosniaques au statut de nation à salafi stes part entière, les fondateurs du SDA rompent 1.3.1. Les principales mouvances religieuses avec la prudence de leurs prédécesseurs. à la sortie de la période communiste Certes, dans leurs projets initiaux, indé Dès 1989/1990, une v ague de contestation pendance de la Bosnie Herzégovine et interne à l’ Islamska zajednica conduit à la souveraineté de la nation musulmane/ démission de ses principaux responsables, bosniaque vont de pair , voire s’inscrivent liés au régime communiste, et permet aux dans une perspectiv e plus large d’union membres de la mouv ance islamiste de politique et territoriale des musulmans des s’emparer de son organe hebdomadaire Balkans occidentaux. Mais, dans la réalité, officiel, «Preporod» («Renaissance»). Mais, l’évolution des rapports de forces militaires lors des élections organ isées à la suite de et des négociations de paix les contraint cette crise, les candidats soutenus par cette constamment à louvoyer ou à effectuer des même mouvance sont ba us, Mustafa Cerić choix douloureux entre ces deux termes. Dans échouant ainsi à se faire élire Reis ul Ulema ce dernier cas, c’est constamment le deuxième de Yougoslavie contre Jakub Selimoski, terme qu’ils privilégient, ce qui constitue une originaire de Macédoine. En Bosnie diff érence essentielle avec les partis «citoyens» Herzégovine même, Salih Čolaković, proche et les nationalistes laïcs, et suggère que leur des idées néo salafistes, est élu à la tête des fi l iation idéologique n’est pas sans infl uencer institutions religieuses islamiques de Bosnie certains choix stratégiques. Herzégovine, et reprend dès 1991 le contrôle De ce point de vue, les accords de Washington du journal «Preporod». Cet échec des membres donnant naissance à la Fédération en mars de la mouvance islamiste à s’ emparer des 1994 constituent pour le SDA une véritable institutions religieuses doit toutefois être planche de salut. Certes, la création de la relativisé. D’une part, elle ne les empêche pas Fédération implique le renoncement à la d’obtenir le soutien de nombreux oulémas 43 (cadres religieux) et d’instrumentaliser statutaires (familles de martyrs, orphelins de rassemblements et symboles religieux pendant guerre, etc.) par le biais des fondations liées la campagne électorale. D’autre part, l’arrivée au SDA ou des ONGs islamiques. au pouvoir du SDA, la dislocation de l’Islamska zajednica de Yougoslavie et l’éclatement de 1.3.2. Les infl uences religieuses du monde la guerre modifient les rapports de force musulman avant et pendant la guerre au sein des institutions religieuses. En avril 1993, Selimoski et Čolaković sont destitués de C’est dans ce contexte qu’il convient de resi leur poste, et Cerić devient Reis ul Ulema de tuer l’influence de divers acteurs exté rieurs Bosnie Herzégovine.12 Les religieux hostiles sur les évolutions de l’islam bosnien. Sur le à ce changement, qu’ils soient liés à l’ ancien plan diplomatique, en effet, les dirigeants régime communiste ou proches des idées néo bosniaques ne cessent de miser sur le soutien salafi stes, se retrouvent alors sur la défensive. des grandes puissances occidentales, et des Etats Unis en premier lieu. Le monde Si l’Islamska zajednica de Bosnie Herzégovine musulman ne constitue dans ce contexte est durement affectée par les politiques qu’un levier destiné à sortir ces grandes de «nettoy age ethnique» (assassinats puissances de leur immobilisme, ainsi qu’une d’imams, destruction systématique des importante source de fi nancement de l’eff ort mosquées, etc.) et se trouv e de nouv eau de guerre. Sur un plan plus strictement soumise au parti au pouv oir, elle voit par idéologique, par contre, les fondateurs du contre son poids institutionnel se renforcer SDA entretiennent depuis les années 1980 considérablement dans les territoires sous des relations privilégiées avec la République contrôle bosniaque. D’une part, ses propres islamique d’Iran, les Frères musulmans institutions connaissent un renouv eau soudanais et les islamistes turcs. Les unités évident, comme l’ attestent l’ouverture religieuses de l’armée bosnienne sont ainsi de cinq nouv elles madrassas et de deux encadrées par les gardiens de la révolution académies pédagogiques islamiques à Zenica iraniens, et Fatih el Hassanein, un Soudanais et à Bihać, ainsi que la création de postes proche du régime de Khartoum, joue un rôle de muftis régionaux. D’autre part, certains essentiel dans la mise en place des circuits de oulémas sont amenés à exercer d’importantes financement parallèles du SDA (voir partie responsabilités au sein du gouvernement 1.1.). Mais si l’Iran et le Soudan contribuent – le Premier ministre Haris Silajdžić étant ainsi à la consolidation du nouvel Etat parti, ainsi un ancien élèv e de la madrassa de ils ne cherchent pas à infl uencer directement Sarajevo –, de la diplomatie, de l’ armée les évolutions de l’islam bosnien. et des services secrets. Ce renforcemen t institutionnel se reflète enfin dans les Pour comprendre les influences du monde politiques de réislamisation autoritaire que musulman sur les évolutions de l’islam me ent en place le SDA et l’Islamska zajednica, bosnien, il faut donc s’intéresser de plus à travers notamment la réintroduction de près aux confi gurations internes à l’Islamska l’instruction religieuse à l’école, la présence zajednica. Dans les années 1980, l’influence d’imams et la création d’unités religieuses au d’intellectuels musulmans modernistes vivant sein de l’armée, ou encore la distribution de en Occident se fait sentir chez certains jeunes l’aide humanitaire et de certaines allocations oulémas bosniaques (Mustafa Cerić, Enes Karić, etc.), alors que les idées néo salafi stes sont introduites par d’autres jeunes oulémas 12 L’autorité de la nouv elle Islamska zajednica de Bosnie Herzégovine s’étend théoriquement au liés au monde arabe (Salih Čolaković, Halil Sandžak, à la Croatie, à la Slovénie et à la diaspora Mehtić, etc.). A partir de 1990, les premiers se musulmane/bosniaque. Dans la pratique, toutefois, politisent et se rapprochent de la mouvance l’Islamska zajednica du Monténégro cherche aussi à islamiste: Cerić est un des membres exercer son autorité sur le Sandžak monténégrin (voir partie 4.3.1.), les muftis de Novi P azar, fondateurs du SDA et accède au poste de Reis Zagreb et Ljubljana agissent de manière largement ul Ulema grâce au soutien de ce parti, et Karić autonome, et certains jama’ats (communautés locales devient en 1994 ministre de l’éducation et de de croyants) de la diaspora refusent de reconnaître la culture, avant de soutenir Har is Silajdžić l’autorité de l’Islamska zajednica. Un Département et de rompre avec le SDA en 1996. Les néo pour la diaspora (Ured za dij asporu) est donc créé en 1996, afi n de superviser les activités des jama’ats de salafistes, quant à eux, se replient sur leurs la diaspora. positions au sein des institutions religieuses 44 islamiques, plusieurs mu is étant ainsi liés de 2. Les évolutions politiques de la près ou de loin à la mouvance néo salafi ste. communauté bosniaque après Dans le même temps, les néo salafistes Dayton bosniaques s’allient aux ONGs islamiques et aux réseaux djihadistes arriv és en Dans la décennie qui suit la signature des Bosnie Herzégovine à partir de 1992, avec accords de Dayton, la Bosnie Herzégovine con l’approbation initiale des dirigeants du SDA naît d’importantes évolutions politiques. D’une et de l’Islamska zajednica. Le mu i de Zenica, part, les institutions communes se renforcent Halil Mehtić, devient ainsi leur principal progressivement (unifi cation des douanes et protecteur en Bosnie centrale et s’appuie sur des forces de sécurité , création d’instances leurs ressources matérielles pour étendre sa judiciaires centrales et élargissement des propre infl uence. Ce type d’alliance avec des compétences du gouvernement central, responsables religieux locaux permet aux réforme constitutionnelle de 2002 étendant le acteurs néo salafistes originaires du monde caractère constitutif des nations bosniaque, musulman de me re en place leurs politiques serbe et croate à l’ensemble du territoire de de réislamisation – basée sur l’exemplarité de la Bosnie Herzégovine, etc.), même si les leur djihad, la distribution conditionnelle de entités et les cantons conserv ent une partie l’aide humanitaire et l’organisation de cours importante de leurs compétences et de leurs de religion – et de promouvoir leur propre ressources fiscales, et que les pratiques conception de l’islam. Mais ce e volonté de informelles apparues au début des anné es peser sur les év olutions de l’islam bosnien 1990 imprègnent encore le foncti onnement ne tarde pas à susciter de graves tensions. des institutions. D’autre part, le paysage Ainsi, suite à des conflits sur la licéité de politique bosnien se morcelle et se diversifi e, certaines pratiques soufi es, les moudjahiddins les trois princi paux partis national istes étrangers sont retirés des unités religieuses perdant leur position hégémonique au sein de l’armée bosnienne et regroupés au sein de de leurs communautés respectiv es. La vie l’unité «el Mudžahid». De même, la manière politique reste cependant dominée par les dont les réseaux djihadistes et certaines clivages communautaires et les surenchères ONGs contestent le monopole des institutions nationalistes. religieuses et la v alidité du madhhab (école Ces év olutions du paysage politique juridique) hanéfite (promotion de rituels bosnien ne peuvent s’expliquer sans pren propres au madhhab hanbalite, ouverture de dre en compte la volonté de la communauté centres islamiques autonomes, etc.) ou, plus internationale d’en influencer les configura largement, s’en prennent à certaines habitudes tions internes. La preuve en est que chaque sociales (mise à sac de cafés v endant de Haut Représentant est associé à une stratégie l’alcool, agression de couples s’embrassant particulière dans ce domaine: le mandat en public, etc.) suscitent de vives réactions au de Carl Bildt (1996 1997) est ainsi marqué sein de l’Islamska zajednica et de la population. par un relatif laisser faire, celui de Carlos Ces tensions s’accroissent encore suite à la Westendorp (1997 1999) par le recours signature des accords de Washington et de massif aux «pouvoirs de Bonn» (imposition Dayton, les réseaux djihadistes percevant ces de mesures légis latives, destitution d’élus, accords comme un renoncement définitif à etc.), celui de Wolfgang Petritsch (1999 2002) l’objectif de créer un Etat islamique en Bosnie par l’idée d’ «ownership» et l’expérience de Herzégovine, et donc comme une trahison de l’Alliance pour le changement, et celui de la part des dirigeants du SDA. Le fait que les Paddy Ashdown (2002 2006) par l’utilisation accords de Dayton prévoient le départ de tous des processus d’intégration euro atlantiques les comba ants étrangers ne fait qu’accroître comme nouveau moyen de pression sur l es leur frustration, même si, dans les mois partis nationalistes revenus au pouvoir. Mais suivant l’arrêt du confl it, plusieurs centaines elles refl ètent aussi le fait que les eff ets sociaux de moudjahiddins se v oient attribuer la de la guerre tendent certes à s’ assouplir citoyenneté bosnienne. (restauration de la liberté de circulation, restitution des biens immobiliers, etc.), mais aussi à s’inscrire dans la durée. Le nombre de «retours minoritaires», en particulier, baisse
45 rapidement à partir de 2003, leur nombre total celui du SDS et du HDZ, peut être rattaché entre 1996 et 2006 représentant moins d’un à deux tendances lourde s: la hausse rapide quart des personnes déplacées pendant la du taux d’ abstention d’une part, dans guerre. un contexte de reflux des mobilisations nationalistes et de rejet croissant des élites 2.1. L’eff o ndrement électoral du SDA et politiques locales; le morcellement du la désidéologisation du vote paysage politique d’autre part, illustré par bosniaque la multiplication des scissions internes aux trois principaux partis nationalistes. Dans 2.1.1. L’eff o ndrement électoral du SDA et le le cas bosniaque, l’ effondrement du SDA morcellement du paysage politique bénéficie dans un premier temps au SDP et Au sortir de la guerre, le SDA connaît au SBiH, qui recueillent respectivement 26,1% une nouvelle crise interne, Haris Silajdžić et 14,9% des voix en 2000. Cependa nt, suite démissionnant de son poste de Premier à l’échec de l’Alliance pour le changement ministre et créant le P arti pour la Bosnie constituée autour du SDP et du SBiH, le Herzégovine (Stranka za Bosnu i Hercegovinu SDP connaît une stagnation durable (15,6% –SBiH). Lors des élections de septembre 1996, en 2002; 15,2% en 2006 ) alors que le SBi H toutefois, le renforcement du SDA au cours poursuit son ascension (15,3% en 2002; 22,2% de la guerre est attesté par sa domination en 2006). Ce mouvement est encore plus net écrasante au sein de l’électorat bosniaque: il pour l’élection du membre bosniaque de la recueille en eff et 54,3% des voix en Fédération, Présidence collégiale: Alij a Izetbegović est élu contre 7,4% pour le SBiH, 7,9% pour le SDP triomphalement en 1996 (80,0% des v oix) et et 25,3% pour le HDZ croate. 13 En 1998, il en 1998 (86,8%), mais S ulejman Tihić (SDA) masque son déclin grâce une coalition av ec peine à ba re Haris Silajdžić (SBiH) en 2002 le SBiH et plusieurs petits partis (49,2% en (37,3% contre 34,8%), et ce dernier prend Fédération, contre 16,8% pour le SDP et 19,9% une éclatante revanche quatre ans plus tard pour le HDZ), mais connaît par la suite un (62,8% contre 27,5%). Enfin, il faut noter véritable eff ondrement, tant en pourcentage la persistance ou la montée en puissance (26,8% en 2000; 32,7% en 2002 et 25,5% en de petits partis tels que le P arti patriotique 2006) qu’en nombre de v oix, ne recueillant bosnien (Bosanska patriotska stranka –BPS), que 218’400 voix en Fédération en 2006 contre parti d’orientation ultra nationaliste (4,1% des 725’800 dix ans plus tôt. Le SDA se retrouve voix en 2006, concentrées en Bosnie centrale), même dans l’opposition entre 2000 et 2002, le Parti bosnien (Bosanska stranka –BOSS), parti la Fédération étant alors gouv ernée par issu du SDP et d’orientation populiste (3,2% l’Alliance pour le changement ( Alijansa za des voix en 2006, concentrées dans les cantons promjene), avant de revenir au pouvoir grâce de Sarajevo et de Tuzla), ou la Communauté à une coalition avec le SBiH et le HDZ. Enfi n, populaire démocratique (Demokratska narodna le SDA s’effondre également en Republika zajednica –DNZ) rassemblant les partisans de Srpska, passant de 16,3% des voix (177’400) en Fikret Abdić (16,8% des voix dans le canton 1996 à 3,4% (19’100) en 2006.14 Dans ce dernier de Bihać en 2006).16 cas, cependant, ces scores électoraux refl ètent aussi le fait que de plus en plus de réfugiés 2.1.2. L’a é nuation des clivages bosniaques cessent de v oter en RS pour , idéologiques et l’émergence du SBiH 15 éventuellement, se réinscrire en Fédération. comme «parti pivot» L’eff o ndrement électoral du SDA, parallèle à Au sortir de la guerre, les clivages idéolo giques traversant la communauté bosniaque 13 Pourcentages calculés sur la base des résultats des élections à la Chambre des membres du Parlement de la Fédération de Bosnie Herzégovine. 16 Ces petits partis, dont l’ existence est fav orisée 14 Pourcentages calculés sur la base des résultats des par les règles d’un système électoral complexe élections à l’Assemblée nationale de la Republika et par l’accumulation des frustrations au sein de Srpska. la population, manient volontiers surenchère 15 De même, bon nombre de Bosniaques installés à nationaliste et démagogie tous azimuts en l’étranger cessent de participer aux élections, et la période d’élection, avant de négocier sur une base plupart des sections du SDA constituées à l’étranger clientéliste leur soutien aux coalitions formées par pendant la guerre périclitent par la suite. les grands partis. 46 – et, sous des formes sensiblement diff érentes, par le retrait d’Alija Izetbegović de la vie les communautés serbe et croate – restent politique en 2001, puis par son décès deux ans largement les mêmes qu’en 1990, à sav oir plus tard, et que Sulejman Tihić ait échoué à un clivage entre forces nationalistes et s’imposer comme leader incontesté, y compris «citoyennes» d’une part, anti communistes au sein de son propre parti. et néo communistes d’ autre part. Ces Au delà, les évolutions du paysage politique deux clivages se recoupent en partie et ren bosnien traduisent aussi des recompositions voient eux mêmes à des oppositions de socio économiques plus profondes. Ainsi, le type sociologique (populations rurales vs. SDP voit s’étioler sa base électorale tradition populations urbaines, croy ants vs. non nelle (classe ouvrière et élites urbaines croyants, etc.) ou géographique (régions salariées) et s’avère largement incapable montagneuses vs. plaines et bassins indu de s’implanter dans les jeunes générations. striels, régions marquées par les massacres De même, la montée en puissance du SBiH de la Seconde Guerre mondiale vs. régions s’explique aussi par le fait que nombre de ayant connu une implantation précoce du hauts fonctionnaires, directeurs d’entreprises mouvement des Partisans, etc.). Entre 1996 et nouveaux hommes d’affaires ont compris et 2006, ces clivages idéologiques tendent l’intérêt qu’ils avaient à se rallier à un «parti à se complexifier , comme l’ attestent la pivot» participant à toutes les coalitions volatilité croissante de l’électorat d’une part, gouvernementales. Enfin, du fait des fru la formation de coalitions gouvernementales strations accumulées et du rôle décisif des sur des bases de plus en plus pragmatiques organisations internationales dans certains d’autre part. La constitution en 2000 de arbitrages budgétaires, les puissants groupes l’Alliance pour le changement, associant les d’intérêts soutenus par le SDA à la sortie de ex communistes du SDP, des partis nés de la guerre (réfugiés, anciens comba ants, etc.) scissions internes du SDA et du HDZ et de prennent leurs distances av ec ce parti et se petits partis ultra nationalistes tels que le BPS recentrent sur la défense de leurs intérêts est une bonne illustration de ce processus. La statutaires. La désidéologisation relative du tentative avortée de Sulejman Tihić, au cours vote bosniaque reflète donc aussi certaines de l’année 2006, de promouvoir une coalition transformations en profondeur de la société SDA SDP favorable à une réforme progressive bosnienne d’après guerre, et se retrouve au des institutions (voir partie 2.2.), aurait pu en demeurant dans les évolutions des votes serbe constituer l’aboutissement, mais s’est heurtée et croate. à des résistances persistantes parmi les cadres et les militants du SDA (voir partie 2.3.). 2.2. Le démantèlement progressif de Dès lors, les partis les plus à même de tirer l’Etat parti et le tournant profi t de la complexité du système politi que pragmatique du SDA bosnien et de canaliser les frustrations de leurs communautés respectiv es sont ceux 2.2.1. Les principales étapes du tournant capables d’allier surenchère nationaliste et pragmatique du SDA acceptabilité internationale, contestation Si les cliv ages de la période communiste tribunitienne et allocation clientéliste des s’estompent peu à peu, le paysage politique ressources, et d’occuper ainsi une position bosnien reste largement structuré autour «pivot» dans le paysage politique. Dans des enjeux de la guerre, les principaux le cas de la communauté bosniaque, cette partis politiques continua nt de s’affronter position «pivot» est occupée par le SBiH qui, sur l’avenir institutionnel de la Bosnie bien qu’ayant participé à toutes les coalitions Herzégovine. Dès 1996, le SDA redéploie gouvernementales formées en Fédération donc dans le nouv eau contexte de l’après avec le SDA (1996 2000; 2002 2006) ou guerre les ambiv alences stratégiques qui avec le SDP (2000 2002), a su échapper aux le caractérisent depuis sa création. Ainsi, il «votes sanctions» dont le SDA et le SDP ont dénonce l’illégitimité radicale de la RS, mais fait les frais. P arallèlement, Haris Silajdžić reconduit en Fédération une coalition SDA semble s’être imposé comme nouveau leader HDZ SBiH et contribue à la partition de fait charismatique de la communauté bosniaque, de la société bosnienne, à travers notamment après que cette place ait été laissée v acante la légalisation des o ccupations de biens
47 immobiliers et l’installation à Sarajev o de eux mêmes – de participer aux processus réfugiés de Bosnie orientale. De même, son d’intégration euro atlantique. Ce e évolution insistance sur la transformation de Brčko traduit tout à la fois une relative permanence en district neutre ou sur la réunification de dans certaines options de politique étrangère Mostar peut être perçue soit comme autant (voir partie 1.3.2.) et une prise en compte d’étapes vers une réintégration institutionnelle progressive des réalités de l’ après guerre, progressive de la Bosnie Herzégovine, soit rendue inévitable avec l’ essoufflement du comme des moyens détournés de poursuivre processus de retour. Elle reflète aussi l es les objectifs territoriaux prioritaires défi nis à aléas de ses rapports av ec la communauté l’automne 1993 (voir partie 1.2.2.). internationale, le SDA ayant été repoussé Au cours des années suiv antes, et alors que aux marges du jeu politique par W olfgang les pressions internationales sur les trois Petritsch entre 2000 et 2002, puis réhabilité principaux partis nationalistes s’accroissent, par Paddy Ashdown comme interlocuteur à le SDA est conduit à assouplir ses positions. part entière. D’une part, son soutien à la coalition «Sloga» formée en 1998 autour de Milorad Dodik 2.2.2. La surenchère nationaliste et la et de l’Alliance des sociaux démocrate s victoire électorale de Haris Silajdžić en indépendants (Savez nezavisnih socij aldemokrata 2006 –SNSD) et son implication dans le processus L’évolution du SDA vers des positions plus de retour amorcé en 1999 l’amènent à pragmatiques et son soutien aux processus reconnaître, implicitement et provisoirement d’intégration euro atlantique ne diffèrent du moins, l’existence de la RS. D’autre part, pas radicalement de celle des autres partis le renforcement de la Fédération le force à politiques de Bosnie Herzégovine, HDZ relâcher son emprise sur les appareils de et SDS y compris. Né anmoins, en ce qui sécurité et sur certains services fiscaux, le concerne les partis implantés essentiellement SDA se contentant dès lors de maintenir au sein de l’ électorat bosniaque, certaines une stricte séparation communautaire dans différences contribuent à expliquer les certains secteurs clés pour l’ affirmation de recompositions électorales observées entre l’identité nationale bosniaque (à commencer 1996 et 2006. Ainsi, les pratiques politique s par l’éducation), ainsi que sa propre hégémo du SBiH sont proches de celles du SDA, mais nie dans les cantons bosniaques. Le tournant son discours reste bea ucoup plus dur , le pragmatique amorcé alors par le SDA SBiH continuant à demander l’abolition des constitue donc av ant tout une réponse au entités et ayant même construit sa campagne démantèlement progressif de l’Etat parti de 2006 autour de cette exigence. Cette instauré pendant la période de guerre. diff érence peut être ra achée aux divergences Ce tournant stratégique du SDA s’accentue stratégiques ayant opposé Haris Silajdžić aux au cours de la période 2000 2006, sur fond de dirigeants du SDA à la fi n de la guerre (voir «cure d’opposition» entre 2000 et 2002 et de partie 1.2.2.). Mais elle s’explique aussi par passation de pouvoir entre Alij a Izetbegović de simples questions de stratégie élector ale et Sulejman Tihić, au sein de la Présidence et d’opportunité politique: d’une part, le collégiale bosnienne comme à la direction du succès électoral du SBiH dépend en partie de parti (voir partie 2.3.2.). Il est symbolisé par ces surenchères nationalistes; d’autre part, le l’acceptation d’une fusion au moins formelle SBiH peut se perme re de telles surenchères des appareils de sécurité au niveau étatique, car, «parti pivot» souvent perçu comme et par la transformation du SDA en parti «centriste» par les acteurs internationaux, il «multiethnique» lors de son IV e Congrès n’est pas aussi exposé aux pressions du Haut en 2005. Dix ans après la fi n de la guerre, le Représentant que le SDA. Quant au SDP, SDA semble donc remettre à plus tard la il reste le parti le plus a aché à l’idée d’une réintégration institutionnelle complète de la Bosnie Herzégovine pluricommunautaire, et Bosnie Herzégovine et la pleine affirmation joue un rôle actif dans le processus de retour, de la souv eraineté politique de la nation mais ses eff orts pour garder le soutien de la bosniaque, pour privilégier des réformes communauté internationale (en particulier à institutionnelles progressives perme ant à la l’époque de l’Alliance pour le changement) et Bosnie Herzégovine – et donc aux Bosniaques pour trouver des partenaires parmi les partis
48 politiques serbes de la RS (à commenc er 2.3. La mouvance islamiste entre par le SNSD) l’amènent lui aussi à avoir des notabilisation et marginalisation pratiques et des discours très pragmatiques, 2.3.1. Facteurs extérieurs et facteurs ouvrant un espace pour la surenchère intérieurs dans le déclin de la nationaliste de petits partis tels que le BOSS mouvance islamiste (voir partie 2.1.1.). Au sortir de la guerre, la mouvance islamiste C’est dans ce contexte qu’il faut resituer occupe plus que jamais une position centrale le débat constitutionnel qui a dominé la au sein du SDA et de l’appareil d’Etat, campagne électorale de 2006. En 1998, comme l’attestent l’attribution du poste de une première réforme constitutionnelle Premier ministre à Edhem Bičakčić – un étendant le caractère constitutif des nations autre élève de la madrassa de Sarajevo et co bosniaque, serbe et croate à l’ ensemble de accusé du procès de 1983 – et la nomination la Bosnie Herzégovine avait été demandée de Hasan Čengić comme vice ministre de la par Alija Izetbegović, alors membre de la Défense en février 1996, ou encore l’élection Présidence collégiale bosnienne, et fi nalement de plusieurs membres de la mouv ance imposée par W olfgang Petritsch en 2002. islamiste au Parlement en septembre 1996. La Forte du soutien d’Izetbegović et susceptible centralité de ce e mouvance contribue aussi de favoriser le processus de retour , cette à la proximité entre SDA et Islamska zajednica, réforme avait alors bénéficié du soutien du plusieurs cadres de l’Islamska zajednica SDP et du SBiH. En 2006, le nouveau projet proches de la mouvance islamiste ou ay ant de réforme négocié sous l’égide des Etats combattu au sein des unités religieuses de Unis, et visant à renforcer les compétences l’armée bosnienne faisant leur entrée dans les des institutions étatiques sans remettre en instances dirigeantes du parti. question l’existence des entités, ne bénéfi cie pas du même consensus. Il est non seulement Au cours des années suivantes, toutefois, la rejeté par le SBiH, qui y voit une légitimation mouvance islamiste voit son infl uence décliner indirecte de la RS, mais elle suscite aussi au sein de l’appareil d’Etat et du parti. Ce de graves dissensions au sein du SDA, la déclin est dû à la conjonction de plusieurs défection d’un de ses députés expliquant facteurs, dont le plus évident est la volonté de du reste son rejet final par le P arlement de diff érents acteurs internationaux de l’évincer Bosnie Herzégovine. Les débats entourant de la vie politique bos nienne. Dès 1996, en la réforme constitutionnelle de 2006 refl ètent effet, les Etats Unis conditionnent la mise donc une double recomposition. En effet, en œuvre de leur programme d’ assistance le tournant pragmatique du SDA favorise militaire à la démission de Hasan Čengić et à son rapprochement avec le SDP , comme l’arrêt de toute coopération avec l’Iran dans les l’a este l’évocation par Sulejman Tihić d’une domaines de la défense et du renseignement. possible coalition SDA SDP. Mais, dans le Au cours des années suivantes, les Hauts même temps, l’accumulation des frustrations Représentants Westendorp et P etritsch envers la communauté internat ionale et le destituent plusieurs figures importantes creusement de l’écart entre projet de départ de la mouvance islamiste, tel que Edhem et nouveau pragmatisme du SDA permet au Bičakčić, devenu entre temps directeur de SBiH d’a irer vers lui une partie de l’électorat l’entreprise publique Energoinvest, ou Mirsad de ce parti, avant de participer en position de Veladžić, gouverneur du canton de Bihać. force à la reconduction de la coalition SDA Enfin, pendant la période de l’Allianc e SBiH HDZ. Enfi n, le débat constitutionnel de pour le changement, plusieurs anciens l’année 2006 et son impact électoral ne peuvent responsables des appareils de sécurité liés se comprendre sans tenir compte d’ autres à la mouvance islamiste sont inculpés pour recompositions complexes, entre factions activité terroriste. Inversement, l’implication internes au SDA d’une part (voir partie 2.3.2.), des institutions fina ncières internationales entre ce parti et l’ Islamska zajednica d’autre et des ONGs occidentales dans les processus part (voir partie 3.1.3.). de reconstruction et de retour renforcent la position des éléments pragmatiques au sein du SDA. Au delà de ces seuls facteurs extérieurs, c’est
49 au déclin général du SDA qu’il faut ratta fragilisent donc encore la mouvance islamiste, cher celui de la mouvance islamiste. D’une et la relèguent au rang de faction parm i part, l’arrêt des hostilités, le démantèlement d’autres au sein d’un parti qu’elle a dominé progressif de l’Etat parti instauré pendant pendant une décennie. La reprise en main la guerre et l’ effondrement électoral du de l’appareil du SDA par Tihić, les décisions SDA privent cette mouvance des ressources votées par le IVe Congrès de ce parti en 200 5 matérielles et symboliques qui lui av aient (transformation en parti «multiethnique», permis de se placer au centre de la refus de placer sur un même plan fascisme recomposition des élites de la communauté et communisme, adhésion au Parti populaire bosniaque (voir partie 1.1.1.). D’autre part, européen, etc.), son soutien au projet de ce e même mouvance voit sa cohésion remise réforme constitutionnelle patronné par les en cause par la notabilisation de certains Etats Unis en 2006 constituent autant de de ses membres et la multiplication des signes de la perte d’infl uence de la mouvance querelles intestines. Jusqu’en 1996, en effet, islamiste, et autant de raisons pour celle ci de une des forces de la mouv ance islamiste vouloir prendre sa revanche contre Tihić. était sa forte cohésion, basée sur de longues La perte d’infl uence de la mouvance islamiste années d’action semi clandestine et de au sein du SDA, en eff et, n’est pas synonyme nombreux liens familiaux ou confrériques, de marginalisation comp lète. D’une part, face à d’ autres factions de nature très certains de ses membres siègent encore dans volatile. Dans la période de l’ après guerre, les organes dirigeants du parti, même si leur toutefois, certains membres ou «héritiers» de accession au statut de notables va de pair avec la mouvance islamiste continuent d’occuper une prudence politique accrue. D’autre part, des positions importantes au sein du parti, de la période de la guerre a aussi vu la mouvance l’appareil d’Etat et/ou des milieux d’affaire, islamiste recruter de nouv eaux partisans quand d’autres se retrouvent politiquement et, de même que les cantons constituent les et socialement marginalisés. Cette situation derniers refuges de l’Etat SDA, c’ est dans alimente les rancoeurs au sein même de la les échelons intermédiaires de l’appareil du mouvance islamiste et a ise certains confl its parti que cette mouvance est désormais la sur les choix de politique étrangère, la mieux implantée. De ces évolutions résulte un redéfinition du projet national du SDA ou renversement des confi gurations internes au l’intégration en son sein des anciennes élites SDA: lors de sa création en 1990, la mouvance communistes. islamiste avait des eff ectifs très réduits, mais dominait les organes dirigeants du parti; seize 2.3.2. La mouvance islamiste après la ans plus tard, elle en a largement perdu l e disparition d’Alij a Izetbegović: rester contrôle, mais est parvenue à renforcer son dans le SDA ou en sortir? implantation dans ses instances régionales et Jusqu’à la fin des années 1990, Alija sa base militante. Ce e situation confronte la Izetbegović reste le principal protecteur de mouvante islamiste à de nouveaux dilemmes la mouvance islamiste, face à la communauté et à de nouveaux conflits: pendant que internationale comme au sein du parti, tout certains quittent le SDA et semblent parfois en apaisant ses dissensions internes et en lui tentés par l’idée d’un parti islamiste, d’autres imposant certaines concessions. Ainsi, en continuent de mener une bataille interne au 1996, c’est lui qui décide de privilégier l’aide SDA pour en reprendre le contrôle. militaire américaine au détriment des liens La prise en compte de ces évolutions propres avec l’Iran, et obtient la démission de Hasan à la mouv ance islamiste éclai re certains Čengić. De même, lors du IIIe Congrès du résultats des élections de 2006. Ainsi, le Parti SDA en octobre 2001, Izetbegović, soucieux populaire bosniaque ( Narodona bošnjačka de garder le soutien des Etats Unis alors stranka –NBS) constitue la première tentative que ceux ci lancent leur «guerre contre le de créer un parti spécifiquement islamiste terrorisme», impose Sulejman Tihić – un en Bosnie Herzégovine. Son score élector al parent n’ayant aucun lien avec la mouvance extrêmement modeste (0,5% des v oix, soit islamiste – comme son successeur à la tête 4346 voix dont la moitié en Bos nie centrale) du parti. La retraite politique puis la mort d’Izetbegović au début des années 2000
50 montre le peu d’espace disponible pour un privé pendant la période communiste, et tel parti. 17 L’échec du NBS contraste av ec redevenant beaucoup plus visible, v oire la capacité des membres de la mouv ance ostentatoire, à partir des années 1990. Mais les islamiste, de concert av ec d’autres factions tentatives de réislamiser l’identité nationale internes au SDA et de certains responsables de bosniaque conduisent en définitive à une l’Islamska zajednica, d’inciter discrètement les «nationalisation» de l’islam, attestée par la électeurs du SDA à voter pour Haris Silajdžić création d’une nouv elle Islamska zajednica plutôt que pour Sulejman Tihić. T outefois, limitée à la seule nation bosniaque (v oir les limites des stratégies de reconquête du partie 1.3.1.) ou la mise en valeur de certaines SDA sont aussi révélées par le fait que, dans pratiques populaires (chants religieux, les mois qui suivent les élections, Tihić doit pèlerinages soufis, etc.) autrefois rejetées certes renoncer à l’idée de coalition SDA comme «hétérodoxes» par la mouv ance SDP, mais refuse de conv oquer un Congrès islamiste.19 De plus, à chaque fois que les extraordinaire du parti et en conserve la politiques de réislamisation sortent de la direction. Dans ce contexte, il n’ est pas simple redéfinition de l’identité collecti ve surprenant que de nombreux membres de des Bosniaques pour tenter d’en influencer la mouvance islamiste se retirent de la vie les conduites privées, elles se heurtent à de politique pour se réinvestir dans l’ Islamska fortes résistances, comme l’illustrent certaines zajednica ou s’occuper de l’association «Jeunes polémiques sur les mariages mixtes ou la musulmans ’39» ( «Mladi Muslimani ’39» ), célébration des fêtes non musulmanes. Enfi n, qui entretient le souvenir de l’ organisation la participation accrue à certains rituels créée dans les années 1930, mais peine à collectifs (fêtes religieuses, pèlerinages soufi s, concurrencer la mouvance néo salafi ste et les inaugurations de mosquées, etc.) n’implique mouvements soufi s ou néo soufi s18 au sein des pas forcément une montée de la pra tique jeunes générations de croyants. individuelle: dans un contexte économ ique diffi cile, le nombre de fi dèles payant la zakat 3. Les évolutions religieuses de la (impôt rituel) tend même à diminuer . Les communauté bosniaque après recompositions religieuses de la période de guerre ne sont donc pas synonymes de Dayton réislamisation de la population b osniaque, le processus de sécularisation que celle ci a 3.1. Le diffi cile repositionnement connu pendant la période communiste restant institutionnel de l’Islamska largement irréversible. zajednica 3.1.1. L’échec des politiques de 3.1.2. L’Islamska zajednica entre renouveau réislamisation autoritaire et crise d’identité Les politiques de réislamisation autoritair e Sur le plan institutionnel également, l’Islamska mis en œuvre pendant la guerre contribuent zajednica est loin de retrouver la place qu i à resserrer les liens entre identité religieuse était la sienne av ant la Seconde Guerr e et identité nationale bosniaque, en partie mondiale: les rares allusions à une restaura distendus par cinquante ans de communisme. tion des tribunaux chariatiques pour les Elles conduisent même à un renv ersement questions de statut personnel prov oquent de la place de l’islam dans l’articulation entre de vives réactions, et la restitution des waqfs espace public et espace privé, la pratique (biens de mainmorte) nationalisés en 1947 se religieuse ay ant été limitée à l’ espace heurte à de nombreux obstacles juridiques et pratiques. En outre, les institutions religieuses 17 Par ailleurs, bon nombre des électeurs poten tiels ont de sérieuses difficultés pour trouver du NBS ont sans doute préféré v oter pour le BPS les ressources financières et les personnels (voir partie 2.1.1.), parti ultra nationaliste compt ant parmi ses cadres plusieurs membres de la qualifiés nécessaires à leurs ambitions mouvance néo salafi ste. (reconstruction des mosquées détruites et 18 Les principaux mouvements néo soufi s turcs sont ouverture de centres islamiques dans les issus de la confrérie soufi e naqshbendie (voir note banlieues socialistes, développement des 8), se sont développées au cours du XXe siècle et ont un fonctionnement plus informel que les confréries soufi es traditionnelles. 19 Voir Xavier Bougarel (2001). 51 établissements éducatifs propres à l’Islamska soufi s et néo soufi s (voir partie 3.2.). D’autre zajednica et de l’instruction religieuse dans part, le démantèlement de l’Etat parti instauré les établissements publics, etc.). Dès lors, par le SDA et la réduction des aides fi nancières elles perçoivent les aides financières et les du monde musulman suite aux a entats du 11 bourses d’étude accordées par certains pays septembre 2001 et aux pressions consécutives musulmans (monarchies pétrolières, Iran, de la diplomatie américaine réduisent encore Turquie, etc.) comme le meilleur moy en l’assise matérielle de l’Islamska zajednica, alors de pallier provisoirement à ces difficultés , même que de nouvelles générations d’oulémas en attendant la restitution des waqfs, sortent de ses établissements éducatifs et des l’augmentation du produit de la collecte de la universités islamiques du monde musulman. zakat et l’émergence de nouvelles générations Si une partie de ces cadres est intégrée au d’oulémas. sein des institutions religieus es, le passage Enfin, l’Islamska zajednica se trouve privée d’une situation de défi cit en cadres qualifi és du monopole sur la vie religieuse et du à une situation d’excédent explique en partie rôle d’institution nationale de substitution la multiplication des lu es de faction et des dont elle bénéficiait pendant la période querelles de légitimité. Ceci explique aussi communiste: diverses institutions de nature que, lors de sa réélection au poste de Reis ul séculière la concurrencent dans l’articulation Ulema en 2005, Mustafa Cerić ne recueille que de l’identité nationale bosniaque (Congrès 180 voix, contre 119 à son principal concurrent des intellectuels bosniaques, société Enes Karić, devenu entre temps doyen de la culturelle «Preporod», etc.), et de multiples Faculté des sciences islamiques de Sarajev o. acteurs religieux locaux ou originaires du En eff et, ce dernier lui reproche de s’intéresser monde musulman font leur apparition. Aux plus à la vie politique ou à sa publicité réseaux djihadistes arrivés pendant la guerre personnelle qu’aux difficultés internes de s’ajoutent divers mouvements de prédication l’Islamska zajednica, et canalise ainsi les et de resocialisation religieuses, et à côté des frustrations et les angoisses matérielles de bon confréries soufi es implantées de longue date nombre d’imams. Mais la confrontation entre (Naqshbendis en premier lieu) apparaissent Cerić et Karić doit aussi être replacé dans le des mouvements néo soufis originaires de contexte plus large de l’éclatement du noyau Turquie.20 Certes, dès la fi n des années 1990, fondateur du SDA (voir partie 2.3.1.) et de la la plupart des ONGs islamiques quittent la diversifi cation doctrinale de l’islam bosnien Bosnie Herzégovine et les réseaux djihadistes (voir partie 3.2.2.). passent dans une semi clandestinité (v oir partie 3.2.1.), mais l’Islamska zajednica n’obtient 3.1.3. la complexifi cation des liens entre pas des autorités étatiques l’interdiction l’Islamska zajednica et le SDA des organisations utilisant le label Dans l’après guerre, l’Islamska zajednica voit «islamique» sans son autorisation, et doit également se complexifi er ses relations avec donc s’accommoder de l’existence d’acteurs le SDA. En 1996, leur étroite collaborat ion religieux qu’elle ne contrôle pas directement. est symbolisée par la présence simultanée Le renouveau qu’ a connu l’ Islamska dans leurs organes dirigeants respectifs zajednica pendant la guerre masque donc de nombreuses personnalités, liées ou non une crise latente et une difficulté durable à la mouv ance islamiste. Mais, dès la fin à se repositionner dans un environnement des années 1990, l’engagement de certains profondément transformé. Les évolutions de responsables religieux dans d’autres partis l’après guerre ne font qu’approfondir cette politiques (SBiH, BPS, etc.) et l’accumulation crise. D’une part, les institutions religieuses des frustrations concernant le statut d es peinent à répondre aux demandes des institutions religieuses ou la restitution des jeunes générations de croyants, dont certains waqfs contribuent à distendre les liens existant éléments marginalisés ou traumatisés par entre l’Islamska zajednica et le SDA. L’autorité la guerre sont attirés par la mouv ance néo personnelle d’Alija Izetbegović d’une part, salafiste, et dont d’ autres éléments mieux l’hostilité commune à l’Alliance pour le intégrés se tournent vers les mouv ements changement d’autre part expliquent que les institutions religieuses soutiennent le SDA et Sulejman Tihić lors des élections de 2002. 20 Voir note 17. 52 Mais le remplacement d’Izetbegović par ment dans l’espace européen. Dans la période Tihić à la tête du SDA et l’accentuation de son de l’après guerre, le désengagement du tournant pragmatique favorisent par contre monde musulman et l’insertion de la Bosnie une prise de distance symbolisée par l’absence Herzégovine dans les processus d’intégration de délégation de l’ Islamska zajednica au IVe euro atlantique poussent les dirigeants de Congrès du SDA en 2005. l’Islamska zajednica à s’impliquer de plus en Ce e évolution ne s’explique pas seulement plus dans les débats en cours sur l’élaboration par le confl it opposant, au sein du SDA, Tihić d’un islam européen. Ainsi, Mustafa Cerić à la mouvance islamiste (voir partie 2.3.2.): participe depuis 1997 au Conseil européen cette dernière continue certes à occuper des pour les fatwas et à la recherche, censé faciliter positions importantes au sein des organes l’adaptation de la jurisprudence chariatique dirigeants de l’ Islamska zajednica, mais elle au statut minoritaire des musulmans reproche aussi à Cerić ses compromis av ec européens, et présente en 2005 à Londres les oulémas liés au régime communiste, et une «Déclaration des musulmans européens» soutient la candidature de Karić en 2005. tentant de poser les bases doctrinales d’un 21 Plus fondamentalement, le morcellement islam européen (voir partie 1.3.2.). Cette du paysage politique bosnien contraint les stratégie européenne, dont Cerić reste le institutions religieuses à se présenter comme principal promoteur, a une double dimension un acteur situé «au dessus des partis», nationale et religieuse. D’une part, elle mais leur permet aussi de renégocier en cherche à placer les musulmans bosniaques position de force leurs liens privilégiés av ec au centre de l’élaboration d’un islam le SDA, ou d’off rir leur allégeance à d’autres européen, et à renforcer ainsi leur légitimité acteurs politiques. De même, le tournant politique comme leur poids stratégique en pragmatique du SDA et le dépérissement des Europe. D’autre part, elle vise à compenser institutions nationales de nature séculière la réduction des aides fi nancières du monde les incitent à tenter de retrouv er leur ancien musulman par l’obtention de financements rôle d’institution nationale de substitution, européens, l’Islamska zajednica se proposant comme l’illustre leur forte implication dans comme modèle pour la création d’institutions le culte des combattants morts ( šehidi) ou la religieuses islamiques dans les pays d’Europe 22 défense des officiers bosniaques inculpés occidentale, et envisageant d’assurer la par le Tribunal pénal international pour l’ex formation de leurs oulémas. Cette stratégie Yougoslavie (TPIY). C’est dans ce cadre qu’il reste cependant l’ objet de nombreuses faut resituer le soutien apporté par certains critiques. Ainsi, certains intellectuels laïcs responsables religieux, et par Cerić en ou religieux – dont Enes Karić – reprochent particulier, à la candidature de Haris Silajdžić à Cerić de remettre en cause l’ accession des aux élections de 2006. En effet, l’ Islamska Bosniaques au statut de nation à part entière, Zajedica soutient dans un premier temps le pour les ramener à celui de «millet musulman» projet de réforme constitutionnelle négocié en Europe. Plusieurs responsables de l’Islamska par Tihić, mais ses dirigeants n’ en sont pas zajednica considèrent en outre que celle ci moins hostiles à la transformation du SDA doit d’abord se préoccuper de ses propres en parti «multiethnique» ou à la constitution faiblesses, et que la prise en charge de la d’une coalition SDA SDP, de telles évolutions formation des oulémas d’Europe occidentale pouvant faire perdre à l’ Islamska zajednica reviendrait à importer de nouveau en Bosnie certains des privilèges institutionnels acquis Herzégovine les querelles doctrinales et les pendant la guerre (voir partie 1.3.1.). Dès lors, rivalités géopolitiques du monde musulman. leur intérêt est d’aff aiblir Tihić au profi t d’un candidat qui, en outre, présente l’ avantage 21 Voir le texte en anglais de la «Déclarat ion des d’être lui même un ancien cadre de l’Islamska musulmans européens» sur h p://www.rij aset.ba. zajednica. 22 Il est significatif, de ce point de vue, que la deuxième présentation de la «Déclaration des musulmans européens» ait eu lieu en février 2006 3.1.4. La stratégie européenne du Reis ul à Zagreb: l’Islamska zajednica bénéficie en effet en Ulema Mustafa Cerić Croatie d’une position institutionnelle forte, et les Musulmans/Bosniaques y ont un siège réserv é Enfin, une autre év olution importante de au Parlement en tant que «nouv elle minorité l’Islamska zajednica concerne son positionne nationale». 53 3.2. La montée du néo salafi sme et la un noyau organisé et polit isé, qui commet diversifi cation doctrinale de l’islam plusieurs attentats anti croates à la fin des bosnien années 1990 (avec sans doute parfois l’ aval 3.2.1. Montée en puissance et diversité des services secrets) et soutient le djihad en interne de la mouvance néo salafi ste Tchétchénie, mais ne s’a aque ni aux autorités locales, ni aux intérêts occidentaux, et une En même temps qu’elle doit se repositionner frange délinquante dont le Français converti sur le plan institutionnel, l’Islamska zajednica Lionel Dumont reste le meilleur exemple, et est confrontée à un autre défi avec la montée qui rentre en confrontation directe av ec la en puissance de la mouvance néo salafiste. police locale. Celle ci, dont la présence était déjà perceptible à la fin des années 1980, s’est renforcée Cette différenciation interne au courant pendant la guerre grâce à l’arrivée des ONGs djihadiste reste valable pour les années 2000. islamiques et des réseaux djihadistes (v oir Certes, l’arrivée au pouvoir de l’Alliance pour partie 1.3.2.). Son développement se poursuit le changement en 2000 et les répercussions dans l’après guerre, sous des formes qu’il locales de la « guerre contre le terrorisme » convient de bien préciser, la mouvance néo – symbolisées par la remise de six Algériens salafi ste se divisant en eff et entre un courant aux autorités américaines en 2002 – éveillent néo salafiste de type djihadiste et un autre dans l’ensemble du courant djihadiste le courant de type piétiste. désir d’en découdre avec les autorités locales. Mais une étroite surv eillance policière, Le courant djihadiste se dév eloppe autour diverses pressions des autorités religieuses de moudjahiddins étrangers et de jeu nes ou du courant néo salafiste de type piéti ste bosniaques ayant combattu au sein de et certains choix tactiques propres au courant l’unité «el Mudžahid». Dès 1996, ceux ci djihadiste le dissuadent de passer à l’acte. se regroupent dans des villages serbes ou Depuis, le fossé semble se creuser entre une croates abandonnés ou animent en ville des aile plus modérée et une aile extrémist e, mouvements de jeunesse tels que la Jeunesse proche du mouvement «Takfir wal Hijra» et islamique active (Aktivna islamska omladina de la mouvance «al Qaida».24 La première, –AIO) avec son journal « Saff» («Rangée»). représentée par l’ex AIO ou la «Fraternité Au tournant des années 1990 et 2000, musulmane» (« Muslimansko bratstvo »), toutefois, le départ des ONGs islamiques, condamne le terrorisme aveugle, est réservée le durcissement de la répression policière, sur l’opportunité de participer au djihad en l’hostilité de l’opinion publique et l’émergence Irak et s’intègre peu à peu dans le paysage des mouvements néo soufi s parmi les jeunes politique et religieux du pays, comme l’a este générations de croyants placent ce courant l’évolution du journal « Saff» ou de la rad io djihadiste sur la défensiv e. Les villages de «Naba». La seconde fonctionne de manière Gučja Gora (T ravnik) et Bočinja (Maglaj) totalement informelle et clandestine, utilise sont alors abandonnés, d’autres «émirats certains «émirats islamiques» comme bases islamiques» se reconstituant dans certains de repli et de resocialisation intensiv e, et villages bosniaques reculés tels que Šehići s’appuie sur des prédicateurs itinérants ou des (Zenica) ou Maoča (Brčko). De même, l’AIO sites internet d’une durée de vie limitée pour annonce son autodissolution, mais ses centres diff user ses idées.25 Elle a sans doute inspiré culturels pour la jeunesse (omladinski kulturni les quatre jeunes djihadistes arrêtés en octobre centri) poursuivent leur activité et le journal «Saff » continue à paraître.23 Par ailleurs, il faut 24 Le mouvement «Takfir wal Hijra» («Anathème et distinguer au sein de ce courant djihadiste exil») est une scission extrémiste du mouv ement des Frères musulmans en Egypte, qui a inspiré les assassins du président Anouar el Sadate en 1981. 23 Vers la même époque, le courant djihadiste Depuis, il s’est étendu à d’autres pays musulmans et s’implante dans la diaspora bosniaque, comme aux communautés musulmanes d’Europe occiden l’a estent la création de mouv ements liés à l’AIO tale et s’est rapproché de la mouvance «al Qaida». (Association des musulmans d’Amérique du nord 25 Le jama’at indépendant «Tewhid» («Unité divine»), – Udruženje muslimana Sjeverne Amerike – UMSA aux animé à Vienne par l’imam Muhamed P orča, est Etats Unis, Jeunesse islamique – Islamska omladina considéré comme un des principaux foyers à partir – et jama’ats indépendants en Europe occidentale, desquels cette aile extrémiste diffuse ses idées en etc.) ainsi que la localisation de nombreux sites Bosnie Herzégovine, dans le Sandžak et dans la internet djihadistes dans des pays occidentaux. diaspora. 54 2005 à Sarajevo alors qu’ils s’apprêtaient à néo salafiste oblige les autres composantes comme re des a entats suicides. de l’Islamska zajednica à se positionner par Les évolutions du courant piétiste sont plus rapport à elle, et entraîne dès lors une recom liées aux recompositions internes à l’Islamska position globale de l’islam bosnien. Il semble zajednica. Dans l’immédiat après guerre, en en effet que les dirigeants de l’Islamska eff et, la première génération de néo salafi stes zajednica, et Mustafa C erić en premier lieu, bosniaques fi nit d’être marginalisée au sein de se soient accommodés de l’implantation l’Islamska zajednica, Halil Mehtić étant destitué de cette mouvance en Bosnie Herzégovine. de son poste de mufti de Zenica en 1997 et Dans les premières années de l’après guerre, Salih Čolaković créant son propre centre Cerić paraissait décidé à combattre les néo islamique à Mostar . Mais, dans le même salafi stes, comme l’a estent la destitution de temps, une nouvelle génération d’oulémas Halil Mehtić ou la tentativ e de restaurer le influencée par les idées néo salafistes et monopole de l’Islamska zajednica sur le label forgée dans la guerre connaît une ascension «islamique». Mais, à partir de la fi n des années rapide, comme l’illustre le cas de Nezim 1990, un compromis informel s’ébauche entre Halilović, ancien imam de province cumulant les institutions religieuses et la mouvance néo désormais les fonctions d’imam principal de salafi ste. Ainsi, l’Islamska zajednica dénonce la la mosquée construite à Sarajevo par l’Arabie répression croissante s’aba ant sur les anciens saoudite, de responsable de l’organisation du moudjahiddins et les djihadistes locaux, hajj (pèlerinage à La Mecque) et de directeur mais les dissuade de recourir à la violence de l’administration des waqfs. Surtout, à partir et les contraint à reconnaître la v alidité du de la fi n des années 1990, certains étudian ts madhhab hanéfite en Bosnie Herzégovine. rentrant des univ ersités de la péninsule Surtout, elle laisse les néo salafi stes de type arabique jouent un rôle de croissant dans la piétiste jouer un rôle croissant en son sein, vie religieuse (traduction et publication de voyant là l’occasion de maintenir de bonnes littérature religieuse, lancement du journal relations avec les monarchies pétrolières de «Novi Horizonti» – «Nouveaux horizons» –, la péninsule arabique, d’élever le niveau de participation à divers sites internet islamiques, qualifi cation des oulémas et de renforcer son etc.) et dans les institutions religieuses elles autorité auprès des jeunes générations de mêmes (influence prédominante dans les croyants. académies pédagogiques islamiques de Ce e stratégie permet de renforcer le contrôle Zenica et de Bihać, entrée dans les organes de l’Islamska zajednica sur certaines activités dirigeants de l’ Islamska zajednica , etc.). religieuses (collecte de la zakat, organisation Ce courant néo salafiste de type piétiste du hajj, formation des imams, etc.) et de constitue dès lors pour l’ Islamska zajednica limiter les dériv es du courant djihadiste, un double défi . D’une part, sans contester le plusieurs prédicateurs liés à la mouvance néo madhhab hanéfi te comme l’ont parfois fait les salafi ste condamnant par exemple en 2005 la djihadistes, ses représentants introduisent pratique du «takfi r».26 Elle facilite également dans la vie religieuse locale une approche la densification des débats doctrinaux et plus littérale de l’islam, insistant sur l’ébauche de premiers compromis entre l’interprétation des sources et la jurisprudence oulémas d’orientation moderniste, islamiste et chariatique au détriment des pratiques néo salafi ste, comme le montrent la création en populaires. D’autre part, ils s’appuient sur 2005 d’un Conseil pour les fatwas ou l’adoption leur meilleure connaissance de la langue arabe en 2006 d’une «Résolution sur l’interprétation et des sciences islamiques pour contester la de l’islam» en Bosn ie Herzégovine. Dans le légitimité des oulémas formés pendant la même temps, toutefois, cette recomposition période communiste et exercer directement de l’islam bosnien précipite l’éclatement des leur autorité sur les jeunes générations de mouvances moderniste et islamiste. Ainsi, croyants. Mustafa Cerić semble s’éloigner des positions modernistes qui étaient les siennes au début 3.2.2. La place de la mouvance néo salafi ste dans la diversifi cation doctrinale de 26 Le «takfir» (anathème) consiste, au sein de la l’islam bosnien communauté musulmane, à qualifier certains adversaires de «kafi rs» (incroyants, apostats), ce qui Cette montée en puissance de la mouv ance peut éventuellement impliquer le droit de les tuer. 55 des années 1990 pour adopter une ligne ont publiquement dénoncé les pratiques et les «centriste» ou «islamiste modérée» associant idées de la mouvance néo salafi ste. Dès lors, reconnaissance du caractère séculier de sa montée en puissance doit être resituée dans l’Etat et réinvestissement de l’espace public un contexte plus large de complexification par les institutions religieuses, v alorisation des clivages internes à l’Islamska zajednica et, de certaines pratiques «hétérodoxes» et plus largement, de diversifi cation doctrinale incorporation de certains points de doctrine de l’islam bosnien. néo salafistes. Cette attitude «centriste» semble partagée par la plupart des mu is, en 3.2.3. Deux enjeux à plus long terme: statut parti culier ceux liés à la première génération personnel islamique et islam européen de néo salafistes bosniaques (Seid Smajkić à Mostar, Hasan Makić à Bihać, Nusret C’est dans ce contexte qu’il convient de Abdibegović à Travnik). Elle se heurte par resituer deux débats en cours au sein des contre à l’hostilité de certains oulémas institutions religieuses, l’un concernant le moder nistes insistant plus que jamais sur la statut de la charia en Bosnie Herzégovine et nécessité de désengager l’ Islamska zajednica l’autre celui de l’islam en Europe. Les oulémas de la vie politique d’une part, de défendre bosniaques reconnaissent unanimement les spécificités de l’islam bosnien contre les le caractère séculier de l’Etat en Bosnie assauts du néo salafisme d’autre part. Les Herzégovine, l’idée de créer un Etat islamique princi paux représentants de ce courant moder étant dès lors limitée au courant djihadiste, niste sont Enes Karić, Fikret Karčić et Rešid et trouvant un semblant de concrétisation Hafizović, leur bastion est la Faculté des dans les quelques «émirats islamiques» q ue sciences islamiques de Sarajevo, et leurs relais celui ci anime. Par contre, certains oulémas média tiques sont la presse indépendante d’orientation néo salafiste ou islamiste et les revues « Novi muallim» («Le nouv el entendent redonner une valeur juridique à la enseignant») et «Znakovi vrij emena» («Signes charia pour tout ce qui concerne les aff aires des temps»). internes à l’Islamska zajednica et les questions de statut personnel (mariages, div orces, La question du positionnement face à la successions, etc.). Ainsi, Mustafa Cerić lui montée du néo salafi sme se retrouve au sein même évoque la possibilité de conclure des de la mouvance islamiste, certains semblant se mariages chariatiques sur une base facultative, rapprocher des néo salafi stes quand d’autres et les mu is de Bihać, Mostar et Travnik ont les dénoncent ouvertement. Enfi n, même les demandé en 2005 au Conseil pour les fatw as milieux soufi s et néo soufi s, dont les pratiques de se prononcer sur la licéité de la polygamie sont condamnées comme «hétérodoxes» par en Bosnie Herzégovine. Ces tentativ es de la mouvance néo salafiste, sont conce rnés promouvoir l’idée d’un statut personnel par cette nouvelle ligne de partage. Ainsi, islamique suscitent de viv es protestations certains intellectuels liés aux milieux soufis dans l’opinion publique et parmi les oulémas (Rešid Hafizović, Rusmir Mahmutćehajić, d’orientation moderniste qui, tel Fikret Karčić, etc.) défendent une version très libérale, voire estiment que la charia se réduit dans un Etat œcuménique du soufi sme, qui se retrouve en séculier à un ensemble de valeurs morales partie chez les Fethullahcis et les Nurcus, alors sans ancrage juridique spécifi que. les Naqshbendis et les Süleymancis restent proches de la mouvance islamiste. De plus, la La question du statut de la charia n’ est pas diff usion simultanée des idées néo salafi stes et sans rapport av ec les débats concernant des pratiques soufi es en Bosnie Herzégovine l’élaboration en cours d’un islam européen. donne lieu à d’étonnants phénomènes d’hybri Là encore, les oulémas bosniaques insistent dation, certains prédicateurs itinérants unanimement sur la nature européenne ou imams locaux intégrant des éléments de l’islam bosnien et sur la nécessit é de se néo salafistes dans leur discours, tout en situer dans un espace politique et culturel recourrant à des rituels soufi s. Inversement, européen. Mais cet unanimisme masque certains jeunes Bosniaques ayant participé à certains paradoxes et certains désaccords. l’unité «el Mudžahid» pendant la guerre ou Ainsi, la disparition de la Y ougoslavie et la l’AIO à la fi n des années 1990 ont par la suite partition de fait de la Bosnie Herzégovine rejoint les mouvements soufi s ou néo soufi s, et tirent l’islam bosnien vers des problématiques propres à l’islam majoritaire, quand les 56 processus d’intégration euro atlantique le République fédérale de Yougoslavie (RFY) ramènent vers les problématiques d’islam par la Serbie et le Monténégro, ainsi que les minoritaire qui sont les siennes depuis opérations de «nettoyage ethnique» menées la fin du XIX e siècle. Plus concrètement, en Bosnie orientale et, plus ponctuellement , Mustafa Cerić s’appuie dans sa stratégie dans certains villages frontaliers, isolent européenne sur des personnalités (Y usuf la population musulmane/bosniaque du al Qaradawi, Tariq Ramadan, etc.) et des Sandžak. Trois ans plus tard, l’arrêt du confl it organisations (Muslim Council of Britain, Milli permet certes une reprise des communications Görü , Union des organisation islamiques avec la Bosnie Herzégovine, mais la Republika de France, etc.) liées à la mouvance islamiste Srpska s’intercale désormais entre la Fédéra modérée. Sa «Déclaration des musulmans tion et le Sandžak. européens» s’ouvre par une dénonciation du A p artir de 1996, le P arti démocratique des terrorisme et une défi nition des musulmans socialistes (Demokratska partij a socij alista –DPS, européens comme citoyens loyaux de leurs ex communiste) au pouvoir au Monténégro Etats d’accueil respectifs, mais demande à se divise, la faction majo ritaire conduite ces mêmes Etats de les laisser s’ organiser par le Premier ministre Mile Djuka nović se sur des bases fortement communautaristes désolidarisant du régime de Milošević. En (ouverture d’écoles musulmanes, obtention 1997, Djukanović remporte de justesse (50,8%) d’un statut personnel spécifique, présence l’élection présidentielle contre son rival Momir 27 de «représentants légitimes» dans les Bulatović, grâce au soutien des minorités Parlements des Etats membres de l’UE, etc.). nationales. En 1998/1999, la guerre au C’est aussi ce qui lui vaut d’ être accusé de Kosovo et l’intervention militaire de l’OTAN vouloir ramener les Bosniaques au statut précipitent la désagrégation de la RFY . Le de «millet musulman» en Europe (voir partie DPS obtient en 2002 sa transformation en une 3.1.4.). union Serbie Monténégro aux compétences très limitées, et il organise en mai 2006 un 4. Le cas spécifi que de la référendum au cours duquel 55,5% des communauté musulmane/ votants se prononcent pour l’indépendance, bosniaque du Sandžak les minorités nationales jouant là encore un rôle décisif. Quatre mois plus tard, la En 1990, la mobilisation nationalist e des liste commune du DPS et du P arti social Musulmans/Bosniaques du Sandžak 28 est démocrate (Socijaldemokratska partija –SDP) étroitement liée à celle des Musulmans/Bosni frôle la majorité absolue des voix (48,6 %) aux aques de Bosnie Herzégovine. A p artir de élections législatives et domine la nouv elle 1992, toutefois, le déclenchement du conflit coalition gouvernementale. en Bosnie Herzégovine, la création de la En Serbie même, la constitution de l’Opposi tion démocratique de Serbie ( Demokratska 27 Cette même notion de «représentants légitimes» opozicija Srbije –DOS) favorise la défaite du a été utilisée par le SDA au Monténégro et en Parti socialiste serbe ( Socijalistička spartija Croatie pour demander la création de sièges réservés à la minorité nationale bosniaque . Sur le Srbij e –SPS, ex communiste) lors des élections cas monténégrin, voir partie 4.2.2., sur le cas croate, de septembre 2000, puis la chute de Milošević voir note 21. lors de la «révolution du 5 octobre». Dans un 28 Le Sandžak est une région située à la frontière premier temps, la DOS préserve son unité, entre la Serbie et le Monténégro, et couvrant onze le président du P arti démocratique serbe municipalités (six en Serbie et cinq au Monténégro). En 2002, le Sandžak serbe comptait offi ciellement (Demokratska stranka Srbije –DSS), Vojislav 235’567 habitants, dont 60,4% de Bosniaques/ Koštunica, devenant Président de la RFY , Musulmans (voir partie 4.2.3.) et 37,9% de Serbes. et celui du Parti démocratique ( Demokratska En 2003, le Sandžak monténégrin comptait stranka –DS), Zoran Djindjić, dev enant 157656 habitants, dont 39,1% de Serbes, 37,9% de Premier ministre de Serbie. Mais la montée Bosniaques/Musulmans, 17,0% de Monténégrins et 2,4% d’Albanais. Les municipalités à majorité des tensions entre le DSS conservateur et le DS bosniaque/musulmane (Tutin: 95,0%, Rožaje: 88,8%, libéral, l’assassinat de Djindjić en mars 2003 et Sjenica: 75,7%, Novi Pazar: 78,1%, Plav: 55,0%) se le succès électoral du Parti radical serbe (Srpska situent dans la partie orientale du Sandžak, et ne radikalna stranka –SRS, ultra nationaliste) neuf sont donc pas contiguës à la Bosnie Herzégovine, mais au Kosovo et à l’Albanie. mois plus tard conduisent à la formation d’un 57 gouvernement minoritaire dirigé par Vojislav le SDA et l’incarcération de ses principaux Koštunica. Lors des élections législatives de diri geants permettent au DPS de mettre e n janvier 2007, le SRS obtient 28,7% des voix, le avant ses propres cadres musulmane/bosni DS 22,9% et le DSS 16,7%, la formation d’une aques. En Serbie, le SPS échoue à faire de coalition gouvernementale dépendant dès lors même, mais de grav es dissensions appa de l’a itude des petits partis parlementaires. raissent au sein du SDA entre Ugljanin, appelant lui aussi au boyco des élections, et 4.1. De la forte homogénéité à l’extrême Rasim Ljajić, secrétaire général du parti resté dispersion du vote musulman/ à Novi Pazar et favorable à un rapprochement bosniaque avec l’opposition démocratique serbe. Ce con flit conduit en 1994/1995 à l’ éclatement 4.1.1. Les évolutions du SDA sandžakois au du SDA en deux partis homonymes, que le cours des années 1990 SDA de Bosnie Herzégovine tente en v ain A l ’origine, le SDA sandžakois n’est qu’une de réconcilier, et entre lesquels il refuse d e branche du SDA créé à Sarajevo.29 En 1990, il choisir. obtient 84’156 voix (1,7%) et trois députés sur La signature des accords de Dayton en 1 995 250 en Serbie, cependant que la «Coalition entraîne un arrêt de la répression dans le démocratique» créée par le SDA et le Parti Sandžak (amnistie des militants du SDA, démocratique (Partia demokratike –PD, alba retour d’Ugljanin, etc.), mais y favorise le nais) obtient 30’710 v oix (10,1%) et treize morcellement politique de la communauté députés (dont neuf pour le SDA) sur 125 au bosniaque. Certes, en Serbie, Ugljanin Monténégro. Une comparaison av ec la part parvient dans un premier temps à restaurer des Musulmans/Bosniaques dans la popu sa position hégémonique: la «Liste pour lation totale de Serbie (2,4%) et du Monténégro le Sandžak» co nstituée par son SDA et (14,6%, plus 6,6% d’Albanais) suggère que, plusieurs petits partis remporte en 1996 les dès ce e époque, le vote musulman/bosniaque trois municipalités à majorité bosniaque du est plus homogène dans le Sandžak serbe Sandžak serbe (Novi P azar, Sjenica, Tutin), que dans le Sandžak monténégrin. Dans les puis obtient en 1997 49’472 voix (1,2%) et trois deux cas, cette homogénéité s’ explique par députés lors d’élections législatives boyco ées le caractère rural du Sandžak, le caractère par l’opposition démocratique serbe. Mais les minoritaire de sa population musulmane/ pratiques autoritaires et discriminatoires de la bosniaque ainsi que sa forte religiosité (voire «Liste pour le Sandžak», auxquelles s’ajoutent partie 4.3.1.). une nouvelle réactivation de la revendication Le déclenchement du confl it bosnien en 1992 d’autonomie (voir partie 4.2.1.), conduisent et la réactivation de la revendication d’autono les autorités serb es à dissoudre le conseil mie pour le Sandžak en 1993 (voir partie 4.2.1.) municipal de Novi Pazar et à y désigner une entraîn ent une forte vague de répression poli administration provisoire contrôlée par le cière: le président du SDA serbe, Sulejman SPS. Surtout, dans le même temps, le SDA Ugljanin, se réfugie alors à Istanbul, pendant se retrouve complètement marginalisé au que plusieurs dizaines de militants du Monténégro. Dès 1996, il n’obtient que 10’167 SDA sandžakois – dont le président du voix (3,5%) et trois députés aux électi ons SDA monténégrin Harun Hadžić – sont législatives, une majorité des voix bosniaques condamnés à de lourdes peines de prison. se portant sur les cand idats du DPS ou du Dans ce contexte, l’homogénéité politi que SDP. En 1997, le SDA décide de soutenir Mile de la communauté musulmane/bosniaqu e Djukanović aux élections présidentielles , commence à se fissurer. Au Monténégro, le puis de rentrer dans la nouv elle coalition boy co des élections législatives et locales par gouvernementale. Opposé à ce tournant pragmatique, Harun Hadžić fonde l’Union 29 La mouvance islamiste ne semble pas être implantée démocratique internationale (Internacionalna dans le Sandžak avant 1990, mais que certains fonda demokratska unij a –IDU). Quelques mois plus teurs du SDA sandžakois ont été en contact av ec tard, lors des élections législativ es de 1998, elle lors de leurs études à Sarajevo: ainsi, Sulejman Ugljanin, président du SDA serbe, a été hébergé le SDA n’obtient que 1’996 v oix (0,6%), et par la famille de Hasan Čengić lors de ses études l’IDU… 419 (0,1%). de médecine, et Harun Hadžić, président du SDA monténégrin, est un ancien élève de la madrassa. 58 4.1.2. Le Sandžak serbe dans les années pour les droits des minorités. 33 Au cours des 2000: l’opposition entre SDA et SDP années suivantes, les conflits entre le DS et A p artir de la fi n des années 1990, l’éloigne le DSS se surajoutent à ceux oppo sant Ljajić ment de la Serbie et du Monténégro v a donc et Ugljanin. Dans un premier temps, le SDP de pair avec une div ergence croissante des s’appuie sur le gouvernement Djindjić pour dynamiques politiques dans les Sandžaks développer ses propres réseaux clientélistes. serbe et monténégrin. En Serbie, la «Liste pour Mais, lors des élections législativ es de 2003, le Sandžak» voit sa position hégémonique le DS préfère s’allier à la «Liste pour le 34 menacée par le Parti démocratique sandžakois Sandžak», qui obtient alors deux députés. En (Sandžačka demokratska stranka –SDP30), créé 2005, ceux ci rompent avec le DS et apportent par Rasim Ljajić en 2000, et par d’autres partis leur soutien au gouvernement Koštunica. Ce issus de scissions ultérieures du SDA, tels que retournement d’alliance est en partie due à le Mouvement populaire du Sandžak (Narodni une hostilité commune du SDA et du DSS à pokret za Sandžak –NPS) ou le P arti pour le l’indépendance du Monténégro (voir partie Sandžak (Stranka za Sandžak –SZS). Lors des 4.2.2.), mais permet également à la «Liste élec tions locales de 2000, la «Liste pour le pour le Sandžak» d’obtenir trois postes de Sandžak» reste le parti dominant à Novi vice ministres dans le gouvernement serbe, Pazar, Sjenica et Tutin. Mais ce e domination ainsi que l’appui de ce dernier dans sa lutte est remise en cause en 2004, le SDP et le NPS pour le contrôle de la municipalité de Novi 35 s’emparant de la municipalité de Sjenica. 31 Pazar. Enfi n , lors des élections législatives de Surtout, à Novi Pazar, Sulejman Ugljanin est janvier 2007, le SDP allié au DS obtient trois élu maire au suff rage universel direct, mais se députés, alors que la «Liste pour le Sandžak» 36 heurte à un conseil municipal dominé par le obtient 33’377 voix (0,8%) et deux députés, SDP et le SZS. Il s’ensuit un blocage durable et se propose comme partenaire potentiel du des institutions municipales, de violents inci DSS. Les deux principaux partis bosniaques dents entre partisans d’Ugljanin et de Ljajić, du Sandžak serbe doivent donc s’allier à des et la tenue en 2006 d’ élections anticipées acteurs politiques nationaux pour consolider marquées par l’assassinat d’un candidat de la leurs positions locales, et contribuent ainsi Liste pour le Sandžak et une ne e victoire de indirectement à l’insertion de la communauté celle ci (53,4% des voix) sur le SDP (23,4%). bosniaque dans les cliv ages idéologiques et les réseaux clientéli stes autour desquels Les crises à répétition que connaît la munici s’organise la vie politique serbe. palité de Novi Pazar a estent de l’importance des institutions municipales dans les jeux clientélistes internes à la communauté bosniaque et dans l’exacerbation du conflit entre SDA et SDP. Mais l’évolution de ces confi gura tions politiques locales doit aussi être 33 Par la suite, Ljajić est également nommé président du Conseil chargé des relations de la RFY avec le resi tuée dans un contexte plus large. Ainsi, TPIY et du Centre de coordination pour la Serbie l’émergence du SDP ne peut se comprendre du sud (vallée de Preševo Preshevë). sans tenir compte de sa participation à la 34 La liste «Ensemble pour la tolérance», constituée par DOS, le SDP obtenant deux députés lors des le SDP et d’autres partis ethniques ou régionalistes, élections législatives serbes de 200032 et Rasim ne franchit pas le seuil de 5% des v oix et n’obtient Ljajić devenant peu après ministre fédéral donc aucun député. 35 Le soutien des députés de la «Liste pour le Sandžak» au gouvernement minoritaire de Koštunica, alors 30 Ce parti ne doit être confondu ni avec le Parti social même qu’ils avaient été élus sur les listes du DS, démocrate (SDP) du Monténégro, ni avec celui de amène ce dernier à demander la tenue d’ élections Bosnie Herzégovine. anticipées et à boyco er le Parlement serbe à partir 31 Le SDP s’empare également de la municipalité de d’octobre 2005. Huit mois plus tard, la décision Prij epolje grâce au soutien de certains partis serbes. du gouvernement Koštunica de dissoudre le 32 La «Liste pour le Sandžak» soutient quant à elle la conseil municipal de Novi Pazar et d’y organiser candidature de Vojislav Koštunica contre Slobodan des élections antic ipées conduit Rasim Ljajić à Milošević aux élections présidentielles fédérales, démissionner de tous ses mandats fédéraux (voir mais boycotte les élections législativ es pour note 32). protester contre le seuil de 5% des voix instauré par 36 Suite à une modifi cation de la loi électorale en 2004, la loi électorale et défavorable aux partis ethniques le seuil de 5% des voix ne s’applique plus aux partis ou régionalistes ethniques. 59 4.1.3. Le Sandžak monténégrin dans les man du Sandžak (Muslimansko nacionalno vij eće années 2000: l’hégémonie persistante Sandžaka –MNVS) et organise un référendum du DPS sur l’«autonomie politique et territoriale du La situation est sensiblement différente au Sandžak, avec le droit de se ratt acher à une Monténégro, où les div erses coalitions de des républiques souveraines [de la fédération partis bosniaques réalisent des scores insignifi yougoslave]». Passée au second plan après ants aux élections législatives (4‘046 voix, soit l’éclatement du confl it en Bosnie Herzégovine, 1,1%, en 2001; 4’619 voix, soit 1,3% en 2002), cette revendication est réactivée en juin et où le DPS conserve une position dominante 1993, avec la publication par le MNVS d’un dans les municipalités à majorité bosniaque. «Mémorandum sur l’établissement d’un statut Ainsi, lors des élections locales de 2002, la spécial pour le Sandžak». Ce e revendication «Coalition démocratique bosniaque» recueille d’autonomie territoriale refl ète tout à la fois 21,4% des voix à Rožaje contre 51,2% pour le l’insatisfaction des Musulmans/Bosniaques DPS et 13,7% pour le SDP, et le SDA recueille du Sandžak face au sous dév eloppement 13,1% des voix à Plav contre 32,6% pour le économique et à la répression policière dans DPS et 19,2% pour le SDP. Cette faiblesse ce e région, et certaines ambitions ou utopies électorale, alors même que les mino rités géopolitiques propres aux fondateurs du nationales cherchent à négocier leur soutien SDA (réintégration du Sandžak au sein de la 38 à l’indépendance du Monténégro, explique Bosnie Herzégovine, continuité territoriale que plusieurs partis bosniaques – dont le avec l’espace albanais à majorité musulmane, SDA – fusionnent en 2006 pour créer le P arti etc.). Après l’éclatement du conflit bosnien, bosniaque (Bošnjačka stranka –BS). Quelques elle constitue surtout un moyen de pression mois plus tard, lors des élections législatives dans le cadre de négociations plus larges entre de septembre 2006, le BS et le P arti libéral dirigeants politiques serbes et musulmans/ (Liberalna partija –LP) obtiennent ensemble bosniaques: ce n’est pas un hasard si cette 12’748 voix (3,7%) et trois députés (dont deux revendication est réactivée une première fois pour le BS).37 Ce retour de représentants d’un après que les dirigeants de la Republika Srpska parti bosniaque au sein du Parlement monténé aient rejeté le plan Vance Owen, et au moment grin, pour la première fois depuis 1998, refl ète où ceux du SDA de Bosnie Herzégovine sont une montée plus générale des partis ethniques eux mêmes tentés par la constitution d’un Etat au Monténégro, suite aux tensions ay ant national musulman/bosniaque (voir partie entouré le référendum sur l’indépendance et 1.2.2.). De même, en 1997, la réactivation de l’adoption de la loi sur les droits des minorités la revendication d’autonomie territoriale pour (voir partie 4.2.2.). Mais elle ne remet pas le Sandžak suit de peu la conclusion d’un forcément en cause les allégeances clientélistes accord établissant des liens particuliers entre liant la communauté bosniaque du Sandžak la Republika Srpska et la RFY. monténégrin au pouvoir central, le BS s’étant A première vue, la revendication d’autonomie du reste allié au DPS à Plav et au SDP à Rožaje terri toriale fait l’unanimité au sein de la com lors des élections locales de septembre 2006. mun auté musulmane/bosniaque du Sandžak. Ainsi, selon le MNVS, 98,9% person nes ayant 4.2 De la revendication d’autonomie participé au référendum de 1991 se seraient territoriale du Sandžak à la prononcés en sa faveur. Pourtant, ce même reconnaissance comme minorité référendum provoque une première crise au nationale bosniaque sein du SDA sandžakois, le député de Novi Pazar Mahmut Memić dénonçant le pas sage 4.2.1. L’autonomie territoriale du Sandžak, d’une revendication d’autonomie culturelle une revendication faussement à celle d’autonomie politique et rejoignant consensuelle peu après le P arti démo cratique (DS). Au Dès 1990, le SDA demande l’a ribution d’une cours des années suivantes, une partie de autonomie culturelle pour le Sandžak. L’année plus en plus importante des éli tes politiques suivante, il crée un Conseil national musul bosniaques du Sandžak se désolidarise de
37 Dans le Sandžak monténégrin, la coalition BS 38 Le sancak de Novi Pazar faisait partie du vilayet de LP obtient 7’203 voix, soit 7,9% des suffrages Bosnie Herzégovine jusqu’au Congrès de Berlin en exprimés. 1878. 60 ce e revendication pour privilégier d’autres droits des minorités, celle ci prévoyant entre de mandes et d’autres straté gies politiques. En autres la création d’un conseil représent a Serbie, Rasim Ljajić demande le regroupement tif pour chacune d’ entre elles. Le BNVS des municipalités du Sandžak serbe au sein se transforme alors en Conseil national d’un seul okrug (région administrative),39 bosniaque (Bošnjačko nacionalno vij eće –BNV) soutient l’idée d’une Serbie décentralisée, et se de Serbie Monténégro, et reconduit Sulejman rapproche sur ce e base des partis hongrois et Ugljanin à sa tête. Sa représentativité est autonomistes de Voïvodine. Au Monténégro, toutefois limitée, dans la mesure où il la priorité est très vite donnée à l’indépen rassemble surtout des représentants du dance de cette république, bien que celle ci Sandžak serbe, et qu’il est boycotté par le implique une partition du Sandžak entre deux SDP et le SZS. Par contre, l’offi cialisation du Etats distincts. BNV, le soutien de la «Liste pour le Sandžak» au gouvernement Koštunica et l’ obtention 4.2.2. Les évolutions diff érenciées de la de certains droits nationaux (suppression du revendication d’autonomie en Serbie seuil électoral de 5% pour les partis ethniques, et au Monténégro cours de langue bosniaque dans les écoles élémentaires, etc.) favorisent un tournant Ces évolutions stratégiques expliquent en légaliste du SDA, Ugljanin faisant passer au grande partie le morcellement progressif second plan la revendication d’autonomie. Le du paysage politique bosniaque, ainsi que NPS et d’autres petits partis se lancent alors les alliances passées à partir de la fin des à leur tour dans une surenchère nationali ste années 1990 avec l’opposition démocratique en réactivant l’ancien BNVS et en menaçant serbe ou le DPS monténégrin (v oir partie de proclamer l’indépendance du Sandžak en 4.1.1.). Elles éclatent au grand jour en 1999, cas de dissolution de la RFY. Faute de soutien, après l’intervention militaire de l’OTAN et le cette initiative reste sans suite. En octobre pa ssage du Kosovo sous tutelle internationale. 2006, par contre, une autre recompositio n se En juillet 1999, en eff et, le Conseil national des produit, la «Liste pour le Sandžak» appelant Bos niaques du Sandžak (Bošnjačko nacionalno à voter en faveur de la nouvelle Constitution vijeće Sandžaka –BNVS, ex MNVS) contrôlé serbe, alors que le SDP s’associe au NPS et par le SDA d’Ugljanin présente un nouveau au SZS pour dénoncer le fait qu’elle défi nit la «Mémorandum sur l’autonomie du Sandžak Serbie comme Etat de la seule nation serbe et et ses liens particuliers avec la Bosnie Herzégo n’accorde aucun statut spécifi que au Sandžak. vine» dans lequel il se prononce contre toute partition du Sandžak en cas de dissolution Ce e articulation complexe entre formulation de la RFY, puis exige l’a ribution d’une large des intérêts stratégiques de la communauté autonomie au Sandžak redéfi ni comme entité bosniaque du Sandžak, allégeances à certains territoriale directement reliée à la RFY d’une acteurs politiques nationaux et riv alités part, l’a ribution du statut de nation constitu internes aux élites politiques bosniaques se tive à la communauté bosniaque d’autre part. retrouve au Monténégro, sous des formes Ce mémorandum, qui tente en réalité de poser différentes. Dès la fin des années 1990, en les bases légales d’une sécession du Sandžak effet, le SDA entend négocier son soutien à en cas de dissolution de la RFY, est dénoncé l’indépendance de ce e république contre la par l’ensemble des élites politiques bosni reconnaissance des Bosniaques comme nation aques du Monténégro (à l’exception de Harun constitutive, la création de sièges réservés au Hadžić) et par les partisans de Rasim Ljajić. minorités nationales au sein du Parlement et l’application de quotas ethniques à tous les La chute de Milošević permet la reconnai niveaux de l’administration. Ces demandes 40 ssance en 2001 du nom national «Bosniaque» sont reprises en 2006 par le P arti bosniaque et l’adoption en 2002 d’une loi fédérale sur les (BS) et, quelques jours av ant le référendum sur l’indépendance, le Parlement adopte une 39 Les municipalités du San džak serbe sont en effet loi sur les droits des minorités a ribuant trois ra achées à l’okrug de Raška (Novi Pazar, Tutin) ou à celui de Zlatibor (Sjenica, Prij epolje, Priboj, Nova sièges aux minorités nationales représentant Varoš). plus de 5% de la population totale. Toutefois, 40 La catégorie «Musulman» est toutefois maintenue ce e disposition est annulée deux mois plus lors des recensements de 2002/2003 (v oir partie tard par la Cour constitutionnelle, suscitant la 4.2.3.). 61 colère des partis ethniques et expliquant leur DPS et ses puissants réseaux clientélistes. Du succès relatif lors des élections de septembre reste, ces deux modes d’insertion ne correspon 2006. dent pas strictement à la frontière entre Sandžak serbe et monténégrin, Harun Hadžić 4.2.3. Sandžak serbe et Sandžak conser vant une certaine influen ce à Rožaje, monténégrin: deux modes municipa lité à forte majorité bosniaque, et d’intégration politique et de Rasim Ljajić bénéficiant dès les années 1990 recomposition identitaire de soutiens plus forts dans les municipalités du Sandžak serbe occidental où la population Les évolutions politiques de la communauté bosniaque est minoritaire. bosniaque du Sandžak entre 1996 et 2006 s’expliquent sans doute en partie par des Enfi n, ces évolutions divergentes correspon considérations stratégiques plus larges: la dent aussi à des variations dans les recomposi réintégration institutionnelle de la Bosnie tions de l’identité musulmane/bosniaque. Herzégovine passe aussi par la normali Certes, dès 1996, une assemblée des représen sation de ses rapports avec la Serbie, et un tants politiques, culturels et religieux de Monténégro indépendant mais dont les la communauté musulma ne/bosniaque du équilibres politiques internes dépendent de Sandžak entérine le remplacement du nom ses minorités nationales représente pour les national «Musulman» par celui de «Bosni dirigeants bosniaques de Bosnie Herzégovine aque». Mais cette décision n’est officia lisée un intérêt géopolitique plus évident qu’un qu’en 2001 par les autorités serbes et monténé hypothétique Sandžak autonome. Mais ces grines, et ne fait pas l’unanimité parmi les 42 évolutions refl ètent avant tout l’autonomisa Musulmans/Bosniaques du Monté négro. Ces tion des dynamiques politiques du Sandžak, variations dans les recompositions identi taires le SDA de Bosnie Herzégovine ne parvenant en Serbie et au Monténégro trans parais sent pas à arbitrer les conflits internes aux élites dans les recensements de popula tion eff ectués politiques sandžakoises, et la rivalité entre en 2002/2003: 134’128 personnes se déclar ant Ugljanin et Ljajić ou la marginalisation de «Bosniaque» et 8’222 seulement se déclarant Hadžić préfi gurant au contraire certaines des «Musulman» dans le Sandžak serbe (soit évolutions que ce parti connaîtra à partir de la respective ment 56,9% et 3,5% de la popula fi n des années 1990 (voir parties 2.1. et 2.2.).41 tion totale de cette région), quand 44’341 personnes se déclarent «Bosniaque» et 15’448 Dès lors, les év olutions divergentes de la se déclarent «Musulman» dans le Sandžak communauté bosniaque en Serbie et au monténégrin (28,1% et 9,8% de la population Monténégro correspondent avant tout à des totale). modes d’insertion diff érents dans les cadres territoriaux et institutionnels issus de la dés agrégation de la Yougoslavie communiste, 4.3. L’Islamska zajednica entre puis de la RFY. Dans le Sandžak serbe, les institutionnalisation régionale et élites politiques bosniaques restent dans contestation doctrinale une large mesure regroupées autour du 4.3.1. L’Islamska zajednica dans le Sandžak SDA, et s’appuient sur les municipalités à et les questions de compétence majorité bosniaque pour dév elopper leurs territoriale propres réseaux de pouvoir. Dans le Sandžak Pendant la période communiste et au delà, monténégrin, par contre, ces mêmes é lites la population musulmane/bosniaque du représentent une population moins concentrée Sandžak est caractérisée par une religiosité géogra phiquement, quoi que pesant plus plus forte que celle de Bosnie Herzé govine. dans la population totale du Monténégro, et Cette spécificité s’explique par le caractère se laissent donc plus aisément absorber par le rural du Sandžak, mais aussi par le fait que,
41 Il semble du reste que la mouv ance islamiste de 42 L’association «Matica Muslimanska» estime ainsi que Bosnie Herzégovine se soit elle même éloignée de ce change ment de nom a pour conséquence la perte Sulejman Ugljanin, du fait de ses pratiques au tori du statut de nation constitutive du Monténégro. Il taires et du soutien apporté à Rasim Ljajić par le en existe en outre sur la côte monténégrine (Bar , mu i de Novi Pazar (voir partie 4.3.2.), et de Harun Ulcinj) des populations musulmanes slavophones Hadžić, du fait de son isolement sur la scène polit pou vant plus diffi cilement se reconnaître dans une ique monténégrine. identité nationale bosniaque. 62 plus encore qu’ en Bosnie Herzégovine, n’empêchent pas l’Islamska zajednica de jouer l’Islamska zajednica joue pour les Musulmans/ un rôle important dans le Sandžak, et e n Bosniaques du Sandžak le rôle d’institution particulier dans sa partie serbe. Au début des nationale de substitution. C’est dans ce con années 1990, elle participe au MNVS puis, texte qu’il faut resituer les conséquences dans un contexte de forte répression, se pos e qu’ont dans cette région l’ éclatement de en intermédiaire entre les autorités serbes l’Islamska zajednica de Yougoslavie d’une part, et la communauté musulman e/bosniaque. la création du SDA et du MNVS d’autre part. Mais ce rôle des institutions religieuses, et Dès 1989/1990, les imams du Sandžak serbe de Zukorlić en particulier, explique aussi que soutiennent leurs collègues du Kosovo dans ce dernier rentre en conflit av ec Ugljanin, leur opposition à Hamdij a Jusufspahić, mu i qui avait pourtant soutenu sa candidature de Belgrade lié à l’ancien régime communiste. au poste de mu i. Les partisans de Zukorlić Idriz Demirović, mufti de P odgorica, par se retirent alors du BNVS (ex MNVS) et vient par contre à se maintenir à la tête des tentent de créer un Congrès national des institu tions religieuses du Monténégro. Bosniaques de Yougoslavie ( Nacionalni En 1993, la nouv elle Islamska zajednica de Kongres Bošnjaka Jugoslavije –NKBJ), avant Bosnie Herzégovine (voir partie 1.3.1.) crée d’apporter leur soutien au SDP de Rasim un poste de mufti à Novi P azar, attribué à Ljajić. Après la chute de Miloševi ć en 2000, Muamer Zukorlić. Celui ci est censé exercer le Premier ministre Zoran Djindjić confi rme son autorité sur l’ensemble du Sandžak, mais Zukorlić dans son statut d’interlocuteur une Islamska zajednica du Monténégro est privilégié, cherchant ainsi à surmonter les créée un an plus tard, qui désigne Demirović divisions de la vie politique sandžakoise et à comme Reis ul Ulema. Un double conflit de contourner le BNVS. Ce e stratégie explique compétences apparaît alors, opposant le mu i en particulier le soutien du gouv ernement de Novi Pazar au Reis ul Ulema de Podgorica Djindjić à l’Université internationale ouverte d’une part, au mu i de Belgrade d’autre part. en 2002 à Novi Pazar, et dont le recteur n’est Dans le premier cas, l’enjeu est le contrôle des autre que Zukorlić. Ugljanin s’appuie alors jama’ats (communautés locales de croyants) sur la municipalité de Novi P azar puis sur du Sandžak monténégrin, ceux ci pouv ant le gouvernement Koštunica pour tenter reconnaître soit l’autorité de Podgorica, soit d’affaiblir son nouvel adversaire (refus de celle de Novi Pazar. Ce confl it s’apaise dans restitution des waqfs nationalisés en 1947, les années 2000, suite au remplacement de tentatives de démolition du nouveau bâtiment Demirović par Rifat Fejzić en 2003 et à la de la madrassa pour défaut de permis de reconnaissance implicite de son autorité construire, ouverture d’une université d’Etat par Mustafa Cerić, Reis ul Ulema de Bosnie à Novi Pazar en 2006, etc.), cependant que Herzégovine, lors d’une visite au Monténégro Zukorlić, face à l’aggravation des tensions en 2005.43 Dans le deuxième cas, l’ enjeu est entre partisans du SDA et du SDP, se pose en la mise en place d’une Islamska zajedn ica arbitre et en appelle à l’ autorité de Mustafa de Serbie, Jusufspahić v oulant en faire une Cerić. communauté religieuse indépendante dont le Dans le Sandžak également, l’Islamska zajednica siège se situerait à Belgrade, et Zukorlić sou a connu un import ant développement de haitant préserver les liens institutionnels avec ses activités éducatives, comme l’ attestent l’Islamska zajednica de Bosnie Herzégovine l’ouverture d’une madrassa (1990) et d’une ainsi que le rôle central de Novi Pazar. Académie pédagogique islamique (2001) à Novi P azar, ainsi que la réintroduction 4.3.2. L’Islamska zajednica, interlocuteur de l’instruction rel igieuse dans les écoles privilégié de l’Etat et acteur fragilisé primaires à partir de 2004. Mais l’ Islamska sur le terrain zajednica ne dispose toujours pas dans le Sandžak des cadres nécessaires pour Ces problèmes de compétence territoriale assumer ces nouvelles tâches, de nombreux professeurs de l’Académie pédagogique 43 Ce choix s’explique sans doute en partie par des islamique de Novi Pazar venant en fait considérations politiques, Cerić étant comme Fejzić régulièrement de Sarajevo ou de Zenica. En favorable à l’indépendance du Monténégro, quand outre, les institutions religieuses islamiques Zukorlić y est plutôt hostile. 63 de Serbie et du Monténégro ne bénéfi cient pas de la diaspora. Ainsi, le mouvement «Kelimet comme en Bosnie Herzégovine d’importants ul Haqq» («La parole de vérité»), favorable à la relais au sein de l’appareil d’Etat, même si pratique du takfi r44 et proche de la mouvance certains notables peuvent cumuler mandats «al Qaida», situe le lieu de publication de ses politiques et religieux: ainsi, au Monténégro, ouvrages à Plav, dans le Sandžak monténégrin. Orhan Šahmanović, ancien dirigeant du SDA Il est dirigé depuis Vienne par un jeune et secrétaire du ministère pour les droits des Bosniaque originaire du Sandžak et bénéfi cie minorités, est également vice président du du soutien de plusieurs étudiants bosniaques sabor (assemblée) de l’Islamska zajednica. Ce e à l’université islamique de Médine, écrivant relative faiblesse des institutions religieuses eux aussi sous pseudonyme.45 explique que les jama’ats locaux bénéficient Dans ce contexte, les processus de diff érencia d’une autonomie plus grande dans le Sandžak tion constatés en Bosnie H erzégo vine se qu’en Bosnie Herzégovine, et deviennent retrouvent dans le Sandžak. D’une part, les dès lors aisément l’objet de confl its partisans institutions religieuses, qui ont longtemps ou doctrinaux. C’est ainsi que les partisa ns toléré et minimisé les agissements du courant du SDA ont pris le contrôle de plus ieurs djihadiste, sont récemment entrés en conflit mosquées à Novi P azar, et que d’ autres avec son aile la plus extrémi ste, comme mosquées de Novi P azar, de Rožaje ou de l’attestent les violents incidents ay ant eu Bijelo Polje ont vu s’affronter violemment lieu en novembre 2006 dev ant la mosquée croyants traditionnels et jeunes néo salafi stes. «Arap džamija» de Novi P azar ou la reprise par l’Islamska zajednica du Monténégro de la 4.3.3. La montée du néo salafi sme dans le «Résolution sur l’interprétation de l’islam» Sandžak: évolutions doctrinales adoptée peu auparav ant par l’ Islamska similaires, contexte institutionnel zajednica de Bosnie Herzégovine (voir partie diff érent 3.2.2.). D’autre part, l’aile plus modérée du Le Sandžak, en effet, n’ échappe pas à la courant djihadiste a récemment dénoncé – par montée en puissance du néo salafisme le biais du journal « Saff» – les orientations constatée en Bosnie Herzégovine (voir partie et les pratiques du mouv ement «Kelimet ul 3.2.1.). Dans la mesure où ce e région n’a pas Haqq». été une zone de guerre dans les années 1990, Comme en Bosnie Herzégovine, la vie religi la mouvance néo salafiste s’y est d’ abord euse dans le Sandžak est donc marquée par implantée sous sa forme piétiste, et par le la fin du monopole de l’ Islamska zajednica biais des institutions religieuses. Plusieurs sur la vie religieuse et la div ersification cadres de l’Islamska zajednica dans le Sandžak doctrinale de l’islam local. Mais la situation serbe et plusieurs enseignants de l’Académie du Sandžak reste en partie spécifique. En pédagogique islamique de Novi P azar eff et, les institutions religieuses y conservent peuvent en eff et être ra achés au courant néo sans doute plus qu’en Bosnie Herzégovine un salafi ste de type piétiste, et Muamer Zukorlić rôle d’institution nationale de substitution, lui même adopte une ligne «centriste» symbolisé par le lien institutionnel persistant proche de celle de Mustafa Cerić en Bosnie entre le mufti de Novi Pazar et le Reis ul Herzégovine. Tel semble être aussi le cas au Ulema de Bosnie Herzégovine. Dans le même Monténégro, après l’élection de Rifat Fejzić temps, toutefois, les conflits de compétence comme Reis ul Ulema. territoriale et le défi cit en cadres religieux qui A l a fi n des années 1990, les mouvements de affectent ces mêmes institutions expliquent jeunesse liés au courant néo salafi ste de type leur moindre capacité de résistance ou djihadiste se sont également implantés dans le d’daptation face aux infl uences idéologiques Sandžak à partir de la Bosnie Herzégovine ou et doctrinales venues de l’extérieur.
44 Sur la notion de «takfi r», voir note 25. 45 Voir le site internet de ce mouv ement h p://www. kelimetulhaqq.net. 64 Bibliographie sélective
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70 PPDSH – Parti du progrès démocratique des Albanais (Macédoine) PVD – Parti pour l’action démocratique (Serbie du sud) SBiH – Parti pour la Bosnie et Herzégovine SDA – Parti de l’action démocratique (Bosnie Herzégovine, Sandžak) SDP – Parti social démocrate (Bosnie Herzégovine) SDP – Parti social démocrate (Monténégro) SDP – Parti démocratique sandžakois (Sandžak serbe) SDS – Parti démocratique serbe (Bosnie Herzégovine) SDSM – Parti social démocrate de Macédoine SNSD – Alliance des sociaux démocrates indépendants (Bosnie Herzégovine) SPS – Parti socialiste de Serbie SRS – Parti radical serbe (Serbie) SZS – Parti pour le Sandžak (Sandžak serbe) TDP – Parti démocratique turc (Macédoine) UBSD – Union des sociaux démocrates bosniens (Bosnie Herzégovine) UDL – Union démocratique de la vallée (Serbie du sud) UÇK – Armée de libération du Kosovo UÇK M – Armée de libération nationale en Macédoine UÇPMB – Armée de libération de Preshevë, Medvegjë et Bujanoc (Serbie du sud) VMRO DPMNE – Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne Parti démocratique pour l’union nationale macédonienne
71 72