1. Une revendication nouvelle Fermer 2. Une revendication recevable 3. Producteurs, consommateurs, citoyens 4. Assurer l’avenir des anciens travailleurs de la viande 5. La viande avec garantie de bien-être animal : les abattoirs une alternative à l’abolition ? 6. Pour une écologie sensibiliste « On ne doit pas maltraiter ou tuer 7. Inscrire le projet d’abolition dans le présent des animaux sans nécessité »

Le texte de cette brochure est en ligne sur le site des Cahiers antispécistes : www.cahiers-antispecistes.org/abolir-la-viande/ – 1 – Résumé

La thèse défendue dans cette brochure est qu’il faut dès maintenant œuvrer expli - citement à l’interdiction légale de la production et de la consommation de chair animale. C’est à la fois une mesure nécessaire et une mesure qu’il est possible d’obtenir sans attendre une révolution des mentalités ou de l’organisation de nos sociétés. Fermer « On ne doit pas maltraiter ou tuer des animaux sans nécessité » : partout dans le monde, ce précepte fait partie de la morale commune. Partout dans le monde, la consommation alimentaire de produits animaux est la cause principale pour laquelle les * des humains maltraitent et tuent des animaux, sans nécessité. Le précepte précité abattoirs n’est pas dénué d’impact : des personnes refusent de consommer des produits d’ori - gine animale, d’autres réduisent leur consommation de viande, d’autres encore choi - Estiva Reus - Antoine Comiti sissent des produits issus d’élevages offrant quelques garanties sur le traitement des animaux ; des pays adoptent quelques lois protégeant les animaux d’élevage. Mais cela ne suffit pas à inverser la tendance : le nombre d’animaux élevés et pêchés dans le monde croît inexorablement, tandis que l’élevage industriel se généralise. Il est illu - soire d’attendre que les dispositions adoptées en faveur du bien-être animal finissent par assurer des conditions de vie et de mort décentes aux milliards d’animaux mangés chaque année : les éleveurs peuvent difficilement se résoudre à faire passer le bien- être des bêtes avant la rentabilité de leur exploitation, et on ne dispose ni des espaces ni de la main d’œuvre requis pour traiter tant d’animaux avec soin. e temps est venu d’œuvrer à l’abo - 1. Une revendication lition de la viande, c’est-à-dire de nouvelle Prendre conscience que la production de chair animale a un impact environnemental Lsoumettre au débat public l’idée désastreux ne conduira pas nécessairement à une amélioration du sort réservé aux que la consommation de chair animale bêtes : si l’intérêt des animaux n’est pas pris en compte en tant que tel, cette prise de devrait être interdite, de faire grandir L’émergence de cette revendication conscience peut au contraire déboucher sur une intensification de l’élevage. l’adhésion à cette idée, et finalement de politique est un fait nouveau. Certes, faire en sorte qu’une loi établissant cette depuis plus de deux mille ans, des pen - Le contraste entre les devoirs que les humains reconnaissent avoir envers les bêtes interdiction soit adoptée dans chaque seurs ont questionné la légitimité de la et la façon dont ils les traitent concrètement n’implique pas que les bonnes intentions pays. Il s’agit d’obtenir le consentement viande ; des individus et des groupes affichées ne soient qu’hypocrisie. Ce contraste nous apprend toutefois que les chan - des sociétés humaines à l’éradication humains ont refusé de s’en nourrir. gements spontanés de comportement des consommateurs ne constituent pas une d’une pratique, sur la base de la recon - Certes, il y a une trentaine d’années déjà force suffisante pour mettre fin à la boucherie. Il y a des raisons à cela. C’est par ail - naissance des torts majeurs qu’elle cause qu’une fraction du mouvement animaliste leurs une situation très commune : on ne réussit pas non plus à résoudre les problèmes aux bêtes. Cette reconnaissance ne mondial s’emploie à convaincre le public de l’insécurité routière, de la pollution, de la misère humaine, de la maltraitance des demande que l’application effective de ce d’adopter un régime alimentaire sans pro - enfants... en comptant uniquement sur la capacité de chacun à modifier ses habitudes qui est déjà la morale commune. La duits animaux. La disparition de l’élevage pour y porter remède, même lorsqu’il qu’il est largement admis qu’il s’agit de maux. revendication d’abolition de la viande est et de la pêche constitue une composante destinée à prendre place dans l’agenda Pour mettre un terme au sort hideux réservé aux animaux mangés, il faut que la explicite de son idéal. Jusqu’à présent politique présent. Son aboutissement question animale devienne (aussi) un débat de société. Il s’agit d’enclencher un pro - pourtant, nul ne faisait de l’interdiction de peut être pensé dans le cadre des institu - cessus qui s’achèvera par l’adoption de lois interdisant la chasse, la pêche et l’élevage consommer la chair animale un objectif tions et de l’organisation sociale que nous d’animaux pour la consommation humaine. Les institutions publiques ont également affiché, et de la popularisation de cet connaissons déjà. un rôle à jouer dans la reconversion des personnes dont le revenu dépend de ces acti - objectif une priorité. La nécessité de vités. Ce processus commence par l’expression publique de la revendication d’aboli - recourir aussi aux moyens d’intervention tion de la viande. publique pour mettre fin aux torts causés

* Cet article est paru dans le numéro 29 des Cahiers antispécistes en février 2008 sous le titre « Abolir la viande ». – 3 – aux animaux concernés était à peine Parce que la production de viande 1 évoquée . La conviction qu’il est possible implique de tuer de persuader nos contemporains de cette les animaux que l’on mange, nécessité faisait défaut. parce que nombre d’entre eux souffrent de leurs conditions La revendication d’abolition de la de vie et de mise à mort, viande a tardé à émerger parce qu’on a parce que la consommation eu le sentiment qu’un tel mot d’ordre ne de viande n’est pas une nécessité, serait pas compris par une population très parce que les êtres sensibles majoritairement carnivore, et que le ne doivent pas être maltraités simple fait d’en appeler à une interdiction ou tués sans nécessité, braquerait les esprits. Pendant ce temps, l’élevage, la pêche et la chasse face à chaque enquête révélant les hor - des animaux pour leur chair, ainsi reurs subies par des animaux destinés à que la vente et la consommation la consommation alimentaire, face à de chair animale, chaque montée en puissance de revendi - doivent être abolis. cations spécifiques (interdire le gavage, refuser les poulets issus d’élevages La conviction des personnes impli - industriels…), les filières viande ont quées dans ce mouvement naissant est cherché à semer l’inquiétude par cette que la population est dès maintenant mise en garde : « Attention, cette cam - capable d’accueillir la revendication pagne est menée par une poignée de d’abolition de la viande autrement que végétariens qui veulent vous imposer leur comme une proposition aberrante ou loi ! » S’est ainsi instaurée une situation scandaleuse. C’est, dès maintenant, une paradoxale où les seules voix évoquant initiative recevable : une proposition dont une offensive (de fait encore inexistante) les citoyens peuvent comprendre qu’elle visant à interdire la viande émanaient des relève d’une démarche sensée, même s’il forces qui ont intérêt à la dépeindre sous faudra du temps pour qu’elle gagne un le jour menaçant de manœuvres large soutien. Le débat public autour de conduites par un pouvoir occulte. cette initiative permettra d’exposer les raisons pour lesquelles le recours au Les choses sont en voie de change - moyen d’une interdiction légale est requis. ment. Aux États-Unis, un livre 2 publié en 2005 plaide pour le développement d’un L’arrivée de cette revendication sur la « mouvement de démantèlement de l’éle - scène politique amènera à évaluer sous vage ». En , le thème de l’abolition un jour nouveau ce qui se présente à pre - de la viande fait son apparition la même mière vue comme une alternative à l’abo - année (voir encadré) ; un groupe de dis - lition : continuer à utiliser les bêtes à des cussion constitué autour de ce projet fins alimentaires en prenant les disposi - propose de lui donner pour support la tions nécessaires pour assurer leur bien- résolution suivante : être. La réflexion suscitée par cette

1. À cet égard, l’action en faveur des animaux utilisés pour leur chair fait figure d’exception. Les associations luttant contre la tauromachie ne se contentent pas d’inciter le public à ne pas assister aux corridas, elles exigent leur interdiction. La défense des animaux de cirque passe par l’information du public (afin de le détourner des représentations qui les mettent en scène), mais aussi par la demande d’interdiction des cirques avec animaux. On retrouve le même schéma dans les autres domaines (fourrure, delphinariums, chasse, expérimentation…) à l’exception de la viande (même s’il existe des demandes d’interdiction de produits carnés particuliers : viande de chien, de cheval, foie gras…). Les vidéos les plus poignantes sur les conditions d’élevage et d’abattage se terminent tout au plus sur le « La production de viande implique de tuer les animaux que l’on mange. » conseil : « Devenez végétarien », sans ajouter : « Ces activités ne devraient pas exister, on doit les interdire. » 2. Erik Marcus, Meat Market , Brio Press, 2005. – 5 – revendication pourrait également débou - chasse et la pêche tuent, et qu’ils infligent tection des animaux contre des pratiques moteurs. « Ne pas infliger aux animaux cher sur une formulation plus adéquate des souffrances considérables aux qui leur nuisent gravement ne relève pas des souffrances inutiles » est dérivé du du lien – pressenti depuis longtemps – animaux. Il est factuellement vrai que les de ce cas de figure. La prescription « On précepte plus large « Ne pas nuire à entre cause animale et préoccupations humains n’ont pas besoin de consommer ne doit pas maltraiter ou tuer des animaux autrui », combiné au fait que, les animaux écologiques. des produits animaux pour vivre en bonne sans nécessité » fait quasiment consen - étant sentants, ils font partie des « autrui » santé. Se passer de viande ne leur ferme sus. Il n’existe pas de camp significatif qui à qui il est possible de nuire. Lorsque la Poser l’objectif d’abolition de la viande pas non plus la perspective d’une vie épa - fasse de la prescription contraire une viande sera abolie, alors que certains ne conduit nullement à sous-estimer la nouissante, ni même la jouissance des valeur essentielle (« On doit tourmenter et seront encore réfractaires à cette mesure, valeur des campagnes, réflexions, plaisirs de la table. Parce que la prémisse tuer des bêtes pour son bon plaisir »), ni il ne s’agira pas d’une victoire de la actions, menées de longue date en faveur éthique fait partie de la morale ordinaire, aucune théorie éthique majeure qui four - contrainte sur la liberté. Le choix n’est pas des animaux, ni à vouloir y substituer des et que les assertions intermédiaires qui nisse les bases pouvant fonder pareille entre imposer un diktat aux carnivores méthodes radicalement différentes. En permettent d’en déduire la conclusion conclusion. Dans ces conditions, il n’est récalcitrants (la contrainte) ou ne rien revanche, fixer la perspective de l’aboli - sont des faits, pas des opinions, la reven - pas irréaliste d’œuvrer à ce que la « loi imposer à personne (la liberté). Il est entre tion devrait donner davantage de force, dication d’abolition de la viande réunit les légale » vienne à l’appui de la loi morale. contraindre ces carnivores à renoncer à de sens, de cohérence, à bien des initia - conditions pour être reçue comme une une habitude sans laquelle on peut vivre tives déjà en place et en inspirer quelques proposition qui mérite d’être prise en Et la liberté ? et trouver plaisir à l’existence, ou conti - nouvelles. considération. nuer à contraindre des bêtes à l’enferme - Il ne manquera pas de voix pour dénon - ment, la mutilation, la séparation d’avec Loi morale et loi légale cer un attentat liberticide. Celles-là même leurs proches, la privation de la conduite qui se sont élevées alors que la revendi - autonome de leur existence… et la mort. 2. Une revendication Le propre d’un impératif moral est cation d’abolition de la viande n’était Parce qu’il s’agit de restreindre la liberté d’être une prescription universelle : un portée par personne. Mais combien de lorsqu’elle conduit à des comportements recevable énoncé sur ce qui devrait être fait par temps l’épouvantail du coup de force qui portent atteinte à la liberté, la santé, le tous. Abolir la viande, c’est prendre une fomenté par une minorité peut-il faire illu - bonheur et la vie d’autrui, on est dans le disposition légale afin que l’impératif sion et empêcher que le débat ait lieu sur domaine où – y compris dans les cultures La revendication d’abolition de la moral en cause soit effectivement res - le fond ? Les initiateurs de ce mouvement les plus attachées aux libertés indivi - viande ne s’appuie sur rien d’autre que la pecté par tous dans un de ses principaux ne disposent d’aucune armée prête à duelles – il est admis que les institutions morale commune : aussi bien s’agissant domaines d’application. écraser le peuple des carnivores. Ils n’ont peuvent (et doivent) contraindre les indi - de ce qui est dû aux animaux que des ni les moyens ni l’ambition d’en lever une. vidus. restrictions justifiables à la liberté indivi - Un tel usage de la loi est difficilement Pour qu’une loi interdisant la consomma - duelle. envisageable lorsque s’affrontent dans la tion alimentaire de produits animaux population des conceptions foncièrement 3. Producteurs, Ne pas maltraiter ni tuer puisse être adoptée et appliquée, il faut incompatibles du bien. L’art du politique qu’une grande partie de la population d’un consommateurs, sans nécessité consiste alors plutôt à trouver des com - pays y consente. Le projet de loi ne sera promis permettant la coexistence paci - examiné qu’au terme d’un processus où citoyens La condamnation morale des mauvais fique entre tenants d’éthiques distinctes. un nombre croissant de personnes se traitements envers les animaux est large - Cela passe souvent par la fixation de limites seront engagées activement en sa faveur. Pourquoi impliquer le citoyen – par une ment partagée : il est admis qu’on ne doit à la sphère où elles peuvent prétendre revendication d’ordre politique – dans la pas leur infliger de souffrances inutiles, ni s’exercer, ce qui revient à ne reconnaître à Reste qu’établir une interdiction légale, remise en cause de l’usage alimentaire les tuer sans nécessité 3. D’autre part, il aucune d’elles le domaine d’application uni - c’est instaurer une contrainte qui s’impose 4 des animaux, plutôt que de s’adresser est factuellement vrai que l’élevage, la versel qu’elles revendi quent . Mais la pro - à tous, et qu’un large consentement à une mesure n’équivaut pas à une approbation uniquement au consommateur ? unanime. De ce fait, il s’agit effectivement 3. Ce précepte serait vide si on qualifiait de nécessaire tout usage des animaux dont des humains estiment tirer de restreindre le domaine laissé à la Offre et demande… quelque avantage, quand bien même cela causerait un tort, si grand soit-il, aux animaux. Or, la morale est une liberté personnelle. La démarche consis - discipline pratique : elle porte sur ce qui doit être fait. Des préceptes dénués d’implications sur notre façon d’agir n’ont pas lieu d’être énoncés. Celui proscrivant d’infliger aux animaux des souffrances inutiles a été énoncé et tant à revendiquer une telle restriction Le consommateur peut choisir d’abolir largement adopté. Il n’est donc pas vide. n’en devient pas pour autant odieuse et la viande dans son propre royaume (la 4. Par exemple lorsqu’il s’agit d’organiser la cohabitation de religions qui ne demandent pas d’adorer le(s) même(s) inintelligible pour tout autre que ses pro - bannir de sa propre table), ou du moins dieu(x), tout en faisant chacune de l’adoration de leur(s) dieu(x) un devoir que tous devraient accomplir.

– 6 – – 7 – se soucier des conditions de vie des l’environnement, abaissent les coûts L’idée qu’on puisse tuer un animal à la ralement comprises et acceptées, y animaux dans les élevages dont provien - qu’ils supportent. En outre, il est fréquent chasse vous paraît normale compris quand elle induisent des nent les produits qu’il achète. Ces deux que les possibilités de développement – pas d’accord : 52 %. contraintes nouvelles 9. attitudes sont en progression numérique, des entreprises ne soient pas strictement mais demeurent très minoritaires. Au dépendantes de leurs recettes de ventes. L’idée qu’on puisse acheter une volaille et L’explication de ces attitudes apparem - niveau mondial, la consommation de chair En effet, l’agriculture et la pêche comptent l’abattre soi-même vous paraît normale – ment contradictoires mobilise beaucoup animale par habitant est en forte progres - parmi les activités économiques les plus pas d’accord : 40 %. plus de données qu’on ne peut en explo - sion, de même que les formes d’élevage subventionnées 5. Outre un soutien struc - rer ici. Mentionnons une piste parmi d’au - L’idée qu’on puisse tuer un animal à la les moins respectueuses des besoins des turel, les pouvoirs publics viennent au tres au travers d’un exemple. pêche vous paraît normale animaux. Ainsi, la prescription « On ne secours des producteurs lors d’événe - – pas d’accord : 39 %. L’impératif moral dicte : « Agis comme doit pas maltraiter ou tuer des animaux ments tels que les épizooties ou les tous devraient le faire dans les mêmes sans nécessité » est à la fois largement hausses du prix des intrants. Il est normal que l’homme élève des circonstances. » À l’automobiliste surpris approuvée et largement inopérante. Tant animaux pour leur viande à se garer sur une place réservée aux du côté « offre » que du côté Les consommateurs quant à eux… – pas d’accord : 14 %. handicapés et qui plaide que cet acte « demande », des facteurs poussent au consomment, et ne sont qu’une minorité isolé ne fera pas grand mal, on lancera le maintien et à l’extension du système en à être attentifs aux conditions d’élevage Par ailleurs, 65 % des personnes inter - reproche : « Et si tout le monde faisait place. au moment des achats. Pourtant, une rogées ont déclaré être d’accord avec l’af - comme vous ? » majorité d’entre eux se déclarent sou - firmation suivante : « Cela vous La pêche et l’élevage sont des activités cieuse du bien-être animal 6. Et le nombre dérangerait d’assister à l’abattage des Un principe de conduite ordinaire économiques qui, comme toute autre, ont de ceux qui expriment un malaise ou un animaux. » conseille : « Agis en tenant compte de ce leur propre logique de croissance. Elles désaccord concernant le fait de tuer des que font les autres. » ne se bornent pas à répondre passive - animaux est loin d’être négligeable. Ainsi, Les paroles et les actes ment à une demande préexistante. Les d’après une étude cofinancée par le Le respect des places de stationne - évolutions techniques dans ces secteurs ministère de l’agriculture 7, la réprobation Quatorze pour cent des sondés décla - ment réservées aux handicapés est l’op - ont facilité la conquête de nouveaux de la mise à mort des animaux est déjà le tion qui sera facilement choisie dans une marchés. La zootechnie a permis en fait d’une majorité de Français pour la rent ne pas trouver normal qu’on élève des animaux pour leur viande, alors société où l’usage est déjà établi de les quelques décennies une explosion des corrida et la chasse, et d’une minorité laisser libres. Si au contraire tout le capacités de production et un abaisse - significative pour les animaux élevés ou qu’eux mêmes consomment le produit 8 monde se permet de s’y garer, le réflexe ment prodigieux des prix de revient, de pêchés. Sur un échantillon de 1000 per - des abattoirs . Il n’empêche que le juge - ment qu’ils portent est réel ; il peut servir dominant sera : « Pourquoi irais-je me fati - même que le développement de la pêche sonnes, le pourcentage de répondants se guer à chercher un stationnement dix industrielle. De plus, on se trouve dans déclarant « plutôt pas d’accord » ou « pas de point d’appui en faveur d’un change - ment. Ce type de contradiction entre les rues plus loin alors que cette place sera des secteurs où tant les coûts que les du tout d’accord » avec les phrases citées prise dans 30 secondes par un autre recettes des entreprises obéissent à des est le suivant : paroles et les actes n’a rien d’exception - nel. Aujourd’hui, une majorité d’humains automobiliste valide ? » Ou bien on se lois assez particulières. La sous-évalua - laissera simplement guider par l’habitude L’idée qu’on puisse tuer un animal au exprime une inquiétude face au réchauf - tion des terres ou de l’eau à usage agri - d’utiliser ces emplacements-là comme cours d’une corrida vous paraît normale fement climatique ou à l’épuisement des cole, de même que l’absence de prise en des places ordinaires. Seuls les automo - – pas d’accord : 88 %. énergies fossiles et souhaite sincèrement charge par les producteurs des dégrada - bilistes les plus sensibilisés aux difficultés tions occasionnées par leur activité sur qu’on trouve des remèdes. Seule une partie négligeable d’entre eux prend l’ini - des personnes à mobilité réduite ne cède - tiative de changer significativement ses ront pas à la tentation de ne compter pour 5. Ainsi, au niveau mondial, les subventions à la pêche représentent environ 20 % de la valeur des prises. Voir par habitudes de consommation afin de pré - rien la probabilité (effectivement non exemple cette page de l’UNEP (United Nations Environment Programme) : server l’environnement. En revanche, nulle) que, pour une fois, ce soit un han - www.unep.org/Documents.Multilingual/Default.asp?DocumentID=459&ArticleID=5086&l=en quand des politiques sont mises en dicapé qui bénéficie de la place s’ils la L’agriculture bénéficie d’un fort soutien public dans les pays développés. Ainsi, en 2007, 43 % du budget de l’Union laissent libre. Ou bien, sans calcul des européenne est consacré à la politique agricole commune ; à cela s’ajoutent des aides des pays membres à leurs œuvre dans ce domaine, elles sont géné - producteurs nationaux. 6. Le phénomène n’est pas limité aux pays développés. Selon une enquête effectuée par IFAW en Chine, Corée du 8. Du moins est-ce le cas de la majorité d’entre eux : les végétariens ne représentent que 1,2 % des 1000 personnes Sud et Vietnam, 90 % des sondés estiment que « Nous avons le devoir moral de minimiser la souffrance » et une interrogées pour ce sondage. majorité d’entre eux souhaite la mise en place d’une législation protégeant les animaux : 9. On retrouve un phénomène semblable dans d’autres domaines (jugements contradictoires avec les comportements news.bbc.co.uk/1/hi/sci/tech/4357527.stm individuels et acceptation de la mise en œuvre de politiques conformes aux jugements exprimés) : sécurité routière, 7. Geneviève Cazes-Valette, Le rapport à la viande chez le mangeur français contemporain, groupe ESC-Toulouse/CCIT, santé publique, aide aux plus démunis… octobre 2003-novembre 2004, page 345 – 8 – – 9 – invoquant le fait que cette défail - ce fait même par contre, les craintes croissant de personnes expriment ouver - lance est généralisée : « Qu’est ce qu’inspire le risque de marginalisation tement la position jusqu’ici muette « je ne que ça changerait au sort des sociale en cas d’adoption d’un mode de trouve pas normal que l’homme élève (ou poulets que je ne n’achète pas ce consommation différent de celui de son pêche) des animaux pour leur viande », il poulet-ci alors qu’ils sont produits entourage n’ont plus lieu d’être. y aura davantage de personnes qui limi - par centaines de millions ? » Ou teront ou supprimeront leur propre bien, les achats se feront de façon Combien d’humains exigeraient que consommation d’animaux. La vocation routinière, sans se poser de ques - l’on reprenne le massacre après qu’il ait d’exemplarité de telles attitudes devien - tion particulière, en mettant sur le été interrompu et qu’ils aient réorganisé dra plus évidente si le débat « pour ou même plan l’achat d’un poulet et leurs vies sans égorger ni asphyxier d’ani - contre l’abolition de la viande » a réussi à celui d’un kilo de carottes. Et il y a maux pour s’en nourrir ? Si nous étions se faire une place dans la vie politique. Le peu de chances de se voir rappeler dans le temps d’après la viande, il est choix de ces consommateurs sera claire - ses devoirs envers les animaux par possible qu’avec des mentalités simple - ment compris comme un boycott et non l’apostrophe « Et si tout le monde ment similaires aux nôtres actuellement, comme l’expression de quelque orienta - faisait comme vous ? » puisque, jus - nous ne choisirions pas d’y retourner. Il tion particulière en matière de diététique tement, tout le monde est occupé à n’empêche que, partant de l’âge de la ou gastronomie. La progression de ceux faire comme vous. viande, le passage dans l’autre sens est qui mettent les actes en accord avec les difficile à accomplir. paroles aidera à son tour à renforcer la Impliquer le citoyen crédibilité d’une évolution vers une inter - Le projet d’abolition de la viande s’ins - diction de la consommation de chair crit dans une démarche visant à faire en animale. Il en résultera aussi un dévelop - Imaginons qu’on soumette aux sorte que la question animale soit posée pement de l’attitude de consentement Français la question : « Voulez-vous (aussi) au niveau citoyen. C’est celui où passif à l’abolition : celle de personnes qu’on mette fin à l’élevage et l’abat - l’impératif moral a une chance d’être qui, sans prendre l’initiative de changer tage des animaux ? » On peut sup - moins facilement enseveli sous les rou - leur comportement individuel, seront poser qu’une partie de ceux qui tines et les auto-justifications commodes prêtes à admettre la mesure comme déclarent ne pas être d’accord avec lorsqu’une pratique mauvaise est généra - conséquences, ils seront simplement bonne ou acceptable une fois qu’elle sera l’idée qu’il est normal d’élever les animaux lisée : le niveau où on est amené à être arrêtés par le sentiment de malaise qu’ils 10 pour leur viande hésiterait à participer adoptée. éprouvent face à un geste qui exprime conscient d’avoir à prendre une décision par son vote à la pérennité de l’élevage. l’indifférence envers des personnes vul - raisonnée. Au total, l’évolution des positions affi - Et comment réagiraient ceux qui avouent nérables. Mais une majorité ne se chées dans la vie citoyenne et celle des leur malaise à l’idée d’assister à la mise à À mesure que la question de la viande contraindra pas de sa propre initiative à comportements de consommation se ren - mort des animaux face à la responsabilité fera son entrée parmi les sujets débattus faire ce que pourtant elle jugerait bon que forceront mutuellement. de choisir entre la cessation ou la pour - dans le champ politique, il deviendra cré - tous fassent si on lui demandait d’expri - suite des abattages ? À la différence de dible pour le public qu’il arrivera un mer une opinion sur le sujet. ce qu’ils font au supermarché, ils ne moment où la collectivité devra choisir, et Concernant l’usage alimentaire des seraient plus dans le rôle de consomma - que chacun a une responsabilité dans ce animaux, les pratiques de consommation teurs mais dans celui de citoyens, en choix. Un nombre croissant de personnes en vigueur exigent une maltraitance et position de se prononcer sur ce qui s’im - seront ainsi incitées à prendre position, à une tuerie massives des bêtes. Se posera à tous. Il est moins facile alors le dire, et se sentiront tenues de justifier démarquer des comportements domi - d’éviter la réflexion consciente sur la leur jugement. Si ce processus s’en - nants dans la société (et sortir de ses question posée pour n’appliquer qu’une clenche, la tension sera alors ressentie propres routines) a un coût qui, sans être routine, et impossible de se soustraire au plus fortement en cas de contradiction terriblement élevé, n’en est pas moins choix de ce qu’on juge être bien en invo - entre le jugement porté et le comporte - réel. Parallèlement, il est tentant de se quant le poids insignifiant de nos propres ment personnel, et il en résultera une cer - rassurer sur l’innocuité de sa propre comportements de consommation, taine incitation à la réduire. Si un nombre défaillance à agir comme on le devrait en puisque dans ce cas la décision prise vaudra pour la collectivité tout entière. De

10. Quatorze pour cent de la population selon l’estimation fournie par le sondage cité plus haut. – 10 – – 11 – 4. ASSURER L’AVENIR Travailleurs des usines l’univers où ils travaillent, et la difficulté de Y’a des cadavres tous les DES ANCIENS à viande s’endurcir pour supporter ce qu’ils doivent jours. Des fois c’est des mala - faire. Ils s’effraient parfois de leur propre dies, des fois y’a des problèmes TRAVAILLEURS La plus grande partie de la production désensibilisation quand ils en arrivent à respiratoires ou des problèmes DE LA VIANDE est aujourd’hui effectuée sur le modèle faire machinalement ce qui au début leur digestifs, des fois en maternité, industriel. Les emplois offerts sont pour la semblait répugnant. « Vous finissez par c’est les petits qui survivent pas plupart peu ou non qualifiés, physique - débrancher toutes les émotions. Rien ne ou les mères qui les écrasent, y’a peut plus vous importer sinon vous plein de causes… Inscrire la disparition de la viande dans ment et psychologiquement pénibles. On y rencontre chez les salariés une forte risquez d’ouvrir les vannes qui retiennent un processus politique fera surgir la ques - Non, les trois ou quatre pre - rotation du personnel et une concentra - tous ces sentiments négatifs que vous ne tion du sort des personnes qui vivent de miers mois, je le faisais pas [Tuer tion des populations défavorisées en pouvez vous permettre de ressentir, tout l’élevage ou de la pêche. On sera amené les porcelets les plus faibles 14 ], je termes d’accès à l’emploi. Il arrive que en continuant à faire ce travail » raconte à se soucier de leur reconversion, et au préférais les laisser claquer tout des actes de cruauté délibérée soient per - Virgil Butler, ancien employé d’un grand besoin à la faciliter par des politiques 11 12 seuls. Mais bon, des fois ils pétrés envers les animaux , mais, pour abattoir de poulets aux États-Unis . Cette publiques. mettent deux jours… Alors je me l’essentiel, la violence qu’exercent ces même perception refoulée, mais toujours dis non, je vais abréger quand travailleurs est inhérente à l’organisation présente, s’exprime dans ces propos même les souffrances. Moi j’ai - et à la finalité du travail. Ils ne peuvent recueillis auprès de travailleurs dans des merais pas rester comme ça si je pas accomplir les tâches qui leur incom - élevages industriels de cochons en 13 peux plus rien faire. Végéter bent autrement qu’en négligeant, maltrai - France : comme ça, je pourrais pas, je tant ou tuant des animaux. Certains Je suis devenue plus dure. […] Les pourrais pas me laisser comme peuvent y être indifférents ; ce n’est pas petits cochons, la première année, on ça… Alors je me suis décidée la règle générale. Les employés préposés les regarde. Le petit porcelet qui dort, quand même à les tuer, parce à ces tâches ressentent la brutalité de on le regarde… […] Au départ, on est un que…mais bon… Je pleure plus peu comme les citadins qui voient un maintenant quand je le fais. Je cochon pour la première fois, puis bon, suis habituée, mais j’ai eu du je suis pas éleveur, je suis salariée… Un mal. cochon qui meurt, c’est embêtant, mais on va pas pleurer quoi. On se laisse plus aussi faire. Je sais que si je fais une erreur, moi on ne me fera pas de cadeaux.

11. Pour une hypothèse sur les facteurs psychologiques poussant à la cruauté, on peut lire Philippe Laporte, « Il n’y a pas d’exploitation animale sans sadisme », Cahiers antispécistes n° 15-16, avril 1998 cahiers-antispecistes.org/spip.php?article127 12. Virgil Butler, « Dans le crâne d’un tueur », Cahiers antispécistes n°23 www.cahiers-antispecistes.org/spip.php?article239 13. Enquête effectuée par Jocelyne Porcher. Les citations proviennent de son intervention intitulée « Ecrasement de la sensibilité des travailleurs dans les systèmes industriels de productions animales » au colloque « Homme et animal : de la douleur à la cruauté », Paris, 10 octobre 2007. 14. Les employés des élevages sont régulièrement amenés à tuer des porcelets du fait de la mise au point de souches très prolifiques de cochons. Les truies donnent couramment naissance à plus de porcelets qu’elles ne peuvent en nourrir et, dans ce cas, les employés des élevages n’ont pas le temps de prodiguer aux petits cochons les soins qui leur permettraient de survivre. 15. Source : FAO, ’s long shadow – environmental issues and options , 2006, p. 271 ftp.fao.org/docrep/fao/010/a0701e/a0701e00.pdf

– 1 – – 13 – Petits producteurs des pays liards des bêtes réduites en esclavage Accompagner la en développement afin de les tuer (élevage), souvent dans la reconversion des travailleurs négligence la plus extrême des intérêts de la viande À l’autre extrémité des modèles de pro - des animaux concernés. La résolution précitée exige l’abolition de la viande pour duction, la pêche et l’élevage pratiqués Si la viande n’est pas nécessaire pour lèlement, on élabore des politiques leur cette seule raison. Ses rédacteurs enten - avec un capital faible ou nul constituent pourvoir à l’alimentation humaine, elle est permettant de développer d’autres activi - dent marquer de la sorte que les torts une ressource pour de nombreuses aujourd’hui nécessaire à assurer un tés. Des mesures incitatives peuvent éga - immenses causés aux victimes de cette familles des pays pauvres. Ainsi l’élevage revenu aux travailleurs qui la produisent. lement s’avérer nécessaires pour faciliter boucherie sont une raison suffisante pour (d’animaux terrestres) représente environ Il n’est pas éthique de soutenir une acti - l’acheminement de produits végétaux y mettre un terme. Si par ailleurs on 1,4% du produit intérieur brut mondial (en vité simplement parce qu’elle procure des vers des zones qui n’en produisent ou analyse cette activité au regard des seuls 2005) alors qu’il est pratiqué par 1,3 mil - emplois. (Faudrait-il entraver les efforts de n’en importent pas suffisamment pour 15 besoins humains, il s’avère qu’elle est glo - liard de personnes . Ce contraste entre prévention des maladies ou des guerres pourvoir à l’alimentation des populations balement inefficace, voire nocive : une contribution modeste à la valeur de la pour préserver l’emploi dans les indus - humaines. production mondiale et une contribution Sur le plan alimentaire, les produits de tries pharmaceutique ou de l’armement ?) énorme à l’emploi tient au fait que l’essen - Il convient d’ajouter qu’indépendam - l’élevage ont contribué en moyenne pour Il est en revanche réaliste – et éthique – tiel de la production (donc du nombre ment de l’abolition de la viande, l’activité 17 % à l’apport énergétique et pour 33 % de se soucier de l’avenir de ceux qui d’animaux élevés et abattus) est réalisé des petits producteurs pauvres est déjà à l’apport de protéines en 2003 […]. Il y a aujourd’hui gagnent leur vie grâce aux par une agriculture intensive employant compromise. La disparition accélérée pré - de grandes différences entre les pays et productions animales quand on entre - peu de main d’œuvre, tandis qu’à l’autre visible des micro-exploitations résulte de groupes de pays, avec une consomma - prend d’y mettre un terme. bout du spectre, on trouve d’innombrables leur non viabilité économique au regard tion de viande qui s’étage de 5 kg par per - élevages à productivité très basse, qui le Des millions de familles pauvres des évolutions actuelles de l’agriculture. sonne et par an en Inde à 123 kg aux plus souvent ne constituent qu’une acti - n’abandonneront pas l’élevage ou à la Le contrecoup social ne peut être évité États-Unis. […] Sur le plan sanitaire, les vité parmi d’autres pour leurs proprié - pêche si cela implique pour elles de que par des politiques visant à dévelop - produits de l’élevage sont une catégorie taires. L’élevage est alors typiquement passer de la grande à l’extrême misère. per des emplois dans d’autres secteurs. 16 d’aliments plus susceptible que d’autres une activité des plus démunis . Il ne Cet abandon devient réalisable si, paral - (Voir ci-dessous encadré reproduisant l’ana - d’être pathogène. Ils peuvent transmettre requiert pas de formation, demande très lyse de la FAO) des maladies des animaux aux humains peu de capital et, dans certaines régions, (zoonoses). L’Organisation mondiale pour n’exige pas la location ou la possession la santé animale (OIE) considère que pas de terres (petite basse-cour domestique, Quelques données sur la pêche moins de 60 % des agents pathogènes usage de terres communes pour le pâtu - Dans un document publié en 2007, la FAO estime à 120 millions le nombre de personnes dont le humains sont d’origine animale. […] Les rage...). On retrouve le même phéno - revenu dépend (au moins partiellement) de la pêche. Elle ne chiffre cependant qu'à 27 millions (en animaux d’élevage consomment 77 mil - mène concernant la pêche : le revenu de 2000) le nombre de pêcheurs dans le monde. lions de tonnes de protéines contenues 120 millions de personnes dépend (le dans des aliments qui pourraient être uti - Sources : plus souvent partiellement) de la pêche, lisés pour nourrir des humains, tandis que là encore avec une forte proportion (en www.fao.org/waicent/search/2_dett_fao.asp?strLang=es&pub_id=148994 seulement 58 millions de tonnes de pro - termes d’emploi) de pêche artisanale pra - www.fao.org/docrep/005/y7300e/y7300e04.htm#P424_25152 téines sont contenues dans les aliments tiquée par des populations pauvres. La contribution de la pêche à l'alimentation humaine est en moyenne modeste comparée à celle issus de l’élevage. En termes d’apport de l'élevage (avec de fortes disparités régionales). La consommation apparente de poissons, mol - énergétique, la perte relative est beau - Travailler à ruiner des vies 17 lusques et crustacés est de 16,2 kg par habitant et par an (en 2002) au niveau mondial, dont seule - coup plus élevée . ment les 2/3 proviennent de la pêche (le reste étant issu de l'aquaculture). Les « productions animales » consti - Source : www.greenfacts.org/en/fisheries/#4 tuent un sommet de l’activité économique D'autres données (issues de statistiques de la FAO) sont disponibles dans cet article de Roland absurde : détruire des myriades de vies Billard : par une prédation organisée à grande www.pubblicitaitalia.com/cocoon/pubit/riviste/articolo.html?idArticolo=7718&Testata=3 échelle (pêche) ou faire naître par mil - Il en ressort qu'en 2000, la pêche ne fournit que 24 % du tonnage total de chair animale produite, et seulement 9% du tonnage global de productions animales (chair + lait + œufs). Pour des raisons que nous ne détaillons pas mais qui figurent dans l'article indiqué, ces chiffres surestiment la part de la pêche dans la fourniture de chair consommable. 17. FAO, Livestock’s long shadow , op. cit., p. 269-270. – 14 – – 15 – Lorsque la pêche, l’élevage et activités et les emplois créés pèsent d’un poids dérivées s’insèrent dans un tissu écono - inégal sur le terrain social. Les premiers mique plus riche, le déclin de ces sec - sont occupés par des individus détermi - teurs n’a pas de conséquences négatives nés, qui résistent à une détérioration à terme. Bien des filières ont disparu dans redoutée de leur situation, les seconds le passé : la demande se réoriente vers par des individus indéterminés, qui ne d’autres productions qui, elles aussi, pro - peuvent faire pression pour que leur sort curent des emplois. Il n’en reste pas s’améliore. Cette même asymétrie pèse moins que les difficultés économiques sur la perception qu’a l’opinion publique liées à la disparition de la viande sont de telles évolutions : on s’identifie plus concentrées sur des populations particu - facilement à des personnes repérables, lières (et souvent des zones géogra - qui manifestent leur inquiétude face à un phiques particulières où cette activité est événement que chacun redoute (la perte importante), créant chez elles la peur de l’emploi et du revenu afférent), qu’aux d’être plongées dans l’insécurité. Par ail - bénéficiaires inconnus des emplois créés leurs, les emplois qui disparaissent ne et à la souffrance, rendue largement invi - sont pas forcément aussitôt compensés sible, des animaux élevés ou pêchés. par de nouveaux emplois, créant le risque C’est pourquoi on réussira d’autant mieux d’une période de baisse (ou moindre à sortir nos sociétés de l’âge de la viande croissance) des revenus et de la qu’on s’emploiera à éviter que le débat demande. Même quand ces délais d’ajus - public ne s’enlise sur la fausse alternative tement sont absents, les emplois détruits « sauver l’emploi ou sauver les

L'avenir des petits élevages selon la FAO « Les tendances actuelles de changement structurel impliquent la probable disparition, à rythme accéléré, des petits éleveurs dans les pays en développement comme dans les pays développés. Cette tendance est probablement destinée à persister même quand des mécanismes institutionnels appropriés, tels que les coopératives et la production sous contrat peuvent être utilisés pour connecter les petits éleveurs à l'agro-business qui lui s'accroît et se modernise. De tels mécanismes sont importants pour amortir l'impact social du changement structurel. Toutefois, sachant que beaucoup de personnes pauvres s'en - gagent dans les activités d'élevage faute d'alternative plutôt que par choix, la faillite des petits éleveurs pourrait ne pas toujours être un mal. C'est déjà ce qui se passe dans les pays de l'OCDE ; en général, ce n'est pas considéré comme un problème, et des possibilités d'emploi adéquates existent en dehors de ce secteur. Toutefois, cela devient un problème social majeur si de telles possibilités d'emploi n'exis - tent pas dans d'autres secteurs ; il faut alors mettre en place des filets sociaux de sécurité. Les politiques qui tentent de contrecarrer la tendance de changement structurel, en faveur des petits élevages familiaux, s'avéreront coûteuses. Comme le montre l'exemple de la politique agricole européenne, il se peut qu'elles ne servent qu'à ralentir le processus et peut-être même échouent à le faire. La question cruciale sera de trouver des solutions pour que les personnes concernées puissent trouver un moyen de gagner leur vie en dehors du secteur de l'élevage ou de l'agriculture. » Il est factuellement vrai que l’élevage, la chasse et la pêche tuent, et qu’ils infligent des souffrances Source : FAO, Livestock long shadow, op. cit., p. 283 considérables aux animaux.

– 1 – – 17 – animaux ». Le sort des travailleurs liés à commanditée par tous. On choisit autant 5. La viande nisée des animaux. Il se pourrait par l’élevage ou la pêche est une question (ou aussi peu) sa consommation que son avec garantie conséquent que le basculement de l’opi - dont doivent se saisir des partisans de emploi. Et surtout : l’abolition de la viande nion sur ce sujet dépende largement de l’abolition de la viande, en se souciant de s’inscrit dans un mouvement vers une de bien-être animal : ce qui pourra être fait pour mettre fin à l’in - concevoir, proposer, revendiquer des civilisation plus attentive aux besoins de visibilisation des opérations de mise à mesures pour que leur avenir soit assuré. tous les êtres sentants. Il ne s’agit pas une alternative mort. Comme le note Claude Fischler C’est une des raisons pour lesquelles la d’instaurer un spécisme inversé où l’on à l’abolition ? (sociologue, directeur de recherche au question de la viande doit être posée au perdrait de vue que les humains eux aussi CNRS) : niveau politique. La transition vers une sont sensibles. Considérer qu’il est du économie d’où les productions animales devoir de la collectivité, par la médiation « Il n’y a pas de mal à manger de la La « filière viande » a une difficulté : il y auront disparu se fera dans de meilleures des institutions publiques, de veiller à ce viande du moment que les animaux sont a certains aspects que, littéralement, on conditions pour les travailleurs concernés que les anciens travailleurs de la viande bien traités ». Telle est l’opinion la plus fré - ne peut pas montrer et que l’on ne veut si sont mobilisés à cet effet des moyens trouvent une place convenable dans une quemment affichée. C’est celle que les pas voir. Pas même quand les installa - dont dispose la puissance publique en société devenue moins violente sera un consommateurs de chair animale ressen - tions sont les plus modernes et que le termes d’aménagement du territoire, de témoignage de la réalité de cette évolu - tent comme cohérente avec leur propre « bien-être animal » est pris en compte. politiques de formation et d’aides finan - tion. Ce sera aussi un signe qui aidera à pratique : « ce qu’il faut, c’est éviter la Une émission de télévision a montré cières de divers ordres. en finir avec une peur qui fait obstacle à souffrance. » De sorte que, tout naturelle - récemment un abattoir moderne, où les l’émergence d’une attitude plus juste et ment, le débat s’engage comme si l’alter - animaux sont traités avec soin. On leur Cette attention au devenir des travail - plus généreuse envers les bêtes : la peur native était entre traiter plus diffuse de la musique et ils sont sous des 18 leurs de la viande ne résulte pas unique - que la fin de l’humanisme coïncide avec « humainement » les animaux mangés, « brumisateurs » d’eau. Les personnes à ment de l’obligation de tenir compte du la remise en cause des dispositifs et ou bien abolir la viande, la première qui j’ai demandé de commenter cette poids disproportionné qu’exerce sur l’opi - valeurs qui ont permis (un peu) de pacifier option étant majoritairement jugée plus séquence m’ont souvent dit qu’elles nion l’état des choses existant par rapport et de rendre plus solidaires les relations raisonnable. l’avaient trouvée malgré tout choquante. à ce qui relèverait d’un jugement équili - entre humains. Ce n’est donc pas seulement, semble-t-il, bré. Il n’y a pas lieu de raisonner en Une fois le problème posé en ces la cruauté du traitement infligé aux termes de concessions nécessaires de termes, la discussion se limite à la ques - animaux qui frappe. Il s’agit de quelque l’éthique au réalisme, parce qu’il n’y a pas tion de savoir s’il est permis ou pas de chose de plus profond, qui rend l’idée réellement conflit entre les deux. Il est tuer des animaux pour s’en nourrir, si oui même de l’abattage difficile à accepter, en 20 juste que l’ensemble des citoyens (contri - ou non leur donner la mort est un acte particulier de l’abattage en masse . buables) soient sollicités pour faciliter les moralement anodin. Nous ne développe - ajustements économiques nécessaires, rons pas ce point ici 19 . Au demeurant, il En réalité, les deux options – « abolir la au lieu que les coûts de la transition est douteux que l’issue du débat sur l’acte viande » ou « continuer à manger des soient concentrés sur ceux qui ont été les de tuer se jouera uniquement sur la animaux en veillant à leur bien-être » – ne exécutants d’une production qui était confrontation de raisonnements éthiques se distinguent pas seulement par la ques - relatifs à sa légitimité. Le plébiscite par les tion de la mise à mort. Il y a entre elles consommateurs de viande de l’élevage une autre différence cruciale. Cette diffé - dans le bien-être devrait coïncider ration - rence est d’ordre pratique : l’option nellement avec la position selon laquelle « élevage dans le bien être » n’est pas tuer sans douleur un animal qui a mené disponible. Il n’y a aucune trajectoire plau - une vie plaisante est un acte neutre. Mais sible qui, partant de l’état actuel des en l’occurrence, la rationalité a le parfum choses, conduise à une généralisation d’une rationalisation défensive, qui ne des élevages assurant le confort physique préserve pas totalement ses auteurs du et psychique aux animaux. sentiment négatif qu’inspire la tuerie orga -

19. Qu’on n’y voie aucun dédain de notre part vis à vis la réflexion éthique sur l’acte de tuer ou sur le « droit à la vie », mais nous préférons mettre l’accent sur ce qui n’est pas examiné quand la discussion se concentre sur ce problème. 20. « Le consommateur partagé », entretien avec Claude Fischler, in Monique Paillat (ed.), Le mangeur et l’animal – 18. au sens étriqué d’anthropolâtrie aiguë, celle qui dans le même mouvement exalte l’homme et dévalorise les autres Mutations de l’élevage et de la consommation , Éditions Autrement, juin 1997, p. 145. animaux. – 18 – – 19 – Évolution de la production de 229 millions de tonnes au début des se heurtent à une résistance des filières de viande années 2000 à 465 millions 26 . de production qui conduit à un affadisse - ment notable des quelques mesures envi - Tant en niveau absolu qu’en taux de De 1950 à 2005 la production annuelle sagées, à des délais conséquents dans variation, on observe de fortes disparités des pêcheries (hors aquaculture) a été l’adoption puis l’entrée en vigueur des dis - selon les régions du monde 27 . Au cours multipliée par cinq, passant de 19 à 95 positions protectrices, souvent à des 21 des dernières années, la consommation millions de tonnes . En 2002, 72 % des sursis dans les délais, et à une diligence par habitant tend à croître lentement ou à « ressources halieutiques » étaient exploi - modérée dans la vérification du respect se stabiliser dans les pays les plus déve - tées plus rapidement qu’elles ne pou - des réglementations et l’infliction de sanc - 22 loppés, elle régresse dans une partie de vaient se reproduire . tions aux contrevenants. l’Afrique, tandis que l’essentiel de la crois - Concernant les animaux d’élevage, la sance est imputable à quelques pays tels De telles dispositions constituent des production de viande d’animaux terrestres que la Chine ou le Brésil (en 2005, ces progrès parce qu’elles tendent à mettre fin a plus que quintuplé en un demi-siècle deux pays représentent à eux seuls plus à tel ou tel élément particulièrement dou - (1950-2000), passant de 45 à 233 millions de 60 % de la production de viande du loureux ou stressant dans l’existence de de tonnes 23 par an. Sur la seule période groupe des pays en développement, dont certains animaux. Mais des mesures si 28 1990-2002, la quantité de viande 49 % uniquement pour la Chine ). L’aug - ponctuelles, adoptées et appliquées avec consommée a crû de 32 % en tonnes et mentation du nombre d’animaux tués est une telle lenteur, ne sont pas de nature à de 12 % par habitant 24 . En 2002, la beaucoup plus forte que celle de la pro - conduire à un état de bien-être pour les consommation de viande (d’animaux ter - duction mesurée en tonnes puisque les animaux. Il ne s’agit que d’aménage - restres) par habitant s’établit à 40 kg par élevages dont le développement est le ments parcellaires de l’élevage intensif, an en moyenne 25 . Les projections effec - plus rapide sont ceux d’animaux de petite un mode d’élevage conçu pour obtenir tuées par la FAO à l’horizon 2015 et 2030 taille (les volailles). une production maximale dans un prévoient la poursuite d’un rythme de minimum de temps, et avec un minimum L’élevage d’animaux aquatiques croissance soutenu de la production : d’espace et de main d’oeuvre, quoi qu’il connaît une expansion encore plus forte Lois et labels en coûte aux animaux. Entre 2007 et 2016, selon les perspec - puisque de 1950 à 2005, la production est passée de 639 000 tonnes à 63 millions Le second facteur qui procure quelque tives communes FAO-OCDE, la produc - Deux facteurs procurant une protection de tonnes 29 . Là encore, il s’agit d’animaux protection aux animaux destinés à la tion mondiale de viande devrait ainsi partielle à des animaux d’élevage de petite taille et de surcroît particulière - consommation alimentaire réside dans le augmenter de 9,7 % pour le boeuf, de connaissent une certaine progression. 18,5 % pour le porc et de 15,3 % pour le ment oubliés des dispositions relatives au développement de labels attribués aux poulet. Principalement en Inde, en Chine bien-être tant pour les conditions d’éle - Le premier consiste en l’adoption de élevages qui respectent un certain cahier et au Brésil. D’ici à 2050, la production de vage que de mise à mort. dispositions légales dans quelques États des charges, comprenant entre autres viande pourrait même doubler, passant ou groupes d’États qui restreignent ou des obligations relatives au traitement des interdisent des pratiques particulières : ici animaux. Ces types d’élevages, respon - le gavage des palmipèdes, là l’immobili - sables d’une partie minoritaire de la pro - 21. Source : FAO, www.fao.org/fi/website/FIRetrieveAction.do?dom=topic&fid=16073 sation des truies dans des cages minus - duction, coexistent avec ceux produisant 22. Source : UNEP, www.grid.unep.ch/activities/global_change/atlas/pdf/reagir_perte_biodiversite.pdf cules ou la castration à vif des porcelets, de la viande moins chère sans aucune 23. Source : Staff Writers, « Mankind Benefits from Eating less Meat », Terra Daily, 18 avril 2006, phys.org/news/2006- ailleurs l’isolement des veaux dans des garantie pour les animaux (autre que les 04-mankind-benefits-meat.html cases où ils ne peuvent pas se retour - réglementations de base abordées précé - 24. Source : INRA, « La consommation de produits carnés, Productions animales », n°16, 2003, demment). Le plus souvent, les labels www6.inra.fr/productions-animales/2003-Volume-16/Numero-5-2003/La-consommation-des-produits-carnes ner… Pour appréciables qu’elles soient, ces avancées restent limitées. Quand sont mis au point par des groupements de 25. Source : earthtrends.wri.org/ (reprenant des statistiques de la FAO). 30 26. Laetitia Clavreul, « Le vrai faux déclin de la viande », Le Monde 23-24 septembre 2007, p. 16. elles touchent une industrie largement producteurs ou de distributeurs , parfois 27. Consommation moyenne par habitant et par an en 2002 : 28 kg dans les pays en développement et 78 kg dans implantée sur le territoire concerné, elles avec le soutien actif d’associations anima - les pays développés (avec des disparités fortes à l’intérieur des deux groupes). Source : FAO, Livestock’s long shadow , op.cit. Pour des statistiques complémentaires par groupes de pays, voir A. W. Speedy, « Global Production and Consumption of Animal Source Foods », The Journal of Nutrition , novembre 2003, jn.nutrition.org/cgi/content/full/133/11/4048S 28. Source : FAO, Livestock’s long shadow ,op. cit. 30. Un étiquetage d’origine publique pour la viande est envisagé dans le cadre de l’UE, sur le modèle de ce qui existe 29. Source : FAO, www.fao.org/fi/website/FIRetrieveAction.do?dom=topic&fid=16073 déjà pour les œufs.

– 20 – – 21 – listes 31 (certaines d’entre elles élaborant La solution serait de mettre fin à l’éle - leur propres critères et labels). Ce sous- vage concentrationnaire qu’a permis la ensemble des élevages offre, dans les zootechnie pour instaurer un élevage pays où il existe, des conditions de vie extensif où les animaux jouiraient du plein meilleures aux animaux à certains air et de déplacements libres dans des égards. Il reste cependant éloigné de espaces verdoyants ? Mais où sont les l’image idyllique de la ferme où les espaces disponibles pour y laisser vaquer animaux gambadent librement dans de d’innombrables animaux autrement qu’à vastes espaces, jouissent des rapports de très hautes densités ? Où mettra-t-on sociaux qui leur conviennent, disposent les villes, les routes, les cultures ? d’abris spacieux et douillets, et sont trans - portés et abattus en douceur 32 . La solution serait d’évoluer vers des élevages employant un personnel bien Le bien-être animal formé à la connaissance des besoins des généralisé : animaux et capable d’en assurer le suivi attentif ? Mais comment un éleveur qui un futur illusoire produit de la viande de poulet avec des milliers d’oiseaux pourrait-il, avec la meil - Le mouvement pour l’abolition de la leure bonne volonté du monde, leur offrir viande n’a pas pour but de dénigrer les des conditions de vie correctes ? progrès accomplis via des dispositions Comment pourrait-il, par exemple, légales, ni de contester que les consom - soigner les animaux malades alors qu’il mateurs de produits animaux qui choisis - n’a même pas le temps de passer chacun sent certains labels causent moins de tort en revue du regard chaque jour ? Ou aux bêtes que les autres. Il a par contre alors combien de millions de personnes vocation à montrer qu’il est utopique supplémentaires faudrait-il payer pour d’imaginer qu’on puisse un jour arriver à s’occuper correctement des animaux ? offrir une vie décente et une mort sans Par combien faudrait-il en conséquence souffrance aux milliards d’animaux tués multiplier le prix de la viande ? Et jusqu’à chaque année dans le monde pour l’ali - quel point peut-on espérer du consomma - mentation humaine. La poursuite de la teur qu’il achète une telle viande à prix consommation carnée, dans des condi - d’or tant que d’autres élevages, d’ici ou tions garantissant une bonne vie et une d’ailleurs, proposeront de la viande bon bonne mort à l’ensemble des animaux marché obtenue dans des conditions mangés, est un futur mythique. Ce mythe pitoyables ? Jusqu’à quel point les éle - doit être détruit parce que la fausse pro - veurs peuvent-il laisser se former l’atta - messe de cet avenir fait d’élevages chement qui découle de soins attentifs radieux permet de laisser perdurer les prodigués à leurs animaux, alors que ce atrocités sans nombre imputable à la même attachement leur rend pénible de viande ; elle pousse à différer indéfiniment les destiner à la mort ? Jusqu’à quel point les décisions nécessaires pour y mettre peuvent-ils négliger que ces soins ont un un terme. coût qui affecte la rentabilité de leur entre - prise ? Est-il aisé pour eux de considérer

31. Dans le cas des États-Unis, on peut consulter cet article d’Andrew Martin (« Meat Labels Hope to Lure the Sensitive Carnivore ») paru dans le New York Times le 24 octobre 2006 : www.nytimes.com/2006/10/24/business/24humane.html?n=Top/Reference/Times%20Topics/Subjects/M/Meat ll est utopique d’imaginer qu’on puisse un jour arriver à offrir une vie décente et une mort sans souffrance aux 32. Pour la France, les site de Welfarm et CIWF fournissent une information détaillée sur les améliorations que milliards d’animaux tués chaque année dans le monde pour l’alimentation humaine. garantissent les élevages « Label Rouge » « Agriculture biologique » et « Fermier ». – 1 – – 23 – les animaux à la fois comme des êtres Pourtant, dira-t-on, il existe des éle - sensibles placés sous leur protection et veurs exemplaires. Les animaux mènent comme des marchandises dont dépend avec eux une existence enviable, même leur revenu ? si elle est écourtée. Pourquoi ne pas séparer le bon de l’ivraie plutôt que La solution serait d’instaurer une régle - de chercher à interdire tout élevage ? mentation stricte qui ne laisserait en acti - vité que des élevages réellement Mais ce n’est pas parce qu’il n’y a respectueux du bien-être des animaux ? jamais eu de bons maîtres ni d’esclaves Comment parviendra-t-on à ce que le heureux qu’il est préférable que l’escla - bien-être en question soit… le bien-être et vage humain ait été aboli. Il n’est même non un simple amenuisement des pra - pas vrai que tous les esclaves aient tiques les plus atroces ? Qui paiera les connu un sort meilleur après leur libéra - dizaines de milliers d’inspecteurs qui tion. Néanmoins, en pratique, il s’avère seraient nécessaires pour vérifier assidû - que la toute puissance des maîtres est un ment l’application des normes ? Et sinon, système gravement nocif pour la majorité comment des animaux muets et sans de ceux placés sous leur dépendance, et défense pourront-ils faire valoir leurs qu’on ne sait pas établir les filtres qui per - droits quand bien même ils auraient été mettraient de ne laisser en activité que les inscrits dans des textes ? maîtres exemplaires.

Manger moins de viande ? Ce serait De même (toujours en faisant abstrac - assurément un progrès très notable. Mais tion du problème de tuer), ce n’est pas même en divisant par dix la consomma - parce qu’il n’y a jamais eu de bons éle - tion, ce sont des milliards d’individus qui veurs qu’il faut abolir la viande. C’est resteraient sacrifiés chaque année. C’est parce qu’il est faux qu’on sache comment un mensonge que d’assurer que les procéder pour ne laisser subsister que les sociétés humaines ont la capacité juri - bons élevages et s’assurer qu’ils le dique, psychologique, technique, écono - restent. Peut-être serait-il excusable de marché où règne la concurrence, il y aura pour qu’on puisse les manger ? [How mique, de mettre en place les dispositifs tenter de trouver le chemin vers cette conflit entre leurs intérêts et ceux des pro - humane is humane enough to eat ?] Pour permettant de tuer sans angoisse ni sélection, si grands que soient les risques ducteurs, et les producteurs seront tou - des omnivores consciencieux, la ligne de douleur des myriades d’animaux. C’est un d’échec, si la pérennité de l’élevage avait jours poussés à rogner sur les coûts. […] démarcation entre ce qu’il est légitime de mensonge d’assurer qu’elles peuvent des enjeux vitaux. Mais la viande n’étant Les aspects psychologiques de nos choix manger et ce qui ne l’est pas est vague. offrir une vie décente à des animaux pas une nécessité, il serait criminel de la alimentaires doivent également être pris Parce que nous sommes trop souvent d’élevage plus nombreux que les laisser perdurer au nom de la recherche en considération. Des agriculteurs qui tentés de choisir la facilité, il se pourrait humains eux-mêmes, et cela en n’y de cet improbable chemin. commencent par élever des ani- bien que la meilleure façon de nous consacrant qu’une part infime de la force maux « humainement » peuvent dériver assurer de la moralité de nos comporte - de travail employée à la production. Et Quant à la pêche, elle implique le plus vers des pratiques plus profitables mais ments alimentaires soit de tracer une fron - l’on n’en est pas à diviser par dix ni même souvent une lente et douloureuse agonie moins humaines ; le même type de dérive tière nette excluant les produits animaux 33 34 par deux la consommation carnée, on est des animaux capturés . À quoi pourrait peut affecter les consommateurs. Quel – et de la respecter . dans un rythme de croissance tel que la bien ressembler une pêche attentive au degré « d’humanité » dans le traitement souffrance épargnée par le progrès des bien-être animal, et qui se soucie de la des animaux est suffisamment « humain » réglementations ou par l’attention portée concevoir ? par certains consommateurs aux condi - En pratique, tant que les animaux tions d’élevage est moindre que celle seront des marchandises, élevés à ajoutée par l’augmentation annuelle de la grande échelle afin d’être vendus sur un production.

33. Sur les conditions de prise des poissons, cf. la section « La pêche commerciale » dans Joan Dunayer, Poissons, le carnage, tahin-party, avril 2004. Livret téléchargeable à partir de cette adresse : tahin-party.org/dunayer.html 34. , L’éthique à table, L’âge d’Homme, 2015. – 24 – – 25 – 6. POUR UNE a défaillance du marché : les relations ECOLOGIE contractuelles entre offreurs et deman - deurs ne conduisent pas à une situation SENSIBILISTE satisfaisante du point de vue de l’ensem - ble des agents affectés en raison de l’im - portance des externalités. (On parle La revendication d’abolition de la d’externalités quand il y a des consé - viande émerge dans un monde où les quences – positives ou négatives – sur problèmes environnementaux revêtent des tiers qui ne sont pas partie prenante une importance croissante. Il existe, à à une transaction économique.) Ainsi, si divers niveaux, une réelle proximité entre une entreprise utilise une technique de la question écologique et la question production qui détériore la qualité de l’air animale, sans pour autant que le problème ou de l’eau, un désavantage en résulte de la viande soit « soluble » dans l’environ - pour les usagers de ces ressources natu - nementalisme dominant aujourd’hui. relles (externalité négative). Mais cela n’affecte ni les coûts ni les recettes de Des problématiques l’entreprise, donc n’exerce aucune comparables influence sur les critères de rentabilité qui guident sa décision de produire. Les vic - times de la pollution sont en dehors de la Le voisinage entre les deux champs relation entre le fournisseur et ses clients, réside d’abord dans l’état d’esprit que de sorte que les biens à externalités requiert leur traitement, et dans les outils négatives sont produits en quantité qui doivent être mis en œuvre pour le réa - excessives par rapport à ce qui aurait été liser. Dans les deux cas, la compréhen - décidé si on avait pris en compte les coûts sion du problème mobilise au plus haut subis par des tiers. L’existence d’externa - point la capacité de décentrement par lités (d’importance significative) compte rapport à soi-même, en ce sens que les ainsi parmi les situations où l’on admet tiers qu’il s’agit de prendre en considéra - que des corrections doivent être appor - tion ne sont dans la plupart des cas ni nos tées par des politiques publiques. proches, ni des individus en position de nous inciter à prendre en compte leurs Le cas de la viande est analogue : il intérêts par la menace de représailles ou s’agit d’un produit dont la quantité fournie la promesse de bienfaits en retour : les est régulée par les relations entre offreurs poulets ne se retourneront pas contre les (éleveurs, pêcheurs, transformateurs, dis - mangeurs, les générations futures et les tributeurs…) et demandeurs (consomma - victimes de nos activités polluantes ne teurs). Or, il y a des tiers victimes nous donneront rien en contrepartie de d’externalités négatives gigantesques notre abstention de leur nuire. Pour cette – les animaux mangés – dont les intérêts raison, on ne parvient généralement pas ne comptent pour rien dans la décision de à une issue satisfaisante en comptant uni - produire. Ils sont économiquement inau - quement sur le jeu des relations privées dibles, sauf si les offreurs ou demandeurs ou professionnelles qui guident les com - décident de s’en faire les représentants. portements quotidiens (en l’occurrence, il Comme pour les activités causant des n’y a pas de relations de cet ordre). dégradations à l’environnement, il s’avère que ces inflexions volontaires des com - La bonne gestion de l’environnement a portements existent, mais sont d’une été repérée de longue date par les éco - ampleur insuffisante pour résoudre le pro - nomistes comme un des domaines où il y blème. Les humains possèdent à un

Reproduction d’un panneau d’une exposition réalisée en 2015 par : www.l214.com/exposition – 1 – – 27 – degré non négligeable la faculté de com - Mesurée en équivalent CO2, la contri - production de biocarburants…) et que, dérant comme une donnée la poursuite prendre qu’il serait souhaitable d’épar - bution de l’élevage au réchauffement cli - par différence de pouvoir d’achat inter - de la croissance de la consommation de gner les victimes impuissantes de leurs matique est plus élevée que celle du posé, la consommation de viande peut viande, de sorte que la question devient : actes. Ils possèdent à un degré nettement secteur des transports. L’activité est res - contribuer à accroître la misère et la sous- « Comment fournir plus de viande en limi - moindre la faculté de les épargner effec - ponsable de 65 % des émissions d’hé - alimentation des humains les plus tant les dégâts écologiques ? » La solu - tivement sur la base de décisions indivi - mioxyde d’azote, un gaz au potentiel de pauvres 38 . tion qui est préconisée pourrait être duelles spontanées. Ils sont cependant réchauffement global 296 fois plus élevé qualifiée d’évolution vers un « élevage capables de trouver des moyens détour - que celui du CO2, essentiellement impu - L’impact [de la hausse actuelle du prix écologique intensif ». Cela demande des nés pour y parvenir, en mettant en place table au fumier. De plus, le bétail produit des céréales] sera plus ou moins fort sur politiques de vérité des prix, afin que les des dispositifs qui les incitent ou les obli - 37 % des émissions de méthane liées aux le pouvoir d’achat : dans les pays déve - ressources altérables ou épuisables gent à faire ce qui doit être fait. Concer - activités humaines. Ce gaz, produit par le loppés, les dépenses alimentaires repré - cessent d’être gaspillées : suppression nant la viande, l’interdiction est un système digestif des ruminants, agit vingt- sentent de 10 % à 20 % du budget des des subventions à l’élevage, hausse du dispositif remarquablement simple et effi - trois fois plus que le CO2 sur le réchauf - ménages, contre 60 % à 90 % dans les prix de l’eau, coût plus élevé pour l’utilisa - cace. C’est une chance par rapport à fement. pays pauvres. « Quand 90 % des tion des terres (en particulier, disparition d’autres domaines où les solutions sont dépenses vont à la nourriture, une aug - des pâturages sur terres communes dont plus complexes 35 . Les pâturages occupent 30 % des sur - mentation de 20 % du prix des céréales l’usage est gratuit), application du principe 39 faces émergées, alors que 33 % des est tout simplement dramatique » […]. pollueur-payeur. Parallèlement, des aides L’impact environnemental terres arables sont utilisées pour produire financières et moyens publics (tels que la de l’élevage l’alimentation du bétail – et ces surfaces Vers un élevage écologique recherche) devraient être mis en œuvre sont insuffisantes pour répondre à la intensif ? pour réduire l’impact environnemental de demande, ce qui entraîne le défrichage l’élevage, en tenant compte du fait que Le voisinage entre la question écolo - de forêts. D’autres dégâts sont énumé - cet impact est différent selon les espèces. gique et la question animale ne se limite La consommation carnée cause des rés : 20 % des pâturages sont dégradés À quantité égale de viande produite, ce pas à la ressemblance de structure des torts immenses aux animaux élevés ou par une surexploitation entraînant le tas - sont les bovins qui contribuent le plus à deux problèmes (la similitude des pêchés et provoque la disparition d’ani - sement et l’érosion du sol ; l’activité l’émission de gaz à effet de serre et, approches nécessaires pour les appré - maux sauvages. Elle dégrade les sols, compte aussi « parmi les plus nuisibles lorsqu’ils sont en élevage extensif, contri - hender et les résoudre). Il y a aussi une 36 l’eau, les forêts… Par l’intermédiaire des pour les ressources en eau ». buent le plus à la dégradation des terres. proximité substantielle : l’élevage, par inégalités de répartition des revenus, elle Dans cette hiérarchie de la nuisance éco - exemple, est une question environnemen - La dégradation des eaux, la déforesta - pèse également sur le sort des humains logique, les élevages de volailles sont tale, en ce qu’il se rapporte à l’usage qui tion, l’érosion des sols (et dans certaines les plus démunis. ceux dont l’impact est le plus faible. Ce est fait des ressources naturelles altéra - régions la désertification) imputables à Est-ce à dire que si des politiques sont sont eux aussi qui constituent le détour de bles ou épuisables. Or, son impact en la l’élevage détruisent ou appauvrissent mises en oeuvre pour remédier aux pro - consommation le moins inefficace en matière est considérable : l’habitat d’animaux sauvages, de sorte blèmes environnementaux liés à l’éle - terme de rapport entre la nourriture qu’ils sont moins nombreux à pouvoir vage, elles seront nécessairement ingérée et la nourriture produite. Manger de la viande nuit à l’environne - vivre et se reproduire. L’élevage est aussi ment. C’est la conclusion à laquelle par - bonnes à la fois « pour les hommes, pour plus directement responsable de la mort Selon le rapport de la FAO, l’industriali - vient l’Organisation des Nations unies les animaux et pour la planète » ? Les d’animaux sauvages, puisque 24 % du sation de l’élevage n’est pas un problème pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) orientations suggérées par le rapport de produit des pêcheries (en 2004) est utilisé en soi ; ce qui en est un (en termes de qui a rendu public, mercredi 29 novembre la FAO 2006 n’incitent pas à l’optimisme. pour la nourriture des animaux d’éle - nuisances sur l’environnement) c’est la 37 Les propositions des experts qui en sont [2006], un rapport consacré à l’impact vage . Enfin, la flambée actuelle du prix les auteurs ont été construites en consi - concentration des élevages sur certaines écologique de l’élevage. Celui-ci est « un des céréales rappelle que les utilisations des premiers responsables des pro - des terres cultivables sont concurrentes blèmes d’environnement », affirme un des entre elles (cultures destinées aux auteurs, Henning Steinfeld. 38. La hausse du prix des céréales a également pour effet d’accroître le revenu des agriculteurs qui en produisent humains, cultures destinées aux animaux, pour vendre, parmi lesquels des producteurs des pays en développement. Cependant, beaucoup de PMA (pays les moins avancés) sont importateurs nets de céréales. Dans ces pays, la production des cultivateurs les plus pauvres est 35. Ainsi, on n’imagine pas que le problème du réchauffement climatique puisse être réglé par un simple décret largement destinée à la consommation familiale. Les plus grands exportateurs de céréales sont des pays riches (États- interdisant toute émission de gaz à effet de serre. Unis, France, Australie, Canada…) ou des pays de développement intermédiaire (Argentine, Chine, Russie…). Sur 36. Gaëlle Dupont, « L’élevage contribue beaucoup au réchauffement climatique », Le Monde , 4 décembre 2006. l’impact de la hausse des prix des céréales, on peut notamment consulter (sur Internet) ces deux articles parus dans 37. FAO, Livestock long shadow, op. cit., p. 205. Le chapitre 5 de ce rapport traite plus généralement de l’impact de The Economist le 6 décembre 2007 : « Cheap no More » et « The end of cheap food ». l’élevage sur la biodiversité. 39. Laetitia Clavreul, « Envolée du prix des céréales : menace sur les pays pauvres », Le Monde , 16 octobre 2007, www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3220,36-967521@51-959022,0.html – 28 – – 29 – zones géographiques, d’où la nécessité eux. On sait de quel genre de progrès la actuelle. Si tant est que l’on parvienne à Résoudre les problèmes environne - de mettre en œuvre des politiques pour zootechnie est capable en termes d’amé - mettre en place les dispositifs néces - mentaux imputables à l’élevage par l’abo - inciter à les répartir de façon plus équili - liorations génétiques. On lui doit déjà la saires pour enrayer le réchauffement cli - lition de la viande n’est ni plus difficile à brée sur le territoire. Mais, pour les mise au point de poulets qui grandissent matique, la désertification, la pollution des organiser ni moins bénéfique pour les auteurs du rapport, « si l’on veut satisfaire en 40 jours (au lieu de 80 jours il y a 30 eaux… ce sera au prix de bouleverse - humains qu’entreprendre la lourde muta - la demande future prévue de produits de ans) et dont le squelette est trop fragile ments notables dans la nature des tion vers l’élevage écologique intensif. Il l’élevage, il est difficile de trouver une pour supporter le corps 41 , la multiplication emplois, les modes de consommation et est même probable que l’issue favorable, alternative à l’intensification de la produc - du nombre de porcelets par portée chez la répartition territoriale des activités. Des du seul point de vue de l’humanité, est tion » (op. cit. p. 236). Cette intensification les truies 42 , du nombre d’œufs par poule, moyens importants semblent devoir être plus certaine via l’abolition. Et du point de passe par le recul de l’élevage extensif 40 , de litres de lait par vache… dégagés pour provoquer et accompagner vue des animaux, la différence entre les et par un progrès technique (activement les évolutions nécessaires. Il faut réfléchir deux options est abyssale. soutenu par la recherche publique) qui Inscrire l’élevage dans un tel schéma et peser pour que ce changement permettra notamment d’économiser sur la de « développement durable », ce n’est débouche sur un état réellement meilleur. Il appartient au mouvement pour l’abo - quantité d’aliments ingérés par les pas revenir à un passé rêvé de relations lition de la viande d’être l’un des acteurs animaux pour fournir une quantité donnée harmonieuses entre le berger et son trou - Il est urgent de poser la question : « De qui permettront de progresser vers une de viande, lait ou œufs, en améliorant les peau sur fond de prairies et montagnes, qui cette planète est-elle l’environne - écologie sensibiliste, et non plus stricte - souches utilisées par la sélection géné - c’est aller toujours plus loin dans la réifi - ment ? Pour qui doit-elle rester (devenir) ment humaniste : se soucier de la bonne tique. cation des animaux, leur claustration, habitable et le rester durablement ? ». Les gestion de la Terre dans l’intérêt de tous c’est produire sciemment des individus humains ne sont pas les seuls habitants ses habitants sensibles ; cesser de Au total, l’amenuisement de l’impact difformes, aller au bout de l’épuisement sensibles de la Terre. Les autres animaux compter les animaux parmi les « res - environnemental de la production de de leurs corps. aussi ont un intérêt à jouir d’un habitat sources naturelles » utilisables à notre viande via l’élevage écologique intensif conforme à leurs besoins. Un univers de guise du moment que cela ne compromet signifie : Un environnement vivable : cages, filets et hameçons ne constitue pas les intérêts à long terme de l’huma - pour qui ? certainement pas un environnement nité. - un déplacement de la production des décent pour eux. À quoi riment ces projets bovins vers d’autres espèces, en particu - de « développement soutenable » et autre Il ne s’agit pas de conclure au divorce lier les poulets, c’est à dire une augmen - « croissance durable » qui consistent à inéluctable entre écologie et éthique tation sensible du nombre d’animaux tués rendre durablement insoutenable l’exis - animale. Au contraire, le chantier environ - par kilo de viande produit ; tence de ceux qui partagent cette planète nemental qui s’ouvre est une occasion à avec nous ? - une dégradation accélérée du cadre ne pas manquer d’oeuvrer à leur conver - de vie des animaux, par disparition des gence. La conscience progresse que la élevages résiduels où ils se déplacent préservation de la planète ne peut dans de vastes espaces, au profit de leur reposer sur le seul réseau des micro-rela - entassement dans des bâtiments concen - tions privées. Les experts de la FAO sou - trationnaires ; lignent que les problèmes ne seront pas résolus en comptant sur « business as - une dégradation accélérée de leur usual », et qu’ils ne le seront pas davan - qualité de vie du fait des caractères phy - tage si les politiques de soutien à l’agri - siques qu’on cherche à développer chez culture se poursuivent selon la logique

40. C’est principalement la forme d’élevage des pauvres dans les pays en développement qui est visée. L’élevage en pâturage extensif occupe 26 % de la surface terrestre et ne fournit que 9 % de la production de viande avec « un coût élevé en termes de problèmes environnementaux (cours d’eaux, érosion des sols, émissions de carbone, biodiversité) » (FAO, op. cit. p. 280). 41. Cf. www.poulets.fr/ 42. « Ainsi, le nombre moyen de porcelets sevrés par truie productive et par an est passé de 16,7 en 1971 à 24,6 en 1999. […] la durée d’allaitement [est passée de] 48 jours en 1971 à 26 jours en 1999. L’intervalle entre le sevrage des porcelets et la saillie est passée de 20 jours en 1971 à 10 jours en 1999. » J. Porcher, « Le travail dans l’élevage industriel des porcs. Souffrance des animaux, souffrance des hommes » in F. Burgat, Les animaux d’élevage ont-ils droit au bien- être ? , INRA Éditions, 2001. – 30 – – 31 – 7. Incrire le projet Soutenir l’abolition de la viande n’im - d’abolition dans le plique pas en soi la rupture avec les acteurs engagés dans la lutte pour des présent améliorations ponctuelles des conditions d’élevage et dans la contestation de l’éle - vage industriel 43 : ils sont une des expres - La revendication d’abolition de la sions de l’attention portée au sort des viande n’amenuise-t-elle pas ses chances animaux dans nos sociétés ; au demeu - d’entrer sur le terrain politique par le fait rant, s’attaquer à l’élevage industriel, c’est que l’exigence formulée ne saurait être remettre en cause la quasi-totalité de satisfaite dans un futur proche ? Aucun l’élevage. Sur le terrain, bien des conver - parlement ou gouvernement ne décidera gences sont possibles, du moment à brève échéance d’interdire l’usage ali - qu’elles ne conduisent pas à entretenir l’il - mentaire des animaux ; aucun parti poli - lusion selon laquelle on serait en bonne tique d’importance ne l’inscrira aujourd’hui voie d’assurer le bien-être généralisé à son programme. Dès lors, si on conçoit dans les élevages. le mouvement comme ne revendiquant rien d’autre que l’événement qui mar - La revendication d’abolition de la quera son aboutissement (l’interdiction viande ne fait pas passer au second plan totale), il risque de n’avoir que peu de l’effort d’information mené en direction prise sur les thèmes d’actualité qui font le des consommateurs afin qu’il soient plus tissu de la vie politique courante. nombreux à refuser les produits animaux. Le but n’est pas de lui préférer une Mais il n’y a pas de raison qu’il en soit approche plus « collective » du problème : ainsi. Il y a une foule de mesures par - il n’y a pas d’évolution collective qui tielles qui sont cohérentes avec la marche puisse se bâtir autrement qu’en gagnant vers l’abolition : faire reculer et disparaître le soutien des individus qui composent la les subventions à l’élevage et la pêche, société. Le but est de s’adresser aux indi - taxer la viande, faire respecter le droit de vidus en tant que consommateurs et non viande (possibilité de repas sans pro - citoyens, afin que les deux approches se duits animaux dans la restauration collec - renforcent mutuellement. tive), faire régresser l’orientation de jeunes vers les métiers de l’élevage et de Les associations animalistes ont déjà la pêche (et métiers associés en amont et entrepris d’agir aux différents niveaux où aval), empêcher des ouvertures ou exten - des décisions sont prises : les particuliers, sions d’élevages, contrer la propagande les institutions politiques, les autres orga - présentant les produits animaux comme nisations (entreprises, instituts de indispensables à la santé, obtenir l’inter - recherche, associations…). La tâche du diction de produire et d’importer tel type mouvement pour l’abolition de la viande de viande obtenu dans des conditions n’est pas de proposer un bouleversement particulièrement atroces… Des entre - dans les méthodes employées ou les prises, des réseaux de distribution, des campagnes menées, même si des particuliers peuvent créer des zones de thèmes nouveaux viendront s’y ajouter. non viande sur le territoire dont ils sont Sa tâche première est de favoriser la réin - maîtres. terprétation d’une multitude de démarches déjà en place et d’y associer

43. Il y aura sur la question des revendications « welfaristes » des positionnements différents au sein du mouvement – pluriel – pour l’abolition de la viande, comme c’est déjà le cas dans le mouvement animaliste aujourd’hui. – 1 – – 33 – de nouveaux acteurs. Au-delà de leur Les pieds sur terre, la objectif immédiat, nombre de ces actions tête dans les étoiles prendront sens comme étant des pas vers l’abolition de la viande, parce que cet horizon aura été explicitement fixé et sera L’abolition de la viande s’inscrit dans entré dans la vie publique comme un des une démarche réformatrice. Le projet candidats (sérieux) au rôle d’avenir pos - n’exige pas de révolutionner de fond en sible. comble les croyances et relations sociales L’abolition n’arrivera pas insensible - pour instaurer un ordre radicalement ment à pas de fourmi successifs. Il y aura nouveau. Il s’agit d’apporter une réponse à un moment une accélération et un opératoire à un problème concret : le sort « saut » avec l’adoption de l’interdiction hideux réservé jusqu’ici aux animaux pure et simple. Mais avant ce jour, mangés. La disposition requise favorise nombre de mesures partielles peuvent par ailleurs la sauvegarde d’habitats constituer des signes (et des progrès nécessaires à la vie d’animaux sauvages ; effectifs) qui rendent de plus en plus cré - elle contribue à la résolution de pro - dible, palpable, qu’on tend vers l’abolition blèmes alimentaires et sanitaires concer - de la viande. Elles préparent l’accepta - nant les humains, ainsi qu’à la tion, la volonté d’en finir avec le sacrifice préservation de la planète dans l’intérêt des animaux à des fins alimentaires. de ses habitants futurs. Aller plus loin Le mouvement pour l’abolition de la Ce qui est utopique, ce n’est pas d’abo - viande, c’est aussi la parole : il existe par lir la viande, c’est de prétendre qu’on le fait que des individus et des organisa - s’achemine vers la garantie de conditions Les Cahiers antispécistes : www.cahiers-antispecistes.org de vie et de mort décentes pour les tions se déclarent favorables à l’interdic - L214 : www.L214.com tion de la consommation de chair animaux élevés, chassés ou pêchés. Viande-info : www.viande.info animale. Il existe dès lors que cette prise C’est cela qui relève d’une posture idéo - de position est vécue comme autre chose logique délirante – a fortiori dans un que la formulation d’un de ces vœux sur contexte où la maîtrise des dégâts envi - Florence Burgat, La cause des animaux, Buchet Chastel, 2015. ronnementaux d’une production de un monde meilleur dont on ne croit pas Aymeric Caron, No Steak , J’ai Lu, 2014. soi-même qu’ils soient destinés à se réa - viande en pleine expansion menace de Aymeric Caron, Antispéciste. Réconcilier l'humain, l'animal, la nature , Don liser. devenir un facteur supplémentaire d’in - tensification de l’élevage. Quichotte, 2016. Élise Desaulniers, Je mange avec ma tête , Stanké, 2011. Bien que limité dans son objet, le projet d’abolition de la viande ne vise pas moins , , Zoopolis – A Political Theory of , 2011 que le plus grand recul de la souffrance et (le n°37 des Cahiers antispécistes propose une présentation de ce livre). de la mort jamais accompli. Par son but, Martin Gibert, Voir son steak comme un animal mort , Lux, 2015. et par la façon dont on cheminera vers ce , La révolution végétarienne. Les conséquences de nos choix but, il ouvre la voie à une civilisation plus alimentaires , Éditions Sciences Humaines, 2013. attentive à tous les êtres sentants affectés Charles Patterson, Un éternel Treblinka , Calmann-Lévy, 2007. par nos choix. Au terme du voyage, il y aura beaucoup moins que le paradis ; , Plaidoyer pour les animaux , Pocket, 2015. mais ce ne sera déjà pas si mal en tant Peter Singer, L’éthique à Table , L’Âge d’Homme, 2015. qu’aboutissement d’une revendication cir - Peter Singer, La libération animale , Petite Bibliothèque Payot, 2012 (1975). conscrite.

décembre 2007 Crédits des illustrations : photo de couverture : Andrea White ; p. 4, 10, 12, 21, 22, 26 : L214 ; p. 16 : Igualdad Animal ; p. 25 : GroinGroin ; p. 32 : Catherine Guilhou ; 4ème de couverture : GroinGroin. – 34 – – 35 –